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Interactions Socio-Cognitives et Acquisitions Scolaires. Discussion Daniel Hameline Faculté de Psychologie et des Sciences de f ’Éducation, Genève, Suisse Conceptualiser le ({fonctionnement de l’enfant à l’école» par la thématique de l’interac- tion socio-cognitive me semble, pour la pensée de l’éducation scolaire, à la fois une res- source et une parade. Parler de «ressource», c’est reconnaître tout ce que cette approche recèle de fructueux. L’ingéniosité des observations menées en classe par Clotilde Pontecorvo le montre bien. Elle entame ainsi un inventaire prometteur des nombreuses potentialités formatrices de l’échange entre «pairs». Par ailleurs, approcher ainsi la question du fonctionnement cognitif, c’est peut-être en finir avec le sollipsisme constamment désavoué et constamment renaissant de l’eneée psychologiste dans les choses de l’éducation. Ainsi se trouve consacré, bien au delà du simple énoncé d’un truisme, le «modèle ternaire)) (Michel Gilly) du statu du «socio-»: l’apprenant ne fonctionne que par l’objet, mais l’objet n’est tel que par l’opération d’autrui, et d’autrui contrariant notre propre opération. J’ai dit la ressource. Débusquons, en la ressource même, la parade latente. L’idée d’inte- raction socio-cognitive, - et d’abord sous la coloration du «conflit», dramatisante à peu de frais -, rencontre une connivence qui semble en assurer le succès avant même que les chercheurs soient parvenus à en conceptualiser contradictoirement les notions et à en éprou- ver les paradigmes. Succès de parade? Tant s’ent faut. Michel Gilly et Clotilde Pontecorvo nous ont donné, au contraire, une belle leçon de modestie et de prudence épistémique. Pourtant contrôler comment le wocio-» s’accolle au «cognitif» ne relève pas d’une opé- ration simple de la pensée, encore moins dudictamen, même sincère, des chercheurs en psycho- logie de l’éducation. Ni l’un ni l’autre, d’ailleurs, ne sont dupes. Ils savent que dans l’ordre de l’interaction humaine, rien ne se «constitue» qui ne s’«institue» dans le même mouve- ment. Le français ne connaît pas de «constituteurs», alors qu’on y a inventé les «institu- teurs». Arbitraire instructif d’une langue: il nous signifie qu’il n’est pas d’institution - au sens proactif du suffixe, bien sûr - sans acteurs. Mais ces acteurs sont des agents. C’est «on» qui assure au sens des choses humaines son invisible défilé. Gilly nous a rappelé que les tentatives pour isoler, comme fait expérimental, le asocio-cognitif)) n’étaient pas oubli naïf du «marquage» social des significations. Faisons dans la provocation et invoquons ici les scolastiques. 111s posaient - sans preuve expérimentale, certes -, après Aristote, que la vis cognitiva entame sa genèse dans le fonc- tionnement de la vis estimativa, puissance d’appréhension de ce qui survient, crainte et atti- rance, réserve et envie, esquisse et esquive dans le même mouvement. La vis estimativa ne conçoit rien. Elle qualifie et - sauvagement -, évalue. En son ordre, s’«institue», SOUS les dehors du positionnement mutuel, le laboratoire permanent du «social». Il faut aux cher- cheurs, contre cette vaste entreprise, contre la fête qu’elle peut faire aux concepts aptes à la parade, instituer et consolider leur propre laboratoire précaire. Précarité qui s’accentue lorsque la recherche s’effectue à l’école même, l’un de ces lieux «instituteurs» des agents sociaux tentent, avec des bonheurs divers, de s’identifier comme acteurs, c’est-à-dire comme

Interactions socio-cognitives et acquisitions scolaires. Discussion

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Interactions Socio-Cognitives et Acquisitions Scolaires. Discussion Daniel Hameline Faculté de Psychologie et des Sciences de f ’Éducation, Genève, Suisse

Conceptualiser le ({fonctionnement de l’enfant à l’école» par la thématique de l’interac- tion socio-cognitive me semble, pour la pensée de l’éducation scolaire, à la fois une res- source et une parade.

Parler de «ressource», c’est reconnaître tout ce que cette approche recèle de fructueux. L’ingéniosité des observations menées en classe par Clotilde Pontecorvo le montre bien. Elle entame ainsi un inventaire prometteur des nombreuses potentialités formatrices de l’échange entre «pairs». Par ailleurs, approcher ainsi la question du fonctionnement cognitif, c’est peut-être en finir avec le sollipsisme constamment désavoué et constamment renaissant de l’eneée psychologiste dans les choses de l’éducation. Ainsi se trouve consacré, bien au delà du simple énoncé d’un truisme, le «modèle ternaire)) (Michel Gilly) du statu du «socio-»: l’apprenant ne fonctionne que par l’objet, mais l’objet n’est tel que par l’opération d’autrui, et d’autrui contrariant notre propre opération.

