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Impact de la pratique intensive de violon et de l'alto sur la mobilité articulaire du poignet Impact of intensive practice of violin and viola on the wrist joint mobility a 5, allée Charles-Loupot, 38130 Échirolles, France b École de kinésithérapie, CHU de Grenoble, 38130 Grenoble, France c Clinique Saint-Charles, 69001 Lyon, France Reçu le 16 octobre 2012 ; reçu sous la forme révisée le 24 février 2013 ; accepté le 1 er avril 2013 Caroline Lazzarotto a Sandrine. Monnet b Vincent Travers c Mots clés Amplitude articulaire Poignet Troubles musculo- squelettiques Violoniste Keywords Range of motion Wrist Musculoskeletal disorders Violinist Auteur correspondant : C. Lazzarotto, 5, allée Charles-Loupot, 38130 Échirolles, France. Adresse e-mail : caroline.lazzarotto@orange. fr (C. Lazzarotto) RÉSUMÉ Objectif. Nous avons souhaité évaluer l'impact de la pratique intensive du violon et de l'alto sur la mobilité articulaire du poignet en exion. Population. Nous avons pu recruter 18 professeurs classique de violon et alto des écoles de musique et conservatoires de Grenoble ; 25 sujets témoins non musiciens appariés en âge et en genre. Méthodologie. Trois mesures de exion passive par poignet ont été mesurées à l'aide d'un électrogoniomètre. La moyenne des amplitudes du poignet gauche puis droit a été comparée entre les 2 populations. La posture de ces musiciens étant asymétrique, nous avons également réalisé une comparaison intragroupe entre poignet gauche et droit. Résultats. Notre étude n'a pas montré de différence signicative pour les comparaisons entre les 2 groupes. En revanche, nous notons une amplitude signicativement supérieure du poignet droit pour les musiciens (93,678 contre 89,418, p = 0,03) Conclusion. Nous avons mis en évidence une différence signicative seulement en intra- groupe chez les musiciens. Cette étude apporte de nombreuses perspectives de recherche pour cette population encore trop peu connue. Niveau de preuve. Niveau 2. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. SUMMARY Objective. We wanted to assess the impact of intensive practice of violin and viola of the mobility of the wrist joint. Population. We were able to recruit 18 teachers of classical violin and viola music schools in Grenoble, 25 control subjects non-musicians matched in age and gender. Methodology. Three parts by passive exion wrist were measured using an electrogoniometer. The average amplitudes of the left wrist and right were compared between the two populations. The posture of these musicians is asymmetric, we also made a within groups comparison, between left and right wrists. Results. Our study did not show a signicant difference for comparisons between the two groups. In contrast, we note a signicantly higher amplitude of the right wrist for musicians (93.678 vs. 89.418 against left, P = 0.03) Conclusion. We demonstrated a signicant difference only among musicians. This study provides many research opportunities for these people too little known. Level of evidence. Level 2. © 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Kinesither Rev 2013;13(143):3035 Savoirs / Contribution originale 30 © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.kine.2013.04.008

Impact de la pratique intensive de violon et de l’alto sur la mobilité articulaire du poignet

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Page 1: Impact de la pratique intensive de violon et de l’alto sur la mobilité articulaire du poignet

Kinesither Rev 2013;13(143):30–35Savoirs / Contribution originale

Impact de la pratique intensivede violon et de l'alto sur la mobilitéarticulaire du poignet

Impact of intensive practice of violin and viola on thewrist joint mobility

Caroline Lazzarotto a

Sandrine. Monnet b

Vincent Travers c

a5, allée Charles-Loupot, 38130 Échirolles, FrancebÉcole de kinésithérapie, CHU de Grenoble, 38130 Grenoble, FrancecClinique Saint-Charles, 69001 Lyon, France

Reçu le 16 octobre 2012 ; reçu sous la forme révisée le 24 février 2013 ; accepté le 1er avril 2013

Mots clésAmplitude articulairePoignetTroubles musculo-squelettiquesVioloniste

KeywordsRange of motionWristMusculoskeletal disordersViolinist

Auteur correspondant :C. Lazzarotto,5, allée Charles-Loupot,38130 Échirolles, France.Adresse e-mail :[email protected] (C. Lazzarotto)

