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11 Introduction Au cours des derniers mois de l’année 1520 1 , Enguilbert de Marnef, libraire à Poitiers, mit en vente Le Grand Routier et pilotage et enseignement pour ancrer tant ès ports, havres que autres lieux de la mer. Ce petit livre in-4 o de 100 feuillets, orné de 60 figures, tirait sa matière d’un routier achevé de rédiger en 1483-1484 par Pierre Garcie dit Ferrande, maître de navires de Saint-Gilles-sur-Vie (Bas-Poitou). Resté jusqu’alors manuscrit, ce recueil d’instructions nautiques expliquait comment faire route, au sens ancien de naviguer, sur les mers du Ponant, c’est-à-dire le long des côtes atlantiques de l’Europe 2 . Le seul exemplaire connu de cette édition originale est conservé à la médiathèque de Niort 3 . Faute de disposer du mémoire original de Pierre Garcie, du document à partir duquel Enguilbert de Marnef fit établir une copie et de cette copie elle-même, ou de toute autre version manuscrite, même postérieure à 1520, ce livre représente le plus ancien état disponible. Il était donc logique de le prendre comme référence pour l’établissement du texte 4 . Mais un bilan historiographique critique s’impose avant d’en entreprendre l’étude. L’ampleur de la révision des connaissances qu’il est nécessaire d’opérer impose de commencer par cette mise au point, afin de développer ensuite la réflexion sur des bases assainies. Dans le sillage de Pierre Garcie : une historiographie tombée de Charybde en Scylla À compter de la parution de l’édition originale du Grand Routier en 1520, on peut distinguer deux périodes qui s’articulent entre elles autour des années 1830-1850. La première englobe les rééditions successives jusqu’en 1643 et le temps d’oubli relatif qui suivi, avant que l’ouvrage ne devienne un objet de collection. Parmi ce nouveau public composé de bibliophiles, des historiens et des érudits locaux de l’ouest de la France s’emparèrent de la figure Pierre Garcie. Ils firent du marin et de son œuvre un sujet d’étude, inaugurant la seconde période qui s’étend jusqu’à nos jours. 1. La commercialisation est postérieure à l’obtention du privilège royal daté du 27 août 1520. Niort, médiathèque centrale d’agglomération Pierre-Moinot, RES P 161 E, f o 99-100. Désormais médiathèque Pierre-Moinot. 2. L’expression mers du Ponant ne figure pas dans Le Grand Routier. Son usage s’est développé en France à partir de la fin du xvi e siècle. Nous l’emploierons faute de mieux, en l’absence d’une expression désignant l’ensemble des mers bordières de l’Europe atlantique à la fin du Moyen Âge et au début de l’époque moderne. 3. Après avoir fait l’objet d’une restauration, l’ouvrage est consultable en ligne [https://cantalogue.agglo-niort.fr/ EXPLOITATION/infodoc/digitalCollections/viewerpopup.aspx?seid=N0155379]. 4. Barbiche Bernard et Chatenet Monique (dir.), L’édition des textes anciens, XVI e -XVIII e siècle, Paris, Inventaire général, 2 e éd., 1993, p. 16. Les auteurs recommandent de traiter la plus ancienne édition comme une copie manuscrite. Le Grand Routiern de Pierre Garcie dit Ferrande – Michel Bochaca et Laurence Moal (dir.) ISBN 978-2-7535-7799-2 — Presses universitaires de Rennes, 2019, www.pur-editions.fr

Introduction - Presses Universitaires de Rennespur-editions.fr/couvertures/1568640090_doc.pdf · La Croix du Maine et de du Verdier Sieur de Vauprivas, Paris, 1772, t. 2, p. 283

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Introduction

Au cours des derniers mois de l’année 1520 1, Enguilbert de Marnef, libraire à Poitiers, mit en vente Le Grand Routier et pilotage et enseignement pour ancrer tant ès ports, havres que autres lieux de la mer. Ce petit livre in-4o de 100 feuillets, orné de 60 figures, tirait sa matière d’un routier achevé de rédiger en 1483-1484 par Pierre Garcie dit Ferrande, maître de navires de Saint-Gilles-sur-Vie (Bas-Poitou). Resté jusqu’alors manuscrit, ce recueil d’instructions nautiques expliquait comment faire route, au sens ancien de naviguer, sur les mers du Ponant, c’est-à-dire le long des côtes atlantiques de l’Europe 2.

Le seul exemplaire connu de cette édition originale est conservé à la médiathèque de Niort 3. Faute de disposer du mémoire original de Pierre Garcie, du document à partir duquel Enguilbert de Marnef fit établir une copie et de cette copie elle-même, ou de toute autre version manuscrite, même postérieure à 1520, ce livre représente le plus ancien état disponible. Il était donc logique de le prendre comme référence pour l’établissement du texte 4. Mais un bilan historiographique critique s’impose avant d’en entreprendre l’étude. L’ampleur de la révision des connaissances qu’il est nécessaire d’opérer impose de commencer par cette mise au point, afin de développer ensuite la réflexion sur des bases assainies.

Dans le sillage de Pierre Garcie : une historiographie tombée de Charybde en Scylla

À compter de la parution de l’édition originale du Grand Routier en 1520, on peut distinguer deux périodes qui s’articulent entre elles autour des années 1830-1850. La première englobe les rééditions successives jusqu’en 1643 et le temps d’oubli relatif qui suivi, avant que l’ouvrage ne devienne un objet de collection. Parmi ce nouveau public composé de bibliophiles, des historiens et des érudits locaux de l’ouest de la France s’emparèrent de la figure Pierre Garcie. Ils firent du marin et de son œuvre un sujet d’étude, inaugurant la seconde période qui s’étend jusqu’à nos jours. 1. La commercialisation est postérieure à l’obtention du privilège royal daté du 27 août 1520. Niort, médiathèque

centrale d’agglomération Pierre-Moinot, RES P 161 E, fo 99-100. Désormais médiathèque Pierre-Moinot.2. L’expression mers du Ponant ne figure pas dans Le Grand Routier. Son usage s’est développé en France à partir de la

fin du xvie siècle. Nous l’emploierons faute de mieux, en l’absence d’une expression désignant l’ensemble des mers bordières de l’Europe atlantique à la fin du Moyen Âge et au début de l’époque moderne.

3. Après avoir fait l’objet d’une restauration, l’ouvrage est consultable en ligne [https://cantalogue.agglo-niort.fr/EXPLOITATION/infodoc/digitalCollections/viewerpopup.aspx?seid=N0155379].

4. Barbiche Bernard et Chatenet Monique (dir.), L’édition des textes anciens, xvie-xviiie siècle, Paris, Inventaire général, 2e éd., 1993, p. 16. Les auteurs recommandent de traiter la plus ancienne édition comme une copie manuscrite.

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LE GRAND ROUTIER DE PIERRE GARCIE DIT FERRANDE

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À la suite de la première édition réalisée à Poitiers en 1520, Le Grand Routier a été réimprimé à plusieurs reprises jusqu’en 1643. Quand bien même ces nouveaux tirages arborent en première page la mention « récemment revu et corrigé », tous prennent appui sur l’édition originale de 1520, de façon directe ou indirecte selon la version imprimée antérieure qui leur sert de référence.

À défaut d’une étude en règle de la manière dont Le Grand Routier fut reçu, on peut avancer quelques indices qui attestent sa diffusion auprès de divers publics et témoignent d’une certaine notoriété acquise par son auteur. En 1584, François Grudé, Sieur de La Croix du Maine (1552-1592), lui consacra une courte notice 5. Dans la Bibliotheca selecta, parue à Rome en 1593, Antonio Possevino, qui avait eu connais-sance de l’édition de 1542 par Jean de Marnef, demi-frère et successeur d’Enguilbert, qualifie l’ouvrage d’« art de naviguer » et classe Pierre Garcie à la suite de Pedro de Medina 6. En 1629, Antonio de León Pinelo mentionne : « Pedro Garcia Fernandez, de navigación, derrotas, i pilotage, i anclage de la mar. Franc. imp. », dans la partie de l’Epitome de la biblioteca oriental i occidental consacrée à la science nautique 7.

