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Institut d’Études Politiques Université de Strasbourg Mémoire de quatrième année « Les États-Unis face au Printemps arabe » L’évolution de la communication de l’administration Obama répondant aux événements en Tunisie et en Égypte Floriane Ettwiller Sous la direction de Justine Faure, Maître de conférences Juin 2014

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Institut d’Études Politiques

Université de Strasbourg

Mémoire de quatrième année

« Les États-Unis face au Printemps arabe »

L’évolution de la communication de l’administration Obama

répondant aux événements en Tunisie et en Égypte

Floriane Ettwiller

Sous la direction de

Justine Faure, Maître de conférences

Juin 2014

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L'Université de Strasbourg n'entend donner aucune approbation ou improbation aux opinions émises dans ce mémoire. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteure.

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Je tiens à remercier toutes les personnes qui m’ont encouragée à écrire ce mémoire qui me tenait à cœur, puis qui m’ont soutenue tout au long de sa rédaction. Mes premiers remerciements vont à Madame Justine Faure, dont les conseils furent précieux et les relectures essentielles. Je remercie aussi ma Maman, ma famille et mes proches qui ont toujours été présents et à l’écoute.

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SOMMAIRE Introduction

Partie I : Le dilemme de l’administration Obama face au déclenchement du Printemps arabe, entre forces profondes et volonté de rupture (décembre 2010 – octobre 2011) Chapitre 1 : Les forces profondes américaines s’imposant à la politique étrangère de l’administration Obama

1. Le positionnement des États-Unis dans le monde arabe 2. L’administration Obama, l’hypothèse d’une « rupture dans la continuité »

Chapitre 2 : Une progressive légitimation des mouvements populaires par l’administration Obama, à la faveur de la chute des régimes en place

1. Un soutien attendu de l’administration Obama ? 2. La déception d’une position restant d’abord prudente face aux dictatures menacées 3. Le soutien américain au Printemps arabe, exprimé lors de la faillite effective des

régimes dictatoriaux

Partie II : Le glissement vers une communication de crise face aux évolutions du Printemps arabe (octobre 2011 – mai 2014) Chapitre 1 : Les insurrections arabes servaient-elles les intérêts américains ?

1. L’écho aux idéaux du modèle démocratique américain 2. La menace du chaos et la figure du révolutionnaire remplaçant celle des dictateurs

dans l’imaginaire négatif des Américains

Chapitre 2 : Les « finalités » des insurrections en Tunisie et en Égypte témoignant de l’impuissance des États-Unis

1. L’effet de verdict des élections fragilisé par les forces en présence 2. Des « révolutions » aux résultats contrastés

Conclusion

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Introduction

« Je suis venu ici pour chercher un nouveau départ entre les États-Unis et les

Musulmans dans le monde1 ». Le 4 juin 2009, à l’Université du Caire en Égypte, plus d’un an

avant le début du Printemps arabe, le Président des États-Unis Barack Hussein Obama

exprima ainsi sa volonté d’un nouveau positionnement dans le monde arabe. En 2002, le

sénateur démocrate avait exprimé son refus de voir les États-Unis entrer en guerre en Irak.

Dans son discours de politique étrangère à l’Université DePaul à Chicago, le 2 octobre 2007,

puis toute sa campagne présidentielle durant, il avait critiqué les erreurs diplomatiques du

gouvernement précédent dans le monde arabe.

Avant de s’intéresser à la nouvelle politique étrangère qu’a pu conduire

l’administration Obama dans le monde arabe, il convient de dresser un rapide historique des

relations entre les États-Unis et les pays de l’espace.

De la fin de la Première Guerre mondiale à aujourd’hui, la politique étrangère américaine, du

Maghreb au Machrek, changea à de nombreuses reprises. En effet, la diplomatie américaine

dans la région s’adapta à la situation internationale variable et ses stratégies furent différentes

selon le pays considéré dans l’espace. Néanmoins, la politique américaine visa toujours à

servir les intérêts des États-Unis. Ainsi, selon l’expression de Pierre Renouvin, elle illustra

constamment les « forces profondes » du pays. Par forces profondes, nous entendons les

multiples forces, à la fois matérielles, démographiques, économiques, géographiques,

politiques mais aussi spirituelles et liées à la psychologie collective, qui aident à la

compréhension des grands événements internationaux et des relations internationales. Ces

forces profondes sont donc celles qui ont guidé les relations entre les États-Unis et les régimes

de l’espace. Elles nous permettent de saisir les enjeux américains dans la région et de

comprendre les réactions des administrations américaines à ses différents événements.

1 Sauf mention contraire, les traductions de l’anglais au français sont des traductions personnelles.

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Trois principales périodes peuvent être dégagées pour décrire la politique américaine au

Moyen-Orient de 1945 à nos jours. Premièrement, dans les années 1947-1991, la diplomatie

américaine évolua dans le cadre de l’ordre bipolaire de la Guerre froide. Puis, du début des

années 1990 aux années 2000, les États-Unis forgèrent de nouvelles stratégies correspondant

au contexte d’un monde multipolaire. Enfin, les attaques terroristes du 11 septembre 2001

amenèrent les États-Unis à reconsidérer une fois de plus leur stratégie dans le monde arabe.

Les relations entre les États-Unis et les pays arabes entrèrent dans une nouvelle phase,

d’autant plus marquée par l’imaginaire et les perceptions. Nous nous appuyons ici sur les

événements clefs de chaque période pour comprendre quels furent les intérêts américains en

jeu et ainsi déceler les forces profondes qui guidèrent les relations américaines dans la région

en amont du Printemps arabe. Nous insistons sur trois forces profondes : les forces

économiques, politiques et psychologiques.

En 1945, après la défaite de l’Axe, l’Union Soviétique devint le principal adversaire

des États-Unis. Dans le contexte de la Guerre froide, comme pendant la Deuxième Guerre

mondiale, les États-Unis continuèrent de penser que leur sécurité dépendait de leur capacité à

conserver les pays du Moyen-Orient comme alliés.

Les forces profondes économiques de la période consistèrent principalement en la recherche

américaine de sources fiables et durables de pétrole. Les États-Unis eux-mêmes n’étaient pas

dépendants du pétrole du Moyen-Orient, mais l’Europe de l’Ouest et le Japon l’étaient, et les

États-Unis avaient besoin d’assurer la prospérité et la stabilité de leurs alliés. Pour assurer cet

accès, l’administration Truman construisit un oléoduc traversant la Jordanie, la Syrie et le

Liban, obtenant l’accord syrien au prix d’un coup d’état sanglant déposant le Président syrien

Shukri Quwatli, élu en 1948. L’administration s’employa aussi à consolider son amitié avec

l’Arabie Saoudite, leur alliance étant devenue évidente dès 1966 dans la stratégie Johnson puis

Nixon du « double pilier » avec l’Iran et l’Arabie Saoudite pour stabiliser la région. Les États-

Unis soutinrent d’ailleurs le régime conservateur face à l’Égypte dans leur conflit concernant

le Yémen, entre 1962 et 1970. En somme, la démocratie américaine forgea de fortes alliances

avec les autocraties de la région pour empêcher l’accès au pétrole d’être perturbé par des

changements politiques.

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Au niveau politique, il n’est donc pas évident de prouver que les États-Unis soutenaient

l’installation des démocraties pendant la Guerre froide. Le but premier de la diplomatie

américaine à ce moment fut plutôt d’empêcher la contagion communiste au Moyen-Orient,

d’autant plus que la région était adjacente à l’Union Soviétique. Les alliances américaines

avec les autocraties arabes se comprirent donc aussi comme parties de la stratégie

d’ « endiguement » de la menace communiste, décrite par le Président Truman dans son

discours du 12 mars 1947 devant le Congrès. Par ailleurs, les années 1950 virent le refus

américain de l’expansion du nationalisme arabe, notamment expliqué par la peur d’une perte

d’influence dans la région. En 1952, la Central Intelligence Agency (CIA) et les services

secrets britanniques Military Intelligence 6 (MI6) renversèrent le Premier Ministre iranien

Mohammad Mossadegh, pourtant démocratiquement élu le 29 avril 1951, mais dont le projet

de permettre à l’Iran de bénéficier de ses propres revenus du pétrole était gênant. Une autre

figure nationaliste nous intéresse dans le cadre de notre réflexion sur le Printemps arabe :

Washington trouva une menace en la personne de Gamal Abdel Nasser, Rais d’ Égypte, sur

qui nous aurons l’occasion de revenir dans la première partie du mémoire. L’aide économique

américaine ne cessa cependant pas en Égypte et sous le Président Eisenhower, les États-Unis

devinrent la principale influence au Moyen-Orient, un fait confirmé par les administrations

suivantes. Nous pensons notamment à l’influence américaine dans la « Révolution Blanche »

du Shah d’Iran en 1963, bien qu’elle déboucha sur la révolution iranienne de 1979, emmenée

par l’Ayatollah Rouhollah Khomeini et animée de relents anti-américains. Nasser, faisant de

l’Égypte un client de plus en plus fidèle de l’URSS, critiquait d’ailleurs déjà l’aide alimentaire

accordée en octobre 1962 par l’administration Johnson à son pays, dans un discours virulent

de décembre 1964 à Port-Saïd2. Il y accusa l’ambassadeur américain Lucius Battle de tenter

d’établir une pression économique sur l’Égypte. En parallèle, le soutien américain continu à

Israël, seule démocratie de la région pendant la Guerre froide, est important pour notre sujet

car il fut très critiqué dans le monde arabe à cette période, et cela aujourd’hui encore.

2 William Joseph Burns, Economic Aid and American Policy toward Egypt, 1955-1981, State University of New

York Press, Albany, 1985, 285 pages, p. 150, http://books.google.fr/books?id=ddsT1VVqTQkC&pg=PA150&lpg=PA150&dq=american+aid+to+egypt+after+nasser&source=bl&ots=FJj_sxCG3t&sig=qM2YlRFODZjXWxKKqXSZNMdrLIg&hl=fr&sa=X&ei=x-xCU6yAL7PI0AXqwoHwAQ&ved=0CHkQ6AEwBw#v=onepage&q=american%20aid%20to%20egypt%20after%20nasser&f=false, consulté le 23 mars 2014.

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L’existence d’Israël fut encouragée par l’administration Truman qui accepta le plan de

partition de la Palestine mandataire en 1947. Après la guerre des Six-Jours, l’amitié entre les

deux pays devint un élément constant des politiques étrangères de la Maison Blanche. Par

exemple, les ventes d’armes américaines à l’armée égyptienne ne furent effectives qu’après le

rétablissement des relations diplomatiques entre Israël et l’Égypte, en 19783.

Cet élément nous permet aussi de souligner les forces profondes psychologiques des États-

Unis. La Seconde Guerre mondiale et l’Holocauste firent des Juifs des alliés à défendre aux

yeux des Américains, tandis qu’un imaginaire anti-oriental se développa. Avec la création de

l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP) en 1960, la richesse pétrolière et

l’aisance financière devinrent les principaux symboles de la figure de l’Arabe, diabolisée. Les

États-Unis cherchèrent à isoler les pays qui, comme l’Égypte, ne voyaient pas le communisme

comme une menace, ce qui fut largement contesté par l’opinion publique arabe. Après la

guerre des Six-Jours, l’échec du nationalisme égyptien céda la place au nationalisme

palestinien (l’Organisation de Libération de la Palestine existait depuis 1964) et à l’islam

politique, des forces encore très actives dans le pays aujourd’hui et essentielles pour

comprendre le Printemps arabe. La révolution iranienne et la crise des otages de 1979

marquèrent encore négativement les esprits américains dans leur considération de l’islam.

« L’islamisme remplace le nationalisme arabe traditionnel comme une menace contre la

sécurité des intérêts américains »4.

En 1991, le bloc soviétique s’effondra et le modèle de démocratie américaine put

apparaître comme vainqueur du conflit idéologique de la Guerre froide. Francis Fukuyama par

exemple annonça « la fin de l’Histoire ». Cependant, les États-Unis du début des années 1990

furent aussi marqués de l’angoisse de la mondialisation et d’une incertitude quant à leur place

dans le monde. L’administration de G. H. W. Bush reconnut la réalité d’un « nouvel ordre

mondial » puis l’administration de Bill Clinton visa à y mettre en avant la prospérité du pays

et son modèle de démocratie. L’Agence Américaine pour le Développement International

(USAID), créée en 1961 et jusqu’alors concentrée sur le développement économique, opéra

3 Jeremy M. Sharp, “Egypt: Background and US Relations”, Congressional Research Service, January 14, 2014,

http://www.fas.org/sgp/crs/mideast/RL33003.pdf, accessed March 23, 2014. 4 Y-H. Nouailhat et S. de la Foye, Les États-Unis et l’islam, Paris, Armand Colin, 2006, 217 pages, p. 194.

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une réorientation historique de son programme en annonçant son « Initiative de la

Démocratie » en décembre 1990. La promotion de la démocratie devint un aspect clé de la

diplomatie du Président Clinton lors de sa campagne en 1992. En ne considérant que

l’Afrique, les dépenses de l’agence pour les programmes de gouvernance démocratique

augmentèrent de 5,3 millions de dollars à 119 millions de dollars entre 1990 et 19945. La

politique étrangère américaine fut pensée comme une extension de sa politique intérieure,

forte et ambitieuse, visant à « rendre le monde meilleur ».

Les années 1990 virent aussi les États-Unis s’imposer comme « gendarme » dans le monde,

notamment durant la guerre du Golfe. La réaction des États-Unis à l’invasion et l’annexion

irakiennes du Koweït le 2 août 1990 prouva la continuité de ses forces profondes dans la

région : par leur intervention à la tête d’une coalition, les États-Unis visèrent avant tout à

préserver l’accès au pétrole du Moyen-Orient et à assurer la sécurité d’Israël. Par l’opération

Bouclier du Désert déclenchée le 6 août 1990, les États-Unis soutinrent leur allié saoudien

contre une éventuelle attaque irakienne. Officiellement, les États-Unis justifièrent leur

intervention militaire par la protection de l’intégrité territoriale du Koweït et par leur combat

contre les abus des droits de l’Homme perpétrés par le Président irakien Saddam Hussein. En

réalité, une réelle force profonde politique motiva aussi l’intervention américaine : le refus des

États-Unis de voir un pays menacer l’équilibre des forces en place au Moyen-Orient. C’est

pourquoi la diplomatie américaine témoigna d’une grande ambivalence envers l’Irak. Alors

même que l’administration Reagan soutint officiellement l’Irak en guerre contre l’Iran entre

1980 et 1988, les États-Unis ne pouvaient accepter ses ambitions territoriales en 1990.

Par ailleurs, dans les années 1990, les forces profondes psychologiques jouèrent un rôle

essentiel dans les relations entre les États-Unis et les pays arabes. Le régime de Saddam

Hussein fut diabolisé par de larges campagnes de communication aux États-Unis et des

associations, telles que « Citoyens pour un Koweït libre », financée par le gouvernement du

5 Larry Diamond, “Promoting Democracy in the 1990s: Actors and Instruments, Issues and Imperatives”, A

report to the Carnegie Commission on Preventing Deadly Conflict, December 1995, http://carnegie.org/fileadmin/Media/Publications/PDF/Promoting%20Democracy%20in%20the%201990s%20Actors%20and%20Instruments%2c%20Issues%20and%20Imperatives.pdf, accessed March 23, 2014.

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Koweït et justifiant l’intervention américaine. Des ouvrages documentèrent ensuite l’ampleur,

par exemple, de la campagne construite par l’agence de relations publiques Hill & Knowlton,

prouvant que les États-Unis considérèrent le Koweït comme un intérêt vital à leur sécurité6.

Les interventions américaines des années 1990 et 2000 au Moyen-Orient amenèrent cependant

les citoyens américains à craindre la région : « le syndrome du Vietnam s’est reporté sur le

Moyen-Orient entre les années 1990 et 20007 ». Cet élément psychologique est essentiel à

garder à l’esprit en étudiant la réaction des États-Unis face au Printemps arabe.

Les États-Unis des années 2000 furent particulièrement confrontés à un enjeu prenant

une nouvelle dimension : le terrorisme. Les forces profondes économiques restèrent

évidemment très présentes, mais les années 2000 furent surtout guidées et agitées de forces

profondes politiques et psychologiques, déterminantes dans l’évolution des relations entre les

États-Unis et le Moyen-Orient. Déjà dans les années 1990, Oussama Ben Laden et Al-Qaïda

se révoltèrent de la présence de troupes américaines « infidèles » en Arabie Saoudite, pays

accueillant les deux lieux les plus sacrés de la religion musulmane : la Mecque et la Médina.

Or, après son intervention au Koweït, la diplomatie américaine n’était plus perçue comme

poursuivant une stratégie « over the horizon » dans le monde arabe, mais comme

interventionniste. L’intervention américaine au Koweït ruina en effet bien des espoirs : par un

changement de régime en Irak, certains Arabes espéraient un départ des troupes américaines

de l’Arabie Saoudite8. Suite aux attaques terroristes du 11 septembre 2001, l’imaginaire

américain eut alors tendance à associer le terrorisme avec la région du Moyen-Orient dans son

ensemble et avec la religion musulmane. Pourtant, au contraire, de nombreux mouvements

d’empathie furent observés au Moyen-Orient : certains citoyens et chefs de gouvernement

arabes soutinrent les Américains dans leur deuil. Le Président iranien élu en 1997 notamment,

Mohammad Khatami, condamna officiellement les attaques terroristes. Ce soutien n’empêcha

6 John R. MacArthur, Second Front: Censorship and Propaganda in the Gulf War, Berkeley, University of CA

Press, 1993, 274 pages, p. 112. 7 Little Douglas, American Orientalism. The United States and the Middle East since 1945, Chapel Hill, The

University of North Carolina Press, 2002, 407 pages, p. 6. 8 Nicholas Kitchen, “The contradictions of hegemony : the United States and the Arab Spring”, London School of

Economics publications, p.2, http://www.lse.ac.uk/IDEAS/publications/reports/pdf/SR011/FINAL_LSE_IDEAS__UnitedStatesAndTheArabSpring_Kitchen.pdf, accessed March 24, 2014.

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cependant pas le Président américain G. W. Bush de diaboliser l’Iran comme membre de

l’ « Axe du Mal » dans son discours sur l’état de l’Union du 29 janvier 2002. Pour certains

Américains, « les attaques terroristes du 11 septembre ont rappelé brutalement combien le

Moyen Occident est différent du Moyen Orient 9», jusqu’à que soit même théorisée une

incompatibilité structurelle des deux zones géographiques. L’empathie dans le monde arabe se

transforma alors bientôt en relents anti-américains, encore aggravés par la « guerre contre le

terrorisme » et la doctrine de « remodelage du Moyen-Orient » de l’administration G. W.

Bush. Il est intéressant de noter que la guerre contre le terrorisme renforça encore les liens

entre les États-Unis et les régimes autoritaires, et en particulier entre leurs services secrets. Ce

n’est qu’en annonçant son « Agenda de la Liberté » en 2003 que le Président Bush sembla

reconnaître que la « stabilité ne pouvait être achetée au détriment de la liberté »10. Le

Président présenta dès lors la démocratie comme une valeur américaine à promouvoir mais

aussi comme un de ses premiers intérêts nationaux à défendre, car les régimes oppressant leur

population seraient « les créateurs des conditions de la radicalisation des opinions et du

terrorisme ». Nous pouvons cependant ici déjà nous demander : les États-Unis cherchaient-ils

réellement à créer les conditions d’une émancipation des populations arabes sur le long-terme,

ou conduisaient-ils avant tout une stratégie de court terme contre le terrorisme et pour la

sauvegarde des intérêts américains ? Cette question est essentielle à retenir pour l’étude du

soutien des États-Unis aux événements du Printemps arabe. Enfin, l’intervention américaine

en Iraq en 2003 exposa les États-Unis comme puissance belliqueuse et interventionniste aux

yeux du monde arabe. Des programmes tels que les Middle East Partnership Initiative ou

Middle East Free Trade Area purent être considérés comme une imposition du modèle

politique américain aux régimes arabes et d’une culture étatsunienne au sein de leurs sociétés.

Cette incompréhension mutuelle, ou peur, entre les deux zones géographiques, est un aspect

qui se retrouve au cœur du Printemps arabe, notamment après le succès des partis islamistes

lors des élections de l’automne 2011 et du début de l’année 2012.

9 Little Douglas, op. cit., p. 3.

10 Nicolas Kitchen, article cité, p. 2.

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Dans son discours du Caire du 4 juin 2009, Barack Obama s’attaqua à cette

incompréhension. Nous avons cité au début de cette introduction sa recherche d’un « nouveau

commencement entre les États-Unis et les Musulmans dans le monde ». Plus loin dans le

discours, il décrivit ce nouveau commencement comme « basé sur l’intérêt mutuel et le

respect mutuel; et basé sur la vérité que l’Amérique et l’islam ne sont pas exclusifs, et n’ont

pas besoin d’être en compétition. Au contraire, ils se recoupent, et partagent des principes

communs – des principes de justice et de progrès ; de tolérance et de dignité de tous les êtres

humains »11.

Quelques mois plus tard, c’est précisément « un combat pour la dignité de l’homme

arabo-musulman des temps modernes12 » qui fut observé dans le monde arabe. Le 17

décembre 2010, Mohamed Bouazizi, vendeur ambulant tunisien de 26 ans, s’immola par le

feu pour manifester son désespoir face aux conditions sociales à Sidi Bouzid. L’acte entraîna

les citoyens tunisiens dans une plus large contestation du régime, atteignant Tunis puis

l’ensemble du pays. Le 26 décembre 2010, la population manifesta contre le chômage à Tunis.

Au-delà de la Tunisie, le mouvement demandant « Pain, Liberté, Dignité13 » se répandit du

Maghreb au Machrek. Le 5 janvier 2011, des jeunes Algériens manifestèrent contre

l’augmentation des prix des produits alimentaires. Le royaume de Jordanie, confronté aux

mêmes problématiques, annonça une baisse des prix le 11 janvier 2011. Neuf jours plus tard,

la Mauritanie annonça une baisse de 30% des prix des produits de base en réponse à des

émeutes. Le 14 janvier 2011, le Président tunisien Ben Ali fuit en Arabie Saoudite et le 2

février 2011 le Président du Yémen Ali Abdallah Saleh renonça à un nouveau mandat sous la

pression de la rue. Le 25 janvier 2011, les habitants du Caire s’alarmèrent aussi de la

dégradation de la situation économique du pays et protestèrent contre les politiques

répressives du Ministère de l’Intérieur égyptien. « Près de 40% des 80 millions d'Égyptiens

continuent de vivre avec moins de deux dollars par jour. Et 90% des chômeurs sont des jeunes

11

President Obama, Speech in Cairo, “A New Beginning”, June 4, 2009, http://www.whitehouse.gov/blog/NewBeginning/transcripts, accessed October 26, 2014. 12

Jean Pierre Estival, L’Europe face au Printemps Arabe, De l’espoir à l’inquiétude, Paris, L’Harmattan, 2012, 200 pages, p. 10. 13

Michaël Béchir Ayari, « Des maux de la misère aux mots de la ‘dignité’, la révolution tunisienne de janvier 2011 », Revue Tiers Monde, 5/2011, pp. 209-217.

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de moins de 30 ans14 ». Moustapha Mahmoud, alors âgé de 22 ans, devint le premier martyr

des insurrections égyptienne de janvier 2011 en tombant de trois balles dans la poitrine, les

pieds et les épaules15. Le 28 janvier, l’organisation panislamiste Frères Musulmans appela à

un « vendredi de la colère » en Égypte. Du 25 janvier au 11 février 2011, jour où le Président

Hosni Moubarak remit ses pouvoirs au Conseil Suprême des Forces Armées (Supreme

Council of the Armed Forces – SCAF), les manifestations dans les villes égyptiennes et sur la

place Tahrir pour réclamer la fin du régime firent environ 365 morts. Le 17 février 2011, le

mouvement de contestation s’attaqua au règne de Mouammar Kadhafi, à la tête de la Libye

depuis 1969. Il atteignit la Syrie, le Bahreïn et le Maroc. Les événements survenus dans les

pays arabes, de par leur ampleur, furent qualifiés de « Printemps arabe ». Ce terme décrit les

refus populaires de gouvernements autoritaires et leur contestation. Selon la définition de Jean

Pierre Estival, le Printemps arabe correspond à « l’ensemble des mouvements insurrectionnels

qui se sont produits dans les pays d’Afrique du Nord et du Proche Orient dès la fin 2010 »16.

Ils ont vu se soulever des populations musulmanes, mais aussi chrétiennes (coptes d’Égypte,

chrétiens de Syrie), des Musulmans majoritairement sunnites, mais aussi chiites (Bahreïn).

Leur trait commun, ciment du mouvement, fut leur opposition au despotisme.

Ces événements ont fait l’objet de commentaires dans le monde entier. Politiques,

sociologues, économistes, historiens, psychologues, démographes et anthropologues ont été

animés de ces problématiques nouvelles, créant une abondante littérature. Pour contextualiser

le Printemps arabe et tenter de le comprendre, plusieurs ouvrages généraux ont été essentiels.

Ce mémoire s’inspire principalement des écrits de Sébastien Boussois, docteur en science

politique et conseiller scientifique à l’Institut Européen de Recherche sur la Coopération

Méditerranéenne et Euro-Arabe (Le Moyen-Orient à l’aube du Printemps arabe. Sociétés

sous tension, Paris, Éditions du Cygne, 2011), Gilles Kepel, professeur à Sciences Po Paris

spécialiste de l’islam et du monde arabe contemporain (Passion arabe : Journal, 2011-2013,

14

« En Égypte les manifestants annoncent un vendredi ‘de la colère’ », RFI, 28 janvier 2011, http://www.rfi.fr/moyen-orient/20110128-egypte-incarner-transition/, consulté le 7 avril 2014. 15

Cedej et Egrev, « Chronologie de trois années de révolution », Instituts Français de Recherche à l’Étranger (IFRE), 20 mars 2014, http://www.ifre.fr/index.php/actualites/actualite-moyen-orient/item/1472-cedej/egrev-chronologie-trois-annees-revolution, consulté le 7 avril 2014. 16

Jean-Pierre Estival, op. cit., p. 9.

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18

Paris, Gallimard, 2013) et Laacher Smaïn, sociologue et chercheur au Centre d’Études des

Mouvements Sociaux de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (Insurrections

arabes, Utopie révolutionnaire et impensé démocratique, Paris, Buchet/Chastel, 2013). Ces

auteurs ont mis en avant deux éléments principaux lors de leur étude du Printemps arabe:

le Moyen-Orient comme terre de paradoxes et un Printemps arabe porté par une jeunesse

rejetant ces injustices. Terre de paradoxes, le monde arabe souffre de lourdes inégalités. Alors

que la région est « productrice du tiers du pétrole mondial et détentrice des deux-tiers de ses

réserves (…) selon les rapports du PNUD (…) un cinquième des habitants vivent avec moins

de deux dollars par jour17 ». Les mouvements du Printemps arabe furent largement permis par

la colère et la révolte d’« une jeunesse à laquelle les sociétés arabes proposaient chômage

(15%) et précarité », dans une région où « 65% des Arabes ont moins de 25 ans et leur âge

moyen atteint 22 ans 18» (pour une moyenne mondiale de 28 ans). Le numéro du TIME

Magazine du 28 février 2011 titrait ainsi « The Generation Changing the World ».

La littérature insista souvent sur une « jeunesse des révolutionnaires », rappelant notamment

« les mouvements de 1968, de Paris à Prague et de Berlin à Varsovie et Mexico » pour rendre

compte du Printemps arabe19. Aussi, certains auteurs comme Benjamin Stora, historien

français et enseignant de l’histoire du Maghreb contemporain à l’Université Paris 13, et Edwy

Plenel, journaliste et écrivain français, développèrent l’hypothèse d’un « 89 » arabe, « qui

évoquait aussi bien le 1989 européen de la chute du mur de Berlin que le 1789 de la

Révolution Française »20.

Avant de développer ce sujet, il convient de s’intéresser à ce terme de « Printemps

arabe » ayant beaucoup inspiré historiens et journalistes. Ce terme est à utiliser avec prudence

pour deux principales raisons, touchant à la fois à son origine et à sa signification. Quant à son

origine, l’expression de « Printemps » a été largement inspirée de l’Histoire, en référence au

Printemps des Peuples ayant agité l’Europe en 1848. L’utilisation du mot est donc discutable ;

17

Sébastien Boussois et al. (dir.), Le Moyen-Orient à l’aube du Printemps arabe. Sociétés sous tension, Paris, Editions du Cygne, 2011, 144 pages, p. 9. 18

Ibid, p. 10. 19

Ibid, p. 10. 20

Benjamin Stora, Dialogue avec Edwy Plenel, Le 89 arabe, Réflexions sur les révolutions en cours, Paris, Éditions Stock, 2011, 172 pages, p. 9.

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il n’a pas uniquement été forgé pour les événements du monde arabe mais leur a préexisté.

Bien que cela apparaisse comme une évidence, rappelons d’ailleurs que les événements ont

débuté à l’hiver 2010, et non au printemps. Ainsi, le terme de « Printemps » apparaît plutôt

comme un choix pratique, presque journalistique, de terminologie. Le rappel des événements

de 1848, de 1968 ou de 1989 accompagnant parfois le commentaire du Printemps arabe doit

aussi conduire à une certaine critique et prudence : les contextes géographiques, politiques et

sociologiques des périodes furent bien différents. Par ailleurs, bien que l’orthographe du mot

« Printemps » ne permette pas cette nuance, il s’agit de comprendre l’hétérogénéité des

insurrections arabes et d’ainsi postuler l’existence de plusieurs printemps, au lieu d’ « un »

Printemps arabe unifié qui aurait animé de la même façon tous les pays de la région. Quant à

sa signification, le terme de « Printemps arabe » semble indiquer un réveil arabe, ou tout du

moins l’idée d’une floraison, d’une renaissance ou d’un recommencement, à l’image de la

saison du printemps. Ainsi, bien des auteurs alternent volontiers entre les termes de

« Printemps arabe » et de « révolutions arabes ». Là encore, nous devons rester prudents face à

des termes « vendeurs » et simples d’utilisation. Tous les pays dans lesquels fut acceptée

l’existence d’insurrections arabes ces dernières années n’ont pas traversé une « révolution »,

« en tant qu’elle est la substitution d’un ordre par un autre (…) Sur les vingt-deux pays du

monde arabe, seulement trois ont vu leur dictateur fuir –Ben Ali, être arrêté –Moubarak ou

assassiné suite à une insurrection populaire –Kadhafi (…) Ces trois pays sont les seuls pour

lesquels on peut dire, sans contestation possible, qu’il y a bien eu une révolution. 21»

C’est en partant de cette définition restrictive de la révolution que le champ géographique de

notre mémoire a pu être réduit. Nous avons choisi de nous intéresser aux pays dans lesquels le

Printemps arabe a porté le plus de fruits en termes de changement politique et de

bouleversement de la structure du pays. De par la fin du règne de leur dictateur de longue date,

la Tunisie, la Libye et l’Égypte m’apparurent alors comme les cas les plus pertinents à traiter.

De plus, leurs insurrections ayant débuté il y a plusieurs années, ces pays permirent un certain

recul dans l’analyse des événements. Nous trouvons aujourd’hui à leur sujet beaucoup de

21

Smaïn Laacher, Insurrections arabes. Utopie révolutionnaire et impensé démocratique, Paris, Buchet/Chastel, 2013, 324 pages, p. 174.

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sources « à chaud », mais aussi une abondante littérature à posteriori, américaine ou

européenne, se livrant à des études se voulant plus objectives et offrant une vision plus globale

des causes et effets des soulèvements populaires.

Ce mémoire ne porte cependant pas sur le Printemps arabe en soi : nous nous y

intéressons d’un point de vue particulier, celui des États-Unis d’Amérique. Au travers de la

rapide chronologie développée au début de l’introduction, nous avons compris l’existence

d’intérêts américains pour la région et dans la région. C’est dans cette Histoire des États-Unis

au Moyen-Orient, dans un contexte conflictuel et pourtant d’attraction mutuelle entre les deux

zones géographiques, que nous aimerions inscrire une réflexion sur la réaction des États-Unis

aux insurrections arabes entre 2010 aujourd’hui. Dans une optique de relations internationales,

mais aussi de communication politique, il nous apparut comme passionnant de se demander

comment les États-Unis, pays se voulant modèle de la démocratie dans le monde et se

décrivant comme l’exemple du « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple »,

réagirent face aux élans populaires des pays arabes. Quelle fut la réaction des États-Unis face

au Printemps arabe ? La question est large ; il fallut choisir, pour ce mémoire, de quels États-

Unis nous parlerons, et justifier en quoi la réaction américaine aux événements en Tunisie et

en Égypte, les deux pays que nous avons choisis, était particulièrement pertinente à étudier.

Par réaction des États-Unis, nous entendons ici la réaction officielle du pays, telle

qu’exprimée par l’État et ses représentants, avant tout son Président et Secrétaire d’ État, par

déclarations publiques ou voies de presse. Ce mémoire entend ainsi apporter un regard

particulier sur le Printemps arabe, centré sur l’administration américaine. Ce choix fut motivé

par un intérêt personnel pour l’administration Obama, ainsi que par une volonté d’objectivité

et de pertinence. En effet, une étude des réactions de la population américaine toute entière,

par voie de sondages ou d’études d’opinion, nécessiterait un travail quantitatif titanesque,

mais surtout une étude sur plusieurs années et dans plusieurs années, lorsqu’un plus grand

recul pourra être pris sur les événements du Printemps arabe. Les déclarations, remarques et

rapports officiels de l’administration Obama nous autorisèrent à apporter plus de détails à mes

propos, de par leur abondance. De plus, l’administration Obama fut singulièrement

intéressante à analyser. Se voulant en rupture avec l’administration Bush dans le domaine de

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la politique étrangère, mais aussi pressentie comme porteuse d’une nouvelle relation entre les

États-Unis et le Moyen-Orient, sa réaction au Printemps arabe fut scrutée et commentée dans

ses déclarations et décisions, aux États-Unis et dans le reste du monde.

Nous nous fondons sur un corpus d’une trentaine de discours prononcés par le Président

Obama, sa secrétaire d’État Hillary Clinton, puis son secrétaire d’État John Kerry, entre le 4

juin 2009 (discours du Président au Caire) et le 28 mai 2014 (discours du Président à West

Point). Notre étude fut quantitative en utilisant la méthode du comptage de mots, mais aussi et

surtout qualitative, s’attachant aux contextes dans lequels les discours furent prononcés (date,

émetteur, destinataire, lieu, etc.) Si cette étude s’intéresse aux réactions officielles des États-

Unis au Printemps arabe, il importe de noter que, dans ses conceptions et formulations de

politiques, l’administration Obama fut largement alimentée par des experts et think tanks, et

certainement aussi influencée par l’opinion publique du pays et de l’étranger.

Dans nos recherches, nous avons alors considéré les publications et expertises de think tanks.

Naturellement, nous nous intéressons aux groupes d’orientation démocrate, tels que le Center

for a New American Security et le Center for American Progress. Mais l’administration

Obama a aussi été alimentée d’expertises considérées comme plutôt centristes, telles que

celles fournies par la Brookings Institution ou le Council on Foreign Relations. Enfin, les

auditions (hearings) de la Commission des Relations Étrangères du Sénat et de la Commission

des Affaires Étrangères de la Chambre des Représentants nous ont apporté de précieuses

informations. Leur étude nous a aussi permis la découverte de personnalités influentes dans le

decision-making américain au Moyen-Orient, telles que la républicaine Ileana Ros-Lehtinen,

présidente de la sous-comission sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord et de la

Commission des Affaires Étrangères de la Chambre des Représentants du 3 janvier 2011 au 3

janvier 2013, que nous aurons l’occasion de présenter plus en détails.

Après avoir décidé de quels États-Unis nous parlerons, il a fallu juger quels pays

seraient les plus pertinents à comparer pour rendre compte de la réaction américaine au

Printemps arabe. Plus haut, nous avons présenté la Tunisie, l’Égypte et la Libye comme les

trois seuls pays ayant vécu, de manière certaine, une « révolution ». Pour un souci de temps et

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de cohérence, ce mémoire s’intéresse à la réaction des États-Unis face aux révolutions arabes

dans deux de ces pays : la Tunisie et l’Égypte.

La Tunisie n’est certes pas l’allié le plus stratégique des États-Unis dans le monde arabe.

Cependant, les États-Unis furent la première grande puissance à reconnaître la souveraineté du

pays et à nouer des relations diplomatiques avec la Tunisie après que celle-ci eut obtenu son

indépendance de la France en 195622. Les deux États développèrent depuis lors des relations

amicales, et lorsque l’administration Obama réagit pour la première fois officiellement au

Printemps arabe, le 14 janvier 2011, ce fut au sujet de la Tunisie. Point de départ du

mouvement, la Tunisie doit être considérée lors d’une étude sur le Printemps arabe. Au-delà

de son rôle de précurseur, le pays est aussi essentiel à traiter de par ses particularités

géographiques, historiques, démographiques, économiques, sociales et politiques. Le

Printemps arabe a pu être considéré comme un succès en Tunisie car certaines conditions

étaient réunies en amont. Le facteur géographique par exemple facilita l’ampleur de la

« révolution de Jasmin » : le mouvement du Sud-Ouest gagna vite l’ensemble du pays par des

facilités de communication et de rassemblement. Les protestations rencontrèrent aussi un

franc succès car elles prirent place dans une société urbanisée et éduquée. L’importance de la

classe moyenne en Tunisie distingue en effet sa société dans le monde arabe et en Afrique.

Selon les statistiques de la Banque Africaine de Développement, elle représentait 89,5% de la

population tunisienne en 201023. Il faut toutefois noter que ce chiffre inclut les « classes

flottantes », à la limite du seuil de pauvreté, mais en ne considérant que la classe moyenne

« stable » en Tunisie, elle représentait tout de même 45,6% de la population en 2010. De plus,

les femmes tunisiennes bénéficient d’une meilleure condition que dans la plupart des pays du

monde arabe. Leur condition fut notamment améliorée sous la présidence d’Habib Bourguiba

qui, en plus d’avoir aboli la polygamie en 1956, développa l’instruction des femmes et

enrichit leur statut juridique. Leur droit de vote fut reconnu le 14 mars 1957.

22

U.S. Department of State, “US Relations with Tunisia”, Bureau of Near Eastern Affairs, Fact Sheet, August 22, 2013, http://www.state.gov/r/pa/ei/bgn/5439.htm, accessed March 24, 2014. 23

Market Brief, “The Middle of the Pyramid: Dynamics of the Middle Class in Africa”, The African Development Bank, Avril 20, 2011, p. 5, http://www.afdb.org/fileadmin/uploads/afdb/Documents/Publications/The%20Middle%20of%20the%20Pyramid_The%20Middle%20of%20the%20Pyramid.pdf, accessed March 24, 2014.

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L’Égypte, à contrario, témoigne d’une histoire particulière avec les États-Unis. Après la

Seconde Guerre mondiale, le pays fut identifié comme grande puissance régionale et « cible

pour l’influence américaine dans le Moyen-Orient 24». En remettant en cause les structures

coloniales européennes, le pays semblait à même de garantir une certaine stabilité dans la

région et incarnait même l’espoir d’une réconciliation dans le conflit israélo-palestinien. En

échange de récompenses militaires, les États-Unis encouragèrent l’Égypte à être un exemple

de stabilité dans la région. Tandis que le gouvernement de Nasser s’émancipa de cette

ambitieuse tutelle occidentale, les régimes d’el-Sadate et particulièrement d’Hosni Moubarak

se montrèrent plutôt docile aux intérêts américains : « Moubarak accepta parfaitement ce rôle

de neutralisme, en échange d’une influence américaine limitée sur la politique intérieure du

pays.25» Partant de cette précieuse relation bilatérale entre les États-Unis et le régime de

Moubarak, il est intriguant de connaître la réaction du gouvernement américain face à un

mouvement populaire ayant poussé à son arrestation. C’est ainsi qu’une étude de la réaction

de l’administration Obama aux mouvements populaires en Tunisie et en Égypte nous apparut

comme appropriée. Les deux pays vécurent le renversement d’un régime sans intervention

militaire étrangère et leurs événements s’inscrivirent dans une temporalité comparable, bien

que leurs finalités fussent différentes. Il est aussi intéressant de comparer la réaction

américaine à leurs événements car les deux pays sont d’une importance stratégique différente

pour les États-Unis. Les États-Unis ont-ils alors prêté une attention différente aux populations

tunisiennes et égyptiennes du Printemps arabe ? Au regard de l’alliance stratégique construite

avec l’Égypte depuis 1945, l’administration Obama a-t-elle adopté une posture particulière

face aux soulèvements égyptiens ?

Par ailleurs, il convient de justifier notre choix de ne pas traiter le cas de la Libye dans le

cadre de ce mémoire. Le pays vécut une intervention militaire au cœur de la révolte de 2011,

ce qui ne fut pas le cas des deux autres pays étudiés. De plus, ce fut la France qui fut en

première ligne de cette intervention militaire, succédant à la résolution 1973 du Conseil de

Sécurité des Nations Unies qui installa une zone d'exclusion aérienne au-dessus de la Libye au

24

Gardner Lloyd C., The Road to Tahrir Square, Egypt and the United States from the Rise of Nasser to the Fall of Mubarak, New York, The New Press, 2011, 240 pages, p. 197. 25

Ibid, p. 197.

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17 mars 2011. Le 19 mars 2011, la France procéda à la première frappe aérienne contre la

Libye. Ainsi, le cas libyen n’apparut pas le plus pertinent dans le but de dégager la réaction

des États-Unis face au Printemps arabe. Toutefois, certains positionnements et discours de

l’administration Obama concernant la Libye m’ont été utiles dans la rédaction de ce mémoire ;

les cas tunisiens et égyptiens ne peuvent être compris qu’en s’intéressant aux dynamiques de

l’ensemble de la région entre décembre 2010 et aujourd’hui. Notamment, les réactions de

l’administration aux attaques de Benghazi, autour du 11 septembre 2012, furent essentielles à

analyser pour comprendre l’évolution de sa communication au cœur du Printemps arabe.

Nous avons entrepris la rédaction de ce mémoire avec une idée générale de la réaction

de l’administration Obama face aux insurrections arabes en Tunisie et en Égypte. Deux

principaux temps de la réaction américaine officielle purent en effet être remarqués.

Le premier temps observé fut le passage de la surprise et de la prudence américaine à

l’enthousiasme. De décembre 2010 à la chute des deux régimes au début de l’année 2011, le

gouvernement américain a tout d’abord été prudent car les événements du Printemps arabe ont

avant tout signifié une période d’incertitude. Hésitant entre idéalisme et réalisme,

l’administration Obama se devait de préserver ses intérêts dans la région, et ne pouvait pas

réagir brusquement aux événements. Puis, dès février 2011, l’enthousiasme gagna en

assurance, à mesure que la chute des régimes devenait inévitable et prévisible. Le 19 mai

2011, Obama prononça son discours sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, admis comme

son discours officiel répondant au Printemps arabe. Le Président y « a conjugué volontarisme

et pragmatisme, défendant la légitimité des mouvements de protestation tout en veillant à la

sauvegarde des intérêts stratégiques américains dans la région 26». Le deuxième temps observé

fut un certain retour à la prudence. Dès la fin de l’année 2011, l’inquiétude sembla avoir repris

le pas sur l’enthousiasme, notamment à la suite des résultats aux élections, élection de

l’Assemblée constituante d’octobre 2011 en Tunisie et élections législatives entre novembre

2011 et janvier 2012 en Égypte. Peinant à voir la fin des insurrections, ainsi que leurs effets

26

Amine Ait-Chaalal, « Les EU face au ‘’printemps arabe’’ : mise en perspective à partir des révolutions tunisienne et égyptienne », Alternatives Sud, Le « printemps arabe », un premier bilan, Volume 19-2012 / 2, Paris, Centre Tricontinental et Editions Syllepse, 2012.

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concrets, la communication de l’administration Obama sur le Printemps arabe redevint plus

timorée, insistant notamment sur ses excès et ses dangers.

Cette évolution chronologique de la réaction face au Printemps arabe fut déjà relatée au

niveau européen. L’ouvrage de Jean-Pierre Estival, politologue et économiste, en charge au

Conseil de l'Europe d'un groupe de travail sur l'Europe et les révolutions arabe (L’Europe face

au printemps arabe, De l’espoir à l’inquiétude, L’Harmattan, 2012), montra que « la

perception européenne évolua de l’empathie, à ses débuts, jusqu’à la perplexité

aujourd’hui »27. Ce mémoire entend apporter un regard complémentaire à cet ouvrage, en

développant cette fois-ci les événements du point de vue américain.

Dès lors, la problématique suivante structure ce mémoire : pourquoi et comment la

réaction de l’administration Obama aux insurrections arabes en Tunisie et en Égypte a-t-elle

progressivement évolué de la prudence à l’enthousiasme, puis de l’engouement à

l’inquiétude ? L’intérêt de ce mémoire est de saisir les causes des changements de

communication de l’administration Obama et d’observer comment ils sont apparus. Nous nous

intéressons, à travers cette problématique, à l’imbrication de deux domaines diplomatiques :

les relations internationales et la communication. Placée sur une toile complexe de liens

interétatiques tissés et intérêts nationaux, la communication du gouvernement est un réel défi

d’équilibriste, où l’erreur diplomatique peut tenir à un fil.

Le plan adopté se compose en deux parties. Il respecte un ordre

chronologique puisqu’il suit le déroulement des insurrections arabes en Tunisie et en Égypte,

et les déclarations et décisions politiques américaines leur répondant.

La première partie vise à comprendre le dilemme américain du début du Printemps arabe, de

décembre 2010, à la faillite effective des régimes dictatoriaux, au début de l’année 2011.

Érigés et s’érigeant comme modèle de démocratie dans le monde, il semblait naturel que les

États-Unis soutiennent des mouvements populaires se soulevant contre le despotisme et pour

la dignité humaine. Cependant, la politique étrangère américaine dut aussi veiller à la

27

Jean-Pierre Estival, op. cit., pp. 161-173.

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préservation des intérêts stratégiques du pays dans la région. Sa réaction ne put alors être la

même s’agissant des événements en Tunisie ou en Égypte. Cette première partie s’inscrit donc

dans le prolongement de l’introduction du mémoire, en s’intéressant aux forces profondes des

États-Unis en jeu dans leur réaction au Printemps arabe en Tunisie et en Égypte. Le premier

chapitre de cette partie développe l’amont du Printemps arabe ; il s’intéresse à la

« structure » : à l’histoire des États-Unis en Tunisie et en Égypte, illustration des forces

profondes des États-Unis au Moyen-Orient, et aux think tanks influents dans le domaine.

Il décrit aussi la « conjoncture » : la volonté de rupture de l’administration Obama avec

l’héritage Bush-Cheney et son ambition d’un nouveau chapitre au Moyen-Orient, telle

qu’illustrée dans le discours du Caire du 4 juin 2009. Un second chapitre montre comment,

liée à ces forces profondes, entre structure et conjoncture, l’administration Obama n’a que

progressivement légitimé les révolutions, lors des chutes effectives des régimes dictatoriaux.

La deuxième partie illustre l’évolution de la réaction américaine après que les révolutions

aient officiellement été légitimées par le discours du Président du 19 mai 2011.

Dans un premier chapitre, nous verrons que l’on a pu croire que les manifestations

correspondaient aux idéaux américains. Néanmoins, le soutien américain aux insurrections fut

rapidement mis en difficulté par les évolutions sur le terrain. À l’automne 2012, des

manifestations anti-américaines éclatèrent. Ainsi, dans l’imaginaire américain, la figure

négative du dictateur fut remplacée par celle du révolutionnaire violent et irrationnel.

L’inquiétude d’Israël, allié indéniable des États-Unis dans la région, et les dynamiques du

champ politique américain interne, s’intègrent aussi dans notre réflexion sur l’évolution de la

position américaine. Ce chapitre montre comment la communication d’État américaine,

développant une crainte face au Printemps arabe, a glissé vers une communication de crise dès

la fin de l’année 2011, et officiellement à l’automne 2012. Le deuxième chapitre de cette

partie met en avant un élément autre que celui de la peur pour expliquer le glissement vers une

communication de crise : le sentiment d’impuissance. Le chapitre s’intéresse aux effets des

insurrections en Tunisie et en Égypte, rappelant les limites de l’influence américaine dans le

monde arabe. Dans une première partie, il s’agit de se rendre compte que l’effet de verdict des

urnes fut fragilisé par certaines dynamiques régionales. Face à la découverte de leur désunion

politique, certains citoyens tunisiens et égyptiens manifestèrent une « nostalgie du chef ».