RÉSUMÉObjectif. – Nous avons souhaité évaluer l'impact de la pratique intensive du violon et de l'alto surla mobilité articulaire du poignet en flexion.Population. – Nous avons pu recruter 18 professeurs classique de violon et alto des écoles demusique et conservatoires de Grenoble ; 25 sujets témoins non musiciens appariés en âge et engenre.Méthodologie. – Trois mesures de flexion passive par poignet ont été mesurées à l'aide d'unélectrogoniomètre. La moyenne des amplitudes du poignet gauche puis droit a été comparéeentre les 2 populations. La posture de ces musiciens étant asymétrique, nous avons égalementréalisé une comparaison intragroupe entre poignet gauche et droit.Résultats. – Notre étude n'a pas montré de différence significative pour les comparaisons entreles 2 groupes. En revanche, nous notons une amplitude significativement supérieure du poignetdroit pour les musiciens (93,678 contre 89,418, p = 0,03)Conclusion. – Nous avons mis en évidence une différence significative seulement en intra-groupe chez les musiciens. Cette étude apporte de nombreuses perspectives de recherche pourcette population encore trop peu connue.Niveau de preuve. – Niveau 2.© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

SUMMARYObjective. – We wanted to assess the impact of intensive practice of violin and viola of themobility of the wrist joint.Population. – We were able to recruit 18 teachers of classical violin and viola music schools inGrenoble, 25 control subjects non-musicians matched in age and gender.Methodology. – Three parts by passive flexion wrist were measured using an electrogoniometer.The average amplitudes of the left wrist and right were compared between the two populations.The posture of these musicians is asymmetric, we also made a within groups comparison,between left and right wrists.Results. – Our study did not show a significant difference for comparisons between the twogroups. In contrast, we note a significantly higher amplitude of the right wrist for musicians(93.678 vs. 89.418 against left, P = 0.03)Conclusion. – We demonstrated a significant difference only among musicians. This studyprovides many research opportunities for these people too little known.Level of evidence. – Level 2.© 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

30© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

http://dx.doi.org/10.1016/j.kine.2013.04.008

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Kinesither Rev 2013;13(143):30–35 Savoirs / Contribution originale

d'articles scientifiques à fort niveau de preuves et les patho-

INTRODUCTION

Un musicien est capable de jouer 20 à 30 notes par secondesce qui correspond à 400 à 600 actes moteurs distincts [1].Pour y arriver, il est soumis à un entraînement quotidien etintensif afin de maîtriser parfaitement l'enchaînement rapidede mouvements complexes. Comme chez les sportifs, denombreuses études ont montré des déséquilibres chez lesmusiciens. Or, on sait qu'une pratique physique intensive peutprovoquer des déséquilibres au sein de l'organisme et causeparfois des lésions corporelles.

Ainsi la prévalence des seuls troubles musculo-squelettiques (TMS) liés à la pratique d'un instrumentse situe entre 75 et 78 % dans la plupart des études

[2,3].

L'apparition de ces pathologies serait favorisée par l'associa-tion de plusieurs facteurs de risque. Les positions articulairesextrêmes, l'intensité de la pratique instrumentale et la répéti-tivité sont des facteurs favorisant la survenue de TMS [4]. Il estressorti des études épidémiologiques que la population desinstrumentistes à cordes est particulièrement concernée parles TMS. En effet, les violonistes et altistes par exemple seplaignent de problèmes bien spécifiques liés à la tenue contrai-gnante de leur instrument et à leur position asymétrique. Si l'ons'intéresse au membre supérieur de ces musiciens, on peutnoter que le poignet droit présente une hyperflexion/extensionselon le positionnement de l'archet sur les cordes et le poignetgauche est en position neutre (Fig. 1) [5].Or, de nombreuses études rapportent que cette articulation estdouloureuse chez ces musiciens et peut être affectée pardifférents troubles musculo-squelettiques (tendinose, dystoniefocale. . .) ainsi que par une hypermobilité [6–9].

L'hypermobilité faisant partie des causes potentiellesde TMS, il nous semble important d'évaluer cettedernière et de chercher un lien entre pratique

intensive de violon et alto et augmentation d'amplitudearticulaire.

