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Département de Géographie Laboratoire ART-Dev VALORISATION DES PRODUITS AGRICOLES DU TERROIR ET DYNAMIQUES TERRITORIALES EN FRANCE ET EN ITALIE : LE ROLE DE SLOW FOOD. Prix Jeune Chercheur Louis Malassis 2010 attribué par le Centre International Hautes Etudes Agronomiques Méditerranéen Mémoire présenté en vue de l'obtention du : Master 1 Recherche option Acteurs Développement et Nouvelles Territorialités Par l’étudiant Luca PICCIN Sous la direction de Marc DEDEIRE, Maître de Conférences Présenté publiquement le 21 juin 2010 à Montpellier

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DESCRIPTION

Terroir products make the reputation of italian and french gastronomy. This comparative research tries to give a better understading of the mutual links beetween the territorial context and the role of Slow Food in the qualification processes. In the 1st part, particular attention is dedicated to the construction of the geographical object of the analysis: the terroir (chapter 1). The following chapters explore the political, economical and sociological aspects of quality, notably when linked to the territory (chapter 2) and their consequences on the research methodologies required to provide an holistic and useful application for local actors. The 2nd part is based on territorial studies coupled with actor-network and heritage construcion analysis concerning four Slow Food presidia from Languedoc-Roussillon in southern France and Veneto in northern Italy: Pardhailhan's turnip, Pelardon cheese, Biancoperla corn and Morlacco cheese. Descriptive statistics and bibliography are associated with in depth interviews and discours analysis, based on recordings made from december 2009 and june 2010 (wich are only available at Montpellier university).

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Département de Géographie Laboratoire ART-Dev

VALORISATION DES PRODUITS AGRICOLES DU TERROIR ET DYNAMIQUES TERRITORIALES

EN FRANCE ET EN ITALIE : LE ROLE DE SLOW FOOD.

Prix Jeune Chercheur Louis Malassis 2010

attribué par le Centre International Hautes Etudes Agronomiques Méditerranéen

Mémoire présenté en vue de l'obtention du : Master 1 Recherche option Acteurs Développement et Nouvelles Territorialités Par l’étudiant Luca PICCIN Sous la direction de Marc DEDEIRE, Maître de Conférences Présenté publiquement le 21 juin 2010 à Montpellier

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En mémoire de ma grande mère,

Antonia.

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« Pour expliquer ce que Slow Food entend pour territoire il est nécessaire de partir de la définition française de « terroir ». Un terroir est une entité territoriale où les valeurs patrimoniaux sont le fruit de relations complexes de long terme, qui incluent de caractéristiques culturelles, sociales, écologiques et économiques. Les produits agricoles et alimentaires d’un terroir sont donc fortement connotés par ces aspects identitaires, tant qu’en France on arrive à parler de « goût du terroir » en relation à la production viticole. Ce concept de terroir a été codifié par rapport au vin et aux caractéristiques uniques de certains crus, et son extension à la production alimentaire est un naturel pas successif. Car, en effet, le goût du terroir existe, pas seulement pour les vins. Les réalités territoriales spécifiées par de précises caractéristiques culturelles, sociales, économiques, écologiques, climatiques, géomorphologiques, sont le résultat d’un long et lent processus évolutif qui, dans son développement, a donné origine à des pratiques spécifiques en relation à la culture, l’élevage, la production de la nourriture. La complexité et la diversité de ces traditions liées à races, variétés et connaissances paysannes est un patrimoine de l’humanité qui est constamment menacé par l’homologation, conséquence naturelle de la logique productive industrielle contemporaine. L’étude et l’approfondissement des différentes réalités territoriales et de leurs productions est une pratique passionnante qui, à plusieurs niveaux implique ceux qui s’intéressent de gastronomie, et c’est un aspect inéluctable pour la connaissance de la civilité gastronomique : l’Université des Etudes de Sciences Gastronomiques de Pollenzo et Colorno centre une bonne partie de ses cours sur l’étude de ces aspects. Le territoire entendu dans cette connotation est aussi le lieu naturel de sauvegarde de la biodiversité : le projet des « Presidi » Slow Food opère et encadre les recherches dans ce sens-là. Le territoire permet de se rapprocher de nouvelles expériences gastronomiques et d’exercer ses propres sens avec des dégustations très diversifiées : la sauvegarde du territoire est aussi la sauvegarde du goût ».

Définition de territoire selon Slow Food, extrait du site : http://associazione.slowfood.it/associazione_ita/ita/dizionario/32.lasso

traduit par nos soins.

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TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION ................................................................................................................................................ 6

PARTIE 1 : LA LITTERATURE SUR LA QUALITE, LE TERROI R ET LEUR ROLE DANS LE DEVELOPPEMENT TERRITORIAL. ............................................................................................................ 10

Chapitre 1. Le terroir : un concept pluridimensionnel. .......................................................... 12

1.1. Du terroir agronomique à une notion plus large et humaniste. ........................... 12

1.2. Le terroir géographique. ............................................................................................ 14

1.3. Le terroir « système géographique »......................................................................... 18

1.4. Le terroir patrimonial. ................................................................................................ 21

1.5. Les terroirs : des ressources pour le territoire. ....................................................... 25

1.6. En guise de conclusion : une définition................................................................... 27

Chapitre 2. Les indications géographiques et le mouvement Slow Food. ............................ 29

2.1. Qualité des produits, qualité des territoires. ............................................................ 29

2.2. Les enjeux de la protection européenne de l’origine des produits agroalimentaires. 34

2.3. La complexité des Indications Géographiques. ........................................................... 38

2.4. Une pluralité de « mondes de commercialisation »..................................................... 40

2.5. Les limites des Indications Géographiques. ................................................................ 45

2.6. Quand les Indications Géographiques ne suffisent pas : la voie de Slow Food. ....... 47

Chapitre 3. Etudier la valorisation des produits du terroir avec une approche multidisciplinaire. .......................................................................................................................... 54

3.1. De l’économie industrielle à l’économie territoriale. ............................................. 54

3.2. Une approche par le milieu innovateur. ...................................................................... 58

3.3. Les Systèmes Agroalimentaires Localises. .................................................................. 61

3.4. De l’analyse des proximités à celle des réseaux. ......................................................... 64

3.5. Comprendre la construction d’une ressource territoriale. ....................................... 69

3.6. La méthode de l’acteur-réseau et le cycle de la traduction. ................................... 75

PARTIE 2 : LES PROJETS DE SLOW FOOD EN FRANCE ET EN ITALIE. ........................................... 84

Chapitre 4. Les dynamiques territoriales et la valorisation des produits agricoles du terroir en Italie. .............................................................................................................................. 87

4.1. Encadrement géographique. ................................................................................................. 87

4.1.1. Une région en forte croissance démographique, de plus en plus multiethnique. 87

4.1.2. De région arriérée à modèle de la « Troisième Italie ». .............................................. 89

4.1.3. Un paysage qui change avec la société. ....................................................................... 91

4.1.4. Une agriculture productiviste en quête de qualité. ...................................................... 95

4.1.5. Des spécialisations agricoles répondant à la morphologie du territoire. ................... 98

4.1.6. L’évolution productiviste de la zootechnie. ............................................................... 102

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4.1.7. Une agriculture à la recherche d’espace. .................................................................. 106

4.2. Le processus de valorisation de la farine de maïs « Biancoperla ». ........................ 115

4.2.1. Introduction. .............................................................................................................. 115

4.2.2. Caractérisation du produit. ........................................................................................ 116

4.2.3. Problématisation. ........................................................................................................ 117

4.2.4. Intéressement. ............................................................................................................. 118

4.2.5. Enrôlement. ................................................................................................................ 119

4.2.6. Mobilisation. ............................................................................................................... 120

4.3. Le processus de valorisation du fromage « morlacco del grappa ». ............................... 124

4.3.1. Introduction. ............................................................................................................... 124

4.3.2. Caractérisation du produit. ........................................................................................ 125

4.3.3. Problématisation. ........................................................................................................ 126

4.3.4. Intéressement. ............................................................................................................. 128

4.3.5. Enrôlement. ................................................................................................................ 129

4.3.6. Mobilisation. ............................................................................................................... 131

Chapitre 5. Les dynamiques territoriales et la valorisation des produits agricoles du terroir en France. ......................................................................................................................... 135

5.1. Encadrement géographique. ................................................................................................. 135

5.1.1. Une démographie marquée par une croissance progressive. ................................... 136

5.1.2. Une trajectoire économique originale et contrastée. ................................................. 137

5.1.3. Des espaces ruraux en recomposition et une grande diversité paysagère. ............... 140

5.1.4. Une agriculture marquée par la difficile restructuration de la viticulture. ............. 147

5.1.5. Une agriculture en voie de diversification. ................................................................ 153

5.1.6. Un élevage extensif, artisanal et à haute valeur naturelle. ....................................... 158

5.2. Le processus de valorisation du navet noir du Pardailhan. ..................................... 164

5.2.1. Introduction. ............................................................................................................... 164

5.2.2. Caractérisation du produit. ........................................................................................ 164

5.2.3. Problématisation. ........................................................................................................ 166

5.2.4. Intéressement. ............................................................................................................. 166

5.2.5. Enrôlement. ................................................................................................................ 167

5.2.6. Mobilisation. ............................................................................................................... 169

5.3. Le processus de valorisation du fromage Pélardon affiné. ............................................ 172

5.3.1. Introduction. ............................................................................................................... 172

5.3.2. Caractérisation du produit. ........................................................................................ 176

5.3.3. Problématisation. ........................................................................................................ 177

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5.3.4. Intéressement. ............................................................................................................. 178

Chapitre 6. Conclusion de la deuxième partie. ........................................................................... 181

6.1. Analyse comparative des processus organisationnels de la qualité. ..................... 181

6.2. Analyse comparative des processus de patrimonialisation. ................................... 184

6.3. Synthèse globale. ........................................................................................................ 187

CONCLUSION GENERALE ........................................................................................................................... 194

BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................................................ 196

LISTE DES SIGLES ......................................................................................................................................... 213

TABLE DES INDEX ......................................................................................................................................... 215

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INTRODUCTION

Ce mémoire s’inscrit dans le courant de la géographie de la qualité (Frayssignes, 2008). L’ouvrage fondateur de cette géographie est la revue : Sud Ouest Européen, n. 6, parue en décembre 1999. Comme son titre l’indique, - « La qualité agro-alimentaire et ses territoires productifs » -, cet ouvrage collectif regroupe les articles des géographes qui ont abordé la question de la qualité du côté de la production. Successivement il s’est révélé nécessaire d’élargir le champ des recherches pour englober la demande sociale de produits (et services) concernés par des processus de qualification territoriale (Chevalier et Dedeire, 2006). Parallèlement les recherches en sciences sociales dans le monde anglo-saxon se sont concentrées sur l’émergence dans les vingt dernières années, d’un ensemble de pratiques et de représentations éthiquement, économiquement et écologiquement plus durables, concernant les acteurs des filières agroalimentaires, y compris les consommateurs (Murdoch, 2000 ; Marsden, 2000 ; Murdoch et al., 2000 ; Sonnino, 2007). Cela non seulement dans les pays riches, mais aussi dans les pays du Sud. Cet ensemble hétérogène a donné lieu à une série de discussions où les notions de « relocalisation » et de « quality turn » tiennent une place prépondérante et qui sont regroupées actuellement comme « alternative food geographies » (Sonnino et Marsden, 2006 ; Marsden et Sonnino, 2007 ; Maye, Holloway et Kneafsey, 2008). La qualité est donc une question globale. Mais avant tout il nous semble convenable, en accord avec J. Pilleboue, de bien mettre au clair que le terme de qualité, banalisé par le secteur agro-alimentaire, recèle en réalité une ambiguïté et une polysémie qui rendent illusoire toute tentation de donner une définition à priori de cette notion1. Notre première hypothèse est que la qualité est une construction sociale. Une explication très précise du mécanisme à la base de cette construction sociale est présentée dans un rapport de l’Institut Agronomique Méditerranéen de Montpellier2 : « l’appellation d’origine joue dans notre fonctionnement culturel d’interprétation des signes, et plus particulièrement joue dans la « triade » : signe, signifiant, signifié. Une indication géographique ou un label d’origine accordé à un produit désigne un nom géographique. Cette désignation constitue le premier sens « littéral » du mot (Pélardon, par exemple). Mais ce signifiant signale un lieu et joue un rôle d’identifiant géographique (il renvoie à la zone des Cévennes et ce indépendamment de la réputation). Enfin, ce qui est signifié (le fromage de chèvre) est un produit issu d’un nœud de relations où se croisent des facteurs qualitatifs échappant souvent à toute technique de quantification ou de qualification par les sciences exactes : environnement, culture, histoire, climat, géologie, techniques de productions, société constituent les attributs qui sont renseignés dans les cahiers de charges délimitant un produit »3. Or c’est en France que le concept d’AOC est né, dans un souci de garantir au consommateur le lien du produit au terroir, synonyme de qualité (Barjolle, Boisseaux et Dufour, 1998 ; Bérard et Marchenay, 2004). Cette notion a été adoptée par l’Union Européenne avec le règlement 2081/92 pour lequel « on entend par appellation d’origine : le nom d’une région, d’un lieu déterminé ou, dans des cas exceptionnels, d’un

1 Cf. la note num. 2 de Pilleboue J., Avant-propos, dans : Sud Ouest Européen, presses universitaires du Mirail, n. 6, 1999, pag. 1. 2 Ilbert H., (coord.), Produits du terroir méditerranéen : conditions d’émergence, d’efficacité et modes de gouvernance, CIHEAM-IAMM, juin 2005, pag. 7. 3 Pour une explication plus détaillée cf. Brunori G., Local food and alternative food networks: a communication perspective, revue Anthropology of food, S2, March 2007.

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pays, qui sert à designer un produit agricole ou une denrée alimentaire : originaire de cette région, de ce lieu déterminé ou de ce pays et dont la qualité ou les caractères sont dus essentiellement ou exclusivement au milieu géographique comprenant les facteurs naturels et humains et dont la production, la transformation et l’élaboration ont lieu dans l’aire géographique délimitée ». Ainsi, l’élargissement à l’échelle européenne de cette association entre qualité et terroir introduit ce dernier dans une dimension plus large : le terroir est aujourd’hui confronté à la mondialisation. Il devient alors primordial de comprendre de quoi on parle lorsque l’on fait référence à ce terme qui est spécifique à la langue française (Barham, 2003 ; Bérard et Marchenay, 2007). C’est l’objet du premier chapitre4. La qualité associée au terroir fait que celui-ci devient un espace où convergent des motivations très différentes : nécessité de promouvoir la compétitivité économique, mais aussi préservation de l’environnement, aménagement d’un cadre de vie, gestion des paysages. Il peut même devenir la base pour un projet de développement local. Les indications géographiques sont alors des outils pour la valorisation des ressources locales. Elles participent d’un phénomène de reterritorialisation des modes de production qui va au-delà de la seule activité agroalimentaire (Chevalier et Dedeire, 2006). Ces processus de reterritorialisation « passent alors par des systèmes de mise en valeur de l’espace, contraints ou orientés par les caractéristiques territoriales (environnementales, sociales, culturelles…), régulés intentionnellement (gouvernance) ou non, capables ou non de générer de la mobilisation sociale. Ainsi, l’attractivité des territoires passe par une affirmation et une reconnaissance d’avantages comparatifs de plus en plus orientés vers la notion de qualité »5. Comme nous le verrons dans le deuxième chapitre la France et l’Italie sont les pays qui possèdent le plus grand nombre d’Indications Géographiques6. Ces pays peuvent alors être considérés comme porteurs d’un potentiel de diffusion de la qualité au sein de leurs territoires. Cependant pour chaque pays et pour les régions internes aux pays, il est possible d’identifier des trajectoires territoriales diversifiées : elles peuvent être convergentes ou, au contraire, divergentes. Par exemple, relativement à la démographie on se trouve face à des espaces autrefois répulsifs, devenus aujourd’hui attractifs ; ou encore des espaces qui se vident, tandis que d’autres sont attractifs. En agriculture des régions qui sont spécialisées dans des cultures industrielles (élevages porcins en Bretagne, production de maïs dans la plaine du Po) se distinguent des régions qui n’ont pas appliqué la règle fordiste (les zones plus enclavées des Alpes ou des suds). Plus brièvement certains territoires possèdent plus de ressources ou d’actifs que d’autres et par conséquent ils seraient plus aptes que d’autres à dégager une tendance à la qualification (Chevalier et Dedeire, 2006). Les Indications Géographiques représentent alors une mobilisation d’un ensemble de ressources territoriales qui permettent la différenciation du produit des autres concurrents standards sans identification territoriale. Le cas du « long parcours de l’Aubrac » (Laurens, 1999) est un exemple d’un « pays très contrôlé », passé du statut de « zone fragile » à celui de « territoire de la qualité ». Nous adoptons cependant une posture critique face à la profusion contemporaine d’Indications Géographiques. Nous montrerons que dans certains cas la mobilisation des ressources territoriales peut s’effectuer de façon contradictoire, voire paradoxale. En 4 Nous soulignons à ce propos que, malgré une littérature copieuse, dans le dictionnaire de la Géographie de Lévy J. et Lussault M. (pag. 919) au terme terroir ne sont dédiées que vingt lignes et il est ainsi défini de façon réductive : « espace caractérisé par des conditions agronomiques spécifiques ». 5 Chevalier P. et Dedeire M., Qualités et territoires, dans : revue de l’économie méridionale, vol. 54, n. 213, 2006, pag. 9. 6 Avec ce terme nous regroupons tous les signes officiels de la qualité et de l’origine reconnus à niveau européen, à savoir : l’Appellation d’Origine Protégée, l’Indication Géographique Protégée et la Spécialité Traditionnelle Garantie.

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effet, la pluralité d’acteurs qui cherchent à profiter de la rente territoriale associée au produit n’est pas motivée par les mêmes logiques et les mêmes stratégies : certains y voient une opportunité de valorisation marchande, tandis que d’autres seront plus attentifs aux dimensions patrimoniales et identitaires. D’où l’existence de désaccords ou d’exclusions, et donc de conflits. On a déjà pu constater que « des acteurs n’hésitent pas à renoncer à la reconnaissance officielle du lien au territoire par les signes officiels les plus exigeants au profit d’affirmations de la qualité selon des procédures plus sommaires, rapidement concrétisées, moins contraignantes et qui font l’impasse sur le lien qualité-territoire, si ce n’est par des références emblématiques et abstraites à un lieu, à un nom. L’influence de la grande distribution n’est pas étrangère à cette inflexion »7. Les consommateurs sont de plus en plus sensibles et face à de telles dérives ils ne restent pas passifs, « avec le phénomène de saturation de nombreux besoins, les consommateurs cherchent avant tout le style, la qualité et la nouveauté »8 ; certains auteurs avancent même que « le consommateur a un besoin croissant d’informations, non seulement sur le produit mais aussi sur l’origine de ses composants, sur les méthodes de fabrication, sur l’authenticité de ces méthodes. Il demande aujourd’hui de la traçabilité, demain il voudra "entrer dans les ateliers" (dans la cuisine) »9. La communication sur les caractéristiques du produit devient alors un facteur primordial de la réussite de tout processus de valorisation. Il faut donc s’attacher à appréhender le processus relationnel qui favorise la rencontre entre l’espace de la production et l’espace de la consommation. C’est pour cela que des associations comme Slow Food trouvent aujourd’hui une légitimation et un succès grandissants et que nous avons choisi d’étudier quatre projets de valorisation de produits agricoles soutenus par ce mouvement international de consommateurs. Le troisième chapitre constitue une ouverture disciplinaire vers d’autres sciences sociales : l’économie territoriale et la sociologie de la traduction. Le parcours conceptuel que nous avons jusqu’ici esquissé nous renvoie au constat que pour analyser les territoires de la qualité « la thématique consiste à comprendre comment les acteurs s’approprient le processus organisationnel de la qualité et en quoi il devient un élément fondamental pour le territoire ».10 En deuxième lieu il s’agit aussi de comprendre l’agriculture de terroir par l’organisation territoriale (Dedeire, 1997). Puisque Slow Food œuvre pour sauver les produits à risque d’extinction, liés à la mémoire et à l’identité culturelle d’un groupe, avec des caractéristiques dues au lien environnemental et socio-économique avec un territoire spécifique, réalisés en quantités limités dans des petites exploitations et de haute qualité organoleptique, sociale et environnementale, notre deuxième hypothèse est de considérer le processus de valorisation comme un processus de patrimonialisation . La question principale que nous chercherons à vérifier est la suivante : est-ce que les acteurs impliqués se sont appropriés la (ou les) ressource(s) intégrée(s) dans le produit ? Cela ne suffit pas pour évaluer l’efficacité du processus de valorisation. Puisque la qualification est par définition territoriale, il e st important selon nous de comprendre l’organisation du territoire dans lequel le processus a lieu. Pour ce faire nous mobiliserons aussi le concept de l’acteur-réseau (Callon, 1986 ; Law, 1992 ; Callon et Ferrary, 2006 ; Akrich et al., 2006). Ce concept présente l’avantage de pouvoir représenter et analyser les acteurs humains, mais aussi les non humains (selon la terminologie de B. Latour les actants). Les réseaux n’existent pas et ne se forment pas en isolement : ils sont le résultat d’acteurs qui

7 Pilleboue J., op. cit., 1999, pag. 8. 8 Chevalier P. et Dedeire M., op. cit., pag. 8. 9 Ilbert H., op. cit., pag. 52. 10 Chevalier P. et Dedeire M., op. cit., pag. 4.

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délibérément opèrent un agencement11 d’intérêts et d’objets qui se traduit dans un réseau stable (Akrich et al., 2006). Pour comprendre la formation du réseau ainsi que ses phases évolutives, on fait recours au « cycle de la traduction » (Callon, 1986 ; Akrich et al., 2006), basé sur quatre moments :

- la problématisation, où le traducteur du réseau identifie un problème et trouve une solution ;

- l’ intéressement, où le traducteur cherche à convaincre les autres acteurs que c’est dans leur intérêt de participer à la solution identifiée ;

- l’ enrôlement, où les acteurs qui ont manifesté leur intérêt sont convaincus par les valeurs du réseau proposé et ils y adhèrent ;

- la mobilisation, où un réseau bien établi opère pour faire face au problème. Cette présentation très synthétique et réductive met en évidence les points clé de notre méthode d’étude. Nous considérons l’approche du réseau appropriée, puisque c’est un concept qui apparaît aussi dans le discours et dans la philosophie de Slow Food, pour qui « la nourriture est un réseau ». Effectivement derrière un produit nous trouvons les facteurs productifs, tels que le sol ou les animaux, l’environnement, le paysage, mais aussi les infrastructures nécessaires à la production ou à la commercialisation et les hommes, qu’ils soient producteurs, distributeurs, restaurateurs, chercheurs ou consommateurs. Le produit est alors une boîte noire que le chercheur doit ouvrir pour comprendre l’ensemble des relations qui se nouent et qui expliquent le processus organisationnel de la qualité. Ainsi, selon notre troisième hypothèse, le processus de valorisation aura plus de chances de réussir si les relations seront denses et donc si la participation au projet concerne un grand nombre d’acteurs. Les projets seront porteurs de dynamiques positives si les acteurs auront réussi à intégrer dans le produit un capital symbolique qui comprend un ensemble le plus large possible de ressources territoriales : le terroir, mais aussi les paysages, l’environnement, l’identité culturelle, les savoir-faire locaux, l’activation de synergies avec d’autres activités non agricoles. D’où l’importance d’intégrer dans l’analyse le contexte territorial dans lequel les processus ont lieu. La vérification de cette hypothèse pourra permettre de faire un bilan des démarches de valorisation ainsi que la compréhension des interactions entre les dynamiques territoriales et les processus de valorisation des produits agricoles du terroir. Cette première partie constitue le cadrage théorique. Les chapitres 4 et 5 constitutifs de la deuxième partie porteront sur la description des études de cas, effectués à partir des enquêtes sur le terrain dans le nord de l’Italie (région Vénétie) et dans le sud de la France (région Languedoc-Roussillon). En conclusion (chap. 6) nous chercherons à identifier les points communs et/ou les divergences, à partir desquels il sera possible d’avoir un « état des lieux » des processus de valorisation.

11 Dans : Lévy J. et Lussault M. (sous la dir. de), Dictionnaire de la Géographie et de l’espace des sociétés, Belin, 2003, pag. 46, Michel Lussault donne cette définition : « un agencement est un assemblage spatialisé, circonstanciel et labile, d’objets, de choses, de personnes, d’idées, de langages, configuré à l’occasion d’une activité d’un acteur […]. Cette disposition permet aux acteurs de qualifier, de valoriser et de marquer l’espace pratique, de spatialiser les actes par le langage. »

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PARTIE 1 : LA LITTERATURE SUR LA QUALITE, LE TERROI R ET LEUR ROLE DANS LE DEVELOPPEMENT TERRITORIAL.

L’objectif dans cette partie est de mettre en lumière les relations entre le processus de qualification des produits alimentaires et le développement des territoires. La revue de littérature permet d'éclairer et de donner un ancrage théorique à l'étude en nous attachant à montrer comment différentes disciplines se sont saisies de ce sujet aux dimensions plurielles. Pour ce faire, nous devons revenir en premier lieu sur les fondements théoriques qui ont amené la prise en compte du concept de terroir dans l'analyse géographique. En même temps il s’est révélé nécessaire de questionner d’autres disciplines, notamment l’économie territoriale et la sociologie12. Ainsi la nouvelle géographie économique nous permet d’introduire des notions essentielles pour une compréhension la plus globale possible, qui puisse permettre une approche complexe, dans une époque comme la nôtre où la globalisation des économies et des échanges de tous types questionnent l'inscription des systèmes de productions dans leurs environnements et les nécessaires adaptations des tissus socio-économiques locaux. La littérature autour du concept de terroir est déjà très vaste (Bérard et Marchenay, 1995, 2007 ; Delfosse 1996, 2007 ; Dedeire, 1997 ; Barjolle, Boisseaux, Dufour, 1998 ; Casabianca et al. 2005). Il n’est pas nécessaire ici de rester trop longtemps sur l’évolution du concept à travers les différentes disciplines des sciences sociales. Ce serait d’ailleurs une tâche lourde et pas aisée à accomplir. Il s’agit de clarifier ce terme, devenu à la mode et invoqué parfois de façon ambiguë (Bérard et Marchenay, 1998 et 2004). En effet le mot latin territorium est à l’origine des mots français : territoire, qui désigne généralement un espace approprié par les hommes, en particulier d’un point de vue politique ; et terroir, une réfection du latin qui date du XIIIème siècle et qui désigne « une étendue limitée de terre considérée du point de vue de ses aptitudes agricoles » (Le Petit Robert, 1990). Cette distinction est spécifique à la langue française. Le vocable n’existe pas en tant que tel dans les autres pays européens. En Italie on parle alors de « prodotti tipici » ou « nostrani » (de chez nous), tandis qu’en Espagne on parle de « productos de la tierra »13. Il est donc important pour les développements qui suivront de faire le point sur cette notion centrale, afin de trouver une terminologie appropriée, surtout pour ce qui concerne le travail sur le terrain en Italie. Nous reviendrons plus tard sur cette problématique. Dans cette partie nous présenterons d’abord une analyse essentielle et synthétique de cette littérature avec une prédilection pour les travaux des géographes, afin d’identifier les dimensions qui sont attachées à ce mot, par sa nature polysémique (Dedeire, 1997 ; Bérard et Marchenay, 1995 et 2004). Ensuite, dans le deuxième chapitre, la réflexion portera sur les enjeux de la qualification des produits de terroir, sur les cadres réglementaires internationales et sur l’identification de certaines limites de ces démarches de qualification territoriales. Après avoir défini le contexte européen de la protection des Indications Géographiques, suivra une présentation des points communs et des différences principales

12 Une grande partie des réflexions sur lesquelles l’étude se fonde ont été stimulées par le travail de Dedeire M., Le concept d’agriculture de terroir, thèse de doctorat en économie, Montpellier, 1997, et par les recherches financées par l’ARSIA (Agence Régionale pour le développement et l’innovation dans le secteur agricole et des forets) de la Toscane, coordonnées par le Département d’économie agraire et des ressources territoriales de l’université de Florence. (Cf. Bibliographie). 13 Bérard L. et Marchenay P., Produits de terroir. Comprendre et agir, Bourg-en-Bresse, 2007, p. 18.

