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VllleS Ateliers de cardiolog i e C L e nombre tres eleve d'etudes consacrees a I'insuffisance cardiaque lors des derniers grands congres de cardiologie souligne I'importance de la recherche clinique et therapeu- tique suscitee par cette pathologie. II devient meme difficile d'etre exhaustif, tant la litterature qui s'y attache est abondante, justifiant dans un editorial recent du JACC [I] I'identification d'une specialite dans la specialite cardiologique D. Les tableaux cliniques, les strategies diagnostiques et therapeu- tiques ont en effet considerablement change Ces dernieres annees : les patients sont beaucoup plus iges, les femmes sont de plus en plus concernees, avec des cavites et Une fonction systolique ventriculaire gauche paradoxalement apparemment souvent normales, appreciees par I'echocardiographie qui rem- place de plus en plus le stethoscope du cardiologue du XXle siecle. Pour les plus jeunes patients, alors que le nombre de transplantations realisees a chute de moitie en 15 ans, des alter- natives non medicamenteuses nous sont fort heureusement proposees (resynchronisation biventriculaire, defibrillateur, chi- rurgie de remodelage ou plastie de I'anneau [bientöt envisa- geable par voie endocavitaire], readaptation.. .). Sur le plan medicamenteux, I'Evidence based medicine a mis au ban des prescriptions les inotropes, nitres, calcium bloqueurs et banni les doses massives de diuretiques. Le blocage complet du systeme renine-angiotensine(IEC etlou ARA II, spironolacto- ne et bientöt eplerenone) et les P-bloquants constituent desor- mais la pierre angulaire de Ces prescriptions permettant de dimi- nuer celle concomitante des diuretiques, notamment de I'anse, accuses recemment de precipiter la decheance myocardique. Cinsuffisance cardiaque au stade precoce Les modes de revelation de I'insuffisance cardiaque et son dia- gnostic sont souvent atypiques initialement. Cinsuffisance car- diaque a, comme I'hypertension arterielle et le diabete, la parti- cularite d'etre diagnostiquee tardivement, d'etre SOUS-evaluee, et insuffisamment prise en charge. II est vrai qu'elle peut initiale- ment etre a I'origine de pieges grossiers ou plus subtils : s'il est ainsi facile d'evoquer le diagnostic d'insuffisance cardiaque devant un terrain a risque (infarctus du myocarde ancien, hyper- tension arterielle, valvulopathie, voire insuffisance respiratoire chronique ...), le diagnostic est moins evident chez des sujets plus jeunes, developpant prematurement Une myocardiopathie dilatee primitive sans toujours Une exogenose declenchante ou encore a distance d'un lymphome gueri par Une chimiotherapie cardiotoxique. La semiologie elle-meme peut etre atypique, car les correlations entre I'alteration de la fraction d'ejection et les capacites d'effort sont tres mediocres, d'autant que certains patients minimisent les symptömes ou que ceux-ci sont expri- mes de facon atypique : souvent, les cardiaques alleguent essentiellement Une asthenie, Une fatigue, plus qu'une dyspnee, No 134 - 25 decembre 2004 un essoufflement ou un manque d'air >>. Dans certaines formes d'insuffisance cardiaque a predominance droite, la semiologie digestive peut dominer, egarer (nausees, anorexie, ballonne- ments, hepatalgie.. .). Chez les sujets iges, il est souvent difficile devant un cedeme des membres inferieurs de faire la Part d'un trouble veineux chronique, voire d'une pathologie lymphatique et d'une retention hydrique d'origine cardiaque (ou renale par- fois associee). Tres couramment la toux est attribuee a Une pathologie pulmonaire ou bronchitique trainante, resistante aux antibiotiques alors qu'elle est deja imputable a un sub-cedeme pulmonaire d'origine cardiaque. Plus frequemment encore, notamment chez les sujets iges, I'in- suffisance cardiaque est a predominance diastolique (50 % dans I'Euro Heart Failure Survey Study), et seule Une analyse attentive et rigoureuse des parametres de remplissage et des differents criteres aujourd'hui permis par I'echo-doppler (cf. I'article de C. Chauvel) redresse un diagnostic egare par Une fonction systolique souvent subnormale au repos. Enfin, cer- taines formes d'insuffisance cardiaque relevent de causes plus rares : ainsi certaines myocardites souvent fulgurantes et rapide- ment mortelles, en I'absence de systemes d'assistance circula- toire, permettant de passer un cap difficile si I'atteinte est rever- sible ou dans I'attente d'un greffon cardiaque ; I'insuffisance cardiaque a debit augmente est aussi classique que rare (mala- die de Paget, fistules arterio-veineuses, hyperthyroidie.. .).