Si la prévention des TMS s'est particulièrement développéedans les entreprises, elle doit absolument être étendue aumilieu musical. Malgré l'intérêt croissant du monde médicalpour celui des arts, il existe aujourd'hui encore trop peu

Figure 1. Posture du violoniste.

logies des musiciens restent encore assez méconnues.

PROBLÉMATIQUE

Les violonistes se plaignent de douleurs fréquentes au niveaudu poignet et nous savons d'après plusieurs études que lapratique intensive d'un instrument n'est pas sans effet pour laposture globale [10,11]. Nous nous proposons donc de répon-dre à la problématique suivante : la pratique intensive deviolon ou d'alto provoque-t-elle des modifications d'amplitudearticulaire de flexion du poignet ?Nous émettons l'hypothèse qu'il existe une relation de causeà effet entre pratique intensive d'un instrument et augmenta-tion de l'amplitude articulaire de flexion du poignet. Nous nousbaserons sur une comparaison de mesures avec une popula-tion non musicienne appariée en âge et en genre.De plus, étant donné la posture contraignante et asymétriquedu violoniste, nous nous proposons d'étudier l'amplitude arti-culaire de chacun des poignets du musicien. Nous émettonsdonc l'hypothèse que chez le musicien, le poignet droit a uneflexion supérieure à celle du poignet gauche.

MÉTHODOLOGIE

Population

Vingt-deux professeurs de violon et alto ont été recrutés dansles écoles de musique et conservatoires de l'agglomérationgrenobloise. Les critères d'inclusion étaient : être volontaire etsigner la feuille de consentement, être droitier, avoir un mini-mum de 15 heures de pratique instrumentale par semaine,enseigner de cet instrument depuis 2 ans au moins.Nous n'avons pas inclus les musiciens ayant des antécédentsd'entorse ou d'intervention chirurgicale des poignets. Nousaurions exclu tout sujet souhaitant se retirer de l'étude.Sur les 22 musiciens, un était gaucher et trois ne se sont pasprésentés à la prise de mesure donc 18 sujets musiciens ontété analysés.Pour assurer le groupe témoin, 25 sujets non musiciens appa-riés en âge et en genre ont été recrutés. Les critères d'inclusionétaient : être volontaire et signer la feuille de consentement,être droitier, ne pas pratiquer de violon ni d'alto. Les critères denon-inclusion et d'exclusion étaient les mêmes que ceux desmusiciens.

Protocole

Le sujet commence par signer le formulaire de consentement,remplit le questionnaire puis se présente pour la prise demesure. Il tire au sort (en piochant un papier) le côté qui seramesuré en premier (gauche ou droit).Le sujet s'assoit ensuite sur une chaise, le dos plaqué contre ledossier et les pieds à plat au sol. Le bras est plaqué au thoraxet le coude est fléchi à 908 (position permettant une bonnereproductibilité). L'avant-bras est placé sur une table situéedevant le patient, le poignet étant en pronation. L'outil choisipour mesurer la flexion passive du poignet est l'électrogonio-mètre de la marque Biometrics car il est l'outil le plus précis quenous avons à notre disposition. Ce goniomètre est relié à unboîtier d'acquisition, le Biopac MP 36 et un ordinateur permet

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Figure 2. Montage complet.

C. Lazzarotto et al.Savoirs / Contribution originale

l'acquisition des données grâce au Logiciel BSL pro 3.7. Legoniomètre est placé au milieu de l'avant-bras sur sa facedorsale et le long du troisième métacarpien face dorsale de lamain. Le fil central du goniomètre « coupe » l'articulationradio-ulnaire distale en son milieu. Il est fixé par du sparadrapau niveau des deux capteurs (Fig. 2).Les mesures sont effectuées de manière passive par le patientlui-même selon une consigne bien précise : « avec la maingauche, vous attrapez le dos de votre main droite et vousamenez la paume droite le plus près possible de votre avant-bras droit jusqu'au maximum du mouvement sans provocation

Figure 3. Comparaison des amplitudes de flexion du poignet gaucheentre les musiciens et les non-musiciens.

