Imagination Et Cosmos

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Le roman de science-fiction est né en Grèce, il y a 1 800 ans ! En filigrane des aventures ubuesques des premiershéros grecs dans l'espace, se profilait l'extraordinaire prémonition du génie humain. Déjà, l'Homme marchait surla Lune

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    L'IMAGINATION DESHOMMES ET LE COSMOS

    par Nolle et Rgis GOMBERT

    Le roman de science-fiction est n en Grce, il y a 1 800 ans ! En filigrane des aventures ubuesques des premiershros grecs dans l'espace, se profilait l'extraordinaire prmonition du gnie humain. Dj, l'Homme marchait surla Lune...

    S que le cortex crbral de l'homo sapiens assimile la beaut et organise un embryon de pense, l'hommecontemple, observe, vnre le Cosmos et ses mystres fascinants. Ignorant des arcanes de l'Univers,impuissant, pour longtemps encore, quitter sa plante, le Terrien pallie ses carences en scrtant la

    science-fiction. L'imagination, la folle du logis, pas si folle d'ailleurs, va l'emporter au-del du monde connu. Maisau fait, ces romans de science-fiction qui pullulent dans les rayons spcialiss de nos librairies, qui donc a bien pules inventer ? Aussitt, vous pensez Jules Verne, avec son De la Terre la Lune (1865) ou Ray Bradbury et sesChroniques martiennes nettement plus prs de nous. Eh bien, non ! Bien avant Tintin, l' objectif Lune avait t point.Et par qui ? Par les Grecs, voyons, encore eux, toujours eux, que nous retrouvons la racine des sciences...De fait, le fabuleux objectif du Cosmos apparat pour la premire fois dans un roman du rhteur grec Lucien deSamosate (125- 192, ap. J.-C.) qui s'appelle Histoire Vritable. Le voici, le vrai pre de la science-fiction ne auII sicle de notre re. Ce roman, farfelu et picaresque, est le rcit d'un voyage imaginaire au-del du monde connu.Pour la fantaisie de ses pisodes, Lucien admet la tradition populaire alors persistante, relative la forme dumonde : la Terre est une galette qui flotte sur les eaux de l'Ocan. Cet Ocan lui-mme se confond avec le ciel l'horizon. Notons au passage que les scientifiques ne doutaient plus, et depuis longtemps, de la rotondit de Terre :le navigateur Pythas, habitant de la colonie grecque de Marseille (Massalia) avait lanc en 330 av. J.-C. son navire,l'Artmis, loin, trs loin vers le nord, jusqu' la banquise, pour le vrifier. Ds lors, le moyen de transport est touttrouv : ce sera le bateau. Nos hros, 50 matelots grecs, font route durant 79 jours jusqu'aux limites du mondeconnu. L, un cyclone enlve le navire dans les airs, lui permettant ainsi d'chapper l'attraction terrestre. Aprs 7jours de navigation arienne, nos amis abordent dans une le de l'air en forme de sphre d'o ils aperoivent,au-dessous d'eux, la Terre. Mais, renseignements pris, ils sont sur la Lune ! Son roi, Endymion, est en guerre contreles habitants du Soleil propos de la colonisation de l'toile du matin. Voil nos hros sur le champ de bataille, quin'est autre qu'une gigantesque toile d'araigne tisse entre Vnus et la Lune ; et, malgr l'aide de leurs allis de laGrande Ourse, les Lunaires sont obligs de capituler, le roi du Soleil, Phaton, ayant entrepris de construire un murqui priverait la Lune de lumire, en la mettant en tat d'clipse permanente !

    AU cours de leur sjour sur la Lune, nos hros y remarquent bien des bizarreries : sur la Lune, il n'y a pas defemmes ; ce sont les hommes qui, maris entre eux, enfantent par le gras du mollet (autre procd aussipittoresque : les enfants poussent parfois sur des arbres issus du testicule droit d'un Lunaire, coup et plant dansle sol !). Sur la Lune, on aime les chauves, et sur les comtes, le lecteur s'en tait dout, les hommes chevelus.Enfin, les Lunaires sont trs beaux contempler : ils ont de la barbe qui pousse au-dessus du genou, un seul orteil. Au-dessus de leurs fesses pousse une feuille de chou formant une norme queue, toujours verte, et qui ne cassepas si l'homme vient tomber en arrire. De leur nez coule un miel fort acre ; lorsqu'ils travaillent ou effectuentdes exercices physiques, tout leur corps distille une sueur de lait, de telle sorte qu'elle se transforme en fromage s'ily coule une goutte de miel (1). Dernier dtail indiscret, un miroir dispos au-dessus d'un puits permet de voir etd'entendre tout ce qui se passe sur Terre.De Lune, nos Grecs escalent l'toile du matin (Vnus) et constatent au passage la richesse et la fertilit du Soleil.Puis ils visitent Lanterneville ( mi-chemin entre les Pliades et les Hyades) habite par des lanternes. Aprs unpassage Coucoules-Nues, la ville des Oiseaux (2), ils touchent l'eau de nouveau pour poursuivre leur priple pard'autres aventures fantastiques mais terrestres ce coup-ci : avals par une baleine, ils sjournent dans les les des

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    Bienheureux, et rencontrent des monstres dignes du Quart Livre de Rabelais, descendant de Lucien tout commeThomas More (Utopia) ou Jonathan Swift (Gulliver).

