57
INFOPOINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET I.P.P. ABUS, RISQUES ET OPPORTUNITES Luc HERVE, Avocat au Barreau de Liège, Cabinet d'avocats Herve, (avenue du Luxembourg, 25 à 4020 Liège, Tél : 04/343.53.33 – [email protected]), Maître de Conférences à l'Université de Liège (Tax Institute), Collaborateur scientifique à l'ULG et à HEC-ULG, Professeur à l'Ecole Supérieure de Comptabilité de Liège (CBCEC Liège), Assesseur juridique suppléant à la Chambre Exécutive francophone de l'IPCF Verlaine, le 23 octobre 2015

INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

INFOPOINTCOM ASBL

COMPTE COURANT ET I.P.P.

ABUS, RISQUES ET OPPORTUNITES

Luc HERVE,

Avocat au Barreau de Liège, Cabinet d'avocats Herve, (avenue du Luxembourg, 25 à 4020 Liège, Tél : 04/343.53.33 – [email protected]),

Maître de Conférences à l'Université de Liège (Tax Institute), Collaborateur scientifique à l'ULG et à HEC-ULG,

Professeur à l'Ecole Supérieure de Comptabilité de Liège (CBCEC Liège), Assesseur juridique suppléant à la Chambre Exécutive francophone de l'IPCF

Verlaine, le 23 octobre 2015

Page 2: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 2

COMPTE COURANT ET I.P.P. : ABUS, RISQUES ET OPPORTUNITÉS

Luc HERVE,

Avocat au Barreau de Liège, Cabinet d'avocats Herve, (avenue du Luxembourg, 25 à 4020 Liège – tél : 04/343.53.33 – mail: [email protected])

Maître de Conférences à l'Université de Liège (Tax Institute), Collaborateur scientifique à l'ULG et à HEC-ULG,

Professeur à l'Ecole Supérieure de Comptabilité de Liège (C.B.C.E.C. Liège), Assesseur juridique suppléant à la Chambre Exécutive Francophone de l'I.P.C.F.

INTRODUCTION Un actionnaire, associé ou dirigeant peut être, tantôt créancier, tantôt débiteur d'une société, cette créance ou cette dette s'inscrivant dans un "compte courant". Dans la pratique comptable, cette expression désigne, en règle générale, un compte sans stipulation de terme qui est ouvert, la plupart du temps sans convention préalable, au nom de l'une de ces personnes qui peut opérer sur ce compte des prélèvements (débits) ou des versements (crédits) - le cas échéant, par compensation -, avec ou sans préavis. Dans une première partie, nous examinerons la question de la requalification des intérêts des avances en dividendes. Dans une seconde partie, nous étudierons trois situations particulières propres à l'impôt des personnes physiques dans lesquelles l'actionnaire, l'associé ou le dirigeant est titulaire d'un compte courant créditeur. Il s'agit de la notion d'"attribution", la prise en charge des pertes de sa société par un dirigeant et la taxation indiciaire. Dans une troisième partie, nous évoquerons trois hypothèses spécifiques également propres à l'impôt des personnes physiques dans lesquelles l'actionnaire, l'associé ou le dirigeant est titulaire d'un compte courant débiteur. Il s'agit des intérêts fictifs débiteurs, de l'abandon par la société d'un compte courant débiteur et de la compensation entre intérêts créditeurs et intérêts débiteurs. La présente contribution est enrichie de nombreuses références doctrinales et jurisprudentielles.

Page 3: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 3

Le plan de notre exposé sera le suivant :

Titres N° § PARTIE I : REQUALIFICATION DES INTERETS DES AVANCES EN DIVIDENDES (ART. 18, AL.1, 4° DU CIR/92) A. Introduction B. Conditions d'application de la requalification et charge de la

preuve B.1. Existence d'une "avance" B.2. Bénéficiaire de l'avance B.3. Auteur de l'avance B.4. Limites C. Avance comptabilisée en compte courant: position du problème D. Avance comptabilisée en compte courant: évolution de la

jurisprudence D.1. Cour de cassation D.2. Juridictions de fond D.3. Conséquences pratiques – Recommandations E. Article 18, alinéa 1, 4° du CIR/92 et disposition anti-abus E.1. Article 344, § 1 du CIR/92 dans sa version ancienne E.2. Article 344, § 1 du CIR/92 dans sa nouvelle version E.2.1. Inopposabilité de l'acte, et non de la qualification E.2.2. Quand se trouve-t-on en présence d'un "abus fiscal" ? E.2.3. Preuve contraire à rapporter par le contribuable E.2.4. La notion d'abus fiscal est distincte et exclusive de celle de fraude fiscale E.2.5. Interaction de l'article 344, § 1 du CIR/92 et de l'article 18, alinéa 1,

4° du CIR/92 PARTIE II : COMPTE COURANT CREDITEUR DANS LE CHEF DE L'ASSOCIE OU DU DIRIGEANT A. La notion d'"attribution" A.1. Introduction A.2. Quand l'inscription d'un revenu au crédit du compte courant est-elle constitutive d'une "attribution" taxable ? A.3. Quand l'inscription d'un prix au crédit du compte courant est-elle constitutive d'une "attribution" taxable ? B. Prise en charge des pertes de sa société par un dirigeant B.1. Introduction B.2. Conditions de déductibilité B.2.1. La prise en charge doit être faite par un "dirigeant d'entreprise" au

sens technique du terme dans une société, résidente ou non

1 1 3 4 5 6 7 9

12 12 13 14

15 15 16 17 18 19 20

21

22

22 22 23

25

26 26 27 28

Page 4: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 4

B.2.2. La prise en charge doit se faire par le paiement irrévocable et sans condition d'une somme, réalisant un appauvrissement réel et définitif et un décaissement effectif

B.2.3. La prise en charge doit être faite en vue de sauvegarder les revenus que le dirigeant retire périodiquement de la société elle-même (et non d'une entreprise liée)

B.2.4. La somme payée doit être affectée, par la société elle- même, à l'apurement de ses pertes professionnelles

B.3. Moment de la déductibilité B.4.Déduction d'une perte en compte courant en raison de l'irrecouvrabilité

de la créance C. Taxation indiciaire C.1. Introduction C.2.L'augmentation du solde créditeur d'un compte courant constitue-t-elle un indice ? C.3. Preuve contraire à rapporter par le contribuable PARTIE III : COMPTE COURANT DEBITEUR DANS LE CHEF DE L'ASSOCIÉ OU DU DIRIGEANT A. Les intérêts fictifs débiteurs A.1. Introduction A.2. Détermination de l'avantage de toute nature lié aux intérêts fictifs A.3. Intérêts fictif et cotisation spéciale sur commissions secrètes B. L'abandon par la société d'un compte courant débiteur B.1. Introduction B.2. Illustrations C. La compensation entre intérêts créditeurs et intérêts débiteurs C.1. Introduction C.2. Illustrations

29

30

31

33 34

35 35 37

38

39

39 39 40 41

43 43 44

45 45 46

Page 5: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 5

PARTIE I. REQUALIFICATION DES INTERETS DES AVANCES EN

DIVIDENDES (ARTICLE 18, ALINEA 1, 4° DU CIR/92) A. Introduction 1.- L'article 15, alinéa 2, 2° du C.I.R. 1964 prévoyait que devaient être requalifiés en dividendes "les intérêts des avances faites aux sociétés de personnes par les associés ou leur conjoint, ainsi que par leurs enfants, lorsque les associés ou leur conjoint ont la jouissance légale des revenus de ceux-ci…". Le domaine d'application de cette requalification était ainsi limité aux seules sociétés de personnes. La loi du 28 juillet 1992 "portant des dispositions fiscales et financières"1 a étendu cette disposition aux sociétés de capitaux. Les intérêts des avances payés ou attribués à compter du 27 mars 19922 par une société, de capitaux ou de personnes, sont requalifiés en dividendes, sous certaines conditions et dans certaines limites. Dans le chef de la société qui paie les intérêts, ceux-ci font alors partie du résultat imposable, puisqu'ils sont fiscalement assimilés à des dividendes3. Le régime établi par la loi du 28 juillet 1992 créait toutefois une différence nette entre les sociétés de capitaux et les sociétés de personnes. Dans les sociétés de capitaux, seules étaient prises en considération au titre d'avances, les créances4, représentées ou non par des titres, détenues par un administrateur sur cette société, ainsi que toute créance détenue par son conjoint ou ses enfants sur cette société, lorsque l'administrateur ou le conjoint a la jouissance légale des revenus de ceux-ci. Suivant une interprétation stricte du texte légal, les intérêts des avances consenties par les actionnaires d'une société de capitaux n'ayant pas la qualité d'administrateur ou par des personnes exerçant un autre mandat (par exemple, les liquidateurs) n'étaient pas soumis à la requalification. Le ministre des Finances avait toutefois défendu une interprétation extensive de cette disposition5.

1 Publiée au Mon.B. du 31 juillet 1992, p. 17.213. Cf. notamment le commentaire de Ph. MALHERBE,

"Intérêts d'avances et loyers perçu par des administrateurs ou associés depuis la loi du 28 juillet 1992", J.D.F., 1993, p. 11.

2 Cf. article 47, § 6 de la loi du 28 juillet 1992.

3 Cf. article 185 du CIR/92 et article 74, alinéa 2, 3° de l'arrêté royal d'exécution du CIR/ 92.

4 A l'époque déjà, il existait trois exceptions en fonction de la nature de la créance : 1) les obligations et autres titres analogues émis par appel public à l'épargne (par exemple, les certificats immobiliers); 2) les prêts d'argent à des sociétés coopératives qui sont agréées par le Conseil national de la Coopération; 3) les prêts d'argent consentis par des sociétés visées à l'article 179 du CIR/92 (il s'agit des sociétés taxables à l'impôt des sociétés). Ces exceptions ont été maintenues par l'arrêté royal du 20 décembre 1996, même si leur formulation a été quelque peu modifiée (cf. infra).

5 Cf. Quest. Parl. n°307 de Mr. de CLIPPELE, 30 novembre 1992, Bull. Quest. Rép., Ch. Rep., sess. ord., 1992-1993, p.3457, Bull. Cont. Dir., 726. Ainsi, le ministre des Finances avait-il soutenu que le terme "administrateurs" visait non seulement les personnes qui exerçaient un mandat d'administrateur formel, mais également celles qui étaient investies de la fonction de liquidateur ou d'une fonction analogue à celle d'administrateur ou de liquidateur.

Page 6: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 6

Dans les sociétés de personnes, seules étaient visées les créances, représentées ou non par des titres, détenues par un associé sur la société, ainsi que toute créance détenue par son conjoint ou ses enfants sur cette société, lorsque l'associé ou le conjoint a la jouissance légale des revenus de ceux-ci6. Il s'ensuit que les intérêts des avances consenties par les gérants, non associés, n'étaient pas susceptibles de requalification en dividendes. Comme le révèle le Rapport au Roi précédant l’arrêté royal de pouvoirs spéciaux du 20 décembre 19967, le Gouvernement a voulu "uniformiser le régime fiscal des avances consenties à des sociétés de capitaux, d'une part, et à des sociétés de personnes, d'autre part, de telle sorte que la distinction entre ces deux types de sociétés peut être supprimée", et également "lutter contre la sous-capitalisation des sociétés"8. Ce dernier objectif est actuellement au centre des préoccupations des autorités européennes9. 2.- L'article 18, alinéa 1, 4° du CIR/9210 stipule désormais que "les dividendes comprennent (…) les intérêts des avances lorsqu'une des limites suivantes est dépassée et dans la mesure de ce dépassement : - soit la limite fixée à l'article 55, - soit lorsque le montant total des avances productives d'intérêts excède les sommes des réserves taxées au début de la période imposable et du capital libéré à la fin de cette période." L'article 18, alinéa 2 du CIR/92, tel qu'il a été modifié par l'article 3 du 20 décembre 1996, énonce qu'en ce qui concerne les revenus attribués ou mis en paiement à partir du 1er janvier 1997, est "considéré comme avance, tout prêt d'argent, représenté ou non par des titres, consenti par une personne physique à une société dont elle possède des actions ou parts ou par une personne à une société dans laquelle elle exerce un mandat ou des fonctions visées à l'article 32, alinéa 1er, 1°, ainsi que tout prêt d'argent consenti le cas échéant par leur conjoint ou leurs enfants à cette société, lorsque ces personnes ou leur conjoint ont la jouissance légale des revenus de ceux-ci, à l'exception :

1° des obligations et autres titres analogues émis par appel public à l'épargne;

6 On retrouvait les trois mêmes exceptions que pour les administrateurs dans les sociétés de capitaux,

lesquelles étaient fonction de la nature particulière de la créance. 7 Cf. arrêté royal du 20 décembre 1996 "portant des mesures fiscales diverses en application des articles 2,

§ 1er et 3, § 1er, 2° et 3° de la loi du 26 juillet 1996 "visant à réaliser les conditions budgétaires de la participation de la Belgique à l'Union économique et monétaire européenne", Mon. B., 31 décembre 1996, 4ème éd., p. 32.635.

8 Ce nouveau régime a été rendu applicable aux revenus attribués ou mis en paiement à compter du 1er janvier 1997 – cf. article 49, alinéa 2 de l'arrêté royal du 20 décembre 1996.

9 Cf. Résolution du Conseil du 8 juin 2010 "sur la coordination des règles relatives aux sociétés étrangères

contrôlées (SEC) et à la sous-capitalisation au sein de l'Union européenne", 2010/C, 156/01. 10 L'article 18, alinéa 1, 3° est devenu l'article 18, alinéa 1, 4° du CIR/92 en vertu de l'article 44 de la loi du

10 mars 1999 "modifiant la loi du 6 avril 1995 relative aux marchés secondaires, au statut des entreprises d'investissement et à leur contrôle, aux intermédiaires et conseillers en placement, fixant le régime fiscal des opérations de prêt d'actions et portant diverses autres dispositions", publiée au Mon.B., 14 avril 1999, 2ème éd., p. 12.229.

Page 7: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 7

2° des prêts d'argent à des sociétés coopératives qui sont agréées par le Conseil national de la

Coopération; 3° des prêts d'argent consentis par des sociétés visées à l'article 179" 11-12.

Sont donc visés les intérêts des avances, représentées ou non par des titres, consenties par une personne physique possédant des actions ou parts de la société, ou par une personne y exerçant un mandat d'administrateur, de gérant, de liquidateur ou des fonctions analogues, au sens de l'article 32, alinéa 1er, 1°du CIR/9213-14. Au contraire, la seconde sous-catégorie des dirigeants d'entreprise15 n'est pas concernée, sauf si le dirigeant est également actionnaire de la société. Dans le chef de la société bénéficiaire de l'avance, les intérêts requalifiés en dividendes ne sont pas déductibles au titre des frais professionnels et ils sont donc inclus dans la base taxable à l'impôt des sociétés, en vertu de l'article 185, § 1 du CIR/92, au titre des "dividendes distribués".

11 Cf. L.HERVE, "La nouvelle catégorie des rémunérations des dirigeants d'entreprise introduite par l'arrêté

royal du 20 décembre 1996 : portée et implications", C&FP, n°97/7, pp.17-33, spécialement pp.30-33; J-P. MAGREMANNE, "Requalifications des intérêts en dividendes et des revenus immobiliers en rémunérations de dirigeants d'entreprise", R.G.F., 1997/2, p. 35; P. BELLEN, "Les dirigeants d'entreprise depuis l'arrêté royal du 20 décembre 1996", R.G.F., 1998, p. 152.

12 En ce qui concerne la dernière exception relative aux sociétés résidentes, la Cour de justice de l'Union

européenne a été saisie par une question préjudicielle posée par le tribunal de première instance d'Anvers (jugement du 14 février 2007), dans une affaire où une société filiale belge avait alloué des intérêts à sa société mère néerlandaise exerçant en son sein un mandat d'administrateur. La Cour de justice a condamné la Belgique, en considérant qu'établir une distinction entre les intérêts versés par une société résidente à un administrateur qui est une société établie dans un autre Etat membre et ceux versés à une société qui est une autre société résidente est contraire à la liberté d'établissement (cf. C.J.C.E., 17 janvier 2008, Affaire, C-105/7, N.V. Lammers & Van Cleeff c. Belgique, F.J.F., 2008/4, p. 352, T.F.R., 2008, liv. 340, p. 435 et note D. DE GROOT; voy. également J. COUGNON, "Requalification d'intérêts versés à une société-administrateur non résidente : la Cour européenne de Justice a tranché", Act. Fisc., 2008/4, p. 1; A. PIERON, "Le principe de non-discrimination entre résidents et non-résidents : tendances de la Cour de justice de l'Union européenne et perspectives en droit fiscal belge", R.G.C.F., 2010/6, pp. 417 à 427.

13 On peut se demander dans quelle mesure la référence à la première sous-catégorie des dirigeants

d'entreprise était bien nécessaire dès lors qu'ils agissent nécessairement, en vertu du texte légal lui-même, en qualité de mandataires. Le fait de s'y référer expressément implique nécessairement que la seconde sous-catégorie n'est pas visée.

14 Le prêt "indirect", c'est-à-dire le prêt consenti par un tiers (par exemple, un organisme de crédit), avec la garantie du dirigeant, n'est pas visé.

15 En vertu de l'article 32, alinéa 1, 2° du CIR/92, est visée la personne physique "qui exerce au sein de la

société une fonction dirigeante ou une activité dirigeante de gestion journalière, d'ordre commercial, financier ou technique, en dehors d'un contrat de travail". Sur cette notion, cf. L.HERVE, "La nouvelle catégorie des rémunérations des dirigeants d'entreprise introduite par l'arrêté royal du 20 décembre 1996 : portée et implications", op. cit.

Page 8: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 8

La société bénéficiaire devra retenir le précompte mobilier applicable aux dividendes dont le taux est désormais uniformément fixé à 25 % à partir du 1er janvier 2013 (article 171, alinéa 1, 3° du CIR/92). Le précompte mobilier retenu à la source est à nouveau libératoire, comme par le passé. B. Conditions d'application de la requalification et charge de la preuve 3.- La requalification des intérêts en dividendes ne pourra s'opérer que dans les conditions suivantes (article 18, alinéa 1, 4° du CIR/92) : a) il faut qu'une avance ait été consentie; b) l'avance doit être consentie à une société établie en Belgique ou non; c) l'avance doit être consentie par une personne physique qui est soit un dirigeant

d'entreprise de la première sous-catégorie (c'est-à-dire exerçant un mandat d'administrateur, de gérant, de liquidateur ou des fonctions analogues), soit un actionnaire ou associé, soit le conjoint de cette personne, soit ses enfants lorsque cette personne ou son conjoint a la jouissance légale des revenus de ceux-ci;

d) la requalification en dividendes n'est opérée que si, et dans la mesure où, l'une des

limites suivantes est dépassée : - le taux d'intérêt appliqué est supérieur au taux pratiqué sur le marché compte tenu des

éléments particuliers propres à l'appréciation du risque lié à l'opération, et notamment, de la situation financière du débiteur et de la durée du prêt, au sens de l'article 55 du CIR/92;

- le montant total des avances productives d'intérêts excède la somme des réserves taxées au début de la période imposable et du capital libéré (en ce compris les primes d'émission, mais à l'exclusion des réserves incorporées) à la fin de cette période16.

La charge de la preuve de la réunion des conditions d'application précitées incombe à l'administration. En effet, "les intérêts des capitaux empruntés à des tiers et engagés dans l'exploitation" constituent en principe des frais professionnels, conformément à l'article 52, 2° du CIR/92. Nous examinons ci-après la portée de ces différentes conditions. B.1. Existence d'une "avance" 4.- L'avance doit être productive d'intérêts. Il importe peu que les intérêts ne soient calculés que sur une quotité de l'avance, la totalité de l'avance étant alors prise en considération17. Seule

16 Avant la modification introduite par l'arrêté royal du 20 décembre 1996, le montant du capital libéré était

également déterminé au début de la période imposable.

Page 9: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 9

l'avance non productive d'intérêts résultant d'un contrat distinct est exclue de la requalification18.

L'arrêté royal du 20 décembre 1996 a remplacé l'expression "créance détenue" par les termes "prêt d'argent consenti par". Le Gouvernement a entendu ne faire jouer la requalification que si l'avance trouve son origine dans un prêt (ce qui implique un rapport contractuel) et que si ce prêt porte sur de l'argent, qu'il soit représenté ou non par des titres. Il a aussi voulu éviter qu'un démembrement de la propriété (usufruit, nue-propriété) ne permette d’échapper à la requalification19. L'essentiel des controverses ont pour objet l'inscription d'une somme productive d'intérêts au crédit du compte courant d'un dirigeant d'entreprise ou d'un actionnaire ou associé20. Les développements qui suivent sont principalement consacrés à cette question. B.2. Bénéficiaire de l'avance 5.- Le bénéficiaire de l'avance doit être une société, établie en Belgique ou non. En vertu de l'article 2, § 1, 5° du CIR/92, on entend par société "toute société, association, établissement ou organisme quelconque régulièrement constitué qui possède la personnalité juridique et se livre à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif"21. Les A.S.B.L. et les autres personnes morales qui ne poursuivent pas un but lucratif pourraient ainsi être concernées, lorsqu'il apparaît que, dans les faits, elles réalisent à titre principal des opérations industrielles, commerciales ou agricoles ou ne mettant pas en œuvre des méthodes industrielles ou commerciales, de telle sorte qu'elles sont alors soumises à l'impôt des sociétés (article 182 du CIR/92) 22-23.

17 Cf. Bruxelles, 21 octobre 2004, F.J.F., 2005, p. 685. 18 Cf. Quest. Parl. Mr DALEM, 18 janvier 1994, Bull. Quest. Rép., 1994, n° 739, p. 1309. 19 Cf. Rapport au Roi, op.cit., p. 32.639 : le mot "consenti" est substitué à celui de "détenu", car "celui-ci

peut signifier que la requalification n'est applicable qu'aux titres dont on possède la pleine propriété. Selon cette interprétation, un démembrement de la propriété suffirait pour échapper à la requalification".

