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1 UNIT 1 All the world’s a school THÉMATIQUE 1 : SAVOIRS, CRE� ATION, INNOVATION AXE D’ÉTUDE 1 : PRODUCTION ET CIRCULATION DES SAVOIRS India, a Knowledge Society? L’exacerbation des tensions sociales en Inde par le Covid-19 Dans une société indienne déjà très polarisée depuis la reconduction au pouvoir au printemps 2019 des nationalistes hindous du BJP conduits par le Premier ministre Narendra Modi, l’irruption de la crise sanitaire au printemps 2020 a profondément rebattu les cartes tant sur le plan social que sur le plan politique. La crise sanitaire : le modèle médical indien soumis à rude épreuve L’Inde a la réputation justifiée d’avoir une médecine de pointe qui lui attire un tourisme médical significatif et rémunérateur, mais à l’échelle nationale, le système de santé est marqué par des disparités considérables, notamment sur le plan régional (le Kerala étant de loin l’État le mieux doté) et par un sous- financement chronique et une insuffisance de lits d’hôpitaux (cinq pour 10 000 habitants). Insuffisant avant la pandémie, le système a été rapidement saturé dès que les cas de Covid-19 ont commencé à exploser. De janvier à mars, le gouvernement jouait la sérénité en louant la sagesse de Narendra Modi qui a fermé les frontières aériennes à la mi- mars avant d’annoncer, avec quatre heures de préavis seulement, un confinement généralisé le 24 mars à minuit pour trois semaines. La crise a montré les limites du pouvoir de l’homme fort de l’Inde, au charisme certain, mais dont le goût prononcé pour les slogans et le contrôle de la narration n’a pas suffi à endiguer la vague qui a propulsé en quelques mois l’Inde au deuxième rang des contaminations, après les États-Unis (8,2 millions de cas au début novembre). Alors même que l’épidémie progressait de façon foudroyante dans les grands centres urbains, notamment à Bombay et Delhi, les autorités ont continué de parler de « cas importés » comme au début de la crise et de nier jusqu’à aujourd’hui toute contagion communautaire, au motif que l’OMS ne définit pas ce qu’est une « contagion communautaire ». Attendu pour le début, puis le milieu de l’été, le pic des contaminations a finalement été atteint à la mi-septembre, mais les nombreuses fêtes religieuses de fin d’année, qui voient habituellement des rassemblements importants, font redouter une seconde vague. En dépit de sa médecine de pointe, l’Inde est moins bien placée que l’ensemble de ses voisins immédiats en ce qui concerne les statistiques épidémiques. Elle enregistre cependant un point de satisfaction : une mortalité sensiblement plus basse qu’en Europe ou en Amérique, probablement due à la jeunesse de sa population (l’âge médian est

India, a Knowledge Society?

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UNIT 1 “All the world’s a school

”THÉMATIQUE 1 : SAVOIRS, CRE�ATION, INNOVATION AXE D’ÉTUDE 1 : PRODUCTION ET CIRCULATION DES SAVOIRS

India, a Knowledge Society?

L’exacerbation des tensions sociales en Inde par le Covid-19Dans une société indienne déjà très polarisée depuis la reconduction au pouvoir au printemps 2019 des nationalistes hindous du BJP conduits par le Premier ministre Narendra Modi, l’irruption de la crise sanitaire au printemps 2020 a profondément rebattu les cartes tant sur le plan social que sur le plan politique.

La crise sanitaire : le modèle médical indien soumis à rude épreuve

L’Inde a la réputation justifiée d’avoir une médecine de pointe qui lui attire un tourisme médical significatif et rémunérateur, mais à l’échelle nationale, le système de santé est marqué par des disparités considérables, notamment sur le plan régional (le Kerala étant de loin l’État le mieux doté) et par un sous-financement chronique et une insuffisance de lits d’hôpitaux (cinq pour 10 000 habitants). Insuffisant avant la pandémie, le système a été rapidement saturé dès que les cas de Covid-19 ont commencé à exploser.

De janvier à mars, le gouvernement jouait la sérénité en louant la sagesse de Narendra Modi qui a fermé les frontières aériennes à la mi-mars avant d’annoncer, avec quatre heures de préavis seulement, un confinement généralisé le 24 mars à minuit pour trois semaines. La crise a montré les limites du pouvoir de l’homme fort de l’Inde, au charisme certain, mais dont le goût prononcé pour les slogans et le contrôle de la narration n’a pas suffi à endiguer la vague qui a propulsé en quelques mois l’Inde au deuxième rang des

contaminations, après les États-Unis (8,2 millions de cas au début novembre).

Alors même que l’épidémie progressait de façon foudroyante dans les grands centres urbains, notamment à Bombay et Delhi, les autorités ont continué de parler de « cas importés » comme au début de la crise et de nier jusqu’à aujourd’hui toute contagion communautaire, au motif que l’OMS ne définit pas ce qu’est une « contagion communautaire ».

Attendu pour le début, puis le milieu de l’été, le pic des contaminations a finalement été atteint à la mi-septembre, mais les nombreuses fêtes religieuses de fin d’année, qui voient habituellement des rassemblements importants, font redouter une seconde vague.

En dépit de sa médecine de pointe, l’Inde est moins bien placée que l’ensemble de ses voisins immédiats en ce qui concerne les statistiques épidémiques. Elle enregistre cependant un point de satisfaction : une mortalité sensiblement plus basse qu’en Europe ou en Amérique, probablement due à la jeunesse de sa population (l’âge médian est

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de 29 ans), mais aussi parce qu’un nombre important de décès dus au Covid-19 ne sont pas enregistrés en tant que tels. Économie : contraction de la production et tentation autarcique Avant même l’apparition de l’épidémie, la croissance indienne était en berne (4,6% en rythme annuel au début de l’année alors que 8 à 9% seraient nécessaires pour absorber les nouveaux arrivants sur le marché du travail). Le confinement brutalement imposé à partir du 25 mars a fait plonger la production de l’Inde qui devrait enregistrer une récession supérieure à -10% sur l’exercice 2020-2021. En octobre, l’Inde a eu la désagréable stupéfaction de voir le revenu par habitant du Bangladesh dépasser le sien, essentiellement en raison du recul de sa propre production. Le 12 mai, Narendra Modi a annoncé dans un discours l’injection de liquidités considérables, atteignant 232,5 milliards d’euros (ce qui fait un chiffre rond en roupies). Il s’agit pour partie de programmes nouveaux et pour partie de programmes déjà lancés. Mais ce plan s’accompagne d’un slogan : Atmanirbhar Bharat Abhyaan soit « campagne pour une Inde autosuffisante ». Au même moment était lancée une campagne de boycott – liée à l’affrontement ayant provoqué la mort de vingt soldats indiens à la frontière au Ladakh en juin – des produits chinois, très présents parmi les biens de consommation courante et l’annonce de l’arrêt de l’importation d’équipements militaires. Cette campagne donne le sentiment d’un repli autarcique et satisfait une partie du camp nationaliste hindou, très attaché à une approche swadeshi (production locale) qui s’était toujours montrée réticente vis-à-vis de la mondialisation, contrairement aux grands industriels soutenant Modi qui profitent de cette même mondialisation. En réalité, les investissements étrangers sont toujours encouragés et il y a davantage d’affichage que de réalité dans cette « autosuffisance ». Ce « en même temps » de Modi lui permet de rassurer les deux courants opposés qui forment sa base électorale, tout en habillant des réformes économiques prévues de longue de date. C’est ainsi qu’il faut aussi interpréter la

suspension en juin du Code du travail dans plusieurs États dirigés par le BJP (dont l’Uttar Pradesh, l’un des plus pauvres, et le plus peuplé) pour une durée de trois ans. Idéologie et opportunisme se conjuguent ici pour faire avancer le programme du BJP à la faveur de la crise. Société : ce qu’a révélé la crise La pandémie a brutalement frappé les travailleurs précaires, migrants de l’intérieur qui, aussitôt la nouvelle connue le 24 mars au soir, ont assailli les gares et les bus avant de se lancer par centaines de milliers sur les routes pour une longue marche, de centaines parfois de milliers de kilomètres, pour rejoindre leur village familial. Soudainement privés de revenus, en l’absence de toute sécurité sociale, c’était leur seul choix possible, au risque des brutalités policières et de disséminer le virus dans l’Inde rurale. La crise a mis en évidence ces travailleurs invisibles, piliers de l’économie mise en quelques jours à l’arrêt presque complet (le secteur informel représente au moins 80% de la population active). Parallèlement, l’Inde a rapatrié sur plusieurs mois plus d’un demi-million d’expatriés, soudainement privés d’emploi ou de visa, rentrant des États-Unis, d’Europe, mais surtout du Golfe. Leur retour prive le pays des devises qu’ils envoyaient à leur famille. Le basculement des précaires vers la pauvreté de masse fait rechuter l’Inde qui voit revenir le spectre des famines dont elle s’était en grande partie débarrassée. Écoliers et étudiants, privés d’enseignement et d’examens, sont invités à suivre les cours en ligne, mais comment faire lorsque le seul accès à l’internet est un téléphone 2G ou que l’internet est carrément coupé, comme il l’a été une grande partie de l’année au Cachemire pour des raisons politiques ? Par ailleurs, et comme cela arrive souvent en pareil cas, l’épidémie a été l’occasion de s’en prendre à des boucs émissaires, en l’occurrence, les musulmans, accusés d’avoir propagé le virus lors de rassemblements religieux. Le terme « coronajihad » a envahi les

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antennes. L’épidémie a permis, dès le confinement, de mettre fin au mouvement contre l’amendement à la loi sur la nationalité, visant les musulmans, qui s’était emparé d’une grande partie du pays depuis le mois de décembre. Sous couvert de lutte contre la pandémie, les autorités nationales et locales ont multiplié les poursuites et arrestations (sélectives) d’opposants et parfois de journalistes, en invoquant des dispositions remontant à la fin du XIXe siècle, lorsque l’Inde était sous le joug colonial britannique. Géopolitique : les institutions ébranlées et la tentation centrifuge des États Lorsqu’il est apparu que le contrôle de la pandémie lui échappait, Narendra Modi s’est placé en retrait, laissant l’initiative aux États fédérés. Ces derniers ont saisi l’occasion pour affirmer leur pouvoir face à l’État fédéral, mais, du fait des oppositions politiques et de cette lutte d’influence, la réponse à la pandémie a été confuse et cacophonique, les instructions contradictoires et changeantes, laissant la population incrédule et désarmée. En ce mois de novembre, plus de huit mois après l’imposition du confinement qui, sans

jamais avoir été levé, a été allégé par touches successives, ce même sentiment d’impuissance et de confusion – que l’Inde n’est d’ailleurs pas la seule à éprouver – subsiste encore, l’espoir reposant sur un vaccin que, grâce à son savoir-faire pharmaceutique et les liens noués avec différents partenaires à l’étranger, le gouvernement estime être en mesure de produire et distribuer massivement à sa population dès qu’il sera disponible. Sur cette question, l’Inde coopère avec cinq grands laboratoires mondiaux notamment AstraZeneca et Novavax. Le Serum Institute of India, basé à Pune (Maharashtra) qui est le plus grand fabricant de vaccins du monde a déjà produit quarante millions de doses (AstraZeneca) et le gouvernement s’en est récemment servi comme argument électoral au Bihar en promettant une vaccination gratuite de la population. Les essais sont aussi sur le point de commencer avec Sputnik V (Russie). L’Inde s’inscrit donc entièrement dans la stratégique course au vaccin, la campagne de vaccination ayant été annoncée pour le début 2021. Olivier DA LAGE, IRIS, 23 novembre, 2020

https://www.iris-france.org/151964-lexacerbation-des-tensions-sociales-en-inde-par-le-covid-19/

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UNIT 2 “Medicine or Business?

THÉMATIQUE 1 : SAVOIRS, CRE�ATION, INNOVATION AXE D’ÉTUDE 2 : SCIENCES ET TECHNIQUES, PROMESSES ET DE�FIS

The Underside of American Research

De Donald Trump à Joe Biden, une approche différenciée de la pandémie de Covid-19 aux États-Unis Telle une ombre sur les élections, le Covid-19 a été à la fois un sujet et un ressort de la guerre culturelle aux États-Unis. Le président sortant a été très critiqué sur sa gestion de la pandémie, qui devrait être abordée de toute autre manière par Joe Biden qui vient d’être élu à la tête du pays. L’analyse Marie-Cécile Naves, directrice de recherche à l’IRIS spécialiste des États-Unis.

Quel a été l’impact du Covid-19 sur les élections américaines ? Le Covid-19 est à la fois un sujet et un ressort de la guerre culturelle aux États-Unis, le pays étant très polarisé politiquement dans la population comme au sein du champ politique. La pandémie est devenue peu à peu un sujet majeur de la campagne. Néanmoins, elle l’a beaucoup plus été pour les électeurs et électrices démocrates que pour les républicains qui, de leur côté, ont placé l’économie en tête de leurs préoccupations – mais la crise économique actuelle découle de la crise sanitaire. En outre, les résultats de l’élection ont montré que, comme prévu, le vote par correspondance a été massivement utilisé par les démocrates. Dans des États fédérés décisifs comme le Michigan, le Wisconsin, la Pennsylvanie ou le Nevada, et tout particulièrement dans les grandes villes et leurs banlieues résidentielles, l’avantage donné à Joe Biden par les bulletins arrivés par la US Postal a été déterminant pour

remporter le collège de grands électeurs. A contrario, celles et ceux qui se sont déplacés dans les bureaux de vote le 3 novembre sont majoritairement des partisanes et partisans de Donald Trump. Pendant la campagne (et même depuis le 3 novembre), ce dernier a, de manière continue, minimisé la pandémie, d’une part, et critiqué le vote par correspondance, d’autre part, accusant les démocrates de fraude massive via ce mode de scrutin. Ce message semble avoir pris chez les électrices et électeurs républicains, mais pas chez les démocrates qui, inquiets des conditions sanitaires dans les bureaux de vote, se sont largement tournés vers le vote à distance. En termes de stratégie de communication, Trump a privilégié le déni de la gravité de la pandémie et rejeté le prisme de la vulnérabilité individuelle et collective, alors que Joe Biden a choisi une rhétorique de l’empathie, du souci de l’autre, de la protection sanitaire. Les campagnes des deux candidats étaient, du reste, radicalement différentes : grands