    APRS les dessins ails de Vinci et plus prs de nous, puisqu'il figure dans les morceaux choisis de nos classes delyce, Cyrano de Bergerac (1620-1655), auteur burlesque et libertin, celui-l mme qui servit de modle notreEdmond Rostand national, donna libre cours sa gniale imagination dans ses deux livres : Histoire comique ouVoyage la Lune, et Histoire comique des tats et Empires du Soleil (publications posthumes en 1656 et 1662). Lafiction y fourmille dj des ides scientifiques du XVIII sicle, puisqu'on y trouve une machine, l'icosadre,prototype d'arostat air chaud qui prfigure la mongolfire. La rotation de Terre sur elle-mme et autour deSoleil, la conception d'un univers matrialiste pouvaient attirer sur l'auteur des parfums de soufre... Mais la fictionest l pour couvrir, cacher, comme cette boule de cristal facettes recevant l'action du Soleil, qui pouvait, selon lui,permettre l'ascension !Le XVIII sicle annonce l're scientifique srieuse. Pierre Bayle, dans ses Penses sur la Comte (3) (1682-1683)dmontre de faon exceptionnellement rigoureuse que les comtes sont des phnomnes naturels qui n'ontabsolument rien de miraculeux. Fontenelle, dans ses Entretiens sur la Pluralit des Mondes (1686) tente d'expliquersimplement une marquise le systme de Copernic au cours de six soires d'observation dans un parc ; il yannonce mme (lecteur, tes-vous bien assis !) : l'art de voler ne fait encore que natre ; il se perfectionnera, etquelque jour on ira jusqu' la Lune , prmonition, dj, de Rabelais, la fin du Tiers Livre (loge du Pantagrulion).Ds lors, la faille se cre, la dichotomie est irrparable entre la science astronomique, docte, rigoureuse et sage, et lascience-fiction, domaine rserv de la fantaisie lgre et amusante... Jusque-l, astrologues et astronomes nefaisaient qu'un, tout comme alchimistes et mdecins, ou visionnaires de gnie (Vinci).Et voici que Voltaire nous entrane la suite de Micromgas ( 1752), habitant d'un satellite de Sirius, qui mesurehuit lieues de haut, et qui, vers les 450 ans, au sortir de l'enfance , entreprend un voyage interplantaire encompagnie du nain de Saturne, haut seulement d' peu prs deux kilomtres.

    LES rves les plus fous rivalisent. Au XIXe sicle, Edgar Poe, dans Aventure sans pareille d'un certain Hans Pfaal,choisit le ballon comme moyen de locomotion. A l'poque, la question de la respiration dans l'espace ou del'atmosphre de la Lune se pose. Pour Poe, l'air est rare dans l'espace, mais existe toujours, et jusque sur la Lune,on trouve une atmosphre tnue... C'est pour cette raison que ses habitants (car la Lune, bien entendu, est habite)sont trs petits, et pour respirer, Hans Pfaal doit utiliser une machine, le condensateur , avant de nous expliquerl'origine des mtorites, scories des ruptions volcaniques qui se droulent sur notre bonne vieille Lune.N'allions-nous pas oublier Jules Verne ? C'et t assurment impardonnable, lui qui devait bercer nos jeunesses.Dans De la Terre la Lune, il rsout le problme de la traverse avec un boulet possdant quelque chose d'une capsuleGmini, tir d'un canon gigantesque, version archaque du pas de tir des fuses. Trois passagers sont ainsi arrachs l'attraction terrestre pour orbiter autour de Lune. Il fait froid dans l'espace (-150), l'air y est euphorisant, et sur Luneil n'y a ni habitant ni atmosphre, mais on y trouve des mers, des volcans, de hautes montagnes enneiges et touteune palette de couleurs. Un astrode satellite tourne autour de la Lune une vitesse vertigineuse !Que d'images ! Et le rve continue, port l'cran en 1902 par Georges Mlis dans son Voyage dans la Lune, o lafuse pntre dans l'il de Lune et o les cinq astronomes explorateurs sont faits prisonniers par des Luniens bieninhospitaliers ! Mais au cinma, tout n'est-il pas permis ? Et ce n'est pas fini. Petits et grands rvent aux imagesfantastiques.Ne jetons pas la pierre la science-fiction. Elle est fille du gnie humain, et souvent l'origine d'extraordinairesprmonitions. Soyons sincres : cette nuit de juillet 1969 o nous avons vu en direct le premier pas d'Amstrong surla Lune, la gorge serre d'une motion intense et capitale ; n'avions-nous pas, dans un tout petit recoin de notremmoire, une image de Tintin, de Jules Verne ou de Mlis ? (4)

    1) Traduction de Pierre Grimai in Romans grecs et latins, ditions Gallimard. Bibliothque de la Pliade, o l'on peut lire ce romandans son intgralit. (2) Pice d'Aristophane, qui se droule dans une ville arienne, royaume des oiseaux, en 414 av. J.-C. (3) II s'agitune fois de plus, de notre chre comte de Halley. (4) En fait, Lucien n'est pas rellement l'inventeur du genre; nous possdons, entreautres, le rsum des Merveilles d'au-del du pays de Thul, d'Anlonius Diogne, crit environ un sicle auparavant, et qui contenait,notamment, un voyage dans la Lune. Mais seul le roman de Lucien nous est parvenu.