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entre le modèle de protection « officiel » et les démarches promues par le mouvement Slow Food. Dans le troisième et dernier chapitre nous élargissons la perspective à d’autres sciences sociales, notamment l’économie et la sociologie, qui se sont occupées de l'inscription spatiale des activités de production. Il s‘agit de comprendre comment la prise en compte de l’espace a évolué, en particulier par rapport aux activités de productions agro-alimentaires et à leur contribution dans le développement territorial. A la fin de cette première partie nous aurons suivi un parcours conceptuel qui permettra d’insérer dans un cadre théorique solide la méthodologie du travail sur le terrain.

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Chapitre 1. Le terroir : un concept pluridimensionnel.

1.1. Du terroir agronomique à une notion plus large et humaniste. D’un point de vue historique nous pouvons distinguer deux grandes écoles de pensée : celle des naturalistes, qui fait référence aux sciences exactes telles que la géologie, le pédologie, l’agronomie ; celle des humanistes pluralistes, plus récente et plus fournie. Il est important de souligner qu’après la deuxième guerre mondiale, de concert avec les exigences de nourrir une population qui n’arrivait pas à atteindre sa sécurité alimentaire, le développement des instituts technico-scientifiques, comme l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) ou l’Ecole Nationale Supérieure Agronomique (ENSA), a amené ces derniers à s’approprier du concept, à lui attacher une primauté aux dimensions géo-pédologiques et climatiques. Cela n’a pas été sans conséquences : ainsi il n’est pas étonnant de constater comment parfois aujourd’hui des conceptions de la qualité vidées de toute composante humaine peuvent être proposées au sein de ces instituts. Un exemple parmi d’autres est représenté par la rencontre scientifique « De l'assiette au champ : le retour de la qualité », organisée le 22 octobre 2009 à Agropolis International à Montpellier. Je précise qu’il ne s’agissait pas d’une rencontre entre biologistes et agronomes, mais d’un colloque qui se voulait multidisciplinaire, auquel j’ai participé en espérant avoir des éclaircissements sur la question de la qualité agro-alimentaire, comme le thème du colloque le suggérait. Face à une série de présentations où la place de l’homme était secondaire voir inexistante, dont en est un exemple la figure 1, les chercheurs en sciences sociales peuvent bien comprendre le désarroi que je n’ai pas été le seul à éprouver cette journée-là. A vrai dire, la présentation de Martine Padille sur les vertus du modèle alimentaire méditerranéen n’allait pas dans ce sens-là, mais il s’agissait d’un point de vue marginalisé, comme on pouvait bien remarquer lors du débat. Ces impressions personnelles sont confirmées par le géographe Gilles Fumey, pour qui les filières de recherche agronomiques sont d’autant plus fortes qu’elles dépendent de secteurs industriels. Selon l’auteur, les ingénieurs de l’INRA « ont œuvré surtout pour satisfaire les exigences de la grande distribution »14. Le productivisme serait à l’origine d’une intégration de la recherche dans les grandes enseignes commerciales, ce qui n’est pas sans conséquence sur le plan nutritionnel même. En donne l’exemple la perte d’antioxydants et des vitamines dans les fruits et légumes « industriels ». Par exemple « en France, des laboratoires comme ceux de l’INRA participent depuis longtemps à des programmes sur de nouvelles variétés de tomates, ainsi qu’à des projets d’optimisation de la logistique de fruits et légumes. Des recherches menées avec l’argent public et essentiellement utiles à la grande distribution »15. On ne peut plus nier le rôle de ces instituts dans les mutations du goût et dans sa standardisation, leur influence sur l’environnement et sur la santé humaine. La FAO aussi en a pris conscience16. Cette dérive « industrialo-hygiéniste » a porté à une sorte de dichotomie qualitative (Nicolas et Valceschini, 1995). D’un coté une qualité centrée sur la sécurité et sur les standards hygiéniques et nutritionnels ; à l’opposée, une qualité se référant à l’identité des produits, en réponse à la standardisation qui porte préjudice aux notions d’origine, de terroir et de typicité. Ainsi, les démarches et les études actuelles autour de ces notions tendent à

14 Fumey G., Géopolitique de l’alimentation, 2009, pag. 43. 15 Daum P. et Aurel, Et pour quelques tomates de plus, Le Monde Diplomatique, mars 2010, pp. 14-15. 16 Cf. Déclaration sur la recherche agricole et la souveraineté alimentaire, Consultation régionale FAO/ONG pour l’Europe, Montpellier 3-4 Mai 2004.

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se recentrer de plus en plus sur les composantes socio-économiques, voire culturelles, de la qualité. Cependant il ne s’agit pas non plus de nier l’importance des facteurs naturels : par exemple le Dictionnaire agricole Larousse associe au terroir « des aptitudes agricoles particulières dues à la nature du sol, au microclimat local, à l’exposition des coteaux », un point de vue strictement naturaliste, fréquemment adopté par des producteurs de vin de qualité. Ce point de vue, bien que partiel, est fondé sur des éléments vérifiables. D’ailleurs il existe des scientifiques, parmi lesquels des géographes aussi, qui ont donné des brillantes démonstrations du rôle très complexe de la nature dans les succès viticoles. P. Roudié17 cite l’exemple d’Emmanuelle Vaudour18 qui s’est appuyée sur des analyses scientifiques finalisées à l’identification d’un zonage fruit d’une meilleure connaissance possible de l’organisation spatiale. Le géographe E. Rouvellac19, quant à lui, a étudié la hiérarchisation des appellations de Cahors et de Bergerac comme des entités naturelles, pour tenter d’optimiser la qualité de la vigne, du raisin et du vin.

Fig. 1 – Une conception de la qualité partielle et emblématique (Source : http://www.agropolis.fr/pdf/assiette-champ-09/leverve-conference-assiette-champ.pdf).

Ces positions restent cependant minoritaires dans la discipline géographique, la plupart des auteurs s’accordant à donner une place prépondérante aux aspects humains des terroirs, notamment en s’appuyant sur la dimension temporelle des faits sociopolitiques et économiques. C’est à un géographe historique que l’on doit une des premières prises de position à propos de la notion. Déjà en 1959 Roger Dion écrivait que « le rôle du terrain dans l’élaboration d’un grand cru ne va guère au-delà de celui de la matière dans l’élaboration d’une œuvre d’art », une phrase devenue célèbre, évoquée par plusieurs auteurs. On est là, dans une vision radicalement contraire à celle évoquée plus haut. L’auteur relativise le poids des facteurs d’ordre pédologique et il fait remarquer, avec l’exemple des vins, que la qualité est l’expression d’un milieu social et de ce qu’il

17 Roudié P., Le terroir mythe(s) ou réalité(s), pp. 15-18, dans : Durbiano C. et Moustier P., (sous la direction de), Actes du colloque international sur les terroirs, université de Provence, 9-12 mai 2007. 18 Les terroirs viticoles, définitions, caractérisation et protection, Collection La Vigne, éd. Dunod, 2003. 19 Les terroirs du vin de Cahors, presses Universitaires de Limoges, 2005.

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appelle le « vouloir humain ». Roger Dion a le mérite d’associer la qualité du produit à la catégorie sociale de son producteur et non aux vertus d’un sol « béni des dieux ». Le terroir n’est plus situé dans un discours déterministe. Selon J. R. Pitte, cette vision de Dion a aussi le mérite de mettre en discussion la valeur capitale du foncier, à la base de bien de privilèges, dont sont exemplaires les prix de la terre dans certaines appellations prestigieuses. Selon le géographe, il y aurait un intérêt dans « l’idolâtrie » des composantes physiques du terroir, qui « ne peut reposer que sur une volonté de préserver un capital foncier, partagée par la plupart des viticulteurs des grandes appellations »20. Le problème est réel en France, mais en Italie aussi : dans certaines zones de l’appellation « Prosecco », situées dans le nord de la province de Trévise, laquelle fait l’objet même de ce mémoire, le prix de la terre a dépassé en 2009 le chiffre de 500.000€/ha21 ! L’avenir des terroirs n’est pas dans une considération figée de ces derniers, mais plutôt dans une démarche plus évolutive, ceux-ci étant confrontés à des changements, tant climatiques que culturels. Pour le géographe « il est essentiel de les (les terroirs) faire vivre et de les exploiter avec imagination » 22, tant dans les pays riches que dans les pays du Sud, car les pauvres aussi doivent avoir le droit à une alimentation de qualité. « Seule la promotion d’une agriculture vivrière moderne, respectueuse des environnements physiques et humains, orientée vers des produits désirés et profondément aimés par les consommateurs, peut entamer le processus de développement dit durable »23. La solution de la qualité passerait donc par une diversification des circuits de commercialisation, « les mécanismes microéconomiques doivent être remis partiellement à l’honneur [...] et les grand circuits de distributions accorder plus d’importance à la spécificité des techniques de production, à l’identité culturelle des produits, aux besoins réels des consommateurs »24 (Pitte, 2007). Encourager la diversification serait donc la solution d’avenir pour les producteurs et aussi pour les consommateurs, qu’il faut aider pour qu’il puissent avoir la culture nécessaire pour apprécier les qualités des terroirs (Pitte, 2001 ; Chabrol, 2008). Penser le terroir, c’est aussi penser à la culture. Nous sommes là en accord total avec la vision du mouvement Slow Food, comme on pourra voir plus loin. 1.2. Le terroir géographique. Plus concrètement, avec ses études sur la France fromagère, Claire Delfosse fait une analyse plus profonde du lien des produits aux terroirs, en plaçant ces derniers dans l’épaisseur chronologique25. On trouve ainsi quatre grandes périodes dans la structuration d’une géographie des fromages. Dans la période de 1850 à 1880 se crée un contexte favorable au développement de la production avec l’esquisse de spécialisations régionales. Les pôles de développement de l’activité fromagère s’organisent à partir des établissements de production,

20 Pitte, J. R., Annales de géographie, 605, 1999, pag. 87. 21 Il s’agit de zones situées dans la commune de Valdobbiadene, berceau historique de cette appellation. La presse italienne en a récemment donné des exemples. Cf.http://www.ilgiornale.it/interni/tutti_copiano_bollicine_italiane_ora_prosecco_vuole_copyright/13-01-2009/articolo-id=320508-page=0-comments=1 et aussi : http://www.corriere.it/economia/italie/veneto/notizie/remondino_prosecco_ce61d888-45f3-11de-8c01-00144f02aabc.shtml où on parle d’un chiffre record d’un million d’€/ha ! 22 Pitte J. R., Le terroir, un art de vivre à la française, une ouverture sur le monde, pag. 21, dans : Actes du colloque international sur les terroirs, Durbiano C. et Moustier P., (sous la direction de), université de Provence, 9-12 mai 2007. 23 Pitte J. R., La géographie du goût, entre mondialisation et enracinement, dans : Annales de géographie, 621, 2001, pp. 501-502. 24 Pitte J. R., op. cit., 2007. 25 Cf. Delfosse C., La France fromagère de 1800 à nos jours, Thèse pour le doctorat de géographie, Université de Paris I, 1992 ; et Delfosse C., La France fromagère (1850-1990), Paris, Boutiques de l'Histoire, 2007.

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considérés comme moteurs de l’innovation. Ils s’appuient le plus souvent sur une race laitière et un type de fromage, comme les fruitières pour la fabrication du Comté dans le Jura. La deuxième période, de 1880 à 1920, est celle des progrès techniques tels que l’isolation des ferments, la recherche de la régulation des températures, la codification des modes de production. Parallèlement, il y a aussi la mise en place de l’industrie laitière qui stimule la production de lait, malgré les difficultés dues aux problèmes de transport. Dans cette phase, c’est le beurre qui voit une croissance de la production, alors que celle du fromage est moins marquée. La spécialisation régionale se confirme avec le pôle des fruitières, mais aussi le pôle du Roquefort, les pôles charentais et du Camembert. La troisième période de 1920 à 1960, témoigne d’une consolidation de l’industrie fromagère alors que les productions fermières disparaissent progressivement. L’auteur développe son analyse autour de quelques fromages les plus réputés tels que le Roquefort, le Camembert, le Brie ou le Comté, qui deviennent des produits standards, selon une conception industrielle de la qualité qui donne la primauté aux critères d’hygiène. Cela se traduit dans une double typologie de fromages : les fromages « modernes » contre les fromages de terroir. C’est ainsi que l’application de la loi de 1919 sur les Appellations d’Origine est revendiquée pour les fromages et en 1955, une nouvelle loi crée un Comité national des appellations d’origine pour les fromages, vingt ans après la création de l’Institut National des Appellations d’Origine (INAO) pour les vins et les spiritueux. A partir des années 1960, la fromagerie est devenue une industrie agro-alimentaire de premier plan et le fromage un produit de consommation de masse qui occupe des linéaires importants dans la grande distribution. Les rendements laitiers n’ont cessé de s’accroître, les conditions de collecte de s’améliorer et une véritable révolution technique a eu lieu à tous les stades de la fabrication. L’opposition entre coopératives et entreprises privées s’est estompée par rachat ou prise de participation croisée. Sur le plan géographique de grandes mutations se font jour avec un glissement de l’est fromager vers l’ouest laitier. La généralisation de l’industrialisation de la fabrication du fromage se traduit par la crise des fruitières de l’est avec la délocalisation de la production de l’Emmental, par exemple, en Bretagne, ou encore avec la géométrie variable du bassin de collecte du lait pour l’appellation Roquefort, qui arrive jusqu’à la Corse ! En même temps, la normalisation européenne et la mondialisation favorisent des nouvelles approches qualitatives, en donnant naissance à des nouveaux débats autour des concepts de « local », de « traditionnel » ou d’ « authentique » et de terroir, avec des tendances à la relocalisation tout autant qu’à l’invention de nouveaux fromages locaux. La complexité devient extrême et la France fromagère se constitue par « la sédimentation d’organisations spatiales différenciées ». Pour illustrer ces propos, en particulier les liens que la production fromagère tisse avec l’espace, l’auteur analyse cinq cas : le Roquefort, première Appellation d’Origine Contrôlée, datant de 1925 ; les fromages de montagne, où cette production joue un rôle important sur le plan socio-économique et identitaire, à partir des Bauges ; le Livarot et le Pont-l’évêque au cœur du pôle Camembert ; le bleu de Bresse, fromage récent d’entreprise qui a une image territoriale forte. L’histoire du bleu de Bresse est particulièrement significative, puisque ce fromage réputé, porteur d’un nom géographique, ne peut pas bénéficier d’une AOC, car « c’est un fromage italien », du fait que dans les années 1950 un italien avait amené avec lui la technique de fabrication pour produire un fromage de type Gorgonzola (Téchoueyres, Amilien, 2005). Dans les années 1960, les coopératives de Servas puis de Grièges (regroupées ensuite au sein de Bressor Alliance) ont innové en créant le bleu de Bresse dont le nom évoque le terroir, alors que le lait était collecté principalement dans la Dombes et le Val de Saône. Ce fromage, vendu essentiellement en grande surface, va connaître tout d’abord un grand succès et un prix assez élevé, ce qui explique l’intérêt que lui a porté le groupe Bongrain qui a racheté Bressor Alliance en 1990, avant de tomber assez vite dans la concurrence générique internationale avec les autres fromages industriels et des prix moins rémunérateurs (Delfosse, 2007). Ainsi, avec les travaux de Claire Delfosse, on peut élargir la

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notion de terroir au delà des liens strictement agronomiques ; il apparaît ainsi de plus en plus, dans ce cas particulier pour les fromages, qu’il s’agit de constructions sociales, économiques et culturelles situées dans la durée. Nous pouvons affirmer que les produits de terroir croisent l'espace et le temps et reposent sur des savoir-faire partagés. En ce qui concerne les fromages, Daniel Ricard nous offre un remarquable travail comparatif avec sa thèse sur « les montagnes fromagères en France »26. Ses principaux domaines d’étude sont les filières au lait de vache. Structuré en trois parties, l’ouvrage se caractérise par une vision globale : les terroirs sont analysés dans les dimensions spatiales, historiques, agronomiques et économiques. La première partie place la montagne française dans le temps long. Elle y apparaît ainsi comme un domaine laitier fromager permanent, jouant même le rôle de pôle de diffusion, à partir des zones d’altitude dotées d’une forte tradition d’élevage : le Jura, la Savoie, l’Auvergne. Ce sont les zones les plus « naturellement » dotées de vastes extensions de pâturages qui se développent jusqu’à la deuxième guerre mondiale, comme les alpages dans le Beaufortain ou le système des fruitières jurassiennes. D’autres zones suivent, chacune avec sa spécificité, comme le Cantal ou l’Auvergne. L’histoire porte à une distinction entre quatre systèmes fromagers : un collectif, caractérisé par des sous-systèmes avec alpage (Beaufort, chaumes des Vosges) ou sans alpage (fruitières du Jura, coopératives du Cantal) ; un individuel, toujours caractérisé par le sous-système avec alpage (Aubrac, Abondance) ou sans alpage (Saint-Nectaire, bleu d’Auvergne). Une grande complexité demeure, à laquelle s’ajoutent des situations hybrides comme les montagnes des Pyrénées ou le bleu de Gex, à la fois production paysanne sans alpage, collective et fruitière sans alpage, et collective en alpage dans le massif du Jura ! C’est après la guerre de 1945, en particulier dans les années 1960, que le modèle capitaliste va modifier la production. Les exploitations se multiplient, le modèle des plaines est considéré par la plupart des responsables de la production comme le seul gagnant, ce qui se traduit par une pluralité accrue et bénéfique de zones fromagères, mais qui se révéleront ensuite trop faibles pour faire face à la concurrence des grands bassins laitiers de la plaine. Les races traditionnelles disparaissent et l’omniprésence de la Frisonne Holstein des Pays-Bas symbolise cette dérive productiviste. L’agriculteur montagnard, installé dans des zones isolées, marquées par des conditions de travail difficiles et éloignées de centres d’innovation, doit faire face à l’entrée dans l’économie de marché, c’est-à-dire doit essayer de survivre dans une filière marquée par la concurrence, où chaque acteur essaye « de s’approprier la plus-value maximale, les plus forts s’imposant au détriment des plus faibles »27. La deuxième partie prend en considération des nouveaux enjeux, liés principalement à l’aval de la chaîne fromagère. Parmi ceux-ci, celui qui nous intéresse le plus est l’enjeu de la qualité. Celle-ci est d’abord considérée selon la demande de la grande distribution, qui l’a toujours associée à « l’absence totale d’impuretés (poudre de lait, beurre...), ou de défauts extérieurs (croûtage, emballage intact...), format très régulier, goût constant »28. Des exigences à l’opposé des pratiques traditionnelles, auxquelles doivent s’ajouter les critères de qualité bactériologique et hygiénique, qui au final ont amené à « une standardisation des produits rendue possible par l’industrialisation », quand elles n’ont pas obligé certains petits producteurs à arrêter ou à changer leurs pratiques productives. Les distorsions de la Politique Agricole Commune (en particulier en ce qui concerne le système de quotas), ne sont pas étrangères à ces dynamiques, elles sont connues et toujours actuelles. On peut retenir ici comme « en montagne, le nombre de

26 Ricard D., Les montagnes fromagères, CERAMAC, Clermont-Ferrand, 1994. 27 Ricard D., op. cit., pag. 153. 28 Ricard D., op. cit., pag. 175.

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producteurs est ainsi passé de 64.281 en 1984 à 36.712 en 1990, soit une chute de 42,9 % en six ans ! » 29. Cela est confirmé par les inquiétudes de la profession, comme témoignait Jean Garsuault en 1995, lorsqu’il tirait un bilan des premiers cinq ans des AOC fromagères françaises. Le triste constat de la perte hebdomadaire d’une fromagerie de moins de 1000 tonnes/an, l’amenait à rappeler que « tous ceux, qui ont une influence sur la réglementation ou l’orientation de notre profession, doivent considérer la survie des fromageries comme une priorité absolue »30.

Nombre d’entreprises Variation annuelle

% variation sur 20 ans

Production annuelle 1973 1993 variation

+1000 t 179 189 10 +0,5 100 à 1000 t 738 405 -333 -16 -45,1%

0 à 100 t 987 183 -804 -38 -81,5% Total 1904 777 -1127 -54 -59,2%

Tab. 1 – Evolution du nombre de fromageries en France sur 20 années (Source : Garsuault,

1995). Ces changements ont favorisé en parallèle une exigence de plus en plus forte de protection de ces productions, d’où la nécessité de l’extension du système AOC aux productions fromagères. C’est l’argument principal de la troisième partie qui débouche sur une présentation des AOC fromagères montagnardes fort différenciées les unes des autres, sur lesquelles nous ne resterons pas. Il importe plus ici de considérer quel est selon Ricard le rôle du terroir dans la mise en place des AOC. Ce concept est défini comme « l’association d’une aire spécifique et de pratiques qui s’exercent sur cet espace et qui sont reconnues par les usages »31. Cela amène Ricard à critiquer certaines AOC dont les zonages s’appuient sur des limites administratives, car l’aire protégée recouvrirait alors, « non pas un mais de multiples terroirs, en liaison avec la diversité naturelle »32. Cette multiplicité est en contraste avec l’homogénéité du terroir, qui apparaît pourtant comme « l’un des gages de la spécificité réelle des fromages d’AOC »33. A ce risque il faut ajouter la « menace » constituée par la montée en puissance des grandes firmes industrielles dans les montagnes, « puisque de telles entreprises raisonnent bien davantage en terme de territoire - le bassin de collecte - qu’en fonction de terroirs bien définis », ce qui conduit à mettre en question « la permanence de la spécificité des fromages d’AOC ». Il existe ainsi une dichotomie au sein du système AOC : d’une part, on trouve des « AOC libérales », caractérisées par des conditions de production peu ou pas définies, ce qui favorise une production de type industriel ; d’autre part, il y a des « AOC contraignantes », basées sur des cahiers de charges plus précis et définis avec rigueur, plus attachés aux savoir-faire traditionnels et donc à des productions fermières34. Daniel Ricard termine sa thèse en nous rappelant que « le terroir s’inscrit dans une aire géographique, mais il inclut également des pratiques traditionnelles, des usages

29 Ricard D., op. cit., pag. 137. 30 Garsuault J., Quel avenir pour les fromages A.O.C. français ?, Banque d’Information d’Industrie Laitière, Bourg-La-Reine, 1995, pag. 39. Malgré l’ancienneté de l’ouvrage et de certaines observations, aujourd’hui obsolètes, ce petit livre reste riche de critiques et contient des informations utiles pour comprendre le fonctionnement technique de l’INAO et du système des appellations. 31 Ricard D., op. cit., pag. 218. 32 Ricard D., op. cit., pag. 218. (Le texte en gras est de l’auteur). 33 Ricard D., op. cit., pag. 218. 34 Ricard D., op. cit., pp. 227-228.

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spécifiques de ces espaces ». Il s’agit alors d’une « démarche naturelle des AOC [...] qui associe nécessairement géographie et histoire rurale »35. 1.3. Le terroir « système géographique ». Un autre géographe qui a récemment travaillé sur le concept de terroir est Jean Claude Hinnewinkel, auteur de plusieurs ouvrages sur les terroirs viticoles36. Son point de vue mérite d’être analysé avec une attention particulière car il est proche et il a en partie inspiré la méthodologie que nous utiliserons pour mener les recherches sur le terrain. Sa réflexion s’articule entre inscription des terroirs dans le temps long et gouvernance locale. Ainsi pour Hinnewinkel, le terroir agronomique n’a qu’un rôle secondaire dans l’histoire des grands vignobles : que ce soit en France dans le Bordelais, en Italie au cœur de la Toscane, en Espagne dans la Rioja ou en Portugal dans la vallée du Douro, ce n’est jamais une caractéristique physique qui a donné naissance et a permis la permanence de ces crus réputés. Le recours à l’histoire permet de montrer que le terroir est la valorisation économique d’un vignoble et de son produit, le vin, par un ou plusieurs groupes sociaux. La durabilité du terroir est dépendante de la valorisation d’une rente par les sociétés. Cette rente est d’abord commerciale, elle est créé par la mise en valeur d’avantages comparatifs circonstanciels : par exemple dans la Rioja, le terroir de qualité émerge grâce à la phylloxéra qui ravage la France dans la deuxième moitié du 18e siècle et qui lui ouvre un marché international. Pour conserver cette rente commerciale jamais définitivement acquise, les propriétaires à l’origine de celle-ci s’organisent très tôt pour la limiter dans l’espace : ils se réunissent fondant une société protectrice d’une rente qui devient, peu à peu, une rente territoriale. Quant aux terroirs qui le plus souvent composent ces grands vignobles, leur naissance est le plus souvent le fait de la concurrence interne comme externe. Elle est le fruit de phénomènes de distinction qui conduisent à l’établissement de hiérarchies et génèrent une fragmentation territoriale des vignobles. Dans l’exemple du vignoble bordelais, cette fragmentation fut à l’origine d’ordre juridique avec les Privilèges des vins de Bordeaux. La diversification de la demande avec l’arrivée des marchands hollandais a induit une fragmentation nouvelle à l’intérieur du bassin d’approvisionnement de la place de Bordeaux. L’avènement de la qualité à partir du XVIIème siècle fut à l’origine d’une nouvelle fragmentation du vignoble entre une viticulture paysanne productrice de vins courants et une viticulture bourgeoise et aristocratique orientée vers des vins plus « distingués » et surtout « distinguant ». Ainsi la justification de l’excellence par l’agro-terroir fut un argument a posteriori et non un préalable : les noyaux d’élite viticoles sont des constructions sociales beaucoup plus que des milieux naturels. Ces terroirs identifiés, il fallut les faire durer, face aux incertitudes de la conjoncture, face à la concurrence, face aux tentatives des négociants d’accaparer l’essentiel de la plus-value aux dépens des producteurs. Le jeu d’acteurs qui va prendre forme dans l’espace devient la clé pour comprendre la gouvernance du terroir, « une forme de régulation politique, productrice de normes, de comités d’arbitrage et même de mafias »37. Pour faire vivre le terroir, et non seulement le défendre, les acteurs ne peuvent se satisfaire de considérer, en plus des composantes techniques (agronomiques comme œnologiques), les seules composantes économiques (valeur centrale de l’agriculture productiviste) et culturelles qui sont trop souvent un repli sur le

35 Ricard D., op. cit., pag. 474. 36 Dans ce paragraphe je fais référence en particulier à : Les Terroirs Viticoles. Origines et Devenirs, Ed. Féret, Bordeaux, 2004, et à : Système d’action et fragmentation géographique : le vignoble des Graves, dans : Buléon P. et Di Méo G., (sous la dir. de), L’espace social, lecture géographique des sociétés, Paris, A. Colin, 2005, pp.169-187. 37 Hinnewinkel J. C., op. cit., 2004, pag. 69.

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passé. La composante sociale, l’organisation des acteurs du terroir qui prennent part au projet de développement local durable est vitale. Elle est la seule compétente pour maintenir en vie le système en ménageant l’ouverture, la dynamique indispensable. Ainsi pour l’auteur, si les difficultés actuelles des vignobles français sont une preuve de l’immobilisme dans lequel était maintenue la filière, alors gérer la complexité du terroir doit revenir à prendre en compte le système des acteurs comme ressort premier du système global, plus que le spatial, le culturel ou l’économique. Dans le cas de Bordeaux on serait même face à un « triomphe de la délimitation administrative », qui se traduit par « la négation d’un lien organique étroit entre terroir et qualité »38. C’est donc à la gouvernance du terroir qu’il faut s’attacher : définir le terroir implique de prendre aussi en considération son mode de gouvernance. Hinnewinkel fait alors appel à la Formation Socio-Spatiale (FSS) de Guy Di Méo, assimilée à un « système d’action concret »39.