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Nous développons surtout le phénomène de militarisme en Égypte, dénoncé par la stratégie

déclaratoire des États-Unis malgré la coopération militaire historique entre les deux pays.

Cette partie sera donc une nouvelle occasion de voir les différences de la réaction américaine

face à la Tunisie et à l’Égypte, car les révolutions y eurent des effets différents mais aussi car

les États-Unis y avaient des intérêts stratégiques d’intensité différente. Dans une deuxième

partie, nous analysons les résultats mitigés des « révolutions », en réalité accompagnées de

nombreuses entorses à la démocratie au regard des États-Unis. Toutefois, l’adoption d’une

nouvelle constitution en Tunisie en janvier 2014 fut accueillie de façon positive aux États-

Unis. Ainsi, comme la Tunisie initia le Printemps arabe, nous pouvons espérons qu’elle soit à

l’initiative de sa concrétisation juridique.

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Partie I : Le dilemme de l’administration Obama face au

déclenchement du Printemps arabe, entre forces profondes et

volonté de rupture (décembre 2010 – octobre 2011)

Cette première partie développe le dilemme auquel la diplomatie de l’administration Obama

fut confrontée au début du Printemps arabe. Si un soutien de la démocratie américaine, et

particulièrement du gouvernement Obama, à des soulèvements populaires rejetant le

despotisme dans leur pays put être pensé comme évident, il s’agit de comprendre la puissante

nécessité de préservation des intérêts nationaux dans la région qui s’est imposée au

gouvernement américain.

Dans un premier chapitre, nous mettons en lumière les forces profondes américaines

dans le monde arabe en insistant sur la Tunisie et l’Égypte. Tout d’abord, nous devons

comprendre que l’arrivée du Président Obama au pouvoir s’est inscrite dans une certaine

structure, et que celle-ci a dû être prise en compte lors de la conception des politiques de

l’administration Obama. Les États-Unis disposaient de nombreux intérêts stratégiques dans la

région et d’un historique particulièrement important avec l’Égypte. Le paysage des think tanks

et lobbies était aussi à l’œuvre dans les prises de décision de la diplomatie américaine. Cette

structure a joué un rôle déterminant dans la conception des différentes politiques et possible

atteinte des buts de l’administration Obama. Nous voyons que cette structure est restée très

présente dans l’environnement politique américain, malgré la volonté conjoncturelle d’Obama

d’une rupture avec l’héritage Bush-Cheney. Sa volonté d’un « nouveau départ » des relations

américano-arabes dans l’espace s’est illustrée dans son discours du Caire du 4 juin 2009, que

nous étudions dans le dernier temps de cette partie. Ce premier chapitre vise donc à montrer

que les ambitions proclamées de l’administration Obama ont pu être freinées par l’historique

des États-Unis dans la région et l’héritage des précédentes administrations.

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Dans un deuxième chapitre, nous tirons les conséquences de ces forces profondes

américaines dans le monde arabe, en montrant que la légitimation des événements en Tunisie

et en Égypte par l’administration Obama n’a été que progressive. En effet, à contrario de ce

qu’on pourrait attendre du pays, et particulièrement d’une administration espérée actrice d’un

nouveau positionnement dans le monde arabe, les États-Unis ont tout d’abord eu une attitude

prudente face à la contestation des régimes installés de longue date en Tunisie et en Égypte

avec lesquels ils avaient noué de solides partenariats stratégiques. Ce n’est qu’après la faillite

effective des régimes que l’administration Obama a officiellement affirmé son soutien aux

mouvements populaires. Il est essentiel de noter que ce soutien aux insurrections ne fit

cependant pas l’unanimité aux États-Unis et parmi ses alliés de la région. La prudence resta de

mise, même au début du Printemps arabe, pour une partie de l’opinion publique, des

personnalités politiques et des alliés américains, ce qui rappelle encore l’ancrage des forces

profondes dans l’espace. Ce deuxième chapitre vise donc à montrer que, si de décembre 2010

à octobre 2011 la légitimation des insurrections en Tunisie et en Égypte par les Etats-Unis fut

croissante, elle fut aussi soumise à de nombreuses pressions internes dans les cercles

politiques américains et sensible à l’évolution réelle des événements.

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Chapitre 1 : Les forces profondes américaines s’imposant à la

politique étrangère de l’administration Obama

1. Le positionnement des États-Unis dans le monde arabe

Nous avons vu dans l’introduction que, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les

relations entre les États-Unis et les pays du monde arabe mirent en lumière les nombreuses

forces profondes américaines à l’œuvre dans la région. Cette sous-partie ne vise pas à refaire

un historique et une chronologie de la politique étrangère américaine en Afrique du Nord et au

Moyen-Orient depuis 1945, mais plutôt à préciser les données de l’introduction en les

orientant directement vers une réflexion sur la Tunisie et l’Égypte. Tout d’abord, nous

soulignons les principaux intérêts nationaux américains à défendre et s’imposant aux

administrations, conduisant à une certaine cohérence de la diplomatie américaine sur le long

terme. Puis, nous dressons un historique concis des relations des États-Unis avec la Tunisie et

avec l’Égypte, en amont du Printemps arabe.

1.1 Les cinq principaux intérêts nationaux dans la région

Pour dégager les principaux intérêts des États-Unis guidant leur politique dans le monde

arabe, et en conséquence leur réaction aux insurrections tunisiennes et égyptiennes, nous nous

appuyons sur l’écrit d’Amine Ait-Chaalat, professeur et directeur du Centre d’études des

crises et conflits internationaux (Cecri) à l’Université catholique de Louvain en Belgique :

« Les États-Unis face au ‘printemps arabe’ : mise en perspective à partir des révolutions

tunisienne et égyptienne », paru dans le volume 19 d’Alternatives Sud (Editions Syllepse,

2012). L’auteur a mis en exergue cinq principaux objectifs de la politique étrangère

américaine :

- La stabilité et la sécurité des approvisionnements en hydrocarbures

- Le maintien de la position géostratégique dominante des États-Unis dans la région

- Le maintien de régimes favorables aux États-Unis dans la région

- La pérennité de l’alliance stratégique avec Israël

- L’éradication du terrorisme

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32

Ces cinq éléments doivent être pris en compte lors de l’étude de la réaction du pays aux

événements du Printemps arabe. Cette sous-partie, en énumérant succinctement les intérêts

nationaux américains, entend aussi souligner un fait notable de la politique étrangère

américaine : dans sa formulation, celle-ci peut conjuguer plusieurs de ses forces profondes.

Par exemple, le renversement du Premier Ministre iranien élu Mohammad Mossadegh en

1952, fomenté par la CIA aux côtés de la MI6 britannique, visait à la fois à assurer la

pérennité de son accès aux hydrocarbures et à conserver un régime favorable aux États-Unis.

De la même façon, le Printemps arabe a entraîné une réaction américaine expliquée par

plusieurs de ses intérêts dans la région. Nous avons donc rédigé ce mémoire en conservant à

l’esprit au moins ces cinq forces profondes américaines, qui servirent aussi de grille de lecture

pour décrire la stratégie américaine en Tunisie et en Égypte, en amont du Printemps arabe.

1.2 Un historique concis des relations entre les États-Unis et la Tunisie depuis 1945

Comme mentionné dans l’introduction, les États-Unis furent la première grande puissance à

reconnaître la souveraineté de la Tunisie, le 17 mai 1956, après que celle-ci ait obtenu son

indépendance de la France. Durant leur combat pour l’indépendance du pays, les forces

indépendantistes tunisiennes développèrent des relations de bonne entente avec les États-Unis

et depuis lors, une relation d’amitié se pérennisa entre les deux pays. Ils partagent aujourd’hui

un statut de membre aux Nations Unies, au Fonds Monétaire International, à la Banque

Mondiale et à l’Organisation Mondiale du Commerce, ce qui participe au renforcement de

leurs liens interétatiques, par un partage de valeurs et de buts communs. Leur coopération

bilatérale s’observe dans les domaines économique, militaire, civil et culturel, et politique.

En mars 1957 fut signé le premier accord pour une aide américaine économique et

technique à Tunis. Ce fut le premier d’une longue série car les États-Unis développèrent en

Tunisie l’idée que la prospérité et la stabilité du pays pourraient être assurées sur le long terme

par un développement de son secteur privé et de ses opportunités économiques28. Durant les

35 années suivantes, l’Agence Américaine pour le Développement International (USAID), que

28

U.S. Department of State, “U.S. Relations with Tunisia”, Bureau of Near Eastern Affairs, Fact Sheet, August 22, 2013, http://www.state.gov/r/pa/ei/bgn/5439.htm, accessed April 2, 2014.

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nous avons déjà mentionnée dans l’introduction, investit plus de 1,4 millions de dollars dans

des prêts à bas taux, assistance technique et vente de matériel agricole en Tunisie. Cette aide

financière participa à la réalisation de nombreux projets, tels que les constructions de

l’aéroport de Tunis/Carthage et des systèmes d’irrigation de la ville29. Les États-Unis et la

Tunisie signèrent en octobre 2002 un accord-cadre sur le commerce et l’investissement (TIFA

– Trade and Investment Framework Agreement). Les États-Unis affirmèrent aussi encourager

les investissements directs à l’étranger en Tunisie, en participant à la mise en valeur de son

attractivité dans les secteurs des hautes technologies, de l’énergie, de l’agroalimentaire et du

tourisme. Dans le cadre de la Middle East Partnership Initiative (MEPI), le gouvernement

américain ouvrit un bureau régional à Tunis en août 2004 et finança la participation de la

Tunisie à de nombreux programmes de l’Initiative. Par exemple, la Tunisie put prendre part à

des programmes d’entraînement pour entrepreneurs, des programmes d’apprentissage de la

démocratie ou encore des études d’opinion publique30.

Au niveau militaire, l’aide américaine en Tunisie a d’abord concerné l’entraînement

des forces armées. Puis, à mesure que le gouvernement d’Habib Bourguiba se sentait menacé

par le régime libyen du colonel Mouammar Kadhafi visant à la création d’une République

Arabe Islamique entre 1973 et 1974, la Tunisie fit appel aux États-Unis pour développer une

armée plus sophistiquée et une aviation. Tous les ans, la Commission Militaire Commune

(U.S.-Tunisian Joint Military Commission) se rencontre pour discuter de la coopération

militaire des deux pays. Cette aide militaire se poursuivit sous le régime de Ben Ali, comme le

révélèrent les chiffres de l’ambassade américaine à Tunis après sa chute. En avril 2012, les

accords américains de ventes militaires s’élevaient à plus de 780 millions de dollars et le

programme Foreign Military Financing avait accordé plus 660 millions de dollars. Au total,

depuis l’indépendance de la Tunisie, les États-Unis fournirent au pays plus de 890 millions de

dollars de prêts en financements d’équipements militaires31. Par ailleurs, tout au long des

années 2000, la branche de la Sécurité Diplomatique du département d’État américain 29

Website of the U.S. Embassy in Tunis, Tunisia, “Tunisian American Relations: Over 200 Years of Friendship”, http://tunisia.usembassy.gov/tunisian-american-relations.html, accessed April 2, 2014. 30 Website of the U.S. Embassy in Tunis, Tunisia, “Tunisian American Cooperation”, http://tunisia.usembassy.gov/ustunisianrelations.html, accessed April 2, 2014. 31

Website of the U.S. Embassy in Tunis, Tunisia, “U.S. Military and Political Assistance for Tunisia”, Fact Sheet, April 2012, http://tunisia.usembassy.gov/fact-sheet-u.s.-military-and-political-assistance.html, accessed April 3, 2014.

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sponsorisa la participation d’officiers militaires tunisiens à de nombreuses formations et

exercices contre le terrorisme.

La coopération entre les deux pays atteignit la société civile tunisienne. A la création

du programme américain Peace Corps Volunteers en mars 1961, la Tunisie fut le premier pays

arabe à demander sa présence et devint le premier à en bénéficier. La création de cette

organisation de bénévoles par le gouvernement américain fut justifiée comme suit : « Il est de

la politique des États-Unis et du but de cet acte de promouvoir la paix dans le monde et

l’amitié par un Corps de Paix, qui devra mettre à disposition des pays et zones intéressés des

hommes et femmes des États-Unis qualifiés pour un service à l’étranger et désireux de servir,

dans des conditions difficiles si nécessaires, pour aider les populations de ces pays et zones à

satisfaire leurs besoins de main d’œuvre qualifiée, particulièrement pour faire face aux besoins

de première nécessité de ceux vivant dans les zones les plus pauvres de ces pays, et pour aider

à promouvoir une meilleure compréhension des populations américaines »32. 2,382

Américains rejoignirent alors les forces tunisiennes pour améliorer la condition humaine du

pays33. Leur présence put contribuer à une meilleure compréhension entre les peuples

américain et tunisien ; le groupe encouragea notamment l’enseignement et la diffusion de la

langue anglaise dans le pays. Par ailleurs, certains bénévoles du programme partagèrent leur

expérience, expliquant qu’à l’inverse, eux aussi purent apprendre à mieux connaître les

populations tunisiennes une fois sur place34. Les bénévoles œuvrèrent dans les secteurs de

l’éducation, de l’agriculture et de la santé. La coopération culturelle est aussi importante,

notamment au travers des programmes universitaires Fulbright ou Humphrey.

La coopération politique fut permise par les régimes d’Habib Bourguiba et Ben Ali.

Bourguiba avait déjà été apprécié par l’ambassadeur américain à Tunis, Hooker Doolittle,

pendant la Seconde Guerre mondiale, alors qu’il était un jeune avocat tunisien emprisonné

pour sa défense de l’indépendance du pays. L’ambassadeur serait intervenu auprès du Général

résident français pour sa libération, ce qui aurait rendu le tunisien très attaché aux États-Unis.

32

Peace Corps Act, “Declaration of Purpose”, Public Law 87–293, as Amended through P.L. 112–57 and enacted on November 21, 2011, http://www.house.gov/legcoun/Comps/peace.pdf, accessed April 2, 2014. 33

Ibid. 34

Laura Parisien, English teacher at the Bourguiba Institute for Modern Languages at the University of Tunis, “Living in an Arab World –Tunisia”, Peace Corps website, http://www.peacecorps.gov/volunteer/learn/whatlike/ownwords/1226/, accessed April 2, 2014.

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35

Nous avons en effet vu que lorsque la Tunisie accéda à l’indépendance le 17 mai 1956, les

États-Unis firent la première puissance majeure à reconnaître la souveraineté du pays.

L’ « autoritarisme éclairé » de Bourguiba s’inspira en partie des États-Unis pour sa plateforme

économique et sociale ; il insista particulièrement sur l’éducation et améliora les droits des

femmes. Sans recourir au cliché, nous pouvons affirmer la présence de telles valeurs dans le

régime politique américain, ou tout du moins dans la stratégie déclaratoire des États-Unis.

Le Président Bourguiba témoigna aussi d’un attachement particulier à la présence de la

Sixième Flotte américaine dans la Méditerranée. Il y fit d’ailleurs appel lorsqu’un grand

barrage de la vallée Majerda céda à la pluie en 1973. Le 7 novembre 1987, Ben Ali déposa

Bourguiba pour sénilité et prit le pouvoir en Tunisie. La relation américano-tunisienne ne s’en

retrouva pas fondamentalement changée ; le Président Ben Ali exprima son souhait de

poursuivre la coopération du pays avec les États-Unis. Les forts liens entre Israël et les États-

Unis furent sources de tension, mais le régime de Ben Ali parvint à améliorer la position

stratégique américaine dans le monde arabe. En effet, le régime tunisien se rapprocha du

colonel Kadhafi, craint par les Etats-Unis, ce qui permit des bénéfices locaux, comme la

résolution d’un conflit concernant de riches réserves de pétrole35.

En s’appuyant sur la grille de lecture des cinq principaux intérêts américains dans la région,

nous pouvons affirmer que les forces profondes des États-Unis ont bien guidé ses relations

avec la Tunisie. Les approvisionnements en hydrocarbures ne furent pas un élément de la

relation américano-tunisienne. Les importations américaines concernèrent plutôt l’huile

d’olive –en 2010, les États-Unis absorbaient environ 26% de la production tunisienne d’huile

d’olive36. Les forces profondes politiques, cependant, furent déterminantes. Les relations

américano-tunisiennes participèrent au maintien de la position géostratégique dominante des

États-Unis dans la région. Nous avons cité l’aide économique, l’action des Peace Corps

Volunteers ou les programmes culturels : par ces différents moyens, la présence et l’influence 35

Talcott W. Seelye, Ambassadeur américain à Tunis de 1972 à 1976 puis Président de la US-Tunisian Friendship Society, “Ben Ali Visit Marks Third Stage in 200-Year-Old US-Tunisian Special Relationship”, Washington Report on Middle East Affairs, March 1990, p. 7, http://www.wrmea.org/wrmea-archives/125-washington-report-archives-1988-1993/march-1990/1068-ben-ali-visit-marks-third-stage-in-200-year-old-us-tunisian-special-relationship.html, accessed April 2, 2014. 36

Office of Agricultural Affairs, website of the U.S. embassy in Tunis, Tunisia, http://tunisia.usembassy.gov/agricultural-affairs-office.html, accessed April 2, 2014.

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des États-Unis furent constantes dans le pays depuis son indépendance. Les États-Unis

posèrent la Tunisie comme modèle de pays du Tiers Monde se développant grâce à une

assistance étrangère. Le maintien de régimes favorables aux États-Unis dans la région fut

aussi une force profonde observable en Tunisie : les régimes d’Habib Bourguiba puis de Ben

Ali furent des alliés des États-Unis en Afrique du Nord. Les États-Unis n’abandonnèrent

cependant pas la poursuite d’une autre de leurs forces profondes : la pérennité de l’alliance

stratégique avec Israël. Les forts liens existant entre les États-Unis et Israël eurent en effet un

impact sur les relations américano-tunisiennes. En 1985, lorsqu’Israël bombarda les quartiers

généraux de l’Organisation de Libération de la Palestine à Tunis, la Tunisie accusa les États-

Unis d’avoir eu connaissance du projet israélien et leurs relations en patîrent –et cela malgré

l’orientation pro-américaine de Bourguiba. Enfin, la force profonde de l’éradication du

terrorisme fut notable dans la coopération militaire entre les deux pays en général, et plus

spécifiquement dans les programmes d’entraînement des militaires tunisiens dans les années

2000. Ainsi, la Tunisie d’Habib Bourguiba, puis de Ben Ali, fut un certain allié des États-Unis

dans le monde arabe, en amont des insurrections populaires du Printemps arabe. Le pays

représenta ce que les États-Unis recherchaient dans la région : un régime lui étant favorable,

ne troublant pas l’équilibre de la région, ouvert aux investissements étrangers et participant à

la lutte contre l’extrémisme islamique et le terrorisme.

Il convient néanmoins de souligner que les relations américano-tunisiennes ne

représentèrent qu’une infime dimension en comparaison aux relations franco-tunisiennes.

La France et la Tunisie sont des partenaires historiques et le régime de Ben Ali des années

1990 et 2000 fut très proche de la République française. Un rapport du Sénat de 1997 assura

en effet la France comme premier partenaire commercial de la Tunisie, premier client de la

Tunisie achetant 25,6% de ses exportations et premier fournisseur de la Tunisie avec une part

de marché de presque 25% dans le pays37. En 1997, la coopération scientifique, culturelle et

technique franco-tunisienne représentait 104 millions de francs, faisant de la Tunisie le

37

Rapport législatif 419 du Sénat français, « Accord sur l'investissement entre la République française et la République tunisienne », Commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées, 1997/1998, http://www.senat.fr/rap/l97-419/l97-419.html, consulté le 29 avril 2014.

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37

premier pays bénéficiaire des moyens français dédiés à la coopération internationale38. Nous

nous souvenons aussi des relations de proximité dévoilées entre certains membres du

gouvernement français et les cercles politiques proches du régime de Ben Ali. Le voyage en

Tunisie de la Ministre des Affaires Étrangères et Européennes, Michèle Alliot Marie, à la fin

de l’année 2010 fit par exemple scandale. Par ailleurs, la coopération franco-tunisienne prit

une nouvelle dimension dans le cadre de l’Accord d’Association entre l’Union Européenne et

la Tunisie, signé en juillet 1995. A contrario de la Tunisie, comme avancé dans l’introduction,

l’Égypte témoigne d’une histoire particulière avec les États-Unis.

1.3 Un historique concis des relations entre les États-Unis et l’Égypte depuis 1945

Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’Égypte servit de base à de nombreuses opérations

britanniques et rejoignit officiellement les Alliés en janvier 1945, lorsque son Premier ministre

Ahmad Mahir Pacha déclara le pays en guerre contre les pays de l’Axe. Après le conflit,

l’Égypte fut identifiée comme grande puissance régionale et comme « cible pour l’influence

américaine dans le Moyen-Orient39». Ainsi, la relation entre les États-Unis et l’Égypte mit

particulièrement en exergue les forces profondes américaines dans la région que nous avons

identifiées plus haut. Principalement, les États-Unis cherchèrent à empêcher le Moyen-Orient

d’entrer dans l’orbite de l’influence soviétique et à préserver des régimes stables pour la

sauvegarde de leurs propres intérêts politiques et économiques. À nouveau, l’alliance entre les

États-Unis et Israël impacta profondément sa relation avec l’Égypte. La Ligue arabe,

réunissant l’Égypte, l’Arabie Saoudite, la Syrie, l’Irak, le Liban, la Jordanie (encore appelée

Transjordanie au moment de la signature de la Constitution de la Ligue arabe) et bientôt le

Yémen, avait été créée le 22 mars 1945 à Alexandrie et son secrétariat établi au Caire. Or, à la

création de l’État d’Israël en 1948, l’Égypte devint le chef de file des pays arabes visant à

éradiquer cet État naissant. La guerre israélo-arabe lancée en 1948 se solda par la victoire

d’Israël et fut vécue comme une humiliation par la Ligue arabe. Les États arabes accusèrent

notamment une influence occidentale trop importante au sein de leurs gouvernements et

l’incapacité de leurs armées. En Égypte par exemple, entre les 22 et 26 juin 1952, un groupe

38

Ibid. 39

Gardner Lloyd C., op. cit., p. 198.

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d’officiers libres (désaffectés de l’armée), emmenés par Muhammad Naguib et Gamal Abdel

Nasser, renversèrent le roi Fadhouk 1er et chassèrent les conseillers britanniques de la

Couronne. Le 18 juin 1953, le règne des Alaouites s’acheva lorsque l’Égypte fut proclamée

République arabe d’Égypte par le mouvement des officiers libres. Le premier président

égyptien fut Muhammad Naguib, auquel Gamal Abdel Nasser succéda en 1954. La présidence

de Nasser remit en cause l’ambition américaine de faire de l’Égypte un exemple de stabilité et

un allié dans la région en période de Guerre froide. L’homme d’État adopta en effet une

politique de neutralité mais mena une économie socialiste rapprochant l’Égypte de l’Union

soviétique, en parallèle d’une rhétorique anti-Israël. En conséquence, le mémorandum

américain secret « OMEGA » du 21 mars 1956, rédigé par le Secrétaire d’État John Foster

Dulles pour le Président Eisenhower, visa à la marginalisation de Nasser dans le monde

arabe40. Les puissances occidentales refusèrent dès lors les licences d’exportations aux

entreprises américaines et britanniques vendant des armes à l’Égypte, empêchant le

financement occidental du barrage d’Assouan. Ces restrictions participèrent à la décision de

Nasser de nationaliser le canal de Suez à l’été 1956, décision qui alarma l’Occident quant à

son approvisionnement en pétrole et à la libre circulation de ses marchandises. Par ailleurs, en

remettant en cause les structures coloniales européennes, l’Égypte aurait pu permettre une plus

grande influence américaine dans la région, mais Nasser conduisit une politique panarabe.

Le pacte créant la République Arabe Unie fut signé le 1er février 1958 par le Président

égyptien et le Président syrien Choukri al-Kuwatli ; elle s’effondra en 1961. En 1964, Nasser

devint Président du mouvement des Non-Alignés. Après s’être vu refusé une aide militaire

américaine, il se tourna vers l’Union soviétique. La guerre des Six-Jours affaiblit cependant le

Président égyptien : Israël s’empara du Sinaï et de la Bande de Gaza contrôlés par l’Égypte et

Nasser annonça sa démission en juin 1967.

Nasser mourut en 1970 et le nouveau Président égyptien Anouar el-Sadate mena une politique

plus alignée aux intérêts américains. Après la guerre israélo-arabe de 1973, soldée par une

défaite arabe malgré une aide militaire soviétique substantielle, el-Sadate comprit qu’un

règlement du conflit israélo-palestinien serait bénéfique au développement de l’Égypte et

40

Salim Yaqub, Containing Arab Nationalism: The Eisenhower Doctrine and the Middle East, North Carolina Press, Copperline Book Services, 2004, 379 pages, p. 43.

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39

participa ainsi à rendre l’atteinte d’une résolution plus envisageable, aux côtés des États-Unis.

Cette volonté se concrétisa dans les accords de Camp David du 17 septembre 1978, signés

entre el-Sadate et le Premier ministre israélien Menachem Begin à la Maison Blanche, sous

l’égide du Président américain Jimmy Carter. Washington supervisa ensuite la signature d’un

traité de paix entre l’Égypte et Israël le 26 mars 1979. Dès 1979, les États-Unis fournirent une

assistance militaire accrue à l’Égypte. Notamment au travers du Foreign Military Financing

(FMF) que nous avons déjà cité, les États-Unis renouvelèrent un équipement militaire

égyptien largement hérité des systèmes de défense soviétiques41. La demande d’El-Sadate du

départ des conseillers militaires soviétiques d’Égypte eut une importance symbolique très

positive aux yeux des États-Unis. Aux côtés d’Israël, l’Égypte devint l’allié essentiel des

États-Unis hors OTAN. Ce changement de position de l’Égypte dans la Guerre froide fit aussi

de l’Égypte le deuxième plus grand bénéficiaire d’aides financières américaines après Israël.

Les Accords de Camp David prévoyaient notamment un versement annuel de l’USAID d’un

montant de 815 millions de dollars à l’Égypte42. Ces renforts financiers américains

autorisèrent el -Sadate à moderniser l’économie égyptienne ; sa politique d’ « ouverture »

(infitah) s’éloigna du socialisme de Nasser en encourageant l’investissement privé.

Lorsqu’il fut assassiné, el-Sadate fut remplacé par le Vice-président de la République

le 14 octobre 1981 : Mohammed Hosni Moubarak. Inscrit dans la continuité des politiques

d’el-Sadate, le régime de Moubarak se montra docile aux intérêts américains. La stabilité de

son régime et sa répression des extrémistes islamistes rassurèrent Washington. Lors de la

Première Guerre du Golfe, en 1990, l’Égypte déploya 35 000 troupes pour rejoindre la

coalition occidentale menée par les États-Unis intervenant au Koweït. L’Égypte permit aussi

aux États-Unis de bénéficier d’un réel soutien arabe dans le Golfe contre le terrorisme43.

Les forces profondes américaines au Moyen-Orient, grille de lecture dégagée plus haut, se

retrouvent donc systématiquement dans les relations entre les États-Unis et l’Égypte. 41

Jeremy M. Sharp, article cité, p. 20. 42

“From fanfare to phase-out”, Al-Ahram Weekly Online, Issue No. 539, June 21-27, 2001, http://weekly.ahram.org.eg/2001/539/fo11.htm, accessed April 29, 2014. 43

Trudy J. Kuehner, “The U.S. and Egypt Since the Suez Crisis”, The Newsletter of the Foreign Policy Research Institute, Vol 14, No 23, July 2009, https://www.fpri.org/footnotes/1423.200907.kuehner.usegyptsincesuez.html, accessed April 4, 2014.

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En comparaison avec la Tunisie, nous pouvons dire que les intérêts américains prirent une

acuité plus importante en Égypte, notamment en raison de son statut de grande puissance

régionale, que les États-Unis entendaient utiliser comme relai de leur propre influence dans la

région. Les intérêts des États-Unis en Égypte furent aussi profondément économiques, comme

nous l’avons observé dans l’affaire du Canal de Suez, raccourci stratégique entre la Mer

Rouge et la Mer Méditerranée. Les historiques des États-Unis avec la Tunisie et l’Égypte nous

prouvent donc la puissance des intérêts stratégiques américains dans le monde arabe, réelle

structure à laquelle l’élaboration de nouveaux positionnements ne put échapper. Dans le même

but de comprendre les mécanismes d’élaboration des politiques américaines au Moyen-Orient,

l’influence des lobbies et think tanks dans les cercles politiques de Washington est essentielle

à considérer.

1.4 L’influence des lobbies et think tanks sur les politiques américaines

Il est illusoire de vouloir dresser une liste exhaustive de tous les lobbies et think tanks

gravitant autour de la Maison Blanche. Néanmoins, ce mémoire ne pouvait pas présenter les

forces profondes américaines dans le monde arabe sans rendre compte de l’importance de ces

instances dans le processus de decision making américain.

L’activité du lobbying, ou représentation et défense d’intérêts spéciaux, est très

développée aux États-Unis. Cela tient notamment à la culture politique américaine : le premier

amendement à la Constitution protège la liberté d’expression, le droit d’association pacifique

et de pétition au gouvernement. Le nombre de lobbyistes enregistré à Washington est ainsi très

élevé : en 2009, le Center for Responsive Politics, se basant sur les Senate Office of Public

Records Information, dénombrait 13 784 lobbies actifs aux États-Unis, représentant un budget

de 3,50 milliards de dollars44. Le dénombrement des lobbies est possible car depuis le

Lobbying Disclosure Act de 1995, amendé en 2007, un individu doit se déclarer lobbyiste dès

lors qu’il a plus de deux contacts au sein du personnel d’État américain et qu’il passe plus de

20% de son temps à essayer d’influencer la législation américaine. Ces déclarations doivent

44

Lobbying Database, Open Secrets, Center for Responsive Politics, most recent data downloaded on January 27, 2014, http://www.opensecrets.org/lobby/, accessed April 4, 2014.

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41

être réalisées tous les six mois45. Dans le cadre de ce mémoire sur la réaction des États-Unis

face au Printemps arabe, les lobbies israéliens et arabes nous intéressent particulièrement.

Le lobbying israélien est réputé pour être très influent dans les cercles politiques américains. Il

n’est pas constitué comme une large organisation unifiée, mais intervient plutôt par l’action

d’une multitude d’organismes et d’individus aux programmes et buts pouvant différer. Créé en

1951, le Comité américain pour les Affaires publiques israéliennes (American Israel Public

Affairs Committee – AIPAC) est considéré comme le plus puissant de ces groupes de pression

israéliens. Il vise à conserver et renforcer de bonnes relations entre Israël et les États-Unis.

Situé à Washington à proximité du Congrès, l’AIPAC bénéficie d’un accès privilégié aux

représentants politiques américains. Le Washington Institute for Near East Policy (WINEP)

est aussi un think tank influent auprès du Congrès et de la Maison Blanche. L’Institut se

définit comme visant à « avancer une compréhension équilibrée et réaliste des intérêts

américains au Moyen-Orient et à promouvoir des politiques pour les assurer46 », mais il est

intéressant de noter qu’il fut fondé en 1985 avec l’aide de Martin Indyk, ancien directeur de

recherche de l’AIPAC. Les Pro-Israel Political Action Committees (PAC) participent

principalement aux financements des campagnes électorales américaines. Le Washington PAC

par exemple, fut fondé et est financé par Morris J. Amitay, ancien directeur exécutif de

l’AIPAC (1974-1980)47. D’autres organisations, à but non lucratif, informatif, et se

proclamant apolitiques, travaillent aussi à l’amélioration de l’image d’Israël aux États-Unis,

tels que The Israel Project créé en 2003. Enfin, des institutions religieuses visent à la défense

des intérêts des peuples juifs et chrétiens d’Israël, telles que Christians United for Israel, the

Jewish Agency for Israel ou the Avi Chai Foundation. Le lobbying israélien, et principalement

l’AIPAC, a fait l’objet de nombreuses analyses et critiques politiques. En 2006, John

Mearsheimer et Stephen Walt, respectivement professeurs à l’Université de Chicago et à

l’Université d’Harvard, ont jugé son influence sur la politique étrangère américaine comme

45

Factbox, “How many lobbyists are there in Washington?”, Reuters Edition U.S., September 13, 2009, http://www.reuters.com/article/2009/09/13/obama-lobbying-idUSN1348032520090913, accessed April 4, 2014. 46

“Mission and History”, The Washington Institute, Improving the Quality of U.S. Middle East Policy, http://www.washingtoninstitute.org/about/mission-and-history, accessed April 8, 2014. 47

Washington PAC, Open Secrets, Center for Responsive Politics, https://www.opensecrets.org/pacs/lookup2.php?strID=C00138560, accessed April 8, 2014.

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disproportionnée48. Bien que l’article des universitaires américains soit à considérer avec une

grande prudence, il invite tout de même à comprendre l’ampleur du lobbying israélien aux

États-Unis et propose certaines réflexions intéressantes. L’article argumente par exemple de la

nécessité pour la politique étrangère américaine de développer une stratégie plus globale au

Moyen-Orient, qui prendrait en compte l’ensemble de ses intérêts dans la région. Une telle

stratégie supposerait une certaine prise de distance par rapport au gouvernement israélien, ou

tout du moins une plus grande considération des régimes arabes, ce qui a pu être réalisé par

l’administration Obama. En parallèle néanmoins, nous devons noter pour la rédaction de ce

mémoire que l’administration Obama a, dès le début de son premier mandat, confirmé le

profond attachement américain à son alliance avec Israël. Le 4 juin 2008, c’est devant

l’AIPAC que le candidat démocrate fit taire les rumeurs sur son incapacité à mener une

politique de défense musclée, ce qui avait été craint dans les rangs israéliens. Il mentionna

notamment les emails qui avaient circulé à ce sujet dans la communauté juive aux États-Unis.

Il dit « avoir compris la longue quête d’Israël pour la paix et son besoin de sécurité » et assura

la défense d’Israël comme « un engagement que moi-même et John McCain partageons ».

« Car une paix durable relève de l’intérêt national d’Israël. Elle relève de l’intérêt national de

l’Amérique. Et elle relève de l’intérêt du peuple palestinien et du monde arabe49 ».

Ainsi, c’est aussi en réaction au puissant lobbying israélien et à l’AIPAC que le lobbying

arabe s’est construit. Nous pouvons notamment citer la National Association of Arab-

Americans créée en 1972 pour renforcer les relations des États-Unis avec les pays arabes dans

le contexte du début des années 1970 marqué par une méfiance américaine face aux pays

pétroliers, instaurant notamment un embargo en 1973. Les années 1970 et 1980 virent aussi se

développer un mouvement en faveur des droits des Américains arabes, par la création de

nombreuses structures telles que l’American-Arab Anti-Discrimination Committee en 1980 et

l’ Arab American Institute en 1985. L’American Civil Liberties Union soutint ce mouvement

de non-discrimination. Dans les années 1990, le Council on American Islamic Relations

(CAIR) prépara « des documents pour les employeurs, les éducateurs et les professionnels de

48 John J. Mearsheimer, Department of Political Science, University of Chicago and Stephen M. Walt, John F. Kennedy School of Government, Harvard University, “The Israel Lobby and U.S. Foreign Policy”, March 2006, http://mearsheimer.uchicago.edu/pdfs/A0040.pdf, consulté le 8 février 2014. 49

Transcript of Barack Obama’s Speech before the AIPAC, National Public Radio, June 4, 2008, http://www.npr.org/templates/story/story.php?storyId=91150432, accessed April 8, 2014.

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santé donnant des conseils pour respecter les pratiques religieuses musulmanes », tandis que le

Muslim Public Affairs Council luttait contre l’image du fanatique islamique et que l’American

Muslim Alliance encourageait les musulmans à participer à la vie politique américaine50. Par

ailleurs, il faut noter l’existence de lobbies des différents pays arabes auprès des États-Unis.

Dans le cas de l’Égypte, la structure indépendante de journalisme d’investigation pour l’intérêt

public, ProPublica, notait en 2009 un important lobbying aux États-Unis. Ses intérêts étaient

notamment représentés par les lobbyistes démocrates Tony Podesta et Toby Moffett, et le

républicain Robert Livingston51. Le lobbying de l’Arabie Saoudite est aussi réputé puissant

aux États-Unis : c’est le premier roi d’Arabie Saoudite, Abdelaziz ben Abderrahman ben

Fayçal Al Saoud, qui aurait demandé aux diplomates américains en 1951 de financer un lobby

arabe pour contrebalancer le poids de l’AIPAC dans les instances décisionnelles. Fred Dutton,

assistant secrétaire pour les Affaires Législatives et assistant spécial du Président John

Fitzgerald Kennedy, était par exemple lobbyiste en faveur de l’Arabie Saoudite dans les

années 1960. Le Président Carter étant connu pour avoir encouragé une politique plus ouverte

vers le monde arabe, le Centre Carter fut aussi alimenté de financements du roi saoudien Fahd

et des Émirats Arabes Unis. Nous pouvons relever l’ouvrage de Mitchell Bard, directeur de

l’ American-Israeli Cooperative Enterprise et de la Jewish Virtual Library, répondant à

l’article précité de John Mearsheimer et Stephen Walt : The Arab Lobby: The Invisible

Alliance That Undermines America's Interests in the Middle East (Broadside Books, 2011).

Dans cet ouvrage, l’auteur argue d’un lobby arabe plus ancien et plus riche, de par ses

ressources pétrolières, que le lobby israélien. Le pétrole fut par exemple un puissant facteur

d’influence de l’Arabian American Oil Company (ARAMCO) après la guerre des Six-Jours.

L’influence des lobbies est un sujet très controversé et il ne s’agit pas ici de prendre position

dans un débat épineux. Néanmoins, dans l’analyse de la réaction de l’administration Obama

aux insurrections tunisienne et égyptienne, ses discours prononcés à la destination de lobbies,

et notamment à l’AIPAC, apparaissent comme pertinents à intégrer.

50

Y-H. Nouailhat et S. de la Foye, op. cit., pp. 192-193. 51

Anupama Narayanswamy and Luke Rosiak, “Adding it up: The Top Players in Foreign Agent Lobbying”, ProPublica, August 18, 2009, http://www.propublica.org/article/adding-it-up-the-top-players-in-foreign-agent-lobbying-718, accessed April 4, 2014.

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Par ailleurs, les think tanks et experts participent largement à l’élaboration et à

l’orientation de la politique étrangère américaine. Bien plus qu’en Europe, ils jouent aux

États-Unis un rôle à part entière dans le processus de decision making politique.

Cette caractéristique du système américain remonte aux origines mêmes de la République et

correspond au rejet d’une centralisation du système. Elle résulte aussi et surtout d’un

affaiblissement du département d’État et de la conséquente recherche d’expertises extérieures.

Le gouvernement américain privilégie depuis lors l’expertise d’institutions lui étant

extérieures pour le conseiller dans ses politiques clés. En 2009, on ne comptait pas moins de

1 777 think tanks aux États-Unis, en ne prenant en compte que les institutions hors

gouvernement et hors universités, c’est-à-dire considérées comme indépendantes52. Pour

exemple du lien entre think tanks et politiques américaines, le projet de l’administration Bush

de « remodelage du Grand Moyen-Orient » fut tout d’abord évoqué le 26 février 2003 devant

une réunion de néoconservateurs de l'American Enterprise Institute (AEI), avant que la théorie

ne soit développée dans un discours à l’Université de Caroline du Sud le 9 mai 2003. Ce think

tank néoconservateur eut une influence considérable dans la décision de l’administration Bush

d’intervenir en Irak, tandis qu’un think tank tel que Carnegie Endowment for International

Peace par exemple visait à ajouter au débat toutes les raisons de ne pas se lancer dans une

guerre au Moyen-Orient. Aux États-Unis, les think tanks se présentent donc comme la

garantie d’un pluralisme de pensées politiques et d’un « combat des idées » (l’expression est

de J. M. Keynes). En 2003, les groupes néoconservateurs gagnèrent cette bataille des idées ;

leurs analyses furent portées au sommet de l’élaboration de la politique étrangère

américaine et influencèrent la diplomatie qui s’en suivit.

Le type d’informations parvenant à l’administration Obama fut différent et porté par

des groupes d’une autre orientation. Après l’élection du Président démocrate, les think tanks

les plus influents à la Maison Blanche changèrent effectivement : les groupes d’orientation

démocrate et libérale, au sens politique du terme, trouvèrent un accès privilégié pour leurs

idées à la Maison Blanche. Ces groupes n’étaient pas nouveaux dans le paysage

américain mais, après avoir passé les années Bush à concevoir des politiques qui ne furent pas

52

James McGann, “Think Tanks and the Obama Administration”, Foreign Press Center Briefing, U.S. Department of State, April 23, 2009, http://fpc.state.gov/123019.htm, accessed February 9, 2014.

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appliquées, leurs projets se firent finalement entendre. C’est l’exemple de la réforme de la

santé d’Obama, trouvant en réalité ses origines dans une « série de documents obscurs qui

circulèrent parmi des analystes politiques libéraux il y a plusieurs années53 ». Les groupes les

plus influents de l’administration Obama au moment du Printemps arabe, ou « think tanks

d’Obama »54 furent tout de même relativement jeunes. Concernant la politique étrangère et de

la défense, le groupe Center for a New American Security fut un des plus actifs, créé en 2007

par des anciens de l’administration Clinton. Son rapport de juin 2012 « Strategic Adaptation :

Toward a New U.S. Strategy in the Middle East » livra de multiples recommandations pour

une nouvelle politique étrangère américaine dans l'espace après les événements du Printemps

arabe et fut ainsi une véritable ressource dans le cadre de ce mémoire pour comprendre la

réaction des États-Unis face aux insurrections populaires. Nombre des experts du Center for a

New American Security ont d’ailleurs rejoint les rangs de l’administration Obama, comme son

directeur, Kurt Campbell, chargé des questions Asie-Pacifique au département d’État du 26

juin 2009 au 8 février 2013. Un autre groupe déterminant fut le think tank Center for

American Progress, fondé en 2003 autour du conseiller démocratique John D. Podesta, ayant

servi comme responsable du personnel sous le Président Bill Clinton ; il est aujourd’hui

président du think tank. Le Center for American Progress fut créé dans le but principal de

« développer le débat d’idées dans le camp démocrate et de devenir ‘l’équivalent’ du très

influent think tank républicain, Heritage Foundation »55. L’influence de la personnalité de

John D. Podesta auprès de Barack Obama s’expliqua aussi par son poste de responsable de

transition avant la prise officielle de fonction du Président démocrate. Aujourd’hui fort de 180

employés et d’un budget annuel de 25 millions de dollars, le Center for American Progress a

ses propres outils, notamment un fond financier et un blog politique, le Think Progress.

La Brookings Institution, avec un budget d’environ 60 millions de dollars, fut aussi influente

dans les prises de décision d’Obama et ses experts en tête dans la course pour conseiller

l’administration. James Steinberg, ancien député conseiller en sécurité nationale chez 53

Dan Eggen, “Obama's Election Has Been a Boon to Liberal Think Tanks and Lobbying Firms”, Washington Post Politics, June 4, 2009, http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2009/06/03/AR2009060303396.html, accessed February 9, 2014. 54

Think Tank Watcher, “Quels sont les thinks tanks d’Obama?”, 13 février 2009, http://thinktankwatcher.typepad.fr/think_tank_watcher/think_tanks_amricains/, consulté le 9 février 2014. 55

Ibid.

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Brookings, devint vice-secrétaire au département d’État du 28 janvier 2009 au 28 juillet 2011.

On y retrouva aussi Susan Rice, conseillère du candidat démocrate pendant la campagne

présidentielle, ambassadrice des États-Unis auprès des Nations Unies et conseillère à la

sécurité nationale des États-Unis remplaçant Tom Donilon depuis le 1er juillet 2013.

Cependant, il convient de nuancer l’omnipotence des groupes démocrates sous

l’administration Obama. En effet, il faut comprendre que certains groupes conservateurs

restèrent présents et puissants dans le gouvernement du Président démocrate. Ainsi, Justin

Vaïsse, historien français spécialiste de la politique américaine et alors chercheur chez

Brookings Institution, développa l’argument que le néoconservatisme n’avait pas perdu de son

importance dans le paysage politique américain après l’élection de Barack Obama et prédit

qu’il continuerait même à être influent dans le decision making américain56. Il illustra cette

vivacité des néoconservateurs par les relations américaines tendues avec l’Iran (bien que

depuis quelques mois cette idée est à relativiser) et la lia notamment au lobbying israélien. Les

think tanks néoconservateurs les plus influents sont l’American Enterprise Institute (AEI), le

Project for the New American Century (PNAC) et The Heritage Foundation. Les auditions

(hearings) de la Commission des Affaires Étrangères de la Chambre des Représentants m’ont

par ailleurs permis la connaissance de personnalités influentes au Congrès, telles que la

députée Ileana Ros-Lehtinen, présidente de la sous-commission sur le Moyen-Orient et

l’Afrique du Nord et de la Commission du 3 janvier 2011 au 3 janvier 2013. Cette députée

républicaine, que nous avons déjà mentionnée dans l’introduction, représente le 27e district de

Floride. Il est intéressant de noter qu’elle fut récompensée en 2013 du Prix de « l’Amie

d’Israël Championne de la Liberté » par le centre Young Israel of Kendall pour

l’enrichissement de la vie juive en Floride. La Présidente de la Commission est donc un

fervent soutien à Israël ; elle est notamment convaincue du caractère essentiel de l’alliance

stratégique américano-israélienne pour les intérêts sécuritaires des deux pays57. Une des

56

Justin Vaïsse, Neoconservatism: A Biography of a Movement, Boston, Belknap Press of Harvard University Press, 2010, 376 pages. Voir aussi son article publié par Brookings Institution: “Why Neoconservatism Still Maters”, May 2010, http://www.brookings.edu/research/papers/2010/04/05-neoconservatism-vaisse, accessed April 6, 2014. 57

Website of Congresswoman Ileana Ros-Lehtinen, “Where I stand – Foreign Affairs”, http://ros-lehtinen.house.gov/issue/foreign-affairs, accessed April 29, 2014.

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institutions les plus récentes et les plus robustes du mouvement néoconservateur est la Foreign

Policy Initiative (FPI), créée au printemps 2009 sous la direction de Bill Kristol, Robert

Kagan et Dan Senor. Lorsqu’en juin 2009 l’Égypte annonça qu’elle renouvelait sa loi

d’urgence, loi qui avait pu autoriser des violations des droits de l’Homme dans le pays, Hillary

Clinton reçut une lettre du groupe de travail sur l’Égypte de la Fondation Carnegie. Ce groupe

de travail était composé d’universitaires de différents horizons, mais notamment de

néoconservateurs et comptait Robert Kagan parmi eux. La lettre appelait l’administration

Obama à conduire l’Égypte sur le chemin de la réforme, en sa qualité de contributeur

primordial au développement économique du pays. « Le même jour, le département d’État

publiait une déclaration de la secrétaire Clinton, faisant écho aux sentiments de ladite

lettre58 ». La politique étrangère de l’administration Obama doit donc être comprise comme

alimentée par une multitude de lobbies et think tanks. Ces groupes apportèrent des influences

différentes au sein du gouvernement au moment du Printemps arabe ; l’administration Obama

ne put alors pas être considérée comme monolithique. Le docteur James McGann distingue

ainsi deux personnalités dans le style de gouvernement d’Obama ; il affirme que le decision

making du Président démocrate hésite constamment entre un centrisme plutôt pragmatique et

technocratique, et un progressisme idéaliste et activiste :

“ In terms of the style of governing, I saw in Obama two distinct personalities (…) One is

centrist, pragmatic, and technocratic, and the other is progressive, idealist, and activist. So

these are two of the same distinctly different approaches to governing that are, I think, very

much reflected in Obama and how he governs and is reflected in the institutions that he has

gone to for advice. And the two institutions that we have thoroughly documented in terms of

the largest number of both advisors, surrogates, and then into the Administration, are

Brookings and the Center for American Progress. And Brookings would be on the centrist,

pragmatic, and technocratic, and CAP, Center for American Progress, would be on the

progressive side”59.

