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Université Lyon 2 Institut d'Etudes Politiques de Lyon "This is Africa !" Souvenirs et imaginaire touristique : le cas de l'artisanat en Afrique du Sud Fabre Lucille Mémoire de Séminaire Enjeux socio-économiques et territoriaux dans les pays du Sud Sous la direction de Karine Bennafla Soutenu le 29 Aout 2011 Membres du jury : Karine Bennafla, Myriam Houssay-Holzschuch

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Université Lyon 2Institut d'Etudes Politiques de Lyon

"This is Africa !"Souvenirs et imaginaire touristique : le cas del'artisanat en Afrique du Sud

Fabre LucilleMémoire de Séminaire

Enjeux socio-économiques et territoriaux dans les pays du SudSous la direction de Karine Bennafla

Soutenu le 29 Aout 2011

Membres du jury : Karine Bennafla, Myriam Houssay-Holzschuch

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Table des matièresRemerciements . . 4Note de l'auteur . . 5Introduction . . 6I. L'artisanat en Afrique du Sud : un apercu . . 10

1. L'artisanat : une tentative de definition . . 102. Un role social : l'artisanat, vecteur de developpement humain et d'insertion sociale . . 173. Des enjeux economiques importants : l'artisanat au coeur de l'industrie touristique . . 22

II. Artisanat et imaginaire touristique . . 271. L'artisanat : un ''attrape-touristes'' ? . . 272. L'artisanat : objet souvenir, objet de fantasme(s) . . 313. Fabrique de l'authenticite et mise en scene touristique de l'artisanat . . 40

Conclusion . . 50Bibliographie . . 52

Ouvrages et publications . . 52Articles de revues et de presse . . 52Rapports . . 54Sites internet . . 54

Annexes . . 55Annexe 1 – Les neuf provinces d'Afrique du Sud . . 55Annexe 2 – Poverty and Inequality in South Africa . . 55Annexe 3 – Discours de Nicolas Sarkozy a l'Universite de Dakar, 26 juillet 2007 . . 63

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RemerciementsJe souhaiterais remercier, avant tout, ma directrice de mémoire, Karine Bennafla pour son aide et sapatience, et Myriam Houssay-Holzschuch pour ses conseils précieux. Je remercie également mesparents pour m'avoir fait découvrir, il y a huit ans, l'Afrique du Sud, et pour m'avoir prêté main fortetout au long de la rédaction de ce mémoire. J'aimerais aussi adresser une pensée à l'ensemble despersonnes qui ont été, un moment ou un autre, physiquement ou par la pensée, mes compagnons delabeur : Mériem, Amandine, Thomas, Manu, Simon, Flo, Alix, Emeline, Cédric, Alicia, Yamanca,etc.

Mes pensées les plus profondes vont finalement à Tammouz sans qui ce mémoire n'aurait paspu être achevé. Je le remercie pour son amour et son soutien.

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Note de l'auteur

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Note de l'auteurJe souhaiterais préciser par avance que mon intention n'a jamais été de jeter l'opprobre ni de porterune quelconque forme de jugement sur certains types de comportements décrits dans ce mémoire,mais simplement de mettre en exergue un certain nombre de phénomènes qui avaient déjà pu fairel'objet, pour la plupart d'une étude par certains auteurs. De nombreuses idées reçues, attentes etperceptions développées ici ont pu être les miennes dans un certain nombre de situations similairesà celles décrites dans ce mémoire. Si, je n'espère qu'une chose c'est que mon séjour en Afrique duSud ainsi que ce mémoire m'auront permit finalement d'en changer.

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Introduction

« This is Africa ! » scandait fièrement l'hymne officiel de la Coupe du Monde de Football2010 organisée l'an dernier en Afrique du Sud. « This is Africa ! » reprenait en coeur, dansson clip Waka Waka, la chanteuse colombienne Shakira, désignée pour interpréter le titre,en se trémoussant pieds nus, affublée d'un pagne à franges, de bracelets colorés, de perleset de plumes dans les cheveux, en compagnie d'enfants et d'adultes de toutes les couleurs(eux aussi vêtus de pagnes et autres boubous africains).

Cet hymne, composé à l'occasion de la première Coupe du Monde de Footballorganisée sur le sol africain en vue de célébrer la diversité, la joie de vivre et le dynamismedu ''peuple africain'', semble en réalité le réduire, à quelques choses près, à un certainnombre de clichés occidentaux au sujet du ''Continent Noir'' : une poignée d'enfants noirsen tenues colorées, dansant pieds nus dans le sable, au son du rythme endiablé despercussions.

« This is Africa, we bargain ! » annonce un écriteau à l'entrée de l'African Craft Marketde Rosebank à Johannesburg, comme pour rappeler aux clients qu'ils sont sur le pointde vivre une expérience ''authentiquement africaine'', et que effectivement, en accord avecl'imaginaire occidental, ''en Afrique, on marchande'' toujours.

Dans ces deux exemples, une formule suffit ainsi à faire la synthèse de la réalité d'unpays, d'un continent entier, et à raviver tout un ensemble de représentations stéréotypéesque l'on pensait avoir été enterrées en même temps que la colonisation. Le portrait de« l'homme africain » dressé par Nicolas Sarkozy, fraichement élu Président de la RépubliqueFrançaise, dans son allocution du 26 juillet 2007 à l'Université de Dakar, montre en effet qu'iln'est pas nécessaire de creuser très profond dans certains discours (même ceux provenantdes plus hautes instances de l'Etat) pour renouer avec une vision fantasmée et erronéedu continent africain et de ses habitants, « vivant en symbiose avec la nature depuis desmillénaires » 1, digne de celle des premiers explorateurs européens.

Les brochures touristiques ventant les mérites des destinations africaines n'ont decesse de reproduire et d'encourager ce genre de perceptions eurocentrées du continent noir,cette vision enchantée d'une Afrique ancestrale, mystérieuse, vibrante. Ainsi, par exemple,en visitant le site officiel de l'Office du Tourisme d'Afrique du Sud (www.southafrica.net) lesfuturs touristes sont invités à venir « expérimenter la combinaison parfaite entre culture Zuluauthentique, nature et faune sauvage » 2 en visitant le village traditionnel de Dumazulu,« museé vivant » du peuple Zulu et de ses traditions. De cette manière, le tourismepermettrait une rencontre authentique entre les cultures du monde et oeuvrerait à leurcompréhension mutuelle, comme le souligne l'Organisation Mondiale du Tourisme, ayantchoisi, cette année, d'organiser sa Journée Mondiale du Tourisme (dont la célébration auralieu le 27 septembre 2011 à Assouan en Egypte) autour du thème « Tourism – Linkingcultures ».

« Le tourisme n'est pas simplement une activité économique et commerciale,mais l'un des principaux instrument d'interaction humaine au monde. […] Selon

1 Allocution de Nicolas Sarkozy à l'Université de Daker, 26 juillet 2007.2 « experience the perfect combination of genuire Zulu culture, nature and wildlife » (www.southafrica.net)

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Introduction

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la Déclaration des Nations Unies pour une Culture de la Paix, le développementd'une culture de la paix est intégralement liée au fait de ''faire progresser lacompréhension, la tolérance et la solidarité entre toutes les civilisations, tous lespeuples et toutes les cultures''. Assurément, le tourisme, une activité ayant pourcoeur même le dialogue et l'échange interculturels, devrait être mis en valeur àcet égard. Le tourisme est basé sur l'interaction, l'interaction suscite le dialogueet le dialogue construit la compréhension mutuelle et la paix» »3

L'activité touristique constituerait ainsi, selon un tel discours, un vecteur de mise en valeur etde préservation des cultures locales, tandis que l'expérience authentique de l'Autre permisepar le voyage faciliterait le dialogue interculturel, le respect et la compréhension mutuelleentre les hommes et les sociétés. C'est donc ce type de postulats que nous tenterons demettre à l'épreuve en observant le cas de l'artisanat et de sa mise en tourisme dans lecontexte de l'Afrique du Sud post-Apartheid.

D'une part, outre le fait de ''notre histoire personnelle'' avec le contexte sud-africain,le choix de l'Afrique du Sud pour le cadre de notre étude a avant tout été motivé par sonrôle émergent dans l'industrie touristique mondiale. Le secteur touristique sud-africain aen effet connu un développement sans précédent depuis la réouverture progressive dupays au début des années 1990, des suites de l'abolition du régime d'Apartheid et de lalevée des sanctions internationales contre celui-ci. De par son niveau d'industrialisationet d'infrastructures relativement élevé, hérité en partie des politiques industrielles etéconomiques de l'ancien régime ségrégationniste, L'Afrique du Sud fait actuellement figured'exception en Afrique Subsaharienne (du reste relativement peu visitée) en ayant atteintun record annuel de 9,9 millions de touristes en 2009, se plaçant ainsi au rang deseconde destination du continent africain (après l'Egypte) et de 34ème destination mondiale.L'Afrique du Sud constituait donc un contexte privilégié pour une étude des représentationsà l'oeuvre dans les pratiques touristiques en Afrique.

Par ailleurs, la position de l'Afrique du Sud en tant que ''fer de lance'' du développementsocial, économique et politique de l'Afrique Noire, selon la rhétorique de la « RenaissanceAfricaine » popularisée par l'ancien président sud-africain Thabo Mbeki, constituait unfacteur supplémentaire dans le choix de placer notre étude dans le contexte sud-africain.Ainsi l'Afrique du Sud par son rôle auto-proclamé de vitrine extérieure, et de leaderpolitique et économique de l'Afrique Noire, aurait potentiellement les moyens de transformerles perceptions à l'égard du continent, notamment par l'intermédiaire de son industrietouristique. Nous tenterons d'évaluer dans quelles mesures et quelles limites ce constatpeut-il effectivement être fait dans le cas sud-africain.

La longue histoire de ségrégation raciale faisait finalement de l'Afrique du Sudun contexte particulièrement intéressant pour étudier la dynamique des représentationsliées à l'Afrique véhiculées à travers certaines activités touristiques. Il faudra donc tenircompte dans notre analyse de cette histoire particulière, dans la mesure où certainesperceptions associées à telle ou telle activité ne relèveront pas seulement d'une projection

3 « Tourism is not merely an economic and commercial activity, but one of the world’s principal instruments for human

interaction. […] According to the United Nations Declaration on a Culture of Peace, the development of a culture of

peace is integrally linked to “advancing understanding, tolerance and solidarity among all civilizations, peoples and

cultures”. Surely tourism, an activity with intercultural dialogue and exchange at its very core, should be highlighted in

this regard. Tourism is based on interaction, interaction prompts dialogue and dialogue builds mutual understanding and

peace.» (UNWTO)

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de l'imaginaire des touristes mais de la persistance de certains stéréotypes raciaux héritésde l'Apartheid.

D'autre part, le choix de prendre l'artisanat comme support pour observer l'imaginaireassocié aux cultures africaines dans l'industrie touristique, est dû à son lien évident avec lanotion de culture, tel que le souligne la définition qu'en donne l'UNESCO :

« On entend par produits artisanaux les produits fabriqués par des artisans,soit entièrement à la main, soit à l’aide d’outils à main ou même de moyensmécaniques, pourvu que la contribution manuelle directe de l’artisan demeure lacomposante la plus importante du produit fini. Ces produits sont fabriqués sansrestriction en termes de quantité et en utilisant des matières premières prélevéessur des ressources durables. La nature spéciale des produits artisanaux se fondesur leurs caractères distinctifs, lesquels peuvent être utilitaires, esthétiques,artistiques, créatifs, culturels, décoratifs, fonctionnels, traditionnels, symboliqueset importants d’un point de vue religieux ou social. »4[l'emphase a été rajoutée]

Diversifiée, l'activité artisanale se trouve à l'intersection de domaines aussi variés que l'art,la culture, le commerce et l'entreprenariat.

« Il [ l'artisanat ] entretient des relations avec un large éventail de secteurset d'activités économiques et culturelles – le tourisme, la décoration et lemobilier, la vente au détail, le commerce de gros, l'import-export, les beaux arts,l'extraction des matières premières, les festivals, les expositions, les conférences[ … ] l'histoire, les traditions – et la liste se poursuit. » (Hay, 2008, p.1) 5

Du fait de leurs liens avec la culture locale d'un pays, les objets d'artisanat vont constituerdes objets privilégiés par les touristes cherchant à emporter chez eux un souvenir matérielde leur séjour. Ainsi l'artisanat de souvenir est un bon exemple de la transformationd'éléments culturels en produits commerciaux. Comme dans n'importe quel acte d'achat,les consommateurs d'artisanat de souvenirs (ici les touristes) projetteront donc un certainnombre de leurs perceptions, de leurs désirs, de leurs fantasmes et de leurs attentesvis à vis du pays visité sur les objets qu'ils souhaitent acheter. En achetant des produitsd'artisanat local les touristes désireront acquérir les objets qui symboliseront le mieux, àleurs yeux, leur expérience de voyageurs. Prendre l'artisanat pour objet d'étude, analyserles transformations que subissent les produits artisanaux au fur et à mesure de l'évolutiondu tourisme et analyser la manière dont ceux-ci sont mis en commerce, permettra donc demettre à jour cet imaginaire touristique qui leur est attaché.

En partant du postulat, admis par certaines organisations internationales (commel'Organisation Mondiale du Tourisme) que l'activité touristique permet une revalorisationdes cultures et une meilleure compréhension mutuelle entre les hommes et les sociétéspar l'échange interculturel, et en étudiant le cas de l'activité artisanale en tant qu'objetet pratique de tourisme dans le contexte sud-africain, nous essayerons de déterminer

4 Définition adoptée par le Symposium UNESCO/CCI « L'artisanat et le marché mondial : commerce et codification

douanière », ayant eut lieu à Manille du 6 au 8 octobre 1997.5 « It extend its linkages accross a broad range of economic aand cultural activities and sectors – tourism, décor and

utility-ware, retail, wholesale, export, import, fine arts, raw material harvesting, festivals, exhibitions, conferences […]

history, tradition – the list goes on and on » Précisons ici que, de nombreuses sources étant en langue anglaise, nous

avons tenté d'en traduire les citations le plus fidèlement possible (la traduction de la plupart des citations en langue

anglaise est donc la notre).

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quels types d'échanges entre les cultures permet effectivement le tourisme, en répondantà un certain nombre d'interrogations. En quoi l'activité touristique constitue-t-elle unvecteur de transformation des cultures plutôt que de leur préservation ? Le tourismepermet-il effectivement un meilleur dialogue entre les hommes à travers leurs rencontresauthentiques, ou ne permet-il que la reproduction des stéréotypes socio-culturels à l'originede l'incompréhension mutuelle entre les sociétés.

Nous commencerons par définir et évaluer l'ampleur du secteur artisanal en Afriquedu Sud pour mieux en mesurer les implications économiques mais aussi sociaux pourles populations locales, et comprendre les enjeux de son exploitation touristique. Nousnous concentrerons ensuite davantage sur les aspects touristiques de l'activité pour nousintéresser au type de public visé par les produits artisanaux et les représentations socialesliées aux différentes pratiques de consommation au sein de la société sud-africaine.Nous tacherons de décrypter également l'imaginaire occidental associé au continentafricain, à ses habitants et à leurs cultures, en effectuant un état des lieux de l'ensembledes représentations stéréotypées que les touristes seront susceptibles de projeter surles objets d'artisanat (ici vus en tant qu'objets culturels ''typiques''). Nous étudieronsfinalement la manière dont ces représentations feront l'objet d'une réappropriation de lapart des populations locales et seront réutiliser par ces dernières à des fins commerciales,transformant ainsi les pratiques mais aussi l' ''authenticité'' des rencontres.

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I. L'artisanat en Afrique du Sud : unapercu

Il convient, et ce avant de s'aventurer plus loin dans notre sujet, de procéder à untravail de définition, nécessaire pour mieux appréhender et saisir les enjeux que comportel'artisanat en Afrique du Sud. Nous allons donc, à ce titre, tenter ici de proposer une définitionde ce qu'est l'artisanat et de replacer cette activité dans le contexte socio-économiqueparticulier que nous avons choisi pour notre étude.

1. L'artisanat : une tentative de definitionAu vue du nombre de ''caractères distinctifs'' de l'artisanat il semblerait que définirprécisément cette notion (désignée sous le terme de « craft » en anglais) ne soit pas chosefacile, comme s'accordent à dire de nombreuses sources. Ainsi, « il est incroyablementdifficile de donner une définition satisfaisante des matériaux utilisés, des techniques deproduction et/ou des usages fonctionnels des objets artisanaux »6 (p. 35), comme le faitremarquer le rapport sur les Industries Créatives en Afrique du Sud, publié le 15 décembre2007.

Les produits issus de l'activité artisanale ne se limitent donc pas, nous l'avons vu dansla définition donnée par l'UNESCO, à un seul usage de type fonctionnel et utilitaire maispeuvent être (ce qui n'est en aucun cas antithétique) purement esthétiques et décoratifs.Le rapport sur les Industries Créatives en Afrique du Sud (mentionné précédemment)rappelle le flou existant entre le travail des artisans, relevant selon certains des « artsutiles » (« useful arts ») produisant des objets destinés à un usage quotidien, et celui des« artistes visuels » (« visual artists »), dont les créations n'ayant de raison d'être que lacréation même (on parle alors d'« arts décoratifs »).Le rapport note finalement qu'il n'existeen aucun cas de nette différence entre les diverses formes d'artisanat et les arts visuels,dans la mesure où « ils produisent tous les deux des objets fabriqués essentiellement àla main, ayant souvent des racines culturelles, dont la qualité distinctive ou le caractèreinhérent est d'avoir, en premier lieu, un intérêt esthétique » 7 (Ibid, p. 35).

Il ressort donc de l'ensemble des définitions que nous avons pu trouver, que les objetsartisanaux se caractérisent principalement par le processus de fabrication manuelle duquelils sont issus, ce qui implique inévitablement des quantités produites moins importantesqu'en la présence d'une production industrielle et mécanisée. En effet, même s'il n'existethéoriquement aucune restriction en termes de quantité dans la production de produitsartisanaux (comme spécifié dans la définition donnée par l'UNESCO), « les économies

6 « This diversity makes it incredibly difficult to give a satisfactory definition of the material content, technique of production and/orfunctional use of craft products »

7 « they both produce essentially hand-made products, often culturally rooted, whose distinctive quality or inherent caracterhas primarily anaesthetic appeal »

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d'échelle, moteurs de la concurrence internationale sur de nombreux marchés de biens,sont rarement un facteur déterminant dans le secteur des produits artisanaux » (Ibid, p.35).

De ce fait, l'activité artisanale s'organise principalement sous la forme de petiteset moyennes structures de formes diverses et rassemble une pluralité d'acteurs, auxmotivations et objectifs très différents. « Certaines personnes s'engagent dans l'artisanatcar ce sont des artistes; d'autres sont moins douées mais y trouvent simplement un moyende remplir leur assiette » 8. (Hay, 2008, p. 2) Les acteurs évoluant dans le secteur artisanalvont du simple vendeur de rue (« survivalist street trader ») à l'artiste reconnu (« high valueartist »), des artisans traditionnels aux ateliers et manufactures produisant en quantitésmassifiées des objets d'artisanat en passant par les coopératives d'artisans, du commerçantinformel à la structure productive formellement établie. Ainsi le secteur de l'artisanat enAfrique du Sud ne regroupe pas que des artisans à proprement dit mais compte un certainnombre de personnes qui, si elles ne sont pas directement impliquées dans la productionmanuelle d'objets artisanaux, se spécialisent dans la recherche, le marketing, la négociationcommerciale et le design des produits d'artisanat. (CAJ, 2008)

Pour autant, chacun de ces acteurs participent à sa manière au maintien et audéveloppement du secteur artisanal, les artisans traditionnels et les artistes reconnus étantbien souvent à la pointe de la recherche et de l'innovation (en terme de formes, de matièreset de techniques nouvelles par exemple), les manufactures fournissant une majeure partiede l'emploi au sein du secteur ainsi qu'un volume de production important (certainesactivités touristiques peuvent nécessiter une production d'objets artisanaux en plus grandesquantités à des fins commerciales), et les « survivalists » pouvant constituer des sourcesde croissance potentielle. (Ibid)

Dans son petit livret sur l'artisanat rural en Afrique du Sud, Duncan Hay, fait état dequatre modèles d'organisation au sein du secteur artisanal sud-africain. Un premier exempleest celui de l'artisan traditionnel produisant et/ou commercialisant de manière individuelledes objets à caractère traditionnel. Il peut également se regrouper avec d'autres artisanset mettre ainsi en commun son savoir et ses connaissances techniques, accroitre sespossibilités de commercialiser ses produits et bénéficier d'un accès facilité aux matériauxnécessaires à sa production. De telles initiatives peuvent faire l'objet de soutien et definancements (d'origine public ou privé) dans le cadre de projets de développement locaux(ce qui est un autre exemple d'organisation que relève Duncan Hay). La production desartisans ou groupes d'artisans peut également être subordonnée à des commandes de lapart d'acheteurs privés ou designers, mode d'organisation vers lequel devrait tendre lesdeux précédemment mentionnés, selon l'analyse qu'en donne Erica Elk (la directrice duCape Craft Design Institute, évoquée ici par Duncan Hay). Les ateliers et manufactures, dontnous avons déjà rapidement parlé, constituent finalement un dernier exemple d'organisationparmi ceux énumérés par Duncan Hay.

Il est également possible de diviser l'activité artisanale en fonction de la nature desobjets produits. Le CIGS (Craft Industries Growth Strategy) distingue en effet dans sonrapport de 1998 sur le secteur artisanal en Afrique du Sud, cinq grandes catégories d'objetsissus de l'activité artisanale.

Les produits artisanaux traditionnels (« traditional art ») constituent ainsi des objetstrès spécifiques, fortement liés à une culture particulière, et dont le sens et la significationsont générés et partagés par les membres d'une même communauté culturelle. Ils sont

8 « Some people engage in craft because they are crafters ans artists ; other have limited aptitude but engage simply as amean of putting food on the table »

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bien souvent destinés à un marché spécifiquement local et peuvent être aussi biencommercialisés qu'utilisés directement par leur créateur pour un usage domestique, spirituelou religieux. Un exemple typique d'artisanat traditionnel est celui des pots en terre cuitedestinés à la conservation de la bière et fabriqués traditionnellement dans la provincedu KwaZulu Natal, à L'Est du pays (bien que ceux-ci soient de plus en plus fabriqués àdestination d'une clientèle touristique).

