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    In Situ18 (2012)Le cheval et ses patrimoines

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    Pascale Bourgain

    Pratique de lquitation au Moyen gedaprs les textes littraires................................................................................................................................................................................................................................................................................................

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    Rfrence lectronique

    Pascale Bourgain, Pratique de lquitation au Moyen ge daprs les textes littraires ,In Situ

    [En ligne],18 | 2012, mis en ligne le 31 juillet 2012, consult le 20 avril 2013. URL : http://insitu.revues.org/9721 ; DOI :10.4000/insitu.9721

    diteur : Ministre de la culture et de la communication, direction gnrale des patrimoineshttp://insitu.revues.orghttp://www.revues.org

    Document accessible en ligne sur :http://insitu.revues.org/9721Document gnr automatiquement le 20 avril 2013. Tous droits rservs

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    Pascale Bourgain

    Pratique de lquitation au Moyen gedaprs les textes littraires

    1 Moyen de transport essentiel et source dnergie au Moyen ge, surtout depuis la diffusion

    de ltrier, et jusqu linvention de la machine vapeur, le cheval occupait dans la socit,lconomie et les rapports de puissance une place quivalente une bonne partie de nos sourcesdnergie il navait comme auxiliaires que le vent et leau domestiqus par les moulins, et

    le complment de quelques autres animaux domestiques, nes, bufs1et vaches. Mais, dansles textes dont je vais moccuper, cette omniprsence est le plus souvent implicite : les gestessimples qui accompagnent son utilisation, aller le chercher lcurie, lattacher quand onsarrte, soccuper de son confort, semblent si vidents quils ne sont pas rapports, pas plusque nos romans ne parlent gnralement des gestes ncessaires dmarrer une voiture ou allumer llectricit quand on entre dans une pice.

    2 Il existe videmment des traits dhippiatrie, que je laisse de ct : on savait bien sr observerles chevaux et les soigner, et lempirisme sajoutait aux observations sculaires de la mdecine

    antique2. Je ninsisterai pas non plus sur limpact conomique, qui a t fort bien tudi3, ni surlutilisation du cheval la guerre, sujet abondamment trait par les historiens de lart militaire,par exemple pour son impact sur les grandes batailles de la guerre de Cent ans.

    3 Je voudrais rassembler quelques passages destins illustrer non le savoir-faire desprofessionnels et des palefreniers, mais lutilisation quotidienne de la plus noble conqute delhomme. Elle nous apparat dans des dtails, au dtour de rcits qui ne visent pas nousla faire connatre, parce que cela va de soi : ils nous rvlent involontairement, mme silsracontent des hauts faits ou des prodiges, ce que des gens du Moyen ge considraient commevraisemblable sagissant dquitation, ou ce quils avaient observ des attitudes du cheval etdu cavalier.

    Le symbolisme4 Il existe bien sr des chevaux de diffrente qualit. Du roncin, cheval de charge, au destrier,en passant par les palefrois des ecclsiastiques et des dames, les chevaux reprsentent desinvestissements trs diffrents l encore, je ne me pencherai pas sur les livres de compte desprinces de la fin du Moyen ge pour voir jusquo ils acceptaient daller dans la dpense 4.Mais, pour lachat et lentretien, un cheval mme modeste implique une certaine chargeconomique, puisque cest le plus grand et le plus exigeant des animaux domestiques, et lapense symbolique lui attache une connotation de puissance et dostentation.

    5 La pense des clercs, imprgne de lectures bibliques, reste hritire de la rancune des Hbreuxpoursuivis par les chevaux de Pharaon. Faire tomber le cheval et le cavalier est le vieux rvedun peuple opprim. Le fils de David Absalon senfuyant cheval et qui demeure penduaccroch une branche prsente en fcheuse posture le fils trop gt dun hros qui, lui, allaitcombattre pied, au moins en ses jeunes ans. Il ne faut donc pas stonner que le cheval soitsouvent une marque dorgueil dans la Bible, dans des passages souvent repris par la liturgie. Et,si nous prenons au hasard une des distinctions du XIIIesicle qui rassemblent les interprtationsque lon peut faire des notions rencontres dans les passages bibliques comments lors dessermons, nous trouvons plus souvent le cheval interprt comme orgueil ou lubricit que defaon positive. Car, parmi les textes allgus, seul un passage de Job 39, 19 reconnat au chevalla force et le hennissement, et ceci seulement peut tre pris de faon positive en lassimilant auprdicateur, dot de la force et de la parole. Le reste insiste sur lorgueil terrestre (Ecclsiaste

    10, 7, Gense 49, 17), ou la sottise du cheval et du mulet (psaume 31, 9) 5. Il ne faut doncpas stonner que les chevaux, lis au monde et la puissance temporelle, fassent partie dece quoi devraient en principe renoncer les clercs. Pas totalement bien sr : il y a les raisonsde sant, les intrts de ltablissement, le prestige qui justifient que les prlats montent oupossdent des chevaux comme les puissants du sicle. Mais enfin, les grands chevaux dun

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    ecclsiastique peuvent lui tre reprochs comme contraires lhumilit attendue. Le Christa fait son entre Jrusalem mont sur un ne, pas sur un cheval, rappelle-t-on loccasionaux prlats cavaliers. Le cheval est arrogant comme lne est humble, dans tous les exemplautiliss dans les sermons. Grgoire de Tours raconte comment un jeune aristocrate, qui se faitclerc pour chapper son pre, une brute qui a assassin sa femme, montait un ne au lieudun cheval (il juge digne de remarque cet acte dhumilit) 6. Grgoire le Grand, peu prs la mme poque, parle de labb Equitius qui prenait la plus mauvaise rosse (jumentum)

    de son couvent et lquipait avec un licol pour mors et une peau de mouton pour selle 7. Lesconciles tentent cependant de limiter le nombre de montures (evectio) disponibles pour lesprlats, montrant ainsi que la ralit devait tre beaucoup moins humble et apparemment leschevaux des prlats ne gnent plus personne partir du Xe-XIesicle.

    6 On a, dans les rcits hagiographiques, des notations qui prouvent quon jugeait normal quemme un saint ermite dispose dune monture (et dun serviteur pour sen occuper) : Goar

    (VIIIe sicle), monte un ne et son serviteur un mulet pour se rendre la convocation deson vque8. Mais Valre de Bierzo, ermite dans la rgion dAlcala avant de devenir abb

    (mort en 695), reoit sans tat dme deux chevaux de son protecteur9. Ses ennemis tententde faire voler le premier, qui chappe aux larrons qui le poursuivent sans pouvoir lattraper,et revient de lui-mme ; puis ils poussent les deux chevaux, entravs pour la pture, dans

    un prcipice ; Valre, qui raconte lhistoire lui-mme, considre que laide divine vient son secours, puisque miraculeusement les chevaux arrivent intacts au sol ; il na donc aucunscrupule recevoir et utiliser ces deux chevaux.