Fig. 2 - Le terroir : un système géographique complexe (source : Hinnewinkel, 2007). La FSS est définie comme « un outil méthodologique, une grille d’analyse permettant de tester et d’évaluer la consistance territoriale, la capacité agrégative d’un espace géographique désigné par un nom, mais ne relevant pas d’une échelle particulière »40. A travers cet outil J.C. Hinnewinkel arrive à déterminer les avantages comparatifs du terroir, qu’il appelle les « actifs spécifiques ». Ils sont de quatre ordres, correspondant chacun à l’une des quatre grandes composantes du système.

• De l’ordre du spatial d’abord avec un ancrage local, territorial même si l’on retient comme modalité du terroir, celle qui met en exergue comme nous le faisons le rôle essentiel des systèmes d’action. L’une des concrétisations majeures en est le paysage devenu aujourd’hui un des emblèmes du terroir.

38 Hinnewinkel J.-C., Terroirs et qualité dans les vignobles du nord de l’Aquitaine, dans : revue Sud Ouest Européen, n. 6, 1999, pag. 19. 39 Un système d’action (local) peut être défini comme « un ensemble d’acteurs individuels et d’organisations concentrés dans un espace de taille limitée et structuré par des enjeux communs et une histoire. Cette notion […] rappelle simplement la nécessité de prendre en compte les acteurs individuels et les diverses organisations impliquées, sans se limiter aux seules entreprises, la nécessité de repérer les enjeux qui peuvent structurer les relations entre les éléments, ainsi que l’histoire spécifique du système qui en explique la configuration à un moment donné ». Grossetti M., dans : Sciences, industrie et territoire, Presse universitaires du Mirail, Toulouse, 1995, pag. 278.

40 Définition donnée par Di Méo G., dans : Lévy J., Lussault M. (sous la dir. de), Le dictionnaire de la Géographie et de l’espace des sociétés, Belin, 2003, pag. 375. Cf. aussi : Géographie sociale et territoires, Paris, Nathan, 1998 et L'espace social : Lecture géographique des sociétés, Broché, 2005.

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• De l’ordre de l’économique ensuite avec une relative réussite ce qui lui confère une certaine fiabilité. Alors que la viticulture de qualité est une des activités agricoles les moins subventionnées, son succès en Europe est sans conteste porteur d’avenir comme modèle d’agriculture de terroir. Sur les marchés contemporains, la rente territoriale est, aujourd’hui comme hier, synonyme d’une plus-value satisfaisante dans la plupart des cas pour assurer la pérennité des exploitations.

• De l’ordre du culturel également, l’ancrage du terroir dans le temps, souvent synonyme d’ancrage identitaire, et qui, joint au localisme spatial, lui confère un positionnement idéologique porteur dans la mondialisation.

• De l’ordre du social surtout. Nous l’avons déjà noté, l’agriculture de terroir repose en grande partie, non pas sur des milieux exceptionnels, mais sur des organisations sociales dont il s’agit de renforcer le fonctionnement démocratique dans le cadre d’une nouvelle gouvernance mondiale.

Appliquer la FSS au terroir amène donc à retrouver l’interaction entre infrastructure géographique et superstructure politique, avec le jeu séculaire et souvent conflictuel entre producteurs et négoce. L’infrastructure géographique devient alors l’espace délimité dans lequel les terroirs agronomiques constituent le cœur de l’organisation spatiale, mais où l’on retrouve aussi, en bonne place, les paysages. Encore une fois on voit qu’elle est le fruit du travail de la société constitutive de ce terroir dans le temps long, tout comme l’infrastructure économique (la rente territoriale) est le résultat de la défense des avantages comparatifs dans cette même durée. Plus brièvement, on peut dire que cette infrastructure constitue le contexte géoéconomique du système d’action concret local. La superstructure politique du terroir, gérée par les acteurs selon un modèle social, un système d’action qui leur est propre, s’intègre à la superstructure idéelle que résume la dénomination d’origine, ainsi que toutes les valeurs, les mythes, les représentations qui l’accompagnent et la caractérisent. Il existe de nombreux exemples d’utilisation de cet outil conceptuel, que l’auteur applique à l’échelle européenne. Pour ce qui concerne l’Italie, on peut citer le cas du label Gallo Nero (Coq Noir) dans le cadre de l’appellation « Chianti Classico » 41. Ce cas est l’exemple même d’une initiative privée, celle d’un groupe de viticulteurs qui ont considéré que le cahier des charges du Chianti était peu adapté à la qualité et à l’image des vins qu’ils souhaitaient promouvoir. Ils créèrent donc leur propre marque et peu à peu mirent en place une procédure de qualification contraignante allant jusqu’à la définition d’un standard annuel dont il convient de ne pas s’écarter. On passe donc de la DOC42, qui relève du droit public, et est en partie inaliénable, à la marque de droit privé. L’existence de celle-ci n’est donc protégée, si elle est déposée, que durant celle de la structure qui est à l’origine de sa création. Mais, avec Hinnewinkel, nous ne pouvons nous empêcher de voir dans ces vins « Gallo Nero », une solution aux désirs de valorisation de la rente territoriale de certaines appellations, comme les Graves en Bordelais, face à la rigidité du système de classement en place. L’auteur se voit dans un premier temps favorable à la création, en Graves comme en Toscane, d’une marque privée impliquant tous les propriétaires volontaires de l’appellation. En réalité, il s’agit de poursuivre des exigences de productions et de labellisation adaptées à des vins de qualité, qui seraient créatrices et porteuses d’une dynamique interne sans doute aussi forte que la création de crus bourgeois de Graves, dont l’obtention n’est pas acquise. Pour Hinnewinkel c’est en

41 Pour un approfondissement de l’étude du district rural du Chianti, avec des conclusions qui vont dans le même sens, cf. Brunori G. et Rossi A., Differentiating countryside: Social representations and governance patterns in rural areas with high social density: The case of Chianti, Italy, dans : Journal of Rural Studies, num. 23, 2007, pp. 183-205. 42 La DOC (« Denominazione di Origine Controllata ») est la version italienne de l’Appellation d’Origine Contrôlée française.

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confiant aux syndicats d’appellation la part la plus grande possible de la gouvernance du terroir que l’on pourra, dans le domaine vitivinicole comme ailleurs, redonner toute sa vigueur à l’AOC et au terroir. Une partition des compétences entre public et privé qui est aussi celle des rapports entre le global – la politique publique aujourd’hui européenne et demain mondiale – et le local, la gouvernance du terroir. Comme Hinnewinkel, à travers ce travail de recherche nous nous attacherons à montrer comment Slow Food opère dans ce « système géographique complexe» qu’est le terroir, par son rôle de médiateur dans la création de partenariats, mais aussi grâce à l’organisation d’événements d’envergure mondiale, comme Terra Madre et le Salon du goût, qui permettent aux terroirs-systèmes géographiques d’avoir une indispensable ouverture sur l’extérieur, tout en favorisant la circulation de l’information, le partage des connaissances et des expériences, bref la gouvernance, dans son articulation entre les échelles locales et globales. Ce qui n’est pas sans importance tant pour les paysans et les consommateurs du Nord, que pour ceux des pays les moins avancés, tous membres d’une même communauté de destin (Petrini, 2005 ; 2009). Pour conclure, on peut dire que Jean Claude Hinnewinkel a le mérite de nous indiquer que les terroirs, qu’ils soient bénéficiaires d’une AOC ou pas, mais considérés tous à la fois projet de valorisation de la rente, action collective organisée et constructions territoriales sous leurs différentes déclinaisons nationales, sont ainsi une forme moderne de gestion des espaces de production agricole et peuvent constituer un modèle d’adaptation sur base participative à la mondialisation (rôle de la concertation, participation, négociation de tous les partenaires dans la définition et des objectifs et des moyens de les atteindre par des acteurs impliqués). Ce peut être un exemple de la nouvelle gouvernance locale dans la mondialisation, une solution d’avenir à haute valeur démocratique pour l’agriculture européenne et mondiale. 1.4. Le terroir patrimonial. A travers les études évoquées précédemment nous avons vu comment le lien au terroir ne peut se limiter à une approche physique et agronomique. Toutefois nous pouvons dire, avec les termes de L. Bérard et P. Marchenay (2004), qu’un milieu peut être « physiquement prédisposé », et posséder un potentiel que les activités humaines peuvent révéler. Savoirs et pratiques font partie du terroir, et la relation du produit intéressé par une valorisation à son aire de production doit donc s'apprécier à travers les activités humaines. Toute justification d'un processus de qualification fondé sur le lien au terroir relève d'un processus dynamique, d'un accord formalisé entre les acteurs de la filière. La spécificité des ressources locales employées dans le processus productif, l’histoire et la tradition productive, la dimension collective et la présence de connaissances partagées localement peuvent justifier d'un lien du produit à son aire d'origine. Ces dimensions et les savoir-faire sont le plus souvent interdépendants. Les prendre en compte signifie alors donner au produit une dimension patrimoniale (Barjolle, Boisseaux, Dufour, 1998). Le produit permet d'envisager l'ensemble de la « chaîne patrimoniale », depuis les savoirs empiriques des traditions agricoles jusqu'aux paysages et aux processus de protection constitués par les AOP et les IGP (Fig. 3). C’est une communauté entière qui est alors mobilisée autour de la protection ou de la valorisation de ces produits (Rautenberg, 1998). Ceux-ci ont a lors une fonction sociale éminente car, « autour du patrimoine qu’ils représentent et des activités économiques qui leur sont associées, les acteurs locaux se regroupent, les identités collectives retrouvent du sens, des espaces ruraux inversent la courbe de la déprise »43. Le processus de valorisation des produits est alors associé à une démarche collective et favorise le lien entre tous les acteurs et le territoire. A travers la 43 Rautenberg M., Une politique culturelle des produits locaux dans la région Rhône-Alpes, dans : Revue de géographie alpine, vol. 86, Num. 4, 1998, pag. 87.

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légitimation d’une aire d’appellation, l’Etat reconnaît la non-reproductibilité des terroirs, « qui constituent un patrimoine agronomique, paysager, mais aussi socioculturel par la gastronomie et les savoir-faire anciens »44. Ce patrimoine local permet d’améliorer l’image du site et la fréquentation touristique, permettant une valorisation des produits (Dedeire, 1997).

Fig. 3 – La chaîne patrimoniale du terroir (Source : Perrin C., 2007)

Un exemple de cette synergie entre patrimoine et terroir est donné par des fromages AOP comme l’Abondance ou le Beaufort45. Ce dernier possède une réputation désormais nationale et est considéré comme la réussite d’une économie traditionnelle de montagne qui a su générer une valeur ajoutée et dynamiser le développement local (Ricard, 1994 ; Dubeuf, 1996). De plus, le lien entre le fromage et le territoire s’exprime par les savoir-faire des paysans savoyards, par les alpages où les races locales assimilent une variété florale qui contribue à rendre unique le goût, par de représentations d’un paysage véhiculées à travers le fromage même : « derrière le produit, on « consomme » la montagne et ses alpages, la visite de la fruitière »46. On est en présence d’une chaîne patrimoniale, formée par des maillons (les savoirs techniques comme la fermentation et l’affinage, l’entretien des chalets d’alpages…) qui expriment une diversité sur laquelle se fonde la richesse d’un patrimoine culturel, dont le vivant en est partie intégrante (Bérard et Marchenay, 2004). Les savoir-faire des hommes deviennent ainsi les patrimoines les plus stratégiques, même en termes économiques (Rautenberg, 1998). Cela dit, la question se pose sur le rôle des hommes dans l’entretien des paysages, dans la gestion de la biodiversité (Bérard et al., 2005). Si l’idée d’associer savoir-faire et biodiversité commence à faire son chemin dans l’esprit de l’INAO et de certains syndicats d’appellation, à l’heure actuelle les Indications Géographiques qui intègrent cette dimension écologique ne sont pas nombreuses47. La question devient épineuse si l’on se penche sur des pays qui n’ont pas une solide tradition dans la matière, notamment les plus pauvres. On y reviendra dans le prochain chapitre. Nous voyons à travers l’exemple du Beaufort, que la patrimonialisation est elle aussi une construction sociale, elle est le résultat d’une volonté collective de transmettre et de donner du sens à sa propre identité et à son territoire. Les liens des produits avec leur espace de production leur confèrent une originalité, une réputation, voir même une unicité.

44 Perrin C., La patrimonialisation de la campagne autour d’Aix-En-Provence et de Florence : frein ou accelerateur de l’étalement urbain ?, pag. 142, dans : Actes du colloque international sur les terroirs, Durbiano C. et Moustier P., (sous la direction de), université de Provence, 9-12 mai 2007. 45 Pour une synthèse sur les filière fromagères en Haute Savoie cf. Laslaz L., Les processus d’identification des terroirs savoyards par le biais des fromages AOC, pp. 193-198, dans : Actes du colloque international sur les terroirs, Durbiano C. et Moustier P., (sous la direction de), université de Provence, 9-12 mai 2007. 46 Rautenberg, op. cit., pag. 85. 47 Par exemple, les quatre décrets d’AOC concernant la lentille verte du Puy (1996), le piment d’Espelette (2000), le coco de Paimpol (1998) et l’oignon doux des Cévennes (2003) mentionnent que les producteurs ont la possibilité d’utiliser des semences produites sur leur exploitation.

Patrimoine Terroir

Image du site

Environnement Paysage

Clientèle touristique

Culture/Savoir faire + +

+

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Sandrine Scheffer a démontré dans sa thèse les facteurs de succès des démarches de protection d’un nom géographique48. Ce qui nous intéresse ici est la parenté conceptuelle qui, selon l’auteur, lie patrimoine et territoire. La construction patrimoniale trouve sa justification « dans les valeurs symboliques attachées à des objets, des monuments, ou des produits, constituant autant de témoignages de l’identité » d’une collectivité49. Il s’agit d’une recherche de sens que tout individu opère pour définir et se représenter un contexte spécifique d’action. Ce contexte peut être considéré comme la superposition d’un « espace vécu », c'est-à-dire l'appropriation subjective des individus et de la collectivité des lieux et de leur environnement, et d’un « espace social » qui rassemble les interrelations sociales et spatiales entre les groupes d'individus et les lieux qu'ils occupent (Di Méo, 1998 et 2005). Ainsi, l’individuation d’un contexte territorial d’action devient un facteur déterminant pour analyser les démarches de patrimonialisation, en particulier celles qui concernent les produits du terroir. On rejoint alors Hinnewinkel, qui adopte le même concept dans ses analyses appliquées aux terroirs viticoles, évoquées précédemment. Les démarches de protection des produits peuvent, selon Scheffer, s’apparenter à trois formes principales de patrimonialisation50 :

• le « patrimoine bouclier », stratégie défensive est différenciatrice à la fois pour le territoire et pour les produits, fondée sur la volonté de protéger ces derniers et l’espace qui en porte le nom, face à des utilisations frauduleuses et usurpatrices ;

• le « patrimoine étendard », stratégie offensive et fréquente. Elle a un double objectif : démarquer le territoire en valorisant ses traits saillants, conquérir de nouvelles parts de marché et augmenter la valeur économique du produit ;

• le « patrimoine lien social », qui vise à marquer un territoire par l’affirmation d’une identité locale forte. Il s’agit d’une stratégie adoptée de manière croissante au sein de projets de développement plus vastes, associant démarches collectives, attractivité des lieux et ressources patrimoniales, produits de qualité et identité des territoires.

On déduit que la valorisation des produits assimilée à une construction patrimoniale, permet la reconnaissance d’une identité commune, laquelle constitue le point de départ de toute dynamique collective, située en amont de tout projet. Bien évidemment, cela ne suffit pas pour déterminer le succès de ces démarches, l’analyse de S. Scheffer va plus loin, mais il importe ici de souligner que le patrimoine possède une dimension territoriale, et donc il « nécessite d’être abordé […] comme un ensemble d’attributs »51. Ce sont donc les attributs de l’espace (naturels, historiques, paysagers, économiques, etc.) qui font l’unicité du produit, qui permettent de l’ériger en patrimoine chargé de valeurs symboliques (Dedeire, 1997). Vont dans ce sens aussi les réflexions de F. Casabianca, qui souligne les dimensions patrimoniales du territoire : « une construction sociale qui relève à la fois d’un patrimoine environnemental et d’un patrimoine culturel »52. Cette définition, volontairement simpliste53, rapproche les notions de patrimoine et territoire sous le 48 Scheffer S., Qu’est-ce qu’un produit alimentaire lié à une origine géographique ?, Thèse de Géographie, université Paris I, Sorbonne, 2002. 49 Scheffer S., Les facteurs de succès dans des démarches de protection d’un nom géographique, dans : actes du colloque SFER Au nom de la Qualité : quelle(s) qualité(s) demain, pour quelle(s) demande(s) ?, Clermont-Ferrand, 5-6 octobre, 2005, pp. 375-382. 50 Scheffer S., op. cit., p.377. 51 Scheffer S., op. cit., p.382. 52 Casabianca, F., Patrimonialisation et typification de fromages traditionnels : une approche comparée de qualification, dans : actes du colloque SFER Au nom de la Qualité : quelle(s) qualité(s) demain, pour quelle(s) demande(s) ?, Clermont-Ferrand, 5-6 octobre, 2005, p. 345. 53 Pour F. Casabianca, « le terme de territoire est à la mode ; on l’utilise dans des contextes extrêmement variés, aussi bien universitaires que politiques ou bureaucratiques, sans qu’en soit toujours explicité le sens ni assumées les ambiguïtés qu’il suscite », pag. 335. Cette affirmation mérite d’être soulignée, car elle témoigne d’une véritable ouverture à des disciplines autres que celle de formation de l’auteur. Une attitude qui est sans doute à encourager et à stimuler, dans les études rurales, mais aussi dans d’autres domaines.

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dénominateur commun de la durée, de la mémoire collective, « dispositif cognitif mobilisé dans la prise de décisions et donc capacité de projection dans le futur ». Cela implique de considérer le patrimoine-territoire comme une « ressource complexe, dont les composantes forment système ». De plus, si le territoire est par définition identifié à tout espace « objet d’un projet d’appropriation de la part d’un acteur (individuel ou collectif) », il devient alors possible de l’aborder à travers la notion de patrimonialisation54. Celle-ci est littéralement définie comme « l’inscription dans la mémoire collective d’un groupe social donné » ; une inscription qui n’est pas neutre, car elle doit se faire à travers la mise en place de dispositifs d’appropriation, tels que la marque collective, l’Appellation d’Origine, plus en général par tout autre signe certificateur de l’origine et de la qualité. De la comparaison entre le Roquefort et le fromage de Cotija (état de l’Oaxaca, Mexique) effectuée par Casabianca, on peut tirer au moins trois enseignements, qui s’ajoutent et complètent les réflexions jusqu’ici présentées autour du concept de terroir. Au-delà de la construction sociale de la qualité d’un aliment-patrimoine, s’ouvrent en effet d’autres questionnements, qui seront abordés avec attention par la suite.

• En premier lieu, il est clair que c’est à travers la formalisation et la traduction normative des modalités d’affinage pour le Roquefort, du choix de races pour le fromage de Coatija, et donc par le biais d’un choix technique particulier, que certains acteurs s’approprient des ressources territoriales. Ainsi avec C. Delfosse nous constatons que, « souvent impulsée par les acteurs territoriaux, elle (la patrimonialisation) est un moyen d’inscrire l’agriculture dans la durée : elle réactive la profondeur historique, mais pour quel avenir et pour qui ? »55. Il en découle que l’analyse des processus de valorisation des produits de terroir doit se recentrer sur les acteurs et prendre en compte la dimension temporelle.

• Deuxièmement, on constate que si les modalités d’appropriation collective relèvent de la construction de choix collectifs, ceux-ci « s’inscrivent alors bien davantage dans le champ du politique que sur celui du calcul économique ». Nous sommes alors d’accord avec Casabianca, lorsqu’il affirme que cette expression d’un choix collectif « c’est donc moins l’affaire des experts que celle des citoyens »56. Cette dimension politique renvoie inévitablement à traiter de la gouvernance. Il importe ici de souligner que la valorisation des produits de terroir ne relève ni d’un intérêt individuel et privé, ni d’une initiative proposée par tout acteur extérieur : c’est un acte qui concerne une société, un acte collectif et surtout un acte citoyen.

• Prendre en compte la dimension patrimoniale du terroir signifie in fine que « même s’il n’est pas doté des propriétés d’une marchandise, le territoire doit être reconnu comme une authentique ressource économique »57. C’est pour cela que nous irons interroger les rapports que l’espace entretien avec l’économie, à travers une exploration de différents courants économiques, dans le but de pallier à certaines insuffisances de la géographie. Cet élargissement multidisciplinaire nous permet d’une part d’enrichir conceptuellement l’étude et d’autre part d’intégrer l'analyse et la compréhension des démarches de valorisation de produits de terroir dans les processus de développement territorial. Ce faisant nous allons pouvoir aussi positionner l’étude dans le récent courant de la géographie de la qualité, en train de s’affirmer comme un courant à part entière de la géographie rurale (Frayssignes, 2008).

54 Cf. en particulier l’ouvrage fondateur de Raffestin C., Pour une géographie du pouvoir, Paris, Litec, 1980, pp. 127-199. 55 Delfosse C., Éditorial : agricultures, durabilité et territoire, dans : Géocarrefour, Vol. 83/3, Agriculture, durabilité et territoires, 2008. 56 Casabianca F., op. cit., pag. 345. 57 Casabianca F., op. cit., pag. 345.

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1.5. Les terroirs : des ressources pour le territoire. Nous avons vu que le terroir possède un ancrage local, mais aussi territorial si l’on met en exergue le rôle essentiel des systèmes d’action (Hinnewinkel, 2004). Il convient alors, pour ne pas tomber dans la tautologie et pour éviter toute ambiguïté ou malentendu, d’expliquer ce glissement conceptuel. Le terroir peut être appréhendé avec l’outil de la formation socio-spatiale (FSS), méthode qui permet d’appréhender la complexité géographique, autrement dit l’articulation des facteurs qui créent l’originalité d’un espace, mais aussi évaluer l’aptitude de ceux-ci à modeler quelques-uns des comportements sociaux qu’on observe (Di Méo, 1996). La société, les rapports interpersonnels, deviennent alors parties intégrantes du terroir, sans oublier les autres composantes de celui-ci, dans une logique holiste. Par les contraintes qu’il impose, par les virtualités qu’il renferme, l’espace est constitutif du terroir (Hinnewinkel, 2004). Ce dernier acquiert donc une dimension territoriale et peut être considéré comme territoire, si l’on retient la définition donnée par Guy Di Méo, pour qui le territoire « se définit alors comme l’expression globale du spatial, du social et du vécu, comme une temporalité plus ou moins fragile, comme la rencontre du signifiant et du signifié, du matériel et de l’idéel » 58. Le terroir peut bien être considéré comme le cadre d’actions des individus dans leur quotidien (Di Méo, 1996). Comme le territoire il articule « l’espace vécu », ou métastructure spatiale, c'est-à-dire l'appropriation subjective des individus et de la collectivité des lieux et de leur environnement, et « l’espace social », constitué par l’ensemble des interrelations sociales et spatiales entre les groupes d'individus et les lieux qu'ils occupent. « Comme pour le territoire, sa vertu essentielle réside sans doute dans sa globalité et dans la complexité de son contenu sémantique, dans le fait que sa construction, en un lieu ou un ensemble de lieux donnés, mobilise tous les registres de la vie humaine et sociale. Son édification combine les dimensions concrètes, matérielles, celles des objets et des espaces, celles des pratiques et des expériences sociales, mais aussi les dimensions idéelles des représentations (idées, images, symboles) et des pouvoirs »59. Cela dit, il ne faut pas ramener les formations socio-spatiales à des images figées, à des univers parfaitement limités. Nous avons vu qu’un zonage peut renfermer non un, mais plusieurs terroirs, ce qui peut donner origine à des conflits autour de l’exploitation de la rente territoriale (Ricard, 1994 ; Hinnewikel, 2004). La même erreur va évitée à l’instar des découpages administratifs, qu’une géographie qu’on pourrait qualifier d’« écolière » nous avait appris à délimiter en faisant appel aux déterminismes physique et historique (Di Méo, 1996). Sous la loupe de la FSS on peut donc faire émerger « les instances superstructurelles du rapport socio-spatial : le gouvernement des lieux et des hommes, l’univers des représentations, des croyances, des cultures… ».60 Plus modestement, nous chercherons de déceler les dimensions territoriales de quatre terroirs. Nous procéderons ainsi avec d’autant moins de scrupules que nous cherchons plus à définir la territorialité de ces quatre systèmes agroalimentaires localisés qu’à expérimenter pour ceux-ci le modèle des formations socio-spatiales. Outre ce constat, en suivant le géographe-viticulteur Jacques Maby (2002) nous pouvons affirmer que le terroir est un espace physique, mais aussi un objet socioculturel à partir duquel le géographe peut se représenter plus commodément l’espace. Le terroir devient

58 Di Méo G., Géographie sociale et territoires, Nathan, 1998, pag. 275. 59 Di Méo G. (1998), cité par Hinnewinkel J. C., dans : L'espace social : Lecture géographique des sociétés, Broché, 2005, pag. 185. 60 Di Méo G., Les territoires du quotidien, L’Harmattan, 1996, pag. 140.

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un instrument de la production d’objet spatiaux, tout comme « un subtil instrument d’analyse géographique »61. Si la réussite de nombre de productions repose sur une volonté d’associer le produit à son terroir, depuis quelques années c’est la contribution du produit à l’identité et au développement du territoire qui s’affiche. (Pilleboue, 1999 ; Pecqueur, 2001 ; Angeon et Caron, 2004 ; Corrado, 2004 ; Hirczak, 2007). En donnent exemples les nombreuses associations faites par les syndicats des appellations. Ainsi dans les sites on peut lire que « la Route de la Noix du Périgord sillonne le Bassin nucicole et relie notamment quatre villes phares, associées au quatuor des variétés bénéficiant de l'AOC. A chaque étape, la nature et l'homme prouvent leur talent »62, tandis que « c’est au cœur de ce terroir dit le Pays Vert, que s’inscrit la zone d’appellation d’origine Cantal. Des vallées verdoyantes aux hauts sommets locaux, la nature déploie ses atouts et répand ses saveurs. Ce n’est pas un hasard si ce fromage a pris le nom de son territoire. Son goût évoque les pentes des anciens cratères recouverts d’un tapis d’herbe verte et de bruyère »63. En Italie, « déjà les anciens romains appréciaient le Pecorino Romano. […] Il était tellement usé parmi les Romains, qu’il fut aussi établi la ration journalière à donner aux légionnaires, comme intégration au pain et à la soupe de blé ; 27 grammes »64 ! Plus sobres et pragmatiques, les montagnards nous disent que « les vrais « artisans » de la Fontina sont les pâturages de montagne de la Vallée d'Aoste et les bovines de race autochtone »65. De par sa complexité, le terroir peut être considéré comme une véritable ressource territoriale. Les composantes du territoire sont de plus en plus mobilisées par les acteurs locaux, qui les intègrent dans leur produits en les érigeant en patrimoines : le paysage, la biodiversité, la qualité de l’eau, les savoir-faire, les atouts touristiques, la contribution à l’identité, la culture et même la politique, si l’on considère le rôle que les produits de qualité tendent de plus en plus à assumer, classés comme des véritables outils d’aménagement du territoire, éléments de projets plus vastes de développement, qu’ils soient ou pas détenteurs d’une appellation (François, 2007 ; Hirczak, 2007). Les caractères agronomiques, tout comme les paysages, constituent le noyau irréductible du terroir et jouent un rôle de premier plan dans leur fonctionnement (Hinnewinkel, 2004). Les terroirs, construits par les hommes et investis de sens et de valeurs, prennent une place centrale lorsqu’ils sont placés au centre des stratégies d’une pluralité d’acteurs. Les produits ainsi spécifiés peuvent donc être analysés comme le résultat de l’action de ressources collectives de type matériel, mais aussi immatériel ; un résultat qui avec la patrimonialisation se traduit en une ressource spécifique et collective : la réputation liée au nom géographique du produit. Réputation qui vient à son tour s’intégrer dans le produit afin d’en permettre la valorisation (Belletti, 2000). Par cette valorisation, les produits créent des avantages, sur la base d’une différence liée à un savoir commun, mais aussi à une représentation sociale partagée. La valorisation du produit renforce et parfois peut donner naissance à une identité souvent marquée spatialement dans le territoire, lequel devient un filtre cognitif pour la communauté locale (Pecqueur, 1996). Le terroir, expression de la personnalité d’un groupe d’acteurs à l’œuvre, imprime à son tour des signes d’identité dans le produit (Hinnewinkel, 2004). Dans ce sens le territoire, dans sa globalité, peut être abordé « comme ressource pour l’agriculture : ressource économique mais aussi ressource sociale et identitaire car inscrire le territoire dans son projet donne un sens nouveau à l’agriculture et au métier d’agriculteur ».66 C’est en particulier à travers le 61 Maby J., 2002, cité par Hinnewinkel, 2004, op. cit. Cf. aussi : Maby J., La trame du vignoble, éd. Barthélemy, Avignon, 1995. 62 http://www.noixduperigord.com/site.php?page=patrimoine 63http://www.aop-cantal.com/le-fromage-cantal/un-territoire-de-%C2%AB-monts-et-emerveillements-%C2%BB 64 http://www.pecorinoromano.com/fr/il-pecorino-romano/lhistoire.html 65 http://www.consorzioproduttorifontina.it/fr/ 66 Fleury Ph., Terroir, environnement et territoire : nouvelles ressources pour l’agriculture de montagne ?, dans : La notion de ressource territoriale, Grénoble, Montagnes Méditerranéennes, num. 20, 2004, pag. 152.