Il est difficile d’apprécier l’influence que Le Grand Routier put avoir. En 1598, Henri de Soubreville, chanoine de la cathédrale de Saintes et avocat au parlement de Bordeaux, consacra dans son traité sur l’« Henry-mètre » un chapitre à la manière de « Sçavoir l’heure nocturne, par le moien desdictes trois Estoiles & des 12 règles générales de Pierre Garcie, Pilote ». Il emprunta à celui-ci la technique permettant de déterminer l’heure à minuit et à l’aube à partir de l’alignement des gardes de la Grande Ourse avec la Polaire, au milieu et à la fin de chacun des douze mois de l’année 8. Aux xviiie et xixe siècles, des juristes y puisèrent des renseignements en matière de droit de bris et sur les Rôles d’Oléron 9.

À partir de la seconde moitié du xviie siècle, des ouvrages plus modernes supplan-tèrent Le Grand Routier, à l’exemple du Manuel des pilotes de Guillaume de Glos (Honfleur, 1678), du Petit Flambeau de la mer de René Bougard (Le Havre, 1684) 10 et de l’Instruction des pilotes de Simon Le Cordier (Le Havre, 1690). Des exemplaires des différentes éditions du Grand Routier continuèrent à circuler en tant que livres de collection. Les rares mentions glanées jusqu’au milieu du xixe siècle proviennent des bibliophiles 11. On peut penser que l’exemplaire de 1520 qui entra en 1848 dans

5. Premier volume de la bibliothèque du Sieur de La Croix du Maine, Paris, Abel l’Angelier, 1584, p. 398-399. « Pierre Garcie, dit Ferrande, natif de Sainct Gilles sur Vye. Il a escrit & composé un livre, intitulé le Grand Routier, pilotage, ou encrage de Mer, tant des parties de France, Bretagne & Angleterre, que es haultes Almagnes, ensemble les dangers des ports, havres, rivieres & chenals des regions susdites, ensemble le compost ou calendrier tres necessaire pour la Mer. »

6. Possevino Antonio, Bibliotheca selecta, Rome, Typographia apostolica vaticana, 1583, p. 218. 7. León Pinelo Antonio de, Epitome de la biblioteca oriental i occidental, náutica i geográfica, Madrid, Juan Gonzalez,

1629, p. 147.8. Soubreville Henri de, L’Henry-mètre, instrument royal et universel avec sa théorique usage, Paris, 1598, p. 185 et

195-197.9. Furetière Antoine, Dictionnaire universel, Paris, 1701, t. I, A-D, art. « Bris », « Garcie de Ferrande en son Grand

Routier ». Valin René-Josué, Nouveau commentaire sur l’ordonnance de la Marine du mois d’août 1681, La Rochelle, 1760, t. I, p. 258, mention de « Pierre Garcie dit Ferrande, dans son grand-routier composé en 1483 » à propos des brefs de Bretagne.

10. Pastoureau Mireille, Les Atlas français (xvie-xviie siècles). Répertoire bibliographique et étude, Paris, Bibliothèque nationale de France, 1984, « Bougard, R. », p. 75-80. Désormais BnF.

11. Catalogue des livres de feu Monsieur le Président Chauvelin, Paris, 1754, no 757. Les bibliothèques françaises de La Croix du Maine et de du Verdier Sieur de Vauprivas, Paris, 1772, t. 2, p. 283. Catalogue des livres rares et précieux de la bibliothèque de Mac-Carthy Reagh, Paris, 1815, t. 2, p. 6, no 3892. Catalogue des cartes géographiques, topographiques et marines de la bibliothèque du Prince Alexandre Labanoff de Rostoff à Saint-Pétersbourg, Paris,

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INTRODUCTION

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le fonds de la bibliothèque municipale de Niort après la mort d’Armand-Désiré de La Fontenelle de Vaudoré, collectionneur et amateur d’histoire (1784-1847), fut acquis par ce dernier dans ce contexte, à une date et dans des circonstances que nous ignorons. Il en alla sans doute de même du spécimen de l’édition de Rouen de 1531 figurant dans le catalogue de la bibliothèque de Benjamin Fillon (1819-1881) 12. Cet intérêt des collectionneurs coïncide avec la parution des premiers travaux sur Pierre Garcie et Le Grand Routier dans les années 1830-1850. Armand-Désiré de La Fontenelle de Vaudoré publia en 1836, dans la Revue anglo-française qu’il avait fondée, un article sur l’île d’Yeu, dans lequel il citait de longs passages de « l’ouvrage d’un auteur poite-vin, Pierre Garcie, alias Ferrande, de Saint-Gilles-sur-Vie, intitulé le Grant Routtier et Pillotage de la mer, imprimé à Poitiers, au commencement du xvie siècle » 13. En 1858, Ferdinand Denis rédigea une courte biographie de Pierre Gracie (sic) 14.

En 1867 et 1868, dans deux articles quasi identiques par leur contenu, Charles Dugast-Matifeux, historien vendéen (1812-1894), signa la première étude approfon-die. Il déclare avoir utilisé « l’édition princeps de Poitiers, 1520 » portant « les armes de La Fontenelle de Vaudoré » et « la réimpression de Rouen, par Jehan Burges le jeune, 1531 » 15. On imagine qu’il consulta la première à la bibliothèque de Niort. Quant à la seconde, il pourrait s’agir de l’exemplaire de Benjamin Fillon, précédemment cité. Charles Dugast-Matifeux précise qu’il s’est documenté à Saint-Gilles-sur-Vie 16 et fait état d’un « registre d’inventaire des titres de la fabrique », duquel il tira quatre dates et des mentions relatives à Pierre Garcie et à ses parents (fig. 1). Ces données avancées par un historien connu par ses travaux sur la Vendée et la Bretagne avant la Révolution offraient les apparences de la véracité. Nul ne songea ensuite à les remettre en cause.

Vers 1900, Auguste Pawlowski chercha en vain le « registre d’inventaire des titres de la fabrique », sans pour autant douter de son existence. Maurice Baudouin déclara l’avoir consulté trente ans plus tard. S’agit-il d’un simple problème d’accessibilité du document ou les deux propos sont-ils irrémédiablement contradictoires ? En dépit

1823, no 2066. Brunet Jacques-Charles, Nouvelles recherches bibliographiques pour servir de supplément au manuel du libraire et de l’amateur de livres, Paris, 1834, p. 70-71, « Garcie (Pierre) ». Pawlowski Auguste, « Les plus anciens hydrographes français (xve-xvie siècles). Pierre Garcie dit Ferrande, et ses imitateurs », Bulletin de géographie historique et descriptive, 1900, p. 135-173 (156-172).

12. Exécuteur testamentaire de Benjamin Fillon, Charles Dugast-Matifeux rédigea deux catalogues des biens de son ami défunt, en vue de leur vente aux enchères. L’un inventoriait les objets d’art : Catalogue des objets d’art et de haute curiosité. Bronzes antiques, bijoux mérovingiens, monnaies et médailles antiques du Moyen Âge et de la Renaissance, vierge du xiiie siècle en ivoire, émaux de Limoges, faïences de Perse, plats de Bernard Palissy, statue en marbre par J. Fancelli, porcelaine de Chine, objets variés, tableaux, dessins, estampes composant la collection de feu Benjamin Fillon et dont la vente aura lieu à l’hôtel Drouot, salle no 8, le lundi 20 mars 1882 et jours suivants, Paris, 1882. L’autre recensait les livres : Catalogue des monuments typographiques et d’un choix de livres rares et précieux provenant du cabinet de Feu M. Benjamin Fillon. – Avec quelques éclaircissements et des notes bibliographiques, Paris, Claudin, 1883. Pierre Garcie et Le Grand Routier sont mentionnés dans ce dernier aux pages 4 et 36.

13. La Fontenelle de Vaudoré Armand-Désiré, « L’île-Dieu (Vendée) », Revue anglo-française, t. IV, 1836, p. 261-284 (268-273). À la note 1 de la page 269, l’auteur indique : « Je me sers de l’édition de 1520, imprimée à Poitiers, chez sire Enguilbert de Marnef, au Pélican […] », sans préciser qu’il s’agit de son exemplaire personnel.

14. Denis Ferdinand, « Gracie dit Ferrande (Pierre) », in Hoefer Jean-Chrétien-Ferdinand (dir.), Nouvelle biographie générale depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours, Paris, Firmin Didot Frères, 1858, t. 21, col. 571-572. La déformation de Garcie en Gracie s’explique par l’utilisation de l’exemplaire de la bibliothèque Sainte-Geneviève (4 V 525 INV 1237 RES), provenant d’une édition réalisée à Rouen pour le libraire Jean Burges, copie fautive d’un des livres imprimés à Poitiers en 1520. Voir infra chapitre i.

