Investissements Et Droits Humains

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Investissements Et Droits Humains

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  • Linvestissement international

    et les droits humains :

    Enjeux politiques et juridiques

    Document de discussion

    par Rmi Bachand et Stphanie Rousseau

    Pour la journe de rflexion du Conseil dadministration de Droits et Dmocratie Linvestissement dans les pays en dveloppement : Relever le dfi des droits humains 11 juin 2003, Ottawa, Canada

  • 1001, boul. de Maisonneuve Est, Bureau 1100

    Montral (Qubec) H2L 4P9, Canada

    Tl. (514) 283-6073/ Tlc. (514) 283-3792

    Courriel : [email protected]

    Site web : www.ichrdd.ca

    Droits et Dmocratie (Centre international des droits de la personne et du dveloppement dmocratique) est une organisation indpendante canadienne investie dun mandat international. Elle fait la promotion et la dfense des droits de la personne et du dveloppement dmocratique tels que dfinis dans la Charte internationale des droits de lhomme. En coopration avec la socit civile et des gouvernements, au Canada et ltranger, Droits et Dmocratie amorce et soutient des programmes qui visent consolider les lois et les institutions dmocratiques, principalement dans les pays en voie de dveloppement.

    Centre international des droits de la personne et du dveloppement dmocratique, 2003.

    Le prsent document de discussion n'engage que les opinions des auteurs et ne reflte pas ncessairement le point de vue de Droits et Dmocratie. Toute citation du prsent texte est permise condition que l'origine en soit mentionne et qu'un exemplaire de la publication o elle apparat soit fourni Droits et Dmocratie.

  • Rsum

    Malgr les nombreux cas de comportements rprhensibles de la part des grandes entreprises rapports dans les pays en voie de dveloppement, les normes souffrances humaines causes par la volatilit des mouvements de capitaux et les nombreux diffrends commerciaux comportant un aspect relatif aux droits humains, il nexiste pas encore danalyse systmatique de la situation de linvestissement dans les pays en voie de dveloppement selon une perspective tenant compte des droits humains. Au moment o les rgles en matire dinvestissement font lobjet de discussions et de ngociations dans le cadre de divers forums un peu partout dans le monde comme l'Organisation mondiale du commerce (OMC), en relation avec la Zone de libre-change des Amriques (ZLA) ou avec le Nouveau partenariat pour le dveloppement de l'Afrique (NEPAD) , il est devenu important pour la communaut des droits humains de se pencher sur les dfis venir dans la sphre en constante volution du droit international. Dans le cadre dune conomie de plus en plus mondialise, il importe galement, pour les reprsentants gouvernementaux et les acteurs du secteur priv, de connatre leurs obligations en matire de droits humains.

    Alors que linvestissement international a principalement lieu entre pays dvelopps, son impact sur les pays en voie de dveloppement ne peut tre pass sous silence ; en termes quantitatifs seulement, il est en moyenne quatre fois plus lev que les montants accords laide internationale. De plus, une portion importante de linvestissement tranger direct ne constitue pas de nouveaux investissements sil prsente un important potentiel en matire de cration demploi, il reflte plutt les privatisations et les fusions-acquisitions, qui taient prdominantes dans les annes 1980 et 1990, priode de hiatus dans le paradigme conomique nolibral. Linvestissement de portefeuille, dont la volatilit est notoire, prsente une srie de difficults pour les gouvernements qui recherchent des conditions budgtaires stables pour tre mieux en mesure de respecter leurs obligations en matire de droits humains.

    En vertu des traits internationaux de dfense des droits humains quils ont ratifis, les tats ont lobligation de respecter et de protger les droits humains ainsi que den favoriser la ralisation. Dans certains cas, ces obligations ont un caractre immdiat (par exemple, la discrimination nest jamais justifiable, et la libert dassociation doit en tout temps tre respecte), et dans dautres, elles visent assurer progressivement le plein exercice des droits. Cest le cas de lobligation des tats de sassurer que leurs citoyens bnficient dun niveau de vie suffisant et aient droit la jouissance du meilleur tat de sant possible, et de veiller au respect de droits tels que la nourriture, lducation et le logement. En dpit du prestige moral lev dont jouissent les normes internationales en matire de droits humains, les tats ont pour la plupart t incapables dassurer une protection juridique adquate aux victimes de violations des droits conomiques, sociaux et culturels, et nombre dentre eux hsitent admettre le caractre justiciable de cette catgorie de droits. Cest pour cette raison que llaboration du principal instrument de recours international, le Protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits conomiques, sociaux et culturels, nen est encore quau stade de lbauche.

    En revanche, les investisseurs ont leur disposition de nombreux moyens de protection, les plus importants tant contenus dans les traits commerciaux bilatraux et rgionaux ; mentionnons en particulier le mcanisme de rglement des diffrends investisseur-tat, qui garantit aux investisseurs des droits de proprit excutoires, assortis de compensations financires en cas de pertes. Les accords dinvestissement tels que le chapitre 11 de lALNA comportent aussi des clauses empchant les tats dimposer des obligations de rsultats ou des transferts technologiques dans le cadre des contrats dinvestissement. Les accords (lAGCS et les MIC) qui rgissent linvestissement lOMC sont galement brivement expliqus. Les auteurs affirment que ces restrictions peuvent empcher ou dissuader les gouvernements de respecter leurs obligations en matire de droits humains.

  • Enfin, les auteurs discutent des dmarches juridiques possibles et de ce qui pourrait se produire si le droit dun investisseur se butait lobligation dun tat dassurer le respects de certains droits humains. On aborde le rle du droit coutumier ainsi que la possibilit dinvoquer les droits humains devant lOrgane de rglement des diffrends de lOMC. En bout de ligne, la relation entre le droit rgissant les investissements internationaux et le droit rgissant les droits humains mne invitablement la question pineuse de lintention du lgislateur ou, plus directement, de la volont politique. Comment en sommes-nous arrivs une tape de lvolution du droit international o les droits des citoyens bnficient de si maigres protections alors que les droits des investisseurs privs sont si bien protgs ?

  • En cas de conflit entre les obligations des

    Membres des Nations Unies en vertu de la

    prsente Charte et leurs obligations en vertu de

    tout autre accord international, les premires

    prvaudront.

    Article 103 de la Charte des Nations Unies

    [] 2. En cas d'incompatibilit entre le prsent

    accord et [d]autres accords [auxquels elles sont

    parties], le prsent accord, sauf disposition

    contraire, prvaudra dans la mesure de

    l'incompatibilit.

    Article 103 de lAccord de libre change nord-amricain

  • Introduction1

    Pendant toute la priode de laprs-guerre, les droits humains et le droit commercial ont t

    compris comme deux familles distinctes lintrieur du droit international. Le fait quil ny

    avait que peu ou pas de dialogue entre celles-ci ntait pas considr comme un problme en soi.

    Depuis dix ans, par contre, un certain nombre de facteurs sont intervenus, qui ont suscit chez les

    experts et les organismes des droits humains des inquitudes croissantes relativement aux

    ententes commerciales internationales, leurs dispositions et la menace quelles reprsentent

    pour les mcanismes de protection des droits humains. Parmi ces facteurs, mentionnons les

    violations dues des activits commerciales non rglementes dans certaines parties du monde,

    les dcisions des organes de rglement des diffrends ayant des effets ngatifs sur les politiques

    lies la protection des droits, les puissants instruments juridiques relatifs la proprit

    intellectuelle qui compromettent laccs du public aux mdicaments, aux ressources et la

    technologie, les mesures de libralisation du commerce en agriculture qui dtruisent le gagne-

    pain des fermiers pratiquant lagriculture de petite chelle, la concentration accrue de la richesse

    dcoulant de la logique des avantages comparatifs, et la libralisation continue des services qui,

    de lavis de bien des gens, menace les politiques publiques (existantes ou potentielles) favorisant

    un accs universel et non discriminatoire la sant, lducation, leau et dautres services

    sociaux.

    1

    1 Rmi Bachand est juriste et chercheur associ au Centre dtudes sur le droit international et la mondialisation (CEDIM) et au Groupe de recherche sur lintgration continentale (GRIC) de lUniversit du Qubec Montral. Stphanie Rousseau est politologue et termine prsentement un doctorat lUniversit McGill. Les auteurs remercient Diana Bronson, Christian Deblock, Lucie Lamarche et Luke Peterson pour leurs prcieux commentaires sur la premire version de ce texte. Prire d'envoyer vos commentaires [email protected]

  • Il existe aujourdhui une documentation abondante sur le sujet des changes commerciaux et des

    droits humains, comme en tmoignent divers ouvrages issus des cercles universitaires, des

    milieux populaires, des organisations non gouvernementales et des instances

    intergouvernementales2. Voil qui est trs positif. Une intressante littrature critique commence

    galement voir le jour sur la question des investissements et de leurs relations avec le

    dveloppement durable, la dmocratie et le dveloppement, mme sil ny a pas encore eu de

    tentative systmatique danalyser les investissements selon une perspective tenant compte des

    droits humains3. Ce dbat a surtout pris son envol en 1999, dans la mouvance des ngociations

    avortes entourant lAccord multilatral sur les investissements (AMI). Ainsi, cest le dbat

    dclench par lAMI qui a incit le bureau du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits

    de lhomme se pencher sur la question et produire une srie darticles concernant les droits

    humains dans le commerce international. Toutefois, les organismes chargs de lapplication des

    traits sur les droits humains nont pas encore analys limpact des investissements sur les droits

    humains, et les ngociateurs nont pas encore examin les effets, sur ces mmes droits, des

    diverses dispositions des accords bilatraux, rgionaux ou internationaux en matire

    dinvestissements.

    2 Voir ce sujet les publications de Droits et Dmocratie, www.ichrdd.ca, notamment Robert Howse et Makau Matua, Protection des droits humains et mondialisation de lconomie : un dfi pour lOMC (Montral, 2000), Diana Bronson et Lucie Lamarche, Un cadre de rfrence des droits humains pour le commerce dans les Amriques (Montral, 2001) et Lauren Posner, Rcoltes ingales : le commerce international et le droit lalimentation vus par les agriculteurs. lire galement : Caroline Dommen, Raising Human Rights in the World Trade Organization: Actors, Processes and Possible Strategies , Human Rights Quarterly, 2001 ; European Journal of International Law, no 13, 2002, sur le commerce et les droits humains ; Alison Brysk (dir.), Globalization and Human Rights, Berkley, University of California Press, 2002 ; Scott Sinclair, GATS: How the World Trade Organizations New Services Negotiations Threaten Democracy ainsi que dautres publications connexes du Centre canadien de politiques alternatives. Le bureau du Haut Commissariat aux droits de lhomme a aussi publi trois documents dimportance sur le sujet : Libralisation du commerce des services et droits de lhomme (E/CN.4/Sub.2/2002/9) ; Limpact sur les droits de lhomme de lAccord sur les aspects des droits de proprit intellectuelle qui touchent au commerce (E/CN.4/Sub.2/2001/13) ; La mondialisation et ses effets sur la pleine jouissance de tous les droits de lhomme (qui porte plus particulirement sur lAccord sur lagriculture) (E/CN.4/2002/54).

