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HOMMES & LIBERTéS N° 166 u J UIN 2014 u 13 Intégristes catholiques: le grand retour? Après avoir mené campagne contre les lois de bioéthique en 2011, les intégristes catholiques joignent leurs forces aux droites conservatrices, aux droites extrêmes et à l’Eglise catholique, autour de thématiques rénovées qui constituent autant de champs de bataille. André DÉCHOT, responsable du groupe de travail LDH « Extrêmes droites » A nimés par un esprit de revanche après la défaite du « candidat des droites », les inté- gristes catholiques décident de se saisir de la proposition 31 du président Hollande, et de faire du combat contre le mariage homo- sexuel le centre de leur contre- offensive. Dès les premiers jours de sep- tembre 2012, la mouvance inté- griste est invitée à prendre sa place dans l’organisation de ce qui apparaît comme la première fronde anti-Hollande du quin- quennat. Lors de la réunion pari- sienne dite des « conjurés » (1) , qui rassemble nombre d’associations des réseaux catholiques réaction- naires et d’opposants au droit à l’IVG (2) , on souligne la présence de Béatrice Bourges, au titre du Collectif pour l’enfant, ou d’Alain Escada, dirigeant depuis 2009 de Civitas, lequel se décrit comme « un mouvement politique inspiré par le droit naturel et la doctrine sociale de l’Eglise et regroupant des laïcs catholiques engagés dans l’instauration de la royauté sociale du Christ » (3) . Dans ses formes, ce mouvement se déploiera comme la mobilisa- tion anti-Pacs de 1999 : articula- tion entre actions parlementaires (mise en place d’une Entente parlementaire) et extraparlemen- taires (rassemblements, mani- festations), militantisme « 2.0 », pétitions d’élus locaux, prises de position d’évêques et mise à disposition de locaux, par les paroisses, lors des manifestations nationales à Paris... L’activisme contre le mariage homosexuel Les relations entre les différentes composantes de ce qui devient rapidement la Manif pour tous (LMPT) sont conflictuelles (4) . La mouvance intégriste veut, d’em- blée, prendre la tête de l’offensive. Dès le 6 septembre 2012, Civi- tas appelle à une manifestation nationale à Paris, le 18 novembre, contraignant les autres compo- santes à organiser celle du 17. L’initiative de Civitas sera numé- riquement faible, en comparai- son. Elle rassemblera le même arc de forces que le défilé annuel d’hommage à Jeanne d’Arc, et sera marquée par des violences à l’encontre du mouvement Femen. Au fil des mois, Civitas jouera sa propre partition « contre l’homofolie » tout en participant, à la marge, aux manifestations parisiennes appelées par LMPT. A la présence de Civitas s’ajoute celle de Béatrice Bourges, auteure d’un ouvrage contre l’homopa- rentalité en 2008 et animatrice du Collectif pour l’enfant, et qui sera l’une des porte-parole des initiatives LMPT, jusqu’à la mani- festation du 24 mars 2013. C’est après une tentative de déborde- ment et de radicalisation de cette manifestation, à l’approche de l’adoption de la loi Taubira par le Parlement (en avril 2013), que Frigide Barjot la « destituera » de ses fonctions. Jusque-là de plain-pied dans la mobilisation, Béatrice Bourges décide alors de créer la nébuleuse Printemps français. Derrière cette « nouvelle marque », on découvre l’influence de l’institut Ichtus (ex-Cité catho- lique), catholique intégriste, qui ambitionne d’influer sur la société par capillarité (5) . L’appellation de « Printemps fran- çais », inspirée par Jacques Tré- molet de Villers dans les colonnes du quotidien national-catholique Présent, permet d’associer et de fédérer les radicaux de la Manif pour tous. On y retrouve, entre autres, des membres du Bloc iden- titaire ou des militants étudiants de l’Uni (proche de l’UMP). De nombreux mouvements font leur apparition dans le sillage LMPT (Hommen, Veilleurs, Antigones, Ni à vendre, ni à louer...). Des convergences de terrain (6) sont constatées entre droite radicalisée et extrêmes droites, dans de nom- breuses villes de France (Lyon, Lille, Toulouse...). Dès l’adoption de la loi Taubira, le mouvement contre le mariage homosexuel, dont l’ampleur et (1) Et la France se réveilla. Enquête sur la révolution des valeurs, Vincent Trémolet de Villers, Raphaël Stainville, éditions du Toucan, 2013. (2) Comité pour une humanité durable (Frigide Barjot), Fon- dation pour la famille, Mouve- ment pour l’unité, Associations familiales catholiques, membres de la fondation Jérôme Lejeune, Fédération nationale de la médaille de la famille, Fonda- tion de service politique, Alliance Vita (Tugdual Derville), Comité protestant évangélique pour la dignité humaine... (3) Civitas existe depuis 1999 et est lié aux lefebvristes de la Fra- ternité sacerdotale Saint-Pie X. Alain Escada a été nommé pour redynamiser l’association, qui revendique mille deux cents adhérents et une mailing list de dizaines de milliers de personnes. (4) Frigide Barjot et Alain Escada avaient déjà eu l’occasion de s’affronter sur les formes de l’opposition au spectacle de Rodrigo Garcia, Golgota picnic, en décembre 2011. (5) « Derrière le Printemps fran- çais, l’influence de l’institut Ichtus », le blog de Caroline Monnot-Abel Mestre (journa- listes au Monde), 10 avril 2013. Lire également : Les Extrêmes Droites en France, Jean-Paul Gautier, Syllepse, 2009. (6) Le Printemps français sera à l’initiative de la dégradation de l’espace des Blancs-Manteaux contre le Printemps des associa- tions de l’inter-LGBT, dans la nuit des 6 et 7 avril, et dénoncera la sénatrice UDI Chantal Jouanno, favorable à la loi Taubira.