15. Dugast-Matifeux Charles, « Notice sur Pierre Garcie-Ferrande et son routier de la mer », Annales de la Société royale académique de Nantes et du département de la Loire-Inférieure, t. XXXVIII, 1867, p. 3-46. Id., « Notice sur Pierre Garcie-Ferrande et son routier de la mer », Revue de l’Aunis, de Saintonge et du Poitou, t. VII, 1868, p. 65-83.

16. Saint-Gilles-sur-Vie et Croix-de-Vie formèrent deux communes distinctes jusqu’à leur réunion en 1967.

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des recherches que nous avons menées, ce registre n’a pas été retrouvé parmi les archives de la paroisse de Saint-Gilles-sur-Vie actuellement conservées à Saint-Gilles-Croix-de-Vie 17. Élément ignoré d’Auguste Pawlowski et de Maurice Baudouin, une pièce du fonds contenant les papiers de Charles Dugast-Matifeux fait écho au registre de la fabrique sans le mentionner expressément 18. Il s’agit d’un feuillet volant, sans titre, sur le recto duquel cinq dates accompagnées d’un court texte ont été inscrites en désordre, avec les mentions : « fo 92 » et « fo 93 ». Charles Dugast-Matifeux cite quatre de ces cinq dates et les faits associés ainsi que le folio 92 dans ses articles de 1467 et 1468. Ce document paraît toutefois douteux et sa valeur probatoire dépend du crédit qu’on veut bien lui accorder.

La parution des deux articles de Charles Dugast-Matifeux contribua à faire connaître Pierre Garcie et Le Grand Routier. Dès 1868, Paul Marchegay, archiviste-paléographe et historien (1812-1885), se réfère à celui des Annales de la Société royale académique de Nantes et du département de la Loire-Inférieure. Parmi les témoins d’une déposition faite le 19 novembre 1425, suite au différend survenu après la capture d’un navire anglais par un baleinier d’Olonne, le 11 novembre au large de l’île d’Yeu, figure « Jehan Ferrande », habitant ladite île. Paul Marchegay, sur un simple rappro-chement onomastique, y vit le « père ou oncle de Pierre Garcie Ferrande, auteur du Grand Routier de la mer, sur lequel les travaux récents de M. Dugast-Matifeux ont appelé l’attention des érudits 19 ». Dans Le guide de l’étranger aux Sables-d’Olonne et aux environs, publié en 1873, E. Serpeau-Delidon présente Pierre Garcie comme l’un des « grands hommes » de Saint-Gilles-sur-Vie, tout en se bornant à recopier des extraits de la Revue de l’Aunis, de la Saintonge et du Poitou 20. Au début des années 1880, Louis Delavaud, diplomate féru de géographie et d’histoire (1860-1924), emprunta lui aussi à cette notice les éléments de la biographie du marin pour introduire l’édition des passages du Grand Routier concernant les côtes normandes 21. C’est encore à celle-ci que se réfère Denys d’Aussy, homme politique et historien de l’Aunis et de la Saintonge (1834-1885), dans un court texte où il fait état de critiques. Des « discordances » entre les dates avancées par Charles Dugast-Matifeux (1430-1440 pour la naissance du marin, après 1520 pour sa mort) y sont relevées à juste titre 22. Mais Denys d’Aussy se fourvoya en niant l’appartenance de l’exemplaire de Niort à l’édition princeps, au motif

17. Nous remercions Bernard Rocheteau, curé de Saint-Gilles-sur-Vie, qui nous a facilité l’accès aux archives parois-siales. L’inventaire dactylographié établi en 1976 par Louis Delhommeau, archiviste diocésain, ne fait pas état d’un « registre d’inventaire des titres de la fabrique », ni celui réalisé en 2015 par Agnès Piollet, archiviste diocésain, et Bernard Rocheteau.

18. Nantes, médiathèque Jacques-Demy, Fonds Dugast-Matifeux, DM2/236, pièce no 22. La bibliothèque de Nantes reçut un legs volumineux (livres, manuscrits, documents d’archives) en 1894, après à la mort de Charles Dugast-Matifeux. Nous remercions Yves Jaouen qui a consulté le fonds Dugast-Matifeux et nous a transmis une copie de la pièce DM2/236/22.

19. Marchegay Paul, « Recherches historiques sur le département de la Vendée (ancien Bas-Poitou). Un document par canton. Troisième série », Annuaire départemental de la Société d’émulation de la Vendée, 14e année, 1867, p. 205-249 (237-241).

20. Serpeau-Delidon E., Le guide de l’étranger aux Sables-d’Olonne et aux environs, Sables-d’Olonne, Librairie Éd. Mayeux, 1873, p. 117-123. E.-P. Serpeau-Delidon figure comme « notaire à Saint-Gilles-sur-Vie (Vendée) » dans la liste des membres de la Société des archives historiques de la Saintonge et de l’Aunis (Archives historiques de la Saintonge et de l’Aunis, t. IV, Saintes-Paris, 1877, p. xi).

21. Delavaud Louis, « Les côtes de Normandie décrites au xve siècle par Pierre Garcie-Ferrande », Société normande de géographie, 1875-1885, p. 1-8. Étude non datée [v. 1880-v. 1882].

22. Aussy Denys d’, « La première édition du Grand Routier de la mer », Bulletin de la Société des archives historiques. Revue de la Saintonge et de l’Aunis, t. XIV, 1894, p. 30-32.

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INTRODUCTION

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Figure 1. – Inégale fiabilité des informations sur Pierre Garcie et Le Grand Routier.

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LE GRAND ROUTIER DE PIERRE GARCIE DIT FERRANDE

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qu’« on conserve à la bibliothèque bodleienne d’Oxford un exemplaire d’une autre édition qui est bien, celle-là, la véritable editio princeps, puisqu’elle porte la date de 1483, la même que celle de la dédicace 23 ».

Auguste Pawlowski, journaliste, professeur à l’École des hautes études sociales et auteur dramatique à ses heures (1874- ?) 24, rouvrit le dossier au début des années 1900. S’appuyant sur Charles Dugast-Matifeux pour étayer la biographie de Pierre Garcie, il inventoria les différentes éditions du Grand Routier parues jusqu’en 1643. Ce premier article datant de 1900 fut complété en 1902 par une notice additionnelle sur le marin et une édition des passages relatifs à la navigation sur la Gironde 25. Tout en précisant qu’il n’avait pas retrouvé le « registre d’inventaire des titres de la fabrique de Saint-Gilles » consulté par son prédécesseur, Auguste Pawlowski reprit à son compte les dates et les faits cités par ce dernier. Non content d’accorder la valeur de preuves authentiques à ces données, il chercha à mettre en avant Pierre Garcie et son routier au moyen d’exagérations et de raccourcis historiques. Le marin fut élevé au rang d’« hydrographe », expression anachronique en France avant le milieu du xvie siècle 26, voire avant le xviie siècle 27. Considéré comme un des « plus anciens hydrographes », il faisait ainsi figure de précurseur de la discipline. Auguste Pawlowski lui attribua à tort la paternité du Routier de la mer jusques au fleuve de Jourdain, imprimé à Rouen par Jacques Le Forestier, vers 1502-1510. Exagérant les ressemblances avec cet ouvrage anonyme, il en fit un « petit routier », version abrégée ou incomplète du Grand Routier. Au motif qu’un autre routier consigné dans le manuscrit Français 1748 reprenait une copie réalisée par Antoine de Conflans, marin de la première moitié du xvie siècle, il accusa ce dernier d’avoir plagié Pierre Garcie 28. Prompt à pourfendre tout ce qui pouvait porter ombrage à la notoriété du marin de Saint-Gilles-sur-Vie, Auguste Pawlowski se laissa aller en 1905 à une critique acerbe d’Alfonse de Saintonge, autre marin de la première moitié du xvie siècle, sur lequel Georges Musset venait d’attirer l’attention en éditant la Cosmographie 29.

23. Denys d’Aussy a mal interprété les propos de Travers Twiss sur lesquels il fonde son argumentation (The Black Book of the Admiralty, Appendix. Part II, vol. 2, Londres Longman & co, 1873, p. liii). Ce dernier mentionne une édition du Grand Routier parue à Poitiers mais non datée, dont la Bodleian Library conserve un exemplaire. Il estime qu’il est antérieur à celui de 1541, provenant du British Museum, sur lequel il a travaillé. La date de 1483 citée par Travers Twiss fait référence à la dédicace de Pierre Garcie à son filleul, non à l’édition elle-même.

