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INTRODUCTION par A. WITTENBERG, Toronto et F. GONSETH, Lausanne (( Nous somnies dans une classe de 4e; le professeur dicte : Le cercle est le lieu des points du plan qui sont a la mCme distance d’un point intbrieur appel6 centre. Le bon elbve Bcrit cette phrase sur son cahier ; le mauvais blbve y dessine des bonshommes ; mais ni l’un ni l’autre n’a compris ; alors le professeur prend la craie et trace un cercle sur le tableau. Ah! pensent les Blbves, que ne disait-il tout de suite: un cercle, c’est un rond, nous aurions compris. Sans doute, c’est le professeur qui a raison. La definition des eleves n’aurait rien valu, puisqu’elle n’aurait pu servir h aucune dBmonstration, et surtout puisqu’elle n’aurait pu leur donner la salutaire habitude d’analyser leurs conceptions. Mais il faudrait leur montrer qu’ils ne comprennent pas ce qu’ils croient comprendre, les amener A se rendre compte de la grossibrete de leur concept primitif, A d6sirer d’eux-m&mes qu’on l’epure et le degrossisse. o (( Mais pourquoi apprendre A un enfant ii resoudre une equation du 2e degrB? A cette question, il y a une reponse traditionnelle. La voici : l’esprit est un instrument, d’abord vous l’aiguisez, aprCs vous l’utilisez ; acquerir l’aptitude r6soudre une equation du 2e degrb fait partie du processus d’aiguisage de l’esprit. Eh bien, il y a juste assez de vrai dans cette rkponse pour l’avoir fait sur- vivre A travers les sidxles. Mais, pour demi-vraie qu’elle soit, elle reprbsente une radicale erreur qui a de bonnes chances d’en- gourdir le genie du monde moderne. Je ne sais qui fut le premier ii se rendre responsable de cette comparaison de l’esprit avec un instrument inerte ... J e n’ai aucune hbsitation ii la denoncer comme l’une des conceptions les plus fatales, les plus fausses, et les plus dangereuses qui aient jamais bte introduites dans la theorie de 1’Cducation. L’esprit n’est jamais passif ; il est activite perpbtuelle, dblicat, receptif, rkagissant a tout stimulus. Vous ne pouvez pas

INTRODUCTION

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I N T R O D U C T I O N

par A. WITTENBERG, Toronto et F. GONSETH, Lausanne

(( Nous somnies dans une classe de 4 e ; le professeur dicte : Le cercle est le lieu des points du plan qui sont a la mCme distance d’un point intbrieur appel6 centre. Le bon elbve Bcrit cette phrase sur son cahier ; le mauvais blbve y dessine des bonshommes ; mais ni l’un ni l’autre n’a compris ; alors le professeur prend la craie e t trace un cercle sur le tableau. Ah! pensent les Blbves, que ne disait-il tout de suite: un cercle, c’est un rond, nous aurions compris. Sans doute, c’est le professeur qui a raison. La definition des eleves n’aurait rien valu, puisqu’elle n’aurait pu servir h aucune dBmonstration, e t surtout puisqu’elle n’aurait pu leur donner la salutaire habitude d’analyser leurs conceptions. Mais il faudrait leur montrer qu’ils ne comprennent pas ce qu’ils croient comprendre, les amener A se rendre compte de la grossibrete de leur concept primitif, A d6sirer d’eux-m&mes qu’on l’epure et le degrossisse. o

(( Mais pourquoi apprendre A un enfant ii resoudre une equation du 2e degrB? A cette question, il y a une reponse traditionnelle. La voici : l’esprit est un instrument, d’abord vous l’aiguisez, aprCs vous l’utilisez ; acquerir l’aptitude r6soudre une equation du 2 e degrb fait partie du processus d’aiguisage de l’esprit. Eh bien, il y a juste assez de vrai dans cette rkponse pour l’avoir fait sur- vivre A travers les sidxles. Mais, pour demi-vraie qu’elle soit, elle reprbsente une radicale erreur qui a de bonnes chances d’en- gourdir le genie du monde moderne. Je ne sais qui fut le premier ii se rendre responsable de cette comparaison de l’esprit avec un instrument inerte ... J e n’ai aucune hbsitation ii la denoncer comme l’une des conceptions les plus fatales, les plus fausses, e t les plus dangereuses qui aient jamais bte introduites dans la theorie de 1’Cducation. L’esprit n’est jamais passif ; il est activite perpbtuelle, dblicat, receptif, rkagissant a tout stimulus. Vous ne pouvez pas