20 Cf. D. DESCHRIJVER, "Het begrip 'geldlening' in artikel 18, lid 2 WIB 92, de bekening-courant-overeenkomst, de overeenkomst van lening in de vorm van een rekening-courant en het Hof van cassatie", T.R.V., 2011, spéc. p. 536.

21 Selon cette disposition, "les organismes de droit belge possédant la personnalité juridique qui, pour l'application des impôts sur les revenus, sont censés être dénués de la personnalité juridique, ne sont pas considérés comme des sociétés.".

22 Cf. Quest. Parl., n° 2-69, 25 février 2003, Quest. Rép., Sénat, sess. ord., 2002-2003, p. 3854. Contra, P-F. COPPENS, "La fiscalité mobilière en questions", Cahiers de fiscalité pratique, n° 19, Larcier, Bruxelles, 2010, p. 125.

23 Cf. Civ. Mons, 21 janvier 2010, rôle n°08/3170/A, Fiscalnet.

Page 10: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 10

Selon cette disposition, "les organismes de droit belge possédant la personnalité juridique qui, pour l'application des impôts sur les revenus, sont censés dénués de la personnalité juridique, ne sont pas considérés comme des sociétés". Il s'ensuit que ne sont pas soumis à la requalification les organismes visés à l'article 29, § 2 du CIR/92 qui sont censés être des associations sans personnalité juridique : 1° les sociétés commerciales irrégulièrement constituées; 2° les sociétés agricoles qui n'ont pas opté pour l'assujettissement à l'impôt des sociétés; 3° les groupements européens d'intérêt économique; 4° les groupements d'intérêt économique; 5° les associations des copropriétaires qui possèdent la personnalité juridique en vertu de l'article 577-5, § 1er du Code civil. B.3. Auteur de l'avance 6.- L'avance doit être consentie par une personne physique – et non, une personne morale24- qui est soit un dirigeant d'entreprise de la première sous-catégorie (c'est-à-dire exerçant un mandat d'administrateur, de gérant, de liquidateur ou des fonctions analogues), soit un actionnaire ou associé, soit le conjoint de cette personne, soit ses enfants lorsque cette personne ou son conjoint a la jouissance légale des revenus de ceux-ci. L'article 18, alinéa 2, 3° du CIR/92 exclut expressément du champ d'application de la requalification les prêts d'argent consentis par des sociétés visées à l'article 179 du CIR/92, mais cela a valu à la Belgique d'être condamnée par la Cour de Justice de l'Union européenne, le traitement favorable réservé aux sociétés résidentes belges étant contraire à la liberté d'établissement25. Il n'est en principe pas requis que l'avance ait été consentie par une personne qui avait la qualité d'associé ou de dirigeant d'entreprise au moment du prêt. Pour que la requalification en dividendes puisse opérer, il faut que les intérêts soient payés au moment où le prêteur a cette qualité26. B.4. Limites 7.- La requalification en dividendes n'est opérée que si, et dans la mesure où, l'une des limites suivantes est dépassée : - le taux d'intérêt appliqué est supérieur au taux pratiqué sur le marché compte tenu des

éléments particuliers propres à l'appréciation du risque lié à l'opération, et notamment,

24 Cf. B. BAUMANN, "Le poids du facteur fiscal sur le choix du mode de rémunération des administrateurs

de société – un outil d'aide à la décision centré sur les risques fiscaux, à l'attention des Comités de rémunération des sociétés anonymes cotées ou non", R.G.F., 2007/7, p. 13.

25 Cf. supra, n° 2, note 13. 26 Cf. Cass., 4 janvier 1973, Pas., 1973, I, p. 435; Cass., 16 janvier 1964, Pas., 1964, I, p. 520. Les intérêts

sont des fruits civils qui sont "réputés s'acquérir jour par jour" (article 586 du Code civil).

Page 11: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 11

de la situation financière du débiteur et de la durée du prêt, au sens de l'article 55 du CIR/92;

- le montant total des avances productives d'intérêts excède la somme des réserves

taxées au début de la période imposable et du capital libéré (en ce compris les primes d'émission, mais à l'exclusion des réserves incorporées) à la fin de cette période.

a) Quant à la première limite relative au dépassement du taux du marché, l'Exposé des motifs précédant la loi du 28 juillet 1992 "portant des dispositions fiscales et financières"27 relate qu'il y a lieu de prendre en considération "le taux effectivement pratiqué sur le marché tout en permettant de prendre en compte la situation financière du débiteur, les garanties données, la durée, la nature et le montant du prêt. Le taux du marché ne s'applique qu'à des débiteurs de qualité et est évidemment majoré dès qu'augmente le risque d'insolvabilité de l'emprunteur" 28. Le Com.IR/9229, relatif à l'article 52 du CIR/92, fixe quelques critères généraux d'appréciation du "taux pratiqué sur le marché compte tenu des conditions dans lesquelles l'emprunt a été obtenu", tels que 1° la nature du crédit (prêt, dépôt, créance commerciale,…); 2° le montant et la durée du crédit; 3° le risque découlant de l'opération dans le chef du créancier et qui dépend, d'une part, du fait que les garanties fournies par le débiteur sont ou non disponibles (hypothèque, gage,…) et, d'autre part, de la solvabilité du débiteur (situation financière, degré de solvabilité, rapport entre capitaux propres et capitaux empruntés, dettes existantes,…). Quel est le taux du marché en ce qui concerne le compte courant créditeur d'un dirigeant d'entreprise ? La charge de la preuve incombe au contribuable. Il s'agit, selon nous, d'un prêt non hypothécaire ou d'une avance sans terme défini, assimilable à un crédit de caisse dans le chef de la société. Différents taux sont retenus par la doctrine30-31.

27 Publiée au Mon.B., 31 juillet 1992. L'article 9 de cette loi a inséré la nouvelle formulation de l'article 55

dans le CIR/92, laquelle est applicable aux intérêts payés ou attribués à partir du 1er janvier 1992, quelle que soit la date de conclusion du contrat d'emprunt.

28 Cf. Doc. Parl., Chambre, sess. extraord., 1991-1992, 444/1, p. 7. 29 Cf. Com.I.R./92, n° 52/83. 30 Cf. L. MICHEL, "Des intérêts sur un compte courant débiteur : oui, mais quel taux utiliser ?", Hebdo du 7

février 2009, Fiscalnet. Cet auteur préconise d'avoir égard à la moyenne des taux de la Banque Nationale de Belgique (BNB) pour les découverts bancaires. Voy également S. DUGARDIN et L. MICHEL, "Des intérêts sur un compte courant créditeur : oui mais quel taux utiliser ?" (parties 1 et 2), Hebdos du 26 janvier 2013 et du 1er février 2013. Ces auteurs concluent qu'une "avance" en compte courant comptabilisée suite à une cession d'immobilisations dans le cadre de l'article 18, alinéa 1, 4° du CIR/92 ne peut être assimilée à un crédit de caisse "pour des raisons pratiques, logiques, économiques et juridiques". Nous renvoyons aux développements qu'ils consacrent à cette question.

31 Cf. S. MERCIER, "Comment déterminer 'le bon' taux sur un compte courant gérant créditeur ?", Hebdo

du 13 mars 2010, Fiscalnet. Ce dernier auteur retient quatre taux : 1° le taux du marché dit "Euribor" majoré d'une prime de risque (cf. Gand 13 septembre 2011, Fisc. Act., 2012, Sommaires, liv. 15, p. 13); 2° la moyenne des taux de différentes obligations majorée d'une prime de risque; 3° le taux d'intérêt, revu au minimum annuellement, proposé par les banques sur leurs crédits de caisse (cf. Civ. Mons, 22 mai 2012, rôle n° 10/3228/A, Fiscalnet; Civ. Hasselt, 17 juin 2010, rôle n° 08/1664/A, Fiscalnet, Fiscologue, n° 1225, p. 1, Cour. Fisc., 2010, p. 565) ; 4° le taux d'intérêt appliqué par les institutions financières pour un crédit équivalent dans des conditions semblables (s'il existe un contrat et qu'une échéance a été fixée).

Page 12: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 12

Il nous paraît que le taux appliqué par les institutions bancaires pour un crédit analogue dans des conditions semblables (lorsque le crédit en compte courant est assorti d'un terme) et le taux moyen de la Banque Nationale de Belgique en matière de découverts bancaires (en l'absence de terme) sont susceptibles de constituer des références appropriées. En tout état de cause, la limite maximale sera le taux appliqué au compte courant débiteur en vertu de l'article 18, § 3, 1° de l'A.R.ex. du CIR/92. Ce taux a été retenu, de manière critiquable selon nous32, par certaines juridictions de fond33. b) Quant à la seconde limite, la somme des avances productives d'intérêts ne doit pas excéder la sommes des réserves taxées au début de la période imposable et du capital libéré à la fin de cette période. Il s'agit du capital réellement libéré majoré des primes d'émission. Les pertes reportées viennent en diminution du montant des réserves taxées, mais elles n'affectent pas le capital libéré. 8.- Le Commentaire administratif donne un exemple chiffré de la mise en œuvre de ces deux limites34. Nous en livrons un autre ci-après. Une SA X tenant sa comptabilité par année civile présente la situation comptable suivante : - au 1er janvier 2012 :

• capital libéré : 75.000,00 EUR • réserves taxées : 25.000,00 EUR

- au 31 décembre 2012 : • capital libéré : 75.000,00 EUR • réserves taxées : 35.000,00 EUR

32 Cf. réponses du ministre des Finances à Quest. Parl. n° 151 de Mr MAINGAIN, 14 janvier 2009,

Fisconetplus; Quest. Parl. n° 240 de Mr De Padt, 23 juin 2008, Fisconetplus. 33 Cf. Civ. Mons, 6 décembre 2012, rôle n° 11/1142/A et note critique de E. MASSET, Brève Fiscalnet, 21

mars 2013, Fiscologue, Sommaires, n° 1322, p. 9. L'administration s'était référée au taux Belgostat, soit le taux moyen du marché pour les crédits d'un montant égal ou inférieur à 1.000.000 EUR et d'une durée inférieure à un an. Le Tribunal a toutefois retenu le taux fixé forfaitairement par l'article 18, § 3, 1° de l'A.R.ex.CIR/92 qui est "compté pour sa valeur réelle" et "déterminé par référence aux taux du marché", le Tribunal estimant, en outre, que "la situation d'un compte courant créditeur est économiquement identique à celle d'un compte courant débiteur au sein de l'entreprise"; dans le même sens, Civ. Hasselt, 17 juin 2010, op. cit. Le Tribunal compare l'avance à un crédit de caisse et estime que le taux appliqué correspond à la moyenne des taux pratiqués par le législateur et la BNB – Contra, S. DUGARDIN et L. MICHEL, "Des intérêts sur un compte courant créditeur : oui mais quel taux utiliser ? (1ère partie), "op. cit.

34 Cf. également, Com.IR/92, n° 18/63 à 67. Voy. également, D.DARTE et Y. NOEL, Guide pratique de

l'impôt ses sociétés, 2011, Ed. IEC, p. 291.

Page 13: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 13

Un actionnaire A a octroyé à la SA X une avance de 80.000,00 EUR, un actionnaire B ayant accordé une avance de 50.000,00 EUR. On suppose que le taux d'intérêt de cette avance est fixé à 9 % et qu'il est supérieur de 3 % au taux du marché (soit 6 %). Le calcul de la requalification des intérêts en dividendes s'opère comme suit : a) Première limite – le dépassement s'élève à : - Pour A : 80.000 € x (9 – 6) % = 2.400 € - Pour B : 50.000 € x (9 – 6) % = 1.500 € Soit un total de 3.900 € à requalifier b) Seconde limite – le dépassement s'élève à : - montant des avances productives d'intérêts = 130.000 € - réserves taxées au 1/01/12 + capital libéré au 31/12/12 = 100.000 € Soit un dépassement égal à 30.000 € x 6 % et donc un total de 1.800 € à requalifier (ou encore, solde des intérêts non requalifiés à la suite de la 1ère opération : 11.700 € (130.000 € x 9 %) - 3.900 €, soit 7.800 € dont à déduire (capital + réserves taxées au taux du marché), soit (75.000 € + 25.000 €) x 6% = 6.000 €); En définitive, le montant des intérêts requalifiés en dividendes s'élève à : - dans le chef de A : 2.400 + (1.800 x 8/13) = 3.507,69 € - dans le chef de B : 1.500 + (1.800 x 5/13) = 2.192,31 € C. Avance comptabilisée en compte courant : position du problème 9.- L'article 18, alinéa 1, 4° du CIR/92 a donné lieu à une vive controverse relative au compte courant des dirigeants d'entreprise35. La question se pose dans les termes suivants : les intérêts payés par la société à son dirigeant d'entreprise sur une créance comptabilisée au compte courant de ce dernier peuvent-ils donner lieu à la requalification prévue par l'article 18 du CIR/92 ? Cette problématique se pose principalement dans l'hypothèse où un dirigeant d'entreprise cède à sa société, à titre onéreux, des actifs moyennant comptabilisation du prix de vente au crédit de son compte courant.

35 Cf. M. GUSTIN, "Requalification en dividendes des intérêts sur compte courant : fin de la partie ?",

J.L.M.B., n° 2009/36, pp.1718-1724.

Page 14: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 14

Eu égard à la problématique qui nous préoccupe ici, il importe de distinguer la "convention de compte courant" dont, selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation36, les parties fixent librement les conditions, les modalités et les effets, du "contrat de prêt sous la forme d'un compte courant", tel le dépôt à vue, à terme ou en compte courant. Selon la définition qu'en donne C. NAOME, le compte courant peut ainsi être schématiquement défini comme étant "un contrat par lequel deux personnes en relation d'affaires décident de ne pas procéder au règlement immédiat de leurs créances réciproques, mais de les inscrire dans un compte unique comme articles de crédit et de débit et de les considérer comme inexigibles et indisponibles jusqu'à la clôture du compte"37. Le compte courant est devenu le support d'opérations purement financières, telles que l'ouverture de crédit, cette dernière ne pouvant toutefois être assimilée à un prêt soumis à l'article 1907ter du Code civil38. L'ouverture de crédit en compte courant est un contrat consensuel bilatéral, alors que le prêt est un contrat réel unilatéral39. Cette différence est essentielle au regard de l'examen du champ d'application de l'article 18, alinéa 1, 4° du CIR/92. Selon l'approche classique40, l'inscription en compte courant a un effet novatoire et il y a indivisibilité du compte : la créance du remettant s'éteint dès son entrée en compte, et est remplacée par un article de crédit, la créance étant ainsi novée en une simple inscription comptable. La créance étant éteinte, elle perd les actions ou les sûretés qui y sont attachées. La dette n'est établie qu'à la clôture par une compensation globale de tous les comptes de crédit et de débit. La créance inscrite en compte courant perd ainsi son individualité et son exigibilité, tout en générant des intérêts. La prescription de droit commun s'applique au solde du compte, à dater de la clôture de celui-ci. Selon une autre approche davantage soucieuse des droits des créanciers41, le solde n'intervient pas globalement à la clôture du compte courant, mais après chaque inscription qui donne

36 Cf Cass., 16 septembre 1937, Pas., 1937, I, p. 235. 37 Cf, C. NAOME, "Le compte courant et le virement", CUP, Chroniques de droit à l'usage du Palais, T. V,

Pratique du commerce – Aspects du droit bancaire et du droit cambiaire, Ed. Story-Scientia, 1988, p. 1, n° 1.

38 Dans le cadre d'une ouverture de crédit en compte courant, le crédité a le droit, dans certaines conditions

et à concurrence de certaines limites, d'opérer librement des prélèvements sur le compte et de manière répétée pendant toute la durée du crédit, sans qu'un nouvel accord des parties soit requis (cf. Bruxelles, 6 septembre 1999, R.D.C., 2000, p. 703).

39 Cf. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T.V, 2ème éd., n° 117. 40 Cf. notamment, VAN RYN et HEENEN, Principes de droit commercial, t. III, Bruxelles, n° 2086 et s.; P.

VAN OMMESLAGHE, "Le droit et la comptabilité: réflexions sur les effets juridiques du compte", J.D.F., 1977, p. 321; F. t' KINT, "L'application de l'article 445, alinéa 4, de la loi sur les faillites aux sûretés constituées en période suspecte en garantie du solde d'un compte courant", note sub Cass., 18 mai 1973, R.C.J.B., 1975, p. 62 et s., spéc. p. 71, n° 5.

41 Cf notamment, M. PIRET, Le compte courant, 1932, n° 96, p. 136; C. BIQUET-MATHIEU, Le sort des

intérêts dans le droit du crédit, Coll. Scient. Fac. Drt Liège, 1998, p. 476 in fine, n° 269.

Page 15: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 15

naissance à la formation d'un nouveau solde. Les remises doivent être considérées comme des paiements, les remises en débit et en crédit se compensant au fur et à mesure. L'effet novatoire est rejeté, la créance conservant les sûretés qui lui sont attachées jusqu'à ce qu'elles disparaissent par compensation, et l'indivisibilité est écartée au profit des règles du droit commun. Le crédité est libre d'effectuer des prélèvements quand il l'entend, ceux-ci ayant un caractère réutilisable (ou revolving) qui ne dépend pas d'un nouvel accord des parties, chaque prélèvement étant, en outre, fondu avec le précédent. Dans un arrêt du 18 mai 197342, la Cour de cassation s'est écartée, dans une certaine mesure, de la théorie classique "en ce qu'elle reconnaît qu'il y a compensation successive des créances et des dettes, conformément aux règles d'imputation des paiements, et en ce qu'elle ne justifie pas la validité de la sûreté constituée durant la période suspecte par le principe d'indivisibilité du compte courant"43.

10.- Dans le contexte particulier de l'article 18, alinéa 1, 4° du CIR/92, est en principe concernée, non pas "une convention de compte courant" au sens technique de cette expression, mais une opération, constitutive ou non d'un prêt, impliquant la comptabilisation d'une créance au crédit du compte dit "courant" du dirigeant ou de l'associé. Adoptant une définition spécifique de la notion de "prêt d'argent" dans une Circulaire du 11 janvier 200544-45, l'administration considère que le prix de vente des actions ou parts inscrit en compte courant est susceptible de constituer un prêt d'argent au sens de l'article 18, alinéa 1er, 4° du CIR/92, dont les intérêts peuvent être requalifiés en dividendes. L'administration fait ainsi fi de l'absence de toute remise matérielle de la chose pour estimer que le solde du prix de vente d'un bien meuble ou immeuble inscrit au crédit d'un compte courant constitue "un prêt d'argent" au sens civil du terme46.

Selon la Circulaire précitée du 11 janvier 2005, certaines conditions particulières de paiement sont suspectes aux yeux de l'administration. Ainsi en est-il de la mise en place d'une véritable formule de financement, du non respect d'échéances de paiement par la société ou de l'absence

42 Cf Cass., 18 mai 1973, Pas., 1973, I, p. 873. 43 Cf, C. NAOME, op. cit., p. 4, n° 4; , F. t' KINT, "L'application de l'article 445, alinéa 4, de la loi sur les

faillite…", op. cit., ce dernier auteur estimant que l'effet novatoire est maintenu. 44 Cf. Circulaire n° Ci.RH.231/543.949 (AFER 2/2005) du 11 janvier 2005 relative à la notion de "prêt

d'argent" visée à l'article 18, alinéa 2 du CIR/92. Selon l'administration, "la remise matérielle n'est pas exigée; il suffit que l'emprunteur soit en possession de la chose prêtée. Les formes de la mise en possession n'importent pas. Cette remise peut, en autres, se réaliser par novation d'une dette antérieure."

45 Contra, M-P. DONEA, "La taxation des revenus mobiliers des personnes physiques actualités", in La

taxation du patrimoine privé, Collection des colloques de l'ESSF, Anthemis, Louvain-la-Neuve, 2011, p. 139 et s.

46 Cf. les interrogations que nous soulevions dès après l'entrée en vigueur du nouveau texte in "Le statut

fiscal du dirigeant d'entreprise", in 49ème Séminaire de la Commission Droit et Vie des Affaires (CDVA) sur "Dirigeant d'entreprise, un statut complexe aux multiples visages", 6 mai 1999, Bruylant, Bruxelles, 2000, pp.231-264, spécialement p.262.

Page 16: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 16

de recours exercé par le créancier pour recouvrer sa créance échue. Il en est de même de la situation dans laquelle des intérêts sont octroyés suite à la vente d'un bien quelconque à la société, lorsqu'aucun délai n'est fixé pour le paiement du prix ou lorsque le délai de paiement est anormalement long47. La Circulaire du 11 janvier 2005 prévoit encore que "l'application de l'article 344, § 1er, C.I.R. 92 (il s'agit de l'ancienne mouture du texte), pourra dans certains cas être envisagée lorsque l'acte ne peut pas être qualifié (…) comme un prêt d'argent". Elle ne donne cependant aucun cas concret d'application de la disposition anti-abus. Nous y reviendrons ultérieurement. La Circulaire du 12 septembre 200748 rappelle que "l'élément déterminant dans l'appréciation de l'existence ou non d'un prêt d'argent, est la présence de la volonté d'une partie de laisser des fonds à la libre disposition de l'autre partie qui accepte".

