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Immanuel Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, Première Section, extrait.

Remarques liminaires : a) ce qui suit n’est qu’un plan détaillé, et non un commentaire de texte philosophique : lors de la rédaction finale, il conviendra surtout de ne pas se contenter de juxtaposer les arguments, et de développer certainement davantage ; b) tout ce qui figure ici entre crochets droits, toute indication correspondant à la démarche suivie, comme les notes de bas de page et les numéros des paragraphes, devront disparaître dans un devoir.

[Introduction][Objet du texte]Dans ce passage de la Première Section des Fondements de la métaphysique des mœurs, il est question de la valeur de l’action morale. Kant soutient que celle-ci est fondée sur la volonté de l’être raisonnable de respecter la loi morale pour elle-même. De cette manière, chacun est capable d’agir par devoir, c’est-à-dire par sentiment de la loi morale à accomplir, en conformité à la loi universelle que sa raison lui dicte.[Position du problème]Agir moralement, est-ce agir simplement en conformité avec des règles de moralité préalablement définies qui nous commandent de faire le bien, ou bien agir en tant que sujet moral, n’obéissant qu’à la loi que sa raison lui prescrit, ce qui constituerait la seule manière envisageable de réellement agir par devoir ?[Moments du texte]Dans un premier moment, Kant énonce la thèse qu’il entend défendre : ce qui fait « la valeur morale de l’action » ne peut être trouvé dans l’effet ou le résultat qu’on en attend, mais uniquement dans la volonté bonne qui se trouve à son origine.Dans un second moment, il explicite la nature de cette loi morale à laquelle chacun doit obéir, pour que sa volonté puisse être considérée comme absolument bonne.

[1ère partie : explication du premier moment]1) Kant commence ici par justifier sa thèse : la bonne volonté seule du sujet, tout entière tendue vers l’accomplissement du bien, définit la moralité de l’action. Une action ne peut être considérée comme morale uniquement au regard du résultat obtenu. On peut en effet faire le bien sans le vouloir, ni même le rechercher, en n’étant inspiré que par un conformisme moral, ou encore en étant animé d’intentions qui n’ont rien de morales. Ce ne sont ni la « satisfaction de son état », ni la « contribution au bonheur d’autrui » qui permettent de juger de la « valeur morale » d’une action. Cela signifierait, dans le premier cas, qu’on ferait le bien pour se donner bonne conscience, pour pouvoir s’estimer soi-même, pour se faire plaisir, ou encore parce qu’on serait bien disposé à l’égard d’autrui, décidé à se montrer charitable, bienveillant ou généreux à l’égard d’autrui, etc., et dans le second, que procurer du bien à autrui ferait toute la moralité de l’action, indépendamment des motivations réelles de son auteur, ce qui n’est pas envisageable. On peut en effet faire le bien en n’étant motivé que par son intérêt propre, pour s’attacher la reconnaissance d’autrui, pour être socialement estimé comme un homme de bien, ou encore par simple posture sociale, dans le but de bénéficier d’un ascendant sur les autres – dans le cas de la compassion du religieux, du dévouement de l’humanitaire, ou de la générosité du syndicaliste ou du militant politique –.2) Pour que l’action puisse être considérée comme morale, « la volonté d’un être raisonnable » se trouve requise à son fondement. L’ordre de la moralité est en effet spécifiquement humain, et témoigne par conséquent de la capacité d’un « être raisonnable », c’est-à-dire de l’homme en tant qu’il possède la raison pratique, à s’élever à ce niveau où il témoigne du meilleur de lui-même. Les animaux peuvent par ailleurs produire dans leurs comportements des effets qu’on pourrait juger positifs d’un point de vue moral, sans pour autant être capables de moralité, par exemple une meute de loups venir porter secours à un