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processus de patrimonialisation, nous le verrons mieux plus loin, que les acteurs réalisent la construction d’une ressource territoriale (Cf. chap. 3). Ainsi, la valorisation du produit réalisée par des acteurs, individuels et collectifs, conduit à des mécanismes d’organisation de l’espace, qu’ils soient spécifiques aux firmes et aux PME industrielles (districts industriels, SPL, technopoles, etc.), mais aussi relatifs à d’autres activités comme par exemple le tourisme et, dans notre cas, l’agriculture de terroir. Dans ce mémoire nous verrons que le territoire peut fournir le cadre cognitif et interprétatif de nouvelles formes d’organisation spatiales de productions de qualité : les sentinelles Slow Food. Elles constituent une « véritable signature du territoire », selon l’expression utilisée par Hinnewinkel pour les terroirs viticoles. Elles peuvent bien figurer comme des formes émergeantes de « la résistance active des territoires », organisées « au prix d’un déploiement universel des ruses individuelles et sociales », grâce auxquelles les acteurs armés de leurs valeurs culturelles et de leurs projets, altèrent ou essayent d’altérer, la tyrannie du contexte « par un travail de sape continuel » (Di Méo, 1998). Elles représenteraient alors une épreuve pour une partielle validation de l’hypothèse formulée par Guy Di Méo, pour qui « la réaction territoriale identitaire des sociétés locales, régionales et nationales, est d’autant plus vigoureuse que la contestation de leurs spécificités et de leur identité est plus violente ».67 1.6. En guise de conclusion : une définition. Dans ce premier chapitre nous avons constaté qu’avant d’ériger le terroir en rempart contre « la MacDonaldisation du monde », se pose le problème de sa définition68. La revue de littérature a été nécessaire car le mot peut se prêter à des interprétations erronées et à des ambiguïtés qui n’aident pas la compréhension de processus par leur nature complexes comme ce que nous allons analyser. Dorénavant, lorsqu’on utilisera le mot : terroir, nous ferons référence à la définition officiellement retenue par l’INAO, ainsi définie par un groupe de travail de cette institution : « un système au sein duquel s'établissent des interactions complexes entre un ensemble de facteurs humains (techniques, usages collectifs...), une production agricole et un milieu physique (territoire). Le terroir est valorisé par un produit auquel il confère une originalité (typicité) »69. Cette définition peut bien résumer les aspects que nous avons souligné tout le long de ce premier chapitre, à condition de relativiser le mot : territoire, ici employé selon le sens commun, réduit à un milieu physique. De plus, elle introduit le terme de « typicité ». Ce terme est important car en Italie il est employé couramment de la même façon que le terroir en France. Ainsi dans le travail sur le terrain en Italie, dans les entretiens et dans les enquêtes par questionnaire, présentées dans la deuxième partie de ce mémoire, nous trouverons le mot « prodotto tipico », qui doit être assimilé à la terminologie française « produit du terroir ». Une précision utile sur ce point nous vient de Andrea Marescotti, qui donne cette définition de « prodotto tipico », acceptable et complémentaire à la précédente :

67 Di Méo G., Géographie sociale et territoires, Nathan, 1998, pag. 200. 68 Ritzer J., Il mondo alla Mc Donald’s, Bologna, il Mulino, 1996. Pour une éclairante analyse des aspects socio-économiques liés aux modèles de productions et de consommation nord-américaines, voir aussi : Schlosser E., Fast Food Nation, 2002, adapté en version cinématographique par Richard Linklater en 2006. 69 Casabianca F., Sylvander B., Noël Y., Béranger C., Coulon J. B., Roncin F., Terroir et typicité : deux concepts-clés des Appellations d’Origine Contrôlée. Essai de définitions scientifiques et opérationnelles, 2005, p. 8 (Cf. http://www.inra.fr/rhone-alpes/symposium/pdf/session3-4_2.pdf )

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« un produit agroalimentaire typique est le résultat d’un processus historique collectif et localisé d’accumulation de connaissance contextuelle, qui se fonde sur une combinaison de ressources territoriales spécifiques à la fois de nature physique qu’anthropique et qui donne lieu à un lien fort, unique et non reproductible avec le territoire d’origine »70.

70 Belletti G., Brunori G., Marescotti A., Pacciani A., Rossi A., Il processo di valorizzazione delle produzioni agroalimentari tipiche, p. 178, dans : Rocchi B., Romano D., (a cura di), Tipicamente buono. Concezioni di qualità lungo la filiera dei prodotti agroalimentari in Toscana, Franco Angeli, Milano, 2006.

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Chapitre 2. Les indications géographiques et le mouvement Slow Food. 2.1. Qualité des produits, qualité des territoires. Dans une Communauté économique européenne déficitaire, où les pénuries de la guerre étaient encore proches, l’un des objectifs de la Politique Agricole Commune (PAC) a été la recherche de la sécurité alimentaire. Au nom du progrès et de l’amélioration de la sécurité alimentaire, l’agriculture s’est fortement industrialisée au cours de la seconde moitié du XXème siècle. Les innovations techniques ont été principalement pensées pour limiter les aléas climatiques, les attaques parasitaires et « doper » les performances des sols, des plantes et des élevages. Pendant une cinquantaine d’années, on peut dire que le développement agricole, soutenu par diverses politiques publiques, s’est concentré sur l’accroissement de la productivité du sol et du travail, en considérant implicitement que l’abondance des ressources naturelles les rendait inaltérables et inépuisables. Ce modèle de développement, qui reposait au fond « sur le credo que tout progrès technique est valide sur le plan économique », a montré toutes ses limites à partir de la fin des années ’80, une fois l’autosuffisance atteinte et même dépassée (Allaire et Boyer, 1995 ; Bureau, 2007). L’efficacité économique d’une agriculture européenne dopée aussi par des modalités de soutien publique coûteuses, voir aberrantes, a été vite contestée de plusieurs cotés, même par les agriculteurs, qui auraient dû être les premiers à en bénéficier (Hervieu, 1993)71. La PAC a dû alors être réformée à plusieurs reprises, pour éviter l’accumulation d’excédents structurels coûteux et générateurs de perturbations néfastes sur le marché mondial (Brunel, 2005). Même réformée, passée de 80 à 40 % du budget européen entre 1970 et 2004, la PAC est encore mise en cause même par de nombreux membres de l’UE, tant pour son coût, que pour ses effets en matière de redistribution des revenus ou ses rapports avec les pays en voie de développement72. L’émergence d’une conscience écologique dans l’opinion publique amène à dénoncer d’autres coûts, de type environnemental, qui vont s’ajouter aux précédents : dégradation des ressources en eau, érosion et perte de fertilité des sols, dégradation de la biodiversité et homogénéisation des espèces végétales et animales, pollutions de tout genre (dispersion de pesticides, empoisonnement des nappes, odeurs nauséabondes de porcheries, émissions de gaz à effet de serre, etc.), impact de l’agriculture sur les paysages (remembrements, arrachages de haies), accroissement de risques hydrogéologiques… L'impasse de la PAC admise au milieu des années ‘80 a représenté un véritable traumatisme pour l'ensemble du monde agricole. Cette crise majeure se traduisait dans un contexte de tensions, par des remises en cause difficiles à admettre : les attentes au sujet de l’environnement vont se heurter au scepticisme, voir même à l’hostilité de la profession agricole (Laurens, 1999). A tout cela s’ajoutent les nouvelles attentes sociétales en termes de consommation alimentaire, de plus en plus fortes et exigeantes, notamment suite aux crises qui se sont succédées dans les années ’90 et 2000 : scandale des hormones de croissance, maladie de la vache folle, poulets à la dioxine, listeria, grippes aviaire et porcine, débat sur les organismes génétiquement modifiés. Depuis 1992 ont été développées des mesures agro-environnementales destinées à orienter l’agriculture productiviste de l’époque vers des pratiques plus respectueuses du milieu naturel. Suite au rapport Mac Sharry, les préoccupations environnementales de l’UE apparaissent encore très timides avec la jachère introduite dans la réforme, le gel des terres, la garantie des

71 Des exemples parmi les plus récents. Sur le problème de la baisse du prix du lait : Crise du lait: l'UE soutient les producteurs, dans : www.europa.eu. Voir aussi : Midi Libre, décembre 2009 : Montpellier a été théâtre d’émeutes des viticulteurs, qui s’inquiétaient de leur survie et de la pérennisation de leur profession. 72 Pour une analyse globale et sans parti pris de la PAC, cf. la récente contribution de : Bureau J. C., La politique agricole commune, Paris, La Découverte, 2007.

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prix, les subventions à l’exportation... D’autres mesures sont envisagées au titre du développement rural : reboisement, adaptation au changement climatique, corridors de biodiversité… Le bilan de ces actions est mitigé : l’intégration dans le deuxième pilier de la PAC des mesures de soutien au développement des territoires ruraux doit être valorisée, ne comptant aujourd’hui que pour 10% des ressources allouées (Bureau, 2007)73. Ce bilan est aussi très variable selon les régions : sans des mesures diversifiées, il est à la fois difficile de maintenir la production laitière dans les zones de montagne et de la décourager dans les élevages industriels des régions périurbaines (Delfosse, 1992, 1996, 1999 ; Ricard, 1994 et 1999 ; Hirczak et Mollard, 2005). Mais au delà des crises et de leur gravité, qui amènent à remettre en cause définitivement l’agriculture productiviste, c’est l’évolution générale de notre société qui a bouleversé les rapports avec des éléments si structurants comme l’espace et le temps (Bérard et Marchenay, 1998). En témoignent les recompositions qui concernent les espaces ruraux européens. Du fait de la mobilité des personnes, des biens, des informations et des styles de vie, les espaces ruraux connaissent de profondes mutations. Des nombreuses recherches ont montré qu’en France la fin de l’exode rural, les transformations des modes de vie et de l’imaginaire associé à la campagne, contribuent à la fabrication de nouveaux territoires et augurent un dynamisme renouvelé (Kayser, 1990 ; Dedeire, 1997 ; Font, 2001 ; Berger et al., 2005 ; Hervieu et Viard, 2005). Un aspect majeur du devenir des espaces ruraux réside dans l’intrication grandissante entre ces derniers et les espaces urbains, ce qui ramène même à remettre en question cette vision duale de l’espace. De plus en plus, l’agriculture partage l’espace avec les zones d’habitation et les milieux naturels ; d’un côté, l’urbanisation transforme le lieu d’exercice de l’activité agricole, de l’autre, les interactions entre espaces agricoles et naturels sont appelées à se renforcer (Dedeire, 1997 ; Laurens, 1999). De manière générale, on peut dire qu’une expansion continue des zones urbanisées s’exerce autour des pôles urbains au détriment des espaces ruraux, constituant des espaces périurbains. Cette expansion est la conséquence des mobilités résidentielles des individus. L’espace périurbain se caractérise souvent par un lien fonctionnel à la ville et par une morphologie rurale due à une forte empreinte spatiale du secteur agricole ou de la forêt. Le phénomène de périurbanisation va de pair avec une croissance des aires d’influence des pôles urbains qui concentrent les emplois, même si bien souvent les pôles d’emploi s’éloignent du centre strict des villes au profit de pôles secondaires, voire de véritables centralités périphériques. En parallèle, les bourgs ruraux et les petites villes, hors des zones d’influence des grandes agglomérations, connaissent un phénomène de « rurbanisation » qui concerne des campagnes éloignées. Cette valorisation des espaces ruraux aux yeux des urbains semble témoigner, entre autres choses, de la recherche d’une certaine qualité de vie dans une société plus mobile et d’un attachement à des territoires ruraux que les individus construisent en cultivant une mémoire ancrée dans un lieu mais surtout en y inscrivant leurs projets (Mora, 2008 ; Berger et al., 2009). En ce sens, on constate qu’a priori la France, qui a la même population mais plus d’espace par rapport à l’Italie, semblerait pouvoir tirer un avantage avec le développement d’une agriculture moins intensive et à forte valeur ajoutée, à condition de lui offrir un soutien adapté. Il en va de même pour la contribution de l’agriculture à l’aménagement du territoire (Cf. Fig. 3). Dans les zones de forte densité de population, son recul est compensé par le développement d’autres activités à la recherche d’espace (ludique, résidentielle, paysagère, récréative, etc.), lequel peut ainsi être considéré multifonctionnel (Murdoch, 2000 ; Van der

73 La commissaire européenne à l’agriculture et au développement rural M. Fischer Boel annonçait dans une conférence en mai 2007 que les ressources destinées aux trois axes du développement rural correspondent à : 35% pour l’axe 1, 46% pour l’axe 2 et seulement 19% pour l’axe 3 “Qualité de la vie et diversification”. Cf. http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=SPEECH/07/322&format=HTML&aged=1&language=EN&guiLanguage=en.

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Ploeg et al., 2000 ; Berger et al., 2005 ; Bryant, 2007). L’habitat rural est par exemple rénové par de jeunes ménages urbains qui recherchent des maisons individuelles pour élever leurs enfants, mais aussi par les nouveaux retraités, tous attirés par un paysage de qualité, par un meilleur cadre de vie, alors que, d’une manière générale dans les régions faiblement peuplées, le maintien d’une agriculture familiale représente un enjeu stratégique qui conditionne la survie d’autres activités (Dedeire, 1997). En effet, des nations telles que l’Espagne, la France ou l’Italie, voient globalement un retournement du solde migratoire en faveur du rural et une stabilité du solde naturel dans les villes et les campagnes. Ces pays connaissent globalement une évolution démographique positive à l’image de leurs campagnes. Ces espaces ont, pour caractéristique, de subir une croissance positive grâce à la fois au solde migratoire et au solde naturel agissant positivement au bénéfice des régions essentiellement rurales (où plus de 50% de la population est rurale). Cependant ces pays ont au sein des régions urbaines plus de 70% de leur population (Dedeire, 1997). Pour une meilleure vision d’ensemble, à partir de la carte en figure 4 il est possible de repérer des trajectoires de développement des territoires ruraux méditerranéens74.

Fig. 4 - Les dynamiques des régions rurales en France, Espagne et Italie. (Source : http://issuu.com/agropolis/docs/dossier-societes-developpement-durable).

Les espaces de la classe 1 (rose) correspondent à des régions périurbaines, marquées par une importante dynamique démographique, un taux de chômage relativement favorable et une intégration économique basée sur les fonctions résidentielles (permanentes ou temporaires) ou tertiaires. Dans cette catégorie on trouve les espaces français méridionaux, autour de la méditerranée, le long de la façade atlantique, et en Bretagne, dans la région Midi-Pyrénées et

74 Cette lecture est tirée de : Chevalier P. et Dedeire M., Trajectoires de diversification et mutation de bases économiques dans les campagnes européennes, dans : Berger A., Chevalier P., Cortes G., Dedeire M. ( sous la dir. de), Héritages et trajectoires rurales en Europe, L’Harmattan, 2009, pp. 115-137.

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dans une partie des vallées alpines. En Italie, il s’agit des régions orientales, le Trentin, le Frioul et les marges de la Vénétie, une partie du Piémont, de la Toscane et la partie orientale de l’Ombrie. En Espagne, on trouve le Nord de la Catalogne, le Sud de Valence et l’extrême Sud de l’Andalousie. Les régions de la classe 2 (rouge) se caractérisent par des processus de revitalisation homogènes, marqués par une agriculture importante, un croît naturel très favorable, un taux de chômage supérieur à la moyenne. Ces régions se caractérisent aussi par une intégration multifonctionnelle diversifiée et/ou une économie agro-industrielle très significative, comme dans la France centrale, mais aussi d’autres espaces qui vont des frontières du Nord à l’Aveyron et de la Normandie aux portes de l’Alsace. En Italie, l’essentiel des cas est représenté par le Molise, les Abruzzes, la Campanie et le Nord de la Sicile. En Espagne, il s’agit de la façade nord-atlantique, de la Cantabrie, des Asturies et de la Galice jusqu’au Sud de la Castille y Léon et la Murcie au bord de la Méditerranée. La classe 3 (vert foncé) est similaire à la précédente, mais elle se caractérise par une fonction agricole plus marquée par rapport aux autres, dont par un taux d’actif agricole élevé. Le chômage est considérable et les migrations compensent le déclin naturel encore soutenu. On trouve dans cette classe bon nombre de régions espagnoles. La classe 4 (beige) est caractérisée par un rural plutôt de type industriel, en restructuration, en revitalisation démographique, mais au taux de chômage significatif. Malgré une fonction industrielle encore basique, ces régions ont une tendance à la diversification qui commence à s’imposer. Cette classe ne concerne que marginalement la France, tandis qu’elle marque les régions sous l’influence métropolitaine du Nord-est espagnol et plusieurs régions de l’Italie du Nord. La classe 5 (vert clair) regroupe des campagnes de type paysan, plutôt traditionnel, marquées par une population en vieillissement, souvent en situation d’exode rural. L’intégration économique est très faible tout comme la diversification des activités, encore marquées par l’empreinte agricole et une tertiarisation « par défaut ». Cette classe concerne les suds de l’Europe (Chevalier et Dedeire, 2009). Les trajectoires ne sont donc pas homogènes et malgré les grandes tendances qui semblent se dessiner à l’échelle européenne, comme l'extension de la fonction touristique ou la périurbanisation, les campagnes de ces pays semblent nettement se diversifier dans leur organisation et leur structuration même. Alors que certaines, jadis intégrées à l’économie nationale ou internationale se marginalisent, d’autres au contraire, fondent leur intégration ou réintégration sur l’innovation et la valorisation de leurs ressources, qu’elles soient traditionnelles ou nouvelles, en s’adaptant aux nouveaux modes de production et de consommation. Au-delà des critiques qu’on pourrait lui porter, cette représentation très simplifiée a le mérite de montrer que dans l’Europe Méditerranéenne, à l’époque de la globalisation, coexistent des territoires ruraux de plus en plus hétérogènes les uns par rapport aux autres, qui doivent s’appuyer sur une diversification de leurs économies. C’est d’ailleurs cette même hétérogénéité qui fait dire à Bernard Pecqueur que l’avenir des territoires se basera non plus sur les avantages comparatifs, mais sur les avantages « différenciatifs » de ces derniers75. Dans un récent rapport INRA du groupe de travail « Nouvelles ruralités » ont été identifiés quatre scénarios pour les espaces ruraux français de 203076.

75 Pecqueur B., Le tournant territorial et les nouvelles régulations en milieu rural, dans : Berger et al., op. cit., pag. 58. 76 Mora O., (sous la dir. de), Les nouvelles ruralités en France à l’horizon 2030, Rapport du groupe de travail Nouvelles ruralités, INRA, Paris, Juillet 2008.

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Composantes Scenario 1 Scenario 2 Scenario 3 Scenario 4 Mobilité dans les rapports villes-campagnes

Mobilités déterminées par la périurbanisation

Intermittences cycliques

Transports limités : les gens se regroupent dans la ville qui s’élève en hauteur

Mobilités déterminées par les réseaux des bourgs et petites villes

Dynamiques économiques dans les campagnes

Economie résidentielle et agricole

Economie présentielle

Economie spécialisée et fonctionnalisée par la ville

Economie territoriale

Ressources naturelles et patrimoniales

Erosion de l’espace agricole et naturel et création d’espaces sanctuarisés

Forte attractivité des patrimoines naturels et/ou des espaces agricoles

Nature dans la ville et partition des espaces naturels et ruraux

Combinaison de paysages agricoles et d’espaces naturels

Gouvernance des territoires ruraux

Faible, induite par le développement de la métropole

Variété d’initiatives pour mettre en œuvre l’attractivité des espaces ruraux

Assujettie à la planification urbaine

Forte, élaboration de projets de territoires cohérents et concertés

Eléments de contexte

Laisser-faire, transport aisé

Forte innovation sociétale, technique (transports, Technologies de l’information et de la communication) et de gouvernance

Crise énergétique Fortes politiques européennes des régions

Fortes politiques publiques

Tab. 2 – Les hypothèses d’évolution des ruralités (Source : INRA, 2008).

Par rapport à l’agriculture plusieurs enjeux sont identifiés, parmi lesquels :

• le contrôle du foncier pour une agriculture polarisée par l’urbain (scénario 1) ; • la contribution de l’agriculture à la valorisation du patrimoine paysager, culturel,

productif (scénario 2 et 4) ; • la maîtrise des risques environnementaux et sanitaires pour une agriculture intra-

urbaine (scénario 3) ; • la compatibilité d’une diversité de formes productives (scénario 4). • les interactions à la frontière entre zones urbaines et milieux naturels (scénario 1, 2, 3,

4) Certes, il s’agit encore une fois d’une simplification de la réalité, mais comme le souligne A. Frémont : « les quatre scénarios n’ont pas véritablement de fonction alternative, l’un devant se substituer aux autres selon les cas, mais chacun et l’exemple qui l’appuie représentent plutôt l’illustration d’un avenir possible, sans véritable exclusion des autres. […] Ainsi actuellement, le scénario 1, celui des campagnes liées à la diffusion métropolitaine, avec l’exemple de Toulouse et de Midi-Pyrénées, représente-t-il bien la dynamique dominante, y

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compris sous ses diverses formes, ses alternatives possibles, ses gouvernances plus ou moins directives… Mais il n’efface pas vraiment les trois autres, y compris dans leurs représentations contemporaines et leurs évolutions éventuelles. La probabilité la plus élevée suggère la permanence de leur coexistence, mais avec des succès ou des retraits inégaux. Une première conclusion, sans grand risque, peut donc être que la diversité rurale perdurera tout en se modifiant, sous cette forme ou selon d’autres »77. De ce fait on peut dire que dans ces « nouvelles ruralités » qui se dessinent, une agriculture porteuse de nouveaux rôles est en train de changer le rapport à la terre. Les démarches de valorisation que nous allons présenter doivent donc être insérées dans ce contexte d’espaces ruraux en mutation. C’est toujours dans ce contexte que l’on observe une réorientation d’une partie des modes de production agricole, d’autant plus complexes et diversifiés que le poids de l’agriculture s’amenuise dans l’économie rurale. Le renouveau d’une production agricole territorialisée et ancrée historiquement, qui ne se substitue pas au mode de production de type fordiste, mais vient s’y ajouter. La France en particulier, serait historiquement caractérisée par ce dualisme territorial : d’une part des zones agricoles spécialisées dans les productions intensives, vouées à l’exportation ; de l’autre, des territoires porteurs d’une agriculture de terroir, avec une grande densité de produits de qualité (Dedeire, 2002). C’est au Sud d’une ligne qui coupe la France de la vallée de la Loire à l’Alsace que les formes d’agriculture de qualité sont concentrées : dans ces régions qui vont du Bordelais à l’arc Alpin, en passant par le Massif Central, la vallée du Rhône et le littoral méditerranéen, on observe une forte progression et diversification des produits qualifiés par l’origine, avec un accroissement sensible du nombre d’AOC au-delà du seul noyau initial des fromages et des vins, et où se trouve la totalité des « produits sentinelles Slow Food » présents en France78. Certes, si on affine l’analyse on pourrait identifier, en dehors des vallées et des zones de montagne proprement dites, des situations hybrides où ce dualisme productif territorialisé serait mitigé, comme par exemple la Bresse, où des filières sectorielles de type productiviste cohabitent avec des productions qualifiées de terroir (Hirczak et Mollard, 2005 ; Hirczak, 2007). D’autres exemples révèlent la complexe articulation des ressources en jeu dans les processus de valorisation de produits, et montrent comment les démarches de certification de l’origine peuvent aussi faire partie d’un projet d’« offre de site » plus large, permettant un processus de développement local autour d’un ensemble de biens et de services territorialisés. (Laurens, 1999 et 2000 ; Bessière, 2000 ; Mollard, 2001 ; Lacroix et al., 2003 ; Hirczak et Mollard, 2005 ; Mollard et Pecqueur, 2007). Dans ce chapitre nous commençons par nous focaliser sur les enjeux, désormais internationaux, qui concernent les produits de terroir, pour conclure avec l’identification de certaines limites des démarches de protection officielles. Mais d’abord il faut introduire les outils qui permettent aux acteurs de s’engager dans ces projets de valorisation des produits. 2.2. Les enjeux de la protection européenne de l’origine des produits agroalimentaires. Il a fallu plus d’un siècle de négociations et de conventions bilatérales pour que les Indications Géographiques (IG) soient protégées juridiquement au niveau international79.

77 Frémont A., dans : Mora O., (sous la dir. de), op. cit., pp.65-66. 78 Les “sentinelles” françaises sont les suivantes: la Brousse du Rove, le Porc Noir de Bigorre, le Vin Rancio sec du Roussillon, la Lentille Blonde de Saint-Flour, le Navet Noir de Pardailhan, le Mouton de Barèges-Gavarnie, le Pélardon affiné, le Petit Epeautre de Haute-Provence, la Poule Gasconne, le Boeuf Gascon Aréolé du Gers, les fromages d'estives des Pyrénées Béarnaises. 79 Sur l’histoire de la qualité alimentaire voir aussi : Stanziani A., La qualité des produits en France (XVIIIe-XXe siècles), Paris, Belin, 2003.

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Avec les accords de Marrakech et la création de l’Organisation Mondiale du Commerce en 1994, les IG ont pris une importance mondiale, du fait de leur inscription dans l’Accord sur les Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce (ADPIC). Les dispositions de l’Accord ADPIC sont le résultat d’une négociation conflictuelle entre des pays ne partageant pas les mêmes vues des IG : la prise en considération des Appellations d'Origine se transforme fréquemment en contestation frontale, notamment de la part de pays libéraux (États-Unis, Groupe de Cairns…) qui y voient un système protectionniste faisant entrave au libre échange80. Pour les partisans des IG, une protection contre les imitations est légitime et s'inscrit dans une démarche patrimoniale. À l'inverse, les adversaires de ce système estiment que seul le droit des marques commerciales peut réguler les échanges. Les dispositions de l’Accord ADPIC reflètent des compromis et des mises en parenthèses de problèmes, qui se retrouvent aujourd’hui dans l’âpreté des débats à l’OMC sur le sujet. L’UE notamment milite pour l’extension du plus haut degré de protection à l’ensemble des produits et pour l’établissement d’un registre international avec force obligatoire (Sylvander et al., 2005 ; Sylvander, Lagrange et Monticelli, 2007)81. Les revendications pour une réglementation de la concurrence ne sont pas les seules portées au sein des débats concernant la protection des IG. Celles-ci font également appel à la spécificité des produits sous IG et aux externalités qui sont attachées à leur production (Sylvander et al. 2005 ; Barjolle, Gerz et Sautier, 2007 ; FAO, 2009). Dans les pays les plus concernés les acteurs des marchés spécifiques, y compris les consommateurs, se sont regroupés dans des mouvements sociopolitiques autour des IG : ORIGIN, AFIG, AREPO, Slow Food82. Le succès mondial et grandissant de ce dernier nous amènera, dans la deuxième partie de l’étude, à focaliser l’attention sur son évolution, ses principes et son fonctionnement, avant d’analyser son rôle et son apport novateur dans le développement des territoires. L’AOP et l’IGP sont au centre des stratégies nationales de la France et de l’Italie : en témoigne la primauté par rapport au nombre total des produits qui ont obtenu la protection communautaire83. Celle-ci est fondée sur le Règlement 2081/92 du Conseil du 14 juillet 1992 relatif à la protection des Indications Géographiques et des Appellations d'Origine des produits agricoles et des denrées alimentaires84.