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meetings et faibles précautions d’un côté, prise de risque minimum et choix de la distanciation physique et port du masque de l’autre. Que compte faire le nouveau président élu pour combattre la pandémie ? L’un des premiers messages de Joe Biden après son élection a été de vouloir « guérir le pays » (« heal the country »). Cette formule est polysémique : elle renvoie évidemment au Covid-19, mais aussi à une volonté de permettre au pays de retrouver une unité, de se réconcilier alors qu’il est en proie à de profonds clivages sociaux, raciaux, genrés et territoriaux. Il a aussi annoncé vouloir s’appuyer massivement sur la science et les scientifiques et à s’engager à dépolitiser le débat. Au-delà du message, les premières propositions d’action ont été dévoilées. Elles se déclinent aux niveaux national et local. Biden a mis sur pied un conseil d’experts sur le Covid-19 : treize spécialistes, dont certains sont des anciens responsables administratifs des présidences Obama ou Clinton, sont mobilisés pour que le plan de Biden soit opérationnel dès le 20 janvier, date d’entrée en fonction du nouvel exécutif. Sur le site « Build Back Better » (« reconstruire en mieux »), Biden annonce d’ores et déjà une longue liste de mesures pour lutter contre le Covid-19. Au niveau fédéral, il s’agirait notamment de garantir à tous les Américains un accès gratuit aux tests, d’investir dans des tests de dernière génération, de demander au Congrès de voter un budget d’urgence pour les écoles, de s’appuyer sur la loi Defense Production Act afin de produire en masse des masques, de fournir informations et ressources pour les écoles, les PME, les familles, de s’appuyer sur les agences de santé pour déterminer les risques dans les restaurants, les entreprises et les écoles, de créer un groupe de travail pour cibler les populations les plus vulnérables, de remettre sur pied le Conseil de sécurité nationale sur la santé et les maladies infectieuses créé par Obama pour Ebola et supprimé par Trump, ou encore de renforcer

Medicare (l’assurance-santé des plus de 65 ans). Est également envisagée la création d’un corps de volontaires et de bénévoles de 100 000 personnes pour cibler les populations les plus vulnérables dans les communautés locales. Et, parce que beaucoup de mesures et de décisions incombent aux États fédérés et aux municipalités, Joe Biden envisage de demander aux gouverneurs de rendre le masque obligatoire et, en contrepartie, de créer un fonds national pour les États fédérés, notamment pour les PME afin qu’elles puissent acheter des équipements de protection pour leurs salariés. De nombreux Américains s’inquiètent par ailleurs – et ce, d’autant plus que le taux de chômage est élevé –, du maintien de leur protection sociale et de l’avenir de l’assurance-santé, l’Obamacare, conditionnée au fait d’avoir ou non un emploi. Or, l’Obamacare, déjà très affaiblie par Trump, revient actuellement devant la Cour suprême, les républicains souhaitant son abrogation. Si celle-ci advenait, ce sont plus de vingt millions d’Américains qui ne seraient plus assurés. Or les inégalités sociales et raciales dans ce domaine sont immenses. Biden souhaite maintenir et renforcer l’Obamacare, voire faire voter une nouvelle grande loi si la Cour suprême l’abrogeait. Mais, sans majorité au Sénat – deux sièges sont encore à pourvoir en janvier -, sa marge de manœuvre législative sera cependant étroite et il devra négocier avec les Républicains, mais aussi de l’autre côté avec son aile progressiste à la Chambre des représentants qui exige une extension des dispositions publiques de l’assurance santé – « Medicare for all ». Quels enjeux géopolitiques la pandémie de Covid-19 pose-t-elle à Joe Biden ? Au niveau international, Biden souhaite renouer avec le multilatéralisme, autrement dit la coopération interétatique. Il a ainsi annoncé le retour rapide des États-Unis dans l’Organisation mondiale de la santé (OMS) que Trump, qui accusait la Chine d’y exercer une trop forte influence, avait décidé de quitter au

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début de l’année 2020. De fait, ce choix de Trump a non seulement isolé les États-Unis sur la scène internationale à l’heure de la pandémie, mais a, de manière contreproductive, renforcé le soft power de la Chine (« diplomatie du masque », par exemple). La course aux vaccins est également majeure, le laboratoire américain Pfizer ayant pris un temps d’avance sur ses concurrents mondiaux, russe, chinois et européen. Le Covid-19 est donc une question tout autant locale que nationale et internationale.

Alors que fait rage une comparaison entre les « bons » (Nouvelle-Zélande, pays d’Europe du Nord, Allemagne) et les « mauvais » élèves (États-Unis, Brésil) à l’échelle planétaire, l’enjeu géopolitique est d’autant plus crucial pour la future administration Biden. Il demeure donc très politique. Interview de Marie-Cécile NAVES, IRIS, 16 novembre 2020

https://www.iris-france.org/151755-de-donald-trump-a-joe-biden-une-approche-differenciee-de-la-pandemie-de-covid-19-aux-etats-unis/

UNIT 2 “Medicine or Business?

THÉMATIQUE 1 : SAVOIRS, CRE�ATION, INNOVATION AXE D’ÉTUDE 2 : SCIENCES ET TECHNIQUES, PROMESSES ET DE�FIS

The Underside of American Research

Spoutnik V, un vaccin diplomatique https://www.youtube-nocookie.com/embed/OsVGMs7n22g Minutage : 00:00-4:41

SOURCE : Pascal BONIFACE, IRIS, 12 avril 2021

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UNIT 3 “Making your voice heard with or without a #?

THÉMATIQUE 2 : REPRE�SENTATIONS AXE D’ÉTUDE 1 : FAIRE ENTENDRE SA VOIX : REPRE�SENTATION ET PARTICIPATION

Cuban American Vote

Joe Biden et l’Amérique latine : changement dans la continuité ? La victoire du candidat démocrate, Joe Biden, aux dernières présidentielles états-uniennes, le 3 novembre 2020, a suscité beaucoup d’attentes, au sud du Rio Grande. Plus de deux mois après son entrée en fonction, le 20 janvier 2021, qu’en est-il exactement ? La page Trump, vierge de tout projet et souvent très rude, a-t-elle été tournée comme on l’espérait à Caracas, La Havane ou Mexico ? Le nouveau président de la Maison-Blanche est-il plus attentif et positif à l’égard de ses voisins du Sud ? Le passé plaide pour une approche rompant avec les années Trump. Joe Biden n’a-t-il pas été vice-président de Barack Obama, président ayant ouvert un dialogue positif avec ses voisins du Sud et en particulier avec Cuba ? De 2009 à 2017, Joe Biden n’a-t-il pas effectué 16 visites officielles et de travail en Amérique latine ? Le legs trumpien a effectivement multiplié malentendus et humiliations entre nord et sud du continent américain. Donald Trump a remis systématiquement en question les acquis de la mandature Obama-Biden : renforcement de l’embargo cubain, menaces à l’égard d’un Mexique soupçonné de laisser-aller migratoire et de concurrence commerciale inamicale, violences verbales assorties de sanctions pour le Venezuela, pressions répétées sur la Colombie soupçonnée de complicité avec le trafic de stupéfiants, coups de menton tarifaires tous azimuts, de l’Argentine au Brésil, absence de visite officielle ou de travail dans l’un quelconque des pays d’Amérique latine.

Son départ et la victoire du candidat démocrate ont provoqué le soulagement quasi général des dirigeants latino-américains. Et l’espoir souvent exprimé d’une relation différente, apaisée au minimum. La plupart des gouvernements avaient, tout au long du mandat du milliardaire nord-américain, développé une triple stratégie, en vue de préserver leur tranquillité souveraine. Celle du soutien diplomatique à la diplomatie agressivement anti-vénézuélienne de la Maison-Blanche, pour certains. Ce choix a été celui des responsables les plus conservateurs. Ils ont accepté de fabriquer une sorte de « Sainte-Alliance » anti-Caracas, le Groupe de Lima, qui ne leur a apporté aucun retour sur investissement, qu’il s’agisse du commerce bilatéral, de la gestion du dossier migratoire ou de celui des questions liées aux stupéfiants. Celle du dos rond a été pratiquée en 2019 par le nouveau chef d’État mexicain, Andrés Manuel López Obrador (AMLO), échaudé par les humiliations répétées subies par son prédécesseur Enrique Peña Nieto.

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AMLO a effectivement réussi à détendre l’atmosphère, mais au prix de concessions ayant permis de préserver l’accord tripartite Canada-États-Unis-Mexique. Et au risque d’une brouille future avec Joe Biden, AMLO ayant accepté en échange d’un entretien bilatéral à Washington, le 8 juillet 2020, en pleine campagne électorale états-unienne, d’ignorer le candidat démocrate. Ultime stratégie, enfin, celle de faire avec, en cherchant des partenaires d’équilibre. La Chine, la Russie, saisissant les inconséquences diplomatiques de Donald Trump comme une aubaine ont pris une place de plus en plus importante en Amérique latine. Les mises en garde, sans contreparties, de l’équipe Trump, n’y ont rien fait. La Chine et la Russie assortissaient leurs bonnes paroles d’offres sonnantes, trébuchantes et alléchantes. Le ministre des Affaires étrangères uruguayen, un homme de droite, a résumé la situation en ces termes : « Quand on nous demande que peuvent faire les États-Unis pour le Mercosur, bon, la première des choses serait de nous écouter, parce que pour l’instant, on dirait que le seul qui nous écoute, c’est la Chine ». Joe Biden a donc pris les rênes du pouvoir le 20 janvier 2021. Les grands discours prononcés ont ciblé une diplomatie de valeurs, de coopération, dans un cadre multilatéral. Ils ont été bien reçus en Amérique latine. À l’exception du Brésil dont le président, Jair Bolsonaro, a gardé de bout en bout un préjugé idéologique « trumpien ». Un bref échange de lettres courtois a toutefois rappelé l’importance attachée par Joe Biden à une coopération active pour lutter contre la Covid-19 et le réchauffement climatique. Faute d’annonces concernant le sud de « l’hémisphère occidental », chacun a interprété les propos du président nord-américain comme l’annonce d’une nouvelle ère de « bon voisinage », qui pourrait se décliner en reprise d’un dialogue positif avec Cuba, l’ouverture d’un espace de négociation avec le Venezuela, un compromis apaisé sur l’immigration mexicaine et centraméricaine, ainsi que sur les questions de lutte contre le narcotrafic, avec la Colombie.

Un dossier a effectivement bougé, celui des migrations. Au nom des valeurs éthiques revendiquées par Joe Biden, une ouverture a été décrétée sur plusieurs fronts. Celui des mineurs séparés de leurs parents ; il a été mis un terme à cette « politique ». Celui des « anciens jeunes » jamais régularisés, connus sous le nom de dreamers ; ils pourraient l’être après le vote d’un projet de loi actuellement en cours d’examen devant le Congrès. Celui aussi des demandeurs d’asile qui pourront désormais présenter leur requête sur le territoire des États-Unis ; ce qui n’était pas le cas, sur décision ici encore de Donald Trump. Celui enfin d’accorder une aide financière aux États d’Amérique centrale afin de fixer les candidats à l’exil économique. Le candidat Biden avait évoqué pendant sa campagne une enveloppe de 4 milliards de dollars. Une fois élu, il a nommé le 2 mars 2021 un responsable en charge des pays émetteurs de migrants, pays dits du Triangle du nord (Guatemala-Honduras-Salvador), Ricardo Zuñiga. Ces décisions ne concernent toutefois qu’une petite partie des flux. Le gros des migrants, ce sont les migrants économiques. Depuis février 2021, les adultes et les familles sont refoulés comme ils l’étaient en décembre 2020. 100 441 migrants ont été détenus pour le seul mois de février. Le Département d’État (équivalent au ministère des Affaires étrangères) a diffusé dans la presse centraméricaine, 33 canaux radiophoniques, Facebook et Instagram, des messages en espagnol, portugais et six langues amérindiennes, destinés à dissuader les migrants potentiels. À supposer que les aides annoncées soient très rapidement concrétisées, leur impact sera au mieux de moyen terme. La Garde nationale états-unienne a donc été déployée sur la frontière mexicaine pour gérer le court terme. Le Mexique, en première ligne, a salué l’annonce par Joe Biden de la suspension des travaux du mur frontalier. Mais la conjoncture migratoire a imposé la prise rapide de décisions. Il est vrai qu’AMLO, dans l’une de ses mañaneras (conférences de presse quotidiennes du matin), le 2 mars, a critiqué Joe Biden, qui aurait pris de façon inconsidérée

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des décisions encourageant les candidats à l’émigration. Point de vue rejoignant ceux émis aux États-Unis par le camp républicain. La garde nationale mexicaine a été déployée sur la frontière avec le Guatemala. Antony Blinken, secrétaire d’État de Joe Biden, s’est aussitôt déplacé à Mexico pour rappeler que « la frontière était fermée à l’immigration irrégulière ». Une seconde mission dirigée par l’ex-ambassadrice de Barack Obama au Mexique, Roberta Jacobson, s’est également rendue à Mexico avant de poursuivre son travail à Guatemala, le 23 mars 20212. Ces visites ont été accompagnées d’une annonce ayant « huilé » la relation bilatérale. Tout en permettant de remettre les États-Unis dans le jeu sanitaire latino-américain, abandonné à la Chine et à la Russie. Les États-Unis, détenteurs de millions de doses du vaccin Astra-Zeneca, vaccin non homologué, ont négocié leur envoi au Mexique. La décision a été publiquement officialisée le 19 mars 2021. Concernant Cuba, « rien ne presse » a déclaré Ned Price, porte-parole de la Maison-Blanche. « Le secrétaire d’État, Antony Blinken, a appelé les ministres des Affaires étrangères de la région » a-t-il dit, « à une exception, celle de Cuba. Le signal est clair ». Message renouvelé le 9 mars 2021 en termes identiques par la secrétaire de presse de la présidence, Jen Psaki. Ce report de décision a pour conséquence immédiate la perpétuation des sanctions ayant remis en cause une part importante de la politique d’Obama. Seul l’exposé des motifs justifiant leur permanence a changé. Une lettre adressée au Congrès par Joe Biden, le 24 février 2021, a confirmé le statu quo. Non pas pour punir un régime « communiste », mais pour protéger les États-Unis d’une vague de migrants potentiels.

Le sort réservé au Venezuela repose sur la même approche. Une évolution est possible. Un petit geste a été fait le 2 février 2021, avec la levée par le Secrétariat au Trésor d’entraves aux transactions portant sur certaines opérations portuaires et aéroportuaires. Mais c’est Carlos Vecchio, « ambassadeur » de Juan Guaido à Washington qui a représenté le Venezuela, le 20 janvier 2021, pour l’entrée en fonction de Joe Biden qui, comme Donald Trump avant lui, reconnaît Juan Guaido comme président du Venezuela. Antony Blinken a mis les points sur les « i » devant la commission des Affaires étrangères du Sénat : « Maduro est un dictateur brutal (…). Nous avons besoin d’une politique efficiente permettant de restaurer la démocratie au Venezuela ». Au final, le changement principal est d’ordre local, électoral et même électoraliste. Les votants d’origines latino-américaines ont été très sollicités par le camp démocrate, pendant la campagne. Beaucoup, à l’exception d’une partie notable des Cubano-Américains, souhaitaient manifester leur hostilité vis-à-vis de Donald Trump. Les messages signalés supra, depuis la Maison-Blanche, ont cela dit ménagé les Cubano-Américains, présentés comme « les meilleurs ambassadeurs des libertés ». Donald Trump avait fait de la chasse aux sans-papiers « latins », assortie de commentaires agressifs envers cette communauté, l’un de ses chevaux de bataille. Joe Biden a bien reçu le message. Il a intégré dans son équipe gouvernementale des « Hispaniques ». Il a libéralisé le droit d’asile et annoncé la régularisation de sans-papiers. Au risque de provoquer un appel d’air en Amérique centrale, Haïti et même au-delà, générateur de difficultés avec son voisin mexicain et son opposition républicaine.