Le ministre des Finances a admis que "la notion de 'prêt d'argent' peut difficilement être expliquée autrement qu'au sens de l'article 1895 du Code civil étant donné que la notion de 'prêt d'argent' n'est pas définie dans le C.I.R. 92 et qu'elle n'apparaît qu'à l'article 18, al. 2 C.I.R. 92; la notion de 'prêt' n'est pas non plus définie dans le C.I.R. 92"49. Et il a ajouté ultérieurement que "la question de savoir si les intérêts peuvent être requalifiés ou non en dividendes est tributaire des circonstances factuelles et juridiques, vu la nature de l'accord en question, et doit donc être étudiée cas par cas" et ne pouvoir confirmer que "les dispositions de l'article 18, premier alinéa, 4° et deuxième alinéa, C.I.R. 92 ne s'appliqueront pas aux intérêts relatifs à un compte courant ouvert au nom d'un actionnaire et qui constituent l'indemnité pour le délai de paiement convenu, obtenue par la société débitrice des intérêts lors de l'acquisition d'un élément d'actif" 50.

11.- L'article 18, alinéa 2, du CIR/92 ne définissant pas d'une façon particulière la notion de "prêt d'argent", il y a lieu de se référer au droit commun, en l'absence de norme dérogatoire expresse ou tacite51. En droit civil, le prêt est un "contrat par lequel une personne, appelée prêteur, remet une chose à une autre, appelée emprunteur, pour s'en servir, et à charge de la restituer après usage, ou au terme convenu"52. Cette définition est commune au prêt à usage et au prêt de

47 Contra F. VANDEN HEEDE, "Requalification des intérêts sur le compte courant : fin du débat ?",

Pacioli, 2008, n° 247, p. 4. 48 Cf. Circulaire n° Ci.RH.231/543.949 (AOIF 2/2005) du 12 septembre 2007 venant compléter la Circulaire

n° Ci.RH.231.949 (AFER 2/2005) du 11 janvier 2005 relative à la notion de "prêt d'argent" visée à l'article 18, alinéa 2 du CIR/92

49 Cf. Quest. Parl. n° 1427, Mr PIETERS, 25 juin 1998, Bull. Quest. Rép, Chambre, sess. ord., 1998-1999,

n° 166, p.22.308. 50 Cf. Quest. Parl. n° 628, Mr PINXTEN, 31 mai 2005, Quest. Rép.,Chambre, n° 066, 2004-2005, p. 10.631. 51 Cf Cass., 9 juillet 1931, Pas., 1931, I, p. 218. 52 Cf. H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil, Bruylant, Bruxelles, 2ème édition, 1975, t. V, p. 115, n°

109.

Page 17: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 17

consommation53. L'élément caractéristique essentiel du contrat de prêt, qui est un contrat réel unilatéral, est ainsi la remise d'une chose par une personne (le prêteur) à une autre (l'emprunteur) en vue de lui permettre de s'en servir, à charge de lui restituer après usage ou au terme convenu. La notion de "prêt d’argent" est plus restrictive que celle de "créance" qui figurait dans l’ancienne version du texte, dès lors qu’elle exige a priori la remise d’une certaine somme d’argent à la société, à charge pour cette dernière de restituer aux personnes ayant remis les fonds une somme identique54. En définitive, il convient de se demander si les créances inscrites en compte courant et nées, dans le chef des contribuables visés à l'article 18, alinéa 2 du CIR/92, suite à l’octroi de termes de paiement pour l’achat de certains biens ou, de la même manière, pour non-paiement d’une rémunération, peuvent être considérées comme des "prêts d’argent". Dans l'affirmative, l'administration pourra opérer la requalification des intérêts en dividendes pour autant que les conditions prévues par la disposition légale soient réunies. Dans la négative55, il y aurait lieu de conclure que la requalification ne peut jamais s'appliquer à ces situations. Nonobstant ce qui précède, la réalité est généralement plus complexe, comme l'évolution de la jurisprudence décrite ci-après en témoigne.

D. Avance comptabilisée en compte courant : évolution de la jurisprudence D.1. Cour de cassation

12.- La Cour de cassation a eu l'occasion de se prononcer, à de nombreuses reprises, sur cette délicate question. Sa jurisprudence s'est affinée au fur et à mesure de ses arrêts. a) L'actionnaire principal d'une société vend à celle-ci un immeuble et des avoirs incorporels, une partie du prix étant immédiatement payée et le solde étant porté au crédit du compte courant de cet actionnaire. Le solde fait l'objet d'une convention de mise à disposition des fonds à la société moyennant un taux d'intérêt fixé à 7 %.

53 En vertu de l'article 1892 du Code civil, le prêt de consommation est le "contrat par lequel l'une des

parties livre à l'autre une certaine quantité de choses qui se consomment par l'usage, à la charge pour cette dernière de lui en rendre autant de même espèce et qualité". Le prêt à usage ou commodat est un "contrat par lequel l'une des parties livre une chose à l'autre pour s'en servir, à charge pour le preneur de la rendre après s'en être servi" (article 1875 du Code civil).

54 Cf. P.-F. COPPENS, L’entreprise face au droit fiscal, De Boeck et Larcier, Bruxelles, 2004, p. 303; J.

MALHERBE, M. DE WOLF, Ch. SCHOTTE, "Droit fiscal. L'impôt des sociétés", Larcier, 1997, pp. 115-116; J-P. MAGREMANNE, "Requalification des intérêts en dividendes…", op. cit., p. 41.

55 Cf. en ce sens, Ch. LEMAIRE, "Le point sur la requalification d'intérêts d'avances en dividendes",

Pacioli, 2002, n° 118, p. 1 et s. ; O. ROBIJNS, "Requalification d’intérêts en dividendes – le point sur la question", Pacioli, 2009, n° 267.

Page 18: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 18

Dans un arrêt du 16 novembre 200656, la Cour de cassation casse l'arrêt de la Cour d'appel de Liège du 25 mars 200557 qui avait décidé ce qui suit :

"Attendu que le terme prêt d'argent, à défaut de définition propre dans le cadre de la loi fiscale, définition que le législateur peut toujours préciser le cas échéant, ne peut être entendu que dans le sens donné par le droit commun, sous peine de créer une situation d'insécurité juridique des opérations économiques faisant l'objet d'actes juridiques conventionnels ; Que la doctrine s'exprime d'ailleurs en ce sens (P. Van Ommeslaghe, droit commun et droit fiscal, J.D.F. 1989, p. 5-32) ; Qu'en dépit de la volonté exprimée dans les travaux préparatoires, le terme de prêt d'argent ne peut, à défaut de dispositions spécifiques, être étendu aux opérations réalisées dans le cadre d'un compte courant ".

Dans son arrêt du 16 novembre 2006, la Cour de cassation affirme que :

"Les termes 'tout prêt d’argent (...) consenti' figurant à l’article 18, alinéa 2, du Code des impôts sur les revenus 1992, ne limitent pas l’application de cette disposition légale aux seuls contrats de prêt réglés par le droit commun (articles 1874 à 1914 du Code civil), dès lors que 1er) le terme 'tout' atteste clairement la volonté du législateur de réserver à la notion de prêt sa portée la plus large, que 2) les termes 'prêt d’argent' ne reproduisent pas à l’identique les termes ' prêt en argent ' figurant à l’article 1895 du Code civil qui règle spécifiquement le contrat de prêt de droit commun lorsque la chose prêtée consiste en de l’argent, et que 3) le terme ' consenti ' - plutôt que 'conclu' - souligne le caractère consensuel du prêt envisagé à l’article 18, alinéa 2, du Code des impôts sur les revenus 1992, et indique, par voie de conséquence, que le caractère réel du contrat de prêt de droit commun n’est pas un élément déterminant pour l’application de cette dernière disposition, de sorte que l’existence d’un prêt de nature à donner lieu à une requalification d’intérêts en dividendes n’est pas subordonnée à une remise matérielle des fonds prêtés mais peut résulter de la seule expression du consentement des parties, laquelle peut notamment résulter des actes relatifs à des opérations réalisées dans le cadre d’un compte courant.

Les termes 'prêt d’argent ', au sens de cette disposition, peuvent revêtir la forme d’une inscription au compte courant de l’actionnaire ou de la personne qui exerce un mandat ou des fonctions qui y sont visés. La Cour d’appel de Liège, qui considère que ces termes ne peuvent être étendus 'aux opérations réalisées dans le cadre d’un compte courant' et décide par ce motif que l’administration était sans droit à requalifier les intérêts en dividendes, viole l’article 18 du Code des impôts sur les revenus 1992".

56 Cf. Cass., 16 novembre 2006, rôle n° F.050068.F, Pas., 2006, n° 569, T.F.R., 2007, p. 107 et note C.

BUYSSE, "De kwalificatie van de onderliggende overeenkomst bij een rekening-courant : kan de verkoop met uitstel van betaling worden aangemerkt als een geldlening in de zin van artikel 18 lid 1, 4° WIB 1992?". Voy. également M. ELOY, "Prêt d'argent et compte-courant", R.G.F., 2007, p. 1.

57 Cf. Liège, 25 mars 2005, rôle n° 2004-RG-342, F.J.F., 2005, n° 225.

Page 19: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 19

Bien que l'administration y ait vu une confirmation de sa position58, en ce sens qu'un prêt d'argent peut revêtir la forme de l'inscription d'une créance en compte courant, la portée de cet arrêt doit être nuancée.

Contrairement à ce que certains avaient cru apercevoir dans travaux préparatoires, la Cour de cassation considère que le caractère réel caractéristique au contrat de prêt de droit commun n’est "pas un élément déterminant pour l’application de cette dernière disposition" (article 18, alinéa 2 du CIR/92). Elle en conclut que l’existence d’un prêt de nature à donner lieu à une requalification d’intérêts en dividendes n’est pas subordonnée à une remise matérielle des fonds prêtés mais "peut résulter de la seule expression du consentement des parties". La Cour de cassation précise ainsi qu'un prêt d'argent "peut" prendre la forme d'une inscription en compte courant. Ce qu'elle entend principalement condamner, c'est la motivation de l'arrêt de la Cour d'appel de Liège et l'affirmation suivant laquelle une dette comptabilisée au crédit du compte courant ne peut jamais constituer un prêt d'argent. En tout état de cause, cette comptabilisation doit être une modalité d'exécution d'un contrat de prêt. b) Un administrateur délégué et son épouse cèdent à une société les parts d'une autre société, le prix étant payable à terme et toute somme non remboursée à échéance étant porteuse de plein droit d'un intérêt. Dans un arrêt du 25 janvier 2008, la Cour d'appel de Liège estime que les intérêts pris en charge par la société résultent non d'un prêt d'argent mais du non paiement d'une partie du prix de vente ainsi que de l'application d'une clause conventionnelle stipulant des intérêts de retard dus de plein droit. Dans un autre arrêt du 16 janvier 200859, la même Cour d'appel admet la requalification suite à la vente à une société d'actions d'une société tierce dont une partie du prix n'est pas payée par l'administrateur délégué et actionnaire de la première société. Dans deux arrêts du 4 septembre 200960, la Cour de cassation nuance sa position et décide que :

"A défaut de définition particulière dans la loi fiscale, il y a lieu d’entendre par prêt d’argent, conformément au droit commun, le contrat par lequel le prêteur remet de l’argent à l’emprunteur en vue de lui permettre de s’en servir et à charge pour ce dernier de le lui restituer au terme convenu.

58 Cf. Circulaire n° Ci.RH.231/543.949 (AOIF 2/2005) du 12 septembre 2007, op. cit. 59 Cf. Liège, 16 janvier 2008, F.J.F., 2008, n° 230. 60 Cf. Cass., 4 septembre 2009, rôle F. 08.0055.F, Pas., 2009, p. 1792, F.J.F., 2010/17, J.D.F., 2010, p. 193,

J.L.M.B., 2009, p. 1714 et note M. GUSTIN, op. cit., T.F.R., 2010, p. 183 et note R. FORESTINI, "Les intérêts requalifiés uniquement s'il y a eu versement d'une somme d'argent"; Cass., 4 septembre 2009, rôle F. 08.0054.F, F.J.F., 2010/16.

Page 20: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 20

Un prêt d’argent, au sens de l’article 18, alinéa 2, précité, peut être constaté par une inscription au compte courant de l’actionnaire ou de la personne qui exerce un mandat ou des fonctions qui sont visés à l’article 32, alinéa 1er, 1°, mais une telle inscription n’implique pas nécessairement l’existence d’un contrat de prêt au sens de cette disposition."

En l'espèce, à défaut de prêt d'argent constituant une avance, il n'y a pas lieu de requalifier les intérêts litigieux en dividendes, ni d'enrôler un précompte mobilier complémentaire. La Cour de cassation n'a pas condamné catégoriquement la thèse administrative consistant à requalifier en dividendes les intérêts afférents à des avances résultant d'une opération autre que celle ayant pour objet une tradition de fonds par le dirigeant. Une inscription en compte courant n'implique "pas nécessairement" l'existence d'un prêt d'argent au sens de l'article 18, alinéa 2 du CIR/92, mais elle peut très bien constituer un tel prêt. Tout est fonction des circonstances.

De manière implicite, il nous semble pouvoir être déduit de ces arrêts que la charge de la preuve de l'existence d'un prêt d'argent incombe à l'administration. c) Un avocat cède sa clientèle à une SPRL au sein de laquelle il continuera à exercer son activité professionnelle. Le prix impayé est inscrit en compte courant productif d'un intérêt fixé au taux du marché. Aucun délai de remboursement n'est prévu et le solde du prix restant dû peut être réclamé sur simple demande du cédant. Dans un arrêt du 17 février 2009, la Cour d'appel de Gand décide qu'il s'agit d'un achat assorti d'un sursis de paiement du prix, et non d'un prêt d'argent. Rejetant le pourvoi de l'Etat belge, la Cour de cassation a confirmé sa jurisprudence dans un arrêt du 20 mai 201061-62 en vertu duquel :

"En l’absence d’une définition spécifique dans la loi fiscale, il faut entendre par prêt d’argent, conformément au droit commun, la convention par laquelle le prêteur transfère de l’argent à l’emprunteur aux fins de le mettre en état d’en faire usage et sous l’obligation pour ce dernier de le restituer au moment convenu (voir Cass., 4 septembre 2008, F.08.0055.F). Un prêt d’argent au sens de l’article 18, alinéa deux, C.I.R. 1992 , peut certes être constaté par la comptabilisation sur le compte courant de l’actionnaire ou de la personne qui exerce une mission ou un mandat tel que défini à l’article 32, alinéa 1er, 1°, C.I.R. 1992 (voir Cass, 16 novembre 2006, F.05.0068.F) ; une telle comptabilisation n’implique pas pour autant l’existence d’un contrat de prêt."

61 Cf. Cass., 20 mai 2010, rôle n° F.09.0093.N. 62 Cf. C. BUYSSE, "Report de paiement du prix : pas de prêt d'argent, en principe", Fiscologue, 2010, n°

1211, p. 8; A. KIEKENS, "Un prix de vente impayé, comptabilisé en compte courant, peut-il être qualifié de prêt d'argent au sens de l'article 18, 2ème alinéa du C.I.R. 1992 ?", Cour. Fisc., 2010, p. 589; J. SANDRA et S. VANCOLEN, "Art. 18, lid 1°, 4° WIB92. Cassatie : uitstel betaling is in de regel geen geldlening", AFT(I), 2010, n° 38.

Page 21: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 21

d) Un dirigeant d'entreprise vend des actions à sa société. Le prix impayé est inscrit à son compte courant et est productif d'intérêts. Dans un arrêt du 25 novembre 2008, la Cour d'appel d'Anvers considère que l'intention réelle des parties était de mettre immédiatement le prix de vente à la disposition de la société, au moyen d'un prêt à intérêt. Elle relève l'absence de tout délai de paiement du prix des actions, la comptabilisation du solde du prix parmi les dettes à plus d'un an et la comptabilisation dans le compte de résultats de produits financiers correspondant aux intérêts payés.

Dans un arrêt du 15 octobre 201063-64, rejetant un pourvoi dirigé contre cet arrêt de la Cour d'appel d'Anvers, la Cour de cassation a décidé que la remise d'argent dans le cadre d'un prêt en argent peut se réaliser au moyen d'une novation, conformément à l'article 1271,1° du Code civil. Par cette novation, la société acquéreuse des actions obtenait une somme égale au prix de celles-ci. La novation par changement d'objet s'opère "lorsque le débiteur contracte envers son créancier une nouvelle dette qui est substituée à l'ancienne, laquelle est éteinte" (article 1271,1° du Code civil). Une obligation juridique se substitue à une autre qui disparaît, ce qui implique la modification d'un élément essentiel de l'obligation initiale65. La preuve de la novation doit être rapportée, car l'intention de nover des parties ne se présume pas (article 1273 du Code civil)66. En tout état de cause, il appartient au juge du fond d'examiner concrètement si l'intention des parties était bien de réaliser cette novation, soit de mettre "immédiatement" le prix de vente à la disposition de la société dans le cadre d'un prêt à intérêts.

e) Un médecin cède sa clientèle à une société au sein de laquelle il continue à exercer son activité professionnelle. Le prix est inscrit au compte courant du gérant, étant entendu qu'il sera payé en fonction des disponibilités financières de la société ou suivant toute autre modalité financière à définir. Dans un arrêt du 17 septembre 2008, la Cour d'appel de Mons conclut à l'existence d'un prêt d'argent en raison d'un "délai de paiement 'fort' long (plus de huit ans) et la circonstance qu'il était évident dès le départ que ce délai serait long en raison de la situation financière dans

63 Cf. Cass., 15 octobre 2010, rôle n° F.09.0080.N, F.J.F., 2011, n° 135, rendu sur conclusions conformes de

D. THIJS, avocat général. 64 Pour un bref commentaire de cet arrêt, cf. notamment S. GRAZIOSI, "Prêt d'argent et avances en compte-

courant : nouvel arrêt de la Cour de cassation !", Actualités fiscales, 2011, n° 5, p.1. 65 Cf. H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. III, 3ème éd., Bruxelles, Bruylant, 1967, pp.

563-564, n° 556. 66 Cf. Bruxelles, 10 février 2011, rôle n°2008/AR/2271 et Bruxelles, 18 mai 2011, rôle n°2007/AR714 : la

Cour d'appel rappelle que la volonté des parties d'opérer une novation doit résulter clairement de l'acte. La novation peut toutefois se déduire du constat d'une modification importante d'un élément essentiel du contrat (cf. Cass., 23 mars 2009, Pas., 2009, I, p. 775).

Page 22: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 22

laquelle se trouvait la société". La Cour d'appel constate la mise en place d'une véritable formule de financement, le fait pour le vendeur de ne pas exiger le paiement immédiat du prix impliquant que le vendeur a accordé un crédit à l'acheteur67.

Rejetant le pourvoi dirigé contre cet arrêt, la Cour de cassation a, dans un arrêt du 2 décembre 201068, déclaré sans ambiguïté que "c'est à l'administration fiscale, qui revendique l'application de l'article 18, qu'il appartient de démontrer que le contrat sous-jacent à la créance comptabilisée constitue un prêt d'argent"69. Dans cet arrêt, la Cour de cassation observe qu'"un certain nombre d'éléments de fait 'complémentaires' peuvent, en combinaison avec l'inscription du prix d'achat en compte courant, faire apparaître la volonté 'réelle' d'accorder un prêt d'argent".

f) Un médecin fait un apport mixte de ses immobilisations corporelles et incorporelles à une société constituée pour l'exercice de son activité professionnelle, celui-ci étant pour partie rémunéré par une inscription en compte courant productif d'intérêts. Dans un arrêt du 2 juin 2009, la Cour d'appel d'Anvers estime que la convention conclue entre la société médicale et son gérant était un prêt d'argent. Elle observe que l'acte constitutif de la société stipule que c'est le gérant qui détermine le remboursement de la créance inscrite en compte courant. Dans un arrêt du 11 mars 201170 confirmant l'arrêt précité, la Cour de cassation a relevé que l'acte constitutif de la société mentionnait un "remboursement" du prix dû par la société – ce qui laissait entendre qu'une somme d'argent avait été mise à la disposition de cette dernière – et que le choix des modalités de remboursement était totalement laissé au gérant – de sorte qu'aucun délai concret de paiement de la dette n'était fixé. Il est piquant de constater que dans deux arrêts ultérieurs rendus à propos de faits similaires71, la Cour d'appel d'Anvers a estimé que l'inscription d'une dette au passif du bilan ne peut être

67 Cf. les critiques circonstanciées que fait de cet arrêt Civ. Namur, 2 mars 2011, rôle n° 07/987/A,

Fiscalnet. 68 Cf. Cass., 2 décembre 2010, rôle n° F.09.0094.F. Voy. C. BUYSSE, "Délai de paiement 'anormalement"

long : prêt d'argent ?, Fiscologue, 2011, n° 1234, p. 5. 69 Cf. en ce sens, Civ. Anvers, 19 mai 2004, rôles n° 01-1157-A et n° 01-1158-A, Fiscalnet. 70 Cf. Cass., 11 mars 2011, rôles n° F.10.0043 et F.10.0056.N. Voy. C. BUYSSE, "Créance en compte

courant : ce que peut révéler un prêt d'argent", Fiscologue, 2011, n° 1257, p. 10. 71 Cf. Anvers 22 mai 2012, Fiscologue, 2012, Sommaires, n° 1314, p. 10: la Cour d'appel relève que le

montant du prix d'achat n'a pas été repris parmi les dettes au bilan de l'exercice comptable du quasi-apport et qu'au cours des deux premières années, il a été partiellement remboursé au moyen de prélèvement de fonds; Anvers, 6 décembre 2011, rôle n° 2010/AR/1272, Fiscalnet, Hebdo du 30 juin 2012, et note de S. DUGARDIN et L. MICHEL, "Requalification d'intérêts en dividendes sur base de l'article 18, 4° du CIR/92 : la Cour d'appel d'Anvers sait-elle ce qu'elle veut ?", Fiscologue, 2012, Sommaires, n° 1295, p. 10.

Page 23: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 23

considérée comme une avance, en faisant référence à la notion de "prêt" visée aux articles 1892 et 1895 du Code civil impliquant une remise matérielle des fonds. D.2. Juridictions de fond

13.- Certaines décisions judiciaires se sont inscrites dans le sens adopté par l'administration fiscale, retenant une acception tronquée du contrat de prêt72.