    7 Lanecdote nous renseigne aussi sur les conditions de pturage. Les chevaux devaient souventtre entravs, plutt quattachs, pour pouvoir tre rattraps facilement.

    La logistique et lutilisation8 Les prlats se dplacent souvent, en visite, pour des conciles ou pour des missions. Tous

    les dplacements ne peuvent se faire entirement par voie deau. Dans ce cas-l, mieux vaut

    prvoir les infrastructures. Une lettre trs amusante de labb Loup de Ferrires10demande son hte futur de tout prvoir : Jutiliserai mme les moyens que vous mavez fait savoir parmes messagers que vous me fourniriez. Mais, comme vous ne mavez pas envoy de cheval, etque je nen avais pas de convenable pour me porter au trot, je ferai route vers vous, si Dieu leveut, en bateau. Donc, que votre bienveillante bont... ne supporte pas qu ma sortie du bateauje sois tourment par les secousses dun cheval trop dur dallure. Je ne doute pas que vous nousfournirez, comme vous avez eu la bont de nous en assurer, un point de chute proche de chezvous et des ptures convenables pour nos chevaux avec les vtres. Il semble donc que lesserviteurs de labb de Ferrires voyagent avec leurs chevaux tandis que le prlat se dplaceautant que possible en bateau : les chevaux de sa suite nont pas les allures assez douces pourquil puisse faire tout le chemin dans ces conditions. Son hte Eudes est pri de lui envoyerun cheval qui convienne sa dignit et aux infirmits de lge, soit, entre les lignes, un de sespropres chevaux, pas un cheval de serviteur. Quant aux chevaux de ses serviteurs, il nentendpas quils soient traits moins bien que les propres chevaux de son hte ou relgus dans desptures incommodes parce que trop lointaines.

    9 Baudri, abb de de Bourgueil, proteste que sil compose de la posie, il ne perd pas pour celaun temps prcieux : cest lors de ses dplacements cheval, ne pouvant rien faire dautre, quiltaquine la muse11.

    10 Les prlats, sils sont en majorit parmi les auteurs, au moins dans la premire partie du Moyenge, ne sont quune infime partie des cavaliers : les routes sont sillonnes de messagers etvoyageurs de toutes sortes. Le service du roi, par exemple, est assur par des chargs demission qui doivent pouvoir se dplacer : ne plus pouvoir monter cheval sonne le glas dunecarrire, la fin du service actif. Les porteurs de rouleaux des morts, probablement les serviteursdes couvents plutt que des moines, accomplissent des priples de plusieurs mois pour porter

    dabbaye en abbaye les annonces de dcs et demandes de prires, et ils le font sans doutemonts, vu le poids que ces rouleaux peuvent atteindre et quelques allusions dans les pomes

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    que lon ajoute aux rouleaux. Ces moindres personnages nont bien sr pas de si bons chevauxque les abbs et prlats. Ils vont sans doute aussi beaucoup plus vite.

    11 Lentretien dun cheval peut devenir un souci. Hugues Primat, pote talentueux maisdpendant du bon vouloir de ses htes dans les villes o il passait, reoit de lvque de Sensle vivre et le couvert, et un beau cheval, mais il nest pas sr quil ne devra pas entretenir lecheval lui-mme, et multiplie les requtes davoine et de foin, car jusquici il a d mettre en

    gage sa selle et sa bride...12

    12 Aller fermer les chevaux avant la nuit fait partie des tches quotidiennes. On les mne aupturage le matin, on les rentre le soir et on les enferme13. Les chevaux, sauf en ville, semblentplus souvent en pture libre que de nos jours, mais entravs, comme on la vu plus haut, ycompris dans les bivouacs des quipes militaires : daprs le Liber Historiae Francorum,la reine Frdgonde circonvient ses ennemis en sen approchant laube, les combattantsdissimuls sous des branchages et avec des clochettes sur leurs chevaux, si bien que lesadversaires croient que ce sont leurs propres chevaux quils ont lchs la veille au soir avec

    des clarines14.13 Dans certaines occasions, les cavaliers pntrent, monts, dans les cimetires et mme les

    glises, mais au grand jamais dans les jardins clos, que leurs sabots abmeraient. Pourtant,dans les romans, ils traversent parfois les palais des salles, plutt des cours avant de mettre

    pied terre.14 Dans les romans daventure, la mention des soins aux chevaux larrive est un dtail qui fait

    vraisemblable. Mme dans les chteaux dserts, du foin et de leau sont parfois prpars pour lecheval dun hros de passage (comme, lors de la fte de saint Nicolas, on laisse un peu de foinprs de la chemine pour le cheval du saint quand il passera porter des cadeaux). Cependant,la longanimit des chevaux des chevaliers errants dans les romans franais, en particulier, estfrappante : ces chevaux merveilleux attendent apparemment sur place leur matre lorsquil metpied terre, sans un cuyer pour laccompagner, ne sont jamais fatigus et nont jamais besoinde boire, en tout cas leur posent remarquablement romanesquement peu de problmes. Cenest pas dans ces textes-l que les dtails vcus abondent.

    15 Dans la ralit, les voyageurs doivent, videmment, prendre soin de leur monture enchemin. Les chroniqueurs, comme Froissart, mentionnent frquemment les pauses faites pour

    ressangler. Une scne tire duRuodlieb, le premier roman du Moyen ge, au XIesicle, nousmontre le hros chevauchant accost par un personnage roux (donc peu recommandable) quidemande faire route avec lui. Au cours de la journe, il fait chaud et Ruodlieb, le chevalier,retire sa cape et lattache sa selle. Lautre songe sen emparer. Lorsquils vont la rivirepour faire boire leurs chevaux, il fait mine de masser le dos du cheval de son compagnon etde le frotter, et en profite pour dfaire la courroie et prendre la cape. Alors il sort du gu,saute terre et enfourne la cape, quil a cache sous son aisselle, dans son propre sac. Pourmasquer cette action, il sarrange pour rester en arrire en regardant si son cheval na pas unclou dans le pied. Puis il remonte en selle, rattrape le hros et lui demande sil navait pas unecape, puis suggre quil a vu quelque chose filer dans la rivire : Nous avons d la perdre lo nous buvions , et propose de retourner la chercher15. Lpisode est vivant, la descriptiontonnamment prcise. Faire boire son cheval, inspecter les pieds, sont des oprations quechacun voit faire journellement, que lauteur, moine de Tegernsee, dtaille avec le sens delobservation qui le caractrise.