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de la douleur. Puis vous revenez à la position initiale » (etinversement pour la mesure du poignet gauche). Avant de fairela mesure, l'examinateur vérifie que le sujet a bien exécuté lemouvement dans toute son amplitude en exerçant une légèrepression sur le dos de la main.Les enregistrements peuvent alors commencer, chaquemesure étant effectuée trois fois pour avoir une mesure laplus fiable possible. Une courbe du mouvement réalisé estobtenue et la valeur maximale de l'amplitude de flexion estdonnée. Puis les mesures de l'autre poignet sont effectuées enrespectant les mêmes principes.

Statistiques

Comparaison inter-groupe : pour la comparaison entre lesdeux groupes de la flexion du poignet gauche puis droit, nousutilisons un test non paramétrique pour des sujets non appa-riés, le test de Mann et Whitney. Nous avons choisi un test pourdes sujets non appariés car malgré notre volonté de recruterdes musiciens et témoins les plus proches possibles en âge eten genre, les deux populations ne sont pas strictementidentiques.Comparaison intragroupe : pour la comparaison des deuxpoignets au sein du musicien, nous utilisons un test nonparamétrique pour des sujets appariés, le test de Wilcoxon.

RÉSULTATS

Notre population de musiciens est composée de 5 hommes(soit 28 % de l'échantillon) et de 13 femmes (72 %), 4 d'entreeux sont altistes (soit 22 % de notre échantillon) et 14 sontviolonistes (78 %). Les sujets ont entre 20 et 56 ans et lamoyenne d'âge est de 43 ans. Le poids moyen est de 63 kget la taille moyenne de 168 cm. Aucun n'a d'antécédentsmédicaux au niveau des poignets et tous sont droitiers. Ilsont entre 11 et 47 ans de pratique instrumentale avec uneancienneté de pratique moyenne égale à 34 ans. Leur duréede jeu hebdomadaire est de 23 heures en moyenne. Treizemusiciens pratiquent entre 15 et 25 heures de leur instrumentpar semaine, cinq musiciens entre 25 et 40 heures.

Comparaison musicien/témoin de la flexiongauche

Le groupe des musiciens obtient une moyenne de flexiongauche de 89,418 � 10,938 contre 90,178 � 13,848 chez lesnon-musiciens ; les amplitudes sont plus importantes enmoyenne pour la population témoin (Fig. 3). La flexion mini-male est de 78,198 chez les musiciens et de 60,178 chez lestémoins. La flexion maximale est de 112,908 chez les musi-ciens et de 112,978 chez les non-musiciens.Cependant p est supérieure à 0,05 (p = 0,67), elle n'est doncpas statistiquement significative et nous obtenons une puis-sance de 0,96 (supérieure à 0,80).Nous avons constaté qu'il n'y a « pas d'augmentation d'ampli-tude de flexion gauche chez le musicien ».

Comparaison musicien/témoin de la flexion droite

Le groupe des musiciens obtient une moyenne de flexiondroite supérieure à celle de la population témoin (93,678� 14,758 et 84,768 � 12,668 respectivement) (Fig. 4). La fle-xion minimale est de 72,558 chez les musiciens et de 63,438

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Figure 4. Comparaison des amplitudes de flexion du poignet gaucheentre les musiciens et les non-musiciens. Figure 5. Comparaison des amplitudes de flexion chez le musicien.

Kinesither Rev 2013;13(143):30–35 Savoirs / Contribution originale

chez les témoins. La flexion maximale est de 122,208 chez lesmusiciens et de 118,038 chez les non-musiciens.La valeur de p est supérieure à 0,05 (p = 0,07), cette différencen'est donc pas significative mais nous remarquons qu'il y a unedifférence de 108 entre musiciens et non musiciens. Nousobtenons une puissance de 0,92 (supérieure à 0,80).Nous avons constaté qu'il n'y a « pas d'augmentation d'ampli-tude de flexion droite chez le musicien ».