Néanmoins, dans le même temps, plusieurs juridictions de fond ont considéré que la notion de "prêt d'argent" devait s'entendre au sens civil du terme et ce, en l'absence de toute définition propre au droit fiscal. En l'absence de remise de la chose prêtée, élément essentiel du contrat de prêt à leurs yeux, la créance née de l'octroi d'un report du paiement du prix ou de termes et délais ne peut pas constituer un prêt d'argent, toute comptabilisation en compte courant ne trouvant pas sa cause dans un tel prêt73. Et certaines juridictions de souligner qu'il y a lieu de distinguer la situation d'une société qui a reçu un prêt d'argent et qui dispose donc de liquidités effectives qu'elle peut affecter comme bon lui semble, de celle d'une société qui bénéficie en réalité d'un délai de remboursement, mais qui ne reçoit pas de liquidités susceptibles d'être investies (s'il y a investissement, c'est au moyen des fonds propres de cette société) 74. De nombreuses juridictions de fond ont néanmoins suivi la jurisprudence de la Cour de cassation, en relevant qu'il y lieu d'examiner, au cas par cas, la nature de la convention sous-jacente à l'inscription en compte courant75.

72 Cf. notamment Anvers, 18 mars 2008, F.J.F., n° 2008/231; Anvers, 18 décembre 2007, Fiscologue, 2008,

n° 1114/11; Bruxelles, 16 mars 2007, R.G.C.F., 2007, p. 270; Civ., Gand, 12 janvier 2005, T.F.R., 2005, p. 582; Civ., Anvers, 25 juin 2003, F.J.F., n° 2004/11.

73 Cf. en ce sens, Bruxelles, 10 février 2011, op. cit. ; Bruxelles, 18 mai 2011, op. cit.; Anvers, 6 décembre

2011, op. cit.; Liège, 25 mars 2005, F.J.F., n°2005/225; Civ., Mons, 12 février 2009, F.J.F., n° 2010/74, Civ., Hasselt, 31 janvier 2007, F.J.F., n°2008/132 (où l'administration fiscale a tenté d'invoquer l'article 344 du CIR/92 pour requalifier la créance en acompte productif d'intérêts; le tribunal a rejeté cette thèse en considérant que l'article 18 du CIR/92 est une lex specialis en cette matière); Civ., Liège, 29 mars 2007, Fiscalnet; Civ, Gand, 15 janvier 2007, T.F.R., 2007, p.86; Civ., Namur, 14 juin 2006, F.J.F., n°2008/162; Civ., Mons, 6 octobre 2005, F.J.F., n°2007/110; Civ., Anvers, 4 février 2005, F.J.F., n°2005/224; Civ. Anvers, 19 mai 2004, op. cit.; Civ., Namur, 24 novembre 2004, F.J.F., n° 2005/99; Civ., Mons, 5 février 2009, J.D.F., 2010, pp.240-245; Civ. Namur, 2 mars 2011, rôle n° 07/987/A, Fiscalnet; Civ., Namur, 10 décembre 2008, F.J.F., n° 2009/250.

74 Cf. en ce sens, Civ. Namur, 2 mars 2011, rôle n° 07/987/A, op. cit., le tribunal considérant que la seule

alternative pour l'Etat belge aurait été d'apporter la preuve d'une novation expresse, quod non (le tribunal se livre à une analyse fouillée de la doctrine et de la jurisprudence et il détaille les écritures à passer). Contra, Civ. Namur, 21 mars 2012, rôle n° 1057/06/A, Fiscalnet : au terme de la même analyse méthodique des principes, le tribunal décide qu'il y a eu entre les parties une convention de novation qui a substitué à la créance résultant de la cession d'une pratique médicale une créance de remboursement d'un prêt à intérêts, la preuve résultant de la manière dont les opérations litigieuses ont été qualifiées dans les comptes approuvés.

75 Cf. Anvers 22 mai 2012, op. cit.; Anvers, 6 décembre 2011, op. cit.; Gand, 8 mai 2012, Fiscologue, 2012,

Sommaires, n° 1310, p. 11; Gand, 8 avril 2009, F.J.F., n°2010/18; Gand, 19 mars 2008, F.J.F., n°2009/68; Gand, 4 septembre 2007, F.J.F., n°2008/105; Gand, 17 avril 2007, F.J.F., n° 2007/281; Mons, 20 juin 2012, rôle n° 2010/1055, Fiscalnet; Mons, 14 décembre 2011, Fiscalnet, Hebdo du 10 novembre

Page 24: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 24

D.3. Conséquences pratiques - Recommandations

14.- En définitive, il résulte de ce qui précède que la charge de la preuve de l'existence d'un prêt d'argent incombe à l'administration. Celui-ci peut revêtir la forme d'une inscription d'une créance en compte courant, cette seule inscription n'établissant pas nécessairement l'existence d'un prêt. La remise d'argent dans le cadre d'un prêt en argent peut s'établir au moyen d'une novation. Les juges du fond devront "sonder les reins et les cœurs" afin de rechercher la volonté réelle des parties. A cet égard, nous pouvons recommander à ces dernières, lorsqu'elles n'entendent pas conclure un prêt d'argent, de veiller à : a) établir une convention précise constatant la vente ou l'apport (ou dans ce dernier cas,

motiver le procès-verbal de l'assemblée générale décidant l'augmentation de capital), mais ne contenant pas de référence à un "prêt", un "emprunt" ou encore un "remboursement" ;

b) ne pas comptabiliser tout ou partie du prix d'acquisition dans un poste de dettes à plus

d'un an et les intérêts dans un compte de charges qui font référence à la notion de prêt ; c) en cas de paiement étalé du prix, prévoir une échéance raisonnable (le cas échéant, au

moyen de paiements échelonnés), analogue à celle existant entre des acteurs économiques indépendants, ce qui implique que la société bénéficiaire dispose de moyens financiers suffisants; en tout état de cause, ne pas laisser le choix du délai et des modalités de paiement au cédant ou à l'apporteur ;

d) le cas échéant, stipuler qu'une partie du prix sera payée au moyen d'un financement

contracté auprès d'un établissement financier tiers ; e) au niveau des modalités de remboursement, organiser un remboursement progressif du

capital, éventuellement de manière croissante, en sus des intérêts ; f) fixer un taux d'intérêt correspondant à celui du marché, le cas échéant susceptible

d'évoluer, à la hausse ou à la baisse, en fonction de la variation de celui-ci; un taux d'intérêt fixe peut cependant être retenu, mais il convient de réévaluer celui-ci en cas de chute significative des taux sur les marchés financiers ;

g) assortir le remboursement de garanties de paiement telles qu'un mandat hypothécaire,

une garantie à première demande, une clause de réserve de propriété, 76… 2012 et note O. ROBIJNS, "La requalification d'intérêts en dividendes : définitivement l'une des bouteilles à encre ?"; Mons, 29 juin 2009, rôle n° 2007-RG-852; Civ. Bruxelles, 6 juin 2012, Fiscologue, 2012, sommaires, n° 1310, p. 11; Civ. Mons, 3 mai 2012, rôle n° 05/2860/A, Fiscalnet; Civ. Namur, 21 mars 2012, op. cit.

76 Cf. Civ. Bruxelles, 6 juin 2012, op. cit. : le Tribunal souligne, à juste titre, que si la situation du prêteur

d'argent et du vendeur octroyant un délai de paiement est semblable au plan économique, elle n'est pas identique juridiquement : le vendeur impayé peut demander la résolution fautive et la restitution du bien vendu alors que le prêteur impayé n'a en principe aucun lien privilégié avec tel élément du patrimoine global du débiteur.

Page 25: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 25

Afin d'éviter l'application de l'article 18, alinéa 1, 4° du CIR/92, il est loisible au dirigeant d'entreprise de renoncer avec effet rétroactif aux intérêts, pour autant que cela ait été traduit dans les comptes de la société77. E. Article 18, alinéa 1, 4° du CIR/92 et disposition anti-abus E.1. Article 344, § 1 du CIR/92 dans sa version ancienne 15.- Dans sa version ancienne, l'article 344, § 1 du CIR/92 stipulait que "n'est pas opposable à l'administration des contributions directes, la qualification juridique donnée par les parties à un acte ainsi qu'à des actes distincts réalisant une même opération lorsque l'administration constate, par présomptions ou par d'autres moyens de preuve visés à l'article 340, que cette qualification a pour but d'éviter l'impôt, à moins que le contribuable ne prouve que cette qualification répond à des besoins légitimes de caractère financier ou économique" 78. Comme l'observent M. BOURGEOIS et A. NOLLET79, "ce texte ne doit être lu (…) comme n'autorisant le fisc à substituer, à une qualification exactement donnée (sans erreur) par des parties à un acte qu'elles ont réellement conclu (sans simulation), qu'une autre qualification respectant bien tous les effets juridiques (non fiscaux) de cet acte." Dans un arrêt du 10 juin 201080, la Cour de cassation a décidé que l'administration peut procéder à la requalification de l'opération si la nouvelle qualification a des effets juridiques non fiscaux "similaires" – et non, identiques - au résultat final des actes juridiques posés par les parties. La Cour de cassation n'a toutefois pas abandonné la référence à la condition du respect des effets juridiques81, contrairement à ce que certains auteurs ont alors soutenu, évoquant même une "résurrection" de l'article 344, § 1 ancien du CIR/9282.

77 Cf. Bruxelles, 28 mai 2009, rôle n° 2001/AR/2521, Fiscalnet. 78 Pour un commentaire de cette disposition, cf. notamment Th. AFSCHRIFT, L'évitement licite de l'impôt et

la réalité juridique, Bruxelles, Larcier, 2003, 2ème éd.; J. KIRKPATRICK et D. GARABEDIAN, Le régime fiscal des sociétés en Belgique, Bruxelles, Bruylant, 2003, 3ème éd., p. 79 et s.

79 Cf. M. BOURGEOIS et A. NOLLET, "L'introduction d'une notion générale d''abus (de droit) fiscal' en

matière d'impôts sur les revenus, de droits d'enregistrement et de droits de succession", R.G.F., 2012/6, p. 5.

80 Cf. Cass., 10 juin 2010, rôle n° F.08.0067.N. Dans l'affaire dont elle était saisie, la Cour de cassation a

admis que l'administration requalifie un contrat de fourniture de services conclu entre des sociétés liées en contrat de fourniture de services et en "don" pour la partie de l'opération qui a donné lieu à un paiement sans contrepartie.

81 Cf. en ce sens, D. GARABEDIAN, "Cassation, 10 juin 2010, et CIR, 344, § 1er : révolution ou

confirmation ?", R.G.F., 2011/3, p. 4 et s.; A. NOLLET, "Contours et alentours de la notion de 'simulation' en droit fiscal, 50 ans après 'Brepols', in En quête de fiscalité et autres propos – Mélanges, M. BOURGEOIS et I. RICHELLE (dir.), Bruxelles, Larcier, 2011, p. 125 et s., spéc. pp. 154 et 155.

82 Cf. en ce sens, A. HAELTERMAN, "La Cour de cassation ranime la disposition anti-abus", Fiscologue,

n° 1217, pp. 1 à 3; K. JANSSENS, "Fiscus mag 'doorgeefluik' negeren', Fisc. Act., 2010/25,p. 1; Ch.

Page 26: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 26

Certaines juridictions ont été saisies sur base de cette disposition dans le contexte particulier de l'article 18, § 2 du CIR/92. Ainsi, n'a pas été jugée artificielle, compte tenu de l'intention des parties, la scission de dettes non productives d'intérêts, pour partie en dettes générant des intérêts et pour partie en dettes sans intérêts83. E.2. Article 344, § 1 du CIR/92 dans sa version nouvelle84 16.- L'article 344, § 1 du CIR/92 a été totalement réécrit et il rend désormais inopposable à l'administration des contributions directes un acte juridique ou un ensemble d'actes juridiques lorsqu'il y a un "abus fiscal". La disposition "anti-abus" a été introduite par l'article 167 de la loi-programme du 29 mars 201285 qui est applicable à partir de l'exercice d'imposition 2013 (en pratique, aux revenus obtenus en 2012 en ce qui concerne l'impôt des personnes physiques), ainsi qu'aux actes ou ensembles d'actes juridiques posés au cours d'une période imposable clôturée au plus tôt le 6 avril 2012 et se rattachant à l'exercice d'imposition 2012. Seraient, par exemple, visés des actes ou opérations accomplis durant l'exercice comptable débutant le 1er juillet 2011 et se terminant le 30 juin 2012. A cet égard, toute modification apportée à partir du 28 novembre 2011 à la date de clôture des comptes annuels est sans incidence pour l'application du nouveau texte. Changement de cap radical par rapport au passé, "tant les opérations effectuées dans le cadre de la gestion du patrimoine privé que celles effectuées dans la sphère économique sont visées", ce qui inclut les droits de succession86. Dans le cadre limité de la présente contribution, il n'y a pas lieu de commenter de manière détaillée la nouvelle disposition anti-abus – d'autres auteurs se sont déjà livrés à cet exercice -, mais d'en décrire les caractéristiques essentielles afin de déterminer si elle est en mesure de s'appliquer à la problématique que nous examinons ici.

LEMAIRE, "La théorie des réalités économiques réincarnée en requalification fiscale ?", Act. Fisc., 2011/3; F. VANNESTE, "Artikel 344, § 1 WIB 92 toch niet afgeschreven", Fisc. Act., 2010/40, p. 5.

83 Cf. Civ. Anvers, 12 janvier 2012, rôles n° 10/3732/A et n°10/3733/A, Fiscalnet. 84 Sur cette nouvelle disposition, cf. les études de M. BOURGEOIS et A. NOLLET, "La réécriture de la

mesure 'générale antiabus' en matière d'impôts sur les revenus, de droits d'enregistrement et de droits de succession", J.T., 2012, p. 493 et s.; M. BOURGEOIS et A. NOLLET, "L'introduction d'une notion générale d'"abus (de droit) fiscal"en matière d'impôts sur les revenus, de droits d'enregistrement et de droits de succession", op. cit., p. 4 et s.; P-P. HENDRICKX, "La nouvelle mesure anti-abus", Compt. & Fisc. Prat., 2012/7, p. 2 et s.; S. SEGIER, "Abus fiscal : commentaire autour des deux circulaires ministérielles et essai d'approche méthodologique", R.G.F., 2012/7, p. 14 et s; F. VANDEN HEEDE, "Disposition anti-abus rénovée : quel impact sur votre pratique professionnelle ?", Pacioli, n° 349, p. 1 et s.

85 Publiée au Mon.B., 6 avril 2012, 3ème éd., p. 22.143. 86 Cf. Exposé des Motifs, Doc 53, 2081/001, pp. 113 et 116.

Page 27: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 27

E.2.1. Inopposabilité de l'acte et non, de la qualification 17.- Au contraire de l'ancienne mouture de la disposition anti-abus, en cas d'"abus fiscal", la nouvelle version frappe d'inopposabilité à l'administration, non pas la qualification que le contribuable a donnée à (aux) acte(s) accompli(s), mais bien l'acte juridique lui-même ou un ensemble d'actes juridiques réalisant une même opération. La Circulaire administrative n° 4/2012 du 4 mai 201287 (ci-après dénommée, "la Circulaire") souligne qu' "il n'y a donc plus lieu de requalifier (en un autre acte juridique) comme c'était le cas auparavant"88. La critique principale formulée à l'encontre de l'ancien système était précisément que la requalification ne pouvait concerner les éléments essentiels de l'acte juridique (tels que les parties, l'objet, les effets essentiels ou essentialisés,…) mais uniquement des effets juridiques annexes, dès lors que, selon la jurisprudence devenue constante de la Cour de cassation, la nouvelle qualification devait avoir des effets juridiques non fiscaux "similaires à ceux de l'acte juridique originel"89. La Circulaire précise également que des actes répartis sur plusieurs années pourraient être rendus inopposables "à condition de démontrer l'unicité d'intention entre les opérations", ces actes devant être "conçus dès le départ comme une chaîne indivisible"90. Un autre acte juridique ne doit pas être substitué à celui qui est rendu inopposable à l'administration et les obligations ou droits éventuellement nés des parties subsistent91. De manière peu cohérente, la Circulaire constate que l'inopposabilité peut valoir soit par rapport aux deux parties à la convention, soit à l'égard d'une seule partie (avec, dans ce cas, un risque de double imposition économique) 92, la convention devant alors être analysée "au cas par cas".

E.2.2. Quand se trouve-t-on en présence d'un "abus fiscal" ? 18.- Il y a "abus fiscal" lorsque le redevable réalise, par l'acte juridique ou l'ensemble d'actes juridiques qu'il a posé, l'une des opérations suivantes :

87 Cf. Circulaire n°4/2012 du 4 mai 2012 (AAF n° 3/2012, AGFisc n° 17/2012, AGDP n° 4/2012) publiée au

Mon.B. du 14 mai 2012. 88 Cf. Circulaire, point C.1.2.1.

89 Cf. Cass., 10 juin 2010, op. cit. 90 Cf. Circulaire, point C.1.2.1. 91 Cf. Circulaire, point C.1.2.4. 92 Cf. P-P. HENDRICKX, "La nouvelle mesure anti-abus", op. cit., p.9.

Page 28: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 28

1° Soit une opération par laquelle il se place, en violation des objectifs d'une disposition du Code ou de ses arrêtés d'exécution, en dehors du champ d'application de cette disposition : il s'agit d'une disposition visant à établir un impôt.

2° Soit une opération par laquelle il prétend à un avantage fiscal prévu par une disposition

du Code ou de ses arrêtés d'exécution, dont l'octroi serait contraire aux objectifs de cette disposition et dont le but essentiel est l'obtention de cet avantage : il s'agit d'une disposition visant à exonérer ou réduire l'impôt.

Suivant une conception "objective" de l'abus fiscal, il y a lieu de se référer aux objectifs de la norme. Par le choix de la forme, le contribuable se place tantôt en dehors du champ d'application d'une disposition visant à augmenter l'impôt, tantôt dans le cadre d'une disposition visant à le réduire93.

L'abus fiscal doit également être entendu de manière "subjective", ce qui implique de s'interroger sur l'intention du contribuable qui pose un choix avec comme but essentiel l'obtention d'un avantage fiscal incompatible avec les objectifs de la disposition fiscale concernée. En définitive, ce qui est avant tout stigmatisé par la Circulaire, ce sont les "constructions purement artificielles", lorsque l'opération ne poursuit pas les objectifs économiques que sous-tend la législation fiscale ou est sans rapport avec la réalité économique ou ne se déroule pas dans les conditions commerciales ou financières du marché, dans le but d'obtenir un avantage fiscal ou d'éviter l'impôt dû94. Sont notamment visées les filiales ou sous-filiales "boîtes aux lettres" ou "écrans". Principalement en ce qui concerne les impôts sur les revenus au regard desquels les circulaires et autres instructions édictées par l'administration s'expriment en termes très généraux, il est encore trop tôt pour circonscrire précisément les applications que cette dernière en fera sur le terrain. Une nouvelle circulaire est annoncée à cet égard, laquelle n'était pas encore publiée au moment où nous avons achevé notre contribution. E.2.3. Preuve contraire à rapporter par le contribuable 19.- Lorsque l'administration a établi l'existence d'un abus fiscal, il appartient au redevable de prouver que l'acte juridique ou l'ensemble d'actes juridiques se justifie par "d'autres motifs que la volonté d'éviter les impôts sur les revenus". Selon la Circulaire, l'administration peut se contenter de prouver l'élément objectif de l'abus, et non que le choix est uniquement dicté par des considérations fiscales. Elle doit faire état d'un

93 Cf. Circulaire, point C.1.2.2.

94 Cf. Circulaire, point C.1.2.2.

Page 29: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 29

ensemble de circonstances objectives et peut recourir à tous les moyens de preuve prévus par le droit commun, hormis le serment95. Il incombe alors au contribuable de rapporter la preuve contraire. La Circulaire vise trois situations où les motifs "non-fiscaux" sont à ce point "négligeables" que cette preuve n'est pas établie, mais elle ne fournit pratiquement aucune illustration concrète : 1° actes juridiques par lesquels un pur avantage fiscal est visé;

2° actes juridiques dans lesquels les motifs non fiscaux sont si généraux qu'ils sont

nécessairement présents lors de chaque opération du même type (ainsi en cas de fusion, l'économie des coûts structurels résultant de la réduction des frais administratifs et de gestion);

3° actes juridiques où les motifs non fiscaux sont spécifiques à l'opération concernée, mais

ont un intérêt tellement limité qu'une personne raisonnable ne réaliserait pas l'opération pour ces motifs.

Lorsque le redevable ne fournit pas la preuve contraire, l'opération est soumise à un prélèvement "conforme à l'objectif de la loi, comme si l'abus n'avait pas eu lieu". Curieusement, la Circulaire ne vise toutefois que la base imposable et le calcul de l'impôt (tarif, montant) qui doivent être rétablis afin d'atteindre cet objectif96. A s'en tenir strictement au texte, on peut se demander si l'administration dispose encore d'une telle latitude au regard de la matière imposable, du fait générateur de l'impôt, voire de la personne même du contribuable97.

E.2.4. La notion d'abus fiscal est distincte et exclusive de celle de fraude fiscale 20.- La Circulaire confirme par ailleurs que le contribuable qui méconnait la disposition anti-abus ne se rend pas coupable de fraude fiscale98. Ceci implique plusieurs conséquences99: 1° la cotisation supplémentaire éventuelle devra nécessairement être enrôlée dans le délai

de trois ans prenant cours à dater du 1er janvier de l'exercice d'imposition, qui est visé par l'article 354, alinéa 1 du CIR/92;

95 Cf. Circulaire, point C.1.2.3. 96 Cf. Circulaire, point C.1.2.4. 97 Cf. les observations développées à cet égard par M. BOURGEOIS et A. NOLLET, "La réécriture de la

mesure "générale antiabus" en matière d'impôts sur les revenus, de droits d'enregistrement et de droits de succession", op. cit., p.500.