Un second type d'artisanat, l'artisanat d'art (« craftart »), présente certaines similaritésavec l'artisanat traditionnel et se caractérise par des objets, principalement décoratifs, àl'esthétique et au design recherchés, intégralement fabriqués à la main et requérant pourleur fabrication un niveau de compétence technique relativement élevé. De tels objets sontle plus souvent des pièces uniques ou fabriquées en très petites quantités, par exempledans le cadre de studios, d'ateliers collectifs. L'artisanat d'art n'est néanmoins pas considérécomme faisant partie des « beaux arts ».

Les « designer goods »9 procèdent eux d'une adaptation délibérée de formes et motifsde l'artisanat d'art aux attentes du marché international, en vue de produire des objets,décoratifs ou autres, commercialement plus viables. A titre d'exemples, il est ainsi fréquentde trouver sur les marchés ou sur des sites de vente par correspondance, des décorationsde Noël, des abat-jours, des étuis de téléphone mobile, des ceintures ou encore des serre-têtes aux couleurs vives et motifs géométriques de l'ethnie Ndebele, originaires du Nord-Est de l'Afrique du Sud (provinces actuelles du Limpopo, du Mpumalanga, du Gauteng etdu Nord Ouest).

Les « functional wares » (objets à caractère fonctionnel) constituent des objets dequalité supérieure, fabriqués à la main mais en plus grandes quantités, dans le cadre destructures plus larges (ateliers ou manufactures). Ils se retrouvent beaucoup dans le secteurde l'ameublement et de la décoration, et sont parfois commercialisés dans les boutiquesde grandes chaines sud-africaines telles que @Home ou Woolworth Home. Les souvenirs,bibelots bon marché au design simplifié en lien avec un lieu ou une expérience touristiquespécifique, constituent pour finir, une catégorie d'artisanat à part entière.10

Bien que cette classification nous apparaisse comme étant la plus satisfaisante carposant la question du niveau de qualité, des volumes produits, du type d'usages desproduits finis, et donc, immanquablement, celle du public ciblé lors de leur fabrication, ilest néanmoins nécessaire de signaler que d'autres classifications, utilisant des critèresdifférents, sont utilisées dans le cadre de recherches ou autres initiatives commerciales. Ilest en effet possible de classer les produits artisanaux en fonction du type de matériauxutilisés pour leur fabrication (métal, fil de fer, fibre végétale, perles, terre cuite ou céramique,matériaux textiles, bois, matériaux recyclés...) ou d'adopter une approche davantagecommerciale et marketing en les classant selon le type de marchandises produites et dusecteur commercial que vont viser les différents produits (mobilier et décoration intérieure,jardin et plein air, bijoux et accessoires de mode, souvenirs...). (Hay, 2008)

9 A défaut d'avoir pu trouver une traduction adéquate nous utiliserons l'expression dans sa langue originale.10 Notons que le CIGS distinguait, dans son rapport de 1998, une sixième catégorie d'artisanat correspondant exclusivement

aux instruments de musique, mais qui nous semblait assez peu pertinente dans le cadre de cette classification, et que nous avonsdonc choisi de ne pas développer ici.

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Quoi qu'il en soit, quel que soit le type de classification adopté, il est possible,de manière quelque peu schématique, de distinguer deux larges aspects de l'activitéartisanale, deux grandes phases dans la « vie » d'un objet, à savoir sa production et sacommercialisation. Les niveaux de production et de vente vont ainsi varier d'une régionà l'autre, en fonction d'un certain nombre de critères, tels que l'existence préalable depratiques artisanales traditionnelles, l'accès à des moyens de formation et d'apprentissagetechnique, l'accès aux matières premières et matériaux de fabrication, l'accès aux différentsmarchés, le niveau d'infrastructures ou encore l'importance des liens avec les industriestouristiques nationales et locales. (WESGRO Report, 2000).

De cette manière la production artisanale est très présente dans les zones ruralesdans lesquelles l'artisanat est encore intrinsèquement lié au mode de vie traditionneldes communautés, comme c'est le cas dans les provinces du KwaZulu Natal à l'Est, duMpumalanga au Nord-Est, du Limpopo au Nord et dans l'Eastern Cape au Sud-Est dupays. Ici, les méthodes et modes de fabrication, ainsi que le design des produits (forme,motifs, matériaux) sont de nature traditionnelle, et les objets et outils fabriqués sont leplus souvent utilisés à des fins domestiques ou rituelles (selon la définition que nous

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avions donné précédemment de l'artisanat traditionnel). Bien que très présente dans leszones rurales, la production d'objets d'artisanat se retrouve également de manière trèsimportante dans les zones à fort taux d'urbanisation comme dans les provinces du Gautenget du Western Cape où se trouve respectivement les deux principales métropoles sud-africaines, Johannesburg et Cape Town. Néanmoins ici, du fait de l'urbanisation croissanteet de la convergence d'influences culturelles diverses, les produits artisanaux se sontprogressivement éloignés du style traditionnel pour correspondre davantage à ce que nousavons désigné précédemment par « designer goods » et « functionnal wares », en vue desatisfaire des objectifs plus commerciaux. Cette tendance n'a pas épargné non plus lesmétropoles de Durban (province du KwaZulu Natal) et Port Elizabeth (province de l'EasternCape), pourtant situées dans des zones où l'activité artisanale est fortement liée, nousl'avons vu, aux pratiques culturelles et traditionnelles locales. (WESGRO Report, 2000)

Par ailleurs, la commercialisation et la « consommation » d'artisanat se concentrentprincipalement dans les zones urbaines et autour des lieux clés de l'industrie touristique sud-africaine (lieux historiques, attractions culturelles, réserves naturelles et parcs animaliers).On retrouve donc ici les métropoles de Cape Town, de Durban ainsi que la provincedu Gauteng dans son ensemble (sa situation de première zone métropolitaine et coeuréconomique du pays en faisant un marché privilégié), mais aussi des endroits reconnuspour leur affluence touristique tels que le Kruger Park au Nord-Est du pays, la GardenRoute (le long de la côte Sud entre Cape Town et Port Elizabeth). (WESGRO Report, 2000)A l'intérieur même des zones urbaines, bien qu'il existe un certain nombre de lieux devente formalisés11, l'artisanat fait l'objet d'un important commerce informel dont témoignele foisonnement des vendeurs ambulants et autres échoppes de fortune dans les rues desgrandes métropoles sud-africaines

Il semble encore plus difficile, au vu des informations que nous avons pu récolter aucours de nos recherches, d'évaluer précisément le poids économique et l'ampleur réelle dusecteur artisanal en Afrique du Sud que de définir l'artisanat. Les quelques sources quenous avons pu obtenir divergent en effet de manière assez flagrante sur les questions duniveau de richesse générée au niveau national par l'activité artisanale, et du nombre depersonnes employées dans le secteur.

Ainsi, alors que le recensement national de 1997 indiquait que le secteur artisanalgénérait à l'époque 3,5 milliards de rands et 1,2 million d'emplois12, le rapport du CraftCustomised Sector Program pour le Department of Trade and Industry de 2005 affirmait qu'àcette date, le secteur ne contribuait au Produit National Brut plus qu'à hauteur de 2 milliardsde rands (soit à peine 0,14%), générant ainsi quelques 38 062 emplois.13La perte de vitessedu secteur artisanal entre ces deux dates est ici flagrante, mais semble être contredite parl'augmentation de 40% du nombre d'entreprises productrices d'artisanat constatée depuisla fin des années 1990, comme conséquence de l'accroissement (de 82% de 1994 à 2005)du nombre de touristes et de l'augmentation significative de l'intervention publique et privéedans le secteur.14Il semble donc falloir chercher ailleurs l'explication de ces variations dedonnées concernant l'activité artisanale en Afrique du Sud. A ce titre, Le CIGS revenait déjàsur les difficultés d'obtenir des données quantitatives fiables concernant l'activité artisanale

11 Tels que, pour la ville de Johannesburg, l'African Craft Market et le Rooftop Market du Rosebank Mall, le Bruma Lake FleaMarket, le Market Theatre Flea Market dans le quartier de New Town ou encore le Crafters Market du Clearwater Mall.

12 Chiffres cités par le WESGRO Report puis par Duncan Hay13 Chiffres cités par le rapport de 2008 du CAJ sur les Industries Créatives Sud-Africaines14 Toujours selon le rapport du CAJ

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en Afrique du Sud et les raisons de ce manque crucial de ressources statistiques pour lesecteur.

« Dans un premier temps, le secteur [artisanal] ne possède pas d'identité en tantqu' ''industrie'', les artisans n'appartiennent à aucun syndicat et les entreprisesà aucune association. Par conséquent, il n'existe que peu de source de donnéesconcernant les indicateurs qui sont employés habituellement pour rendrecompte d'une industrie [contribution du secteur au Produit National Brut, nombred'emplois générés, nombre d'entreprises crées...] Dans un second temps,l'artisanat est une industrie très flexible. Le nombre de personnes participant ausecteur peut s'accroitre ou se réduire en fonction des conditions commercialessaisonnières et du tourisme. Les commerçants n'ont de cesse d'aller d'un endroità un autre pour vendre leurs marchandises.[…] Beaucoup d'artisans et d'artistesne payent pas d'impôts […] et parce que beaucoup de commerces ne sont pasdéclarés, les registres ne sont pas tenus à jour et ces entrepreneurs ont tendanceà faire profil bas afin de minimiser les risques de se faire poursuivre pour évasionfiscale. Cela rend donc très difficile la constitution de données significatives surle secteur dans son ensemble. » (CIGS, The South African Craft Industry Report,1998, p. 22) 15

Ainsi, une grande part de la production et de la vente d'artisanat s'effectuant dans un cadreinformel, il apparaît très difficile de rendre compte de manière exacte de l'ampleur actuelledu secteur, du nombre de personnes impliquées dans l'activité, des revenus générés parcelle-ci ainsi que de son réel potentiel économique au niveau local et national.

Néanmoins le rapport du CIGS de 1998 permettait d'en donner un aperçu général.Il faisait état à cet date, sur l'ensemble du territoire sud-africain (et ce toujours dans lalimite des données disponibles) de quelques 705 points de vente (magasins ou boutiques)identifiés formellement comme commercialisant des produits issus de l'artisanat16 et deprès de 90 marchés officiellement établis dont la majorité étaient concentrés dans lesprovinces du Western Cape (303 points de vente et 33 marchés), du KwaZulu Natal (120points de vente et 34 marchés) et du Gauteng (70 points de vente et 9 marchés). Il étaitcependant bien spécifier dans ce même rapport que les chiffres indiqués ne pouvaientrendre compte de la situation que de façon partielle puisqu'il n'incluaient pas, à titred'exemples, l'ensemble des commerces dont l'activité principale n'avait que peu de chosesà voir avec l'artisanat (pharmacies, cafés, etc.) mais qui pouvaient occasionnellement encommercialiser. Il est également important de souligner que ces chiffres n'incluaient pas nonplus les innombrables échoppes et stands bordant les routes, les carrefours et les trottoirsdes zones urbaines et rurales sud-africaines, dont le nombre est véritablement impossibleà établir.

15 « Firstly the sector does not have an ''industry'' identity, crafters do not belong to unions, nor businesses to

associations. As a result, there are few existing sources of data concerning the key indicators usually employed in the

descroiption of an industry […] Secondly, craft is a very fluid industry. The number of craft sector participantsexpand

and shrink in response to seasonal trade conditions and in relation to tourism. Traders constantly move from one place

to another to sell their wares. […] Many crafters and artist do not pay income tax […] and because businesses are not

registered, records are not kept and these entrepreneurs tend to keep a low profile in order to minimize the risk of being

investigated for tax evasion, this makes it very difficult to compile meaningful statisticsfor the industry as a whole »16 Ces chiffres ne sont évidemment pas de la plus récente actualité et ont été sujet à des évolutions. Le CAJ, dans son rapport

de 2005 estimait à ce titre le nombre de points de vente d'artisanat à plus de 750.

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2. Un role social : l'artisanat, vecteur dedeveloppement humain et d'insertion sociale

S'il est assez difficile de rendre compte avec précision de l'ampleur actuelle du secteurartisanal, il est toutefois possible de juger de son évolution depuis le milieu des années 1990.

Depuis l'avènement du régime démocratique en avril 1994 (date à laquelle eurentlieu les premières élections libres et multi-raciales), le secteur de l'artisanat en Afrique duSud a en effet connu de profonds changements et significativement évolué jusqu'à deveniraujourd'hui l'une des quatre industries culturelles sélectionnées par le Department of Arts,Culture, Science and Technology pour bénéficier prioritairement d'un soutien en matière dedéveloppement et de croissance. C'est avec la reconnaissance du réel potentiel de l'activitéartisanale en terme de création d'emplois et de richesses, qu'ont progressivement émergédifférentes initiatives publiques et privées (telles que la création en 2001 du Cape Craftand Design Institute) ayant pour objectif de promouvoir le développement et la croissancedu secteur artisanal, en facilitant les relations entre les différents acteurs du secteur et ensoutenant les petites et moyennes structures de production. Ainsi, comme l'exprime si bienle CAJ dans son rapport de 2005:

« L'importance du secteur artisanal sud-africain réside en son potentielà contribuer à la réalisation d'un certain nombre de priorités majeures dugouvernement – sa politique de « black economic empowerment »17, de « womenempowerment »18, le développement des zones rurales et urbaines, la promotiondes petits commerces et petites entreprises, la promotion des exportations, [...] lalutte contre la pauvreté » (CAJ, 2008, p. 40)19

En effet, dans un pays où presque la moitié de la population vit en dessous du seuilnational de pauvreté (bien que le nombre de personnes pauvres ait fortement diminuédepuis le milieu des années 1990) l'activité artisanale est envisagée comme un moyen,parmi d'autres, de lutter activement contre la pauvreté et l'exclusion sociale.

Selon les dernières estimations (basées sur les résultats du Income and Expenditureof Households Survey de 2005/2006 et du General Household Survey de 2006, réalisés parl'agence nationale statistique sud-africaine), la proportion de personnes vivant en dessousdu seuil national de pauvreté le plus bas20 (dont près de 60% d'entre elles (59,3%) résidaient

17 Ensemble de mesures politiques visant à travailler au rééquilibrage racial de l'économie du pays, en promouvant

notamment la nomination de sud-africains noirs à des postes de responsables et de cadres au sein des grandes

entreprises du secteur privé. (Encyclopédie Universalis)18 Ensemble d'actions et d'initiatives destinées à favoriser et à renforcer les capacités de décision et de participation des

femmes au sein de la vie socio-économique.19 « The value of the South African craft sectoris its potential to contributeto the followingkey government priorities […]

black economic empowerment, the empowerment of women, riral and urban development, small businesses development,

export promotion, […] poverty alleviation »20 Deux seuils de pauvreté ont en effet été définis en Afrique du Sud, le ''lower bound poverty line'' fixé à 322 rands par personne

et par mois (équivalant à un peu plus de 45 dollars US par personne et par mois, soit environ 1,5 dollar par personne et par jour), et

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en zones rurales) était de 47,1% de l'ensemble de la population sud-africaine (cf. graphique1). A cette date, les provinces majoritairement rurales du Limpopo, du KwaZulu Natal et del'Eastern Cape, comptabilisaient à elles seules, sur les neuf provinces sud-africaines, 60,1%de l'ensemble des individus les plus pauvres vivant en Afrique du Sud (cf. graphique 2). Lesniveaux de pauvreté variaient également selon des critères de genre et de groupe ethnique21

(cf. graphiques 3 et 4), 54,8% des noirs et 34,2% des ''coloured'' vivant en dessous duseuil de pauvreté le plus bas (contre 7,1% des indiens et 0,4% des blancs), et 53,1% desménages les plus pauvres étant dirigés par des femmes (les ménages dirigés par desfemmes ne représentant pourtant que 38,9% de l'ensemble des ménages sud-africains).(Armstrong, Lekezwa & Siebrits, 2008)22

C'est donc en gardant en tête de tels chiffres, résultant en grande partie de l'héritageségrégationniste du régime de l'Apartheid, que certains intérêts se sont concentrés surl'utilité sociale de l'artisanat et ses potentialités en terme de développement économiquepour les populations les plus défavorisées et marginalisées.23

le ''upper bond poverty line'' fixé à 593 rands par personne et par mois (soit environ 85 dollars par personne et par mois ou un peuplus de 2 dollars par personne et par jour). Les estimations concernant le nombre d'individu vivant en dessous du seuil de pauvretéle plus haut s'élevaient, la même année, à 67,6% de la population.

21 Il faut noter ici que les catégories raciales définies arbitrairement sous l'Apartheid pour servir les objectifs ségrégationistesdu régime, sont actuellement toujours utilisées dans le cadre d'études statistiques nationales.

22 Voir les graphiques et tableaux en page suivante (tous tirés du ''working paper'' Poverty in South Africa. A profile based onrecent household surveys, rédigé par Paula Armstrong, Bongisa Lekezwa et Krige Siebrits.

23 Pour un aperçu plus détaillé des questions de pauvreté et d'inégalité en Afrique du Sud, voir l'essai que nous avons eul'occasion de rédiger à ce sujet (Annexe 2)

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Dans son petit livret sur l'artisanat dans les zones rurales d'Afrique du Sud, DuncanHay parle de l'activité artisanale comme pouvant constituer ''un point d'entrée'' (Hay, 2008,p.6) dans l'économie pour de nombreuses personnes pauvres, en leur permettant degénérer des revenus (qui viendront bien souvent compléter d'autres revenus provenantde sources différentes) sans pour autant prendre des risques trop importants en termed'investissements de départ. Cette quasi-absence de ''barrières à l'entrée'' est ainsi l'unedes raisons pour lesquelles il est si difficile d'estimer précisément le nombre de personnesproduisant de l'artisanat en Afrique du Sud, nombre pouvant varier de manière importantesur de courtes périodes, en fonction de la conjoncture économique, de la demande dumarché, des modes et des tendances. L'un des facteurs de la relative accessibilité del'activité artisanale réside en son fort ancrage culturel et traditionnel. Celle-ci repose en effetsur une culture ancienne de fabrication d'objets artisanaux, à l'origine à des fins purementdomestiques ou spirituelles, mais qui peut être exploitée afin de générer des revenus etpermettre aux populations d'être auto-suffisantes économiquement. (Hay, 2008) Cela nesignifie par pour autant que des investissements en matière de formation aux différentestechniques de création (ainsi qu'aux méthodes de vente et de gestion administrative) ne

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seront pas nécessaires au développement de l'activité, mais cet apprentissage pourra sefaire sur la base d'un certain nombre de compétences techniques préexistantes.

En termes d'infrastructures cette fois, produire de l'artisanat constitue une activitérelativement flexible puisqu'elle peut facilement s'effectuer dans le cadre informel del'espace public (en bordure de route, dans un parc...) ou celui du foyer. Cela la rendainsi d'autant plus accessible aux femmes, particulièrement touchées par la pauvreté,dans la mesure où elles peuvent aisément la combiner avec d'autres formes de travauxdomestiques (soin des enfants, préparation des repas...) ou agricoles. C'est la raisonpour laquelle l'artisanat constitue un support privilégié par de nombreux projets dedéveloppement local des populations des zones rurales (composées, en majorité, defemmes, d'enfants et de personnes âgées, les hommes ayant bien souvent émigré vers leszones urbaines à la recherche d'un emploi).

La Mogalakwena Craft Art Development Foundation créée en 1994 par IsabellaCoetsee (plus connue sous le nom d'Elbe Coetsee) est un bon exemple d'initiative en lamatière. Implantée dans la partie Nord de la province du Limpopo (près des frontièreszimbabwéenne et mozambicaine), terre du peuple Pedi, la MCADF n'a eu de cessed'encourager par son action la restauration et la promotion des techniques traditionnelleslocales de production artisanale, biensouvent sous-exploitées du fait du manque definancement, d'infrastructures et d'opportunités commerciales (en conséquence notammentdes politiques d'Apartheid).

Ainsi, par le biais de la création d'un ''Craft Village'', centre de formation et atelierde production construit au sein d'une zone d'habitation rurale, à proximité de plusieursvillages, la fondation a permit à certains membres de la communauté locale de se formerà différentes techniques de création artisanale (telles que la broderie, le travail des perles,la fabrication de bougies en cire, la couture, la confection de paniers en fibre végétale, lapoterie...) et de recevoir un apprentissage de base en lecture, en calcul et en informatique.La formation proposée dans le cadre du centre comportait également un volet socio-médical puisque des ateliers de récréation et d'éveil artistique (spécifiquement destinés auxenfants), d'éducation aux premiers soins et de prévention contre l'épidémie du SIDA étaientégalement accessibles aux populations.

En parallèle de son programme de formation, la MCADF a également travaillé à fourniraux membres de la communauté locale (composée principalement de femmes, d'enfantset de personnes âgées n'ayant bien souvent aucune autre source de revenu que les trèsfaibles pensions versées par le gouvernement et les pères de famille partis travaillé en ville),des possibilités d'emploi dans l'artisanat et la construction, et de se donner par là les moyensde générer leur propres revenus et faire un pas vers l'auto-suffisance économique. Ainsil'ensemble des travaux d'agrandissement et de rénovation des infrastructures du centre ontété réalisés en utilisant une main d'oeuvre locale, ayant souvent elle-même été formée dansle cadre de la fondation.

Par ailleurs, outre des opportunités d'emploi et de formation, la fondation a égalementtravaillé à offrir des possibilités de débouchés commerciaux aux artisans de la communauté,en augmentant notamment la visibilité de leur travail sur le marché local et international. Ace titre, la parution en 2003 de l'ouvrage Craft Art in South Africa, réalisé par la directrice dela MCADF, Elbe Coetsee, a permit à la fondation d'augmenter considérablement sa visibilitéet le nombre de ses commandes et de générer davantage d'emplois pour les populationslocales. Depuis sa création, la fondation a ainsi participé à un grand nombre d'expositionset d'évènements artistiques et culturels nationaux, tels que la South African Fashion Weekd'août2005 pour laquelle un groupe d'artisans locaux a pu travailler en partenariat avec des

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designers sud-africains à la réalisation de plusieurs ouvrages présentés à Cape Town àl'occasion de l'évènement.24

3. Des enjeux economiques importants : l'artisanat aucoeur de l'industrie touristique

Pourtant, au vu des différents rapports parus sur le secteur artisanal et les industriescréatives en Afrique du Sud, il semblerait que la priorité ne soit plus aux initiatives« philanthropiques » (CAJ, 2008, p.39) et au financement de projets de développementpar la promotion de l'artisanat local, mais à la reconnaissance du potentiel économique del'artisanat en tant qu'industrie créative, génératrice de richesses et facteur de croissance etd'innovation pour l'économie nationale.