Jean-Jacques KOURLIANDSKY, Nouveaux espaces latinos, mars 2021

https://www.iris-france.org/155680-joe-biden-et-lamerique-latine%E2%80%AF-changement-dans-la-continuite%E2%80%AF

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UNIT 4 “What’s in the News?

THÉMATIQUE 2 : REPRE�SENTATIONS AXE D’ÉTUDE 1 : INFORMER ET S’INFORMER

There are Many Sides to a Story

Les médias américains sont-ils trop enclins à excuser les erreurs de Biden ? Tous les candidats font des erreurs durant leur campagne présidentielle. Comparativement à celles de Trump, les erreurs Joe Biden sont-elles épargnées par les médias internationaux lorsqu’il fait une erreur ? Est-ce le cas aux E-U ?

Joe Biden est un peu le Némésis de Donald Trump. Le candidat démocrate est non seulement l’ancien vice-président de Barack Obama, dont l’actuel locataire de la Maison-Blanche s’est évertué à démanteler le bilan, mais il est aussi un des responsables politiques américains les plus expérimentés, tandis que Trump n’avait jamais été confronté à une élection avant d’accéder à la fonction suprême. Surtout, là où Donald Trump a fait ses preuves il y a quatre ans en campagne électorale, en sachant convaincre les électeurs, Joe Biden est moins à l’aise avec cet exercice, ce qui faisait d’ailleurs craindre au camp démocrate au début des primaires qu’il ne « ferait pas le poids », ce qui reste cependant discutable. Le contexte sanitaire qui impose une campagne virtuelle est favorable au candidat démocrate, et Trump s’en agace d’ailleurs. Ce qui le pousse à surjouer une campagne qui n’est pas à son avantage, tandis que son adversaire se contente de prestations plus rares et mieux préparées, distillant critiques et appels au rassemblement. Cette campagne est inédite en ce qu’elle oppose deux candidats qui n’utilisent pas du tout les mêmes outils : l’un multiplie les prestations pour reprendre la main, tandis que l’autre se montre très discret, presque trop. C’est ce qui explique que les erreurs de Trump, qui est par ailleurs encore aux commandes

jusqu’en janvier 2021 – ou plus – sont plus nombreuses que celles de Biden, qui est très habile (contrairement aux idées reçues) et sait que les sondages lui sont favorables. Il est cependant tout à fait juste que les médias se montrent plus magnanimes à l’égard de Biden, tandis que les écarts de langage de Trump, nombreux il est vrai, sont systématiquement repris et sujet à de multiples interprétations. C’est d’ailleurs ce qui a réussi au candidat républicain il y a quatre ans, en occupant le terrain avec ses messages outranciers face auxquels Hillary Clinton n’est pas parvenue à exister. Mais la donne est différente cette fois, et les écarts de langage de Trump autant que ses jugements erronés sont montrés du doigt. On ne pardonne pas à un président sortant ce qu’on tolère d’un candidat inexpérimenté. À l’étranger, l’extrême impopularité de Donald Trump, qui est même inédite pour un président américain, se traduit par une couverture de la campagne très orientée, comme si tout ce que proposerait le président sortant est absurde et le programme de son adversaire positif en tous points. Cela est évidemment, dans les faits, plus complexe, et on pourrait s’étonner de ne pas voir

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une couverture plus positive d’actions de l’administration Trump porteuses de progrès, comme la normalisation de la relation entre Israël et plusieurs pays arabes. Certes le bilan à l’international de l’administration Trump est maigre et certes l’image des Etats-Unis s’est fortement désagrégée. Mais il serait excessif de ne trouver que des défauts à ce bilan, et après tout Donald Trump est l’un des rarissimes présidents américains qu’on ne saurait qualifier de va-t-en guerre. Beaucoup d’erreurs et un haut degré d’incompétence, mais pas que des jugements erronés, et le regard porté sur le bilan de Trump sera affiné une fois qu’il ne sera plus au pouvoir et que les passions seront retombées. Cet « acharnement » contre Trump est également visible aux Etats-Unis, même si le président sortant bénéficie d’une couverture médiatique plus à son avantage dans les médias conservateurs. L’équilibre est plus net, mais le problème vient de la crédibilité de ces médias conservateurs, ce qui est un autre problème. Est-ce le symptôme d’un tout sauf Trump ? Comment l’expliquer ? Nous assistons en effet à un effet tout sauf Trump, qui rappelle, dans un sens comme en France, le tout sauf Bush de l’élection de 2004. Avec un effet renforcé par le profil de Donald Trump, déjà mal aimé avant son élection en Europe. Aux Etats-Unis, le traitement implacable dont le président sortant fait l’objet dans des grands médias nationaux comme le New York Times, le Washington Post et CNN, pour ne mentionner que les plus influents, est surtout le résultat du bras de fer qu’il a engagé avec les journalistes. La manière avec laquelle il a humilié publiquement ces grands médias ne pouvait que se retourner contre lui, et on peut dire que jamais dans l’histoire récente des Etats-Unis nous n’avons observé une telle défiance des grands médias à l’égard de la Maison-Blanche. Trump paye ses erreurs, et ce qui lui permit de se distinguer des autres candidats en 2016 et de le rendre plus sympathique aux yeux de nombreux électeurs le place désormais dans la ligne de mire des grands médias. Il y a donc une différence avec 2004, quand le tout sauf Bush des médias étrangers contrastait avec

une couverture moins catégorique de l’élection aux Etats-Unis, et avec le résultat que l’on sait. Cette fois, ce mouvement est très perceptible aux Etats-Unis, et à l’exception de médias très engagés à droite, Trump est très très isolé, et ses moindres écarts de langage sont immédiatement relevés. Sa marge de manœuvre s’en retrouve très réduite. L’image que nous pouvons nous faire de cette campagne est-elle en accord avec la réalité ? Les médias internationaux sont-ils en train de reproduire la même erreur que la dernière fois ? En 2016, de nombreux médias étrangers ont développé une fascination, à mon sens exagérée et inappropriée, pour Hillary Clinton. Comme si elle pouvait par son nom ramener les Etats-Unis à son statut d’empire bienveillant autoproclamé des années 1990, et comme si le fait qu’elle serait devenue la première femme à occuper la fonction suprême devait en faire une dirigeante hors du commun. Les faits sont cependant là : Madame Clinton a fait une campagne catastrophique en 2016, comme lors des primaires perdues en 2008, et l’arrogance avec laquelle elle a abordé le scrutin lui fut fatale. À moins de prendre parti, il est impossible pour un observateur des élections américaines de considérer qu’elle était une bonne candidate. Cette élection est très différente. D’abord parce que Trump a un bilan à défendre, et qu’il n’est pas très bon – même si les médias amplifient le négatif et laissent de côté le positif. Ensuite parce que Joe Biden n’est pas Hillary Clinton, et que sa popularité est beaucoup plus grande. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le commenter sur ce site, sa victoire est hautement probable, et elle l’était avant la crise du Covid-19, cette dernière ayant modifié les contours et la donne, mais pas le rapport de force. Si le destin lui avait permis de se présenter en 2016, sans doute aurait-il mieux brillé qu’Hillary Clinton, avec le soutien de Barack Obama et fort d’un capital sympathie que l’ancienne sénatrice de New York n’a jamais eu au-delà de certains cercles. Dès lors, difficile de considérer que la même erreur serait reproduite, puisque les conditions sont très différentes. Gare cependant à ne pas confondre couverture médiatique et militantisme, ce qui a fait défaut en

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2004 et en 2016, avec les résultats que l’on connaît. L’opinion publique internationale – s’il nous est permis de la désigner ainsi – vote démocrate, dans les pays occidentaux en particulier. Mais c’est vite oublier que cette opinion ne vote pas, et que les électeurs américains ont leurs propres intérêts. N’oublions pas que la victoire de Trump en 2016 fut surtout la défaite d’Hillary Clinton et de son incapacité à

rassembler son propre camp. Biden semble préparé à ne pas reproduire la même erreur funeste, mais les erreurs restent possibles. Interview Barthélémy COURMONT, pour Atlantico, IRIS, septembre 2020

https://www.iris-france.org/149849-les-medias-americains-sont-ils-trop-enclins-a-excuser-les-erreurs-de-biden/

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UNIT 4 “What’s in the News?

THÉMATIQUE 2 : REPRE�SENTATIONS AXE D’ÉTUDE 1 : INFORMER ET S’INFORMER

Media Literacy 4.0

Guerres d’influence : à qui servent les fake news ? « C’est une fake news ! », « Attention aux fake news », « Il faut lutter contre les fake news » … Cette expression évoque souvent le flot de désinformation qui pollue les réseaux sociaux et le débat public, tout en démontrant le désarroi et le manque de moyens de l’appareil étatique d’abord, des journalistes, des ONG et des citoyens ensuite, pour les contrer. À qui servent les fake news ? Les loi anti-fake news sont-elles efficaces ? Les fake news peuvent-elles être un outil au service de l’influence des États ? Le point de vue de François-Bernard Huyghe, directeur de recherche à l’IRIS.

Mouvement des gilets jaunes, attentat de Strasbourg, etc., nombreuses ont été les fake news autour de ces évènements. Comment l’expliquer ? Ce phénomène est-il en augmentation ? Dans l’affaire des gilets jaunes et dans l’attentat de Strasbourg (qui a eu lieu ce mardi 11 décembre), beaucoup de fausses informations dans le sens le plus strict ont circulé, c’est-à-dire qu’ont été reportés intentionnellement des événements qui ne se sont pas déroulés. Par exemple, on a parlé de gens défigurés à l’acide, de rassemblements qui n’existaient pas, de blessés et des morts qui ne l’étaient pas, etc. C’est un aspect habituel en ce sens où à chaque fois qu’il y a des événements dramatiques, on voit se répandre de fausses nouvelles sur des personnages mystérieux, des événements, actes et décisions qu’on nous cacherait. L’exemple le plus édifiant en termes de fake news est évidemment le 11 septembre 2001 (attentats du World Trade Center et du Pentagone) sur lequel maintes théories ont été émises, sur des gens qui n’étaient pas dans l’avion, sur plusieurs

avions qui ne se sont pas écrasés, sur l’organisation de ces attentats par les services de renseignement américains, etc. On a vu la même chose au moment des attentats du Bataclan, de l’Hyper-Cacher et de Charlie Hebdo, où tout et n’importe quoi ont alimenté les fake news. Donc, d’une certaine manière, il est normal, lors d’événements dramatiques qui touchent l’affectivité collective, que les imaginations délirent un peu, créant périls et crimes imaginaires. Ceci n’est pas nouveau et s’est également produit en 1789, voire même dans la Rome antique. En revanche, plusieurs éléments nouveaux sont à relever dans les affaires récentes. Premièrement, les gilets jaunes sont plus facilement victimes des fausses nouvelles, et ce pour plusieurs raisons. En effet, les personnes liées au mouvement des gilets jaunes échangent et discutent très majoritairement par le biais de Facebook. Or, sur Facebook, l’information dépend d’algorithmes d’une part et des personnes, groupes, pages et sites que vous « suivez » d’autre part. Ainsi, la véracité des informations transitant par Facebook n’est pas vérifiée par un ensemble de journalistes, ONG, institutions ayant autorité. Les réseaux

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sociaux sont par nature plus favorables aux rumeurs et aux fausses nouvelles, puisque chacun peut être émetteur au sein de ces écosystèmes. Deuxième élément, le mouvement insurrectionnel des gilets jaunes est parti d’en bas, et n’était structuré ni idéologiquement ni politiquement ou syndicalement. Donc plusieurs « vedettes » sont nées spontanément sur les réseaux sociaux et tout particulièrement sur Facebook. Et ce ne sont pas forcément les plus malins. Ils peuvent être les plus « grandes gueules », les plus volubiles, ceux qui racontent les histoires les plus invraisemblables, ou qui ont l’imagination la plus délirante… L’exemple bien connu est la personne qu’on ne voit jamais, mais que tout le monde connait, et qui proclame qu’il s’agit d’un complot organisé par le gouvernement. Le troisième élément important est que les fake news viennent aussi bien de la population, de la société civile, que du gouvernement. Du côté du gouvernement et des députés, on voit partir des fausses nouvelles comme celle de la personne effectuant un salut nazi sur les Champs-Élysées, démontrant ainsi par la preuve que le mouvement des gilets jaunes est synonyme de la peste brune…, ou des policiers défigurés à l’acide par les manifestants. Nouvelles qui sont parfaitement fausses et que certains députés et ministres devraient vérifier avant de les partager sur Internet et dans les médias traditionnels. Quel bilan tirez-vous de la loi anti-fake news française ? Pourquoi vise-t-elle tout particulièrement Internet et les médias étrangers ? Quelles sont les dérives possibles de cette loi ? Il est encore tôt pour parler bilan pour la loi anti-fake news française. C’est une loi à laquelle je me suis opposé pour deux raisons principales. La première est qu’elle ouvre la possibilité, en période électorale certes, de demander aux juges des référés obligeant les plateformes ou les réseaux sociaux à retirer des informations qui seraient douteuses ou supposément lancées avec une intention malicieuse. Or, d’une part, comment le juge des référés va-t-il établir ce qui est la vérité dans un délai très bref ? Il sera très probablement obligé de s’en tenir aux versions des sites de « fact-checking » ou des médias et ONG qui repèrent les

fausses nouvelles. Mais dans la réalité, il adressera une injonction à Facebook, Google, etc., qui ont déjà des algorithmes pour retirer les fausses informations, puisque c’est dans leur intérêt de ne pas paraître comme le « royaume du mensonge ». Il n’y aura donc pas a priori de pouvoir effectif du juge, rendant ses décisions par conséquent très contestables. Par ailleurs, cela va renforcer la mentalité des gens qui pensent que le « système » nous ment, nous interdit de dire la vérité, nous présente une version partielle et partiale des événements d’actualité, et donc la paranoïa. D’autre part, la loi anti-fake news donne, non pas aux juges des référés, mais au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), le droit de ne pas accorder de licence ou de retirer la licence aux médias étrangers qui feraient de la désinformation ou se livreraient à de la manipulation de l’information. Tout le monde l’a bien compris, cet aspect de la loi anti-fake news vise particulièrement Russia Today et Sputnik, et non Al-Jazeera, CNN ou Radio Vatican. Il s’agit donc d’un aspect extrêmement subjectif de la loi, car ceci permettrait d’ostraciser certains médias, certes payés par l’étranger, mais sur des critères qui pourraient être internes à l’appareil étatique français ou de politique intérieure, en renvoyant une fois de plus l’image d’un Big Brother où le gouvernement contrôle ce que nous pensons, voit ce que nous faisons, etc. Comment les fake news peuvent-elles être un outil au service de l’influence des États ? Est-ce un phénomène nouveau ? Pour servir quels desseins ? Ce phénomène n’est absolument pas nouveau. En effet, l’histoire proche et lointaine regorge de grands mensonges aussi spectaculaires que surprenants tels que la délation de Constantin qui a été l’un des fondements du pouvoir de l’Église, la fausse lettre du prêtre Jean, la dépêche d’Ems, etc. Il y a dans l’histoire des dizaines d’exemples de fausses accusations ou de faux documents qui ont servi à des fins politiciennes, et/ou liés aux intérêts de tels ou tels pays. Ce qui est toutefois nouveau, c’est que sur Internet, en créant de faux sites et comptes, en provoquant des mouvements de retweet, de groupes de diffusion, etc., il est relativement facile de donner énormément