Insuffisance cardiaque : stade précoce – stade tardif

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Page 1: Insuffisance cardiaque : stade précoce – stade tardif

VllleS Ateliers de cardiolog ie C

L e nombre tres eleve d'etudes consacrees a I'insuffisance cardiaque lors des derniers grands congres de cardiologie souligne I'importance de la recherche clinique et therapeu-

tique suscitee par cette pathologie. II devient meme difficile d'etre exhaustif, tant la litterature qui s'y attache est abondante, justifiant dans un editorial recent du JACC [I] I'identification d'une specialite dans la specialite cardiologique D.

Les tableaux cliniques, les strategies diagnostiques et therapeu- tiques ont en effet considerablement change Ces dernieres annees : les patients sont beaucoup plus iges, les femmes sont de plus en plus concernees, avec des cavites et Une fonction systolique ventriculaire gauche paradoxalement apparemment souvent normales, appreciees par I'echocardiographie qui rem- place de plus en plus le stethoscope du cardiologue du XXle siecle. Pour les plus jeunes patients, alors que le nombre de transplantations realisees a chute de moitie en 15 ans, des alter- natives non medicamenteuses nous sont fort heureusement proposees (resynchronisation biventriculaire, defibrillateur, chi- rurgie de remodelage ou plastie de I'anneau [bientöt envisa- geable par voie endocavitaire], readaptation.. .). Sur le plan medicamenteux, I'Evidence based medicine a mis au ban des prescriptions les inotropes, nitres, calcium bloqueurs et banni les doses massives de diuretiques. Le blocage complet du systeme renine-angiotensine (IEC etlou ARA II, spironolacto- ne et bientöt eplerenone) et les P-bloquants constituent desor- mais la pierre angulaire de Ces prescriptions permettant de dimi- nuer celle concomitante des diuretiques, notamment de I'anse, accuses recemment de precipiter la decheance myocardique.

Cinsuffisance cardiaque au stade precoce

Les modes de revelation de I'insuffisance cardiaque et son dia- gnostic sont souvent atypiques initialement. Cinsuffisance car- diaque a, comme I'hypertension arterielle et le diabete, la parti- cularite d'etre diagnostiquee tardivement, d'etre SOUS-evaluee, et insuffisamment prise en charge. II est vrai qu'elle peut initiale- ment etre a I'origine de pieges grossiers ou plus subtils : s'il est ainsi facile d'evoquer le diagnostic d'insuffisance cardiaque devant un terrain a risque (infarctus du myocarde ancien, hyper- tension arterielle, valvulopathie, voire insuffisance respiratoire chronique ...), le diagnostic est moins evident chez des sujets plus jeunes, developpant prematurement Une myocardiopathie dilatee primitive sans toujours Une exogenose declenchante ou encore a distance d'un lymphome gueri par Une chimiotherapie cardiotoxique. La semiologie elle-meme peut etre atypique, car les correlations entre I'alteration de la fraction d'ejection et les capacites d'effort sont tres mediocres, d'autant que certains patients minimisent les symptömes ou que ceux-ci sont expri- mes de facon atypique : souvent, les cardiaques alleguent essentiellement Une asthenie, Une fatigue, plus qu'une dyspnee,

