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Introduction historique au droit - numilog.fr · L’évolution, nécessaire, doit être régulée. Peut-on définir le droit ? ... tion conforte l’idée selon laquelle la sanction

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Dossier : 167566 Fichier : Histo Date : 20/3/2003 Heure : 14 : 33 Page : 5

Introduction générale

Ce manuel correspond au programme défini par la réforme de 1997 ;dégager les origines d’un système juridique, ses caractères, ses modalitésd’évolution, sa finalité, ses relations avec pouvoir politique, groupessociaux ou forces idéologiques.

Sans nous attacher aux institutions publiques, c’est l’évolution du droitqui nous retiendra. Droit qui ne saurait remplir sa fonction d’utilité sociales’il demeurait immuable, mais droit qui pour être utile à une société doitprésenter une certaine stabilité. Un système juridique et les règles de droitdoivent perpétuellement trouver leur équilibre entre évolution et stabilité.L’évolution, nécessaire, doit être régulée.

Peut-on définir le droit ? La doctrine a proposé des définitions, diver-ses 1 ; néanmoins plusieurs auteurs semblent dire qu’aucune définition n’a

1. Citons par exemple AUBRY et RAU, « Le Droit est l’ensemble des préceptes ourègles de conduite à l’observation desquels il est permis d’astreindre l’homme par unecorrection extérieure ou physique... Le Droit n’obtient une complète garantie d’efficacitéque par l’existence d’une force capable de vaincre les résistances individuelles ; et cetteforce elle-même ne peut s’établir qu’au moyen d’une association où chacun se trouvecontenu dans ses devoirs par la puissance de tous. Une pareille association constituece qu’on appelle une société civile ou État ». Cours de droit civil français d’après laméthode de Zachariae, Paris, Imprimerie générale de jurisprudence, 5e éd., 1897, p. 2et 3.

G. JÈZE, « le droit d’un pays est l’ensemble des règles — qu’on les juge bonnes oumauvaises, utiles ou néfastes — qui, à un moment donné, dans un pays donné, sonteffectivement appliquées par les tribunaux », in « De l’utilité pratique des études théo-riques de jurisprudence », Revue du droit public, t. XXXI, 1914, p. 312.

G. RIPERT, « Le droit est créé volontairement par l’homme. Pour prévenir ou réglerles conflits qui naissent dans la vie en société, plusieurs solutions sont toujours possibleset il faut choisir. La diversité des législations dans les pays de même civilisation suffità prouver que les règles de droit sont l’œuvre voulue par le législateur dans un espritpropre. Chaque peuple a le droit qu’il mérite », Les forces créatrices du droit, Paris,LGDJ, 2e éd. 1955, p. 71.

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jamais pu être donnée. Telle est l’opinion de Norbert Rouland, dans sonIntroduction historique au droit, parce que, dit-il, le droit découle d’uneconstruction de l’esprit, non d’une donnée de la matière. Les directeursde la revue Droits ont sollicité nombre de contributions d’éminents juristespour aboutir à constater qu’une définition unique du droit n’est guèrepossible ; Jean Carbonnier résumait l’opinion générale dans un articlecélèbre intitulé « Il y a plus d’une définition dans la maison du droit » 2.

En sociologie, au tournant du XIXe et du XXe siècle, Durkheim considèraitque le droit se définit par « l’organisation sociale qu’il exprime ». Il tient« intimement à la structure d’une société [et est] le symbole visible de lasolidarité sociale ». Une telle définition a le mérite d’insister sur le lienentre le droit et une société donnée, dont le droit exprime les valeurs etusages. Dans une ligne comparable, on affirme parfois que le droit est lerespect des usages des anciens, ou du plus grand nombre. Il apparaît alorscomme lié aux coutumes, et nous analyserons les rapports entre droit etcoutume.