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diff6rer la vie de l’esprit jusqu’apres l’avoir aiguisk. L’interht qui est inherent aux matieres que vous traitez, il vous faut l’kvoquer ici e t maintenant ; les facultes intellectuelles auxquelles vous formez votre kleve, il doit les exercer ici e t maintenant ; les possibi- lit& de vie de l’esprit que votre enseignement devrait communiquer a l’eleve, il vous faut les mettre en Oeuvre ici e t maintenant. Voila la rkgle d’or de l’kducation, et c’est une rbgle tres dificile a observer.,

Bien de l’eau a coulC sous les ponts depuis que ces lignes furent kcrites, les premieres par Henri Poincare au debut de notre siecle (dans Science ef Me‘fhode), les deuxiemes par A.N. Whitehead en 1916 (dans The Aims of Educafion). En invoquant la triple pression de l’evolution technique, des necessites economiques, e t de la competition internationale pour la suprematie stratkgique et poli- tique, on a reussi depuis quelques annees A faire passer la reforme de l’enseignement des mathkmatiques au premier plan des pre- occupations des kducateurs ; une somme considerable de travail, de talent, et, last not least, d’argent lui a Ctk consacrke, d’oh sont sortis un nombre impressionnant de publications diverses - manuels nouveaux, rapports, esquisses de programmes renou- veles. S’il revenait parmi nous aujourd’hui, Poincark decouvrirait des maitres dictant A leurs elbves : (( DEtfinition : Un cercle est le sous-ensemble de l’ensemble produit cartksien R x R qui est form6 des paires ordonnkes (s,y) telles que, pour 3 nombres reels a,b,r, (z - + (y - 21)~ = r.2 o E t Whitehead constaterait que l’un des groupes les plus prestigieux de rkformateurs, laissant loin derriere lui la simple resolution d’kquations du 2 e degrC, a Clabork pour les ecoles secondaires, un programme suggkrant, entre autres, de faire de la theorie des groupes passablement abstraite pendant deux ans, afin que cette theorie puisse &re utilisee dans d’autres domaines des mathematiques au cours de la troisieme annee seulement.

En fait, il y a bien mieux que cela. Qu’on se reporte h la definition du cercle donnCe au 5 357 du manuel de 20 de C. BRBARD, Mathdmatiques classe de 2e , remplaqant dam cette definition les termes 4 lieu u, (( plan )), et 0 distance N par leurs definitions donnees precedemment dans le meme manuel.

Synopses for Modern Secondary School Mathematics, O.E.E.C., Paris, 1961 ; remarque precbdant le programme de 38 annee de theorie des groupes, p. 167 de l’bdition anglaise : (( La theorie des groupes au cours des deux

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Comme ces exemples l’indiquent, I’intention dominante des entreprises de reforme qui ont tenu la vedette au cours des der- nieres annees a Ct.6 de mettre - dans toute la mesure du possible - les mathernatiques scolaires au diapason des mathematiques contemporaines. (( Moderniser R ces mathematiques, les adapter A l’esprit, aux preoccupations, au langage des mathemaliciens contemporains - voila notre tBche essentielle, s’il faut en croire les voix les plus autorisees parmi ceux qui prdconisent ces reformes.

Par un curieux paradoxe, cependant, si les programmes et les manuels issus de ces travaux semblent profondement marques par I’impact des mathernatiques de notre temps, on ne saurait en dire autant des methodes d’analyse des reformateurs eux-mCmes. Et le fait est d’autant plus surprenant que l’un des principaux arguments avances en faveur de la modernisation est precisement qu’elle vise A transmettre a l’enfant des techniques de pensee dont l’importance va bien au-dela des mathematiques. Et pourtant, les travaux consacres a la reforme ne semblent guere avoir fait usage de ces techniques jusqu’a present.