80 Parmi les pays du Groupe de Cairns on trouve de grands pays exportateurs : Argentine, Brésil, Canada, Chili, Nouvelle-Zélande. 81 Voir aussi : Marie-Vivien D., et Thévenod-Mottet E., Une décision de l’organe de règlement des différends de l’OMC. Quels impacts pour la protection internationale des indications géographiques ?, dans : Economie rurale, N. 299, 2007. Cf. aussi le site http://www.iamm.fr/ress_doc/multimedia/conferences/index.html. 82 ORIGIN (Organisation for an International Geographical Indications Network) regroupe des producteurs du monde entier qui tentent de faire reconnaître leur spécificité vis-à-vis du droit international ; AFIG (Association des Régions Françaises des Indications Géographiques) ; AREPO (Association des Régions Européennes des Produits d’Origine). La communauté scientifique aussi s’est organisée, notamment dans les projets DOLPHINS (Development of Origin Labelled Products : Humanity, Innovation and Sustainability) et Siner-GI (www.origin-food.org). 83 En janvier 2010 l’Italie possède 182 produits enregistrés sous DOP et IGP, la France 166 (Source : www.europe.eu). 84 Le règlement 2081 a été amendé en 2003 afin de préciser les conditions permettant l’enregistrement d’IG non européennes, ce qui était nécessaire pour qu’il ne puisse être accusé d’être discriminatoire au vu des obligations de l’accord ADPIC liées au traitement national. Il est aujourd’hui définitivement abrogé par le Règlement du 20 mars 2006, N° 510/2006, relatif à la protection des Indications Géographiques et des Appellations d’Origine des produits agricoles et des denrées alimentaires, avec le Règlement du 20 mars 2006, N° 509/2006 relatif aux Spécialités traditionnelles garanties (STG). L’étude fait référence aux textes fondateurs de 1992, auxquels se réfèrent aussi la plupart des auteurs consultés. Nous ne traitons pas les STG, qui n’existent pas en France et qui sont d’ailleurs remises en question par plusieurs auteurs (Cf. cas de la mozzarella dans : Scheffer, 2002 ; Bérard et Marchenay, 2004 et 2007).

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L'Appellation d'Origine Protégée (AOP) et l'Indication Géographique Protégée (IGP) assurent la protection d'une relation à un lieu. Elles désignent toutes deux « le nom d'une région, d'un lieu déterminé ou dans des cas exceptionnels, d'un pays, qui sert à désigner un produit agricole ou une denrée alimentaire originaire de cette région, de ce lieu déterminé ou de ce pays ». Dans le cas de l'AOP, « la qualité ou les caractères sont dus essentiellement ou exclusivement au milieu géographique comprenant les facteurs naturels et humains, et la production, la transformation et l'élaboration ont lieu dans l'aire géographique délimitée ». L’objectif principal est donc de protéger, à travers un nom, un produit unique et non reproductible dans un autre terroir. L’ensemble du processus de production doit se faire dans une seule et même zone dont il faut démontrer la cohérence et l’influence vis-à-vis des caractéristiques du produit (Nicolas et Valceschini, 1995). Dans le cas de l'IGP « une qualité déterminée, la réputation ou une autre caractéristique peut être attribuée à cette origine géographique et la production et/ou la transformation et/ou l'élaboration ont lieu dans l'aire géographique délimitée ». En somme, l’AOP peut être utilisée pour les productions dont le cycle productif se déroule entièrement (de la matière première au produit fini) à l’intérieur d’une zone définie, alors que l’IGP ne limite pas la totalité du processus productif à l’intérieur d’une zone géographique, mais peut être appliquée aux produits dont au moins une caractéristique (une qualité déterminée, la réputation, ou d’autres) est liée à la zone géographique. Du point de vue juridique, AOP et IGP sont équivalentes, elles sont protégées au même niveau et les produits qui en bénéficient sont inscrits dans un registre au sein de l’UE. La procédure d’inscription dans le registre est terminée en 1996 : il a fallu quatre ans après l’adoption du règlement parce que certains pays de l’Europe du Nord ont mené des actions d’obstruction, mais aussi par les manques de certains syndicats de producteurs dans la présentation des argumentations. Certains auteurs font appel à des justifications pour supporter la nécessité de protéger et valoriser les produits de terroir85. Elles sont aussi invoqués dans les considérants du Règlement (Tab. 3), et répondent aux principes suivants :

• justification par le marché. Du coté des coûts de production, les produits de terroir représentent un outil pour échapper à la concurrence, dont la pression est perçue en mesure croissante comme une menace réelle à la compétitivité de l’agriculture nationale et du système agroalimentaire ;

• justification par la concurrence loyale. Les produits de terroir, en tant que patrimoines, représentent un symbole important de la culture nationale dans le monde entier et ils doivent donc être protégés des imitations et usurpations de dénomination pour donner aux consommateurs une information correcte et loyale ;

• justification par le développement rural. Par leur lien multidimensionnel au territoire, les produits de terroir exercent des effets positifs sur le développement rural, grâce à leur contribution à la durabilité de traditions, cultures, et systèmes socioéconomiques, surtout dans les zones marginalisées, avec des effets de spillover sur l’économie locale ;

• justification par le consommateur. Les consommateurs montrent un intérêt croissant vers les produits de terroir pour plusieurs raisons, en étant normalement perçus comme plus sains et salubres, de niveau qualitatif supérieur par rapport aux produits avec identité inconnue, et permettent aux consommateurs de montrer solidarité et participation vers les cultures et les identités locales86.

85 Sylvander B., Allaire G., Belletti G., Marescotti A., Barjolle D., Thévenod-Mottet E., Tregear A., Qualité, origine et globalisation: justifications générales et contextes nationaux, le cas des Indications Géographiques, dans: actes du colloque SFER Au nom de la Qualité : quelle(s) qualité(s) demain, pour quelle(s) demande(s) ?, Clermont-Ferrand, 5-6 octobre, 2005, pp. 449-456. 86 Sur les justifications voir aussi : Sylvander B., Lagrange L., Monticelli C., Les signes officiels de qualité et

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France Italie Union

Européenne International

Justification par le marché

1970-1985 Politique de réencepagement dans les zones de production de vin de table.

1963-1992 Etablissement d’un cadre général de différenciation des vins. (Décrét présidentiel 930/1963, Loi 164/92).

1970-1985 Règ. 817/70 sur les VQPRD. OMC Vins 1971. Rég. 2081 (considérants).

Rien.

Justification par la concurrence loyale

1905-1970 Loi de 1905 sur la répressions des fraudes. Loi de 1919 sur les AOC. Loi de 1935 portant sur la création de l’INAO. Législation sur la marque.

1712-1962 Règlements spécifiques pour quelques indications géographiques (au début vins, avec le Chianti, puis les fromages et les produits de la charcuterie). 1930 : réglementation des vins typiques.

1982 : réglementation de l’étiquetage alimentaire . Règ. 2081/92 (considérants).

1883 : Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle. 1891 : Convention de Madrid concernant la répression des indications de provenance fausses et frauduleuses. 1951 Convention de Stresa sur les fromages (1951). 1958 : Arrangement de Lisbonne sur les Appellations d’Origine. OMPI.

Justification par le développement rural

1985-2000 Politique des Signes Officiels de Qualité. Loi du 2 juillet 1960. Extension des AOC par l’INAO aux autres produits alimentaires.

1992-2000 Soutien régional aux économies locales par le soutien aux filières agroalimentaires. Règ. 2081/92 Développement rural « étendu » (programmes LEADER).

1985-2000 Règ. 2081/92 (considérants) Règ. 1257/99 : soutien au développement rural par le FEOGA. Accord du Luxembourg (26/06/2003).

Négociations OMC sur la légitimité des boites vertes et bleues et sur les IG. Seattle (1999). Doha (2001). Cancun (2003). Hong Kong (2005).

Justification par le consommateur

2000 La France et l’INAO défendent les DPI dans les négociations internationales.

Mouvement Slow Food. Stratégie de l’UE sur les Droits de propriété Intellectuelle (2000).

OMC : ADPIC, 1994.

Tab. 3 – Les instruments législatifs liés aux justifications des IG. (Source : adaptation faite par moi-même à partir de : Sylvander et al., 2005)87.

Le mouvement Slow Food promeut une vision globale de la qualité, qui intègre la conservation des ressources biologiques (races animales et végétales, ferments, etc.), ainsi que des savoir-faire liés à l’existence même de ces ressources et qui commencent à être adoptés même aux Etats-Unis ou dans les pays du Sud. La reconnaissance des IG en tant que droits de propriété intellectuelle représente un enjeu global puisqu’ils sont l’objet des accords internationaux notamment au sein de l’OMC. Cela implique que si dans les pays du Nouveau monde, où l’initiative individuelle est fortement valorisée, le nom d’un produit n’est pas protégé par une marque, n’importe qui peut l’utiliser et le copier à moindre coût. Ainsi, un nom géographique devient générique puisqu’aucun texte ne protège son usage (Bérard et Marchenay, 2007). Par exemple, le « Prosciutto di Parma » est une marque déposée au Canada et les producteurs italiens de cette AOP n’ont pas le droit d’y vendre leur produit sous ce nom ! Les revendications des vignerons de Napa Valley en Californie, qui militent pour que leurs vins réputés dans ce pays soient enfin reconnus, vont dans la même direction. Légitimer les IG en tant que porteuses d’externalités sociétales (en terme de développement territorial, de paysages, de biodiversité) ainsi que comme un moyen de préserver et de développer des ressources patrimoniales, permettrait d’en faire un outil pour répondre aux d’origine européens, dans : Economie rurale, N. 299, 2007, pp. 13-17. 87 DPI : Droits de Propriété Intellectuelle ; FEOGA : Fond Européen d’Orientation et de Garantie Agricoles ; LEADER : Liaison Entre Actions de Développement de l'Economie Rurale ; OMPI: Organisation Mondiale de la Protection Intellectuelle; VQPRD : Vins de Qualité Produits dans des Régions Déterminées.

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besoins de protection de la biodiversité et des savoir-faire traditionnels pour les pays du Nord comme pour les pays en développement (Bérard et al., 2005 ; Barjolle, Gerz et Sautier, 2007 ; Hirczak, 2007 ; FAO, 2009). C’est dans ce sens aussi que cette étude pourrait donner une contribution. 2.3. La complexité des Indications Géographiques. L’AOP et l’IGP sont donc au centre d’enjeux multiples. Elles peuvent constituer un outil pour le développement des entreprises et des espaces ruraux, lorsqu’elles permettent l’utilisation et la reproduction des ressources du territoire. Delfosse et Ricard, nous l’avons vu, ont dessiné un tableau d’une France des appellations fromagères riche et diversifié. En particulier, D. Ricard parvient à faire une distinction entre AOC libérales et AOC contraignantes, selon la précision et les contraintes du cahier des charges (Cf. chap. 1). Mais qu’est-ce qu’un cahier de charges ? Selon le Règ. 2081/92, le cahier des charges est le document sur lequel se fonde la reconnaissance de l’AOP et de l’IGP. Il rassemble les données essentielles pour la caractérisation du produit à enregistrer dans le registre des appellations et il doit indiquer au moins les éléments suivants : - le nom du produit agricole ou de la denrée alimentaire comprenant l'Appellation d'Origine ou l'Indication Géographique ; - la description du produit agricole ou de la denrée alimentaire comprenant les matières premières, le cas échéant, et les principales caractéristiques physiques, chimiques, microbiologiques et/ou organoleptiques du produit ou de la denrée ; - la délimitation de l'aire géographique ; - les éléments prouvant que le produit agricole ou la denrée alimentaire sont originaires de l'aire géographique ; - la description de la méthode d'obtention du produit agricole ou de la denrée alimentaire et, le cas échéant, les méthodes locales, loyales et constantes ; - les éléments justifiant le lien avec le milieu géographique ou avec l'origine géographique; - les références concernant la ou les structures de contrôle ; - les éléments spécifiques de l'étiquetage liés à la mention « AOP » ou « IGP », selon le cas, ou les mentions traditionnelles nationales équivalentes ; - les exigences éventuelles à respecter en vertu de dispositions communautaires et/ou nationales. Le cahier des charges rassemble donc toutes les caractéristiques que le produit doit présenter et qui le rendent unique, inimitable en d’autres zones au-delà de l’aire géographique d’origine. Les opérations d’écriture du cahier des charges sont les plus importantes en relation à la préparation du dossier pour la demande de reconnaissance de l’AOP ou IGP. Selon Andrea Marescotti (2006), la rédaction du cahier des charges peut être considérée comme une procédure de constitution d’un « standard volontaire », c’est-à-dire qui ne dérive pas de l’application d’une norme88. D’autres auteurs la considèrent comme une formalisation d’une convention de qualité89 opérée par un groupe d’acteurs qui doivent trouver un compromis à partir des conceptions respectives de la qualification, jusqu’à atteindre l’objectif d’un « alignement » des plans individuels (de Sainte Marie et al., 1995). Selon le modèle des 88 Cf. Rocchi, B., Romano, D., op. cit., pag. 151. 89 Sur l’économie des conventions voir : Boltanski L. et Thevenot L., De la justification. Les Economies de la Grandeur, Gallimard, Paris, 1991 ; Sylvander B., Conventions de qualité, concurrence et coopération, dans : Allaire G., Boyer R. (sous la dir. de), La grande transformation de l’agriculture, Economica, Paris, 1995 ; Delfosse C., Letablier M.-T., Genèse d’une convention de qualité, dans : Allaire, G., Boyer, R., (Eds.), La grande transformation de l’agriculture : lectures conventionnalistes et régulationnistes, Economica, Paris, 1995, pp. 97-118.

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« Economies de la Grandeur », les agents tentent de résoudre leurs conflits dans la construction de l’action collective en justifiant leurs actions en faisant référence à des principes généraux. Bien que mobilisant des systèmes de légitimité (ou de valeur) différents, ils tentent de parvenir à des compromis en articulant cette pluralité de « grandeurs » (éthiques)90. Il apparaît clair que les stratégies et les objectifs de ces acteurs sont souvent hétérogènes, voir conflictuels : certains peuvent chercher un renforcement de l’image, pour mieux pénétrer dans les marchés, d’autres peuvent chercher une protection contre l’usurpation du nom et d’autres encore peuvent chercher d’exclure des concurrents potentiels pour s’approprier d’une rente de situation (Bouche, Casabianca et Prost, 2002). En tout cas, la convention de qualité est construite par un groupement d’acteurs qui négocient différentes idées de la qualité déjà exprimées sur le territoire et dont ils sont porteurs91. Cette convention sera à la base de la réussite de la reconnaissance institutionnelle de l’AOC, surtout par rapport à « leur capacité des acteurs à formuler ensemble et à mettre en œuvre une stratégie claire, qui va de pair avec une ‘‘éthique’’ commune »92. Il s’agit donc d’un point critique fondamental. La qualité est en lien direct avec le cahier des charges. De plus, la diversité des caractéristiques des entreprises se trouve par rapport aux idées et aux valeurs qu’elles expriment, mais aussi dans les coûts de production, proportionnels aux volumes et aussi au degré de complexité du cahier des charges. Ainsi, une AOC libérale, pour reprendre le terme de Ricard, se caractérise par la présence de grands groupes et elle exprime la volonté de ceux-ci de s’approprier de la plus-value attachée au lien au terroir du produit, en particulier dans les marchés où la concurrence est aigue (par exemple AOC Réblochon et Comté). Dans ce cas, la protection bénéficie aux grands groupes et les petits producteurs disparaissent. On trouve cette logique aussi dans la filière du Roquefort, que J. Frayssignes (2001) analyse en terme d’ancrage au territoire93. Il s’agit d’une AOC « à géométrie variable », dont le bassin de collecte du lait s’est étendu dans les années ‘70 des Pyrénées Atlantiques jusqu’à la Corse, avant de se recentrer sur le Sud du Massif Central, quand la productivité s’est améliorée et la demande n’était plus en mesure de suivre l’offre. La filière Roquefort a su s’adapter aux crises grâce à la présence de grands groupes (Lactalis), qui ont permis au système de « réguler sa production en développant (ou en créant) de nouveaux débouchés ». La coexistence d’une double stratégie de production liée à l’origine et de production sous marque commerciale, permet au système productif une flexibilité majeure. Cela signifie que « l’expression de filière Roquefort doit donc faire l’objet d’une utilisation prudente », car seulement 55% du lait est transformé en fromage AOC94. Ce qui amène à prendre en compte l’idée essentielle que le modèle explicatif du processus d’ancrage (Tab. 3) d’un acteur dans un territoire se réalise à une échelle avant tout locale, mais en considérant aussi son inscription dans les environnements économique et institutionnel. Le premier renvoie à considérer la demande et la concurrence, aujourd’hui globales, ce qui « oblige les acteurs des filières à s’engager davantage qu’auparavant dans des stratégies promotionnelles »95. Il en va de même pour l’environnement institutionnel, qui s’articule entre l’échelle nationale avec l’INAO et les

90 Boltanski L. et Thevenot L., op. cit. 91 Gonzalez-Diaz M. et Raynaud E., La gouvernance de la qualité des produits, dans : Économie rurale, N. 299, 2007, pag.44 et pp. 52-53. 92 Selon Barjolle D. et Sylvander B., Fondements théoriques et études empiriques de la protection européenne de l’origine des produits agroalimentaires, dans : actes du colloque SFER Au nom de la Qualité : quelle(s) qualité(s) demain, pour quelle(s) demande(s) ?, Clermont-Ferrand, 5-6 octobre, 2005, p. 276. 93 Sur les rapports entre la filière Roquefort et la Corse voir aussi : Delfosse C., et Prost J. A., Transmission et appropriation des savoirs fromagers : un siècle de relations entre industriels de Roquefort et transformateurs corses, dans : Ruralia, N. 2, 1998. 94 Cf. Frayssignes J., L'ancrage territorial d'une filière fromagère d'AOC. L'exemple du système Roquefort, dans : Économie rurale, 264, N. 1, 2001, p. 100. 95 Frayssignes J., op cit., p. 101.

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organisations représentant l’ensemble de la profession laitière, et une échelle internationale qui renvoie à la PAC et aux enjeux de la légitimation des IG lors des sommets de l’OMC.

Niveaux d’analyse

Formes de rapport au territoire

Modalités de mobilisation des ressources productives

Relations avec les autres acteurs territoriaux

Valorisation des caractères du territoire dans la

promotion des produits ACTEUR Producteur laitier

Relations avec fournisseurs et services (appui technique, crédit, engrais, semences, aliments,…)

Diversification (tourisme rural, production fermière…)

Mise en valeur de l’aspect traditionnel et authentique du produit ou du service

Transformateur Relations avec fournisseurs, services et clients (embauche, transport, distribution locale…)

Participation à des projets de développement, sponsoring

Incorporation d’aménités dans le produit AOC (savoir-faire, paysages…) Stratégie de marketing pour les produits génériques

INTERPROFESSION Cohérence Autonomie Capacité organisationnelle

Relations producteurs-transformateurs. Relations clients, fournisseurs et services. Poids économique.

Implication dans des projets de développement local. Synergie avec d’autres secteurs (tourisme…).

Incorporation d’aménités dans le produit AOC

PRODUIT AOC Diversification

Localisation des activités, contraintes techniques inhérentes à l’AOC, lien au terroir, évolution de l’aire d’appellation

Utilisation de la notoriété des produits par les acteurs locaux

Confrontation des modalités de valorisation différenciées (origine vs. Marque commerciale et/ou distributeur)

Tab. 3 – Une grille de lecture de l’ancrage territorial des filières AOC (Source : Frayssignes,

2001) On rejoint de cette façon les questions sur la régulation spatiale, sur lesquelles on reviendra dans le prochain chapitre. L’articulation et/ou la cohérence entre proximité géographique, proximité organisationnelle et proximité institutionnelle semble être une grille de lecture pertinente. En accord avec Perrier-Cornet (2009), on peut se demander « si la proximité organisée qui a un rôle central dans le processus de coordination, peut s’émanciper ou jusqu’où elle peut s’affranchir de la proximité géographique », lorsque celle-ci est considérée comme une contrainte (Torre, 2004). Autrement dit, « même si la proximité géographique joue un rôle non négligeable dans les processus de développement local, elle doit être activée par un autre type de proximité, la proximité organisée »96. L’enjeu est alors de comprendre s’il y aurait ou pas « un intérêt pour les agents impliqués dans un SYAL97, de plus ou moins relâcher leur proximité géographique dans la mesure où ils seraient plus gagnants à s’organiser en réseaux moins strictement territorialisés »98. Pourrait-on trouver une réponse dans le réseau Slow Food ? 2.4. Une pluralité de « mondes de commercialisation ». L’exemple du Roquefort est emblématique d’une AOC réputée bien au-delà de son terroir d’origine, voir dans le monde entier. Il est donc nécessaire qu’elle soit en bonne partie gérée par de grands groupes qui seuls peuvent en permettre la survie dans un tel contexte. Cela prouve aussi que l’industrie, ou mieux, les filières longues, ne sont pas toutes destructrices de la qualité : elles sont la réponse nécessaire à une demande grandissante. Un autre exemple en ce sens est fourni par le « Parmigiano Reggiano », qu’avec une production 96 Filippi M. et Torre A., Organisations et institutions locales. Comment activer la proximité géographique par des projets collectifs ?, dans : Actes du colloque SYAL, Montpellier, 16-18 octobres 2002, cd-rom. 97 Ces concepts seront traités dans le chap. 3. 98 Perrier-Cornet P., Les systèmes agroalimentaires localisés sont-ils ancrés localement ? Un bilan de la littérature contemporaine sur les Syal, dans : Aubert F., Piveteau V., Schmitt B., (coord.), Politiques agricoles et territoires, Ed. Quae, 2009, chap. 2, p. 64.

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de 3.014.659 de tommes, soit près du double du Comté, obtenues à partir de 429 fromageries et regroupant 3.855 producteurs de lait de vache fournissant plus de 100.000 tonnes de lait, reste un produit typique, considéré d’une qualité excellente, exporté (et falsifié) dans le monde entier99! La liste pourrait continuer avec d’autres produits exportés au-delà de leurs frontières : Café de Colombia100, Edam et Gouda hollandais, Feta grecque, Gruyère, Emmental et d’autres fromages suisses… La dynamique de filière semble pouvoir coexister avec celle de la qualité territoriale, même si la garantie de cette dernière n’est pas toujours assurée avec facilité lorsqu’elle est insérée dans un marché de plus en plus globalisé. En effet et à vrai dire, la filière du « Parmigiano Reggiano » que l’on vient d’évoquer, avec celle de son « frère moins noble », le « Grana Padano », souffrent toutes les deux d’un statut ambigu, qui fait que ces deux appellations se détachent de l’ensemble des autres appellations.

Italie France Lait disponible 14.642 24.516

dont pour productions fromagères

10.675 73% 9.364 38%

Fromages produits 1.161 1.897 Dont AOP 460 40% 194 10%

Grana Padano / Comté 163 14% 50 3% Parmigiano Reggiano / Cantal 116 10% 18 1% Gorgonzola / Roquefort 49 4% 18 1% Pecorino Romano / Reblochon 29 3% 17 1%

Tab. 4 – Comparaison des systèmes laitiers français et italien en 2008 (données en tonnes,

source : Rama, 2010). Le tableau 4 montre que la production fromagère italienne absorbe 73% du lait national, dont 40% consiste en fromages d’appellation, ce qui d’un coté sert à expliquer un prix moyen du lait nettement plus élevé en Italie que dans le reste de l’U.E. ; mais les 31% du total des fromages d’appellation se concentre dans les quatre produits du tableau (Grana Padano, Parmigiano Reggiano, Gorgonzola et Pecorino Romano), ce qui rend compte d’une distribution non homogène sur l’ensemble national de ce bénéfice dû à la rente d’appellation. La situation est assez différente dans l’Hexagone, où l’on trouve « autant de fromages que de jours de l'année », comme l’a bien résumé le général De Gaulle, qui se demandait aussi : « comment voulez-vous gouverner un pays où il existe plus de 300 sortes de fromage ? ». Ainsi, seulement 38% du lait produit en France est effectivement transformé en fromage, et le poids des appellations représente 10% du total des productions fromagères. Les quatre premières AOP concentrent 53% du total national, un chiffre qui est donc inférieur par rapport au cas italien. En bref, il apparaît qu’un produit qui se veut de qualité spécifique, en relation aux techniques productives, à l’aire de production, à la provenance du lait, tend à assumer le caractère de produit de masse (Rama, 2010). Cette ambiguïté, qui concerne aussi d’autres filières agroalimentaires de qualité comme celle des jambons, apparaît évidente lorsque l’on se penche sur la dynamique de marché.

99 Chiffres relatives à l’année 2008. Source: Consorzio del Parmigiano Reggiano, site internet. 100 Le café de Colombia bénéficie d’une appellation depuis 2007.

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Fig. 5 – Dynamique croisée des prix moyens du Parmigiano Reggiano en €/kg (ligne bleue) et de la production (ligne jaune) en tonnes (Source : Grandi, 2006).

La figure 5 montre une dynamique considérée comme insatisfaisante, qui amène les syndicats de ces grandes appellations à renouveler leurs stratégies. Cette conjoncture négative semblerait liée à des problèmes relatifs à l’organisation et à la structure internes, qui sont à la base d’une dynamique cyclique des prix aux grossistes, avec des répercussions conséquentes sur le prix payé aux éleveurs (Sckokai, 2008). Les producteurs réalisent des quantités qui tendent à saturer un marché qui rentre régulièrement en crise (Grandi, 2006). Sans rentrer dans les rouages économiques de cette production, il est clair que cette appellation, probablement la plus grande du monde (sûrement si elle est couplée avec celle du « Grana Padano »), témoigne du fait que la typicité, les caractéristiques du terroir, en bref la qualité, peut difficilement cohabiter avec les grands chiffres. En référence aux travaux de R. Salais et M. Storper, nous pouvons classer ces deux grandes AOP et aussi les productions que nous allons examiner dans cette étude101. Ces auteurs fondent leur analyse à partir de deux couples de conventions. Le premier se réfère à la différenciation du produit vs. indifférenciation, et concourt à la coordination dans la relation d’échange et donc à la construction du marché. Le couple spécialisation vs. standardisation concourt à la coordination dans l’action de travail. Par le croisement de ces conventions d’échange et du travail, ils caractérisent quatre « mondes de production ». L’utilité des mondes réside dans le fait qu’ils constituent des registres de l’action, autrement dit, ils favorisent la compréhension des principes d’organisation et d’action auxquels producteurs et demandeurs font référence pour faire face à des situations d’incertitude différentes. Une étude récente sur les circuits courts propose une réinterprétation de ces quatre mondes, qui nous semble cohérente pour placer les systèmes agroalimentaires que nous analysons, caractérisés par une interaction importante entre producteurs et consommateurs102. On peut alors distinguer quatre « mondes de la commercialisation » :

101 Salais R. et Storper R., Les mondes de production, Ed. de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris, 1993. 102 Nous faisons ici référence à : Bénézech, D., Amemiya, H., Renault, M., 2008, Les circuits courts : un ‘monde de commercialisation’ interpersonnel ?, dans : Marechal G. (Ed.), Les circuits courts alimentaires, Educagri, Dijon, pp. 113-123.