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d’ampleur à des fausses nouvelles. Par ailleurs, avec des logiciels très grand public comme Photoshop, n’importe qui peut retoucher une photo. Mais il existe des techniques infiniment plus sophistiquées dites de « deep fakes » qui permettent de truquer des images animées et de faire prononcer à X, avec la bonne tonalité et le bon mouvement des lèvres, des phrases qu’il n’a jamais dites. Ainsi, la fabrique et la manipulation de l’information ne sont pas seulement dues aux hackers ou personnes étrangères mal intentionnées, mais également aux services d’États et autres officines. En conséquence, les fake news ont pris énormément d’ampleur notamment depuis l’avènement d’Internet, à tel point qu’elles sont devenues quelque peu incontrôlables. Pour autant une fausse nouvelle à un effet limité, car elle est très vite signalée, démentie et repérée par les médias et ONG. Des études d’universitaires américains montraient que beaucoup de fake news sont partagées par les milieux très orientés idéologiquement, mais que leur effet global n’est pas très important. Les fake news ne peuvent, par exemple, pas changer le cours d’une élection, car

les gens se renforcent dans leurs convictions. En revanche, le fait qu’il y ait beaucoup de fake news d’origines diverses et variées (qui partent de la base, d’autres des dirigeants et des « élites », de l’étranger, de médias satyriques, de sites commerciaux essayant d’attirer autant de personnes que possible dans ce qu’on appelle les « pièges à clic », etc.) est quelque chose de beaucoup plus important et qui crée un doute à l’égard de l’autorité, des procédures d’accréditation, soit du caractère officiel de l’information. Ce qui n’est pas une bonne chose dans une démocratie. C’est un peu la rançon à payer pour la facilité de l’accès à l’information et c’est un peu trop facile d’accuser un État étranger ou des sites complotistes pour perturber l’opinion. Enfin, les fake news naissent et se nourrissent également de la faction croissante de la population française en rupture avec les « élites », qui ne croit plus ce que leur raconte le JT du soir ou le journal du matin. François-Bernard HUYGH, IRIS, décembre 2018

https://www.iris-france.org/126459-guerres-dinfluence-a-qui-servent-les-fake-news/

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THÉMATIQUE 2 : REPRE�SENTATIONS AXE D’ÉTUDE 1 : INFORMER ET S’INFORMER

Media Literacy 4.0

Manip, Infox, Infodémie : quelles sont les fake news de 2021 ? François-Bernard Huyghe, directeur de recherche à l'IRIS, répond à nos questions à l'occasion de la parution de son nouvel ouvrage "Fake News : manip, infox, et infodémie en 2021" : - Dans votre ouvrage, vous mentionnez le phénomène d’infodémie. Que signifie ce terme ? À quel moment a-t-on basculé dans cette infodémie ? - Que révèlent les fake news sur l’état de la communication et de l’information en 2021 ? Comment peut-on expliquer une expansion aussi rapide ces dernières années ? - En 2020 et 2021, le monde a été rythmé par le Covid-19. En quoi l’infodémie de cette pandémie mondiale a-t-elle impacté les relations internationales ? https://www.iris-france.org/157660-manip-infox-infodemie-quelles-sont-les-fake-news-de-2021/ Minutage : 0:00-13:25

SOURCE : François-Bernard HUYGHE, IRIS, 2021

UNIT 5 “Identity is in the eye of the beholder. Or is it?

THÉMATIQUE 2 : REPRE�SENTATIONS AXE D’ÉTUDE 1 : REPRE�SENTER LE MONDE ET SE REPRE�SENTER

Playing with the Light

Le prince Harry et le Truman show

Pour un public américain fan des intrigues de palais décrites dans la série The Crown de Netflix, l’interview-événement de Meghan Markle et de son mari, le prince Harry, par Oprah Winfrey, la reine des talk-shows, dimanche 7 mars, sur la chaîne CBS, a été l’équivalent d’un épisode bonus explosif. Cela a été feu à volonté sur la famille royale britannique du début à la fin. Tout y est passé. Des accusations de racisme – la monarchie anglaise a été décrite comme une institution excessivement traditionaliste, voire institutionnellement raciste, incapable d’intégrer une jeune actrice américaine métisse et dont les membres se seraient inquiétés de la couleur de peau de son enfant à naître -, à celles d’harcèlement. Les yeux embués de larmes, chignon bas et longue robe noire, Meghan a dit s’être sentie si isolée et si peu soutenue par sa prestigieuse famille d’adoption qui aurait tout fait pour la réduire au silence, qu’elle en était arrivée à avoir des pensées suicidaires. « J’ai été naïve, j’aurais dû me renseigner avant d’entrer dans le giron de la famille Windsor », a ajouté la duchesse sans peur du ridicule. Harry, costume clair et air grave, comme s’il était en train de discuter d’une catastrophe globale, genre guerre atomique, a expliqué, quant à lui, à quel point il se trouvait pris au piège dans sa propre famille avant de rencontrer sa femme. S’il a fait le choix douloureux de s’exiler à Hollywood, loin de tout et de tous, c’est avant toute chose pour

éloigner son épouse des monstres de Buckingham et la préserver du destin funeste de sa propre mère, la princesse Diana. « Je ne voulais pas que l’histoire se répète », a-t-il confié à Oprah Winfrey, confortablement assise dans l’un des fauteuils de jardin de la villa à 11 millions de livres sterling que le couple de réfugiés a acheté après être arrivé sain et sauf en terre libre d’Amérique. Harry et Meghan ont, enfin, assuré qu’ils voulaient tirer un trait sur les dissensions familiales et avancer. Difficile cependant, après une telle interview, d’imaginer une réconciliation rapide : un an après le « Megxit », Meghan et Harry ont vraiment brûlé tous les ponts avec Buckingham Palace. Comment cette fois-ci le palais va-t-il répliquer aux attaques du couple, se demande d’ailleurs fébrilement l’ensemble des commentateurs people de la planète – et pas seulement people, le New York Times dont pourtant la devise, affichée dans le coin supérieur gauche de la première page du journal, est All the News That’s Fit to Print, en a fait sa Une… À titre personnel et pour être tout à fait franc, je me moque totalement de la réaction dudit palais. Ce qui ici retient mon attention, au-delà du taux d’audience extraordinaire de l’émission – il parait que Michelle et Barack Obama ont « super-méga adoré » – et de la curieuse affection qu’éprouvent les Américains pour

une monarchie dont ils se sont pourtant libérés il y a près de 250 ans, c’est le mot « prisonnier » qui est revenu à plusieurs reprises dans la bouche de Harry, non seulement le 7 mars, mais aussi depuis son départ du Royaume-Uni. En tant que contempteur du système monarchique en général et plus précisément en Europe aujourd’hui, j’aurai tendance à me joindre à ceux qui méprisent le couple Meghan-Harry, parfaits représentants d’une génération self centred à qui tout est dû, mais qui croit ne rien devoir à personne, et donc à considérer Harry comme un gosse de riches bon à rien, engraissé depuis sa plus tendre enfance sur le dos d’un peuple britannique bien idiot de ne pas le mettre à la porte avec toute sa famille. Mais si on réfléchit bien, on peut voir les choses différemment. Très différemment. Imaginons un instant que nous apprenions demain dans le journal qu’un plombier (par exemple, mais n’importe quel métier pourra faire l’affaire) endoctrinait depuis le berceau, son fils, en lui mettant dans le crâne qu’il n’aurait d’autre choix une fois adulte que de lui succéder. Imaginons encore que nous apprenions que ce plombier, épaulé par toute sa famille, mais aussi par l’ensemble des habitants de son village et des enseignants de l’école communale, n’a eu de cesse au cours des années de forcer son rejeton à se sensibiliser aux techniques de la plomberie tout en lui refusant toute autre possibilité d’apprentissage. Imaginons que toute la communauté villageoise est ensuite persuadée le pauvre enfant devenu jeune homme, qu’il avait le devoir de la servir jusqu’à sa mort en tant que plombier et que refuser reviendrait à trahir sa famille, ses concitoyens et par-dessus tout, à bafouer la volonté de Dieu. Que penserions-nous de cela ? Nous crierions au scandale, à la maltraitance infantile, à la privation des droits fondamentaux d’un individu et accuserions l’ensemble du village de folie collective. Certains, bien sûr, plaideraient en faveur des villageois en disant qu’après tout, cet enfant assuré d’un travail à vie et donc de sa pitance quotidienne avait vocation à être épargné des

aléas de l’existence, comme le chômage. Et puis, après tout, il pouvait quitter le village s’il n’était pas content de son sort, ajouteraient-ils hypocritement. La majorité de l’opinion n’en démordrait pas et rétorquerait alors avec raison à ces avocats du diable qu’un enfant endoctriné ne peut que très rarement trouver en lui les ressources nécessaires à son émancipation et que le plus souvent, il demeurera prisonnier du carcan dans lequel il a grandi, refoulant ainsi et pour toujours ses aspirations profondes. Qu’il s’agit ici d’un crime odieux et que le père et ses complices doivent être sévèrement punis, point barre ! N’est-ce pas plus ou moins la même chose qui se passe avec les enfants de monarques, qu’ils soient héritiers du trône ou non ? Les premiers se retrouveront dans une position, toute proportion gardée, similaire à celle du fils du plombier, obligés de faire un métier qu’en dépit des avantages matériels qu’offre la royauté, ils n’aiment pas et pour lequel, très souvent, ils ne sont pas faits – souvenons-nous du pauvre Louis XVI. Les autres, c’est-à-dire les cadets, seront le plus souvent cantonnés toute leur existence à être des faire-valoir que l’on sortira uniquement les jours de fête, prisonniers d’un rôle qu’ils seront condamnés à interpréter jusqu’à leur dernier souffle sous peine de devenir parias et d’être exclus du clan familial et de la communauté nationale. On peut encore pousser la réflexion plus loin. Les têtes couronnées d’aujourd’hui et leurs enfants, légataires d’un système anachronique qui n’existe plus en Europe que comme folklore, ne sont-ils pas les vrais Truman de notre temps ? Rappelez-vous The Truman Show, ce film ou Jim Carey interprète Truman Burbank, star d’une télé-réalité à son insu. Depuis sa naissance, son monde n’est qu’un gigantesque plateau de tournage et tous ceux qui l’entourent sont des acteurs. Lui seul ignore la réalité alors que des centaines de millions de téléspectateurs suivent son existence au jour le jour et le considère comme leur chose, leur propriété. Le sort du petit Georgie, fils du prince Williams et de Kate Middleton et héritier du trône

d’Angleterre, est-il après tout si différent de celui du petit Truman Burbank, l’enfant esclave sur lequel une société de voyeurs-consommateurs projette ses fantasmes ? Si l’on accepte de voir les choses de ce point de vue, alors on peut considérer la démarche du prince Harry comme un acte de courage. Un

acte émancipateur qui, au-delà du manque de profondeur d’un personnage qui ne semble penser qu’à l’exploitation de la marque « Sussex » et du ridicule de l’interview de CBS, mérite d’être reconnu et encouragé.

Romuald SCIORA, IRIS, mars 2021

https://www.iris-france.org/155331-le-prince-harry-et-le-truman-show/

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THÉMATIQUE 2 : REPRE�SENTATIONS AXE D’ÉTUDE 1 : REPRE�SENTER LE MONDE ET SE REPRE�SENTER

From Mississippi to DC and Beyond: Black Lives Matter

50 ans après, que reste-t-il du message de Martin Luther King ? Rokhaya Diallo, éditorialiste et essayiste, répond à nos questions à propos de l'héritage de Martin Luther King aujourd'hui : - Quel est l’héritage du message de Martin Luther King dans l’Amérique d’aujourd’hui ? - Un demi-siècle après l’assassinat de Martin Luther King, comment interpréter le mouvement Black Lives Matter ? Assiste-t-on à un renouveau de la révolte de la communauté afro-américaine ? - Quels ont été et quels sont les échos de l’action de Martin Luther King sur le militantisme français engagé contre le racisme ?

https://www.iris-france.org/111254-1968-2018-50-ans-apres-que-reste-t-il-du-message-de-martin luther-king/ Minutage : 0:00-4:14

SOURCE : Rokhaya DIALLO, IRIS, Avril 2018

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THÉMATIQUE 2 : REPRE�SENTATIONS AXE D’ÉTUDE 1 : REPRE�SENTER LE MONDE ET SE REPRE�SENTER

From Mississippi to DC and Beyond: Black Lives Matter

#BlackLivesMatter : « Trump réactive la guerre culturelle »

Donald Trump menace d’envoyer l’armée pour mettre fin aux émeutes qui émanent de certaines manifestations anti-racistes. Le peut-il ? Quel est son but ? L’envoi, par le Président, de l’armée américaine (qui n’est pas la garde nationale, mobilisée aujourd’hui dans certains États) sur le territoire des États-Unis est constitutionnellement possible. L’Insurrection Act de 1807 lui en donne le droit. Le Président peut en effet, de manière exceptionnelle, mobiliser l’armée de métier pour rétablir l’ordre à l’intérieur des frontières du pays, et uniquement sur demande des États fédérés. Le précédent le plus récent est celui des émeutes à Los Angeles en 1992 suite à l’acquittement des policiers qui avaient battu Rodney King. Plusieurs gouverneurs des États concernés par des émeutes ces derniers jours ont dit qu’ils ne feraient pas cette demande. Or, il existe une exception à cette règle : si les autorités locales refusent d’appliquer la loi fédérale sur les droits civiques et que ce refus conduit à un désordre. En 1957, le Président Eisenhower a utilisé cette possibilité pour permettre à neuf enfants noirs de Little Rock, dans l’Arkansas, d’accéder à une école jusqu’ici réservée aux Blancs. Aujourd’hui, Trump invoque le respect des droits civiques mais pour les populations « menacées » par les émeutes… La menace de l’appel à l’armée participe de la stratégie rhétorique du Président qui celle de la dureté, de la force, de l’intransigeance.