Qu’est-ce que l’esprit des mathematiques dites (( modernes )) ? Essentiellement, c’est l’esprit de la methode axiomatique, telle qu’elle a ete elaboree et mdrie ce siecle: toute assertion mathd- matique est A considerer soit comme un axiome, soit comme la consequence logique d’axiomes qui sont A enoncer expressement. Dkgager de quels axiomes une assertion mathdmatique dipend, est l’une des principales tdches du mathdmaticien (( moderne )). Inver- skment, des axiomes etant donnes, il est essentiel de s’assurer qu’ils ne sont pas en contradiction les uns avec les autres, et qu’ils sont indbpendants les uns des autres: on considere toujours en effet qu’un systeme d’axiomes ne fait que determiner un systeme mathematique - une structure. Dans cette fonction, un axiome n’est pas evident mais simplement pose : aucune structure ne saurait pretendre a un privilege inherent sur toute autre

premieres annbes a introduit les concepts bl6mentaires de la thborie des groupes jusqu’aux notions d’homomorphisme et d’isomorphisme. Le but principal Btait d’blaborer la thCorie jusqu’au point ou elle pourrait &tre un instrument utilisable dans d’autres branches des mathbmatiques. Y

(Traduit par nous de l’bdition anglaise).

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structure possible. Notre interkt se porte, il cst vrai, bien plus sur certaines structures que sur d’autres ; mais c’est uniquement parce qu’elles auront fait la preuve d’une plus grande applicabilite aux questions extra- ou intra-mathematiques que nous desirons etudier.

Bien entendu, la methode axiomatique ne s’applique dans toute sa rigueur qu’i l’edification des systemes mathematiques. Faut-il penser qu’elle ne peut jouer aucun rdle utile dans les autres disciplines exactes qui font une place decisive a I’experimentation tout d’abord e t ensuite dans toutes celles dont le developpement ne fait qu’une place tres secondaire ou m&me negligeable aux mathematiques? Nous ne le pensons pas. Mais pour pouvoir s’inspirer de l’esprit de la methode axiomatique, il faut faire les distinctions qui s’imposent. I1 serait non seulement arbitraire et abusif, mais presque pueril de poser qu’elle s’applique partout de la mkme fagon. Mais avant d’imaginer comment elle peut Ctre transposee, ajoutons un trait a la description de la methode axiomatique stricte: il ne suf i t pas de poser arbitrairement un certain nombre d’axiomes e t d’assurer qu’il n’y a plus qu’a en tirer les consequences. S’il existait un critere permettant de decider A coup siir si tel ou tel systkme d’axiomes est ou non exempt de contradictions, seuls les systemes d’axiomes satisfaisant a ce critere pourraient ktre pris en consideration. On sait qu’on ne dispose pas de critkre general de cette nature, mais il serait errone de penser que, de ce fait, un systeme d’axiomes n’a aucune epreuve de validite a subir. En effet, il subit celle du deploiement de ses consequences. Ce deploiement represente une experience touj ours ouverte, A moins qu’une contradiction ne le mette definitivement en echec.

E n physique, on peut admettre qu’une thkorie bien faite doit aussi se presenter selon le mode axiomatique. Dans ce cas, elle a aussi a subir comme premiere epreuve de validite celle dont il vient d’Ctre question, mais cette epreuve ne suffit pas a legitimer la thkorie. Celle-ci doit aussi Ctre engagee dans une interpretation et subir la une seconde epreuve de validite encore plus decisive, celle de la confrontation avec l’experience. Dans ces conditions, un axiome n’a plus rien d’un enonce arbitraire : il a la signification d’une hypothese plausible qui attend sa confirmation - a un

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certain niveau de precision, bien entendu. L’esprit de la methode axiomatique peut &re egalement port6 dans les disciplines qui n’ont pas encore et6 reconnues comme mathematisables. L’acti- vitC qu’il inspire conduit alors A analyser la situation dans laquelle on se trouve sous un angle double, celui des connaissances dont on dispose et celui des tiches devant lesquelles on se trouve. Sous l’angle de la connaissance, on cherche A degager les hypotheses a la fois plausibles e t serieuses dont telles ou telles conclusions peuvent decoder ; sous l’angle des decisions A prendre, on cherche a reconnaitre les options fondamentales dont la mise en Oeuvre peut expliquer ou bclairer l’un ou l’autre des choix possibles.