    16 Pour les guerriers, le cheval est toujours un butin de choix. Les beaux chevaux, bien nourriset duqus, sont chers. Ils font lobjet de transactions bien sr, mais aussi de dons. On peutesprer recevoir un cheval pour une uvre prsente un protecteur16. De mme, lvque lude Sens a donn au pote Hugues Primat un bon cheval, que celui-ci dcrit avec enthousiasmeen mlangeant latin et franais :

    Un cheval me dona, bonum cursorium,

    Pinguem et juvenem, ambulatorium,

    Ne clop ne farcimos neque trotarium17.

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    17 Donc bon coursier, jeune, en bon point, marchant lamble, sans boiterie ni farcin et necondamnant pas son cavalier au supplice du cheval qui trottine : tout ce que craint celui quireoit un cheval quil na pas choisi... puisqu cheval donn on ne regarde pas les dents.

    18 Les descriptions prsentent surtout des scnes darrive et de dpart. Les jeunes gens sautentde cheval, cela montre leur fougue. Un orgueilleux (le voleur du Ruodlieb) saute de cheval

    dans la cour dont il vient dbranler la porte, et jette ses rnes sur un pieu18; ds quil a persuadla jeune pouse quil convoite de dire son mari quil est son oncle, la fausse nice elle-mme

    conduit son cheval lcurie, marque dempressement quelle ntait pas oblige de lui fourniren prsence des serviteurs et de ses beaux-fils. Mais, comme ce sont des personnages ngatifs,gostes, ils manquent leurs devoirs envers ce cheval : ils ne soccupent pas de le soigneret de le nourrir19.

    19 Pour les personnes moins jeunes, se mettre en selle ou en descendre ncessite de laide. Lecheval du saint abb Folcuin de Lobbes sagenouillait pour quil puisse monter sans peine 20.Une quipe de combat, la fin du Moyen ge, est constitue de quatre pitons pour uncavalier ; mais, mme en dehors de la guerre, unaide, palefrenier ou cuyer, est le plus souventncessaire. Les serviteurs se prcipitent larrive dun guerrier (Waltharius) ou dun grandpour laider mettre pied terre. La mort de Chilpric, raconte par Grgoire de Tours, nousmontre le roi, qui nest plus tout jeune, sappuyant sur lpaule dun serviteur pour descendre

    de cheval au retour de la chasse. Ce mouvement permet lassassin, qui sapproche la faveurdu soir qui tombe, de lui enfoncer son couteau sous laisselle au moment o il se penche21.

    20 Charlemagne montait cheval et chassait tous les jours, et cette pratique est considre par sonbiographe comme une spcialit des Francs, suprieurs en ce domaine toute autre nation22.Ses filles et la reine suivaient galement la chasse cheval, daprs le pome contemporainKarolus magnus et Leo papa, et, est-il soulign, sur des chevaux rapides et ardents, dont lacouleur est parfois prcise. La description de leur cheval fait partie de lloge de leur belleallure et de leur beaut, aprs leurs atours ou leurs bijoux ; mais on ne nous dcrit pas leurcourse. Les princesses montent peut-tre plutt pour la parade, malgr la qualit et la rapiditde leurs chevaux23.

    21 Dune faon gnrale, les textes dallure pique de lpoque carolingienne nous livrent

    quelques jolies descriptions dattitudes du cheval, en partie daprs la posie antique, en partiepar une sorte dacuit descriptive du regard propre cette poque. Les beaux chevaux ont leregard fier, ils rongent leur frein et cument, ils hennissent et encensent 24: ceci est plutt duregistre potique traditionnel. Les perons dacier25sont aussi une notation virgilienne. MaisErmold le Noir, qui ny tait pas, nous livre en sus de jolies scnes de dpart : le rvoltbreton Murman, caracolant pour faire lavantageux, et surtout la scne de son dpart poursa dernire (et fatale) quipe, o il prpare son cheval avant de sarmer lui-mme : il semet dabord en selle, fait pirouetter son cheval coups dperons, juste devant les portes,se fait donner boire (cest le coup de ltrier), puis de sa selle embrasse sa femme, sesenfants et ses familiers ; son discours dadieu sa femme, plein de forfanterie mais aussidaffection26est clairement soulign par lui comme un discours doptimisme, dit en selle 27.

    Ladieu du cavalier, surtout quand on devine quil ne reviendra pas, prend un peu des couleursdes adieux dHector Andromaque, sert en tout cas de motif pique recherch. Car la faon decaractriser loptimisme et la confiance en soi du guerrier dans lpope latine, cest de direquil a confiance en son cheval28.

    22 Le Walthariusdu IXesicle29nous offre aussi quelques jolis dtails, sur la fuite de deux otagesretenus par les Huns dAttila, Waltharius et sa fiance Hildegonde. Un bon cheval et quelquesheures davance, cest le salut pour des fuyards. Ils endorment donc dabord Attila et sa couren les enivrant. Ils partent seuls, contrairement aux autres scnes o lon voit les serviteurs seprcipiter pour aider Waltharius mettre pied terre en tenant le cheval (v. 215-17). Walthariuschoisit donc le meilleur cheval, quil a baptis Lion, le sort de lcurie et le harnache lui-mme.Il met le trsor des Huns sur un autre cheval, que sa fiance mne en main. Ils sont assez

    chargs darmes et de matriel de pche pour se tirer daffaire en route, ce qui fait quon peutsupposer quHildegonde a un autre cheval (ils vont courir le plus vite possible), mais peut-tre

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    quil la plutt prise en croupe. Quand ils passent le Rhin en bac, le passeur remarque que cecheval robuste, avec ses deux coffres sur le dos, en agitant bien haut la tte et en rassemblantses cuisses musculeuses, fait rsonner comme de lor le contenu des coffres. Ce geste de leurcheval de charge trahit les fugitifs, dsormais poursuivis par le roi des Francs Gunther dontils traversent le territoire : ds quil entend parler dor, le roi fait aussitt seller et harnacherson cheval pour les poursuivre avec onze compagnons. Dans les Vosges, Waltharius choisitun bivouac facile tenir (un dfil), mais surtout pourvu dune herbe abondante pour les

    chevaux. Lorsque les poursuivants, qui suivent les traces laisses par les sabots, trahis par lapoussire queux-mmes soulvent, approchent, Waltharius est prt les combattre, lorsquilest somm de donner, dans lordre, le trsor, le cheval et la fille. Les dix combats qui suivent,tous diffrents, ne sont pas tous des combats questres, lun des poursuivants se trouvantempch de passer cheval les cadavres qui barrent laccs. On ne sait dailleurs pas nettementsi Waltharius combat pied ou cheval, il est possible quil se dfende pied dans cet espacetroit. Deux chevaux meurent dans ces combats, lun frapp en pleine poitrine, qui se cabreet bat lair de ses sabots avant de retomber sur son cavalier dsaronn (v. 746-47), lautreparce que la lance de Waltharius a clou son flanc la cuisse du cavalier, ce qui lempchede le dsaronner sous la douleur de la blessure (677-679). Le cavalier qui narrive pas faire pivoter assez vite son cheval dans un engagement est en fcheuse posture (v. 715, 932).