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• « le monde industriel, associé à une convention de qualité minimale et clairement identifiée. Les produits proposés visent une consommation de masse exprimée par des demandeurs anonymes. Le prix est la variable importante. Il n’y a pas réellement d’incertitude sur les relations marchandes puisque l’objet de l’échange est standard et la totalité de la demande potentiellement concernée. […] Le marché potentiel correspond à l’ensemble du marché existant pour les produits, qui sont eux-mêmes standard et connus. Il n’y a pas d’incertitude mais plutôt un risque probabilisable de voir s’accroître ou diminuer la part de marché ». C’est le monde du Hard Discount ;

• « le monde marchand est associé à une convention de qualité dédiée à des demandeurs particuliers. Les produits sont élaborés à partir d’une même base technique, mais qui se décline en différentes versions répondant aux attentes de certains segments du marché. Il s’agit de répondre aux besoins diversifiés des consommateurs en leur proposant des produits différenciés. L’incertitude porte sur la disponibilité de ces produits différenciés ». C’est le monde de la grande distribution ;

• « le monde de l’innovation est associé à une convention de qualité en cours d’élaboration. De nouvelles technologies, de nouvelles familles de produits et de nouveaux besoins sont en cours de définition. Les produits sont ainsi des produits spécialisés mais qui s’adressent potentiellement à un marché étendu. L’incertitude se rapporte à l’avenir, c’est-à-dire au potentiel de développement de ces produits/services innovants. Les magasins spécialisés dans la distribution de produits ayant des caractéristiques particulières (bio, commerce équitable…) ou encore la distribution par Internet pourraient correspondre à ce monde. Ce sont de nouveaux modes de commercialisation de produits alimentaires spécialisés ou associés à un service particulier » ;

• « le monde interpersonnel est associé à une convention de qualité négociée entre les partenaires de l’échange. Les produits sont fabriqués à façon, partant de relations particulières d’échange et de négociation/discussion entre les producteurs et les acheteurs potentiels. L’incertitude existe au regard de la capacité de l’un à répondre effectivement aux attentes de l’autre. On serait face à un mode de distribution mobilisant des échanges interpersonnels qui dépassent la simple transaction marchande pour s’inscrire dans une logique de communication directe entre les partenaires de l’échange. C’est donc dans ce monde que se positionneraient les circuits courts, généralement associés à des interactions entre producteur et consommateur ».

Comme tout modèle, même celui-ci ne rend pas exactement la réalité dans sa complexité, mais il permet de comprendre le type de convention qui régit les rapports entre producteurs et consommateurs. Ainsi, le cas évoqué du « Parmigiano Reggiano » rentre dans le monde marchand, voir même dans le monde industriel, puisqu’en Italie comme à l’étranger il est possible de trouver ce fromage sur les étales de magasins Hard Discount, en particulier sous la forme de fromage râpé pré-confectionné. Il est possible d’insérer le « Parmigiano Reggiano » dans les autres mondes aussi, puisqu’on peut trouver des fromageries ou des marchands ambulants qui commercialisent des tommes avec vingt mois, et parfois plus, d’affinage, qui se démarquent du produit standard, plus frais. Mais cela ne constitue pas le moyen principal d’écouler cette énorme production. Le modèle peut donc se prêter à des hybridations. C’est aussi le cas des produits biologiques, lesquels peuvent bien être vendus dans les boutiques spécialisées, mais aussi dans les grandes et moyennes surfaces et, eux aussi, dans les Hard Discounts, même si leurs lieux d’achat principaux ne seront pas ces derniers. Les Associations pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne (AMAP), les distributeurs automatiques de lait cru qui ont beaucoup de succès, notamment dans le nord de l’Italie, la vente à la ferme, les marchés forains, les foires, plus généralement la vente directe, sont des

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formes de commercialisation qui rentrent dans le monde interpersonnel. Ce sont les circuits courts. Les produits sentinelles de Slow Food peuvent alors rentrer dans ce monde, puisque ce mouvement de consommateurs place la nourriture au centre de la vie de ses membres. Ces derniers veulent connaître l’histoire des produits qu’ils achètent, et donc celle des producteurs. Ils s’organisent en « conviviums », lesquels organisent des soirées, des sorties, des animations et des ateliers du goût, avec l’objectif de rapprocher le producteur et le consommateur, défini comme un « co-producteur » (Petrini, 2005). De plus, outre l’organisation de ces événements à l’échelle locale, l’association organise salons et foires nationales (par exemple à Montpellier ont eu lieu trois salons : « Aux origines du goût »), et même internationales : ainsi en 2009 Tours a hébergé « Eurogusto » ; depuis 2007 Bra est la ville de « Cheese », événement dédié aux fromages ; Gênes est la ville de « Slow Fish », le salon de la pêche et des produits halieutiques ; sans oublier Turin, qui est le siège du Salon du goût et de Terra Madre, la rencontre des communautés de la nourriture du monde entier103. Le monde de Slow Food correspond donc au monde de production interpersonnelle. Comme nous le verrons, les relations entre tous les sujets impliqués dans ces démarches originales seront au cœur des études réalisées et elles permettront de comprendre comment ces réseaux alternatifs, - mais il faudrait dire proactifs -, de consommation alimentaire s’organisent socialement et spatialement. Il faut souligner cependant que si certaines formes de circuits courts rentrent dans ce monde, par exemple les AMAP - qui sont d’ailleurs promues par Slow Food, comme en général les autres circuits courts -, Slow Food peut aussi être placé dans d’autres mondes de commercialisation. Par exemple, le mouvement a récemment établi en Italie occidentale des relations de partenariat pour la commercialisation de certains « Presidi » (sentinelles) avec une chaîne de la grande distribution italienne - « Coop » -, traditionnellement attentive aux consommateurs104. Des initiatives similaires existent en Suisse et même en France, comme on aura moyen de constater plus loin. Tout cela signifie que ces initiatives ne concernent pas un nombre insignifiant de personnes mais sont plutôt le signe d’une véritable coupure avec l’époque fordiste. Elles sont aussi une preuve que filières longues et filières courtes ne s’excluent pas les unes avec les autres mais qu’elles peuvent coexister. Ainsi, dans le cas spécifique de Slow Food, producteurs et demandeurs se rencontrent sur la base d’un accord informel fondé sur le partage des valeurs dont les produits sont chargés. Dans le chapitre 3 nous expliquerons l’importance de ce fait. Nous pouvons à ce point distinguer les étapes fondamentales d’une démarche type de valorisation des produits de terroir105.

• Mobiliser les ressources locales. Chaque territoire possède des éléments spécifiques qui le distinguent des autres et qu’il faut activer à travers l’implication des producteurs locaux dans une forme associative. Les objectifs sont ceux d’une acquisition de connaissances, le développement d’un sentiment d’appartenance identitaire, le renforcement de l’organisation suivi par une réflexion critique sur l’ensemble des activités de mobilisation. Un aspect fondamental est une implication la plus large possible de la société locale. Un exemple est celui de l’activité des Groupes d’Action Locale du projet LEADER.

103 Pour un approfondissement des thématiques et des valeurs soutenues par le mouvement on renvoie aux annexes et au site internet : www.slowfood.com. 104 Par exemple Coop envoie à ses associés (elle est organisée sur une base coopérative) le mensuel « Consumatori », où elle informe sur ses initiatives, ses nouvelles marques, des problèmes d’actualité, ou encore elle présente des rubriques sur l’environnement, sur les bonnes pratiques agricoles, et même sur les « sentinelles » Slow Food italiennes. 105 Cf. : Belletti G., Brunori G., Burgassi T., Cerruti R., Marescotti A., Rossi A., Rovai M., Scaramuzzi S., Guida per la valorizzazione dei prodotti agroalimentari tipici, Firenze, ARSIA, 2006.

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• Qualifier le produit. Les acteurs doivent procéder à un alignement des plans individuels qui se traduit par une construction de la qualité partagée. L’objectif est d’aboutir au cahier des charges. C’est une phase tout aussi délicate que la précédente : l’émergence de conflits et le manque d’un accord peuvent empêcher la réussite. Il faudra donc songer à bien viser les objectifs de la qualification pour décider si d’autres formes sont plus appropriées (marque commerciale et/ou distributeur, circuits courts).

• Commercialiser le produit. La promotion du produit doit se faire à travers le choix des canaux de distributions les plus appropriés, en adéquation avec la demande et doit s’appuyer sur la transmission des attributs du produit au consommateur (marketing). Le choix de la grande distribution peut être dangereux puisque ses exigences peuvent altérer la qualité du produit et entraîner une standardisation excessive (par exemple le fromage est un produit vivant : il ne peut pas s’affiner dans les rayons !). Le choix du prix est lui aussi essentiel.

• Intégration avec le territoire. Il est clair que plus le produit est chargé d’attributs territoriaux, plus il permet la valorisation du territoire même et contribue au maintien et/ou à l'amplification des effets de réputation de celui-ci. En même temps, l’interaction entre plusieurs sujets locaux peut créer des synergies et donner naissance à un véritable système de la qualité. On voit cela avec l’agrotourisme, l’organisation de fêtes et d’autres manifestations ; dans le cas du panier des biens, mais aussi dans les itinéraires thématiques (Vandecandelaere et Touzard, 2005).

A la lumière de ces quatre principes-guide, valables pour toute démarche de valorisation (officielle ou pas) nous pouvons affirmer que, à condition de les appréhender dans leur complexité, les produits de terroir peuvent être considérés « comme des ressources pour conserver, faire (ré-) connaître des paysages, des races animales, des milieux particuliers (zones de montagne) tout comme des savoir-faire ainsi que des identités professionnelles ou politiques »106. 2.5. Les limites des Indications Géographiques. L’AOP et de moindre mesure l’IGP assurent au consommateur une qualité qui vient d’un lien au lieu. Elles protègent aussi les producteurs, notamment contre le phénomène des « passagers clandestins » qui pourraient profiter d’une réputation donnée. Elles participent à l’aménagement du territoire à travers la fixation des activités sur celui-ci et peuvent être au centre de projets de développement plus larges. Cependant, elles ne constituent pas toujours le meilleur moyen pour protéger une production de qualité. Nous avons vu que la construction du cahier des charges est une étape cruciale. Les entreprises qui produisent selon des critères qualitatifs élevés feront pression pour que le cahier des charges soit le plus possible rigide et contraignant (Rocchi et Romano, 2006). Ce faisant, elles pourront capter la rente de réputation tout en évitant le phénomène de la « sélection adverse », décrit par Akerlof107. Selon ce mécanisme, le produit de moindre qualité entre en concurrence avec celui de niveau qualitatif élevé en poussant tous les producteurs à s’adapter au standard inférieur avec des effets négatifs sur la réputation du produit même. La motivation du choix d’un cahier des charges strictement codifié tient souvent d’un attachement fort à la tradition, aux savoir-faire locaux, mais doit être évaluée avec attention. En effet, les agriculteurs peuvent se retrouver face à des grosses difficultés dans l’élaboration

106 Devautour H. et Moity-Maïzi P., Approche pluridisciplinaire des processus de qualification des produits et des manières de produire, dans: Produits de terroir, filière qualité et développement durable, (Séminaire), Montpellier, 22 juin 2006, p. 5. 107 Cité par Dedeire M., Le concept d’agriculture de terroir, thèse de doctorat, université de Montpellier, 1997, pag. 269.

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du cahier des charges et des plans de contrôle. Les coûts relatifs sont souvent disproportionnés par rapport à une activité qui dégage de faibles bénéfices. En clair, la protection garantie se traduit par des coûts à soutenir, notamment pour les contrôles des organismes certificateurs. Par exemple, le choix de garantir les qualités organoleptiques par des séances de dégustation ou encore certains standards hygiéniques ou plus simplement choisir un emballage plutôt qu’un autre… Bref, si les coûts sont trop élevés, ce qui est le cas pour de nombreuses entreprises artisanales ou familiales, celles-ci seront alors mises à l’écart et ne pourront pas bénéficier des avantages de l’IG. La stratégie collective est encore une fois un facteur déterminant, associée à un niveau de formation et de compétence des responsables locaux ou du Syndicat. De l’autre coté, les acteurs qui produisent avec de standards qualitatifs bas ont tout intérêt de négocier une convention aboutissant sur un cahier des charges moins restrictif. Cela peut trouver motivation dans l’obtention d’une AOC libérale, pour le dire avec Ricard, donc une IG avec des coûts de gestion inférieurs, ce qui équivaut à un compromis vers le bas avec ceux qui produisent sur des niveaux de qualité élevés. Le potentiel « collectif » de l’IG sera dans ce cas réduit et elle n’aura plus que « le simple rôle de signaler une qualité minime ». On peut alors affirmer avec Belletti « que le Règ. CEE 2081/92 dans certains cas peut amener à un compromis qui réduit la crédibilité du produit même »108. Encore, derrière les critères de choix d’un zonage peuvent se cacher des motivations différentes et difficiles à interpréter : on retrouve souvent telle ambiguïté dans les AOC viticoles. Soit les producteurs s’attachent à une définition stricte du terroir qui met en exergue les caractères physiques, soit derrière le terroir se cache la volonté de s’approprier une rente foncière comme l’a montré Hinnewinkel dans le Bordelais et dans le Chianti, comportement qu’on trouve aussi dans la DOC Prosecco, que nous avons évoqué plus haut109. L’histoire des AOC viticoles françaises témoigne d’une fragmentation énorme des zones d’appellation, ce qui peut engendrer des « effets d’encombrement » avec la conséquence négative de rendre peu lisible le signe officiel de qualité (Perrier-Cornet, 2009)110. La situation n’est pas meilleure en Italie. En effet, il est légitime de se demander comment le consommateur qui ne s’intéresse pas à la géographie peut se débrouiller face à un Everest d’appellations qui laissent parfois perplexe : tel est le cas pour l’AOC Foin de Crau, mais on peut aussi penser à la quantité d’eaux minérales italiennes (il suffit de jeter un coup d’œil à la publicité dans les médias), dont aucune ne bénéficie d’une IG alors qu’on en trouve une dizaine en Allemagne. Il existe un risque réel de banalisation des IG. Pourquoi peut-on faire de la « Bresaola della Valtellina » IGP, charcuterie prisée, avec de la viande brésilienne ? Quelle est la logique derrière l’obtention d’une IGP pour l’haricot de Tarbes, plutôt que pour la châtaigne du Monfenera (Trévise) ? Souvent de tels produits n’ont aucune reconnaissance en dehors de leur département ; est-il vraiment approprié d’engager une procédure longue, difficile à gérer et parfois coûteuse pour de si petites productions ? Dans un article dédié à la montée en puissance des nouveaux pays viticoles, le géographe A. Bailly affirme que « le marketing des vins des cépages aromatiques constitue le nouveau front

108 Belletti G., I percorsi di istituzionalizzazione delle produzioni agroalimentari tipiche, dans : Tipicamente buono. Concezioni di qualità lungo la filiera dei prodotti agro-alimentari in Toscana, Rocchi B., Romano D., (a cura di), Chap. 6.2.4, pag. 130. 109 Cf. l’article original de: Bonnain-Dulon R., et Brochot A., De l’authenticité des produits alimentaires, dans: Ruralia, num. 14, 2004. Les auteurs montrent que l’appellation et les conditions de production et d’élaboration de produits différents comme le champagne où le haricot tarbais ne suffisent pas à démontrer l’authenticité du produit. Les auteurs soutiennent la thèse que la vérité est dans le choix du consommateur. 110 On compte 473 AOC viticoles soit 78.000 producteurs pour une valeur commerciale de 15 milliards d’€/an, sur un total de 600 IG (AOP+IGP) qui regroupent 142.000 producteurs et 19 milliards d’€/an. (Source : Lalague L., Geographical indications (gis): the situation in France, dans : Gerz A., Barjolle D., Sautier D., (Scientific editors), Geographical Indications. A way forward for local development, International Training Module, 2007.

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de la viticulture »111. Ces vins concurrents ont des atouts dans l’application des technologies vitivinicoles, dans les grands volumes de production et dans un prix souvent plus bas par rapport aux vins d’appellation. Comment interpréter le fait que les grandes familles françaises (Rotschild, Pernod-Ricard…), déjà propriétaires de grands crus sous AOC prestigieuses, ont investi en Californie, au Chili, en Afrique du Sud, en Australie et aussi en Chine ? Est-ce le signe d’un abandon des vins de terroir ou seulement une mode ? L’Institut Agronomique Méditerranéen de Montpellier a récemment proposé un projet de création d’un label « Terroirs méditerranéens » fondé sur la présumée légitimité, tant historique qu’économique, du très connu régime alimentaire méditerranéen. Une légitimité qui paraît trouver un appui sur la demande récente (octobre 2007) de l’Espagne, soutenue par la France, la Grèce et l’Italie de faire inscrire au patrimoine culturel immatériel (PCI) mondial ce modèle alimentaire. Il s’agirait de créer une marque ombrelle pour tous les produits des pays méditerranéens qui possèdent déjà une IG sur leur territoire national (Rastoin, 2008). Quelle interprétation donner à de telles initiatives ? S’agit-il d’une solution face à la concurrence de nouveaux pays tels l’Australie, l’Afrique du Sud ou l’Argentine? N’allons nous pas à l’encontre d’une nouvelle banalisation des produits ? N’y aurait-il pas le risque de substituer une concurrence verticale (produits de terroir contre produits standard) avec une concurrence horizontale (IG contre IG) ? Il est difficile de trancher et d’avoir des réponses certaines à l’état actuel. L’ouverture à la concurrence internationale est un enjeu important. Ce qui est fondamental aujourd’hui, c’est le contenu de l’information sur le produit alimentaire lorsqu’il a un caractère artisanal. L’appellation peut théoriquement réduire l’asymétrie d’information lors des échanges. L’information sur la qualité du bien ne serait, dans ce cas, plus mise en cause lors de la révélation du prix de marché, ce qui n’est pas confirmé dans la réalité, puisque l’interprétation de la notion d’AOP et d’IGP est variable dans l’espace européen, comme le sont les cultures identitaires des pays membres de la communauté (Dedeire, 1997). De plus, nous avons vu que les justifications par la concurrence loyale et par le marché ne sont que deux parmi d’autres. Si l’IG peut être un outil d’aménagement du territoire, il faut se rappeler que le développement local par définition ne se décrète pas et il doit s’appuyer sur des logiques non exclusivement marchandes (Pecqueur, 1989). La prise en compte des externalités environnementales devrait être la voie à suivre. En témoigne l’émergence de formes de consommation alimentaires dites « alternatives », dont les AMAP, la vente directe, plus généralement les circuits courts ; ou encore l’agriculture biologique et le mouvement Slow Food en Europe et aussi dans le Nouveau monde, où le concept d’IG a du mal à trouver une place (Goodman, 2003 ; 2004). Dans un contexte où « les niveaux actuels de dépense pour les mesures de Développement Rural avec objectifs généraux environnementaux apparaissent insuffisants par rapport à l’échelle de la demande de la société », agir pour « chercher d’obtenir des résultats environnementaux supérieurs au niveau de référence réglementaire » semblerait être une voie pertinente, encouragée par les récentes orientations de la politique européenne112. 2.6. Quand les Indications Géographiques ne suffisent pas : la voie de Slow Food. Avant de voir comment les (rares) auteurs ont abordé l’étude de Slow Food, s’attarder sur un dernier exemple peut déjà donner une épreuve au soutien de cette association.

111 Bailly A., Le temps des cépages. Du terroir au système-monde/Local or global stratégies for winegrowing, dans : Annales de Géographie, Vol. 109, N. 614, 2000, pp. 516-524. 112 Cf. Cooper, T., Hart, K., et Baldock, D., The Provision of Public Goods Through Agriculture in the European Union, Report for DG Agriculture and Rural Development, Institute for European Environmental Policy, London, 2009, pag. 21.

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En effet, il se révèle parfois nécessaire de réaliser un « Presidio113 » même quand un fromage existe, a une diffusion sur le marché et il est aussi protégé par une Appellation d’Origine Protégée. Ce sont les cas de la « Robiola di Roccaverano » et de l’ « Asiago » 114. Roccaverano est un village dans les « Langhe », collines de la province d’Asti, située dans le Sud du Piémont. Il donne son nom à un des rares fromages de chèvre italiens, peut-être le meilleur, sûrement le seul capable de soutenir la comparaison avec les plus célèbres chèvres françaises. Ce fromage a risqué d’être dénaturé par la DOP même, cet-à-dire par l’instrument législatif qui devrait le protéger : en effet son cahier des charges permettait de produire la « Robiola di Roccaverano » avec 85% de lait de vache, avec la partie restante de chèvre ou de brebis. On est donc face à un paradoxe : produire un chèvre de terroir, sans une goutte de lait de chèvre ! La mise en place d’un « Presidio » a été alors nécessaire pour garantir un débouché aux petits producteurs qui vivent sur ces collines sauvages de l’élevage de leurs chèvres. A travers leur savoir-faire traditionnel, ils transforment les faibles quantités de lait cru de leurs troupeaux pour obtenir des « robiole » qui changent d’un pâturage à l’autre, tout comme les crus des grands vins, mais qui naturellement ne pourraient jamais survivre si elles sont vendues au prix des « robiole industrielles » au lait pasteurisé. Contrairement à la « robiola », la DOP Asiago est une des plus importantes d’Italie en termes quantitatifs. Sa production annuelle dépasse 1.700.000 de tommes, exportés au-delà des Alpes et même aux Etats-Unis115. Elle prend le nom du haut plateau de Asiago, dans les Préalpes au Nord de la province de Vicence (Vénétie), fréquenté en hiver comme en été et connu pour la beauté du paysage et pour avoir été le théâtre d’âpres affrontements lors de la première guerre mondiale et de la Résistance. Pour faire face à cette demande, la zone d’appellation s’étend bien au-delà de ces montagnes : le bassin de collecte arrive ainsi jusqu’à la plaine au Sud et dans la région voisine de Trento au Nord. Dans ce contexte, les quelques vingt bergers qui amènent les vaches en estives dans les pâturages les plus hauts, dont le lait est parfois encore trait à la main, produisent une tomme qui vient ensuite affinée 19 mois (mal dit !), voir plus. Il s’agit d’un produit rare, pas plus de 10.000 tommes qui, par leur complexité gustative et leurs arômes d’herbes et fleurs, n’ont rien à voir avec les millions de tommes qui arrivent dans les supermarchés de toute la péninsule116. De plus les bergers, qui souvent n’adhèrent pas à la DOP, n’ont pas le droit de vendre leurs tommes avec le nom d’Asiago. La réalisation du « Presidio dello Stravecchio di malga » a ainsi été providentielle pour empêcher la disparition d’un autre produit de terroir, autrefois vendu au prix de ses concurrents industriels. Ces deux exemples sont emblématiques des valeurs qui poussent les membres de Slow Food à se mobiliser. Comme on verra dans la partie suivante, d’autres actions complètent la large gamme d’initiatives de ce mouvement global qui commence à être considéré même au sein de la communauté scientifique. L. Bérard et P. Marchenay en parlent dans un chapitre dédié à la consommation laquelle, « tout comme le processus de production, est un phénomène localisé qui passe par une

113 « Presidio » est la traduction en italien de « Sentinelle ». Le mot est particulièrement significatif car il renvoie à une image de gardiens d’un territoire. Cf. Partie II et annexes. 114 On reprend ici un exemple présenté dans le livre : Le forme del latte. Manuale per conoscere il formaggio, Slow Food Ed., 2007. Il s’agit d’une véritable encyclopédie qu’en 413 pages analyse toutes les phases de la transformation du lait, à partir de la composition florale des pâturages, jusqu’aux fiches de dégustation pour évaluer un fromage, en passant par les techniques de production, la législation ou encore la classification des fromages par type et par pays. 115 Source: Consorzio dei produttori di Asiago (site internet). 116 Pendant l’écriture de ces lignes (janvier-février 2010), la chaine de fast-food MacDonald’s a lancé son nouveau produit « MacItaly » contenant certains produits DOP, avec l’aval du Ministère de l’agriculture. Est-ce le signe d’une dérive productiviste des Syndicats des producteurs ou d’un tournant qualitatif de la firme transnationale ? S’agit-il d’une réponse aux critiques, d’un signe des nouvelles attentes des consommateurs ? Il n’est pas anodin de se demander si une initiative similaire puisse vraiment aider à promouvoir les produits « made in Italy », ou plutôt, à les banaliser.

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grande familiarité entre le consommateur et le produit »117. Les produits de terroir renvoient à des valeurs culturelles symboliques et le consommateur local n’aura, à leur égard, pas le même comportement que le consommateur « étranger ». Se référant à l’évolution du goût, à la fois liée à la culture et aux nouvelles techniques, les auteurs soulignent le fait que la « familiarité » dépend d’une connaissance préalable du produit. Informations et campagnes marketing ont pour objectif d’initier et d’agrandir le groupe de « connaisseurs », ce que la proximité ou la restauration régionale complètent de façon concrète et efficace. Ainsi Slow Food prônant la défense du goût et de la biodiversité, participe aussi à la mise en valeur du rapport privilégié entre produits locaux et goût authentique, ce que les auteurs estiment salutaire et d’autant plus nécessaire que les normes et régulations européennes rendent la vie difficile aux petits producteurs locaux. Le chapitre s’achève d’ailleurs sur cette image contraignante des normes d’hygiène qui freinent les productions locales. Le rôle des AOC s’avère alors prépondérant, surtout si la démarche est fondée sur des critères gérables de qualité. Vincent Marcilhac, doctorant en géographie de l’alimentation à l’université Paris-Sorbonne a écrit un chapitre dédié à Slow Food118. Il met en évidence les ruptures dont le mouvement est porteur et que nous avons déjà touché : la reprise en main des études sur l’agriculture et l’alimentation par la géographie, une redéfinition du terroir et de la qualité alimentaire ouverte sur les facteurs culturels et humains et non figée sur une vision hygiéniste. D’autres ruptures sont évoquées. La gastronomie, anciennement considérée dans l’opposition entre haute cuisine bourgeoise et cuisine paysanne, vient d’être réinterprétée. Elle devient alors une véritable science et passe entre autre, par une cuisine de terroir, plus locale, qui se distingue d’une nourriture standardisée fournie par l’agro-industrie. Ainsi Slow Food a créé l’Université des Sciences Gastronomiques, structure privée et légalement reconnue, qui accueille des étudiants venant de tous les continents. Une dernière rupture concerne le consommateur qui assume un rôle nouveau avec Slow Food : il est éduqué, responsable et solidaire. Il devient « co-producteur » de son alimentation puisqu’il connaît ce qu’il mange : un aliment « bon », « propre » et « juste ». Ainsi, à travers le choix conscient d’une agriculture garante de la diversité paysagère et alimentaire il devient « éco-gastronome » et il est intégré dans le système de production grâce à un lien plus étroit avec le paysan. Cela renvoie à la notion de nourriture, définie comme « un réseau de personnes, de lieux, de produits et de savoirs ».

Fig. 6 – Le fonctionnement multiscalaire de Slow Food (Source : Marcilhac, 2009).

117 Bérard L. et Marchenay P., Les produits de terroir. Entre culture et règlements, CNRS Éditions, Paris, 2004, pag. 158. 118 Il s’agit de : Qualité, terroirs : la voie de la Slow Food ?, dans : Moriniaux V., Nourrir les hommes, 2009, pp. 97-109.

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Il termine sa contribution après avoir décrit le fonctionnement multiscalaire de ce réseau (fig. 6), dont Slow Food fait partie avec les « communautés de la nourriture», autrement dit les consommateurs, les chercheurs, les chefs, les professionnels de la bouche, un véritable « réseau de réseaux » qui trouve sa matérialisation tous les deux ans à Turin, dans Terra Madre, la rencontre internationale parallèle au Salon du goût, où ces communautés se retrouvent avec la possibilité d’échanger des expériences ou pour participer à des séminaires scientifiques119. Pour Marcilhac, Slow Food n’est pas une mode ni un luxe, ni une « préoccupation superflue d’une petite minorité des consommateurs développés », puisque le mouvement intègre le principe de solidarité matérialisé dans le prix « juste ». Il doit être considéré comme « un modèle alternatif de consumérisme alimentaire » dont en témoigne la limitation des budgets d’emballages, de publicités et de transports, ainsi que du nombre d’intermédiaires. Ce n’est pas non plus un cas isolé, limité à une seule partie du monde : la carte en figure 7 montre comment le mouvement a été capable de sortir des frontières italiennes, tant qu’aujourd’hui il est présent dans tous les continents, ce qui constitue la preuve de l’existence d’une « géographie alternative de l’alimentation » en train de renforcer sa place dans les sciences sociales120. On peut remarquer en particulier, une présence assez forte dans le nouveau monde, en premier lieu aux Etats Unis, ce qui pourrait surprendre lorsque l’on considère que c’est dans ce pays que le modèle critiqué du fast food est né. Les pays du groupe de Cairns, parmi les opposants à une reconnaissance globale des IG, sont également parmi les pays où bon nombre de consommateurs se sont organisés dans des conviviums Slow Food. Enfin, même s’il faut avouer que la présence est plus consistante dans les pays du Nord, il est quand même possible d’identifier un bon nombre de pays du Sud dans lesquels le mouvement a développé des projets, en particulier en Amérique Latine mais aussi dans certains pays d’Afrique ou de l’Europe de l’Est.