Il qualifia comme centriste la politique choisie par le Président démocrate dans des domaines

tels que la défense et la lutte contre le terrorisme. Nous pouvons établir l’hypothèse de

58

“Think tank: Neocons’ influence remains strong under Obama”, The Raw Story, June 9, 2010, http://www.rawstory.com/rs/2010/06/09/tank-neocons-influential-obama-years/, accessed February 9, 2014. 59

James McGann, article cité.

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retrouver ces deux personnalités de gouvernement, pragmatique et idéaliste, dans la réaction

de l’administration Obama face aux insurrections arabes. Justin Ruben, directeur exécutif du

lobby sur Internet MoveOn.org, résuma ainsi la difficulté d’un agenda du changement pour le

Président démocrate :

“We're in an era now where we have a president who has committed to a transformative

agenda of progressive change, but it's absolutely clear that change will be impossible without

enormous involvement from the grass roots (…) It's not enough to change who's in power” 60.

Ces propos avancent l’idée que toute administration américaine s’inscrit dans une certaine

structure, dont l’influence reste puissante pour la conduite de toute politique future.

C’est ce que nous avons voulu montrer dans ce premier chapitre sur les forces profondes

américaines dans la région, entre l’historique des intérêts américains dans le monde arabe et le

paysage des lobbies et think tanks à Washington. Ces deux éléments forment une structure

dans laquelle l’administration Obama a dû évoluer. Par ailleurs, une administration doit se

construire dans la conjoncture particulière de succession d’une autre administration : le

gouvernement Obama s’est installé après huit années de mandat de George W. Bush.

2. L’administration Obama, l’hypothèse d’une « rupture dans la

continuité »

La diplomatie Obama, à rebours de l’héritage Bush-Cheney, chercha à prouver sa volonté de

réorientation de la diplomatie américaine et de l’enjeu démocratique dans le monde arabe.

Cependant, si telle était la volonté exprimée par le Président démocrate, il s’agit de

comprendre que l’administration Obama témoigna tout de même d’une certaine continuité par

rapport à la précédente administration. Cette observation est essentielle à retenir dans l’étude

de la réaction des États-Unis face au Printemps arabe.

2.1 Une administration succédant à huit années de gouvernement Bush-Cheney

Dans son discours du 15 juillet 2008 consacré à la sécurité nationale, le candidat démocrate

Obama rejetait la politique étrangère menée pendant huit ans par le gouvernement républicain

60

Ibid.

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de G. W. Bush et proposait une toute nouvelle direction pour la future politique étrangère du

pays :

“I am running for President of the United States to lead this country in a new direction – to

seize this moment’s promise. Instead of being distracted from the most pressing threats that we

face, I want to overcome them. Instead of pushing the entire burden of our foreign policy on to

the brave men and women of our military, I want to use all elements of American power to

keep us safe, and prosperous, and free. Instead of alienating ourselves from the world, I want

America – once again – to lead”61.

A. Un lourd héritage dans le monde arabe

L’héritage du Président G. W. Bush dans le monde arabe est particulièrement lourd, marqué

par les guerres en Afghanistan et en Irak et articulé autour de l’« Initiative pour le Grand

Moyen-Orient », développée à partir de 2004 dans la continuité de l’ « Initiative de Partenariat

au Moyen-Orient » lancée par le département d’État le 12 décembre 2002. Les deux

interventions militaires américaines présentent en effet un bilan très critiqué. L’administration

Bush est accusée des déchirements communautaires ayant succédé aux conflits ; l’Irak connut

la guerre civile. Aussi, l’administration Bush fut critiquée pour son action au cœur même du

conflit : torture dans les prisons afghanes de Bagram et irakienne d’Abou Graïb, méthodes

extrajudiciaires pour interroger les suspects, etc. La stratégie pour le « Grand Moyen-Orient »,

influencée par des théories néoconservatrices telles que celles du secrétaire à la Défense

Donald Rumsfeld et secrétaire adjoint à la Défense Paul Wolfowitz pour ne citer que les plus

connus, présenta un aspect idéologique puissant. Pour Catherine Croisier, chercheur associé à

l’ Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), « les États-Unis n’ont eu cesse

(en prenant soin toutefois de ménager les susceptibilités de régimes alliés stratégiques peu

conformes aux critères démocratiques) de rappeler leur volonté de libérer les peuples du joug

de leurs dictateurs et de ramener la paix et la démocratie dans une partie du monde dont le

potentiel déstabilisateur en faisait une zone particulièrement sensible et au cœur de l’intérêt

61

Obama’s Remarks on Iraq and Afghanistan, Speech in Washington, July 15, 2008, http://www.nytimes.com/2008/07/15/us/politics/15text-obama.html?pagewanted=all&_r=0, accessed April 6, 2014.

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national américain62 ». L’administration Bush avait ainsi tendance à postuler une

incompatibilité structurelle entre islam et démocratie. Neuf jours après le drame du 11

septembre 2001, l’adresse télévisée du Président Bush était sans appel; elle opposait

structurellement et violemment les Américains et les peuples arabes :

“They hate our freedoms –our freedom of religion, our freedom of speech, our freedom to vote

and assemble and disagree with each other (…) These terrorists kill not merely to end lives,

but to disrupt and end a way of life”63.

Alors même que le Président Bush ne visait que les terroristes par le pronom « ils » de son

discours, il put être interprété dans le monde arabe comme un rejet systématique des

populations arabes dans leur ensemble. Cette rhétorique néoconservatrice fut largement

dénoncée pour ses aspects messianiques, voire interventionnistes. Il s’agissait d’imposer un

changement de régime (regime change), notamment en Irak, en s’appuyant sur des alliés

(Égypte et Arabie Saoudite) dont les réformes n’étaient plus jugées suffisantes64. Cette

politique fut rejetée par les populations arabes, en parallèle de la perception d’un soutien

automatique des États-Unis en faveur d’Israël, bloquant un éventuel processus de paix avec la

Palestine. En effet, Bush soutint Israël dans les guerres du Liban de juillet et août 2006 et de

Gaza de décembre 2008, terminée en janvier 2009 à la veille de l’investiture de Barack

Obama. Sous sa présidence, « les populations, du Maghreb au Machrek, étaient convaincues

de la partialité, de l’unilatéralisme et de l’injustice de la position officielle états-unienne65 ».

Le programme électoral d’Obama paru en 2008, « Blueprint for Change », posa au

contraire la guerre en Irak comme principal obstacle à la sécurité américaine. Le chapitre du

programme électoral concernant la politique étrangère rappela que le sénateur Obama s’était

opposé depuis 2002 à cette guerre et appela à un retrait progressif des troupes américaines du

pays à l’été 2010. Seule une force résiduelle resterait en Irak pour mener des missions contre

62

Catherine Croisier, « La doctrine Bush de remodelage du Grand Moyen-Orient: entre idéalisme et pragmatisme », Diploweb, juin 2005, http://www.diploweb.com/forum/croisier1.htm, consulté le 8 avril 2014. 63

Little Douglas, op. cit., p. 1. 64

Philippe Droz-Vincent, « Du 11 septembre aux révolutions arabes : les Etats-Unis et le Moyen-Orient », in « Après le 11 septembre : les Etats-Unis et le Grand Moyen-Orient », Politique Etrangère, Automne 2011/3, p. 3. 65

Amine Ait-Chaalal, article cité, p. 42.

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le terrorisme66. La politique étrangère de l’administration Obama s’est donc en partie

construite en opposition et en réponse aux défauts de l’administration Bush.

B. Une rupture déjà amorcée avant l’administration Obama et une rupture à nuancer

Deux simplifications de la réalité doivent cependant être évitées dans l’étude de la politique

étrangère de l’administration Obama et lorsque nous avançons la « rupture » qu’elle a

représenté dans le monde arabe. Le premier élément à noter est que l’administration Obama

n’a pas été la première contestation de la politique étrangère du Président Bush au Moyen-

Orient. Le deuxième élément à ne pas oublier est que la diplomatie démocrate n’a pas renié

dans tous ses aspects la politique étrangère républicaine qui avait été menée.

Des opinions dissidentes se faisaient déjà entendre à la Maison Blanche avant l’arrivée

de Barack Obama, et cette atmosphère de critiques a pu encourager une nouvelle orientation

de la politique étrangère américaine, telle qu’elle sera annoncée par Barack Obama.

Les critiques furent exprimées par des personnalités politiques, des universitaires, mais aussi

dans la presse et les lobbies. L’ancien président Carter, par exemple, contesta la systématicité

du soutien américain au gouvernement d’Israël, notamment en Palestine. En 2006, ce lauréat

du Prix Nobel de la Paix 2002 publia l’ouvrage Palestine : Peace not Apartheid. Il y affirma

que le contrôle continu et la colonisation par Israël des terres de Palestine étaient les premiers

obstacles à l’établissement d’un accord de paix durable au Moyen-Orient. La même année, les

professeurs de relations internationales John Mearsheimer et Stephen Walt publièrent The

Israel Lobby and US Foreign Policy, article que nous avons déjà évoqué précédemment.

Un paragraphe dénonça l’opposition stérile et simplificatrice établie entre les « Israéliens

vertueux » et les « Arabes diaboliques »67. Pour faire le lien avec les pays nous intéressant

particulièrement, nous pouvons relever le passage où les auteurs accusèrent les Forces de

Défense d’Israel (Israel Defence Forces – IDF) du meurtre de centaines de prisonniers de

guerre égyptiens, dans les guerres de 1956 et de 196768. Ils reprirent l’exemple de ces deux

guerres pour montrer qu’Israël, souvent présentée comme un pays « faible et assiégé », profita

66 Campaign Program, “Blueprint for Change, Obama and Biden’s Plan for America”, 2008, p. 35, https://www.documentcloud.org/documents/550007-barack-obama-2008-blueprint-for-change.html, accessed April 6, 2014. 67

John J. Mearsheimer and Stephen M. Walt, article cité, p. 11. 68

Ibid, p. 12.

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52

en réalité de rapides victoires lors de ces deux conflits, et ce avant l’envoi de la large aide des

États-Unis vers le pays69. 2006 fut aussi l’année de publication du rapport de la Commission

Baker-Hamilton (Iraq Study Group) qui avança la nécessité de réévaluer les politiques

américaines, spécialement sur la question israélo-palestinienne. Apparu en 2007, le lobby J

Street permit aussi une certaine critique juive du gouvernement d’Israël à Washington.

Présenté comme le lobby juif de la « majorité silencieuse »70, il se définit comme « refuge

politique pro-Israel et pro-paix ». Ses positions, à contre-courant de la ligne stricte défendue

par Benjamin Netanyahou, furent susceptibles de « récupérer le centre » et de faire du lobby

un « nouvel acteur dans l’élaboration de la politique étrangère américaine au Moyen-

Orient »71. Pendant les guerres du Liban et de Gaza, la presse eut aussi l’occasion de s’ajouter

au débat, critiquant les politiques israéliennes et l’alignement des États-Unis à plusieurs

reprises. Enfin, en 2008, les politiques menées au Moyen-Orient par l’administration Bush-

Cheney furent critiquées, peu avant l’élection présidentielle, dans l’ouvrage d’entretiens

America and the World. Conservations on the Future of American Foreign Policy. Deux

personnalités éminentes de la politique étrangère américaine, Zbigniew Brzezinski et Brent

Scowcroft, y formulèrent des critiques très sévères des politiques menées par l’administration

Bush et Cheney finissante, notamment au Moyen-Orient. Ainsi, si la politique étrangère de

l’administration Obama se proclama en rupture avec celle de l’administration Bush, cette

rupture avait déjà été amorcée avant l’arrivée au pouvoir du Président démocrate.

Par ailleurs, les analystes politiques trouvèrent certaines continuités entre les politiques

étrangères de Bush et Obama. La conduite effective des politiques d’Obama apparut alors en

contradiction avec ses promesses de campagne. Malgré les dires du candidat démocrate et la

signature d’un décret le 22 janvier 2009, la prison de Guantanamo, par exemple, n’a toujours

pas été fermée à ce jour. Au mois de janvier 2014, plus de 150 hommes y étaient encore

69

Ibid, p. 12, in Trevor N. Dupuy, Elusive Victory: The Arab-Israeli Wars, 1947-1974, New York, Harper and Row, 1978, pp. 3-19, 121-125, 146-147, 212-214, 231-244, 333-340, 388-390, 597-605, 623-633. 70 Pauline Peretz, « J Street, le lobby de la ‘majorité silencieuse’ –une nouvelle voix critique dans la communauté juive américaine », La Vie des Idées, 20 novembre 2009, http://www.laviedesidees.fr/J-Street-le-lobby-de-la-majorite.html, consulté le 8 février 2014. 71

Pauline Peretz, « J Street, nouvel acteur de la politique américaine au Proche-Orient ? », Politique Américaine, N°18, 2010/3, p. 97.

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détenus, « la plupart sans avoir été inculpés ou jugés »72. Au sujet de l’Irak, lors de sa

campagne de 2008, le candidat démocrate promit une nouvelle mission à l’armée américaine :

mettre fin à la guerre en Irak. Les dernières troupes américaines quittèrent en effet l’Irak en

décembre 2011, mais ce départ avait en réalité commencé à être négocié entre les États-Unis

et les autorités irakiennes sous les auspices de G. W. Bush, à la fin de l’année 200873, alors

que les États-Unis se préparaient à la transition présidentielle. Le Président républicain a ainsi

« pu donner plus de flexibilité au Président élu Barack Obama dans l’accomplissement de sa

promesse de campagne de ramener les troupes à la maison »74. Lors du débat présidentiel du

16 octobre 2012, presque un an après le retrait des forces américaines, Mitt Romney attaqua le

Président Obama sur le thème de l’Irak. Le candidat républicain souligna l’incohérence de

l’administration Obama : après avoir contesté la guerre en Irak et souhaité sa fin,

l’administration y avait élargi une mission d’entraînement militaire. En effet, la fin de l’année

2011 approchant, l’administration Obama et notamment le Secrétaire de la Défense Leon

Panetta, négocièrent avec l’Irak dans le but de conserver 3000 à 5000 militaires sur place pour

aider à la formation des forces de sécurité irakiennes75. Au sujet de l’Afghanistan, une des

premières actions du Président fut l’autorisation d’une augmentation de 33 000 troupes sur

place en décembre 2009, au regard des Strategic Reviews du Département de la Défense

parues en mars et septembre 2009. Le discours à West Point du 2 décembre 2009, dans lequel

il annonça cette décision, fut commenté comme s’inscrivant dans la tradition du Président

Bush et de la rhétorique de la « guerre juste »76. Lors de sa campagne pour un second mandat

en 2012, Obama promit un retrait des troupes d’Afghanistan pour la fin de l’année 2014, ce

72

Geneviève Garrigos pour Amnesty International, « Guantánamo, la promesse non tenue d'Obama : les États-Unis doivent rendre des comptes », Le Nouvel Observateur, 22 janvier 2014, http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1133328-guantanamo-la-promesse-non-tenue-d-obama-les-etats-unis-doivent-rendre-des-comptes.html, consulté le 7 avril 2014. 73

Greg Bruno, “U.S. Security Agreements and Iraq”, Council on Foreign Relations, December 23, 2008, http://www.cfr.org/iraq/us-security-agreements-iraq/p16448, accessed April 7, 2014. 74

Michael Abramowitz, “Bush Reversal on Iraq Deadline Gives Obama Breathing Room”, The Washington Post, November 18, 2008, http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/story/2008/11/18/ST2008111801122.html?sid=ST2008111801122, accessed April 7, 2014. 75

CNN Fact Check, “Romney, Obama and Iraq”, October 23, 2012, http://edition.cnn.com/2012/10/23/politics/fact-check-iraq/, accessed April 7, 2014. 76

Gilles Vandal, La doctrine Obama, Fondements et aboutissements, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2011, 215 pages, p. 178.

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qu’il répéta dans son discours sur l’état de l’Union le 28 janvier 2014. Cependant, les talibans

restent encore aujourd’hui puissants dans certaines parties du pays, notamment au Sud et à

l’Est, et peuvent ainsi mettre en échec, ou tout du moins en doute, la promesse américaine de

retrait. De plus, les élections présidentielles en Afghanistan du samedi 5 avril 2014, dont le

second tour doit encore être réalisé le 14 juin 2014 prochain, pourraient encore changer les

relations entre Washington et Kaboul. Par ailleurs, l’administration Obama sembla avoir

adopté une partie de la doctrine Bush de l’anticipation en matière de défense et de lutte

antiterroriste (preemption doctrine). Concernant les attaques par drones, le département de la

Justice se fonda sur une définition extensive du risque « imminent », rappelant la stratégie de

sécurité nationale développée par G.W. Bush en 2006 (elle-même inspirée de la stratégie

controversée de 2002)77. En gérant le lourd héritage Bush-Cheney, le Président Obama a donc

dû faire face à la prégnance du phénomène de « militarisation de la politique étrangère » qui

continua de se faire sentir en Irak et en Afghanistan78. Le Pentagone continua de peser sur les

décisions américaines dans la région, et Robert Gates devint d’ailleurs le premier secrétaire à

la Défense maintenu après un changement d’administration. Dès lors, bien que visant à

s’inscrire à rebours de la diplomatie Bush-Cheney, nous pouvons postuler que l’administration

Obama opéra plutôt une « rupture dans la continuité79 ». Le discours

L’élaboration de la politique étrangère de l’administration Obama put témoigner de certains

emprunts aux doctrines Bush-Cheney, ou, au moins, dut prendre en compte son héritage.

Ces deux idées sont à garder à l’esprit pour nuancer nos propos lorsque nous postulons que

l’administration Obama s’est inscrite « en rupture » avec l’administration Bush. Néanmoins,

les discours du Président démocrate, sa stratégie déclaratoire et son langage diplomatique,

argumentèrent d’une réelle rupture, dont l’emblème peut être le discours du Caire.

77

Peter Feaver, “Obama’s embrace of the Bush doctrine and the meaning of ‘imminence’”, Foreign Policy, February 5, 2013, http://shadow.foreignpolicy.com/posts/2013/02/05/obamas_embrace_of_the_bush_doctrine_and_the_meaning_of_imminence, accessed April 7, 2014. 78

Philippe Droz-Vincent, article cité, p. 2. 79

Amine Ait-Chaalal, article cité, p. 41.

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2.2 L’emblème de la volonté de rupture du Président Obama : le discours du Caire

Dans son adresse inaugurale déjà, le 21 janvier 2009, le Président démocrate identifiait les

enjeux internationaux en présence et appelait le monde à entrer dans une « ère de

responsabilité ». Ce sens de la modestie et du devoir est caractéristique de l’ensemble de la

« doctrine Obama » et de ses discours. En tant que grand admirateur d’Abraham Lincoln,

Barack Obama expliqua notamment dans son ouvrage L’audace d’espérer, une nouvelle

conception de la politique américaine, paru en septembre 2007, que tout dirigeant devait

« assumer ses responsabilités avec humilité » (page 219). Ainsi, si l’on eut tendance à

attribuer à Obama un « idéalisme wilsonien », il s’agit de comprendre l’importance donnée au

pragmatisme et au réalisme dans sa doctrine et ses discours. Il fut notamment influencé par les

enseignements des réalistes G. Kennan et R. Niebuhr, théologien80. Ainsi, si Barack Obama

utilisa le concept d’exceptionnalisme américain, il rejeta celui d’un exceptionnalisme bâti sur

la vision erronée d’une « Amérique pure et innocente », leurre développé par la droite

chrétienne et qui aurait abouti à commettre des erreurs telles que l’invasion de l’Irak. « La

vision du monde d’Obama se situe à l’opposé de cette pensée : elle repose sur un réalisme

chrétien, qui non seulement accepte la séparation de l’Eglise et de l’Etat, mais reconnaît aussi

les limites des individus et des gouvernements (…) Elle tient compte de la nature humaine, de

l’humanisme laïc et de ses manifestations culturelles et politiques »81.

C’est dans cette doctrine particulière, plus proche d’un « réalisme traditionnel que d’un

libéralisme classique, situation inhabituelle pour un Démocrate en termes d’écoles

historiques »82, qu’il faut replacer sa recherche annoncée d’un nouveau départ aux côtés du

monde musulman :

“We are a nation of Christians and Muslims, Jews and Hindus, and non-believers” (…) “To

the Muslim world, we seek a new way forward, based on mutual interest and mutual

respect”83.

80

Gilles Vandel, op. cit., p. 88. 81

Ibid. 82 Ryan Lizza, “The Consequentalist – How the Arab Spring remade Obama’s foreign policy”, The New Yorker, May 2, 2011, http://www.newyorker.com/reporting/2011/05/02/110502fa_fact_lizza?currentPage=all, accessed April 30, 2014. 83

President Obama’s Inaugural Address, The White House Blog, January 21, 2009, http://www.whitehouse.gov/blog/inaugural-address, accessed February 8, 2014.

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Cette recherche fut confirmée et précisée lors de son discours à l’Université du Caire, le 4 juin

2009. En amont des premiers événements du Printemps arabe, et devant 1,5 milliards de

musulmans, Obama sembla avoir anticipé l’idée que les pays arabes ne pouvaient demeurer

dans la situation dans laquelle ils étaient plongés. Le discours du Caire fut représentatif des

deux styles de gouvernement d’Obama, dégagés plus haut par le docteur James McGann,

hésitant entre des propos idéalistes et réalistes.

A. Un discours idéaliste tourné vers l’espoir du futur

Le discours traduisit l’ambition américaine d’écrire, au Moyen-Orient, un nouveau chapitre de

son histoire. Le mot « nouveau » fut utilisé plus de cinq fois dans le discours. C’est d’un

puissant « al-salam aylekum » que le Président des États-Unis renforça ses propos

introductifs. Il remercia tout d’abord l’hospitalité de la ville du Caire, de son Université et de

ses habitants, vantant l’Égypte comme représentante de l’ « harmonie, entre transition et

progrès ». Le mot « progrès » fut utilisé cinq fois dans ce discours, généralement associé à

« l’apprentissage » et à « l’éducation », mentionnés respectivement deux et trois fois. Les

remarques du Président au Caire offrirent donc à l’égard de l’Égypte une confiance renouvelée

dans son rôle de « modèle » et vanta les apports de l’islam en général aux sociétés modernes ;

le mot « modernité » apparut trois fois dans le discours. Le Président courtisa donc l’auditoire

musulman, et cela à « l’une des tribunes les plus virulentes de l’anti-américanisme depuis la

guerre en Irak »84, ce qui participa à lui donner son caractère historique. Sa présence au Caire

ce 4 juin 2004, expliqua-t-il, fut permise à la fois par la bonne volonté des Américains et de la

communauté musulmane présente sur le sol américain, sur laquelle il insista à plusieurs

reprises. En parallèle de cette confiance dans la communauté musulmane, le Président se

montra confiant dans un nouvel avenir pour les relations américano-arabes. Cette projection

dans le futur est un aspect essentiel de la culture politique américaine que le Président Obama

a largement exploité dans ses discours, pour ne mentionner que son slogan électoral « Yes we

can »85. Cette idée fut illustrée dans ce dicours par les mots « aspirations », « rêve », « futur »,

84

Retour critique sur le Discours du Caire de Barack Obama, Perspectives Géopolitiques, WordPress, 8 juin 2009, http://perspectivesgeopolitiques.wordpress.com/2009/06/08/retour-critique-sur-le-discours-du-caire-de-barack-obama/, consulté le 7 mai 2014. 85

Gilles Vandal, op. cit., p. 90.

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« patience » et « move forward », expression employée à deux reprises. Une telle confiance en

l’avenir et en la perfectibilité de l’union américaine valide les théories de l’exceptionnalisme

américain et de sa « Destinée manifeste » (Manifest Destiny).

Néanmoins, nous avons expliqué plus haut que la doctrine Obama relevait plutôt d’un

réalisme chrétien que d’un idéalisme pur; son utilisation du concept d’exceptionnalisme

américain fut donc nuancée. Le Président reconnût la difficulté à atteindre le but de « paix »,

exprimé dix fois. Il s’essaya à une explication du blocage du processus : « ne voir que ce qui

sépare les deux ensemble revient à donner plus de pouvoir à ceux voulant substituer la

violence et la colère à la paix ». Ainsi, c’est la méthode de la mise en valeur des points

communs et des intérêts partagés qui fut proposée pour parvenir à ce nouveau partenariat :

“I've come here to Cairo to seek a new beginning between the United States and Muslims

around the world, one based on mutual interest and mutual respect, and one based upon the

truth that America and Islam are not exclusive and need not be in competition. Instead, they

overlap, and share common principles -- principles of justice and progress; tolerance and the

dignity of all human beings.86”

Nous pouvons lire, tout au long du discours, des expressions appelant à s’appuyer sur ces

points communs entre les Etats-Unis et les « Musulmans » (cités vingt-six fois), leur

« religion » (citée dix fois) et « foi » (citée huit fois) : l’islam (citée douze fois). Le nom

« partage » ou le verbe « partager » fut utilisé huit fois, le mot « commun » quatre fois,

« partenariat » trois fois et « consensus » deux fois. Nous notons aussi les apparitions du mot

« ensemble ». Dans un puissant exemple de « tolérance » (mot cité quatre fois), Barack

Obama s’appuya sur le Coran pour montrer la voie d’une nouvelle relation entre les Etats-

Unis et le monde musulman : « As the Holy Koran tells us, "Be conscious of God and speak

always the truth". » Il conclua son discours en citant le Coran, la Torah et la Bible. « Merci. Et

que la paix de Dieu soit avec vous ». Avec plus de 1200 mosquées aux États-Unis et une

communauté musulmane ayant participé à l’Histoire du pays, le message du discours du Caire

fut porteur d’espoirs pour le monde musulman et ses relations avec l’Amérique du Nord :

« Islam is a part of America ». Lorsque le Président ajouta qu’ « il n’y a pas juste des idées

86

President Obama’s Speech in Cairo, “A New Beginning”, The White House Blog, June 4, 2009, http://www.whitehouse.gov/blog/NewBeginning/transcripts, accessed February 8, 2014.

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américaines, il y a des droits de l’homme. Et c’est pourquoi nous les supporterons partout »,

un membre de l’audience s’écria, « Barack Obama, we love you » !

Cet élan d’émotion, interrompant le discours du Président américain au Caire et

retranscrit dans la publication de presse de la Maison Blanche, est très intéressant car il met en

avant un point essentiel préexistant au Printemps arabe : le « personnage » Obama. Son

acceptation du Prix Nobel en 2009 renforça encore l’aura du Président. Au Moyen-Orient,

l’élection de Barack Obama en novembre 2008 fut généralement appréhendée comme un

espoir de changement de la politique étrangère américaine. Le Président égyptien, Hosni

Moubarak, accueillit de bonne foi cette arrivée au pouvoir, en soulignant tout de même ses

profondes attentes à l’égard du Président américain dans le règlement du conflit israélo-

palestinien, minant la stabilité de la région du Moyen-Orient. Le Président tunisien Ben Ali

envoya un message de félicitations au Démocrate et lui assura qu’il était convaincu que les

relations entre les deux pays allaient être renforcées et qu’il était prêt à travailler en commun

pour apporter une paix durable au Moyen-Orient87. En 2012, Obama confirma cette idée en

déclarant « J’ai pris l’engagement de changer la trajectoire de la politique étrangère

américaine 88». Cette « aura » autour de son personnage fut bien comprise dans la

communication du Président américain, qui usa allègrement de la méthode de communication

du « story telling » en mettant en scène son histoire personnelle. Le story telling fait appel aux

sentiments et aux émotions ; la méthode invite l’auditoire à s’identifier à la personne mise en

scène dans le discours, ou tout du moins à reconnaître son « humanité ». Le discours

victorieux du sénateur Obama en tant que Président élu, le 4 novembre 2008, humanisait par

exemple un vote, celui d’Ann Nixon Cooper, qui pouvait enfin voter à 106 ans malgré son

sexe féminin et sa couleur de peau noire. Au Caire, Obama rappela l’origine kenyane de son

père et l’auditoire apprit comment, bien qu’il soit chrétien, il entendit retentir le azaan durant

sa jeunesse. Il dit aussi avoir rencontré beaucoup de communautés à Chicago qui avaient

trouvé la paix en l’islam ; son passé fit partie intégrante du discours du Caire.

87

"President Ben Ali congratulates President-elect Barack Obama on his victory", Tunisia Online News, November 5, 2008, source Wikipedia. 88

President Obama, Interview by Fareed Zakaria in the Oval Office, Excerpts in “Obama’s World”, January 18,

2012, TIME Magazine, Vol. 179 No. 4, January 30, 2012, pp. 20-23.

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B. Un discours pragmatique marqué par l’Histoire et les forces profondes

En parallèle du passé de Barack Obama, celui des États-Unis occupa aussi une place de choix

dans le discours du Président. L’Histoire entre les deux régions fut développé en filigrane de

l’ensemble du discours. Barack Obama y rappela leurs tensions ; le mot « tension » fut utilisé

six fois, aux côtés des mots « peur » et « manque de confiance », utilisés tous les deux cinq

fois. Entre les lignes, ce sont donc les forces profondes des États-Unis et leurs intérêts dans la

région qui peuvent être décelées. Il qualifia les tensions entre les mondes occidental et oriental

comme très anciennes, ancrées dans des traditions historiques, au-delà des contextes

politiques : « Les extrémismes de certains musulmans ont amené les Américains à voir l’islam

comme non seulement ennemi des États-Unis et de l’Occident, mais aussi des droits de

l’homme ». A ces sentiments dangereux de « peur », « manque de confiance » et « tensions »,

le Président américain répondit par un engagement personnel à achever un « cycle de défiance

et de discorde ». Le mot « responsabilité », déjà dégagé lors de son adresse du 21 janvier

2009, fut encore très présent dans le texte du discours du 4 juin 2009. L’ « engagement » fut

mentionné cinq fois dans le discours du Caire, la « patience » deux fois, puis la « conscience

collective » et « bonne volonté », une fois chacun. Ce discours illustre donc le paradoxe de la

position américaine au Moyen-Orient, entre idéalisme « mélioriste » et pragmatisme empreint

d’Histoire et d’intérêts stratégiques. Les propos du Président Obama restèrent plutôt généraux,

peu indicatifs des prochaines actions des États-Unis au Moyen-Orient, mais purent aussi être

décrits comme « honnêtes », le texte étant nuancé et s’intéressant aux détails, notamment

culturels et religieux. Nous pouvons ainsi voir le discours du Caire comme préfiguration de la

réponse ambivalente des États-Unis au Printemps arabe. La contradiction entre forces

profondes et volonté de rupture fut évidente dans la formulation de sa réaction.

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Chapitre 2 : Une légitimation progressive des mouvements

populaires par l’administration Obama, à la faveur de la chute des

régimes en place

En descendant dans les rues, les Tunisiens, puis les Égyptiens, ont montré la fragilité

intrinsèque des régimes autoritaires. Ils ont ainsi pu faire écho à la croyance américaine en la

défaite du despotisme et au triomphe des idéaux démocratiques. Sur la place Al Tahrir,

certains manifestants reprirent même le slogan électoral de Barack Obama – Yes we can89.

Pour autant, l’administration Obama a-t-elle spontanément et directement soutenu ces

insurrections populaires ?

1. Un soutien attendu de l’administration Obama ?

L’administration Obama refusa le projet de transformation « mécanique » du monde arabe tel

que développé par la politique étrangère de G. W. Bush car cette politique « s’intéressait

moins aux sociétés et aux dynamiques locales, qu’à ce que Washington définit comme des

intérêts »90. A contrario, le Président Obama ambitionna à la conception d’une politique plus

crédible aux yeux des populations arabes et cette ambition fut illustrée dans nombre de ses

discours de début de mandat. Le 26 janvier 2009, une semaine seulement après son

investiture, c’est à la chaîne arabe Al Arabiya que le Président élu accorda une interview91. Il

y insista sur l’implication des États-Unis dans la région, son but de « paix » (mot utilisé cinq

fois) et les moyens d’y parvenir : le respect et les « intérêts mutuels » (idée répétée neuf fois).

Cette idée revint lors de ses vœux au Nouvel An iranien (Norouz) le 21 mars 2009 et dans ses

discours « engageant le monde »92, à Prague le 5 avril 2009, à Moscou le 7 juillet 2009, à

89

Editorial de Bichara Khader, professeur et directeur du centre d’études et de recherches sur le monde arabe contemporain (Cermac), « Le ‘printemps arabe’, un premier bilan », Alternatives Sud, Volume 19-2012 / 2, Paris, Centre Tricontinental et Editions Syllepse, 2012, p. 9. 90

Philippe Droz-Vincent, article cité, p. 4. 91 Président Obama, Entretien accordé le 26 janvier à Hisham Melhem, Chaîne Al Arabiya, http://iipdigital.usembassy.gov/st/french/texttrans/2009/02/20090203124224xjsnommis0.6337244.html#ixzz2yJCPeRes, consulté le 8 avril 2014. 92

Michael Zubrow, “Obama engages the world”, BBC News, July 13, 2009, http://news.bbc.co.uk/2/hi/americas/8146286.stm, accessed April 8, 2014.

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Accra le 11 juillet 2009 et bien sûr au Caire le 4 juin 2009, comme nous l’avons déjà vu.

Nous pouvons ainsi faire l’hypothèse qu’un « esprit du Caire » se développa à ce moment

dans le monde arabe à l’égard de la politique étrangère américaine. Les chiffres de l’institut

statistique Gallup peuvent être lus dans ce sens: entre mars et octobre 2009, les taux

d’approbation du leadership américain dans la région augmentèrent dans dix des douze pays

de la Ligue Arabe. Néanmoins, nous ne devons pas attribuer à ces chiffres plus de valeur

qu’ils purent avoir pour la bonne construction de notre raisonnement. En Égypte par exemple,

ce taux bénéficia d’une hausse de douze points mais demeura bas (37% d’approbation)93. De

la même façon, en Tunisie, Gallup nota une amélioration du taux d’approbation de l’action

des États-Unis de 23 points entre juin 2009 et mars 2009, mais le taux de désapprobation resta

néanmoins supérieur à celui d’approbation (37% d’approbation contre 49% de

désapprobation)94.

Le discours du Caire ne doit donc pas être idéalisé quant à ses effets au sein des

populations arabes ; il fit en réalité l’objet de réceptions différenciées dans le monde arabe.

Certains éditorialistes, véhiculant une opinion plutôt élitiste dans le champ médiatique arabe,

y virent un réel changement de positionnement des États-Unis dans la région, tels que

l’égyptienne Hala Mustapha du quotidien Al-Ahram ou le Saoudien Turki Dakhil de la chaîne

implantée à Dubaï Al-Arabiya. Cependant, d’autres y répondirent avec scepticisme. Le

professeur égyptien et activiste en faveur des droits de l’Homme, Saad Eddine Ibrahim, par

exemple, resta méfiant quant aux propos du Président Obama. Il regretta même le choix de la

ville du Caire pour prononcer son discours annonçant un nouveau départ, argumentant que ce

choix légitimait encore le gouvernement de Moubarak95.

Par ailleurs, nous ne pouvons pas non plus affirmer que le discours du Caire rédigé par Ben

Rhodes répondit à toutes les attentes des populations arabes. Développant principalement un

aspect religieux en encourageant la tolérance et le respect mutuel entre l’islam et les autres

93

Gallup World, “Arab League Countries' Views of U.S. Leadership Up in 2009, Approval ratings increase in 10 of 12 countries between March and October”, January 13, 2010, http://www.gallup.com/poll/125054/arab-league-countries-views-leadership-2009.aspx, accessed April 8, 2014. 94 Gallup World, “Approval of U.S. Leadership Up in Some Arab Countries, Most remain low overall”, June 1, 2009, http://www.gallup.com/poll/118940/Approval-Leadership-Arab-Countries.aspx, accessed April 8, 2014. 95

Mohammed El Oifi, « Que reste-t-il de ‘l’esprit du Caire’ ? La réception du discours d’Obama par les opinions publiques dans le monde arabe », Politique Américaine n°18 « Nouveaux Regards sur la politique étrangère américaine au Moyen-Orient », 2010/3, pp. 37-55, p. 49.

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religions, le discours sembla encore croire que les enjeux au Moyen-Orient et en Afrique du

Nord étaient avant tout culturels. La diplomatie Obama, dans le prolongement de la diplomatie

Bush, prit appui sur des arguments culturels et des outils médiatiques dans le monde arabe,

comme la radio Sawa ou la télévision Al-Hurra. Or, les attentes des populations arabes étaient

aussi devenues politiques. En mai 2008, un sondage Gallup notait déjà le soutien au droit des

musulmans à élire leur propre gouvernement comme action significative qui apporterait aux

États-Unis une meilleure appréciation des Égyptiens96. La « théologisation » du discours du

Caire apparut ainsi en décalage avec les volontés des populations arabes97. Enfin, la question

restait entière : le discours du Caire devait-il simplement être considéré comme un nouveau

discours ou annonçait-il réellement une nouvelle politique des États-Unis? Les espoirs qui

purent exister en Égypte et en Tunisie quant à un soutien américain de leur lutte contre le

despotisme furent tout d’abord déçus.

2. La déception d’une position restant d’abord prudente face aux

dictatures menacées

Il s’agit de comprendre que la puissance américaine, de par ses intérêts stratégiques, était elle-

même associée au statu quo de la région, c’est-à-dire à la réalité des autoritarismes en place.

2.1 La crainte du bouleversement d’un statu quo

Alors même que l’on entendit le « Yes We Can » de Barack Obama scandé place Tahrir, les

premières semaines de mouvement populaire en Afrique du Nord ne bénéficièrent pas d’un

soutien déclaré du Président des États-Unis. Il est d’ailleurs difficile de trouver une

quelconque déclaration du Président Obama lors des premières semaines des soulèvements

populaires en Tunisie. Dans son adresse hebdomadaire du 18 décembre 2010, le lendemain de

la tentative d’immolation par le feu de Mohamed Bouazizi, le Président consacra presque la

moitié de ses propos à la politique étrangère. Il y a justifia l’importance d’un nouveau traité de

96 Gallup Poll, “Actions That Would Improve Egyptians’ Views of the United States”, May 2008, in “Opinion Briefing: U.S. Image in Middle East/North Africa”, January 27, 2009, http://www.gallup.com/poll/114007/Opinion-Briefing-Image-Middle-East-North-Africa.aspx, accessed April 8, 2014. 97

Mohammed El Oifi, article cité, p. 46.

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sécurité nucléaire, y évoqua la Fédération de Russie, Téhéran et l’Afghanistan, mais pas un

seul mot ne fut accordé aux événements tunisiens. Lorsque le 19 décembre se déroulèrent de

violents affrontements entre la police et les manifestants en Tunisie, la réaction américaine se

faisait toujours attendre. Les internautes tunisiens dénoncèrent le black-out total des médias

américains, ironisant les événements : « il n’y a pas d’émeutes à Sidi Bouzid, des Américains

tournent un film d’action »98. L’administration Obama fut en effet d’abord très surprise par la

rapidité des événements. Après l’échec de la « Révolution Verte » de juin 2009 en Iran, le

Président américain avait rédigé en août 2010 un mémorandum sur le potentiel insurrectionnel

de la région, « Political Reform in the Middle East and North Africa », qui circula parmi les

membres de son équipe de sécurité nationale99. L’administration y étudia les stratégies de

réforme politique, pays par pays, dans la région. Cependant, la CIA échoua à fournir à

l’administration de réelles alertes en amont de l’implosion des révolutions en Tunisie et en

Égypte. Ainsi, tandis que la société civile et les organisations internationales adoptèrent

presque instinctivement un regard solidaire sur les événements, émus par une « révolution aux

mains nues100 », le gouvernement américain fit d’abord preuve de plus de modération.

Néanmoins, les autorités américaines étaient bien conscientes des frustrations

économiques et politiques à l’œuvre en Tunisie et en Égypte, informées par les câbles des

diplomates américains sur place, révélés à posteriori par Wikileaks. Le 17 juillet 2009 par

exemple, un câble issu de Tunisie prévenait déjà Washington de la précarité du régime de Ben

Ali et des intérêts américains décroissants à le soutenir :

“President Ben Ali is aging, his regime is sclerotic and there is no clear successor. Many

Tunisians are frustrated by the lack of political freedom and angered by First Family

corruption, high unemployment and regional inequities. Extremism poses a continuing threat

(…) Tunisia is troubled and our relations are too”101.

98

Virginie Bettaïeb et al. (dir.), Dégage. La révolution tunisienne 17 décembre 2010 – 14 janvier 2011, Asnières-sur-Seine, Editions du Layeur, 2011, 239 pages, p. 20. 99 Nicholas Kitchen, article cité, p. 56. 100

Jean Pierre Estival, op. cit., p. 13. 101

Cable of the U.S. Embassy in Tunisia, “Troubled Tunisia: What should we do?”, July 17, 2009, revealed by Wikileaks and retrieved in The Guardian, World, December 7, 2010, http://www.theguardian.com/world/us-embassy-cables-documents/217138, accessed April 8, 2014.

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Aussi, les autorités américaines étaient lucides sur la nature corrompue et répressive des

régimes de Ben Ali et Hosni Moubarak. Les câbles diplomatiques révélés par Wikileaks

prouvèrent la connaissance américaine des violations des Droits de l’Homme perpétrés :

“Despite Tunisia's economic and social progress, its record on political freedoms is poor. Tunisia

is a police state, with little freedom of expression or association, and serious human rights

problems (…) For every step forward there has been another back, for example the recent takeover

of important private media outlets by individuals close to President Ben Ali”102.

Mais face à des régimes menacés, la première réaction des États-Unis fut marquée d’une

grande prudence pour ménager leurs alliés historiques. Les États-Unis favorisèrent la stabilité

des régimes dictatoriaux, préférés aux alternatives fondamentalistes. Un câble de mai 2009

dressait ainsi un portrait rassurant d’Hosni Moubarak comme dirigeant repoussant

l’extrémisme religieux et défendant à tout prix l’équilibre de son pays. Ce câble révèle aussi la

prise de conscience américaine de la montée en puissance des Frères Musulmans et le danger

qu’ils pouvaient représenter pour les intérêts américains dans le pays:

“Mubarak is a classic Egyptian secularist who hates religious extremism and interference in

politics. The Muslim Brothers represent the worst, as they challenge not only Mubarak,s

power, but his view of Egyptian interests. As with regional issues, Mubarak, seeks to avoid

conflict and spare his people from the violence he predicts would emerge from unleashed

personal and civil liberties. In Mubarak’s mind, it is far better to let a few individuals suffer

than risk chaos for society as a whole. He has been supportive of improvements in human

rights in areas that do not affect public security or stability” 103.

En ce sens, l’administration Obama suivit le raisonnement de l’administration Bush.

Lorsqu’en 2005, la secrétaire d’Etat Condoleezza Rice avait assuré au Caire que les États-

Unis ne sacrifieraient plus la liberté au prix de la stabilité, le secrétaire général du parti

d’opposition Tagammou, Hussein Abdel Razek, avait contesté la bonne foi américaine et

rappelé la réalité de ses forces profondes :

« L'appel de Rice en faveur de la démocratie vise à améliorer l'image de marque des Etats-Unis

dans la région et à y réduire les sentiments antiaméricains (…) Washington réclame quelques

102

Ibid. 103

Cable of the U.S. Embassy in Cairo, “Scenesetter: President Mubarak’s Visit to Washington”, May 19, 2009, revealed by Wikileaks and retrieved in The Guardian, World, December 9, 2010, http://www.theguardian.com/world/us-embassy-cables-documents/207723, accessed April 9, 2014.

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changements aux apparences démocratiques mais n'ira pas jusqu'à soutenir des changements

substantiels vers une réelle démocratie basée sur une alternance du pouvoir qui pourrait amener au

pouvoir des forces hostiles à sa politique dans la région »104.

Les politiques américaines pouvaient soutenir des programmes de réforme mais étaient

particulièrement méfiantes quant aux mouvements vers un changement de régime chez leurs

alliés. Un document de travail (working paper) de la Carnegie Foundation expliqua qu’à la

révolution, les États-Unis préféraient l’évolution :

“When it comes to our friends in Egypt, Jordan, Kuwait, Morocco, and Yemen, the

administration's reform plan points to evolution rather than revolution”105.

Par ailleurs, l’administration Obama tira les leçons de l’échec de l’ « Agenda de la

Liberté » de la présidence Bush et craignait qu’un soutien américain évident, et donc apparent,

aux révolutions, ne conduise à leur fin, menaçant leur authenticité. L’administration préféra

alors, plutôt que d’adopter de suite une communication de larges déclarations publiques,

s’entretenir avec ses alliés dans la région pour prévoir la suite des événements. Cette stratégie

de communication fut surtout observée en Égypte, où les États-Unis s’appuyèrent sur leurs

liens avec les cercles politiques du dirigeant Moubarak, mais surtout avec l’armée, partenaire

historique des États-Unis. L’alliance militaire se révéla alors plus forte que les engagements

politiques, venant bientôt « détrôner » Hosni Moubarak.

2.2 La remise en cause de la profonde alliance stratégique avec le régime d’Hosni

Moubarak

Tandis qu’en Tunisie les insurrections ne remettaient pas véritablement en cause un intérêt

stratégique américain, l’Égypte d’Hosni Moubarak, nous l’avons déjà vu, était un allié

essentiel des États-Unis pour la poursuite du processus de paix au Moyen-Orient et la conduite

104

Mounia Daoudi, « La leçon de démocratie de Condi Rice », RFI, Archives, 21 juin 2005, http://www1.rfi.fr/actufr/articles/066/article_37000.asp, consulté le 8 avril 2014. 105

D. Brumberg, “Liberalization Versus Democracy: Understanding Arab Political Reform”, Carnegie Paper n°37, Carnegie Endowment for International Peace, , May 2003, p. 13, http://carnegieendowment.org/2003/04/29/liberalization-versus-democracy-understanding-arab-political-reform/2bb8, accessed April 8, 2014.

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de plusieurs projets régionaux. Le 31 mars 2009, un câble rappelait l’importance stratégique

de l’Égypte pour les États-Unis :

“Since our Foreign Military Financing (FMF) program began almost 30 years ago, our strong

military relationship has supported peace between Egypt and Israel and ensured critical Suez

Canal and overflight access for U.S. military operations”106.

En conséquence, les soulèvements populaires en Égypte ont surpris mais aussi profondément

inquiété le gouvernement Obama. Alors que la secrétaire d’État Hillary Clinton avait affirmé

le 13 janvier 2011, au Forum sur le Futur à Doha, qu’il était temps de « voir la société civile

non plus comme une menace, mais comme partenaire107 », le 25 janvier 2011, premier jour de

manifestations en Égypte, elle déclara tout de même : « le gouvernement égyptien est stable ».

Dans une interview du 27 janvier, le Vice-Président Joe Biden renchérit les propos de la

secrétaire d’État en affirmant « je ne qualifierai pas Moubarak de dictateur »108. Le Président

Moubarak s’était en effet engagé en janvier 2011 dans la mise en place de réformes et d’un

certain dialogue avec l’opposition. Le 29 janvier 2011, Moubarak nomma le Directeur des

Services des Renseignements généraux, Omar Souleiman, qui était aussi le contact des

renseignements américains dans les années 2000, vice-Président de la République égyptienne.