    Un autre combattant, pour attaquer Waltharius, frappe son propre cheval la naissance de laqueue, ce qui doit tre une faon nergique dperonner (v. 698-99). Un autre encore attaque cheval Waltharius pied et ayant retir son heaume pour prendre lair, car il croyait unepause. Aprs chaque combat, Waltharius tire derrire lui, dans la grotte herbeuse o il avaitfait halte, les chevaux de ses adversaires vaincus, sils ne sont pas morts (v. 780). A la fin, ila six chevaux, car deux sont morts et le roi Gunther en a rcupr trois. La nuit tombant, lecombat sarrte : Waltharius prie dabord pour ses ennemis vaincus, quil espre retrouver auciel, puis fait tourner les six chevaux et les attache avec des branches entortilles videmmentil navait pas prvu assez de licols. Pendant son tour de veille, la nuit, il noublie pas de fairele tour des chevaux pour les surveiller (v. 1186-87). Au matin, tout en coutant sil entendles chevaux des deux ennemis qui survivent, sur quatre chevaux il met lquipement de ses

    ennemis vaincus, selles et armes, sa fiance sur le cinquime, lui sur le sixime ; il fait marcherla jeune fille en tte, puis les chevaux chargs, puis lui-mme qui mne en main le cheval Lionqui porte le trsor ; lorsquil entend ses deux poursuivants le rejoindre en criant vengeance,il passe Lion et son trsor Hildegonde et lui ordonne daller se mettre couvert. Le combatfinal se passe pied, Hagen, lancien ami de Waltharius, sautant bas de son cheval avantdattaquer (v. 1250), imit par les deux autres. Aprs le combat, o tous trois sont mutils,Waltharius appelle Hildegonde pour quelle leur donne boire il faut croire quelle a russi attacher dans le bois les cinq chevaux dont elle tait responsable...

    23 Cette uvre de fiction a srement t compose par quelquun qui connaissait tous lesproblmes que pose la logistique de la randonne questre. Waltharius est un guerrierintelligent et prvoyant, qui utilise au mieux sa cavalerie. Les notations, beaucoup plus variesque dans les chansons de geste, o les chevaux sont souvent coups en deux dun coup dpeavec leurs cavaliers, font sentir limportance du cheval et pressentir la multiplicit des gestesqui lentourent et permettent son utilisation.

    Le dressage24 Nous avons peu dindications sur le raffinement du dressage. Les textes ne parlent que de trois

    actions questres : piquer des perons pour courir, matriser le cheval avec le frein, et faire desvoltes (ou demivoltes) pour esquiver au combat. Devant le front des troupes ou au dpart, cesvoltes sont des sortes de pirouettes ou caracoles, rserves au chef ou au prince.

    25 Le dressage ajoute la valeur du cheval. Les chevaux de dame et decclsiastiques sont dresss marcher lamble, pour viter les secousses du trot. Ils sont videmment plus chers.

    26 Quelques indications nous montrent les difficults possibles avec de jeunes chevaux. Dansle GracialdAdgar, un jeune paysan, qui ne peut trouver le sommeil car il est en colre,curuci, ce qui peut vouloir dire tourment ou violemment mu, dcide de sortir cheval, en

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    pleine nuit, pour ne pas se laisser dominer par ce sentiment et retrouver le calme. En passantprs de lglise, il y entend du bruit et voit arriver une jeune fille aux vtements lumineux, quilui dit dy entrer pour rendre son service la Dame qui est lintrieur. Le paysan hsite mettre pied terre, car son cheval nest pas bien dress :

    E quant li vilains lentendi,

    Ignelement li respundi,

    Que ne pout del cheval descendre ;Salvage esteit, desperon tendre.

    E dit : Certes, ne sai que faz !

    De nuvel lai pris del haraz.

    Cruels est e mut orguilluz

    E nient dantez e tut wischus.

    Uncore nel puis pru danter ;

    Par sei ne los laisser ester.

    E la bele li respundi :

    Jol tendrai. Va lenz a li !

    E li vilains atant turna,

    Cuintement el mustier entra30.

    27 Ce cheval quil ose trs bien monter, de nuit, il nose pas le laisser lattache, car il estbouillant, mal dress ( nient dantez ), orguilleux et malin ou rus ( wischus ). Il nesupporte sans doute pas les entraves, ou il tire au renard, en tout cas il nest pas fiable car ilsort tout juste du haras 31, il doit donc tre tout jeune. Bien entendu cela ne trouble pas lapucelle, qui propose de tenir le cheval pendant tout le temps que le paysan confrera avec NotreDame, qui lui donne ses instructions (il sagit de convaincre le prtre de faire reconstruirelglise). Quand il sort, la jeune fille lui rend son cheval, le lui tient quand il monte, lui rvle

    quelle est sainte Marguerite, la chambrire de Notre Dame. On ne stonne plus quelle aitpu faire tenir tranquille, un bon moment, ce cheval jeune et agit. En tout cas le rcit, bien quemiraculeux, a sa part de vraisemblance : un cheval qui nest pas encore parfaitement aux ordres(il est dperon tendre , il ragit mal lperon) ne doit pas tre laiss seul. Et le paysannhsite pas laisser son cheval aux soins dune jouvencelle : elles devaient tre nombreuses,dans sa campagne, les jeunes filles, servantes ou paysannes, avoir loccasion de tenir sansseffaroucher une monture mme un peu chaude.

