Interview de Nezzar Par SAS

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  • 8/6/2019 Interview de Nezzar Par SAS

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    KHALED NEZZAR

    NOUS NE SAVIONS PAS

    Entretien ralis par Ahmed SEMIANE, Octobre: Ils parlent, Alger 1998

    En 1988 le gnral major Khaled Nezzar est chef du Commandement terrestre. Il est charg

    par Chadli de rtablir l'ordre sous l'tat de sige. Khaled Nezzar sera chef d'tat-major de

    l'Arme, ministre de la Dfense et membre du Haut comit d'Etat (HCE).

    Vous dites qu'avant de parler d'octobre, il est ncessaire, en fait, de remonter plus loin

    dans le temps

    Oui, tout fait. Je pense que nos maux, disons les priodes douloureuses que nous avons

    traverses, Il faut aller les chercher trs loin dans l'histoire Bien avant octobre 88Je ne remonterai pas jusqu' la Rvolution, mme si nos maux viennent de l en fait

    On peut mme aller plus loin encore et remonter sans trop de difficults jusqu'auMouvement national ?

    Bien sr, on peut aller trs loin, jusqu'au Mouvement national mais je me contenterai de m'arrtersimplement la mort du prsident Boumediene

    Boumediene, qui fut un grand homme dans pas mal de domaines, a quand mme commis

    quelques erreurs comme tout tre humain.

    Et je pense que la plus grave erreur stratgique qui nous a amens l'avnement de Chadli esttout simplement le vide qu'a laiss Boumediene aprs sa mort.

    Il est vrai qu'il est mort subitement. Il est vrai aussi qu'il se prparait prendre certaines

    dcisions qu'il n'a pu prendre. Sa mort qui fut donc subite ne lui a pas permis de laisser deremplaant.

    Et l'poque le vide a t combl comme on le sait. La situation tait tellement grave qu'il fallait tout prix parer au plus press en dsignant quelqu'un sa place.On pouvait soit puiser dans le bureau politique soit ailleurs Et un choix a t fait Chadli. Mais

    malheureusement ce n'tait pas le meilleur.

    Sur quels critres finalement s'est effectu ce choix ?

    Alors l, je ne sais pas si vous avez lu le livre la Nomenklatura! On y explique trs bien lephnomne, le livre explique en fait comment, au sommet, on arrive dsigner les responsables.

    Et le livre le dcrit trs bien. Au niveau du sommet, les responsables dsignent toujours celui

    qu'on peut facilement manipuler. On ne se dsigne pas soi-mme, on ne va jamais directement aufeu. On dsigne quelqu'un d'autre. C'est toujours ainsi que cela se passe, dans tous les pays de

    systme unique, de parti unique.

    En fait, on choisit le moins brillant ?

    Le moins brillant, le plus mallable, Oui Et la mort de Boumediene, les quelques jours qui l'ontsuivie, et mme avant, on s'est tout de suite pench sur cette question Des gens se sont penchs

    sur ce problme. Et des noms ont t avancs. Et finalement on s'est arrt sur Chadli.

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    Alors que Chadli, l'poque, n'tait pas une figure trs connue ?

    Il avait une responsabilit de chef de Rgion et il tait sur le point de partir...

    En retraite ?Pas en retraite, non. Mais avec ce que prparait Boumediene, la restructuration qu'il voulait

    entamer, Boumediene voulait crer un bureau politique o seraient rassembls tous ces anciens.Chadli devait rejoindre ce bureau politique Ce n'tait pas quelque chose de trs connu l'poque

    mais en ce qui me concerne, Chadli lui-mme m'en avait parl en me disant qu'il tait partantPourquoi ?

    Parce que Boumediene voulait un peu laguer, ayant des projets concernant l'arme, il voulait

    intgrer d'autres personnes, certaines comptences au niveau des commandements, et c'est pourcela d'ailleurs que certains officiers devaient quitter l'ANP. Entre autres Chadli, pour rejoindre le

    bureau politique.

    Concernant le bureau politique, l aussi, apparemment, les choix se faisaient, un peucomme l'explique le livre La Nomenklatura auquel vous faisiez rfrence tout l'heure,

    c'est--dire qu'on optait en somme, toujours, pour les moins brillants ?En ce qui concerne Boumediene, il faut savoir une chose, son objectif c'tait quoi'? C'tait le

    dveloppement du pays. Donc, ce n'tait ni l'arme ni le parti.Pour lui, l'arme avait le temps de s'organiser et j'ai eu l'occasion de l'entendre, l'poque, alors

    que nous n'avions mme pas de commandement, l'arme tait administre, mais non commande.

    Je me souviens, il nous avait dit, alors qu'on lui posait les problmes de commandements. "J'aifait une exprience, je ne veux pas en faire une deuxime. Vous avez le temps, instruisez-vous,

    formez-vous et le jour viendra, lorsqu'il faudra emmener de la ferraille, a ne posera aucun

    problme. Je vous ai rgl les problmes de bon voisinage..." mais, malheureusement, l'affaire du

    Sahara occidental a clat tout de suite aprs. Donc deuxime erreur stratgique de Boumediene.On peut dire, peut-tre, que dans sa vie il n'y eut que deux erreurs. Je ne m'attarderai pas sur

    certain dtails, certaines autres considrations sur lesquelles je ne pourrai pas apporter un pointde vue, telle la rvolution agraire, je ne peux pas parler de tout cela. Mais je peux parler dechoses auxquelles j'ai t confront et que je connais trs bien.

    J'ai parl de deux erreurs stratgiques tout l'heure. La premire, sa mort qui a laiss un vide

    immense alors qu'il n'avait prpar personne pour le remplacer, et la deuxime, commise avant,est la restructuration de l'arme qu'il n'estimait pas trs urgente.

    Pour lui, et il l'expliquait en disant que l'objectif tait le dcollage conomique. Personnellement

    j'adhrais ce point de vue. Donc, s'agissant de l'arme, du parti, c'tait pour lui quelque chose

    de secondaire comme je vous l'ai dj dit.En prenant la dcision d'emmener des gens comme Chadli au niveau du bureau politique, il

    savait, lui, au fond de lui-mme, que ce n'taient pas l des comptences qui pouvaient

    rellement assumer des postes de responsabilit dans le pays.Je crois qu'il s'apprtait aussi installer des jeunes cadres au plus haut niveau de la hirarchie

    militaire en mettant, toujours, certains anciens au niveau du parti. Mais le plus urgent, l'essentiel

    pour lui, fut l'industrialisation.Boumediene avait aussi un rle politique important qui tait rgional, mais galement mondial

    On sait que certains chefs d'Etat des pays en voie de dveloppement venaient demander conseil

    Boumediene avant de se dplacer.

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    Tito, Castro ?

    Oui, mais aussi les chefs d'Etat de pays africains, de pays arabes. Boumediene tait trs connu

    pour ses prises de position, surtout en ce qui concerne le Sud et le Nord.C'est donc ce vide qui a provoqu l'avnement de Chadli. Disons que l'arrive de Chadli a

    totalement renvers la hirarchie des valeurs qui existaient au temps de Boumediene.

    Boumediene avait des ides pour ce qui est de l'arme, de l'avenir...

    En somme qu'on soit d'accord ou pas, vous estimez que Boumediene avait rellement une

    vision de socit?

    Oui il avait une vision de socit lui. Malheureusement il est peut-tre parti un peu trop vite et

    n'a laiss personne pour le remplacer. D'ailleurs mme Chadli ne voulait pas de cetteresponsabilit.

    Donc, vous confirmez que Chadli ne voulait pas du Pouvoir ?

    Oui. Personnellement, comme j'ai travaill avec lui, des amis sont venus me voir pour me dire

    que Chadli ne voulait pas accepter c'est un pas en avant deux en arrire, il hsite, toi qui as

    travaill avec lui, toi qui tais son adjoint, essaye de le convaincre. N'tant pas convaincu moi-mme, je ne l'ai pas fait. J'ai tent d'expliquer que Chadli pouvait la rigueur servir dans l'arme

    mais pas en tant que prsident de la Rpublique. L'arme avait peut-tre besoin de quelqu'un deplus ou moins sage, mais en tant que prsident! Personnellement je ne le voyais pas. C'est

    pourquoi je ne l'ai pas fait D'autres personnes se sont charges de le faire, celles qui avaient des

    intrts bien sr. Celles-l ont russi le convaincre.

    Mais quelle tait la nature de ces intrts ?Tirer les ficelles

    Ceux qui avaient opt pour ce choix, leurs ambitions se limitaient-elles des ambitions de

    pouvoir seulement ou au contraire, taient-elles autres ?Aucune autre ambition sinon le pouvoir et ce qui va avec. Quelle pourrait tre cette autreambition! Mettre quelqu'un la prsidence alors qu'il n'avait pas les capacits ncessaires pour

    tre prsident? L'ambition ne pouvait tre autre que celle-l! Et ceux qui l'ont mis la tte de

    l'Etat n'taient pas des gens de sa catgorie. C'taient des hommes bien-pensants, instruits,comme feu Merbah, qui eut jouer le rle primordial, Belloucif, Benyells et bien sr des

    membres du bureau politique tel Belhouchet, surtout.

    Ils ont tout men, tout fait. Bon, il y en avait pas mal d'autres qui ne sont pas ncessairement ducercle de l'arme mais d'ailleurs et qui avaient, eux aussi, des ambitions de pouvoir. Enfin ce sont

    l les principaux intrts. Voil donc comment Chadli est arriv au pouvoir. Son avnement a

    totalement boulevers l'chelle de la hirarchie que Boumediene partant de son exprience

    acquise pendant la Rvolution avait tablie en sa qualit de chef d'tat-major. Mais aprs sa mort,tout le monde pouvait prtendre n'importe quoi partir du moment o on avait dsign

    n'importe qui. Cet opportunisme s'est manifest mme au sein de l'arme.

    L'arrive de Chadli a donc perturb le fonctionnement de l'institution militaire ?

    Totalement. Quand un Mustapha Belloucif "paranoide" se retrouve secrtaire gnral alors qu'iln'avait connu de l'ALN que le secrtariat et que Boumediene l'avait exclu de son cercle, c'est une

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    perturbation totale. Quand on nomme un secrtaire gnral lieutenant-colonel et des chefs de

    Rgion colonels, c'est une perturbation aussi...

    Mais quelles ont t les consquences directes de ce choix sur l'institution militaire ?Il y a eu un malaise perceptible durant toute la priode de l're Chadli. C'tait le rgne de la

    suspicion et des groupuscules qui s'espionnaient les uns les autres. Il tait devenu impossible demener sa tche bien, d'autant plus qu'il fallait aussi grer le problme du Sahara occidental. J'y

    ai moi-mme pass sept ans sans aucun commandement. Selim Saadi tait, cette poque, chefde la Rgion militaire de Bechar. Ensemble, cela fonctionnait plus ou moins bien. Mais ma

    nomination au poste de chef de Rgion, par la suite, m'a contraint laborer mes propres

    analyses que je consignais dans des mmoires trimestriels tout en dcidant, seul, de la dmarche suivre. J'ai t amen rgler des problmes dont la prise en charge aurait d tre assure un

    niveau de responsabilit suprieur au mien. Mais je faisais tout puisqu'il n'existait pas de

    commandement. Ajouter cela le fait que le secrtaire gnral, sans comptence militaire,possdait des prrogatives administratives, et comble de l'ironie, il disposait de la dlgation de

    signature sur tout ce qui concernait les fonctions du ministre de la Dfense. D'ailleurs, des

    dmarches capitales n'ont pu tre dcides cette poque justement en raison de l'incomptenceet de la suspicion ambiantes. Voil pourquoi le problme du Sahara occidental dure toujours.