    2

    3 Voir en particulier les travaux du Third World Network (www.twnside.org), de lInstitut international du dveloppement durable (www.iisd.org) et du Centre for International Environmental Law (www.ciel.org).

  • Les experts et dfenseurs des droits humains ont bien des raisons de sintresser et de prendre

    part aux dbats portant sur linvestissement. En 2001, le montant net dinvestissement direct

    l'tranger (IDE) dans les pays en voie de dveloppement (PED) tait de 205 milliards de dollars

    amricains (sur 735 milliards de flux mondiaux dIDE)4, chiffres qui font plir ceux de laide

    officielle au dveloppement (53,7 milliards en 2002)5. Les rgles rgissant les investissements

    font prsentement lobjet de discussions et/ou de ngociations dans diffrents forums,

    notamment dans le cadre dun grand nombre dinitiatives bilatrales telles que le Nouveau

    partenariat pour le dveloppement de lAfrique (NEPAD), la Zone de libre-change des

    Amriques (ZLA) et lOrganisation mondiale du commerce (OMC). De plus, de nombreuses

    agences internationales dimportance comme la Banque mondiale, la Confrence des Nations

    Unies sur le commerce et le dveloppement (CNUCED), le Fonds montaire international, les

    banques rgionales de dveloppement et les organismes nationaux de crdit lexportation

    sintressent aux rglements sur les investissements et ont entrepris une rflexion sur leur

    rforme ventuelle. On compte prsentement dans le monde environ 2 000 traits bilatraux

    dinvestissement, qui, dans la plupart des cas, sont tablis entre des pays dvelopps et des PED

    et qui ont entran des changements dans les lois des pays htes6. Dans la plupart des cas, les

    droits humains nont pas t pris en compte lors des discussions sur les dimensions conomiques

    et juridiques des ententes. De plus, lIDE, qui implique la prsence dun investissement tranger

    sur le territoire de ltat-hte (et lutilisation de ses ressources, de sa main-duvre et de ses

    lois), a un impact potentiel plus grand sur les droits humains que les rgles gouvernant les

    exportations et les importations ou dautres aspects du droit international sur le commerce.

    La libralisation tous azimuts des investissements rpond au besoin des tats, particulirement

    ceux des pays en voie de dveloppement (PED), d'attirer les investissements trangers. La

    volont de crer de nouvelles sources de revenus, notamment pour le remboursement de leur

    4 CNUCED, Rapport sur linvestissement dans le monde 2000, Vue densemble, Nations Unies, New York, Genve, 2000, p. 9 (dans sa version anglaise). 5 J. Randel, T. German and D. Ewing (dir.)The Reality of Aid 2002, Manila, IBON Foundation, 2002 , p. 145.

    3

    6 Par exemple, en 2001, 208 changements ont t apports par 71 pays aux lois sur lIDE, et 194 de ces changements ont rendu ces lois plus favorables lIDE. CNUCED supra note 4, p.9.

  • dette, est une motivation importante dans ce processus. Les programmes dajustement structurel

    imposs la plupart des PED au cours des vingt dernires annes ont fait en sorte que ces tats

    interviennent de moins en moins dans leur conomie. Cela a pour consquence de limiter leur

    investissement de fonds publics dans le dveloppement et leur capacit remplir leurs

    obligations en matire de droits humains. La baisse notoire du niveau daide publique au

    dveloppement par les pays industrialiss au cours de cette mme priode a contribu accentuer

    cette tendance.7 Or, le capital priv national fait cruellement dfaut dans un grand nombre de ces

    pays et ceux-ci doivent donc surtout compter sur le capital priv tranger.

    La question fondamentale qui sous-tend ce document, de mme que le sminaire en vue duquel il

    a t rdig, est la suivante : comment les tats peuvent-ils concilier, dune part, leur obligation

    de protger, de respecter et de mettre en oeuvre leurs engagements internationaux en matire de

    droits humains avec, dautre part, leur volont de libraliser linvestissement et de protger les

    droits des investisseurs trangers ? Que doit-on faire en cas de conflit ? Comment les conflits

    mergent-ils et comment pouvons-nous y remdier ? Clairement, les deux citations qui figurent

    au dbut de cet article, lune tire de la Charte des Nations Unies et lautre de lALNA, qui

    affirment chacune leur propre primaut, sont symptomatiques dun problme plus profond, celui

    de la coexistence de deux familles de droits en droit international qui se font concurrence. Loin

    de prtendre effectuer une analyse approfondie des nombreuses complexits de ce dbat, ce

    document se veut plutt un examen exploratoire de certaines des questions souleves par le lien

    entre linvestissement international et les droits humains. Aprs un portrait synthtique de la

    situation mondiale actuelle en matire dIDE, un rapide survol des principales obligations des

    4

    7 titre dexemple, en 1990 le Canada consacrait 0,44 % de son revenu national brut, les tats-Unis 0,21 % et le Japon 0,31 % laide officielle au dveloppement. En 2000, ces mmes pays y ont accord respectivement 0,25 %, 0,10 % et 0,28 % de leur revenu national brut; PNUD, Rapport sur le dveloppement humain 2002, New York, Nations Unies, 2002. Toutefois, il est noter que le Canada a augment son budget daide au dveloppement en 2002. Selon les premires estimations disponibles, les fonds destins au programme canadien d'aide au dveloppement ont augment, passant de 2,37 milliards de dollars en 2001 3,16 milliards de dollars en 2002 une hausse de 31,6 % en valeur relle. L'aide publique au dveloppement du Canada reprsente maintenant 0,28 % du revenu national brut du pays. Communiqu de lAgence canadienne pour le dveloppement international,23 avril 2003.

  • tats dans le cadre des rgimes de droits humains internationaux et des accords sur les

    investissements est prsent. Dans la dernire partie, quelques questions sont proposes pour

    stimuler la rflexion quant la recherche dune plus grande cohrence en droit international.

    1- Investissements ltranger et droits humains.

    Les investissements ltranger peuvent tre regroups en deux grandes catgories : les

    investissements directs et les investissements de portefeuille. Les premiers se caractrisent par un

    pourcentage de proprit acquise par linvestisseur, quivalent gnralement 10 % de la valeur

    de lentreprise. Les investissements de portefeuille sont, a contrario, ceux dont les parts dtenues

    par linvestisseur ne dpassent pas 10 % de la valeur totale de lentreprise. Ces deux types

    dinvestissements ont des effets distincts sur les droits humains, comme nous allons lvoquer

    dans la section suivante.

    1.1 Les investissements directs

    Les tableaux 1 et 2 font ressortir les deux principaux mouvements en matire dinvestissements

    directs ltranger, soit : les flux de capitaux Nord-Nord et les flux de capitaux Nord-Sud. En

    2001, par exemple, les pays dvelopps exportaient 93,5 % des capitaux investis sous forme

    dinvestissements directs et recevaient 68,4 % de ceux-ci.En revanche, 5,9 % des investissements

    directs sont originaires des PED, qui reoivent eux-mmes 27,9 % de ceux-ci.

    5

  • Tableau 1

    Flux dinvestissements trangers directs, 1996-2000 (moyenne), rgions et pays choisis, millions de dollars amricains

    Pays/rgions sortants sortants (% mondial) entrants entrants (%

    mondial)

    Monde 794 918 100,0% 827 775 100,0% conomies dveloppes 719 187 90,5% 607 466 73,3% Europe occidentale 531 414 66,9% 359 386 43,4% Etats-Unis 130 149 16,4% 189 315 22,9% Canada 26 725 3,4% 27 004 3,3% conomies en dveloppement 72 841 9,2% 198 870 24,0% Afrique 2 306 0,3% 9 423 1,1% Amrique latine et Carabes 20 495 2,6% 82 815 10,0% Asie et Pacifique 50 040 6,3% 106 632 12,9% Source : CNUCED, Rapport sur l'investissement dans le monde, 2002, Nations Unies, New York, Genve, 2002.

    Tableau 2

    Flux dinvestissements trangers directs, 2001, rgions et pays choisis, millions de dollars amricains

    Pays/rgions sortants sortants (% mondial) entrants entrants (%

    mondial) Monde 620 713 100,0% 735 146 100,0% conomies dveloppes 580 624 93,5% 503 144 68,4% Europe occidentale 380 434 61,3% 336 210 45,7% Etats-Unis 113 977 18,4% 124 435 16,9% Canada 35 472 5,7% 27 465 3,7% conomies en dveloppement 36 571 5,9% 204 801 27,9% Afrique -2 544 -0,4% 17 165 2,3% Amrique latine et Carabes 7 217 1,2% 85 373 11,6% Asie et Pacifique 31 897 5,1% 102 264 13,9% Source : CNUCED, Rapport sur l'investissement dans le monde, 2002, Nations Unies, New York, Genve, 2002.

    6

  • Nous pouvons regrouper linvestissement tranger direct en trois catgories : les achats

    dentreprises privatises, les fusions-acquisitions et les investissements crateurs de nouvelles

    entreprises. Ces catgories ont un impact diffrent sur les droits humains et le dveloppement.

    Tout dabord, il y a lieu de rappeler que les privatisations ont t extrmement importantes la

    fin des annes 80 et au dbut des annes 90. Dans bien des cas, une fois la transaction complte,

    les nouveaux propritaires ont limin les emplois jugs improductifs. Nonobstant une

    hypothtique augmentation de la productivit de ces entreprises, force est dadmettre que dans

    bien des cas, ces privatisations ont t lourdes de consquences pour la mise en uvre des droits

    des travailleurs de mme que sur la capacit des citoyens sans-emploi subvenir leurs besoins,

    entranant dautres violations des droits reconnus par le Pacte international relatif aux droits

    conomique, sociaux et culturels (PIDESC). Le Prix Nobel dconomie Joseph Stiglitz montre

    bien les effets positifs et ngatifs de la vague de privatisations impose par le Fonds montaire

    international (FMI) aux PED :

    La privatisation fait souvent passer les entreprises dtat des pertes au profit par une rduction

    massive du personnel. []. Le chmage saccompagne de cots sociaux que les firmes ne

    prennent absolument pas en compte. tant donn que la protection de lemploi est minimale, les

    employeurs peuvent licencier les salaris peu de frais ou sans frais du tout []. Si la

    privatisation a t tant critique, cest parce que, la diffrence de ce que lon appelle les

    investissements sur terrain nu - ceux qui fondent de nouvelles firmes, non ceux qui financent

    la reprise de firmes existantes par des investissements privs, elle dtruit souvent des emplois au

    lieu den crer de nouveaux8.