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congénère blessé, une femelle se sacrifier pour sa progéniture. Certains êtres humains aussi agissent en conformité avec une certaine morale, le plus souvent religieuse, mais ce n’est que par solidarité avec leur communauté dont ils estiment ne pas avoir à se distinguer, là où il est au contraire exigé de chacun d’agir par devoir, sur le seul fondement de la loi morale qu’il serait capable de se représenter. Nous ne faisons pas le bien parce que ce serait celui-ci ou celui-là qu’il nous serait prescrit de faire, mais parce que notre raison nous commande d’obéir à la loi morale et de nous conformer de la sorte au « souverain bien », au « bien inconditionné » que nous sommes capable de nous représenter, et non à un bien particulier, par exemple ce qui serait utile aux autres ou pour les siens.3) Cette volonté de vouloir le bien pour lui-même, pour pouvoir être considérée comme une volonté raisonnable, exigera par conséquent de tenir à distance toutes les inclinations sensibles qui pourraient nous détourner de l’exigence première d’obéir à la règle que notre raison nous dicte. Pour agir moralement, il ne faut écouter que la raison, ce qui suppose de faire preuve de volonté, par un effort constant sur soi, en luttant contre ses tendances et ses préférences naturelles ou spontanées : la pitié ou la compassion, la sympathie qu’inspirent davantage certaines personnes plutôt que d’autres, ou encore l’indignation spontanément éprouvée face au spectacle de la grande misère ou de l’injustice. Le « bien inconditionné » ne peut être un bien relatif, mais le bien que notre raison nous commande de faire et qui peut être ainsi universellement admis. Et c’est de cette manière seule qu’on peut agir moralement, c’est-à-dire librement, en faisant délibérément le choix de l’accomplissement de la loi morale, ce qui passe par le refus de céder à sa spontanéité propre ou à ses penchants du moment. Par exemple, se laisser attendrir au spectacle de la mendicité de jeunes enfants et de leurs mères, s’indigner spontanément de la situation des Roms en France, ou du fait que ces populations puissent être considérées comme indésirables dans leurs pays d’origine, est à la portée de quiconque est capable d’humanité. Comprendre en revanche que toute forme d’aide au séjour qui pourrait leur être apportée par des militants ou des associations n’est pas raisonnable, parce qu’elle ne fait qu’encourager ces nomades à se maintenir dans une forme de vie précaire, en marge du pays d’accueil, la division de l’opinion publique et l’inaction du pouvoir, exige d’avoir en vue l’universalité de la loi morale, et le bien pour lui-même, ce qui ne peut venir que d’une volonté proprement politique s’exprimant au niveau des États concernés.[Conclusion partielle]La bonne volonté seule fait toute la valeur de l’action morale, en stricte conformité avec une loi qui ne peut être issue que de la raison. Il reste à se demander quelle est la nature de cette loi morale à laquelle nous pouvons obéir par devoir.

[2ème partie : explication du second moment]1) Cette loi, puisqu’elle est celle à laquelle doit obéir un être qui n’obéit qu’à la seule raison, ne peut être que strictement conforme aux principes de la raison. Dans le cas contraire, on serait fondé à la rejeter, en particulier s’il se trouvait dans cette loi le moindre élément qui pourrait entrer en contradiction avec la volonté d’un « être raisonnable ». Par exemple, si une telle loi nous obligeait à faire preuve d’humanité, ou à nous montrer charitable envers notre prochain, nous ne pourrions que l’exclure, au motif que l’humanité est un sentiment que nous sommes capable d’éprouver à l’égard de ceux que nous jugeons semblables à nous-même, et non trop différents de ce que nous sommes, ou que la charité ne se commande pas, en tout cas sur le seul fondement de la raison. Pouvons-nous par exemple en toute honnêteté nous montrer charitable à l’égard du voleur qui vient nous dépouiller ? La raison nous commande simplement en ce cas de renoncer à nous faire justice nous-même, de faire en sorte que le voleur puisse être arrêté et poursuivi, de nous défendre en cas d’attaque, ou encore de refuser