24. La dernière étude connue d’Auguste Pawlowski date de 1929 (La renaissance des mines métalliques en Bretagne, Paris, J. Charles et A. Brunet).

25. Pawlowski Auguste, « Les plus anciens hydrographes français (xve-xvie siècles). Pierre Garcie dit Ferrande et ses imitateurs », Bulletin de géographie historique et descriptive, 1900, p. 135-154. Id., « Pierre Garcie dit Ferrande et son Grand Routier. Notice additionnelle », ibid., 1902, p. 155-158. Id., « La Gironde et le golfe de Gascogne au xvie siècle. Extraits du Routier de la Mer de Pierre Garcie, dit Ferrande », Bulletin de la Société de géographie commerciale de Bordeaux, 1902, p. 65-81.

26. Pierre Garcie ne peut pas être mis sur le même plan que Jean Rotz ou Ross qui, passé de France en Angleterre, dédia à Henri VIII, en 1542, son manuscrit intitulé The Boke of Idrography. Wallis Helen, The Maps and Text of the Boke of Idrography presented by Jean Rotz to Henry VIII now in the British Library, Oxford, The Roxburghe Club, 1981.

27. Fournier Georges, Hydrographie contenant la théorie et la pratique de toutes les parties de la navigation, Paris, Michel Soly, 1643.

28. Paris, BnF, Français 1748, fo 1-41. Le texte présente des similitudes avec Le Routier de la mer jusques au fleuve de Jourdain, mais, contrairement à l’affirmation d’Auguste Pawlowski, l’un et l’autre diffèrent du Grand Routier.

29. Pawlowski Auguste, « Les plus anciens hydrographes français (xvie siècle). Jean Fonteneau, dit Alfonse, ses collabo-rateurs, la science de l’hydrographie et de la cosmographie au milieu du xvie siècle », Bulletin de géographie historique et descriptive, 1905, p. 237-251. La cosmographie avec l’espère et régime du Soleil et du nord par Jean Fonteneau, dit Alfonse de Saintonge, capitaine-pilote de François Ier, éd. Georges Musset, Paris, Ernest Leroux, 1904. Georges Musset répliqua aussitôt (« La vérité sur Alphonse de Saintonge », Bulletin de géographie historique et descriptive, 1906, p. 120-127) et l’affaire en resta là.

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INTRODUCTION

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Auguste Pawlowski tenta d’installer la figure de Pierre Garcie dans la mémoire collective. Arrachant le personnage à la pénombre de l’histoire locale, il le propulsa en pleine lumière de l’histoire nationale. Son éloge de Pierre Garcie et du Grand Routier s’inscrit dans un courant historiographique et dans un contexte historique propres à son époque. Plusieurs historiens positivistes ont alimenté la construction d’un roman national en brossant une galerie de portraits d’hommes illustres. Sur toile de fond d’une expansion coloniale et d’une course aux armements, entre autres navals, dans lesquelles la IIIe République était alors engagée, la mise en relief de l’œuvre d’un marin de la fin du Moyen Âge servait la fiction d’une tradition maritime française plurisé-culaire 30. Signe de l’influence d’Auguste Pawlowski sur les historiens de son temps, Charles-Marie de la Roncière fit plus amplement référence à Pierre Garcie et au Grand Routier dans la deuxième édition du tome 2 de l’Histoire de la marine française, parue en 1914 31, alors que la première, datant de 1900, mentionne brièvement le personnage et l’article de Charles Dugast-Matifeux 32.

Les affirmations péremptoires d’Auguste Pawlowski pouvaient donner à penser que tout avait été dit sur Pierre Garcie et Le Grand Routier. Les travaux publiés après lui s’abritèrent derrière son autorité, sans que personne ne songeât à remettre en cause les rares dates et les faits ténus avancés par Charles Dugast-Matifeux auxquels Auguste Pawlowski avait donné crédit. Au début des années 2000, la découverte d’un acte datant du 2 août 1463, qui consignait la déposition de Pierre Garcie après la prise de cinq navires anglais et portait son seing du nom 33, ne suscita aucun réexamen du dossier. Pourtant ce document prouve que le seing que Pierre Garcie aurait apposé « sur le feuillet de garde d’un Compost ou formulaire pour dresser les calendriers de l’an 1491 », ayant appartenu à Benjamin Fillon, est un faux (fig. 3) 34. Une suspicion en appelant une autre, on ne trouve pas trace de ce comput ou calendrier parmi les livres recensés par Charles Dugast-Matifeux après la mort de Benjamin Fillon, alors que Le Grand Routier y figure. Certes, il s’agit d’un « choix de livres rares » et non pas d’un inventaire exhaustif. Mais cette absence est d’autant plus troublante que l’authenti-cité de certains autographes, documents et objets archéologiques ayant appartenu à Benjamin Fillon passe pour suspecte 35. Sa proximité avec Charles Dugast-Matifeux étend immanquablement le voile du doute sur ce dernier.

30. En 1899, l’ouvrage d’Alfred Thayer Mahan (The Influence of Sea Power upon History, 1660-1783, New York, Brown & Co, 1890) parut en français sous le titre Influence de la puissance maritime dans l’Histoire (Paris, Société française d’édition d’art L.-H. May). Les théories de cet officier de marine et stratège américain influencèrent la politique navale de la France au début du xxe siècle. Motte Martin et Préneuf Jean de, « L’écriture de l’histoire navale française à l’époque contemporaine : un modèle national ? », Revue des Armées, no 257, 2009, p. 27-43 (27-28).

31. La Roncière Charles-Marie de, Histoire de la marine française, t. 2 : La guerre de Cent Ans. Révolution maritime, Paris, Plon-Nourrit, 1914, p. 511, 515, 531.

32. La Roncière Charles-Marie de, op. cit., 2e édition, Paris, Librairie Plon, 1900, p. 515 et n. 1. Pierre Garcie, présenté comme un « armateur de Saint-Gilles-sur-Vie », est cité à trois reprises dans « Les navigations françaises au xve siècle » (Bulletin de géographie historique et descriptive, 1895, p. 183-213 [187, 188, 194]).

33. Archives départementales de Loire-Atlantique, E 198/26, fo 1 vo. Gallicé Alain et Trémel Philippe, « La naviga-tion dans l’estuaire de la Loire à la fin du Moyen Âge », Aesturia, no 5, 2005, p. 253-283.

34. Inventaire des autographes et documents historiques réunis par M. Benjamin Fillon, décrits par Étienne Charavay, Paris, Librairie Charavay Frères, t. I, 1878, no 675, p. 207-208.

35. Bresc-Bautier Geneviève et Bautier Robert-Henri, « Un faux du xixe siècle : “Devys d’une grotte pour la Royne, Mère du Roy” », Revue de l’Art, no 78, 1987, p. 84-85. Gomez José, « La question des poignards chypriotes dits de Taillebourg, du Musée municipal d’Angoulême. Une affaire classée », Bulletin de la Société préhistorique française, t. 71, 1974, p. 229-230. L’auteur fait part des doutes concernant « les bronzes de Fontenay-le-Comte provenant pour la plupart de l’ancienne Collection Benjamin Fillon […] devant laquelle la plus grande prudence est de mise ».

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LE GRAND ROUTIER DE PIERRE GARCIE DIT FERRANDE

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Qu’en est-il dans ces conditions du « registre d’inventaire des titres de la fabrique de Saint-Gilles » ? Première personne à le mentionner, Charles Dugast-Matifeux ne fournit aucun élément de description matérielle, si ce n’est qu’il s’agit d’un « manuscrit in folio » dans lequel les informations utiles se trouveraient au folio 92 36. L’intitulé du document ainsi que les dates et les faits relatifs à Pierre Garcie et à ses parents sont plausibles au regard des archives de la paroisse de Saint-Gilles-sur-Vie conservées et que Charles Dugast-Matifeux consulta. Les choses se compliquent dès lors qu’on tente d’agencer ces éléments entre eux. La présentation de la biographie de Pierre Garcie, étalée sur les sept premières pages de l’article et entrecoupée par l’insertion de faits et de documents divers, est relativement confuse alors que l’auteur dispose en tout et pour tout de cinq dates, dont quatre qu’il prétend extraites du registre de la fabrique. Charles Dugast-Matifeux ignorait l’existence de la déposition de 1463, dans laquelle le marin déclare être âgé de « 22 ans ou environ ». Cela permet de situer sa venue au monde au début de la décennie 1440. Mais, sauf à lui attribuer une naissance très tardive, il est surprenant que ses parents aient été mariés dès 1421. Alors que le marin est toujours appelé Pierre Garcie dit Ferrande dans Le Grand Routier, Charles Dugast-Matifeux mentionne les « époux Garcie-Ferrande », « Pierre Garcie-Ferrande » et « Jeanne Olivier, veuve Garcie-Ferrande », en ajoutant un tiret entre les deux noms. Sur la feuille volante provenant de ses papiers personnels, Ferande est toujours ortho-graphié avec un seul « r ». Garcie était-il pour lui un prénom ou un patronyme ? et Ferrande un patronyme ou un surnom ? Chez Auguste Pawlowski, le Jean Ferrande de l’île d’Yeu repéré par Paul Marchegay dans un document de 1425 devient « Jean Garcie Ferrande », « père » du marin. Quant à Jeanne Olivier, sa mère, elle est qualifiée de « Jeanne Ferrande » une fois devenue veuve. Ces errements semèrent de fausses idées parmi un public non averti.