« Le secteur de l'artisanat en Afrique du Sud a été caractérisé par deux périodesde développement distinctes. Avant la rédaction du rapport CIGS en 1998 etdu Craft CSP en 2005, le secteur était mû par l'investissement philanthropique.Le rapport du CIGS et d'autres initiatives ultérieures ont reconnues le potentieléconomique du secteur. Cela ne veut pas dire que les intérêts du secteur enmatière de développement local sont ignorés, mais plutôt que son potentieléconomique est reconnu. Le rapport du Craft CSP a fournit une stratégieindustrielle, alignée pour la première fois sur la politique sud-africaine en matièrede commerce et d'industrie. Cette intervention encouragera le gouvernement et lesecteur privé à investir dans l'artisanat dans une perspective de développementéconomique plutôt que social, et se faisant, de permettre au secteur d'évoluerd'une situation de dépendance vis-à-vis d'interventions subventionnées, à celled'une innovation déterminée par le marché. » (CAJ, 2008, p.39-40)25

Depuis la fin des années 1990, un important travail de recherche et de promotion a ainsiété effectué, afin de faire valoir auprès du grand public mais plus spécifiquement auprèsdes acteurs gouvernementaux, le réel potentiel économique et innovateur des industriescréatives sud-africaines (dans lesquelles s'insère le secteur artisanal). Des initiatives, tellesque « Creative South Africa » lancée en 1998 par le Cultural Strategy Group, ont en effet étépionnières en matière de reconnaissance du rôle économique joué par les secteurs créatifsdans la croissance de la richesse et de l'industrie nationale, et de prise de conscience surla nécessité d'établir des relations solides entre ces industries créatives et certains autressecteurs clés de l'industrie sud-africaine.

24 Source : http://www.openafrica.org/participant/Mogalakwena-Craft-Art-Development-Foundation25 « The craft sector in South Africa has been characterised by two developmental periods. Prior to the drafting of

the CIGS report in 1998 and the craft CSP in 2005, the sector was driven by philantropic investments. The CIGS report

and subsequent efforts have recognised the economic potential of the sector. This is not to say that the community

development aspects of the sector are ignored, but rather the economic potentials is recognised. The Craft CSP has

provided an industrial strategy, aligned to South African trade and industry policy for the first time. This intervention will

encourage government and the private sector to to engage with craft from the perspective of economic rather than social

development, and in so doing, enable the sector to move from a dependency on grant-funded interventions to market-led

innovation. »

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Bien que jusqu'ici la majorité des initiatives politiques en matière de soutien auxindustries créatives ait été prise au niveau local et provincial, un certain nombre d'objectifsde croissance pour le secteur ont néanmoins été définis au niveau national. Ainsi, aunombre des priorités fixées lors de la mise au point de la stratégie du Department of Tradeand Industry en matière de croissance économique nationale pour la période de 2004à 2014 (initiative intitulée Accelerated and Shared Growth – South Africa ou ASGISA),figurait l'intensification et la consolidation des liens entre le secteur artisanal et l'industriedu tourisme, reconnue comme l'un des secteurs les plus florissants et prometteurs del'économie nationale. (Rogerson, 2006)

En effet depuis le démantèlement du régime de l'Apartheid au milieu des années 1990et la reconversion politique du pays, le secteur touristique en Afrique du Sud a connu uneprogression fulgurante, ayant bénéficié, durant les années suivant directement les électionsprésidentielles de 1994, des effets attractifs du « Mandela factor » (Rogerson & Visser,2006, p. 201) et de la pacifique transition vers des institutions démocratiques. Le nombreannuel de touristes internationaux a ainsi littéralement explosé sur la période de la fin desannées 1990 à celle des années 2000, passant de 50 000 au milieu des années 1980à plus de 9,9 millions en 2009 (les derniers résultats estiment à 8 073 552 le nombrede touristes internationaux pour l'année 201026), comptant, chaque année, environ entreun quart et un tiers de touristes en provenance d'autres continents que l'Afrique27. En seplaçant au rang de 34ème destination touristique au niveau mondial et seconde destinationdu continent africain (après l'Egypte), l'Afrique du Sud fait ici figure d'exception en AfriqueSubsaharienne, se présentant comme la seule industrie de la zone capable de fournir lesinfrastructures nécessaires à l'accueil de touristes internationaux.

Graphique 5 : Nombre d'arrivées de touristes en Afrique du Sud entre 1967 et 2009 Source: South Africa Tourism, Highlights of tourism's performance in 2009, 2010.28

26 Chiffres tirés du 2010 Annual Tourism Report paru en juin 2011.27 Aurelia Wa Kabwe-Segatti rappelle, à juste titre, que les personnes en provenance des pays d'Afrique Australe représentent

une importante proportion de l'ensemble des touristes étrangers en Afrique du Sud, et qu'il est intéressant de souligner que leursmotivations premières sont souvent loin d'être simplement touristiques.

28 Précisons que nous avons trouvé pour la première fois ce graphique dans le mémoire de Thomas Radovcic (p. 1) et qu'ilnous a semblé pertinent de l'inclure ici.

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Outre cette augmentation exponentielle du nombre de visiteurs internationaux,l'industrie touristique sud-africaine a fait l'objet depuis les années 1990, d'un réel processusde diversification visant à exploiter les différents champs du potentiel touristique national.(Wa Kabwe-Segatti, 2009) En parallèle des formes classiques comme le ''tourisme denature'', se sont ainsi développées progressivement, de nouvelles formes d'itinérairestouristiques davantage construits autour de l'héritage culturel et historique national (''culturaltourism'' and ''heritage tourism'') ou de la tenue d'évènements internationaux particuliers(tels que des compétitions sportives ou des sommets politiques mondiaux). Il était dès lorsrendu possible à tout visiteur étranger, outre d'admirer la diversité des paysages, de la floreet de la faune peuplant les innombrables parcs et réserves du pays, de se familiariser avecla culture traditionnelle Zulu et Ndebele, de découvrir les lieux de mémoire de la lutte contrel'Apartheid, de visiter la cellule de Nelson Mandela à Robben Island ou encore de parcouriraccompagné d'un guide, les rues du Township de Soweto.

De cette façon, le développement accéléré du tourisme en Afrique du Sud, et plusparticulièrement l'émergence de ces nouvelles formes de tourisme ''culturel'' ont constituéautant d'opportunités de développement et de promesses de nouveaux marchés potentielspour le secteur artisanal. Le multiculturalisme ayant été reconnu comme l'une des grandesforces de la ''Nation Arc-en-Ciel'', la promotion de l'héritage culturel de ses différents peupleset la valorisation de leurs connaissances et de leurs techniques traditionnelles (y comprisen matière d'artisanat) ne pouvait qu'être encouragées. Cette diversité ethnique et culturellequi avait été si longtemps considérée comme une menace pour l'unité de la nation sud-africaine, était en passe de devenir un argument de taille pour la promotion touristique dupays à l'international.

Durant les années d'Apartheid le commerce d'artisanat africain était relativementpeu répandu, principalement informel et faiblement concentré dans les zones rurales,aux alentours des sites de grande affluence touristique. (Wa Kabwe-Segatti, 2009) Eneffet, la richesse culturelle des ''natifs'' (comme il convenait à l'époque de désigner lespopulations noires sud-africaines) était loin de constituer l'argument de vente premier dansles campagnes de promotion de l'industrie du tourisme, les autorités touristiques préférantdavantage mettre l'accent sur la diversité naturelle du pays ainsi que sur sa renomméesportive, plutôt que sur sa dimension proprement ''africaine''. (Grundlingh, 2006) Une grandepart de l'artisanat proposé à la vente aux abords des lieux touristiques, provenait en réalitédes pays limitrophes (le Lesotho, le Swaziland, le Mozambique et le Zimbabwe) et lesproduits véritablement locaux se faisaient plutôt rares et très peu variés. Les possibilitésde création et de production artisanale des populations vivant dans les homelands29 étaientainsi fortement limitées par les politiques culturelles, d'éducation, et de ségrégation spatialeimposées par les gouvernements du régime de l'Apartheid. De même, dans les zonesurbaines, le commerce de rue, devenu à présent l'un des traits caractéristiques des grandesmétropoles sud-africaines, resta strictement régulé jusque dans les années 1980. (WaKabwe-Segatti, 2009)

29 Aussi appelés ''bantustans'', les homelands, mis en place par le Bantu Authorites Act de 1951 complété par les BantuSelf-Government Act de 1959 et Black Homelands Citizenship Act de 1970, étaient des territoires majoritairement ruraux, isolés dureste de l'Afrique du Sud qui avaient été créés dans l'objectif d'y rassembler les populations noires sud-africaines en fonction de leurssupposés ''groupes ethniques'', et de servir de base, à terme, pour la création d'Etats autonomes dont les résidents deviendraientnationaux, perdant ainsi leur nationalité sud-africaine. Les personnes vivant dans les homelands ne pouvaient en sortir que surdélivrance de laissez-passer par le gouvernement d'Apartheid et sur présentation de leur passeports. (Encyclopédie Universalis)

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C'est avec la réouverture progressive du pays aux flux migratoires externes, etl'abolition des lois de ségrégation résidentielle30 qui visaient à contrôler et restreindrela mobilité interne, qu'apparaissent de manière progressive, à l'intérieur et à proximitédes zones urbaines, de nouveaux types de marchés de bibelots et d'artisanat africain.Ceux-ci, investissent dans un premier temps les marchés déjà existants comme les ''fleamarkets'' (marchés aux puces) tels que le Bruma Lake Market à Johannesburg, pourprogressivement s'institutionnaliser dans le cadre de structures spécifiquement destinées àla vente d'artisanat, comme l'actuel African Craft Market situé dans le quartier de Rosebankà Johannesburg. Peu à peu d'autres marchés d'artisanat et de souvenirs apparaissentle long des routes de grande affluence (telles que celle menant au complexe de SunCity au Nord-Ouest de Johannesburg, la Garden Route et la Wine Route à l'Est duCap) et s'établissent à proximité des principaux lieux touristiques et parc nationaux. Portépar l'intérêt suscité par le développement récent de ces nouveaux types de marchés, lephénomène continue progressivement de prendre de l'ampleur pour finalement atteindreson niveau actuel de saturation autour des années 1998 et 1999. (Wa Kabwe-Segatti, 2009)

Assez ironiquement pourtant, c'est avec la formalisation de nombreux de ces marchés(devenant par là un véritable atout touristique et commercial pour les villes sud-africaines)que la question du commerce informel d'artisanat est revenue au centre de certainespréoccupations. Alors même que le démantèlement du régime de ségrégation spatiale avaitpermit aux vendeurs ambulants d'investir librement les zones urbaines, ces derniers (etleurs activités informelles) sont très vite associés aux notions péjoratives de ''désordre''et de ''saleté'' et considérés comme renvoyant une image dégradée et dégradante del'espace urbain. Encadrer ce type d'activité devient alors une priorité dans certains quartierscherchant à redorer leur image à l'heure de l'ouverture des métropoles sud-africaines auxflux touristiques internationaux. Dans un article intitulé « We offer the Whole of Africa Here! »African Curio Traders and the Marketing of a Global African Image in Post-ApartheidSouth African Cities,Aurelia Wa Kabwe-Segatti cite à ce titre l'architecte responsablede la construction en 2000 de l'African Craft Market à proximité du Rosebank Mall àJohannesburg, affirmant que celui-ci avait été « conçu pour accueillir les vendeurs de ruevus comme une menace à la sécurité des commerces alentours ».

« Dans ce contexte urbain post-apartheid […] les marchés de bibelots semblentavoir répondu à trois types d'attentes : celles des immigrants africains à larecherche d'une source de revenus ''respectable'' et de niches commerciales;celles des entrepreneurs sud-africains travaillant dans la gestion et l'organisationde marchés, cherchant à diversifier leur activité et conquérir de nouveauxmarchés; et celles des institutions locales/municipales sud-africaines à larecherche d'activités économiques formelles afin de palier aux problèmes de''détérioration de l'espace urbain''. » (Wa Kabwe-Segatti, 2009, p.289) [l'emphaseest ici la notre] 31

30 Consécration du système de « développement séparé » , le Group Areas Act mis en place en 1951 attribuait aux différentsgroupes ethniques des zones de résidence séparées. Ainsi la plupart des zones urbaines étaient à l'époque réservées aux personnesde ''race blanche''. Le Group Areas Act ne fut définitivement aboli qu'en 1991. (Encyclopédie Universalis)31 « In this urban post-apartheid context […]curio markets seem to have fulfilled thre types of expectations : those of

African migrants in search of ''respectable'' income generating activities and of market niches ; those of South Africa

market management business entrepreneurs seeking to diversify their activity and conquernew markets ; and those of

South African local/municipal institutions in search of formal economic activities to counter ''urban decay'' problems »

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Ce phénomène de méfiance voire de rejet s'est particulièrement accentué à l'approche dela Coupe du Monde de Football en 2010, durant laquelle le commerce informel (y comprisle commerce l'objets artisanaux) fut strictement exclu des zones à proximité des lieux del'évènement (stades, parcs à fans...), là même où la clientèle potentielle pour les vendeursambulants était susceptible d'être la plus importante. Ainsi « tout le monde ne serait pasautorisé à participer à ce que le Président Jacob Zuma désignait comme ''la plus grandeopportunité marketing de notre temps''. Les vendeurs ambulants – une part importante destravailleurs pauvres – seraient littéralement soumis à une ''zone d'exclusion'' […] Pour eux,la Coupe du Monde aurait pu aussi bien se dérouler sur un autre continent. »32

Auparavant mis en valeur pour son potentiel économique, ainsi que pour sa capacitéà illustrer la richesse culturelle de la ''Nation Arc-en-Ciel'', le commerce d'artisanat estsoudainement appréhendé comme une menace ou un désagrément potentiel pour letouriste, dès lors qu'il s'exerce de manière informelle, ''désordonnée'', dans l'espace public.Les vendeurs de bibelots ambulants deviennent ici les symboles vivants d'une certaineréalité du pays qu'il s'agit de dissimuler aux yeux du public étranger. On leur préfèreravolontiers les marchés d'artisanat africain davantage formalisés (comme l'African CraftMarket) ou encore les (très formelles) boutiques de souvenirs des (très formelles) zonescommerciales des aéroports internationaux. A l'heure touristique, le choix de l'imageappropriée à renvoyer au visiteur semble constituer, bien plus que le caractère formelou informel, le principal baromètre permettant de juger de la ''respectabilité'', voire danscertains cas de la légalité, d'une activité. Car si la relative informalité de l'activité artisanalepouvait constituer un avantage dans certaines situations (en facilitant par exemple l'accèsde certaines populations les plus marginalisées à une source de revenu), elle en devientd'autant plus embarrassante qu'elle s'offre publiquement aux yeux de tous, et en particulierà ceux du touriste.

Dans son mémoire de première année de master, intitulé « Les espaces publicsà l'épreuve du tourisme. Pratiques, représentations et gouvernance au Cap », ThomasRadovcic fait état de ce phénomène d'exclusion de certaines tranches de la population« jugées indésirables » (p. 63) (telles que les vendeurs de rue, les sans-abris ou lesenfants des rues) des zones touristiques et de certains espaces publics, et souligne leprocessus de « nettoyage social » des centres-ville des grandes métropoles sud-africaines(p. 62) duquel il participe. Ainsi « l'importance stratégique accordée au tourisme rend lasécurisation des espaces ''vitrine'' prioritaire » (p. 65), explique-t-il. Il semble ici évidentque les enjeux touristiques de l'artisanat et de sa commercialisation sont loin d'êtrestrictement économiques, et qu'ils comportent également une large dimension médiatiqueet symbolique.

32 « not just anyone will be allowed to participate in what President Jacob Zuma calls "the greatest marketing opportunity of our time".Informal traders – a significant part of the working poor – are subject to a verbatim "exclusion zone" from the bonanza in the fan parks,fan walks and stadiums. For them, the World Cup may as well be happening on another continent. », propos de Chris Rodrigues,« South Africa's World Cup is a disgrace », article paru le 6 mai 2010 sur le site du journal The Guardian (www.guardian.co.uk)

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II. Artisanat et imaginaire touristique

« Je ne fais plus que traverser la place. C'est très touristique ici. Avant j'achetais mes habitsici. Les produits étaient abordables et venaient d'Afrique du Sud. Maintenant, ils vendentdes produits chinois pour les touristes. Cela ne m'intéresse pas d'avoir une girafe dans monsalon »(Radovcic, 2010, p. 63-64)

1. L'artisanat : un ''attrape-touristes'' ?La réponse de Georgia, capetonienne ''coloured'' de 45 ans à Thomas Radovcic, (lorsquecelui-ci l'interrogeait sur les raisons pour lesquelles elle ne fréquentait plus le marchéd'artisanat situé sur la place du Greenmarket Square, dans le centre de Cape Town)illustre relativement bien le désintérêt de beaucoup de sud-africains vis à vis des marchésd'artisanat. Les produits vendus sur ces marchés semblent être en effet principalementdestinés à une clientèle touristique, mais n'avoir que peu d'intérêt aux yeux des locaux.

En observant la fréquentation du Greenmarket Square de Cape Town, ThomasRadovcic, note en effet que si la population fréquentant ce lieu est racialement mixte etrelativement bien répartie entre locaux et touristes, la pratique de cet espace est trèsdifférenciée selon les différents groupes de population. Ainsi, si les noirs sud-africainsfréquentent massivement le Greenmarket Square, ils s'y arrêtent que rarement, et secontentent bien souvent de le traverser. En effet, ceux-ci ne fréquentent pas le marchéd'artisanat ou les restaurants situés sur la place, le Square constituant uniquement, poureux, un lieu de passage obligé sur le chemin entre leur lieu de travail en centre-ville et lagare les ramenant vers leur lieu de résidence, souvent situé en périphérie urbaine. Pourles capetoniens blancs en revanche, le Greenmarket Square constitue, outre un lieu depassage, un véritable « lieu de sociabilité » (Radovcic, 2010, p. 50), où ceux-ci aiment serestaurer, prendre un verre ou se relaxer. Mais leur pratique est encore très différente decelle des touristes qui représentent selon Radovcic, environ un quart des passants sur leSquare. Ainsi, si une partie de ces derniers (43% des touristes interviewés par l'auteur)se restaurent sur la place, la majorité de ces derniers (85%) ne sont présents sur placeque pour acheter des objets souvenirs sur le marché d'artisanat, par ailleurs déserté parles locaux. De cette manière, explique l'auteur, « s'ils sont présents en même temps dansl'espace public, les touristes et les citadins ne pratiquent pas les mêmes activités, ni lesmêmes portions de l'espace » (Ibid, p. 66).

Aurelia Wa Kabwe-Segatti note, elle aussi, une profonde différence de nature dans lafréquentation des marchés spécifiquement orientés vers le commerce d'artisanat africain(comme l'African Craft Market à Johannesburg) et celle des marchés aux puces traditionnels(les ''flea markets'' tels que le Rosebank Rooftop Market, à Johannesburg toujours).Alors que les premiers semblent attirer une clientèle presque exclusivement composéed'étrangers, touristes ou expatriés, la diversité des produits proposés par les seconds (allantdes meubles aux vêtements, des livres aux produits alimentaires, des antiquités aux objets

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d'artisanat en passant par les produits cosmétiques) paraît satisfaire les attentes d'uneclientèle plus large.

Mais s'il peut paraître difficile de distinguer à première vue, parmi les clients étrangers,un touriste d'un expatrié, Audrey Boucksom, dans le cadre d'une étude sur l'artisanat auNiger, constate une certaine différence entre les comportements d'achat de la clientèletouristique et ceux de la clientèle expatriée. Ainsi, note-t-elle, les touristes auront tendanceà acheter un objet d'artisanat davantage pour son caractère symbolique (dans la mesureoù cet objet constituera l'un des souvenirs matériels de leur voyage) que pour sa valeuresthétique. Consommateur ''amateur'', n'ayant qu'une connaissance limitée de l'artisanatlocal, le touriste ne sera pas réellement en mesure de juger de la qualité technique et de laconformité aux normes esthétiques locales des objets lui étant proposés. De plus, limitésdans la durée de leur séjour et par l'espace dans leurs valises, les touristes se tournerontvers des objets plutôt de taille petite ou moyenne, fabriqués spécialement à leur égard demanière à faciliter leur transport. Les expatriés, en revanche, du fait de leur plus long séjourdans le pays, auront eu le temps de se familiariser avec la culture et l'artisanat local etseront davantage capables de reconnaître un objet pour sa qualité technique et esthétique.Ils seront de ce fait moins enclins à se faire ''avoir'' sur d'éventuels défauts de fabricationet seront même en mesure d'effectuer des commandes personnalisées directement auprèsdes artisans (chose évidemment facilitée du fait de leur situation de résidents permanents).Pour une clientèle expatriée, l'aspect esthétique et la qualité de fabrication de l'objetpèseront donc davantage dans la décision d'achat que la valeur symbolique de cet objet,dans la mesure où celui-ci ne constituera pas un souvenir de voyage mais devra s'intégrerdans leur environnement quotidien (dans la décoration de leur lieu de vie par exemple).Pour reprendre la classification des différents types d'artisanat que nous avions mentionnéeen première partie de ce mémoire, les expatriés sembleraient plutôt orienter leur choix versdes objets d'artisanat d'art (craftart) ou de type ''designer goods'' au design plus recherchéet aux finitions plus travaillées, tandis que les touristes achèteraient davantage des objets''souvenirs'', de design plus simple et de qualité moindre.

Cependant, si selon Aurelia Wa Kabwe-Segatti, la clientèle des ''flea markets'' est pluségalement distribuée (entre touristes internationaux de diverses nationalités et sud-africainsblancs et d'origine indienne) que celle fréquentant les marchés spécialisés dans la vented'artisanat, la très faible fréquentation des sud-africains noirs reste une tendance sur lesdeux types de marchés.Ainsi, la clientèle intéressée par les objets d'artisanat reste trèsségréguée entre les touristes et résidents étrangers expatriés, principaux consommateursde produits artisanaux, et la population locale (en majorité noire) généralement attirée pard'autres types de biens ou n'ayant pas les moyens, ni le luxe, d'acheter de tels produits.Comme le résume Thomas Radovcic, « Les clients capetoniens [ locaux ] potentiellementintéressés par l'artisanat africain ne sont pas solvables alors que ceux qui pourraient s'offrirde tels objets n'y voient que des babioles destinées aux touristes » (Radovcic, 2010, p 64)

Pour Aurelia Wa Kabwe Segatti, la très faible fréquentation de ces marchés par la classemoyenne noire s'explique en effet par des habitudes de consommation différentes et unmanque d'intérêt général de leur part pour les produits artisanaux, auxquels ils préfèrerontdavantage les produits manufacturés de marques déposées. De façon intéressante,explique-t-elle, ce n'est souvent qu'une fois refaçonnés selon les dernières tendances,transformés en produits de grande consommation, et commercialisés dans les grandeschaines sud-africaines d'ameublement et de décoration intérieure (telles que Mr PriceHome, @Home ou Woolworth Home), que les objets d'artisanat finissent par atteindre uneclientèle noire sud-africaine – celle-là même qui les ''boudait'' sur les marchés.