No 134 - 25 decembre 2004

un essoufflement ou un manque d'air >>. Dans certaines formes d'insuffisance cardiaque a predominance droite, la semiologie digestive peut dominer, egarer (nausees, anorexie, ballonne- ments, hepatalgie.. .). Chez les sujets iges, il est souvent difficile devant un cedeme des membres inferieurs de faire la Part d'un trouble veineux chronique, voire d'une pathologie lymphatique et d'une retention hydrique d'origine cardiaque (ou renale par- fois associee). Tres couramment la toux est attribuee a Une pathologie pulmonaire ou bronchitique trainante, resistante aux antibiotiques alors qu'elle est deja imputable a un sub-cedeme pulmonaire d'origine cardiaque. Plus frequemment encore, notamment chez les sujets iges, I'in- suffisance cardiaque est a predominance diastolique (50 % dans I'Euro Heart Failure Survey Study), et seule Une analyse attentive et rigoureuse des parametres de remplissage et des differents criteres aujourd'hui permis par I'echo-doppler (cf. I'article de C. Chauvel) redresse un diagnostic egare par Une fonction systolique souvent subnormale au repos. Enfin, cer- taines formes d'insuffisance cardiaque relevent de causes plus rares : ainsi certaines myocardites souvent fulgurantes et rapide- ment mortelles, en I'absence de systemes d'assistance circula- toire, permettant de passer un cap difficile si I'atteinte est rever- sible ou dans I'attente d'un greffon cardiaque ; I'insuffisance cardiaque a debit augmente est aussi classique que rare (mala- die de Paget, fistules arterio-veineuses, hyperthyroidie.. .).

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lnsuffisance cardiaaue Mais les carences en vitamine B semblent SOUS-estimees (beri- beri fruste) d'autant qu'elles sont aggravees par les doses mas- sives de furosemide, devenues necessaires pour certains patients, mais aggravant les carences nutritives. En nknatalogie existent, sous d'autres latitudes, et malgre un allaitement maternel, des insuffisances cardiaques majeures rapidement regressives sous thiamine et liees a Une alimentation maternelle carencee.

Au stade avance des insuffisances cardiaques devenues refractaires pour lesquelles les hospitalisations sont rappro- chees, malgre des doses massives de diuretiques per OS, un traitement par IEC et/ou ARA II optimise, ß-bloquant aux doses les plus tolerables (hypotension arterielle, bradycardie ...), cer- tains travaux recents insistent sur I'aspect pronostique, mais aussi therapeutique d'une anemie souvent negligee [2]. Les liens sont etroits entre un rein SOUS-perfuse, Une diminution de pro- duction d'etythropoEtine et Une relative resistance medullaire a sa production. Des tentatives heureuses de traitement adjuvant par EPO ont ainsi ete recemment rapportees. Cependant, un plafonnement des benefices apportes par le trai- tement medical semble avoir desormais ete atteint ; les innova- tions ne concerneront probablement, dans un avenir proche, que la substitution aux spironolactones (responsable de gyneco- masties frequentes et surtout d'hyperkaliemies probablement SOUS-estimees dans I'etude Rales [comme un editorial recent le soulignait]) et Une introduction plus prkoce (et peut-etre meme avant les bloqueurs du systeme renine-angiotensine) des ß-blo- quants [3, 41 dont certains semblent avoir des proprietes vascu- laires peripheriques interessantes (tel le nebivolol stimulant la production de NO). Le rbntrainement physique a enfin obtenu Une validation scientifique par la meta-analyse Extramatch, et, c'est surtout dans le domaine de la resynchronisation biventriculaire que les benefices cliniques semblent les plus significatifs. Si incontesta- blement de nombreux patients sont transforrnes sur le plan fonctionnel, les gains objectifs mesures par V02 ou au test de marche de 6 minutes ne sont cependant en moyenne que de 1 a 2 mUkg/min ou d'une cinquantaine de metres, soulignant I'hete- rogeneite de Ces benefices. Un asynchronisme intraventriculaire gauche (predominant generalement entre le septum interventri- culaire et la paroi laterale) superieur a 60 ou 65 ms semble le cri- tere predictif le plus determinant pour la selection des bons repondeurs a cette therapeutique, et non I'existence d'un asyn- chronisme interventriculaire VD-VG. Cependant ce critere, gene- ralement mesure au repos, Sera probablement encore plus affine par I'khocardiographie d'effort : certains asynchronismes de repos disparaissant a I'effort (expliquant certains echecs d'ame- lioration malgre un succes technique d'implantation) et inverse- ment (presence d'un asynchronisme uniquement d'effort sou- vent couple a Une majoration d'une fuite mitrale semblant modeste au repos). En ce qui concerne les defibrillateurs, I'etude MADlT II avait jete un pave (economique) dans la mare ... Apres quelques etudes initiales contradictoires (CAT, AMlVlT contredites par I'etude DEFINITE) de grandes series (SCD-HF et surtout COMPANION pour les patients les plus invalides) ont definitivement mis en evi- dence Une chute de la mortalite chez les patients insuffisants cardiaques beneficiant d'un defibrillateur. Doit-on cependant appareiller tous les patients, qu'ils soient ischemiques ou non, avec Une fraction d'ejection inferieure a 0,35 quels que soient