Mais, encore une fois, ce travail d’analyse et de critique ne reprksente que l’un des cdtes de la tiche. I1 faut ensuite que les hypotheses e t les options se lient dans une activitk qui les mette les unes e t les autres A l’epreuve. La liberte qu’on a de les choisir trouve l A ses limites : au premier echec, elle fait place A la necessite de les abandonner ou de les reviser.

Les mots qui marquent l’intervention de la pensee axiomatique dans la recherche et la prospective modernes sont donc ceux d’axio- mes, d’hypotheses e t d’options d’une part, ceux d’essais e t d’epreu- ves par les consequences et les mises en Oeuvre d’autre part. Cepen- dant, pour ne pas compliquer e t sachant bien que le lecteur averti saura retablir les justes nuances, nous ne parlerons par la suite que d’axiomes et de consequences.

Revenons maintenant A la trks incommode question que nous avons dejA formulee plus haut : les intentions et les initiatives des reformateurs de l’enseignement mathematique ont-elles Cte vrai- ment penetrkes de l’esprit de la methode axiomatique dont ils preconisent l’introduction au degre secondaire ? Comment en particulier l’intervention de ces nouveaux modes de pensee devrait- elle se manifester dans 1’Ctude et la discussion des questions touchant a l’enseignement des mathematiques ? Avant tout, ils conduiraient A une analyse soigneuse des diffkrentes assertions contenues dans les programmes de reforme et de leurs inter-relations. D’une part, on dkgagerait explicitement, et de faqon aussi complete que possible, les ccaxiomes de dCpart ,, qui restent trop souvent implicites ou sous-entendus - par exemple ceux qui ont trait A la

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nature, a l’economie de nos societks et a leurs besoins pendant les prochaines dkcennies. D’autre part, ces axiomes etant poses, on examinerait de faqon critique si vraiment ils entrainent les cons4 quences qu’on leur pr&te - on analyserait par exemple la (( chaine de consequences o qui part de la prevision que (( l’automatisation s’etendra dans l’industrie o pour aboutir a la conclusion qu’cc il est necessaire de (( moderniser R l’enseignement des mathematiques au sens precite R. Et surtout, naturellement, on soumettrait les axiomes eux-m&mes a une reflexion critique impitoyable (c’est- a-dire scientifique), un bon praticien des mathematiques actuelles n’oubliant pas que, si d’une part les axiomes doivent &tre libres de contradiction, ils ne reprksentent d’autre part pas des verites dogmatiques, mais bien des assertions librement podes, qui ne se justifient que dans la mesure ou elles sont idoines aux intentions profondes q ui nous guident, e t aux realites empiriquement donnkes.

Une pensee pedagogique est une penske applique‘e, en effet - on a tendance, parfois, a l’oublier. En fin de compte, elle vise une double rkalite : une realit6 psychologique d’une part, celle des aptitudes a apprendre d’eleves en chair et en 0s ; une realite sociale e t morale de l’autre, celle des besoins et des possibilitks reels de la sociCt6. C’est dire que ces axiomes, bien que pos6s par des mathematiciens, ne sont pas des axiomes de pure mathkmatique et qu’ils restent soumis aux criteres de l’experience, qu’ils ne sauraient recuser. Leur explicitation doit servir precisement a rendre prati- cable leur confrontation avec la rkalite. La refuser, s’en tenir obstinkment a des vues de l’esprit quand il s’agit du reel, pro- clamer par exemple, quand la psychologie de l’enfant s’avere refractaire a nos desirs ou a nos illusions, qu’on (( s’en ... )), c’est aussi peu scientifique, aussi peu skrieux, en fin de compte aussi pueril que l’est l’obstination dkraisonnable de l’enfant qui demande la lune. Et la constatation vaut tout autant pour des ((axiomes de base H enonqant des affirmations qui sont du ressort du socio- logue (sur la nature de la societe future), de l’economiste (sur la nature des fonctions offertes par l’economie de l’avenir), du philosophe (sur les traits dominants e t les valeurs profondes de notre culture) ou de 1’6ducateur professionnel (sur les fonctions proprement 6ducatives de l’enseignement secondaire).