Comparaison flexion gauche/droite chez lemusicien

Nous obtenons une moyenne de flexion gauche de 89,418� 10,938 et de flexion droite de 93,678 � 14,758. Nous cons-tatons que l'amplitude de flexion droite est supérieure à lagauche (Fig. 5). Nous rappelons que la flexion minimale est de78,198 à gauche et de 72,558 à droite. La flexion maximale estde 112,908 à gauche et de 122,208 a droite.Or, au test de Wilcoxon, la valeur de p est de 0,03 : la diffé-rence entre la flexion du poignet gauche par rapport à celle dupoignet droit chez le musicien est donc significative.Nous avons constaté qu'il y une « augmentation significativede l'amplitude de flexion droite chez le musicien ».Nous avons effectué le même test pour le groupe témoin pourlequel nous obtenons une valeur p de 0,06. Nous avons donccalculé la puissance qui est de 0,74. Il nous est donc difficile deconclure sur l'existence ou non d'une différence physiologiqueentre l'amplitude droite et gauche chez les non-musiciens parmanque de puissance et du fait d'une population restreinte.

DISCUSSION

Population

Compte tenu des impératifs de temps, nous avons été amenésà nous limiter à un certain périmètre autour de l'école pourrecruter nos sujets. Nous aurions pu augmenter notre effectif

en élargissant cette zone de recrutement et augmenter ainsi lapuissance de notre étude.Nous pouvons noter le taux très satisfaisant de participationà notre étude : 82 %. Nous pouvons l'expliquer de plusieursmanières. Tout d'abord, la prise de mesure ne durait vraimentpas longtemps et était peu contraignante pour le musicien.Ensuite, le fait que l'investigateur se soit déplacé auprès dechaque professionnel pour expliquer sa démarche a favorisél'acceptation de ces derniers à participer à notre étude. Enfin,certains des professeurs ont apprécié l'intérêt que leur prêtaitla recherche en kinésithérapie. En effet la kinésithérapie nes'intéresse que depuis peu de temps aux musiciens et parti-culièrement à leur TMS.

Outil de mesure

Nous avons fait le choix d'utiliser un goniomètre électronique.Cet outil n'a pas été validé pour l'articulation du poignet et peutdonc constituer un biais à notre étude. Cependant, il était l'outille plus précis que nous avions à notre disposition et permettaitau sujet de faire lui-même sa mesure, sans interférence del'investigateur.N'ayant pas d'étude qui nous aurait servi de référence pour laméthode, nous avons déterminé un protocole dans le but de lerendre le plus reproductible possible. Nous souhaitions effec-tuer les mesures le matin, avant que les musiciens necommencent à jouer pour que les sujets soient les plus compa-rables possibles. Cependant, cela n'a pas toujours été res-pecté car certains musiciens n'étaient pas disponibles. Lapopulation de musiciens correspondant à nos critères d'inclu-sion étant assez difficile à recruter, nous avons fait le choix defaire certaines mesures le soir, à la demande des sujets.

Résultats

Interprétation des résultats obtenus

Concernant le groupe témoin, nous obtenons des valeursconformes à celles retrouvées dans la littérature. Nous

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obtenons une moyenne de flexion de 84,768 à gauche et90,178 à droite. Lastayo et Wheeler en 1994 obtiennent unemoyenne de 928 [12].Concernant le groupe des musiciens, à notre connaissance iln'existe pas d'étude goniométrique effectuée sur des sujetsviolonistes et altistes similaire à celle que nous avons propo-sée. Nous ne pouvons donc pas comparer nos résultats à ceuxde la littérature actuelle.Les résultats de notre étude montrent que chez le musicien, laflexion droite est supérieure à la flexion gauche (93,678 contre89,418), cette différence étant statistiquement significative(p = 0,03). Pour le groupe témoin, il nous est difficile deconclure sur l'existence ou non d'une différence physiologiqueentre l'amplitude droite et gauche chez les non-musiciens car pest de 0,06 et la puissance est de 0,74. De plus, nous avonsconstaté la présence de sujets « extrêmes » dans nos gra-phiques qui peuvent orienter et « fausser » les résultats. Ilsemblerait donc que la pratique intensive de violon et d'alto aitun impact sur la mobilité articulaire des poignets mais nous nepouvons pas conclure à une différence entre musiciens et nonmusiciens tant que des études complémentaires et de plusgrande envergure n'auront été faites.On note également que les musiciens ont une amplitude deflexion du poignet droit supérieure de 98 à celle du groupetémoin mais cette différence n'est pas statistiquement signifi-cative. Nous rappelons que dans son étude, Brondfonbrenerjuge un musicien hypermobile s'il présente une valeur supé-rieure de 108 à celle d'un groupe témoin [13]. Or nous pouvonsremarquer d'après nos mesures que 7 musiciens ont uneflexion droite supérieure de 108 à la valeur moyenne des sujetstémoins. Cela devrait inciter à renouveler l'expérience avec uneffectif plus important afin de mettre en évidence une diffé-rence comprise entre 5 et 108 avec une puissance de 80 %minimum.Concernant la flexion du poignet gauche, il apparaît quel'amplitude est presque équivalente dans les deux échantillons(90,178 pour le groupe témoin et 89,418 pour les musiciens) etcela n'est pas non plus significatif (p = 0,67). Nous pouvonsnoter que la puissance est plutôt bonne car elle est de 0,96.Une future étude serait intéressante à faire afin de conforter ounon nos résultats.