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Dans son article « Les ''Blacks Diamonds'' existent-ils? Médias, consommation et classemoyenne noire en Afrique du Sud », Sophie Chevalier étudie, à ce sujet, la manière dontest présentée médiatiquement cette nouvelle classe moyenne noire sud-africaine (dont lesmembres sont assez fréquemment désignés sous le terme familier de ''black diamonds'').Elle y souligne également la place prépondérante accordée aux pratiques de consommationde cette ''nouvelle petite bourgeoisie noire'' dans le portrait qu'en dressent les médias sud-africains.

Elle explique en effet comment la consommation de masse, après avoir été, sousl'Apartheid, l'unique apanage des blancs sud-africains, a progressivement été rendueaccessible à une plus large part de la population. Ainsi, en parallèle des programmes misen place par le gouvernement pour améliorer les infrastructures de logement et de servicesdans les townships, un certain nombre de centres commerciaux y ont également étéconstruits dans le cadre d'opérations conjointes avec le secteur privé. La démocratisationd'une consommation de masse standardisée, telle qu'elle peut l'être dans les paysoccidentaux, est de ce fait devenue progressivement un indicateur clé du développementsocio-économique du pays et de la réussite de la transition démocratique engagée depuisles années 1990. (Chevalier, 2010) La fréquentation de centres commerciaux et l'achat degrandes marques constituant, aux yeux de beaucoup, des signes extérieurs de modernité etd'ascension socio-économique, il serait peut être possible d'expliquer le désintéressementde ''la nouvelle petite bourgeoisie noire'' pour tout ce qui pourrait comporter, commel'artisanat, un caractère traditionnel et qui pourrait être associé à une forme de ''régression'',de retour en arrière.

En outre, lorsque l'on analyse plus en détails le portrait du ''black diamond '' produitpar les médias sud-africains, c'est un individu triplement aliéné que l'on y découvre. N'ayantqu'une connaissance très récente de l'argent, le ''black diamond'' y est présenté commeun « consommateur novice » (Chevalier, 2010, p. 78) aux habitudes de consommation« ostentatoires » (Ibid, p. 81) , relativement mal perçues au vu de la pauvreté dans laquellevit encore une majeure partie de la population sud-africaine. Le ''black diamond'' serait doncaliéné socialement et économiquement, « la découverte de l'argent et de la consommation[ le conduisant ] à oublier ses devoirs sociaux » (Ibid, p. 80) et sa « passion pour laconsommation » (Ibid, p. 81) le poussant à s'endetter. Ainsi, la représentation médiatiquede la nouvelle classe moyenne noire sud-africaine est révélatrice, selon l'auteure, de lapersistance dans l'imaginaire public d'un « discours de légitimité culturelle » prenant comme« référence de ''bonnes'' pratiques » en matière d'argent et de consommation, « un modèleimplicitement blanc » (Ibid, p. 80). Ce portrait d'une classe moyenne noire aliénée par sa soifde richesse et de consommation, viendrait ainsi confirmer, chez certaines personnes (peutêtre un peu nostalgiques de l'ancien régime ségrégationniste) l'opinion selon laquelle lesnoirs sud-africains, fondamentalement incivilisés, seraient incapables d'adopter un mode devie similaire à celui des blanc sud-africains sans se comporter de manière déraisonnable.

Car dans certains cas, l'aliénation du ''black diamond'' est décrite comme allant audelà même du champ économique et social pour devenir d'ordre culturelle. En effet il yaurait, à en croire certains articles de presse (et à en juger par la citation qui suit), unecontradiction irréductible entre l'aspiration à s' ''occidentaliser'' des membres de la nouvelleclasse moyenne noire, et leur qualité d'africains. Ainsi, en consommant occidental le ''blackdiamond'' « blanchirait », « perdrait son africanité » devenant de ce fait un « coconut »33 (Ibid,

33 Notons ici que, pour l'avoir déjà entendu, le terme de ''bounty'' est également utilisé en référence à la marque de barreschocolatées à la noix de coco. Dans la même veine, Sophie Chevalier indique également que l'équivalent américain de ''coconut'' est''Oreo cookie'', en référence ici à la marque de biscuits au chocolat noir fourrés à la crème vanille.

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p. 83) (terme péjoratif désignant une personne noire à l'extérieur mais blanche à l'intérieur),une sorte d'anomalie culturelle aux yeux de certains.

« Le pays deviendra-t-il un jour africain ? Les Noirs y conduisent des Mercedes etpeuvent travailler dans des cabinets de consultants internationaux. Ils ne viventjamais qu'une vie de Blancs »34

Ce type de discours nous rappelle ici que malgré l'abolition des lois raciales del'Apartheid, l'appartenance ethnique reste bien souvent, en Afrique du Sud, une descaractéristiques majeures35 à partir desquelles sont appréhendées les populations et enfonction de laquelle sont analysées leurs pratiques sociales (ici la consommation). Ilexisterait donc potentiellement deux modes de vie et de comportement, deux modèlesdistincts de consommation : une consommation ''blanche/occidentale'' et une consommationtypiquement ''noire/africaine'', que les individus devraient adopter en fonction de leurappartenance ethnique.

Un tel discours conforte également l'idée que ce phénomène d' ''occidentalisation''relèverait d'un processus d'évolution linéaire, et que ''s'occidentaliser'' (ce que certainspourraient assimiler à une forme de progrès, de développement36) nécessiterait de renoncerà sa condition antérieure, de perdre ses anciens repères culturels, de faire une croix sur sestraditions (d'abandonner en somme, dans le cas présent, sa qualité d'africain), sous peinede devoir renoncer aux bénéfices du progrès et du développement.

Cela n'est pas sans nous rappeler ici les théories développées par l'économiste etthéoricien politique américain Walt Whitman Rostow dans son ouvrage intitulé « Les étapesde la croissance économique : un manifeste non-communiste » 37 paru en 1960. Il y exposeen effet une vision très évolutionniste du développement, selon laquelle toutes les sociétéssuivraient nécessairement le même processus d'évolution linéaire (organisé en cinq phasesconsécutives), calqué sur le modèle de développement socio-économique des sociétésindustrialisées considérées aujourd'hui comme ''les plus avancées'' (Etats Unis, GrandeBretagne, Allemagne, Japon, France, etc.). Afin de s'extirper de leur condition originelle,sorte d' ''état zéro'' du développement, les « sociétés traditionnelles » devraient tout d'abordremplir un certain nombre de « conditions préalables » à leur « décollage » économique, leurpermettant ensuite d'entamer une phase d' « ascension vers la maturité » pour finalementatteindre le stade ultime de « l'age de la consommation de masse ». Ainsi, Rostow enfermeles sociétés dans un modèle de développement unique jugé nécessaire et universellementvalide, leur niant de ce fait, la possibilité, voire même la capacité, d'emprunter des voiesalternatives de développement social et économique. Les différences de développemententre les sociétés ''les moins avancées'' et celles ''les plus avancées'' seraient donc, selonlui, d'ordre culturel et sociologique, les premières devant nécessairement renoncer à leurcaractère traditionnel pour espérer rattraper leur ''retard'' sur les secondes.

34 Propos cités par Sophie Chevalier, tirés d'un entretien avec Adriaan van Dis. (écrivain néerlandais, ancien journaliste

littéraire et militant anti-Apartheid) « L'Afrique du Sud est un vaste laboratoire social », dans le numéro de Libération

datant du 11/12 avril 2009.35 Cependant afin de fournir une analyse pertinente du contexte sud-africain, le critère de l'appartenance ethnique (ou de ''race'') doitêtre étudier en relation avec d'autres types de critère, tels que l'appartenance à une classe sociale ou le sexe.

36 La classe moyenne noire sud-africaine semblerait, à en croire l'article de Sophie Chavalier, être la première à considérer ceprocessus d' ''occidentalisation'' comme synonyme de progrès social et d'ascension économique.

37 Titre original : The Stages of Economic Growth : a non-communist manifesto

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Ce type de distinctions entre « sociétés traditionnelles » d'une part et « sociétésmodernes » de l'autre semblent revenir de manière récurrente dès lors que le continentafricain est étudié dans sa relation à l'Occident, traduisant ainsi la persistance, dansl'imaginaire collectif, de certaines représentations stéréotypées de celui-ci, de ses habitantset de leurs cultures.

2. L'artisanat : objet souvenir, objet de fantasme(s)Nous l'avons vu, les objets d'artisanat constituent, pour les touristes, un moyen privilégiéde conserver un souvenir de leur voyage, du fait qu'ils soient bien souvent bon marché(ou du moins selon l'appréciation qu'en ont les touristes), faciles à transporter et perçuscomme typiques de la culture du pays visité. L'objet acheté symbolise ainsi le voyage dansson ensemble et continuera à en immortaliser l'expérience, même une fois les touristesrentrés chez eux. Les produits artisanaux, ici appréhendés en tant qu'objets touristiques''typiques'' d'un lieu, d'une culture, cristallisent ainsi tout un ensemble de perceptions, dedésirs, de fantasmes et d'images stéréotypées associés à ce lieu, à cette culture, queles touristes projettent sur ces objets. Prendre l'artisanat pour objet d'étude, analyser lestransformations que subissent les produits artisanaux au fur et à mesure de l'évolution dutourisme et analyser la manière dont ils sont mis en commerce, permet ainsi de mettre àjour l'imaginaire touristique qui leur est attaché.

En se concentrant donc sur l'artisanat en tant qu'objet et pratique de tourisme, noustenteront d'effectuer un rapide état des lieux des différentes représentations erronées etstéréotypes véhiculés par l'imaginaire occidental au sujet du continent africain, pour nousrecentrer ensuite davantage sur le contexte sud-africain et observer la manière dont cetimaginaire y influence les pratiques touristiques liées à l'achat d'objets d'artisanat local.

Dans son article « Tourisme et primitivisme. Initiations au bwiti et à l'iboga (Gabon) »,Nadège Chabloz analyse les différentes perceptions et représentations, notamment cellesliées à la figure du ''primitif'', à l'oeuvre dans une pratique touristique un peu particulièreque l'auteure désigne sous le terme de « mystico-spirituelle et thérapeutique ». Celle-cicorrespond en effet au voyage effectué par un certain nombre d'occidentaux au Gabon (icisont principalement examinés les cas de touristes français) pour s'initier au rite local du bwitiutilisant les racines d'une plante réputée pour ses propriétés hallucinogènes, appelée iboga.

Bien que cette pratique soit quelque peu singulière et assez minoritaire par rapportaux formes plus classiques et plus populaires de tourisme culturel (comme la visite devillages culturels, la participation à des démonstrations de danses ''traditionnelles'', l'achatd'objets d'artisanat local, etc...) certaines représentations liées à l'Afrique, relayées par lesparticipants à ces rites initiatiques, viennent conforter celles à l'oeuvre dans les autres typesde pratiques touristiques sur le continent africain.

Comme l'explique Nadège Chabloz, c'est avant tout une perception idéalisée ducontinent africain qui amènent certains touristes occidentaux à effectuer leur voyageinitiatique jusqu'en terre gabonaise. Ce voyage est ainsi souvent envisagé comme un retourvers cette « terre chargée » de l'Afrique, porteuse de « la mémoire de l'espèce » humaine(Chabloz, 2009, p. 401) et c'est ici une Afrique ''primitive'', au sens de ''première'' qui attirel'homme moderne/occidental dans la mesure où elle lui permet d'effectuer « un retour auxorigines de l'humanité » (Ibid, p. 401).

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L'attrait des touristes occidentaux pour les destinations africaines, comme le Gabonou l'Afrique du Sud, et la popularité du tourisme culturel, relèveraient d'une inversion duprocessus décrit par Rostow : une partie de la population des sociétés ''les plus avancées'',ayant expérimenté la modernité et la consommation de masse, souhaiterait renouer (neserait-ce que le temps d'un voyage) avec la simplicité d'un mode de vie plus ''traditionnel'',dont le continent africain offrirait de multiples exemples.

« Les indigènes, fascinés par le mode de vie occidental, délaisseraient leurstraditions alors que les Occidentaux, désabusés par le rationalisme et lasurconsommation de leur société, partiraient à la recherche de leurs valeursarchaïques chez les peuples traditionnels. « Tout comme le chien qui court aprèssa propre queue, le traditionnel veut expérimenter les progrès technologiques,et ceux qui vivent la modernité dans son excès ont soif de simplicité et de retouraux sources » (Navarro 2007 : 66) » (Chabloz, 2009, p. 418) « La figure du primitifapparaissant dans les discours des acteurs de ce tourisme mystico-spirituelet thérapeutique semble également relever d'une forme d'anti-intellectualismeet de contre-culture qui sont toutes deux des protestations contre le mondeoccidental » (Ibid, p. 404) […] « Le primitif moderne incarné par la figure du''non-civilisé'' (en opposition à l'Occidental) représenterait une alternativeaux normes contraignantes occidentales et permettrait de s'en affranchir. Leprimitif n'est plus en retard sur le monde occidental […] il est désormais […] ''enavance'' » (Ibid, p. 405) […] « Les discours selon lesquels l'Occident aurait toutà apprendre de l'Afrique en général et des traditions en particulier reviennent defaçon récurrente » (Ibid, p. 405)

Ainsi, les âmes occidentales en mal de spiritualité et d'expérience humaine alternative38

vanteront-elles la ''simplicité'', la ''générosité'', la ''gentillesse'', la ''spontanéité'',''l'authenticité'' et autres mérites des peuples africains, comme les « refletsinversés » (Berloquin-Chassany, 2006, p. 176) des maux propres aux sociétés occidentalesperverties, en proie à l'artifice et à l'individualisme.39 L'Afrique, primitive, aurait iciune dimension salvatrice car elle permettrait à l'Occident corrompu de renouer avecun ensemble de valeurs qui auraient été progressivement oubliées à mesure del'industrialisation et de la modernisation des sociétés.

« Pour les acteurs de ce tourisme, le primitif et sa société sont perçus à la foiscomme ''premiers'', mais également comme étant restés à l'écart de la civilisationindustrielle occidentale, cette idée se traduisant souvent dans les discourspar l'appellation de ''sociétés traditionnelles''.40 C'est cette mise à l'écart de lasociété moderne, jugée comme rationnelle et aliénante, qui donne aux sociétéstraditionnelles l'image de gardiennes des traditions et des connaissances desmystères de la nature et de l'Homme » (Chabloz, 2009, p. 412)38 Description qui n'est pas sans nous faire penser au mouvement hippie, dont les emprunts vestimentaires aux cultures indienne etafghane traduisaient dans les années 1960 « un refus des valeurs occidentales » comme l'explique Pascale Berloquin-Chassany.39 L'ensemble de ses qualificatifs (ou leurs synonymes) sont d'ailleurs mentionnés dans le tableau dressé par François de Negronirécapitulant les caractéristiques généralement attribuées aux figures du ''bon nègre'', du ''mauvais nègre'' et du ''civilisé''. (De Negroni,2008, p. 50) Par ailleurs, le terme de ''gentillesse'' semblait assez souvent revenir dans la bouche des touristes interrogés par ThomasRadovcic, lorsque celui-ci leur demandait ce que l'Afrique représentait pour eux (« What is Africa to you? »)40 On retrouve ici le terme employé par Rostow

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Par ailleurs, l'Afrique constitue également pour beaucoup une source d'inspiration artistique.Nadège Chabloz évoque, à ce propos, l'influence de l'art africain sur certains artistes dumouvement surréaliste qui percevait les ''peuples primitifs'' comme des individus ayantconserver une certaine spontanéité ainsi que des liens profonds avec leur ''moi intérieur''.S'en inspirer permettrait, en quelque sorte, à l'homme moderne de « s'affranchir durationalisme de sa société », d'« avoir accès à la voie royale de l'inconscient » et de pallierau tarissement de sa spiritualité et de sa créativité. (Chabloz, 2009, p. 411)

Bien qu'il n'appartienne pas directement au courant artistique du surréalisme, onpeut mentionner ici l'exemple de Pablo Picasso qui s'inspira beaucoup de l'art africain,et en particulier des masques, durant la période cubiste de sa carrière. Une expositionintitulée « Picasso and Africa », mettant en relation un ensemble d'objets d'art africain(principalement des masques) et une collection de toiles, de croquis et de sculptures del'artiste, avait d'ailleurs été présentée à Cape Town et Johannesburg en 2006.41

Le domaine de la mode vestimentaire n'est pas non plus resté imperméable auxinfluences africaines comme le montre Pascale Berloquin-Chassany dans son article« Créateurs africains de mode vestimentaire et labellisation ''ethnique'' ». Alors qu'elle avaitété ignorée jusque là au profit de l'Orient et de l'Asie (symbolisant au mieux, selon les critèresde l'époque, le raffinement et l'opulence recherchés dans l'exotisme), l'Afrique est remise augoût du jour dans les années 1960, sur fond de récente décolonisation, comme en témoignela collection Bambara 42 d'Yves Saint-Laurent de 1967 et sa célèbre Saharienne présentéeen 196843. Progressivement, différents emprunts faits aux styles « ethnique », « oriental »ou « exotique » viendront redonner un souffle à la mode occidentale en manque d'inspirationet en mal d'ailleurs. Les femmes noires, « les élégantes africaines » sont célébrées pourleur « beauté affranchie » et leur mystère, tandis que le style néo-colonial des « femmeschasseresses et sensuelles baroudeuses » s'impose comme un classique.44

La Saharienne de Yves Saint-Laurent (1968) témoigne de la persistance du stylecolonial dans les standards d'esthétique de la fin des années 1960. Crédit photographique :Vogue France (1968)

41 Cette exposition, sponsorisée par la Standard Bank, l'IFAS (l'Institut Français en Afrique du Sud) et les services decoopération culturelle de l'Ambassade Française, avait été réalisée en collaboration avec le Musée Picasso de Paris.

42 Le peuple des Bambaras est originaire de vit l'Afrique de l'Ouest, et est principalement implanté au Mali.43 Saharienne qui est manifestement loin d'être passée de mode puisqu'elle donne, encore aujourd'hui, son nom à un type de

vêtement spécifique, ainsi qu'au dernier parfum de la maison Yves Saint-Laurent. Hommage posthume au défunt créateur ou ''revivalexotique'' ? Le style néo-colonial serait-il de nouveau ''in'' ?

44 Dans cette dernière phrase, l'ensemble des expressions entre guillemets sont tirées d'un article sur l'exposition « Voyagesextraordinaires » présentant certaines collections de la maison Yves Saint-Laurent. Cet article rédigé en 2007 (tout ce qu'il y a deplus récent donc) par Caroline Bousbib pour le site d'information culturelle Evene.fr (http://www.evene.fr/arts/actualite/exposition-voyages-extraordinaires-yves-saint-laurent-708.php) est ici la preuve de la persistance, jusqu'à aujourd'hui, d'une vision romantiqueet fantasmée des femmes africaines.

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Une modèle (blanche) présentant une robe issues de la collection Bambara de YvesSaint-Laurent (1967) Crédit photographique : Fondation Yves Saint-Laurent-Pierre Bergé

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Le style ''exotico-africain'' fascine toujours à la fin des années 1990 : la collection Maasaï(printemps-été 1997) conçue par John Galliano pour Dior, photographiée par le magazinede mode Vogue US

Mais cette Afrique romantiquement idéalisée, gardienne des valeurs humaines, etsource d'inspiration et de savoir pour l'homme moderne, n'est jamais très loin dansl'imaginaire et dans les discours, d'une Afrique sauvage et hostile, terre peuplée d'individusincivilisés en proie à l'obscurantisme et à la superstition. Nadège Chabloz et François DeNegroni soulignent tous les deux cette ambivalence des représentations liées au continentafricain et la facilité avec laquelle il est possible de glisser d'un extrême à l'autre. Ainsile ''bon nègre'', le ''nègre authentique'', simple et pacifique, a vite fait de perdre soninnocence originelle au contact de l'Occidental, pour se transformer en un être aliénéet acculturé, un ''faux nègre'', doté de tous les vices et perversions caractéristiques dessociétés ''modernes''. Le ''mauvais nègre'' (au sens de l'individu naturellement grossieret ignorant) n'aura de cesse lui d'essayer vainement de reproduire (de « singer »45) le

45 De Negroni, 2008, p. 48

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comportement de l'homme blanc, se changeant ainsi en un individu hybride et dégénéré, un''faux nègre'', un ''nègre blanc'', un ''métis''. (De Negroni, 2008) Nous ne sommes pas bienloin ici du portrait du « black diamond » dépeint dans certains médias sud-africains, individunoir acculturé devenu « coconut » des suites de son occidentalisation.

« On est déjà dans la tonalité contemporaine des roucoulades sur l'âme noire,l'authenticité de l'homme de la brousse, le modèle communautaire villageois,ou des jérémiades subséquentes concernant le noir acculturé, détribalisé,métissé, aliéné dans son identité par le mode de consommation occidental,etc. La dialectique du bon, du mauvais et du faux nègre et les imageriesqu'elle tisse demeurent encore constitutives du regard porté aujourd'hui surl'Afrique. Loin d'être abolies par le constant progrès des connaissances […]ces représentations triviales vont s'insinuer au coeur même des discoursscientifiques, recevoir l'investiture des nouvelles idéologies, et se légitimer àchaque niveau d'approche. Et elles vont continuer, sous des formulations à peinerafraîchies, d'ôter le continent noir à son historicité en le figeant dans l'éternitéd'une fantasmatique. » (De Negroni, 2008, p. 49 et 51)

Dans une étude sur l'immersion culturelle quotidienne des expatriés occidentaux(principalement français) au Sénégal, Hélène Quashie fait elle aussi le constat d'uneambivalence dans les représentations associées à la population locale par ces expatriés,relevant du principe de « fascination répulsive » théorisé par Jewsiewicki (cité par Quashie,2009, p. 530). Si certains discours évoquent en effet « l'image d'une population localesympathique, accueillante et spontanée », certains autres « convoquent de vieux clichésoccidentaux (improductivité, paresse, tendance à la corruption, manque de rigueur etd'anticipation) fréquemment ramenés au statut de qualités intrinsèques des individus''africains'', pour justifier une absence de progrès économique et social » (Ibid, p. 530)

Dans sa thèse intitulée « Arts ''touristiques'' en Afrique et consommateursoccidentaux », Audrey Boucksom analyse, elle, d'autres formes d'interactions entrevisiteurs occidentaux et locaux. A partir d'un important travail de terrain (entretiens menésauprès de touristes, de ressortissants étrangers, de producteurs et de commerçants), elleétudie en effet les dynamiques d'échanges symboliques et esthétiques à l'oeuvre dansles transactions marchandes entre commerçants d'artisanat africains et consommateursoccidentaux.46Bien que le secteur du tourisme au Niger soit beaucoup moins développéque dans un pays aussi touristique que l'Afrique du Sud et que la production d'artisanat ''decuriosité'' soit, en conséquence, beaucoup moins importante, l'analyse de l'auteure permetde soulever certaines questions qui peuvent également être posées dans le contexte sud-africain de notre étude.