    28 On peut dresser un cheval de bien des faons. Lune des histoires les plus dlicieuses est contepar le prdicateur Jacques de Vitry32. Un prlat respectable, et riche, avait un trs beau cheval pas un palefroi, cheval pour dame ou ecclsiastique, mais un cheval de prix. Il avait aussiun frre cadet, qui se destinait au mtier des armes (il tait chevalier), mais navait pas pour

    squiper des moyens la hauteur de ses ambitions. Il convoita le beau cheval de son frrean, et sen alla donc lui demander de le lui prter pour une semaine. Puis il demanda auserviteur de son frre ce que celui-ci disait le plus frquemment quand il chevauchait. On luirpondit que Monseigneur disait ses heures, et commenait donc rgulirement par la priredouverture,Deus in adjutorium meum intende.

    29 Sans dsemparer, le jeune chevalier se mit travailler le cheval : il disaitDeus in adjutoriummeum, et chaque fois lui enfonait violemment les perons dans les flancs. Trs vite, dsquil entendait ces mots, avant mme la piqre de lperon, par rflexe conditionn le chevalaffol se mettait se dfendre, ruer, sauter, embarquer son cavalier. Le jeune homme renditalors le cheval son frre, qui sans mfiance se mit, comme lordinaire, dire ses heures enchevauchant, avec le rsultat que lon devine. Le jeune frre, qui laccompagnait, fit remarquer

    son an que ce ntait pas l un cheval qui puisse convenir une personne de poids (sansdoute aux deux sens du terme) comme lui, et quil pourrait tomber et se blesser. Dpit par la

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    transformation de ce cheval auparavant si calme et dallures si douces, le prlat le donne sonfrre. Moralit : on peut dresser les btes brutes en les frappant, alors que mme les punitionsdivines ne persuadent pas certains malheureux !

    Le confort30 Le confort du cheval pour le cavalier apparat parfois. Nous avons vu Loup de Ferrires

    rclamer mi-mot quon lui fournisse, l o il va en visite, un cheval qui nait pas un trot dur :

    il demande probablement un ambleur. Comme on ne senlve pas, un trot sec est un supplice.Un mauvais cheval, mal quip, peut tre trs inconfortable. Si les cuyers et les chevalierssont censs monter sans jamais se plaindre, Andr le Chapelain sait bien quun mauvais chevalest une punition : cest celle quil promet aux dames qui ne savent ou ne veulent pas aimer 33.Boteux, durs au trot, maigres et laids, ils portent ces malheureuses, sans selle ni bride, lasuite du dieu dAmour qui leur fixera la suite de leur chtiment. Tandis que les dames qui ontsu aimer disposent de palefrois aux allures souples, marchant lamble, de selles molleuseset de harnachements en parfait tat, et de plus chacune, escorte de deux chevaliers monts,a un chevalier pied pour tenir la bride et contrler le cheval : avant-got du paradis delamour o elles vont tre places. A la suite dAndr, des romans franais montrent parfois desinfortunes cahotant sur de mauvais chevaux, par suite dun chtiment ou dune msaventure.

    Linconfort dun cheval tait certainement une ralit que les lecteurs pouvaient comprendre,encore que le cheval squelettique et boitant de trois membres dAndr semble une vision quitient du cauchemar. (Cest le cheval de la dame qui renseigne le narrateur ; il est si indcent quele narrateur, courtois, lui offre aussitt le sien. Mais si la dame avait accept, aurait-elle montsur sa selle ? Les dames ne montaient pas califourchon, encore que ce ne soit jamais prcis.)

    31 Un autre inconvnient est la poussire souleve : mieux vaut marcher en tte, chacun le sait.Les dames qui nont pas aim, venant en queue du cortge du dieu damour, avalent tant depoussire quelles y voient peine et ont du mal parler. Dans le Waltharius, la poussirede la troupe des poursuivants avertit les fuyards de leur approche, comme dans les oprationsmilitaires dcrites par Froissart.

    Les dangers32 Comme nos vhicules automobiles, les dplacements cheval comportent leur part de risque.Limptuosit dun cheval trop fougueux que son cavalier ne peut pas matriser sur le champde bataille peut tre mortelle. Froissart raconte un certain nombre dpisodes o des chevalierssont emports la charge jusquau milieu des rangs des ennemis, o ils sont mis en pices.

    33 Les exemples historiques de morts accidentelles, souvent la chasse, ne manquent pas : lamort en 1131 du fils an de Louis VI, accident de la circulation puisquun cochon divagantse jette sous les pieds de son cheval (ne faisait-il pas un excs de vitesse en ville ?), cellede Louis de Bavire en 1347, au cours dune chasse34, tant dautres. Mais le hasard questlaccident imprvu, sil est relat dans les chroniques, nest pas un ressort romanesque, parceque le hasard dconstruit ce que les crivains mettent tant de soin construire, le sens de

    lexistence et la providentialit du destin. On trouve en revanche dans les contes ou les fabliauxles accidents de la circulation, le cheval qui bouscule une femme dans la rue, et elle lche cequelle tenait (Kalila et Dimna).

    34 Dans la vie mrovingienne de saint Riquier, le saint est amen changer ses habitudes demonte par un accident qui lui arrive alors quil rend visite une dame qui est sa commrecar il a baptis son fils : alors quil est cheval, il demande cette dame de lui passerlenfant tout bb pour quil lembrasse. La mre, joyeuse de lhonneur qui lui est fait, lui tendlenfant quil prend dans ses bras. Le cheval est brusquement pris de folie, linstigation dudiable explique le rviseur carolingien, il saute en tous sens et dmarre en une course folleet dsordonne, inarrtable. Le saint, tenant le nourrisson dune main, les rnes de lautre, semaintient tout ballottant en selle en hurlant le nom du Christ, et finit par lcher lenfant qui,miraculeusement, tombe sur une taupinire, indemne. Riquier trs choqu renonce monter cheval, il ne chevauchera plus quun ne bien tranquille... Le diable en rendant fou son chevallui a appris lhumilit. Un intrt de la comparaison entre le texte mrovingien (VIIIesicle) et