J’ai dit la ressource. Débusquons, en la ressource même, la parade latente. L’idée d’inte- raction socio-cognitive, - et d’abord sous la coloration du «conflit», dramatisante à peu de frais -, rencontre une connivence qui semble en assurer le succès avant même que les chercheurs soient parvenus à en conceptualiser contradictoirement les notions et à en éprou- ver les paradigmes. Succès de parade? Tant s’ent faut. Michel Gilly et Clotilde Pontecorvo nous ont donné, au contraire, une belle leçon de modestie et de prudence épistémique.

Pourtant contrôler comment le wocio-» s’accolle au «cognitif» ne relève pas d’une opé- ration simple de la pensée, encore moins dudictamen, même sincère, des chercheurs en psycho- logie de l’éducation. Ni l’un ni l’autre, d’ailleurs, ne sont dupes. Ils savent que dans l’ordre de l’interaction humaine, rien ne se «constitue» qui ne s’«institue» dans le même mouve- ment. Le français ne connaît pas de «constituteurs», alors qu’on y a inventé les «institu- teurs». Arbitraire instructif d’une langue: il nous signifie qu’il n’est pas d’institution - au sens proactif du suffixe, bien sûr - sans acteurs. Mais ces acteurs sont des agents. C’est «on» qui assure au sens des choses humaines son invisible défilé. Gilly nous a rappelé que les tentatives pour isoler, comme fait expérimental, le asocio-cognitif)) n’étaient pas oubli naïf du «marquage» social des significations.

Faisons dans la provocation et invoquons ici les scolastiques. 111s posaient - sans preuve expérimentale, certes -, après Aristote, que la vis cognitiva entame sa genèse dans le fonc- tionnement de la vis estimativa, puissance d’appréhension de ce qui survient, crainte et atti- rance, réserve et envie, esquisse et esquive dans le même mouvement. La vis estimativa ne conçoit rien. Elle qualifie et - sauvagement -, évalue. En son ordre, s’«institue», SOUS les dehors du positionnement mutuel, le laboratoire permanent du «social». Il faut aux cher- cheurs, contre cette vaste entreprise, contre la fête qu’elle peut faire aux concepts aptes à la parade, instituer et consolider leur propre laboratoire précaire. Précarité qui s’accentue lorsque la recherche s’effectue à l’école même, l’un de ces lieux «instituteurs» où des agents sociaux tentent, avec des bonheurs divers, de s’identifier comme acteurs, c’est-à-dire comme

INTERACTIONS SOCIO-COGNITIVES ET ACQUISITIONS SCOLAIRES 151

promoteurs de la situation où ils interagissent dans des positions dont je pense, pour ma part, qu’elles sont irrémédiablement ((dyssymétriques)). Car, cette «symétrie» dans l’interac- tion, dont je comprends qu’elle puisse qualifier à première vue l’échange entre «pairs», me semble relever d’une songerie «socio-estimative)) des chercheurs eux-mêmes, plus que d’un fonctionnement «socio-cognitif» poussé à une véritable efficacité épicritique.

Ce couple asymétrie-dyssymétrie» ne serait-il pas une parade à la vérité fondatrice des rapports humains d’«acquisition»? Estimer, c’est d’abord se situer vis-à-vis du «pair» en rival, c’est l’appréhender comme rival à imiter. Ainsi s’institueraient - à la fois ressource et parade -, les mobiles équidistances humaines. Il est conso/unt de voir des psychologues rendre le conflit «mutualiste». Gilly a raison de se méfier. Et Clotilde Pontecorvo fait bien d’inclure le «conflit socio-cognitif)) dans une modélisation plus complexe des interactions «facilitantes».

Mais cette «facilitation» même laisse A mes yeux irrésolue l’énigme de la mauvaise foi. Car rien ne s’acquiert que sur la foi d’autrui. Mais, en retour, cette fois peut développer, non la simplicité de la ressource, mais la duplicité de la parade. Peut-on traiter du «cogni- tif», a fortiori du «socio-cognitif)), sans rendre un statut de variable déterminante au wré- dit» accordé ou refusé, c’est-à-dire aux manoeuvres de l‘«estimative» qui hantent les interactions de la «cogitative»?