119 Les communautés de la nourriture sont définies comme un « groupe de personnes engagées dans la production, transformation et distribution d’un aliment particulier et qui sont étroitement lies à un lieu géographique, du point de vue historique, social ou culturel » (www.terramadre.info). Cf. Annexes. 120 Selon Whatmore and Thorne, 1997, cité dans : Murdoch J., Marsden T., Banks J., Quality, nature, and embeddedness: some theoretical considerations in the context of the food sector, dans : Economic Geography, num. 76, 2, Apr. 2000, pag. 107. Cf. aussi : Maye D., Holloway L., et Kneafsey M., Alternative Food Géographies, Emerald, 2008.

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Fig. 7 – L’organisation des consommateurs dans le réseau Slow Food dans le monde.

Plus complète et plus proche à cette étude est celle d’un autre géographe, Daniel Ricard, laquelle nécessite d’être prise en considération pour les enseignements fort utiles qu’on peut en tirer121. Ricard compare deux « produits Slow Food » : les lentilles blondes de la planèze de Saint-Flour et celles de l’île italienne d’ « Ustica », deux productions « confidentielles » mais de qualité, qui deviennent un vecteur de développement local à travers l’engagement de la société civile réunie dans l’association Slow Food. Incapables de survivre dans les marchés de masse, ces productions ont récemment entamé la voie de la qualité dans des secteurs de niche. Leur succès passe alors par la valorisation du terroir, qui s’exprime par un ancrage territorial et identitaire des milieux naturels qui favorisent ces cultures, la préservation de méthodes traditionnelles de production, à coté d’innovations comme l’agriculture biologique à « Ustica » ou la commercialisation dans les circuits courts ou encore, la reconnaissance de la qualité organoleptique et un marketing ciblé grâce au soutien de Slow Food. Il s’agit « de vraies micro-filières qui vont bien au-delà de la simple diversification agricole par la vente directe ». L’auteur détermine ainsi quatre éléments clé qui permettraient de comprendre comment ces productions fragiles peuvent s’insérer dans l’économie globale et les filières agroalimentaires modernes.

• D’abord, selon la loi de l’économie classique l’offre doit être en adéquation avec la demande. Dans ce cas, le seul choix possible est celui d’un marché de niche, ce qui pousse les producteurs à chercher la qualité maximale entraînant une hausse du prix jusqu’à trois fois plus que les produits tout venant. Les débouchés ne manquent pas, comme démontre l’intérêt que même la grande distribution porte à ces produits dans le

121 Ricard D., Le renouveau des productions agroalimentaires de qualité. Le cas des lentilles blondes en France et en Italie, pp. 71-77, dans : Méditerranée, revue de l’université de Provence, n° 109, 2007.

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contexte français, ou encore l’attention des médias siciliens et plus généralement d’une société locale où la culture gastronomique est un trait marquant.

• Le rôle de Slow Food est essentiel. En Italie, elle est considérée comme une « véritable institution » qui bénéficie du soutien financier de Rome et des Régions et qui emploie une centaine de salariés tandis qu’en France elle est moins connue. Au-delà du fonctionnement de l’association auquel on renvoie aux annexes, Ricard souligne que « Slow Food a bien un rôle clé dans la dynamique de reconquête de telles micro-filières souvent isolées et sans moyens financiers ». Grâce à une action de communication très forte, en mettant l’accent sur des relations très conviviales et à l’organisation d’événements d’envergure internationale (Salon du goût avec 100.000 visiteurs), Slow Food « offre une très utile ouverture sur l’extérieur, vers les consommateurs, vers d’autres filières, voire vers des entreprises commerciales ». Par exemple, elle a financé le déplacement de représentants de la lentille de Saint-Flour en Sicile en 2006 et c’est toujours grâce à elle que ces derniers entrent en contact avec une chaîne de la grande distribution suisse.

• Le succès de ces micro-filières doit beaucoup à l’implication des acteurs du territoire. En Sicile, la commercialisation est organisée par chaque producteur au détriment de la dimension collective mais Slow Food arrive à compenser cette faiblesse, tandis qu’à Saint Flour la limite à pallier est dans un modèle collectif « top-down » qui relèverait d’une impulsion forte des politiques locaux. Comprendre les mécanismes de la distribution et de la communication, l’articulation entre marché local et global et les attentes des consommateurs « exige de gros efforts de réflexion et d’adaptation et pose la question de la formation, pour des exigences qui, il faut bien l’avouer, sont loin de celles dispensées dans les lycées agricoles ». La réussite des productions de qualité doit passer par l’action de leaders éclairés.

• Le contexte local et les politiques communautaires sont aussi à prendre en considération. Dans le Cantal où l’agriculture s’est vite tournée vers le productivisme, le choix conscient des agriculteurs de Saint Flour d’aller contre le « mainstream » est souligné et s’avère gagnant, malgré une PAC qui a toujours soutenu les grands exploitants, a encouragé la prime à l’herbe, bref, a toujours imposé des règles pas toujours adaptées au local et au contexte particulier de ces petits producteurs. La situation insulaire d’ « Ustica » empêche toute modernisation d’une agriculture qui reste archaïque et manuelle, ce qui devient un véritable actif spécifique. La conversion aux méthodes biologiques et l’attrait sur les touristes permettent une exceptionnelle valorisation du produit dans une société italienne dans laquelle, selon l’auteur « la standardisation de l’alimentation reste plus limitée qu’ailleurs en Europe, et où les épiceries de quartier et les marchés tiennent encore une place importante à côté d’une grande distribution moins omniprésente qu’en France ». De plus l’agriculture de l’île a été pratiquement oubliée par la PAC, ce qui amène Ricard à se demander si « les agriculteurs d’Ustica ne sont-ils pas finalement en avance sur l’évolution de la PAC, eux qui réussissent à se passer du soutien financier de Bruxelles, un soutien pourtant vital pour le producteur de lait breton ou le céréalier aquitain ? ».

Cette recherche veut apporter une aide à la recherche d’une réponse à celle-ci comme à d’autres questions. Un élargissement spatial des produits agricoles de terroir au niveau international est un risque pour de nombreuses petites réalités. La Politique Agricole Commune n’a pas encore changé ses orientations de fond et malgré quelque signe timide, reste toujours vouée à des logiques concurrentielles. Pour ce qui concerne les IG, nous sommes d’accord avec M. Hirczak (2007) sur le fait que, malgré l’émergence d’une véritable réglementation, on constate clairement que celle-ci a en fin de compte, encore du mal à se

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positionner dans une direction générale qui reste en faveur à la fois d’une logique productiviste bien présente et d’une qualité plutôt générique afin de privilégier la sécurité et l’information des consommateurs. Tout ceci est bien entendu en lien direct avec les mécanismes régissant les échanges internationaux. L’agriculture de terroir reste une forme d’exploitation particulière de l’espace utile à l’agriculture et au reste des acteurs du monde rural. Il convient de préserver cette spécificité pour que ces agricultures originales et typiques puissent être à l’avenir des systèmes de développement économique générateurs d’emplois (Dedeire, 1997). Nous aussi comme Ricard, avec la démarche comparative chercherons à comprendre comment Slow Food intervient dans le territoire italien de la province de Trévise et dans celui du département de l’Hérault en France. L’identification du réseau d’acteurs, la densité de relations qu’ils tissent, le contexte géographique, l’éventuelle ouverture sur l’extérieur ainsi que l’implication des consommateurs nous permettront de tirer des conclusions sur le rôle de cette association dans le développement local des territoires. Ce serait aussi une preuve que « les possibilités politiques de la consommation (soient) moins le renversement révolutionnaire du capitalisme mais plus d’une simple opportunité de marché de niche »122.

122 Goodman D. et DuPuis M., Knowing Food and Growing Food: Beyond the Production-Consumption Debate in the Sociology of Agriculture, dans : Sociologia Ruralis, vol. 42, num. 1, 2002, pag. 18.

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Chapitre 3. Etudier la valorisation des produits du terroir avec une approche multidisciplinaire.

3.1. De l’économie industrielle à l’économie territoriale. Depuis les années ’70, l’expansion du capitalisme s’est considérablement accélérée et le degré d’interpénétration des principales économies développées a engendré le phénomène qu’on appelle globalisation, laquelle a pour effet d’annuler les frontières et faire disparaître toute notion de distance, entraînant un nouveau rapport à l’espace et au territoire dans la circulation des biens, des services, des personnes, de l’information (Benko et Lipietz, 1992 et 2000 ; Veltz, 1996 ; Pecqueur, 2000 ; Castells, 2001). Cette nouvelle géographie du développement économique témoigne d’une propension générale à l’agglomération spatiale des activités, soit sous forme de grands complexes d’entreprises et d’activités, soit sous forme de concentrations plus restreintes autour d’une spécialité et d’un métier. Ces processus d’agglomération portent à une localisation des activités économiques, que les économistes traditionnels ont cherché d’expliquer avec les concepts des rendements croissants, les coûts de transport et les externalités positives d’agglomération. Ces approches sont aujourd’hui dépassées par l’économie territoriale, laquelle a donné naissance à une série de champs de recherche dont on présente par la suite les principaux domaines d’étude. L’économiste italien Giacomo Becattini a montré dès les années ’70, que le phénomène du dynamisme industriel et créatif de la « troisième Italie » (ni le nord dominé par l’industrie fordiste, ni le « Mezzogiorno ») se fondait sur la persistance de savoir-faire traditionnels qui ont su s’adapter, garder une spécificité et un ancrage au lieu, malgré le grand nivellement conséquent au fordisme et son cortège de concentration d’entreprises, de délocalisations et de standardisation des produits. Becattini a réactualisé la notion de district marshallien et définit le district industriel comme « une entité socio-territoriale caractérisée par la présence active d’une communauté de personnes et d’une population d’entreprises dans un espace géographique et historique donné. Dans le district, à l’inverse de ce qui se passe dans d’autres types d’environnements, comme les villes manufacturières, il tend à y avoir osmose parfaite entre communauté locale et entreprises »123. Les districts se basent donc sur la construction sociale des mécanismes de marché et sur l’existence de mécanismes de coordination des activités productives, à la fois de marché et hors marché, comme la famille ou la communauté, basés sur la confiance, la réciprocité, ou le don (Benko et Lipietz, 1992 ; 2000, Triglia, 2002). Ces relations sont inscrites sur un territoire (« embeddedness ») et construites sur la durée. De ce fait, la structuration d’un district repose sur des mécanismes cumulatifs engendrés par des circonstances particulières qui rendent chaque expérience unique, difficilement généralisable comme « recette » de développement au niveau local. Il s’agit d’une coexistence de concurrence et de complémentarité entre les entreprises, une proximité qui réduit les coûts de transaction, un climat local qui favorise les innovations, et une mobilité très forte du marché de l’emploi qui permet de réduire les délais d’ajustement (Triglia, 2002). Ce climat local peut s’apparenter à l’expression d’ « atmosphère industrielle » introduite par les travaux précurseurs de A. Marshall (Greffe, 2002).

123 Becattini G., Le district marshallien : une notion socio-économique, dans : Benko G. et Lipietz A., Les régions qui gagnent, PUF, 1992, pp.37-54.

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On doit en effet à Marshall l’introduction d’un concept fondateur, celui d’économie externe ou externalité. En effet, l’existence d’économies d’échelle, autrement dit l’efficience accrue qui accompagne l’élévation du volume de production, peut être générée par l’augmentation de la taille des firmes (économies internes), mais aussi par la manifestation d’économies externes qui dépendent plus de la concentration urbaine ou régionale des firmes qu’à la dimension de l’entreprise (Courlet, 2008). La prise de conscience que « les secrets de l’industrie sont dans l’air » et que les techniques se transmettent mieux dans une situation de contiguïté géographique a porté à définir et à étudier les districts industriels. A partir du constat qu’ils arrivent à coexister à côté de la grande production fordiste, les districts industriels ont été parfois idéalisés : certains auteurs sont arrivés à affirmer que le régime fondé sur la spécialisation flexible, représenté par le district, aurait pris la place du système fordiste (Benko et Lipietz, 1992 ; Vidal, 2000). D’autres soulignent encore aujourd’hui le fort degré de compétitivité de ces formes d’organisation, en faisant l’exemple du cas italien identifié sous le nom de « décentrement productif », « modèle NEC » - Nord Est Centre - , « Italie du centre»124. L’universalité de ce « modèle » n’est d’ailleurs pas confirmée, comme le remarquait Xavier Greffe déjà en 2002. En se référant à l’Italie, cet auteur identifiait une désaffection croissante des jeunes pour l’activité entrepreneuriale, outre une mondialisation qui a obligé les PME à s’adresser à des entreprises importantes situées dans de grandes agglomérations, avec l’apparition d’inégalités125. Ainsi, dans des contextes de dette publique explosive, les autorités nationales sont conduites à multiplier les aides en faveur de la compétitivité, une grande partie de PME sont devenues sous-traitantes de firmes multinationales, les partages en matière de réseaux de nouvelles technologies ne se sont pas effectués comme cela aurait pu l’être126. Cependant, même si un district historique comme celui de « Prato », depuis le début de l’actuelle crise économique a déjà perdu 9.000 emplois sur 44.000, les entreprises des districts semblent celles qui supportent mieux la difficile conjoncture actuelle127. En tout cas, ce même district parmi d’autres avait déjà fait l’objet de critiques par Benko, Dunford et Lipietz en 1996. Ces auteurs ont montré que des districts fleurissent un peu partout dans le monde, notamment dans le Sud, avec des logiques propres et considéraient que « le vent du district souffle où il veut »128. De plus, nous pourrons voir dans l’étude de terrain en Vénétie que ce développement réticulaire de la production industrielle n’apporte pas que des bénéfices mais qu’il est aussi porteur d’externalités négatives, en particulier lorsqu’il est centré sur des logiques purement marchandes et il ne prend pas en considération les volets sociaux et environnementaux qui aujourd’hui tendent de plus en plus à être intégrés dans une logique de durabilité des ressources et donc du développement (Godard, 2007). Ces considérations nous amènent à repenser le caractère de modèle pris par les districts italiens, au moins pour ce qui concerne les entreprises industrielles qui d’ailleurs s’éloignent de l’objet de cette recherche129. 124 Cf. Becattini G., Scritti sulla Toscana, ed. Reg. Toscana, Le Monnier, 2007. 125 Greffe X., Le développement local, Ed. l’aube/DATAR, 2002, pp. 73-78. 126 Cf. Bellet M., Politique technologique et structures informationnelles : le rôle des relations de proximité, pp. 197-221, dans : Gilly J. P., et Torre A., (sous la dir. de), Dynamiques de proximité, L’Harmattan, 2000. 127 Dans le dernier trimestre 2008 la Vénétie a été la seule région italienne avec +1,5% d’exportations, avec les districts de Trévise en tête, notamment le sport system qui a vu un +23% des exportations dans l’année 2008 (Cf. La Repubblica, 25 mai 2009, pag. 45). Cf. aussi : www.osservatoriodistretti.org. 128 Cf. la thèse intéressante de Moulier-Boutang Y., Negri A., Santili G., Des entreprises pas comme les autres, Publisud, 1993. Le dynamisme des PME de l’Italie du Nord-Est serait plus le fruit de stratégies multinationales de firmes externes, qui instrumentalisent les particularités territoriales et historiques pour organiser des systèmes productifs de type district. 129 Je ne veux pas anéantir en quelques lignes la littérature sur les districts, elle est d’ailleurs très vaste. On peut citer, à titre indicatif, les travaux sur les districts technologiques (Antonelli, 1986, 1994), les districts satellitaires (Markusen, 1996), les districts rayonnants (Samson, 2004), ou encore sur les districts culturels (Santagata, 2002).

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« Certains économistes restent insatisfaits devant l’analyse des districts industriels car ils considèrent que la notion d’avantages comparatifs des territoires y est insuffisamment prise en charge »130. La question qu’ils soulèvent est de savoir comment un territoire est susceptible ou non de construire des ressources qui lui sont spécifiques. En particulier, les travaux de Ph. Aydalot soulignaient le caractère auto-producteur d’un territoire et la capacité de régulation du local comme des fondements d’une régulation globale131. Il y a donc une mise en perspective de l’analyse plus dynamique que celle des districts industriels, laquelle semble éprouver des difficultés à analyser les phénomènes de déclin (Greffe, 2002). C’est toujours Aydalot qui a avancé l’idée « d’une division spatiale du travail et d’une autoproduction des territoires, postulant ainsi à l’existence d’une régulation locale »132. Celle-ci peut être définie au sens de Pecqueur comme une connivence qui organise les rapports entre les acteurs, dans la recherche d’une autonomie relative par rapport aux règles en vigueur au niveau national et international. « La capacité de régulation, c’est donc la capacité d’un milieu économique local à produire un ensemble de règles en harmonie avec les règles subies à un niveau plus élevé, afin de pérenniser l’existence d’une solidarité socioculturelle entre tous les acteurs » (Pecqueur, 2000). Dans le sillage de Ph. Aydalot, les chercheurs du GREMI133 ont ensuite développé une série de recherches qui se fondent sur l’idée que l’innovation émerge des milieux territoriaux selon leur organisation socio-économique plutôt que des entreprises (Peyrache-Gadeau, 2004 ; Camagni et Maillat, 2006 ; Kebir, 2006). L’innovation est donc contextuelle à l’environnement dans lequel elle est produite, elle n’est pas définie par des critères techniques et universels. Cette approche permet de se focaliser sur les aspects territoriaux de l’innovation, notamment lorsque la proximité spatiale devient essentielle dans les processus d’apprentissage : dialogues, discussions, contacts personnels, bref, toutes les situations qui permettent d’exploiter des connaissances tacites ou la mise en place de synergies autour d’informations non codifiées (Courlet, 2008).

Je n’ai pas traité les clusters, ceux-ci ayant une caractérisation industrielle et d’ailleurs considérés comme une notion plus large par rapport à celles que je présente ici, applicable à des échelles très variables, ayant une définition floue (Pecqueur, 2006). 130 Greffe X., op. cit., pag. 83. 131 Cf. Matteaccioli A., Philippe Aydalot, pionnier de l’économie territoriale, l’Harmattan, 2004. 132 Aydalot Ph. (1985), cité par Dedeire M., Le concept d’agriculture de terroir, univ. De Montpellier, 1997, pag. 6. 133 Groupe de Recherche Européen sur les Milieux Innovateurs.

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Fig. 8 – Schéma explicatif du milieu innovateur (Source : Crevoisier O., 2006).

Selon O. Crevoisier (2006), les milieux innovateurs s’articulent autour de trois axes particulièrement significatifs du point de vue des transformations actuelles (Fig. 8):

• le paradigme technologique, le rôle des techniques et plus largement de l’innovation dans la transformation actuelle du système économique. Considéré comme un ensemble de rapports territorialisés d’acteurs, le milieu ou l’espace local est un acteur collectif visant la réduction de l’incertitude (Courlet, 2008) ;

• le paradigme territorial, lequel fait référence à l’ancrage territorial qui permet au milieu de mobiliser des ressources spécifiques et de participer aux réseaux locaux d’innovation et de soutien au système de production. Ces réseaux locaux contribuent également au maintien et à la reproduction de la frontière entre le milieu et l’extérieur dans le sens où ils définissent quels acteurs font partie du système de coordination local et lesquels n’en font pas partie.

• Le paradigme organisationnel rend compte des mécanismes qui, au sein d’un milieu, permettent ou empêchent la coordination entre acteurs. La coopération n’est pas permanente mais elle débouche sur la constitution d’un capital relationnel (Crevoisier, 2006). Ce dernier est très important car c’est à travers la présence de réseaux multifonctionnels dans un milieu qui innove que l’on peut expliquer l'accumulation et la sédimentation de ressources historiquement constituées. Dans la mesure où les échanges se font sur la base de la réciprocité, la connaissance mutuelle des acteurs favorise la constitution d'un capital relationnel qui facilite la mise en place de réseaux dédiés à l'innovation (Coppin, 2002).

En résumé et de manière normative, l’approche par les milieux innovateurs propose une vision générale du développement économique territorialisé qui se caractérise par :

• « une concurrence par l’innovation et non par les coûts de production ; • une organisation du système productif en réseaux et non sur des mécanismes de

marché ou hiérarchiques ; • la concurrence entre territoires et non entre entreprises » 134.

134 Cf. Crevoisier O., Économie régionale, économie territoriale : la dynamique des milieux innovateurs, dans : Territoires et enjeux du développement régional, Éditions Quæ, 2006, pp. 61-82.

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3.2. Une approche par le milieu innovateur. Il est possible d’appréhender les espaces ruraux fragiles en termes de milieux organisés autour de leurs ressources. Il faut alors s’intéresser aux différents types d’innovations, et donc de milieux, susceptibles de prendre place sur ces territoires. Nous avons constaté qu’à travers l’agir collectif, le milieu répond à l’incertitude, il cherche à la réduire. Ainsi, si nous prenons en considération les produits du terroir, se pose le problème de réduire l’incertitude qualitative. Celle-ci existe pour le consommateur qui se trouve face à des produits pour lesquels il ne dispose pas de critères certains pour effectuer son choix mais aussi pour les producteurs, qui doivent informer sur la qualité de leurs produits afin de se différencier des concurrents (Dedeire, 1997). Or, nous avons vu aussi que l’innovation est le point essentiel pour qu’un milieu puisse maintenir ou créer un avantage compétitif. A travers la mobilisation des actifs spécifiques du terroir (Cf. Chap. 1) il est possible de faire face à cette incertitude. L’innovation réside en fait dans la capacité du milieu à faire émerger en son sein de nouvelles formes de développement qui lui permettent de vivre de ses ressources sans pour autant les aliéner (Camagni et Maillat, 2006). Le terroir, le paysage, les monuments, l’histoire, la culture, les savoir-faire traditionnels peuvent sembler antinomiques de l’innovation par leur caractère de durabilité. Cependant, comme il a été démontré dans le premier chapitre et comme on le verra mieux par la suite, la ressource n’est pas entièrement donnée mais construite : elle est donc créée par le milieu innovateur. La mise en valeur réussie passe alors par un équilibre entre l’exploitation marchande de la ressource nécessaire à l’amélioration du bien-être de la population et son maintien dans le long terme. Marcello De Rosa a appliqué le concept de milieu innovateur aux filières agroalimentaires de qualité (AOC/IGP)135. Il part du constat que l’obtention d’une marque institutionnelle reconnaissant l’unicité du produit permet de réduire la concurrence, ce qui constitue déjà une innovation. L’analyse en termes de milieu innovateur devient possible. De Rosa fonde son analyse sur l’identification de deux points clé dans la dynamique du milieu :

• le milieu qui a permis l’obtention de la marque communautaire AOP/IGP, important facteur de différenciation territoriale ;

• le milieu qui permet la durabilité du développement local. Dans chacun des deux moments, il faut étudier la nature et la qualité du réseau d’innovation pour s’assurer qu’elle favorise l’innovation institutionnelle et qu’elle permet une certaine évolution du système. Concrètement il s’agit d’une part, de vérifier le degré de précarité du milieu, et d’autre part, le processus de régénération du même milieu, c’est-à-dire si l’innovation émerge d’un processus réellement collectif (De Rosa, 2004). Ainsi, il existe une dimension cyclique de la dynamique du milieu, qui donne lieu à un processus de mobilisation des ressources locales, à partir desquelles les acteurs, éléments du système, se coordonnent pour donner naissance à des sujets collectifs, des nouveaux acteurs intermédiaires (Cf. chap. 3). Pour analyser ce processus il faut repérer la dynamique du milieu avant l’obtention de l’IG et aussi après son obtention, ce qui passe d’abord par l’identification de :

• le processus d’idéation, (de qui est partie l’initiative) ; • le réseau d’innovation (le nombre de producteurs locaux y adhérant) ; • la logique d’interaction (la capacité des acteurs à coopérer pour l’objectif commun) ; • la logique d’apprentissage (les transformations des techniques productives ayant mené

à l’obtention de la marque).

135 Les réflexions suivantes constituent une synthèse d’un article de : De Rosa M., L’application de l’approche par les milieux innovateurs aux systèmes agroalimentaires territoriaux: une proposition de recherche sur les AOP/IGP, dans : Convergence et disparités régionales au sein de l’espace européen : les politiques régionales à l’épreuve des faits, XLème Colloque de l’ASRDLF, Bruxelles, 2004.

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Une fois la marque obtenue il faut s’attacher à comprendre l’authenticité de l’initiative, le grade effectif du changement du milieu. Pour ce faire De Rosa propose une grille de lecture, fondée sur le croisement des deux variables descriptives de la dynamique du milieu: le degré de hiérarchisation et les relations d’échange qui donnent lieu à quatre typologies de milieux (Fig. 9).

De

gré

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hié

rarc

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tion

+

Grands entreprises avec faibles relations d’échange dans le territoire

Grands entreprises avec relations d’échange dans le territoire

-

Multitude d’entreprises indépendantes, pas innovatrices

Multitude d’entreprises opérant dans une logique territoriale

- +

Relations d’échange

Fig. 9 – Configuration des modèles territoriaux d’entreprises (Source : De Rosa, 2004).

Une croissance du degré de hiérarchisation souligne un processus d’appauvrissement du milieu avec des positions de dominance dans le système territorial. Un faible degré de hiérarchisation décrit une situation avec une multitude de petites entreprises dans le même territoire. Elles peuvent ou non avoir des relations d’échange. Dans le premier cas, elles agissent selon une logique territoriale avec des processus d’interaction et d’apprentissage qui favorisent l’innovation. Dans le deuxième cas, les entreprises se conduisent d’une manière indépendante ou conservatrice : dans ces deux cas, il n’y a pas d’innovation et le milieu n’est pas « le principe organisateur du système ». Pour évaluer l’authenticité du processus de valorisation, De Rosa prolonge l’analyse à travers l’identification des transformations après l’obtention de l’IG, c’est-à-dire par l’identification de deux trajectoires : une trajectoire vertueuse (Fig. 10) et une trajectoire vicieuse (Fig. 11).

De

gré

de

hié

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hisa

tion

+

Grandes entreprises avec faibles relations d’échange

dans le territoire

Grandes entreprises avec relations d’échange dans le

territoire

-

Multitude d’entreprises indépendantes, pas

innovatrices

Multitude d’entreprises opérant dans une logique

territoriale

- +

Relations d’échange

Fig. 10 – Après l’IG : trajectoires vertueuses (Source : De Rosa, 2004).

De

gré

de

hié

rarc

hisa

tion

+

Grandes entreprises avec faibles relations d’échange

dans le territoire

Grandes entreprises avec relations d’échange dans le

territoire

-

Multitude d’entreprises indépendantes, pas

innovatrices

Multitude d’entreprises opérant dans une logique

territoriale

A B

C D

A B

C D

A B

C D

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- +

Relations d’échange

Fig. 11 – Après l’IG : trajectoires vicieuses (Source : De Rosa, 2004).