    A quoi faites-vous exactement rfrence lorsque vous parlez de dcisions qui n'ont pas t

    prises?

    J'avais par exemple adress un mmoire, six mois avant, sur l'affaire du Sahara occidental, danslequel j'avais prvenu que l'arme marocaine se prparait construire des murs et que le moment

    tait propice pour son interdiction. Il s'agissait, sans engager le pays dans une aventure,

    d'interdire au Maroc de faire descendre ses forces vives pour la construction de ce mur et

    permettre ainsi aux Sahraouis une libert d'action plus accrue. D'autant plus qu' l'poque leMaroc, par une politique de rapprochement avec l'Algrie, visait loigner la menace du Nord et

    descendre des units blindes vers le Sud afin d'entamer les travaux. Ce que, l'poque, nousappelions la politique de charme. Il ne fallait aucun moment, tomber dans le pige.Je me souviens que Chadli avait procd aux renforcements que j'avais demands. Son entourage

    avait cependant uvr pour que l'opration que j'avais prconise n'ait pas lieu. C'est dire toute

    l'anarchie qui rgnait au sein d'une arme commande seulement par un secrtaire gnral placsous le commandement d'un prsident de la Rpublique. Les commandants des Rgions

    militaires travaillaient chacun selon ses comptences et selon ses possibilits.

    Aprs sept ans passs dans la rgion de Tindouf et de Bechar, j'ai t mut Constantine alors

    que je m'attendais un poste d'oprationnel Oran.

    En quelle anne tait-ce ?

    C'tait en 1982 et Chadli tait au pouvoir depuis trois ans. J'ai quand mme rejoint mon lieu

    d'affectation bien que sachant que j'y perdrais mon temps et que je serais bien plus utile Oran.J'aurais pu continuer m'occuper du personnel et poursuivre mon action entame Tindouf. La

    gestion oprationnelle de l'affaire du Sahara constituait un seul front, du sud au nord de l'Algrie.

    Mais les interfrences et les malaises qui ont caractris cette poque ont pes sur mon

    orientation vers Constantine et pour le maintien son poste du commandant de la Rgion d'Oran.Ceci pour ce qui est de l'arme.

    Maintenant, on peut constater les mmes comportements ailleurs. Et c'est humain. Lorsqu'un

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    responsable ne possde pas les comptences ncessaires l'accomplissement de sa mission, il

    s'entoure de collaborateurs de son niveau ou moins comptents que lui afin de dissimuler son

    incomptence. Ce sont cependant des personnes ambitieuses prtes tout accepter. C'est commecela que des gens se sont retrouvs au pouvoir, qui ministre, qui Premier ministre... a ne s'est

    jamais vu dans le monde. Ceci dnotait une certaine forme de clientlisme, quand on sait que

    beaucoup de dsignations se faisaient partir de la zaouia de Mostaganem. Cela participait de lavolont de conserver le pouvoir car dlguer des personnes comptentes revenait se remettre en

    cause. Ce sont l les facteurs qui ont aussi provoqu octobre 88.

    Selon vous, la premire grande drive a-t-elle t la nomination de Chadli ?

    La premire drive a consist choisir quelqu'un qui n'tait pas fait pour tre prsident de laRpublique et qui a boulevers la hirarchie tous les niveaux, militaire ou autres.

    Ce choix a ensuite eu des rpercussions sur le plan conomique.

    Exact, en ce sens que les comptences en la matire taient marginalises et empches de

    prendre en charge les problmes conomiques pour dgager une vision long terme. En aucun

    cas, il n'y a eu une vritable gestion des cadres. Les dsignations se faisaient n'importe comment.Et c'est ainsi que les cadres de la nation ont t marginaliss, alors que beaucoup d'entre eux,

    aujourd'hui, loin de l'Algrie, dans d'autres pays, se retrouvent au plus haut niveau deresponsabilit, et dans d'importantes organisations internationales.

    La dmagogie a prim. On a recouru aux dpenses inutiles et on s'est content de partager la

    rente ptrolire au lieu de penser l'avenir en construisant rellement l'conomie.

    Et puis il y a eu la corruption ?

    Je ne suis pas tellement sr. Il y a eu de la corruption, comme partout ailleurs. Mais je ne crois

    pas cette histoire de vingt-six milliards. C'est un alibi politique...

    Il ne s'agit pas ncessairement de l'affaire des 26 milliards, mais la corruption a exist, ellea mme t un facteur dterminant de la dstabilisation conomique...

    Je ne crois pas que le problme se limite uniquement cet aspect. Le fait est que les dossiers

    conomiques n'ont pas t confis aux conomistes. On a cru qu'il tait possible de se passer

    d'une vision lointaine sur la question, se basant uniquement sur les recettes ptrolires quicouvraient alors, en partie, nos besoins. Cela s'est traduit par le PAP, par l'institution de

    l'allocation-devise, par une parit d'un dinar pour un franc soixante, etc. C'tait une ineptie totale,

    une conomie fausse. Une gabegie. La corruption n'a donc pas influ sur la situation autant qu'onl'imagine. J'ai trait des dossiers mis la disposition de l'APN puis transfrs la justice. Mais

    ils ne contenaient que les rumeurs que l'on entendait dans la rue.

    Mais il y a eu l'affaire Belloucif ?

    C'est une autre affaire. Elle concerne l'arme. Belloucif est quelqu'un qui a puis dans les caissesde l'Etat et du ministre de la Dfense. Lorsque j'ai pris mes fonctions de chef d'tat-major, j'ai

    constat un trou dans la comptabilit. L'avantage de l'institution militaire tait son systme clair

    et net de gestion financire. C'est comme cela que Mustapha Belloucif a t jug, jug sur pices.

    Il s'agit donc d'une autre affaire. Elle a cr un syndrome dans l'ANP. D'autant plus que l'armen'avait jamais connu ce genre d'affaires. Belloucif est le seul avoir tent de profiter de son poste

    de secrtaire gnral en puisant carrment dans les ressources du ministre de la Dfense.

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    La corruption, proprement parler, est autrement plus difficile dterminer car elle est l'uvre

    des personnes en charge des marchs extrieurs. N'empche que la priode, au demeurant faste,

    de Chadli s'est caractrise par une dilapidation des deniers publics dans des projets sans intrt.

    Cependant, l'analyse, que permet le recul, devrait faire apparatre d'autres raisons dans les

    vnements d'octobre 88. N'est-il pas injuste finalement, aujourd'hui, d'en imputer toute laresponsabilit au seul prsident Chadli ?

    Oui, dans une certaine mesure puisque Chadli n'a jamais voulu de la prsidence de laRpublique. Mais il tait prsident et il portait de ce fait la responsabilit de tous les vnements

    qui auraient pu survenir.

    Avait-il les pleins pouvoirs de dcision ?

    Oui, bien sr qu'il les avait, mais les comprenait-il ? L est le problme. Il pensait peut-tre bienagir mais partir du moment o il avait accept l'investiture, il en portait toute la responsabilit.

    Mais il est vrai qu'il n'y a pas que lui. Le choix, d'une part d'un Mustapha Belloucif,

    mgalomane, la Dfense, et d'autre pan' celui d'un Abdelhamid Brahimi, ministre du Plan et

    Premier ministre incomptent, connu pour avoir toujours t un ternel boursier du FLN et del'Algrie (alors que la guerre d'Algrie battait son plein, il passa trois annes conscutives

    tudier l'tranger)... Brahimi a toujours occup des postes par accointances, par des liaisons caractre rgionaliste. Ces points sont les lments constitutifs d'un mlange dtonant ouvrant la

    voie l'aventure dans le sens le plus large.

    La responsabilit de Chadli est partage avec tous ceux qui l'ont pouss la magistraturesuprme. Le Premier ministre d'alors, Abdelhamid Brahimi, incomptent invtr, l'homme des

    quilibres, l'homme du Plan, porte, lui aussi, une grosse part de responsabilit. Il n'a cess d'aller

    de rformes en restructuration des entreprises. Toutefois, je ne pense pas que nos malheurs

    conomiques viennent uniquement de la corruption. Je ne crois pas qu'on puisse dire que lesvritables gestionnaires aient t des corrompus, loin de l. Beaucoup d'entre eux ont essay de

    remplir convenablement leur mission et ils l'ont fait.Il faut, en revanche, tenir compte du FLN auquel Chadli faisait jouer tout son rle alors queBoumediene l'avait tenu l'cart. L'avis du mouhafedh prdominait dsormais celui du

    gestionnaire.

    Mais la justice, tout comme l'conomie, n'a pas pu chapper au phnomne dedstructuration. Elle n'a donc pas pu assurer son travail pleinement et en toute

    indpendance ?

    C'est sr. L'exemple du wali de Bechar, impliqu dans une affaire douteuse d'assainissement

    Tindouf, en est l'illustration parfaite. Au fait des agissements malhonntes de ce wali, un juge estd'abord venu me consulter sur l'opportunit de le traduire devant la justice et demander

    couverture du plus haut sommet de la hirarchie. L'ordre de diligenter cette enqute est parvenu

    de Chadli lui-mme. Il reste que la justice a trait plusieurs affaires en dpit de sa dstructurationet les rumeurs soutenant le contraire ne sont pas tout fait exactes.

    A cette incurie tait venue se greffer la chute du cours du ptrole. Il s'en est trouv des gens pour

    profiter de ce coup de grce qui allait dboucher sur octobre 88.

    Y a-t-il eu des analyses sur ce qui se prparait ? Moi, j'tais un militaire mais nous avionsl'impression, en tant qu'individus, que le bateau coulait sans parvenir dfinir le degr du

    danger. Nous ne savions honntement pas ce qui allait advenir et moi j'tais personnellement

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    proccup par les problmes de l'arme. Mais la situation gnrale influait fortement sur l'arme

    et ma plus grande crainte tait que l'institution militaire clate.

    Pourquoi conceviez-vous de telles craintes ?Parce qu'une chape de plomb pesait sur l'arme. Nous avions, certes, form des jeunes. Mais,

    cantonns dans certains grades, ils n'occupaient encore aucun poste de responsabilit. Larestructuration de l'institution militaire visait justement briser cette chape de plomb par la

    promotion de ces jeunes officiers. Le prsident Chadli avait approuv devant tous les cadres, leplan de restructuration que j'ai tent d'appliquer en prenant soin de mnager les compagnons. Je

    me suis aperu, aprs six mois de travail, que ce n'tait malheureusement pas facile. C'est ce qui

    m'a pouss aller de l'avant, avec au bout un seul risque me concernant, celui de partir, risqueque, par ailleurs, j'acceptais totalement.

    Mais vous dites qu'il y avait tout de mme un risque d'clatement l'intrieur de l'arme ?

    Le risque existait en ce sens que les horizons taient bouchs.