Intégristes catholiques: le grand retour?

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Page 1: Intégristes catholiques: le grand retour?

Hommes & Libertés N° 166 u Juin 2014 u 13

Intégristes catholiques:le grand retour?Après avoir mené campagne contre les lois de bioéthique en 2011, les intégristes catholiques joignent leurs forces aux droites conservatrices, aux droites extrêmes et à l’Eglise catholique, autour de thématiques rénovées qui constituent autant de champs de bataille.

André DÉCHOT, responsable du groupe de travail LDH « Extrêmes droites »

Animés par un esprit de revanche après la défaite du « candidat des droites », les inté-

gristes catholiques décident de se saisir de la proposition 31 du président Hollande, et de faire du combat contre le mariage homo-sexuel le centre de leur contre-offensive.Dès les premiers jours de sep-tembre 2012, la mouvance inté-griste est invitée à prendre sa place dans l’organisation de ce qui apparaît comme la première fronde anti-Hollande du quin-quennat. Lors de la réunion pari-sienne dite des « conjurés » (1), qui rassemble nombre d’associations des réseaux catholiques réaction-naires et d’opposants au droit à l’IVG (2), on souligne la présence de Béatrice Bourges, au titre du Collectif pour l’enfant, ou d’Alain Escada, dirigeant depuis 2009 de Civitas, lequel se décrit comme « un mouvement politique inspiré par le droit naturel et la doctrine sociale de l’Eglise et regroupant des laïcs catholiques engagés dans l’instauration de la royauté sociale du Christ » (3). Dans ses formes, ce mouvement se déploiera comme la mobilisa-tion anti-Pacs de 1999 : articula-tion entre actions parlementaires (mise en place d’une Entente parlementaire) et extraparlemen-taires (rassemblements, mani-

festations), militantisme « 2.0 », pétitions d’élus locaux, prises de position d’évêques et mise à disposition de locaux, par les paroisses, lors des manifestations nationales à Paris...

L’activismecontrelemariagehomosexuelLes relations entre les différentes composantes de ce qui devient rapidement la Manif pour tous (LMPT) sont conflictuelles (4). La mouvance intégriste veut, d’em-blée, prendre la tête de l’offensive.Dès le 6 septembre 2012, Civi-tas appelle à une manifestation nationale à Paris, le 18 novembre, contraignant les autres compo-santes à organiser celle du 17. L’initiative de Civitas sera numé-riquement faible, en comparai-son. Elle rassemblera le même arc de forces que le défilé annuel d’hommage à Jeanne d’Arc, et sera marquée par des violences à l’encontre du mouvement Femen. Au fil des mois, Civitas jouera sa propre partition « contre l’homofolie » tout en participant, à la marge, aux manifestations parisiennes appelées par LMPT.A la présence de Civitas s’ajoute celle de Béatrice Bourges, auteure d’un ouvrage contre l’homopa-rentalité en 2008 et animatrice du Collectif pour l’enfant, et qui sera l’une des porte-parole des initiatives LMPT, jusqu’à la mani-