« Le président n’est pas un consolateur en chef », dit l’un de ses anciens conseillers. Il refuse d’utiliser le registre de l’empathie et de l’écoute des manifestants, la souffrance de la communauté noire victime de racisme et de discriminations, et il fait l’amalgame avec les émeutiers. Ceux-ci seraient selon lui guidés par l’extrême gauche antifasciste (qu’il qualifie de « terroriste »), laquelle menacerait les fondements de l’Amérique. Il réactive une nouvelle fois la guerre culturelle (« ils veulent vous détruire, détruire l’Amérique », dit-il régulièrement en meeting à propos de ses adversaires). Cette posture viriliste nourrit le récit de sa présidence, et même son propre récit individuel : autoritaire, refusant la critique, et non dénuée de relents néofascistes. Cette stratégie peut-elle être payante en vue de l’élection présidentielle du 3 novembre prochain ? La réponse est oui, elle peut l’être. Le 1er juin, Trump a fait disperser la foule pacifiste qui manifestait près de la Maison blanche pour se dégager un passage, entouré de conseillers et gardes du corps (tous blancs) vers l’église Saint John, dite « Église des Présidents », où il a brandi une Bible devant les photographes. Ce geste est

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destiné à donner un signe à la fois aux évangéliques, qui ont voté pour lui à 81 % en 2016, et plus précisément à leurs composantes les plus conservatrices et blanches. C’est aussi une démonstration de force (il aurait, dit la presse américaine, été très vexé de devoir se réfugier dans le bunker de la Maison blanche la veille, ce qui sonne comme un « repli », un recul face aux faiseurs de troubles), comme l’est son utilisation de la formule « Law and Order », en référence à la campagne de Nixon de 1968. Trump fait appel à des représentations collectives d’une partie de la population qui craint les violences de la rue mais aussi le multiculturalisme et qui ne croit pas au racisme systémique de la société américaine. Cette population qui, selon l’expression de la politiste Arlie Russel Hochschild, estime avoir été « doublée dans la file » par les minorités depuis les années 1970, et qui n’accepte pas de devenir démographiquement minoritaire d’ici 25 ans. Les républicains, et l’équipe de Trump en premier, vont sans doute exploiter au maximum les images des émeutes jusqu’au dernier moment de la campagne pour galvaniser la base électorale et toutes celles et tous ceux qui, dans l’électorat du parti républicain, sont sensibles au spectre d’un désordre causé par les Noirs et la gauche, à la rhétorique identitaire et sécuritaire. Trump, qui a tweeté ces derniers jours « Je suis en tête dans les sondages » mais aussi « 3 novembre 2020 », appelle au vote et voit les événements actuels uniquement par le prisme de sa stratégie de réélection. Depuis 2016, il n’a fait qu’entretenir les clivages de toutes sortes et souffler sur les braises des divisions du pays, tout en accusant ses adversaires d’être responsables du chaos (c’est un classique chez Trump de retourner contre autrui les critiques dont il fait l’objet). Il n’y a aucune raison qu’il ne continue pas. Mais rien n’est acquis pour le 3 novembre. L’issue est très incertaine à ce stade. Et il le sait. Quelle tournure prend le duel entre Donald Trump et Joe Biden dans le contexte actuel ? Biden a fait plusieurs déclarations et eu des gestes qui vont dans le sens de l’apaisement : prière

silencieuse dans une église noire, entretien avec des leaders de la communauté africaine-américaine, visite sur l’un des lieux de manifestations, etc. Il a dénoncé la violence mais dit comprendre la colère des manifestants pacifiques et parlé du « péché originel » de l’esclavage, une formule de Barack Obama. Très populaire chez les Africains-Américains, Biden doit cependant encore séduire les jeunes générations progressistes qui, d’une part, penchaient plutôt pour Bernie Sanders pendant les primaires démocrates et qui, d’autre part, exercent peu leur droit de vote malgré leur engagement politique fort. Pour gagner du terrain auprès de celles et ceux qui manifestent aujourd’hui, il va devoir proposer un programme audacieux, plus à gauche sur certains sujets que ce qu’il a prévu, comme le combat contre les discriminations « raciales » et sociales (mais aussi de genre) – qui du reste se croisent –, la lutte contre le libre port d’armes, la protection du climat, la fin de la dette étudiante, etc. « Ne pas être Trump ne suffira pas », lui ont dit des leaders communautaires noirs. Barack Obama, qui lui a, mi-avril, apporté explicitement et publiquement son soutien, s’est exprimé le 1er juin dans une tribune sur Medium pour inciter les jeunes à aller voter le 3 novembre, non seulement pour la présidentielle mais aussi pour les élections locales (car c’est au niveau local qu’est gérée la police, par exemple). Ce n’est pas la première fois que l’ancien Président encourage les jeunes générations à se rendre dans les bureaux de vote. Néanmoins, Biden apparaît aujourd’hui comme peu visible et peu dynamique comparativement à Trump, qui ne cesse de l’attaquer sur les réseaux sociaux en l’associant à l’extrême gauche et à la violence, en l’accusant de n’avoir rien fait pour les Noirs (contrairement à lui), et en le qualifiant de « faible ». Du reste, Trump ne peut pas se permettre de s’aliéner complètement l’électorat noir car l’élection va être serrée dans certains États (décisifs). […]

Marie-Cécile NAVES, Nos Lendemains, 3 juin 2020

https://www.iris-france.org/147537-blacklivesmatter-trump-reactive-la-guerre-culturelle/

UNIT 7 “From dependency to autonomy: changing relationships” THÉMATIQUE 1 : FAIRE SOCIE�TE� AXE D’ÉTUDE 2 : LIBERTE�S PUBLIQUES ET LIBERTE�S INDIVIDUELLES

Will Brexit Lead to Scoxit?

Nicola Sturgeon, la femme qui veut libérer l’Ecosse Pour « La Story », le podcast d'actualité des « Echos », Pierrick Fay et ses invités font le portrait de la Première ministre écossaise. Devenue le cauchemar de Boris Johnson, elle se bat pour organiser, si elle est réélue le 6 mai, un nouveau référendum pour l'indépendance de son pays. https://www.lesechos.fr/monde/europe/nicola-sturgeon-la-femme-qui-veut-liberer-lecosse-1306163 Minutage : 0:00-22:10

SOURCE : Les Echos, avril 2021

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UNIT 7 “From dependency to autonomy: changing relationships” THÉMATIQUE 1 : FAIRE SOCIE�TE� AXE D’ÉTUDE 2 : LIBERTE�S PUBLIQUES ET LIBERTE�S INDIVIDUELLES

Hong Kong, the Place Where Easts “eats” West

Démocratie à Hong Kong : la bataille est désormais perdue. Mais elle aurait pu ne pas l’être. La tragédie démocratique à Hong Kong semble inévitable. La formule énoncée par Deng Xiaoping en 1997 « un pays, deux systèmes » ne résonne plus aujourd’hui dans la Chine contemporaine. Pourtant, lors de la rétrocession le cours de l’histoire n’était pas censé se dérouler de cette manière. La mainmise du régime Chinois sur le système démocratique hongkongais aurait-elle pu être évitée avant 2047, date officielle de la fin de la transition ? Il faut rappeler que la date de la rétrocession est le 1er juillet 1997, mais cette dernière a été négociée avec le Royaume-Uni en 1984, soit plus d’une décennie plus tôt. Le regard que les puissances occidentales portaient sur la Chine n’était alors pas du tout le même. De paria, la Chine était devenue un partenaire dans l’opposition à l’Union soviétique, et l’ouverture économique insufflée par Deng Xiaoping faisait alors rêver à une démocratisation progressive de ce pays. La grande majorité des experts de la Chine croyaient à cette équation, ouverture + libéralisme économique = démocratisation, aux Etats-Unis en particulier – à l’exception de quelques isolés et pour autant plus lucides, comme Andrew Nathan. Même après Tiananmen, la croyance en une démocratisation progressive, et surtout inévitable, de la Chine est restée très présente, en se projetant sur plusieurs années, voire décennies. Dès lors, l’échéance de 2047, au terme de cette liminalité mal définie d’un demi-siècle, ne posait pas de problème majeur, la Chine ayant « le temps » d’accélérer ses

réformes politiques d’ici-là et de « rejoindre » Hong Kong, l’inverse – le scénario que nous vivons cependant – étant considéré comme totalement impensable. Aux Etats-Unis, nombreux sont ceux qui croyaient aussi à l’impossibilité pour le régime chinois de se maintenir – à la manière de Gordon Chang et son ouvrage The Coming Collapse of China, publié en 2001. Enfin, les rapports de force n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui, tant sur le plan économique que militaire, et la Chine était dans l’incapacité d’imposer son diktat sur Hong Kong. Mais en un peu plus de deux décennies, la Chine s’est affirmée comme la principale puissance économique mondiale et a ainsi isolé économiquement l’ancien territoire britannique – qui n’est plus qu’un des maillons de cet ensemble urbain et économique gigantesque autour de la rivière des perles, avec Canton et surtout Shenzhen et son boom. Elle a également vu son outil militaire se développer considérablement, ce qui rend les pressions moins évidentes. Et dans le même temps, non seulement son régime

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politique ne s’est pas effondré, mais non seulement il s’est durci en se dotant d’une posture nationaliste et d’une attitude plus décomplexée, et en plus il ne montre pas de signe de faiblesse permettant de prophétiser sa chute prochaine. La naïveté de 1984 et des années 1990 a laissé place à une résignation sur le fait que la Chine sera sans doute, en 2047, un régime autoritaire comme elle l’est aujourd’hui. Aurions-nous dû nous douter de la volonté du régime chinois de frapper toute volonté démocratique suite aux événements de Tiananmen ? Pas vraiment. La répression violente du mouvement de 1989 s’est accompagnée d’une mise à l’écart de la Chine, pays à l’époque encore très pauvre, avec des pressions diplomatiques et économiques. C’est dans ce contexte que la politique étrangère chinoise se fit discrète dans les années suivantes, sur les recommandations de Deng Xiaoping, et à l’exception des tensions dans le détroit de Taiwan en 1996 la Chine ne mit pas en avant une politique étrangère – ou de son avis intérieure – agressive pendant cette période. Sans doute les pays occidentaux ont, là-encore, fait preuve d’une certaine naïveté, mais dans ce contexte d’immédiate fin de Guerre froide et de démocratisation de nombreuses sociétés, la tendance était à l’optimisme. Disons que Tiananmen a brutalement refroidi les espoirs de ceux qui croyaient à une démocratisation rapide de la Chine, mais n’a pas soulevé, à l’époque, d’inquiétude sur le fait que Pékin ait des intentions, et moins encore des moyens, d’exercer de fortes pressions sur ses voisins. C’est surtout au cours des quinze dernières années que les choses se sont accélérées et que la mainmise de Pékin sur Hong Kong s’est renforcée. Le développement spectaculaire de Shenzhen aurait sans doute dû nous alerter sur le fait que la Chine était en train de sortir d’une Hong Kong-dépendance, mais cela n’aurait pas changé grand-chose. A part Taïwan, personne (le monde occidental) n’a vraiment vu venir ce durcissement et cette impossibilité de retour en arrière, mais personne n’a écouté Taïwan

(comme trop souvent). La génération de démocrates de la « toujours » région autonome seront-ils bientôt un lointain souvenir ? Les militants démocratiques représenteront-ils encore une lueur d’espoir de liberté ? Hong Kong a le statut de région administrative spéciale, pas de région autonome (appellation qui concerne les provinces dans lesquelles vit une importante minorité, cinq au total : Xinjiang, Tibet, Mongolie intérieure, Ningxia et Guangxi). Mais au-delà des termes de la négociations évoqués plus haut et la transition de 50 ans, disons que ces appellations ne changent pas grand-chose pour Pékin, qui estime devoir exercer son autorité sur ces différents territoires et rejette ce que les dirigeants chinois qualifient d’ingérence dans ses affaires intérieures. Bien sûr, le mouvement démocratique de Hong Kong est confronté dans ces conditions à une situation plus que difficile, et ses chances de survie sont quasi nulles. Mais les démocrates n’en demeurent pas moins essentiels, à plusieurs égards. D’abord pour porter un message, même clandestinement, et sensibiliser la population. Ensuite pour incarner un mouvement qui ne se limite pas à Hong Kong, mais concerne aussi et surtout Taïwan, que Pékin estime être le prochain territoire à « récupérer » inscrit sur sa liste. Le mouvement des parapluies de 2014 a révélé de profondes connections avec le mouvement des tournesols de Taïwan quelques mois plus tôt, et les liens sont restés très forts. Il n’est pas anodin que le gouvernement taïwanais fut le seul à apporter un soutien officiel au mouvement démocratique de Hong Kong, là où les pays occidentaux se sont montrés beaucoup plus frileux. La poursuite de ce mouvement, de ses idéaux et de son héritage, est aussi indispensable que l’est celui de Tiananmen, pour entretenir cette « lueur d’espoir », certes assombrie aujourd’hui, mais qui n’est pas totalement éteinte. Interview de Barthélémy COURMONT, Atlantico, avril 2021

https://www.iris-france.org/156145-democratie-a-hong-kong-la-bataille-est-desormais-perdue-mais-elle-aurait-pu-ne-pas-letre

UNIT 7 “From dependency to autonomy: changing relationships” THÉMATIQUE 1 : FAIRE SOCIE�TE� AXE D’ÉTUDE 2 : LIBERTE�S PUBLIQUES ET LIBERTE�S INDIVIDUELLES

Hong Kong, the Place Where Easts “eats” West

Expliquez-moi…Hong Kong, Taïwan et la Chine https://www.youtube-nocookie.com/embed/Jc5OWdQrghg Minutage 0:00-12:59

SOURCE: Pascal BONIFACE, Comprendre le Monde, juillet 2020

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UNIT 8 “Inclusion/exclusion: make minorities visible” THÉMATIQUE 1 : FAIRE SOCIE�TE� AXE D’ÉTUDE 3 : E�GALITE�S ET INE�GALITE�S