    La frustration des jeunes officiers tait-elle l'origine de vos inquitudes ?L'arme tait la seule institution encore solide. Tout le monde parlait d'ailleurs en son nom, aussi

    bien l'Etat que le Parti

    Et le pouvoir tait assimil l'arme ?

    On l'assimilait l'arme parce qu'on le voulait bien. Mais les militaires n'exeraient pas lepouvoir, si ce n'est travers certains, choisis pour certaines fonctions. Autrement, les officiers,

    membres du comit central ne dtenaient pas la dcision, ni politique ni conomique. Ils ne se

    prononaient que sur les questions lies l'arme. Celle-ci tait pourtant utilise, son insu,

    comme un argument de dissuasion contre les politiques. On dsignait ainsi des officiers dans lecomit central, d'autres la prsidence. Certains officiers ont, peut-tre, accept de jouer le jeu

    mais ils n'ont engag que leur propre personne.L'institution, elle, se trouvait ailleurs. Elle tait aux frontires, dans les sables. A Tindouf o, l'poque, je commandais un groupement de vingt cinq mille hommes. L'arme tait sortie d'Alger

    et des casernes des grandes villes. L'ordre manait de Chadli et tait transmis par le chef d'tat-

    major. Reste savoir qui avait conseill le prsident de la sorte et pour quelles raisons.

    En avez-vous une ide ?

    Difficile dire... La peur, peut-tre, de voir l'arme prendre le pouvoir, ce qui tait compltement

    faux.

    Il y avait, en outre, ceux qui ne dsiraient pas la restructuration de l'arme, qui s'opposaient samodernisation et l'mergence des jeunes cadres. Ce sont des gens de l'appareil, qui tiraient leur

    pouvoir du lien qui rattachait des officiers au FLN. Or, la modernisation de l'ANP visait la mise

    l'cart des barons au profit des comptences. Il y avait encore les pagsistes du comit centralqui s'opposaient aux rformes proposes par Chadli concernant les terres agricoles. Il faut lui

    reconnatre, en effet, le mrite d'avoir tent leur vente. Le projet a cependant t rejet par le

    comit central, et le prsident a d traiter le dossier lui-mme, bien que sans succs.

    Il faut savoir que le FLN tait travers par tous les courants. Y figuraient les islamistes, lesbathistes, les rformateurs, les berbristes, les dmocrates et les pagsistes.

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    Des brbristes au FLN ?

    Bien sr. Le FLN tait le reflet de la socit algrienne et le problme berbre existait de toute

    manire.

    Il existe toujours.

    Je ne pense pas. Je crois qu'il est dpass du fait d'avoir assum sa berbrit. Nous l'avonsassume du temps de Chadli, lorsque le sujet a t discut au comit central.

    Pas dans la Constitution.

    ... Parler de nos origines, c'est dj les assumer. Il faut revenir l'histoire pour s'apercevoir que

    nos origines sont berbres. Mais il faut aussi s'interroger sur les dividendes tirer de l'ventuel

    enseignement de la langue amazighe. Aux spcialistes d'apporter la rponse. Je dirai tout de

    mme que son enseignement devait servir mieux connatre nos origines. Mais je ne serais pasd'accord pour en faire une seconde langue moins de faire la preuve de son apport moderniste et

    technologique.

    Les Berbres ne se sont peut-tre pas beaucoup exprims mais il y a eu le printemps berbre de

    la Kabylie...

    Durement rprim !?

    Peut-tre, mais comment pouvait-il en tre autrement avec un parti unique, une pense unique.

    Un rgime qui n'admettait pas la diversit des ides ne pouvait recourir une autre solution quele muselage. Ce n'tait pas normal mais cela tombait sous le sens.

    Mais le printemps berbre n'a pas fait l'objet d'une vritable rpression. Il y a peut-tre eu des

    restrictions de libert l'endroit de certains individus.

    Beaucoup de militants ont tout de mme t emprisonns.

    Il y a eu des individus malmens et mis en prison. C'est vrai qu'on craignait la division du pays

    mais les ides n'taient pas assez dveloppes pour intgrer les diffrences.Aujourd'hui, la berbrit est reconnue. Le problme berbre ne se pose donc pas et nul ne peutprtendre descendre des Arabes. Les ides de chaque courant qui traversait le comit central

    n'taient pas toujours applicables. Aussi, certains ont-ils tent autre chose: octobre 88. Leur

    dmarche s'inscrivait dans l'urgence car le prsident tait la veille d'introduire des rformespolitiques. J'atteste de l'intention manifeste de Chadli de crer deux partis politiques. Il nous l'a

    dit lors d'un comit central, en apart dans un bureau, auquel avaient pris part plusieurs officiers.

    Il s'tait entendu sur cela avec Messadia et l'ide tait arrte dans son esprit.Pourtant, je ne crois pas que les courants opposs au projet prsidentiel aient tent, ds le dpart

    des vnements, une action de dstabilisation. Je pense que leur but tait plutt de crer une

    effervescence sociale. Mais le mouvement s'est rapidement mu. Les fomentateurs des

    vnements ont ils t dpasss par l'ampleur de l'action ou tait-ce seulement l'tape suprieurevers la dstabilisation des institutions pour la prise du pouvoir ? Toujours est-il que l'arme a eu

    affaire une insurrection visant la vritable dstabilisation de l'Etat. C'est ce que nous avons

    vcu en octobre 88. Les constats prouvant la tentative de dstabilisation sont:Le caractre gnralis touchant la majeure partie du territoire national.

    Les symboles de l'Etat pris principalement pour cibles.

    Le caractre organis et structur des groupes chargs d'oprer les destructions et leur grandehostilit aussi.

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    L'utilisation d'armes blanches, de cocktails Molotov, voire d'armes feu.

    Le caractre soudain et brutal des actions entreprises.

    La recherche de l'effet de surprise (troubles le 4 octobre, puis arrt, puis reprise le lendemain 5octobre, dix heures prcises).

    Les voitures banalises tirant sur la foule.

    L'impression unanime d'un vritable tat-major fonctionnant en face de nous...

    On arrive octobre 88. De tous les acteurs ce niveau de responsabilit, vous tes le seul

    vous tre exprim. Pouvez-vous expliquer les raisons qui vous y ont pouss ?

    J'tais commandant des forces terrestres et le gnral Belhouchet tait chef d'tat-major. Mais il

    fallait que je dise quelque chose sur ce que j'ai vcu en octobre 88, durant la priode prcdenteet jusqu' l'arrt du processus (lectoral, NDLR). J'ai pens qu'il tait ncessaire d'avertir le

    peuple et de l'informer de certaines choses. Parler d'octobre 88 est pour moi un devoir.

    Le prsident avait alors dcrt l'tat de sige et j'ai t dsign responsable du rtablissement del'ordre. Il y a eu des morts. J'ai affront une situation moralement et psychologiquement difficile.

    Mais j'tais un militaire qui devait assumer son rle jusqu'au bout. Cela avait commenc dans la

    prcipitation car les units ne se trouvaient pas Alger. De plus, elles taient entranes pour laguerre pas pour le maintien de l'ordre. Orientes dans la prcipitation sur Alger, elles s'taientprsentes dans la capitale avec les quipements de combat, leurs engins arms d'obus et

    transportant des stocks d'essence, comme pour une opration militaire alors qu'on leur avait

    assign la mission de maintenir l'ordre. Ds lors comment pouvait-on faire autrement ? Il fallaitsuppler aux forces de police qui taient dbordes et que l'on disait avoir t dsarmes, pour

    des raisons que j'ignore, juste avant les vnements.

    L'intervention de l'arme devenait donc ncessaire pour contenir l'insurrection et le nombre tropimportant d'insurgs. Le but du dploiement de l'arme dans les rues d'Alger n'tait cependant

    pas de rprimer aveuglment le mouvement mais de saturer la ville afin de calmer le jeu.

    L'entreprise n'tait pas aise. Des difficults de connaissance de terrain, de quadrillage des

    quartiers, de logistique l'ont complique. En outre, nous avons d, par souci d'efficacit, casser lachane de commandement et dcentraliser la dcision au niveau des compagnies et des sections.

    Comment matriser en effet une ville avec des brigades de trois mille hommes chacune ?

    Faudrait-il comprendre ds lors que l'on ne pouvait pas viter les morts ni le drame qui

    s'en est suivi?

    Tout fait. Nous faisions face une vritable tentative de dstabilisation du pays. Les autres

    pays du monde disposent de textes clairs qui prconisent la mme dmarche dans pareille

    situation. L'Algrie souffrait malheureusement d'un vide juridique en la matire mais nouspossdions l'avantage d'avoir appris des trangers. Nous nous en sommes donc strictement tenus

    aux instructions contenues dans les manuels trangers. Nous n'avons rien invent et nous avons

    essay de prserver les vies humaines. Le premier mort est pourtant tomb, la place du PremierMai, sous les tirs d'un adjudant-chef. Celui-ci a us de son PA afin d'arrter une personne qui le

    menaait, ainsi que de son char, arm de quarante-trois obus, muni d'un cocktail Molotov. Dans

    ces cas, l'ordre est de tirer. Il n'y a rien d'autre faire. L'volution des procds met aujourd'hui la disposition des units charges du maintien de l'ordre, des balles en caoutchouc, ce que nous

    ne possdions pas. Il s'est avr par la suite que la victime tait un ancien militaire qui avait

    dsert les rangs de l'arme.

  • 8/6/2019 Interview de Nezzar Par SAS

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    Est-ce au cours des vnements que sa dsertion a eu lieu ?

    Non, elle s'tait produite bien avant et n'tait en rien lie octobre 88. Toujours est-il que

    l'incident fatal avait mis l'adjudant dans un tat psychologique lamentable. J'ai pu le constater lesoir mme alors que je visitais, comme tous les soirs, les secteurs pour leur donner les consignes.

    J'ai d donc le secouer en lui disant qu'il avait fait son travail, qu'il n'avait fait feu que contraint

    et forc, et que sa raction a permis d'viter le pire, c'est--dire l'explosion du char avec toute sacharge d'explosifs.

    C'est dire, en tout cas, l'tat d'esprit dans lequel se trouvaient les soldats. Ce sont aussi des

    enfants du peuple; ils n'taient venus ni pour tuer ni pour rprimer. Leurs instructions taientd'ailleurs trs claires. Il est vrai que nous avons t surpris les deux premiers jours. La structure

    avait cependant travaill, et les ordres, transmis verbalement, sur les tirs et sur tout autre sujet y

    taient, mais le troisime jour des vnements, tout tait transcrit. Les documents le prouvant

    existent toujours.

    Mais de qui l'adjudant avait-il reu l'ordre de tirer ?

    C'tait sa propre dcision. Car il ne faut pas oublier que l'arme avait investi les rues seulement

    vingt-quatre heures aprs l'clatement des vnements. Nous n'avions pas eu le temps de donnerdes instructions. Nous avions par au plus press. Les vnements avaient clat le 5 au matin, ladsignation du commandement pour le rtablissement de l'ordre et le dcret de l'tat de sige sont

    intervenus le 5 au soir, quant l'arme, elle s'est dploye ds le 6.

    L'ampleur des dgts, les atteintes l'emblme de l'Etat, la destruction des difices de laRpublique ont dict cette dmarche.