festation du 24 mars 2013. C’est après une tentative de déborde-ment et de radicalisation de cette manifestation, à l’approche de l’adoption de la loi Taubira par le Parlement (en avril 2013), que Frigide Barjot la « destituera » de ses fonctions. Jusque-là de plain-pied dans la mobilisation, Béatrice Bourges décide alors de créer la nébuleuse Printemps français. Derrière cette « nouvelle marque », on découvre l’influence de l’institut Ichtus (ex-Cité catho-lique), catholique intégriste, qui ambitionne d’influer sur la société par capillarité (5). L’appellation de « Printemps fran-çais », inspirée par Jacques Tré-molet de Villers dans les colonnes du quotidien national-catholique Présent, permet d’associer et de fédérer les radicaux de la Manif pour tous. On y retrouve, entre autres, des membres du Bloc iden-titaire ou des militants étudiants de l’Uni (proche de l’UMP). De nombreux mouvements font leur apparition dans le sillage LMPT (Hommen, Veilleurs, Antigones, Ni à vendre, ni à louer...). Des convergences de terrain (6) sont constatées entre droite radicalisée et extrêmes droites, dans de nom-breuses villes de France (Lyon, Lille, Toulouse...).Dès l’adoption de la loi Taubira, le mouvement contre le mariage homosexuel, dont l’ampleur et

(1) EtlaFranceseréveilla.Enquêtesur la révolution des valeurs, Vincent Trémolet de Villers, Raphaël Stainville, éditions du Toucan, 2013.(2) Comité pour une humanité durable (Frigide Barjot), Fon-dation pour la famille, Mouve-ment pour l’unité, Associations familiales catholiques, membres de la fondation Jérôme Lejeune, Fédération nationale de la médaille de la famille, Fonda-tion de service politique, Alliance Vita (Tugdual Derville), Comité protestant évangélique pour la dignité humaine...(3) Civitas existe depuis 1999 et est lié aux lefebvristes de la Fra-ternité sacerdotale Saint-Pie X. Alain Escada a été nommé pour redynamiser l’association, qui revendique mille deux cents adhérents et une mailing list de dizaines de milliers de personnes.(4) Frigide Barjot et Alain Escada avaient déjà eu l’occasion de s’affronter sur les formes de l’opposition au spectacle de Rodrigo Garcia, Golgotapicnic, en décembre 2011.(5) « Derrière le Printemps fran-çais, l’influence de l’institut Ichtus », le blog de Caroline Monnot-Abel Mestre (journa-listes au Monde), 10 avril 2013. Lire également : Les ExtrêmesDroites en France, Jean-Paul Gautier, Syllepse, 2009.(6) Le Printemps français sera à l’initiative de la dégradation de l’espace des Blancs-Manteaux contre le Printemps des associa-tions de l’inter-LGBT, dans la nuit des 6 et 7 avril, et dénoncera la sénatrice UDI Chantal Jouanno, favorable à la loi Taubira.

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la durée ont surpris, entame sa décrue. Des stratégies multiples se mettent en place : le Collec-tif des maires pour l’enfance conteste l’application de la loi par les édiles locaux et invoque la « clause de conscience ». La démarche sera rejetée par le Conseil constitutionnel (7). Dans le petit village de Fontgombault, c’est avec le soutien des bénédic-tins traditionalistes que le maire Jacques Tissier fait voter une délibération, au conseil muni-cipal, condamnant le mariage homosexuel au nom de la « loi naturelle »...

StratégiesetdébouchésdesortieSur le terrain proprement électo-ral, tandis que Guillaume Peltier (UMP) invite les manifestants à passer de la « désobéissance civile » à la « désobéissance civique », la Manif pour tous pro-pose sa Charte à la signature des candidats aux élections munici-pales. Une signature qui « corres-pond à un engagement du candi-dat envers la famille et la filiation, et ne constitue pas un soutien de la Manif pour tous envers le candidat ». Frigide Barjot crée Avenir pour tous, et appelle les candidats aux élections euro-péennes à signer sa déclaration d’engagement « sur la valeur universelle de l’identité sexuée du genre humain, inclusif des orien-tations sexuelles des personnes ». Christine Boutin tente de faire des listes Force vie, le débouché « naturel » de la Manif pour tous aux européennes. Le Front natio-nal accueille une figure du Prin-temps français, l’avocat Frédéric Pichon, sur sa liste européenne en Ile-de-France...Loin de renoncer à leurs orien-tations fondamentales contre ce qu’ils nomment la « culture de mort » (IVG, contraception, euthanasie (8), lois bioéthiques), les intégristes réactualisent ou élargissent l’éventail de leurs thématiques d’action afin de se rendre plus audibles : sur la

famille traditionnelle et la filia-tion, sur la « théorie du genre », sur la liberté de création… Après avoir dénoncé, durant de nombreux mois, la dénatu-ration du mariage, l’ouverture aux couples lesbiens de la pro-création médicalement assistée (PMA) et l’ouverture aux couples homosexuels de la gestation pour autrui (GPA) (9), les différentes composantes de la Manif pour tous décident de poursuivre la bataille autour de la remise en cause de la famille traditionnelle et de la filiation. Les regroupe-ments intégristes accompagnent le mouvement.