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de nous laisser apitoyer par ses paroles, faussement inspirées par un prétendu destin social auquel il n’aurait pu échapper1.2) Aussi, la première formulation de l’impératif catégorique – définissant la forme générale du devoir – est-elle énoncée comme suit : « je dois toujours agir de telle façon que je puisse vouloir aussi que ma maxime devienne une loi universelle. » Le mot « maxime » désigne une règle particulière d’action qu’un individu peut se donner à suivre ou à respecter. Une « loi universelle » est une loi susceptible d’être respectée par tout sujet, quel qu’il soit, sans souffrir la moindre exception. C’est ainsi qu’on ne peut vouloir par exemple que le vol ou le mensonge puissent avoir une valeur universelle, quand bien même certains individus, ou certaines communautés culturelles, pourraient toujours se donner à eux-mêmes pour règle de voler ou de mentir. À l’opposé, une humanité dans laquelle chacun sans exception s’obligerait à respecter le bien d’autrui ou à toujours dire la vérité pourrait être une humanité idéale, ou une société d’êtres devenus raisonnables. Cela peut être admis sans contradiction, alors même que la contradiction serait manifeste entre s’autoriser à voler ou à mentir et ne pas vouloir soi-même se trouver victime de vol ou du mensonge d’autrui.3) Toute volonté raisonnable peut se donner à respecter une telle loi, parce qu’elle l’emportera toujours sur quelque maxime particulière d’action qui puisse être, que là se trouve l’expression même de la loi que notre raison nous commande impérieusement de suivre, en sachant faire abstraction de toute préférence particulière, de toute inclination sensible comme de tout intérêt. La loi morale en général peut « servir de principe » à la volonté, parce qu’agir moralement ne peut être autre qu’agir par devoir, en raison même de ce que le devoir nous oblige, ou qu’on ne peut que vouloir l’accomplissement de la loi morale, de préférence à une quelconque fin particulière, laquelle pourrait toujours être contestée par ailleurs. Par exemple, que les hommes se conforment à une certaine notion du bien, telle que le prescrit une religion déterminée, ne satisfera que les adeptes de cette religion ou ceux qui seraient par avance disposés à se ranger à celle-là, à l’exclusion de tous les autres.[Conclusion partielle]Seule une loi universelle, identique à la forme générale de tout devoir2, peut nous imposer de vouloir raisonnablement, absolument et inconditionnellement, son accomplissement.

[3ème partie : approfondissement réflexif et critique]1) L’argumentation de Kant est parfaitement cohérente. On lui a cependant objecté la possibilité de problèmes moraux, c’est-à-dire de conflits de devoirs. Soit par exemple une situation dans laquelle on pourrait être tenté de mentir pour sauver des vies. Doit-on mentir ou bien dire la vérité, quelles que puissent en être les conséquences ? Selon Kant, on ne doit pas mentir, par respect pour la loi morale, laquelle sinon ne pourrait avoir une valeur absolue si on s’autorisait parfois à ne pas la respecter, parce que la sincérité seule conduit à la constitution d’une société d’êtres raisonnables, parce que la maxime : tu peux mentir si ton intérêt ou celui de personnes qui te sont proches sont en jeu n’est pas universalisable, que seul le devoir de toujours dire la vérité peut être universalisé. L’exigence de sauver la vie d’autrui ne ferait-elle pas apparaître le mensonge comme un moindre mal tout au contraire ? Sartre a donné un autre exemple de conflit de devoirs, en évoquant le cas de l’un de ses anciens élèves qui était venu le trouver en pleine période de l’Occupation : devait-il partir pour l’Angleterre, s’engager aux côtés des troupes du Général de Gaulle, comme sa conscience lui commandait de le faire, ou bien rester à Paris auprès de sa vieille mère malade ? Il lui répondit, en conformité avec sa philosophie existentialiste, que lui seul pouvait le savoir, que son choix lui appartenait, qu’il lui fallait résoudre ce problème moral pour lui-même, non sans faire remarquer au passage

1 Il existe bien entendu quantité de pauvres honnêtes et parfaitement respectueux des lois en vigueur. C’est même là souvent le moyen de conserver toute sa dignité en tant que personne.2 Un « tu dois ! » qui ne puisse souffrir la moindre discussion.