    Beaucoup d'lments avaient d'ailleurs assimil les actes d'alors une vritable insurrection

    visant la dstabilisation de l ' Etat et du pays. La faon d'agir des groupes qui s'acharnaient dtruire un Souk el-fellah avant de l'abandonner au pillage par des enfants et de se diriger vers un

    autre objectif rvlait l'acte organis. Plusieurs tmoignages rapportent cette version des faits. On

    se demande, ds lors qu'on mdite sur les tmoignages, d'o sont venues les voitures qui

    circulaient en ville et dont les passagers ont ouvert le feu sur les citoyens.Il fallait donc qu'un tat-major contrle cette situation tout comme une structure similaire avait

    contrl les vnements, en France, de Mai 68. Bien qu'il faille relever que le soulvement de

    Mai 68 ne s'est pas traduit par les actes de destruction que l'on a remarqus chez nous. Mai 68,c'taient des barricades pour exiger la satisfaction de revendications bien prcises. Chez nous, la

    revendication n'tait pas claire. Elle tait sous-jacente mais avait, pour nous, les allures d'une

    insurrection.

    Les vnements du 5 octobre ont t prcds par des rumeurs de grves, des rumeurs

    d'clatement social. Ont-elles t examines, ont-elles t prises au srieux ou, au contraire,

    ngliges ?

    Nous tions pris au dpourvu et nous n'avions donc pas pu valuer la situation. Je n'en ai,honntement, pas eu le temps. Il est possible que cela ait t effectu un autre niveau. Mais en

    tant que commandant des forces terrestres, je ne m'occupais que de mes units et je n'ai t

    acteur qu' partir du 5 octobre.

    Les rumeurs ont pourtant circul une vingtaine de jours avant ?Oui... mais honntement, je ne les ai pas prises au srieux. Et ce n'tait aucunement mon rle.

  • 8/6/2019 Interview de Nezzar Par SAS

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    Les structures et les services de l'institution militaire ont-elles procd cette valuation?

    Ce n'tait pas leur travail. Il n'entrait ni dans les prrogatives de l'arme ni dans celles desservices de scurit relevant de l'arme d'valuer les risques dont vous parlez. D'autres structures

    auraient d s'en occuper. Or, la seule structure habilite mener ce type de mission taitchapeaute par la prsidence de la Rpublique. Elle ne se trouvait pas au niveau du ministre de

    la Dfense. Le ministre de l'lntrieur, pour sa part, n'tait pas quip d'une structure spcialisedans les questions de scurit interne. Il n'existait qu'un comit compos d'lments de la

    Gendarmerie nationale, de la police et des services de scurit. Leur travail consistait fournir

    des synthses au ministre de l'lntrieur. L'ont-ils fait pour le 5 octobre ? Je sais qu'ils taientprsents le 4 au soir Chevalley, car il faut savoir que les problmes avaient surgi ds cette date.

    Le calme tait revenu dans la soire mais les troubles avaient recommenc le lendemain dix

    heures. Pourquoi pas avant, l'aube, pourquoi dix heures pile si ce n'tait pour obir desordres prcis ?

    On peut galement se demander pourquoi les troubles avaient cess dans la soire du 4 ?Parce que les services de scurit avaient ragi. Parce que l'on voulait aussi procder ainsi.

    Mais les troubles avaient repris le lendemain matin ?

    C'tait 10 h pile. Pourquoi ? Parce que les ordres ont t donns pour organiser les vnements cette heure-l, le temps de coordonner les actions pour faire clater les meutes partout Alger

    et en mme temps en crant la surprise.

    Comment est-il possible de manipuler une foule aussi importante et la conduire de manireaussi prcise ?Il ne s'agissait pas d'une foule. Il n'y avait que des meneurs. On a remarqu des groupes de deux

    trois personnes dont la mission tait de provoquer les meutes et de laisser la rue s'en emparerpar l'effet boule de neige.

    Le 5 octobre a donc t une surprise totale. Vos propos ne le contredisent pas. On a

    galement senti beaucoup de dsarroi chez des responsables. Le responsable que vous tiez

    en tait-il surpris sachant que les annes 80 ont t jalonnes par au moins cinq grandesmeutes ?J'ai t surpris par son ampleur. On tait habitu aux manifestants qui bloquent les routes mais

    pas des meutiers qui brlent et dtruisent les symboles de l'Etat. Personnellement, je ne

    pensais pas que des Algriens pouvaient parvenir ce stade de la manifestation.

    C'tait l l'expression extrme d'un ras-le-bol ?Je pense que le mouvement qui a t dclench n'a pas pu tre contrl. Le ras-le-bol l'a alors

    emport.

    Vous pensez que, l'un dans l'autre, nous avons dbouch sur les vnements du 5 octobre ?Je crois que c'est cela.

  • 8/6/2019 Interview de Nezzar Par SAS

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    Quelles ont t les villes et les rgions les plus touches par les meutes ?

    Pratiquement toute l'Algrie a t touche. Je citerai, en m'appuyant sur un document officiel

    datant de la priode en question, Alger, Mda, Djelfa, Chlef, M'sila, Ain Defla, Boumerds,Bouira, Tipaza, Blida, Tizi Ouzou, Sidi Bel Abbes, Ain Tmouchent, Mostaganem, Tiaret, Oran,

    Tlemcen, Saida, Bjaia, Guelma et Annaba. En somme tout le pays.

    Alger a nanmoins constitu le point le plus fort ?

    C'tait tout fait normal. Alger est la capitale et, en outre, elle a t le point de dpart desvnements. La capitale est le sige de l'Etat, elle abrite ses plus importantes institutions et est le

    point de chute des trangers. Et puis, une meute dans la capitale produit un effet d'entranement

    sur les autres villes. Il y a eu des morts dans certaines d'entre elles. Les rumeurs parlent de 500morts mais les chiffres exacts livrent un bilan de 140 morts.

    140 morts sur tout le territoire ?

    Exactement. Le bilan dfinitif, tabli quinze vingt jours aprs les vnements et aprs avoir

    enregistr les dcs de personnes qui ont succomb leurs blessures, porte le nombre des morts

    169 au total. Les dcs ont t au nombre de 56 Alger. Ailleurs, le bilan est le suivant ( Voirtableau du nombre de victimes par ville ).

    Voil le bilan dfinitif la fin de l'tat de sige. Il fait tat de 144 morts en y incluant lesgendarmes et les militaires. Ce dernier chiffre est celui du bilan officiel. Il n'y a pas eu davantage

    de morts. C'est le souvenir que j'ai du bilan tabli trois ou quatre jours aprs et qui inclut les

    morts de l'affaire de Bab El-Oued dont le nombre des victimes figure dans les 56 dcsenregistrs Alger. Ces chiffres proviennent du bilan tabli par la Gendarmerie nationale le 12

    octobre 1988 et l'affaire de BEO s'est produite le 10 octobre. Voil pour ce qui est des morts et

    des blesss alors que la rumeur rapporte un chiffre de 500 morts.

    Rappelez-vous des meutes de Los Angeles et de la raction d'un pays avanc tel que les Etats-Unis qui, en quelques jours, eut mettre dans des camps plus de 5000 de ces citoyens. Sans

    compter le nombre excessif de morts qui n'a jamais t dvoil.

    D'autres sources pourtant maintiennent toujours les mmes chiffres, allant de 500 1000morts ?

    Mais sur quelles bases ? Quelques jours plus tard, nous avions runi les journalistes

    Etait-ce la fameuse runion de An Nadja ?

    Tout fait. Nous leur avions communiqu le bilan et avions mis leur disposition les noms detoutes les victimes. Nous leur avons ainsi suggr de vrifier auprs de chaque famille.

    Pouvez-vous rappeler les circonstances de cette runion ? C'tait bien une entreprise de

    l'arme, n'est-ce pas ?

    C'est nous qui l'avions organise, seuls. C'tait une dcision du haut commandement militaire dertablissement de l'ordre que nous dsignions sous le nom de code de COMIRO.

    Mais aucun journaliste n'eut rapporter le contenu de notre confrence.

    Vous qualifiez les vnements du 5 octobre de situation indite. Pourquoi ?

    Elle tait indite car jamais auparavant nous n'avions fait face une tentative d'insurrection et dedstabilisation.

  • 8/6/2019 Interview de Nezzar Par SAS

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    De cette ampleur ?

    De cette ampleur, des faits et constats entremls.

    Vous dites, dans un de vos articles publis dansEl Watanque l'arme n'eut d'autrerecours que de dployer dans la prcipitation des prodiges de prouesses pour rtablir

    l'ordre et stopper l'anarchie et ce, sur dcision du prsident de la Rpublique . Vous avezdonc intervenu dans l'urgence ?

    Oui, bien sr, l'arme n'tait pas Alger. Encore que c'est grce la restructuration de l'armedj en cours au moment des vnements que nous avions pu rapidement dpcher les premires

    units. Celles-ci taient auparavant places sous le commandement des Rgions. La

    restructuration les avait transfres sous l'autorit du commandement central, c'est--dire sousmon commandement. Cela m'a permis d'appeler le commandant de brigade le plus proche. Il

    tait stationn Djelfa. Il a t gravement brl lors des incidents d'EI-Biar. Ce fut de sa part, un

    vritable acte de bravoure. Car en dgageant le cocktail Molotov avec sa poitrine et ses bras, il apu sauver ainsi son char, son quipage et les environs. D'ailleurs son corps est marqu vie par

    ces traces de brlures. Je lui avais demand alors: Sais-tu ce qui se passe Alger ? . Il a

    rpondu Oui . Je lui ai ordonn: Tu montes dans ton premier char, je te veux demain l'aube Alger . J'ai galement pu, du fait de la centralisation du commandement, faire venir lesoir des avions pleins de militaires de Biskra et de Tindouf, car il n'y avait rien Alger ! Outre

    plusieurs avions d'Air Algrie rquisitionns cet effet, il y eut l'aviation de transport militaire

    dont certains pilotes usrent de prouesses allant jusqu' faire .] rotations chacun sur le trajetAlger-Tindouf-Alger dans la seule nuit du 5 au 6 octobre. Ce qui a permis ds la nuit du 5 au 6

    octobre de prendre en charge la plupart des points sensibles de la capitale. Exemple: Le Trsor,

    la centrale lectrique, le Centre de la monnaie, les difices publics, etc

    Pensez-vous que cette restructuration a permis de limiter les dgts ?

    Elle a permis non seulement de limiter les dgts en 1988 mais aussi d'encadrer la priode de

    l'arrt du processus lectoral La restructuration de l'arme a ouvert la voie aux jeunes officiers.Ils ont ressoud le commandement par la cration de divisions qui ont remplac les unitsparses. Ils avaient, en outre, fait dissoudre la cinquantaine de bataillons autonomes. Imaginons

    ce qui aurait pu advenir si ces units et ces bataillons n'avaient pas t endivisionns au

    moment de l'arrt du processus lectoral. Imaginons leur raction dans ce contexte aggrav parl'appel du FIS. Cela aurait t la division de l'arme.

    Selon vous, nous serions-nous achemins vers une guerre civile, une guerre de char contre

    char ?