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    sa rcriture par Alcuin vers 800 est de montrer comment la vraisemblance est accentue (etles dtails semi-comiques un peu gomms) : Riquier, dans le texte du VIII esicle, semble nepas descendre de cheval pour cette visite son petit protg, il demande donc ce que la mre,qui vient au devant de lui, le lui tende. Alcuin fait de lpisode une scne de dpart, analogueaux bndictions depuis le cheval que nous avons dj rencontres : cest aprs le repas quela dame suit le saint homme en tenant son enfant dans ses bras, et Riquier le lui demande pourle bnir et lembrasser. Et lincartade du cheval est dcrite selon les motifs piques, il grince

    des dents et envoie des coups de pieds avant de slancer la course, tandis que dans le textemrovingien, il commence par un saut de mouton, dfense peu esthtique que je crois bien ne

    pas avoir rencontre ailleurs35.35 Dans limaginaire, le cheval est un des animaux qui peut entraner son cavalier et lui faire

    passer la dmarcation invisible entre le monde de laventure et le monde rel. Lhistoire deSadius et Galo, chez Gautier Map, en est un exemple36. Laventure commence de faon terre terre : abattu par un accs de fivre, Galo reste plusieurs jours couch. Quant il se lve, unjour de fte o toute la maisonne est partie lglise, il prpare lui-mme son cheval poursortir, mais son cheval qui na pas travaill depuis plusieurs jours a grossi, il est plein de feu etpas trs obissant, tandis que Galo, affaibli, est un peu comateux. Cest ainsi que son chevallemporte o il veut, sans quil tienne pratiquement les rnes, et le fait pntrer dans le monde

    enchant de laventure, le vraisemblable des dtails terre terre prparant linvraisemblablede la fiction. Et, dans lHistoire de Mriadoc, un roman daventure en latin peut-tre crit parlabb du Mont-Saint-Michel Robert de Torigny, les chevaux peroivent une atmosphre deterreur et semballent : les chevaliers qui ont t hbergs dans un chteau bizarre avec unsnchal qui les terrifie par son rictus diabolique, senfuient cheval, et lorsque tombe unenuit trs noire o ils ne se retrouvent plus les uns les autres, ils sont pris dune telle peur quellegagne les chevaux, qui deviennent incontrlables et, semballant, dispersent travers la fortces compagnons, qui ne pourront se retrouver37.

    Laffection36 Si tous ces cavaliers aimaient leurs chevaux, nous avons peu de moyens de le savoir. Ils y

    tenaient, pour leur valeur de toute faon, mais aussi sans doute, sans quils sachent commentlexprimer, par lhabitude du compagnonnage et la reconnaissance pour tous les cas o un boncheval leur avait sauv la mise : ils ont confiance, comme disent les popes latines. Maisceux qui tiennent la plume sont des clercs, moins susceptibles davoir pour leur monture unetelle proximit et de pareilles occasions de reconnaissance. Ainsi, pas un seul pome sur lecheval dans une littrature qui abonde en louanges du vin, ou de fleurs, ou de lgumes ! maispas non plus en faveur des chiens tout aussi prsents. Pourtant, quelques rcits montrent quelon imaginait trs bien quun guerrier puisse tenir, au-del de sa valeur marchande, soncompagnon daventure. Ainsi dans la Chanson de Roland, Ganelon dpit et amer sen va enparlant son cheval

    37 Une pareille attitude est attribue Clovis par le Liber historiae Francorum, rdig trois sicles

    aprs les vnements. Pour sacqurir la faveur de saint Martin avant une bataille dcisive, illui offre son cheval prfr, laiss Saint-Martin de Tours. Aprs la victoire, il veut racheter cecheval une somme faramineuse. Mais celui-ci, comme paralys, ne peut tre sorti de lcurie.Clovis double la mise (deux cents sous dor), et alors saint Martin laisse partir le cheval.(Commentaire de Clovis : saint Martin est un merveilleux auxiliaire, mais vraiment il est dur en

    affaires)38. On considre donc que mme un roi puissant, qui peut se fournir en beaux chevauxcomme il veut, peut tenir un cheval prcis jusqu faire pour lui, sans hsiter, des dpensespharaoniques.

    38 Plus touchante est la faon dont Jacques de Vitry raconte une anecdote sur un crois qui,voyant la multitude des Sarrasins quil va affronter, dit son cheval, avec confiance et joie : O Morel mon bon compagnon, jai fait bien de bonnes journes en montant sur ton doset en te chevauchant, mais cette journe sera meilleure que toutes les autres : aujourdhui tume porteras la vie ternelle . Ce qui se produit lorsquil succombe au nombre39. Cest unehistoire difiante bien sr, mais pour quelle porte, lauditoire doit reconnatre et accepter le

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    ton de complicit du cavalier parlant sa monture. Les dernires paroles dun cavalier soncheval apparaissent vraisemblables et mme propres tre parodies, ainsi dans la Passio

    Francorum secundum Flemingos, chant de victoire aprs la bataille de Courtrai en 130240.39 Le cheval de labb de Saint-Bertin, qui sagenouillait pour quil puisse monter facilement,

    devait tre donn aux moines sa mort. Il marcha en tte devant son cercueil, mais sonattachement son matre tait tel quil refusa ensuite dtre mont par un autre que lui et quilmourut bientt. Son cadavre fut donn aux chiens, comme de coutume (on ne mangeait pas de

    viande de cheval)41, mais, comme des hymnes avaient si souvent t chants sur son dos, leschiens refusrent dele manger, et en hommage on lenterra comme un homme42. Saint animaldonc, vnrable parson contact avec le saint abb : cette anecdote montre le cheval capabledattachement pour son matre.

    40 Nous terminerons sur le cas de Datus, que nul tre dot dun peu de moralit ne peut excuser,si les cavaliers peuvent le comprendre. Il illustrera lattachement du combattant pour soncheval de guerre, qui peut aller trs loin. Cest Ermold le Noir, sous Louis le Pieux, quiraconte la fondation de Conques. Les Maures ont pris une ville o staient rfugis femmeset enfants, et en particulier la mre du guerrier Datus, qui vient caracoler devant les murailles.Les Maures voient et apprcient le cheval, et proposent Datus un change : sa mre contrele cheval. Datus rugit de colre : Tue ma mre, je ne men soucie pas. Car le cheval que tu

    me demandes, jamais je ne te le donnerai, misrable, il est beaucoup trop bien pour toi (v.276-79). Evidemment, le Maure immdiatement lui renvoie par catapulte la tte de sa mre43. Et Datus effondr ne se souciera plus jamais de son cheval, mais de faire pnitence...

    Notes

    1 - Le rendement du buf, pour les travaux agricoles, nest que de 66 % de celui du cheval, plus rapideet plus endurant, mais galement plus exigeant en nourriture.

    2 - La pharmacope mdivale trouve utiliser lurine et le crottin, contre la colique, la jaunisse,lpilepsie, la fivre, la sueur contre lpilepsie aussi, la bave contre les brlures, la poudre des chtaignes.