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Voila donc, choisis un peu au hasard de la reflexion, quelques points ou les nouveaux modes de penser pourraient et m h e devraient intervenir si l’on pretendait operer de faCon tout A fait shre. Et c’est maintenant que revient la question encore plus incommode que voici: cette pensee axiomatique - qui n’est rien d’autre en fin de compte qu’une pensee rigoureusement critique - n’a-t-elle pas ete absente dans une grande mesure des projets de reforme etablis jusqu’a present ’? On peut le craindre. I1 serait interessant d’analyser en detail les raisons de cet etat de choses. Qu’il sufise de mentionner ici les deux raisons les plus apparentes: d’une part, ces travaux se sont poursuivis dans un climat d’urgence qui faisait apparaitre comme lkgitime et m&me mkritoire tout ce qui pouvait hiiter la production de rbsultats concrets - y compris le refus d’examiner A loisir les questions que souleverait une analyse approfondie. D’autre part, tout le mouvement de reforme a 6te marque par ce qu’on pourrait appeler la pensee collective - ses documents fondamentaux sont des rapports de commissions ou de conferences nationales ou inter- nationales, rarement les fruits mhris de la pensee de personnes individuelles. Or, cette pensee collective est doublement gknera- ratrice d’irresponsabilite : d’abord parce qu’elle protege les (( pet ideas )), les (( dadas )), dispensant leurs tenants de les integrer dans le contexte global d’une conception pkdagogique realiste e t fruc- tueuse, leur permettant de ne repondre chaque fois dans leur propre contribution qu’aux questions qu’ils veulent bien se poser, et de ne faire face qu’aux dificultes qu’ils sont eux-memes prkts a envisager; en outre, le resultat final de cette pensBe collective - le rapport, le projet de programme, parfois meme le manuel - demeure essentiellement une ceuvre anonyme, pour les lacunes et les omissions de laquelle personne ne se sent et personne n’est en f ait responsa ble.

On se defend dificilement de l’impression qu’il y a d a m tout cela quelque chose d’un peu factice. D’une part, une telle urgence, pour incontestable qu’elle ait ete aux Etats-Unis, oh la situation

Peut-6tre la situation a-t-elle quelque peu BvoluC depuis que ces lignes ont B t C Bcrites ; une reprise du problbme tout entier n’en reste pas moins indispensable.

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etait veritablement alarmante, ne s’imposait pas avec la m&me acuite en Europe, ou les choses, tout imparfaites qu’elles fussent au sentiment de chacun, n’etaient tout de mCme pas catastro- phiques - certainement pas au point de rendre intolerable le dklai qui serait necessaire pour asseoir la reforme sur une base veritablement ferme.

A longue echeance, une telle situation, si elle continuait a prevaloir, entrainerait des risques graves - non seulement le risque d’investissements ma1 diriges de temps et d’argent, mais plus encore le risque de compromettre irremediablement la for- mation mathematique des enfants qui seraient exposes a des programmes insuffisamment maris ou ma1 conqus des le depart. Le mathematicien trahirait la rationalite mCme dont il est a juste titre fier, s’il poursuivait une entreprise de reforme de faqon hative et purement pragmatique, sans chercher a clarifier au maximum ses intentions e t ses methodes par une reflexion prealable. Et l’educateur trahirait sa responsabilite vis-a-vis des enfants qui lui sont confies, s’il recherchait dans des experiences sur le uif des leqons qu’aurait pu lui apporter une reflexion critique soigneuse. L’exemple des reformateurs americains est la pour nous mettre en garde: ils engloutirent des millions de dollars et engloberent des milliers d’ecoles dans des entreprises de reforme dont la conception mCme fut apres coup violemment critiquee par des mathkmaticiens, dont certains des plus prestigieux, qu’on avait neglige de consulter au prkalablel ; ils produisirent des manuels dont certains au moins Ctaient entaches d’insufisances graves et manifestes ; e t les recherches de validation entreprises apres coup ne produisirent que des resultats dont le moins qu’on puisse