    La division de l'arme aurait pu donner naissance deux fronts qui se seraient opposs dans uneguerre civile. a aurait t la destruction totale du pays... pendant l'arrt du processus lectoral

    s'entend!

    A quel moment le prsident vous a-t-il appel pour rtablir l'ordre ?

    Le 5 au soir.

    Quelle tait alors la nature de ses instructions ?

    Aucune instruction, ni de lui ni du chef d'tat-major, lequel chef d'tat-major fut beaucoup plus

    un frein dans le droulement de notre travail. Son action paraissait tellement suspecte que j'ai d

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    le tenir l'cart. Il fallait donc rtablir l'ordre. J'ai conu ma dmarche partir des manuels

    trangers que j'avais tudis et des notions que j'en avais gardes. J'ai frquent leurs coles, je

    connaissais le systme de maintien de l'ordre. Je sais que l'arme doit appuyer la police dansl'tat d'urgence et qu'elle assure les pouvoirs de la police dans l'tat de sige en usant des armes

    au besoin. Le prsident ne possdait pas ces connaissances. Il s'est repos sur un responsable

    charg du rtablissement de l'ordre, c'est tout.

    Dans quel tat d'esprit se trouvait alors le Prsident ?

    (Rires)... Vaut mieux ne pas en parler, (rires).

    Mais pour l'histoire il est important de le savoir ...

    Pour l'histoire, je dirais que j'tais, honntement, convaincu que Chadli allait quitter le pouvoir

    six mois aprs le rtablissement de l'ordre. Je pensais qu'il comprendrait qu'il devait partir dansles six mois suivants, le temps de prvoir un mode de dsignation d'un successeur. Il ne lui restait

    plus rien.

    A quel moment avez-vous rellement senti, en tant que responsable, la gravit de lasituation ? Quel jour exactement ?

    Vous savez, on peut toucher tout mais certaines choses sont sacres. En tourne d'inspection

    Kouba le 5 au soir, j'ai vu des gens mettre sac une kasma de moudjahidine. Ils avaient entass

    tout le mobilier sur le trottoir, et ont tout incendi, y compris les dossiers.Dtruire une kasma de moudjahidine est un reniement de leur uvre pour l'indpendance de

    l'Algrie, un reniement de leur sacrifice. Quand bien mme certains d'entre eux ont commis des

    erreurs, les moudjahidine demeurent un symbole sacr au mme titre que l'emblme national. Jegarderai toujours cette image l'esprit.

    Mais dans le mme temps les jeunes se sont attaqus tout ce qui reprsentait l'Etat. Il doit

    y avoir une explication cela ?C'est clair. C'est ce que, nous, nous appelons une insurrection visant la dstabilisation de l'Etat. Ilfaudrait, ce constat tabli, s'interroger sur les raisons de ces agissements.

    Je suis certain que l'objectif initial n'tait pas le rejet de l'Etat en tant que tel.

    Donc l'Etat en tant que symbole assimil au pouvoir ?

    L'ensemble en fait, cependant la confiance totale est revenue au lendemain du discoursprsidentiel.

    Comment expliquez-vous que des gens qui ont cass, dtruit et incendi les symboles de

    l'Etat aient repris confiance aprs un discours ?

    En fait, ceux qui sont descendus dans les rues pour casser n'ont rien voir dans l'histoire. Ils ontt utiliss mais sont revenus de meilleurs sentiments sitt que le prsident a parl et que les

    manifestants emprisonns ont t librs. Et lorsque le calme a t rtabli, les manipulateurs se

    sont camoufls pour ne pas tre dvoils.

    Si je comprends bien, les gens ont t manipuls, pousss l'meute. Survient alors le

    discours du prsident. Ils sont apaiss et ne sont plus manipulables ?

    C'est davantage le retour au calme qui a tenu en chec les manipulateurs. Aussi, ont-ils d se

  • 8/6/2019 Interview de Nezzar Par SAS

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    rtracter et cder la place une autre occasion. Ce n'est pas le discours qui les a convaincus, non.(Rires).

    Vous souvenez-vous du lieu o vous vous trouviez le 5 octobre ?Je me rendais mon travail lorsque les vnements ont clat.

    Quelle a t la premire information qui vous est parvenue propos de ce qui se produisait

    dans la rue ?

    J'tais mon poste, je travaillais normalement.

    Vous n'avez rien remarqu ?Non, rien. J'ai regagn mon domicile pour je ne sais quelle raison. J'tais donc ressorti de la

    maison pour reprendre la voiture et l j'ai vu les voisins courir dans tous les sens. Je les entendais

    dire que tel ministre et tel difice brlaient.J'ai eu du ressentiment devant ces actes de vandalisme et de destruction contre tout ce que le

    pays avait construit. C'tait totalement incomprhensible pour moi. D'autant plus que ceux qui

    dtruisaient n'taient pas des gueux, comme on l'imagine. Les photos publies plus tard dans lapresse franaise montraient des gens dont la tenue vestimentaire dnotait d'un certain niveau.

    Parmi les manifestants se trouvaient des jeunes de quartier...

    Ils s'en prenaient davantage la police. On se souvient du slogan qu'ils scandaient: Lakhdar,

    c'est pas la peine, khellouna netkelffou bel zrag ( le vert ANP ce n'est pas la peine, laissez-nous nous occuper des bleus police ). Les jeunes taient peut-tre malmens par les policiers

    et ils leur en voulaient un peu pour cela. Mais l'poque n'tait pas celle de la mal vie. Les jeunes

    des quartiers ont t entrans...

    Ce n'tait pas non plus la belle vie ?

    C'est sr pour ce qui est de certaines questions. L'expression tait musele, les activitsculturelles faisaient dfaut, l'oisivet rgnait. Mais je ne pense pas que ces considrations aient

    pu pousser vers cet extrme. Nous n'avions jamais envisag une situation pareille.Lorsqu'il y eut l'arrt du processus lectoral, nous avions mis toutes les hypothses, celle du

    vandalisme et mme celle du terrorisme. Mais jamais nous n'aurions cru en arriver aux massacres

    d'enfants.

    Quel a t le sentiment du citoyen que vous tes devant la situation d'octobre 88 et devant

    votre mission de rtablir l'ordre ?

    J'avais immdiatement ralis, compte tenu de ce que j'avais vu, des difficults de matrise qui

    auraient pu surgir. J'tais proccup par les aspects techniques de ma mission. Les units

    oprationnelles ne se trouvaient pas proximit de mon bureau et la formation des soldats neprvoyait pas des missions de rtablissement de l'ordre.

    Mais comment avez-vous apprhend la situation en tant qu'tre humain ?

    C'tait une situation effarante qu'il fallait tout prix arrter, c'est tout. Se posait alors la questiondu comment. Nous n'avons d'ailleurs jamais pens en arriver aux armes.

  • 8/6/2019 Interview de Nezzar Par SAS

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    Vous ne pensiez pas, ds le 5, utiliser les armes ?

    Non, jamais! Absolument pas !

    Jusqu' quel moment avez-vous conserv cette conviction ?Jusqu'au moment o nous avons constat que les meutes se poursuivaient, bien que nous ayons

    ceintur les rues par les units de l'arme. Les chars taient pris d'assaut par des cocktailsMolotov.

    Les instructions taient-elles prcises dans ce genre de situation ?L'ide d'utiliser les armes ne m'avait pas frl l'esprit. J'tais convaincu que la prsence des

    units dans les rues ramnerait le calme. Je n'avais jamais pens devoir recourir aux armes.

    Lorsque l'irrparable s'est produit, des instructions trs prcises ont t donnes. Au dbut, les

    armes ont t utilises pour tirer en l'air pour disperser la foule.

    Des tirs de sommation ?

    Oui. Cependant, les tirs de sommation dans le cadre du maintien de l'ordre sont rglements.

    Mais les gens ne sont pas habitus...Beaucoup de victimes des vnements d'octobre ont d'ailleurs t fauches par des balles

    perdues. On a aussi tir par terre pour disperser la foule. Les noyaux et les enveloppes de balles,

    en ricochant, ont mortellement atteint des personnes.

    Nous n'avons pas tir pour tuer et les instructions n'ont jamais t donnes dans ce sens.

    Pourtant, on a bien tir sur la foule lors de la marche du 10 octobre. Ce n'taient pas des

    tirs de sommation seulement ?

    L, c'est diffrent, ce n'est pas la mme chose. Je vais vous raconter l'histoire du 10 octobre. On

    m'avait inform que cheikh Sahnoun, s'apprtait lancer un appel au calme la mosque deBelcourt parce que les islamistes avaient pris le dessus dans la rue.

    J'ai dit non comme j'ai dit non au FLN pour une marche qu'il voulait faire. Je l'ai interdite, parceque l'tat de sige l'interdit.

    Quelles taient les motivations du FLN? Dnoncer le comportement de la rue ou soutenir le

    fonctionnement des institutions de l'Etat ?

    Non, son but tait de dnoncer tout court. Des tendances au sein du FLN s'taient prononces

    pour la marche. Salah Goudjil m'avait contact par tlphone. Mais je lui ai oppos le mmerefus car l'tat de sige interdisait tout attroupement.

    Je disais donc qu'on avait appel cheikh Sahnoun pour qu'il lance un appel au calme. Je l'ai

    interdit par tlphone.

    Qui a suggr Sahnoun de lancer cet appel ?Je ne sais pas. Mais l information provenait d'une personne dont je ne citerai pas le nom car elle

    n'tait que porte-parole. Elle m'avait transmis le renseignement par tlphone. Il tait vrifi que

    la dmarche de cheikh Sahnoun visait un appel au calme. Cela est vrai. Et le rassemblement desislamistes a eu lieu Belcourt.

    C'tait un rassemblement immense.

  • 8/6/2019 Interview de Nezzar Par SAS

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    Malgr vos instructions ?

    Malgr mes instructions. Et les quatre cinquimes des manifestants sont finalement rentrs chez

    eux. Ali Benhadj, seul avec ses lments, a pris la dcision de marcher. Il a march de Belcourt Bab El-Oued. Je l'ai suivi et photographi, tape par tape, partir d'un hlicoptre. J'ai toutes les

    images. A chaque carrefour, chaque passage o se trouvaient les troupes, j'ai donn instruction

    de ne pas tirer, de laisser passer.Arrivs Bab el-Oued, il y a eu provocation. Un des marcheurs a commenc tirer, c'est un

    lment de Ali Benhadj qui a tir le premier. Que pouvait-il se passer en pareille situation quand

    se trouvaient, sur la place de la DGSN, des lments de la police, de la gendarmerie et de l'arme?

    C'tait le cafouillage, on tirait dans tous les sens. Je considre donc que c'tait une provocation.

    Est-ce que celui qui a tir a t arrt ? L'arme utilise a-t-elle t retrouve ?

    Non, absolument pas. Les recoupements ont permis d'identifier l'arme. C'tait une MAT-49.

    Mais l'lment en question n'a jamais t arrt.

    Jamais. Quant aux armes, les islamistes en possdaient. Ils avaient d'ailleurs attaqu descommissariats et dshabill des policiers.

    Vous parlez toujours de la priode d'octobre ?