    3 - Les innovations techniques (les triers et laron diffuss du IIIeau VIIesicle, qui vont permettreles charges fond des Francs, et de nouvelles modalits du combat cheval) ; la gnralisation ducollier dpaule rembourr au Xesicle qui va permettre les dfrichements des XI eet XIIesicles, lagnralisation de laferrure au XIIesicle, qui annonce lapparition dun rseau de marchaux-ferrants partir de 1200) accroissent lefficacit du cheval de trait comme du cheval darmes, et donc sonutilisation. Mais sonlevage apparat peu dans les textes : nous savons par larchologie et par lesdocuments quen France on les levait plutt dans louest, dans les pays pauvres, et quils pturaient en fort , cest--dire dans les terrains que le seigneur se rserve. Les chevaux des paysans, levssur les ptures communes, devaient tre assez mdiocres. Ce sont souvent les monastres qui en lvent(certaines redevances se font en chevaux). A partir du XIIIe sicle, on importe en France, en grandnombre, des chevaux dEspagne, dItalie et de Germanie, de qualit pour ce commerce de luxe : deschevaux spcialement grands (cest--dire de plus de 1,40 m) ou rapides. Il vient aussi des chevaux persesou arabes (auferrant, du mot arabe pour le cheval de selle). Voir WAGNER, Marc-Andr.Le cheval dansles croyances germaniques : paganisme, christianisme et traditions. Paris : Champion, 2005, avec uncorpus des exempla concernant les chevaux, p. 783-804 ; et surtout D IGARD, Jean-Pierre.Une histoiredu cheval : art, technique et socit. Arles : Actes Sud, 2004.4 - Cest une longue tradition, puisque Jules Csar, Guerre des Gaules4, 2, 1, dit dj que lesGaulois sont fous de leurs chevaux et en achtent beaucoup, y compris longue distance.5 - Distinction ajoute sur la page de garde du ms. Rouen, B.M. 109.

    6 -Hist. 10, 8, d. KRUSCH, Bruno. MGHScript. rerum mer. I, 2, Hannover : Hahn, 1942, p. 490.

    7 -Dialogi, I, 4, 10, d. de VOGE, Adalbert. Paris : Cerf, 1979, p. 46.

    8 - Vita Goaris, d. KRUSCH, Bruno.MGHScript. rerum mer. II, Hannover : Hahn, 1888, p. 414.

    9 -P.L. 87, col. 445.

    10 - Loup de Ferrires, epist.121, 862, d. LEVILLAIN, Lon, t. II. Paris : Les Belles Lettres, 1964, p. 183.

    11 - Talia dictabat noctibus vel equitans, il composait cela la nuit ou cheval , Carm. I, v. 64, d.TILLIETTE, Jean-Yves. Paris : Les Belles Lettres, 1964, p. 3.

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    12 - Pome 16, v. 124, 142-146, d. McDONOUGH, C.J. The Oxford Poem of Hugh Primas and theArundel Lyrics.Toronto : Pontifical Institute, 1984, p. 58-60 : Il me fesist grant bien ad unguem, adplenum / Sil me volsist doner avenam et fenum./... Et jen ai mis en gage et sellam et frenum .

    13 - Par exemple Grgoire de Tours,Historiae, III, 15, d. cite, I, p. 114-115 : pour librer un prisonnier,devenu esclave et gardien des chevaux, son complice lui recommande de ne pas dormir quand il reviendrapour enfermer les chevaux (equos ad claudendum adduxeris); ayant fait du bruit pour prendre des armes,il rpond calmement au matre, peine couch aprs un banquet, quil rveille le jeune gardien pourquil mne les chevaux au pturage, au milieu de la nuit. Les chevaux avaient t enferms au dbut de

    la nuit avec des coins enfoncs au marteau en guise de verrou, ce qui montre les prcautions contre levol. Les fugitifs senfuient dailleurs en emmenant les chevaux, pour ne pas tre poursuivis sans doute,car ils devront les abandonner lorsquils passent la Moselle la nage. Leurs poursuivants, monts alorsquils fuient dsormais pied, sarrtent juste ct du buisson o ils se cachent, pour laisser urinerles chevaux.

    14 -Liber historiaeFrancorum, d. B. KRUSCH, MGHScript. rerum mer. II, Hannover : Weidmann,1888, p. 305.

    15 -Ruodlieb, V, v.596-608, d. FORD, Gordon B. Leiden : Brill, 1966, p. 60-61.

    16 - Sel presentesse a chevaler / Tos me dunast un cheval cher , GracialdAdgar, d. cite, prologue,vers 52.

    17 - Pome 16, v. 103-105, d. MCDONOUGHcite, p. 58.

    18 - desiliens ab equo,freni loro sude jacto ;Ruodlieb, VII, 46, d. cite p. 68.

    19 -Non ea nec rufus reminiscuntur magis eius, / Manducet, si quid ibi graminis is reperisset. Ni elleni le rouquin ne se souviennent plus de lui : il mangera, condition quil puisse trouver l un peu defourrage .Ibidem, v. 93-94, p. 69.

    20 - Folcuin de Lobbes,Historia abbatum Sancti Bertini, MGH ScriptoresXIII, p. 619, l. 15-21.

    21 -Hist. 6,46, d. cite, p. 319.

    22 - quod illi gentilicium erat, quia vix ulla in terris natio invenitur qui in hac arte Francis possit aequari, ce qui tait pour lui un trait de race, car il nest gure de nation sur terre qui puisse sgaler aux Francsdans cet art , Eginhard, Vita Karoli, d. HALPHEN, Louis. Paris : Champion, 1923, p. 27.

    23 -Karolus magnus et Leo papa (Paderborn Epos), d. DMMLER, Ernst, MGH,Poetae latini aevicarolini, I. Berlin : Weidmann, 1881, p. 370-372. Le cheval de la reine Liutgard est superbe (v. 193-194),mais elle est rsistanteet capable de le fatiguer (v. 199). Le cheval du fils de Charlemagne, Ppin, est dehaute taille (v. 204-205). Le cheval de Rhodrud est rapide et lemporte au-devant des autres (v. 213-214).

    Le rapide cheval de Gisle ronge son frein en cumant (v. 237-239). Celui de Rhodade peut lemporterl o se cachent les cerfs, et celui de Thodrade est blanc de neige et fougueux (v. 260-261).

    24 - stans acre movet caput, dansKarolus magnus, d. cite, v. 167, p. 366.

    25 - stimulis praefigit acutis, Ermold le Noir,In laudem Ludovici, III, v. 377, d. DMMLER, Ernst. MGH,Poetae latini aevi carolini, II. Berlin : Weidmann, 1884 ; voir aussi v. 441, 453.

    26 -Murman, amata, tuus... ave, femina amata, vale, ton Murman, bien aime... salut, femme tantaime, adieu !