Dans ses remarques du 1er février 2011 sur la situation en Égypte, le Président Obama

prononça alors un discours ambigu, témoignant encore d’une certaine confiance américaine

dans le régime de Moubarak. « Après son discours ce soir, j’ai directement parlé au Président

Moubarak. Il reconnaît que le statu quo ne peut plus durer et qu’un changement doit avoir

lieu »109. Ces propos purent ainsi donner l’impression que le gouvernement américain sous-

estimait la puissance des manifestations de la place Tahrir. Le Président américain inscrivit les

106

Cable of the U.S. Embassy in Cairo, “US embassy cables: Egypt's strategic importance to the US”, March 31, 2009, revealed by Wikileaks and retrieved in The Guardian, World, January 28, 2011, http://www.theguardian.com/world/us-embassy-cables-documents/199866, accessed April 9, 2014. 107

Clinton's Remarks at Forum for the Future, January 13, 2011, http://www.cfr.org/middle-east-and-north-africa/clintons-remarks-forum-future-january-2011/p23831?cid=rss-middleeast-clinton_s_remarks_at_forum_for-011311, accessed April 10, 2014. 108

Hearings before the Committee on Foreign Affairs, House of Representatives, 112th

session, First Session, “Recent Developments in Egypt and Lebanon: Implications for U.S. Policy and Allies in the Broader Middle East”, February 9 and 10, 2011, Serial No. 112-32, p. 2. http://www.gpo.gov/fdsys/pkg/CHRG-112hhrg64483/pdf/CHRG-112hhrg64483.pdf, accessed April 10, 2014. 109

Remarks by the President on the Situation in Egypt, The White House Press Office, February 1, 2011, http://www.whitehouse.gov/the-press-office/2011/02/01/remarks-president-situation-egypt, accessed February 9, 2014.

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manifestations populaires dans l’Histoire de l’Égypte, rappelant qu’elle connut « des

millénaires de bouleversements », mais ne sembla pas y reconnaître un tournant hors du

commun. Toutefois, il admit qu’une transition devait avoir lieu en Égypte et qu’elle devait

être « remplie de sens, pacifique, et qu’elle devait avoir lieu dès maintenant »110.

Les discours du Président Obama s’adaptèrent ensuite à l’évolution de la situation sur

le terrain: au fur et à mesure que les manifestations gagnèrent en importance et en influence

dans le pays, les États-Unis acceptèrent l’idée de l’inévitable chute du régime de Moubarak.

Le Président s’appuya alors sur ses propos du 1er février, indiquant qu’un nouveau régime

devrait prendre en considération les oppositions exprimées en Égypte et les aspirations de son

peuple :

“Furthermore, the process must include a broad spectrum of Egyptian voices and opposition

parties. It should lead to elections that are free and fair. And it should result in a government

that's not only grounded in democratic principles but is also responsive to the aspirations of the

Egyptian people111."

Le media CNN indiqua qu’un envoyé spécial du Président Obama en Égypte enjoignit Hosni

Moubarak de ne pas concourir aux prochaines élections présidentielles du pays. Cette

information aurait été portée par l’ancien ambassadeur américain en Égypte, Frank Wisner,

qui rencontra Moubarak au Caire le 31 janvier.

En parallèle des évolutions sur le terrain, la nouvelle détermination de l’administration

Obama observée dans sa réaction aux événements égyptiens, et sa demande de la fin du

régime de Moubarak, put aussi être expliquée par l’intervention de nombreux experts et

l’influence de certains rapports à Washington. Mohamed ElBaradei par exemple, meneur de

l’opposition égyptienne et ancien directeur de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique,

prévint les États-Unis de leur nécessité de désormais « lâcher prise » sur leur allié de longue

date112. Le 1er février, ce fut le député démocrate et Président de la Commission des Relations

110

Ibid. 111

Ibid. 112

CNN Wire Staff, “Obama says Egypt's transition 'must begin now'”, CNN, February 2, 2011, http://edition.cnn.com/2011/POLITICS/02/01/us.egypt.obama/, accessed April 9, 2014.

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Étrangères du Sénat, John Kerry, qui demanda au Président égyptien Hosni Moubarak de

renoncer à ses fonctions et d’aider à la mise en place d’un gouvernement de transition113.

Il est éclairant de noter que ce même exercice d’équilibrisme discursif, les discours de

l’administration évoluant en fonction de l’évolution de la situation sur le terrain, se retrouva

dans la réaction américaine aux événements au Bahreïn. Le pays était un allié de choix du

royaume d’Arabie Saoudite. Par conséquent, la démocratie des États-Unis « n’a pas fait plus

que lever le petit doigt contre le roi du Bahreïn, Hamad bin Isa al-Khalifa114 ». Les États-Unis

n’ont pas non plus réagi lorsque l’Arabie Saoudite fit lever des troupes du Conseil de

Coopération du Golfe pour « maintenir l’ordre » au Bahreïn le 14 mars 2011. Officiellement,

la Secrétaire d’État Hillary Clinton tenta d’expliquer cette différence de réaction par la

spécificité des situations de chaque pays de la région :

“We understand that a one-size-fits-all approach doesn’t make sense in such a diverse region

at such a fluid time115”.

Officieusement, cette différence d’intensité de la réaction américaine s’expliqua surtout par la

peur de l’instabilité que les événements au Bahreïn auraient pu entraîner dans la région, par un

« effet domino ». Les États-Unis sont très attachés à leur 5e Flotte arrimée au port du Bahreïn,

ainsi qu’à leur alliance avec l’Arabie Saoudite pour contrer l’influence iranienne dans le Golfe

Persique. De la même façon, le Yémen reste, aux yeux des États-Unis, un État sécuritaire et

gardien de ses intérêts, de par sa position stratégique au sud de la péninsule arabique et sur la

route maritime conduisant au canal de Suez. Son Président Ali Abdallah Saleh, au pouvoir

depuis 1978 dans le Yémen du Nord et resté à la tête après réunification du pays en 1990,

présentait le profil d’un dirigeant capable de contrer l’extension d’Al-Qaïda dans la corne de

l’Afrique. Il quitta finalement le pouvoir le 23 novembre 2012 et une amnistie fut décrétée, ce

qui sembla satisfaire les États-Unis, alors même que les contestataires souhaitaient que

l’ancien dirigeant soit traduit en justice.

113

“Sen. Kerry: Mubarak Should Step Down”, CBS Boston, February 1, 2011, http://boston.cbslocal.com/2011/02/01/sen-kerry-mubarak-should-step-down/, accessed April 9, 2014. 114

Gardner Lloyd C, op. cit., p. 193. 115

Ibid, p. 194.

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Ainsi, dans sa réaction aux insurrections, entre 2010 et 2011, les États-Unis visèrent avant tout

à rassurer leurs alliés. Il est aussi pertinent de savoir que, le 20 octobre 2010, les États-Unis

annoncèrent la signature avec l’Arabie saoudite du contrat militaire à l’export le plus

ambitieux de leur Histoire, d’un montant de 60 milliards de dollars116. Un lâchage brutal des

régimes tunisien et égyptien aurait alors pu mettre les États-Unis en porte à faux avec les

autres régimes conservateurs de la région. La nouvelle situation géostratégique provoquée par

le Printemps arabe menaçait profondément les alliances américaines mises en place dans la

région. Un jour après le départ du dictateur Moubarak, et en parallèle des félicitations du

Président proclamées au peuple égyptien et son courage, Ben Rhodes, responsable de la

communication stratégique de l’Agence de Sécurité Nationale (NSA) américaine, rappela

l’importance de cette stratégie américaine de préservation de ses alliés :

“The White House has reached out by phone accross the Arab world to assure allies that the US

intends to ‘keep its commitments’”117.

2.3 La question de l’intervention américaine

La prudence de l’administration américaine face au Printemps arabe se retrouva lorsque la

question de son intervention dans les événements se posa. Leur fallait-il intervenir de manière

visible, mais alors disqualifier le mouvement démocratique endogène en le montrant « mené

de l’extérieur », ou rester sur une position attentiste, et être accusé de ne pas avoir agi en

faveur de la promotion de la démocratie ? « Washington fut confronté à la nécessité, sur une

brève période de quatre semaines, de faire face à une équation aux inconnues multiples et

variables118 ». Au sujet de la Libye, ainsi que de la Syrie, les médias américains et

internationaux dénoncèrent un gouvernement américain trop passif, qui peina à réagir à temps

aux événements. L’administration Obama ne sembla pas parvenir à s’imposer comme chef de

file d’une réaction unifiée face au Printemps arabe. Selon un article en ligne du magazine

conservateur US News, « les populations de la région, des rues aux lieux de pouvoir, ont bien

trop souvent été laissées à remettre en question l’engagement de l’Amérique à leur cause et à

116 Dana Hedgpeth, “Pentagon Plans $60 Billion Weapons Sale to Saudi Arabia”, Washington Post, October 21, 2010, http://www.texasinsider.org/pentagon-plans-60-billion-weapons-sale-to-saudi-arabia/, accessed April 9, 2014. 117

Gardner Lloyd C, op. cit., p. 198. 118

Amine Ait-Chaalal, article cité, p. 199.

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se demander quelle politique américaine [existait] vers leurs pays. Ceci créa un vide dans

lequel d’autres acteurs ont essayé de s’immiscer, par des façons ne correspondant pas aux

intérêts américains119». Lorsque le Président justifia l’intervention Libye le 28 mars 2011 aux

Américains, il fit alors d’une réponse aux aspirations démocratiques un devoir des États-Unis :

"Wherever people long to be free, they will find a friend in the United States. Ultimately, it is

that faith–those ideals–that are the true measure of American leadership120.”

Il rapprocha aussi le destin libyen de ceux des Tunisiens et Égyptiens, en rappelant leur

proximité géographique. Renverser le régime de Kadhafi fut présenté comme le moyen de

préserver le bon déroulement des transitions démocratiques amorcées en Tunisie et en Égypte.

Mais pour l’auteur de l’article du US News, « dans sa réponse aux événements tumultueux du

Printemps arabe, le Président loupe son propre test de leadership américain ».

Certains auteurs décrivirent alors la stratégie Obama en politique étrangère comme

celle de « leading from behind ». Face au colonel Kadhafi écrasant Benghazi, certains

arguèrent que l’administration Obama aurait dû intervenir de suite militairement. Or Robert

Gates, secrétaire à la Défense, était un fervent opposant à l’établissement d’une zone

d’exclusion aérienne ou à toute forme d’intervention militaire. Il s’y opposait car il était

convaincu que cette intervention ne relevait pas des intérêts vitaux des États-Unis. Ce fut

d’ailleurs un élément notable de désaccord entre Robert Gates et Hillary Clinton au sein de

l’administration Obama121. Cette critique de la réaction de l’administration Obama comme

trop tardive, voire passive, ne doit cependant pas nous mener à la conclusion que le

gouvernement n’a point pris position face au Printemps arabe. Malgré la crainte du

bouleversement du statu quo des régimes installés, la remise en question d’une profonde

alliance stratégique avec l’Égypte et le questionnement épineux de ses intérêts à intervenir

militairement dans les événements, les États-Unis réagirent effectivement au Printemps arabe.

119

Jamie M. Fly , Executive Director of the Foreign Policy Initiative, “Obama Is Unwilling to Lead the U.S. Response to the Arab Spring”, US News, Opinion, September 27, 2012, http://www.usnews.com/debate-club/has-obama-properly-handled-the-arab-spring/obama-is-unwilling-to-lead-the-us-response-to-the-arab-spring, accessed January 28, 2014. 120

Remarks by the President in Address to the Nation on Libya, The White House Press Office, March 28, 2011, http://www.whitehouse.gov/the-press-office/2011/03/28/remarks-president-address-nation-libya, accessed January 28, 2014. 121

Ryan Lizza, article cité.

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Le soutien américain aux révolutionnaires fut officiellement exprimé par le Président Obama

au moment de la faillite des régimes de Ben Ali et Hosni Moubarak.

3. Le soutien américain au Printemps arabe exprimé lors de la faillite

effective des régimes dictatoriaux

3.1 La chute inévitable des régimes

A mesure que les troubles en Tunisie devinrent durables, et le régime de Ben Ali de plus en

plus menacé, les États-Unis s’exprimèrent sur le sujet. Alors qu’il resta silencieux en

décembre 2010, en janvier 2011, dès lors que le régime de Ben Ali recourut à la violence et

censura Internet et les réseaux sociaux, le département d’État américain intervint. Il

désapprouva officiellement les pratiques du régime tunisien attentatoires aux libertés

individuelles défendues par les États-Unis. Ce fut aussi le moment où la presse internationale

se tendit compte de l’ampleur des mouvements et du nombre grandissant de ses victimes.

Le 7 janvier 2011, c’est par voie de presse que les États-Unis se dirent préoccupés par les

troubles en Tunisie :

“We are concerned about demonstrations that have occurred over the past few weeks in

Tunisia, which we understand to be the result of social and economic unrest. We encourage all

parties to show restraint as citizens exercise their right of public assembly. We have also

conveyed our views directly to the Tunisian government”122.

L’administration Obama convoqua alors l’ambassadeur de Tunisie à Washington, Mohamed

Salah Teyaka, « pour demander le respect des libertés individuelles, notamment en matière

d’accès à Internet123 ». Ben Ali avait en effet demandé à Abdelwaheb Abdallah, ministre-

conseiller auprès du président de la République chargé des Affaires politiques depuis le

remaniement du 14 janvier 2010, de verrouiller tous les espaces virtuels qui avaient pris le

relai de Wikileaks pour faire connaître les documents confidentiels issus de l’embassade

américaine en Tunisie. Les menaces du Président Ben Ali visèrent aussi les réseaux sociaux,

122

Philip J. Crowley, Assistant Secretary, Press Statement, “Recent Protests and Website Hackings in Tunisia”, Bureau of Public Affairs, State Department, January 7, 2011, http://www.state.gov/r/pa/prs/ps/2011/01/154139.htm, accessed April 8, 2014. 123

Virginie Bettaïeb, op. cit., p.29.

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dont Facebook, dont il souhaitait la fermeture. « Des gisements d’intelligence et de créativité

se révèlent alors, il devint ‘interdit d’interdire’124 ».

Le 14 janvier 2011, le peuple obtint la fuite de Ben Ali suite à une manifestation de

milliers de personnes devant le ministère de l’Intérieur. Le Président Ben Ali assuma sa faillite

en fuyant vers l’Arabie Saoudite. Dans les rues de Tunis, des milliers de manifestants criaient

« Ben Ali dégage !». La grande figure du théâtre tunisien, Leila Toubel, parla d’une « marée

humaine » avenue Habib Bourguiba vers 11h125. « La presse internationale salue la révolution

tunisienne »126 ; ses slogans furent repris et la communauté internationale se mobilisa pour la

conservation en Tunisie des tags d’El Kasbah, sacrés comme éléments de la Révolution

tunisienne. La sauvegarde des tags du sit-in devint alors un devoir national et la cause dépassa

les frontières du pays. Le groupe Facebook « Ne touchez pas aux tags d'ElKasbah, c'est notre

patrimoine »127 fut créé. C’est ce même jour, 14 janvier 2011, et face à cette effervescence

générale que le Président Obama offrit ses remarques sur les événements en Tunisie. Il

applaudit « le courage et la dignité du peuple tunisien (…) dans leur combat pour les droits

universels » et découragea l’usage de toute violence durant les soulèvements. Il conclut sa

déclaration en assurant « ne pas avoir de doute, que le futur de la Tunisie sera meilleur s’il est

guidé par les voix des populations tunisiennes128 ». Il appela le gouvernement tunisien à

respecter les droits humains et à tenir des élections « libres et équitables » dans un futur

proche, reflétant les aspirations du peuple tunisien. Le mot « droits » fut le plus utilisé ; en

revenant cinq fois dans le discours, il illustra la priorité du gouvernement américain.

La réaction américaine face aux insurrections tunisiennes, à la faveur de la chute inévitable du

régime de Ben Ali, fut donc plutôt rapide, notamment en comparaison avec la réaction

française. Nous avons déjà mentionné cette idée plus haut : le Maghreb relève d’une

importance stratégique primordiale pour l’hexagone et nombre de puissances européennes. A

124

Ibid, p. 29. 125

Ibid, p. 36. 126

Ibid, p. 124. 127 Page Facebook « Ne touchez pas aux tags d’ElKabash, c’est notre patrimoine », https://www.facebook.com/pages/Ne-touchez-pas-aux-tags-dElKasbah-cest-notre-patrimoine/192593607437752?id=192593607437752&sk=info, consultée le 1

er février 2014.

128 Statement by the President on the Events in Tunisia, January 14, 2011, http://www.whitehouse.gov/the-

press-office/2011/01/14/statement-president-events-tunisia, accessed March 23, 2014.

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contrario, les États-Unis, même si le Président Bush incluait le Maghreb dans sa stratégie pour

un « Grand Moyen-Orient », ne présentent pas d’intérêts stratégiques essentiels en Tunisie.

Les intérêts américains en Tunisie étaient principalement d’ordre économique, un domaine qui

ne semblait pas avoir vocation à être bouleversé si les États-Unis soutenaient les

manifestations. Cette réflexion stratégique, ajoutée à la spontanéité surprenante des

soulèvements, expliqua la réaction de soutien accélérée des États-Unis face au Printemps

arabe tunisien.

En Égypte cependant, comme nous l’avons vu plus haut, la réaction américaine fut

beaucoup plus prudente. Avant toute prise de position nouvelle, les États-Unis devaient

s’assurer la fidélité de l’armée égyptienne, soutenue financièrement et matériellement par les

États-Unis, et rassurer Israël sur l’éventuelle arrivée au pouvoir de cette armée égyptienne, en

lui prouvant que l’armée ne serait pas nocive à la sécurité et stabilité de la région.

Le gouvernement américain misa alors sur une communication rassurante, insistant sur les

éléments faisant consensus sur leur nécessité à être dénoncés : les censures d’Internet et les

répressions de la place Tahrir. Le refus des violences contre les populations, déjà développé

dans ses remarques sur la Tunisie, fut repris dans le discours d’Obama du 28 janvier 2011 sur

la situation en Égypte, où le mot « droits » revint onze fois et celui de « violence » cinq fois :

“As the situation continues to unfold, our first concern is preventing injury or loss of life. So I

want to be very clear in calling upon the Egyptian authorities to refrain from any violence

against peaceful protestors (…) The people of Egypt have rights that are universal. That

includes the right to peaceful assembly and association, the right to free speech, and the ability

to determine their own destiny. These are human rights. And the United States will stand up

for them everywhere129”.

Il rappela son discours du 4 juin 2009 à l’Université du Caire pour renforcer ses propos sur la

nécessité d’un gouvernement d’exercer en vertu d’un consensus, et non de la coercition :

“When I was in Cairo, shortly after I was elected President, I said that all governments must

maintain power through consent, not coercion. That is the single standard by which the people

of Egypt will achieve the future they deserve”.

129

Remarks by the President on the Situation in Egypt, January 28, 2011, http://www.whitehouse.gov/the-press-office/2011/01/28/remarks-president-situation-egypt, accessed March 23, 2014.

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Après avoir demandé au Président Moubarak de ne pas se présenter aux prochaines élections,

ce que nous avons mentionné plus haut, le Président américain exigea de l’armée un

comportement « professionnel et patriotique » dans son discours du 1er février 2011. « Le

lundi, l’armée avait assuré qu’elle ne tirerait pas sur les manifestants, qualifiant leurs

demandes de légitimes et laissant à Moubarak peu de marge de manœuvre130 ». Ce souci de

l’accès militaire américain au Moyen-Orient malgré les insurrections égyptiennes se retrouva

dans les publications du think tank démocrate Center for a New American Security à la même

période, think tank supposé influent dans le decision making de l’administration Obama. Le 5

février 2011, l’expert Robert Killebrew s’inquiéta en effet à l’idée que ceux qui obtiendront le

pouvoir au Caire pourraient ne plus accueillir les exercices militaires annuels des Bright Star

américains. Ce type d’opérations permettait en effet aux Américains de projeter leur puissance

dans la région, de contenir l’Iran et de rassurer Israël. Ce constat était partagé par des think

tanks républicains : James Phillips, chercheur sur le Moyen-Orient à l’Heritage Foundation,

confirma l’éventuelle perte de cet accès militaire comme un « désastre stratégique »131.

Nous pouvons donc formuler l’hypothèse qu’en parallèle des évolutions sur le terrain, ce fut

aussi des incitations et réflexions de think tanks alimentant l’administration Obama qui

participèrent à son soutien progressif des mouvements révolutionnaires. Le 2 février 2011,

Shadi Hamid de la Brookings Institution indiqua que le monde pourrait être en passe de vivre

le « moment démocratique arabe » :

“This is not about individual countries and their particular economic and political conditions,

although those certainly matter. Something bigger is going on here. Arabs are discovering a

power they weren’t aware they had132”.

130

Anthony Shadid, “Obama Urges Faster Shift of Power in Egypt”, The New York Times, February 1, 2011, http://www.nytimes.com/2011/02/02/world/middleeast/02egypt.html?pagewanted=all&_r=0, accessed April 8, 2014. 131

Robert Killebrew, “At Risk in Egypt's Turmoil: U.S. Military Access to the Middle East”, Center for a New American Security, February 5, 2011, http://www.cnas.org/media-and-events/cnas-in-the-news/articles/at-risk-in-egypt-s-turmoil-u-s-military-access-to-the-middle-east#.U0VVccZT7l8, accessed April 9, 2014. 132

Shadi Hamid, “In the Middle East: Two Models for Democratic Change”, Brookings Institution, February 2, 2011, http://www.brookings.edu/research/opinions/2011/02/02-egypt-democracy-hamid, accessed April 9, 2014.

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Les révolutions arabes montrèrent en effet que la stabilité des gouvernements autoritaires était

illusoire, une leçon que les États-Unis se devaient alors d’intégrer dans leur stratégie. Le 10

février 2011, un chercheur du même think tank, Stephen R. Grand, se demanda si l’on ne

voyait pas en Égypte la « quatrième vague de démocratisation » de l’Histoire. Il reconnut à

l’administration Obama que ses doutes quant à des révolutions bouleversant des régimes

installés depuis plusieurs décennies étaient justifiés. Cependant, il démontra aussi l’intérêt de

l’administration à désormais soutenir des manifestants arabes réclamant un régime non plus

issu de la force mais de la volonté populaire. Selon lui, la vague de démocratisation ainsi

soutenue pourrait même dépasser les frontières de la Tunisie et de l’Égypte : « Il est

concevable que les scènes de Tunis et du Caire servent de cri de ralliement pour redonner de

l’énergie du Mouvement Vert en Iran ». Au regard des relations tendues entre les États-Unis et

les autorités iraniennes, les révolutions arabes pouvaient donc servir les intérêts américains

dans la région133.

Les auditions du Congrès des 9 et 10 février 2011 devant la 112e session de la

Commission des Affaires Étrangères de la Chambre des Représentants, sur le thème des

« Développements récents en Égypte et au Liban : implications pour la politique des États-

Unis et ses alliés dans le large Moyen-Orient », purent aussi inciter le Président et le

département d’État à adopter une position plus claire au regard des insurrections en Égypte.

Face à la chute de Moubarak, la Présidente de la Commission, la Républicaine Ileana Ros-

Lehtinen, conseilla désormais aux États-Unis d’adopter un nouveau regard sur le pays et de

forger une stratégie de plus long terme dans la région. La conservation à tout prix de l’alliance

avec Moubarak était devenue dangereuse :

“It would be short-sighted and potentially dangerous for the United States to base its entire

approach to another nation on the survival of one individual134.”

133

Stephen R. Grand, “Starting in Egypt: The Fourth Wave of Democratization?”, Brookings Institution, February 10, 2011, http://www.brookings.edu/research/opinions/2011/02/10-egypt-democracy-grand, accessed April 9, 2014. 134

Chairman Ileana Ros-Lehtinen, Hearings before the Committee on Foreign Affairs, House of Representatives, “Recent Developments in Egypt and Lebanon: Implications for U.S. Policy and Allies in the Broader Middle East”, February 9 and 10, 2011, op. cit. p. 2.

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77

Selon elle, « pendant les premiers jours de contestation, l’administration a échoué à saisir

l’opportunité d’encourager la réforme, à répondre aux frustrations des manifestations et à ainsi

éviter le chaos et la violence »135. La Républicaine accorda une importance primordiale à ces

questions alors qu’était commémoré le centenaire de la naissance du Président Républicain

Ronald Reagan, lequel avait déclaré à Westminster la promotion de l’infrastructure de la

démocratie comme but ultime de l’action des États-Unis :

“Any system is inherently unstable that has no peaceful means to legitimize its leaders. While

we must be cautious about forcing the pace of change, we must not hesitate to declare our

ultimate objective and to take concrete actions to move toward them. The objective, I propose,

is quite simple to state: to foster the infrastructure of democracy136.”

Les interventions d’experts lors de ces auditions insistèrent précisément sur ces idées d’une

opportunité et d’un devoir américain à soutenir les révolutionnaires dans leur quête de

structures démocratiques pour leur pays. Chercheur senior sur le Moyen-Orient au Council on

Foreign Relations, Elliot Abrams, conditionna alors l’aide financière américaine à l’armée

égyptienne à leur « bonne conduite »137. Le directeur exécutif du Washington Institute for

Near East Policy, Robert Satloff, indiqua qu’un soutien aux manifestants conditionnait surtout

la préservation de l’image des États-Unis dans la région : ainsi, l’aide financière à l’armée du

pays, acteur de la transition, devait être maintenue. Les États-Unis se devaient d’être acteurs

du processus de transition politique prenant place en Égypte, au risque de voir leurs intérêts

détournés, notamment par la montée en puissance des Frères Musulmans : « C’est une

organisation politique qui cherche à réorganiser la société égyptienne dans le cadre plus large

des sociétés musulmanes à la mode islamiste »138. Christopher H. Smith du New Jersey,

Président de la sous-commission sur l’Afrique, la Santé globale et les Droits de l’Homme,

regretta ainsi que les dépenses d’aide à la démocratie en Égypte aient été réduites pendant la

première année du mandat Obama :

135

Ibid. 136

President Ronald Reagan, Address to the British House of Commons, London, CNN, June 8, 1982, http://edition.cnn.com/SPECIALS/2004/reagan/stories/speech.archive/empire.html, accessed April 10, 2014. 137

Senior fellow for Middle Eastern studies, Council of Foreign Relations, Elliot Abrams, Hearings before the Committee on Foreign Affairs, op. cit., p. 10. 138

Robert Satloff, Washington Institute for Near East Policy, Hearings before the Committee on Foreign Affairs, op. cit., p. 27.

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“Yet in its first year, the Obama administration cut democracy funding for Egypt by more than

half. The democracy in governance total was $54.8 million in 2008; it dropped to $23.5

million in 2009; and the request for 2011 is $25 million” 139.

Répondant à une question de la députée de Caroline du Nord Renee Ellmers, Robert Satloff

rappela l’absence coupable de réaction de l’administration Obama face au vent démocratique

ayant soufflé à Téhéran en juin 2009. En conséquence, en 2011, les États-Unis étaient face à

une nouvelle opportunité de soutenir la démocratie qu’ils ne pouvaient plus manquer.

Le 11 février 2011, le Président salua la démission de Moubarak : « en renonçant, le

président Moubarak a répondu à la faim de changement du peuple égyptien140 ». Le printemps

2011 marqua ainsi un tournant dans la réaction américaine face au Printemps arabe.

L’administration Obama, alimentée des conseils de nombreux experts et think tanks, comprit

l’opportunité, mais aussi et peut-être surtout la nécessité, de s’aligner du côté des manifestants

contre des régimes admis comme dictatoriaux dans le monde arabe et les opinions publiques.

Le 28 mars 2011, le Center for American Progress, publia un article qualifiant la période

comme un « one-in-a-generation-moment ». Pour guider l’Afrique du Nord et la région sur le

chemin de la démocratie et de la stabilité à la place du chaos, le think tank conseilla le respect

de trois éléments principaux aux dirigeants des États-Unis, au degré où ils pourraient

influencer les événements sur place141. Tout d’abord, le Président et le Congrès furent invités

à travailler ensemble. La question de la transition démocratique au Moyen-Orient ne devait

pas être transformée en enjeu partisan mais rester un but national. Puis, la stratégie de

l’administration devait être clairement communiquée au public. Le centre félicita la décision

du Président d’apparaître à la télévision le soir même pour annoncer à la nation l’engagement 139

Mr. Smith, Chair of the Subcommittee on Africa, Global Health, and Human Rights, Hearings before the Committee on Foreign Affairs, op. cit., p. 39. 140

Remarks by the President on Egypt, February 11, 2011, http://www.whitehouse.gov/the-press-office/2011/02/11/remarks-president-egypt, accessed March 23, 2014. 141 John Norris, Executive Director of the Sustainable Security and Peacebuilding Initiative, “Can America Rise to the Occasion in the Middle East? This Is an Important Moment We Need to Get Right”, Center for American Progress, Issues on National Security, Mars 28, 2011, http://www.americanprogress.org/issues/security/news/2011/03/28/9203/can-america-rise-to-the-occasion-in-the-middle-east/, accessed April 10, 2014.

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militaire américain en Libye. « Le Président doit être le ‘communiquant en chef’ pendant cette

période et parler honnêtement des risques et bénéfices que nous obtenons à mesure que nous

avançons. » L’administration ne doit pas penser que sa stratégie est trop complexe pour être

exposée car « si vous ne pouvez pas expliquer votre stratégie, elle n’est sûrement pas la

bonne ». Enfin, et c’est sûrement le conseil le plus engagé donné par le think tank, les États-

Unis doivent gérer leurs relations avec les régimes conservateurs et autocratiques sans trahir

les aspirations démocratiques apparues dans la région. Le centre prit notamment l’exemple du

Yémen, de Bahreïn et de l’Arabie Saoudite. L’article conclut ses conseils en affirmant qu’il

« ne peut y avoir de meilleur moment pour les États-Unis de montrer sa propre maturité en

tant que démocratie, en parlant clairement, en écoutant une diversité de voix, en calmant la

rhétorique partisane et en comprenant que de tels moments historiques ne se reproduisent pas

souvent142 ». Au regard de l’influence du Center for American Progress sur l’administration

Obama, nous pouvons émettre l’hypothèse que ses recommandations furent portés dans les

instances décisionnelles américaines et participèrent à l’évolution de la communication de

l’administration. Bientôt, le Président annonça officiellement sa stratégique au public.

3.2 Le discours du 19 mai 2011 sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord

Le 19 mai 2011, plus de quatre mois après la fuite du Président Ben Ali de la Tunisie vers

l’Arabie Saoudite et plus de trois mois après la démission du Président Hosni Moubarak en

Égypte, le Président américain émit son discours « Un Moment d’Opportunité », ou

« Remarques sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord ». Après avoir félicité sa Secrétaire

d’État, Hillary Clinton, pour sa loyauté et son efficacité, Barack Obama commença son

discours dans la continuité de celui donné au Caire le 4 juin 2008. L’utilisation de propos

similaires, ou « éléments de langage », dans plusieurs discours, est une technique de

communication permettant d’offrir cohérence et continuité à la stratégie déclaratoire d’un

gouvernement. Obama rappela l’idée d’un « nouveau départ » de la politique étrangère

américaine au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. A la différence du discours du Caire, il ne

s’agissait plus uniquement d’un nouveau chapitre à écrire, mais de changements ayant eu lieu

142

Ibid.

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et méritant attention et soutien. Les mots « changement » et « transition » furent

respectivement prononcés vingt-trois et douze fois par le Président dans ce discours.

“The State Department is a fitting venue to mark a new chapter in American diplomacy. For six

months, we have witnessed an extraordinary change take place in the Middle East and North

Africa. Square by square; town by town; country by country; the people have risen up to demand

their basic human rights. Two leaders have stepped aside. More may follow.143”

L’Histoire de l’auto-détermination dans le monde arabe, « la chance de faire de votre vie ce

que vous désirez », débuta en Tunisie. Le rappel par le Président Obama de la tentative

d’immolation par le feu de Mohamed Bouazizi le 17 décembre 2010 fut très symbolique.

Nous y retrouvons la technique du « storytelling » et la mention de citoyens, déjà observée

dans le discours du Caire pour instaurer une proximité entre le Président et son auditoire. De

la même façon que le discours du Caire présenta au monde musulman son père kenyan, le

Président fit appel à la sensibilité de son auditoire en citant les paroles d’une mère

égyptienne : « Au Caire, nous entendirent la voix d’une jeune mère qui disait “C’est comme si

je pouvais finalement respire de l’air frais pour la première fois”». Afin de montrer que

« parfois, au cours de l’histoire, les actions de citoyens ordinaires (mot cité cinq fois dans le

discours) déclenchent des mouvements pour le changement parce qu’ils s’expriment au nom

d’une volonté de liberté qui s’est construite des années », Obama rapprocha « l’acte de

désespérance » du jeune vendeur tunisien Bouazizi à « la défiance de ces patriotes à Boston

qui refusèrent de payer des taxes à un Roi » et à « la dignité de Rosa Parks qui s’assit

courageusement sur son siège ». Le mot de dignité se retrouva six fois dans le texte du

discours. Le 22 juin 2011, le Président accueillit deux citoyens ordinaires, manifestants de

Tunisie et d’Égypte, à Washington pour leur remettre le Democracy Award from the National

Endowment for Democracy. Ce prix leur fut accordé au nom des centaines de citoyens

ordinaires tunisiens et égyptiens s’étant levés pour défendre leurs droits humains et s’étant

sacrifiés à cette cause. Lors de cette rencontre, le Président réaffirma l’engagement des États-

143

Remarks by the President on the Middle East and North Africa, The White House Press Office, May 19, 2011, http://www.whitehouse.gov/the-press-office/2011/05/19/remarks-president-middle-east-and-north-africa%20, accessed February 9, 2014.

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Unis à soutenir « les droits universels de tous les peuples de la région »144. Le Président

rapprocha donc aussi les Arabes des Américains en comparant leurs Histoires :

“For the American people, the scenes of upheaval in the region may be unsettling, but the

forces driving it are not unfamiliar. Our own nation was founded through a rebellion against an

empire. Our people fought a painful civil war that extended freedom and dignity to those who

were enslaved. And I would not be standing here today unless past generations turned to the

moral force of non-violence as a way to perfect our union – organizing, marching, and

protesting peacefully together to make real those words that declared our nation: ‘We hold

these truths to be selfevident, that all men are created equal’.”

La citation du Président d’une ligne de la Déclaration d’Indépendance américaine, document

sacré de l’Histoire américaine et souvent favorisé à la Constitution dans la culture politique du

pays, témoigna encore de la forte dimension symbolique de ce discours. Le Président Obama

justifia le soutien américain aux insurrections arabes comme naturel par la propre Histoire

d’indépendance de la République américaine. Dans son discours du 19 mai 2011, le Président

offre donc une grande reconnaissance aux manifestants, voire une admiration en déclarant que

« les peuples de la région ont accompli bien plus de changement en six mois que ce que les

terroristes ont réalisé durant des décennies ». Le soutien aux insurrections arabes est

clairement posé : « il ne doit pas y avoir de doute que les États-Unis d’Amérique apprécient le

changement qui avance auto-détermination et opportunité ».

Lorsque le Président annonça le rôle des États-Unis à jouer dans ces événements, les

engagements pris furent puissants : afin de mettre un coup d’arrêt à une « spirale de divisions

entre les États-Unis et les communautés musulmanes », le Président avoua que la stratégie

américaine en matière de politique étrangère dans la région, bien qu’elle ne puisse négliger ses

intérêts, se devait de prendre en compte ses populations et leurs aspirations :

“The question before us is what role America will play as this story unfolds. For decades, the

United States has pursued a set of core interests in the region: countering terrorism and

stopping the spread of nuclear weapons; securing the free flow of commerce, and safe-

144

Readout of the President's Meeting with the National Endowment for Democracy's 2011 Democracy Award Recipients, Office of Press Secretary of the White House, June 22, 2011, http://www.whitehouse.gov/the-press-office/2011/06/22/readout-presidents-meeting-national-endowment-democracys-2011-democracy-, accessed April 10, 2014.

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guarding the security of the region; standing up for Israel’s security and pursuing Arab-Israeli

peace. We will continue to do these things, with the firm belief that America’s interests are not

hostile to peoples’ hopes; they are essential to them. (…) Yet we must acknowledge that a

strategy based solely upon the narrow pursuit of these interests will not fill an empty stomach

or allow someone to speak their mind. Moreover, failure to speak to the broader aspirations of

ordinary people will only feed the suspicion that has festered for years that the United States

pursues our own interests at their expense. Given that this mistrust runs both ways – as

Americans have been seared by hostage taking, violent rhetoric, and terrorist attacks that have

killed thousands of our citizens – a failure to change our approach threatens a deepening spiral

of division between the United States and Muslim communities”.

En opposant à la peur et au manque de confiance la solution d’un « engagement basé sur les

intérêts mutuels et le respect mutuel », le Président fit directement référence à l’esprit du

discours du Caire. Le méliorisme américain fut aussi très visible, et nous pouvons faire

l’hypothèse d’une reprise du gouvernement des conseils du Center for American Progress de

« saisir une opportunité ».

La Tunisie et l’Égypte furent érigées comme exemples pour la région toute entière,

distinguées des « nations où les transitions doivent maintenant se produire ». Ainsi, les États-

Unis promirent leur soutien pour des réformes, politiques et économiques, aux pays qui

oseraient en prendre le courageux mais nécessaire risque. Le but de « réforme » fut très

présent dans le texte, le terme apparaissant quatorze fois. Il fut généralement suivi des mots

« prospérité » et « progrès », tous deux cités cinq fois, et accompagnés de l’idée d’un

« effort », mot recensé neuf fois. Faisant écho aux écoutes de la Commission des Affaires

Etrangères de la Chambre des Représentants des 9 et 10 février, le Président soutint la

continuité de l’aide financière américaine à la transition. Pour l’Égypte, le Président annonça

même l’annulation d’une dette d’un milliard de dollars et l’accord d’une garantie de prêts d’un

milliards de dollars. Les États-Unis sollicitèrent aussi la Banque Mondiale et le Fonds

Monétaire International au G8 de mai 2011 pour « stabiliser et moderniser les économies de

Tunisie et d’Égypte ». Les autres États furent aussi encouragés à aider les deux pays en

transition à faire face à leurs besoins de financement. En garantissant un milliard de dollars de

prêts à l’économie égyptienne, les États-Unis aidèrent le pays à retrouver un accès aux

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marchés, en finançant infrastructures et créations d’emploi. « Et nous aiderons les

gouvernements nouvellement démocratiques à récupérer les actifs qui furent volés ». L’idée

« d’investissement » put être repérée six fois dans le texte. De plus, le pays annonça dans le

discours du 19 mai 2011 le lancement d’une Trade and Investment Partnership Initiative au

Moyen-Orient et au Nord de l’Afrique, en association avec l’Union Européenne. Enfin, sur la

proposition des sénateurs Joseph Lieberman, John McCain et John Kerry, une loi créant un

fonds d’aide économique aux entreprises (Economic Enterprise Fund) pour l’Égypte (50-60

millions de dollars) et la Tunisie (10-20 millions de dollars), sur le même modèle que celui qui

avait été établi pour l’Europe de l’Est après la chute du mur de Berlin, fut approuvée par la

Commission des Relations Etrangères du Sénat le 18 mai 2011145. Le discours fut donc

illustratif d’une nouvelle stratégie américaine au Moyen-Orient : au détriment de la force

militaire, l’administration Obama semblait choisir la diplomatie et l’aide au développement

pour répondre au Printemps arabe. Ce choix est caractéristique de la « doctrine Obama »,

favorisant le « soft power » (ou « smart power ») au « hard power » de la force militaire146.

L’administration appliqua ainsi dans sa réaction au Printemps arabe ses buts de politique

étrangère tels que dégagés dans le Quadrennial Diplomacy and Development Review du

département d’État et d’USAID le 15 décembre 2010 : développer la puissance civile des

États-Unis en complément de ses capacités militaires147. L’aide économique fut préférée à

l’ingérence politique. Pour autant, l’idée d’un « Plan Marshall » n’était pas applicable à

l’Afrique du Nord et au Moyen-Orient en 2011. Les États-Unis n’avaient plus les moyens

d’une telle politique : la notation de la dette américaine fut d’ailleurs détériorée le 6 août 2011.

En 2011, le budget du département d’État et de l’aide au développement fut réduit de huit

millions de dollars. Le décalage entre ce budget (environ 50 milliards de dollars) et celui du

Pentagone (environ 750 milliards de dollars)148 contredit donc la stratégie déclaratoire de

l’administration Obama.

145

Alexandre De Hoop Scheffer, « Politique étrangère américaine : quels défis ? Rompre avec le tout-militaire et le nation-building », Diploweb, 12 juin 2011, http://www.diploweb.com/Politique-etrangere-americaine.html, consulté le 30 avril 2014. 146

Gilles Vandal, op. cit., p. 182. 147

Department of State and USAID, “Leading Through Civilian Power”, The First Quadrennial Diplomacy and Review Review, 2010, http://www.state.gov/documents/organization/153635.pdf, accessed April 30, 2014. 148

Alexandre De Hoop Scheffer, article cité.

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3.3 Un soutien n’ayant pas fait l’unanimité

Il faut comprendre que le choix diplomatique du département d’État et du Président Obama de

soutenir les manifestants en Tunisie et Égypte ne fit pas l’unanimité aux États-Unis, ni dans le

monde arabe. Les alliés des États-Unis, particulièrement Israël et l’Arabie Saoudite, se

montrèrent à la fois critiques et inquiets de l’action du Président dans la région.

Aux États-Unis, la présidence Obama fut marquée par l’importance des questions de

politique intérieure et les enjeux économiques. Dans ce contexte et dans l’optique des

élections de mi-mandat du Congrès de novembre 2012 et de sa candidature pour un second

mandat présidentiel, le Président put difficilement poser la politique étrangère en priorité :

« Obama ne pouvait pas s’offrir le luxe de donner la priorité à la politique étrangère (…) Dès

le départ, sa priorité était claire : il s’agissait de l’économie (…) Il est bien connu que le

citoyen américain donne toujours la priorité aux questions internes149 ».

En miroir de la dégradation de l’économie américaine, les critiques de l’action du Président à

l’étranger se firent de plus en plus sévères. Entre février 2009 et août 2011, Gallup nota une

dégradation de 20 points de l’approbation de son action150. En mars 2011, le Congrès fut agité

par des auditions très controversées sur la radicalisation de la communauté musulmane

américaine. Les critiques du phénomène furent principalement issues des cercles politiques

républicains et accusèrent notamment le Council on American-Islamic Relations (CAIR) et

l’ American Civil Liberties Union, déjà mentionnés précédemment, d’en être responsables.

Le Président du Homeland Security Committe de la Chambre des Représentants, le

représentant Peter T. King de New York, fut l’une des principales figures de ces critiques,

dont les propos simplificateurs tendirent à qualifier le CAIR de conspirateur d’opérations

terroristes contre les États-Unis. Ces auditions instaurèrent un climat de tension palpable dans

les cercles politiques américains au sujet de la communauté musulmane ; le caractère

spectaculaire des auditions lui valut même une comparaison avec la « chasse aux sorcières »

de McCarthy. Par exemple, le premier américain musulman élu au Congrès et représentant

démocrate du cinquième district du Minnesota depuis 2006, Keith Ellison, fondit en larmes en 149

Hala Mustapha, journaliste égyptienne, entretien à la chaîne Al-Arabiya du 20 novembre 2010 in Mohammed El Oifi, article cité, p. 52. 150

Gallup Daily, “Obama Job Approval”, February 2009 to November 2012, http://www.gallup.com/poll/113980/Gallup-Daily-Obama-Job-Approval.aspx, accessed April 11, 2014.

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rappelant la mort d’un paramédical musulman, Mohammed Salman Hamdani, dans les

attaques du 11 septembre 2001 :

“He was a fellow American who gave his life for other Americans (…) His life should not be

defined as a member of an ethnic group or a member of a religion, but as an American who

gave everything for his fellow citizens.”151

La « compréhension mutuelle » souhaitée par le Président entre les Américains et les Arabes

n’était donc pas subitement devenue une réalité aux États-Unis après le discours du Caire. Le

19 août 2010, un sondage du TIME trouva que 4 Américains sur 10 avaient une opinion

négative des musulmans152. Le 24 août 2010, le Pew Research Center publia une étude

indiquant que le public américain restait divisé sur la question de l’islam153. L’opposition

autour de la construction d’une mosquée près du World Trade Center à New York, par

exemple, prouva le débat encore d’actualité à la fin de l’année 2010. Face à de tels résultats,

les médias conservateurs dénoncèrent un échec du Président démocrate dans le monde arabe.

Ils se fondèrent aussi sur les chiffres obtenus dans le monde arabe : la main tendue

d’Obama vers la région n’aurait pas amélioré les opinions du monde arabe envers les États-

Unis154. En effet, le 28 novembre 2010, le centre de sondages Gallup d’Abu Dhabi publia une

large étude « Mesurer l’état des relations entre les musulmans et l’Occident : Évaluer le

‘nouveau départ’ ». Cette étude montra qu’entre 2008 et 2009, l’approbation de l’action des

États-Unis par les pays de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient augmenta de 12% à 30%155.

Le taux d’approbation des Égyptiens au sujet du leadership américain dans la région augmenta

25 à 37% juste deux mois après le discours du Président au Caire. Cependant, cette

151

Suzanne Goldenberg, Muslim hearings in US Congress dismissed as 'equivalent of reality TV', The Guardian, March 10, 2011, http://www.theguardian.com/world/2011/mar/10/muslim-hearings-peter-king-us-congress, accessed May 29, 2014. 152

Dalia Sussman, “Time Poll: Many Americans Have Suspicious Views of Islam”, August 19, 2010, The New York Times, http://thecaucus.blogs.nytimes.com/2010/08/19/time-poll-many-americans-have-suspicious-views-of-islam/?_php=true&_type=blogs&_r=0, accessed April 11, 2014. 153

Pew Research – Religion & Public Life Project, “Public Remains Conflicted Over Islam”, August 24, 2010, http://www.pewforum.org/2010/08/24/public-remains-conflicted-over-islam/, accessed April 11, 2014. 154

“Poll: Obama’s Outreach Has Not Improved Arabs’ Views of the U.S.”, CNS News, July 14, 2011, http://cnsnews.com/news/article/poll-obama-s-outreach-has-not-improved-arabs-views-us, accessed April 11, 2014. 155

Gallup Polls, “Measuring the State of Muslim-West Relations: Assessing the ‘New Beginning’”, November 28, 2010, Figure 14, p. 26, http://www.gallup.com/poll/145124/measuring-muslim-west-relations-assessing-new-beginning.aspx, accessed April 11, 2014.

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amélioration fut de courte durée dans la région, ainsi qu’en Égypte. En février 2010,

l’approbation égyptienne du leadership américain retomba à 19%156. En Tunisie, le taux passa

de 37% à 10% entre 2009 et 2010157. Ces chiffres furent notamment illustrés par les visites

d’Hillary Clinton en Tunisie et en Égypte en mars 2011. A Tunis, l’accueil de la secrétaire

d’État fut mitigé. Certains applaudirent l’arrivée de la représentante de la diplomatie

américaine, comme Ajmi Lourimi, un des chefs du parti de la Renaissance (al-Nahda) banni

sous le régime de Ben Ali. Il félicita l’attitude des États Unis : « Le Président Obama a

soutenu la révolution de notre peuple ; il a crié au droit à notre peuple de choisir son

gouvernement »158. Mais d’autres tunisiens accueillirent Hillary Clinton par des slogans tels

que « Tunisia is free, America get out ! » Les manifestants rappelèrent aux États-Unis que la

« Tunisie n’était pas à vendre », répondant aux propos d’Hillary Clinton ayant promis 20

millions de dollars pour répondre à « certains besoins de la Tunisie »159. Les soutiens à la

Tunisie, pays sans intérêt stratégique saillant pour les Etats-Unis, et à l’Égypte, dont l’alliance

restait assurée avec l’armée, furent dénoncés comme « faciles » pour la puissance occidentale.

A contrario, les manifestants notèrent et critiquèrent l’absence de soutien américain aux

insurrections au Bahreïn ou au Yémen.

Un autre reproche essentiel à la politique étrangère du Président Obama fut sa gestion

du conflit israélo-palestinien, bien que l’espoir d’une résolution dans le conflit israélo-

palestinien ne fut pas central dans les révolutions à Tunis et au Caire. Au nom de la sécurité de

la région, le Président Hosni Moubarak avait d’ailleurs exprimé, lors de ses félicitations après

l’élection de Barack Obama en 2008, son espoir et sa résolution à travailler ensemble avec les

États-Unis pour permettre une résolution de ce conflit. Ainsi, les revendications du Printemps

arabe purent quelques fois recouper celles des Palestiniens ; « ça ne devrait pas être une

surprise que les ferments dans le monde arabe ait atteint les Palestiniens », nota le New York

156

Ibid, p. 13. 157 Ibid, Figure 15, p. 27. 158

Ivan Watson, “Divergent views on U.S. role in revolutionary North Africa”, CNN, March 18, 2011, http://edition.cnn.com/2011/WORLD/africa/03/17/tunisia.clinton/, accessed April 11, 2014. 159

“Hillary Clinton arrives in Tunisia”, Al Jazeera, March 17, 2011, http://www.aljazeera.com/news/middleeast/2011/03/201131705453353538.html, accessed April 11, 2014.