    Octobre toujours, bien sr. Des armes avaient disparu. Du temps de Bouiali, des armes avaientt voles la police aussi lors de l'attaque de l'cole de Souma. On n'a jamais connu le nombre

    exact des armes manquantes. Des gens disposaient d'armes. Des lments de Takfir oua El hidjra

    en possdaient... des gens qui passaient dans les rues en voiture et qui ouvraient le feu sur lespassants, d'o venaient-ils ? On ne l'a jamais su, jusqu' prsent, justement faute d'enqute qu'on

    avait d'ailleurs demande.

    Mais pourquoi n'y a-t-il pas eu d'enqute ?... Pourquoi, parce que je considre que des lments du pouvoir avaient particip, au dbut, pas une insurrection, mais dans l'organisation du mouvement d'indiscipline, de marche et de grve

    dans le but d'influer sur les dcisions du congrs. Mais cela a, par la suite, dgnr pour tre pris

    en charge par d'autres.

    Revenons aux instructions prcises sur l'usage des armes...

    (Il passe en revue les documents) ... Je vais vous lire plutt les instructions. Ce qui suit est une

    annexe de l'instruction sur l'usage des armes. Elle dispose que I'tat de sige est une situation

    grave o des mesures exceptionnelles sont prises pour sauvegarder soit les institutions soit uneportion du territoire face des troubles provoqus dans des circonstances d'indiscipline civile. Il

    permet l'usage de la force et des armes ainsi que l'arrestation des fauteurs de troubles par les

    militaires lorsqu'ils sont dsigns pour rtablir l'ordre comme c'est le cas. Voil les consignesqui ont t donnes verbalement puis par crit. Ces documents datent du 9 octobre, le temps de

    mettre en place la structure, de rflchir et de mettre tout cela au propre. Je prcise que les tirs ne

    devaient viser que les jambes, c'est dire qu'on utilisait les armes pour disperser pas pour tuer...

  • 8/6/2019 Interview de Nezzar Par SAS

    18/27

    Mais il y a eu des morts.

    Bien sr, on peut atteindre les gens plus haut lorsqu'on leur tire dans les jambes. Or, les militaires

    tiraient la plupart du temps par terre ou en l'air. C'tait l'erreur. Mais ils n'ont pas tir dans le tas.

    Beaucoup de personnes ont t atteintes alors qu'elles se trouvaient sur leurs balcons.

    C'est le problme. Je vais vous expliquer. On avait par exemple pu extraire des balles sur descadavres ou sur des blesss. On avait d'abord pens, en les examinant, que c'taient des balles de

    calibre 5, 56 tandis que le calibre de celles utilises tait de 7,62. On s'tait alors demand dequelles armes provenaient ces munitions extraites sur les morts et les blesss puisque nous

    n'avions pas utilis des balles 5,56. Nous avons ordonn une enqute puis nous nous sommes

    aperus qu'il s'agissait en fait des noyaux des balles 7,62. Les tirs au sol avaient fait ricocher lesnoyaux d'acier qui ont bless ou tu. Dans d'autres cas, les gens ont t atteints par les

    enveloppes des balles. Elles ont caus de mauvaises blessures car elles sont de petite taille et sont

    composes de laiton, un alliage lger qui dchire et qui lacre en s'ouvrant.Tous ces problmes sont malheureusement arrivs. Un mort, c'est un problme de plus, c'est sr.

    Mais face une situation comme celle-l, que pouvait-on faire ? Laisser Alger se faire dtruire et

    incendier, laisser le pays aller la drive '?Les instructions que nous avons appliques sont celles utilises de par le monde. Une situation dece type dicte l'tat de sige et la dsignation de responsables. Le commandement est confi aux

    militaires lesquels sont chargs de maintenir l'ordre. Maintenant, le maintien de l'ordre se fait

    bien sr avec un minimum de casse. Mais l'ampleur des vnements qui se sont tals surplusieurs journes, est l'origine du nombre de morts.

    Vous pensez que les pertes ont t rduites au minimum ?

    Non, non... et oui. Nous avons rduit les dgts. Cela dmontre aussi que les militaires n'ont pas

    tir dans le tas. Tirer dans le tas, vous vous rendez compte ? Cela aurait t 140 morts enquelques minutes. Le bilan des morts couvre plusieurs journes et plusieurs villes.

    Mais un mort est un mort de trop, c'est sr. On a tir sur des personnes dans des cas trs prcis,aprs des tirs de sommation, pour protger d'autres personnes dont la vie tait menace ou pourprotger des difices. Encore que l'objet de l'usage des armes est de disperser la foule. Il existe

    une manire de tirer pour la disperser, selon la dmarche que je vous ai explique: le chef

    dsigne un militaire, une arme et un objectif prcis.

    Vous croyez que cela a t le cas ?

    C'tait le cas. Bien sr, il y a eu des dpassements. Des militaires ont tir, comme a, parce qu'ils

    n'en avaient pas l'habitude, par peur. Il y a malheureusement eu de rares cas o les militaires ont

    ragi de la sorte. Heureusement, nous maintenions un contact permanent avec les responsablesde chaque groupe et section pour leur communiquer les instructions. J'tais ainsi en contact radio

    avec le capitaine-parachutiste, responsable de la zone de Bab el-Oued. Lorsque les meutes du

    10 octobre ont clat, il y a eu un silence radio de cinq minutes et lorsque le capitaine a denouveau parl, j'avais compris, au son de sa voix, qu'il s'tait pass quelque chose.

    Une cellule de crise a-t-elle t installe ds les premiers jours ?

    Au niveau du comit de la police et de la gendarmerie, srement. Ce type de problme doit en

    ralit tre pris en charge par les diffrents services de scurit et par la prsidence. Ce n'tait pas l'arme de le faire. Ses missions sont autres.

  • 8/6/2019 Interview de Nezzar Par SAS

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    Mais cette cellule a-t-elle t mise sur pied ?

    Srement puisqu'ils avaient dj eu faire face des troubles ds le 4 octobre.

    Vous maintenez, dans l'ensemble de vos dclarations, qu'octobre 88 tait le rsultat d'uncomplot. Etait-ce alors un complot interne ou externe ou les deux la fois. Et quelle est la

    part de l'un et de l'autre ?Je le crois interne avant tout.

    Et donc externe aussi ?

    Je ne dirai pas cela... Les services, travers le monde entier, essayent toujours de mettre leur

    grain de sel. Il est possible que des services spciaux trangers soient mls aux vnements

    d'octobre 88. Mais le complot est avant tout interne. Il vient de chez nous. Maintenant, si vous

    donnez aux services trangers la possibilit de s'ingrer, vous n'y pouvez rien.

    Cette possibilit leur a-t-elle t offerte ?

    S'ils l'ont obtenue c'est parce que nous n'avons pas su agir. Cela ne signifie pas qu'elle leur a t

    donne. Ils ont d savoir utiliser certaines filires. C'est possible.

    Revenons la thse, que vous soutenez, du complot. A-t-il t, selon vous, prpar dans

    l'urgence ou a-t-il t foment avec la rigueur de l'artisan. Et dans ce dernier cas, sa

    prparation pourrait-elle remonter au dbut des annes 80 ?

    Peut-tre les deux la fois.

    Comment expliquez-vous alors qu'il ait pris de telles proportions ?Je ne parle pas de complot, je parle d'insurrection.

    Vous parlez de complot pourtant dans votre article.

    Oui... C'est--dire que le complot est une chose et les ingrdients en sont une autre. Je dcris lasituation laquelle je faisais face. Je faisais face une insurrection, mais l'insurrection afomente par un complot ourdi, peut-tre, bien plus tt.

    Vous dites que le but en tait la dstabilisation du congrs du FLN.

    Exact. Le but initialement recherch tait peut-tre d'influer, dans un sens ou dans un autre, le

    congrs du FLN. Le mouvement a, par la suite, cibl la dstabilisation des institutions.La drive a-t-elle permis la rcupration du mouvement par d'autres ? C'est l'hypothse la plus

    plausible. Je vais vous narrer, ce propos, un vnement. Je me trouvais dans la salle des

    oprations de l'tat-major. Un officier quitte la salle et y revient tout de suite aprs. Il m'informeque le ministre de l'Habitat, Nourani, m'attendait dans le couloir. Je regarde les officiers prsents

    dans la salle et dcide de le recevoir. Il en aurait t hors de question sans ces tmoins.Aprs un court entretien de courtoisie, il me livre la raison de sa visite. Il me dit: Si Khaled, j'aireu un coup de fil manant de vous. Une voix premptoire me disait au tlphone "Je suis le

    gnral Khaled, vous devez rejoindre immdiatement l'tat-major de Ain Nadja" . J'ai souri et

    j'ai rpondu: M. Nourani, le seul ministre que nous ayons appel ici, et pour une sance detravail de quinze minutes, est le ministre du Commerce . Il fallait, en effet, s'occuper de tout

    durant les vnements, alimenter Alger et faire venir les approvisionnements de partout. Le

    ministre du Commerce tait heureusement comptent. Il avait saisi le topo en quinze minutes de

  • 8/6/2019 Interview de Nezzar Par SAS

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    runion. Il a demand qu'une section de la gendarmerie soit affecte son ministre. Il s'est alors

    rendu son bureau, Belcourt, et ne l'a plus quitt jusqu' la fin des vnements. Il avait fait en

    sorte qu'AIger soit approvisionne durant toute cette priode.J'ai donc expliqu Nourani les priorits de mon action: l'habitat ne me concernait pas et quand

    bien mme, il pouvait attendre ! Ce n'tait pas une urgence (rires). Il m'a souri, nous a salus et

    s'en est all. Je l'ai suivi dans le couloir et lui ai lanc: Est-ce que tu as compris ? . Il m'arpondu Oui ! .

    Nourani n'tait pas le seul ministre avoir reu ce coup de fil. Mais les autres ne s'taient pas

    dplacs soit parce qu'ils n'avaient pas reconnu ma voix soit parce qu'ils n'avaient pas pris l'ordreau srieux.

    Cet vnement confirme, en tout tat de cause, la thse du complot. Elle s'tait produite alors que

    le calme tait dj rtabli. Cela prouve que l'entreprise de dstabilisation ayant chou, elle

    tendait d'aboutir par un autre moyen. En l'occurrence, on essayait de faire croire certains que legnral Khaled prparait un coup d'Etat en poussant la manuvre jusqu' m'envoyer quelqu'un

    de mon bled, originaire des Aurs.

    Quels taient, votre avis, les raisons et les objectifs de ce complot ?Je l'ai dit prcdemment. L'objectif initial et limit tait d'influer sur le droulement du congrsdu FLN. Le second objectif tait de crer une situation d'insurrection pour renverser le pouvoir.

    Vous prsentez le congrs du FLN comme tant l'enjeu. Quelle tait donc la nature de cet

    enjeu qui ncessitait pas moins que la dstabilisation d'un Etat?Je l'ai dit au dpart. L'enjeu tait les quelques rformes que Chadli comptait entamer, la

    restructuration de l'arme et que sais-je? A travers l'insurrection c'tait le pouvoir prendre.

    N'y avait-il pas d'autres raisons au conflit, autres que celles qui avaient oppos Chadli auFLN ?

    Evidemment, videmment... Peut-tre pour influer sur certaines directions qu'allait prendre lecomit central. Le FLN tait travers par plusieurs courants. Le but tait donc d'imposer un

    courant au dtriment d'un autre.