    27 - laetus equo residens, joyeux sur mon cheval , d. DMMLER, Ernst, MGH,Poetae latini aevicarolini, II. Berlin :Weidmann, 1884, p. 51-52.

    28 -fisus equo,Ermold le Noir, In honorem Ludowici, III, 441. Mme formule pour dcrire la valeurguerrire de la race des Sarrasins :Fortis, equo fidens, I, v. 147, p. 9.

    29 -Waltharius, d. STRECKER, Karl. MGH,Poetae latini aevi carolini, VI, 2, Berlin : Weidmann,

    1947, p. 24s.30 - GracialdAdgar, XXXIX, v. 77-89, d. KUNSTMANN, Pierre. Ottawa : Univ. dOttawa,1982.31 - Cest la premire attestation du mot, pour lequel on hsite entre une origine arabe ou scandinave,sans doute sur la racine que lon retrouve dans haridelle .

    32 - Jacques de Vitry. The Exempla, or illustrative stories from the sermones vulgares , d. CRANE,Thomas F. Londres : D. Nutt, 1890, n 39 p. 28.

    33 - Andr le Chapelain.De amore, d. TROJEL, Ernst. Copenhague : Gadiana, 1892, p. 104-106.

    34 - super equum sedens et venationi insistens cecidit et fractis cervicibus exspiravit, Chronique dite deJean de Venette, d. BEAUNE, Colette. Paris : Livre de poche, 2011, p. 107.

    35 - Ed. KRUSCH, Bruno, dans MGH SS rer. merov. IV, Passiones II. Hannover : Hahn, 1902,p. 447. Letexte mrovingien nest pas toujours clair : tanta ferocitas equi emiscere coepit ut capud cum pedibus

    impetu nimis veloci curreret, le cheval fut pris dun tel accs de sauvagerie que la tte avec les pieds(cest ce que jinterprte comme un saut de mouton, il manque peut-tre un mot pour exprimer le saut ;

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    moins quil ne sagisse dune ruade, la tte en bas) il courait toute allure ; et plus loin lorsquillche lenfant :puero de manu sua dimisit, sic ruentem et equo paventem. Mme en tenant compte desdsinences brouilles par la prononciation et la graphie mrovingienne, le sens est dlicat. Le mot ruer napparat pas avant le XIVesicle. Ce serait tonnant que ruereait pris ici le sens de son intensif rutare,dailleurs non attest sinon par ses drivs romans, il garde plutt le sens de se prcipiter en avant .Donc, tandis que (sicet le participe prsent exprimant ici la simultanit) le cheval continuait se jeteren avant et avoir peur . On dirait, dans cette premire version, un pisode vcu, le cheval prsentantles symptmes dun animal piqu par une gupe.

    36 - Gautier Map.De nugis curialium, III, 2, d. JAMES, M.R., rvise par BROOKE, C. N.L. et MYNORS,R.A.B. Oxford : Clarendon Press, 1983, p. 112.

    37 -Historia Meriadoci regis Cambriae, d. DAY, Mildred Leake. New York : Garland, 1989, p. 126.

    38 -Vere beatus Martinus bonus est in auxilio, et carus in negotio. Liber historiae Francorum, d. cite,17, p. 271. Il est prcis plus haut, p. 268, quil offre des cadeaux au saint avec son cheval le plusrapide, quil aimait beaucoup (cum equo suo velocissimo, quod amabat plurimum).

    39 - Ed. cite, n 89, p. 41. Lanecdote est reprise dans dautres recueils, parmi lesquels celui dtiennede Bourbon. Un autre rcit montre un crois qui jene tant quil ne tient plus cheval face aux Sarrasins ;un Templier le remet en selle plusieurs fois, puis labandonne en lui disant : Seigneur Pain et Eau,occupez-vous de vous-mme dsormais (n 85, p. 38 ; moralit : il ne faut pas tenter Dieu). Il faut uncertain apport nutritif pour les sports questres de combat.

    40 - On y voit le comte Robert dArtois, au moment de mourir, sexclamer, en parallle aux derniresparoles du Christ : Bayard, Bayard, ou es tu ? Pur quey as moy refus ? Hoc est : Equus meus, equusmeus, utqui[d] me dereliquisti ? . Passio Francorum, dans Adam de Usk, Cronicon, d. THOMPSON,Edward M. Londres, 1904, p. 109.

    41 - Linterdiction de manger de la viande de cheval, reliquat de la mfiance de lEglise envers les cultesgermaniques o cette viande tait consomme, est une des causes qui rend plus dispendieuse lutilisationdu cheval, qui ne peut tre consomm en cas daccident.

    42 - Folcuin de Lobbes,Historia abbatum sancti Bertini, MGH Scriptores XIII, p. 619, l. 15-21 et XV,1, p. 429.

    43 - Ermold le Noir,In honorem LudoviciPii, I, v. 240-291, d. FARAL, dmond. Paris : Champion,1932, p. 24-26.

    Pour citer cet article

    Rfrence lectronique

    Pascale Bourgain, Pratique de lquitation au Moyen ge daprs les textes littraires ,InSitu[En ligne], 18 |2012, mis en ligne le 31 juillet 2012, consult le 20 avril 2013. URL : http://insitu.revues.org/9721 ; DOI : 10.4000/insitu.9721

    propos de l'auteur

    Pascale Bourgain

    cole nationale des Chartes [email protected]

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    Rsums

    Au dtour de contes, de rcits sur les saints, de sermons, dpopes, de lettres, les auteursmdivaux laissent entrevoir les conditions de lutilisation du cheval leur poque, dansses usages quotidiens : les contraintes conomiques et le prestige du cavalier, les difficultsdentretien ou de pturage, le dressage, les dangers. Parfois sont esquisss les gestes de

    sollicitude du voyageur pour sa monture, les soins, la mise en selle. Pour les dtails de lapratique questre, napparaissent que lusage des perons et limportance au combat des voltes

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    et pirouettes ; mais quelques notations font entrevoir lattachement et la confiance du cavalierpour son compagnon daventure.

    In the course of tales, holymens lives, sermons, epics, letters, medieval authors let us catcha glimpse on the ways of making use of horses in everyday life : horsemens social prestige,economic restraints, problems of maintenance and pasture, training, dangers. Sometimesappear solicitude gestures of a traveller for his horse, attendance, and the difficulties of

    climbing on horseback or getting down. There are few notes about equestrian art : usingspurs, and the importance of volts and pirouettes when fighting. But some notations show theaffection and trust of the rider for his fellow.

    Entres d'index

    Mots-cls :cheval, soins aux chevaux, Moyen ge