Selon Ulpien, l’un des plus célèbres jurisconsultes romains de la pre-mière moitié du IIIe siècle, le mot droit (jus) vient de la justice. ReprenantCelse (1re moitié du IIe siècle), Ulpien définit le droit comme l’art du bonet de l’équitable, ajoutant, dans un autre passage : « les préceptes du droitsont les suivants : vivre honnêtement, ne pas léser autrui, attribuer à cha-cun son dû. La jurisprudence [c’est-à-dire la science des jurisconsultes]consiste dans une connaissance des choses divines et humaines, dans lascience du juste et de l’injuste » 3. Le droit est encore l’art du bien et dujuste (ars boni et aequi), l’art étant, selon la conception antique, unescience faisant appel à la raison humaine, au travail du savant, de l’intel-lectuel. Art du bien et du juste, le droit demande à la raison d’exprimerun idéal à la réalisation duquel la règle juridique doit tendre, dans le cadred’une société donnée.

Si le sociologue raisonne à partir des données réelles d’une société déter-minée et si les jurisconsultes romains partent d’une construction de l’esprit,donc de données abstraites, tous deux s’entendent sur deux éléments qui

Ph. MALAURIE, Droit civil, introduction générale, Paris, Cujas, 1995, préface : « Ledroit n’est pas un positivisme arrogant au-dessus de la mêlée ; il est un conflit permanentde valeurs, d’intérêts et de passions, et une recherche incessante de la justice et de lapaix. Le droit n’est pas neutre. Nous non plus. »

2. Deux numéros de la revue Droits, Revue française de théorie, de philosophie etde culture juridiques, no 10 et 11, 1990, intitulés : Définir le droit ; voir aussi : J. CAR-

BONNIER, Sociologie juridique, Paris, PUF, 1994, p. 318 suiv. ; M. VILLEY, Philosophiedu droit, t. I, Paris, Dalloz, 4e éd. 1986, p. 47 ; F. TERRÉ, Introduction générale au droit,Paris, Dalloz, 4e éd., 1998.

3. Ulpien Règles, 2, 1 (repris au Digeste 1,1,10).

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entrent incontestablement dans la définition du droit : des réalités socialeset un raisonnement de l’homme. Le droit est nécessaire à la vie même d’unesociété ; une formule romaine a traversé les siècles et est toujours invo-quée : Ubi societas, ibi jus (là où il y a une société, il y a un droit).

Leibniz aurait affirmé que « le droit est l’expression de la Raison »alors que Pufendorf y voit « l’expression de la volonté d’un supérieur ».

Il semble que l’on puisse s’accorder sur quelques caractères du droit.Le droit est une règle obligatoire, normalement assortie de sanctions,émanant d’une autorité légitime.

Sa force obligatoire fait qu’il s’impose aux individus comme aux grou-pes. La sanction constitue la conséquence concrète de ce caractère obli-gatoire : l’acte passé en violation du droit peut être nul, ou son auteurpeut être poursuivi. Il existe néanmoins des règles juridiques qui ne sontpas assorties de sanctions ; le manquement à ces dispositions n’entraîneaucune conséquence juridique décidée par un juge. Est-on alors en pré-sence d’un simple principe moral ? A priori, la distinction entre préceptemoral et règle juridique tient à l’absence ou à l’existence d’une sanctionémanant de l’autorité publique. Pourtant, dans tout système juridique, ilest des règles juridiques qui ne sont pas assorties de sanction 4. Ce quel’on qualifie d’obligation naturelle, ou d’engagement sur l’honneur, entreincontestablement dans le domaine du droit, même si le manquement àl’obligation n’est pas sanctionné par l’autorité publique. Pour reprendrela formule de Philippe Malaurie que les juristes du Moyen Âge n’auraientpas reniée, « ce qui constitue une règle de droit c’est le sentiment qu’a lasociété de son caractère obligatoire » 5.

Le droit n’est pas uniquement la règle obligatoire assortie d’une sanc-tion. Il est aussi la norme qui dicte les comportements. Une telle concep-tion conforte l’idée selon laquelle la sanction n’est pas un élément néces-saire de la règle de droit. Elle présente en revanche le risque de fairenaître une certaine confusion entre droit et morale, confusion dont ilimporte de se garder. Pour réguler les comportements et la vie en société,

4. Le droit romain de l’époque républicaine (essentiellement du Ve au IIe siècle avantnotre ère) en présente un exemple notable. Des lois étaient élaborées et promulguées,selon une procédure précise faisant intervenir des assemblées et des magistrats. Ceslois se répartissaient en trois catégories : les lois parfaites, prévoyant la nullité de l’actepassé en violation des dispositions de la loi ; les lois moins que parfaites, prévoyantune sanction contre l’auteur de l’acte, mais non sa nullité ; les lois imparfaites, neprévoyant aucune sanction. Cette dernière catégorie fait néanmoins partie des règlesjuridiques et non pas de la morale, mais témoigne d’un législateur à l’autorité encorehésitante, qui n’ose pas mettre en œuvre la force publique.