    Par la suite, les fusions-acquisitions sont devenues le type d'investissement privilgi au cours

    des cinq dernires annes. Le graphique 1 montre que les fusions-acquisitions reprsentaient prs

    de 60 % des investissements directs ltranger en 2000 et plus de 50 % en 2001, et ce, en dpit

    dufait que la valeur des transactions ait chut de plus de la moiti. Mme si la majorit de ces

    78 J. E. Stiglitz, La grande dsillusion, Paris, Fayard, 2002, p. 89.

  • oprations a lieu dans les pays dvelopps, la tendance, toutes proportions gardes, semble tre

    la mme dans les PED.

    Graphique 1

    Valeur des fusions-acquisitions* et pourcentage de ceux-ci sur la valeur totale des entres

    dIDE mondiaux

    0100200300400500600700800900

    1000

    1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001

    Vale

    ur d

    es F

    -A m

    ondi

    ales

    0

    10

    20

    30

    40

    50

    60

    70

    80

    90

    100

    % d

    es F

    -A m

    ondi

    ales

    sur

    IDE

    mon

    diau

    x

    valeur (milliards de dollars)

    Pourcentage des fusions-acquisitions sur les entre d'IDE dans le monde

    Source : CNUCED, Rapport sur linvestissement dans le monde, Nations Unies, New York, Genve, 1999, 2000, 2001,

    2002.*Seules sont considres les fusions-acquisitions de plus de un milliard de dollars amricains.

    Les fusions-acquisitions ne sont pas ncessairement favorables la cration d'emplois. Comme

    le souligne la Confrence des Nations Unies sur le commerce et le dveloppement (CNUCED),

    les fusions-acquisitions soulvent plutt linquitude de plusieurs dans les pays daccueil :

    [] les acquisitions trangres ne renforcent pas la capacit de production, mais consistent

    simplement transfrer la proprit et le contrle dentreprises locales des investisseurs

    8

  • extrieurs. Ce transfert saccompagne souvent de licenciements et de la fermeture de certaines

    units de production ou fonctions (recherche-dveloppement, par exemple)9.

    Quant linvestissement visant crer une nouvelle entreprise, celui-ci possde le potentiel le

    plus immdiat de cration d'emplois. Or, depuis une douzaine dannes, ce type dinvestissement

    tend perdre du terrain par rapport aux deux autres types d'investissements directs.

    Par ailleurs, on ne peut passer sous silence les dbats en cours concernant linfluence de ces

    investissements sur les droits humains. Certains notent que les investisseurs trangers ne

    respectent pas ncessairement les droits des travailleurs, tels que dfinis par les conventions de

    l'Organisation internationale du travail (OIT). Par exemple, certains investisseurs trangers

    profitent de rgimes politiques qui rpriment svrement les liberts syndicales et les autres

    liberts fondamentales. cet gard, le cas de la Chine est particulirement saisissant 10. En effet,

    alors que les investissements trangers dans le monde ont chut de prs de la moiti de leur

    valeur entre 2000 et 2001, la part d'investissements directs trangers en Chine, de mme que la

    somme totale des nouveaux investissements trangers en Chine, se sont accrues11. En dpit des

    violations quotidiennes des droits humains en Chine, il semble que celle-ci soit devenue une

    "valeur sre" pour les investisseurs trangers.

    La situation qui prvaut dans plus de 3 000 zones franches et ce, dans 116 pays,12 se doit

    galement d'tre souligne, dans la mesure o nombre de violations des droits humains y sont

    commises par des entreprises trangres, notamment des arrestations de dirigeants syndicaux,

    9 CNUCED, Rapport sur linvestissement dans le monde, 2000, Vue densemble, Nations-Unies, Genve, 2000, la p.32. 10 Sur les violations des droits et liberts en Chine, voir notamment les publications du China Labour Bulletin, publi Hong Kong: www.china-labour.org.hk 11 En 2000, sur les 1491, 934 milliards de dollars amricains d'investissements trangers dans le monde, 40,772 milliards de dollars amricains (2,7 %) ont t investis en Chine. En 2001, sur un total mondial de 735,146 milliards, 46,846 milliards de dollars amricains d'investissements trangers (6,4 %) se sont dirigs vers la Chine. CNUCED, Rapport sur l'investissement dans le monde, 2002, Nations Unies, New York, Genve, 2002.

    9

    12 Bureau international du travail, Emploi et politique sociale dans les zones franches dexportation, Genve, mars 2003, p.2

  • des mesures de contrle de la fertilit et dautres atteintes lintgrit corporelle des femmes

    ouvrires, des licenciements arbitraires, des salaires insuffisants et des conditions de travail

    insalubres etc.13

    La complicit de certaines entreprises prives avec des gouvernements autoritaires, qui

    commettent des violations graves et massives, est un autre exemple des rpercussions possibles

    de linvestissement direct tranger sur les droits humains. Ainsi, les investisseurs trangers ont

    une part de responsabilit dans ces violations. Cette responsabilit peut tre directe, lorsque

    lentreprise participe une violation commise par un tat. titre dexemple, mentionnons le cas

    o lentreprise contribuerait aux dplacements forcs de populations civiles. Une part de

    responsabilit pourrait galement tre attribue lentreprise dans le cas o l'tat commettrait

    des violations par linstauration de mesures visant "protger" les activits de l'entreprise. La

    responsabilit peut galement tre indirecte, lorsque des violations des droits humains perptres

    par un tat profite une entreprise, sans que celle-ci soit activement implique dans ces

    violations14. Enfin, les entreprises prives sont souvent accuses de complicit silencieuse

    quand elles ne ragissent pas face des violations graves et massives perptres par un tat15. Il

    13 Voir entre autres : Gloria Tello Sanchez, Human and Labour Rights of Women Maquiladora Workers in Coahuila, Mexico, dans Droits et Dmocratie et Alianza Civica, Self-Made Citizens: Building Democracy Through Human Rights in Mexico, Montral et Mexico, janvier 2003; Human Rights Watch, From the Household to the Factory: Sex Discrimination in the Guatemalan Labor Force, fvrier 2002; Human Rights Watch, A Job or Your Rights: Continued Sex Discrimination in Mexicos Maquiladora Sector, dcembre 1998. 14 Voir entre autres : Human Rights Watch, The Niger Delta: No Democratic Dividend, Octobre 2002. Une source intressante galement : les rapports de lorganisation non-gouvernementale Project Underground disponibles sur son site internet : www.moles.org.

    10

    15 Andrew Clapham and Scott Jerbi, Categories of Corporate Complicity in Human Rights Abuses, based on a background paper for the Global Compact dialogue on The role of the private sector in zones of conflict, New York, 21-22 mars 2001 : http://www.business-humanrights.org/Clapham-Jerbi-paper.htm. Voir galement les Principes de droits de lHomme et responsabilits des entreprises transnationales et autres entreprises prives prpars par le Groupe de travail sur les mthodes de travail et activits des entreprises transnationales, soumis la discussion en juillet 2002 la 54e session de la Sous-commission sur la promotion et la protection des droits de lhomme, E/CN.4/Sub.2/2002/WG.2 /WP.1 et add. 1 et 2. De mme, l'excellent travail du International Council on Human Rights Policy, Au-del du volontarisme. Les droits humains et les obligations mergentes des entreprises en droit international: www.ichrp.org

  • est noter que des situations de conflit comme celles dans la rgion des grands lacs dAfrique

    centrale, sont particulirement problmatiques. En effet, dans cette rgion, des entreprises

    prives profitent de la confusion lie loccupation de plusieurs armes trangres pour exploiter

    les ressources naturelles de faon illgale16.

    En dernier lieu, il est ncessaire de rappeler que les investissements directs l'tranger provenant

    des pays industrialiss sont habituellement effectus partir de prts bancaires contracts auprs

    des banques du pays daccueil. Ainsi, une fois le remboursement de ce prt complt, ce qui

    apparaissait comme une exportation devient en fait une importation de capital et de richesses

    pour les pays du Nord cause du rapatriement des profits dans le pays dorigine de

    linvestisseur17. Les retombes des investissements directs nont donc pas toujours comme effet

    de fournir des capitaux au pays daccueil. linverse, ceux-ci peuvent mener une fuite des

    richesses et des capitaux, capitaux pourtant tellement ncessaires la mise en uvre des droits

    humains tels que le droit la sant et lducation.

    1.2 Les investissements de portefeuille

    Les investissements de portefeuille se caractrisent par leur grande volatilit. Compte tenu que

    les dtenteurs de ce capital financier nont pas dplacer dinfrastructures productives chaque

    vente de titres de proprit, il leur est beaucoup plus facile de sengager ou de se dsengager

    dune entreprise. De fait, ces transactions se ralisent souvent sur une base quotidienne, selon les

    informations recueillies par les investisseurs la recherche de profits rapides, plus

    particulirement en se fiant la spculation sur lapprciation de la valeur de la devise du pays

    daccueil. Selon certains, malgr linstabilit de ce type dinvestissements, le capital financier

    16 Rapport au Secrtaire gnral du Panel dExperts sur lexploitation illgale des ressources naturelles et autres formes de richesses en Rpublique dmocratique du Congo, Conseil de Scurit des Nations Unies, 16 octobre 2002, S/2002/1146.

    1117 Voir ce sujet : S. Latouche, Critique de limprialisme, Paris, Anthropos, 1979.

  • permettrait aux PED de combler le manque de capitaux nationaux et serait une des seules faons

    pour eux dobtenir le financement ncessaire leur dveloppement18.

    Linstabilit de ces investissements a toutefois un revers. La possibilit pour les investisseurs de

    retirer rapidement les capitaux des pays daccueil peut crer des vagues de retraits massifs

    susceptibles de dstabiliser compltement les systmes financiers de ceux-ci. cet gard,

    lexemple du Mexique, lors de la crise financire de 1994, est saisissant. Alors que la valeur de la

    bourse de Mexico tait, en janvier 1994, de 3, 173 milliards de dollars amricains, celle-ci ne

    valait plus que 187,3 millions de dollars amricains en janvier 1995 suite la fuite des

    capitaux19.