Intérêt clinique

On sait depuis déjà plusieurs années que chez les instrumen-tistes à cordes présentant une hyperflexion du poignet, on peutretrouver des syndromes de compression du canal carpien[14].

Le masso-kinésithérapeute a toute sa place dans larééducation du musicien qui consiste, si le problème

est détecté suffisamment tôt, à modifier laposture du sujet.

Nous pouvons citer le travail d'une kinésithérapeute Marie-Christine Mathieu et son ouvrage « Violon : jouez versl'avant », qui s'occupe de corriger les postures des violonistessymptomatiques [15]. Si la compression nerveuse devientchronique, un geste chirurgical de décompression peut deve-nir nécessaire [14]. Il y a donc un réel intérêt à développer unedémarche préventive, notamment auprès des professeurs quiont une influence primordiale dans l'évolution de leur élève[16].

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On retrouve également que l'over-use syndrome est la causeprincipale des problèmes médicaux rencontrés par les musi-ciens au niveau des extrémités de leurs membres supérieurs,donc du poignet entre autre [14]. Un programme de rééduca-tion a été élaboré par un kinésithérapeute, Philippe Chama-gne, dont le but est de retrouver une ergonomie du gesteinstrumental, basé sur la physiologie fonctionnelle [17].Nous ne pouvons donc qu'être en accord avec les recomman-dations de nombreux auteurs s'intéressant aux pathologiesdes musiciens [7,18,19]. Il nous semble nécessaire d'apporternos connaissances à tous les violonistes et altistes, quel quesoit leur niveau instrumental pour qu'ils prennent consciencede l'intérêt de faire des pauses régulières lors de leur pratiqueet de toujours veiller à leur schéma corporel durant leur jeuinstrumental.

CONCLUSION

Notre étude cherchait à évaluer l'impact de la pratique inten-sive de violon et d'alto sur la mobilité articulaire du poignet.Nous nous sommes intéressés à ces deux instruments car ilssont les plus représentés au sein des conservatoires et desorchestres et car il apparaît dans de nombreuses études queces musiciens se plaignent de douleurs au niveau cette arti-culation. De plus, la posture exigée par le jeu de cet instrumententraîne des positions particulièrement contraignantes pour lepoignet. Nous avons choisi de concentrer notre étude sur unepopulation de professeurs pour tenter de faire un lien entrepratique intensive et mobilité articulaire.

Le lien de corrélation entre pratique intensive deviolon ou alto et la mobilité du poignet n'a pas pu être

mis en évidence dans notre étude.

Seule la différence intragroupe a permis de montrer demanière significative que l'amplitude du poignet droit est supé-rieure à celle du poignet gauche chez les musiciens.Il serait donc intéressant de continuer cette étude en compa-rant deux groupes plus importants en effectif afin d'obtenir desrésultats plus marqués et de préciser nos conclusions. Deplus, il pourrait être intéressant d'effectuer ces mesures surdes groupes plus restreints en âge et en ancienneté de pra-tique instrumentale. De futures études pourraient égalements'intéresser aux autres mouvements du poignet comme lasupination et l'inclinaison ulnaire dont les amplitudes gauchessont majorées durant le jeu instrumental.Cette étude nous ouvre donc de nouvelles perspectives derecherche concernant les musiciens et nous encourageà développer nos connaissances auprès de cette vastepopulation.

Déclaration d'intérêtsLes auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d'intérêts en relationavec cet article.

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