5. Ph. MALAURIE, Droit civil, Introduction générale, Paris, Cujas, 1994, p. 40.

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il serait utopique de s’en remettre à la seule morale. Au nom de l’ordrepublic, de la justice que chaque citoyen est en droit d’attendre de l’État,le droit doit être fait de dispositions positives, distinctes des préceptesmoraux, par leur nature, leur contenu et leur formulation.

Pour qu’il y ait droit et non pas voie de fait, il faut que la règle obligatoiresoit légitime. Le droit suppose cette légitimité et l’éventuel usage de la forceou de la contrainte se fait dans un cadre tracé en conséquence de cettelégitimité. Si le critère de légitimité est primordial, il reste souvent délicat dedéterminer quelles sont les dispositions qui bénéficient de cette légitimité.Il y a droit, c’est-à-dire contrainte légitime, lorsque celui qui a édicté la règlede droit possède lui-même cette légitimité. Cette affirmation ne fait quedéplacer la question : qu’est-ce qui permet de considérer qu’un législateuragit légitimement ? d’où tire-t-il sa légitimité ? de lui-même, d’une originesurnaturelle, divine, d’une constitution, d’une succession dynastique, d’unedélégation accordée par un souverain ? mais qui est le souverain et commentcette délégation est-elle accordée ? Ces interrogations, à première vue théo-riques, commandent toute la délicate question des lois prises en temps dedictature, ou par un gouvernement considéré comme illégitime par la com-munauté internationale 6. Aussi fondamentales que soient ces questions,elles ne comportent pas de réponse unique et définitive. Les argumentationsvarient selon les sociétés, les valeurs que société et droit veulent promou-voir. Dans cette diversité des réponses, un point demeure certain : le juristene peut pas faire l’économie de ces questions. Il entre dans sa mission des’interroger sur l’origine et la justification de chaque règle de droit.

L’objet de ce manuel d’introduction historique au droit est de recher-cher comment le droit se forme, évolue, en fonction d’une société, d’uneidéologie ou de valeurs supérieures, selon les gouvernants au pouvoir etla forme du régime politique, ou en raison de circonstances concrètes,matérielles et contingentes. Nous mènerons cette étude à travers l’histoiredes systèmes juridiques de la France et de l’Occident, depuis le XIIIe siècle.

6. La question se posait déjà dans l’Antiquité. L’Empire romain connaissait lemécanisme de la damnatio memoriae. Lorsque, après la mort d’un empereur, les pou-voirs publics (surtout le Sénat) considéraient que l’empereur défunt avait agi en tyran,ils prononçaient la condamnation de sa mémoire (damnatio memoriae). Les actes decet empereur, sa législation étaient considérés comme n’ayant jamais été pris ; le nométait martelé, donc effacé des monuments publics ; le nouvel empereur demeurait librede reprendre, en son nom, les décisions antérieures qui lui semblaient utiles.

Autre exemple : le statut des juifs sous le gouvernement de Vichy était-il du droit ?Il existe un droit de la guerre, dispositions relatives à l’utilisation de certaines armes,au traitement des prisonniers, des populations civiles... Les camps de concentrationdemeurèrent dans le domaine du non droit. On pourrait multiplier les exemples.

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Plusieurs manuels envisagent les périodes plus anciennes. Citons seule-ment un ouvrage remarquable et très récent : Y. SASSIER, Royauté et idéo-logie au Moyen Âge. Bas-Empire, monde franc, France (IVe-XIIe siècles),Paris, Armand Colin, coll. U, 2002, 346 p.

Le droit se transforme sous l’influence de facteurs très diversifiés.Des éléments, que l’on peut qualifier de techniques, déterminent quelle

est la source formelle du droit. Quelle autorité, personne ou groupe faitle droit ? Selon ce critère, aujourd’hui, le juriste distingue loi, coutume,jurisprudence et doctrine ; classification actuelle qui, nous le verrons, n’apas toujours existé. Les systèmes juridiques ont connu beaucoup d’autrescatégories de sources de droit.