Ainsi, même si le niveau de l'activité touristique au Niger est loin d'être le mêmequ'en Afrique su Sud, il est possible de dresser certains parallèles, notamment dans lamanière dont les deux pays peuvent être perçus par les touristes et mis en valeur parles acteurs des industries touristiques. Les arguments mobilisés pour promouvoir les deuxpays semblent en effet s'articuler souvent autour de deux aspects : leur richesse naturelled'une part (beauté des paysages, diversité de la flore et de la faune sauvage), et culturelled'autre part (cérémonies et danses traditionnelles, achat d'objets d'art et d'artisanat, visite

46 L'auteure discerne à ce titre, trois types de consommateurs occidentaux : les touristes occidentaux en visite dans les paysafricains, les expatriés résidant déjà dans le pays et les consommateurs en Occident. Nous nous concentreront ici principalementsur les touristes.

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de ''villages authentiques'' et découverte de l'architecture locale). L'Afrique du Sud est eneffet le plus souvent célébrée à travers sa diversité culturelle et ethnique (ce qui lui vautson surnom – orgueilleusement cultivé à la fois par les dirigeants politiques et les autoritéstouristiques – de ''Rainbow Nation'' ou ''Nation Arc-en-ciel'') et la beauté du spectacle offertpar ses paysages et sa vie animalière. (Rassool & Witz, 1996) Le Niger (peut être mêmeplus que l'Afrique du Sud) semble lui se réduire, dans l'imaginaire touristique, uniquementà l'univers du désert (le Sahara), dont les nomades Touaregs constituent le symbole parexcellence au yeux des touristes. Bien entendu, chaque pays n'en présente pas moins unensemble de caractéristiques propres qui constitueront autant d'atouts touristiques mis enavant. Le développement, autour de l'histoire de l'Afrique du Sud, d'un ''heritage tourism''construit spécifiquement autour des lieux de mémoires liés à la période d'Apartheid enest un exemple parlant. Cependant l'accent qui semble être mis systématiquement surleur dimension culturelle est caractéristique d'une certaine vision, presque romantique, ducontinent africain, qu'il est facile de faire remonter à l'époque coloniale.47

« En remontant à cette genèse, on découvre que des expériences précocesont contribué à l' ''invention'' d'une Afrique touristique qui s'est appuyée surla mise en scène d'éléments relevant de la sphère culturelle. En l'absence desites monumentaux à visiter, le primo-tourisme s'est bien sûr essentiellementstructuré autour de la promotion de la chasse et de la nature, sur le modèledu safari développé dans les colonies britanniques. Mais tous les touristesde l'époque ne sont pas exclusivement chasseurs ou amateurs de faune et deflore. Beaucoup d'entre eux sont également mus par l'idée d'une rencontre avecl'Afrique mystérieuse et éternelle, poussés au voyage par leur curiosité pourdes moeurs et des coutumes étranges, par le pittoresque d'un folklore indigèneaux contours exotiques et par l'attirance pour un artisanat local de plus en plusvalorisé. L'offre touristique s'est adaptée à cette demande. » (Dulucq, 2009, pp.28-29)

Dans une dynamique propre au phénomène touristique, c'est en effet avec une idéepré-fabriquée de leur lieu de destination, une sorte de ''carte postale mentale'', que lestouristes arrivent dans un nouveau pays.48Selon l'expression de Sophie Dulucq il s'agiradonc principalement pour eux d'aller « reconnaître plutôt que découvrir » (Dulucq, 2009,p. 33) le pays en question, de venir expérimenter sur le terrain, les connaissances qu'ilsauront précédemment acquises à propos de celui-ci.49Sur le continent africain par exemple,il s'agira de faire l'expérience de cet ''Autre'' africain et de sa différence culturelle, celle-là même qui accentuée à l'extrême, participe de la création d'une image fantasmée del'Afrique, de son folklore, de son artisanat et de ses safaris.

« Un lieu touristique prend sens pour le touriste parce qu'il est autre, parce qu'iltranche avec les qualités de son lieu de vie et surtout, il sera cet espace quilui permettra de répondre à des attentes aux formes infinies. Sa préoccupationpremière est cette recherche plus ou moins grande d'altérité et l'expérimentationdu différentiel entre lieu(x) de vie et lieux touristiques. Cette approche aide à

47 Les photographies de mode présentées précédemment sont assez représentatrice de ce type de vision.48 Ce phénomène n'est en effet pas seulement propre au tourisme en Afrique mais peut s'observer dans le cas de toutes lesdestinations touristiques. Ce sont d'ailleurs, en grande partie ces images pré-conçues de tel ou tel pays qui oriente le touriste dansle choix de sa destination.49 Ce qui ne veut pas dire qu'une part du séjour ne sera pas laissée à l'inattendu et à la découverte.

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comprendre le choix des destinations et des pratiques touristiques […] »(EquipeMIT, 2008, p. 83) [l'emphase a été ajoutée]

Lorsque ces derniers achètent des objets d'artisanat local c'est donc avant tout parce queceux-ci répondent à leurs critères individuels en matière d'esthétique, (cela semble assezévident) mais également parce qu'ils correspondent à l'image pré-conçue que s'étaient faitles touristes de leur destination avant leur séjour. (Boucksom, 2009) Dans le cas de l'Afrique,les objets d'artisanat, fabriqués à la main, viendront conforter chez certains touristes, lavision d'un continent attaché à ses traditions et resté à l'écart de l'industrialisation et dela modernité, et constitueront pour ces derniers des souvenirs d'autant plus authentiques.Le touriste aura ainsi tendance à orienter son choix vers les objets qui symbolisent aumieux son expérience touristique dans le pays. De ce fait, « on n'achètera pas un phareBreton à Tahiti parce il ne représenta pas l'environnement de nos vacances. On préfèreraune figurine de vahiné ornée de colliers et de couronnes de fleurs, car elle est une icônesymbolique de cette île » ironise Audrey Boucksom (p. 327). C'est donc des objets qui leursont « familiers » (Boucksom, 2009), car correspondant à leur vision du pays qu'ils visitent,que les touristes chercheront à acquérir une fois sur place.

Mais cette vision tend bien souvent, on l'a vu, à être déformée et à réduire le pays àun certain nombre de symboles, et pour le cas de l'artisanat, à un certain nombre d'objets,de styles typiques. Le choix des touristes s'orientera donc très souvent vers un nombreassez limité d'objets d'artisanat, ceux qui, à leurs yeux, représenteront, de la manière laplus emblématique, leur séjour.

Au Niger par exemple, l'artisanat Touareg, parce qu'il est le plus connu des occidentaux,est le plus convoité par les touristes voyageant dans le pays, même dans les régions où iln'est traditionnellement pas produit (comme dans la partie Sud du pays). (Boucksom, 2009)« La Croix d'Agadez est souvent un objet connu des touristes avant leur voyage, car onen trouve en quantité dans les pays occidentaux […] , explique Audrey Boucksom, c'estpourquoi elle sera le souvenir le plus souvent acquis par les touristes qui viennent visiterla zone d'Agadez » (p. 332)

En Afrique du Sud, ce phénomène est sûrement moins marqué qu'au Niger, du faitde la place importante accordée à la diversité ethnique dans les discours politiques ettouristiques. Certains styles typiques de certaines ethnies semblent toutefois ressortir dulot50, comme l'artisanat Zulu51 et Ndebele52 (présentés en images dans la première partie dece mémoire) sur lesquels se concentreront l'attention des touristes, au détriment d'autresformes, peut être moins connues, d'artisanat. Les objets d'artisanat produits à partir dematériaux recyclés seront également mis en valeur, en tant qu'expression de la cultureurbaine spécifique à l'Afrique du Sud (d'autant plus qu'ils pourront aisément être associéssymboliquement à l'environnement des townships, eux aussi construits à partir de matériauxde récupération).

C'est donc assez inévitablement qu'afin de répondre à cette attente de familiarité destouristes occidentaux, les commerçants locaux tendent à leur proposer des objets, biensouvent de faible qualité et produits en grande quantité à partir de modèles uniques.(Boucksom, 2009) Ainsi, explique Audrey Boucksom, on innove que très peu dans laproduction de curios, les artisans se contentant bien souvent de reproduire, voire même de

50 Néanmoins, cela peut tout aussi bien n'être qu'une impression de notre part.51 Serait-ce du fait de l'aura mythique associée à ce peuple de guerriers connus de tous ?52 Même si le nom de ''Ndebele'' n'est pas toujours connu, leur art est aisément reconnaissable du fait des motifs géométriques

et bariolés qu'il utilise.

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simplifier, des formes et des motifs traditionnels. Cet aspect-là peut également s'observeren Afrique du Sud, où il n'est pas rare de trouver, sur les marchés, les mêmes objets d'unstand à l'autre, à quelques variantes près (en terme de motifs ou de qualité des finitionspar exemple). C'est ainsi qu'en ne proposant qu'un nombre limité d'objets aux touristes afinde répondre à une double demande d'authenticité et de familiarité de leur part, les acteursde l'industrie touristique (à commencer ici par les commerçants) tendent à alimenter, voireà accentuer, la vision déformée que s'étaient construit les touristes au sujet du pays avantleur visite.

3. Fabrique de l'authenticite et mise en scenetouristique de l'artisanat

Ainsi, à force d'observer, au contact des touristes, leurs goûts et leurs habitudes d'achats, lescommerçants redéfinissent progressivement leurs produits pour les adapter au mieux auxpréférences esthétiques de leur principale clientèle. Ainsi les objets d'artisanat africain, quirésultaient originellement de l'utilisation de techniques, de formes et de motifs traditionnels,se transforment, se ''modernisent'' parfois, au fil de l'évolution de la demande, tandis quel'offre s'uniformise petit à petit. Le phénomène touristique devient alors un vecteur majeurd'« hybridation culturelle » (Wa Kabwe Segatti, 2009, p. 301) et de marchandisation descultures.

Dans le cas de l'Afrique du Sud, il faut envisager ce processus d'hybridation desobjets touristiques, comme résultant d'une certaine nécessité économique liée au contextede compétition accrue du secteur artisanal local. De plus en plus, en effet, les artisanslocaux doivent faire face à une montée de la concurrence du fait de l'arrivée massive surle marché de produits en provenance de Chine (dont la qualité s'est hautement améliorédepuis le début des années 2000), et ce particulièrement dans le secteur de l'artisanatde souvenirs.53La mise en concurrence des produits sud-africains par les produits chinois,associée à l'augmentation du nombre de points de vente potentiels pour les produitsartisanaux, et au désintérêt de la nouvelle classe moyenne noire pour l'artisanat local, ontmené les artisans à se plier progressivement aux lois du marketing. (Wa Kabwe-Segatti,2009) Duncan Hay évoquait ainsi la nécessité pour les artisans d'adapter le volume deleur production à celui de la demande (et notamment de la demande touristique) et deconstamment innover, afin de rester en phase avec l'évolution des tendances du marché etde garantir leur viabilité économique.

Même si un grand nombre de touristes sont bien souvent conscients de l'adaptation descommerçants à leurs attentes, jusqu'à se plaindre du manque de choix qui leur est proposé,beaucoup d'entre eux ne cherchent pourtant pas à acheter d'autres produits que ceux quileur sont spécifiquement destinés. (Boucksom, 2009) Ils semblent même ignorer les objetsrelevant de la vie quotidienne des populations locales, ceux-là même qui pourraient êtreconsidérés comme les plus ''authentiques'', les considérant comme ayant peu d'intérêt.Audrey Boucksom cite à ce propos, l'exemple des théières Touareg, ''authentiques'' objetsde la vie quotidienne pourtant ''boudées'' par les touristes, car jugées ''trop petites'' par

53 Il nous a été possible d'observer le même phénomène en Australie, où il n'était pas rare de trouver des boomerangsaborigènes traditionnels ''made in China''.

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rapport à l'image que ceux-ci s'en était faite (les touristes confondant bien souvent, expliqueBoucksom, les théières Touaregs avec les théières marocaines)

Néanmoins, nous ne devrions pas être amenés à sur-estimer la naïveté des touristestombant aveuglément dans le piège leur étant destiné. Il s'agit également de se garder degrossir à outrance leurs traits et d'envisager leurs pratiques comme tout à fait homogènes.Même s'il est effectivement possible de dégager certaines tendances dans les pratiquestouristiques, il est important de ne pas tomber dans la caricature du « Je suis touriste,donc j'agis de la sorte, je pense de la sorte, etc. » et de rappeler, comme le fait L'Equipe« Mobilités, Itinéraires et Territoires » de L'Université Paris 7 (Denis Diderot), que :

« Les touristes […] ne constituent pas un groupe, à proprement parler dans lamajorité des cas. Les touristes ne sont que des individus qui s'agrègent les unsaux autres du fait qu'ils entendent fréquenter les même lieux en même temps,sans pour autant que cette coïncidence crée de solidarité véritable, tout auplus une éphémère complicité. » (Equipe MIT, 2008, p. 76) « Cette appréciationdes individus par ce qu'ils font plutôt que par ce qu'ils sont est une manièreplus souple d'aborder le problème de leur pluralité et de leur qualification. Lesindividus ne constituent pas, en effet, des blocs monolithiques, opposés à lasociété, mais sont les porteurs d'action extrêmement différenciées […]» (Ibid, p.80) [l'emphase a été rajoutée]

Il ne s'agit pas non plus pour nous ici de nous prononcer sur le caractère positif ou négatifde ce phénomène d'hybridation culturelle, mais simplement de faire certains constats et detenter de les éclairer. Aurelia Wa Kabwe-Segatti rappelle à ce titre la difficulté (et mêmele risque potentiel) qu'il y a à adopter une lecture unique de tout fait social, d'autant plusqu'il s'agit, dans le cas présent, d'étudier un phénomène qui a trait à des échanges d'ordresubjectif entre touristes et commerçants locaux.

Ce serait par ailleurs faire preuve d'une extrême naïveté, voire d'un certainconservatisme, de penser qu'au jour d'aujourd'hui, à l'heure de l'intensification du volumedes échanges commerciaux et communicationnels internationaux, les cultures puissent seprévenir de toute forme d'influences mutuelles. Dans ce type de vision du monde, à lalimite du fantasme, chaque culture, chaque communauté, en se gardant de toute influenceextérieure, serait ainsi conservée dans son état d'origine ''authentique''. Les débats actuelssur l'identité nationale française et ceux sur ''l'échec du multiculturalisme'' en tant quemodèle social en Europe, semble pourtant laisser supposer que cette conception un peuparticulière du dialogue culturel (ou plutôt de la nécessaire absence de dialogue) ait fait sonchemin au sein d'une certaine partie de la classe politique occidentale. L'Equipe MIT revientà ce titre, sur les implications, notamment politiques d'un discours qui prônerait la ''virginité''des lieux et la ''muséification'' des cultures.

« Le discours sur la ''virginité'' permet de légitimer des politiques de miseen réserve des espaces, où les paysages et les populations sont censésêtre maintenus quasi intacts, c'est à dire figés dans leur développement,muséifiés afin de préserver leur ''authenticité'', laquelle ne s'appuie biensouvent que sur les formes les plus visibles et les plus superficielles de laculture (habillement, nourriture). La mise en réserve des territoires, qui setraduit par un flux touristique très faible voire nul, est également bien commodepour les responsables gouvernementaux. […] C'est aussi un très bon moyen

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pour l'Etat de contrôler des populations minoritaires vivant dans les zonesstratégiques » (Equipe MIT, 2008, p. 70) [l'emphase a été rajoutée]

Audrey Boucksom souligne également la dimension symbolique de ce type de discours, etne manque pas de relever une forme de paradoxe dans le comportement d'achat de certainstouristes à la recherche d'expériences ''authentiques''.

« Les personnes qui voyagent sur des continents considérés commeradicalement exotiques ont souvent une relation d'attirance-répulsion 54 enversles objets de souvenir » […] [Elles] ne se sentent pas à l'aise dans la peaud'un touriste, donc réfutent ce qui a trait à ce statut. Les curios en tant queobjets pour touristes, matérialisent ce sentiment. Ils sont ainsi rejetés par lestouristes qui paradoxalement les achètent en quantité »(Boucksom, 2010, p. 341)« Ainsi, les voyageurs occidentaux qui circulent dans les pays d'Afrique ou plusgénéralement ceux ''en voie de développement'', pays considérés comme les plusradicalement différents, ne veulent-ils pas d'objets pour touristes, car ces objetssont le symbole même de l'industrialisation ; ils veulent des objets différentsde ceux qu'ils trouvent chez eux. Cette imagerie simpliste et traditionaliste des''Autres'' utilisée par l'industrie touristique dans la promotion et la publicité deleurs voyages empêche les habitants des pays concernés de revendiquer uneidentité de peuples modernes, industrialisés, développés avec leurs modes de viecomplexes. » (Ibid, p. 339) [l'emphase a été rajoutée]

Il existe en effet une profonde contradiction entre cette recherche d' ''authenticité'' de la partde certains touristes et l' ''authenticité'' mise en scène qui leur est proposée dans la plupartdes lieux qu'ils visitent. Ainsi, Dean MacCannell introduit pour la première fois ce conceptde « staged authenticity » dans le champ de la sociologie du tourisme, dans un article parudans l'American Journal of Sociology en 1973. Selon lui il existerait donc une ''authenticitéobjective'', celle de l'objet ''original'' (quel qu'il soit : un objet d'artisanat traditionnel, unecérémonie, un costume, etc...), inaccessible aux touristes, dans la mesure où ceux-ciseraient incapables d'aller au delà de la façade artificielle de l'expérience touristique. Cettedernière correspond pour Daniel J. Boorstin à sa définition d'un « pseudo-évènement »(selon le concept qu'il développe dans son ouvrage intitulé The Image : A Guide to Pseudo-Events in America paru en 1961) : l'imitation qui finit par éclipser l'original. (Wang, 1999)Ainsi, le « touriste aime rarement l'authentique... produit de la culture étrangère ; il préfèreses propres attentes provinciales » 55 (Boorstin cité dans Wang, 1999, p. 352).

Pour certains auteurs, tels que Bruner, Cohen, Hobsbawn et Ranger, revendiquantune approche constructiviste dans le champ de la sociologie du tourisme, vont plus loinen envisageant le concept d'authenticité comme une construction sociale. Il n'existeraitpas, selon eux, de forme ''originale absolue'' figée d'une culture ou d'une tradition, à partirde laquelle il serait possible de définir une ''authenticité absolue'', qui servirait de baseobjective pour juger de l'authenticité de tel ou tel objet culturel. Pour ces auteurs, les notionsmême d' ''origine'' et de ''tradition'' sont elles aussi issues d'une construction sociale, et sontsans cesse réinventées selon le contexte et les besoins du temps présent. Ainsi, un objetconsidéré comme ''inauthentique'' ou artificiel pourra devenir, au fil du temps, ''authentique'',car caractéristique d'une époque, d'un lieu donné. De ce fait, le passage du temps finiratoujours par rendre authentique ce qui a été. De plus, « l'authenticité ou l'inauthenticité est

54 On retrouve ici un concept proche de celui de « fascination répulsive » mentionné dans l'article d'Hélène Quashie.55 « tourist seldom likes the authentic... product of the foreign culture ; he prefers his own provincial expectations »

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le résultat de la manière dont une personne voit les choses, de ses perspectives et de sesinterprétations. Ainsi, l'expérience de l'authenticité est pluraliste, relative à chaque type detouriste qui peut avoir sa propre définition, expérience et interprétation de l'authenticité »56 (Wang, 1999, p. 355). L'authenticité n'est donc rien de plus qu'une « projection » descroyances, des désirs, des attentes et des stéréotypes des touristes sur le lieu visité, surses habitants, et sur les éléments de la culture locale.

« Les touristes occidentaux ne payent pas des milliers de dollars pour voir desenfants mourir en Ethiopie; ils payent pour voir le noble sauvage, un produit deleur imagination »57(Bruner cité dans Wang, 1999, p.355)

Sans doute l'émergence de nouvelles formes de tourisme centrées autour de la visite decertains townships sud-africains (comme Soweto, contraction de ''SOuth WEst Township,situé au Sud-Ouest de Johannesburg) viendrait questionner la validité de cette affirmationde Bruner pour le cas du tourisme en Afrique du Sud. Cependant, si il est vrai que de plusen plus de personnes désirent expérimenter ''l'Afrique du Sud véritable'' en se rapprochantle plus possible de la réalité quotidienne d'une large part de la population locale, la plupartdes touristes participant à ces ''townships tours'' n'obtiendront qu'un aperçu très partiel etpartial du lieu.58En effet, à propos de ce genre de ''township tours'' dans la région de CapeTown Thomas Radovcic explique que :

« L'offre des agences de voyage reste limitée et les parcours proposés sontà quelques variantes près identiques. […]Les tours combinent des visites delogements pour prendre la mesure de l'urbanisme typique de l'apartheid (hostels,shacks, camps de squatters) et des nouveaux développements depuis 1994(maisons individuelles construites dans le cadre du RDP ou du N2 GatewayProject), des visites de projets communautaires (religieux, éducatifs, culturels)et des arrêts chez le sangoma (guerrisseur traditionnel) et dans un shebeenpour boire la bière traditionnelle (umqombothi) afin de profiter pleinement de''l'expérience du township''. Des arrêts dans les marchés d'artisanat local sontprévus, permettant aux touristes d'acheter leurs souvenirs africains. » (Radovcic,2010, pp. 38-39)

C'est un phénomène similaire à celui conceptualisé par MacCannell et Boorstin queAurelia Wa Kabwe-Segatti décrypte dans son étude des marchés spécialisés dans lavente d'artisanat et d'art africain en Afrique du Sud. Selon elle, ces derniers se distinguentdes autres types de marchés (comme les flea markets ou marchés aux puces dont ona pu parlé précédemment) par leur capacité à « mettre en scène l'Afrique » (« stageAfrica », p. 286) auprès d'un public majoritairement non-africain (l'auteure utilise à cetitre, un large vocabulaire scénique59 tout au long de sa description). Elle décrit en effetces marchés comme des lieux de performance au sein desquels tout est fait pour créer

56 « […] authenticity or inauthenticity is a result of how one sees things and of his/her perspectives and interpretations. Thus,the experience of authenticity is pluralistic, relative to each tourist type who may have their own way of definition, experience andinterpretation of authenticity »57 « Western tourists are not paying thousands of dollars to see children die in Ethiopia; they are paying to see the noble

savage, a figment of their imagination »58 Il faut noter cependant ici que les touristes seront davantage limités par le cadre des circuits organisés imposés par les agenceset compagnies de voyages, plutôt que par leur imagination et leurs attentes.59 « actors », « drama », « roles », « performances » (p. 294), « décor » (p. 299)

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une atmosphère spécifique qui correspondrait à une certaine image idéalisée, presquefantasmée de l'Afrique, une Afrique ''accessible'' à une clientèle en majorité touristique.En effet, contrairement aux autres types de marchés dont la clientèle est plus égalementrépartie entre les touristes internationaux et les « locaux », la clientèle des marchésd'artisanat africain est largement composée de touristes, à la recherche de souvenirs (ou« curiosités ») de leur passage en Afrique du Sud. L'ensemble des éléments constituant lecadre du marché, jusqu'à son architecture, explique l'auteure sera ainsi scrupuleusementpensé et participera d'une « simulation de l'Afrique » (p. 297) que les différents marchésdéclineront selon diverses variantes. Il s'agira en effet pour les commerçants et les gérantsdu marché de fournir une image du continent compréhensible par tous (car, en quelquesorte, familière), une version ''consommable'' de l'Afrique.