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Times en mai 2011. Quelques lignes plus loin, la critique de la réserve d’Obama sur la

question fut sévère :

« Le Président Obama a fait jusqu’ici trop peu (...) Franchement, nous ne voyons pas comment

Monsieur Obama peut parler avec persuasion de transformation dans le monde arabe sans

montrer aux Palestiniens une issue de paix160 ».

Selon un sondage national réalisé en Égypte en juin 2009, le discours du Caire fut en effet

surtout apprécié en Égypte pour avoir abordé la question de la résolution du conflit israélo-

palestinien. 48% des égyptiens interrogés citèrent ce thème comme le thème le plus important

couvert par le discours du Président Obama161. En avril 2011, lors du Forum entre les États-

Unis et le Monde islamique, Hillary Clinton confirma la reprise du dialogue entre Israéliens et

Palestiniens comme une nécessité immédiate à la lueur des révolutions arabes :

“And we start from the understanding that America's core interests and values have not

changed, including our commitment to promote human rights, resolve longstanding conflicts,

counter Iran's threats, and defeat al-Qaeda and its extremist allies. This includes renewed

pursuit of comprehensive Arab-Israeli peace. The status quo between Palestinians and Israelis

is no more sustainable than the political systems that have crumbled in recent months.162”

Néanmoins, le 13 mai 2011, Barack Obama officialisait la démission de son émissaire pour le

Proche-Orient, George Mitchell, dont l’agenda s’était considérablement allégé les derniers

mois163. Le 22 mai 2011, le quotidien saoudien Arab News refléta l’opinion générale d’un

monde arabe lassé des mots et peu confiant dans les actions à venir du Président américain :

160

Editorial of the Opinion Page, New York Times, May 17, 2011, http://www.nytimes.com/2011/05/18/opinion/18wed1.html?_r=0, consulté le 28 janvier 2014 161

The Egyptian Cabinet – Information & Decision Support Center, June 2009, in Gallup Polls, “Measuring the State of Muslim-West Relations: Assessing the ‘New Beginning’”, November 28, 2010, http://www.gallup.com/poll/145124/measuring-muslim-west-relations-assessing-new-beginning.aspx, accessed April 11, 2014. 162

Hillary Clinton, Remarks at U.S.-Islamic World Forum, Dipnote – U.S. Department of State Official Blog, April 13, 2011, http://blogs.state.gov/stories/2011/04/13/secretary-clinton-delivers-remarks-us-islamic-world-forum, accessed April 11, 2014. 163

« L'émissaire américain au Proche-Orient George Mitchell démissionne », Le Monde.fr, 13 mai 2011, http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2011/05/13/l-emissaire-americain-au-proche-orient-george-mitchell-va-demissionner_1521839_3222.html, consulté le 23 février 2014.

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« Les discours d’Obama n’intéressent désormais plus le Printemps arabe. Le Président

achoppe en effet toujours sur la question de la Palestine, essentielle aux yeux des populations

arabes »164.

La crispation des relations entre l’administration Obama et le monde arabe s’aggrava au long

de l’été 2011. Le 11 juillet 2011, des partisans du régime syrien de Bachar el-Assad tentèrent

d’investir les ambassades américaine et française à Damas. Les manifestants dénonçaient

notamment l’ingérence des puissances occidentales dans les affaires politiques intérieures de

la Syrie après le déplacement des ambassadeurs français et américain dans la ville rebelle et

historique d’Hama, au centre du pays. Les États-Unis convoquèrent alors le chargé d’affaires

syrien à Washington. Selon la porte-parole du département d’État, Victoria Nuland, la Syrie

n’avait pas été « à la hauteur de ses obligations internationales ». Le jour-même, les remarques

Hillary Clinton à l’encontre du régime de Bachar al-Assad furent sans appel :

“ Syrian President Bashar al-Assad is not indispensable and the United States has no interest in

his regime staying in power165”.

Si la Syrie ne se trouve pas au cœur de notre réflexion, les tensions issues de la crise syrienne

entre les États-Unis et le monde arabe sont tout de même essentielles à mentionner pour

comprendre l’évolution du climat général entre les deux régions à cette période.

Par ailleurs, le soutien d’Obama au Printemps arabe inquiéta dramatiquement ses alliés

stratégiques dans la région, particulièrement Israël et l’Arabie Saoudite. Le discours du Caire

marqua déjà un tournant : 55% des Israéliens le pensèrent pro-palestinien166. Puis, après le

discours d’Obama du 19 mai 2011 « Moment d’Opportunité » appelant à revenir aux

frontières de 1967 et la partition de Jérusalem, Netanyahou refusa ces propositions dans un

discours applaudi au Congrès américain :

164

Mansouria Mokhefi, « Washington face aux révolutions arabes », Politique Etrangère, Automne 2011/3, pp. 631-643, PDF disponible sur le site du Cairn, consulté le 8 avril 2014. 165

Hillary Clinton, “Syria's Assad 'is not indispensable,' Clinton says”, Reuters, July 11, 2011, http://www.reuters.com/article/2011/07/11/syria-usa-clinton-idUSWEN523220110711, accessed April 11, 2014. 166

Sondage du Journal Télévisé de la chaîne Arouts 2, « Obama préfère les arabes dans le conflit israélo-arabe » in Denis Charbit, « Obama, Netanyahou et l’opinion publique israélienne : la lente érosion d’une alliance ? », Politique Américaine n°18, « Nouveaux Regards sur la politique étrangère américaine au Moyen-Orient », 2010/3, pp. 12-36, p. 28.

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“U.S. Lawmakers and diplomats jammed the back walls and aisles of the crowded House

chamber during the speech. Netanyahu was given a two-minute ovation when he entered the

room and two dozen standing ovations during the 50-minute address.167”

Cette obstruction d’Israël, applaudie par le Congrès, rappela la force de la relation américano-

israélienne dans l’élaboration d’une politique étrangère dans le monde arabe. Le meneur de la

minorité républicaine au Sénat, Mitch McConnell, dit n’avoir rien trouvé en ce discours avec

lequel il pourrait ne pas être en accord. Par ailleurs, depuis le début du mois de janvier 2011

déjà, les médias israéliens s’affolaient d’une chute d’Hosni Moubarak. Le quotidien Maariv

titra « Une balle dans le dos de la part de l’Oncle Sam », accusant l’administration Obama de

mener une politique étrangère inconsciente et dangereuse pour la préservation des intérêts de

leur pays168. Le 22 mai 2011, Obama tenta alors de rassurer Israël sur l’engagement des États-

Unis pour leur sécurité, dans un discours au lobby AIPAC. Le mot « sécurité » y fut utilisé 23

fois169 ! Puis, l’influence du lobby israélien à Washington fut encore soulignée lors du

discours du Président Obama à l’Assemblée Générale des Nations Unies, le 21 septembre

2011. Le Président y confirma son engagement auprès des révolutionnaires : « La paix est

difficile, mais nos peuples la demandent ». En faisant référence au suicide de Mohammed

Bouazizi, le Président parla d’un monde « à la croisée des chemins » et affirma la Tunisie en

préparation d’élections qui la mèneraient encore « un pas plus près de la démocratie qu’elle

mérite ». Cependant, son discours fut aussi construit de façon à rassurer Israël. Évoquant le

conflit israélo-palestinien, Obama rappela la pérennité de l’alliance entre les États-Unis et

Israël :

“America's commitment to Israel's security is unshakeable, and our friendship with Israel is

deep and enduring. And so we believe that any lasting peace must acknowledge the very real

167

Joby Warrick and William Branigin, “Netanyahu’s speech sets high bar for resumption of peace talks”, The Washington Post, May 25, 2011, http://www.washingtonpost.com/national/netanyahus-speech-sets-high-bar-for-resumption-of-peace-talks/2011/05/24/AFA7aqAH_story.html, accessed April 11, 2014. 168

Douglas Hamilton, “Israel shocked by Obama's ‘betrayal’ of Mubarak”, Reuters, January 31, 2011, http://www.reuters.com/article/2011/01/31/us-egypt-israel-usa-idUSTRE70U53720110131, accessed April 11, 2014. 169

Remarks by the President at the AIPAC Policy Conference 2011, The White House, May 22, 2011, http://www.whitehouse.gov/the-press-office/2011/05/22/remarks-president-aipac-policy-conference-2011, accessed April 12, 2014.

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security concerns that Israel faces every single day. Let's be honest: Israel is surrounded by

neighbors that have waged repeated wars against it.170”

Une heure après la prononciation du discours, lorsque la journaliste du Guardian Harriet

Sherwood jaugea la réaction de la population à Ramallah, capitale administrative de l’Autorité

palestinienne, la déception était de mise. Elle expliqua que les populations de la Cisjordanie

(West Bank) se sentirent trahis par l’absence de prise de position du Président sur le statut

d’État de la Palestine :

“ I think people here will be very surprised and disappointed that he made no mention of the

borders of a Palestinian state being based on the pre-1967 lines. That will be seen as a

significant retreat on Obama's 19 May speech, and an alarming indication of the US stance of

the Palestinians' approach to the UN this week (…) I've been talking to people in the West

Bank today, and they feel very let down, indeed betrayed, by Obama.171”

Un commerçant palestinien interrogé le jour-même regretta un Congrès américain sous

influence israélienne :

“Shop owner Marwan Jubeh said: ‘Israel and the US are one and the same: the US is Israel,

and Israel is the US. Israel doesn't want to give the Palestinians anything and Obama can't do

anything without Israel because Congress is pro-Israel’.172”

Enfin, l’analyse du New York Times y vit aussi la preuve de l’obligation d’Obama de concilier

son soutien pour les mouvements démocratiques et son alliance avec Israël :

“The Arab Spring quandary, in particular, has been troublesome for Mr. Obama (...) But since

he is the president of the United States, he has had to put American interests first.173”

Plusieurs fois pendant le discours prononcé par Obama, le Président de l’Autorité

palestinienne, Mahmoud Abbas prit sa tête entre ses mains. Devant la Knesset le 24 novembre

2011, le Premier Ministre israélien Benjamin Netanyahu s’alarma de la pérennité des

violences et contestations en Égypte. Il rejeta alors le Printemps arabe comme un mouvement

170

Full transcript of Obama's speech at UN General Assembly, Haaretz, September 21, 2011, http://www.haaretz.com/news/diplomacy-defense/full-transcript-of-obama-s-speech-at-un-general-assembly-1.385820, accessed April 12, 2014. 171 Harriet Sherwood, “Obama speech at the UN on Palestinian statehood”, The Guardian, September 21, 2011, http://www.theguardian.com/world/2011/sep/21/un-obama-speech-palestine-live, accessed April 12, 2014. 172

Ibid. 173

Helene Cooper, “Obama Says Palestinians Are Using Wrong Forum”, The NYT, September 21, 2011, http://www.nytimes.com/2011/09/22/world/obama-united-nations-speech.html?_r=0, accessed April 12,2014.

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« devenant une vague islamique, anti-occidentale, anti-libérale, anti-Israël et non

démocratique »174.

En Arabie Saoudite aussi, le soutien des États-Unis au Printemps arabe et l’arrestation

du Président Moubarak furent vécus comme menaces pour leurs intérêts. Trois jours après le

début des insurrections en Égypte, le 28 janvier 2011, les services de sécurité saoudiens durent

réprimer une cinquantaine de manifestants à Djeddah. Le 10 février 2011, le ministre des

Affaires Étrangères vétéran du royaume, le Prince Saud Al Faisal, parla d’une « interférence »

américaine dans les affaires égyptiennes, ce qui fut interprété comme une rare attaque

saoudienne de la politique étrangère américaine175. L’Arabie Saoudite fut ainsi critique de ce

qui fut décrit comme un « échec des États-Unis à soutenir un allié de long terme lorsque le

régime du Président Hosni Moubarak fut soumis sous la pression de sa démission176 ».

L’administration Obama fut critiquée d’avoir fragilisé les liens des États-Unis avec leurs alliés

d’Israël et d’Arabie Saoudite.

Cette première partie nous montre que l’administration Obama montra une confiance

progressive aux insurrections du Printemps arabe, en prenant acte des évolutions effectives sur

le terrain mai aussi sous l’influence de nombreuses expertises. Le député secrétaire du

département d’État, James Steinberg, considéra la Tunisie comme une étude de cas « test »

pour les transitions politiques ayant lieu en Afrique du Nord. En septembre 2011 fut créé The

Office to the Special Coordinator For Middle East Transitions pour coordonner la stratégie du

département d’État américain et de ses agences dans leur soutien aux transitions politiques de

l’espace177. Le 7 octobre 2011, alors que la campagne électorale fut lancée en Tunisie, le

Président Obama se montra confiant lors de sa rencontre avec le Premier Ministre

tunisien Essebi : « Les électeurs vont choisir parmi des centaines de partis politiques, dont

174

Harriet Sherwood, “Binyamin Netanyahu attacks Arab spring uprisings”, The Guardian, November 24, 2011, http://www.theguardian.com/world/2011/nov/24/israel-netanyahu-attacks-arab-spring, accessed April 20, 2014. 175

Angus McDowall, “Mubarak's Departure Deals Blow to Saudis”, The Wall Street Journal, February 12, 2011, http://online.wsj.com/news/articles/SB10001424052748703786804576138321598498188 [accessed April 11th]. 176

Christopher M. Blanchard, Saudi Arabia: Background and U.S. Relations, Congressional Research Service, February 12, 2014, http://www.fas.org/sgp/crs/mideast/RL33533.pdf [accessed April 11

th].

177 Office of The Special Coordinator For Middle East Transitions (MET), Website of the U. S. Department of

State, http://www.state.gov/s/d/met/, accessed May 1, 2014.

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nombreux n’étaient auparavant pas autorisés à s’organiser sous le régime de Ben Ali178 ».

Nous notons aussi la décision de retour des Peace Corps Volunteers en Tunisie pour 2012, les

transitions politiques devant se réaliser à l’automne 2011.

Cette partie a aussi souligné l’idée que le soutien de l’administration Obama au Printemps

arabe a été limité, voire restreint, par de nombreuses forces profondes, influences internes et

alliances régionales. Ainsi, plutôt qu’une réelle rupture, les discours de l’administration

Obama témoignèrent plutôt d’une adaptation pragmatique des États-Unis aux événements en

Tunisie et en Égypte. « L’esprit du Caire s’est donc dissipé assez rapidement dans la mesure

où la stratégie de communication qui le sous-tendait s’est heurté au refus des acteurs locaux de

faire des concessions à propos de ce qu’ils considéraient comme leurs ‘intérêts vitaux’ et qui

ne coïncidaient pas avec les intérêts des États-Unis au Moyen-Orient »179.

La communication de l’administration Obama a dû s’adapter aux évolutions du Printemps

arabe et aux commentaires les accompagnants aux États-Unis et dans le reste du monde.

Nous voyons dans une deuxième partie de ce mémoire que la communication de

l’administration dévia alors vers une communication de crise.

178

Remarks by President Obama and Prime Minister Essebsi After Bilateral Meeting, The White House Press Office, October 7, 2011, http://www.whitehouse.gov/the-press-office/2011/10/07/remarks-president-obama-and-prime-minister-essebsi-after-bilateral-meeti, accessed April 17, 2014. 179

Mohammed El Oifi, article cité, p. 55.

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Partie II : Le glissement vers une communication de crise face aux

évolutions du Printemps arabe (octobre 2011 – mai 2014)

Cette deuxième partie vise à montrer le changement de communication du gouvernement

Obama face aux évolutions du Printemps arabe, des premières élections de l’automne 2011

aux derniers événements du printemps 2014. Il s’agit de comprendre le glissement de la

communication officielle des États-Unis vers une communication de crise, au regard de toutes

les forces profondes dégagées dans la première partie. Dans la continuité de notre

problématique générale, nous étudions ce glissement à travers deux principales questions :

pourquoi et comment la communication d’État a-t-elle ainsi évolué ?

Dans un premier chapitre, nous nous demandons si les insurrections arabes ont

correspondu aux intérêts américains dans le monde arabe. Au premier regard, les révolutions

populaires en Tunisie et en Égypte semblèrent servir les intérêts des États-Unis. Faisant écho

aux idéaux américains de l’après Seconde Guerre mondiale, le Printemps arabe parut mettre

définitivement fin au colonialisme européen en Afrique du Nord. Le nouveau Président de la

République tunisienne, Moncef Marzouki, exprimait cette idée d’une nouvelle indépendance

du pays dans un entretien au Journal du Dimanche, accusant la France de ne comprendre ni le

pays, ni le monde arabe : « L’esprit colonial, c’est terminé. La révolution de janvier 2011 nous

a donné la démocratie, la République, et finalement l’indépendance180 ». Les États-Unis au

contraire, en ayant saisi l’opportunité de soutenir les révolutionnaires arabes, se distinguèrent

de la réaction plus timorée des pays européens. Les révolutions correspondirent à la stratégie

déclaratoire des États-Unis et aux valeurs que celle-ci ambitionne de véhiculer : elles étaient

issues du peuple, appliquèrent le concept de « libre circulation des idées à l’international » et

utilisèrent les nouvelles technologiques, validant la « pensée experte » américaine. Cependant,

comme nous l’avons anticipé plus haut, « l’esprit du Caire » se dissipa et les États-Unis

180

Moncef Marzouki, Entretien au Journal Du Dimanche (JDD), 18 décembre 2011, http://www.lejdd.fr/International/Maghreb/Actualite/Moncef-Marzouki-le-nouveau-president-tunisien-fustige-la-condescendance-francaise-envers-son-pays-441047?from=headlines, consulté le 8 février 2014.

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devinrent obsédés par la menace du chaos en Tunisie et en Égypte. La montée en puissance

des Islamistes, Frères Musulmans et Salafistes représenta une nouvelle réalité politique à

laquelle les États-Unis furent confrontés. Aussi, la violence qui accompagna les processus de

transition politique en Tunisie et en Égypte, et la nouvelle expression de sentiments anti-

américains dans le monde arabe, agitèrent les opinions aux États-Unis.

Dans un deuxième chapitre, nous soulignons les forces profondes du monde arabe,

semblant laisser les États-Unis impuissants quant au déroulement des transitions politiques

amorcées. Les résultats des élections de 2011, au lieu d’installer des régimes stables en

Tunisie et en Égypte, furent fragilisés par de puissants phénomènes régionaux. Nous

développons particulièrement le militarisme en Égypte, et soulignons l’apparition d’une

« nostalgie du chef » dans les deux pays, lors de la découverte de leur désunion politique.

Aussi, il s’agit de comprendre que les « révolutions » eurent des effets contrastés aux yeux des

États-Unis. De nombreux faux pas démocratiques furent observés et l’hypothèse de

révolutions « détournées » fut formulée. Néanmoins, il s’agit encore d’effectuer une claire

distinction entre l’évaluation des résultats du Printemps arabe en Tunisie et en Égypte.

La peur du chaos et l’impuissance des États-Unis face aux évolutions du Printemps arabe, les

deux thèmes structurant cette deuxième partie, sont aussi les deux éléments du glissement de

la communication de l’administration Obama vers une communication de crise. Par crise,

nous entendons un processus mettant en avant des dysfonctionnements affectant une

organisation, ici le gouvernement américain : sa sûreté, sa réputation, voire sa pérennité (dans

la région). La communication de crise répond à une menace, ici celle de la figure du

révolutionnaire entraînant le chaos régional et celle des forces en présence, entraînant un

sentiment d’impuissance américain. La communication de crise a dès lors plusieurs rôles clés :

un rôle d’anticipation, d’information et d’atténuation181. Nous observons particulièrement ce

dernier rôle dans la communication de l’administration Obama après les attaques anti-

américaines autour du 11 septembre 2012 et le coup militaire du 3 juillet 2013 en Égypte.

181

Définition tirée de Catherine Guillaume, conseillère en stratégie et communication de crise, Colloque sur « Les Risques Majeurs » organisé par l'Université de Nouvelle-Calédonie, octobre 2010, http://cathysolutions.canalblog.com/archives/2010/11/15/19607436.html, consulté le 15 avril 2014.

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Chapitre 1 : Les insurrections arabes servaient-elles les intérêts

américains ?

1. L’écho aux idéaux du modèle démocratique américain

Le Printemps arabe fut animé de nombreuses revendications, et celles-ci furent différentes

selon les groupes, le pays et la période considérés, mais nous pouvons admettre comme but

premier et général du mouvement la recherche de dignité et de défense de droits de l’Homme.

Ce but fut revendiqué tout au long de l’Histoire des États-Unis. Une semaine avant la tentative

d’immolation par le feu du jeune Bouazizi, le Président Obama proclamait, à l’occasion de la

Journée des droits de l’Homme :

« C'est pourquoi je, soussigné, Barack Obama, président des États-Unis d'Amérique, en vertu

de l'autorité que me confèrent la Constitution et le droit des États-Unis, proclame par la

présente le 10 décembre 2010 Journée des droits de l'homme ; le 15 décembre 2010 Journée de

la Déclaration des droits ; et la semaine commençant le 10 décembre 2010 Semaine des droits

de l'homme. J'invite le peuple américain à marquer ces occasions en participant à des

cérémonies et à des activités appropriées. En foi de quoi, j'ai apposé ma signature en ce

dixième jour de décembre de l'an de grâce deux mille dix, deux cent trente-cinquième année de

l'indépendance des États-Unis d'Amérique182 ».

Il ne s’agit pas d’expliquer, à l’instar de certaines théories conspirationnistes, que le

Printemps arabe fut impulsé par les États-Unis. « Contrairement aux théories

conspirationnistes, les événements qui secouent la région arabe sont endogènes et ne sont pas

télécommandés de l’extérieur183 ». Néanmoins, il nous faut savoir que certaines organisations

soutenues par le gouvernement américain purent jouer un rôle de conseillers auprès des

populations s’étant soulevées dans le monde arabe. Les États-Unis investirent des milliards de

dollars dans des programmes d’aide militaire et campagnes anti-terroristes à l’étranger, mais

182

Proclamation du président Obama sur la Journée des droits de l'homme, 7 décembre 2010, http://iipdigital.usembassy.gov/st/french/texttrans/2010/12/20101210162736x1.283991e-02.html#axzz30V4Tb6U2, consulté le 13 avril 2014. 183

Bichara Khader, article cité, p. 9.

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un petit noyau d’organisations financées par le gouvernement américain promouvait la

démocratie dans des Etats arabes autoritaires. « Des télégrammes rendus publics par

Wikileaks révèlent que le gouvernement américain a appuyé les actions d’organisations telles

que l’International Republican Institute, le National Democratic Institute et la Freedom

House »184. Ces deux dernières organisations étaient notamment financés par le National

Endowment for Democracy (NED), organisation fondée en 1983 et recevant chaque année 100

millions de dollars du Congrès, redistribués pour la promotion de la démocratie dans les pays

en développement. Ces organisations conseillèrent et financèrent ensuite des groupes et

personnalités directement impliquées dans les insurrections du Printemps arabe, tels que le

Mouvement de la Jeunesse du 6 avril en Égypte. Créé au printemps 2008 par de jeunes

activistes, le Mouvement fut un des groupes ayant conduit aux manifestations de la Révolution

égyptienne de 2011. Ainsi, en parlant de la formation dispensée par la Freedom House, dont le

budget est presque exclusivement constitué par le département d’État américain, Bashem

Fathy, un des meneurs de la révolution égyptienne reconnut : « Nous avons appris à nous

organiser et à construire des alliances (…) la formation a été incontestablement utile pendant

la révolution »185. Selon un câble diplomatique révélé par Wikileaks, le Président Hosni

Moubarak s’était déjà dit inquiet le 9 octobre 2007 du « rôle des Etats-Unis dans la promotion

de la démocratie186 » en Égypte. Dans ce chapitre, nous visons à voir en quoi le Printemps

arabe put être considéré comme correspondant aux idéaux démocratiques proclamés par les

États-Unis.

1.1 Des mouvements issus du peuple

Les insurrections populaires en Tunisie et en Égypte purent sembler faire écho à l’adage

d’Abraham Lincoln d’un « gouvernement par le peuple, par le peuple et pour le peuple ».

Dans son discours au Forum mondial des États-Unis et du monde islamique, le 12 avril 2011,

184

Ron Nixon, “U.S. Groups Helped Nurture Arab Uprisings”, The New York Times, April 14, 2011, http://www.nytimes.com/2011/04/15/world/15aid.html?pagewanted=all&_r=0, accessed April 14, 2014. 185

Ibid. 186

Diplomatic cable of the U.S. embassy in Cairo, “Egypt: Updated Democracy Strategy”, October 9, 2007, in Ron Nixon, article cite.

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Hillary Clinton soutint des aspirations démocratiques populaires dont « les valeurs et intérêts

convergent avec l’histoire américaine » :

“The US is committed to standing with the people of Egypt and Tunisia as they work to build

sustainable democracies that deliver real results for all citizens, and to supporting the

aspirations of people across the region. On this our values and interests converge. History has

shown that democracies tend to be more stable, more peaceful, and ultimately, more

prosperous187”.

Le Président américain insista aussi sur l’idée que les peuples arabes furent les réels acteurs

des révolutions du Printemps arabe. Son discours du 19 mai 2011 évoqua cinquante et une fois

le terme de « peuple » :

“It is not America that put people into the streets of Tunis and Cairo – it was the people

themselves who launched these movements, and must determine their outcome”188.

Ces remarques ne visent pas à nous faire développer une théorie des États-Unis ayant inspiré

ou porté à bouts de bras les aspirations démocratiques du monde arabe. Par contre, nous

pouvons avancer l’hypothèse que les peuples arabes, eux, en remettant en cause l’alliance des

États-Unis avec les régimes dictatoriaux de Tunisie et d’Égypte, ont pu servir la stratégie

déclaratoire des États-Unis de « modèle de démocratie ». L’administration Obama saisit

l’opportunité de soutenir un mouvement apparaissant dans les médias internationaux comme

« juste », visant apparemment à l’application des droits de l’Homme et à la construction

d’États de droit. Pour atteindre cette nouvelle dignité dans le monde arabe, les populations de

Tunisie et d’Égypte, nous l’avons vu, visèrent tout d’abord à faire respecter leur liberté

d’expression. Or, dans cette quête, les populations arabes appliquèrent un concept essentiel à

l’Histoire des États-Unis et se servirent d’outils technologiques, chers aux Américains.

1.2 Le concept de « libre circulation des idées à l’international » et l’utilisation des

réseaux sociaux

A. Un concept ancré dans l’Histoire des États-Unis

La liberté d’expression est un concept incontournable de l’identité politique des États-Unis.

Le premier amendement à sa Constitution du 17 septembre 1787 garantit la liberté

187

Hillary Clinton, Speech at the U.S.-Islamic World Forum, April 12, 2011, in Gardner Lloyd C, op. cit., p. 193. 188

Remarks by the President on the Middle East and North Africa, May 19, 2011, op. cit.

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d’expression et de la presse : « le Congrès ne peut adopter aucune loi (…) restreignant la

liberté d'expression ou de la presse189». La jurisprudence de la Cour Suprême rappela ensuite à

mainte reprise le caractère fondamental de cette liberté. Dans l’affaire Abrams c. US de 1919

par exemple, nous pouvons noter la dissidence du juge Holmes, énonçant la théorie du marché

aux idées. Il affirma que « le bien ultime souhaité est mieux atteint par le libre échange des

idées » et que « le meilleur test de vérité passe par l’acceptation de sa pensée sur un marché

compétitif »190. Dans Garrison c. Louisiana en 1964, la Cour érigea la liberté d’expression

comme « indispensable au débat public », dans le respect de l’idée que la souveraineté

appartient au peuple. Dans une décision rendue en 1965, ce droit à la libre expression fut

d’ailleurs complété par celui de recevoir de l’information.

En 1999, le juriste américain et professeur à la faculté de droit d’Harvard, Lawrence

Lessig, lia le concept à de nouveaux outils. Il émit l’hypothèse que les nouvelles technologies

de l’information et de la communication seraient des moyens efficaces de protection d’un

certain nombre de valeurs fondamentales, comme la liberté d’expression. Selon ce spécialiste

de droit constitutionnel et de la propriété intellectuelle, l’outil Internet permettrait la libre

circulation des idées. De par son anonymat, sa distribution décentralisée de l’information, sa

multiplicité des points d’accès ou encore sa gratuité, l’architecture du cyberspace serait

capable de protéger la liberté d’expression. L’hypothèse de Lessig s’inscrivit alors dans les

valeurs fondatrices des États-Unis. « La liberté d’expression placée sous le protectorat des

technologies reposerait en grande partie sur le concept juridique tel qu’il est défendu aux États

Unis depuis la fin du XVIIIe siècle 191». Le professeur Lessig alla plus loin, soutenant que ce

fut par l’architecture d’Internet que les États-Unis réussirent à exporter leur conception de la

liberté d’expression, « mieux que par le biais de tous leurs discours sur la question192 ». Grâce

au code, des valeurs issues de la Constitution américaine auraient été exportées dans le

189

First Amendment to the Constitution of the United States, ratified December 15, 1791 and forming with the first ten amendments what is known as the “Bill of Rights” in the Booklet of the Jack Miller Center, printed September 2011. 190 Urofsky, Melvin I., and Paul Finkelman, "Abrams v. United States (1919)." Documents of American Constitutional and Legal History, 3

rd edition, New York, Oxford University Press, 2008, 624 pages, pp. 666-67.

191 Saïd Hamdouni et Serge Regourd, Les régimes arabes dans la tourmente : « révolutions », communications et

réactions internationales, Toulouse, Publisud, 2012, 239 pages, p. 116. 192

Ibid, p. 119 in Lawrence Lessig, Code –And other laws of Cyberspace, New York, Basic Books, 1999, pp. 5-6.

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monde. En effet, la diplomatie des États-Unis se fonde sur le principe constitutionnel de la

libre expression pour défendre à l’international le concept de « libre circulation de

l’information », dite « free flow of information » ou « marketplace of ideas ». Lors de leurs

conflits en Afghanistan et en Irak, les États-Unis disséminèrent de nombreux équipements

informatiques et logiciels dans le monde arabe, surtout au sein des populations rurales et

éloignés des centres. Ces outils servirent des buts d’information, mais aussi et peut être

surtout, de contrôle de l’information et de propagande au profit des États-Unis dans la région.

“Now, the efforts is gaining momentum, through institutions that Ambassador Hughes

inaugurated, like the State Department’s media hubs in London, Brussels, and Dubai, which

rapidly deliver voices that advocate for U.S. policy on Arabic and other important international

media, and the Digital Outreach Team, which began engaging with Arabic Internet sites in

November of 2006, and expanded to include Persian and Urdu sites in December of 2007”193.

Ce discours prononcé à la Commission des Relations Étrangères du Sénat est illustratif d’une

diplomatie américaine « digitale » dans le monde arabe, où la technologie devient un vecteur

de changement politique. Dans son « Initiative pour un Grand Moyen-Orient » en 2004 déjà,

le Président Bush reconnut l’idée qu’une force uniquement militaire ne serait pas suffisante

pour permettre la démocratie dans le monde arabe. L’administration Bush fit alors de la

défense de la liberté d'expression et de l'accès aux technologies de l'information dans les pays

du Moyen-Orient l'une de ses priorités lors du G8 de Sea Island, en Géorgie194.

L’administration Obama s’inscrivit dans la logique de la jurisprudence Garrison, mais

aussi dans la continuité de la diplomatie du Président Bush, lorsque le Président déclara le 4

juin 2009 au Caire : « J’ai la ferme conviction que tous les peuples aspirent à certaines choses:

la possibilité de s'exprimer et d'avoir une voix dans la façon dont ils sont gouvernés ».

La liberté d’internet fut érigée comme une priorité du département d’État, dont Hillary Clinton

193

Opening Statement of James K. Glassman, Senate Foreign Relations Committee, Hearing on Nomination as Under Secretary of State for Public Diplomacy and Public Affairs, on the Advisory Group on Public Diplomacy for the Arab and Muslim World, January 30, 2008, http://www.carlisle.army.mil/DIME/documents/Glassman%20Senate%20Confirmation.pdf, consulté le 2 février 2014. 194

Tamara Cofman, “The New U.S. Proposal for a Greater Middle East Initiative: An Evaluation”, Brookings Institution, May 10, 2004, http://www.brookings.edu/research/papers/2004/05/10middleeast-wittes, accessed April 14, 2014.

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se fit la voix : « Ce défi auquel nous sommes confrontés est nouveau, mais notre

responsabilité de veiller à la libre circulation des idées remonte à la création de notre

République195 ». Nous notons l’utilisation du terme « libre circulation des idées » à deux

reprises dans cette allocution du 21 janvier 2010. Le mot le plus utilisé fut évidemment celui

de « liberté », 52 fois. L’idée de « réseaux » fut mentionnée 33 fois, la secrétaire d’État

expliquant que les « réseaux sont le nouveau système nerveux de notre planète ».

La « technologie » revint douze fois, associée au but d’atteinte des « droits de l’Homme »,

cités dix fois. Le discours explique en effet que l’héritage américain doit être concilié avec sa

technologie ; les valeurs et principes du pays ne doivent pas être négligés à leur profit, mais

doivent au contraire reprendre de la vigueur par le vecteur des nouvelles technologies.

À l’instar du rideau de fer ayant politiquement divisé l’Europe, Hillary Clinton dénonça un

« nouveau rideau de fer de l’information ». Pour combattre les fléaux du manque

d’information, de la surveillance et de la censure, l’administration Obama investit dans de

nombreux programmes cités par la secrétaire d’État, notamment Global Internet Freedom

Task Force et Global Network Initiative. Hillary Clinton introduisit dans ce discours la

« solution » des technologies, faisant écho à la théorie de Lawrence Lessig :

“Let us make these technologies a force for real progress the world over, and let us go forwar

together the champion these freedoms”.

Ces fléaux visés par les stratégies de l’administration Obama furent principalement les fléaux

rencontrés en Tunisie et en Égypte lors du Printemps arabe. Il est aussi cohérent de nous

reporter à la Stratégie internationale de la Maison Blanche pour le cyberspace196, publiée en

mai 2011. Les États-Unis y encouragèrent « les peuples du monde entier à utiliser les médias

numériques pour exprimer leurs opinions, partager de l’information, surveiller les élections,

dénoncer la corruption et organiser des mouvements sociaux et politiques ». Cette idée

générale se retrouva les 26 et 27 mai 2011 dans la déclaration finale du sommet de G8 de

Deauville, intitulée « Un nouvel élan pour la liberté et la démocratie ». Son point 5 glorifia

195

Hillary Clinton, Allocution sur la liberté d'internet prononcée au Newseum de Washington, 21 janvier 2010, http://www.cfr.org/internet-policy/clintons-speech-internet-freedom-january-2010/p21253, consulté le 2 février 2014. 196

White House Release, “International Strategy for Cyberspace – Prosperity, Security, and Openness in a Networked World,” May 2011, http://www.whitehouse.gov/sites/default/files/rss_viewer/internationalstrategy_cyberspace.pdf, accessed February 2, 2014.

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Internet comme « outil unique d'information et d'éducation ; il contribue ainsi à la promotion

de la liberté, de la démocratie et des droits de l'homme ». Nous pouvons rassembler tous ces

propos de l’administration américaine comme illustrations de la « pensée experte »

américaine : la technologie devient solution à tout problème rencontré par un pays. De plus, il

est important de souligner que l’outil que les États-Unis vantent ici, Internet, est un outil

opérant sous le contrôle américain. La Déclaration de Deauville contenait aussi au point 1 une

déclaration sur le Printemps arabe et, pour la première fois dans l’histoire du G8, une

déclaration conjointe avec les chefs d’États et de gouvernements africains au point 2. Au sein

du G8, les États-Unis assurèrent leur soutien aux transitions tunisienne et égyptienne :

« Prenant la mesure des évolutions récentes en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, ainsi

qu'en Afrique sub-saharienne, nous avons renouvelé notre engagement à soutenir les réformes

démocratiques partout dans le monde, et à répondre aux aspirations des citoyens à la liberté

(...) Nous avons rencontré les Premiers Ministres de l'Égypte et de la Tunisie, et nous avons

décidé de lancer un partenariat de long terme avec les pays qui choisissent de lancer une

transition démocratique, et en faveur de sociétés tolérantes. Notre objectif commun est d'agir

en faveur de l'état de droit et de l'implication des citoyens, et d'encourager les réformes

économiques et sociales, afin de répondre aux aspirations des peuples »197.

À la Conférence de Londres sur le cyber-espace le 1er novembre 2011, le vice-président Joe

Biden rappela encore combien le principe de libre circulation de l’information était lié à

Internet. Le vice-président reprit les éléments de langage de l’administration lorsqu’il parla de

« digital marketplace of ideas » ; il témoigna ainsi d’une communication d’État unifiée.

L’hypothèse de Lessig est donc intéressante à inclure dans notre réflexion sur le Printemps

arabe. Nous pouvons nous demander si l’utilisation des nouvelles technologies de

l’information en Tunisie et en Égypte, utilisation prônée par les États-Unis, put effectivement

réaliser l’ambition d’une nouvelle liberté d’expression dans le monde arabe et ainsi

correspondre aux valeurs américaines.

197

Déclaration du G8 de Deauville, « Un nouvel élan pour la liberté et la démocratie », 26-27 mai 2011, http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/Declaration_G8_Generale_20110527.pdf, consulté le 2 février 2014.

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B. L’application du concept américain par les moyens techniques utilisés durant le

Printemps arabe : l’usage des réseaux sociaux

Lorsqu’Hillary Clinton préconisa l’utilisation des nouvelles technologies comme force pour

renforcer la liberté d’expression dans le monde, elle associa l’action du gouvernement

américain au travail des entreprises, universités et organisations non gouvernementales. Elle

insista notamment sur le rôle des opérateurs téléphoniques et des logiciels de repérage

cartographique pour renforcer le pouvoir des citoyens et adapter la diplomatie américaine

traditionnelle aux nouvelles réalités du terrain. « Le secteur privé a une responsabilité partagée

dans la protection de la liberté d’expression », assura-t-elle. Cette idée fut répétée dans la

Stratégie Cyberspace et la déclaration de Deauville, précitée, au point 5 : « Les pouvoirs

publics, le secteur privé, les utilisateurs et d'autres acteurs encore, ont tous un rôle à jouer pour

créer un environnement favorable au développement équilibré de l'Internet ». Dans son

discours « Moment d’Opportunité » du 19 mai 2011, le Président Obama vanta l’usage des

nouvelles technologies, télévisions satellite et Internet, portable et réseaux sociaux, comme

vecteurs de nouvelles voix ne pouvant alors plus être ignorées. Une fois de plus, la

technologie fut proposée comme réponse politique, une idée caractéristique de la pensée

experte américaine que nous avons avancée plus haut. Le mot « technologie » apparut sept

fois au cours du discours :

“The events of the past six months show us that strategies of repression and diversion won’t work

anymore. Satellite television and the Internet provide a window into the wider world –cell phones

and social networks allow young people to connect and organize like never before. A new

generation has emerged. And their voices tell us that change cannot be denied (…) Across the

region, we intend to provide assistance to civil society, including those that may not be officially

sanctioned, and who speak uncomfortable truths. And we will use the technology to connect with –

and listen to – the voices of the people (…) We will support open access to the Internet, and the

right of journalists to be heard – whether it’s a big news organization or a blogger. In the 21st

century, information is power; the truth cannot be hidden; and the legitimacy of governments will

ultimately depend on active and informed citizens.”

Au cœur du Printemps arabe, les outils technologiques utilisés par les révolutionnaires furent

bien américains ; cette utilisation sembla correspondre aux intérêts et principes américains.

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Twitter rendit des informations disponibles en 140 caractères, de façon anonyme et pour tous,

les citoyens n’ayant qu’à utiliser des hashtags pour apparaître dans le fil d’actualité de

certains événements. Lorsque l’application fut bloquée par le pouvoir égyptien entre les 25 et

27 janvier 2011, l’acte du régime fut dénoncé par Hillary Clinton. La Commission Fédérale

des Communications dénonça aussi cette tentative de contrôle d’Internet par le gouvernement

égyptien face au désir de liberté du peuple :

“The recent events in Egypt’s role in the “Arab Spring” offer a stark example of the excesses of

government involvement into the Internet’s affairs. The Egyptian government attempted to shut off

all Internet communications on January 27 using what it thought was centralized control over

networks. But its efforts were foiled by the Egyptian people’s unquenchable thirst for freedom.198”

Les dirigeants de Twitter, Macgillivray et Biz Stone, répondirent à ce blocage par un tweet de

contestation « Tweets must flow » sur leur blog, le 28 janvier 2011. Twitter s’associa ensuite à

Google, autre site banni par le régime égyptien, pour lancer le service speak2tweet le 31

janvier 2011, après la coupure totale d’Internet en Égypte. Les citoyens pouvaient alors

composer un numéro puis dicter des tweets ensuite directement publiés par d’autres

internautes. Les deux entreprises prouvèrent ainsi leur but commun de libre circulation des

informations.

Facebook fut aussi acteur, ou tout du moins vecteur, des insurrections arabes en

Afrique du Nord et au Moyen-Orient. En Tunisie, le réseau social comptait « 2 millions

d’utilisateurs en 2010, un mois avant le début de soulèvement. Le pays se classait alors parmi

les 20 pays ayant le plus d’utilisateurs en rapport avec le nombre d’habitants.199 » En réaction,

le pouvoir central tenta de censurer certains accès mais après une enquête de 10 jours, le site

put faire confirmer les faits et réagir en conséquence. Il fut en effet prouvé qu’un logiciel

enregistrait les messages des utilisateurs pour ensuite les communiquer au gouvernement.

Facebook contre-attaqua le gouvernement tunisien en redirigeant ses utilisateurs vers une page

utilisant le protocole « https » : les informations transmises, cryptées, ne pouvaient alors plus

être interceptées. De plus, le site instaura un second code de sécurité à l’identification, en plus

du mail et du mot de passe –une question secrète. Le département de la haute technologie de 198

Robert M. McDowell, “Keynote on Technology and Democracy: Technology and the Sovereignty of the Individual", Federal Communications Commission, June 27, 2011, http://www.fcc.gov/document/technology-and-sovereignty-individual, accessed April 20, 2014. 199

Saïd Hamdouni Saïd et Serge Regourd, op.cit., p. 129.

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la New America Foundation, think tank de politique publique américaine, alla encore plus loin

avec son Open Technology Initiative. Ses chercheurs se penchèrent sur le développement d’un

logiciel pour créer des réseaux ponctuels à haut débit entièrement autonomes et anonymes

(disponibles sur les téléphones portables et par wifi). En parallèle, le projet Commotion,

financé par le département d’État américain, promettait d’immenses perspectives pour la

communication en zone de guerre, en cas de catastrophes naturelles et, ce qui nous intéresse

surtout dans le cadre de ce mémoire, pour le contournement de la censure perpétrée par

certains régimes.

Face à ce relai massif du Printemps arabe sur la Toile, la littérature a pu parler d’une

‘révolution 2.0’ en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, en ce que les réseaux sociaux furent

des outils des révolutionnaires arabes. L’architecture de libre circulation des idées aurait-elle

alors permis à la Tunisie et l’Égypte une plus grande liberté d’expression et une transition vers

la démocratie en conséquence, comme l’avançait Lawrence Lessig en 1999?

Il faut être très prudent en parlant d’une « e-revolution », pour à la fois ne pas l’idéaliser et ne

pas y réduire le Printemps arabe. « Les jeunes ne se sont pas cachés derrière leurs écrans ». Ce

qui a été remarqué dans les révolutions tunisienne et égyptienne, c’est plutôt « le passage de la

solitude de l’internaute à l’euphorie collective200 », car le lien collectif se fabrique avant tout

dans le réel. Evgeny Morozov, chercheur sur les implications sociales et politiques de la

technologie, montra comment la « révolution Twitter » de 2009 en Iran, par exemple, fut

surtout montée en épingle par les médias occidentaux, au point que Mahmoud Ahmadinejad

lui-même y crut. Depuis, le régime développa des services se consacrant entièrement à la

surveillance des réseaux sociaux, formant des blogueurs conservateurs ou religieux et menant

des attaques cybernétiques. Le même auteur voit alors même Facebook comme nouvel allié

des dictateurs. « Au Soudan, les services secrets ont lancé sur Internet des appels à de fausses

manifestations, juste pour voir qui descendrait dans la rue et arrêter les protestataires »201. «

Sans doute les textos et Twitter ont-ils joué un rôle important pour la coordination des

manifestants. Mais leur capacité à tenir le siège de la place Tharir n’a été rendue possible que

200

Bichara Khader, article cité, p. 32. 201

Evgeny Morozov, cité in Smaïn Laacher, op. cit., p. 89.

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par la mise en œuvre d’une logistique pratique et relativement lourde »202. Le réel défi a

notamment été de ravitailler les manifestants, de prodiguer soins aux malades et blessés, mais

aussi d’organiser les réunions d’hommes et de femmes en limitant les situations d’harcèlement

sexuel, véritable fléau en Egypte. Les citoyens ont ainsi mis en place de nombreux outils tels

que des lavabos, des « murs de journaux », une place pour les blogueurs au centre des

manifestations, une garderie, etc. Ainsi, il convient de ne pas surestimer l’usage de l’outil

Internet durant les révolutions tunisienne et égyptienne et dès lors, de ne pas conclure en une

évidente concordance entre les valeurs américaines et celles portées par le Printemps arabe.

Par ailleurs, la libre circulation des idées ne permit pas systématiquement un débat

public, ni l’accès à la vérité. Dans une situation de battage médiatique effréné, certaines

rumeurs ont pu circuler, apportant aussi de fausses informations dans le débat politique et

citoyen. Al Jazeera, par exemple, reprit la fausse information de l’assassinat d’Imed Trabelsi,

le neveu de Ben Ali.

La transition politique espérée par les États-Unis se révéla donc plus complexe qu’attendue.

A la place d’un nouvel ordre souhaité au Maghreb apparut un certain chaos qui effraya les

Américains. John Kerry, Président du Comité des Relations Étrangères du Sénat, nuançait déjà

l’idée d’une victoire de la démocratie après la Révolution égyptienne : « I don’t think anybody

should be getting too carried away with a victory lap today203 ». La Tunisie et l’Égypte, dès la

fin de l’année 2011, furent agitées de nouveaux enjeux et de nouvelles violences. Alors, face à

la menace du chaos, la communication du gouvernement américain s’apparenta de plus en

plus à une communication de crise.

202

Ibid, p. 92. 203

B. S. Raghavan, “Facets that set the Egyptian uprising apart”, The Hindu Business Line, February 14, 2011, http://www.thehindubusinessline.com/todays-paper/tp-opinion/facets-that-set-the-egyptian-uprising-apart/article1452830.ece, accessed April 29, 2014.

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2. La menace du chaos et la figure du révolutionnaire remplaçant celle

des dictateurs dans l’imaginaire négatif des Américains

2.1 La montée en puissance des Islamistes, des Frères Musulmans et des Salafistes :

les États-Unis face à une nouvelle réalité politique

En Tunisie, l’élection de l’Assemblée constituante, considérée comme la première élection

démocratique du pays, eut lieu du 20 au 23 octobre 2011. La majorité des sièges fut obtenue

au scrutin proportionnel à un tour par le parti islamiste d’Ennahda, à hauteur de 37,04%.