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que si au lieu de venir consulter son professeur il était allé demander conseil à un prêtre catholique, la solution aurait pu être tout à fait différente – il se trouvait alors des prêtres collaborateurs et des prêtres résistants –. De manière générale, la nécessité de respecter la loi morale n’exclut pas tout le discernement dont l’« être raisonnable » est selon Kant capable.2) Il est à remarquer que l’État d’Israël en est venu à décerner le titre de « justes parmi les nations » à des personnes ayant contribué à sauver des juifs durant l’Occupation, la priorité absolue de son point de vue, sans souci pour les otages fusillés en raison de leurs agissements. La fin, moralement bonne, peut-elle justifier les moyens : le non respect de l’État de droit d’alors, les attentats aveugles, le terrorisme ou le sabotage délibéré ? Il faudrait alors admettre que toute noble cause légitimerait par avance les exactions commises en son nom. Kant ne le pense pas, en dénonçant le fait que le « bien moral » puisse être attendu « seulement du résultat de l’action », en mettant en avant la « loi universelle » pouvant « servir de principe » « à la volonté ». Toute cause moralement respectable en deviendrait dans le cas contraire défendable : celle des écologistes, lesquels, au nom de l’avenir de la planète pour les générations futures, rêvent la France peuplée d’éoliennes, des défenseurs de la cause animale qui voudraient imposer aux autres le végétarisme, ou bien encore de cet islam militant pour qui une femme musulmane, quel que soit son âge, ne serait qu’un objet de tentation et ne pourrait ainsi paraître que voilée.3) Kant, en bon Prussien, juge que l’obéissance à la loi suffit à fonder la moralité de nos actions, en servant « de principe à la volonté », « si le devoir n’est pas une illusion et une idée chimérique ». Mais combien de nos contemporains sont-ils effectivement capables de se conformer à la loi morale, par pur souci du devoir à accomplir ? Bien peu en définitive. La plupart ne connaissent que le principe de plaisir. Comment pourrions-nous nous sentir obligé d’obéir à la loi morale si aucune inclination ou préférence ne nous détermine à cela ? Pour Kant, en tant qu’« être raisonnable », capable de nous représenter « la loi en elle-même », nous disposons chacun d’une volonté qui nous oblige à agir moralement. En d’autres termes, la raison est la destination de l’homme, et rien ne saurait nous en détourner. Il convient toujours d’opter pour la voie de l’effort contre celle de la facilité. C’est là que se révèle l’homme authentique, capable de résolution, et ainsi de liberté, au lieu de se laisser dominer par ses impulsions immédiates, irrationnelles ou irréfléchies.[Conclusion partielle]Quand bien même l’argumentation de Kant se heurterait-elle à certaines objections, en définitive de peu de poids, on ne manquera pas d’en souligner l’inappréciable valeur.

[Conclusion][Résumé de la démarche suivie]Dans une première partie, nous avons établi que la bonne volonté seule fondait pour Kant la moralité de l’action, à l’exclusion de l’effet ou du résultat attendu. Dans une deuxième partie, nous avons constaté quelle était la nature de cette loi morale à laquelle il convient d’obéir si on veut vraiment agir par devoir. Dans une troisième partie enfin, nous avons souligné la force et la cohérence de l’argumentation de Kant, contre quelques-unes des objections qui ont pu lui être adressées.[Solution du problème posé]Agir moralement ne peut être qu’agir par devoir, c’est-à-dire avec pour seul commandement qui puisse valoir pour la raison de respecter la loi morale pour elle-même, et non conformément au devoir. En d’autres termes, il ne suffit pas de désirer le bien pour se rendre par là même capable de moralité, ni de se conformer strictement à un système de valeurs définies, quand bien même seraient-elles les plus respectables de toutes. Seule une volonté parfaitement autonome peut réellement vouloir l’accomplissement de la loi morale.

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