    Dans bien des cas, ces retraits rapides de capitaux se produisent lorsque, la suite dune rumeur

    concernant la situation conomique dun pays, une masse critique dinvestisseurs court terme

    convertissent leurs investissements et transfrent ceux-ci sous des cieux plus clments ou du

    moins plus stables. Un retrait des capitaux dune telle ampleur confirme trop souvent la rumeur,

    puisque cette vente massive de monnaie entrane une dvaluation de celle-ci sur le march. Le

    pays na alors d'autre choix que dassister la dvaluation de sa monnaie ou dinvestir de

    prcieux fonds publics pour soutenir celle-ci. Cest prcisment ce qui est arriv la Thalande

    en 1997. La chute du baht thalandais a caus des pertes demplois massives dans ce pays ainsi

    que dans les pays voisins, particulirement au sein des secteurs les moins bien rmunrs. De

    mme, la crise a cr une forte inflation affectant notamment le prix des denres ainsi quune

    rduction des dpenses publiques dans les domaines de la sant, de lducation et les autres. De

    plus, les violations des droits sociaux et conomiques des populations affectes par la crise ont

    t accompagnes de violations graves des droits civils et politiques, comme en tmoignent les

    atteintes la libert syndicale et les arrestations de dirigeants syndicaux, facilites notamment

    18 Voir ce sujet : A. Gutirrez Arriola, La inversion extranjera : mito y realidad (1998) 29 :114 Problemas del Desarrollo 127, p. 142 et ss.

    12

    19 G. Emiliano del Toro, Foreign Direct Investment in Mexico and the 1994 Crisis : A Legal Perspective (automne 1997) 20 Hous. J. Intl L. 1, p. 26.

  • par ladoption de mesures durgence et de modifications aux normes du travail par certains

    gouvernements20.

    2- Les obligations des tats en matire de droits humains21

    Afin de comprendre les obligations des tats en vertu des traits internationaux de droits

    humains, nous ferons un survol rapide de leur contenu normatif, de la responsabilit des acteurs

    cet gard et des mcanismes de sanction et de mise en uvre de ces droits.

    La Charte des Nations Unies impose aux tats lobligation de promouvoir le respect universel et

    effectif des droits et des liberts de ltre humain22. De plus, la Dclaration universelle des droits

    de lhomme affirme dans son article 28 que toute personne a droit ce que rgne, sur le plan

    social et sur le plan international, un ordre tel que les droits et liberts noncs dans la prsente

    Dclaration puissent y trouver plein effet 23. Ces droits comportent notamment le droit au travail

    et des conditions quitables et satisfaisantes de travail (art.23), le droit un niveau de vie

    suffisant pour assurer sa sant, son bien-tre et ceux de sa famille (art.25), le droit la vie, la

    libert, lgalit et lgalit devant la loi (art.1, 3, 7 et 8), la libert de pense, de conscience

    et de religion, la libre expression et lassociation (art.18, 19, 20). Les obligations des tats,

    telles quexprimes dans la Dclaration universelle, ont par la suite t codifies par le biais de

    deux traits majeurs en droit international public des droits humains, soit le Pacte international

    20 Voir entre autres : Amnesty International, Republic of Korea (South Korea): Workers Rights at a Time of Economic Crisis, fvrier 1999; Human Rights Watch, Bearing the Brunt of the Asian Economic Crisis. The Impact on Labor Rights and Migrant Workers in Asia, mars 1998; CNUCED, Trade and Development Report 1998, Nations Unies, New York, Genve, 1998, p. 73. 21 Pour avoir un aperu des droits de la personne et des peuples, de leur mise en uvre et de leur relation avec la conjoncture conomique actuelle, voir : L. Lamarche, Les droits de la personne lheure de la mondialisation dans C. Deblock (dir.), LOrganisation mondiale du commerce : O sen va la mondialisation ?, Montral, Fides, 2002, p. 181. 22 Charte des Nations Unies, 26 juin 1945, R.T. Can, 1945, no.7.

    1323 Dclaration universelle des droits de lhomme, A.G. rs. 217A (III), U.N. Doc A/810, 71 (1948), art. 28.

  • relatif aux droits civils et politiques (PIDCP)24, ratifi par 149 tats25, et le Pacte international

    relatif aux droits conomiques, sociaux et culturels (PIDESC)26, ratifi par 146 tats27.

    Des conventions rgionales consacrent galement des droits en fonction dune adhsion une

    organisation inter-tatique lie une rgion du monde. De plus, des traits visent certains

    groupes (droits des femmes, droits des enfants) ou des sujets particuliers (tels quelinterdiction

    de la torture). Par ailleurs, lOrganisation internationale du travail est dpositaire de prs de 190

    traits portant sur diffrents sujets relatifs aux droits des travailleurs, dont plusieurs ont acquis un

    statut en droits humains. Notons que tous ces traits ont, en vertu du principe pacta sunt

    servanda, force obligatoire pour les tats qui les ont ratifis. En plus des rgles de droits

    humains codifis dans des traits, qui constituent des droits positifs, il faut ajouter que certaines

    normes ont acquis le statut de jus cogens ou de normes impratives de droit international. Celles-

    ci ne peuvent donc tre violes sous aucun prtexte et les dispositions de traits allant leur

    encontre seront invalides28.

    Une avance rcente, particulirement pertinente pour notre sujet, doit tre souligne cette

    tape-ci. Rappelons dabord que larticle 17 de la Dclaration universelle dclare que : Toute

    personne, aussi bien seule quen collectivit, a droit la proprit 29. Ce droit la proprit a

    t ritr plusieurs reprises, par exemple, larticle 21 de la Convention amricaine relative

    aux droits de lhomme : Toute personne a droit lusage et la jouissance de ses biens. La loi

    24 Pacte international relatif aux droits civils et politiques, A.G. rs. 2200A (XXI), N.U. Doc A/6316 (1966), 999 RTNU 171, (entre en vigueur : 23 mars 1976). 25 Statut des ratifications des principaux traits internationaux sur les droits de l'homme, Bureau du Haut Commissaire aux droits de l'homme, Nations Unies, 2 mai 2003. 26 Pacte international relatif aux droits conomiques, sociaux et culturels, A.G. rs 2200 (A) (XXI), N.U. Doc. A/6316 (1966), 993 RTNU 3 (entre en vigueur : 3 janvier 1976). 27 Statut des ratifications, supra note 25. 28 Convention de Vienne sur le droit des traits, 23 mai 1969, 1155 R.T.N.U. 354, (entre en vigueur : 27 janvier 1980); voir aussi : R. Howse et M. Matua, Protection des droits humains et mondialisation de lconomie : Un dfi pour lOMC, Montral, Droits et Dmocratie, 2000, p. 10 et 11.

    14 29 Dclaration universelle des droits de lhomme, supra note 23, art. 17.

  • peut subordonner cet usage et cette jouissance lintrt social 30. Or, dans la dcision

    concernant le cas Awas Tingni v. Nicaragua, la Cour inter-amricaine a statu que larticle 21 de

    la Convention protge aussi les droits des membres des communauts autochtones lintrieur

    du cadre de la proprit communale, sans que la possession de titres de proprit formels

    octroys par ltat soit un pr-requis31. La Communaut Awas Tingni avait entre autres port

    plainte devant la Cour pour la coupe de bois illgale pratique par des compagnies trangres sur

    son territoire ancestral.

    Larticle 28 de la Dclaration universelle (dont le contenu constitue galement un des principes

    centraux de la Dclaration sur le droit au dveloppement32) revt une importance particulire,

    puisquil appelle les tats crer et garantir les conditions nationales et internationales

    permettant la ralisation des liberts et des droits fondamentaux. Les tats ont en effet la

    responsabilit premire de faire en sorte que soient respects, protgs et que se ralisent les

    droits humains, ce qui ne soustrait pas pour autant les individus et les entreprises prives

    lobligation de respecter ces droits et de cooprer avec les tats afin de les mettre en oeuvre33. En

    1993, plus de 170 tats ont adopt la Dclaration et le Programme dAction de la Confrence de

    Vienne34, dans lesquels ils affirment lindivisibilit, linterdpendance et luniversalit des droits

    humains. Dans la mme veine, la responsabilit premire de s'assurer que lensemble des droits

    soit respect, protg, mis en uvre et promu revient aux tats. Les droits civils et politiques

    30 Convention Amricaine relative aux droits de lhomme, 1144 U.N.T.S. 123 (entre en vigueur : 18 juillet 1978), art. 21 (1). 31 Case of the Mayagna (Sumo) Awas Tingni Community v. Nicaragua, Cour interamricaine des droits de lhomme, 31 aot 2001. 32 Dclaration sur le droit au dveloppement, Rs. AG. 41/181 (1986). 33 Principes de droits de lHomme et responsabilits des socits transnationales et autres entreprises, supra note 15, para. 18, Principes de Maastricht sur les droits conomiques, sociaux et culturels, adopts en janvier 1998 par un groupe de plus de 30 experts en droits humains.

    15

    34 Dclaration et programme daction de Vienne, Confrence mondiale sur les droits de lhomme, Doc. N.U. A/CONF.157/23. Cette dclaration a une importance particulire dans la mesure o elle a t adopte par consensus, cest--dire que mme les tats-Unis, le seul pays sopposer la Dclaration sur le droit au dveloppement, lont soutenu. Voir ce sujet A. Sengupta, On the Theory and Practice of the Right to Development (2002) 24 Human Right Quaterly 837.

  • crent une obligation immdiate alors que les droits conomiques, sociaux et culturels mettent

    l'accent sur lobligation de mise en uvre progressive, l'exception de l'interdiction de la

    discrimination (article 2), et de l'article 8 garantissant les liberts syndicales, qui ncessitent des

    obligations immdiates. Dans le cas des droits conomiques, sociaux et culturels garantis par le

    PIDESC, les tats se sont engags garantir lexercice des droits sans discrimination et

    prendre des mesures pour assurer progressivement le plein exercice des droits , notamment

    par ladoption de mesures lgislatives35. Ainsi, les tats doivent mettre en place des lois, des

    politiques et des mcanismes favorisant notamment une amlioration progressive de la

    jouissance du droit la sant, une alimentation saine et suffisante, des conditions de travail

    justes et permettant un niveau de vie adquat.