INClusive Culture

La démocratie selon Biden : inclusion, équité et expertise Le gouvernement de Joe Biden se caractérise par une parité et une diversité inédites, mais aussi, indissociablement, par une forte et longue expertise. C’est une autre manière de tourner la page Trump. Le combat pour l’équité, dans la société américaine, est l’un des objectifs majeurs. Donald Trump avait une idée fixe : défaire les politiques de Barack Obama, ruiner son héritage. En signant une quarantaine de décrets (executive orders) en dix jours (contre une dizaine pour Trump durant ce même laps de temps), Joe Biden vise lui aussi à casser le projet de société de son prédécesseur. Mais autant ce dernier avait pour but de détruire et de diviser, autant le 46e président souhaite rassembler, ce qui passe avant tout par cibler les besoins des groupes les plus fragiles. Protéger les plus vulnérables pour leur permettre de vivre normalement et donc restaurer leur liberté de travailler, de se loger, de se soigner, de participer au projet national : telle est la volonté affichée du nouvel exécutif américain. Du renforcement de Medicaid (l’assurance de santé publique pour les plus démuni.e.s) à l’abrogation de la politique dite de « Mexico » (qui coupait les subventions fédérales aux associations internationales pratiquant, ou

informant sur, l’avortement), en passant par l’égalité femmes-hommes au travail, par le combat contre les discriminations liées à l’origine dans l’accès aux ressources – dont les traitements contre le Covid-19 –, ou encore par la fin de l’interdiction pour les transgenres de servir dans l’armée, par le fait de redonner un statut juridique aux « Dreamers » (les immigré.e.s arrivé.e.s mineur.e.s aux États-Unis), ou encore par l’arrêt de la construction du pipeline géant Keystone qui mettait en péril les terres des Native Americans : la liste est longue et donne le ton. Il s’agit d’en finir avec les politiques stigmatisantes et discriminatoires de l’ère Trump qui, marquées par l’obsession identitaire, ont clivé, séparé, exclu. De fortes demandes du terrain Les attentes des associations féministes, écologistes, de lutte contre la pauvreté et de défense des droits civiques sont immenses. Elles réclament des politiques publiques volontaristes pour combattre discriminations, préjugés et habitudes ancrés, issus notamment

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d’un racisme systémique et d’un racisme institutionnel (par exemple dans la police et la justice) que les deux mandats d’Obama n’avaient pas diminué. C’est, plus globalement, une demande de politiques d’équité dans tous les domaines de l’action publique. Symone Sanders, la porte-parole de la vice-présidente Harris, a, de fait, rappelé l’ambition d’une approche systémique de ces inégalités, de la part du nouvel exécutif. « L’égalité raciale n’est pas un silo, elle fait partie intégrante de notre politique », explique de son côté Cecila Rouse, la cheffe du Conseil économique du président. En effet, tout est lié. Au sein du ministère de la Santé, une « Health equity task force » va être créée sur le Covid, afin que les critères de vulnérabilité (pauvreté, origine, sexe, handicap, territoire de vie, etc.), qui s’entremêlent, soient particulièrement pris en compte dans la réponse sanitaire. Les questions climatiques sont aussi un sujet de justice à la fois sociale, territoriale, raciale et genrée. Le salaire horaire minimum fédéral de 15 dollars vise en particulier les femmes noires et hispaniques, mais bénéficiera in fine à tou.te.s les travailleur.se.s occupant des emplois peu qualifiés. La réduction de la pauvreté est par ailleurs vue comme un levier de croissance économique et de productivité : il s’agit de lutter contre le gâchis de compétences, d’innovation et de créativité. La création de conseils scientifiques sur les questions environnementales, technologiques ou encore sanitaires montre que la recherche universitaire sera appelée à jouer un rôle important dans la décision publique au sein de la nouvelle Maison-Blanche : la compétence, un autre maître-mot pour tourner la page Trump. Un gouvernement d’expert.e.s Le gouvernement de Joe Biden comporte un nombre record de femmes et de personnes issues des minorités ethniques. Ce choix a été beaucoup commenté pour sa dimension symbolique et représentative de « l’Amérique telle qu’elle est ». Mais c’est aussi, et inséparablement, un gouvernement d’expert.e.s, de spécialistes des sujets qui vont leur être confiés. Or leur savoir est, entre autres, nourri par l’expertise de terrain.

Prenons trois exemples. Marcia Fudge, ancienne membre de la Chambre des représentants et ancienne présidente du Congressional Black Caucus au sein du Congrès, a été nommée ministre du Logement et du Développement urbain. Elle sera chargée en particulier de l’épineux dossier des Américain.e.s ayant perdu leur logement avec la crise économique résultant du Covid, et de la lutte contre la discrimination au logement (locatif et foncier) et contre les ségrégations territoriales dont sont tout particulièrement victimes les Noir.e.s. Lorsqu’elle était élue de l’Ohio, comme représentante et auparavant comme maire de Warrensville Heights dans la banlieue de Cleveland, elle s’est particulièrement forgé une expertise sur ce sujet. C’est aussi le cas de Deb Haaland, qui supervisera un vaste ministère de l’Intérieur, chargé entre autres l’Aménagement du territoire et les Ressources naturelles. Première Amérindienne à occuper un poste ministériel, elle incarne en outre la reconnaissance d’une expertise d’expérience parce que les Native Americans sont parmi les plus touché.e.s par l’exploitation des sous-sols et la destruction de l’environnement. Deb Haaland a beaucoup travaillé ce sujet, mais aussi, en tant que parlementaire, la question des meurtres et enlèvements de femmes autochtones. Le choix de sa nomination répond dès lors à un souhait de légitimité de l’autorité politique auprès des populations concernées. Le ministre de la Défense sera confié à Lloyd Austin. Premier Afro-Américain à occuper ce poste, ancien général de l’armée de terre, il a d’ores et déjà lancé une enquête sur les programmes de prévention des violences sexuelles dans l’armée, et a déclaré qu’il « ferait tout pour débarrasser les rangs » militaires du suprémacisme blanc (plusieurs soldats sont suspectés de faire partie de ces mouvances d’extrême droite qui ont participé à l’insurrection au Capitole, le 6 janvier dernier). Devant son audition au Sénat, Austin, qui est né et a grandi dans le sud ségrégationniste des années 1950-60, a déclaré avoir été confronté pendant ses années de

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service à des cas de crimes racistes, aux États-Unis, de la part de soldats blancs. Il a ajouté que ce racisme était ancré depuis longtemps dans les rangs de l’armée sans que celle-ci ait eu les outils et moyens de le détecter et de le combattre. Écouter les « voix politiques compétentes » La pandémie ayant renforcé l’urgence d’appréhender la société à partir d’une perspective consciente des questions de genre et d’origine, le choix d’un agenda programmatique prenant acte des besoins de toutes et de tous va de pair avec la rupture avec le traditionnel entre-soi dans la prise de décision. Biden vise à faire venir à lui des compétences, des regards sur le monde, qui lui ont permis de l’emporter et qui pourraient l’aider à gouverner efficacement et à

contribuer à unir le pays. En prendre acte et le mettre en actes sont une réponse à une demande à la fois de connaissance, de reconnaissance et de participation au bien commun. Ce dont des « voix politiques compétentes », pour reprendre une expression de la philosophe Sandra Laugier. Cesser de confisquer la parole, accepter qu’il y ait d’autres récits, fondés sur des registres divers de connaissances, et les écouter, les concrétiser. C’est une brique de la démocratie Biden, qui a bien entendu ses ennemis et dont la tâche sera extrêmement difficile, mais qui montre au pays et au monde qu’elle a saisi les changements sociaux. Marie-Cécile NAVES, IRIS, février 2021

https://www.iris-france.org/153889-la-democratie-selon-biden-inclusion-equite-et-expertise/

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UNIT 9 “For the Sake of the People and the Land” THÉMATIQUE 2 : ENVIRONNEMENTS EN MUTATION AXE D’ÉTUDE 1 : FRONTIÈRE ET ESPACE

Reclaiming Territory

Peuples autochtones : les rendre autonomes ou mieux les intégrer aux nations ?

Il y a un an, en août 2014, s’est tenu à Ottawa (Canada) le Forum social des peuples, rassemblement d’esprit altermondialiste visant à promouvoir les « peuples autochtones ». Maoris, Quechuas, Aymaras, Kanaks… Ces peuples sont nombreux dans le monde : on dénombre aujourd’hui 370 à 400 millions d’autochtones dans 90 Etats, même si un flou continue de régner sur la définition de ces termes. La question des droits spécifiques à accorder à ces groupes a fait l’objet de revendications croissantes de ces peuples eux-mêmes depuis les années 1940. Ils luttent aujourd’hui contre la confiscation de leurs terres ancestrales ou contre les modifications à leur environnement (ainsi les Indiens du Brésil ont lutté, sans succès, contre la construction du barrage de Belo Monte en pleine forêt amazonienne), et pour la reconnaissance de leurs cultures. L’affirmation actuelle de ces peuples est le résultat d’une longue lutte. Dès 1946, ces peuples se sont manifestés à l’ONU : les peuples autochtones d’Amérique ont envoyé des pétitions à la Commission des droits de l’homme de l’ONU chaque année depuis sa création, et, en 1948, la Bolivie a proposé à l’ONU la création d’une sous-commission spécifique et l’étude des problèmes des populations autochtones, mais cela n’a pas abouti. Au sein des Nations unies, seule l’OIT a agi dès les années 1950 en faveur de ces populations : en

1957 elle a adopté la convention n°107 sur les populations indigènes et tribales. Cette convention voit les peuples indigènes comme des paysans exploités économiquement et souligne qu’ils doivent être intégrés dans l’économie moderne. Ce texte constitue une première tentative de codification des obligations internationales des États en ce qui concerne les populations indigènes et tribales. Toute une gamme de thèmes sont couverts, tels que les droits aux terres, le recrutement et les conditions d’emploi, la formation professionnelle, l’artisanat et l’industrie rurale, la sécurité sociale et la santé, l’éducation et les moyens de communication. Ratifiée par 27 pays, cette convention présente une approche intégrationniste, assimilationniste, c’est-à-dire visant à l’intégration des autochtones dans l’ensemble de la société nationale ; cette approche reflète le discours sur le développement alors en vigueur à l’époque à laquelle elle a été adoptée. Puis, au fil des années suivantes, l’approche de la convention n° 107 a été remise en question. Un comité d’experts, convoqué en 1986 par l’OIT, a conclu que « l’approche intégrationniste de la convention était obsolète et que sa mise en œuvre était préjudiciable dans le monde actuel ». Cela a conduit à la révision de la convention et à son remplacement par une autre convention en 1989. En 1971, l’ONU a décidé d’effectuer une étude approfondie sur les peuples autochtones, confiée à l’Equatorien José Ricardo Martinez Cobo. En 1983,

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après douze ans de travail, cette importante Etude du problème de la discrimination contre les populations autochtones, est publiée, dans le cadre du groupe de travail sur les populations indigènes (GTPA) qui vient alors d’être créé à l’ONU. Le rapport Cobo s’affirme pour l’auto-détermination des peuples autochtones et conclut aussi que ces peuples ont un droit inaliénable à leur territoire et peuvent réclamer des terres qui leur ont été prises. Le GTPA devient un forum recueillant les plaintes de peuples autochtones. Parallèlement, les peuples autochtones eux-mêmes continuent à faire entendre plus distinctement leur voix sur la scène internationale : en 1974 est ainsi créé le Conseil mondial des peuples indigènes (World Council of Indigenous Peoples, WCIP) sous l’impulsion notamment du chef amérindien George Manuel. Les réclamations du WCIP poussent l’ONU à accueillir une conférence en 1977 sur la discrimination contre les populations indigènes aux Amériques. A partir des années 1990, l’ONU intensifie son action : 1993 est déclarée « Année internationale du peuple autochtone ». En 1994, la journée du 9 août est proclamée « Journée internationale des populations autochtones ». En 2000-2002 est créée à New York au sein de l’ONU une « Instance permanente sur les questions autochtones » (UNPFII). Cette instance, où les experts autochtones siègent à parité avec les experts nommés par les gouvernements, examine les questions autochtones ayant trait au développement économique et social, à la culture, à l’éducation, à l’environnement, à la santé et aux droits de l’homme. En outre, l’ONU organise de 1994 à 2005 la « première décennie internationale du peuple autochtone mondial », suivie d’une deuxième décennie du peuple autochtone mondial lancée en 2005. Enfin, en 2007, l’Assemblée générale de l’ONU adopte la « Déclaration sur les droits des peuples autochtones ». C’est une victoire pour ces peuples. Un des principaux acquis de cette déclaration, qui résulte de plus de vingt ans de travail, est qu’elle énonce aussi bien des droits individuels que collectifs, et qu’elle reconnaît le droit de ces peuples à l’auto-détermination, c’est-à-dire l’autonomie pour les affaires intérieures et locales.

C’est le point qui a suscité le plus de controverses. En Afrique, la notion de peuples autochtones et la Déclaration de 2007 ont suscité initialement beaucoup de réticences : les pays d’Afrique, regroupés dans le groupe africain aux Nations unies, ont menacé de saboter tout le travail de mise en place de la Déclaration. Finalement, en septembre 2007, lors du vote, ils se sont ralliés à la Déclaration. Ainsi, en septembre 2007, la Déclaration a été adoptée à l’ONU à la majorité de 143 voix contre 4 ; les quatre pays ayant voté contre sont les États-Unis, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Ces quatre pays se sont d’ailleurs après coup, en 2009-2010, ralliés à cette Déclaration comme instrument non légalement contraignant. La Bolivie a été le premier pays à approuver la Déclaration et à la traduire au niveau national en une loi, sous l’impulsion de son président, Evo Morales, lui-même d’origine autochtone. La Déclaration de 2007 contient des acquis considérables : elle reconnaît le droit des autochtones à l’autodétermination, leur droit à être autonomes et à s’administrer eux-mêmes (art. 3 et 4) ; leur « droit de maintenir et de renforcer leurs institutions politiques, juridiques, économiques, sociales et culturelles distinctes, tout en conservant le droit, si tel est leur choix, de participer pleinement à la vie politique, économique, sociale, culturelle de l’Etat » (art. 5) ; leur « droit de ne pas subir d’assimilation forcée ou de destruction de leur culture » (art. 8) ; leur « droit d’appartenir à une communauté ou une nation autochtone » (art. 9) ; leur « droit d’établir et de contrôler leurs propres systèmes et établissements scolaires, où l’enseignement est dispensé dans leur propre langue, d’une manière adaptée à leurs méthodes culturelles d’enseignement et d’apprentissage », et en même temps leur « droit d’accéder à tous les niveaux et à toutes les formes d’enseignement public, sans discrimination aucune » (art. 14) ; leur « droit d’établir leurs propres médias dans leur propre langue et d’accéder à toutes les formes de médias non autochtones sans discrimination aucune » (art. 16), leur « droit de conserver et de développer leurs systèmes ou institutions politiques, économiques et sociaux » (art. 20), leur « droit à leur pharmacopée