ExtensiondudomainedelacontestationPar ailleurs, aiguillonnée de fait par Béatrice Bourges qui, dès jan-vier 2013, publie un ouvrage sur la question (10), la Manif pour tous s’empare, en septembre 2013, du combat contre le gender (11). On assiste à la multiplication de « comités de vigilance contre le genre » (Vigi-gender), confluents le plus souvent avec les « gilets jaunes » qui s’opposent à la réforme des rythmes scolaires du ministère de l’Education natio-nale. Bien qu’à la traîne, Alain Escada n’est pas en reste. Il publie, en septembre 2013, Théo-

rie du genre. L’idéologie qui vou-lait détruire la Création et libérer toutes les perversions humaines.Théoriquement contradictoire avec leur rejet de l’œcuménisme de Vatican II, le Printemps fran-çais et Civitas participent d’une nouvelle « convergence des inté-grismes » (12) (chrétien et musul-man en particulier). Les deux mouvements joueront un rôle actif dans l’organisation de la manifestation « jour de colère » du 26 janvier 2014, qui se tiendra une semaine après l’édition 2014 de la Marche pour la vie (13). Ce rendez-vous est « apparu pour ce qu’il a toujours été : un défilé bric-à-brac d’extrême droite radicale, et non le soi-disant mouvement citoyen apolitique et indépendant qu’il prétendait incarner » (14) ; bref, non une « coagulation des colères » anti-égalitaires. Cette manifestation a souligné la résurgence d’un antisémitisme radical qui voyait converger intégristes musulmans et catho-liques, groupuscules d’activistes violents, militants contre-révolu-tionnaires, militants antimusul-mans et membres de la galaxie Dieudonné. Près de deux cent cinquante personnes seront interpellées après la dispersion, dont deux cent vingt-quatre pour « participation à un attroupement

(7) « Mariage gay : les maires ne pourront pas invoquer la clause de conscience », Libération, 19-20 octobre 2013.(8) Actuellement, les réseaux traditionalistes sont à la pointe de l’affaire Vincent Lambert.(9) Ces deux mesures ne figu-raient pas dans le texte.(10) Delathéoriedugenreaumariagedemêmesexe.L’effetdominos, Béatrice Bourges, Aude Mirkovic, Elizabeth Montfort, éditions Peuple libre, 2013.(11) En avril 2013, Alain de Benoist, théoricien de la Nouvelle droite, faisait également de la ques-tion une priorité. Voir « Alain de Benoist, le mariage pour tous et la théorie du genre », sur mon blog « Les papiers anthumes du club Pickwick ».(12) Déjà observable en 2011 dans les manifestations, ini-tiées par Civitas à Paris et Lille en 2011, contre le spectacle SurleconceptduvisagedufilsdeDieu, et au sommet de la coordination Manif pour tous.(13) Rendez-vous annuel des anti-IVG depuis 2005, la Marche 2014 sera rejointe par l’arche-vêque de Lyon, Philippe Barbarin.(14) « La défaite politique de “jour de colère” », Caroline Monnot, Abel Mestre, LeMonde, 27 jan-vier 2014.

Au fil des mois, Civitas jouera sa propre partition « contre l’homofolie » tout en participant, à la marge, aux manifestations parisiennes appelées par la Manif pour tous.

Extrême(s) droite(s)D O S S I E R

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armé » et « violences sur agent dépositaire de la force publique » (l’Action française annonce, dans un communiqué, quinze mili-tants interpellés).