On rencontre aussi des facteurs matériels, qui influent sur le contenu dela règle de droit. La question n’est plus ici de savoir qui fait le droit, maisde rechercher d’où vient le droit. Ces causes matérielles sont innombrables :

— tout système juridique puise dans le droit antérieur. Il s’agit dessources historiques du droit. Les systèmes occidentaux modernes etcontemporains sont tributaires du droit romain, du droit canonique, descoutumes de l’ancien droit, etc.

— d’autre part, les règles juridiques évoluent en fonction de facteurssocio-économiques, idéologiques, politiques, etc. Ces données génèrentle contenu même de la règle de droit. Ce sont les sources réelles, ousources matérielles du droit. Citons-en quelques-uns sans avoir l’ambitionde fournir une liste, impossible à établir :

a) le rôle des sociétés et de leurs multiples composantes ; les activitéset attitudes des individus, leurs habitudes et usages qui deviennent parfoiscoutume ayant force obligatoire ; activités et attitudes également des grou-pes, c’est-à-dire des collectivités et non plus seulement des individus 7.

7. On pourrait donner des exemples à l’infini : — 1) Le rôle des structures familiales.Toutes les sociétés attachent de l’importance à la famille. Certaines sont fondées sur lafamille nucléaire, composée des parents et des enfants. D’autres s’organisent en clansou en tribus, rassemblant un groupe nombreux comptant les alliés à des degrés deparenté plus éloignés. Le droit s’adapte à ces diverses situations. Régimes de propriété,de successions sont agencés afin d’assurer le fonctionnement harmonieux des structuresfamiliales. Ainsi, dans la première hypothèse, celle correspondant aux régimes euro-péens actuels, le droit des successions organise essentiellement les modalités selonlesquelles les enfants reçoivent le patrimoine de leurs parents. Dans l’autre cas de figure,le droit veille à ce que les biens demeurent à l’intérieur du clan et pose des limitesstrictes à leur aliénation. — 2) Le rôle des solidarités des habitants d’une même ville.En Occident au Moyen Âge, la ville édictait ses propres règlements, applicables auxhabitants de la ville et aux activités économiques qui s’y déroulaient. — 3) Aujourd’hui,il convient de mentionner les groupes de pression, syndicats, partis politiques commecontribuant à la formation du droit.

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b) le rôle des doctrines, des idées ou idéologies. Nous retrouverons auxcours de ce volume l’influence du christianisme, celle de l’humanisme,de l’école du droit naturel, de la philosophie des Lumières, du marxisme,plus récemment les doctrines relatives aux droits de l’homme.

La question du rapport entre droit et religion se pose dans toute société.Dans l’Antiquité méditerranéenne, une conception était largement répan-due selon laquelle le droit vient des dieux. Il est dicté par les dieux et lesdispositions formulées reflètent la volonté divine. Il peut y avoir confusionentre lois des dieux et droit. Dans la Bible, l’Ancien Testament associeétroitement droit et Dieu. Dieu dicte le Décalogue, les dix commande-ments, à Moïse, sur le Mont Sinaï. Les religions païennes effectuaientaussi rapprochements ou confusions. À Rome, la notion de fas désignece qui est permis par les dieux ; elle ne se dégage que progressivementdu jus, qualifiant ce que le droit élaboré par les hommes permet. Lechristianisme, nous aurons maintes occasions de le constater, exerça uneinfluence fondamentale sur les systèmes juridiques occidentaux, disposi-tions du droit de la famille, du droit pénal mais également des contrats.Aujourd’hui encore, les racines chrétiennes marquent profondément unelégislation qui pourtant apparaît comme sécularisée 8.