    En d'autres termes, les instigateurs du complot sont ceux qui taient, l'intrieur du parti,

    rfractaires toute rforme, tout changement.

    Mais les pagsistes n'taient pas les seuls rfractaires aux rformes.

    Je ne faisais pas allusion aux pagsistes !

    Mais les pagsistes taient au FLN et on pourrait comprendre que c'est d'eux que vous parlez. Ilstaient l'intrieur du parti. Ils s'taient prononcs, lors d'un comit central, contre la vente des

    terres agricoles. Il est vrai qu'ils soutenaient que la terre tait la proprit du peuple et qu'il n'tait

    pas question de la vendre.

    Selon vous, quelle logique rpondait l'arrestation, ds le 4 octobre dj, de militants du

    PAGS ?

    Je pense que c'est li au mouvement de grve. Le PAGS avait tent, bien avant les vnements

    du 5 octobre, de crer une situation d'inscurit sociale travers l'organisation de grves. Je necrois cependant pas que son but ait t l'embrasement social. Il faut se souvenir d'ailleurs qu'il

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    avait fait une dclaration le 5 octobre pour rappeler que les grves qu'il avait inities avaient t

    stoppes le 3 octobre. S'il y a eu des arrestations dans les rangs du PAGS, c'est que les gens se

    sont tromps dans leurs analyses puisque l'insurrection n'est rellement apparue qu' partir du 5octobre.

    Le communiqu du PAGS vousamne donc conclure que ceux qui ont pris laresponsabilit d'arrter les militants du PAGS se sont tromps?

    Oui, ils se sont tromps en partie.

    Existe-t-il un lien entre ces arrestations et les enjeux du congrs du FLN ?

    Je ne le pense pas. On les a arrts parce que des troubles avaient t foments. Ils savaient que

    le PAGS avait organis des grves. Ils ont donc amalgam les faits. Ils ont conclu que ce parti en

    tait responsable et ont arrt ses militants.Mais les grves du PAGS taient aussi une tentative d'influer sur le congrs du FLN, c'est connu.

    Peut-on aujourd'hui parler de torture ?

    Des svices et brutalits peut-tre ?

    La torture ( ou les svices comme vous dites ), parce qu'elle a t pratique durant les

    vnements d'octobre, tait-elle un drapage d aux circonstances de l'urgence ou tait-ce

    le pourrissement de structures de rpression dj existantes aussi ?

    Non, les svices n'ont eu lieu que dans un seul endroit. Ils n'ont pas t systmatiques.

    Un seul ?A ma connaissance.

    Des tmoignages vrifis et prcis voquent d'autres lieux.

    Peut-tre. Des mdecins devaient organiser, l'hpital Mustapha, une runion pour dnoncer la torture et prsenter des personnes qui en avaient t victimes. J'en avais t mis au courant, laveille, par un ami militaire lui-mme inform par un mdecin.

    Ma premire raction a t de faire parvenir ce mdecin un message par le biais de mon ami. Je

    lui faisais remarquer que les militaires posts Alger avaient t appels de rgions loignes.Comment auraient-ils pu, de ce fait, entreprendre des investigations et pourquoi auraient-ils

    arrt des gens qu'ils ne connaissaient pas pour les torturer ? Je l'ai donc averti de ne pas

    mettre en cause les militaires car ils n'ont pas l'habitude de ce genre de procds.Ce qui m'inquitait, en revanche, c'taient les tmoignages selon lesquels les responsables des

    svices revtaient des uniformes de parachutistes dans un centre Alger, abritant alors des

    services techniques. Celui-ci ne dpendait pas de l'arme. Il tait rattach la prsidence.

    Or, j'avais affect dans cette zone un bataillon de parachutistes pour qu'ils aient comme basearrire ce centre. En outre, on y avait entrepos des stocks de denres alimentaires, d'quipement

    et d'habillement, dont des uniformes de parachutistes. Des gens avaient pris ces uniformes et les

    avaient revtus. C'taient de faux parachutistes.

    Etaient-ce des civils ?

    Non, pourquoi des civils brutaliseraient-ils d'autres civils ? La question n'est pas l. Il s'est avr

  • 8/6/2019 Interview de Nezzar Par SAS

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    qu'un wali avait revtu un uniforme de parachutiste. C'tait le wali de Tipaza, le beau-frre de

    Chadli. Il tait prsent en tenue de para, lui seulement en tant que civil.

    Quant aux auteurs des svices et des brutalits ils dpendaient, pour emploi, de la prsidence.

    L'accusation est grave. Avez-vous des noms prcis, parce que l vous dsignez carrment laprsidence, ce qui n'est pas rien ?

    Je vois que vous revenez toujours ce problme. En tous les cas je suis persuad que le prsident

    Chadli ne le savait pas, ni mme son entourage immdiat. Il s'agissait de personnages zlscroyant qu'en agissant ainsi ils le faisaient dans l'intrt du rgime. Quant aux noms que vous me

    demandez, sachez que si cela s'avrait ncessaire pour les intrts suprmes du pays, je

    n'hsiterais aucun moment les dnoncer haut et fort.

    Il faut rappeler qu' l'poque, et tout de suite aprs les vnements, un gnral a t remerci parChadli. Les journaux en avaient fait l'cho. Je tiens prciser que ce gnral n'tait en rien

    impliqu dans cette affaire. Le but de son licenciement tait de lui faire endosser la

    responsabilit. D'ailleurs, ce gnral a t remerci en mme temps que Cherif Messadia.

    Ce qui est sr maintenant, c'est que des svices ont t pratiqus. Ce contre quoi on s'est levet ce pourquoi j'ai dpch sur les lieux le directeur des parachutistes pour enquter sur les

    responsables de ces actes, vtus de tenues para. Il m'a remis ses conclusions le lendemain matin.Certains avaient utilis les uniformes de parachutistes au moment o les militaires se trouvaient

    l'extrieur. Des brutalits avaient malheureusement t commises mais dans un seul centre, un

    seul endroit bien dtermin. Elles n'ont pas t systmatiques. Le but tait de soutirer desinformations.

    La torture a tout de mme t pratique dans plusieurs commissariats de police ?

    Dans les commissariats, je n'en savais rien.

    On parle aussi des sous-sols de la DGSN, comme un autre lieu de torture.Honntement, je n'en savais rien. En revanche ce que je sais c'est que plusieurs brigades degendarmerie et de police furent incendies et des policiers dshabills devant tout le monde et

    certains ayant mme subi des svices par des manifestants.

    Pour se faire une ide de l'importance des vnements que nous avons vcus, je vous soumetsdeux situations de synthses de quelques journes titre d'exemple.

    Sur un autre volet, comment expliquez-vous l'irruption, totalement inattendue, des

    islamistes dans le cours des vnements ?

    Ils ont tent de rcuprer le mouvement.

    Mais tait-ce une tape du complot ou une opportunit que les islamistes ont saisie pourrcuprer le mcontentement ?

    Je pense que c'tait pour eux une opportunit.

    Vous ne pensez pas que cela faisait partie du plan du complot ?C'est possible, mais je ne dispose d'aucune preuve. Mais je considre que les islamistes ont

    rcupr le mouvement puisqu'ils ont ragi deux ou trois jours plus tard.

    Le courant islamiste existait cependant bien avant le 5 octobre. Lorsqu'on a introduit une touche

  • 8/6/2019 Interview de Nezzar Par SAS

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    d'islamisme dans le FLN en l'ouvrant aux bathistes et aux islamistes.

    En fait, les islamistes taient l bien avant. Ils attendaient leur heure et octobre 88 a constitu,

    pour eux, l'opportunit de rcuprer le mouvement leur compte.

    Ali Benhadj avait t reu au sige de la DGSN. Le saviez-vous ?

    Non.

    Qui tait pour vous Ali Benhadj cette poque ?

    Un inconnu. Il m'tait totalement inconnu.

    C'est en octobre 88 que vous avez entendu parler de lui ?

    De lui et de Abassi Madani.

    Abassi Madani tait pourtant une figure connue, fich par les services de police ds le

    dbut des annes 80...

    Il tait aussi membre de l'APW d'Alger, mais je ne le connaissais pas.

    Vous n'aviez mme pas entendu parler de ces deux personnes durant l'affaire de Bouiali

    dans laquelle ils taient impliqus ?

    Je connaissais l'affaire Bouiali, mais je ne connaissais alors ni Ali Benhadj ni Abassi Madani. Ils

    n'taient pas militairement impliqus dans l'affaire.

    Quel rle a finalement jou la marche des islamistes du 10 octobre dans le droulement des

    vnements et dans leur volution ?

    J'ai dj expliqu l'impact de la marche sur le droulement des vnements. Les coups de feu quiavaient t tirs ont influ sur le cours des vnements. Ils taient inattendus et ont permis, en

    mme temps, de mettre en sourdine les manifestations. Le jeu s'est calm peu peu.

    Quel lien tablissez-vous entre octobre 88 et l'mergence du terrorisme quelques annesplus tard ?Un lien... Le terrorisme a commenc avec l'affaire de Guemmar.

    On peut mme remonter un peu plus loin, jusqu' l'affaire de Bouiali.

    L'affaire de Bouiali tait limite, mais vous avez peut-tre raison. C'est une page de l'histoire de

    l'islamisme.Bouiali tait un ancien moudjahid, il tait conseiller dans une mairie. Pourquoi a-t-il bascul dans

    l'insurrection arme ? Je pense que c'est li des questions personnelles. Ses compagnons en

    revanche, Chebouti et Meliani, entre autres, taient des adeptes convaincus de la violence. Ceux-

    l avaient t jugs et condamns mort pour avoir caus la mort d'autres personnes et pouravoir engag une tentative de mouvement arm. Le prsident les a, par la suite, librs.

    A quelle fin rpondaient la grce prsidentielle et la libration des compagnons de Bouiali ?

    Je ne sais pas. Je pense que cela s'explique par la faiblesse du pouvoir. Il avait entrepris ce gestepour calmer le jeu ou par connivence. En tous les cas, les islamistes ont t les premiers

    s'engager dans le terrorisme aprs l'arrt du processus lectoral.

  • 8/6/2019 Interview de Nezzar Par SAS

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    Mais faites-vous le lien entre octobre et le terrorisme dans les annes 90 ?

    Je pense que la violence est imbrique dans l'islamisme. Les islamistes s'taient prpars bien

    avant. Je me souviens de la manire dont l'islamisme se manifestait dj en 1982-83. J'tais enposte Constantine et, me mettant mon balcon le matin de l'Aid El-Adha, j'ai vu une foule

    venue de partout et habille en uniforme blanc. Elle scandait des Allah akbar vous donner

    la chair de poule et se dirigeait vers une mme mosque. L'islamisme existait dj. C'est lelaxisme de l'Etat qui a engendr tout cela. Pour moi, le terrorisme est une consquence de

    l'islamisme. Seulement, l'islamisme tait travers de plusieurs courants: El-hidjra oua Ettakfir,

    El-djaz'ara, Essalafia, etcJe savais donc ce que je disais en dclarant que l'attaque de Guemmar tait l'uvre indirecte du

    FIS. Abassi Madani n'avait pas directement ordonn cette opration. Nanmoins, des lments

    croyaient fermement parvenir au pouvoir par le terrorisme. Ils sont passs l'action sans ordres.