Sur 217 sièges à pourvoir, le parti d’Ennahda en obtint donc 89. Son secrétaire général,

Hamadi Jebali, devint Premier ministre et forma un gouvernement de coalition avec le

Congrès pour la République et Ettakatol. La victoire du parti d’Ennahda, se décrivant comme

parti islamiste modéré visant à la garantie des libertés civiles et politiques, prouva

l’importance des soutiens islamistes dans le pays. « Les partis islamistes ont un noyau dur de

soutien dans ces pays, malgré le contexte social et économique changeant. En Tunisie, ils

représentent 15 à 20% de la vie politique.204» Le constat fut similaire en Égypte. Les élections

législatives furent tenues du 28 novembre 2011 au 3 janvier 2012 dans le but de former une

nouvelle Assemblée du peuple. La précédente avait en effet été dissoute après l’arrestation

d’Hosni Moubarak par le Conseil suprême des Forces Armées, le 13 février 2011. Les Frères

Musulmans, par leur vitrine politique du parti pour la Liberté et la Justice fondé en 2011,

obtint la majorité des voix avec 222 sièges, soit 44,6% de l’Assemblée. Le deuxième

vainqueur de l’élection fut le parti salafiste de la Lumière, entrant dans le jeu politique en

obtenant 112 sièges soit 22,5%. Les autres partis candidats ne dépassèrent pas les 3%, sauf le

parti national-libéral Néo-Wafd et le parti égyptien social-démocrate. « Les deux partis

islamistes se taillent la part du lion dans l’assemblée égyptienne, avec 68% des sièges »205.

Les analystes politiques purent ainsi parler d’un Printemps arabe « virant au vert », le vert

étant la couleur des partis islamistes. Pour le professeur Khader que nous avons déjà cité, leur

victoire était prévisible et s’expliquait par plusieurs éléments. Avant tout, la victoire des partis

204

Stéphane Lacroix, politologue spécialiste d'islam politique, chercheur au CERI et professeur à Sciences Po, Table ronde France Culture : « Après Morsi, l’automne de l’islam politique ? », Salle de l’Aubette à Strasbourg, samedi 23 novembre 2013. 205

Bichara Khader, article cité, p. 14.

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islamistes signifia la fin d’une période où les élections étaient remportées à 99,99% des voix

par Ben Ali et Hosni Moubarak. En opposition à un ancien régime corrompu, les partis

islamistes présentèrent une image d’honnêteté, rassemblant bien souvent les torturés et exilés

du régime. Aussi, maillant le territoire, les partis islamistes bénéficièrent d’une large visibilité

et reconnaissance au sein des populations. De par leur capacité d’organisation et leur

discipline, les partis verts purent insister sur les valeurs de justice et de développement de

manière crédible aux yeux des citoyens. Gilles Kepel expliquait en effet déjà au printemps

2011 que les Frères Musulmans représentaient en Égypte la « force politique la plus

structurée, dotée d’un immense réseau associatif »206. Les médias européens insistent toujours

sur l’extrémisme religieux des partis islamistes mais ce qu’il importe d’en retenir est un point

sur lequel les islamistes eux-mêmes insistent beaucoup : leur pureté, dans le respect de

l’islam, mais aussi dans leur relation à la politique.

Le 23 octobre 2011, les remarques du Président des États-Unis sur les élections en

Tunisie furent optimistes, indiquant que la Tunisie, moins d’un an après avoir « inspiré le

monde », avait accompli un « important pas en avant ». Obama félicita les « millions de

Tunisiens qui votèrent pour la première élection démocratique qui prit place dans le pays, qui

changea le cours de l’histoire et commença le Printemps arabe ». Il indiqua que l’enjeu

résidait désormais dans l’écriture d’une nouvelle Constitution satisfaisant les aspirations du

peuple tunisien. Pour cela, il assura l’engagement des États-Unis auprès des Tunisiens dans

leur avancée vers « un futur démocratique offrant dignité, justice, liberté d’expression et de

meilleures opportunités économiques pour tous207 ». Le 10 décembre 2011, la Tunisie adopta

la « loi sur l’organisation provisoire des pouvoirs publics », suivant le décret du 23 mars 2011

et remplaçant la Constitution de 1959. Le 2 novembre 2011, le décret-loi n°2011-115 relatif à

la liberté de la presse, de l’impression et de l’édition208 participa à une nouvelle consécration

206

Gaïdz Minassian, Nicolas Truong et Nicolas Weill, « Vers un nouveau monde arabe », Le grand entretien avec Gilles Kepel, Le Monde – Idées, 4 avril 2011, http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/04/04/gilles-kepel-vers-un-nouveau-monde-arabe_1502761_3232.html, consulté le 30 avril 2014. 207 Statement by the President on Elections in Tunisia, October 23, 2011, http://iipdigital.usembassy.gov/st/english/texttrans/2011/10/20111023161754su1.588947e-02.html#axzz2z4gpATba, accessed April 15, 2014. 208

Décret-loi n°2011-115, 2 novembre 2011, http://fr.slideshare.net/moezbdh/decret-loi-116-du-2-novembre-2011-sur-les-medias-tunisie-14721386, consulté le 17 avril 2014.

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de la liberté d’expression, première liberté défendue par les États-Unis. Malgré certaines

imperfections, le décret-loi fut jugé comme « standard minimum de protection » par l’analyse

de Reporters Sans Frontières du 14 février 2012209. L’ambassadeur Bill Taylor, Coordinateur

Spécial du département d’État pour les Transitions au Moyen-Orient, indiqua le 3 novembre

2011 combien les États-Unis avaient soutenu le bon déroulement de ces élections en Tunisie.

Durant les élections, il avait été lui-même sur place. Cependant, il assura que les États-Unis ne

soutinrent aucun parti individuel en particulier. « Nous ne soutenons pas les partis. Ce que

nous faisons, c’est plutôt de l’entraînement aux partis. Nous les aidons par exemple à utiliser

les sondages »210. Le 7 novembre 2011, lors du National Democratic Institute’s Awards

Dinner, Hillary Clinton disait en effet vouloir que les États-Unis soient du « bon côté de

l’histoire ». Elle affirma alors le respect américain du droit des Tunisiens et Égyptiens à

« choisir leurs propres dirigeants » et le soutien américain dans leur quête de démocratie211.

Au regard de l’Égypte, Obama félicita le nouveau Président élu à 51,7% des voix, candidat du

parti islamiste des Frères Musulmans, Mohammed Morsi, le 24 juin 2012. Il parla d’un

« tournant dans la transition démocratique du pays ». Dans une transcription d’une

conversation téléphonique du Président Obama avec le Président Morsi, la Maison Blanche

affirma que « les États-Unis continuent de soutenir la transition démocratique en Égypte et

restent aux côtés du peuple égyptien tant qu’il remplit la promesse de sa révolution »212.

Cependant, les analystes politiques admirent un double langage des partis islamistes

vainqueurs en Tunisie et en Égypte : celui de la sharia devant les citoyens arabes, et une

rhétorique plus modérée face à des citoyens séculaires et une communauté internationale

209

Analyse du décret-loi n°2011-115 du 2 novembre 2011 relatif à la liberté de la presse, de l’impression et de l’édition, Reporters sans Frontières, 24 février 2012, http://fr.rsf.org/IMG/pdf/120227_code_de_la_tunisie.pdf, consulté le 17 avril 2014. 210

Ambassador William Taylor, Special Briefing on U.S. Support for the Democratic Transitions Underway in Tunisia, Egypt, and Libya, November 3, 2011, http://www.state.gov/r/pa/prs/ps/2011/11/176653.htm, accessed May 2, 2014. 211

Clinton at National Democratic Institute’s Awards Dinner, Office of the Spokesperson, U. S. Department of State, November 7, 2011, http://iipdigital.usembassy.gov/st/english/texttrans/2011/11/20111108084112su0.1240002.html#axzz30P4Dt8jx, accessed April 15, 2014. 212

Dave Boyer and Ashish Kumar Sen, “Obama congratulates Morsi on winning Egyptian presidency”, The Washington Times, June 24, 2012, http://www.washingtontimes.com/news/2012/jun/24/obama-calls-to-congratulate-morsi-an-islamist-on-w/, accessed April 17, 2014.

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veillant au grain. Un neurologiste de Tunis expliqua que la victoire des partis islamistes n’était

pas forcément liée à un soutien massif de la notion de démocratie :

“The other political parties talked about things that are not a priority for normal Tunisian

citizens (…) They spoke of democracy and rights to people who are more concerned with

things like food and clothing. The problem was that the democratic parties were talking about

politics, and the Tunisian people have no political culture (…) Ennahda didn't talk about

politics. They spoke to the people in their own language.213”

Dès lors, « pour l’Occident qui a toujours préféré traiter avec les dictatures, supposées

constituer des remparts contre la déferlante islamiste, la surprise fut de taille, pas tant en

raison de la percée des mouvements proches des Frères Musulmans, mais surtout en raison de

l’ampleur de leur victoire214 ». Il est difficile de savoir si les États-Unis avaient anticipé les

victoires électorales des partis islamistes en Tunisie et en Égypte. Néanmoins, après la chute

d’Hosni Moubarak, plusieurs rencontres furent organisées entre des membres du

gouvernement américain et les Frères Musulmans, en qualité du mouvement politique le plus

influent, car le mieux organisé, en Égypte. Ainsi, et au regard de certaines auditions du

Congrès, telles que celles des 9 et 10 février 2011 développées dans la première partie de ce

mémoire, nous pouvons tout de même affirmer deux éléments : les États-Unis avaient

pressenti la montée en puissance de ces partis et la craignaient. Le « soutien » du Président

Obama aux partis islamistes vainqueur en Tunisie et en Égypte, si tant est que ce soutien

n’était pas un simple effet du langage diplomatique du Président américain, n’apparut alors

pas comme une évidence. Les relations entre les États-Unis et les partis islamistes présentaient

en effet un historique complexe et conflictuel. Dans les années 2000, la politique étrangère

américaine vis-à-vis du monde arabo-musulman fut « une attitude de confrontation avec les

fondamentalistes islamistes considérés comme anti-démocratiques et anti-occidentaux215 ».

213 Slaheddine, neuroradiologist from Tunis, in Christopher Reeve, “The Inevitable Islamist Domination in the New Arab Democracies”, The Huffington Post, February 1

st, 2012, http://www.huffingtonpost.com/christopher-

reeve/islamists-arab-spring_b_1246817.html, accessed April 17, 2014. 214

Bichara Khader, article cité, p.13. 215

Y-H. Nouailhat et S. de la Foye, op.cit., p. 5.

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En mai 2012, lorsque le Congrès évaluait les priorités de la politique étrangère américaine, ses

membres s’inquiétèrent alors d’une telle emprise des partis islamiques dans le monde arabe216.

La domination islamique plongea la diplomatie américaine dans une certaine incohérence : les

administrations américaines, alliées historiques de gouvernements autoritaires du monde arabe

pour favoriser la stabilité de la région, avaient officiellement « ignoré » les partis islamistes.

Or, en 2011, les partis islamistes devinrent précisément les nouvelles forces politiques, ou

mainstream force, en Tunisie et en Égypte. Le projet islamiste entra aussi en contradiction

avec les intérêts américains car il exigea moins de paternalisme de la part des autres États, en

demandant notamment une égalité de traitement et plus de réciprocité dans leurs relations

internationales. Finalement, « c’est un ancien ordre dominé par les États-Unis qui

chancelle » ; « il n’y aura plus d’alliances définitives, il y aura des intérêts nationaux à

défendre217 ».

Le gouvernement Obama dut ainsi officiellement renverser un climat américain de

méfiance et d’hostilité envers les partis islamistes, longtemps considérés comme

incompatibles avec les intérêts et les valeurs des États-Unis218. Le Président de la Commission

des Relations Étrangères du Sénat, John Kerry illustra le pragmatisme de l’administration

Obama, caractéristique de la doctrine Obama, en rencontrant les nouveaux dirigeants

égyptiens des Frères Musulmans aux côtés de l’ambassadrice américaine en Égypte, Anne W.

Patterson:

“You're certainly going to have to figure out how to deal with democratic governments that

don't espouse every policy or value you have (…) The United States needs to deal with the

new reality219.”

216

Steve Chabot, Chairman of the Subcommittee on the Middle East and South Asia, Hearings before the Committee on Foreign Affairs of the House of Representatives, 112

th Congress, Serial No. 112-147, “Assessing

U.S. Foreign Policy Priorities and Needs amidst Economic Challenges in the Middle East”, May 9, 2012, p. 1, http://www.gpo.gov/fdsys/pkg/CHRG-112hhrg74194/pdf/CHRG-112hhrg74194.pdf, accessed April 20, 2014. 217 Bichara Khader, article cité, p. 15. 218

David D. Kirkpatrick and Steven Lee Myers, “Overtures to Egypt’s Islamists Reverse Longtime U.S. Policy”, The New York Times, January 3, 2012, http://www.nytimes.com/2012/01/04/world/middleeast/us-reverses-policy-in-reaching-out-to-muslim-brotherhood.html?pagewanted=all, accessed April 17, 2014. 219

Ibid.

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111

Cette progressive « acceptation » des Frères Musulmans, ou plutôt « adaptation pragmatique »

à la réalité de leur succès politique, fut réalisée par les États-Unis en parallèle d’un certain

éloignement des forces militaires. Bien qu’elles fussent pensées par les États-Unis comme

garantes d’une certaine sécularité du régime égyptien, l’administration Obama fut en effet

frustrée par leur comportement visant l’accaparement du pouvoir et leurs violences contre les

civils. Ce sentiment sera amené à croître tout au long des années 2012 et 2013, jusqu’au coup

d’État militaire du 3 juillet 2013 renversant le gouvernement de Mohammed Morsi, opération

que nous détaillerons dans notre deuxième chapitre. Le Conseil Suprême des Forces Armées

« n’est pas, et ne devrait pas non plus être, des experts, des politiciens ou des concepteurs de

politique interne ou des élus220 ». Dans une certaine mesure, les États-Unis offrirent une

légitimité internationale aux Frères Musulmans. Après leur rencontre avec le Sénateur Kerry

et l’ambassadrice Patterson, leur journal et leur site Internet rapportèrent en effet :

“He was not surprised at the progress and leading position of the Freedom and Justice Party on

the electoral landscape in Egypt, emphasizing his respect for the public will in Egypt.221”

Ce « soutien » officiel américain aux forces islamistes en Égypte est néanmoins complexe, car

ces forces demeurèrent un groupe très hétérogène, variant « des jeunes membres des Frères

Musulmans qui voient un intérêt à développer une large base populaire, incluant les femmes,

aux Salafistes fondamentalistes dont l’approche littérale du Coran mènerait à une sphère

politique restreinte, où les femmes et ceux non alignés à leurs standards seraient exclus »222.

La communication du gouvernement Obama, comme au début du Printemps arabe, insista

alors sur les points communs pouvant exister entre les Islamistes et les valeurs américaines.

Cette stratégie poursuit des buts d’anticipation et d’information, caractéristiques d’une

communication de crise. L’ancienne secrétaire d’État Madeleine Albright suggéra notamment

que les ambassades américaines se dotent d’un conseiller diplomatique en religion, dont

l’expertise aiderait à atteindre la transition démocratique souhaitée par une meilleure

information entre les deux régions.

220

Mr. Ackerman, Hearings before the Subcommitte on the Middle East and South Asia, “Reflections on the Revolution in Egypt, Part I”, February 15, 2012, Serial No. 112–126, p. 4, http://www.gpo.gov/fdsys/pkg/CHRG-112hhrg72875/pdf/CHRG-112hhrg72875.pdf, accessed April 18, 2014. 221

David D. Kirkpatrick and Steven Lee Myers, article cité. 222

Philip Seib, “U.S. Public Diplomacy and the Arab Islamists”, The New York Times, January 13, 2012, http://www.huffingtonpost.com/philip-seib/us-public-diplomacy-islamists_b_1199011.html, accessed April 17, 2014.

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L’ouverture « officiellement assumée » du gouvernement américain vers les partis

islamistes et les Frères Musulmans égyptiens lui attira par ailleurs les foudres de politiques

républicains et conservateurs l’accusant de laisser les Islamistes supplanter les anciens alliés

des États-Unis dans la région. Les critiques furent largement liées à l’imaginaire américain

face à l’islam. Pour beaucoup d’Américains, l’islam est « une culture hostile et une menace

pour leurs intérêts et leurs valeurs culturelles223 ». Des rumeurs circulèrent dans la presse

conservatrice américaine sur les liens existants entre l’administration Obama et les partis

islamistes. Le site WorldNetDaily, connu pour véhiculer des visions dites « de droite » aux

États-Unis, spécula sur l’appartenance aux Frères Musulmans d’un membre du Conseil au

département de la Sécurité Nationale (Department of Homeland Security’s Advisory Council),

Mohamed Elibiary. Il accusa aussi l’administration Obama d’avoir divulgué des informations

de sécurité nationale au parti égyptien au travers d’Huma Abedin, chef de cabinet et assistante

d’Hillary Clinton qui aurait « de profonds liens personnels et familials avec les Frères

Musulmans224 » et ainsi menacé la sécurité du pays. Le 22 septembre 2012, Frank Gaffney,

fondateur du think tank Center for Security Policy aussi reconnu comme conservateur, publia

une démonstration des liens entre l’administration démocrate et les Frères Musulmans : The

Muslim Brotherhood in the Obama Administration225. L’auteur visa à y montrer comment ces

membres de l’administration, supposés liés aux Frères Musulmans, rendirent les institutions

américaines, politiques et sociales, plus ouvertes à l’islamisme, et comment ils purent

influencer la politique étrangère américaine dans un sens leur étant favorable.

En parallèle de ces critiques internes, l’administration Obama fut aussi confrontée à de

nouvelles difficultés sur le terrain. Des violences, internes, mais aussi orientées contre les

États-Unis, accompagnèrent le processus de transition politique en Tunisie et en Égypte.

223

Fawaz A. Gerges, America and Political Islam: Clash of Cultures or Clash of Interests?, Cambridge University Press, 1999, 282 pages, p. 8. 224 Bob Unruh, “General: Muslim Brotherhood Inside Obama Administration”, WND Faith, January 9, 2014, http://www.wnd.com/2014/01/general-muslim-brotherhood-inside-obama-administration/, accessed April 18, 2014. 225

Frank Gaffney, The Muslim Brotherhood in the Obama Administration, Sherman Oaks, The David Horowitz Freedom Center, 2012, 28 pages.

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2.2 Les violences accompagnant le processus de transition politique

La violence, déjà dénoncée par les États-Unis pendant les insurrections populaires de 2011, ne

cessa pas une fois les nouveaux gouvernements élus en Tunisie et en Égypte. Les oppositions

internes furent au contraire puissantes. Conjuguées aux événements des pays voisins, elles

s’accompagnèrent rapidement de sentiments anti-américains.

A. La force des oppositions internes

La première image de la division populaire en Tunisie apparut déjà au lendemain des

élections, le 1er décembre 2011, lors du sit-in du Bardo, devant le Palais abritant l’Assemblée

Constituante. Le samedi 3 décembre, le parti d’Ennahda et le parti salafiste Ettahrir se

rendirent sur les lieux pour s’opposer à ceux réalisant le sit-in, et les affrontements en

résultant furent très violents. Cette division traumatisa le peuple tunisien. Puis, les Salafistes

occupèrent l’Université de Sousse. La fin de l’année 2011 vit donc apparaître en Tunisie

l’enjeu de « construire de l’un avec du multiple »226. Nouvellement divisés et face à des

réalités difficiles, les Tunisiens purent ressentir la nostalgie d’un peuple uni sous son

dirigeant. Des slogans tels que « Dégage ya wuhush : al-diktatur fhimna wu n-tuma ma

fhimtuch !227 » (Dégagez les monstres, le dictateur nous a compris mais pas vous !) furent

entendus dans les manifestations du début de l’année 2012. Le 14 janvier 2012 à Tunis, les

habitants célébrèrent le premier anniversaire de la Révolution avenue Habib-Bourguiba, où se

trouve le ministère de l’Intérieur. La hantise de la division apparût avec violence durant

l’événement ; il fut un moment révélateur d’une société qui découvrait de nouvelles

appartenances. Les partis étaient très divisés idéologiquement, mais aussi géographiquement,

ce qui rendit la division très théâtrale. Les « Forces progressistes » étaient rassemblées autour

du ministère de l’Intérieur, tandis qu’à l’autre extrémité de l’avenue, devant le théâtre

municipal et sur l’escalier y menant, le parti d’Ennahda entonnait des chants religieux. Le

parti d’Ennahda et les Salafistes furent les seuls groupes immobiles, ce qui les rendit encore

plus impressionnants que ceux qui ne faisaient que passer. Les discours insistèrent sur le

peuple tunisien et une « identité arabo-musulmane ». Les Salafistes, à proximité de leurs

frères ennemis d’Ennahda, étaient vêtus de la khamissa, de treillis et de casquettes militaires. 226

Smaïn Laacher, op. cit., p 70. 227

Ibid, p. 73.

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Le matin, la population tunisienne put aussi voir un groupe mobile et provocateur d’une

vingtaine d’hommes avec un drapeau noir ou blanc marqué de la chahada (« La seule

Constitution qui vaille est le Coran »). Les émotions mises en avant par les différents groupes

furent aussi contrastées. Au contraire des « joyeux islamistes », d’autres groupes avaient la

sensation frustrante d’une révolution volée, voire violée, par les Islamistes. Smaïn Laacher

cite ainsi dans son ouvrage un extrait du blog de Jolanare, jeune tunisienne illustrant cette

injustice ressentie par une partie du peuple tunisien le 14 janvier 2012 :

« L’ambiance est à la fête, mais la fête est obscurcie par les drapeaux nahdhaouis et salafistes, des

slogans religieux alors qu’il s’agit d’une fête nationale (…) C’était limite s’il n’allait pas se mettre

à faire la prière… Une véritable mascarade… ça m’a fait tellement mal au cœur, que sur le chemin

en revenant à la voiture, j’ai rencontré une niqabée que j’ai insultée. C’était plus fort que moi. Il

fallait que je me défoule sur une Afghane… J’ai vu beaucoup d’Afghans et de Saoudiens au

centre-ville. Je me demande lequel de nous a une apparence plus tunisienne.

Je suis rentrée avec beaucoup d’amertume. Notre révolution a été spoliée, détournée, on voulait la

liberté, on a eu l’asservissement religieux, on voulait la dignité, on nous a vendus au Qatar, on a

voulu faire de la Tunisie le plus grand peuple, et le peuple a été divisé. Ce soir, le cœur n’est

vraiment pas à la fête »228.

Le professeur de droit et conseiller au Centre de Genève pour le Contrôle Démocratique des

Forces Armées (Geneva Centre for the Democratic Control of Armed Forces), Heykel

Mahfoudh, expliqua dans une interview à l’Associated Press que la Tunisie entra en effet en

2012 dans sa seconde année post-Ben Ali et dès lors, « paradoxalement, dans une phase

nécessaire de turbulence ». Il rappela la fragilité de la situation socio-économique du pays et

l’idée que personne ne pouvait prédire ce que les Islamistes qui gagnèrent les élections allaient

désormais faire au pouvoir229. Surtout, il s’agit de comprendre que toute la population

tunisienne ne se rallia pas spontanément au nouveau gouvernement. Les oppositions étaient

encore nombreuses et la « nouvelle » Tunisie du début de l’année 2012 présenta une

cacophonie de nombreux groupes. Le 7 mars 2012, Yassine el-Brigui, militant salafiste, posta

un drapeau islamique à la place du drapeau tunisien à l’entrée de la faculté de sciences 228 Ibid, pp. 79-80 229

Heykel Mahfoudh, Geneva Centre for the Democratic Control of Armed Forces, in “Tunisia marks 1st anniversary of Arab Spring”, USA Today, January 14, 2012, http://usatoday30.usatoday.com/news/world/story/2012-01-14/tunisia-revolution-anniversary/52552862/1, accessed April 17, 2014.

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humaines de la Manouba. Les Salafistes proclamèrent aussi leur soutien aux étudiantes portant

le niqab. Le 29 mars 2012, le premier parti salafiste fut légalisé en Tunisie, Jabhet el-Islah.

Un rapport de la Freedom House expliqua alors que cette légalisation était à même de

fragiliser la stabilité du gouvernement d’Ennahda, car « tandis que le parti au pouvoir a

promis que la relation actuelle entre la religion et le gouvernement resterait intacte, les

Salafistes appellent à une plus large intégration de la loi islamique (Charia) dans la

Constitution230 ». Les 11 et 12 juin 2012, le pays fut encore agité de violences perpétrées par

les Salafistes et quelques casseurs. Le gouvernement tunisien décréta alors un couvre-feu dans

le Grand Tunis et quatre autres régions de Tunisie ; ce fut le premier depuis mai 2011.

En Égypte, le 14 juin 2012, le Parlement, élu par le peuple, fut dissout par la Cour

Constitutionnelle Suprême du pays, dont les juges avaient été nommés par l’ancien Président

Moubarak. Les « nostalgiques » de l’ancien régime semblèrent ainsi vouloir bloquer l’arrivée

effective au pouvoir des Islamistes. La décision de la Cour fut en effet prise deux jours avant

l’élection présidentielle, où le candidat islamiste Mohammed Morsi devait affronter l’ancien

Premier Ministre du régime de Moubarak et ancien général des forces de l’air, Ahmed Shafik.

Cette dissolution fut dénoncée comme un « coup d’État » par les Islamistes, libéraux et

universitaires du pays. Certains activistes, tels que le directeur de recherche du Centre

Brookings Institution de Doha, Shadi Hamid, y virent la menace d’un retour à un pouvoir

militaire autocratique à la tête de l’Égypte :

“From a democratic perspective, this is the worst possible outcome imaginable (…) This is an

all-out power grab by the military.231”

Pour Mohamed ElBaradei, diplomate vainqueur du Prix Nobel pour sa direction de l’Agence

Internationale de l’Energie Atomique et ancien candidat présidentiel, déjà intervenu en 2011

pour conseiller les États-Unis de s’éloigner de leur allié Moubarak (voir plus haut), le retour à

un régime autoritaire serait évident dans un tel contexte institutionnel :

“Electing a president without either a constitution or a parliament is like electing an ‘emperor’

with more power than the deposed dictator. A travesty.232”

230 Countries at the Crossroads 2012: Tunisia, Freedom House, p. 2, http://www.freedomhouse.org/sites/default/files/Tunisia%20-%20FINAL_1.pdf, accessed April 20, 2014. 231

David D. Kirkpatrick, “Blow to Transition as Court Dissolves Egypt’s Parliament”, The New York Times, June 14, 2012, http://www.nytimes.com/2012/06/15/world/middleeast/new-political-showdown-in-egypt-as-court-invalidates-parliament.html?pagewanted=all&_r=0, accessed April 18, 2014.

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D’autres égyptiens, tels que Emad Gad, meneur du bloc parlementaire séculaire du parti

social-démocrate, placèrent au contraire leurs espoirs dans cette dissolution. Pour eux,

déstabilisant la course à la Présidence de Morsi, la dissolution pourrait permettre l’élection de

l’ancien Premier Ministre de Moubarak, Ahmed Shafik. Ils préféraient un homme fort au

pouvoir dans la lignée de Moubarak plutôt que l’élection des forces islamistes, imprévisibles :

“We can demonstrate against Shafik, but we cannot demonstrate against the Islamists.233”

La dissolution du Parlement élu obtint donc une réception différenciée au sein de la

population égyptienne.

Aux yeux des États-Unis cependant, cette dissolution, venant perturber la transition

démocratique du pays, fut alarmante. « A travers le département de la Défense et le

département d’État, le Président Obama relaya une série de messages sur ce qui fut considéré

comme un coup d’Etat le 14 juin au Caire »234. Sous la pression d’un Congrès inquiet (comme

nous l’avons déjà remarqué lors des auditions de février 2012), les États-Unis menacèrent de

geler leur aide annuelle de 1,3 milliards de dollars à l’Égypte. Le 15 juin, Patrick Leadhy,

Président au Sénat de la sous-commission des « Appropriations » du département d’État et des

Opérations Etrangères, exprima la possibilité de ce gel :

“I have made clear to the State Department that, despite the earlier waiver of the conditions I

authored, I would not want to see the U.S. government write checks for contracts with Egypt’s

military under the present uncertain circumstances.”

Le 19 juin, la porte-parole du département d’État, Victoria Nuland, conditionna alors le

maintien de l’aide financière américaine aux conclusions des organismes de surveillance sur

place quant au bon déroulement des élections :

“This is a very important couple of days for the Egyptians to get it right in keeping with their

commitment to have free, fair, and transparent presidential elections.235”

232

Ibid. 233

Ibid. 234

“U.S. warns Egypt it may suspend military aid”, World Tribune, June 20, 2012, http://www.worldtribune.com/2012/06/20/u-s-warns-egypt-it-may-suspend-military-aid/, accessed April 19, 2014. 235

Victoria Nuland, Spokesperson, State Department Daily Press Briefing, June 19, 2012, http://iipdigital.usembassy.gov/st/english/texttrans/2012/06/201206197717.html#axzz2zK5VcWfY, accessed April 19, 2014.

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117

L’administration apparut donc déterminée à s’assurer que le régime remplisse ses

engagements, en l’espèce le transfert de pouvoir à un Président et à un Parlement élus en

juillet 2012. La communication de l’administration Obama face à la dissolution du Parlement

le 14 juin fut typiquement une communication de crise : elle répondit directement à un

dysfonctionnement du processus démocratique espéré. Les déclarations de Victoria Nuland

présentèrent un large aspect informatif, expliquant notamment le mécanisme de l’aide

financière accordée à l’Égypte.

Un mois après la dissolution du Parlement, le nouveau Président élu, Mohamed Morsi,

félicité par Barack Obama, annula la précédente dissolution du Parlement, indiquant qu’il

serait rétabli avant la tenue de nouvelles élections236. Son décret présidentiel établit la tenue

d’une nouvelle élection 60 jours après que la nouvelle Constitution aura été acceptée par

référendum. Les déclarations du Président Obama répondant à ces décisions furent positives.

Nous l’avons vu, le 24 juin 2012, il félicita la première élection démocratique du pays, ayant

mené Mohamed Morsi à la tête de l’État égyptien, comme un « tournant dans la transition du

pays vers la démocratie ». Pourtant, une différence existât entre cette communication officielle

et les réflexions du Congrès des mois précédents.

Le 15 février 2012, les experts intervenant aux auditions « Réflexions sur la Révolution en

Égypte, Partie I » devant la sous-commission sur le Moyen-Orient et l’Asie du Sud de la

Commission des Affaires Étrangères de la Chambre des Représentants se montrèrent en effet

très inquiets quant à l’évolution de la situation en Égypte. Robert Kagan, chercheur sénior

chez Brookings Institution et fondateur du Groupe de Travail sur l’Égypte qui exigeait déjà

des réformes démocratiques du régime de Moubarak dès février 2010, compara la situation

actuelle avec celle vécue par les États-Unis au moment du règne du Moubarak. Selon lui, la

question était alors : est-ce que les États-Unis vont refaire la même erreur, celle de soutenir un

régime peu respectueux des principes démocratiques237 ? Le Président de la sous-commission,

le républicain Steve Chabot, avoua son manque d’optimisme face aux développements récents

236

“Egyptian President Mursi reverses parliament dissolution”, BBC News, July 8, 2012, http://www.bbc.com/news/world-middle-east-18761403, accessed April 19, 2014. 237

Robert Kagan, Brookings Institution, Hearings, “Reflections on the Revolution in Egypt, Part I”, February 15, 2012, op. cit., p. 8.

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en Égypte et sa méfiance quant aux ambitions démocratiques des Islamistes.238 Les forces

profondes des États-Unis se firent évidentes lorsque S. Chabot s’inquiéta aussi du

gouvernement des Frères Musulmans au regard des relations entre l’Égypte et Israël. Il assura

alors que toute action de l’Égypte qui viendrait à nuire à Israël serait interprété par le Congrès

comme signe que le pays ne serait plus intéressé à être une force de paix et de stabilité dans la

région, ce qui entraînerait « une lourde opposition au Congrès, et des deux côtés de l’allée je

pourrai ajouter239 ». La violence des Frères Musulmans était notamment alarmante à cette

période dans le Sinaï, d’où un nombre croissant d’opérations terroristes contre Israël

émanaient. Il fut difficile de « cerner si les militaires égyptiens sont incapables de sécuriser le

Sinaï ou ne le souhaitent pas240. Par ailleurs, les organisations non gouvernementales que nous

avons mentionnées plus haut, telles que la Freedom House, le National Democracy Institute et

l’ International Republicain Institute qui aidèrent à la formation démocratique dans le monde

arabe, furent victimes de raids du gouvernement égyptien dès décembre 2011. Les campagnes

contre ces organismes furent notamment menées par le Ministre égyptien de la Coopération

Internationale, Faiza Abul Naga. Ainsi, l’influence américaine en Égypte semblait remise en

question, alors que le Président Obama continuait d’assurer l’alliance entre les deux pays. Le

lendemain, 16 février 2012, ce fut précisément les présidents de ces trois organismes qui

furent entendus au Congrès. Ros-Lehtinen, que nous avons déjà citée, indiqua que le

gouvernement égyptien avait le devoir de se conformer aux standards internationaux et de

permettre le libre exercice de ces organismes sur son sol.241 Le président du National

Democracy Institute, Kenneth Wollack, renchérit les propos de la Présidente en expliquant

qu’aucune de leur propriété ne leur fut retournée dans le pays : « Certains de nos employés

n’ont pas le droit de quitter le pays, certains ont été sujets à plusieurs heures d’interrogation et

les juges d’investigation ont recommandé des charges contre 15 de nos employés basés en

Égypte242. Il décrivit les difficultés rencontrées par l’organisation en Égypte comme « sans

238

Steve Chabot, Hearings “Reflections on the Revolution in Egypt, Part I”, February 15, 2012, op. cit., p. 1. 239

Ibid, p. 2. 240

Statement of Mr. David Schenker, Hearings, “Reflections on the Revolution in Egypt, Part II”, June 20, 2012, op. cit., p. 7

241 Chairman Ros-Lehtinen, Hearings before the Committee on Foreign Affairs, House of Representatives, 112

th

Congress, “Egypt at a Crossroads”, February 16, 2012, Serial No. 112–128, p. 2, http://www.gpo.gov/fdsys/pkg/CHRG-112hhrg72876/pdf/CHRG-112hhrg72876.pdf, accessed April 18, 2014. 242

NDI Programs in Egypt, Hearings, Ibid, p. 27.

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précédent »243. L’expression « sans précédent » fut reprise par le Président de la Freedom

House, David J. Kramer, dans sa déclaration pour qualifier l’assaut du 29 décembre 2011 des

forces de sécurité égyptiennes sur les organisations civiles du pays. Lorne Craner, président de

l’ International Republican Institute et ancien Secrétaire d’État pour la Démocratie, les Droits

de l’Homme et le Travail sous le premier mandat de G. W. Bush, rajouta l’idée que les raids

du gouvernement égyptien ne visèrent pas uniquement les organisations américaines mais

furent partie d’un plus large assaut contre la société civile égyptienne244, ce qui était très

inquiétant quant à la réalité de la transition démocratique égyptienne. Le 20 juin 2012, les

membres du Congrès ne semblaient pas rassurés par l’élection de Mohamed Morsi pour le

développement du pays. Méfiant, Steve Chabot, Président de la sous-commission sur le

Moyen-Orient et l’Asie du Sud, décrivit le pays comme souffrant toujours d’une économie au

bord de l’effondrement et d’attaques contre les organisations non-gouvernementales de la

société civile. Il dit aussi « continuer à remettre en question les engagements des Islamistes

aux principes démocratiques245. » Surtout, ce qui est important pour la suite des événements

est de déjà noter l’inquiétude du Congrès quant à la puissance et l’influence des forces armées

en Égypte. Pour le directeur du Programme sur les Politiques Arabes du Washington Institute

for Near East Policy, David Schenker, « nous avons appris hier la victoire de Mohammed

Morsi. Demain nous pouvons apprendre que l’ancien Premier Ministre d’Hosni Moubarak,

Ahmed Shafiq, est chef exécutif du gouvernement égyptien. A ce moment précis, nous ne

savons tout simplement pas. Ce que nous savons est que, peu importe qui sera le prochain

Président d’Égypte, l’Égypte continuera à exister par ses militaires »246.

Ainsi, au regard de la situation en Égypte, nous pouvons donc déceler l’existence d’un

décalage entre la communication officielle, positive, de l’administration Obama, et

l’inquiétude exprimée par le Congrès lors de ses auditions. Tamara Cofman Wittes, ancienne

secrétaire députée assistante pour les Affaires du Proche-Orient de novembre 2009 à janvier 243

Kenneth Wollack, Hearings, “Egypt at a Crossroads”, February 16, 2012, op. cit., p. 20. 244

Lorne Craner, Hearings, “Egypt at a Crossroads”, February 16, 2012, op. cit., p. 11. 245 Steve Chabot, Chairman of the Subcommittee on the Middle East and South Asia, Hearings before the Subcommittee, Committee on Foreign Affairs of the House of Representatives, “Reflections on the Revolution in Egypt, Part II”, 112

th Congress, June 20, 2012, Serial No. 112-155, p. 2, http://www.gpo.gov/fdsys/pkg/CHRG-

112hhrg74639/pdf/CHRG-112hhrg74639.pdf, accessed April 20, 2014.

246 Mr. David Schenker, Hearings, “Reflections on the Revolution in Egypt, Part II”, June 20, 2012, op. cit., p. 6.

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2012, assura sa confiance dans le processus de transition démocratique égyptien et son soutien

au maintien de l’assistance financière à l’Égypte247. Ce décalage avec les inquiétudes du

Congrès est illustratif d’une communication de crise, définie par une certaine atténuation de la

réalité. Le soutien du gouvernement Obama aux Frères Musulmans ne fit donc pas consensus

à Washington.

De plus, la semaine du 18 juin 2012, au lieu de célébrer le passage d’un gouvernement

militaire intermédiaire à un gouvernement civil démocratiquement élu, les égyptiens reprirent

leurs manifestations place Tahrir. En conséquence, au Congrès, la doctorante et directrice de

l’ Atlantic Council s’inquiéta que la révolution égyptienne « ne soit sortie de ses rails et ne

puisse plus y être remise »248. Elle attira notamment l’attention du Congrès sur la déclaration

constitutionnelle publiée par le Conseil Suprême des Forces Armées le 17 juin 2012, lui

conférant le pouvoir de contrôler l’écriture de la nouvelle Constitution du pays et lui

permettant de conserver des pouvoirs législatifs et une autorité budgétaire pour plusieurs mois.

De plus, selon ce décret, le nouveau Président élu ne pourra pas nommer de seniors militaires,

ni prendre des décisions concernant le domaine militaire. « En somme, le décret supprima le

Parlement en tant que contre poids au pouvoir du Conseil Suprême des Forces Armées et

sépara le pouvoir militaire du pouvoir civil, l’érigeant au-dessus de ce dernier ». La pression

du Congrès sur le gouvernement Obama pour cesser l’aide financière aux forces militaires

égyptiennes se matérialisa alors en juin 2012. Elle fut exacerbée puis officiellement exprimée

en septembre 2012, après des attaques aux relents anti-américains dans le monde arabe.

B. Des sentiments anti-américains

Déjà lors des auditions du Congrès du 15 février 2012, les comportements anti-américains de

certains Arabes furent craints en Égypte. Mais Tamara Wittes avait alors invité

l’administration à ne pas « croire à cette anti-américanisme bon marché et soutenir ceux qui

suivent le processus de formation de la Constitution, à rendre les nouvelles institutions

247

Tamara Wittes, Former deputy assistant Secretary of State for Near Eastern Affairs, Hearings, “Reflections on the Revolution in Egypt, Part I”, February 15, 2012, op. cit., p. 29. 248

Michele Dunne, director of the Rafik Hariri Center for the Middle East, Atlantic Council, Hearings, “Reflections on the Revolution in Egypt, Part II”, June 20, 2012, op. cit., p. 14.

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démocratiques égyptiennes crédibles et à offrir une nouvelle vision de ce à quoi une nouvelle

relation entre les États-Unis et une Égypte démocratique ressemblerait249 ». Le 24 juin 2012,

Barack Obama soutenait donc le Président nouvellement élu, Mohammed Morsi.

Or, en juin 2012, les sondages du Pew Research Center montrèrent toujours des

résultats nuancés quant à l’appréciation de l’action du Président Obama dans le monde arabe.

En Tunisie, 57% des interrogés dirent ne pas avoir confiance en la personne de Barack

Obama. En Égypte, ils furent même 69% à exprimer cette opinion négative du gouvernement

américain250. Un autre sondage du Pew Research Center de juin 2012 montra que seulement

une minorité de la population arabe croyait en la capacité des États-Unis à soutenir

l’avènement de la démocratie dans leur pays. En Tunisie, seulement trois citoyens sur dix

pensaient que la réponse des États-Unis aux soulèvements démocratiques dans leur pays avait

eu un impact positif. En Égypte, alors même que le pays fut un des principaux bénéficiaires

des fonds américains de promotion démocratique, seulement 37% de la population croyait que

les États-Unis voulaient réellement la démocratie au Moyen-Orient251. Les recherches

ajoutèrent une information surprenante : l’Arabie Saoudite, alors même que la monarchie fut

d’abord accusée de mener une contre-révolution face au Printemps arabe, était considérée

dans la région comme promoteur plus efficace de la démocratie que les États-Unis. En effet,

deux-tiers des égyptiens interrogés affirmèrent que Riyad soutenaient la démocratie dans le

monde arabe252. Ces chiffres purent être expliqués par un sentiment des populations arabes

d’être délaissées dans leurs aspirations, au profit de la poursuite d’intérêts purement nationaux

par les États-Unis. « Ce que l’Occident donnait de la main gauche, il le reprenait par la droite

(…) Les Américains, prompts à vanter l’héroïsme sans pareil des blogueurs égyptiens,

fournissaient à la police, connue pour pratiquer régulièrement vol et tortures dans les

249

Tamara Wittes, Hearings, “Reflections on the Revolution in Egypt, Part I”, February 15, 2012, op. cit., p. 46. 250

Global Attitudes Project, “Chapter 8. Tunisia’s Relationship With the U.S. – Negative Views of Obama”, Pew Research, June 10, 2012, http://www.pewglobal.org/2012/07/10/chapter-8-tunisias-relationship-with-the-u-s/, accessed April 19, 2014. 251

Global Attitudes Project, “Most Muslims Want Democracy, Personal Freedoms, and Islam in Political Life, Few Believe U.S. Backs Democracy”, Pew Research, June 10, 2012, http://www.pewglobal.org/2012/07/10/most-muslims-want-democracy-personal-freedoms-and-islam-in-political-life/, accessed April 30, 2014. 252

Jim Lobe, “Widespread Muslim Scepticism of U.S. as Democracy Advocate”, Inter Press Service, News Agency, July 11, 2012, http://www.ipsnews.net/2012/07/widespread-muslim-scepticism-of-u-s-as-democracy-advocate/, accessed April 30, 2014.

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commissariats, les armes et les gaz lacrymogènes pour mater ces soulèvements »253. Ce double

jeu des Américains décrédibilisa leurs actions et propos en Afrique du Nord et au Moyen

Orient. Pour exemple, les célébrations nationales après l’assassinat d’Oussama Ben Laden,

parfois extrêmes dans leur envergure, furent traduites avec scepticisme dans le monde arabe.

Le 14 septembre 2012, l’ambassade américaine et une école américaine furent

attaquées à Tunis. Des tunisiens piétinèrent déjà des drapeaux américains dans une

manifestation deux jours plus tôt devant l’ambassade à Tunis. Le gouvernement tunisien avait

pourtant interdit toute manifestation de violence après la publication des caricatures du

prophète Mahomet par le Charlie Hebdo et la diffusion de la vidéo américaine The Innocence

of Muslims. Le ministre de l’Intérieur, Ali Larayedh, annonça à la radio l’interdiction formelle

de toute protestation et le Président Moncef Marzouki appela les Tunisiens à « ne pas tomber

dans le piège provocateur de ceux qui veulent troubler les pays musulmans254 ». Malgré ces

efforts du gouvernement tunisien, les relations américano-tunisiennes furent refroidies par les

événements. Pour exemple, le retour du programme Peace Corps Volunteers en Tunisie fut

retardé255. L’Égypte fut aussi agitée de protestations anti-américaines en septembre 2012

autour de la diffusion du film amateur antimusulman. En conséquence, les pourparlers

américains pour le versement des aides financières à l’Égypte, repris à l’élection de Mohamed

Morsi, furent à nouveau interrompus. L’administration Obama annonça que les négociations

ne reprendraient pas avant les prochaines élections présidentielles américaines256. Le Président

américain s’entretint aussi téléphoniquement avec le Président égyptien pour lui demander de

s’exprimer officiellement et vigoureusement contre les manifestations agitant l’Égypte257.

253

Smaïn Laacher, op.cit., p. 94. 254

Bouazza Ben Bouazza, “French Muhammad Cartoons: Tunisia Bans Protests, Violence”, The Huffington Post, September 20, 2012, http://www.huffingtonpost.com/2012/09/20/tunisia-bans-protest_n_1901290.html, accessed December 15, 2014. 255

Curt Tarnoff, “The Peace Corps: Current Issues”, Congressional Research Service, May 10, 2013, p. 16, http://www.fas.org/sgp/crs/misc/RS21168.pdf, accessed April 15, 2014. 256

“U.S. suspends aid talks with Egypt over anti-American protests, report says”, Haaretz, September 18, 2012, http://www.haaretz.com/news/middle-east/u-s-suspends-aid-talks-with-egypt-over-anti-american-protests-report-says-1.465457, accessed April 19, 2014. 257

David D. Kirkpatrick, Helene Cooper, Mark Lander, “Egypt, Hearing From Obama, Moves to Heal Rift From Protests”, The New York Times, September 13, 2012, http://www.nytimes.com/2012/09/14/world/middleeast/egypt-hearing-from-obama-moves-to-heal-rift-from-protests.html?pagewanted=all&_r=0, accessed April 20, 2014.

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Dans la nuit du 11 septembre 2012, l’ambassade américaine à Benghazi fut attaquée,

entraînant la mort de trois Américains et de l’ambassadeur lui-même, Chris Stevens.

Les réponses de l’administration Obama à ces multiples attaques aux ambassades

américaines peuvent être considérées comme un tournant officiel dans la communication des

États-Unis face au Printemps arabe. La communication de crise sembla être désormais

assumée par la communication officielle du Président. Les aspects d’information et surtout,

d’atténuation, y furent clairement décelables. Nous notons surtout l’importance du choix des

mots du Président et le refus systématique d’utiliser des expressions connotées telles que

celles d’ « acte prémédité » pour les attentats en Libye, puis de « coup d’État » pour les

agissements militaires en Égypte, ce que nous verrons dans le deuxième chapitre de cette

partie. Ces refus sont symptomatiques d’une communication de crise. Aussi, ils furent

largement critiqués par les détracteurs du gouvernement Obama.

Le 12 septembre 2012, le Président répondit officiellement à la mort du personnel de

l’ambassade de Libye par un discours prononcé du Rose Garden, aux côtés de sa secrétaire

d’État Hillary Clinton. Pour faire mention de l’acte de la veille, Obama parla d’ « attaque »,

d’une « attaque outrageante et choquante », d’une « violence sans sens » et d’ « actes

brutaux ». Il assura plus loin « qu’aucun acte de terreur ne perturbera jamais la résolution de

cette grande nation [les États-Unis], n’altèrera son caractère ou n’éclipsera la lumière des

valeurs lesquelles elle se bat »258. Malgré l’utilisation de l’expression « acte de terreur » le 12

septembre, nous ne pouvons pas dire que la réaction du Président fut un discours contre le

terrorisme. Lors de sa proclamation présidentielle honorant les victimes de l’attaque à

Benghazi, le 12 septembre 2012, il décrivit encore l’acte comme une « attaque sans sens ».

Ainsi, lorsque la chaîne Fox News établit une chronologie de la réaction de l’administration

Obama aux attaques de Benghazi, elle ne mentionna même pas cette expression du 12

septembre, et assura que le Président ne qualifia pas l’acte de prémédité, ni de terroriste259. Le

14 septembre, le porte-parole de la Maison Blanche, Jay Carney, refusa de qualifier l’attaque

258

Remarks by the President on the Deaths of U.S. Embassy Staff in Libya, Rose Garden, September 12, 2012, http://www.whitehouse.gov/the-press-office/2012/09/12/remarks-president-deaths-us-embassy-staff-libya, accessed December 13, 2013. 259

“Fact Check: Timeline of statements raises questions on Obama’s Benghazi claims”, Fox News, May 13, 2013, http://www.foxnews.com/politics/2013/05/13/fact-check-timeline-statements-raises-questions-on-obamas-benghazi-claims/, accessed April 20, 2014.