    La mise en uvre des droits humains est grandement compromise par les problmes relis leur

    justiciabilit et la faiblesse des mcanismes dapplication et de sanction. Il faut dabord

    rappeler quun nombre relativement restreint de traits permet des recours individuels36. De plus,

    il faut noter les limites gnrales que constituent la rgle de lpuisement des recours judiciaires

    internes et le peu de volont politique des tats pour la mise en uvre effective des dcisions des

    organes comptents, quil sagisse du Comit des droits de lhomme de lONU, de la

    Commission interamricaine des droits de lhomme ou de la Commission africaine des droits de

    lhomme et des peuples. titre dexemple, entre 1991 et 1999, le Comit des droits de lhomme

    rapportait quil constatait la volont de ltat de mettre en uvre les mesures rparatoires,

    35 PIDESC, supra note 26, art. 2.

    16

    36 lONU: le Protocole optionnel no 1 relatif au PIDCP, la Convention contre la Torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dgradants, le Protocole optionnel relatif la Convention sur l'limination de la discrimination l'gard des femmes; les mcanismes tripartites de lOrganisation internationale du travail permettent aux organisations syndicales qui y sont reprsentes de formuler des plaintes; dans le systme interamricain : Convention amricaine relative aux droits de lhomme, Protocole additionnel la Convention amricaine relative aux droits de lhomme traitant des droits conomiques, sociaux et culturels (Protocole de San Salvador) pour le paragraphe (a) de larticle 8 (droits syndicaux) et larticle 13 (droit lducation); dans le systme africain, la Charte africaine des droits de lhomme et des peuples (avec des restrictions).

  • compensatoires ou de redressement, dans seulement un cas de violations du PIDCP sur cinq, ce

    qui est encore loin de la mise en uvre elle-mme37.

    La situation des droits conomiques, sociaux et culturels, en matire de justiciabilit, plus encore

    que celle des droits civils et politiques, est dplorable. Malgr lobservation gnrale no.9 du

    Comit sur les droits conomiques, sociaux et culturels (ci-aprs le Comit) affirmant quun

    tat partie qui cherche se justifier du fait quil noffre aucun recours interne contre les

    violations des droits conomiques, sociaux et culturels doit montrer soit que de tels recours ne

    constituent pas des moyens appropris au sens du paragraphe 1 de larticle 2 du PIDESC, ou

    quils sont, compte tenu des autres moyens utiliss, superflus 38, on continue dassister un

    manque chronique de protection de ces droits dans les systmes juridiques nationaux. Au niveau

    international, il est difficile dvaluer lapport des rapports quinquennaux que doivent

    obligatoirement produire les tats parties au PIDESC concernant la mise en uvre des droits. De

    plus, les discussions relatives ladoption dun Protocole facultatif au trait nont toujours pas

    men plus loin qu la rdaction dun texte prliminaire par le Comit, de mme qu la

    formation, en 2003, dun groupe de travail au sein de la Commission des droits de lhomme. Ce

    retard, qui sexplique notamment par lopposition froce des tats-Unis (pourtant non-signataire

    du PIDESC), de lAustralie et maintenant du Canada, compromet considrablementles avances

    de la jurisprudence en ce qui a trait au PIDESC et prive de recours effectif les millions de

    personnes souffrant de malnutrition, de famine, ou nayant pas accs aux soins de sant de

    base39.

    37 Dans Andrew Byrnes, An Effective Complaints Procedure in the Context of International Human Rights Law , in Anne F. Bayefsky (dir.), The UN Human Rights System in the 21st Century, La Haye, Londre, Boston: Kluwer Law International, 2000, p. 153. Le pouvoir excutoire des dcisions de la Commission et de la Cour europenne des droits de lHomme reprsente une exception apprciable. 38 Comit sur les droits conomiques, sociaux et culturels, Application du Pacte au niveau national. Observation gnrale no.9, Doc. N.U., E/C.12/1998/24

    17

    39 Voir cet gard Bruce Porter, The Justiciability of Economic, Social, and Cultural Rights. A Review of the Position Taken by Canada in International and Domestic Fora (document prliminaire non-publi, 2002).

  • En rsum, il est essentiel de retenir trois ides-cls. Dabord, il existe un corpus important de

    droits positifs en matire de droits humains, codifis, notamment, par des traits internationaux.

    Ensuite, en vertu du principe pacta sunt servanda, les tats sont tenus au respect de bonne foi de

    ces engagements, compte tenu que la ratification de ces traits a valeur dengagement pour les

    tats. Enfin, malgr le contenu positif de ces droits et lobligation des tats de respecter les

    engagements dcoulant de ceux-ci, la mise en uvre de ces obligations est pour le moins

    inconstante de aux lacunes des mcanismes dapplication et de sanction et ce, tant au niveau

    national quinternational.

    3- Le droit international de linvestissement et les droits humains

    Il existe trois niveaux dintgration des conomies, soit le bilatralisme, le rgionalisme et le

    multilatralisme. Des accords cherchant protger et promouvoir les investissements trangers

    existent dj ou sont en cours de ngociation chacun de ses niveaux . Limpact de ces

    accords sur la mise en uvre des traits internationaux en matire de droits humains demeure

    ce jour insuffisamment tudi. Cest dans ce contexte que nous proposons ici quelques rflexions

    ce sujet.

    3.1 Les accords bilatraux et rgionaux (lexemple de lALNA)

    La CNUCED a rpertori, dans son dernier rapport annuel sur les investissements, 2 099 traits

    bilatraux dinvestissements (TBI) en vigueur la fin de lanne 200140. Ces traits bilatraux

    dinvestissements ont t mis en place partir des annes 60, afin de crer un cadre lgal

    international plus stable pour les investissements41. La plupart dentre eux intgrent les mmes

    40 CNUCED, Rapport sur l'investissement dans le monde, Nations Unies, New York, Genve, 2002, p. 8.

    18

    41 G. Sacerdoti, Bilateral Treaties and Multilateral Instruments on Investment Protection (1997) 269 RCADI. Sur lhistorique des traits bilatraux dinvestissements et des droits des investisseurs en gnral, voir : D.R. Adair, Investors Rights : The Evolutionary Process of Investment Treaties (1999) 6 Tulsa J. Comp. & Intl L. 195. Pour une vision librale des effets conomiques de ceux-ci, voir les travaux incontournables de Kenneth J.

  • principes, savoir le traitement national et celui de la nation la plus favorise42, des rgles

    favorisant les transferts de capitaux, linterdiction dobligations de rsultats pour les investisseurs

    et la mise en place des mcanismes de rglements des diffrends permettant aux investisseurs de

    recourir au droit international.

    Plusieurs accords de libre-change impliquant divers pays contiennent de telles rgles.

    Lexemple le plus connu est srement le chapitre sur linvestissement (le chapitre 11) inclus dans

    lAccord de libre-change nord- amricain(ALNA)43. Les rgles de ce chapitre sont semblables

    celles des traits bilatraux dinvestissement conclus par les tats-Unis, le Canada et, de plus

    en plus, par les autres pays des Amriques. Dailleurs, le chapitre 11 de lALNA a servi de

    modle lors de la rdaction des rgles sur les investissements de plusieurs accords de libre-

    change, notamment celui existant entre le Canada et le Chili, et ceux conclus par le Mexique

    avec la Colombie et le Venezuela. Enfin, selon nos informations sur ltat des ngociations en

    vue de la cration dune Zone de libre-change des Amriques (ZLA), nous serions ports

    croire que certains tats cherchent instaurer ce type de rgles dans un accord crant cette

    zone44. La similarit des rgles de ces diffrents accords conclus dans un cadre bilatral et

    Vandevelde dont, par exemple : Investment Liberalization and Economic Development: The Role of Bilateral Investment Treaties (1998) 36 Colom. J. Transnatl L. 501. 42 Le traitement national implique que chacune des Parties accordera aux investisseurs d'une autre Partie un traitement non moins favorable que celui quelle accorde, dans des circonstances analogues, ses propres investisseurs, en ce qui concerne ltablissement, lacquisition, lexpansion, la gestion, la direction, lexploitation et la vente ou autre alination dinvestissements. (Accord de libre-change nord-amricain, 17 dcembre 1992, R.T. Can 1994 no. 2, art. 1102.1); La nation la plus favorise signifie que chacune des Parties accordera aux investisseurs d'une autre Partie un traitement non moins favorable que celui qu'elle accorde, dans des circonstances analogues, aux investisseurs de toute autre Partie ou d'un pays tiers, en ce qui concerne l'tablissement, l'acquisition, l'expansion, la gestion, la direction, l'exploitation et la vente ou autre alination d'investissements. (Accord de libre-change nord-amricain, art. 1103.1). 43 Accord de libre-change nord-amricain, 17 dcembre 1992, R.T. Can 1994 no.2 (entre en vigueur: 1er janvier 1994 [ci-aprs ALNA].

    19

    44 Soulignons quun dbat existe dans les ngociations sur la pertinence dinsrer dans un tel chapitre un mcanisme de rglement des diffrends investisseur-tat. ce sujet, mentionnons la position officielle du Canada qui est de ne pas chercher recrer un tel mcanisme; MAECI, Zone de libre-change des Amrique; Position et proposition du Canada, (en ligne) http : //www.dfait-maeci.gc.ca.

  • rgional nous permet de tirer des conclusions qui sappliquent leur ensemble en analysant

    simplement le chapitre 11 de lALNA.

    Les TBI et lALNA dfinissent linvestissement de faon trs large. La dfinition donne par

    les TBI canadiens, par exemple, est la suivante :

    Le terme investissement dsigne les avoirs de toute nature dtenus ou contrls, soit

    directement, soit indirectement, par lentremise dun investisseur dun tat tiers, par un

    investisseur dune Partie contractante sur le territoire de lautre Partie contractante, en

    conformit avec les lois de cette dernire, y compris : [...] 45.

    cette dfinition sajoute une liste dexemples dinvestissements couverts par les TBI.

    LALNA a galement une dfinition trs large46 mais exclusive. Ainsi, seuls les types

    dinvestissements inscrits dans lAccord sont couverts par celui-ci. Cette liste est toutefois trs

    dveloppe, de telle sorte que : [p]resque toutes les entits imaginables sont couvertes 47.

    Ces accords engagent les tats offrir le traitement national et celui de la nation la plus favorise

    aux investisseurs trangers. Dans tous les cas, ce standard sapplique aprs ltablissement de

    linvestissement et plusieurs accords stipulent que les tats doivent aussi laccorder lors de

    ltablissement de linvestissement. Lobligation doffrir le traitement national au moment de

    ltablissement de linvestisseur dans le pays daccueil signifie, on le conoit bien, un rgime

    de porte ouverte aux investisseurs trangers, sauf prvoir des exceptions et des mesures de

    sauvegarde 48.

    45 Voir par exemple : Accord entre le gouvernement du Canada et le gouvernement de la Rpublique de lquateur pour la promotion et la protection rciproque des investissements, 29 janvier 1996, R.T. Can. 1997 no 25 (entre en

    vigueur : 6 juin 1997), art. 1 (g). 46 ALNA, supra note 43, art. 1139. 47 D.R. Adair, supra note 41, p. 203 [notre traduction].