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traditionnelle » (art. 24), leur « droit aux terres, territoires et ressources qu’ils possèdent et occupent traditionnellement ou qu’ils ont utilisés ou acquis » (art. 26). Ainsi la Déclaration leur accorde beaucoup de droits spécifiques, elle permet à la fois leur autonomie et leur intégration dans la société nationale. En revanche elle est hésitante sur leur droit à récupérer les objets et productions de leur patrimoine, qui leur ont souvent été enlevés par les colonisateurs. La question des autochtones a soulevé beaucoup de controverses terminologiques : devait-on dire « indigènes » ou « autochtones » ? « Populations » ou « peuples » ? Devait-on employer le pluriel ou le singulier ? Pouvait-on assimiler les peuples autochtones aux minorités ? Le mot « peuple », employé finalement de préférence à « populations » dans la version française de la Déclaration de 2007, est beaucoup plus fort que le mot « population ». Et, toujours en français, le choix du mot « autochtones » de préférence à « indigènes » s’explique par le caractère péjoratif que pouvait avoir le terme « indigènes », employé à l’époque de la colonisation. Enfin, le pluriel a été préféré au singulier, et il a été décidé de ne pas accompagner la Déclaration d’une liste précise de peuples, laissant les autochtones décider eux-mêmes de leur identification. Si la Déclaration de 2007 apparaît comme une grande avancée, une de ses faiblesses est son absence de force contraignante en droit international ; il s’agit de soft law. En outre, certains éléments dans cette déclaration sont controversés et ne sont pas approuvés par tous les Etats : c’est le cas notamment de la reconnaissance de droits collectifs aux autochtones. Ainsi, si la France soutient officiellement la Déclaration, elle ne reconnaît pas à ce jour le principe de droits

collectifs à ses autochtones (comme les Amérindiens de Guyane), pour cela il faudrait modifier l’article 1 de la Constitution sur l’égalité des citoyens, qui ne reconnaît que les droits individuels. La question des peuples autochtones est complexe car elle implique un changement de conception, avec l’idée de reconnaître des droits spécifiques, et notamment des droits collectifs pour les peuples autochtones, ce qui est une remise en cause de l’unité et de l’indivisibilité de l’Etat. C’est dans cette direction que va la Déclaration de 2007. Mais continuer dans ce sens n’aboutirait-il pas à scinder les Etats et à ouvrir la voie à une multiplication de demandes de droits spécifiques de la part des différents groupes qui constituent chaque Etat (par région d’origine, par religions, etc.) ? L’enjeu pour la communauté internationale est certes d’être attentive à ce que soient respectés les droits des peuples autochtones, notamment de veiller à ce que leurs terres ne leur soient pas confisquées, tout en s’assurant de ne pas permettre des régressions en faisant primer par exemple les coutumes traditionnelles avant les droits universels de l’homme, ou en encourageant les autochtones à se replier sur leur communauté, ce qui pourrait favoriser les communautarismes et donc les tensions entre groupes au sein des Etats. Ne faudrait-il pas s’attacher, plutôt que de donner des droits spécifiques aux autochtones, de donner à tous les citoyens, autochtones inclus, des droits politiques, économiques, sociaux et culturels élargis ? Une véritable démocratie sociale pour tous, et non pas des droits à la carte selon le groupe d’appartenance ? Chloé MAUREL, IRIS, octobre 2015

https://www.iris-france.org/63778-peuples-autochtones-les-rendre-autonomes-ou-mieux-les-integrer-aux-nations/

UNIT 9

“For the Sake of the People and the Land” THÉMATIQUE 2 : ENVIRONNEMENTS EN MUTATION AXE D’ÉTUDE 1 : FRONTIÈRE ET ESPACE

Overtourism

Géopolitique du tourisme

https://www.youtube-nocookie.com/embed/sea5oBda3Ns

Minutage : 0:00-25:12

SOURCE : interview de Jean Pascal RIAL par Pascal BONIFACE, Comprendre le Monde, mai 2019

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UNIT 10 “Climate is changing our habits” THÉMATIQUE 2 : ENVIRONNEMENTS EN MUTATION AXE D’ÉTUDE 2 : DE LA PROTECTION DE LA NATURE A LA TRANSITION ECOLOGIQUE

Lend a hand to the land

Action climatique : quelles dynamiques pour quels effets ? Le réchauffement climatique et ses enjeux ne cessent de gagner en importance dans le débat international en raison de leur impact sur les États et leur économie. Les initiatives en lien avec cette thématique se multiplient : sommets interétatiques, évènements impliquant États et société civile, recours judiciaires à l’encontre de certains pays – à l’image de l’« Affaire du Siècle » en France. Pour quels effets ? Le point avec Sofia Kabbej, chercheuse à l’IRIS, au sein du Pôle Climat, énergie, sécurité.

Quelle est la dynamique actuelle des négociations climatiques internationales ? Que devons-nous attendre de la COP26 ? Depuis 2015, les négociations climatiques se sont concentrées sur l’élaboration des règles nécessaires à la mise en œuvre transparente et équitable de l’Accord de Paris (AP). Cela s’est traduit par l’adoption en 2018 du Paquet de Katowice (Katowice rulebook), qui énonce les procédures et mécanismes essentiels à son opérationnalisation. Y sont notamment énoncées les directives relatives aux contributions déterminées à l’échelle nationale (CDN), la communication sur les efforts d’adaptation, les règles de fonctionnement du cadre de transparence et du bilan mondial[1], ainsi que le processus d’établissement de nouveaux objectifs en matière de financement à partir de 2025. La COP26 constitue un moment politique très important dans la mesure où il est demandé aux États signataires de l’AP de rehausser leur

niveau d’ambition en soumettant de nouveaux objectifs de réductions des émissions de gaz à effet de serre (GES)- ceux soumis en 2015 étaient largement insuffisants pour atteindre l’objectif de 2°C fixé par l’AP. On observe depuis quelques mois une dynamique encourageante avec les engagements de neutralité carbone de nombreux pays, dont la Chine, le Royaume-Uni et l’Union européenne (UE), mais aussi d’acteurs privés dont Total, Danone, Microsoft ou Amazon. Dans les prochaines années, une question centrale sera celle de la mise en œuvre des objectifs à moyen et long-terme– alors même que la communauté scientifique alerte sur la dépendance des scénarios climatiques et des acteurs s’engageant vers la neutralité carbone au déploiement de technologies à émissions négatives, très controversées.[2] Le retour des États-Unis dans les négociations devrait s’accompagner d’engagements plus ambitieux qu’ils ne l’étaient jusqu’alors. Ce retour d’un des plus gros pollueurs au sein de

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l’AP est pour autant à nuancer quant à la dynamique positive que cela pourrait engendrer. Il faut en effet rappeler que les États-Unis n’ont jamais été moteurs des négociations climatiques – ils avaient notamment pris la tête du groupe de pays plaidant pour que l’Accord de Paris ne contienne aucune obligation pour les États signataires. D’autre part, le financement vers les pays les plus pauvres doit considérablement augmenter afin d’atteindre les 100 milliards de dollars US par an – et de permettre aux pays les plus pauvres, et également les plus affectés, de s’adapter. Que représente réellement l’Affaire du Siècle ? Y aura-t-il un réel impact sur l’action climatique de la France ? Le recours au droit afin de faire pression sur les États pour les contraindre à accélérer leurs actions face au changement climatique augmente depuis quelques années. En 2019, on comptabilisait 1 000 procès à l’encontre de gouvernements, dans 28 pays différents.[3] Cette même année en France, c’est l’Affaire du Siècle qui a marqué les esprits – notamment du fait des plus de 2 millions de signatures récoltées en soutien à cette action. Le recours déposé en mars 2019 devant le tribunal administratif de Paris afin d’engager la responsabilité de l’État en raison de sa carence fautive à agir pour le climat, a donné lieu à la tenue le 14 janvier dernier du premier grand procès climatique en France. Suite à l’audience, trois points principaux sont à souligner. Premièrement, la rapporteure publique estime que l’État a bien commis une faute, qui engage sa responsabilité, en ne prenant pas toutes les mesures nécessaires pour respecter ses engagements en matière d’atténuation. Deuxièmement, elle propose au tribunal de condamner l’État à verser aux ONG requérantes la somme de 1 euro symbolique pour la réparation du préjudice moral causé. Enfin, la rapporteure publique propose au tribunal de reconnaître l’existence d’un préjudice écologique devant les juridictions administratives, alors qu’il n’était jusqu’à présent retenu que devant les instances judiciaires.

Concernant la capacité de la justice à contraindre l’État à prendre des mesures supplémentaires pour aligner son action avec ses engagements dans le cadre de l’Accord de Paris, la rapporteure n’écarte pas une injonction à agir. Pour les quatre ONG porteuses de l’action (la Fondation Nicolas Hulot, Greenpeace, Notre Affaire à tous, et Oxfam), « si le tribunal suit les conclusions de la rapporteure publique, (…) ce serait une avancée historique du droit français et une victoire majeure pour le climat et pour la protection de chacun et chacune face aux conséquences du dérèglement climatique ».[4] La décision du tribunal devrait être rendue d’ici la fin du mois de janvier. Quels impacts l’augmentation de la température moyenne a sur l’occurrence de catastrophes naturelles ? Quelles sont les conséquences sur les inégalités et disparités entre pays ? Selon des modélisations, on estime l’augmentation de la température moyenne à un intervalle entre +0,9°C et +1,07°C depuis la révolution industrielle[5]. Ce réchauffement de la température autour du globe est la cause de nombreuses perturbations du système climatique, qui se traduisent notamment par l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des catastrophes naturelles (sécheresses, inondations, glissements de terrains, feux de forêt, cyclones, etc.). D’après un rapport récent du United nations Office for Disaster Risk Reduction[6], les catastrophes naturelles ont presque doublé au cours des vingt dernières années, touchant tous les continents. Entre 2000 et 2019, elles ont causé la mort de 1,2 million de personnes, et ont affecté un total de 4,03 milliards de personnes. Ces évènements ont tendance à toucher et tuer un nombre plus élevé de personnes dans les pays à faible revenu, mais y causent des pertes économiques moins importantes que dans les pays à revenu élevé. D’ici 2030, il est estimé que les catastrophes naturelles feront environ 150 millions de victimes et coûteront 20 milliards de dollars par an.[7]

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De manière générale, la hausse de la température moyenne est plus préjudiciable à la productivité économique dans les pays où le climat est le plus chaud, et cela continuera à exacerber les inégalités, notamment les écarts de revenu entre les pays.[8] Une étude récente[9] montre que l’éloignement des 1,5°C est plus coûteux que ce que l’on pensait

jusqu’alors : les pays tropicaux seraient ainsi 5% plus pauvres qu’ils ne l’auraient en l’absence de perturbations climatiques.[10] Sofia KABBEJ, IRIS, janvier 2021

[1] Le 1er est prévu pour 2023. [2] Sofia Kabbej, « Neutralité carbone : les dessous d’une jolie promesse ». Décembre 2020. Institut de relations internationales et stratégiques. [3] J.Setzer et R.Byrnes. « Global trends in climate change litigation,Grantham Research Institute on climate change and the environment ». 2019. p.3 [4] Greenpeace. « Audience de l’Affaire du Siècle au tribunal : un pas de plus vers une victoire historique pour le climat ». 14 janvier 2021. [5] Courrier international. « L’augmentation de la température moyenne de la Terre est plus importante qu’on ne le pensait ». Environnement. Science & Techno. 16 décembre 2020 [6] UN Office for Disaster Risk Reduction, Human cost of disasters: an overview of the last 20 years, octobre 2020. [7] ONU Info, « 150 millions de victimes des catastrophes par an d’ici 2030, selon un rapport de l’ONU », 13 octobre 2020. [8] Ibid. [9] Marshall Burke et Vincent Tanutama, “Climatic constraints on aggregate economic output”, National Bureau of economic research, Avril 2019. [10] Martin Anota, « Le réchauffement climatique pèse sur la croissance… surtout celle des pays pauvres », Alternatives économiques, 20 mai 2019. https://www.iris-france.org/153604-action-climatique-quelles-dynamiques-pour-quels-effets/

UNIT 13 “Balancing powers” THÉMATIQUE 3 : RELATION AU MONDE AXE D’ÉTUDE 3 : RIVALITÉS ET INTERDÉPENDANCES

Climate Refugees and the Migration Crisis

Géopolitique des migrations https://www.youtube-nocookie.com/embed/Tl5hZKRztyw Minutage : 0:00-26:36

SOURCE : Interview de Catherine WIHTOL DE WENDEN par Pascal BONIFACE, Comprendre le Monde, décembre, 2019

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Freezing Cold War

Chine, Russie, Etats-Unis : qui règnera sur l'Arctique ? https://www.lumni.fr/video/etats-unis-russie-une-nouvelle-guerre-froide Minutage : 0:00-03:40

SOURCE : Géopoliticus-France.tvéducation en partenariat avec l’IRIS, janvier 2021

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“Balancing powers” THÉMATIQUE 3 : RELATION AU MONDE AXE D’ÉTUDE 3 : RIVALITÉS ET INTERDÉPENDANCES

Chimerica: an Evolving Relationship

Expliquez-moi… Le piège de Thucydide ou le choc Chine/Etats-Unis https://www.youtube-nocookie.com/embed/0-wxZz-NXmM

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SOURCE : Pascal BONIFACE, Comprendre le Monde, décembre 2020

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“Balancing powers” THÉMATIQUE 3 : RELATION AU MONDE AXE D’ÉTUDE 3 : RIVALITÉS ET INTERDÉPENDANCES

Chimerica: an Evolving Relationship

La compétition Chine/États-Unis : jusqu’où et à quel prix ? Les tensions géopolitiques demeurent vives entre Washington et Pékin malgré le changement d’administration américaine. Et la pandémie de coronavirus n’a fait que renforcer la méfiance entre les deux puissances. Mais à quel prix ? Quel est leur jeu et leur stratégie notamment au niveau de la zone Asie-Pacifique ? Le point avec Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS.