Cette simulation de l'Afrique, souligne l'auteure, est ainsi toujours dosée à la perfection,et tente de constamment maintenir un « subtile équilibre entre le chaos et l'ordre » (Ibid, p.294) associant des éléments d'ordre traditionnel (costumes, masques, etc...) et des repèresrelevant de la « modernité ». Si le visiteur n'a surement pas de mal à se prendre au jeuet se croire dans un ''authentique'' marché africain, un certain nombre de détails anodinssont scrupuleusement étudiés pour permettre le bon déroulement de l'échange marchandet le confort des touristes. Des éléments tels que les panneaux indiquant la direction destoilettes et autres dispositifs facilitant les règlements par carte bancaire rappellent ainsi auxtouristes attentifs le caractère très artificiel de leur expérience et l'objectif premier de leurvisite : celui de consommer.

L'usage du terme de « simulation » par l'auteure renvoie ici directement au conceptdéveloppé par Jean Baudrillard dans son ouvrage Simulacres et Simulations, paru en 1981.Dans ce type de mise en scène touristique, « les symptômes d'une chose [ ici l'Afrique] sont feints au point ou ces symptômes deviennent les seules expressions tangibles dela nouvelle réalité [de la chose] ». (Ibid, p. 299) En effet, dans le cadre d'un voyage oùbeaucoup de touristes passeront une grande partie de leur temps enfermé dans une voiture,un bus ou un centre commercial, ce bref échange avec un commerçant sur un marchéd'artisanat constituera peut être bien leur seule interaction avec les habitants locaux. De cefait, la représentation simulée de l'Afrique leur étant offerte à cette occasion demeura sansdoute à leurs yeux, leur seule expérience matérielle de la ''vraie Afrique''.

L'auteure utilise ici principalement l'exemple del'African Craft Market de Rosebank,situé au coeur de la ville de Johannesburg, dont elle évoque l'architecture du bâtimentfaisant référence à la fois à l'architecture du peuple Dogon du Mali (par l'utilisation de hautesstructures dans les tons proches des matières naturelles comme le sable ou la terre cuite),et aux matériaux de récupération utilisés dans les “townships” sud-africains.

Elle fait d'ailleurs remarquer, à ce sujet, que l'imitation de cultures ''exotiques'', oude certaines époques historiques se retrouve assez couramment dans l'environnementvisuel sud-africain, notamment dans l'architecture des lieux de loisirs, des centrescommerciaux et de certaines zones résidentielles. Il n'est ainsi pas rare de rencontrer, danscertaines métropoles sud-africaines (notamment dans la province du Gauteng) des ''gatedcommunities'' (complexes résidentiels clos et sécurisés) du nom (parfois mal orthographié)de ''Provence'' ou ''Toscane'' imitant le style architectural ''typique'' de différentes régions dusud de la Méditerranée. Le complexe touristique de Sun City (où les casinos côtoient lespiscines à vagues dans un décor en carton-pâte de cité en ruines perdue dans la jungleafricaine, ou encore le centre commercial de Montecasino à Johannesburg (reproduisantintégralement le décor d'un village ''traditionnel'' italien) font partie des exemples les plusfrappants du genre de ''simulations'' que peuvent offrir les paysages d'Afrique du Sud.

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L'African Craft Market de Rosebank vu de l'extérieur et de l'intérieur. En haut de laphoto du bas, on devine deux écriteaux, portant les mentions « credit cards accepted »et « This is Africa. We bargain » (Crédit photographique : d'Urban)

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Le complexe touristique de Sun City (au Nord-Ouest de Johannesburg)Sur les marchés d'artisanat, explique Wa Kabwe-Segatti, « les acteurs principaux de

cette mise en scène africaine, les commerçants, ont, au fil des années, appris à incarnerhabilement leurs rôles ».60 (p. 294) Ces derniers se pareront ainsi des costumes et autresbijoux traditionnels en vente dans leurs échoppes, et « certains d'entre eux tenteront d'attirerla clientèle vers leurs stands à l'aide du son résonnant typique des percussions ouest-africaines »61 (p. 294). Les vendeurs africains et sud-africains se trouvent être, bien souvent,les premiers à intérioriser et à reproduire la vision stéréotypée des touristes à leur égard.Ils ne disposent ainsi que d'une faible marge de manoeuvre pour proposer des imagesalternatives de l'Afrique, se cantonnant le plus souvent aux rôles leur ayant été assigné, dufait même de la couleur de leur peau, par le personnel en charge de la gestion des marchéset les clients.

60 « The main actors in this African ''drama'', the traders, have, over the years, learnt how to embody their roles skilfully »61 « Some of them draw customers to their stalls thanks to the typical reverberating sound of West African drums »

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Dans cet environnement particulier que sont ces marchés, le commerçant ainsi quela manière dont il va se mettre personnellement en scène sont presque aussi importantsque le produit en lui même, en tant qu'ils attesteront de l' ''authenticité'' de ce dernier.De l'apparence ''authentique'' du vendeur dépendra l'authenticité du produit ainsi que latransformation d'un simple échange commercial en une véritable expérience touristique,une sorte de rencontre simulée avec « L'Afrique ». Audrey Boucksom souligne en effetle même phénomène à propos des commerçants Touaregs au Niger, n'hésitant pas àutiliser leurs habits traditionnels (leurs célèbres pantalons bouffants, tuniques longues etturbans indigo) comme un outil stratégique pour attirer les touristes. L'auteure cite à cesujet l'exemple d'un marchand d'artisanat d'art basé à Niamey ayant « accusé un refuscatégorique de la part d'un touriste français [ … ] parce qu'il n'était pas habillé comme unTouareg » (Boucksom, 2009, p. 330) Une situation assez similaire est décrite par ThomasRadovcic. Celui-ci évoque en effet l'une de ses rencontres avec un vendeur de souvenirs,sud-africain coloured musulman, installé sur le Greenmarket Square de Cape Town depuisune quinzaine d'années. Négociant auparavant directement avec les touristes, ce dernier avu ses ventes décoller après avoir engager, pour vendre ces objets d'artisanat africain, desemployés noirs originaires de Zambie. « Les touristes s'attendent à voir un Noir leur vendredes souvenirs sur le marché. Ils veulent goûter à l'expérience africaine et cela impliquequ'un Noir gère le stand, pas un Coloured. » (p. 71), expliquait-il à Thomas Radovcic.

L'appartenance ethnique du vendeur semble avoir ici toute son importance pour quel'expérience de l'échange soit réellement considérée comme ''authentique'' par les touristes.Ainsi, si le succès de l'échange commercial est lié en grande partie à l'authenticité apparentedu commerçant, il est facile de comprendre que ces derniers n'hésitent pas à se mettre enscène et à user de leur attributs culturels afin d'assurer leur survie économique62

Rolande Bonnain-Dulon évoque un processus similaire de fabrication a posteriori del'authenticité, dans son article Art Primitif : prix du désir, prix de l'objet. Dans le cadre d'uneétude sur les circuits de vente privée d'« objets d'art primitifs » et les critères de définition duprix de ces objets, celle-ci montre en effet que ce n'est souvent qu'après être passé entreles mains de tel ou tel collectionneur, que l'objet n'acquerra, aux yeux des connaisseurs,sa qualité d'« authentique ».

De ce fait, afin de satisfaire toujours davantage la demande d'authenticité de leurclientèle touristique, certains commerçants en provenance d'autres pays africains quel'Afrique du Sud63 auront tendance à dissimuler leur identité auprès des touristes à larecherche d' ''authentiques'' commerçants sud-africains. A l'inverse, il n'auront de cesse dela mettre en valeur en présence de certains touristes, dans l'éventualité où cela pourraitorienter positivement l'issu de l'échange commercial. C'est ce que l'on pourra par exempleobserver dans le cas de commerçants en provenance de pays d'Afrique francophone, qui enprésence de touristes français, belges ou suisses, n'hésiterons pas à valoriser leur maitrisede la langue française. Cette sorte de jeu identitaire peut même parfois donner lieu à dessituations des plus humoristiques. Ainsi l'auteure évoque-t-elle, non sans une pointe desarcasme, « l'une des situations stéréotypiques pouvant s'observer sur les marchés sud-africains d'artisanat africain » celle d'« un commerçant camerounais, se faisant passer pourun réfugié congolais, vendant des imitations de masques traditionnels sénégalais fabriquésen Chine, à un designer d'intérieur sud-africain souhaitant donner une ''saveur africaine''

62 Cette question de l'absence de choix économique est soulignée par Noel Salazar dans un article au sujet de la mise entourisme de la culture Maasaï.

63 Ceux-ci constituant la majeure partie des vendeurs de l'African Craft Market, les marchés d'artisanat sud-africains s'étantlargement ''cosmopolisé'' avec l'arrivée massive de commerçants immigrés en provenance d'autres pays d'Afrique Noire.

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à une guest house destinée à l'accueil de touristes internationaux. » (Wa Kabwe-Segatti,2009, p. 301)

Ce phénomène de négociations identitaires à travers l'intermédiaire de la transactionmarchande, est assez similaire au types d'échanges commerciaux et symboliques décritspar Emmanuel Ma Mung dans son étude sur les entrepreneurs issus de l'immigrationinstallés en pays étranger (et plus particulièrement le cas des commerçants nord-africains implantés en France). Dans ce type d'échange commercial, « le statut social deséchangistes n'est pas seulement celui d'un distributeur et d'un consommateur » expliqueEmmanuel Ma Mung « Dans la transaction marchande s'en réalise une autre. La premièreest le moyen d'une seconde dans laquelle se négocient, à travers les ''objets'' échangés, lesreprésentations réciproques des groupes auxquels appartiennent les échangistes ». (MaMung, 2006) De même, sur un marché d'artisanat, à travers les objets achetés et vendus,s'échangent également les différentes représentations que le commerçant et le client ontl'un de l'autre. Car s'« il y a une caractérisation ethnique du commerçant de la part duclient [ … ] il y en a une symétrique de la part du commerçant à propos du client ». (MaMung, 2006) Les stéréotypes fonctionnent en effet à double sens et si pour les touristesoccidentaux les commerçants africains matérialisent leur vision stéréotypée du continent,beaucoup de vendeurs interviewés par Aurelia Wa Kabwe-Segatti appréhendaient leursclients de manière différente selon leur nationalité.

“Les américains et les allemands sont les ''meilleurs acheteurs'', les français, lesitaliens et les hispaniques aiment beaucoup marchander et discuter, les indienssont considérés comme ''difficiles et méchants'' et les chinois sont ''compliqués''parce qu'ils arrivent généralement en groupes, achètent beaucoup de chosesmais à des prix très bas » (Wa Kabwe-Segatti, 2009, p. 295)64

Comme dans toute forme d'interaction sociale, les stéréotypes fonctionnent à double sensdans la mesure où chacune des deux parties perçoit l'autre selon un certain nombre decaractéristiques qu'elle lui attribue. Ainsi, Hélène Quashie note dans une étude menéesur les interactions entre expatriés occidentaux installés au Sénégal et les populationslocales, que si les ressortissants occidentaux perçoivent leurs voisins locaux selon uncertain nombre de clichés et d'idée reçues, ces derniers n'en ont pas une vision moinsstéréotypée du ''Blanc'' désigné familièrement par le terme local de ''Toubab''. « D'unemanière générale, explique l'auteure les stéréotypes suggérés par le terme toubab (qui nesont pas propres aux représentations élaborées par la société sénégalaise) renvoient auxperceptions suivantes : l'individu occidental court toujours après le temps, ne croit pas enDieu, ne sait pas s'habiller avec élégance, est irrespectueux de sa famille. Cet idéal-typeconstruit le portrait inverse de celui qui est attribué à l'individu africain, issu de l'imaginairesocial occidental réapproprié en partie localement » (Quashie, 2009, p. 531)

Il ne s'agit donc pas encore ici de tomber dans le cliché du ''mauvais touriste'' occidentalbourré de préjugés qui projetterait son imaginaire préconçu sur des populations locales quin'auraient, du reste, rien demandé. Cela serait d'autant plus réducteur que les ''locaux'', icidonc les commerçants sud-africains et originaires d'autres pays d'Afrique, seraient perçuscomme des individus passifs. En effet dans un contexte marchand, comme celui de l'activitétouristique, le commerçant sera capable d'adapter son offre touristique (comprenant lesproduits d'artisanat mais également l'image qu'il donne de lui même) en fonction des

64 « Americans and Germans are the ''best buyers'', French, Italians and Spaniards like to bargain and chat a lot, Indians

are considered ''difficult and mean'' and Chinese are ''complicated'' because thay come in large groups, buy a lot but at

very low prices »

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attentes qu'auront les touristes vis à vis de lui (ou du moins en fonction de ce que lui percevracomme les attentes de touristes). Ainsi, tel que formulé par Adrian Franklin et Mike Crang,le tourisme « c'est la préparation des gens à voir d'autres lieux en tant qu'objets touristiques,et la préparation de ces lieux pour être vus » 65 (cités dans Salazar, 2009, p. 50)

Par ailleurs, Aurelia Wa Kabwe-Segatti précise qu'étant donné le contexte historiqueparticulier de l'Afrique du Sud, la négociation des identités ne s'effectue pas seulement entreles touristes et les commerçants, mais également entre les commerçants et la clientèlelocale (majoritairement composée de sud-africain ''non-noirs''). L'image « monolithique maisrassurante » (p. 299) de l'Afrique donnée à voir sur ces marchés d'artisanat africain (cetteimage d'une Afrique à la fois « primitive, créative, décorative » et « moderne ») n'estpas seulement la version sud-africaine d'une vision euro-centrée de l'Afrique mais résulted'une tradition d'essentialisation des différentes catégories ethniques héritée du régimed'Apartheid.

L'auteure fait également le lien entre le développement des marchés d'artisanat africainet la satisfaction d'un « besoin d'Afrique » (p. 294), besoin ne provenant pas uniquement,selon elle, d'une attente internationale (sur le plan touristique) mais bien, également, d'unedemande nationale, liée à un contexte post-Apartheid, de renouveau de l'identité sud-africaine. Ainsi, en Afrique du Sud, l'industrie touristique, et à travers elle la valorisation dela diversité culturelle du pays (notamment par l'exploitation de la rhétorique de la ''RainbowNation'') participerait d'un processus de (re)construction de l'identité et de l'image nationales,fortement ternies par les exactions de l'ancien régime ségrégationniste.

65 « it is the preparation of people to see other places as objects of tourism, and the preparation of those places to be seen »

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Conclusion

Il semble donc que l'on en vienne au même type de conclusions qu'Aurélia Wa Kabwe-Segatti. En effet si les marchés d'artisanat et d'art africain sont, dans un contexte sud-africainde montée de la violence xénophobe à l'encontre des migrants en provenance d'autrespays africains, l'un des seuls espaces de cohabitation pacifique entre ces derniers et lapopulation locale, ils ne semblent pas être le lieu de production et de diffusion d'une imagerenouvelée de l'Afrique et de ses habitants. Cette simulation de l'Afrique qu'ils donnentà voir à une clientèle touristique mais aussi locale tend au contraire à reproduire lesreprésentations stéréotypées qui ont formé la base des campagnes de communication del'industrie touristique sud-africaine depuis plusieurs décennies (on remonte à des tempsantérieurs à l'abolition de l'Apartheid).

Comme le soulignent Ciraj Rassool et Leslie Witz, l'Afrique du Sud sembleinévitablement, de par son appartenance géographique au continent africain, devoir seréduire dans les discours touristiques et médiatiques à un nombre limité de ses attributs :la beauté de ses paysages naturels, la diversité de sa faune sauvage et la richessede son patrimoine culturel et ''ethnique''. Outre son histoire de violente répression, dediscriminations et de ségrégation raciale (qui a donné lieu à l'émergence d'un champtouristique spécifique), la seule différence entre ce tableau touristique de l'Afrique du Sudet celui dépeignant le continent noir dans l'imaginaire occidental réside dans le niveaud'infrastructures et d'industrialisation de la Nation Arc-en-Ciel. C'est ainsi, ce qui permet àl'Afrique du Sud d'être la vitrine touristique du reste du continent et de permettre aux touristesd'expérimenter l'Afrique primitive et sauvage en hôtel quatre étoiles. Tout se transforme alorsen objet d'une mise en tourisme, d'une mise en spectacle. La culture devient attraction et le''primitif'', si convoité par les touristes, se pare d'un « emballage » (Rassool et Witz, 1996, p.342) moderne devenant de ce fait davantage accessible à tous et plus facile à ''consommer''.

Il semblerait donc, en observant les dynamiques à l'oeuvre dans l'exploitationtouristique de l'activité artisanale en Afrique du Sud, que le tourisme ne facilite pastant que cela la compréhension mutuelle entre les voyageurs et les populations locales.L'activité touristique est très certainement un « instrument d'interaction humaine » (UNWTO)dans la mesure où celle-ci, en produisant des images pré-conçues des lieux mis entourisme, des populations et de leurs cultures, influence et transforment les habitudeset les comportements. La transformation progressive des produits touristiques (commeles objets souvenirs) résultant d'un processus d'hybridation culturelle est un exempledu type d'échange que peut permettre l'activité touristique entre les cultures. Mais cetteinteraction n'apparaît pas comme le vecteur potentiel d'une meilleure compréhension entreles sociétés. Au lieu de cela le tourisme ne semble pas offrir mieux qu'une mise en scènede dialogue culturel, qu'une rencontre simulée avec l'Autre, permettant la reproduction desstéréotypes socioculturels véhiculés à la fois par les touristes au sujet des populationslocales et par les locaux au sujet des visiteurs étrangers.

« Des paysages africains immaculés avec de pittoresques toits de chaume […]s'attendre à entendre les tambours à peine arriver en Afrique avec des africainsdansant rythmiquement sur leur cadence ininterrompue. That is Africa. Voilàl'Altérité pour laquelle ils sont prêts à dépenser de l'argent. Voilà l'imaginaire

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Conclusion

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auquel les tours-opérateurs doivent faire appel dans leurs brochures afin depersuader leurs clients/touristes de réserver un séjour avec eux. »66

66 « Pristine African landscapes with the pituresque thatched roof […] expect to hear the drums the minute they arrive

in Africa, with Africans rhythmically dancing to its ongoing cadenza. That is Africa.That is the Otherness […] for which

they are prepared to pay money. This is the imagery to which the tour-operators have to relate in their brichures in order

to persuade clients/tourists to book a holiday with them » (Harry Wels cité dans Salazar, 2009, p. 51) [l'emphase a été

rajoutée]

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Annexes

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Annexes

Annexe 1 – Les neuf provinces d'Afrique du Sud

Annexe 2 – Poverty and Inequality in South AfricaFew days from now, South Africa will be hosting the nineteenth FIFA World Cup, the firstever held on African soil, attracting thousands of tourists and soccer fans. But if this globalevent is officially worshipped as an unprecedented social and economical opportunity forSouth Africa, as it is expected to create several hundreds of thousands of jobs, the realityfor everyday South Africans is rather very different.

In the shadow of the brand-new stadiums, which construction has resulted in agovernment expenditure of R9 841 millions (around US$1 280 million – figures given onFebruary 2008, which have probably been subject to more recent increases) (South AfricanGovernment, March 2008) and in the eviction of hundreds of urban poor from city centres

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to temporary relocation areas (Rodrigues, 2010; Smith, 2010), great poverty endures as,in 2000, 4 972 000 people were estimated to live under US$1 per day, and 15 136 000under US$2 per day (which corresponds respectively to 11,3% and 34,4% of the population)(South Africa MDG Report, 2005). Thus, as only 3% of the tickets available for the WorldCup have actually been sold to South Africans, South Africa is the first hosting nation inthe history of the World Cup not to be topping the tickets sale list (Webb, 2010), as a largemajority of the population will not be seeing more of the event than the large advertisingcampaign launch in its occasion.

But South Africa has more world records to its name. If the country can certainly beproud of its cultural richness and of its 11 official languages67 (well translated in its famousappellation of “rainbow nation”), it is unfortunately mostly renown for its sky-high level ofcriminality (50 murder and 194 sexual assault per day in 2008/2009) (South African Police,2009) and HIV-AIDS prevalence. Thus, in 2007, out of a population of 48 577 000, between4 900 000 and 6 600 000 South Africans were estimated to be living with the virus, whichcorresponds to an infection rate situated between 10.1% and 13.6% of the population (WorldHealth Organisation, 2008).

Furthermore, its upper-middle-income country's GNI per capita of US$5 820 (WorldBank, 2008) hides numerous social and economical disparities, as summarised by itsincredibly high Gini coefficient of 5.9 (one of the highest in the world) (South Africa MDGReport, 2005) as well high level of unemployment (34.2% in the last quarter of 2009, basedon the expanded definition of unemployment that include people which stopped looking forjobs after a long period of unemployment – approach that better encompasses experiencesof despair and powerlessness associated with long term unemployment) (Reuters, 2010).

If those inequalities are determined by different factors such as gender or location(rural/urban), “race” still remains the most important fracture line in South Africa. But asracial inequalities are, undeniably, legacies of the country's long history of institutionalisedracism, racial segregation and dispossession under colonial domination and Apartheidlaw, the recent country's opening to global markets and adoption of neo-liberal policieshave participated actively in the persistence of such inequalities, and have, at best, beinginefficient to reduce poverty and unemployment.