98 Cf. M. ELOY, "Le retour de la théorie de la fraude à la loi", R.G.F., 2012-2013, p. 3 : selon cet auteur, "ce

n'est pas la fraude fiscale qui est visée mais bien les constructions juridiques dénuées de motivation économique réelle, ou en tout cas dont le but est d'éviter l'impôt"; S. SEGIER, "Abus fiscal : commentaire autour des deux circulaires ministérielles et essai d'approche méthodologique", op. cit., p. 20.

99 Cf. Circulaire, point C.2.4.

Page 30: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 30

2° l'administration n'est pas tenue de dénoncer les faits constatés au Parquet (article 29 du

Code d'instruction criminelle);

3° si des accroissements sont appliqués, ils ne peuvent excéder 10 à 30 % en fonction du nombre d'infractions commises; ils pourraient également être réduits à zéro eu égard à la bonne foi du contribuable.

E.2.5. Interaction de l'article 344, § 1 du CIR/92 et de l'article 18, alinéa 1, 4° du CIR/92 21.- La disposition anti-abus contenue dans l'article 344, § 1 du CIR/92 a un caractère général100. Se référant aux travaux préparatoires101, la Circulaire précise qu'elle est appliquée "lorsque la méthode d'interprétation ordinaire, les dispositions techniques du Code, les dispositions spéciales relatives anti-évitement de l'impôt et la théorie de la simulation ne sont d'aucun secours (DOC 53 2081/001, p. 112-113). L'administration peut donc appliquer l'article 344, §1er, nouveau, CIR/92 lorsque les autres moyens spécifiques n'auront pu l'aider suffisamment et qu'elle considère avoir des raisons suffisantes pour recourir à cette disposition générale (DOC 53 2081/016, p. 70 et 79)." Conformément à l'adage "specialia generalibus derogant", nous sommes d'avis que toutes les dispositions anti-abus "spécifiques" ou "particulières" priment sur la disposition anti-abus générale, du moins lorsque les conditions d'application des premières nommées sont réunies. Il en est notamment ainsi de l'article 18, alinéa 1, 4° et de l'article 18, alinéa 2 du CIR/92 qui le précise. Néanmoins, la disposition anti-abus pourra être invoquée dans le cas où, pour éviter le jeu de la requalification et donc, de la taxation, le contribuable s'est délibérément placé en dehors du champ d'application de l'article 18, alinéa 1, 4° du CIR/92 en violation des objectifs de cette disposition du Code ou de ses arrêtés d'exécution102. Lorsqu'on a égard aux conditions d'application de l'article 18, alinéa 1, 4° du CIR/92, l'abus fiscal pourrait résider soit dans l'interposition d'une personne entre la personne qui consent l'avance et le bénéficiaire de celle-ci103, soit dans le recours à un mécanisme juridique qui ne

100 Cf. Doc. Parl., Chambre, 2011-2012, n° 53-2081/001, p. 110.

101 Cf. Circulaire, point C.2.3.

102 Comme le précisent M. BOURGEOIS et A. NOLLET ("La réécriture de la mesure "générale antiabus"...",

op. cit., p. 496), "la mesure générale interviendrait alors en "deuxième ligne", pour remplacer dans le champ d'application des mesures spécifiques (antiabus) des montages qui les auraient abusivement contournées, mais certainement pas pour rajouter de la sévérité au redressement qui aurait déjà été permis au fisc en application de ces mesures".

103 Il s'agit alors d'une construction "purement artificielle", telle que la stigmatise la Circulaire du 4 mai 2012

(point C.1.2.2), laquelle pourrait également être combattue en recourant à la théorie de la simulation.

Page 31: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 31

pourrait, en soi, être qualifié d'"avance" au sens de cette disposition, en ayant notamment égard à la jurisprudence de la Cour de cassation104.

*

* *

104 La créance comptabilisée au crédit du compte courant du dirigeant d'entreprise, au sens où la

jurisprudence rendue en matière fiscale entend celui-ci, est ainsi susceptible de constituer une telle "avance", en fonction de l'intention des parties et des circonstances de l'espèce, notamment les écritures comptables. En irait-il de même si les parties (société et dirigeant) avaient organisé entre elles un véritable "compte courant" avec les effets que reconnaissent à ce dernier la doctrine et la jurisprudence commercialistes, lesquelles écartent, en toute hypothèse, la qualification de prêt ? En effet, la jurisprudence de la Cour de cassation que nous avons abondamment commentée repose systématiquement sur le postulat qu'existe un prêt entre la société et son dirigeant, la remise des fonds prêtés pouvant résulter de la seule expression du consentement des parties, notamment matérialisée par une inscription en compte courant.

Page 32: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 32

PARTIE II. COMPTE COURANT CREDITEUR DANS LE

CHEF DE L'ASSOCIÉ OU DU DIRIGEANT

A. LA NOTION D'"ATTRIBUTION" A.1. Introduction

22.- Une société peut attribuer à son dirigeant un revenu professionnel, un revenu mobilier (dividende ou intérêt) ou encore un prix (suite à une vente ou un apport mixte), par inscription du montant de celui-ci au crédit de son compte courant. Toute inscription au crédit du compte courant d'un dirigeant ne constitue pas nécessairement un revenu ou une plus-value imposable. Ainsi, il peut s'agir notamment :

- du remboursement au dirigeant de dépenses propres à la société (article 32, alinéa 2, 1°

du CIR/92), le cas échéant, après régularisation du compte fournisseur; - de la régularisation du solde de la caisse; - d'une avance non rémunérée, etc… Quant au remboursement de frais propres à la société, le contribuable n'est pas toujours en mesure d'établir que le montant porté au crédit de son compte ne correspond pas à une rémunération imposable et qu'il payé ces dépenses au moyen de ressources personnelles105. A défaut de fiche et de relevé récapitulatif, ce montant sera soumis à la cotisation spéciale sur commissions secrètes106. En vertu de l'article 360, alinéa 1 du CIR/92, "l'impôt dû pour un exercice d'imposition est établi sur les revenus que le contribuable a recueillis pendant la période imposable". Et, les revenus de la période imposable sont notamment les revenus des capitaux et biens mobiliers, les revenus professionnels (entre autres, les rémunérations, les pensions, les rentes et les allocations) et certains revenus divers, payés ou "attribués" pendant cette période (article 204 de l'arrêté royal d'exécution.du CIR/92).

Il importe donc de déterminer quand s'opère cette "attribution" afin de pouvoir rattacher le revenu à une période imposable déterminée.

De manière générale, "l'attribution de sommes" vise la mise à la disposition du bénéficiaire de revenus, sans qu'il y ait nécessairement paiement des dites sommes. Il faut et il suffit que le

105 Cf. Bruxelles, 26 mai 2011, rôle n° 1993/FR/179, Fiscalnet; Anvers, 20 avril 2010, rôle n°

2006/AR/2041, Fiscalnet; Anvers 8 septembre 2009, rôle n° 2008/AR/211, Fiscalnet; Gand, 8 novembre 2005, rôle n° 2004/AR/1344, Fiscalnet; Civ. Leuven, 19 novembre 2004, rôle n° 01/1998/A, Fiscalnet; Civ. Gand, 10 janvier 2002, rôle n° 00/1704/B, Fiscalnet. Afin d'éviter la requalification en rémunération, il est recommandé de payer ces dépenses avec une carte de crédit ou une carte bancaire ou de se les faire rembourser par la caisse, moyennant conservation des pièces justificatives.

106 Cf. Liège, 12 juin 2011, rôle n° 2009/RG/1467, Fiscalnet; Civ. Leuven, 6 janvier 2012, rôle n°

10/1516/A, Fiscalnet.

Page 33: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 33

bénéficiaire puisse disposer du montant attribué pour qu'il soit imposable, c'est-à-dire que ledit montant soit susceptible d'être encaissé immédiatement107.

A.2. Quand l'inscription d'un revenu au crédit du compte courant est-elle constitutive d'une " attribution" taxable ?

23.- Selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, l'inscription en compte courant d'un revenu mobilier implique une "mise à disposition effective du revenu", qui justifie en principe l'attribution et donc l'imposition l'année au cours de laquelle l'inscription a lieu108.

Suivant le Commentaire administratif109, le fait de créditer, lors de la répartition bénéficiaire, un compte de la société ouvert au nom d'un associé qui l'utilise suffit pour considérer les montants comptabilisés comme imposables. La question de savoir si un paiement réel a ou non eu lieu est a priori sans objet. L'article 267, alinéa 1 du CIR/92 stipule que "l'attribution" et la mise en paiement des revenus mobiliers, en espèces ou en nature, entraîne l'exigibilité du précompte mobilier. La date de l'encaissement effectif de ceux-ci par le bénéficiaire est sans importance, dès lors que ce qui importe c'est qu'ils soient susceptibles d'encaissement immédiat110. En outre, il précise qu'est notamment considérée comme attribution, "l'inscription d'un revenu à un compte ouvert au profit du bénéficiaire, même si ce compte est indisponible, pourvu que l'indisponibilité résulte d'un accord exprès ou tacite avec le bénéficiaire" (article 267, alinéa 2 du CIR/92) 111. S'il est constaté que les fonds sont indisponibles, le régime diffère donc selon que cette indisponibilité résulte ou non de l'accord du bénéficiaire. Si le revenu est indisponible du fait de la volonté ou du consentement du bénéficiaire, ou d'une convention (expresse ou tacite) entre les parties, il s'agit d'un acte de disposition et le revenu est imposable au cours de la période imposable de son inscription112. Dans le second cas, par

107 Cf. Bruxelles, 7 avril 2000, rôle n° 1996/FR/21, Fiscalnet. En l'espèce, le contribuable s'était vu attribuer

des tantièmes lors de l'assemblée générale de l'année X alors que le paiement du montant attribué n'a été opéré qu'au cours de l'année X+2. La Cour considère que l'attribution des tantièmes est imposable l'année de leur attribution. En outre, elle relève que le paiement différé est dû à la volonté du contribuable.

108 Cf. Cass. 3 octobre 1967, Pas., 1968, I, p. 156; Cass., 19 juin 1962, Pas., 1962, I, p. 1193; Cass., 13 juin

1927, Pas., 1927, I, p. 254; Cass., 19 janvier 1917, Pas., I, p. 98. 109 Cf. Com.IR/92, n° 33/27,5°. Voy. également les références citées par Com.IR/92, n° 360/68. 110 Cf. Com.IR/92, n° 261/29.

111 L'article 267 du CIR/92 apporte différentes précisions quant à la date d'attribution ou de mise en paiement

de certains revenus mobiliers, toutefois étrangères à la problématique que nous examinons ici. 112 Cf. Com.IR/92, n°261/31; Liège, 19 février 1969, Bull.Cont. Dir., n° 470; Civ. Namur, 20 octobre 2004,

rôle n° 320/2003, Fiscalnet.

Page 34: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 34

exemple en cas de faillite ou d'insolvabilité avérée de la société, il n'y a pas de véritable attribution et, par conséquent, pas de taxation113.

Le Commentaire administratif précise que "si, du fait d'une circonstance indépendante de la volonté du bénéficiaire, le compte est indisponible, il n'y a, en fait ou en droit, ni attribution d'un revenu, ni, par conséquent, matière – du moins jusqu'à prélèvement effectif par le bénéficiaire – à débition du précompte mobilier"114-115. Quant à la capitalisation des intérêts portés au crédit du compte ouvert au nom d'un prêteur, elle est "à considérer comme attribution de revenus, s'il est constant que l'indisponibilité de ceux-ci provient ou dépend du consentement donné par le bénéficiaire"116.

Selon une certaine jurisprudence, ne constitue pas une attribution, l'inscription d'intérêts échus dans un compte de régularisation "intérêts à payer" non individualisé au nom du bénéficiaire des revenus, lorsqu'il était impossible, vu la situation financière de la société, d'éviter un moratoire dans le paiement des intérêts117. Lorsqu'une assemblée générale ordinaire décide l'attribution de dividendes, plusieurs situations peuvent se présenter118: a) soit l'assemblée générale fixe la date de mise en paiement, de sorte que le revenu sera a

priori taxable à ce moment. b) soit elle délègue au conseil d'administration ou à la gérance le soin d'arrêter cette date :

il y aura en principe lieu de se référer à cette dernière119. c) soit l'assemblée générale ne précise aucune date, de sorte que la créance de l'associé est

pure et simple : il peut en exiger le paiement sans délai et les dividendes sont susceptibles d'encaissement immédiat et donc, taxables.

La réponse à la question de savoir si le compte courant est indisponible en raison d'une circonstance indépendante de la volonté du bénéficiaire n'est pas nécessairement simple. Ainsi, lorsqu'un plan prévoit, dans le cadre d'une réorganisation judiciaire, que des dividendes dus par la société seront partiellement versés aux actionnaires, créanciers de cette dernière, doit-on

113 Cf. S. VANHAELST et M. GOSSIAUX, "Impôt des personnes physiques : les principaux aspects fiscaux d'opérations en compte courant réalisées par un dirigeant d'entreprise ou un associé", Compt. Fisc. Prat., 2010, n° 7, p. 1 et réf. citées en notes 4 et 5.

114 Cf. Com.IR/92, n° 261/31.

115 Cf. en ce sens, Civ. Liège, 16 avril 2007, F.J.F., n° 2009/98.

116 Cf. Com.IR/92, n° 261/31. 117 Cf. Bruxelles, 10 décembre 1998, rôle n° 1991/FR/381, Fiscalnet.

118 Cf. Civ. Liège, 18 juin 2009, rôle n° 00/3623/A, Fiscalnet. 119 Cf. Com.IR/92, n° 261/30; Cass., 7 février 1967, Bull., n°450. On recommandera de comptabiliser le

revenu dans un compte d'attente ("dividendes à payer") et non, au crédit du compte courant de l'associé.

Page 35: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 35

considérer que le vote, favorable ou non, des dits actionnaires est indépendant de l'indisponibilité frappant ces sommes ? Ou encore, lorsqu'une action en suspension ou en annulation est introduite par un actionnaire contre la décision d'une assemblée générale ayant décidé d'accorder des dividendes, cet actionnaire est-il totalement étranger au caractère indisponible de ces dividendes ? 24.- En vertu de l'article 273, alinéa 1, 1° du CIR/92, "le précompte professionnel est exigible en raison du paiement ou de l'attribution des rémunérations imposables". Pour qu'il y ait "attribution", il faut que le bénéficiaire puisse disposer effectivement des revenus; "en d'autres termes, ils doivent être susceptibles d'encaissement immédiat"120. A nouveau, suivant la jurisprudence de la Cour de cassation, l'inscription en compte courant d'une rémunération implique une "mise à disposition effective du revenu", qui justifie l'imposition l'année au cours de laquelle l'inscription a lieu121-122. Les cours et tribunaux examinent cette question de fait afin de déterminer si, à l'occasion de l'inscription au crédit de son compte courant, le dirigeant d'entreprise a réellement eu la libre disposition des fonds123, une telle inscription n'impliquant pas nécessairement l'existence d'un revenu taxable124.

L'attribution implique une "mise à disposition", sans qu'un paiement effectif doive avoir lieu en espèces entre les mains du bénéficiaire125. Lorsque les rétributions sont créditées en compte courant avec l'accord de ce dernier, leur inscription au crédit opère transfert de propriété et vaut paiement126-127. La question de savoir si le compte courant est ou non disponible relève de l'examen des conventions des parties128.

120 Cf. Com.IR/92, n° 273/2. 121 Cf. Cass., 8 mars 2007, rôle n° F.06.0040.F, F.J.F., 2007, p.813.

122 Cf. Liège, 16 mars 2005, rôle n° 1998/FI/295, Fiscalnet : il y a rémunération, si le dirigeant n'est pas en

mesure de prouver, par exemple, qu'il s'agit d'une avance consentie à la société ou d'une prise en charge de factures des fournisseurs de celle-ci.

123 Cf. Anvers, 12 avril 2008, rôle n° 2007/AR/2537, Fiscalnet; Liège, 5 janvier 2005, rôle n° 2004/RG/267,

Fiscalnet; Civ., Bruxelles, 29 avril 2004, rôle n° 2003/3323/A, Fiscalnet. 124 Cf. Bruxelles, 13 septembre 2007, rôle n° 1999/FR/028, Fiscalnet; Bruxelles, 10 mai 2007, rôle n°

1992/FR/391, Fiscalnet; Bruxelles, 26 octobre 2005, rôle n° 93/FR/223, Fiscalnet; Bruxelles, 24 décembre 1992 et 2 février 1993, J.D.F., 1993, p.110; Anvers, 16 mars 1992, F.J.F., 92/115.

125 Cf. Cass., 8 mars 2007, op. cit.; Cass., 28 février 1974, Pas., I, p. 721, Cass., 17 février 1970, Pas., 1970, I, p. 535.

126 Cf.Com.IR/92, n° 273/2 et réf. citées.

127 Cf. Liège, 12 juin 2011, op. cit.; Bruxelles, 29 septembre 2010, rôle n° 2007/AR/436, Fiscalnet; Anvers, 20 avril 2010, op. cit.(dans cette affaire, la Cour d'appel d'Anvers invoque également le principe d'attraction); Civ. Leuven, 19 novembre 2004, op. cit.; Civ., Bruxelles, 29 avril 2004, op. cit.; Civ. Gand, 10 janvier 2002, op. cit.

Page 36: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 36

A.3. Quand l'inscription d'un prix au crédit du compte courant est-elle constitutive d'une " attribution" taxable ?

25.- Lorsque le contribuable vend un actif à la société ou effectue un apport mixte en faveur de cette dernière, l'inscription d'une partie du prix au crédit de son compte courant vaut en principe paiement. Si le montant a été inscrit avec l'accord du contribuable, il s'agit d'un acte de disposition et il y aura une plus-value imposable, le cas échéant129-130. Il ne suffit pas à l'administration de prétendre que l'inscription de la créance de prix en compte courant aurait emporté la novation de la dette de la société, en transformant celle-ci en un prêt d'argent, avec pour conséquence la taxation de la somme prétendument mise à disposition de la société131. Elle doit en rapporter positivement la preuve.

B. PRISE EN CHARGE DES PERTES DE SA SOCIETE PAR UN DIRIGEANT (ARTICLE 53, 15° DU CIR/92)132 B.1. Introduction 26.- En principe, les pertes des sociétés prises en charge par des personnes physiques ne constituent pas des frais professionnels déductibles.

128 Cf. Bruxelles, 9 mars 1982, Fiscalnet : la Cour d'appel de Bruxelles conclut à l'indisponibilité en raison de

l'insolvabilité de la société. 129 Cf. Cass., 14 octobre 1992, F.J.F., n° 94/55; Bruxelles, 26 juin 2008, F.J.F., n° 2009/8; Civ. Hasselt, 28

février 2007, F.J.F., n° 2007/221. 130 Cf. F. BALTUS et G.VAN DEN BERG, "Les comptes d'associés – aspects fiscaux", D.A.O.R., 1995, p.

51; L. VANHEESWIJCK et L. DE BROECK, "Fiscale en juridische aspecten van de rekening-courant tussen bestuurders, vennoten, aandeelhouders en hun vennootschap", T.F.R., 1996, p. 304.

131 Cf. Bruxelles, 30 novembre 2011, rôle n° 2007/AR/3232, Fiscalnet. La Cour d'appel de Bruxelles, faisant

référence à la jurisprudence de la Cour de cassation rendue dans le contexte de l'article 18, alinéa 1, 4° du CIR/92, suivant laquelle une inscription en compte courant n'implique pas nécessairement l'existence d'un prêt (cf. supra, Section A), écarte la thèse de l'Etat belge et conclut qu'il y a bien eu vente avec report du prix, moyennant le paiement d'intérêts conventionnels. La thèse de l'Etat belge était motivée par le fait que le contribuable était vétérinaire et qu'il était taxable sur ses profits, ce qui nécessitait que le prix de vente fût effectivement payé.

132 Cf. N. BENOIT, "La prise en charge des pertes d'une société par un dirigeant d'entreprise", Comp. Fisc. Prat., 1999/8, pp. 13 à 31; B. DHAEYER, "La prise en charge par un associé des pertes de la société. Synthèse d'un enseignement jurisprudentiel", R.G.F., 1979, p. 98; R. FORESTINI, "De tenlasteneming van vennootschapsverliezen door een vennoot of een bestuurder", T.F.R., 1991, pp. 147 à 157; R. ROELAND, "La prise en charge de pertes et de dettes sociales par des associés, gérants et administrateurs de sociétés", J.T., 1991, p. 97; L. VANDENBERGHE, "De aftrekbaarheid als beropeskosten van de verliezen van een vennootschap die bestuurders en werkende vennoten of bedrijfsleiders ten laste nemen", R.W., 2006-2007, pp. 1195 et 1196; P. VAN MERRIS, "La prise en charge des pertes sociales avant et après l'insertion de l'article 50,6° dans le C.I.R.", R.G.F., 1990, pp. 111 à 121.