    20

    48 C. Leben, Lvolution du droit international des investissements dans Socit franaise pour le droit international, Un accord multilatral sur linvestissement : dun forum de ngociations lautre ?, Paris, A. Pdone, 1999, 7, p.12.

  • La majorit des accords bilatraux ou rgionaux ne permettent pas aux tats dimposer des

    obligations de rsultats aux investisseurs trangers. Par exemple, lALNA interdit aux tats-

    parties dimposer aux investisseurs trangers de :

    []

    b) atteindre un niveau ou un pourcentage donn de contenu national;

    c) acheter, utiliser ou privilgier les produits ou les services produits ou fournis sur son

    territoire, ou acheter des produits ou services de personnes situes sur son territoire;

    []

    f) transfrer une technologie, un procd de fabrication ou autre savoir faire exclusif une

    personne situe sur son territoire, sauf lorsque la prescription est impose ou l'engagement

    excut par un tribunal judiciaire ou administratif ou par une autorit comptente en matire de

    concurrence, pour corriger une prtendue violation des lois sur la concurrence ou agir d'une

    manire qui n'est pas incompatible avec les autres dispositions du prsent accord 49.

    Cette interdiction pour les tats dimposer une production qui rpondrait certains objectifs

    sociaux doit tre analyse sous langle des droits humains. En empchant les tats de demander

    aux investisseurs datteindre un certain niveau de contenu national50ou dacheter des produits et

    services nationaux, les tats se voient dpourvus dun outil important pour faire en sorte que les

    activits conomiques du secteur priv aient un impact sur le dveloppement social et, a fortiori,

    sur la ralisation progressive des droits humains. De la mme faon, en empchant un tat

    dexiger un transfert de technologie lors de ltablissement dun investissement, on prive celui-ci

    du levier ncessaire pour forcer les entreprises contribuer la mise en uvre de larticle 15 du

    PIDESC qui reconnat dans son alina (b) que chacun a le droit de bnficier du progrs

    scientifique et de ses applications 51.

    49 ALNA, supra note 43, art. 1106 (1). 50 On entend par contenu national une obligation pour les entreprises de sassurer quune partie de leur production se fera laide de matires premires provenant du pays-hte. Voir ALNA, supra note 43, art. 1106.

    2151 Voir aussi la Dclaration et programme daction de Vienne, supra note 34, 11.

  • Ces accords forcent aussi les tats permettre que soient effectus librement et sans retard tous

    les transferts se rapportant un investissement effectu sur son territoire par un investisseur

    dune autre Partie 52. ce propos, nous avons vu prcdemment limpact norme que peuvent

    avoir les investissements de portefeuille sur les droits humains. Une des faons de contrler la

    volatilit des investissements et de stabiliser des capitaux sur un territoire national consiste

    crer des rgles de contrle sur ce type doprations spculatives. propos de la crise asiatique,

    Stiglitz explique que si la Malaisie a pu se relever plus vite que ses voisins coren et thalandais,

    et que lInde et la Chine ont t beaucoup moins touchs par celle-ci, cest que ces pays

    possdaient des rgles de contrle sur les oprations de capital53. Or, les pays ratifiant des

    accords tels que lALNA doivent maintenant ngocier des exceptions spcifiques pour pouvoir

    mettre en uvre de telles rgles54.

    LALNA et plusieurs accords bilatraux mettent aussi en place des rgles sur lexpropriation,

    rgles qui ont t utilises quelques reprises dans des poursuites dinvestisseurs contre les tats

    Parties ces accords. Il faut rappeler quavant la codification du droit de linvestissement, la

    dfinition donne par le droit coutumier au concept dexpropriation ne faisait pas lunanimit.

    Pour certains auteurs, lexpropriation dcoule du concept anglo-saxon taking of property et

    comprenait deux lments, savoir un acte de ltat et un transfert de proprit55. linverse,

    dautres considrent que le droit coutumier a toujours inclus les expropriations indirectes ou

    rampantes (creeping expropriations), cest--dire les actions du gouvernement qui ont

    52 Par exemple, ALNA, supra note 43, art. 1109 (1). 53 J. E. Stiglitz, La grande dsillusion, supra note 8, aux pp. 168 et ss. Voir aussi larticle de J. Bhagwati, conomiste no-libral et libre-changiste convaincu dfendant lide que llimination des crises est impossible dans un systme o rgne le mythe de la libre-convertibilit; The Capital Myth : The Difference between Trade in Widgets and Dollars (1998) 77 :3 Foreign Affairs 7. 54 Il faut videmment mentionner que, comme dans tout trait de droit international, un tat peut ngocier des rserves ou des exceptions lAccord. Ainsi, dans son Accord avec le Canada, le Chili sest gard le droit dimposer un dlai avant que des investissements canadiens puissent tre sortis du pays; Accord de libre-change entre le gouvernement du Canada et le gouvernement de la Rpublique de Chili, 5 dcembre 1996, R.T. Can 1997 no 50, (entre en vigueur : 2 juin 1997), annexe G-09.1.

    22

    55 Voir J.P.Laviec, Protection et promotion des investissements : tude de droit international conomique, Genve, PUF, 1985, p. 161, qui explique cette conception.

  • leffet dune prise de proprit, en tout ou en large partie, catgoriquement ou par tape 56,

    comme tant des expropriations au mme titre que les transferts de proprit par ltat57.

    Dans lALNA, cet article se lit comme suit :

    1. Aucune des Parties ne pourra, directement ou indirectement, nationaliser ou exproprier un

    investissement effectu sur son territoire par un investisseur d'une autre Partie, ni prendre une

    mesure quivalant la nationalisation ou l'expropriation d'un tel investissement

    (expropriation), sauf :

    a) pour une raison d'intrt public;

    b) sur une base non discriminatoire;

    c) en conformit avec l'application rgulire de la loi et le paragraphe 1105 (1) ; et

    d) moyennant le versement d'une indemnit []58.

    Lajout des termes directement ou indirectement et quivalant signifie une inclusion

    dfinitive de lexpropriation indirecte dans la dfinition dexpropriation. Ce concept tant

    relativement vague, plusieurs ont exprim des craintes face lide que cet article soit utilis afin

    dempcher les tats Parties de mettre en place des rgulations en matire, par exemple, de droit

    du travail et de droit de lenvironnement. Certaines dcisions des panels arbitraux forms en

    vertu de lALNA ont eu se pencher sur cette question. Nous retenons trois principales

    conclusions de leurs dlibrations. Premirement, il est clair que la dfinition dexpropriation

    ninclue pas seulement le transfert de la proprit et que les expropriations rampantes en font

    galement parties59. Deuximement, il existe une zone grise concernant la distinction entre une

    56 Restatement (Third) of Foreign Relations Law, 712 (1987). 57 ce sujet, voir notamment : C.N. Brower et L.A. Steeven, Who then should judge ?: Developing the International Rule of Law under NAFTA Chapter 11 (2001) 2 Chi J. Intl L. 193 et M. Romero Jimenez, Considerations of NAFTA Chapter 11 (2001) 2 Chi. J. Intl L. 243. 58 ALNA, supra note 43, art. 1110 (1) [nos italiques].

    23

    59 Voir notamment : Metalclad v. United States of Mexico Final Award (Cas CIRDI No ARB(AF)/97/1, (2000) (Arbitres: E. Lauterpcht, B.R. Civiletti, J.L. Siqueiros), par. 103 et Robert Azinian and others v. United Mexican States (Cas CIRDI no ARB (AF)/97/2) (1999), (arbitres: B.R. Civiletti, C. Von Wobeser, J. Paulsson), au 90.

  • expropriation directe, dune part, et une mesure de rgulation 60 ou un acte de lautorit

    publique ,61 dautre part. Enfin, un impact minimum est requis pour quune mesure soit

    assimile une expropriation62. Cette zone grise est extrmement problmatique du point de vue

    des droits humains, parce que celle-ci place les tats dans une situation dlicate lorsqu'il est

    temps de mettre en place les mesures ncessaires au respect de ces droits, mesures qui pourraient

    avoir un impact sur la jouissance de la proprit dun investisseur tranger. Quoi quil en soit et

    mme si certaines dcisions ont permis dclaircir des ambiguts concernant la question des

    expropriations, plusieurs zones grises demeurent quant linterprtation donner ce genre de

    dispositions. Dune part, ces zones grises font en sorte quil est impossible de prvoir le

    jugement dun panel qui aura se pencher sur un diffrend en vertu du chapitre 11. Ainsi, les

    tats, au moment dadopter des lgislations visant respecter, protger, promouvoir ou mettre en

    uvre des obligations en matire de droits humains, risquent dtre plus craintifs devant la

    possibilit d'une ventuelle poursuite dun investisseur tranger.

    Dautre part, ces zones grises deviennent des armes efficaces pour les investisseurs qui

    souhaiteraient faire pression sur les tats, lorsque leurs intrts sont en danger. Been et

    Beauvais63 donnent quelques exemples o les menaces des entreprises davoir recours au

    mcanisme de rglement des diffrends du chapitre 11, dans le cas o les tats instaureraient

    certaines mesures susceptibles d'entraver la jouissance de leur proprit, ont port leurs fruits

    auprs des tats membres de lALNA . Ils mentionnent notamment les menaces profres par

    60 S.D. Myers contre le Canada, dcision partielle, Ministre des affaires trangres et du commerce international, http://www.dfait-maeci.gc.ca/tna-cna/myersvcanadapartialaward_final_13-11-00.pdf (13 novembre 2000) (date daccs : 26 avril 2002) pour qui la distinction entre rgulation et expropriation permet de rduire le risque que le gouvernement se voit tre le sujet de poursuites concernant ladministration des affaires publiques 282 [notre traduction]. 61 Voir la dfinition dacte de puissance publique donne dans Pope & Talbot contre le Canada,Interim Award (2001), en ligne Ministre des Affaires trangres et du Commerce international (Date daccs : 1er octobre 2001) (arbitres : L. Dervaird, B.J. Greenberg et M.J. Belman), 99. 62 Pope & Talbot contre le Canada, ibid et S.D. Myers contre le Canada, dcision partielle, supra note 60.

    24

    63 V.L. Been et J. C. Beauvais, The Global Fifth Amendment: NAFTAs Investment Protections and the Misguided Quest for an International Regulatory Takings Doctrine (2003) 78 : 1 NYU L. Rev.

  • la compagnie de tabac Philip Morris la suite de lannonce du gouvernement canadien voulant

    empcher lutilisation des appellations lgres et douces sur les paquets de cigarettes.