De l’histoire au patrimoine : une image brouillée de Pierre Garcie

Le souvenir de Pierre Garcie est très présent aujourd’hui à Saint-Gilles-Croix-de-Vie, du moins sur la rive gauche de la Vie, dans la partie de l’agglomération actuelle correspondant à l’ancienne ville de Saint-Gilles-sur-Vie, dont le marin était origi-naire (fig. 2.A). Un quai, une promenade, un collège d’enseignement général et une résidence portent son nom, ainsi qu’un groupe de Scouts marins et guides de France, reconstitué en 2016. La statue qui lui fut dédiée en 1992 arbore l’inscription : « Pierre Garcie dit Ferrande / capitaine de navires ». La plaque actuelle apposée sur la maison qui passe pour avoir été la sienne le présente comme « Pierre Garcie dit Ferrande / Premier hydrographe français ». L’appellation « Garcie Ferrande » a été retenue pour désigner la promenade, le quai et la résidence donnant sur ce dernier, tandis que le collège a reçu le nom de « Pierre Garcie Ferrande ».

La toponymie contemporaine inscrit le souvenir de Pierre Garcie dans l’espace public et, de façon secondaire, dans l’espace privé de Saint-Gilles-Croix-de-Vie, d’autant plus que les lieux ainsi désignés se concentrent dans un secteur géographique restreint. Mais elle reflète aussi les flottements autour du nom du personnage, mal tranchés par

36. Dugast-Matifeux Charles, « Notice sur Pierre Garcie-Ferrande… », art. cité, p. 5, n. 1 (1867) et p. 66, n. 1 (1868). La mention d’un folio 93 figure seulement sur la pièce DM2/236/22 du fonds Dugast-Matifeux (Nantes, médiathèque Jacques-Demy).

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INTRODUCTION

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les historiens. En 1992, une statue, œuvre du sculpteur Ion Olteanu (1930-2011), a donné de facto un visage au marin, achevant de briser la barrière entre fiction et réalité (fig. 2.B). Aucun avertissement du type « à la mémoire de » ou « représentation allégo-rique de » ne met le promeneur en garde. Installée en 1992 sur le pont de la Concorde, elle a été depuis déplacée côté Saint-Gilles, près de l’extrémité sud de la promenade Garcie-Ferrande. Elle marque l’aboutissement d’un processus d’appropriation collec-tive du personnage amorcé au début du xxe siècle.

Il est peu probable que le souvenir de Pierre Garcie ait perduré localement depuis la fin du Moyen Âge, du moins de la manière où on l’entend aujourd’hui. Nous sommes en présence d’un phénomène classique de construction mémorielle a poste-riori. Celle-ci s’ancre dans un contexte plus général, partagé avec d’autres régions et villes françaises à la fin du xixe et au début du xxe siècle, lorsque, soutenus par la presse et les associations locales, des notables œuvrèrent pour faire connaître un enfant du pays. Tel fut le rôle de Marcel Baudouin (1860-1941) à Saint-Gilles-sur-Vie qui, après des études de médecine, se consacra à la vie politique et culturelle locale.

Président de la Société d’émulation de la Vendée et membre de différentes sociétés savantes, il s’intéressa à l’archéologie préhistorique et antique dans le département. Ne pouvant retracer toute son action, nous nous limiterons à l’évocation de deux faits qui en constituent le terminus a quo et le terminus ad quem. La parution du premier article d’Auguste Pawlowski en 1900 semble avoir éveillé son intérêt pour Pierre Garcie. Il publia dans le Vendéen de Paris un papier intitulé : « Un vendéen illustre et inconnu, Pierre Garcie ou Gracie dit Ferrande, de Saint-Gilles-sur-Vie ». Celui-ci fut repris dans la Gazette de l’Ouest du 17 octobre 1901 37. Il demandait qu’un monument soit érigé en l’honneur du marin sur les quais du port où il avait vécu. Son action aboutit plus modestement le 3 août 1930 à la pose d’une plaque commémorative sur la façade d’une maison de la rue Torterue (actuel no 49), dans laquelle Pierre Garcie serait mort en 1502 (fig. 2.C et 2.D) 38. La date était symbolique, car censée honorer le 500e anniversaire de sa naissance. Le discours prononcé à cette occasion par Marcel Baudouin permet de mesurer la fragilité des arguments avancés, mal dissimulée par la grandiloquence des propos. Invoquant un heureux concours de circonstances qui lui avait permis de recueillir les confidences d’honorables concitoyens, les uns faisant appel à des souvenirs familiaux, les autres ayant vu des documents anciens, il s’estimait autorisé à élever la maison en question au rang de ce qu’on appellerait aujourd’hui un lieu de mémoire. Fixant d’autorité la naissance de Pierre Garcie en 1430, il s’inspirait pour le reste de Charles Dugast-Matifeux et d’Auguste Pawlowski.

Au regard des documents du début de l’époque moderne conservés au presbytère de Saint-Gilles-Croix-de-Vie, on peut tenir pour vrai le passage du discours selon lequel des pièces « du xvie siècle […] existent encore dans votre Mairie ». Mais quel crédit faut-il accorder à la consultation du « fameux registre de la fabrique de la cure de Saint-Gilles » ? Marcel Baudouin prétend y avoir relevé lui-même une mention du testament de Pierre Garcie du 4 février 1502, quand Charles Dugast-Matifeux le date

37. Bulletin de la Société des archives historiques. Revue de la Saintonge & de l’Aunis, t. XXI, 1901, « À travers les revues », p. 361. Nous n’avons pas pu accéder à ces deux journaux, dont la BnF ne conserve que quelques numéros épars.

38. Baudouin Marcel, « Pose d’une plaque commémorative sur la maison où est mort (1502) à Saint-Gilles-sur-Vie, Pierre Garcie dit Ferrande », Bulletin de la Société Olona, no 9, 1931, p. 13-14 ; no 10, 1934, p. 40-41 ; no 11, 1931, p. 58-64 et no 12, 1931, p. 71-73.

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B. Statue à la mémoire de Pierre Garcie, œuvre du sculp-teur Ion Olteanu (clichés M. Bochaca, 2018).

A. Le souvenir de Pierre Garcie dans la topographie de Saint-Gilles-Croix-de-Vie.

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INTRODUCTION

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Figure 2. – De l’histoire au patrimoine culturel : le souvenir de Pierre Garcie à Saint-Gilles-Croix-de-Vie.

C. Photographie prise le 3 août 1930, lors de l’inau-guration de la plaque commémorative apposée sur la maison présentée comme celle où Pierre Garcie aurait vécu et où il serait mort (Paris, BnF, Bulletin de la Société d’Olona, no 10, 1931, p. 44).

Marcel Baudouin est en train de prononcer son discours. Deux matelots servant le canot de sauvetage en mer de la station de Saint-Gilles l’encadrent, apportant une touche maritime à la scène. Le cadrage serré de la photographie donne l’impression d’une foule nombreuse venue assis-ter à l’événement. Marcel Baudouin annonça dans son discours la démolition prochaine de la maison. Une note de la rédaction du Bulletin de la Société d’Olona (no 12, 1931, p. 73) indique qu’elle fut remplacée en 1931 par une construction nouvelle, que l’on peut voir aujourd’hui encore.

D. État actuel de la maison présentée comme celle où Pierre Garcie aurait vécu et où il serait mort (clichés M. Bochaca, 2018).

Reconstruite en 1931 sur le modèle d’un chalet avec pignon sur rue, surélevée d’un étage et dotée d’un accès extérieur par un escalier donnant sur la rue Torterue, la maison n’a plus rien à voir avec l’édifice antérieur, semblable à la maison de gauche.