Page 37: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 37

En vertu de l'article 53, 15° du CIR/92, il est toutefois dérogé à cette règle, lorsqu'il s'agit de "dirigeants d'entreprise qui réalisent cette prise en charge par un paiement, irrévocable et sans condition, d'une somme, effectué en vue de sauvegarder des revenus professionnels que ces dirigeants retirent périodiquement de la société et que la somme ainsi payée a été affectée par la société à l'apurement de ses pertes professionnelles". Au sens de cette disposition, les "pertes" désignent les pertes comptables133 qui découlent de la diminution de l'actif net au cours d'un exercice, et d'une manière plus générale, du solde déficitaire de l'activité professionnelle134. Aussi sont donc visées tant les pertes de l'exercice que les pertes reportées. Quant à la "prise en charge" des pertes, il s'agit de la couverture et de la prise en compte de celles-ci en vue d'apurer le bilan135, cette dernière pouvant revêtir la forme du débit d'une avance en compte courant. Ce dernier aspect retiendra plus particulièrement notre attention. B.2. Conditions de déductibilité 27.- Les dirigeants d'entreprise, personnes physiques, peuvent prendre en charge les pertes de leur société aux conditions suivantes : B.2.1. La prise en charge doit être faite par un "dirigeant d'entreprise" au sens technique

du terme dans une société, résidente ou non136 28.- Sont visés les "dirigeants d'entreprise" au sens de l'article 32 du CIR/92. Cette condition n'appelle pas de commentaire particulier.

B.2.2. La prise en charge doit se faire par le paiement irrévocable et sans condition d'une somme137-138, réalisant un appauvrissement réel et définitif et un décaissement effectif139

133 On rappellera que les notions de "perte comptable" et de "perte fiscale" sont distinctes. A cet égard, il convient d'observer qu'au contraire d'une réduction de capital en vue d'apurer les pertes comptables opérée conformément au Code des Sociétés, la prise en charge des pertes sociales par un dirigeant d'entreprise se traduit par un accroissement des avoirs investis dans l'exploitation et engendre un bénéfice taxable à l'impôt des sociétés, ce qui implique une réduction à due concurrence des pertes fiscales récupérables.

134 Cf. N. BENOIT, "La prise en charge des pertes d'une société par un dirigeant d'entreprise", op. cit., p. 16. 135 Cf. Avis C.N.C., n° 121/2, Bull. C.N.C., n°9, décembre 1987, p. 9. 136 Cf. N. BENOIT, "La prise en charge des pertes d'une société par un dirigeant d'entreprise", op. cit., p. 18

et réf. citée à la note 24. 137 L'administration préconise l'établissement d'un document daté et signé, adressé à la société et

mentionnant: le montant du versement; son caractère irrévocable et sans condition; l'affectation qui doit lui être donnée. A cette déclaration est jointe une copie du procès-verbal par lequel l'assemblée générale précise le moment, la manière et le montant de la prise en charge des pertes sociales par le dirigeant (cf. Com.IR/92, n° 53/233-234).

Page 38: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 38

29.- Par "paiement d'une somme", il convient d'entendre toute opération - y compris les virements ou versements par chèques postaux ou bancaires - qui traduit un décaissement effectif de la part du contribuable, à l'exclusion de simples écritures comptables effectuées au sein de la société140. Cette condition est justifiée par le fait que le législateur a essentiellement voulu que la société puisse disposer de liquidités effectives pour faire face à ses obligations141. Le Commentaire administratif142 exclut les situations suivantes engendrant une prise en charge des pertes d'une manière indirecte : la renonciation aux intérêts ou plus généralement à toutes sommes quelconques dues par la société, la reprise à sa valeur nominale d'une créance douteuse détenue par la société sur un tiers, mais également l'inscription de la perte au débit du compte courant du dirigeant. Nonobstant ce qui précède, il y a appauvrissement effectif du patrimoine du dirigeant, si son compte courant est débité après qu'il y ait eu un véritable versement en faveur de la société143. Le dirigeant renonce ainsi à sa créance en vue d'apurer la perte. Il ne s'agit pas d'un simple jeu d'écritures144. Selon le Commentaire administratif145, le paiement d'une avance effectué par un associé ou un administrateur au profit de sa société ne satisfait pas, en soi, aux conditions fixées par l'article 53, 15° du CIR/92. Par mesure d'équité, il admet cependant que les avances en numéraire qui ont été consenties antérieurement par le contribuable en cause à sa société soient assimilées au "paiement d'une somme", si les conditions suivantes sont réunies146:

138 A notre sens, il convient d'admettre que le dirigeant puisse désintéresser directement les créanciers, au

profit de la société, sans que l'argent transite par cette dernière (cf. en ce sens, Anvers, 26 mars 1996, Fiscologue, n° 573, p. 10).

139 Selon le ministre des Finances, la remise de parts sociales détenues dans une autre société ne satisfait pas

à la condition de paiement d'une somme d'argent – cf. Quest. Parl. n° 318 de Mr. WINTGENS, 28 septembre 1989, Bull. Cont. Dir., 1990, n° 693, pp. 995-996.

140 Cf. Exposé des motifs, Doc. Parl., Sénat, session 1985-1986, n° 310/1, p. 8. 141 Cf. Quest. Parl. n° 142 de Mr WINTGENS, 21 mars 1990, Bull. Cont. Dir., n°698, p. 2740. 142 Cf. Com.IR/92, n° 53/224. 143 Cf. Gand, 20 juin 2006, rôle n° 1995/FR/129, Fiscalnet; Civ. Bruxelles, 18 mai 2005, rôle n°

2003/2159/A, Fiscalnet. 144 Cf. Anvers, 10 février 2009, Fiscologue, 2009, n° 1155, p. 11; Bruxelles, 11 mai 2000, Cour. Fisc., 2000,

p. 349. 145 Cf. Com.IR/92, n° 53/227. 146 Cf. Com.IR/92, n° 53/228 et Circulaire du 18 février 1988, op. cit.

Page 39: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 39

1° le lien entre le paiement de la somme d'argent et la perte sociale enregistrée à la fin de l'exercice comptable est clairement établi (la preuve en incombe au contribuable); en l'absence d'éléments en sens contraire, on admettra l'existence de ce lien quand le paiement a lieu pendant l'exercice comptable au cours duquel la perte est apparue, ou au plus tard avant l'assemblée générale qui a approuvé les comptes annuels de cet exercice comptable (si le paiement a lieu après approbation des comptes annuels, il ne s'agit pas à proprement parler d'une avance);

2° le contribuable renonce explicitement et irrévocablement au remboursement de l'avance; 3° la société utilise, au plus tard lors de l'affectation du résultat, le montant de l'avance

ainsi convertie pour réduire ses pertes professionnelles. Une attention toute particulière doit être accordée aux écritures comptables, notamment lors de l'approbation des comptes annuels, le débit du compte courant (par le crédit du compte "perte prise en charge") pouvant être opportunément qualifié d'"abandon suite à versement irrévocable et inconditionnel"

B.2.3. La prise en charge doit être faite en vue de sauvegarder les revenus que le dirigeant retire périodiquement147 de la société elle-même (et non d'une entreprise liée)

30.- Le dirigeant devait donc recueillir, de manière périodique, des revenus professionnels antérieurement148 et il doit avoir l'espoir de conserver, au sein de la société, des rétributions futures149-150.

147 Suivant l'administration, sont visées les attributions répétitives et plus ou moins régulières par opposition

aux versements occasionnels (cf. Com.IR/92, n°s 53/221 et 222; Circulaire du 18 février 1988, op. cit., p. 25, point 9). Toutefois, une certaine jurisprudence tend à admettre que des attributions annuelles satisfont à la condition de périodicité (cf. Anvers 20 janvier 1998, F.J.F., n° 98/102; Anvers,15 mai 1995, F.J.F., n° 95/177, Cour. Fisc., 1995, pp. 492 à 494). On observera que les avantages de toute nature sont également pris en considération, moyennant respect de cette condition (cf. Mons, 19 septembre 1997, Cour. Fisc., 1997, pp. 589 à 592).

148 Cf. Cass., 11 octobre 1990, F.J.F., n° 91/7; Anvers, 13 novembre 1995, F.J.F., n° 96/36. Contra Anvers,

15 mai 1995, op. cit. 149 Cf. N. BENOIT, "La prise en charge des pertes d'une société par un dirigeant d'entreprise", op. cit., p. 21.

La prise en charge de pertes par un dirigeant en vue de voir sa démission ultérieure acceptée par la société ne semble pas constituer une charge professionnelle déductible (cf. Anvers, 16 septembre 1997, Fiscologue, n° 631, pp. 9 et 10).

150 La jurisprudence majoritaire estime que les pertes prises en charge lorsque la société est déjà dissoute,

mise en liquidation ou n'exerce plus d'activité, ne sont pas déductibles (cf. Anvers, 19 septembre 1994, Cour. Fisc., 1994, p. 569; Bruxelles, 24 décembre 1991, F.J.F., n° 91/218). Dans ces deux arrêts, était toutefois en cause la déductibilité sur base de l'article 49 du CIR/92 dont le champ d'application est moins restrictif que celui de l'article 53, 15° du CIR/92, de sorte que la solution adoptée nous paraît pouvoir être transposée au regard de cette dernière disposition.

Page 40: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 40

L'objectif poursuivi ne peut donc être d'assurer la survie de la société et d'éviter les problèmes économiques et financiers dans le chef de cette dernière, voire de sauvegarder la valeur de ses propres actions151. B.2.4. La somme payée doit être affectée, par la société elle-même, à l'apurement de ses

pertes professionnelles152 31.- Il peut être procédé de deux manières : soit les sommes versées sont comptabilisées comme résultats exceptionnels, soit la prise en charge s'effectue via l'affectation du résultat au moment de l'approbation des comptes annuels par l'assemblée générale153-154. En règle, la troisième condition peut être considérée comme remplie si la société en cause s'est conformée aux obligations découlant de la législation comptable. En raison des ajustements comptables opérés, les pertes prises en charge ne peuvent plus apparaître au bilan155.

32.- Dans la Circulaire précitée du 18 février 1988156, l'administration a posé comme condition supplémentaire que le montant des pertes prises en charge ne peut être sans commune mesure avec celui des revenus professionnels que le contribuable retire habituellement de sa société. L'objectif poursuivi était d'éviter un simple transfert des pertes vers le contribuable taxé à l'impôt des personnes physiques. Ceci impliquait que le dirigeant recueillît de la société des rémunérations significatives et régulières, qui étaient en relation plus ou moins normale avec l'importance des pertes prises en charge157. Ce rapport devait être apprécié sur une certaine durée et, non exercice par exercice.

151 Cf. Bruxelles, 23 septembre 2009, rôle n° 1998/FR/200, Fiscalnet : suite à la faillite de la société, le

contribuable, actionnaire à 50 %, postulait la déduction, sur base de l'article 49 du CIR/92, du montant des avances; la Cour d'appel considère que la preuve n'est pas rapportée que les avances ont été consenties pour conserver des revenus professionnels et non pour sauvegarder la valeur de ses actions, tout en relevant, à juste titre selon nous, qu'un paiement ne peut consister à la fois en une dépense professionnelle faite à fonds perdus et en un actif ou un crédit en compte; Anvers, 22 février 2000, rôle n° 1993/FR/314, Fiscalnet : la Cour d'appel constate que la prise en charge des pertes était justifiée par le souci de sauvegarder le patrimoine de la société et lui éviter des problèmes économiques et financiers.

152 Lors de la coordination du Code en 1992, le terme "réduction" des pertes sociales a été remplacé par

"apurement" dans l'article 53, 15° du CIR/92. Selon certains auteurs, cette modification n'implique pas que les pertes devraient toujours disparaître totalement du bilan (cf. en ce sens, N. BENOIT, "La prise en charge des pertes d'une société par un dirigeant d'entreprise", op. cit., p. 29.

153 Cf. Com.I.R./92, n° 53/230; Anvers, 16 janvier 1995, F.J.F., n° 95/154. 154 Cf. Avis C.N.C., n° 121/2, Bull. C.N.C., décembre 1987, n° 9, p. 9. 155 Cf. Com.IR/92, n° 53/230. 156 Cf. Ci. RH. 243/380.712, Bull. Cont. Dir., 1988, n° 671, p. 622. 157 Cf. Circulaire du 18 février 1988, op. cit., p. 625.

Page 41: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 41

Ce critère de proportionnalité était subjectif et dépourvu de toute base légale et la jurisprudence l'a, pour l'essentiel, écarté158. Il ne pouvait être décidé que la prise en charge des pertes aurait eu un caractère privé au prétexte que les revenus professionnels perçus ou à percevoir seraient peu importants. Après que le ministre des Finances eût déclaré que le Commentaire administratif relatif à cette condition allait être supprimé159, une nouvelle Circulaire fut adoptée, le 13 juillet 1998160, qui stipulait que l'existence d'une disproportion importante ne constitue pas en soi une raison suffisante pour refuser la déduction aux dirigeants des pertes prises en charge. Nonobstant ce qui précède, la disproportion demeure, pour certaines juridictions, un élément ou un critère susceptible d'être pris en compte pour apprécier si la prise en charge des pertes est réalisée pour sauvegarder des revenus professionnels propres161, et ce même si elle ne pourra plus constituer le seul critère fondant le rejet de la déduction162-163.

B.3. Moment de la déductibilité 33.- La déductibilité de la prise en charge des pertes sociales peut être invoquée par le dirigeant l'année où les deux conditions suivantes sont réalisées : d'une part, le paiement irrévocable et sans condition d'une somme d'argent; d'autre part, l'affectation de celle-ci à la réduction des pertes au moment où l'assemblée générale de la société approuve les comptes annuels constatant cette prise en charge164.

158 Cf en ce sens, Mons, 19 septembre 1997 et Gand, 2 octobre 1997, R.G.F., 1998, p. 122 et obs. A.

CALICIS; Anvers, 22 octobre 1996, F.J.F., n° 96/262; Anvers, 15 mai 1995, Cour. Fisc., p. 95/509; Anvers, 9 juin 1994, R.G.F., 1994, p. 261; Bruxelles, 19 décembre 1996, F.J.F., n° 97/103; Gand, 14 mars 1996, F.J.F., n° 96/190; Liège, 15 mai 1995, Cour. Fisc., 1995, p. 492; Liège, 9 mai 1990, Cour. Fisc., 1992, p. 158; voy. également réf. citées dans Act. Fisc., 1998, n° 30/2. Contra Bruxelles, 27 septembre 1996, F.J.F., n° 96/263; Anvers, 5 mai 1994, R.G.F., 1994, p. 260 et note critique de K. GHEYSEN.

159 Il s'agit du n° 53/222. Cf. Quest. Parl. n° 506 et 507 de Mr. DIDDEN, 18 juillet 1996, Bull. Cont. Dir.,

1996, n° 767, p. 65. 160 Cf. Ci.RH. 243/486.044, 13 juillet 1998, Bull. Cont. Dir., 1998, n° 785, pp. 1688 à 1725. 161 Cf. Anvers, 22 février 2000, op. cit. ; Civ. Bruxelles, 18 mai 2005, rôle n° 2003/2159/A, Fiscalnet. 162 Cf. J-P. MAGREMANNE, "Prise en charge des pertes. La condition de proportionnalité est illégale,

mais…", Act. Fisc., 1998, spéc. n° 30/2-3 et réf. citées; J. VAN DYCK, "Prise en charge de pertes : la circulaire administrative", Fiscologue, n° 670, pp. 1 à 3, et exemples donnés. Ainsi, la déduction ne sera en principe pas admise lorsque la prise en charge des pertes a pour but de transférer celles-ci à l'I.P.P. suite à des dépenses que le contribuable n'aurait pas pu déduire en personne physique au titre de frais professionnels (par exemple, l'amortissement d'immeubles à caractère privé faisant partie de l'actif d'une société dite de patrimoine).

163 La question de la proportionnalité a également été envisagée par la jurisprudence au regard du droit des

sociétés - cf. N. BENOIT, "La prise en charge des pertes d'une société par un dirigeant d'entreprise", op. cit., pp. 25-26. Nous partageons l'opinion de cet auteur, suivant laquelle il ne doit pas exister de proportion entre la prise en charge des pertes et l'apport effectué, la référence à l'article 1855 ancien du Code civil n'étant pas pertinente au regard de l'application de l'article 53, 15° du CIR/92.

164 Cf. Com.IR/92, n° 53/238.

Page 42: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 42

En réalité, la prise en charge s'opère à la date de clôture du bilan après répartition, et non à la date de l'assemblée générale165. Si les deux conditions se réalisent au cours de périodes imposables distinctes, la déduction s'opère au cours de la dernière166. Le Commentaire administratif167 décrit les trois situations suivantes :

1° l'associé ou l'administrateur effectue un paiement définitif et irrévocable qui est affecté à

l'apurement de la perte au cours de la même période imposable : déduction pour la période imposable au cours de laquelle les deux opérations se sont produites;

2° une avance à prendre en considération n'est convertie qu'au cours d'une période imposable ultérieure en une perte prise en charge : déduction pour la période imposable au cours de laquelle la conversion en perte a effectivement eu lieu;

3° la perte prise en charge ou mise à charge n'est apurée par le paiement d'une somme d'argent qu'au cours d'une période imposable ultérieure : déduction pour la période imposable au cours de laquelle la somme d'argent a été payée.

B.4. Déduction d'une perte en compte courant en raison de l'irrecouvrabilité de la créance

34.- Il convient de distinguer la situation visée à l'article 53,15 ° du CIR/92 que nous venons de commenter, dans laquelle un dirigeant prend en charge une perte de sa société, le cas échéant en abandonnant la créance en compte courant qu'il détient, de celle où la société est en redressement judiciaire, en liquidation ou en faillite, et où le dirigeant entend postuler la déduction de la perte sur la dite créance, sur base de l'article 49 du CIR/92. La difficulté réside ici dans la nécessité, pour le dirigeant, d'établir que les avances en compte courant ont été consenties "en vue de conserver ou d'acquérir des revenus imposables", la preuve lui en incombant. Ce but doit être apprécié au moment où l'avance est consentie, quelle que soit l'évolution ultérieure de la situation financière de la société. L'administration oppose souvent au contribuable que l'objectif qu'il poursuivait était de sauvegarder la société en tant que telle ainsi que ses intérêts privés d'actionnaire168. Force est d'admettre que la frontière est souvent ténue entre intérêts privés et intérêts professionnels.

165 Cf. Quest. Parl. n° 560 de Mr BRIL, 11 juillet 1990, Bull. Quest. Rép., n° 128, 2 octobre 1990, Sénat, sess. ord., 1989-1990, p. 10.416.)

166 Cf. Com.IR/92, n° 53/238; Circ. n° Ci.R.H. 243/380.712, 18 février 1988, op. cit., p. 631.

167 Cf. Com.IR/92, n° 53/238; Circ. n° Ci.R.H. 243/380.712, 18 février 1988, op. cit., p. 631.

168 Cf. Bruxelles, 23 septembre 2009, op. cit.; Anvers, 22 février 2000, op. cit.

Page 43: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 43

En pratique, il sera utile d'établir une convention mettant en évidence que l'objectif poursuivi est, grâce au développement et à l'augmentation de la rentabilité de la société permis par l'avance consentie par le dirigeant, d'augmenter ou, à tout le moins, de conforter les revenus professionnels de ce dernier169. Par ailleurs, il sera utile d'étayer le dossier avec un plan financier mettant en évidence l'impact de l'avance au regard de ces revenus professionnels et soulignant les conséquences négatives quant à leur principe ou leur montant, dans l'hypothèse où l'avance ne serait pas octroyée.

C. TAXATION INDICIAIRE (ARTICLE 341 DU CIR/92) C.1. Introduction 35.- L’évaluation de la base imposable peut être faite, sauf preuve contraire, pour les personnes morales comme pour les personnes physiques, d’après des signes et indices d’où résulte une aisance supérieure à celle qu’attestent les revenus déclarés (article 341 du CIR/92). Il n'est pas nécessaire d'établir au préalable le caractère non probant de la comptabilité. Le mécanisme de la taxation indiciaire implique un raisonnement par présomption réfragable ou juris tantum, sur base de signes et indices d’aisance. En pratique170, l’administration procède à une comparaison des dépenses et des revenus du contribuable. Les dépenses étant supposées financées au moyen des revenus imposables de la même période, si elles sont supérieures aux revenus, le décompte sera déficitaire. Ce dernier sera considéré comme un revenu imposable, mais il conviendra toutefois de ne pas se limiter à prendre en considération une seule période imposable. L'article 341 du CIR/92 implique la détermination d'un déficit indiciaire qui doit résulter de l'établissement d'une balance d'avoirs reprenant les sommes à justifier et celles qui sont justifiées171. Les signes et indices doivent consister dans des éléments connus dont la preuve est rapportée et qui permettent de présumer les revenus réels du contribuable. Les signes et indices résultant d'une cascade de présomptions doivent être écartés en raison de leur caractère arbitraire172.

C’est à l’administration qu’il incombe de démontrer, sans l’intervention du contribuable, les signes et indices dont l’existence constitue le préalable à la mise en œuvre de l’article 341 du CIR/92173.

169 Cf. S. VANHAELST et M. GOSSIAUX, "Impôt des personnes physiques : les principaux aspects fiscaux

d'opérations en compte-courant réalisées par un dirigeant d'entreprise ou un associé", Rev. Compt. Fisc. Prat., 2010, n° 7, p. 1 et s., spéc. p. 5.

170 Cf. W. HUBER, "Taxation indiciaire : l’Administration peut s’adresser au contribuable", Fiscologue,

2007, n° 1056, p.8. 171 Cf. Bruxelles, 29 janvier 2009, rôle n°2006/AR/3476, Fiscalnet. 172 Cf. Mons, 5 mars 2010, rôle n°1993/FI/1995, Fiscalnet.