AMC

leurs symptömes et I'existence de troubles du rythme authenti- fies et la largeur de leur QRS ? Le TlPSage du defibrillateur et des protheses triple chambre semblent avoir ouvert la boite de Pandore et deja quelques voix raisonnables s'accordent pour reserver Ces implantations aux patients ayant reellement Une fraction d'ejection tres alteree, inferieure a 20 % avec des QRS tres elargis et/ou tres symptomatiques pour lesquels un benefice reel et substantiel a ete demontre. Les donnees epidemiologiques concernant I'insuffisance car- diaque temoignent du succes relatif des soins que nous dispen- sons a nos cardiaques (la cardiologie moderne produit des car- diaques.. .), c'est I'analyse qu'y porterait un confrere de nature optimiste .... Elle est surtout preoccupante en ce qui concerne nos capacites de structures d'accueil, sinon I'interet de cette gerontocardiologie selon un autre point de vue malheureuse- ment plus realiste ! Aux contraintes financieres s'associent deja au quotidien des debats d'ethique : y a-t-il un äge limite pour la Pose d'un defi- brillateur implantable, d'une resynchronisation biventriculaire ou d'autres techniques chirurgicales lourdes et coijteuses ? Certes les analyses medico-economiques nous demontrent Une dimi- nution ulterieure des rehospitalisations et donc un investisse- ment rentable a long terme, mais ne resumant pas tout : ainsi la qualite de vie des patients est un parametre difficilement quantifiable. II n'empeche qu'un plafond des ressources medi- camenteuses que nous pouvons offrir a Ces patients est proba- blement atteint, meme si notre approche physiopathologique (et donc therapeutique) a considerablement evolue Ces dernieres annees ; I'approche neuro-hormonale a propulse en avant les ß-bloquants, au point de pouvoir pour certains les preconiser en premiere intention des les premiers symptömes ou la decouverte d'une dysfonction ventriculaire gauche ; mais les echecs de nou- velles classes therapeutiques en ont aussi vite montre les limites. Le prochain defi est donc plus d'integrer a la pratique quotidien- ne des certitudes nouvelles de cette medecine fondk par les preuves, tant un fosse existe encore entre theorie et realite en terrnes de prescription. Cetude europknne lnprovement D, effectuee chez 11 000 insuffisants cardiaques, montre que la prescription d'IEC n'est realisee que dans 60 % des cas, celle des P-bloquants dans 34 % et I'association uniquement dans 20 % des cas.. .

References

1. Adamson PB, Abraham WT, Love C, Reynolds D. The evol- ving challenge of chronic heart failure management: a call for a new curriculaum for training heart failure specialists. J Am Coll Cardiol2004 ; 44 :1354-7. 2. Felker GM, Adams KF Jr, Gattis WA, O'Connor CM. Anemia as a risk factor and therapeutic target in heart failure. J Am Coll Cardiol2004 ; 44 : 959-66 . 3. Gattis WA, O'Connor CM, Gallup DS, Hasselblad V, Gheorghiade M; IMPACT-HF Investigators and Coordinators. Predischarge initiation of carvedilol in patients hospitalized for decompensated heart failure. J Am Coll Cardiol 2004 ; 43 : 1534-41. 4. Sliwa K, Norton GR, Kone N et al. Impact of initiating carve- dilol before angiotensin-converting enzyme inhibitor therapy on cardiac function in newly diagnosed heart failure. J Am Coll Cardiol2004 ; 44 : 1825-30.

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