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de « préméditée ». Le 16 septembre, l’ambassadrice aux Nations Unies Susan Rice justifia

l’attaque comme résultat des manifestations autour du film The Innocence of Muslims,

ravivant le débat sur la nature terroriste de l’attaque. La sortie du film The Innocence of

Muslims aux États-Unis eut en effet des répercussions dramatiques en Afrique et au Moyen-

Orient et la Maison Blanche mit en œuvre la protection de ses ambassadeurs et ressortissants.

Après l’envoi de Marines en Libye, une cinquantaine furent envoyés à Khartoum et en

Tunisie260. Victoria Nuland, porte-parole du département d’État ne répondit pas au débat,

arguant qu’ils « n’en savaient pas assez ». Les Républicains accusèrent alors le Président

démocrate de sous-estimer le danger terroriste. Finalement, le 19 septembre, lors de son

témoignage devant la Commission de la Sécurité Nationale et des Affaires Gouvernementales

du Sénat et suite au discours d’ouverture du Président de la Commission Joseph I. Lieberman

se disant « furieux des attaques résultant d’un acte terroriste contre notre ambassade à

Benghazi261 », le directeur du Centre National de Contreterrorisme, Matt Olsen, fut le premier

membre de l’administration Obama à qualifier l’attaque de terroriste :

“Certainly the attack on our diplomatic post in Benghazi last week that took the lives of four

Americans, including Ambassador Stevens, is proof that acts of terror and violence continue to

threaten our citizens and our interests around the world.”

Lors de la session de questions de sept minutes, Liebermann rappela la définition du

terrorisme du Centre National du Contreterrorisme : « une violence politiquement motivée,

perpétrée contre des cibles non-combattantes par des groupes sous-nationaux ou des agents

clandestins ». Il demanda ensuite à Olsen « s’il dirait que l’Ambassadeur Steven et les trois

autres Américains moururent comme résultat d’une attaque terroriste ». La réponse du

directeur Olsen certifia alors l’attaque de terroriste :

260

« Film anti-islam : les Etats-Unis déploient leurs forces », Le Figaro, 16 septembre 2012, http://www.lefigaro.fr/international/2012/09/15/01003-20120915ARTFIG00384-film-anti-islam-les-etats-unis-deploient-leurs-forces.php, consulté le 27 octobre 2012. 261

Chairman Joseph I. Lieberman ID (CT), Member Statements, Opening Statement, Hearings before the Senate Committee on Homeland Security and Governmental Affairs, “Homeland Threats and Agency Responses”, September 19, 2012, p. 2, http://www.hsgac.senate.gov/hearings/homeland-threats-and-agency-responses, accessed April 20, 2014.

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“Certainly, on that particular question, I would say yes, they were killed in the course of a

terrorist attack on our embassy.262”

Le lendemain, 20 septembre 2012, le porte-parole Jay Carney déclara considérer comme

« évident que les attaques étaient terroristes ». La secrétaire d’État Hillary Clinton qualifia

ensuite officiellement l’attaque de « terroriste » à deux reprises, le 21 septembre à

Washington, lors d’une rencontre avec le Ministère des Affaires Étrangères pakistanais et le

24 septembre à New York, lors d’une rencontre avec le Président libyen263.

La secrétaire d’État résuma l’évolution de la réaction des États-Unis face au Printemps

arabe lorsqu’elle souligna que « les pays ne s’étaient pas affranchis de la tyrannie d’un

dictateur pour se retrouver sous celle des foules264 ». Dans cette déclaration, Hillary Clinton

illustra le glissement de la communication d’État vers une communication de crise,

officialisée en septembre 2012. Lors des auditions sur Benghazi des 15 novembre et 20

décembre 2012, le Directeur du Centre pour les Études Politiques Étrangères de l’Heritage

Foundation, James Jay Carafano, décrivit le département d’État du Président Obama comme

un « département en guerre »265. La surinformation de l’administration sur les attaques de

Benghazi fut illustrative d’une communication de crise (plus de vingt comptes rendus et des

milliers de pages de documents selon le secrétaire adjoint William J. Burns). Lors de ses

questions posées à William J. Burns, la Présidente Ros-Lehtinen s’enquit de connaître

l’origine de la rhétorique publique du gouvernement Obama des « événements issues de

manifestations spontanées », rhétorique que nous avons notamment observée dans les propos

de l’ambassadrice Rice. Ros-Lehtinen demanda « en quoi cette rhétorique était mieux adaptée

262

7min questions session, Hearings before the Senate Committee on Homeland Security and Governmental Affairs, “Homeland Threats and Agency Responses”, 112

th Congress, September 19, 2012,

http://www.gpo.gov/fdsys/pkg/CHRG-112shrg76070/html/CHRG-112shrg76070.htm, accessed April 20, 2014. 263

“Administration Statements on the Attack in Benghazi”, The New York Times, September 27, 2012, http://www.nytimes.com/interactive/2012/09/27/world/africa/administration-statements-on-the-attack-in-benghazi.html?_r=0, accessed April 20, 2012. 264 Hillary Clinton, Ceremony to mark the return of the remains of four Americans killed in an attack on the U.S. consulate in Benghazi, Libya, September 12, 2012, in Reuters, “Arab Protests: Clinton Urges Countries To Resist Tyranny Of Mob”, The Huffington Post, September 14, 2012, http://www.huffingtonpost.com/2012/09/14/arab-protests-clinton_n_1885289.html, accessed April 20, 2014. 265

Ibid, Statement of James Jay Carafano, p. 66.

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à la publication que les preuves de terrorisme ?266 » Nous devinons que la réponse aurait été

révélatrice d’une communication de crise.

En parallèle de cet antiaméricanisme prégnant dans le monde arabe, l’administration

Obama fut confrontée à une méfiance dans son propre pays. Les Américains se méfièrent de

l’évolution du Printemps arabe et à mesure de l’avancée des événements en Tunisie et en

Égypte, la polarisation de l’opinion américaine sur la question se fit croissante. Tels que

traités par les médias ou le public américain au travers notamment de blogs, les événements

furent rejetés par une partie de l’opinion. La vidéo du 4 octobre 2013 de l’animatrice et

commentatrice politique de la chaîne conservatrice Fox News, Jeanine Ferris Pirro, fut en ce

sens éclairante. S’adressant directement au Président Obama et visant à alarmer l’opinion

publique américaine, elle demanda : « Pourquoi envoyons-nous encore des Américains dans

des parties du monde où les populations nous détestent ? (…) Où le but des populations est de

tuer le plus d’Américains possible ?267 » Son propos est extrême mais reste un exemple des

opinions défavorables à une continuation du soutien américain au Printemps arabe qui purent

être exprimées aux États-Unis.

Ce premier chapitre visa à montrer qu’aux yeux des États-Unis, ce fut avant tout le chaos qui

se développa en Tunisie et en Égypte. Dès la fin de l’année 2011, la communication de crise

sur les événements fut amorcée, puis s’affirma face aux sentiments anti-américains

violemment manifestés à l’automne 2012. Le 13 septembre 2012, la « gaffe » du Président fut

illustrative des inquiétudes traversant l’administration : Obama qualifia le Président Morsi de

« ni allié, ni ennemi » des États-Unis268. Ainsi, à l’été 2013, les États-Unis apparurent

impuissants face aux évolutions sur le terrain du Printemps arabe en Tunisie et en Égypte.

266

Ibid, Question from I. Ros-Lehtinen to W. J. Burns, p. 16. 267

Jeanine Ferris Pirro, “Why do we keep getting into these messes?”, Fox News, October 4, 2013, http://video.foxnews.com/v/2719524655001/jeanine-why-do-we-keep-getting-into-these-messes/#sp=show-clips, accessed May 1, 2014. 268

Jake Tapper, “White House Clarifies Obama’s Egypt ‘Ally’ Comment”, ABC News, September 13, 2012, http://abcnews.go.com/blogs/politics/2012/09/it-depends-on-what-the-meaning-of-ally-is/, accessed May 31, 2014.

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Chapitre 2 : Les « finalités » des insurrections en Tunisie et en

Égypte témoignant de l’impuissance des États-Unis

Ce chapitre s’intéresse aux réactions des États-Unis face aux derniers événements apparus en

Tunisie et en Égypte, de l’été 2013 au printemps 2014. L’intérêt de cette étude, récente, est de

distinguer les effets du Printemps arabe en Tunisie et en Égypte, plus de trois ans après le

début des révolutions. Le terme de « finalités » reste cependant à utiliser avec précaution, car

la fin du Printemps arabe n’est pas encore admise.

1. L’effet de verdict des élections fragilisé par les forces en présence

1.1 Le phénomène grandissant du militarisme en Égypte

Il est intéressant de rappeler que le 11 février 2011, lorsque le Président américain salua la

démission d’Hosni Moubarak, il le fit dans des termes érigeant l’armée comme nouvel

interlocuteur des autorités américaines pour la période de transition. Le Conseil Supérieur des

Forces Armées, dirigé par le maréchal Mohamed Husein Tantaoui, s’installa alors au pouvoir.

Cette transition fut vue d’un œil bienveillant des États-Unis, d’autant plus que les militaires

égyptiens étaient bien connus à Washington ; depuis 1979, l’Égypte était intégrée dans la

géopolitique régionale des États-Unis269. Or, lors des auditions du 20 juin 2012 précitées sur la

situation en Égypte, le Congrès américain prévint du danger que le futur de l’Égypte soit « fait

prisonnier d’une lutte de pouvoir incessante et déstabilisante entre les Frères Musulmans et le

Conseil Supérieur des forces armées ». « Au même moment, les Frères Musulmans seront

remis en cause à droite par les Salafistes, leurs principaux rivaux politiques et idéologiques,

poussant les Frères à adopter une ligne militaire similaire » 270. Les prédictions des experts au

Congrès américain ne tardèrent pas à se réaliser.

Le 3 juillet 2013, les forces armées égyptiennes déposèrent le premier Président

démocratiquement élu du pays, Mohammed Morsi. Selon la version officielle de l’armée, la

destitution du Président Morsi, annoncée à la télévision par le maréchal Abdel Fattah al-Sissi, 269

Amine Ait-Chaalal, article cité, p. 202. 270

Mr. David Schenker, Hearings, June 20, 2012, op. cit., p. 7.

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ministre de la Défense égyptien et commandant des forces armées depuis le 12 août 2012, fut

le résultat d’un « soulèvement populaire » appuyé par l’armée. Cependant, « des sources

concordantes provenant des Frères musulmans, de l'armée et des renseignements, affirmèrent

à l'agence de presse américaine Associated Press que la destitution du président égyptien avait

été décidée par les militaires dès le 23 juin271 ». Les membres des Frères Musulmans furent

arrêtés par l’armée, leurs médias fermés, la Constitution suspendue et Adli Mansour, Président

de la Haute Cour constitutionnelle, devint Président du pays par intérim, respectant ainsi la

déclaration télévisée du maréchal al-Sissi. Le chef des Frères Musulmans, Mohammed Badie,

dénonça un « coup d’état contre la démocratie » et un retour à un État militaire et policier.

Dans la réaction de l’administration Obama à cet événement, nous retrouvons sa

réticence à utiliser des termes connotés, dans une logique d’atténuation de la réalité, aspect

essentiel de la communication de crise –telle que nous l’avons déjà observée en réponse à

l’attentat de Benghazi du 11 septembre 2012. Sur la question du refus de l’administration de

qualifier l’action des militaires égyptiens de « coup », le porte-parole de la Maison Blanche,

Jay Carney, se montra très prudent :

“I think the point is -- and I’m trying to be very candid here -- is that this is a complex

situation and it is not in our interest to move unnecessarily quickly in making a determination

like that because we need to be mindful of our objective here, which is to assist the Egyptian

people in their transition to democracy and to remain faithful to our national security

interests.272”

Or, à la fin de l’été 2013, le débat sur une cessation de l’aide financière annuelle américaine à

l’Égypte, déjà très présent après les événements de juin et septembre 2012, fut à nouveau

d’actualité. Après un coup d’état ayant renversé le Président démocratiquement élu Mohamed

Morsi, une telle cessation n’était-elle pas la réponse adéquate ? Selon le Foreign Assistance

Act de 1961, section 508, aucun fonds ne peut être alloué à un gouvernement issu d’un

271 Claire Talon, « Egypte : un coup d'Etat planifié par les militaires ? », Le Monde Afrique, 7 juillet 2013, http://www.lemonde.fr/afrique/article/2013/07/06/egypte-un-coup-d-etat-prepare-a-l-avance-par-les-militaires_3443524_3212.html, consulté le 2 mai 2014. 272

Jay Carney, Press Briefing by Press Secretary, July 8, 2013, http://www.whitehouse.gov/the-press-office/2013/07/08/press-briefing-press-secretary-jay-carney-07082013, accessed April 19, 2014.

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coup273. Cette position fut notamment défendue par le sénateur républicain John McCain, mais

là encore, la communication de crise de l’administration préféra l’atténuation. Dans ses

déclarations à la presse du 8 juillet 2013, Jay Carney annonça qu’il « ne serait pas dans les

meilleurs intérêts des États-Unis de modifier immédiatement notre programme d’assistance à

l’Égypte274 ». Néanmoins, lorsque les journalistes lui demandèrent ce que le Président Obama

pensait de la situation actuelle en Égypte, le porte-parole avoua une administration inquiète de

l’escalade de la violence en Égypte et de sa nouvelle polarisation politique, ce que le Président

Obama exprima le 6 juillet 2013 lors de sa rencontre avec le Conseil de Sécurité Nationale275.

Les États-Unis condamnèrent aussi les appels explicites à la violence réalisés par les Frères

Musulmans. Le porte-parole définit les États-Unis comme partisans d’aucun groupe politique

particulier en Égypte, mais plutôt comme engagés aux côtés du peuple égyptien dans sa quête

de démocratie. Nous retrouvons encore les forces profondes américaines dans ce premier

choix de l’administration de maintenir l’aide financière envers l’Égypte. Cesser l’aide aurait

signifié une fragilisation d’une économie égyptienne déjà en difficulté, mais surtout une

remise en cause de l’alliance stratégique entre les deux pays, essentielle à la préservation de la

stabilité de la région et notamment des accords avec Israël276. Un certain militarisme au Caire

put être considéré comme l’assurance de court-terme de la préservation des intérêts de long-

terme des États-Unis dans la région, principalement l’accès au Canal de Suez, la coopération

des deux pays contre le terrorisme et la préservation du traité de paix avec Israël. Dans sa

réaction au Printemps arabe et à ses évolutions, l’administration Obama a donc dû conjuguer

une attention au gouvernement civil tout en restant attentif aux volontés et agissements du

pouvoir militaire, mais jusqu’à que celui-ci ne devienne trop ambitieux dans le pays277.

273

Brad Plumer, “The U.S. gives Egypt $1.5 billion a year in aid. Here’s what it does”, The Washington Post, July 9, 2013, http://www.washingtonpost.com/blogs/wonkblog/wp/2013/07/09/the-u-s-gives-egypt-1-5-billion-a-year-in-aid-heres-what-it-does/, accessed April 19, 2014. 274

Press Briefing by Press Secretary Jay Carney, The White House Press Office, July 8, 2013, http://www.whitehouse.gov/the-press-office/2013/07/08/press-briefing-press-secretary-jay-carney-07082013, accessed May 2, 2014. 275

Readout of the President’s Meeting with the National Security Council Regarding the Situation in Egypt, July 6, 2013, http://www.whitehouse.gov/the-press-office/2013/07/06/readout-president-s-meeting-national-security-council-regarding-situatio, accessed May 2, 2014. 276

Max Fisher, “U.S. has spotty record on law requiring it to cut aid after coups”, The Washington Post, July 5, 2013, http://www.washingtonpost.com/blogs/worldviews/wp/2013/07/05/u-s-has-spotty-record-on-law-requiring-it-to-cut-aid-after-coups/, accessed April 19, 2014. 277

Michele Dunne, Hearings, June 20, 2012, op. cit., p. 15.

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En octobre 2013, le Ministre des Affaires Étrangères égyptien, Nabil Fahmy, affirma

dans le journal Al-Ahram, financé par l’État, que la dépendance financière de l’Égypte aux

États-Unis ne pouvait plus durer. Pour certains manifestants du Printemps arabe, la demande

de dignité arabe recouvrait aussi le rejet d’une dépendance humiliante aux États-Unis. Nabil

Fahmy critiqua ainsi la certitude américaine en la continuité de cette dépendance égyptienne.

De plus, les premiers jours d’octobre furent marqués en Égypte par la répression sanglante de

l’armée contre les Frères Musulmansn, vertu de la décision de septembre 2013 de la Cour

égyptienne ayant rendues illégales les activités des Frères Musulmans. Cette loi, ce discours

provocateur de Nabil Fahmy, et surtout la multiplication des répressions perpétrées par

l’armée égyptienne, participèrent à la décision des États-Unis de tout de même geler une partie

de leur aide financière annuelle de 1,3 milliards de dollars attribuée à l’Égypte. Cette décision

fut prise le 9 octobre 2013, alors même que les États-Unis souhaitaient éviter de rompre leur

alliance sécuritaire avec l’armée égyptienne. Les États-Unis cessèrent alors de fournir à

l’Égypte du matériel de première importance : les hélicoptères d’attaque Apache, les missiles

Harpoon, ainsi que 260 millions de dollars pour le budget général du pays.

Cependant, certains aspects de l’aide financière américaine furent protégés, prouvant

encore le dilemme américain dans sa réaction aux événements égyptiens, devant toujours

veiller à la défense de ses propres intérêts. Les États-Unis continuèrent en effet à aider l’armée

égyptienne pour ses programmes de lutte contre le terrorisme, ainsi que dans ses efforts pour

sécuriser ses frontières et notamment le Sinaï, devenu un refuge pour les forces extrémistes.

Cette continuité répondit aussi aux attentes d’Israël, qui craignait un nouveau chao dans le

Sinaï si États-Unis cessaient leur aide financière à l’armée égyptienne278. Ainsi, l’annonce par

l’administration américaine de sa décision d’une cessation partielle de son aide financière,

notamment par le Secrétaire à la Défense Chuck Hagel à son homologue égyptien le 10

octobre 2013 par téléphone, sonna plutôt comme une réaffirmation des forts liens unissant les

États-Unis et l’armée égyptienne que comme une rupture : « This is not meant to be

permanent; this is meant to be the opposite ». Cette atténuation de la réalité s’inscrivit dans la

continuité du refus de l’administration de qualifier l’action de l’armée comme un « coup ».

278

Mark Landler and Michael R. Gordon, “Obama Expected to Reduce Military Aid to Egypt”, The New York Times, October 8, 2013, http://www.nytimes.com/2013/10/09/world/middleeast/obama-expected-to-reduce-military-aid-to-egypt.html?_r=0, accessed May 31, 2014.

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Une telle qualification aurait en effet exigé une suspension totale de l’aide américaine à

l’armée égyptienne. Certains analystes politiques dénoncèrent en conséquence l’incapacité de

l’administration Obama à refuser un gouvernement issu d’un coup, ayant imposé la loi

martiale et mené une répression systématique de l’opposition islamiste.

Nous comprenons, au travers de la réaction américaine au coup d’état du 3 juillet 2013,

l’importance des forces profondes américaines. Le message des États-Unis au lendemain du

renversement de Mohammed Morsi, envoyé en Égypte mais aussi à la communauté

internationale, fut donc confus, comme l’expliqua le sénateur Patrick J. Leahy, démocrate du

Vermont et Président du sous-comité accordant l’aide à l’Égypte :

“The administration is trying to have it both ways, by suspending some aid but continuing

other aid (…) By doing that, the message is muddled.”279

La directrice du Saban Center for Middle East Policy de la Brookings Institution, Tamara

Cofman Wittes, que nous avons déjà eu l’occasion de citer à plusieurs reprises, expliqua que

finalement, le gel partiel de l’aide financière américaine à l’armée égyptienne fut une décision

plus symbolique que stratégique de la part de l’administration Obama :

“It is an effort by the administration to say, ‘You did what you did, and we want to keep

working with you, but there is some price to be paid for not listening to us’. At the end of day,

it is a pretty symbolic price. ”280

La porte-parole du département d’État, Jennifer Psaki, assura d’ailleurs la continuité de

programmes d’aide non-milaire, notamment dans les secteurs de l’éducation, de la santé et du

développement économique « dont les Égyptiens tirent les bénéfices directs »281.

La progression du militarisme en Égypte éclaire un phénomène plus large observé à la fois en

Tunisie et en Égypte dans leur transition politique post-Printemps arabe : la recherche par la

population d’un gouvernement stable et digne de confiance, pouvant dériver sur une certaine

« nostalgie du chef ». Déjà observée après 2011, elle fut évidente durant l’année 2013.

279

Michael R. Gordon and Mark Landler, In Crackdown Response, U.S. Temporarily Freezes Some Military Aid to Egypt, The New York Times, October 9, 2013, http://www.nytimes.com/2013/10/10/world/middleeast/obama-military-aid-to-egypt.html, accessed May 29, 2014. 280

Ibid. 281

Elise Labott, “U.S. suspends significant military aid to Egypt”, CNN, October 9, 2013, http://edition.cnn.com/2013/10/09/world/meast/us-egypt-aid/, accessed May 31, 2014.

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1.2 La nostalgie du chef et la continuité des violences

En Tunisie, si le gouvernement élu ne fut pas renversé comme en Égypte, il ne parvint pas non

plus à récolter l’adhésion populaire. La division du peuple tunisien, déjà présentée plus haut

comme résultat des élections de 2011, ne disparut pas avec le temps et le gouvernement de

Moncef Marzouki eut des difficultés constantes à bénéficier d’une adhésion populaire solide.

En mars 2013, un sondage du Pew Research Center indiqua que moins de la moitié de la

population voyait favorablement le gouvernement du Président par intérim Moncef Marzouki.

Les partis politiques subirent le même sort : le pourcentage de popularité du parti islamiste

d’Ennahda au pouvoir diminua de 25 points entre 2012 et 2013. La même détérioration fut

observée quant à la confiance des Tunisiens dans les principales institutions de leur pays, et

notamment leur soutien à l’Assemblée Constituante. La conséquence de ces chiffres fut un

désenchantement, voire une désaffection, au regard de l’idée de démocratie en Tunisie282.

L’année 2013, à l’image de l’année 2012, fut en effet marquée par des oppositions politiques

internes et de nombreuses violences. Le 6 février 2013, l’opposant laïc Chokri Belaïd fut

assassiné en Tunisie, puis ce fut Mohamed Brahmi le 25 juillet, membre de l’Assemblée

Nationale Constituante (NCA). En août, le meurtre de huit soldats au Mont Chaambi remit

encore en question la capacité du parti d’Ennahda à garantir la sécurité dans le pays et sa

« légitimité électorale », argument principale du parti pour défendre ses positions face au reste

de la classe politique et de la société civile. Au moins de mars 2013, les médias locaux

comptèrent 160 immolations par le feu entre le 17 décembre 2010 et 12 mars 2013. Aussi,

seize jours de deuil national furent décrétés au cours de ces trois années, dont treize rien qu’en

2013283. Le 27 août, le groupe salafiste Ansar al-Sharia fut officiellement qualifié

d’organisation terroriste par le gouvernement tunisien. Ainsi, le 18 septembre 2013, le think

tank Atlantic Council parlait du « futur incertain d’Ennahda » en Tunisie. L’opposition

accusait notamment Ennahda de son manque de tolérance envers les mouvements extrémistes

salafistes et de son incompétence à stabiliser l’économie. Les citoyens tunisiens appelèrent

282

Global Attitudes Project, “Tunisians Disaffected with Leaders as Conditions Worsen”, Pew Research, September 12, 2013, http://www.pewglobal.org/2013/09/12/tunisians-disaffected-with-leaders-as-conditions-worsen/, accessed April 21, 2014.

s

283 Sarah Ben Hamadi, « Tunisie, 17 décembre 2010 - 17 décembre 2013: Trois années en 5 chiffres », Al

Huffington Post Maghreb, 17 décembre 2013, http://www.huffpostmaghreb.com/2013/12/17/tunisie-17-decembre_n_4453311.html, consulté le 30 avril 2014.

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alors à la fin du gouvernement d’Ennahda. Nous notons par exemple la présence dans ces

manifestations de 2013 de la comédienne Leila Toubel, que nous avons déjà mentionnée plus

haut. Tout comme les Tunisiens dirent « Dégage ! » au gouvernement de Ben Ali, ils

chassèrent le gouvernement post-Printemps arabe284. Le 5 octobre 2013, sous l’impulsion de

Gannouchi, le parti d’Ennahda s’engagea à quitter le pouvoir à la fin du mois. Le 25 octobre,

un débat national fut lancé pour former un gouvernement indépendant. Lorsque que le

gouvernement fit faillite, certains citoyens exprimèrent une nostalgie du règne de Ben Ali.

Contrairement à l’année 2012 où une majorité de la population souhaitait avant tout un

gouvernement démocratique, en 2013 les Tunisiens lui préféraient un gouvernement stable :

ce fut un renversement majeur au détriment de la démocratie. Ainsi, la crainte se développa en

Occident de voir « la démocratie mourir dans le berceau de la naissance du Printemps

arabe »285, comme l’exprima Bruce Stokes, directeur de la branche des attitudes économiques

globales au Pew Research Center.

Nous pouvons ainsi émettre l’hypothèse que ces partis islamistes, le parti Ennahda en

Tunisie et les Frères Musulmans en Égypte, ne furent pas élus pour leur idéologie, mais

principalement car ils étaient les mieux organisés au moment des élections. Leurs années de

clandestinité leur permirent en effet de mailler le territoire de nombreux réseaux, et ils purent

aussi être financés par certains souverains arabes. En effet, en comparaison, les Frères

Musulmans du parti Justice et Construction en Libye ne récoltèrent que 21,3% des voix, soit

17 sièges sur 200, à l’élection du Congrès général national libyen en 2012.

Le Président américain prit acte de ces évolutions sur le terrain et regretta les

perpétuelles violences accompagnant les processus de transition politique en Tunisie et en

Égypte. Le 15 août 2013, le Président américain s’exprima officiellement sur les violences en

Égypte, appelant à leur cessation. Il condamna les actions des forces armées et du Président

284

« Leila Toubel appelle à dégager le gouvernement », Tunivisions.net, 22 octobre 2013, http://www.tunivisions.net/47005/235/149/tunisie-politique-leila-toubel-appelle-a-degager-le-gouvernement.html, consulté le 2 mai 2014. 285

Bruce Stokes, “Is Democracy Dead in the Birthplace of the Arab Spring,” Foreign Policy, October 1, 2013, http://www.foreignpolicy.com/articles/2013/10/01/is_democracy_dead_in_the_birthplace_of_the_arab_spring, accessed April 21, 2014.

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égyptien par intérim ayant succédé à Mohammed Morsi, le Président de la Haute Cour

constitutionnelle, Adli Mansour :

“We deplore violence against civilians. We support universal rights essential to human dignity,

including the right to peaceful protest. We oppose the pursuit of martial law, which denies

those rights to citizens under the principle that security trumps individual freedom, or that

might makes right. And today the United States extends its condolences to the families of

those who were killed and those who were wounded.286”

Le mot de « sécurité » apparut neuf fois dans le discours, suivi de près par le mot « droit »,

repéré huit fois. Ainsi, certains analystes politiques purent considérer que la situation en

Égypte menaça, voire remit en cause, la philosophie d’Obama face au Printemps arabe. Ben

Rhodes, conseiller d’Obama, affirma en effet que le Président américain ne croyait pas en son

rôle d’ « ingénieur du processus politique »287, mais les violents de l’été 2013 obligèrent les

États-Unis à adopter une position plus ferme dans la région.

Au début de l’année 2014, l’Égypte était toujours prise dans l’étau de la violence. Les

partisans de l’ex-président Morsi, désormais qualifiés de « terroristes » par l’armée

égyptienne, tombèrent sous les coups de la loi sur les rassemblements adoptée en novembre

2013 et autorisant l’armée à tirer sur les manifestants. Ce climat de terreur put encore

renforcer la nostalgie du chef des populations et leur attente d’un gouvernement fort.

2 Des « révolutions » aux résultats contrastés

2.1 Les faux pas démocratiques : l’hypothèse d’une révolution détournée

Au début de l’année 2014, le maréchal al-Sissi fut déclaré favori pour les élections

présidentielles de mai 2014 en Égypte. Avec l’ex-chef de l’armée et homme fort de l’Égypte

officiellement à la tête du pays, il est difficile de conclure à une « révolution » du Printemps

286

Remarks by the President on the Situation in Egypt, “President Obama Calls for an End to Violence in Egypt”, August 15, 2013, http://www.whitehouse.gov/the-press-office/2013/08/15/remarks-president-situation-egypt, accessed May 2, 2014. 287

Julie Pace, “Egypt challenges Obama's Arab Spring philosophy”, The New Indian Express, August 17, 2013, http://www.newindianexpress.com/world/Egypt-challenges-Obamas-Arab-Spring-philosophy/2013/08/17/article1739233.ece#.UvKopsbmPl8, accessed April 30, 2014.

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arabe ; le régime de Moubarak lui-même était « aux ordres de l’armée »288. Michele Dunne, en

détaillant l’appropriation extensive du pouvoir par le Conseil Suprême des Forces Armées en

Égypte, parla ainsi de « détournement de la transition politique » :

“I have to say as I was thinking about this, the phrase Etch-a-Sketch transition came to mind.

Every once in a while when the SCAF sees that it doesn’t like the way things are going with

the transition, they just sort of shake it up and start drawing it all over again.289”

Le pouvoir de l’armée sembla pourtant bénéficier de la bénédiction officielle de

l’administration Obama, prouvant encore son décalage avec un Congrès américain à majorité

républicaine (la Chambre obtint une majorité républicaine aux élections du 6 novembre 2012,

tandis que la majorité démocrate au Sénat fut talonnée de près par les Républicains).

Lorsque l’armée destitua Mohammed Morsi à l’été 2013, le secrétaire Kerry affirma que

l’armée égyptienne visait, par cette destitution, à « restaurer la démocratie » dans le pays.

Le 21 novembre 2013, il prononça les propos américains les plus sévères envers les Frères

Musulmans depuis leur arrivée au pouvoir en janvier 2012. Il confirma notre hypothèse

avancée plus haut que le succès des partis islamistes ne signifiait pas une large adhésion

idéologique de la population, ni en Tunisie, ni en Égypte. En conséquence, il dénonça les

Frères Musulmans comme « voleurs » des révolutions du Printemps arabe:

That Tunis fruit vendor who self-immolated and started a revolution in Tunisia – there was no

religion, nothing, no extremism and ideology behind it. And he got slapped around by a police

officer, he was tired of corruption, and he wanted an opportunity to lead his life by being able

to sell his wares (…) Those kids in Tahrir Square, they were not motivated by any religion or

ideology. They were motivated by what they saw through this interconnected world, and they

wanted a piece of the opportunity and a chance to get an education and have a job and have a

future, and not have a corrupt government that deprived them of all of that and more," the top

US diplomat said. They tweeted their ways and Facetimed their ways and talked to each other,

288

Al-Jadaliyya, Paul Amar, « Moubarak aux ordres de l'armée », Courrier International, 10 février 2011, http://www.courrierinternational.com/article/2011/02/10/moubarak-aux-ordres-de-l-armee, consulté le 31 mai 2014. 289

Michele Dunne, Hearings, June 20, 2012, op. cit., p. 15.

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and that's what drove that revolution. And then it got stolen by the one single-most organized

entity in the state, which was the Brotherhood.”290

Il est intéressant de noter que ce discours du secrétaire Kerry dénota avec les prises de

position habituelles de la Maison Blanche face aux Frères Musulmans. Depuis l’été 2012,

Obama, nous l’avons vu, avait en effet adopté un discours plutôt rassurant sur la prise de

pouvoir du parti islamiste en Égypte. Or, dès l’automne 2013, le bilan du gouvernement des

Frères Musulmans fut questionné et critiqué en Europe et aux États-Unis. C’est pourquoi un

gouvernement de l’armée égyptienne lui fut bientôt préféré dans les instances décisionnelles à

Washington.

Le 23 novembre 2013, une table ronde dans la salle de l’Aubette à Strasbourg, dans le

cadre du Forum de la Démocratie, se demanda si après le Printemps arabe, au lendemain de la

destitution de Mohammed Morsi, l’Égypte vivait un « automne de l’islam politique » ?

Les politiques égyptiennes concernant le droit des femmes, le pluralisme politique ou la

tolérance religieuse furent dénoncées comme entrant directement en confrontation avec les

intérêts défendus par les États-Unis au cœur du Printemps arabe. Les Frères Musulmans se

montrèrent en effet hostiles à de multiples reprises à la liberté d’expression, aux droits des

femmes, des artistes, des journalistes, des intellectuels, des émigrés (harragas), etc. Ainsi,

l’Égypte post-Printemps arabe resta marquée d’un puissant conservatisme politique et

religieux. « Une des premières lois promulguées par le nouveau gouvernement fut une loi

contre la pornographie sur Internet291 ». L’exemple de la situation des femmes est un des plus

illustratifs pour comprendre que des réalités très lourdes survécurent au Printemps arabe en

Égypte. La haine du corps des femmes resta un véritable fléau dans le pays où le harcèlement

sexuel est considéré comme « plaie d’Egypte ». Le film Les femmes du bus 678, sorti en

2011, inspiré d’une histoire vraie et réalisé par l’Égyptien Mohamed Diab, illustra cette réalité

avec l’histoire de trois femmes issues de milieux sociaux différents (populaire, petite

290

Secretary of State John Kerry, Remarks at the Overseas Security Advisory Council's 28th Annual Briefing, November 20, 2013, http://www.state.gov/secretary/remarks/2013/11/217782.htm, accessed May 29, 2014. 291

Ahmed Elsheriff, Table ronde France Culture : « Après Morsi, l’automne de l’islam politique ? », Salle de l’Aubette à Strasbourg, samedi 23 novembre 2013.

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bourgeoisie et classe supérieure). En décembre 2011, une Égyptienne au soutien-gorge bleu

fut tabassée par les forces armées lors d’un soulèvement, déclenchant un mouvement de

soutien à l’international. Si les femmes furent présentes place Tahrir, le « partage du pouvoir

et l’exercice des libertés publiques restent une affaire d’hommes292». Amal Abdel-Rahmane,

directrice de l’organisation Al-Maraa al-guédida (La Nouvelle Femme) souligna ainsi que le

Comité Constitutionnel commença son travail de rédaction en écartant les femmes juristes.

Au niveau économique aussi, et notamment en Égypte, les résultats du Printemps arabe

restèrent décevants au regard des ambitions que les États-Unis y avaient projetées. Par

exemple, en 2012, les Salafistes et les Frères Musulmans s’opposèrent à un prêt japonais pour

agrandir les voies du métro au Caire, considéré comme d’intérêt contraire avec l’islam. Les

Salafistes refusèrent aussi un prêt de trois milliards de dollars du Fonds Monétaire

International293.

Le 25 avril 2014, des experts du Washington Institute argumentèrent de l’impossibilité de

modération des partis islamistes, ceux-ci une fois au pouvoir. Eric Trager, Senior Fellow de

l’Institut, expliqua l’erreur des analyses occidentales sur l’islamisme après les attentats du 11

septembre 2001. Les discours sur l’Islam furent subdivisés en deux principaux discours : celui

sur les terroristes, tels qu’Al-Qaïda, et sur les « États voyous », tels que l’Iran. Cependant,

cette subdivision ne permit pas la caractérisation des Frères Musulmans, groupe islamiste se

qualifiant comme modéré, refusant la violence et acceptant la démocratie. Ainsi, le

gouvernement américain entretint l’idée que le gouvernement islamiste du Président Morsi

pourrait protéger l’Égypte de l’extrémisme. Les Américains anticipèrent aussi l’idée que le

parti islamiste continuerait de se modérer une fois au pouvoir, afin de construire le consensus

nécessaire à son gouvernement. Or, ces attentes occidentales, projetées sur le parti islamiste

des Frères Musulmans, ne permirent pas de saisir la véritable « raison d’être » du parti. Selon

l’expert, le parti poursuivit avant tout l’ambition d’atteindre un pouvoir politique et social

292

Ibid. 293

Mr. David Schenker, Hearings, June 20, 2012, op. cit., p. 7.

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pour « résister aux influences politiques et culturelles occidentales en Égypte »294. L’auteur

affirma qu’au lieu de gouverner dans une logique de coalition ou de consensus, le parti des

Frères Musulmans exerça le pouvoir d’une manière inclusive. La déclaration constitutionnelle

de Mohammed Morsi, lui conférant en novembre 2012 une large autorité exécutive, fut un

exemple de cette pratique. Ses propos furent renchéris par ceux d’Haroon Ullah, membre du

Secretary of State’s Policy Planning Staff et spécialisé dans le contre-terrorisme et la

diplomatie, fut aussi membre de cette discussion de l’Institut. Il indiqua que finalement, « la

plupart des Islamistes sont comme les autres partis politiques : ils sont pragmatiques, pas des

idéologues à toute épreuve ». Nous pouvons ici rappeler que l’Institut est notamment un

espace de discussion privilégié des cercles de l’AIPAC, puissant lobby israélien à

Washington. Membre de l’Institut et de l’équipe de planification politique du Département

d’État, nous pouvons supposer la participation d’Harron Ullah dans l’élaboration de la

réaction de la Maison Blanche au pouvoir islamiste en Afrique du Nord et au Moyen-Orient.

En effet, le soutien de l’administration Obama aux gouvernements islamistes fut avant tout

pragmatique. Les déclarations officielles, fondées sur des propos tels que ceux d’Haroon

Ullah, cachaient en réalité des inquiétudes telles que celles précitées d’Eric Trager.

Le « soutien » américain au gouvernement des Frères Musulmans fut d’ailleurs

critiqué par certains Égyptiens eux-mêmes. Pourquoi les États-Unis soutiendraient-ils un

gouvernement oppressif et peu respectueux des droits de l’Homme en Égypte ? Certains

Égyptiens imaginèrent que les États-Unis aidèrent à la prise de pouvoir des Frères Musulmans

dans le but d’assurer leur propre pouvoir dans le pays en prouvant le caractère non viable d’un

gouvernement islamiste295. Au sein de la population américaine aussi, ce soutien officiel de

l’administration Obama aux Frères Musulmans, et aux gouvernements islamistes en général,

inquiéta. Le représentant de l'État du Colorado, Mike Coffmann, dans son ouvrage Radical

Islam in the House paru le 10 avril 2013, affirma par exemple qu’un « cancer islamiste » était

en passe d’infecter l’administration Obama dans sa totalité, menaçant l’ensemble du système

politique et de la culture américains.

294 Eric Trager, Wagner Fellow at the Washington Institute, Policywatch 2246, “Islamists in Government: Do They Moderate Once in Power?”, May 1, 2014, http://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/view/islamists-in-government-do-they-moderate-once-in-power, accessed May 29, 2014. 295

Michael Armanious, “Egyptians Bewildered Over Support for Muslim Brotherhood”, Gatestone Institute, http://www.gatestoneinstitute.org/3946/muslim-brotherhood-support, accessed May 29, 2014.

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Finalement, le choix des États-Unis à l’automne 2013 ne se situait plus vraiment entre

l’armée et la démocratie, mais plutôt entre l’armée ou un gouvernement islamiste.

L’administration américaine décida de soutenir l’armée. La déclaration précitée du secrétaire

d’État Kerry d’août 2013, affirmant que l’armée permettait une « restauration de la

démocratie » en Égypte, peut alors être lue comme un aveu de résignation de la part des États-

Unis quant à la transition démocratique du pays296. En effet, la doctrine Obama, que nous

avons vu comme pragmatique, conduit l’administration à soutenir l’armée alors même que

certains de ses agissements se trouvaient en contradiction avec les valeurs démocratiques

plébiscitées par les États-Unis dans le monde. Ce fut effectivement le même secrétaire d’État,

John Kerry, qui déclara « inacceptables » les meurtres de plusieurs manifestants islamistes

perpétrés par des membres de l’armée égyptienne. Le 28 avril 2014, par voie de presse, la

Maison Blanche se déclara très inquiète des procès de masse se déroulant en Égypte, et

notamment des 683 peines de mort décidées le même jour. Selon le communiqué officiel des

services de presse de l’administration, ce verdict « défie les standards minimum de la justice

internationale » et encourage instabilité et radicalisation des opinions en Égypte.

Le communiqué rappela les aspirations populaires de la révolution égyptienne du 25 janvier

2011 à « être représentés par un gouvernement exerçant son pouvoir de façon juste, respectant

leur dignité et leur fournissant des opportunités économiques »297. Le climat politique

d’intimidation créé par les procès égyptiens fut donc dénoncé comme contraire à un système

de justice criminelle démocratique, c’est-à-dire juste et transparent.

Mais en parallèle de cette inquiétude avouée de l’administration, des sentiments de

crainte et d’impuissance caractéristique d’une communication de crise, l’armée égyptienne

bénéficie toujours du soutien américain et affole ainsi les commentaires journalistiques.

Un article du Courrier International de la semaine du 22 au 27 mai 2014, tiré d’un journal

libanais, titra « l’indulgence américaine ». L’auteur dénonça le laxisme américain face au

296

Jonathan S. Tobin, “Note to Obama: Egypt Is a Zero-Sum Game”, Commentary Magazine, 8 août 2013, http://www.commentarymagazine.com/2013/08/08/note-to-obama-egypt-is-a-zero-sum-game-sisi-muslim-brotherhood/, consulté le 29 mai 2014. 297

Statement by the Press Secretary on Mass Trials and Sentencing in Egypt, April 28, 2014, http://www.whitehouse.gov/the-press-office/2014/04/28/statement-press-secretary-mass-trials-and-sentencing-egypt, accessed May 31, 2014.

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militarisme grandissant en Égypte : « Alors que Sissi ne cesse d’attaquer les États-Unis,

Washington a toujours cédé aux desiderata de l’armée égyptienne ». L’article souligna aussi la

requête surprenante du maréchal al-Sissi de recevoir des excuses de la part des États-Unis

pour leur gel financier, alors même qu’il se présente comme « l’homme qui a réussi à forcer la

main aux Américains ». En dirigeant la haine contre les États-Unis, le maréchal détourne la

colère populaire des faiblesses de son gouvernement, et y compris dans le domaine des droits

de l’Homme. Il est aussi utile de noter que le maréchal est soutenu l’Arabie Saoudite, les

Émirats Arabes Unis et le Koweït, tous alliés dans États-Unis dans le monde arabe. L’Arabie

Saoudite, comme l’Égypte, déclara les Frères Musulmans, remettant en cause son régime

dynastique, comme organisation terroriste. A l’issue des élections présidentielles en Égypte, le

29 mai 2014, le maréchal al-Sissi obtint un score prévisible de 93,3 % des voix, malgré que la

participation électorale fut plus faible qu’annoncée. Le taux de participation ne dépassa pas les

46% des 54 millions d’électeurs égyptiens ; ce taux n’égala pas les 52% atteints par l’élection

de Mohamed Morsi en juin 2012298. Les pro-Morsi rejetèrent d’ailleurs l’élection d’al-Sissi, la

décrivant comme une extension de la prise de pouvoir autoritaire de l’armée en Égypte.

A ce jour, 1er juin 2014, la réaction officielle des États-Unis à l’élection du maréchal

al-Sissi se fait toujours attendre. Sur place, certains observateurs ont néanmoins déjà

commenté le déroulement des élections. Nous pouvons notamment citer les propos d’Eric

Bjornlund, Président de Democracy International, organisation financée par les États-Unis

fournissant expertises et assistance technique aux programmes de gouvernance et

d’implantation de la démocratie conduits par l’USAID :

“Egypt’s repressive political environment made a genuinely democratic presidential election

impossible”299.

Par exemple, l’issue de presse de l’organisation, l’ajout d’un troisième jour de vote ne fut pas

justifié par des raisons démocratiques300. Le 24 mai 2014, le maréchal assurait que son

298

Stephen Kalin and Maggie Fick, “Egypt's Sisi wins election, faces economic challenges”, Reuters, May 29, 2014, http://www.reuters.com/article/2014/05/29/us-egypt-election-idUSKBN0E70D720140529, accessed May 31, 2014. 299

David D. Kirkpatrick, “International Observers Find Egypt’s Presidential Election Fell Short of Standards”, The New York Times, May 29, 2014, http://www.nytimes.com/2014/05/30/world/middleeast/international-observers-find-fault-with-egypt-vote.html?_r=0, accessed May 31, 2014.

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élection, par un important soutien populaire, permettrait d’améliorer les relations entre

l’Égypte et les États-Unis, car les résultats prouveront « que les Égyptiens souhaitaient bien la

chute du régime du Président élu Mohamed Morsi ». Cependant, si le maréchal souhaita de

« meilleures relations » entre les deux pays, il entendit aussi les voir se développer selon « ses

propres termes ». Il nous faut rappeler qu’en février 2014, notamment en réponse au gel

financier américain d’octobre 2013, l’Égypte négocia un traité d’armements avec la Russie de

Vladimir Poutine, dont les relations avec les États-Unis sont particulièrement tendues. Expert

du Washington Institute déjà cité au sujet des Frères Musulmans, Eric Trager, expliqua que de

tels achats égyptiens d’armements russes pourraient devenir de nouvelles sources de tensions

entre l’Égypte et les États-Unis, irritant aussi Israël dans sa quête historique de sécurité. En

plus d’y diversifier ses équipements militaires, ce fut la Russie que le maréchal al-Sissi choisit

en mars 2014 pour réaliser son premier voyage d’État hors-monde arabe depuis la destitution

du Président Morsi. Le journal égyptien al-Youm al-Sabaa présenta cette vente russe comme

un « rééquilibrage » des relations internationales et une « révolution contre les politiques de

Washington »301. De plus, les aides financières et militaires saoudiennes accordées à l’Égypte

du maréchal al-Sissi fragilisent la stratégie américaine de conditionner son aide militaire aux

réformes politiques effectivement conduites en Égypte. Ainsi, le 31 mai 2014, le Président

russe Poutine félicita la victoire du maréchal Al-Sissi, tandis que les États-Unis, par le voix de

la porte-parole du département d’État, Jennifer Psaki, dirent toujours attendre les « résultats

officiels » de l’élection302.

Face aux nouvelles ambitions de l’armée égyptienne, les États-Unis semblent donc

aujourd’hui laissés impuissants…

300

Democracy International, Press Release and Preliminary Statement, « Extension of Polling », Cairo, May 29, 2014, http://www.democracyinternational.com/news/press-release-and-preliminary-statement-disregard-egyptians-rights-and-freedoms-prevents-genuin, accessed May 31, 2014. 301

Eric Trager and David Schenker, “Egypt's Arms Deal with Russia: Potential Strategic Costs”, PolicyWatch 2218, The Washington Institute, March 4, 2014, http://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/view/egypts-arms-deal-with-russia-potential-strategic-costs, accessed May 31, 2014. 302

Joel Gulhane, “Putin congratulates Al-Sisi, US waiting on official results”, Daily News Egypt, May 31, 2014, http://www.dailynewsegypt.com/2014/05/31/putin-congratulates-al-sisi-us-waiting-official-results/, accessed May 31, 2014.

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Dans une conférence du 13 octobre 2007, la Professeur Nadine Picaudou, historienne

de l’Université Paris I, développait l’Histoire et les forces profondes des régimes arabes dans

sa présentation « Autoritarisme politique et monde musulman ». Ses propos visaient à prouver

la réalité d’une permanence des autocraties arabes. A contre-courant des grandes vagues de

démocratisation dans le monde, en Amérique latine, dans les pays d’Europe centrale et

orientale et en Afrique, un « exceptionnalisme arabe » semblait exister. En conséquence, elle

expliqua que les soubresauts de démocratisation restèrent majoritairement lettre morte dans les

pays de la région. Elle prit alors l’exemple de l’Égypte : alors que le Président el-Sadate

amorça un processus d’ouverture politique dans les années 1970, encourageant un certain

pluralisme et désengageant l’armée de la gestion des affaires quotidiennes, le mouvement fut

freiné par une violente opposition islamiste. On observa alors un nouveau renforcement du

contrôle politique sous Hosni Moubarak, sous lequel on parla de « délibéralisation politique ».