Toutefois, une doctrine, religieuse ou politique, n’exerce de réelleinfluence que si la société dans laquelle les auteurs la professent estsuffisamment prête à la recevoir. Le christianisme, qui se développe dèsles Ier ou IIe siècles en Orient, puis tout autour de la Méditerranée et dansl’Occident, en fournit un bon exemple. La doctrine chrétienne prône l’éga-lité entre les hommes ; néanmoins, le système économique de l’Antiquitéest fondé sur l’esclavage et les empereurs romains chrétiens, sans mécon-naître cette doctrine, n’ont pas songé à abolir l’esclavage, profondémentancré dans les mentalités et habitudes économiques ; ils ont tout au pluspris quelques mesures ponctuelles visant à adoucir la condition des escla-ves. De même, l’Église chrétienne s’oppose au divorce et interdit le rema-riage après séparation des époux. Or les Romains recouraient fréquem-ment au divorce, largement admis par le droit romain. La nouvelle religionn’est pas parvenue à bouleverser les habitudes acquises. 9

8. Le christianisme, dans le Nouveau Testament, ne propose pas un droit commel’avait fait, partiellement, l’Ancien Testament. Le message Évangélique propose unemorale, mais morale que l’Église sera soucieuse de faire respecter, en prenant éven-tuellement des mesures juridiques. Il s’agit alors du droit de l’Église, droit canonique.Pourtant, dans la mesure où la société occidentale sera une société chrétienne, ce droitcanonique deviendra bien souvent le droit de toute la société, soit que cette sociétéapplique ce droit canonique, soit que les autorités séculières laïques mais chrétiennesreprennent, comme normes juridiques sécularisées, des prescriptions venant de l’Église.

9. Autre exemple : des doctrines à travers les siècles proposent la construction d’un

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Ces quelques considérations permettent d’affirmer que le droit possèdeune double fonction : organiser une société donnée, en tenant compte soitde toutes ses composantes, soit de celles que la société elle-même et lelégislateur à sa suite décident de retenir plus particulièrement. Le droit aune fonction régulatrice ou même conservatrice. Il doit d’autre part contri-buer à l’évolution d’une société, en orientant les changements. Il peutdonner une forme juridique à certains courants de pensée et la refuser àd’autres. Il peut favoriser certaines pratiques économiques et en freinerou interdire d’autres. Le droit est alors créateur et novateur ; il façonnela société de demain selon les critères retenus par la société elle-même,à un moment donné.

L’étude de cette histoire du droit en Europe et spécialement en Francedepuis le XIIIe siècle sera menée selon un plan chronologique :

Ire partie, du XIIIe au XVe siècle, par Jean Gaudemet (†),IIe partie, les Temps modernes, du XVIe au XVIIIe siècle, par Brigitte

Basdevant-Gaudemet,IIIe partie, depuis 1789, par Brigitte Basdevant-Gaudemet.

ordre international. Il est qualifié aujourd’hui de supranational et était, sous une toutautre forme au Moyen Âge, la civilisation de l’Occident chrétien. Cette constructioninternationale aurait-elle disparu pendant plusieurs siècles à partir des Temps moder-nes ? Du XVIe au XVIIIe siècle, juristes et philosophes ont fréquemment présenté desprojets d’établissement d’un ordre international supérieur, fondé sur des accords entreÉtats, et visant à réduire les conflits militaires en Europe. Les propositions n’ont pasété suivies d’effets car sociétés et États n’étaient pas prêts à les accueillir. Ces doctrinesallaient à contre courant des réalités de l’époque. La réalité des Temps modernes étaitl’existence d’États indépendants les uns des autres, éventuellement rivaux, États qui sevoulaient souverains et qui, pour affirmer pleinement cette souveraineté refusaientl’organisation de structures internationales auxquelles ils auraient été soumis. Nousretrouverons cette question à propos de la naissance du droit international public. Disonsici simplement que si l’Église chrétienne, et le Pontife romain, ont pu fédérer unecertaine unité de la civilisation de l’Occident chrétien au Moyen Âge, que si d’autrepart depuis peut-être le Congrès de Vienne (1814), ou au moins depuis la Société desNations (1920), les autorités politiques cherchent à mettre en place un ordre internationalen Europe et dans le monde, en revanche, du XVIe au XVIIIe siècle, les princes souverainsà la tête de chaque État rejettent toute théorie visant à l’instauration d’un ordre pluslarge. Cette attitude s’explique : l’État est encore une réalité récente ; il convient d’affir-mer son existence et son autorité et donc de combattre tout ce qui pourrait semblercomposer avec cette autorité.

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