    De toute manire, je ne le situe pas uniquement partir de l'attaque de Guemmar. Lesmouvements de rue du FIS et ses dmonstrations de force ne sont-ils pas une sorte de

    terrorisme ? Les multiples marches sur la prsidence et sur le ministre de la Dfense, les

    dmonstrations de force tous les vendredis, le dfil des afghans en commandos, le verbe, sont

    une forme de terrorisme.Les islamistes taient prpars depuis longtemps. On savait qu'ils avaient organis des camps

    Ziama et Collo et qu'ils y pratiquaient l'instruction et les entranements militaires durant l't.Nous avions dcouvert des documents instruisant sur le comportement adopter en cas

    d'arrestation par des agents de scurit. Tout cela existait. Le laxisme a simplement et

    malheureusement conduit la situation que l'on sait.

    Beaucoup vous reprochent le fait d'avoir reu Ali Benhadj.

    Je l'ai dit, Je l'ai crit. Je n'ai pas reu Ali Benhadj, j'ai reu tout l'tat-major du FIS.

    On vous reproche surtout d'avoir reu Ali Benhadj alors ...

    ... qu'il tait en tenue militaire. Vous auriez voulu qu'il soit en tenue militaire et moi aussi ?(rire). 'aurait t grave; aller discuter avec lui, moi en tenue de gnral et lui en treillis (rire).

    'aurait t plus grave. Je vais vous dire comment les choses se sont passes. D'ailleurs, propos

    de cette affaire, le passage relatif ce point, paru dans mon tmoignage d'E/ Watan, tait une

    rponse au docteur Sadi. J'ai lu son livre et j'ai rpondu tous les chapitres me concernant, entreautres, celui li la runion avec les lments du FIS.

    Les lments du FIS avaient dcid de marcher sur le ministre de la Dfense. Une telle

    entreprise n'tait pas fortuite. On a voulu les faire marcher sur la Dfense. On les y a pousss.

    Qui les a pousss ?

    Mohammedi probablement. C'est lui. Il est naturel qu'un ministre de l'lntrieur ne peut agir sans

    l'aval de son chef de gouvernement (souvenez-vous de la fameuse confrence de presse

    stigmatisant les bruits de bottes). Et tout cela la veille du limogeage du gouvernement, alorsque la ville tait livre la dsobissance civile totale.

    L'affaire est claire. Les islamistes tenaient la rue, et Hamrouche, lui, prparait les hamrouchiens.

    Le compromis consistait donc autoriser toutes leurs marches et les laisser oprer des

    dmonstrations de force tous les vendredis. Un gouvernement digne de ce nom aurait arrt lesfrais. Or, absolument rien n'a t fait. Et Mohammedi tait ministre de l'lntrieur. Je n'ai pas de

    prcision, mais il est certain qu'il avait autoris la marche.

  • 8/6/2019 Interview de Nezzar Par SAS

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    Je n'tais d'ailleurs pas au courant de ce que le FIS projetait. Je ne l'ai appris que la veille de la

    marche car l'annonce en avait t faite dans les mosques.

    Au matin du jour J, des hommes de Ali Benhadj s'taient rassembls aux alentours de la Dfense, proximit de la station d'essence et de l'htel El-Aurassi. Ils se tenaient loigns.

    Ali Djeddi m'appelle alors au tlphone. Il me fait part de son souhait de voir se raliser une

    fusion entre le peuple et l'arme et m'explique que cette marche tait entreprise en signe desolidarit avec l'lrak. J'ai rpondu: M. Djeddi, vous auriez t le peuple, j'aurais dit oui; or,

    vous n'tes pas le peuple, vous tes un parti. Je vous dis que marcher sur le ministre est interdit,

    que le ministre est une caserne . Il a argument que c'tait plutt un centre de commandement.Je lui ai prcis qu'il est galement entour de casernes et d'units de combats. Il a poursuivi en

    disant que les instructions pour la marche avaient dj t communiques et que les hommes

    attendaient. Je l'ai alors prvenu: Essayez de marcher sur le ministre. Vous endosserez une

    grave responsabilit . Il a raccroch sur ces entrefaites. Mais il rappelle une seconde fois etinsiste sur le fait que les ordres pour la marche avaient t donns. Je lui ai alors dclar que le

    seul habilit faire de la politique au ministre de la Dfense est le ministre de la Dfense et que

    j'tais en l'occurrence le ministre de la Dfense. Je lui ai accord une entrevue mais au Palais du

    gouvernement.Je n'ai accept de recevoir l'tat-major du FIS que parce que la marche avait t initie en

    solidarit avec l'Irak et que les discussions devaient porter sur l'ouverture des camps pourl'organisation de la solidarit avec l'Irak. A la rigueur, I'lrak nous concernait tous et on pouvait

    calmer le jeu par une entrevue sur le sujet. Et je me suis rendu au Palais du gouvernement en

    tenue civile. Heureusement, d'ailleurs, car j'ignorais tout de la tenue dans laquelle Ali Benhadj

    allait se prsenter. Il a t malin, il n'a revtu son treillis qu'au dbut de la marche.Je me trouvais donc au lieu de la rencontre quand j'ai pris connaissance de ce renseignement.

    Que fallait-il faire ? Selon la loi, il aurait fallu l'arrter. Mais en agissant ainsi, j'ai vit les

    consquences que cela aurait pu engendrer.J'ai donc laiss faire surtout que l'objet de la rencontre devait tre l'Irak.

    Toujours est-il que les islamistes ont march jusqu'au Palais du gouvernement. Mais Ali Benhadj

    a pouss ses troupes plus loin.Constatant la progression du convoi vers le ministre de la Dfense, nous avons plac un barrage

    infranchissable au niveau de l'htel El-Aurassi.

    Et pour faire faire demi-tour ses troupes avant d'atteindre le barrage, Abassi Madani, malinqu'il est, invoque l'heure de la prire et oriente les marcheurs vers l'est, c'est--dire face au Palais

    du gouvernement, l'oppos de la Dfense.

    J'ai donc reu l'tat-major du FIS en prsence du ministre de l'lntrieur. J'ai tenu ce qu'il soit

    mes cts, je ne pouvais pas le recevoir seul. Je pntre dans la salle o les reprsentants du FISpatientaient et, sur le ton de la plaisanterie, je lance la premire rflexion l'adresse de Ali

    Benhadj: Que signifie cela ? , lui ai-je demand. Tous se sont mis rire et lui a baiss la tte.

    Puis, on a discut. Le premier point soulev tait relatif la cration des camps. Je savais qu'ilsauraient t destins la formation des propres lments du FIS. C'tait clair. Mais il ne fallait

    pas refuser de manire directe. Il fallait expliquer qu'il n'y avait pas de craintes concevoir, que

    le conflit se localisait en un point loign et que l'Algrie disposait de deux millions depersonnes dj formes et mobilisables tout moment et qu'il tait inutile de s'employer en

    former davantage. Sans prononcer un non catgorique, je leur ai assur qu'une rponse leur

    parviendrait dans deux trois jours.

    Mohammedi se penche alors vers moi et me murmure l'oreille: Donne-leur donc quelques

  • 8/6/2019 Interview de Nezzar Par SAS

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    camps . Des propos graves manant d'un ministre de l'lntrieur. Et cela m'a convaincu qu'il

    avait autoris la marche du FIS sur la Dfense.

    Lorsque la runion s'est acheve, j'ai pris Ali Benhadj en apart et lui ai rappel la loi. Je lui aiexpliqu les raisons de ma souplesse et l'ai averti qu'il tomberait, la fois suivante, sous le coup de

    la loi. Voil. Pourquoi donc vouloir faire je ne sais quoi de cette affaire de gnral qui reoit en

    tenue civile, un Ali Benhadj en treillis? J'ai agi sagement, qui plus est avec un parti reconnu etdont la marche avait t autorise.

    Bref. J'ai interdit la marche sur le ministre de la Dfense mais je leur ai concd un contact, une

    discussion pour leur dire: Vous n'aurez pas de camps D'ailleurs, trois jours plus tard, j'ai rpondu officiellement par le biais d'un journal qu'ils n'auront

    pas de camps. Le but tait celui-l. Il fallait y parvenir parce que le vritable enjeu tait les

    camps.

    Revenons octobre. Vous dites complot . Le complot a-t-il finalement russi ou chou ?

    Il a chou.

    Et vous ne croyez pas qu'il n'tait que la premire tape d'un complot plus large ?Peut-tre, du fait de la dliquescence du pouvoir.

    10 ans aprs, y a-t-il des choix que vous regrettez ?(Long .silence)... Je ne pense pas, non. Je ne pense pas. En ce qui concerne l'affaire de 88, j'tais la tte du commandement militaire, j'ai essay d'assumer mes responsabilits avec le maximum

    de sincrit et de scrupules. J'ai essay de minimiser au maximum les incidents.

    Malheureusement il y a eu ce qu'il y a eu et ma pense premire va directement l'endroit de cesvictimes innocentes.

    Concernant l'arrt du processus lectoral, je ne le regrette pas. J'ai pris mes responsabilits. Le

    prsident Chadli ayant dmissionn, il fallait tout prix viter le chaos.

    Ce que je regrette en fait, c'est cette forme de terrorisme abject et sauvage que nous n'avons pasprvu, car nous n'avons jamais pens que les Algriens agiraient de la sorte.

    Maintenant je dis que le terrorisme aurait pu s'arrter au bout de deux trois ans. La prise de

    position de certaines personnalits, qu'elles soient politiques, intellectuelles ou de culte, commed'ailleurs certains journaux (et pourquoi pas le dire) firent le dos rond au meilleur des cas. Au

    pire, ils se sont carrment prononcs en faveur des islamistes.

    Ajouter cela la prise de position de certaines grosses cylindres politiques qui se sont carrmentprononces pour. Rappelez-vous certains articles signs Serdouk et autres...

    Mettons-nous la place des hsitants et des opportunistes, ils ont rejoint en masse les rangs des

    terroristes. Une bonne partie de la population demeurant dans l'expectative, facilitait par celal'action terroriste. C'est ainsi que les islamistes volurent comme des poissons dans l'eau.

    Dix ans aprs, quel bilan dressez-vous d'octobre ?

    (Long silence)... Que certains seraient, peut-tre, revenus. (Rires)

    Vous dites que vous vous deviez ces explications.

    Je devais des explications aux familles des victimes, l'histoire aussi et la mmoire des morts...Ils sont morts, mais je ne pense pas que ce soit leur faute. Ils ont t pris dans un engrenage.

    Mais dans tout cela vous ne m'avez pas parl de dmocratie, laissez-moi en dire un mot...

  • 8/6/2019 Interview de Nezzar Par SAS

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    Je vous en prie.

    Ce qu'il faut savoir c'est que pendant les vnements d'octobre aucun acteur de la dmocratie n'a

    t vu ou entendu. Aucun slogan ne fut prononc, si ce n'est le show organis par M. Ali YahiaAbdenour avec le concours d'lsabelle Adjani, la roulant ainsi dans la farine.

    Si la dmocratie est aujourd'hui encore embryonnaire c'est parce qu'elle s'est construite sur un

    ensemble d'vnements aussi tragiques les uns que les autres