    Selon lentreprise, une telle rglementation violerait larticle 1110, parce quelle reprsenterait

    une expropriation de ses marques de commerce et des actifs intangibles (goodwill) de

    lentreprise. Or, d'un point de vue gouvernemental, il est de la responsabilit des tats de prendre

    des mesures visant protger la sant publique. Ainsi, mme sans son utilisation concrte , il

    semble que le chapitre 11 empche parfois les tats de mettre en uvre des politiques qui

    permettraient de remplir leurs obligations en matire de droits humains, comme cest le cas dans

    lexemple que nous venons tout juste de donner.

    3.2 Lintgration multilatrale : lOrganisation mondiale du

    commerce (OMC)

    l'OMC, deux accords rgissent principalement les investissements directs l'tranger :

    lAccord sur les mesures concernant les investissements et lies au commerce (AMIC) et

    lAccord gnral sur le commerce des services (AGCS).

    3.2.1 LAMIC

    Le dbat sur linclusion de linvestissement dans le forum multilatral de lOMC (et avant elle,

    du GATT) fait rage depuis plusieurs annes dj 64. cause des rsistances des PED, qui croient

    avoir beaucoup perdre en ouvrant leurs marchs aux capitaux trangers65, lAMIC66 reste un

    accord extrmement limit. Celui-ci ne fait qu'empcher les Membres de mettre en place des

    64 R. Bachand, Les investissements : le conflit Nord-Sud dans C. Deblock (dir.), LOrganisation mondiale du commerce : O sen va la mondialisation ? , Montral, Fides, 2002, 151; R. Dattu, A Journey from Havana to Paris : The Fifty-Year Quest for the Elusive Multilateral Agreement on Investment (nov.-dc. 2000) 24 Fordham Intl L. J. 295. 65 P. Civello, The TRIMS Agreement : A Failed Attempt at Investment Liberalization , (1999) 8Minn. J. of Global Trade 97 ( propos de la dception des pays occidentaux propos de cet Accord) et E. M. Burt, Developing Countries and the Framework for Negociations on Foreign Direct Investments in the World Trade Organization (1997) 12 Am. J. of Int, L L. & Poly 1038 (concernant la position des PED).

    25

    66 Accord sur les mesures concernant les investissements et lies au commerce, 15 avril 1994, Accord instituant lOrganisation mondiale du commerce, Annexe 1A (entre en vigueur : 1er janvier 1995) [ci-aprs : AMIC].

  • mesures sur linvestissement et lies au commerce (MIC67) qui seraient incompatibles avec le

    traitement national (art. III du GATT de 1994), notamment par des mesures qui imposeraient

    lutilisation de produits nationaux, ou qui auraient comme effet d'imposer des restrictions

    quantitatives (art. XI du GATT de 1994).

    3.2.2 LAGCS

    LAGCS est un Accord cherchant rguler les mesures instaures par les Membres qui affectent

    le commerce des services. Tous les services sont couverts par les mesures de cet Accord, sauf

    ceux fournis dans lexercice du pouvoir gouvernemental 68, cest--dire ceux fournis ni sur

    une base commerciale, ni en concurrence avec un ou plusieurs fournisseurs de services 69.

    LAGCS peut tre considr comme un accord sur linvestissement, parce quil prvoit quatre

    modes de livraison des services. Lun deux est la livraison dun service grce la prsence

    commerciale sur le territoire de tout autre Membre 70. Cela signifie donc que les investisseurs

    trangers dont les activits appartiennent au secteur des services sont protgs par les rgles

    mises en place par lAGCS.

    LAGCS met en place deux types dobligations : des obligations et disciplines gnrales dans la

    partie II et des engagements spcifiques dans la partie III. Les principales obligations de la partie

    II concernent le traitement de la nation la plus favorise (NPF) et la transparence. Avant lentre

    67 Les MIC ne sont pas dfinies dans lAccord mais une liste exemplative (cest--dire inclusive) est place en annexe. Nous comprenons de cette liste que les MIC correspondent, dans le systme de l'OMC, aux obligations de rsultats dans lALNA. 68 Accord gnral sur le commerce des services, 15 avril 1994, Accord instituant l'Organisation mondiale du commerce, Annexe I b0, (1994) I.L.M. 1168 (entre en vigueur: 1er janvier 1995) [ci-aprs: AGCS], art.1 (3) b). 69 Ibid, art 1 (3) c). ce sujet, voir : M. Krajewski, Public Services and the Scope of the General Agreement on Trade in Services (GATS), Genve, Center for International Environmental Law (CIEL), 2001, qui affirme que : le concept principal de la phrase sur une base commerciale est la livraison dun service en retour dun prix pay par le consommateur. Cependant, il peut tre ncessaire de prendre en considration dautres facteurs ou le montant du versement. [] La signification de comptition dpend de la question savoir si le mme service ou un service comparable est livr et sur lampleur du march cibl, ce qui doit tre dcid au cas par cas , aux pages 17 et 18 [notre traduction].

    26 70 AGCS, supra note 68, art 1 (2) c).

  • en vigueur de lAccord, les Membres avaient la possibilit de maintenir des mesures

    incompatibles avec le traitement NPF en autant que les dites mesures aient t inscrites

    lAnnexe sur les exemptions des obligations. Ces exemptions sont, de faon gnrale, peu

    nombreuses.

    Laccs aux marchs et le traitement national sont les deux types dengagements spcifiques

    prvus dans lAccord. Contrairement aux obligations poses en vertu des disciplines gnrales,

    celles prvues par les engagements spcifiques ne sappliquent que dans les secteurs que les

    Membres ont explicitement inclus dans leur liste dengagements. Mme si la plupart des

    Membres ont libralis plusieurs secteurs et sous-secteurs, il est noter qu'un nombre

    relativement restreint de pays ont inclus dans leurs listes d'engagements des secteurs dlicats et

    lis de prs aux droits humains, tels que la sant et lducation. Les tats qui ont pris ou qui

    prendront des engagements dans le secteur des services risquent de mettre en pril la mise en

    uvre des droits humains dans leur plein potentiel, comme par exemple en ce qui a trait au droit

    la sant. Jusqu prsent, le march de plusieurs PED nest pas apparu suffisamment allchant

    pour justifier des investissements massifs dans ce domaine de la part des entreprises

    multinationales. Turshen rappelle toutefois que, en Afrique, par exemple, les entreprises

    occidentales gardent lil ouvert sur la possibilit de profiter du march de ce continent dans le

    secteur des assurances couvrant les soins de sant71. Certains pays ont dj pris des engagements

    en matire daccs aux marchs et de traitement national dans ce secteur et la pression pour une

    libralisation en ce sens fait probablement partie des ngociations actuelles. Les risques dun

    glissement vers un modle priv, o les profits prendront invitablement le pas sur la mise en

    uvre du droit la sant et, paralllement, dun glissement vers un modle curatif, o la

    prvention, pas assez profitable aux yeux du secteur priv et des investisseurs noccuperapas une

    place importante, fait craindre le pire pour les droits humains72. Si, comme nous le disions

    71 M. Turshen, Privatizing Health in Africa, Rutgers University Press, 1999, la p. 43.

    27

    72 H. Waitzkin et C. Iriart, How the United States Exports Managed Care to Developing Countries (2001) 31 :3 Intl J. of Health Services 495, la page 500; et Fidler qui explique que lmergence des assurances prives branle le principe de couverture universelle des soins de sant dans les PED,: D.P. Fidler, Neither Science Nor Shamans :

  • prcdemment, peu de pays ont pris des engagements en matire de sant, les ngociations

    actuelles sur lAGCS au sein de lOMC pourraient toutefois dboucher sur de nouveaux

    engagements cet gard. Il est utile de rappeler que la structure mme de cet Accord fait en sorte

    que les engagements pris peuvent tre retirs uniquement moyennant une compensation pour les

    Membres affects par la mesure d-libralisatrice 73. Dans les faits, cette compensation

    signifie que des modifications aux listes des engagements sont improbables voire impossibles

    faire.

    3.3 Les mcanismes de rglement des diffrends

    Une des innovations les plus importantes des dix dernires annes en droit conomique

    international est la mise en place de mcanismes efficaces pour rgler les diffrends

    commerciaux entre les Parties aux diffrents traits. Ces mcanismes prennent deux formes : une

    forme tat-tat et une forme investisseur-tat.

    LALNA possde un mcanisme de rglement des diffrends74 qui a juridiction sur lensemble

    de lAccord, lexception du chapitre 19 sur les droits antidumping et les droits compensateurs

    qui inclue son propre mcanisme de rglement des diffrends. Si le Groupe spcial arbitral cr

    pour se pencher sur une dispute constate que lAccord na pas t respect ou que leurs

    recommandations nont pas t mises en uvre, le chapitre 19 prvoit la possibilit, en dernier

    recours, de suspendre des avantages accords la Partie vise par la plainte. Le mcanisme le

    plus pertinent pour notre dmonstration est toutefois celui institu en vertu de la partie B du

    chapitre sur linvestissement. La particularit de ce mcanisme est quil permet aux investisseurs

    eux-mmes (et non pas leur tat dorigine) de soumettre un diffrend larbitrage, lorsquils

    ont le sentiment d'avoir t lss dans leurs droits.

    Globalization of Markets and Health in the Developing World (1999) 7 Ind. J. Global Leg. Stud. 191, particulirement aux pages 208 et 109. 73 AGCS, supra note 68, art. XXI.

    28 74 ALNA, supra note 43 chapitre 20, particulirement les art. 2003 2019.

  • La possibilit quun panel arbitral considre une ventuelle incompatibilit entre une rgle du

    chapitre 11 et une obligation en matire de droits humains mrite d'tre examine. cet gard,

    prcisons que larticle 1131 stipule quun tribunal institu selon le chapitre 11 devrait prendre sa

    dcision conformment au prsent accord et aux rgles applicables du droit international 75.

    priori, cela signifie que des rgles issues de traits de droits humains ou de droit de

    lenvironnement devraient tre prises en considration au moment des dcisions de ce tribunal.

    Cependant, les articles 103 et 104 stipulent quen cas dincompatibilit avec dautres traits,

    lALNA prvaudra76, sauf dans le cas de certains accords bien particuliers dtermins par

    larticle 10477 et lannexe 104.178. Toutefois, afin de respecter ces accords, la Partie devra

    choisir, parmi les moyens galement accessibles qui soffrent elle, le moyen le moins

    incompatible avec les autres dispositions du prsent accord 79. Ainsi, les Parties ont la

    possibilit de donner prsance un nombre restreint daccords dj existants en 1994 plutt

    qu lALENA. Pour ce faire, ils devront cependant faire la preuve quils ont fait tout leur

    possible pour viter une violation excessive de lAccord de commerce. Pour ce qui est des

    accords conclus aprs 1994, ou encore des accords sur dautres sujets tels que les droits humains,

    lALNA prvaudra.