Rien n’avertit le visiteur des change-ments survenus. Il conviendrait d’indiquer explicitement qu’il s’agit non de la maison où vécut Pierre Garcie, mais de son empla-cement et que celui-ci est conjectural.

Le souvenir de Pierre Garcie est aussi présent dans la partie de la ville correspondant à l’ancienne agglomération de Saint-Gilles-sur-Vie à travers les noms donnés à la voirie (une promenade et un quai) et à deux édifices, l’un public (un collège), l’autre privé (une résidence).

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LE GRAND ROUTIER DE PIERRE GARCIE DIT FERRANDE

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du 15 février de la même année. Il s’agirait d’un vidimus 39 établi le 15 février, première et unique mention d’un tel acte, dont on ignore s’il se présentait sous la forme d’un original ou d’une notice consignée dans le registre. Marcel Baudouin, qui déclare avoir été informé de son existence par un tiers, utilise ce vidimus pour situer la maison rue Torterue et affirmer que Pierre Garcie y mourut. Contrairement à ce qu’il prétend, l’article de Louis Delavaud ne renferme aucune allusion à cette maison.

Avouant à demi-mot l’échec de son projet initial, lorsqu’il évoque au début de son discours le « monument que nous désirons voir s’élever sur la Vie à celui qui a rendu célèbre dans le monde entier le nom de notre vieille ville », Marcel Baudouin s’est rabattu sur un édifice de substitution pour fixer le souvenir de Pierre Garcie. De « maison où il est décédé », dans l’allocution, la plaque apposée en fait la « Maison / de / Pierre Garcie dit Ferrande / le premier hydrographe français / (1430-1502) / auteur du Grand Routier de mer (1483) ». Une date pour la naissance et une autre pour le décès inscrivent le personnage dans le temps court mais désormais précis d’une vie. L’influence d’Auguste Pawlowski se fait sentir avec des déformations accrues. Pierre Garcie n’est plus un des premiers hydrographes français, sinon le premier d’entre eux. Le titre de son ouvrage, réduit à la première partie dédicacée en 1483 à Pierre Imbert, procède d’un amalgame curieux entre Grand Routier et Routier de la mer, dont Auguste Pawlowski avait fait un « petit routier ».

Rien ou presque n’a changé depuis comme en témoigne un panneau d’information installé sur la promenade Garcie-Ferrande, non loin de la statue dédiée au marin. Au corps défendant de ses auteurs, dont on ne peut douter qu’ils aient puisé en toute bonne foi dans la littérature à leur disposition, celui-ci offre au visiteur un condensé d’un siècle et demi d’approximations et d’erreurs commises par les historiens et les érudits locaux (fig. 3). Depuis la seconde moitié du xixe siècle, ces derniers ont construit par touches successives, par inadvertance pour certains, de manière intention-nelle pour d’autres, une fiction à même de nourrir l’imaginaire du public, en essayant de donner à tout prix au personnage une consistance historique que les carences des sources lui refusaient. Il est indispensable de dégager Pierre Garcie et Le Grand Routier d’une gangue faite d’affirmations mal fondées, d’erreurs d’interprétation et d’affabu-lations reposant sur des documents douteux, voire sur des faux. Mais avant de poser les bases d’une nouvelle problématique sur Pierre Garcie et Le Grand Routier, il faut retracer l’évolution de l’usage des mots routier et portulan afin de lever cette fois des hypothèques sémantiques.

Routier et portulan : le périple de deux mots à travers la langue française

Parallèlement aux dérives qui affectèrent la construction du discours historique sur Pierre Garcie, l’emploi du terme routier, mot clé du titre de son œuvre telle qu’elle nous est parvenue à travers l’édition de 1520, a connu un changement important dans la langue française. Au milieu du xixe siècle, à l’entrée « routier » et à celle de son synonyme, « portulan », Auguste Jal propose les définitions suivantes :

39. Copie à valeur probatoire. L’autorité publique qui la délivrait authentifiait le document en déclarant qu’elle avait vu l’original : vidimus… (« nous avons vu… »), et que la copie était conforme à celui-ci.

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INTRODUCTION

23

Faux seing du nom de Pierre Garcie.

Dates de naissance et de mort erronées.

Qualification d’hydrographe anachronique et données biographiques douteuses.

Interprétation erronée des mobiles de la rédaction du Grand Routier.

Attribution erronée à Pierre Garcie du Routier de la mer et conception

fausse de la diffusion du Grand Routier en Angleterre.

Amalgame entre les mers décrites dans Le Grand Routier et celles sur lesquelles Pierre Garcie navigua de

façon effective.

Figure 3. – Un discours mémoriel reposant sur des bases historiques mal assurées (cliché M. Bochaca, 2018).

L’appropriation du souvenir de Pierre Garcie et du Grand Routier par les habitants de Saint-Gilles-Croix-de-Vie, comme les informations touristiques destinées aux visiteurs extérieurs à la ville, prennent appui sur les travaux historiques réalisés depuis la seconde moitié du xixe siècle. Or des biais méthodologiques ont faussé la vision du personnage et de son œuvre. De répéti-tions en surenchérissements, des idées erronées se sont diffusées. Érigées en certitudes avec le temps, il sera difficile de revenir sur elles sans un travail d’information auprès du public. Il s’agit simplement de rendre au marin sa dimension historique au plus près des maigres sources conservées, à la place de la perception fantasmée que quelques érudits en ont donnée.

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« Routier, fr. anc. s. m. […] Livre contenant, avec des cartes marines, des instructions utiles aux pilotes et aux capitaines pour la navigation dans certains parages. — “Routier est l’adressement” (indication) “des chemins par mer, et aussy par terre ; de là le livre des adresses de mer porte ce titre : Routier et Pilotage de mer.” Le P. René François, Merveilles de nature (1621) 40. — Le plus ancien Routier français que nous connaissions est celui de Pierre Garcie, dit Ferrande, composé vers 1483, mais dont on ne cite pas d’édition antérieure à celle de 1520 (in-4o, Poitiers.) — V. Rothe 41. »

« Portulan, fr. s. m. (De l’ital. Portolano) (Angl. Seacoasts book.) Livre qui contient tous les renseignements nécessaires aux pilotes pour la connaissance des atterrissages et de l’entrée des ports. Les remarques ou amers, les feux, les courants, les dangers, y sont notés avec soin […] 42. »

Dans les deux cas il s’agit d’instructions nautiques rédigées à l’intention des marins en charge de conduire les navires, pour leur permettre de naviguer en sûreté à proxi-mité de la terre ferme. L’étymologie italienne de portulan laisse entendre une prove-nance méditerranéenne. Bien qu’Auguste Jal ne pousse pas le raisonnement jusqu’à son terme, le fait que routier puise son origine dans l’ancien français inscrit le mot dans les parlers de langue d’oïl, le rattachant de façon implicite à l’espace atlantique.

Toutefois, on peine à trouver des mentions écrites des mots routier et portulan avant le xvie siècle. Les dictionnaires d’ancien français ne livrent aucune indication. Ce silence peut être mis au compte du caractère maritime des deux termes et de la rareté des textes dans lesquels il est possible de les rencontrer. Si on se limite aux titres des ouvrages imprimés, la première occurrence en français est associée à la parution à Rouen, entre 1502 et 1510, du Routier de la mer jusques au fleuve de Jourdain 43. Les mentions suivantes sont liées aux éditions successives du Grand Routier de Pierre Garcie entre 1520 et 1643. Il en est de même pour portulan 44.

Dans la seconde moitié du xviie siècle, alors que le mot routier tend à faire place à des expressions nouvelles dans les titres d’ouvrages de marine 45, il constitue une entrée du Dictionnaire de l’Académie française dès la première édition en 1694 : « Routier. s. m. On appelle ainsi un livre qui marque, qui enseigne les chemins, les routes de mer. Le routier de Constantinople. Le Grand Routier. Le routier des Indes 46. » Complétée en 1718, la définition est ensuite conservée telle quelle dans les éditions de 1740, 1762, 1798, 1835, 1879 et 1932-1935 :

40. François René, Essay des merveilles de nature et des plus nobles artifices à tous ceux qui font profession d’éloquence, Rouen, chez Romain de Beauvais et Jean Osmont, 1622, p. 100.