- - -One of the first practical issues that one faces when studying poverty and inequality

is the one of conceptualising those notions, and assessing their prevalence in the specificsociety that is being analysed. Indeed, if conceptual discussion around the definition andthe extent of poverty and inequality might seem as irrelevant theoretical concerns, it is, onthe contrary, very much relevant, as it comprises great impact on policies orientation andimplementation.

Thus, in relation to the assessment of poverty levels in South Africa, if the globalthresholds of US$1/day and US$2/day defined by the World Bank have become widespreadways of measuring poverty as providing means of absolute comparison at a global level, theydo not however quite encompass the complexity and multidimensional aspect of poverty, andits link with social and economical inequalities. (May, Woolard & Klasen, 2000; Poverty andInequality Report, 2003) The insufficiency of this type of absolute money-metric measures isis indeed very well highlighted when compared with other relative money-metric approachesto poverty. Thus, in 2000, while, as based on the World Bank's US$2/day poverty line, around35% of the South African population were considered as living in poverty, the South African

67 Afrikaans, English, Southern Ndebele, Northern Sotho, Southern Sotho, Swazi, Tsonga, Tswana, Venda, Xhosa, Zulu.

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Bureau of Marketing Research (based on a Minimum Living Level set at R1 489 per monthper household of 4.7 people – taking more consideration of the specific economical contextof the country) was lifting the proportion of poor people up to 46% of the population (Povertyand Inequality Report, 2003).

But even relative, these kinds of money-based quantitative approaches are merelytranslating poverty into “a tangible entity” capable of being “captured by measurement”,“abstracting poverty from people and obscuring the social processes that make certainpeople subject to its effects”. (Green, 2006, p. 112) It is indeed, specifically in the SouthAfrican context, crucial to understand poverty as being intrinsically linked with the issue ofinequality, and as being inherently differential and relative.

This multidimensional aspect of poverty can be captured by more participativeapproaches, as it had been undertook by the South African Participatory PovertyAssessment (SA-PPA). (May, 2000) In this report, poverty was then felt by people as beingassociated with feelings of uncertainty and powerlessness alienation and marginalisationfrom the rest of the community, food and job insecurity, fragmentation of the family (in a lotof cases indeed, fathers or both parents are working in big cities while children stay to livein rural areas with the extended family) and so on... (May, 2000) Better understanding ofpeople's experiences of poverty and the way it relates to social and economical inequalities,as well as better consideration of their own view on their situation, constitute thus key basesfor more efficient policies, policies that would really match people's expectations and realneeds.

Its particular history of systematic legal racial categorisation of people (split between thefour racial groups – Whites, Blacks, 'Coloured' and Indians – established by the PopulationRegistration Act in 1950) and of institutionalised racial segregation and violence makes ofSouth Africa a specific case when dealing with issues of poverty and inequality. Thus, wealthas well as access to other assets (such as land or business ownership) or services (suchas education, health, water and sanitation...), are still very much distributed along raciallines, as legacies of systematic divisions between whites and non-whites under Apartheidlaw (Hendricks, 2003). Thus, if since the first universal, free and democratic elections heldin 1994 – when Nelson Mandela's African National Congress replaced the National Partygovernment of Frederick Willem De Klerk – South Africa has been completely transformedat a political level, relatively peacefully assuring the transition from more than a century ofwhite domination and racial segregation to a real inclusive democratic regime, successiveSouth African governments have not, however, managed to deal with Apartheid's social andeconomical legacy of racial inequalities.

The sensitive issue of land ownership (point on which South Africa has a lot in commonwith Australia) is a good example of the perpetuation, in Post-Apartheid South Africa, ofpast unequal patterns of wealth and assets distribution. As the Native Land Act of 1913and 1936, further prolonged by the Group Areas Act of 1950, established a system of so-called 'independent' black African reserves (Homelands or Bantustans) as well as raciallyseparated urban ghettos or townships in major cities, an estimated number of 3 millionpeople were forcedly, dispossessed from their land, displaced and relocated into their'designated areas' – the sum of which merely reach 13% of the whole South African territory(James & Lever, 2001). But out of the 30% of land promised by the ANC (as part of theparty's electoral program) to be redistributed to black African ownership, less than 1.2% areestimated to have been actually redistributed by 2000 (Land Redistribution Report, 2003).Deterred by the drastic example of violent appropriation of white land in the neighbouringcountry of Zimbabwe, land redistribution policies have then always remained very cautious

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in South Africa. Most of the failure of the Settlement/Land Acquisition Grant (SLAG – policiesimplemented from 1994 on the advice of the World Bank) policy have then be attributed todifference between market-value (the price invested by households in the land) and actual“productive value” of the lands (what households could get out of their purchased land), verylimited budgets put into State subsidies, as well as staff shortage and lack of qualificationpredominant in South African administration.

Here again, in relation to education, past differential treatments between Whites andBlack Africans (specifically under-educated in separated institutions so as to becomeconvenient servile labour force for white industries) pre-determine and hamper socialprogress. Thus, even though substantial progress have been made in terms of access toprimary education, translated by an overall literacy rate of 95% (Unicef, 2008), when it comesto secondary and tertiary education, access remains greatly differentiated according to racialfactors.

Moreover, this lack of educational access and especially the lack of access to secondaryand tertiary education largely accounts for high levels of unemployment in the country andamong Black South Africans, as well as the racial distribution of the labour market betweenformal and informal employment. Failure to substantially reduce the level of unemploymentdue to inadequacies between numbers and skills requirements of created jobs and numbersand skill levels of job-seekers (Friedman, 2005), participates then actively in the perpetuationof poverty, as inherited inequalities still largely determine patterns of job and incomedistribution.

Thus, Black South Africans remains the most vulnerable group in relation tounemployment, as constituting, in 2003, 87.5% of the unemployed population (against 2.7%for white people), while factor of race come often to interact with others such as genderand rural location (National Labour & Economic Development Institute, 2004). As for theracial distribution of the job market, here again, Black South African continue to be under-represented in formal employment (as 62.3% of them are involved in the formal sector asopposed to 93.6% for the white population), and over-represented in the informal sector(25.6% of them as opposed to 5.6% of whites) in which almost half of them (11.4%) areemployed as domestic workers (not only maintaining high levels of job insecurity but alsoperpetuating past patterns of unequal power relationships between races) (National Labour& Economic Development Institute, 2004).

Therefore, in order to work toward a reduction of present social inequalities andinjustices, the successive governments have come up with legislative frameworks andinstruments, aimed at counterbalancing effects of past racial discrimination by facilitating(based on principles of affirmative action) blacks' active participation in South African society.A wide range of social and economical sectors have thus been covered, such as education(A Programme for the Transformation of Higher Education, 1997) the Administration andPublic Services (Transformation of the Public Service, 1998 and Affirmative Action in thePublic Service, 1998) as well as the Labour Market (encompassing here both private andpublic sector) with the controversial implementation of the Employment Equity Act, 1998(Thaver, 2006)

Controversial indeed, as what has become to be seen as 'black preferentialtreatment' (by the means of numerical objectives set in each company in terms of equalracial representation and distributions of responsibilities, as well as required procedures inrelation to consultation with trade unions and employees representative bodies) has beenthe target of a huge amount of dissatisfaction and sense of unfairness, especially from the

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part of the coloured population, historically subjected to a lesser degree of discrimination,while still victims of inequalities (Thaver, 2006).

A lot of critics have also been formulated in relation to the actual results of those policies,wondering whether they have effectively participated in increasing black South Africans'involvement in different sectors of the economy and society, as two types of approaches tothe issue of affirmative action have progressively emerged. Thus, a lot of those policies havebeen inspired by the principle of 'black economic empowerment', focusing on facilitatingcreation and advancement of small and medium scale enterprises, so as to extend thebeneficial effects of affirmative action to the largest part of the population, participating inthis way in the reduction of poverty and inequality (Thaver, 2006).

However, numerous initiatives have been primarily focusing on facilitating capitalaccumulation for black individuals at the higher levels of economy and industry, basedon the belief that control of capital and assets of the economy should reflect the generaldemography (Thaver, 2006), raising then discussions to determine whether they actuallybenefited the most needed part of the population or simply replace the white elites by newblack ones.

Further legal challenges have as well emerged regarding such policies, insisting on thefact that it exists, in the very text of the South African Constitution, an inherent contradictionbetween the principle of affirmative action, constitutionally justified by the possibility ofestablishing “mechanism and structures required for the implementation of […] democraticprinciples” (Thaver, 2006, P. 157), and the one of non-discrimination, re-asserted in Section9 of the South African Bill of Rights. Nevertheless, although this legal argument might belegitimately founded, considering the persistence of such stereotypes based on scientificracism assumptions that while a white candidate for a work position would be a guaranteeof excellence, a black candidate would be perceived as being a requirement rather than achoice motivated by quality and merit, affirmative action measures appears to be greatlyneeded. However such policies should not be considered as “an end in itself” nor as a longterm solution, but rather as “a mean to an end”, in working toward achieving social andeconomical equality (Thaver, 2006, p. 153).

But one can not just look at history to explain South Africa's present woes, as thecountry socio-economic crisis, although originating in structural inequalities resulting frompast regime of racial segregation and discrimination, has been largely fuelled by SouthAfrica's opening to global markets from 1994 and by the implementation of neo-liberalpolicies that has resulted from it.

Indeed, although hiding behind a very attractive denomination, the Growth, Employmentand Redistribution policy (GEAR) initiated in 1996, the South African version of IMF'sStructural Adjustment Policies, has prioritised economic growth over infrastructuredevelopment and wealth redistribution, introducing measures such as reduction of publicspendings, privatisation of state-own industries, regulation of taxes and prices (includingwages), so as to attract foreign investments (Rahman, 2003).

However, this last objective has actually not been achieved, as factors of socialinstability, crime levels, social inequalities and public health crisis (with the impact of thepandemic of HIV AIDS) have deterred a large number of long-term investors (Rahman,2003). Very ironically, it is then precisely the issues that have been deepened byglobalisation effects and neo-liberal policies, that have hampered the implementation andthe success of such policies.

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Rather, trade liberalisation and opening to global markets have been contributing torising levels of unemployment, as a result of job losses due to local companies havingto unfairly compete with the introduction of new cheaper imported goods. Large dismissalplans, added to the government's refusal of implementing a minimum wage due to monetaryrestrains, as well as an increase of commodities prices (like food) have then resulting in anincrease in levels of wealth inequalities and poverty (Triegaardt, 2008).

In addition, the tacit alliance between the ruling African National Congress (ANC) theSouth African Communist Party and the Congress of South African Trade Unions (COSATU)have, further, diluted to quite a large extent the opportunities for social protestation(Triegaardt, 2008). But as argued by Steve Friedman, in the case of South Africa, identityinterests had a lot to do with the embrace of neo-liberal theories of growth and 'westernways of governing'. Indeed, rather than resulting from “an inevitable adjustment to toglobalisation” (Friedman, 2005, p. 26) the GEAR policy as well as other market-orientedpolicies originated more from the proud will of black African leaders to destroy whites'assumptions about black governments being inevitably unable to govern an industrialisedcountry. “Ironically”, said Friedman, black governments could “only dispel the myths bydemonstrating competence on white terms” (Friedman, 2005, p. 26), by adopting Northernmodels of political and economical governance.

- - -In conclusion, as seen previously in this essay, while South Africa has quite successfully

completed its transition toward democracy and equal political rights, legacies of Apartheid'sracial discrimination and oppression, deepened by the effects of Globalisation and tradeneo-liberalisation, are still very tangible in patterns of wealth and assets distribution. Plaguedby high levels of unemployment, poverty and inequality, based on racial, gender and locationfactors, South African society remains greatly unstable, as violence is daily jeopardisingpast political and social advancements. Getting the country out of that vicious circle wouldnecessitate a multi-level approach, consisting in increased government investments in socialwelfare, development projects (in various sectors such as housing, education, public healthinfrastructures, water and sanitation provision...) and legal frameworks of affirmative action,as well as, at a more local level, a focus on creating more efficient structures of political andsocial representation for vulnerable populations, so as to match wider policies with peoples'experiences and needs.

(Essai écrit par Lucille Fabre en mai 2010, dans le cadre du module de coursGlobalization, Development and Culture, à l'Université de La Trobe (Melbourne - Bundoora)

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Annexe 3 – Discours de Nicolas Sarkozy a l'Universitede Dakar, 26 juillet 2007

M. LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE�Mesdames et Messieurs,Permettez-moi de remercier d'abord le gouvernement et le peuple sénégalais de leur

accueil si chaleureux. Permettez-moi de remercier l'université de Dakar qui me permet pourla première fois de m'adresser à l'élite de la jeunesse africaine en tant que Président dela République française. Je suis venu vous parler avec la franchise et la sincérité que l'ondoit à des amis que l'on aime et que l'on respecte. J'aime l'Afrique, je respecte et j'aime lesAfricains. Entre le Sénégal et la France, l'histoire a tissé les liens d'une amitié que nul nepeut défaire. Cette amitié est forte et sincère. �C'est pour cela que j'ai souhaité adresser,de Dakar, le salut fraternel de la France à l'Afrique tout entière. Je veux, ce soir, m'adresserà tous les Africains, qui sont si différents les uns des autres, qui n'ont pas la même langue,qui n'ont pas la même religion, qui n'ont pas les mêmes coutumes, qui n'ont pas la mêmeculture, qui n'ont pas la même histoire et qui pourtant se reconnaissent les uns les autrescomme des Africains. Là réside le premier mystère de l'Afrique.

Oui, je veux m'adresser à tous les habitants de ce continent meurtri et en particulier auxjeunes, à vous qui vous êtes tant battus les uns contre les autres et souvent tant haïs, quiparfois vous combattez et vous haïssez encore mais qui pourtant vous reconnaissez commefrères, frères dans la souffrance, frères dans l'humiliation, frères dans la révolte, frères dansl'espérance, frères dans le sentiment que vous éprouvez d'une destinée commune, frèresà travers cette foi mystérieuse qui vous rattache à la terre africaine, foi qui se transmetde génération en génération et que l'exil lui-même ne peut effacer. �Je ne suis pas venu,jeunes d'Afrique, pour pleurer avec vous sur les malheurs de l'Afrique. Car l'Afrique n'a pasbesoin de mes pleurs. Je ne suis pas venu, jeunes d'Afrique, pour m'apitoyer sur votre sortparce que votre sort est d'abord entre vos mains. Que feriez-vous, fière jeunesse africaine,de ma pitié ? Je ne suis pas venu effacer le passé car le passé ne s'efface pas. Je ne suispas venu nier les fautes ni les crimes car il y a eu des fautes et il y a eu des crimes.

Il y a eu la traite négrière, il y a eu l'esclavage, les hommes, les femmes, les enfantsachetés et vendus comme des marchandises. Et ce crime ne fut pas seulement un crimecontre les Africains, ce fut un crime contre l'Homme, ce fut un crime contre l'Humanité toutentière. Et l'Homme noir qui éternellement « enten[d] de la cale monter les malédictionsenchaînées, les hoquettements des mourants, le bruit d'un qu'on jette à la mer », cet Hommenoir qui ne peut s'empêcher de se répéter sans fin : « Et ce pays cria pendant des sièclesque nous sommes des bêtes brutes », cet Homme noir, je veux le dire ici à Dakar, a levisage de tous les Hommes du monde. Cette souffrance de l'Homme noir (je ne parle pasde l'homme au sens du sexe, je parle de l'Homme au sens de l'être humain et, bien sûr, dela femme et de l'homme dans son acception générale), cette souffrance de l'Homme noir,c'est la souffrance de tous les Hommes. Cette blessure ouverte dans l'âme de l'Homme noirest une blessure ouverte dans l'âme de tous les Hommes.

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Mais nul ne peut demander aux générations d'aujourd'hui d'expier ce crime perpétrépar les générations passées. Nul ne peut demander aux fils de se repentir des fautes deleurs pères. Jeunes d'Afrique, je ne suis pas venu vous parler de repentance. Je suis venuvous dire que je ressens la traite et l'esclavage comme des crimes envers l'Humanité. Jesuis venu vous dire que votre déchirure et votre souffrance sont les nôtres et sont doncles miennes.

Je suis venu vous proposer de regarder ensemble, Africains et Français, au-delà decette déchirure et au-delà de cette souffrance. Je suis venu vous proposer, jeunes d'Afrique,non d'oublier cette déchirure et cette souffrance qui ne peuvent pas être oubliées, mais deles dépasser. Je suis venu vous proposer, jeunes d'Afrique, non de ressasser ensemble lepassé mais d'en tirer ensemble les leçons afin de regarder ensemble l'avenir. Je suis venu,jeunes d'Afrique, regarder en face avec vous notre histoire commune.

L'Afrique a sa part de responsabilité dans son propre malheur. On s'est entretué enAfrique au moins autant qu'en Europe. Mais il est vrai que jadis les Européens sont venusen Afrique en conquérants : ils ont pris la terre de vos ancêtres, ils ont banni les dieux, leslangues, les croyances, les coutumes de vos pères, ils ont dit à vos pères ce qu'ils devaientpenser, ce qu'ils devaient croire, ce qu'ils devaient faire. Ils ont coupé vos pères de leurpassé, ils leur ont arraché leur âme et leurs racines. Ils ont désenchanté l'Afrique.

Ils ont eu tort. Ils n'ont pas vu la profondeur et la richesse de l'âme africaine. Ils ont cruqu'ils étaient supérieurs, qu'ils étaient plus avancés, qu'ils étaient le progrès, qu'ils étaientla civilisation. Ils ont eu tort. Ils ont voulu convertir l'Homme africain, ils ont voulu le façonnerà leur image, ils ont cru qu'ils avaient tous les droits, ils ont cru qu'ils étaient tout puissants,plus puissants que les dieux de l'Afrique, plus puissants que l'âme africaine, plus puissantsque les liens sacrés que les Hommes avaient tissés patiemment pendant des millénairesavec le ciel et la terre d'Afrique, plus puissants que les mystères qui venaient du fond desâges. Ils ont eu tort. Ils ont abîmé un art de vivre. Ils ont abîmé un imaginaire merveilleux.Ils ont abîmé une sagesse ancestrale. Ils ont eu tort. Ils ont créé une angoisse, un mal devivre. Ils ont nourri la haine. Ils ont rendu plus difficiles l'ouverture aux autres, l'échange,le partage parce que pour s'ouvrir, pour échanger, pour partager, il faut être assuré de sonidentité, de ses valeurs, de ses convictions. Face au colonisateur, le colonisé avait fini parne plus avoir confiance en lui, par ne plus savoir qui il était, par se laisser gagner par lapeur de l'autre, par la crainte de l'avenir. Le colonisateur est venu, il a pris, il s'est servi, il aexploité, il a pillé des ressources, des richesses qui ne lui appartenaient pas. Il a dépouilléle colonisé de sa personnalité, de sa liberté, de sa terre, du fruit de son travail.

Il a pris mais je veux dire avec respect qu'il a aussi donné. Il a construit des ponts, desroutes, des hôpitaux, des dispensaires, des écoles. Il a rendu fécondes des terres vierges,il a donné sa peine, son travail, son savoir. Je veux le dire ici, tous les colons n'étaient pasdes voleurs, tous les colons n'étaient pas des exploiteurs. Il y avait parmi eux des Hommesmauvais mais il y avait aussi des Hommes de bonne volonté, des Hommes qui croyaientremplir une mission civilisatrice, des Hommes qui croyaient faire le bien. Ils se trompaientmais certains étaient sincères. Ils croyaient donner la liberté, ils créaient l'aliénation. Ilscroyaient briser les chaînes de l'obscurantisme, de la superstition, de la servitude ; ilsforgeaient des chaînes bien plus lourdes, ils imposaient une servitude plus pesante, carc'étaient les esprits, c'étaient les âmes qui étaient asservis. Ils croyaient donner l'amoursans voir qu'ils semaient la révolte et la haine.

La colonisation n'est pas responsable de toutes les difficultés actuelles de l'Afrique. Ellen'est pas responsable des guerres sanglantes que se font les Africains entre eux. Elle n'estpas responsable des génocides. Elle n'est pas responsable des dictateurs. Elle n'est pas

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responsable du fanatisme. Elle n'est pas responsable de la corruption, de la prévarication.Elle n'est pas responsable des gaspillages et de la pollution.

Mais la colonisation fut une grande faute qui fut payée par l'amertume et la souffrancede ceux qui avaient cru tout donner et qui ne comprenaient pas pourquoi on leur en voulaitautant. La colonisation fut une grande faute qui détruisit chez le colonisé l'estime de soi et fitnaître dans son cœur cette haine de soi qui débouche toujours sur la haine des autres. �Lacolonisation fut une grande faute mais de cette grande faute est né l'embryon d'une destinéecommune. Et cette idée me tient particulièrement à cœur. La colonisation fut une faute qui achangé le destin de l'Europe et le destin de l'Afrique et qui les a mêlés. Et ce destin communa été scellé par le sang des Africains qui sont venus mourir dans les guerres européennes.Et la France n'oublie pas ce sang africain versé pour sa liberté. Nul ne peut faire comme sirien n'était arrivé. Nul ne peut faire comme si cette faute n'avait pas été commise. Nul nepeut faire comme si cette histoire n'avait pas eu lieu. Pour le meilleur comme pour le pire, lacolonisation a transformé l'Homme africain et l'Homme européen. �Jeunes d'Afrique, vousêtes les héritiers des plus vieilles traditions africaines et vous êtes les héritiers de tout ce quel'Occident a déposé dans le cœur et dans l'âme de l'Afrique. Jeunes d'Afrique, la civilisationeuropéenne a eu tort de se croire supérieure à celle de vos ancêtres, mais désormais lacivilisation européenne vous appartient aussi.

Jeunes d'Afrique, ne cédez pas à la tentation de la pureté parce qu'elle est une maladie,une maladie de l'intelligence, qui est ce qu'il y a de plus dangereux au monde. Jeunesd'Afrique, ne vous coupez pas de ce qui vous enrichit, ne vous amputez pas d'une part devous-même. La pureté est un enfermement, la pureté est une intolérance. La pureté est unfantasme qui conduit au fanatisme.

Je veux vous dire, jeunes d'Afrique, que le drame de l'Afrique n'est pas dans uneprétendue infériorité de son art, sa pensée, de sa culture. Car, pour ce qui est de l'art, de lapensée et de la culture, c'est l'Occident qui s'est mis à l'école de l'Afrique. L'art moderne doitpresque tout à l'Afrique. L'influence de l'Afrique a contribué à changer non seulement l'idéede la beauté, non seulement le sens du rythme, de la musique, de la danse, mais même ditSENGHOR, la manière de marcher ou de rire du monde du XXe siècle.