    Pourtant, le droit international tablit le principe de non hirarchie des sources. Or, les articles

    103 et 104 ne font mention de la primaut de lALNA que sur les autres traits et ne

    mentionnent pas le droit coutumier. Ainsi, si lALNA a prminence sur les normes dun autre

    trait en cas dincompatibilit, cette supriorit ne sapplique pas aux rgles coutumires et un

    tribunal arbitral aurait lobligation de prendre celles-ci en considration en cas d'antagonisme

    entre lALNA et une rgle coutumire.

    75 ALNA, supra note 43 art. 1131 (1). 76 Ibid. art. 103 (2). 77 Ces accords sont la Convention sur le commerce international des espce de faune et de flore sauvage menaces dextinction, le Protocole de Montral relatif des substances qui appauvrissent la couche dozone et la Convention de Ble sur le contrle de dchets et de leur limination,ibid. 104 (1). 78 Il sagit de deux traits bilatraux relatifs lenvironnement dans la rgion transfrontalire mexicano-tats-unienne et sur le transfert de dchets dangereux; ibid, annexe 104.1.

    2979 Ibid, art. 104 (1).

  • Si une telle situation devait se retrouver devant un tribunal, celui-ci postulerait a priori la

    compatibilit des sources. Ainsi, ltat ayant viol les rgles de lAccord commercial aurait au

    moins deux choses dmontrer. Premirement, que la mesure prise visait se conformer une

    obligation existante en vertu du droit coutumier. Autrement dit, on devrait dmontrer que, par

    exemple, le droit la vie, au travail ou la sant sont bel et bien des exigences issues du droit

    coutumier80. Deuximement, ltat devrait convaincre le tribunal quil existe bien une

    incompatibilit entre les deux sources, cest--dire que seule la dite mesure violant lALNA

    pouvait lui permettre de mettre en uvre ses obligations rsultant du droit coutumier. On

    imagine bien lampleur de cette tche ! Une fois limpossibilit respecter les rgles des deux

    sources simultanment prouve et tablie, le tribunal aurait dcider de lordre de priorit

    donner ces sources en utilisant les rgles dinterprtation traditionnelles et le rsultat demeure

    difficile valuer dans labstrait. Ainsi, titre dexemple, il nest pas impossible quun pays

    signataire dun tel trait puisse convaincre un tribunal quil a, dans une priode de turbulence des

    marchs financiers mondiaux, viol ses obligations du libre transfert de capitaux afin de se

    conformer certaines obligations de droit coutumier concernant le droit la sant, la vie ou

    la scurit de la personne. Ces manquements pourraient tre justifis considrant les effets

    quune crise financire pourrait avoir sur sa capacit respecter, protger, promouvoir et mettre

    en uvre ses obligations en matire de droits humains.

    30

    80 Rappelons que la CIJ a dj statu que : De nombreuses raisons conduisant considrer que, mme si deux normes provenant de deux sources de droit international [un trait et la coutume] apparaissent identiques par leur contenu, et mme si les tats considrs sont lis par les rgles en question sur les deux plans conventionnel et coutumier, ces normes conservent une existence distincte Affaire des activits militaires et paramilitaires au Nicaragua, C.I.J. Recueil 1986, 14, au 178. Ainsi, le droit au travail ou celui la sant, bien que consigns dans des traits, pourrait tre de source coutumire. Au sujet de la possibilit que les droits humains puissent tre de source coutumire, voir : T. Meron, The Pull of the Mainstream : Human Rights and Humanitarian Norms as Customary Law, Oxford, Clarendon Press, 1989; et le commentaire de M. Koskenniemi, (mai 1990) Michigan L. R. 1946; sur le contenu de ces normes coutumires, voir Restatement (Third) of Foreign Relations Law, 702 (1987).

  • Pour leur part, les diffrends concernant les accords de lOMC sont rgls conformment au

    Mmorandum dAccord sur les rgles et procdures rgissant le rglement des diffrends81.

    Contrairement au mcanisme mis en place par le chapitre 11 de lALNA, ce mcanisme ne peut

    tre utilis que par les Membres (qui sont tous des tats) et non pas par les ressortissants de

    ceux-ci. Dans un premier temps, la phase institutionnelle des rglements des diffrends

    commence par la formation dun Groupe spcial qui formulera une recommandation. Dans un

    deuxime temps, les parties peuvent faire appel lOrgane dappel permanent qui pourra rviser

    les questions de droit et les interprtations de droit donnes par le Groupe spcial.

    Pour rpondre la mme question pose dans le cadre de lALNA, soulignons dabord que le

    mandat des Groupes spciaux se limite aux accords de lOrganisation82 et ne peut pas tre utilis

    par un Membre pour se plaindre de la violation de rgles de droits humains par un autre Membre.

    La juridiction de lOrgane dappel exclut galement les accords extrieurs au systme de lOMC,

    tel que le prcise son article 19 (1)83.

    En second lieu, nous devons poser la question savoir si une fois une plainte formule

    concernant une prsume violation dun accord de lOMC, un groupe spcial ou lOrgane

    dappel pourraient utiliser des rgles de droit non-issus du systme de lOMC, en loccurrence

    des rgles de droits humains. En dautres termes, comment devrait statuer lORD dans une

    situation dincompatibilit entre un accord de lOMC et une autre rgle concernant les droits

    humains, par exemple?

    ce sujet, Marceau explique que le droit issu de lOMC est une lex spcialis et qu ce titre, il

    ne peut tre surclass (overruled) par un autre droit84. Sappuyant sur la seconde partie de

    81 Mmorandum dAccord sur les rgles et procdures rgissant le rglement des diffrends, (1994) 33 I.L.M. 1125 [ci-aprs : Organe de rglement des diffrend : ORD]. 82 Ibid, art. 7(1) . 83 Ibid, art. 19(1)

    3184 G. Marceau, WTO Dispute Settlement and Human Rights (2002) 13 : 4 EJIL 753, la p. 767.

  • larticle 3 (2) ( Les recommandations et dcisions de l'ORD ne peuvent pas accrotre ou

    diminuer les droits et obligations noncs dans les accords viss 85) elle affirme que :

    Les accords couverts sont explicitement rpertoris et il ne peut tre prsum que les Membres

    voulaient utiliser le systme prvu lOMC pour appliquer dautres droits et obligations que

    ceux rpertoris dans les traits de lOMC. Le mcanisme de rglement des diffrends de lOMC

    ne peut donner directement effet aux droits humains daucune faon qui pourrait mettre de ct

    ou amender une disposition de lOMC. Sil avait la possibilit de permettre une disposition

    concernant les droits humains venant de lextrieur de lOMC de supplanter une disposition de

    lOMC et ainsi donner un effet lgal et appliquer une disposition venant de lextrieur de lOMC

    en supplantant une disposition de lOMC, il accrotrait ou diminuerait les droits et obligations

    des accords (ou amenderait ceux-ci)86.

    Pauwelyn adopte une position lgrement diffrente. Pour lui, de nouvelles conventions, mme

    ngocies lextrieur de lOMC, pourraient tre considres comme modifiant la volont des

    Parties et tre prises en considration lors des dcisions de lORD. Rappelant que la Cour

    internationale de justice, par exemple, utilise dans ses jugements des sources qui ne sont pas

    cites dans son article 38, ainsi que le principe de non-hirarchie des sources, cet auteur pense

    plutt que lORD pourrait utiliser dautres sources que ses seuls traits, condition que celles-ci

    soient acceptes par toutes les Parties au diffrend et que ces sources puissent tre interprtes

    comme tant suprieures aux traits faisant lobjet du diffrend, selon les rgles dinterprtation

    habituelles. Ainsi, une Partie pourrait justifier une violation dun trait de lOMC par une

    obligation extrieure lOMC87.

    Bref, le dbat savoir si une Partie peut justifier une violation un accord de lOMC par le

    respect dautres obligations de droit international nest pas encore rsolu. Par contre, il semble

    85 ORD, supra note 81, art. 3 (2). 86 G. Marceau, supra note 84, la p. 778 [notre traduction]; voir aussi E. Canal-Forgues, Sur linterprtation dans le droit de lOMC (2001) 105 RGDIP 1 pour qui les accords viss constituent le seul droit applicable de lOMC, la p. 11.

    32

    87 J. Pauwelyn, The Role of Public International Law in the WTO : How Far Can We Go ? (2001) 95 Am. J. of Intl L. 490.

  • acquis que le droit international peut tre utilis pour interprter les accords de lOMC. Larticle

    3(2) affirme que le systme de rglement des diffrends a pour objet de prserver les droits et

    les obligations rsultant pour les Membres des accords viss, et de clarifier les dispositions

    existantes de ces accords conformment aux rgles coutumires d'interprtation du droit

    international public 88. Le groupe spcial appel statuer dans le cas Core mesures affectant

    les marchs publics a interprt cet article ainsi :

    Le droit international coutumier sapplique dune faon gnrale aux relations conomiques

    entre les Membres de lOMC. Il sapplique dans la mesure o les Accords de lOMC ne

    contiennent pas de clauses qui les excluent de son champ dapplication. En dautres termes, dans

    la mesure o il ny a pas de conflit ni dincompatibilit, ni dexpression dans un accord vis de

    lOMC donnant entendre quil en va autrement, nous estimons que les rgles coutumires du

    droit international sappliquent au trait de lOMC et au processus dlaboration des traits

    lOMC89.

    LORD doit donc utiliser le droit coutumier lorsque ses rgles nentrent pas en conflit avec les

    accords de lOMC ou, pour reprendre lexpression de Pauwelyn, pour combler les trous dans un

    trait90.

    3.4 La consolidation des droits des investisseurs, le politique et

    les droits humains.

    Le droit de chaque individu participer la conduite des affaires publiques est un droit codifi

    par la Dclaration universelle des droits de lhomme91, dont larticle 21 (3) dclare que la

    volont du peuple est le fondement de lautorit des pouvoirs publics 92. Cette volont du

    peuple est la base de la dmocratie. La Dclaration de Vienne la dcrit comme tant fonde

    sur la volont, librement exprime, du peuple qui dtermine le systme politique, conomique,

    88 ORD, supra note 81, art. 3 (2) [nos italiques]. 89 Rapport du Groupe spcial : Core mesures affectant les marchs publics (WT/DS163/R) (1er mai 2000) 7.96. 90 J. Pauwelyn, supra note 87, aux pp. 541 et 542. 91 Dclaration universelle des droits de lhomme, supra note 23, art 21 (1).

    3392 Ibid, art 21 (3).

  • social et culturel qui sera l