41. Jal Auguste, Glossaire nautique, op. cit., p. 1297. Ibid., p. 1295 : « Rothe, fr. anc. s. f. (De l’ital. Rota.) Route. Cette orthographe, où l’introduction de l’“h” ne saurait se justifier, se remarque dans les Faits de la marine d’Ant. de Conflans (1515-1522), où l’on trouve aussi Rothier des mariniers pour Routier. »

42. Jal Auguste, Glossaire nautique. Répertoire polyglotte de termes de marine anciens et modernes, Paris, Firmin Didot Frères, 1848, p. 1209. « Portolano, portulano, ital. anc. s. m. (De Porto. [V.]) Portulan […] », ibid., p. 1209.

43. Paris, BnF, Rés. Z 2747.44. Le Portulan contenant la description tant des mers du Ponent depuis le destroict de Gibeltar jusques a la Chiuse en

Flandres, que de la mer Mediterranee, ou du Levant, faict en vieux langage italien, & nouvellement traduict en françoys, Aix, Pierre Roux, 1577, avec épître dédicatoire de l’éditeur, Guillaume Giraud, au maréchal de Retz.

45. L’expression flambeau de la mer semble avoir été introduite via la traduction d’ouvrages en flamand : Le nouveau & grant illuminant Flambeau de la mer, avec une description de tous les havres, bayes, secs & profondeurs ; par Jean van Loon & Nic. Jansz Vooghte : traduit du Flamand en François par Pierre-François Sylvestre, Amsterdam, 1682-1687, 2 vol. En 1684, Paul Yvounet traduit le Zee-Spiegel de Pieter Goos, datant de 1662 : Le Grand & Nouveau Miroir ou Flambeau de la Mer contenant la description de toutes les Costes Marines Occidentalles & Septentrionnalles.

46. Le Dictionnaire de l’Académie françoise dédié au Roy, Paris, chez la Veuve Jean-Baptiste Coignard et chez Jean-Baptiste Coignard, 1694 (1re édition).

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INTRODUCTION

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« Routier. subst. masc. On appelle ainsi un livre qui marque, qui enseigne les chemins, les routes de mer, les caps, les mouillages, les ancrages, les gisements des costes, etc. particulièrement pour les voyages de long cours. Le routier de la Méditerranée. Le routier des Indes. Le Grand Routier. »

Portulan n’apparaît dans le Dictionnaire de l’Académie française qu’à partir de la 4e édition, en 1762 : « Portulan. s. m. Titre qu’on donne à un livre qui contient le gisement et la description des ports de mer, des côtes, et de ce qui y est relatif. Le Portulan de la Manche, de la Méditerranée 47. » La définition est reprise à l’identique en 1798 48 et maintenue avec quelques variantes de détail en 1835 et en 1879 :

« Portulan. s. m. T. de Marine. Ancien livre qui contient le gisement et la descrip-tion des ports de mer et des côtes, qui indique la direction des courants et des marées, les heures de pleine mer, les jours de nouvelle et de pleine lune, etc. Le portulan de la Manche, de la Méditerranée 49. »

La 8e édition (1932-1935) introduit en revanche des modifications substantielles : « Portulan. n. m. T. de Géographie. Ancienne carte nautique. Un portulan vénitien. Il s’est dit aussi de livres à l’usage des navigateurs, contenant la description des ports de mer et des côtes, indiquant la direction des courants, les marées, etc., ce que l’on nomme aujourd’hui Instructions nautiques. Le portulan de la Méditerranée. Le Portulan de Michelot 50. »

L’incorporation du mot portulan dans le domaine de la géographie s’est accom-pagnée d’un glissement sémantique. Le sens historique premier de « livre contenant des instructions nautiques », principalement textuelles, fut relégué au second plan au profit de l’acception nouvelle de « carte nautique ancienne », qui prévalut désormais. Un siècle plus tard, le Grand Larousse encyclopédique cantonne l’acception maritime du terme portulan à son seul sens cartographique :

« Portulan n. m. (ital. portolano, pilote). Ancienne carte marine, qui indiquait essentiellement la position des ports sur les côtes. — Encyclop. Les cartes nautiques construites aux xiiie, xive et xve siècles par les navigateurs génois et vénitiens, en projec-tion plate, portaient l’indication écrite ou figurée des principaux accidents des côtes : écueils, courants, feux, etc. Les Espagnols, les Portugais et même les Arabes ont établi un grand nombre de ces cartes […] 51. »

Pourtant, dès les premières lignes du compte rendu de l’ouvrage de Konrad Kretschmer sur les portulans italiens du Moyen Âge 52, Étienne Clouzot, faisant écho à la mise en garde de l’auteur, avait attiré l’attention sur l’abus de langage consistant à qualifier les cartes marines anciennes de portulans 53. Au début des années 1950,

47. Dictionnaire de l’Académie françoise, Paris, chez la Veuve de Bernard Brunet, 1762.48. Dictionnaire de l’Académie françoise, Paris, chez J. J. Smits et Ce, 1798 (5e édition).49. Dictionnaire de l’Académie française, Paris, Firmin Didot frères, 1835 (6e édition). Dictionnaire de l’Académie

française, Librairie de Firmin-Didot et Cie, 1879 (7e édition).50. Dictionnaire de l’Académie française, Paris, Librairie Hachette, 1932-1935.51. Grand Larousse encyclopédique, t. 8, Paris, Librairie Larousse, 1963.52. Kretschmer Konrad, Die italienischen Portolane des Mittelalters, Berlin, 1909, p. 37.53. Clouzot Étienne, « Les Portulans italiens du Moyen Âge », La Géographie. Bulletin de la Société de géographie,

t. XXI, 1910, p. 131-134 (131).

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LE GRAND ROUTIER DE PIERRE GARCIE DIT FERRANDE

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Désiré Guernez réitéra l’avertissement 54. Ces efforts furent vains car des historiens français, et pas des moindres, contribuèrent à cette évolution en reprenant à leur compte l’acception cartographique 55. La Bibliothèque nationale de France finit par incorporer celle-ci dans le thesaurus servant à cataloguer les documents nautiques 56. Bibliothèques, musées et autres dépôts d’archives français dépositaires de cartes marines anciennes les inventorièrent à leur tour comme des portulans 57.

Connaissant la même évolution que le mot portulan, auquel il est lié du point de vue sémantique, routier prit lui aussi un sens cartographique 58. Le Grand Larousse encyclopédique le définit comme une « carte à petite échelle, comprenant tout ou une grande partie d’un océan : Le routier de l’Atlantique 59 ». Ce type de cartes était utilisé lors des traversées océaniques pour reporter la position du navire calculée à partir de relevés astronomiques réguliers effectués en haute mer. La succession des points sur la carte montrait la route parcourue sur le fond. Cet usage tardif correspond à une appropriation par les marins au long cours du terme routier, dont l’emploi en France au Moyen Âge est peu documenté. La désuétude dans laquelle le mot tomba à l’époque moderne et son remplacement par les expressions « flambeau de la mer » et « guide des pilotes » aux xviie et xviiie siècles, puis par « instructions nautiques » au xixe siècle, facilitèrent le changement de sens, qui s’accéléra avec la prise en main de la production de documents nautiques par l’État à partir du xviiie siècle. Les instructions nautiques furent d’abord publiées en France par le Dépôt des plans et cartes de la Marine, créé en 1720, puis par le Service hydrographique de la Marine, mis en place en 1886 et devenu le Service hydrographique et océanique de la Marine (SHOM) en 1971.

S’en tenir aux faits avérés et dégager de nouvelles voies d’approche

Les mots routier et portulan seront employés dans leur sens originel de recueils d’instruction nautiques, afin de les distinguer des cartes marines qui leur sont contem-poraines. Il est possible d’appliquer à ces sources écrites les méthodes d’analyse critique développées depuis plusieurs décennies. L’étude du processus de transmission chrono-logique des documents, en particulier l’identification des reprises opérées au fil du temps par les intervenants successifs, permet de recueillir des informations. Tel est le cas du Grand Routier, connu uniquement par l’édition que Enguilbert de Marnef réalisa à Poitiers en 1520. Nous ne possédons pas le texte original de Pierre Garcie, ni aucune autre version manuscrite. On ignore si le document parvenu jusqu’au libraire était un original ou une copie. Il a disparu ainsi que la copie qui en fut tirée. Mais le simple fait de collationner le texte puis de l’imprimer créa deux manipulations 54. Guernez Désiré, « Esquisse de l’histoire de l’évolution des livres d’instructions nautiques », Académie de Marine

de Belgique, t. V, 1950-1951, p. 75-185.55. De La Roncière Monique et Mollat du Jourdin Michel, Les portulans : cartes marines du xiiie au xviie siècle,

Paris, Nathan, 1984. 56. BnF, Exposition L’âge d’or des cartes marines (Paris, Site François-Mitterrand – Grande Galerie, du 23 octobre 2012

au 27 janvier 2013), « Les cartes portulans », « Fascination des portulans », « Modes de fabrication et usages des cartes portulans ». [http://expositions.bnf.fr/marine/arret/08-5.htm] (consulté le 20-01-2017).