1Voir la declaration On the mathematics curriculum of the high school, Amer. Math. Monthly et The Math. Teacher, mars 1962. Traduction frangaise dans le Bull. de 1’Assoc. des Prof. de Math. de 1’Ens. Public, Paris, Juin 1962. Traduction allemande dans Der Math. und Nat. Unt. octobre 1962.

a Cf. l’analyse critique de A. WITTENBERG, Sampling a Mathematical Sample T e d , Amer. Math. Monthly, Avril 1963. Les critiques exprimkes d a m cet article ne furent pas rCfutees et ne firent pas I’objet d’une prise de position de I’organisation critiquke, le School Mathematics Study Group (SMSG), et ce bien que la revue etit invitk le SMSG h une telle prise de position. Cf. l’article du prof. E. MOISE d a m le mCme num6ro.

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dire, d’aprks les publications mi5mes des rbformateurs, est qu’ils n’ktaient guere concluants l.

Une e u v r e d’avenir doit reposer sur des assises plus solides! - des assises que nous ne biitirons que si nous apprenons a nous hiiter lentement, A r6flCchir aussi mfirement aux problemes d’en- seignement que nous le faisons pour les problemes proprement mathematiques, e t surtout a envisager ces problemes d’apres leur importance intrinskque e t non d’aprks notre propre desir de les aff ronter.

C’est 21 jeter de telles assises que le present numero de DIALEC- TICA veut contribuer. Notre revue n’est pas une revue de peda- gogie, mais une revue de philosophie des sciences qui a toujours fait la part tres large aux relations entre l’esprit e t le reel, placee qu’elle Ctait sous le signe d’une philosophie de l’efficacite et dc l’idoneite. C’est dire qu’il lui sied d’entreprendre, avec le detache- ment indispensable, une enqukte portant sur les hypotheses de base d’un enseignement dont le b u t primordial, en fin de compte, est de clarifier, pour la transmettre a nos enfants, la contribution essentielle de la science mathematique. - Nous avons demaride h un certain nombre des personnalites les plus eminentes du monde mathematique et des diff 6rents mouvements de reforme de prendre explicitement position sur un certain nombre de questions fon- damentales qui sont dnumerees dans le questionnaire reproduit ci-dessous. Nos repondants n’etaient pas limites aux questions que nous leur soumettions. Nous leur avions demande cependant de repondre A toutes nos questions suns exception - quitte a repondre (( je ne sais pas )) si necessaire. De cette faqon seulement pouvions-nous esperer aboutir A un debut de clarte sur les zones d’ignorance qui continuent a prevaloir concernant l’enseignement des mathematiques.

Malgre la longueur de ce questionnaire, une reflexion attentive convaincra notre lecteur qu’il reste bien incomplet. Nous esperons cependant que les questions qu’il comporte sont suffisamment fondamentales pour que notre enquete soit une contribution appreciable au probleme de l’enseignement des mathematiques.

Cf. le SMSG Newsletter, No 15.

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Notre espoir est qu’en approfondissant un exemple concret, nous puissions susciter une pensee critique allant encore plus loin que nous et s’attaquant A tous les problemes que nous avons soit ignores, soit negliges.

Le lecteur connaissant le rapport du seminaire de Royaumont de I’OECE, New Thinking in School Mathematics, constatera que certaines des questions ci-apres reprennent, en les precisant, les questions poskes dans les paragraphes 201, 202 et 203 de ce rapport. Toutefois, le rapport ne mentionne pas de rkponses a ces questions, bien qu’il affirme dans les paragraphes cites que le seminaire ait cherche a leur apporter des rkponses specifiques.