Il serait naïf et erroné de déduire de ces forces profondes arabes un échec prévisible et

inévitable du Printemps arabe en Tunisie et en Égypte. Cependant, les propos de la

Professeure nous invitent à réfléchir sur les forces profondes de ces pays. Les structures

politiques du monde arabe sont les produits de siècles d’Histoire et de nombreux rapports de

force, à l’image des autres États du monde. A l’instar de la conférencière, ce serait alors

l’immobilisme des structures des sociétés arabes qui conduirait à des libéralisations en

trompe-l’œil et à des échecs répétés des tentatives de démocratisation. Le Printemps arabe,

mouvement issu des peuples arabes, ne peut pourtant pas être comparé avec des tentatives de

démocratisation d’initiative gouvernementale. C’est d’ailleurs pour son aspect populaire, et

nous l’avons vu, que le Printemps arabe souleva tant d’espoir, notamment aux États-Unis.

Mais les structures du monde arabe auraient-elles rattrapé l’ambition de ses sociétés, et

notamment de ses plus jeunes générations ?

Ainsi, « Il y eut, d’abord, l’extase révolutionnaire où tout est enfin possible, celle qui

transporte chacun hors de soi, réenchante le monde, fait de chaque jour qui passe une joie

folle, un ravissement inqualifiable (du latin ex –en et dehors, stare –se tenir, donc ‘être en

dehors de soi-même’). Mais l’extase est à court terme, et son versant est l’attente, et

irrésistiblement on arrive à la perte d’espérance ». Cette observation de Smaïn Laacher fut

complétée par l’idée que la révolution n’aurait pas vraiment eue lieu et que l’on devrait plutôt

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parler de « manifestations de masse ». « Il faut se rendre à l’évidence : renverser une dictature,

ce n’est pas modifier substantiellement les paradigmes qui sont au fondement de l’ordre social

et des structures mentales ». Les structures peuvent perdurer, voire se renforcer face à la

pression du changement. Finalement, en Égypte, pas de réels débats n’ont eu lieu sur les

libertés publiques. « L’heure est encore à la contre révolution303 ». « Ces soulèvements ne sont

nullement des réveils, des printemps ou des révolutions, ce sont des transgressions

symboliques, qui produisent un effet émancipateur, parce qu’elles font croire à l’incroyable,

parce qu’elles permettent de penser l’impensable »304. Dès lors, nous avons vu que

« L’euphorie du Printemps arabe est devenu l’automne du mécontentement305 ».

Néanmoins, les insurrections eurent l’intérêt de provoquer une réflexion sur le monde

arabe, aux États-Unis, au sein de la communauté internationale et dans le monde arabe lui-

même. Plus qu’une révolution, puisque mouvement sans leader, ni idéologique précise, ni

programme, nous pouvons alors parler d’un « éveil » du monde arabe.

Il convient ici d’encore distinguer la Tunisie et l’Égypte. Comme l’expliqua Ahmed Elsherrif

lors de la conférence du 23 novembre 2013 à l’Aubette306, « la seule vraie révolution serait en

Tunisie, où le gouvernement fut renversé par la population ». Après les élections législatives

d’octobre 2011, Obama publia ainsi un communiqué félicitant « les millions de tunisiens qui

ont voté lors des premières élections démocratiques qui ont pris place dans le pays qui a

changé le cours de l’histoire et initié le printemps arabe ». Nous pouvons aujourd’hui nous

demander si la Tunisie, déjà pionnière du Printemps arabe, aurait alors vocation à entraîner

des avancées concrètes, notamment juridiques, dans le monde arabe post-Printemps arabe.

2.2 L’espoir de la Tunisie ?

A partir du 3 janvier 2014, les premiers articles pour une nouvelle Constitution tunisienne

commencèrent à être votés. La Constitution fut adoptée le 26 janvier et promulguée le 10

février 2014. Nous pouvons noter l’établissement d’une Commission Indépendante des

303 Smaïn Laacher, op. cit., p. 294. 304

Ibid, p. 297 305

Bruce Stokes, article cité. 306

Table ronde France Culture : « Après Morsi, l’automne de l’islam politique ? », Salle de l’Aubette à Strasbourg, samedi 23 novembre 2013.

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Élections et les progrès réalisés par l’Assemblée Nationale Constituante dans l’élaboration de

la loi électorale. Avant la fin de l’année 2014, le gouvernement tunisien vise à la tenue

d’élections parlementaire et présidentielle « libres, justes et transparentes », reprenant les mots

du Président Obama au lendemain de la Révolution tunisienne. La rédaction de la Constitution

consacre aussi la victoire des revendications de partis séculaires en Tunisie. L’article 2, qui ne

peut être amendé, affirmes la Tunisie comme « un État civil basé sur la citoyenneté, la volonté

du peuple et la suprématie de la loi ». L’article 3 continue en assurant le peuple souverain et

source d’autorité, « exercée par les représentants du peuple et par référendum »307. Ces articles

semblent bien contredire les prescriptions des partis islamiques plaçant le pouvoir de Dieu au-

dessus du pouvoir des lois. Sont aussi garanties des libertés chères aux États-Unis : la liberté

de conscience et de croyance (article 6), la liberté d’expression et d’information (article 31-

32), la liberté de rassemblement et les droits individuels à la propriété (article 41). Aussi, la

Constitution fut applaudie par la communauté internationale comme première ambition de

parité dans l’histoire juridique du monde arabe. Elle consacre à l’article 21 l’égalité entre les

hommes et les femmes dans le pays qui avait déjà instauré, en octobre 2011, « une parité de

listes obligatoire »308. Un nouveau cabinet fut dès lors mené par l’ancien Ministre Mehdi

Jomaa, désigné comme chef du gouvernement par le Président de la République Moncef

Marzouki et investi par la confiance de l’Assemblée Constituante le 29 janvier 2014.

La nouvelle Constitution fut accueillie positivement par les gouvernements

occidentaux. Le 3 février 2014, une publication de la Maison Blanche souligna le rôle du

Président des États-Unis dans ce succès, ayant encouragé tous les partis politiques tunisiens à

discuter ensemble de l’avenir de leur pays309. Par un appel téléphonique, le Président Obama

félicita le chef de gouvernement Jomaa de la ratification de la nouvelle constitution et de

l’inauguration de son nouveau gouvernement, et l’invita à venir le rencontrer à Washington

307

Alexis Arieff, “Political Transition in Tunisia”, Congressional Research Service, January 29, 2014, p. 4, https://www.fas.org/sgp/crs/row/RS21666.pdf, accessed April 21, 2014. 308

Article de Barbara Loyer, Le Monde, 14 octobre 2011, cité in Smaïn Laacher, op. cit., p. 233. 309

Office of the Press Secretary of the White House, Readout of the President’s Call with Prime Minister Jomaa of Tunisia, February 3, 2014, http://www.whitehouse.gov/the-press-office/2014/02/03/readout-president-s-call-prime-minister-jomaa-tunisia, accessed May 31, 2014.

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pour poursuivre le développement de l’alliance américano-tunisienne310. Lors de cette

rencontre, le 4 avril 2014311, le Président Obama et le Premier Ministre tunisien Jomaa

réaffirmèrent effectivemnt le partenariat stratégique de leurs deux pays. Barack Obama

qualifia la Tunisie de « modèle » et « enfant » du Printemps arabe312. Ainsi, il indiqua que les

États-Unis étaient disposés à fournir une assistance supplémentaire pour garantir le bon

déroulement des dites futures élections et à participer à la délégation d’observateurs

internationaux. L’investissement américain fut justifié comme « assurant le succès de

l’expérience égyptienne » par le Président ; il annonça une garantie de prêts de 500 millions

de dollars au pays pour faciliter son accès aux marchés capitaux internationaux. De plus, les

États-Unis et la Tunisie prévirent l’organisation d’une Conférence sur l’Entreprenariat

américano-maghrébin à Tunis à l’automne 2014. Dans le domaine de la sécurité, la rencontre

de la Joint Military Commission en mai 2014 doit principalement renforcer les missions de

contreterrorisme dans la région. Nous retrouvons donc dans le communiqué commun de cette

rencontre les forces profondes des États-Unis dans la région. En effet, il est intéressant de

noter que la coopération entre les deux pays, telle qu’affirmée par la communiqué américain,

visa toujours à la stabilité de la région toute entière. Le Président américain et le Premier

Ministre tunisien insistèrent sur leur engagement à avancer leurs intérêts communs dans un

environnement stable, c’est-à-dire à promouvoir un Maghreb, une Afrique et un Moyen-Orient

sécurisés et développés, voire « démocratiques ».

Le partenariat développé par les États-Unis avec la Tunisie post-Printemps arabe, pour

préserver la stabilité du monde arabe, ne repose donc pas uniquement sur une stratégie

militaire. Il est en ce sens illustratif de la « doctrine Obama » telle que l’a présentée l’ouvrage

précité de Gilles Vandal : le Président « privilégie nettement le ‘soft power’ (ou ‘smart

310

“Obama invites new Tunisian leader to U.S.”, Al Jazeera, February 3, 2014, http://www.reuters.com/article/2014/02/03/us-tunisia-obama-idUSBREA121P020140203, accessed May 31, 2014. 311

Joint Statement by the United States of America and the Tunisian Republic, The White House, April 4, 2014, http://www.whitehouse.gov/the-press-office/2014/04/04/joint-statement-united-states-america-and-tunisian-republic, accessed April 21, 2014.

312 “Obama praises Tunisia as model of Arab Spring”, Al Arabiya News, April 5, 2014,

http://english.alarabiya.net/en/business/economy/2014/04/04/Obama-U-S-to-provide-loan-guarantees-for-Tunisia.html, accessed May 31, 2014.

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power’) au ‘hard power’ (…) S’il adhère théoriquement au concept que l’Amérique

représente un phare pour le reste du monde, son approche est beaucoup plus pragmatique que

celles des idéalistes »313. Le 28 mai 2014, dans son discours à la cérémonie de remise des

diplômes de l’Académie militaire de West Point, le Président lia en effet paix et sécurité de

façon pragmatique. Il expliqua que soutenir la démocratie et les droits de l’Homme dans le

monde n’était pas une question d’idéalisme, mais un enjeu de sécurité nationale.

313

Gilles Vandal, op. cit., p. 182.

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147

Conclusion

Au début de ce mémoire sur la réaction des États-Unis face au Printemps arabe, nous posions

la question suivante : pourquoi et comment la réaction de l’administration Obama aux

insurrections arabes en Tunisie et en Égypte a-t-elle progressivement évolué de la prudence à

l’enthousiasme, puis de l’engouement à l’inquiétude ?

Notre premier élément de réponse est de comprendre ces changements de

communication du gouvernement Obama comme adaptations aux évolutions, sur le terrain,

des situations politiques en Tunisie et en Égypte. D’abord surprise par la rapidité et l’ampleur

des événements, l’administration Obama a ensuite pris acte des aspirations démocratiques des

populations, mais toujours en fonction des caractéristiques de chaque pays et en respectant les

intérêts stratégiques américains dans la région. Cette stratégie d’accompagnement

pragmatique fut surtout évidente vis-à-vis de l’Égypte, partenaire historique des États-Unis

dans le monde arabe. Les réactions américaines aux événements en Égypte ont plutôt visé à

gérer les crises en cours qu’à forger une nouvelle politique américaine dans la région. En effet,

si l’administration Obama déclara prendre en compte les revendications populaires du pays,

elle ne sacrifia pas pour autant ses relations avec les alliés traditionnels de la région. A l’aube

de l’été 2014, nous observons toujours une grande prudence des États-Unis face au pouvoir de

l’armée en Égypte. Alors même que le secrétaire à la Défense, Chuck Hagel, avait exprimé la

volonté américaine de ne pas voir une figure militaire nommée à la présidence du pays, le

maréchal al-Sisi fut élu à 93,3% des voix le 29 mai 2014. Ainsi, c’est en Égypte que nous

pouvons noter l’existence d’un décalage entre la stratégie déclaratoire des États-Unis,

dénonçant par exemple les procès de masse décidés par l’armée, et sa politique étrangère

effective, continuant de verser une aide substantielle à cette même armée. La communication

de crise de l’administration Obama fut alors surtout construite autour des dysfonctionnements

du processus de transition politique et violences observés en Égypte mais à ce jour, le

maréchal al-Sissi apparaît en Égypte comme l’homme fort pouvant imposer les volontés du

pays aux États-Unis.

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En parallèle des évolutions des situations sur le terrain, il fut éclairant de comprendre

que les changements de communication de l’administration Obama s’expliquèrent aussi par

les différentes influences auxquelles elle fut exposée. Nous avons notamment mis en valeur

les expertises de think tanks et lobbies. Aussi, certaines personnalités républicaines furent

essentielles dans le decision making du Président ; en 2010, l’ancien secrétaire d’État de G.

W. Bush se rendit quatre fois à la Maison Blanche pour discuter des enjeux de sécurité

nationale avec le Président démocrate. Nous pensons aussi à Ileana Ros-Lehtinen et aux

nombreuses auditions du Congrès qui alimentèrent les cercles du pouvoir à Washington.

Le bras de fer entre le Président et le Congrès, à majorité républicaine depuis le 6 novembre

2012, élément classique du decision making américain, fut observé durant le second mandat

de Barack Obama, notamment au sujet de l’aide financière américaine accordée à l’Égypte.

Aussi, c’est au sein même de l’administration Obama, par exemple entre des personnalités

politiques de premier plan telles que la secrétaire d’État Hillary Clinton jusqu’au 1er février

2013 et le secrétaire à la Défense jusqu’au 28 avril 2011, Robert Gates, que des désaccords

apparurent et participèrent au decision making du gouvernement en matière de politique

étrangère. Ce mémoire visa ainsi à montrer qu’une multitude de facteurs mais aussi une

multitude d’acteurs entrent dans la gestation et la formulation d’une position politique aux

États-Unis, puis de la communication la présentant au public. Le Président Obama est présenté

comme un décideur accordant une grande attention aux détails ; il s’attache alors à connaître

les différentes positions exprimées sur un enjeu politique314.

Il importe aussi de comprendre que ces acteurs inscrivirent leurs pensées et forgèrent

leurs stratégies dans un cadre bien plus large : les forces profondes des États-Unis et tout

l’imaginaire leur étant lié. Si l’arrivée au pouvoir des Islamistes marqua un tournant dans la

communication de l’administration Obama face au Printemps arabe en Tunisie et en Égypte,

ce fut aussi parce qu’elle eut un fort impact sur l’imaginaire des Américains et recoupa leur

appréhension de l’islam politique. Gilles Kepel décrivit ainsi, au lendemain des élections de

314

James P. Pfiffner, “Decision making in the Obama White House”, Research Paper, George Mason University, 2011.

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l’automne 2011, la désillusion des occidentaux qui avaient voulu associer, voire s’approprier,

les révolutions des populations arabes en « oubliant » leurs différences culturelles :

« Ils sont sur Twitter, ils sont sur Facebook ; ils sont comme nous (…) Les arabisants à la

poubelle et les orientalistes à la poubelle, et puis deux après patatra, c’est tout le contraire, y’a

rien à faire avec les arabes ; ils sont tous pour Al-Qaïda, Ben-Laden, c’est fichu !315 »

De plus en plus orientée vers l’information et marquée par une volonté d’atténuation, la

communication officielle de l’administration glissa donc vers une communication de crise.

Celle-ci fut principalement illustrée dans les refus du Président et du département d’État

d’utiliser des termes connotés dans les imaginaires Américains : l’ « attentat » de Benghazi en

2012, alors que les manifestations anti-américaines pouvaient rappeler aux Américains leur

vulnérabilité dans le monde arabe, puis le « coup d’état » en Égypte.

Lorsque nous parlons de l’ « inquiétude » des États-Unis face au Printemps arabe dès la fin de

l’année 2011, il s’agit bien d’en souligner ses deux significations : la crainte et l’incertitude.

La crainte de la figure du révolutionnaire est aujourd’hui encore très présente dans la réaction

américaine aux insurrections arabes. Nous pensons notamment aux violences dramatiques en

Égypte sur fond desquelles la campagne présidentielle s’est ouverte le 3 mai 2014.

L’incertitude règne aujourd’hui en maître en Égypte, quant au contenu du futur règne du

maréchal al-Sissi, mais aussi en Tunisie, bien que la Constitution adoptée le 26 janvier 2014

ait été applaudie par les États-Unis. La dernière semaine de mai 2014 subit en effet une

recrudescence du terrorisme en Tunisie. Dans son entretien précité, Gilles Kepel avançait cette

imprévisibilité des futurs gouvernements dans le monde arabe :

« Si les islamistes ont tout raflé dans la deuxième phase de la révolution, celle des élections,

aujourd’hui, phase trois, les islamistes se battent entre eux, et on ne sait plus qui est l’islamiste,

y compris les Frères Musulmans entre les jeunes et les vieux. Donc il y a une sorte de

désacralisation de la référence à l’islam politique. Ce même islam politique qui apparaissait

pourtant si propre et si pur, face aux gouvernements pourris316 ».

315

Gilles Kepel, entretien avec Gauthier Rybinski, France 24, 23 avril 2014, http://www.france24.com/fr/20130422-lentretien-gilles-kepel-passion-arabe-monde-arabo-musulman-pays-arabes/, consulté le 7 mai 2014. 316

Ibid.

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Finalement, « le monde arabe traverse une période enthousiasmante et inquiétante à la fois,

[les peuples] sont encore dans la phase de la passion révolutionnaire et non dans celle de la

raison démocratique317 ». Cette distinction entre passion révolutionnaire actuelle et raison

démocratique à venir fut aussi proposée en guise de conclusion par Stéphane Lacroix, lors de

la conférence du 23 novembre 2013 dans la salle de l’Aubette à Strasbourg sur le thème

« Après Morsi, l’automne de l’islam politique ? ».

L’inquiétude américaine face aux agitations des populations se retrouva dans plusieurs

pays de la région, et dramatiquement en Syrie. Mais là encore, les États-Unis gérèrent les

révoltes de façon réaliste et pragmatique, prenant en compte leurs propres intérêts

stratégiques, économiques et politiques. Engagés à garantir la sécurité d’Israël, les États-Unis

ont tardé à s’exprimer sur la situation en Syrie, alors même qu’ils s’engageaient aux côtés des

États européens en Libye pour prouver au monde leur défense de la liberté et de la démocratie.

Notre dernier élément de réponse pour expliquer les changements de communication de

l’administration Obama doit alors admettre le monde arabo-musulman comme une région

poreuse ; les pays le composant sont inextricablement liés. Nous avons par exemple vu que

l’incapacité du gouvernement Obama à mener à terme sa rhétorique prometteuse concernant la

situation de la Palestine participa largement à la détérioration de l’image des États-Unis et de

leur gestion du Printemps arabe dans la région. Pour comprendre pleinement la réaction des

États-Unis face au Printemps arabe en Tunisie et en Égypte, et y anticiper de futures

évolutions, une étude exhaustive des événements dans la région entière serait donc nécessaire.

Ainsi, il serait illusoire de vouloir prévoir le futur des relations entre les États-Unis et le

monde arabe uniquement à la vue des événements en Tunisie et en Égypte. Néanmoins, ce qui

est certain, c’est qu’en se positionnant par rapport aux révolutions arabes, le Président Obama

s’est assuré que les nouveaux régimes devront continuer à travailler avec les États-Unis318.

317

Bichara Khader, article cité, p. 19. 318

Nicholas Kitchen, article cite, p. 1.

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Par ses actions dans le cadre du Printemps arabe, les États-Unis, et l’administration

Obama, n’ont donc pas fondamentalement différé de la politique étrangère de G. W. Bush.

Cependant, les discours prononcés et la doctrine avancée ont été diamétralement opposés.

Ainsi, les États-Unis ont semblé réfléchir sur leur propre identité à l’international et leur façon

d’intervenir dans le monde (alors même que la doctrine Obama ne fut pas réévaluée).

Il fut reconnu que l’enjeu de la future administration, dans le monde arabe, sera désormais de

parvenir à dépasser les besoins américains de court terme pour y établir des stratégies de long-

terme. Le Center for a New American Security souligna en effet en 2012 que le « réel risque

de la stratégie américaine au Moyen-Orient est son incapacité à reconnaître le changement de

contexte et à comprendre le besoin d’un changement de stratégie reflétant ce changement de

contexte319 ». Dans son briefing annuel au Conseil de la Sécurité Nationale, le 20 novembre

2013, le secrétaire d’État, John Kerry, détermina comme réel danger à la sécurité américaine

l’incapacité des États-Unis à se poser en leader dans un monde qu’ils ne comprendraient pas :

“The greatest danger to America, whether to our people or to our interests, doesn’t come from

a rising rival. It comes from the risks that would arise in a world where American leadership

ceases to be a driving force in order to be able to help people to be able to respond to this

transition. It comes from the vacuum that the absence of leadership would create for autocrats

and extremists to exploit.320”

Cette semaine, à la cérémonie de remise des diplômes de l’Académie Militaire de West Point,

le Président Obama reconnut cette tâche d’inscrire la stratégie américaine dans un monde

changeant. Aussi, il affirma que le leadership américain ne faisait plus question, mais

uniquement sa façon d’être exercé :

“It will be your generation's task to respond to this new world. The question we face; the question

you will face; is not whether America will lead, but how we will lead, not just to secure our peace

and prosperity, but also to extend peace and prosperity around the globe”321.

319

Bruce W. Jentleson, Andrew M. Exum, Melissa G. Dalton and J. Dana Stuster, “Report Strategic Adaptation: Toward a U.S. New Strategy in the Middle East”, Center for a New American Security, June 2012, p. 5. 320 Secretary of State John Kerry, Remarks at the Overseas Security Advisory Council's 28th Annual Briefing, November 20, 2013, op. cit. 321

Transcript of President Obama’s Commencement Address at West Point, The New York Times, May 28, 2014, http://www.nytimes.com/2014/05/29/us/politics/transcript-of-president-obamas-commencement-address-at-west-point.html, accessed May 31, 2014.

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Ces propos soulignent le sens du détail dans le decision making du Président Obama, et la

difference entre son langage diplomatique et celui de G. W. Bush. Le Président Obama, dans

sa gestion du Printemps arabe, mit en scène un nouveau traitement de l’enjeu démocratique

dans le monde arabe. Alors même que ses actions ne furent pas si différentes, ses discours

montrèrent une puissance américaine plus pragmatique. Dans son discours à West Point de

2014, le Président félicita par exemple la fin des guerres américaines en Afghanistan et en

Irak, où les troupes étaient encore engagées lors de son discours à West Point de 2009. En

rappelant ces réussites de son mandat, le Président Obama s’attaque à un aspect de l’opinion

publique américaine qui fut aussi essentielle au cœur du Printemps arabe : les États-Unis

disposent de l’armée la plus puissante du monde mais son peuple ne veut plus être en guerre.

Ainsi, dans ce discours du 29 mai 2014, comme tout au long du Printemps arabe, Obama

développa l’idée que si les États-Unis ont le pouvoir d’intervenir, cela ne signifie pas qu’ils

doivent le faire.

C’est probablement sur ce point, celui de l’opinion publique, que nous pouvons

amorcer une comparaison entre la réaction des États-Unis face au Printemps arabe et celle

d’un pays européen comme la France, aussi impliqué en Afrique du Nord de par son histoire.

Tout d’abord, la réaction de la France aux événements présenta de nombreuses similarités

avec celles des États-Unis. Comme les États-Unis vis-à-vis de l’Égypte, la France hésita à

priori à soutenir les révolutionnaires tunisiens et ne lâcha que tardivement le régime de Ben

Ali. La France fut alors accusée d’indifférence, une critique que nous avions déjà relevée à

l’égard des États-Unis. De plus, au regard de son Histoire particulière en Afrique du Nord, le

France fut par ailleurs dénoncée pour son attitude « néo-colonialiste » face aux événements.

Puis, à la chute de l’allié traditionnel, le Printemps arabe –et le soutien à la transition

démocratique tunisienne, furent au contraire déclarés comme priorités de la diplomatie

française. Le discours de Nicolas Sarkozy du 31 août 2011 à l’Élysée, devant la 19e

Conférence des ambassadeurs de France, récusa les critiques des derniers mois comme

« rançon de l’Histoire » et assura que la France « a su prendre l’initiative et montrer le chemin

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à des moments décisifs »322. C’est notamment à elle que revint l’initiative de l’intervention

militaire d’une coalition multinationale en Libye dès le 19 mars 2011, sous l’égide des

Nations Unies. Faisant écho aux discours d’Obama, le Président Sarkozy assura la paix

comme condition de la sécurité dans le monde. Pour la France aussi, le Printemps arabe fut

donc une opportunité pour le gouvernement de réaffirmer son engagement auprès des pays de

la région, et particulièrement de la Tunisie. Les révolutions servirent la rhétorique française du

« pays des droits de l’Homme ». La communication de la France face au Printemps arabe

ressembla à celle des États-Unis, en tant qu’elle insista sur l’idée d’une « opportunité »

apportée par le Printemps arabe au monde et aux gouvernements des pays occidentaux.

Cependant, elle fut certainement plus engagée car le décalage observé entre les discours et

actions de la France fut moins important. Les États-Unis félicitèrent à de nombreuses reprises

les aspirations démocratiques des « citoyens ordinaires » tunisiens et égyptiens, les

rapprochant symboliquement aux valeurs défendues par leur propre pays, mais ne redéfinirent

pas pour autant leurs relations avec les forces de la région, comme le prouva par exemple la

déclaration du secrétaire d’État John Kerry de novembre 2013, refusant de qualifier de « coup

d’état » l’action militaire du 3 juillet 2013 en Égypte, affirmant qu’il s’agissait d’une

« restauration de la démocratie ». N. Sarkozy, au contraire, insista sur le changement de ses

relations avec les forces présentes en Tunisie :

« Ce qui est nouveau, après des décennies pendant lesquelles la stabilité des régimes en place

primait, à l’Est comme au Sud de l’Europe, c’est la volonté de la France d’accompagner avec

détermination le mouvement des peuples vers la démocratie. Pendant des années, notre diplomatie

- et j’en prends ma part - a été organisée autour du mot "stabilité". Et autour du mot "stabilité", la

France a eu des rapports avec des régimes qui n’étaient pas des exemples de démocratie. Le réveil

des peuples arabes, leur aspiration à la liberté permet de s’appuyer sur cette aspiration pour couper

définitivement avec cette stabilité qui nous mettait en permanence en contradiction entre les

valeurs que nous devions défendre et la réalité que nous devions assumer. Aujourd’hui, il y a une

opportunité de faire concilier la réalité et les valeurs.323 »

322

« Le printemps arabe, priorité de la diplomatie française », site de l’Ambassade de France à Tunis, http://www.ambassadefrance-tn.org/Le-printemps-arabe-priorite-de-la, consulté le 1

er juin 2014.

323 Nicolas Sarkozy, Discours du 21 août 2011 devant la 19

e Conférence des ambassadeurs de France, Élysée,

« Le printemps arabe, priorité de la diplomatie française », site de l’Ambassade de France à Tunis, article cité.

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Le 7 février 2014, le Président français François Hollande fut le seul chef d’État européen à se

déplacer à Tunis pour féliciter l’adoption de la nouvelle constitution à la cérémonie officielle

tenue à l’Assemblée Nationale de Tunisie. Ce déplacement symbolique fut révélateur des

forces profondes françaises dans le monde arabe et de la relation spéciale franco-tunisienne.

Le Président exprima effectivement pendant ce voyage sa volonté de refonder la relation

française avec le monde arabe à la lueur des événements du Printemps arabe et des progrès

démocratiques aujourd’hui illustrés en Tunisie. Il considéra l’adoption de la nouvelle

constitution tunisienne comme preuve de la compatibilité de l’islam et de la démocratie324.

« Vous incarnez l’espoir dans le monde arabe et bien au-delà (…) La Tunisie n’est pas une

exception, elle est un exemple »325.

Nous avons amorcé notre comparaison de la réaction de la France et des États-Unis

face au Printemps arabe en mentionnant l’importance des opinions publiques. En effet, cet

élément peut être avancé comme explication du plus grand « engagement » de la France dans

ses déclarations concernant le Printemps arabe, et dans le décalage moins évident entre ces

déclarations et les politiques françaises. Alors que les Américains, nous l’avons vu,

développèrent une importante crainte face au Printemps arabe, débouchant sur un rejet d’une

intervention américaine dans ses événements, les Français se montrèrent plutôt

« bienveillants » à l’égard des mouvements de révolte arabes. Selon un sondage de mars

2011, 63% des Français voyaient le Printemps arabe comme une chance, alors que seulement

30% le jugeaient comme une menace326. La déclaration de François Hollande devant la 20e

Conférence des ambassadeurs de France, le 27 août 2013, prolongea cette attitude

encourageante française : « Il leur appartient, à ces pays qui font œuvre de transition, d’en

faire la démonstration, et à nous, d’encourager le mouvement, sans défiance mais avec

324

Foreign leaders hail Tunisia's constitution, Al Jazeera, February 7, 2014, http://www.aljazeera.com/news/africa/2014/02/foreign-leaders-hail-tunisia-constitution-201427144047687702.html, accessed May 31, 2014. 325

« Hollande à Tunis : ‘Vous incarnez l'espoir dans le monde arabe’», Le Journal Du Dimanche, 7 février 2014, http://www.lejdd.fr/International/Hollande-a-Tunis-Vous-incarnez-l-espoir-dans-le-monde-arabe-651977, consulté le 1er juin 2014. 326

[SONDAGE] « 63% des Français voient les révolutions arabes comme une chance », Le Nouvel Observateur, 9 mars 2011, http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20110309.OBS9390/sondage-63-des-francais-voient-les-revolutions-arabes-comme-une-chance.html, consulté le 1

er juin 2014.

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vigilance »327. Nous pouvons émettre l’hypothèse que cette différence au niveau des opinions

publiques participa à des formulations distinctes de réponses au Printemps arabe, de la part de

la France et des États-Unis.

Or, l’orientation –ou la construction, d’une opinion publique se comprend par l’Histoire d’un

pays, ses caractéristiques politiques, sociales, économiques et psychologiques. Ainsi, nous

retrouvons la première affirmation de notre étude : la réaction des pays occidentaux face au

Printemps arabe fut mue par leurs forces profondes.

327

Discours de François Hollande à la XXe Conférence des ambassadeurs de France, 27 août 2012, http://www.voltairenet.org/article175629.html, consulté le 1er juin 2014.

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TABLE DES MATIÈRES Introduction…………………………………………………………… 9 Partie I : Le dilemme de l’administration Obama face au déclenchement du Printemps arabe, entre forces profondes et volonté de rupture (décembre 2010 – octobre 2011)…………………………………………………………..29 Chapitre 1 : Les forces profondes américaines s’imposant à la politique étrangère de l’administration Obama……………………………………………………...31

1. Le positionnement des États-Unis dans le monde arabe……………………………...31 1.1 Les cinq principaux intérêts nationaux dans la région…………………………....31 1.2 Un historique concis des relations entre les États-Unis et la Tunisie depuis

1945……………………………………………………………………………….32 1.3 Un historique concis des relations entre les États-Unis et l’Égypte depuis 1945....37 1.4 L’influence des lobbies et think tanks sur les politiques américaines…………….40

2. L’administration Obama, l’hypothèse d’une « rupture dans la continuité »………….48 2.1 Une administration succédant à huit années de gouvernement Bush-Cheney……48

A. Un lourd héritage dans le monde arabe…………………………………...49 B. Une rupture déjà amorcée avant l’administration Obama et une rupture à

nuancer……………………………………………………………………51 2.2 L’emblème de la volonté de rupture du Président Obama : le discours du Caire...55

A. Un discours idéaliste tourné vers l’espoir du futur………………………..56 B. Un discours pragmatique marqué par l’Histoire et les forces profondes…59

Chapitre 2 : Une progressive légitimation des mouvements populaires par l’administration Obama, à la faveur de la chute des régimes en place…………61

1. Un soutien attendu de l’administration Obama ?..........................................................61 2. La déception d’une position restant d’abord prudente face aux dictatures menacées...63

2.1 La crainte du bouleversement d’un statu quo……………………………………..63 2.2 La remise en cause de la profonde alliance stratégique avec le régime d’Hosni

Moubarak………………………………………………………………………….66 2.3 La question de l’intervention américaine…………………………………………70

3. Le soutien américain au Printemps arabe, exprimé lors de la faillite effective des régimes………………………………………………………………………………..72 3.1 La chute inévitable des régimes………………………………………………….72 3.2 Le discours du 19 mai 2011 sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord…………79 3.3 Un soutien n’ayant pas fait l’unanimité………………………………………….84

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Partie II : Le glissement vers une communication de crise face aux évolutions du Printemps arabe (octobre 2011 – janvier 2014)……………..93 Chapitre 1 : Les insurrections arabes servaient-elles les intérêts américains…..95

1. L’écho aux idéaux du modèle démocratique américain……………………………....95 1.1 Des mouvements issus du peuple…………………………………………………96 1.2 Le concept de « libre circulation des idées à l’international » et l’utilisation des

réseaux sociaux……………………………………………………………………97 A. Un concept ancré dans l’Histoire des États-Unis…………………………97 B. L’application du concept américain par les moyens techniques utilisés

durant le Printemps arabe : l’usage des réseaux sociaux……………..….102 2. La menace du chaos et la figure du révolutionnaire remplaçant celle des dictateurs

dans l’imaginaire négatif des Américains………………………………………...…106 2.1 La montée en puissance des Islamistes, des Frères Musulmans et des Salafistes :

les États-Unis face à une nouvelle réalité politique……………………………...106 2.2 Les violences accompagnant le processus de transition politique……………….113

A. La force des oppositions internes………………………………………..113 B. Des sentiments anti-américains………………………………………….120

Chapitre 2 : Les « finalités » des insurrections en Tunisie et en Égypte témoignant de l’impuissance des États-Unis………………………………….127

1. L’effet de verdict des élections fragilisé par les forces en présence………………...127 1.1 Le phénomène grandissant du militarisme en Égypte…………………………...127 1.2 La nostalgie du chef et la continuité des violences……………………………...132

2. Des « révolutions » aux résultats contrastés…………………………………………134

2.1 Les faux pas démocratiques : l’hypothèse d’une révolution détournée………….134 2.2 L’espoir de la Tunisie ?.........................................................................................143

Conclusion……………………………………………………………...….....147 Table des matières……………………………………………………….…...156 Annexes…………………………………………………………………….....158 Sources et Bibliographie……………………………………….…...………..162 Résumé / Abstract…………………………………………………………….175

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ANNEXES

1- Chronologie des événements en Tunisie

17 décembre 2010 : Mohammed Bouazizi, vendeur ambulant de 26 ans, tente de s’immoler par le feu devant le siège du gouvernorat de Sidi Bouzid. Sa marchandise avait été saisie et le gouvernement refusait de le recevoir. Les habitants dénoncent la précarité de la jeunesse. 19 décembre 2010 : Des affrontements ont lieu entre la police et les manifestants. Le même jour, le Président Ben Ali exprime sa « considération à tous les magistrats pour les efforts qu’ils déploient dans l’accomplissement de leur noble mission d’instauration de la justice, de garantie des droits des justiciables et de préservation des acquis de la chère patrie » (13e Congrès de l’Association des Magistrats Tunisiens). 28 décembre 2010 : Le Président Ben Ali rend visite à Mohamed Bouazizi (qui mourra de ses brûlures le 4 janvier 2011) et téléphone à Mouammar Kadhafi, instaurant une coopération entre les deux pays et la marche de l’Union du Maghreb arabe. 8 et 9 janvier 2011 : La police tire dans la foule à Kasserine (centre-ouest), faisant au moins 20 morts. Les affrontements deviennent violents à Kairouan (centre). 11 janvier 2011 : Les affrontements atteignent la capitale, Tunis. 14 janvier 2011 : Le Président Ben Ali, au pouvoir en Tunisie depuis 1987, fuit vers l’Arabie Saoudite. Le Premier ministre, Mohamed Ghannouchi, se déclare président par intérim (Gouvernement Ghannouchi I). 15 janvier 2011 : Le Conseil Constitutionnel destitue officiellement le président Ben Ali et proclame le président du Parlement, Fouad Mebazaa, président par intérim. Selon un bilan officiel, les heurts avec les forces de l’ordre ont fait 78 morts et 94 blessés. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les droits de l’homme, il y eût 219 morts et 510 blessés. 17 janvier 2011 : Un nouveau gouvernement dit « d'union nationale » est établi par Mohamed Ghannouchi (Ghannouchi II). Certaines personnalités de l’opposition entrent au gouvernement, mais des positions essentielles restent occupées par des personnalités du parti du Président déchu, le RCD (Rassemblement Constitutionnel Démocratique), notamment au ministère de l’Intérieur. Les insurrections s’intensifient et plusieurs ministres démissionnent. Des élections pluralistes sont prévues dans les six mois. 20 janvier 2011 : Le gouvernement décide d’une amnistie générale, permettant ainsi le retour de plusieurs figures de l’opposition comme Rached Ghannouchi, le dirigeant du parti islamiste Ennahda, ou encore Moncef Marzouki, le fondateur du Congrès pour la République. 23 janvier 2011 : La “caravane de la liberté”, marche partie depuis le centre du pays, demande la démission du gouvernement des caciques de l’ancien régime. 24 janvier 2011 : L’armée se porte « garante de la révolution ». Les manifestants exigent la démission du gouvernement. 25 et 27 février 2011 : Des manifestations à Tunis réclament la démission du Premier ministre. Il démissionne effectivement le 27 février et est remplacé par Béji Caïd Essebsi, qui procède à des remaniements ministériels. 3 mars 2011 : L’élection d’une Assemblée constituante est annoncée pour le 24 juillet 2011.

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7 mars 2011 : Instauration d’un nouveau gouvernement provisoire, sans ancien ministre du régime de Ben Ali. 15 mars 2011 : La Haute Instance de réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique est chargée de préparer les futures élections tunisiennes. 8 juin 2011 : Le Premier ministre du gouvernement de transition, Béji Caïd Essebsi, annonce le report des élections pour le 23 octobre. La campagne se déroule du 1er au 21 octobre. 23 octobre 2011 : L’élection de l’Assemblée Constituante voit arriver en tête le parti islamiste modéré d’Ennahda, obtenant 89 sièges (37,04%). 2 novembre 2011: Un Décret-loi sur la liberté de la presse, l'imprimerie et l'édition est voté. 12 décembre 2011 : Moncef Marzouki est élu Président de la République par l'Assemblée Constituante. 14 décembre 2011 : Le Président Marzouki nomme le numéro 2 d'Ennahda, Hamadi Jebali, Premier Ministre. 14 janvier 2012 : Tunis fête l’An I de la Révolution sur l’avenue Habib Bourguiba. 26 mars 2012 : Le parti islamiste Ennahda renonce à toute référence explicite à la charia dans la future Constitution. 29 mars 2012 : La Tunisie légalise le parti salafiste Jabhet el-Islah. 11-12 juin 2012 : Le grand Tunis semble s’enflammer ; des vagues de violence impliquent des salafistes et des casseurs, notamment dans le nord-ouest du pays suite à une exposition, dans le cadre du "Printemps des arts" à la Marsa, dont les œuvres ont été jugées blasphématoires. Instauration d'un couvre-feu à Tunis et dans quatre régions. 14 septembre 2012 : L’ambassade américaine et une école américaine sont attaquées à Tunis Attaque par des groupes de salafistes et de casseurs. 6 février 2013 : L'assassinat de l'opposant laïc et avocat Chokri Belaïd provoque une vague de manifestations dans tout le pays. 25 juillet 2013 : L’opposant et parlementaire tunisien Mohamed Brahmi est assassiné. 27 août 2013 : Le groupe salafiste Ansar al Charia est officiellement qualifié d’organisation terroriste par le gouvernement tunisien. 5 octobre 2013 : Rached Ghannouchi, chef du parti islamiste, signe une feuille de route de sortie de crise dans laquelle le gouvernement dirigé par Ennahda s'engage à quitter le pouvoir d'ici à la fin octobre. 25 octobre 2013 : Un dialogue national est lancé pour former un gouvernement indépendant. 3 janvier 2014 : Le vote sur la Constitution à l'Assemblée débute et les premiers articles de la Constitution sont adoptés par les députés. 9 janvier 2014 : Le Premier Ministre islamiste, Ali Larayedh, démissionne, conformément à l’accord du 5 octobre 2013. Il est remplacé par l'indépendant Mehdi Jomaa. 26 janvier 2014 : La nouvelle Constitution est adoptée. Ban-Ki Moon félicite le Président Moncef Marzouki de l’achèvement de la rédaction de la nouvelle Constitution. 7 février 2014 : Une cérémonie officielle célèbre l’adoption de la Constitution dans l’enceinte de l’Assemblée Nationale tunisienne, en présence du Président français François Hollande. 10 février 2014 : La nouvelle Constitution est promulguée. 3 avril 2014 : Barack Obama accueille Mehdi Jomaa, chef du nouveau gouvernement, à la

Maison Blanche. Il félicite la Tunisie de sa transition démocratique.

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2- Chronologie des événements en Égypte 3 novembre 2007 : Hosni Moubarak est réélu chef du Parti national démocrate. 25 janvier-11 février 2011 : Une première manifestation a lieu sur la place Tahrir au Caire puis plusieurs manifestations gagnent de nombreuses villes du pays pour réclamer la fin du régime du président Hosni Moubarak (365 morts). 11 février 2011 : Le président Hosni Moubarak, au pouvoir depuis 1981, est contraint de démissionner. Le Conseil suprême des forces armées, présidé par le maréchal Mohamed Hussein Tantaoui, dirige le pays et assure la transition. 13 février 2011 : Le Parlement est dissout et la Constitution suspendue. 19 mars 2011 : Le référendum sur la constitution égyptienne obtient 77% des voix en faveur des amendements proposés (limitation du nombre et de la durée du mandat présidentiel, assouplissement des conditions de candidatures électorales). Les amendements à la Constitution sont donc adoptés. Essam Charaf est nommé à la tête du gouvernement en mars. 9 septembre 2011 : L’ambassade israélienne est envahie au Caire lors d'une violente manifestation. 19-21 novembre 2011 : De violentes manifestations se déclarent hostiles au régime sur la place Tahrir, au Caire, provoquant la démission du gouvernement. Le gouvernement présente sa démission au Conseil suprême des forces armées, mais la population scande toujours « Tantaoui, dégage ! ». 28 novembre 2011-10 janvier 2012 : Les élections législatives voient la victoire des islamistes du parti Liberté et Justice. 29 janvier - 22 février 2012 : Le parti islamiste Liberté et Justice remporte aussi les élections sénatoriales. 31 mai 2012 : L'état d'urgence imposé en 1981 est levé. 14 juin 2012 : La Cour Constitutionnelle Suprême du Caire dissout le Parlement élu par le peuple. 17 juin 2012 : L’élection présidentielle élit le candidat des Frères Musulmans Mohamed Morsi à la tête du pays. 22 novembre-21 décembre 2012 : Une vague de manifestations déferle suite à un décret présidentiel conférant des pouvoirs élargis au président Mohamed Morsi et en réponse au limogeage du procureur général d'Egypte, Abdel Maguid Mahmoud. 30 novembre 2012 : Le projet de la nouvelle constitution est adopté par l'Assemblée constituante. 8 décembre 2012 : Le décret présidentiel du 22 novembre 2012 est annulé. 15 et 22 décembre 2012 : La Constitution est adoptée par référendum. 25 janvier 2013 : Une vague de manifestations débute à l'occasion du 2ème anniversaire du soulèvement populaire qui a renversé Hosni Moubarak. Une soixantaine de morts sont dénombrés en une semaine. 30 juin 2013 : Des manifestations traversent le pays pour demander le départ du président Mohamed Morsi. 2 juillet 2013 : La présidence égyptienne rejette l'ultimatum de l'armée pour satisfaire les demandes du peuple. 3 juillet 2013 : Le président Mohamed Morsi est destitué par l'armée.

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5 juillet 2013 : Le guide suprême des Frères Musulmans, Mohammed Badi, dénonce un coup d’état militaire et appelle à la mobilisation pour le retour du Président Morsi. Les affrontements entre pro et anti-Morsi commencent. 9 juillet 2013 : La « déclaration constitutionnelle » des autorités, fixant la politique du pays et ses prochaines échéances électorales, est refusée par les pro-Morsi. 16 juillet 2013 : Le nouveau gouvernement formé ne contient aucune personnalité des partis islamistes. 14 août 2013 : L’armée intervient pour disperser les sit-in pro-Morsi au Caire (627 morts et 3 000 blessés). L’état d’urgence est instauré dans tout le pays. 15 août 2013 : L’armée est autorisée à tirer à balles réelles sur les manifestants attaquant des biens publics ou les forces de l’ordre. Barack Obama condamne officiellement ces violences et annule certaines opérations militaires planifiées avec le pays. 20 août 2013 : Mohammed Badie, est arrêté. 23 septembre 2013 : La justice interdit les activités de la confrérie des Frères musulmans et confisque ses biens. 24 novembre 2013 : Une loi restreignant le droit de manifester est promulguée. 25 décembre 2013 : Les autorités qualifient les Frères musulmans comme une organisation terroriste 14-15 janvier 2014 : Adoption par référendum de la Constitution, le oui l’emporte à 98,1% avec 38,6% de participation. Ce taux de participation étant cependant supérieur à celui du référendum constitutionnel de 2012 (32,9%), le gouvernement mis en place par les militaires considéra une « victoire » justifiant sa destitution du Président Morsi. 25 janvier 2014 : L'Alliance contre le coup d'Etat, coalition pro-Morsi chapeautée par les Frères musulmans, appelle à des rassemblements à l’occasion du troisième anniversaire de la révolution ayant conduit à l’arrestation d’Hosni Moubarak. 27 janvier 2014 : Le Conseil suprême des forces armées accepte la candidature du maréchal Abdel Fattah al-Sissi à l’élection présidentielle. 30 mars 2014 : L’élection présidentielle est fixée aux 26 et 27 mai 2014. 2 avril 2014 : Triple attentat au Caire et mort d’un général. 28 avril 2014 : Près de 700 Egyptiens pro-Morsi sont condamnés à mort, en même temps que le chef des Frères Musulmans en Egypte cité plus haut, Mohammed Badie. 2 mai 2014 : Trois nouveaux attentats précèdent l’ouverture de la campagne présidentielle. 3 mai 2014 : La campagne électorale s’ouvre sur fonds d’attentats. 5 mai 2014 : Le maréchal al-Sissi, déclaré favori pour l’élection présidentielle, promet que l’armée n’aura aucun rôle au pouvoir s’il est élu. 6 mai 2014 : Al-Sissi se présente comme rempart absolu contre les Islamistes qu’il a chassés du pouvoir. 26 et 27 mai 2014 : L’élection présidentielle a lieu. Elle est prolongée d’un jour, jusqu’au 28 mai 2014. 28 mai 2014 : Al-Sissi remporte l’élection présidentielle avec 93,3% des voix. La participation électorale ne dépassa pas les 46%. Le Président sera investi le 7 juin 2014. 1er juin 2014 : A ce jour, l’administration Obama n’a toujours pas réagi à cette élection.

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RESUMÉ

Ce mémoire développe les événements du Printemps arabe en Tunisie et en Égypte du point

de vue des États-Unis. La réaction de l’administration Obama est particulièrement intéressante

à étudier, car elle fut pressentie comme porteuse d’une nouvelle politique étrangère

américaine en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Or, le soutien américain aux aspirations

démocratiques des peuples arabes fut plus tardif qu’attendu. De plus, l’inquiétude rattrapa

rapidement l’engouement. Pourquoi et comment la communication de l’administration Obama

évolua de la prudence à l’enthousiasme, puis de l’engouement à l’inquiétude ?

Il s’agit de comprendre que si la réaction des États-Unis s’adapta aux événements du

Printemps arabe, elle fut surtout influencée par les intérêts stratégiques américains.

ABSTRACT

This thesis focuses on the events of the Arab Spring in Tunisia and Egypt through an

American perspective. The Obama administration’s reaction is relevant to study since it was

expected to bring a significant change in the American foreign policy towards North Africa

and the Middle East. However, the American support to the democratic aspirations of the

Arab people did not appear as obvious as anticipated. Furthermore, feelings such as fear and

concern soon became dominant. Why and how did the communication of the Obama

administration shifted from caution to enthusiasm, and then from excitement to concern?

The aim of our thesis is to show that, if the United States’ reaction adapted to the evolving

events of the Arab Spring, it kept respecting the American main strategic interests.