Je veux donc dire à la jeunesse d'Afrique que le drame de l'Afrique ne vient pasde ce que l'âme africaine serait imperméable à la logique et à la raison. Car l'Hommeafricain est aussi logique et raisonnable que l'Homme européen. C'est en puisant dansl'imaginaire africain que vous ont légué vos ancêtres, c'est en puisant dans les contes, dansles proverbes, dans les mythologies, dans les rites, dans ces formes qui, depuis l'aube destemps, se transmettent et s'enrichissent de génération en génération, que vous trouverezl'imagination et la force de vous inventer un avenir qui vous soit propre, un avenir singulierqui ne ressemblera à aucun autre, où vous vous sentirez enfin libres, libres, jeunes d'Afrique,d'être vous-mêmes, libres de décider par vous-mêmes.

Je suis venu vous dire que vous n'avez pas à avoir honte des valeurs de la civilisationafricaine, qu'elles ne vous tirent pas vers le bas mais vers le haut, qu'elles sont un antidoteau matérialisme et à l'individualisme qui asservissent l'Homme moderne, qu'elles sont leplus précieux des héritages face à la déshumanisation et à l'aplatissement du monde. Jesuis venu vous dire que l'Homme moderne qui éprouve le besoin de se réconcilier avecla nature a beaucoup à apprendre de l'Homme africain qui vit en symbiose avec la naturedepuis des millénaires.

Je suis venu vous dire que cette déchirure entre ces deux parts de vous-mêmes estvotre plus grande force, et votre plus grande faiblesse selon que vous vous efforcerez ou non

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d'en faire la synthèse. Mais je suis aussi venu vous dire qu'il y a en vous, jeunes d'Afrique,deux héritages, deux sagesses, deux traditions qui se sont longtemps combattues : cellede l'Afrique et celle de l'Europe. Je suis venu vous dire que cette part africaine et cette parteuropéenne de vous-mêmes forment votre identité déchirée.

Je ne suis pas venu, jeunes d'Afrique, vous donner des leçons, je ne suis pas venuvous faire la morale. Mais je suis venu vous dire que la part d'Europe qui est en vous est lefruit d'un grand péché d'orgueil de l'Occident mais que cette part d'Europe en vous n'est pasindigne. Car elle est l'appel de la liberté, de l'émancipation et de la justice et de l'égalité entreles femmes et les hommes, car elle est l'appel à la raison et à la conscience universelles.

Le drame de l'Afrique, c'est que l'Homme africain n'est pas assez entré dans l'Histoire.Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l'idéal de vie estd'être en harmonie avec la nature, ne connaît que l'éternel recommencement du tempsrythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. Dans cetimaginaire où tout recommence toujours, il n'y a de place ni pour l'aventure humaine nipour l'idée de progrès. Dans cet univers où la nature commande tout, l'Homme échappeà l'angoisse de l'Histoire qui tenaille l'Homme moderne mais l'Homme reste immobile aumilieu d'un ordre immuable où tout semble être écrit d'avance. Jamais l'Homme ne s'élancevers l'avenir. Jamais il ne lui vient à l'idée de sortir de la répétition pour s'inventer un destin.

Le problème de l'Afrique -- permettez à un ami de l'Afrique de le dire --, il est là. Ledéfi de l'Afrique, c'est d'entrer davantage dans l'Histoire, c'est de puiser en elle l'énergie, laforce, l'envie, la volonté d'écouter et d'épouser sa propre histoire. Le problème de l'Afrique,c'est de cesser de toujours répéter, de toujours ressasser, de se libérer du mythe de l'éternelretour, c'est de prendre conscience que l'âge d'or qu'elle ne cesse de regretter ne reviendrapas pour la raison qu'il n'a jamais existé. Le problème de l'Afrique, c'est qu'elle vit trop leprésent dans la nostalgie du paradis perdu de l'enfance. Le problème de l'Afrique, c'est quetrop souvent elle juge le présent par rapport à une pureté des origines totalement imaginaireet que personne ne peut espérer ressusciter.

Le problème de l'Afrique, ce n'est pas de s'inventer un passé plus ou moins mythiquepour s'aider à supporter le présent mais de s'inventer un avenir avec des moyens qui luisoient propres. Le problème de l'Afrique, ce n'est pas de se préparer au retour du malheur,comme si celui-ci devait indéfiniment se répéter, mais de vouloir se donner les moyens deconjurer le malheur, car l'Afrique a le droit au bonheur comme tous les autres continents dumonde. Le problème de l'Afrique, c'est de rester fidèle à elle-même sans rester immobile.

Le défi de l'Afrique, c'est d'apprendre à regarder son accession à l'universel non commeun reniement de ce qu'elle est mais comme un accomplissement. Le défi de l'Afrique, c'estd'apprendre à se sentir l'héritière de tout ce qu'il y a d'universel dans toutes les civilisationshumaines, c'est de s'approprier les droits de l'Homme, la démocratie, la liberté, l'égalité, lajustice comme l'héritage commun de toutes les civilisations et de tous les Hommes, c'estde s'approprier la science et la technique modernes comme le produit de toute l'intelligencehumaine.

Le défi de l'Afrique est celui de toutes les civilisations, de toutes les cultures, detous les peuples qui veulent garder leur identité sans s'enfermer parce qu'ils savent quel'enfermement est mortel. Les civilisations sont grandes à la mesure de leur participation augrand métissage de l'esprit humain. La faiblesse de l'Afrique, qui a connu sur son sol tantde civilisations brillantes, ce fut longtemps de ne pas participer assez à ce grand métissage.Elle a payé cher, l'Afrique, ce désengagement du monde qui l'a rendue si vulnérable.

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Mais, de ses malheurs, l'Afrique a tiré une force nouvelle en se métissant à son tour. Cemétissage, quelles que fussent les conditions douloureuses de son avènement, est la vraieforce et la vraie chance de l'Afrique au moment où émerge la première civilisation mondiale.La civilisation musulmane, la Chrétienté, la colonisation, au-delà des crimes et des fautesqui furent commises en leur nom et qui ne sont pas excusables, ont ouvert les cœurs et lesmentalités africaines à l'universel et à l'Histoire.

Ne vous laissez pas, jeunes d'Afrique, voler votre avenir par ceux qui ne savent opposerà l'intolérance que l'intolérance, au racisme que le racisme. Ne vous laissez pas, jeunesd'Afrique, voler votre avenir par ceux qui veulent vous exproprier d'une histoire qui vousappartient aussi parce qu'elle fut l'histoire douloureuse de vos parents, de vos grands-parents et de vos aïeux. N'écoutez pas, jeunes d'Afrique, ceux qui veulent faire sortirl'Afrique de l'Histoire au nom de la tradition parce qu'une Afrique où plus rien ne changeraitserait de nouveau condamnée à la servitude.

N'écoutez pas, jeunes d'Afrique, ceux qui veulent vous empêcher de prendre votrepart dans l'aventure humaine, parce que sans vous, jeunes d'Afrique qui êtes la jeunessedu monde, l'aventure humaine sera moins belle. N'écoutez pas, jeunes d'Afrique, ceux quiveulent vous déraciner, vous priver de votre identité, faire table rase de tout ce qui estafricain, de toute la mystique, la religiosité, la sensibilité, la mentalité africaines, parce quepour échanger il faut avoir quelque chose à donner, parce que pour parler aux autres, il fautavoir quelque chose à leur dire.

Écoutez plutôt, jeunes d'Afrique, la grande voix du président SENGHOR, qui cherchatoute sa vie à réconcilier les héritages et les cultures au croisement desquels les hasardset les tragédies de l'Histoire avaient placé l'Afrique. Il disait, lui, l'enfant de Joal qui avait étébercé par les rhapsodies des griots, il disait : « Nous sommes des métis culturels, (...) sinous sentons en nègres, nous nous exprimons en français, parce que le français est unelangue à vocation universelle, que notre message s'adresse aussi aux Français de Franceet aux autres Hommes. » Il disait aussi : « Le français nous a fait don de ses mots abstraits --si rares dans nos langues maternelles (...). Chez nous les mots sont naturellement nimbésd'un halo de sève et de sang ; les mots du français rayonnent de mille feux, comme desdiamants. Des fusées qui éclairent notre nuit. »

Ainsi parlait Léopold SENGHOR, qui fait honneur à tout ce que l'Humanité comprendd'intelligence. Ce grand poète et ce grand Africain voulait que l'Afrique se mît à parler à toutel'Humanité et lui écrivait en français des poèmes pour tous les Hommes. Ces poèmes étaientdes chants qui parlaient à tous les Hommes d'êtres fabuleux qui gardent des fontaines,chantent dans les rivières et qui se cachent dans les arbres, des poèmes qui leur faisaiententendre les voix des morts du village et des ancêtres, des poèmes qui faisaient traverserdes forêts de symboles et remonter jusqu'aux sources de la mémoire ancestrale que chaquepeuple garde au fond de sa conscience, comme l'adulte garde au fond de la sienne lesouvenir du bonheur de l'enfance.

Car chaque peuple a connu ce temps de l'éternel présent où il cherchait non à dominerl'univers mais à vivre en harmonie avec l'univers ; temps de la sensation, de l'instinct, del'intuition, temps du mystère et de l'initiation, temps mystique où le sacré était partout, oùtout était signes et correspondances. C'est le temps des magiciens, des sorciers et deschamanes, le temps de la parole qui était grande parce qu'elle se respecte et se répète, degénération en génération, et transmet, de siècle en siècle, des légendes aussi anciennesque les dieux.

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L'Afrique a fait se ressouvenir à tous les peuples de la terre qu'ils avaient partagéla même enfance. L'Afrique en a réveillé les joies simples, les bonheurs éphémères etce besoin, ce besoin auquel je crois moi-même tant, ce besoin de croire plutôt que decomprendre, ce besoin de ressentir plutôt que de raisonner, ce besoin d'être en harmonieplutôt que d'être en conquête. Ceux qui jugent la culture africaine arriérée, ceux qui tiennentles Africains pour de grands enfants, tous ceux-là ont oublié que la Grèce antique, qui nousa tant appris sur l'usage de la raison, avait aussi ses sorciers, ses devins, ses cultes àmystères, ses sociétés secrètes, ses bois sacrés et sa mythologie, qui venait du fond desâges et dans laquelle nous puisons encore, aujourd'hui, un inestimable trésor de sagessehumaine.

L'Afrique qui a aussi ses grands poèmes dramatiques et ses légendes tragiques, enécoutant SOPHOCLE, a entendu une voix plus familière qu'elle ne l'aurait cru et l'Occidenta reconnu dans l'art africain des formes de beauté qui avaient jadis été les siennes et qu'iléprouvait le besoin de ressusciter. Alors entendez, jeunes d'Afrique, combien RIMBAUDest africain quand il met des couleurs sur les voyelles comme tes ancêtres en mettaient surleurs masques (« masque noir masque rouge (...) masques blanc-et-noir »).

Ouvrez les yeux, jeunes d'Afrique, et ne regardez plus, comme l'ont fait trop souventvos aînés, la civilisation mondiale comme une menace pour votre identité mais la civilisationmondiale comme quelque chose qui vous appartient aussi. Dès lors que vous reconnaîtrezdans la sagesse universelle une part de la sagesse que vous tenez de vos pères et quevous aurez la volonté de la faire fructifier, alors commencera ce que j'appelle de mes vœux,la renaissance africaine. Dès lors que vous proclamerez que l'Homme africain n'est pasvoué à un destin qui serait fatalement tragique et que, partout en Afrique, il ne saurait yavoir d'autre but que le bonheur, alors commencera la renaissance africaine. Dès lors quevous, jeunes d'Afrique, vous déclarerez qu'il ne saurait y avoir d'autres finalités pour unepolitique africaine que l'unité de l'Afrique et l'unité du genre humain, alors commencera larenaissance africaine. Dès lors que vous regarderez bien en face la réalité de l'Afrique etque vous la prendrez à bras-le-corps, alors commencera la renaissance africaine.

Car le problème de l'Afrique, c'est qu'elle est devenue un mythe que chacun reconstruitpour les besoins de sa cause. Et ce mythe empêche de regarder en face la réalité del'Afrique. La réalité de l'Afrique, c'est une démographie trop forte pour une croissanceéconomique trop faible. La réalité de l'Afrique, c'est encore trop de famine, trop de misère.La réalité de l'Afrique, c'est la rareté qui suscite la violence. La réalité de l'Afrique, c'est ledéveloppement qui ne va pas assez vite, c'est l'agriculture qui ne produit pas assez, c'estle manque de routes, c'est le manque d'écoles, c'est le manque d'hôpitaux. La réalité del'Afrique, c'est un grand gaspillage d'énergie, de courage, de talents, d'intelligence. La réalitéde l'Afrique, c'est celle d'un grand continent qui a tout pour réussir et qui ne réussit pasparce qu'il n'arrive pas à se libérer de ses mythes.

La renaissance dont l'Afrique a besoin, vous seuls, jeunes d'Afrique, vous pouvezl'accomplir parce que vous seuls en aurez la force. Cette renaissance, je suis venu vous laproposer ; je suis venu vous la proposer pour que nous l'accomplissions ensemble parceque de la renaissance de l'Afrique dépend pour une large part la renaissance de l'Europeet la renaissance du monde.

Je sais l'envie de partir qu'éprouvent un si grand nombre d'entre vous confrontés auxdifficultés de l'Afrique. Je sais la tentation de l'exil qui pousse tant de jeunes Africains à allerchercher ailleurs ce qu'ils ne trouvent pas ici pour faire vivre leur famille. Je sais ce qu'ilfaut de volonté, ce qu'il faut de courage pour tenter cette aventure, pour quitter sa patrie, laterre où l'on est né, où l'on a grandi, pour laisser derrière soi les lieux familiers où l'on a été

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heureux, l'amour d'une mère, d'un père ou d'un frère et cette solidarité, cette chaleur, cetesprit communautaire qui sont si forts en Afrique. Je sais ce qu'il faut de force d'âme pouraffronter le dépaysement, l'éloignement, la solitude. Je sais ce que la plupart d'entre euxdoivent affronter comme épreuves, comme difficultés, comme risques. Je sais qu'ils irontparfois jusqu'à risquer leur vie pour aller jusqu'au bout de ce qu'ils croient être leur rêve.Mais je sais que rien ne les retiendra. Car rien ne retient jamais la jeunesse quand elle secroit portée par ses rêves.

Je ne crois pas que la jeunesse africaine ne soit poussée à partir que pour fuir la misère.Je crois que la jeunesse africaine s'en va parce que, comme toutes les jeunesses, elleveut conquérir le monde. Comme toutes les jeunesses, elle a le goût de l'aventure et dugrand large. Elle veut aller voir comment on vit, comment on pense, comment on travaille,comment on étudie ailleurs.

L'Afrique n'accomplira pas sa renaissance en coupant les ailes de sa jeunesse. Maisl'Afrique a besoin de sa jeunesse. La renaissance de l'Afrique commencera en apprenantà la jeunesse africaine à vivre avec le monde, non à le refuser. La jeunesse africaine doitavoir le sentiment que le monde lui appartient comme à toutes les jeunesses de la terre. Lajeunesse africaine doit avoir le sentiment que tout deviendra possible comme tout semblaitpossible aux hommes de la Renaissance.

Alors, je sais bien que la jeunesse africaine ne doit pas être la seule jeunesse du mondeassignée à résidence. Elle ne peut pas être la seule jeunesse du monde qui n'a le choixqu'entre la clandestinité et le repliement sur soi. Elle doit pouvoir acquérir hors d'Afrique lacompétence et le savoir qu'elle ne trouverait pas chez elle. Mais elle doit aussi à la terreafricaine de mettre à son service les talents qu'elle aura développés. Il faut revenir bâtirl'Afrique ; il faut lui apporter le savoir, la compétence, le dynamisme de ses cadres. Il fautmettre un terme au pillage des élites africaines dont l'Afrique a besoin pour se développer.

Ce que veut la jeunesse africaine, c'est ne pas être à la merci des passeurs sansscrupules qui jouent avec votre vie. Ce que veut la jeunesse d'Afrique, c'est que sa dignitésoit préservée, c'est pouvoir faire des études, c'est pouvoir travailler, c'est pouvoir vivredécemment. C'est au fond ce que veut toute l'Afrique. L'Afrique ne veut pas de la charité.L'Afrique ne veut pas d'aide. L'Afrique ne veut pas de passe-droit.

Ce que veut l'Afrique et ce qu'il faut lui donner, c'est la solidarité, la compréhension etle respect. Ce que veut l'Afrique, ce n'est pas que l'on prenne son avenir en main, ce n'estpas que l'on pense à sa place, ce n'est pas que l'on décide à sa place. Ce que veut l'Afriqueest ce que veut la France, c'est la coopération, c'est l'association, c'est le partenariat entredes Nations égales en droits et en devoirs.

Jeunesse africaine, vous voulez la démocratie, vous voulez la liberté, vous voulez lajustice, vous voulez le droit ? C'est à vous d'en décider. La France ne décidera pas à votreplace. Mais si vous choisissez la démocratie, la liberté, la justice et le droit, alors la Frances'associera à vous pour les construire. Jeunes d'Afrique, la mondialisation telle qu'elle se faitne vous plaît pas ? L'Afrique a payé trop cher le mirage du collectivisme et du progressismepour céder à celui du laisser-faire. Jeunes d'Afrique, vous croyez que le libre-échange estbénéfique mais que ce n'est pas une religion. Vous croyez que la concurrence est un moyenmais que ce n'est pas une fin en soi. Vous ne croyez pas au laisser-faire. Vous savez qu'àêtre trop naïve, l'Afrique serait condamnée à devenir la proie des prédateurs du mondeentier. Et cela vous ne le voulez pas. Vous voulez une autre mondialisation, avec plusd'humanité, avec plus de justice, avec plus de règles.

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Je suis venu vous dire que la France la veut aussi. Elle veut se battre avec l'Europe, elleveut se battre avec l'Afrique, elle veut se battre avec tous ceux qui dans le monde veulentchanger la mondialisation. Si l'Afrique, la France et l'Europe le veulent ensemble, alors nousréussirons. Mais nous ne pouvons pas exprimer une volonté à votre place.

Jeunes d'Afrique, vous voulez le développement, vous voulez la croissance, vousvoulez la hausse du niveau de vie. Mais le voulez-vous vraiment ? Voulez-vous que cessel'arbitraire, la corruption, la violence ? Voulez-vous que la propriété soit respectée, quel'argent soit investi au lieu d'être détourné ? Voulez-vous que l'État se remette à faire sonmétier, qu'il soit allégé des bureaucraties qui l'étouffent, qu'il soit libéré du parasitisme, duclientélisme, que son autorité soit restaurée, qu'il domine les féodalités, qu'il domine lescorporatismes ? Voulez-vous que partout règne l'État de droit qui permet à chacun de savoirraisonnablement ce qu'il peut attendre des autres ? Si vous le voulez, alors la France seraà vos côtés pour l'exiger, mais personne ne le voudra à votre place.

Voulez-vous qu'il n'y ait plus de famine sur la terre africaine ? Voulez-vous que, surla terre africaine, il n'y ait plus jamais un seul enfant qui meure de faim ? Alors cherchezl'autosuffisance alimentaire. Alors développez les cultures vivrières. L'Afrique a d'abordbesoin de produire pour se nourrir. Si c'est ce que vous voulez, jeunes d'Afrique, vous tenezentre vos mains l'avenir de l'Afrique et la France travaillera avec vous pour bâtir cet avenir.

Vous voulez lutter contre la pollution ? Vous voulez que le développement soit durable ?Vous voulez que les générations actuelles ne vivent plus au détriment des générationsfutures ? Vous voulez que chacun paye le véritable coût de ce qu'il consomme ? Vous voulezdévelopper les technologies propres ? C'est à vous de le décider. Mais si vous le décidez,la France sera à vos côtés. �Vous voulez la paix sur le continent africain ? Vous voulez lasécurité collective ? Vous voulez le règlement pacifique des conflits ? Vous voulez mettrefin au cycle infernal de la vengeance et de la haine ? C'est à vous, mes amis africains, dele décider. Et si vous le décidez, la France sera à vos côtés, comme une amie indéfectible,mais la France ne peut pas vouloir à la place de la jeunesse d'Afrique. Vous voulez l'unitéafricaine ? La France le souhaite aussi parce que la France souhaite l'unité de l'Afrique, carl'unité de l'Afrique rendra l'Afrique aux Africains.

Ce que veut faire la France avec l'Afrique, c'est regarder en face les réalités. C'est fairela politique des réalités et non plus la politique des mythes. Ce que la France veut faire avecl'Afrique, c'est le codéveloppement, c'est-à-dire le développement partagé. La France veutavec l'Afrique des projets communs, des pôles de compétitivité communs, des universitéscommunes, des laboratoires communs. Ce que la France veut faire avec l'Afrique, c'estélaborer une stratégie commune dans la mondialisation. Ce que la France veut faire avecl'Afrique, c'est une politique d'immigration négociée ensemble, décidée ensemble pour quela jeunesse africaine puisse être accueillie en France et dans toute l'Europe avec dignité etavec respect. Ce que la France veut faire avec l'Afrique, c'est une alliance de la jeunessefrançaise et de la jeunesse africaine pour que le monde de demain soit un monde meilleur.Ce que veut faire la France avec l'Afrique, c'est préparer l'avènement de l'« Eurafrique »,ce grand destin commun qui attend l'Europe et l'Afrique.

À ceux qui, en Afrique, regardent avec méfiance ce grand projet de l'Unionméditerranéenne que la France a proposé à tous les pays riverains de la Méditerranée, jeveux dire que, dans l'esprit de la France, il ne s'agit nullement de mettre à l'écart l'Afrique,qui s'étend au sud du Sahara mais, qu'au contraire, il s'agit de faire de cette Union le pivot del'Eurafrique, la première étape du plus grand rêve de paix et de prospérité qu'Européens etAfricains sont capables de concevoir ensemble. �Alors, mes chers amis, alors seulement,l'enfant noir de Camara LAYE, à genoux dans le silence de la nuit africaine, saura et

Page 71: Institut d'Etudes Politiques de Lyon Université Lyon 2 ...doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/...] l'histoire, les traditions – et la liste se poursuit. » (Hay, 2008, p.1)

Annexes

Fabre Lucille - 2011 71

comprendra qu'il peut lever la tête et regarder avec confiance l'avenir. Et cet enfant noir deCamara LAYE, il sentira réconciliées en lui les deux parts de lui-même. Et il se sentira enfinun Homme comme tous les autres Hommes de l'Humanité. �

Je vous remercie.Source : www.elysee.fr