DugenreàlalibertédecréationDans la continuité de cette stra-tégie, Béatrice Bourges et Alain Escada rejoignent Farida Bel-ghoul – gagnée à l’orientation « droite des valeurs » de l’asso-ciation d’Alain Soral, Egalité & Réconciliation – dans son oppo-sition aux « ABCD de l’égalité » (15). Ils soutiennent – avec, entre autres, Christine Boutin, l’abbé traditionaliste de Tanoüarn et le président de l’association Imams de France (16) – l’initiatrice de la journée mensuelle de retrait de l’école (JRE) (17), à grands coups de « paniques morales ». L’ob-jectif des JRE est de « lancer un débat national sur la théorie du genre, mais aussi sur la création d’un ministère de l’Instruction publique » (18). L’Education natio-nale « soixante-huitarde » semble, de nouveau, dans la ligne de mire. La Fédération autonome de parents d’élèves courageux (Fapec) est récemment créée.Dans les années 1970, 1980 et 1990, les catholiques intégristes dénonçaient, sans hésiter à

recourir à la violence (19), la por-nographie, l’atteinte aux bonnes mœurs et les risques encourus pour les enfants à la vue de cer-taines œuvres artistiques. De nos jours, il s’agit avant tout de dénoncer les livres, les bandes dessinées, les films, les pièces de théâtre jugées blasphématoires et « christianophobes » (ou catho-phobes), ainsi que les œuvres faisant la part belle à la « théorie du genre ».En 2011, l’institut Civitas s’illus-trait par sa dénonciation des pièces de Roberto Castellucci, Sur le concept du visage du fils de Dieu, et de Rodrigo Garcia, Gol-gota picnic. Quelques mois aupa-ravant, à Avignon, une manifes-tation contre l’exposition d’une photographie d’Andres Serrano, Piss Christ, était organisée. L’Al-liance générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne (Agrif) de l’ex-FN et traditionaliste Bernard Antony, spécialisée dans les pro-cédures juridiques, n’est jamais très loin... Très récemment, commentant la sortie du film Au nom du fils, contre lequel Civitas choisira le mépris, Alain Escada déclare : « A partir du moment où la pédophilie sert de prétexte à un film pour vomir le catholicisme et faire la banalisation, voire l’apo-

logie du meurtre de religieux, on dépasse les limites de l’ac- ceptable. » (20)

Enfin, à l’instar d’un Jean-Fran-çois Copé avec le livre Tous à poil !, Béatrice Bourges exige, en février 2014, de faire retirer des livres jeunesse des bibliothèques sous prétexte qu’ils assurent la promotion de la « théorie du genre ».

Leterrorismed’uneminorité?La croisade des intransigeants est menée, dans la société, par les intégristes. Les traditionalistes la mènent au sein de l’Eglise. Depuis le pontificat de Jean-Paul II (et sa « nouvelle évangéli-sation »), l’influence des « catho-liques d’ouverture » s’érode. Confrontés à la sécularisation, ils subissent également la pres-sion de l’activisme de « l’extrême droite de Dieu ». L’assemblée générale des évêques de France, tenue en avril, a été l’occasion de mesurer l’ampleur de l’assaut des catholiques traditionalistes et des ultraconservateurs. L’annulation de la conférence de Fabienne Brugère « Prendre soin de l’autre, un appel lancé à tous », et la visite, quelques jours auparavant, d’une délégation au patriarcat (chrétien orthodoxe) de Moscou, était au cœur des débats.Comme nous venons de le voir, l’aile intransigeante du catho-licisme est active, offensive et même violente. Elle a su surfer sur l’opposition au mariage pour tous, et poursuit son offensive sur des thématiques rénovées. Elle tente toujours de peser sur les choix de société et sur les orienta-tions de la hiérarchie catholique. Pour autant, elle est contrainte – sécularisation oblige – à le faire en nouant des alliances inédites. De ce point de vue, intégrisme – tel qu’il se définit en opposi-tion à Vatican II – et traditiona-lisme catholiques, confrontés à la concurrence des conservateurs radicalisés, semblent en pleine mutation. ●

(15) Lire à ce propos le com-muniqué de la LDH « Face aux mensonges de l’extrême droite, le gouvernement doit soute-nir les ABCD de l’égalité », du 29 janvier 2014.(16) A lire le très intéressant article « UOIF : les musulmans divisés sur la querelle du genre », Causeur, mai 2014.(17) La première édition était adossée à l’initiative « jour de colère », dont le plus audible promoteur fut Dieudonné.(18) Invitation de presse, 19 février 2014.(19) L’attentat contre le cinéma Saint-Michel, en octobre 1988, qui diffusait le film de Martin Scorsese LaDernièreTentationduChrist, avait, en son temps, marqué les esprits.(20) Metronews, 7 mai 2014.

«

« Les catholiques intégristes dénoncent avant tout les livres,

les bandes dessinées, les

films, les pièces de théâtre jugées blasphématoires

et « christia-nophobes », ainsi

que les œuvres faisant

la part belle à la « théorie

du genre ».

© TK

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