Page 44: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 44

Jusqu’à l’arrêt de la Cour de cassation du 4 janvier 2007174, les juridictions de fond s’accordaient à considérer que l’administration ne pouvait pas associer le contribuable à sa recherche de signes et indices, à peine d'abuser des dispositions légales relatives aux demandes de renseignements175. La Cour de cassation a ainsi considéré que l’administration peut solliciter des renseignements auprès du contribuable et que "ces signes ou indices peuvent être révélés notamment par les informations données par le contribuable en réponse à la demande de renseignements que lui a adressée l’administration". Suite à cet arrêt, certaines juridictions de fond ont admis qu’une demande de renseignements peut être formulée par l’administration, pour autant que le but poursuivi ne soit pas la découverte d'indices, mais l'obtention de précisions ou d'éclaircissements à propos d’éléments dont elle a déjà une certaine connaissance176. Il convient de se demander si l'augmentation du solde créditeur d'un compte courant peut constituer un indice servant de base à une taxation indiciaire. 36.- La Cour de cassation avait précisé que les revenus imposables déterminés par application de la taxation indiciaire ne constituent pas nécessairement des revenus professionnels. C’est à l’administration de prouver que les revenus du contribuable proviennent d’une catégorie déterminée de revenus, le cas échéant au moyen de présomptions de l'homme177. Ainsi, l’administration qui veut majorer l’impôt pour insuffisance de versements anticipés doit en principe établir que les revenus imposables résultant du déficit indiciaire constituent des bénéfices, des profits ou des rémunérations de dirigeant d’entreprise178. La jurisprudence de la Cour de cassation a néanmoins évolué. Dans un arrêt du 16 octobre 2009179, elle a estimé que l'administration ne doit pas établir la provenance et la nature des

173 Cf. Anvers, 15 février 2005, rôle n° 1995/FR/355, Fiscalnet; Bruxelles, 19 février 2006, rôle n°

83/FR/090, Fiscalnet; Gand, 15 décembre 2004, rôle n° 2003/AR/982, Fiscalnet; Civ., Anvers, 31 décembre 2006, rôle n° 05/4510/A, Fiscalnet.

174 Cf. Cass., 4 janvier 2007, rôle F.05.0077.F, Pas., 2007, I, p. 20; F.J.F., 2007, p. 453, J.D.F., 2008, p. 247,

J.L.M.B., 2007, p. 1314. 175 Cf. Mons, 12 janvier 2006, Fiscologue, n° 1019, p.12; Civ., Anvers, 20 octobre 2004, rôle n° 01-1128-A,

Fiscalnet; Civ., Anvers, 8 janvier 2007, rôle n° 01-889-A, Fiscalnet; Civ., Hasselt, 2 mars 2005, rôle n° 00-2217-a, Fiscalnet.

176 Cf. Gand, 20 mai 2008, Fiscologue, n° 1128, p.1. 177 Cf. Cass., 1er octobre 2004, rôle n° F.02.0052.N, F.J.F., 2005, p. 168, J.D.F., 2006, p. 5 et note M.

BALTUS; Cass., 22 octobre 2004, rôle n° F.03.0028.N, www.cass.be; Gand, 1er juin 2005, rôle n°1985/FR/2249, Fiscalnet ; Civ., Bruxelles, 7 octobre 2005, rôle n° 2000/1455/A, Fiscalnet.

178 Cf. Gand, 17 janvier 2006, Fiscologue, n° 1022, p.11. 179 Cf. Cass., 16 octobre 2009, rôle n° F.08.0018.F, Pas., 2009, I, p. 2320, F.J.F., 2010, p. 175, J.L.MB.,

2010, p.175. En l'espèce, le contribuable avait été arrêté par les douaniers alors qu'il revenait du Grand-

Page 45: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 45

avoirs qui justifient la taxation indiciaire et qu'elle ne doit pas rattacher les avoirs à l'une des catégories de revenus visées à l'article 6 du CIR/92. Certaines juridictions de fond ont la même approche, tout en admettant que le contribuable reste libre d'apporter la preuve contraire et, notamment, que l'insuffisance provient de revenus auxquels un taux distinct s'applique180. Ainsi, si l'administration a ouvert le délai d'investigation allongé en notifiant des indices de fraude consistant dans la non-déclaration de revenus mobiliers, son objectif étant d'imposer ces revenus, elle devait les soumettre au taux distinct, à défaut de quoi, la cotisation a été établie de manière arbitraire et doit être annulée181.

C.2. L’augmentation du solde créditeur d'un compte courant constitue-t-elle un indice ? 37.- L'accroissement du crédit d'un compte courant peut-il être retenu au titre d'indice ? La jurisprudence n'est pas unanime. Il ne nous paraît pas qu'il suffise de constater que l'inscription en compte courant soit le résultat d'un choix délibéré du contribuable - et non d'une simple erreur -, devenu définitif suite à l'approbation des comptes annuels, pour conclure à l'existence d'un indice définitivement opposable à ce dernier182. Nous sommes d'avis que cet accroissement peut constituer un indice, à la condition que le contribuable ait effectivement procédé à un paiement en faveur de la société. Tel n'est pas le cas, lorsque la majoration résulte d’une opération purement comptable, car il ne s'agit alors pas d'une dépense "réelle"183. La charge de la preuve des montants réellement versés à la société ou dépensés pour le compte de celle-ci, à l'origine de l'accroissement du compte courant dont est titulaire le dirigeant ou l'associé, incombe à l'administration. Après avoir considéré que la preuve de l'aisance supérieure à celle qu'attestent les revenus déclarés résulte d'une avance en compte courant du dirigeant, certaines juridictions ont curieusement eu égard aux difficultés financières de la société bénéficiaire pour écarter la conséquence, déduite à titre de présomption de l'homme par l'administration, suivant laquelle l'avance constituerait un revenu professionnel imposable provenant de cette société184.

Duché de Luxembourg en possession d'un relevé anonyme d'avoirs bancaires. L'administration avait considéré qu'il était titulaire de ces avoirs et que ces derniers constituaient des signes et indices d'aisance.

180 Cf. Bruxelles, 4 mars 2009, rôle n°2006/AR/845, Fiscalnet; Civ., Mons, 19 mars 2009, rôle n°06/2783/A,

Fiscalnet; Bruxelles, 24 février 2010, rôle n°2006/AR/3067, Fiscalnet. 181 Cf. Bruxelles, 16 novembre 2009, rôle n°2006/AR/2690, Fiscalnet

182 Cf. en ce sens, Gand, 20 septembre 2001, rôle n° 1997/FR/149, Fiscalnet : en l'espèce, le contribuable

n'avait pas réussi à réfuter le déficit indiciaire au moyen d'éléments positifs et contrôlables; Mons, 14 mars 2003, Fiscologue, 2003, n° 895, p. 10, qui estime que l'augmentation du solde créditeur du compte courant constitue un élément de nature à démontrer un enrichissement dans le chef d'un gérant.

183 Cf. Anvers, 13 janvier 2004, rôle n° 2003/AR/1184, Fiscalnet; Bruxelles, 9 février 2011, rôle n° 2009/FR/117, Fiscalnet (solution implicite, le compte caisse ayant été débité); Gand, 13 janvier 2004, rôle n° 2003/AR/1184, Fiscalnet; Gand, 4 avril 2000, rôle n° 1990/FR/3556, Fiscalnet; Civ. Anvers, 9 octobre 2002, rôle n° 00/451/A, Fiscalnet.

184 Cf. Civ. Bruxelles, 12 octobre 2005, rôle n° 2001/8453/A, Fiscalnet.

Page 46: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 46

C.3. Preuve contraire à rapporter par le contribuable 38.- La présomption légale prévue par l'article 341 du CIR/92 constitue une présomption réfragable, de sorte que le contribuable a la possibilité de rapporter la preuve contraire185. De manière générale, le contribuable doit établir, au moyen d'éléments positifs et contrôlables, que son aisance provient de ressources autres que celles qui sont taxables à l'impôt sur les revenus ou encore de revenus antérieurs à la période imposable186. Dans ce dernier cas, il doit prouver, d’une part, qu’il était en possession de ces fonds et, d’autre part, qu’il les avait encore au cours de l’année litigieuse187. La Cour de cassation admet néanmoins, de manière constante, que lorsque le contribuable a rapporté la preuve qu’il a disposé, pendant la période imposable, de fonds suffisants pour expliquer l’aisance supérieure par rapport aux revenus déclarés, il ne doit pas, en outre, établir que ces fonds ont été affectés effectivement au financement des accroissements d’avoirs ou des dépenses qui ont été retenus, dans son chef, comme constitutifs de signes et indices188. En pratique, à titre d'illustration, le contribuable établit la preuve contraire en démontrant, au moyen de pièces justificatives, qu’il a bénéficié d’aides de sa famille189, d’un prêt190, de liquidités trouvant leur origine dans une vente réalisée lors de la période imposable précédente191, de numéraire résultant de la vente d’un bien immobilier à l’étranger192, d’un héritage ou d'un legs, d'une donation…

185 Cf. notamment Anvers, 21 février 2006, rôle n° 1998/FR/43, Fiscalnet; Bruxelles, 4 juin 2008, rôle n°

1994/FR/301, Fiscalnet; Bruxelles, 11 avril 2008, rôle n°1991/FR/76, Fiscalnet; Bruxelles, 14 juin 2006, rôle n°1995/FR/419, Fiscalnet; Gand, 14 décembre 2004, rôle n° 1985-FR-2254, Fiscalnet; Mons, 17 décembre 2004, rôle n° 1994-FI-48, Fiscalnet.

186 Cf. Cass., 12 mars 2004, rôle n° F.01.0023.F, Pas., 2004, I, p. 425, F.J.F., 2004, p. 653; Anvers, 20

novembre 2007, rôle n° 1998/FR/155, Fiscalnet; Bruxelles, 19 mars 2008, rôle n° 2005/AR/3042, Fiscalnet; Bruxelles, 6 septembre 2007, rôle n° 2005/AR/835, Fiscalnet; Gand, 24 mai 2006, rôle n° 1986/FR/2544, Fiscalnet; Liège, 25 février 2005, rôle n° 2004/RG/316, Fiscalnet.

187 Cf. Bruxelles, 5 décembre 2007, rôle n° 2004/AR/743, Fiscalnet; Bruxelles, 26 octobre 2006, rôle n°

1992/FR/272, Fiscalnet; Civ., Anvers, 5 décembre 2007, rôle n° 01/4732/A, Bruxelles, 5 décembre 2007, rôle n° 2004/AR/743, Fiscalnet; Civ., Hasselt, 8 décembre 2004, rôle n° 02/1209/a, Fiscalnet.

188 Cf. Cass., 5 septembre 1986, Pas., 1987, I, p. 24, Bull. Cont. Dir., 1987, p. 841, J.D.F., 1987, p. 132,

F.J.F , 1987, p. 144. Voy. également Anvers, 12 décembre 2006, rôle n° 1998/FR/502, Fiscalnet; Civ., Gand, 19 mai 2004, rôle n° nr 02/102/A Fiscalnet.

189 Cf. Bruxelles, 17 avril 2008, rôle n° 1982/FR/5, Fiscalnet; Liège, 16 février 2005, rôle n° 1998/FI/241,

Fiscalnet; Civ., Bruxelles, 10 février 2005, rôle n° 2001/7145/A, Fiscalnet; Civ., Gand, 9 juin 2004, rôle n° 03/2679/A, Fiscalnet.

190 Cf. Gand, 8 juin 2004, rôle n° 1988/FR/2994, Fiscalnet; Mons, 20 mai 2005, rôle n °1979/FI/393,

Fiscalnet; Mons, 15 octobre 2004, rôle n° 1991/FI/1705, Fiscalnet. 191 Cf. Liège, 7 décembre 2005, rôle n° 1998/FI/72, Fiscalnet.

192 Cf. Civ., Bruxelles, 30 mai 2007, rôle n° 2000/8180/A, Fiscalnet; Civ., Hasselt, 8 novembre 2006, rôle n°

04-1311-A, Fiscalnet.

Page 47: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 47

Si le contribuable invoque le caractère arbitraire de la taxation, il doit démontrer que le fonctionnaire taxateur s’est basé sur des données erronées ou qu'il a tiré des conséquences erronées de données qu’il avait à sa disposition193. La base imposable est arrêtée de manière arbitraire, lorsque l'administration a retenu comme dépense à justifier l'apurement du compte courant, sans rechercher si les mouvements sur ce compte correspondaient à des dépenses effectives194.

*

* *

193 Cf. Anvers, 24 février 2004, rôle n° 1994/FR/462, Fiscalnet; Anvers, 18 mai 2004, rôle n° 1998/FR/118, Fiscalnet.

194 Cf. Anvers, 20 décembre 2011, rôle n° 2010/AR/2164, Fiscalnet.

Page 48: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 48

PARTIE III. COMPTE COURANT DEBITEUR DANS LE CHEF DE L'ASSOCIÉ OU DU DIRIGEANT

A. LES INTERETS FICTIFS DEBITEURS A.1. Introduction 39.- L'imputation au débit du compte courant d'un dirigeant n'évacue pas le caractère imposable en soi d'un avantage de toute nature, cette imputation étant alors assimilable à une attribution taxable195-196. Un avantage de toute nature désigne tout enrichissement patrimonial dont bénéficie le dirigeant. Les intérêts non payés par le dirigeant d'entreprise sur le compte courant débiteur dont il dispose, constitue également une rémunération imposable dans son chef, au titre d'avantage de toute nature, conformément aux articles 32, alinéa 2, 2° et 36 du CIR/92197-198.

Suivant le jurisprudence constante de la Cour de cassation, "il ressort des travaux parlementaires de la loi du 8 août 1980 que le législateur a entendu taxer tous avantages sous quelque forme que ce soit et trouvant directement ou non leur origine dans l'exercice de l'activité professionnelle du bénéficiaire et, s'agissant d'un administrateur de société, de l'exercice de son mandat d'administrateur, il n'est point nécessaire que la rémunération versée à l'administrateur soit la contrepartie d'une prestation professionnelle"199. Il s'ensuit qu'il n'est pas nécessaire que les intérêts fictifs sur un compte courant débiteur soient la contrepartie de prestations effectives effectuée par le dirigeant. Il suffit qu'ils trouvent leur origine, directement ou indirectement, dans l'exercice du mandat de l'administrateur, du gérant, du liquidateur ou de la personne exerçant des fonctions analogues200-201.

195 Cf. Gand, 19 octobre 2005, rôle n° 1998/FR/73, Fiscalnet. Voy. toutefois Gand, 5 octobre 2004, rôle n° 2002/AR/2009, Fiscalnet, faisant référence à la tolérance ancienne suivant laquelle la taxation d'un avantage de toute nature pouvait être évitée, à l'occasion d'un contrôle, par la comptabilisation de celui-ci au débit du compte courant du dirigeant.

196 Cf. supra, Partie I, B, n°23 et s. 197 Cf. Bruxelles, 14 septembre 2011, rôle n° 2009/FR/5, Fiscalnet (l'avantage consiste dans la mise à

disposition d'un compte courant fluctuant mensuellement au gré de la caisse); Bruxelles, 28 janvier 2010, rôle n° 1983/FR/358, Fiscalnet; Gand, 21 novembre 2006, rôle n° 1997/FR/71, Fiscalnet.

198 Il s'agit nécessairement d'un avantage de toute nature, et il ne nous semble pas que l'administration serait

fondée à la taxer au titre d'avantage anormal ou bénévole dans le chef de la société qui l'octroie au motif qu'il n'aurait pas été pris en compte pour la détermination des revenus imposables du bénéficiaire. Cf en ce sens néanmoins, Civ. Leuven, 26 mai 2006, rôle n° 00/2576/A, Fiscalnet. Contra, le même Tribunal, 13 janvier 2012, rôle n° 10/1856/A, Fiscalnet.

199 Cf. Cass., 16 janvier 1992, Pas., 1992, I, p. 420. 200 Cf. Liège, 15 mars 1995, F.J.F., 1995, n°1996/6; Gand 23 septembre 2003, Fiscologue, n° 912, 14

novembre 2003, p. 9; Civ. Anvers, 20 décembre 2002, rôle n° 00/5733/A, Fiscalnet; Civ. Hasselt, 18 novembre 2009, rôle n° 08/2531/A, Fiscalnet; Civ. Nivelles, 11 juillet 2001, rôle n° 99/1251/A, Fiscalnet; Civ., Mons, 12 mars 2009, rôle n° 07/1452/A, Fiscalnet. Voy. également Bruxelles, 3 mai 2006, rôle n°

Page 49: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 49

La preuve en incombe à l'administration202. Le contribuable ne pourra lui opposer victorieusement que le prêt sans intérêt lui a été accordé en raison de sa seule position d'actionnaire majoritaire, quand bien même son mandat de dirigeant serait-il exécuté à titre gratuit203. Pour être taxable, le destinataire de l'avantage doit en principe avoir bénéficié personnellement de l'avantage de toute nature, selon un arrêt récent de la Cour de cassation rendu en matière d'option d'achat liée à un leasing automobile204. Enfin, les intérêts fictifs calculés sur le solde débiteur du compte courant d'un dirigeant pourraient éventuellement être déduits, au titre de charges professionnelles, des revenus de ce derniers taxables à l'impôt des personnes physiques pour autant que soient rapportée effectivement la preuve de la destination professionnelle des sommes prélevées205. A.2. Détermination de l'avantage de toute nature lié aux intérêts fictifs 40.- L'évaluation des avantages de toute nature diffère selon qu'ils sont octroyés en espèces, ou autrement.

94/FR/547, Fiscalnet. En l'espèce, la Cour d'appel a relevé les actes posés par le contribuable en qualité d'administrateur (participation au conseil, signature des actes de disposition,…) et précisé que "c'est en raison de ces pouvoirs qu'il a pu bénéficier d'un compte courant créditeur ne portant pas intérêts". Elle en a conclu "qu'il s'agit donc bien d'un avantage tiré de la société en sa qualité d'administrateur et donc d'un revenu professionnel", tout en rejetant le moyen opposé par le contribuable suivant lequel il n'existait pas de lien causal entre l'avantage reçu et sa fonction d'administrateur.

201 Contra Bruxelles, 27 janvier 2005, rôle n° 86/FR/173, Fiscalnet : la Cour d'appel n'admet un taux réduit

par rapport au taux d'intérêt fixé par l'arrêté royal d'exécution du CIR/92 que pour la période où ce taux réduit résultait d'une convention antérieure; Civ. Anvers, 27 février 2004, Fiscologue, n° 940, 11 juin 2004, p. 10, F.J.F., n° 2005/38 : selon le Tribunal, le fait qu'après le décès de l'administrateur délégué de la société, son conjoint, qui avait la qualité d'administrateur non rétribué au moment de l'octroi d'intérêts fictifs, ait continué à disposer du compte courant débiteur, ne démontre pas que ces avantages trouvaient directement ou indirectement leur origine dans l'exercice de ses fonctions.

202 Cf. Bruxelles, 16 octobre 2008, rôle n° 1983/FR/369, Fiscalnet; Bruxelles, 15 mars 2000, rôle n°

1989/FR/288, Fiscalnet; Civ., Hasselt, 18 novembre 2009, rôle n° 08/2531/A, Fiscalnet. 203 Cf. Anvers, 8 novembre 2005, rôle n° 2004/AR/1796, Fiscalnet; Bruxelles, 3 mai 2006, rôle n°

94/FR/547, Fiscalnet; Liège, 18 février 1998, rôles n° FI/11.805 et FI/11.828, Fiscalnet. 204 Cf. Cass., 17 mars 2011, rôle n° F.10.0044.F, Fiscologue, n° 1254, 10 juin 2011, p. 2, Cour. Fisc., 2011,

p. 316. En l'espèce, la compagne de l'administrateur avait levé l'option d'achat dans le cadre d'un leasing de véhicule souscrit par la société.

205 Cf. Gand, 25 juin 2002, rôle n° 1998/FR/134, Fiscalnet : les intérêts fictifs sont déductibles car l'emprunt

avait été contracté afin de payer le solde des dettes aux fournisseurs de l'affaire commerciale cédée; Mons, 30 octobre 2009, rôle n° 1998/FI/128, Fiscalnet : la Cour d'appel conclut que cette preuve n'est pas rapportée. Cf. dans le même sens, Bruxelles, 21 janvier 2010, rôle n° 2005/AR/2177, Fiscalnet : le contribuable n'établit pas que les retraits ont spécifiquement servi à l'acquisition des actions de la société en vue de l'obtention de son revenu professionnel de gérant, la Cour d'appel relevant qu'un tel investissement ne peut par ailleurs être considéré comme visant à garantir ou acquérir d'un tel revenu.

Page 50: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 50

Le dirigeant d'entreprise est imposable sur le montant d'espèces constituant l'avantage de toute nature. Quant aux avantages de toute nature obtenus autrement qu’en espèces, ils sont comptés pour la valeur réelle qu’ils ont dans le chef du bénéficiaire, c'est-à-dire le montant que le bénéficiaire de l'avantage aurait dû dépenser, dans des conditions normales, pour bénéficier de cet avantage (article 36, alinéa 1er du CIR/92)206.

L'article 36, alinéa 2 du CIR/92 donne la possibilité au Roi de déterminer par arrêté royal des évaluations forfaitaires. Ces forfaits sont détaillés à l'article 18, § 3 de l'arrêté royal d'exécution du CIR/92. Sont ainsi notamment évalués de manière forfaitaire, les avantages de toute nature résultant d'un prêt consenti sans intérêt ou à un taux d’intérêt réduit (article 18, § 3, 1 AR Ex. du CIR/92). L’avantage est calculé sur la base de la différence entre: - d’une part, le taux d’intérêt de référence qui est fixé différemment selon qu'il s'agisse

d'un prêt hypothécaire, d'un prêt non hypothécaire à terme convenu ou d'un prêt non hypothécaire sans terme;

- d’autre part, le taux d’intérêt accordé à l’emprunteur, la réduction de taux pour enfants à charge n’étant pas prise en considération.

Quant aux différents taux de référence et aux modalités de calcul, nous renvoyons aux textes réglementaires ainsi qu'aux circulaires applicables en la matière207. En tout état de cause, l'avantage ainsi calculé doit être diminué des intérêts réellement payés par l'emprunteur. Les avances prélevées par les dirigeants d'entreprise ne peuvent plus être compensées avec les tantièmes et autres rémunérations variables qui leur sont allouées par l'assemblée générale ordinaire et qui sont inscrites à leur crédit (compensant le solde débiteur du compte courant) à la clôture des comptes208.