57. Archives départementales de la Gironde, 2 Fi 1582 bis, « Le portulan de Pedro Reinel (ca 1485) ».58. Dans le Dictionnaire françois, publié à Genève en 1690, Pierre Richelet définit le mot routier par analogie aux

cartes marines : « Routier, s. m. Terme de mer. C’est un livre qui, par le moyen de ses cartes marines, donne des instructions pour la route des vaisseaux. On trouve dans les routiers la description des côtes, on y voit les aspects, les vues ou profils des terres & on y connoit la nature des divers parages » (p. 330).

59. Grand Larousse encyclopédique, t. 9, Paris, Librairie Larousse, 1964.

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INTRODUCTION

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supplémentaires, au cours desquelles des erreurs de lecture, de transcription et/ou de composition typographique ont été commises. D’autre part, il ne s’agissait pas pour Enguilbert de Marnef de reproduire le manuscrit pour lui-même, mais de confection-ner un livre, c’est-à-dire de réaliser un projet éditorial plus ambitieux et davantage propice à l’introduction de modifications.

Il faut aussi prendre en compte la durée du processus de transmission. L’impression du livre intervient près de quarante ans après la rédaction du manuscrit, sans que l’auteur, vraisemblablement décédé à ce moment-là, ou qu’une ou des personnes que l’on pourrait appeler des ayants droit, si l’expression n’était pas anachronique, exercent un contrôle sur l’édition. Faute de distinguer le travail de l’un et de l’autre, les études réalisées ont accrédité l’idée que le livre reproduisait le texte original du marin et que le libraire poitevin s’était cantonné au rôle passif d’un simple passeur.

Selon la date à laquelle on considère Le Grand Routier, le contexte maritime dans lequel le manuscrit puis le livre s’inscrivent respectivement est très différent. Nous verrons que Pierre Garcie ne fait guère écho aux découvertes atlantiques des Ibériques. Il a réalisé une œuvre adaptée aux besoins des marins français du Ponant qui, comme lui, naviguaient essentiellement le long des côtes atlantiques de l’Europe. La situation était toute autre dans le premier quart du xvie siècle avec une plus large diffusion de nouvelles connaissances géographiques et l’amorce d’une participation des marins français aux voyages océaniques. Quels motifs ont poussé un libraire de Poitiers à imprimer un ouvrage sur la navigation côtière au moment où les horizons maritimes des Européens s’élargissaient, avec pour corollaire l’élaboration d’un nouvel art de naviguer en haute mer, reposant sur le calcul astronomique de la latitude ? Aussi surpre-nant que cela puisse paraître, la question de la finalité du projet éditorial d’Enguilbert de Marnef comme celle des publics visés, autres que les gens de mer, n’ont pas été examinées avec toute l’attention méritée.

Le Grand Routier n’est pas le parangon des recueils d’instructions nautiques qu’Auguste Pawlowski s’est complu à décrire. Les rééditions successives jusqu’en 1643 témoignent de l’intérêt dont l’ouvrage a joui en France pendant plus d’un siècle, mais elles ne doivent pas faire abdiquer tout sens critique. La mise en cause d’Alfonse de Saintonge 60 par Auguste Pawlowski, au motif que ce marin aurait plagié la Suma de geografía de Martín Fernández de Enciso et qu’il se serait livré à des prises illégales en mer, ne suffit pas à mettre Pierre Garcie sur un piédestal. Ironie de l’histoire, le seul document récent trouvé montre la participation de ce dernier à l’arraisonnement de cinq navires anglais. Il n’existait pas de séparation nette à la fin du Moyen Âge et au début de l’époque moderne entre navigation marchande et entreprises militaires. Les mers du Ponant formaient un espace de travail (commerce, pêche) mais aussi d’affron-tement entre les marins des différents États riverains. Seule la comparaison méthodique avec les autres recueils d’instructions nautiques du xve et du début du xvie siècle, 60. Jean Alfonse, aussi appelé Jean Fonteneau dit Alfonse de Saintonge, a d’abord été considéré comme un marin

français. Ses origines portugaises, justifiant la graphie Alfonse, furent démontrées par Jaime Cortesão (L’expansion des Portugais dans l’histoire de la civilisation, Lisbonne, Agencia general das Colonias, 1934, p. 42) et Luís de Matos (Les Portugais en France au xvie siècle. Études et documents, Coimbra, Acta Universitatis Conimbrigensis, 1952, p. 1-77 [22-77]). Tout en admettant les emprunts à la Suma de geografía, Luís de Matos insiste sur les adaptations opérées par Jean Alfonse (moindres développements sur les côtes de Castille par rapport à celles du Portugal, excellente connaissance des territoires portugais d’outre-mer). On peut ajouter sa connaissance des côtes de Terre-Neuve, de l’embouchure du Saint-Laurent et des côtes du Labrador, le long desquelles il navigua comme pilote de Roberval, en 1542-1543, avant de trouver la mort en 1545 dans un combat naval contre des Espagnols.

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rédigés en français, en italien, en allemand ou en anglais, peut donner la mesure des qualités et des limites du Grand Routier. Cet angle d’approche fait défaut aux travaux réalisés jusqu’alors, exclusivement centrés sur Pierre Garcie et son œuvre.

Enfin, en raison de l’ampleur de l’espace couvert et de la diversité de la matière nautique contenue dans Le Grand Routier, nous avons considéré que la tâche dépassait les capacités et les compétences d’un chercheur isolé. Une équipe internationale a été mobilisée sur la base de collaborations déjà existantes dans le domaine de l’histoire maritime médiévale. S’agissant de réaliser une synthèse allant au-delà d’une collection de points de vue thématiques ou d’une juxtaposition de regards individuels, les apports des uns et des autres ont été fondus en un texte collectif unique.

Le présent ouvrage propose une approche renouvelée, avec une édition in extenso établie selon les règles définies par l’École des chartes en matière de transcription et d’apparat critique des documents du xvie siècle. La nécessité de replacer dans l’espace des informations nautiques fragmentaires et éparses, difficiles à articuler entre elles à la seule lecture du texte et des figures, a conduit à la confection d’un volumineux corpus d’illustrations. Composé de cartes et de schémas, celui-ci s’est enrichi au gré des observations de terrain, tantôt directes avec des photographies prises in situ, tantôt indirectes par le truchement de cartes marines, de profils de côtes, de dessins et de photographies antérieurs au milieu du xxe siècle. Une partie de ces illustrations prend place au coup par coup dans l’étude historique, selon les besoins de la démonstration (chapitre i à iii). Le reste a été regroupé à la fin de l’ouvrage, dans un atlas (chapitre v) qui fait le pendant visuel des instructions nautiques (chapitre iv). Ce travail a permis d’améliorer la compréhension d’informations techniques dont l’interprétation n’est pas toujours aisée à première lecture. La transcription, l’atlas et les répertoires forment la seconde partie de l’ouvrage, mais leur élaboration a constitué la phase intiale de l’étude, à partir de laquelle les données du Grand Routier ont pu être analysées sur le plan géographique et historique. Ces dernières sont regroupées dans la première partie afin d’offrir une vue d’ensemble préalable. Le marin, le libraire et le projet de chacun, replacés dans leur époque respective, sont présentés dans le chapitre I, avant l’étude du contenu nautique du Grand Routier (chapitre ii) et une mise en perspective de l’œuvre en termes d’histoire maritime (chapitre iii).

Nous avons souhaité faciliter la lecture du Grand Routier en offrant une édition commentée à même de servir de référence. L’étude historique qui l’introduit se propose de comprendre comment un marin de la seconde moitié du xve siècle et, à travers lui, les gens de mer de la fin du Moyen Âge naviguaient sur les mers du Ponant et de quelle la manière ils percevaient l’espace maritime qui leur servait de cadre de travail. Le lecteur aura toutefois loisir de « faire route » à travers l’ouvrage comme il l’entend, en marquant des « temps d’escale » au gré de ses centres d’intérêt.

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