En 2021, les tensions sont toujours très fortes entre Washington et Pékin. Dans quel type de rapport de force se trouvent-elles actuellement ? La compétition entre la Chine et les États-Unis n’est pas récente, elle s’impose même comme une constante depuis la fin de la Guerre froide. Mais s’il s’agit d’une constante dans son ensemble, on relève des évolutions très importantes dans la forme. Côté chinois, les leaderships de Jiang Zemin ou de Hu Jintao sont très différents de celui de Xi Jinping, d’abord parce que la Chine a considérablement évolué – et est montée en puissance – en trois décennies, ensuite parce que le président chinois actuel symbolise l’attitude plus

décomplexée de Pékin sur la scène internationale, et notamment dans le rapport de force avec Washington. Le temps où Deng Xiaoping se prêtait au jeu de la diplomatie des symboles en se couvrant d’un chapeau de cowboy (en 1979) est désormais bien révolu. Côté américain, les changements d’administration occasionnèrent également des différences de stratégie face à la Chine. Si on se limite à la dernière décennie, on voit ainsi que si la Chine s’impose comme une obsession chez les démocrates et les républicains, cette obsession est traitée différemment. Avec la stratégie du pivot, Barack Obama cherchait à renforcer le leadership américain en Asie, mis à mal par la montée en puissance chinoise. Mais tant le volet économique (le partenariat trans-

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pacifique, ou TPP, mal négocié) que le volet stratégique (des accords bilatéraux disparates avec des pays asiatiques, sans ligne directrice) furent peu couronnés de succès. Donald Trump balaya même l’héritage de son prédécesseur, en enterrant le TPP dès sa prise de fonction, et abandonna le principe d’un redéploiement stratégique, qui fut même mis à mal avec les critiques sur le partage du fardeau exprimées à l’encontre des alliés japonais et sud-coréen. Trump axa sa politique chinoise sur les « guerres commerciales », au risque d’ignorer les autres sujets de désaccord. Joe Biden semble de son côté décidé à étendre le domaine de la lutte avec Pékin, en gardant le cap sur les négociations commerciales, et en y ajoutant le volet stratégique (les tensions autour de Taïwan et le soutien de Washington à Taipei en sont les principales caractéristiques, mais les différends en mer de Chine méridionale figurent aussi au menu), et surtout de vives critiques du régime chinois sur le sort des minorités (Ouïghours surtout) et les droits de l’homme (Hong Kong en tête). La rencontre d’Anchorage en mars dernier, entre Antony Blinken d’un côté, Wang Yi et Yang Jiechi de l’autre, illustre ce rapport de force plus tendu que sous les administrations précédentes. Le QUAD, alliance rassemblant États-Unis, Australie, Japon et Inde, a mis en place depuis quelques mois une stratégie dans l’espace indo-pacifique face à la puissance chinoise. Comment est-il perçu par cette dernière ? Il convient d’abord de noter que sur le QUAD, comme d’ailleurs l’Indo-pacifique, c’est surtout le Japon d’Abe Shinzo (Premier ministre de 2012 à 2020) qui a joué un rôle central, le leadership américain étant plus effacé. Bien sûr, la Chine prend très au sérieux ces initiatives, comme tout ce qui est perçu comme dirigé contre elle. Elle s’inquiète aussi de voir le QUAD s’élargir à de nouveaux membres et constituer une sorte de front anti-chinois dans la région. Les hostilités à Pékin et à l’hégémon chinois qui se met en place sont nombreuses, et les dirigeants chinois le savent, aussi la

méfiance est de mise. L’Indo-pacifique ne peut non plus laisser indifférent, d’autant qu’il est désormais partagé par un nombre grandissant de pays, dont la France. La route vers un hégémon chinois en Asie n’est pas un long fleuve tranquille. Il faut cependant faire la distinction entre la convergence d’intérêts qui se dégage de ces initiatives, et la convergence de valeurs qui fait défaut. D’abord, les membres du QUAD sont très déséquilibrés dans leurs moyens comme dans leurs ambitions, et s’ils se rejoignent sur leur inquiétude à l’égard de la Chine, ils se montrent par ailleurs très pragmatiques. Le Japon et l’Australie ont ainsi signé la création du RCEP (aux côtés de la Chine, mais aussi la Nouvelle-Zélande, la Corée du Sud et l’ASEAN) le 15 novembre dernier, posant les jalons du plus grand accord de libre-échange au monde sans que les États-Unis y soient impliqués, et sans l’Inde qui a refusé de s’y joindre. Cette dernière a cependant rejoint il y a quelques années l’Organisation de coopération de Shanghaï. Les rééquilibrages en Asie-Pacifique ne répondent pas tant à une logique de bipolarité (n’en déplaise au Pentagone) qu’à des intérêts nationaux et un très grand pragmatisme dans la manière de traiter avec la Chine. La nouvelle administration de Joe Biden apporte-t-elle de la crédibilité aux États-Unis sur le continent asiatique ? La stratégie de stigmatisation américaine réussit-elle à affaiblir la Chine sur la scène régionale et internationale ? La crédibilité se gagne, elle ne se décrète pas. Elle se gagne dans la durée, en particulier en développant une relation de confiance. Et elle se gagne en faisant la démonstration qu’elle peut être plus profitable que la concurrence. En clair, si Washington veut voir sa crédibilité renforcée en Asie-Pacifique, il va falloir convaincre les partenaires que les gains à coopérer avec les États-Unis seront plus importants qu’avec la Chine. Or, l’immense majorité des pays de la région a Pékin comme principal partenaire commercial, bénéficie de

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projets d’investissements chinois, et s’arrime à une dynamique régionale dont la Chine est aujourd’hui l’une des locomotives. Face à cela, les États-Unis restent un partenaire apprécié, mais pas une alternative. Au niveau politico-stratégique, les États-Unis conservent dans de nombreux pays asiatiques un capital sympathie qui fait souvent défaut à la Chine. Mais sympathie n’est pas crédibilité, et cette situation se traduit par une utilisation de la relation avec Washington par des pays asiatiques pour disposer de leviers dans leur relation avec Pékin. Le principal risque qui se

pose à l’administration Biden, au-delà d’un déficit de crédibilité que les atermoiements de ses prédécesseurs (et cette tendance fâcheuse à décortiquer quasiment tout ce que l’administration précédente a mis en place) ont considérablement renforcé, est de servir de faire-valoir aux pays asiatiques dans les agendas politiques qui leur sont propres, et ainsi de ne plus être en mesure de mettre en avant des objectifs stratégiques et économiques pensés à Washington.

Barthélémy COURMONT, IRIS, mai 2021

https://www.iris-france.org/157688-la-competition-chine-etats-unis-jusquou-et-a-quel-prix/

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“Balancing powers” THÉMATIQUE 3 : RELATION AU MONDE AXE D’ÉTUDE 3 : RIVALITÉS ET INTERDÉPENDANCES

Chimerica: an Evolving Relationship

Interdire Huawei : symbole de la rivalité sino-américaine Le 15 mai 2019, Donald Trump a décidé d’interdire aux entreprises de télécommunications américaines d’installer des équipements fabriqués à l’étranger qui pourraient constituer une menace pour la sécurité nationale. Cette déclaration, qui vise le leader chinois de la 5G, Huawei, est une nouvelle étape dans la montée des tensions entre les États-Unis et la Chine, où le facteur technologique tient une place majeure, synonyme de suprématie ou de sujétion sur la scène internationale. L’offensive américaine Si l’Executive order signé par Donald Trump ne pointe aucun pays en particulier, tous les regards se tournent naturellement vers la Chine et Huawei. La rivalité s’accentue entre les deux pays : les négociations commerciales ont échoué, si bien que l’administration Trump a annoncé une nouvelle augmentation de 25 % des droits de douane sur les 200 milliards de dollars d’importations annuelles de produits chinois. De plus, depuis plusieurs mois, la communauté du renseignement américaine

mène une campagne médiatique offensive contre les ingérences supposées de la Chine aux États-Unis, et notamment des opérations d’espionnage technologique de grande ampleur dont Pékin et ses grandes entreprises technologiques – Huawei au premier chef – sont accusés. Pour les agences de renseignement américaines, les entreprises chinoises seraient en mesure de prendre le contrôle des réseaux de télécommunications, c’est-à-dire d’intercepter les communications et de les rediriger secrètement vers la Chine. Elles craignent également que les autorités chinoises ordonnent tôt ou tard à Huawei de tout simplement couper ces réseaux en cas de conflit, ce qui pourrait produire des effets dévastateurs sur certaines infrastructures critiques comme les barrages hydroélectriques, les réseaux de téléphonie mobile, ou encore les réseaux de distribution de gaz. Le cas Huawei est tellement pris au sérieux que la diplomatie américaine, sous la direction de Mike Pompeo, n’a cessé de menacer les pays alliés d’interrompre le partage de

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renseignements s’ils choisissaient Huawei ou d’autres entreprises chinoises pour bâtir le cœur de leurs réseaux de cinquième génération (5G). Le résultat est plutôt mitigé puisque, si l’Australie, la Nouvelle-Zélande ou encore le Japon ont suivi les préconisations américaines, les Britanniques et les Allemands se sont montrés beaucoup plus circonspects. Le Royaume-Uni, pourtant membre des « Five Eyes », ce réseau de partage de renseignements entre pays très proches des États-Unis (Royaume-Uni, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande), a décidé d’autoriser Huawei à déployer ses équipements de 5G sur son territoire, comme l’Allemagne, souvent qualifiée de « Sixth Eye ». Un signe de faiblesse ? Derrière le paravent de la sécurité nationale se cachent néanmoins de vraies inquiétudes côté américain. La concurrence technologique que se livrent ces deux pays jette le trouble outre-Atlantique, où la science et l’innovation ont fondé la prééminence américaine dans les relations internationales depuis la Seconde Guerre mondiale. Pour lors, les États-Unis et leurs firmes numériques continuent de concentrer les principales innovations technologiques, dans le domaine de la 5G, du cloud computing, de l’Internet des Objets (IoT), ou encore de l’intelligence artificielle. L’industrie américaine des semiconducteurs (Intel, Nvidia, AMD, Qualcomm, S3 Graphics) domine le marché mondial (46 % des ventes), ce qui offre un avantage de poids au secteur national des technologies de l’information. Les États-Unis possèdent également le plus grand nombre de data centers (1763), loin devant la Chine (78). Et le chiffre d’affaires cumulé des GAFAM en 2017 s’élevait à 648,7 milliards de dollars, contre 164,9 milliards pour les BATHX. Cependant, la Chine gagne du terrain. Elle est aujourd’hui le pays disposant du plus grand nombre de superordinateurs (227) : 45 %

d’entre eux y sont localisés, contre 21,8 % aux États-Unis. En 2016, le Sunway TihuLight chinois, développé par le National Research Center of Parallel Computer Engineering & Technology (NRCPC), est devenu le superordinateur le plus puissant au monde, avant d’être détrôné deux ans plus tard par le Summit d’IBM. Pour la première fois, la Chine développait un superordinateur conçu uniquement avec des processeurs chinois, les États-Unis ayant interdit à Intel d’exporter ses processeurs vers la Chine pour des raisons de sécurité nationale. Par ailleurs, la Chine domine la production mondiale de métaux rares : elle produit 67 % du germanium (utilisé pour les panneaux solaires, la fibre optique ou l’électronique), 55 % du vanadium (industrie aérospatiale) et 95 % des terres rares (utiles à la production d’énergies renouvelables, de technologies de l’information, de systèmes de défense antimissile, dans l’aérospatiale et, de façon générale, dans l’ensemble des technologies duales). Grâce à sa politique de quotas, de contrôle des exportations, de monopolisation de l’exploitation des ressources, mais aussi grâce à son immense marché de plus de 800 millions d’internautes, la Chine est parvenue à tenir nombre d’entreprises de haute-technologie dans sa dépendance, en subordonnant tacitement l’accès à ses métaux rares (et notamment à ses terres rares) au transfert de leurs technologies. De façon plus symbolique encore, entre 2016 et 2017, le gouvernement chinois a placé le développement de l’intelligence artificielle au rang de priorité majeure. En juillet 2017, le Conseil des affaires de l’État chinois dévoilait le « Plan de développement de la prochaine génération d’intelligence artificielle ». Dans le prolongement du plan « Made in China 2025 », il vise à ériger la Chine au rang de première puissance technologique d’ici 2030, et de première puissance globale à l’horizon 2049 (centenaire de la République populaire). La Chine s’appuie sur un modèle de

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développement dit de « fusion civilo-militaire », théorisé par Xi Jinping lui-même, dont le but est d’édifier un complexe techno-partidaire dans lequel le Parti communiste, l’Armée populaire de libération et les firmes numériques joignent leurs efforts pour asseoir la puissance numérique chinoise. Il n’est d’ailleurs pas anodin que le premier à avoir envisagé publiquement une telle collaboration pour le développement de l’IA (sous le nom de « China Brain Plan ») soit Robin Li, le PDG de Baidu, en 2010. Pour conclure Le décret de Donald Trump révèle un élément essentiel : la crainte de perdre le leadership technologique qui a permis aux États-Unis, jusqu’à aujourd’hui, d’imposer leur prépondérance sur la plupart des régions du globe. Alors qu’il était secrétaire à la Défense, James Mattis a plusieurs fois déclaré que la montée en puissance technologique de la Russie et, surtout, de la Chine, constituait une menace pour la sécurité nationale. Il n’a pas même hésité à affirmer que l’ « avantage concurrentiel » des États-Unis s’était « érodé dans tous les domaines de la guerre », et n’excluait pas une défaite face à la Chine en cas de guerre conventionnelle. Le gouvernement américain prend conscience, en outre, que la stratégie chinoise de développement techno-militaire, fermement encadrée par le PCC, pourrait être plus efficace que sa propre stratégie néolibérale. Ces deux modèles peuvent simplement se résumer ainsi : le modèle américain forme un ensemble hétérogène de mécanismes incitatifs en direction des firmes technologiques (allègements fiscaux, subventions directes, contrats lucratifs), conçus pour les encourager à partager leurs innovations avec le

gouvernement et, tout spécialement, le Pentagone : la Third Offset Strategy en est l’illustration. Le modèle chinois, quant à lui, est paradoxalement celui qui encadrait naguère le développement techno-militaire américain : l’État et le PCC énoncent les grandes orientations stratégiques que les firmes numériques doivent mettre en application – le plan IA en est la manifestation typique. Cette reprise de l’ancien modèle américain, qui a remarquablement porté ses fruits par le passé, est sans doute l’une des principales raisons des inquiétudes américaines actuelles. En dernière analyse, la stratégie américaine est fondée sur la croyance en la capacité et la volonté du secteur privé à prendre en charge la destinée stratégique de l’État. Encore faut-il que les intérêts du secteur privé, ou plus simplement des « GAFAM », soient solubles dans ceux du gouvernement. En plein conflit économique sino-américain, ces entreprises continuent de transférer leurs compétences en Chine. Exemple emblématique, en décembre 2017, après sept années d’exil, et tandis que la rivalité techno-militaire entre les deux pays se cristallise autour de cette technologie, Google met en scène son retour à Pékin avec l’ouverture d’un centre de recherche et de formation en intelligence artificielle destiné à la communauté des ingénieurs chinois. Amazon, Facebook, Apple et Microsoft ne sont pas en reste, et rivalisent de séduction auprès de la Chine, les uns (Amazon et Microsoft) suivant l’exemple de Google en annonçant l’ouverture de centres de R&D, les autres (Apple et Facebook) se pliant aux règles de la censure. Or, des choix stratégiques de ces firmes dépendront sans doute le maintien ou la fin de la supériorité technologique américaine.

Charles THIBOUT, IRIS, mai 2019

https://www.iris-france.org/137192-interdire-huawei-symbole-de-la-rivalite-sino-americaine/