A.3. Intérêts fictifs et cotisation spéciale sur commissions secrètes 41.- En vertu de l'article 57 du CIR/92, diverses dépenses, parmi lesquelles les avantages de toute nature, ne sont considérées comme des frais professionnels déductibles que si elles sont justifiées par la production de fiches individuelles et d'un relevé récapitulatif à rentrer dans les formes et délai prévus par les articles 30 à 33 de l'arrêté royal d'exécution du CIR/92.

206 Cf. Bruxelles, 17 juin 2009, rôles n° 1991/FR/246_1993/FR/593, Fiscalnet. 207 Cf. Circulaire n° CItII.241/460A08 du 26 novembre 1997 sur l'évaluation forfaitaire des avantages;

Circulaire n° CI.RH.241/491.265 du 9 avril 1998 sur les prêts sans intérêt ou à taux d'intérêt réduit; Circulaire n° CI.RH.241/541.199 du 25 avril 2001 traitant notamment des prêts sans intérêt ou à taux d'intérêt réduit; Circulaire n° CI.RH.241/541.199 du 28 juin 2001 traitant notamment des prêts sans intérêt ou à taux d'intérêt réduit (erratum). Voy. également Com.IR/92, n° 36/86, si le compte courant a connu des fluctuations et n° 36/87, si tel n'est pas le cas. Pour des illustrations chiffrées, nous renvoyons à la contribution de Monsieur Yves DEWAEL.

208 Cf. Quest. Parl., n° 558, 9 décembre 1993, Bull. Cont. Dir., n° 738/5.94.

Page 51: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 51

L'obligation d'établir des fiches et un relevé récapitulatif n'est pas d'application lorsque l'avantage de toute nature est facturé par la société à un dirigeant résident fiscal belge209. A défaut de fiches et de relevé récapitulatif envoyés à l'administration dans le délai requis (le 30 juin de l'année qui suit celle à laquelle ces documents se rapportent), la société encourait une sanction très lourde, la cotisation spéciale sur commissions secrètes fixée à 309 % (en ce compris la contribution complémentaire de crise) par l'article 219 du CIR/92. Avant l'exercice d'imposition 2007, encore l'avantage de toute nature devait-il impliquer une "dépense", à défaut de quoi, l'administration n'était pas fondée à enrôler la cotisation spéciale sur des avantages de toute nature non mentionnés sur des fiches et qui ne constituant pas une dépense dans le chef de celui qui les octroyait. En effet, il y avait seulement un manque à gagner résultant de la gratuité de l'avance en compte courant210. L'article 219, alinéa 1 du CIR/92 a été modifié par la loi-programme du 27 décembre 2006211 et il prévoit que la cotisation distincte est établie à raison des dépenses visées à l'article 57 du CIR/92 "et" des avantages de toute nature visés aux articles 31, alinéa 2, 2° et 32, alinéa 2, 2° du CIR/92, et ce même si ces derniers n'impliquent aucune dépense. 42.- L'application de la cotisation spéciale sur commissions secrètes a fait couler beaucoup d'encre depuis le début de l'année 2012. Cette saga excède largement le cadre de la présente contribution qui se limite à examiner les aspects du compte courant ayant trait à l'impôt des personnes physiques. En vertu de l'article 219, alinéa 4 du CIR/92, la cotisation distincte n'est pas applicable si le contribuable qui devait émettre la fiche fiscale peut prouver que l'avantage de toute nature a été déclaré conformément à l'article 305 du CIR/92 (déclaration fiscale annuelle rentrée dans les formes et les délais imposés par la loi). Il en est de même si l'avantage est mentionné dans une déclaration introduite à l'étranger par le bénéficiaire, conformément au droit étranger applicable. Il importe peu que le bénéficiaire ait mentionné le montant de l'avantage dans une mauvaise rubrique212.

209 Cf. par exemple, Civ. Gand, 4 octobre 2001, F.J.F., n° 2002/69; Civ. Hasselt, 27 juin 2011, Fiscologue, n° 829, 18 janvier 2002, p. 10.

210 Cf. en ce sens, Anvers, 24 mai 2011, rôle n° 2010/AR/967, Fiscalnet; Civ. Bruxelles, 17 mars 2006, rôles

n° 2004/936/A et n° 2004/937/A, Fiscalnet; Civ. Liège, 27 septembre 2010, rôles n° 04/5668/A et 05/4340/A, Fiscalnet et les références jurisprudentielles citées dans cette décision; A. VERBIST, "Afzonderlijke aanslag geheime commissielonen. De laatste 10 jaar revisited", T.F.R., 2008, n° 349, p.911.

211 Cf. article 20,1° de la loi-programme du 27 décembre 2006, publiée au Mon.B.du 28 décembre 2006, 3ème

éd., applicable à partir de l'exercice d'imposition 2007.

212 Cf. Addendum du 20 juillet 2012 à la Circulaire du 1er décembre 2010 en matière de cotisation spéciale sur commissions secrètes.

Page 52: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 52

La loi du 17 juin 2013 a inséré un cinquième alinéa à l'article 219 du CIR/92213 en vertu duquel la cotisation spéciale n'était pas applicable si le montant des dépenses et avantages de toute nature était compris dans une imposition établie avec l'accord du bénéficiaire dans son chef dans le délai de trois ans visé à l'article 354, alinéa 1 du CIR/92. La nouvelle échappatoire a également été étendue à l'impôt des personnes morales. Il résulte des travaux préparatoires de la loi qu'il devait s'agir d'une imposition établie dans le chef du bénéficiaire "de manière définitive", c'est-à-dire une imposition "qui n'est plus susceptible d'aucune réclamation". De manière à rencontrer les nombreuses critiques fondées sur le caractère pénal de la cotisation spéciale sur commissions secrètes, ce dernier autorisant le juge à la réduire, le régime de celle-ci a été notablement réformé par la loi-programme du 19 décembre 2014214. Il est entré en vigueur le jour de la publication de la loi-programme précitée au Moniteur belge et s’applique à tous les litiges qui ne sont pas définitivement clôturés au 29 décembre 2014. Le législateur a essentiellement modifié trois aspects de la cotisation spéciale sur commissions secrètes : l’objectif poursuivi par cette cotisation, ce qui se traduit par une baisse significative du taux (1°) ; les exceptions à l’application de principe de la cotisation (2°), et le système de déductibilité au titre de frais professionnels (3°). 1° Le taux de la cotisation est désormais fixé en principe à 103 % (en ce compris la contribution complémentaire de crise), l’objectif consistant à supprimer tout caractère sanctionnateur pour se limiter au seul caractère compensatoire de la perte d’impôts sur les revenus belges215. Par exception, lorsqu’on peut démontrer que le bénéficiaire de ces dépenses, avantages de toute nature et avantages financiers secrets est une personne morale ou lorsque les bénéfices dissimulés sont spontanément réintégrés par le contribuable dans sa comptabilité, le taux est réduit à 51,5 % (en ce compris la contribution complémentaire de crise). 2° Pour échapper à l’application de la cotisation spéciale, le contribuable doit prouver que l’une des deux hypothèses suivantes est rencontrée : - soit le bénéficiaire a mentionné les commissions ″secrètes″ dans une déclaration à

l’impôt sur les revenus introduite par lui conformément à l’article 305 du CIR/92 ou dans une déclaration analogue introduite par lui à l’étranger ;

- soit, si une telle déclaration n’a pas été déposée, le bénéficiaire a été identifié de manière univoque au plus tard dans un délai de deux ans et six mois à partir du 1er janvier de l’exercice d’imposition concerné. Si l’accord du bénéficiaire n’est plus requis, en revanche, le délai imparti pour identifier le bénéficiaire est plus court que le délai d’imposition ordinaire de trois ans (cf. supra).

213 Cf. article 17,2° de la loi du 17 juin 2013, publiée au Mon.B.du 28 juin 2013, 1ère éd., applicable à partir

de l'exercice d'imposition 2014. 214 Publiée au Mon.B. du 29 décembre 2014. 215 Cf. Exposé des motifs, Doc. parl., Ch., 2014-2015, n°54-0672/001, p. 10.

Page 53: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 53

S’agissant des bénéfices dissimulés, l’article 219, alinéa 4 du CIR/92 prévoit que lorsque le contribuable les réintègre spontanément dans sa comptabilité, soit celle relative à l’exercice comptable au cours duquel le bénéfice est réalisé, soit celle relative à un exercice ultérieur, ceux-ci sont soumis à la cotisation spéciale au taux réduit à 51,5 %. En cas de réintégration non spontanée, les bénéfices dissimulés sont soumis à la cotisation au taux de principe de 103 %. La réintégration est considérée comme étant spontanée si elle intervient alors que le contribuable n’a pas encore été informé par écrit d’actes d’administration ou d’instruction spécifiques en cours, c’est-à-dire d’actes dirigés vers le contribuable même ou la société dont il est dirigeant d’entreprise216. En outre, le législateur a mis fin à une controverse existant en matière de définition de la notion de "bénéfices dissimulés" en précisant expressément que les bénéfices dissimulés ne sont soumis à cette cotisation distincte que dans le cas où ils ne sont pas le résultat d’un rejet de frais professionnels. 3° Si la cotisation spéciale sur commissions secrètes pouvait et peut toujours être déduite par le contribuable au titre de frais professionnels (cf. art. 198, §1er, 1° du CIR/92, demeuré inchangé), des modifications sont intervenues en ce qui concerne les sommes soumises à ladite cotisation, le sort réservé aux commissions et avantages de toute nature secrets étant distinct de celui réservé aux bénéfices dissimulés. Les bénéfices dissimulés ne sont désormais plus déductibles au titre de frais professionnels. Il résulte du nouvel article 197, alinéa 1er du CIR/92 que les commissions et avantages de toute nature secrets ne peuvent être déduits au titre de frais professionnels que si les conditions générales de déduction de l’article 49 du CIR/92 sont réunies (ce qui ne serait pas le cas, par exemple, si le bénéficiaire effectif ne pouvait être suffisamment identifié). B. L'ABANDON PAR LA SOCIETE D'UN COMPTE COURANT DEB ITEUR B.1. Introduction 43. L'annulation d'un compte courant débiteur d'un dirigeant par la société peut constater un abandon de créance qui diminue l'actif net et le bénéfice comptable, dès lors est comptabilisée une charge exceptionnelle en contrepartie de la disparition de la créance. Il peut alors en résulter, tantôt une taxation dans le chef du dirigeant, tantôt une taxation dans le chef de la société, selon que l'abandon du compte courant débiteur est ou non considéré comme un avantage obtenu par le dirigeant en raison ou à l'occasion de l'exercice de son mandat, de droit ou de fait217.

216 Cf. Exposé des motifs, op. cit., p. 11.

Page 54: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 54

Dans l'affirmative, il s'agit d'un avantage de toute nature imposable au titre de revenu professionnel en vertu de l'article 32, alinéa 2, 2° du CIR/92, la charge étant déductible dans le chef de la société. Dans la négative, il pourra s'agir d'un avantage anormal ou bénévole imposable dans le chef de seule la société en vertu de l'article 26 du CIR/92. Ces deux taxations sont en principe exclusives l'une de l'autre218. Si l'abandon du compte courant débiteur n'est pas considéré comme une rémunération dans le chef du dirigeant, il pourra néanmoins être déduit au titre de charge professionnelle dans le chef de la société, si cette dernière démontre que la créance est irrécouvrable219, une réduction de créance étant alors actée pour constater la perte définitive sur créance220. Ceci implique la preuve préalable du montant et de l'authenticité de cette créance221. Si le dirigeant désire apurer son compte courant débiteur, il devra procéder comme suit : 1° il rembourse la société au moyen de ses propres deniers; 2° une rémunération ou un tantième lui est attribué, qui n'est pas effectivement payé; ceci

implique la retenue du précompte professionnel et des cotisations de sécurité sociale; 3° un dividende lui est octroyé en sa qualité d'associé, qui n'est pas effectivement payé;

ceci implique la taxation du dividende à l'I.SOC et la retenue du précompte mobilier; 4° il cède à la société un actif qu'il détient (bien immeuble, mobilier, créance,…); il ne peut

s'agir d'un prix exagéré ou excessif au regard de la valeur réelle de l'actif cédé222.

217 Cf. Civ. Bruxelles, 4 avril 2007, rôle n° 2002/8353/A, Fiscalnet : dans le cadre d'une transaction

intervenue entre la société et son dirigeant, l'abandon de créance constitue la contrepartie de la démission de ce dernier de son mandat d'administrateur et il engendre un avantage taxable.

218 Cf. Bruxelles, 30 novembre 2011, rôle n° 2004/FR/13, Fiscalnet; Civ. Bruxelles, 11 mars 2010, rôle n° 2004/695/A, Fiscalnet.

219 Cf. Civ. Bruxelles, 11 mars 2010, op. cit. Voy.également Civ. Liège, 10 février 2005, rôle n° 04/1317/A, Fiscologue, n° 982, 20 mai 2005, p. 9, F.J.F., n° 2006/279 qui observe que l'avantage n'a pas été obtenu en raison ou à l'occasion de l'exercice de l'activité professionnelle du gérant, mais en raison de son état d'insolvabilité et de son absence de toute surface financière.

220 Cf. Cass., 28 janvier 1982, Pas., 1982, I, p. 678, J.T., 1982, p. 600 : "La perte d'une créance, effectivement entrée dans le patrimoine d'une société et figurant à l'actif de son bilan, est nécessairement aussi une perte professionnelle et doit s'exprimer dans l'estimation de cette créance à la fin de l'exercice au cours duquel elle est devenue réelle et définitive." Cf. également Cass., 26 mars 1963, Pas., 1963, I, p. 813.

221 Cf. Anvers, 29 mars 2011, rôle n° 2007/AR/1320, Fiscalnet.

222 Cf. Anvers, 4 mars 2003, Fiscologue, n° 893, p. 9 : s'agissant d'un objet d'art africain (fétiche Songué), la Cour d'appel estime qu'il y a un avantage anormal taxable dans le chef de la société, qui est égal à la différence entre le prix de vente et la valeur arrêtée à dire d'expert.

Page 55: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 55

B.2. Illustrations 44.- Si le liquidateur d'une société opère une réduction de valeur sur la créance existant vis-à-vis d'un dirigeant, le caractère irrécouvrable de celle-ci n'étant pas contesté, la réduction de valeur ne peut être assimilée à une remise de dette, et donc à une rémunération dans le chef du dirigeant223-224. Dans ce cas, et pour autant bien entendu que la créance ne soit pas prescrite, la société conserve une créance contre le dirigeant (associé actif) et, le cas échéant, contre sa succession. Il en est autrement lorsque le liquidateur annule purement et simplement la créance de la société vis-à-vis de son dirigeant, en réduisant à zéro le compte courant débiteur, lorsqu'existe ainsi dans les faits une véritable remise de dette qui doit être assimilée à une attribution de revenus, dont le montant s'élève aux prélèvements en principal réalisés, majorés des intérêts comptabilisés225. En cas d'abandon du compte courant, et sauf remboursement ou compensation avec une créance dont il est titulaire à l'égard de la société, le dirigeant ne pourra échapper à la taxation que s'il démontre que la comptabilité de la société ne reflète pas la réalité. Cette preuve n'est pas rapportée, lorsque le dirigeant a fait l'objet d'une demande de recouvrement de la dite créance en justice et qu'il a signé une transaction en vertu de laquelle aucune somme ne lui est encore réclamée226, ou encore lorsqu'existe une contradiction volontaire entre un acte notarié et la comptabilité de la société227. Si l'organe de gestion d'une société décide de transformer un compte courant débiteur en attribution d'un traitement, cette transformation constitue, bien entendu, une rémunération imposable228. Lorsqu'une augmentation de capital par incorporation des réserves disponibles et immunisées est immédiatement suivie d'un partage inégal en faveur du gérant détenteur de la quasi-totalité des parts sociales, en vue d'apurer le compte courant débiteur de ce dernier, il ne s'agit pas à

223 Cf. Liège, 17 juin 1998, rôle n° 107/95, Fiscalnet, J.D.F., 1999, p. 10, F.J.F., n° 99/222, Cour. Fisc., 1998, p. 412, Fiscologue, n° 763, 11 août 2000, p. 2.

224 Cf. également Bruxelles 22 décembre 1999, F.J.F., n° 2000/163, Fiscologue, n° 741, 18 février 2000, p. 11 : un liquidateur annule la dette d'un administrateur ayant disparu; il ne peut en être déduit une quittance de la dette.

225 Cf. Bruxelles, 30 novembre 2011, op. cit. La Cour d'appel relève que ce n'est pas parce que l'activité développée par l'associé actif au sein de la société n'était pas formellement rémunérée qu'elle ne peut l'être dans les faits.

226 Cf. Bruxelles, 19 février 1999, rôle n° 1987/FR/512, Fiscalnet. En l'espèce, l'administrateur était poursuivi par la société pour malversation. Cette dernière avait comptabilisé une créance à son encontre qu'elle a ensuite abandonnée dans le cadre d'une transaction ultérieure.

227 Cf. Civ. Anvers, 10 mai 2010, rôle n° 08/7461/A, Fiscalnet. En l'espèce, un acte notarié constatait une compensation entre une société et son dirigeant, mais une créance vis-à-vis de ce dernier était restée comptabilisée dans les comptes huit mois plus tard, de manière volontaire selon l'administration.

228 Cf. Anvers, 9 avril 2002, rôle n° 1996/FR/446, Fiscalnet.

Page 56: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 56

proprement parler d'un partage partiel effectif de l'avoir social, mais d'un prélèvement sur les réserves ayant pour conséquence la remise partielle de la dette du dirigeant, laquelle constitue un revenu taxable229. Plus douteuse au plan comptable est l'opération en vertu de laquelle le débit du compte courant d'un dirigeant est abandonné à l'occasion de la cession par ce dernier de ses parts sociales de la société, étant entendu que le prix de cession est réduit à due concurrence, en compensation. Dès lors que la remise de dette est consentie par la société dont les parts sociales est cédée, et non par l'acquéreur de ces dernières, il y a, selon nous, un avantage dans le chef du dirigeant230. Afin d'éviter cette conséquence, la situation aurait dû être dénouée comme suit : soit le prix normal est payé au dirigeant qui apure immédiatement le compte courant, soit le dirigeant cède à la société, à concurrence du montant de sa dette, une quotité de sa créance de prix vis-à-vis de l'acquéreur, de sorte que sa dette s'éteint et est remplacée par une dette de l'acquéreur.

C. LA COMPENSATION ENTRE INTERETS CREDITEURS ET INT ERETS DEBITEURS

C.1. Introduction 45.- En vertu de l'article 1290 du Code civil, "la compensation s'opère de plein droit, par la seule force de la loi, même à l'insu des débiteurs; les deux dettes s'éteignent réciproquement, à l'instant où elles se trouvent exister à la fois, jusqu'à concurrence de leurs quotités respectives". L'intervention du juge et la volonté des parties ne sont pas requises. La compensation n'a lieu "qu'entre deux dettes qui ont également pour objet une somme d'argent ou une certaine quantité de choses fongibles de la même espèce et qui sont également liquides et exigibles" (article 1291 du Code civil). Elle ne peut avoir lieu au préjudice des droits acquis à un tiers (article 1298 du Code civil). Il s'agit de se demander si le dirigeant qui est titulaire d'un compte courant débiteur peut opérer une compensation avec une créance qu'il détient vis-à-vis de la société. Le dirigeant devra bien entendu établir la réalité et le montant de sa créance231. A priori, nous ne voyons pas ce qui pourrait y faire obstacle. Nous avons déjà évoqué que pour apurer son compte courant, le dirigeant peut se voir attribuer une rémunération, un tantième ou un dividende qui n'est pas effectivement payé, voire il peut céder à la société un actif dont le prix n'est pas acquitté.

229 Cf. Bruxelles, 27 mars 2009, rôle n° 1993/FR/69, Fiscalnet.

230 Cf. en sens contraire, Gand, 26 septembre 2006, rôle n° 1997/FR/243, Fiscalnet.

231 Cf. Civ. Anvers, rôle n° 00/2825/A, Fiscalnet : le contribuable n'établit pas, au moyen de pièces concrètes ou d'éléments tangibles, la vente d'un goodwill réel à la société.

Page 57: INFOP OINTCOM ASBL COMPTE COURANT ET …infopointcom.be/wp-content/uploads/2015/10/20151023-comptes... · Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risque s et opportunités

Luc HERVE – Compte courant et I.P.P. : abus, risques et opportunités 57

C.2. Illustrations 46.- Si une compensation peut être opérée entre, d'une part, les intérêts fictifs débiteurs résultant de la reprise par une société des dettes fournisseurs de son dirigeant qui lui a cédé son entreprise individuelle, et, d'autre part, les intérêts fictifs créditeurs résultant de la créance de prix de cession, certaines juridictions ont considéré qu'il n'en est pas de même au regard des intérêts débiteurs liés au compte courant du dirigeant, dès lors que ce dernier est étranger à la reprise de l'entreprise individuelle232. Dans cette dernière situation, la compensation acceptée permet de déterminer la hauteur de l'avantage de toute nature ainsi que celle des frais professionnels découlant de l'activité professionnelle antérieure. En définitive, le surplus des intérêts fictifs créditeurs consécutifs au prix de cession ne peut être imputé sur l'avantage de toute nature obtenu à l'occasion d'un compte courant débiteur gratuit. Sans doute le raisonnement de la Cour d'appel de Gand peut-il être suivi en ce qui concerne des intérêts fictifs. Il nous paraît en être nécessairement autrement si des intérêts sont comptabilisés au débit et au crédit du dirigeant, en d'autres termes, s'ils ne sont pas simplement "fictifs".

*

* *

232 Cf. Gand, 17 avril 2007, rôle n° 2005/AR/1942, Fiscalnet.