Selon la trajectoire prise par le milieu après l’obtention de la marque il est possible d’identifier quatre idéaltypes de milieu :

• Systèmes territoriaux formés de plusieurs petites entreprises bien organisées. Le milieu est accompli et peut être placé dans le cadran A. Le milieu s’enrichit de nouveaux acteurs (entreprises, institutions, organismes de recherche, entreprises de services, entreprises de marketing et de consultation) ; la présence d’un réseau d’innovation permet l’interaction avec l’environnement extérieur pour garantir la possibilité de concourir sur de nouveaux marchés. Du point de vue organisationnel, les acteurs locaux agissent réellement comme un collectif. In fine, les logiques d’interaction et d’apprentissage permettent au milieu de se renouveler dans une trajectoire de développement ;

• Petits systèmes territoriaux artisanaux, avec un faible volume de production. Il s’agit de systèmes productifs opérant sur une échelle productive limitée et dont le faible volume de production ne permet pas d’activer une stratégie efficace de marketing. Dans ce cas on peut distinguer :

a) un cercle vertueux qui concerne les systèmes qui bénéficient d’une rente de position géographique et qui ont la possibilité d’associer à la production typique d’autres ressources territoriales, dans un modèle « panier de biens » (Pecqueur, 2001 ; Hirczak et Mollard, 2005 ; Hirczak, 2007). Ce système territorial se place en le cadran A. Dans ce même cas, il peut y avoir la présence d’autres secteurs locaux (surtout le tourisme), qui entraîne aussi les produits typiques, qui peut impliquer un relâchement et donc une dégénération du milieu, amorçant aussi le cercle vicieux (passage de A à B).

b) Cas du milieu conservateur ; système local volontairement fermé à l’innovation, avec peu de relations parmi les acteurs locaux qui se contentent du status quo. Dans ce cas, le règlement a protégé et blindé un système local dont le milieu n’est pas innovateur : la capacité des ressources locales à nourrir le développement est insuffisante. On peut placer ces systèmes dans le cadran B.

• Systèmes territoriaux avec différentes formes de hiérarchisation. Ce cas est emblématique des lacunes du milieu local à reproduire de manière collective les savoir-faire nécessaires au développement local. Mais la structure hiérarchique peut être originaire ou fruit d’un processus : 1. original : l’initiative d’adopter une marque territoriale a été prise grâce à quelques grandes entreprises locales qui agissent selon une logique territoriale (cadran D); 2. évolutionnaire : signifie qu’on est passé d’une configuration territoriale fondée sur les petites entreprises (agricoles et agroalimentaires) à un système plus concentré, fruit d’un processus sélectif, c’est-à-dire : - soit de grandes entreprises qui s’approprient des avantages de la marque territoriale (passage de A à C). - soit de la nécessité d’attaquer les marchés d’exportation avec une organisation adéquate que le système de petites entreprises artisanales ne peut pas garantir. La hiérarchisation peut être aussi nécessaire pour l’incapacité des entreprises locales de s’organiser de manière endogène pour concourir sur les nouveaux marchés (passage de A à D). Il faut préciser que dans les deux situations, nous sommes en présence

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d’anomalies parce que la présence de grandes entreprises dans un système territorial fondé sur la typicité le dénature et par conséquent, peut engendrer sa dégénération.

• Systèmes territoriaux avec basse participation des entreprises au projet (choc institutionnel sans réponse). Dans ce cas transversal, les ingrédients essentiels du milieu innovateur n’existent pas et les interactions nécessaires à l’apprentissage et à la génération de l’innovation ne se développent pas : l’innovation devient le fruit de l’action isolée des acteurs (cadrans B, C, D). C’est une situation très commune à la réalité agricole dans laquelle il y a un problème de perception de l’utilité de l’adhésion à la marque territoriale (De Rosa, 2004).

Cette construction théorique semble être une bonne grille de lecture des dynamiques territoriales liées à l’obtention d’une indication géographique. En plaçant les acteurs dans la durée, elle se caractérise par une vision dynamique et par une prise en compte de l’espace en tant qu’agent déterminant, en particulier à travers l’analyse de l’organisation des acteurs qui se mobilisent en activant des ressources potentielles : dans notre cas le terroir, dans ses dimensions plurielles. Enfin, elle permet surtout de pouvoir évaluer ou comparer la réussite d’initiatives de valorisation des produits qui dans l’exemple développé par De Rosa sont normés par l’IG, laquelle détermine donc la qualité de ces produits de terroir. Cela revient à dire que « dans ce système de type normatif, la trajectoire de l’organisation territoriale est gouvernée par les émetteurs des informations de type régulation et l’AOC ou l’AOP peut avoir à certains égards, le statut de bien collectif »136. Cependant, nous avons déjà constaté dans le chapitre précédent que l’IG n’est pas toujours le meilleur moyen pour valoriser les produits agricoles du terroir, notamment - et c’est le cas de cette recherche -, lorsqu’ils proviennent de très petites entreprises et sont concernés par de faibles volumes de production. Même De Rosa le souligne dans sa contribution, lorsqu’il exprime sa perplexité suite au constat d’une véritable inflation du nombre des produits - notamment fromagerie, viandes et dérivés -, ce qui soulève des questions sur l’efficacité de la marque à garantir des performances économiques positives. Il remarque surtout qu’il existe des produits qui ont un modèle d’organisation complètement différent, comme celui du Parmesan, par rapport aux nombreux produits de l’Italie méridionale dont la zone de production est trop petite pour permettre le développement de la production au-delà de certaines limites (De Rosa, 2004). Ce modèle italien de la « grande appellation » a déjà été critiqué (Rama, 2010). Ainsi, ce constat fait perdre d’intérêt l’application de cette approche aux petites productions ayant déjà une IG, puisque cela équivaut à dire qu’on sait déjà a priori qu’elles, ou bon nombre d’entre elles, ne pourront pas tirer de grands bénéfices. Il est clair que si la logique prioritaire est celle d’augmenter sa part dans un marché de concurrence globale, une tomme produite en estives ne pourra jamais penser de prendre la place du géant Parmesan et inonder les supermarchés à une échelle continentale ! Au moins si elle veut garder un caractère de typicité et un lien au terroir. Il en va de soi alors que même le Parmesan, comme tout autre produit, au bout d’un moment ne pourra plus augmenter la volume de ses ventes. Le succès et parfois seulement la survie des petites productions passe, selon notre hypothèse, plutôt par d’autres facteurs, à savoir la cohérence entre la qualité territoriale du produit et la qualité du territoire, entendue comme la présence d’un ensemble de ressources potentiellement intégrables dans le produit. Et cela est valable aussi et surtout pour tous les produits du terroir qui ne possèdent pas une reconnaissance officielle et/ou institutionnelle. Ici, c’est le cas des produits dont Slow Food s’occupe, qui sont des produits que l’on pourrait définir « en voie d’extinction » ou « endémiques », et pourtant de haute qualité. 3.3. Les Systèmes Agroalimentaires Localises.

136 Dedeire M., op. cit., pag. 354.

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On a vu que dans leur critique sur les districts, Benko et al. souligne qu’il faut se douter de la recherche d’un modèle universel et applicable partout à cause des déterminants multiples qui vont spécifier une situation locale vis-à-vis d'une autre. L’essentiel c'est au contraire « la démarche qui vise à expliciter les logiques d'organisation, les logiques de spatialisation qui, dans un contexte historique précis, font revenir au premier plan des formes d'organisation industrielle locales »137. Effectivement, la plupart des analyses macroéconomiques classiques manifestaient une tendance à marginaliser le rôle du territoire, quand il ne l’ont réduit à un support physique ou un conteneur de ressources à exploiter. L’économie territoriale à travers la prise en compte de l’espace propose d’étudier les coordinations d’acteurs « mésoéconomiques » (ni l’individu ni le tout, mais des constructions médianes de groupes) et se pose en rupture avec le cadre purement macroéconomique des théories de la régulation (Pecqueur, 2006). A partir des années ’80 jusqu’à aujourd’hui, de nombreux chercheurs français ont produit une vaste littérature sur les Systèmes productifs localisés (SPL), qui peuvent être considérés comme une généralisation des situations du district (Pecqueur, 1989, 1996, 2000 ; Benko et Lipietz, 1992, 2000 ; Courlet, 2008). La définition la plus récente est celle de Courlet (2008) pour qui « le SPL peut être défini comme un ensemble caractérisé par la proximité d’unités productives au sens large du terme (entreprises industrielles, de services, centres de recherches et de formation, interfaces, etc.) qui entretiennent entre elles des rapports d’intensité plus ou moins forte. La densité des liens entretenus entre les unités de production dépend avant tout de l’organisation et du fonctionnement du système de production. Les rapports entre unités sont diverses et se présentent sous diverses formes : formels, informels, matériels, immatériels, marchands et non marchands »138. Les SPL ont été promus par la DATAR, (aujourd’hui DIACT139) pendant les années ’90, avec l’objectif de réduire la réduction des coûts de production des entreprises en mutualisant les moyens de production et en jouant sur le effets de proximité, ce qui montre l’intérêt de ces formations. Au début des années 2000 les SPL français constituaient 40% de la production française totale plus de 500.000 emplois et 18.000 entreprises, même s’il est probable que ces chiffres devront être revues à la baisse après la crise économique de 2008140. Aujourd’hui la DIACT continue sa politique industrielle par le territoire et pour la renforcer a créé les pôles de compétitivité. Plutôt que de se focaliser sur les SPL, nous allons accorder la préférence aux systèmes agroalimentaires localisés (SYAL), qui plus qu’une simple application du SPL, démontrent que la territorialisation de la production ne se limite pas à l’industrie traditionnelle ou à celle de l’innovation (Pecqueur, 2005). Les SYAL insistent donc sur des caractéristiques propres :

• « le rôle identitaire particulier des biens alimentaires : ce sont les seuls à être non pas utilisés, mais incorporés, au sens propre, par les consommateurs ;

• la spécificité de la matière première vivante, périssable, hétérogène et par nature saisonnière ;

• le lien avec les caractéristiques du milieu et la gestion des ressources naturelles ; • les savoir-faire et compétences mobilisés tant au stade de la production qu’à ceux de la

transformation et de la consommation des produits. • Lien entre la mise en forme et la mise en bouche. Il y a un lien fort entre les manières

de fabriquer les produits et les préférences des consommateurs. » (Muchnik, 2002) ;

137 Benko, G., Lipietz, A., Dunford, M., Les districts industriels revisités, dans : B. Pecqueur (Ed.), Dynamiques territoriales et mutations économiques, L’Harmattan, 1996 (http://lipietz.net/article.php3?id_article=372).

138 Courlet C., L’économie territoriale, presses universitaires de Grénoble, 2008, pag. 50. 139 Délégation interministérielle à l’aménagement et à la compétitivité des territoires. 140 Pour en savoir plus sur la politique de soutien aux SPL voir : Darmon D., (sous la dir. de), La France, puissance industrielle : une nouvelle politique industrielle par les territoires, La Documentation Française, 2004.

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Ils ont été définis comme « des organisations de production et de service (unités de production agricole, entreprises agro-alimentaires, entreprises commerciales, entreprises de restauration…) associées de par leur caractéristiques et leur fonctionnement à un territoire spécifique. Le milieu, les produits, les hommes, leurs institutions, leurs savoir-faire, leurs comportements alimentaires, leurs réseaux de relations se combinent dans un territoire pour produire une forme d’organisation agro-alimentaire à une échelle spatiale donnée »141. Les nombreuses recherches menées par le Groupement d’Intérêt Scientifique-SYAL ne peuvent pas être résumées en quelques lignes142. La diversité d’entrées, de thématiques, de matières par laquelle il est possible aborder ces systèmes, permet de constater d’un coté que même cette notion de SYAL ne peut pas constituer un modèle et de l’autre que, bien que difficile à faire émerger, « la dynamique territoriale peut bien être considérée comme un facteur favorable aux expériences de coopération »143, ce qui revient à prendre en considération trois caractéristiques essentielles :

• « les économies externes liées à la densité des entreprises situées dans un lieu, et à la proximité entre les acteurs. Mais celle-ci ne peut être limitée à la seule dimension géographique : ce n'est pas parce que la proximité physique existe que les rapports s'établissent. Dans un système productif localisé, les rapports intenses entre les entreprises locales permettent des économies d'agglomération.

• les connaissances non transférables. Compétences, relation de travail, savoir-faire des individus et des entreprises, fondés sur une histoire commune, traduite dans des connaissances, des pratiques, des règles et des représentations collectives. L'information et l'acquisition de compétences sont conditionnées par cette appartenance à un lieu et à une histoire commune.

• les modes de régulation qui combinent de manière plus ou moins imbriquée, d'une part le mécanisme du marché, d'autre part des éléments de réciprocité et de redistribution, qui s'enracinent dans l'identité sociale, l'idée d'appartenance à un territoire, à une communauté. L'organisation collective constitue une ressource spécifique du système productif localisé, source de stabilisation et de reproduction » (Muchnik, 2002).

Les points évoqués dans ce paragraphe constituent une base théorique pour encadrer nos études de cas. Pour le moment, si la problématique de cette recherche, que nous rappelons, est celle de la comparaison entre des modalités originales de valoriser des produits représentés par les sentinelles Slow Food, nous voyons que les caractéristiques sus indiqués permettent d’encadrer ces productions particulières dans cette approche systémique144. La notion de SYAL a été introduite pour mettre en avant la capacité de certaines communautés de producteurs à développer des savoir-faire locaux spécifiques en interaction étroite avec les consommateurs (Fournier, 2002). Ainsi, nous considérons l’étude d’une sentinelle Slow Food comme l’étude d’un Système Agroalimentaire Localisé. Comme il a été montré dans le premier chapitre, c’est le terroir, dans toutes ses dimensions (naturelle, spatiale, socio-relationnelle, patrimoniale…), qui constitue le fondement sur lequel les acteurs locaux valorisent leurs produits. Suivant la thèse de M. Dedeire, la valorisation devra alors se baser sur trois éléments : « la constitution d’un vecteur d’information, la révélation d’un bien collectif et la constitution de règles qui forment un dispositif cognitif

141 CIRAD-SAD (1996), cité par Muchnik J., dans : Clement O., Hubert B., (éditeurs scientifiques), Le Monde peut-il nourrir tout le monde ? Sécuriser l'alimentation de la planète, Paris, Ed. Quae, 2006. 142 Dans : CIRAD, Les systèmes agroalimentaires localisés, actes du Congrès SYAL, cd-rom, Montpellier, 2002, des chercheurs de 29 pays ont présenté 93 communications ! 143 Muchnik J., dans : CIRAD, op. cit., 2002. 144 On rappelle que « Slow Food aide des communautés du monde entier à reconstruire leurs systèmes alimentaires locaux, afin de garantir une nourriture meilleure, protéger l'environnement et maintenir la diversité culturelle ». Cf. http://newsletter.slowfood.com/slowfood_time/15/fra.html.

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collectif, c’est-à-dire une économie de savoir »145. De plus, si « le terroir de dimension patrimoniale est le repère conventionnel de valeurs sociales passées d’un ensemble d’individus […], l’agriculture, mais aussi d’autre formes de l’économie rurale peuvent se les approprier afin d’affiner la qualification des produits »146. On rappelle sur ce dernier point qu’ « il n’est pas de définition substantielle de la qualité en dehors de la perspective d’une épreuve de qualification »147. Autrement dit, c’est à travers la construction d’une qualité symbolique, faite par l’appropriation du terroir par un collectif d’acteurs, que se réalise la reconnaissance du produit agricole du terroir. Cette reconnaissance est d’abord locale, ce qui est important. Seulement après la qualité peut obtenir une reconnaissance extra locale à travers une stratégie commerciale et promotionnelle148. A ce propos, Belletti et al. (2006) propose deux approches alternatives au marketing conventionnel : le marketing cognitif et le marketing radical149. Le marketing cognitif vise à changer les préférences du consommateur ne se limitant pas à les assumer en tant que donnée non modifiable. Au lieu de vendre un produit conçu pour les besoins du consommateur, on cherche plutôt à transmettre les valeurs du produit, tout en favorisant l’acquisition de nouvelles informations et de connaissances. Le marketing radical va plus loin et fonde sa particularité sur la volonté commune des consommateurs et des producteurs, et d’une manière générale, des acteurs de la société civile, de s’opposer aux modèles (de production, de consommation, d’échange, de vie) dominants150. La mise en marché du produit devient ainsi une action qui véhicule des valeurs nouvelles, alternatives aux valeurs dominantes (Belletti et al., 2006). Ce dernier cas semble correspondre au mode d’agir de Slow Food. De plus, l’originalité de Slow Food est double, puisqu’elle se fonde sur le lien entre le producteur et le consommateur : la reconnaissance de la qualité du produit est locale ante litteram ; ainsi elle devra être construite d’abord par les producteurs locaux et se fonder sur une proximité géographique et organisationnelle ; parallèlement, les consommateurs se mobilisent et par la médiation de Slow Food, ils deviennent co-acteurs de la réputation du produit qui assume ainsi des valeurs ultérieures. De ce fait, il y a aussi une proximité de valeurs qui semblerait fondamentale pour le succès, c’est-à-dire pour la pérennisation de ces exploitations. La dimension cyclique de ce processus est évidente. On peut même imaginer alors que ces produits réputés, porteurs d’un capital symbolique et relationnel, puissent devenir aussi des vecteurs pour communiquer les atouts du territoire dont ils ont tiré leur spécificité. En ce sens, ils pourraient être mis en valeur à l’intérieur d’un « panier des biens » et contribuer à la diversification de l’économie de certains espaces ruraux. Pour mieux définir cette hypothèse, qui devra guider le travail sur le terrain, nous allons devoir mobiliser d’autres notions essentielles, jusqu’ici seulement mentionnées. Ce que nous faisons dans les paragraphes suivants. 3.4. De l’analyse des proximités à celle des réseaux.

145 Dedeire M., op. cit., pag. 347. 146 Dedeire M., op. cit., pp. 347-348. 147 Thevenot L., Des marchés aux normes, dans : Allaire G., Boyer R., op. cit., pag. 39. 148 Par exemple, lors d’une demande de reconnaissance de l’AOC à l’INAO, cet organisme exige que le produit ait déjà une réputation locale, ce qui est souvent éprouvé par l’existence d’une source écrite. Ainsi dans le cas de l’IGP riz de Camargue on fait référence au roi Henry IV qui ordonnait le 23 août 1593 que soit entreprise la culture de la canne à sucre, de la garance et du riz dans cet espace. Encore dans le cas du vin de Trévise « Marzemino di Refrontolo » DOC, on fait référence à un couplet du « Don Giovanni » de Mozart où l’on cite : « versa il vino, eccellente marzemino » ! 149 Dans : Rocchi, B., Romano, D., op. cit., pag. 190. 150 Le marketing radical a été étudié aussi dans un autre contexte par : Klein N., No Logo, Actes Sud, 2001.

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Nous ne voulons pas entrer dans les profondeurs des débats théoriques sur des notions si actuelles, mais conscients de cette complexité, nous nous efforcerons de les définir de façon simple et relativement cohérente, dans une logique pragmatique, pour que le lecteur puisse mieux se repérer dans le développement de l’étude. Les recherches évoquées plus haut montrent qu’il y aurait un « paradigme relationnel » qui tend à avoir une place croissante dans l’analyse de la territorialisation, dans notre cas particulier dans les dynamiques territoriales liées à la valorisation des produits agricoles du terroir. Comme il a été montré par Dedeire les voies pour faire face au problème de l’incertitude qualitative sont trois : soit selon la coordination par le marché, ce qui ne résout pas tous les problèmes, soit selon l’approche de l’économie des conventions151, ce qui amène à un terroir normé par l’IG. Il y aurait ensuite une voie inexplorée qui est ouverte par l’agriculture de terroir : celle de l’organisation du territoire. Or, parmi les critiques portées aux districts - modèles de l’organisation territoriale -, celle de P. Veltz (1996) formule l’idée « que les dimensions relationnelles de l’économie ne sont en aucune manière restreintes à l’échelle locale, encore moins micro-locales. Elles se déploient à de niveaux multiples et s’appuient sur la proximité physique, mais aussi sur des proximités sociales, historiques ou techniques »152. Cela signifie que le processus de « territorialisation » des activités se distingue d’une simple « localisation » : qu’il s’agisse de districts, de systèmes productifs locaux, de milieux innovateurs, les nouvelles formes de performance économiques ont pour point commun de reposer sur des « processus relationnels ouverts », en rupture avec les modes statiques et rigides de la coopération taylorienne (Veltz, 1996). Ainsi, à quatorze ans de son analyse, force est de constater que l’image d’un « synchronisme technologique » représente assez bien un monde contemporain dans lequel la prédominance américaine va laisser place à une logique multipolaire qui oblige désormais les anciennes puissances occidentales à élargir leur « club » à des pays émergents où des districts se développent de façon autonome (Benko et al., 1996 ; Castells, 2001). Sans rentrer dans l’analyse de cette économie d’archipel avec le risque de s’y perdre, retenons juste pour l’instant que le monde globalisé d’aujourd’hui s’expliquerait plus par la formation de « territoires en réseaux » que de territoires-zones (Veltz, 1996). Qu’est-ce que cela signifie pour le géographe ? Avant tout, à travers le couple territoire-réseau on peut mettre sur le même plan les deux termes, les articuler et les rendre complémentaires, ce qui peut donner à voir l’importance de la territorialisation des processus153. « A défaut de théorie générale et de tests empiriques systématiques », Veltz propose de caractériser la notion de territoire-réseau par deux propriétés essentielles : la prédominance des relations horizontales sur les relations verticales et le caractère maillé des relations154. Le rôle du territoire est alors radicalement redéfini : il doit être « considéré comme une structure active (de développement, ou de stagnation, ou de régression) et non pas seulement comme un périmètre-réceptacle des activités »155. Il n’est pas non plus un champ de manœuvre, mais il est un acteur156. Cette affirmation forte engendre des perplexités : par exemple George Benko met en garde les chercheurs qui seraient tentés de dresser le territoire en « quasi-personnage », dans une « démarche néopositiviste » et une « volonté modélisatrice », avec le risque de le réduire à « un actant des systèmes pratiques locaux »157. Pour éviter ce piège il est bien de mettre en avant quelques principes. D’abord, le fait qu’une démarche comme celle que nous sommes en train de formuler, prenant en compte les acteurs 151 Cf. Chap. 2.3 et note 89. 152 Veltz P., Mondialisation Villes et Territoires, l’économie d’archipel, presses universitaires de France, Paris, 1996, pag. 12. 153 Cf. Levy J., et Lussault M., op. cit., pp. 909-910. 154 Veltz P., op. cit., pag. 62. 155 Veltz P., op. cit., pag. 142. 156 Veltz P., op. cit., pag 143. 157 Benko G., dans : Levy J., et Lussault M., op. cit., pag. 621.

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dans la durée, ouvre sur un systémisme dialogique qui maintient l’idée de totalité et d’irréductibilité du tout à la somme de ses parties et qui « ajoute la prise en compte d’opérateurs, objets et acteurs, qui manifestent un niveau de complexité égal (sinon supérieur) à celui de l’ensemble et dont certains sont capables de stratégie autonome qui les rend irréductibles à seule fonction d’agent du système »158. Dans l’actuelle société de réseaux, telle qu’elle a admirablement été décrite par Manuel Castells, « les réseaux sont des structures ouvertes, susceptibles de s’étendre à l’infini, intégrant des nœuds nouveaux en tant qu’ils sont capables de communiquer au sein du réseau, autrement dit qui partagent les mêmes codes de communication (par exemple, des valeurs ou des objectifs de résultat). Une structure sociale fondée sur des réseaux est un système très dynamique et ouvert, capable d’innover sans mettre en cause son équilibre »159. A cela on peut ajouter que les entités fondamentales d’un système spatial sont les acteurs, individuels ou collectifs, « qui sont des opérateurs actifs de l’émergence et de la dynamique du système ». Ce dernier est donc le résultat d’actes humains, donc intrinsèquement actoriel. In fine, tout système spatial possédant une dimension sociale, il y a un caractère historique « qui explique le caractère irréversible des évolutions et l’aspect cumulatif des phénomènes » 160

. Dans le cas de cette recherche l’opérateur actif sera le réseau d’acteurs et de leurs produits, qui intègrent les ressources du terroir (acteur-réseau, cf. infra). L’espace étant constitutif du terroir, cette mobilisation faite d’interrelations donnera lieu à une dynamique territoriale que l’on doit chercher d’interpréter. Mais toutes ces considérations ne nous permettent pas encore de comprendre par exemple quelle est la place d’une famille de paysans qui cultivent leurs navets dans la montagne du Haut Languedoc dans une économie d’archipels. Cette dernière amène à rappeler qu’ « une économie territoriale ne peut plus être caractérisée par la cohérence des relations entre les agents locaux mais par la cohérence des relations local/global. Ces relations sont constitutives du local »161. En effet la coexistence d’un espace de flux et d’un espace de lieux est une caractéristique primordiale de l’organisation sociale et spatiale contemporaine, bien résumée par l’expression anglaise : « global networking » (Veltz, 1996 ; Gilly et Torre, 2000 ; Castells, 2001 ; Rallet et Torre, 2004). Il y a là une rupture avec la continuité économique et avec la continuité géographique : l’espace doit être pensé comme discontinuité, puisque l’économie d’archipels est une économie géographiquement discontinue (Gilly et Torre, 2000). « Il faut donc s’attacher à expliquer comment la coordination des agents économiques fonctionne aujourd’hui dans l’espace » et plus particulièrement « la capacité des agents à échapper à leur lieu d’ancrage et à projeter leur action économique dans un espace globalisé »162. Autrement dit, la question qui se trouve posée, n’est donc pas celle d’un retour au local, mais celle de la pertinence du niveau des territoires comme lieu d’élaboration de solutions à des problèmes non seulement locaux mais globaux. Cette approche est proposée par l’économie de proximité (Gilly et Torre, 2000 ; Burmeister et Dupuy, 2003 ; Pecqueur et Zimmermann, 2004 ; Martin, 2008). Ce terme, comme celui de réseau, est ambigu, car on peut être proche d’une personne même si elle n’est pas physiquement à coté de nous, par le fait d’appartenir au même cercle d’amis ou familial ou encore à un réseau professionnel ou associatif. Cependant, cette même ambiguïté rend le terme de proximité intéressant, car « il concentre en un seul mot la multiplicité des échelles spatiales auxquelles les acteurs économiques et les individus situent leurs actions »163. C’est

158 Lévy J. et Lussault M., op. cit., pag. 890. 159 Castells M., La société de réseaux, l’ère de l’information, Fayard, 2001., pp. 576-577. 160 Lévy J. et Lussault M., op. cit., pag. 891. 161 Gilly J. P. et Torre A., De la globalisation à la proximité géographique : pour un programme de recherches, dans : Gilly J. P. et Torre A., (sous la dir. de), Dynamiques de proximité, L’Harmattan, 2000, pag. 38. 162 Gilly J. P. et Torre A., op. cit., pp. 49-50. 163 Rallet A., Torre A., Proximité et localisation, dans : Economie rurale, num. 280, 2004, pag. 25.

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pour cela que « ce n’est pas la distance critique que nous devons rechercher, mais la proximité critique »164. Et c’est dans l’articulation d’une multiplicité de proximités qu’on peut comprendre la manière avec laquelle les acteurs se « situent » dans l’espace géographique (Rallet et Torre, 2004). Ainsi, toutes les configurations spatiales dont s’occupe l’économie territoriale (districts, SPL, milieux innovateurs, SYAL…) peuvent être rapprochées par une articulation entre proximité géographique et proximité organisée. La superposition entre ces deux types de proximité n’est cependant pas toujours assurée, c’est ce qui explique l’impossibilité d’analyser les dynamiques territoriales à partir de ces modèles figés qui ne peuvent pas rendre compte des différents processus (Torre, 2004). La proximité géographique est l’instance des coûts, des temps, des infrastructures et des relations sociales inscrites dans la matérialité de l’espace (Garnier, 2004). Elle peut se mesurer par la distance, le voisinage, l’accessibilité, bref elle se réfère à la dimension matérielle du territoire (Burmeister et Dupuy, 2003). Elle permet les phénomènes d’agglomération et de co-localisation, mais aussi l’urbanisation et les relations de face-à-face. Il est donc évident que cette proximité est partielle et qu’elle ne peut pas expliquer à elle seule les dynamiques spatiales contemporaines. Pour ce faire on peut faire recours à la proximité organisée et à la proximité institutionnelle. Lorsque l’on cherche à définir ces deux dimensions de la proximité, des problèmes épistémologiques émergent. Il y aurait en effet des approches différentes, l’une dite institutionnaliste et l’autre dite interactionniste (Colletis, 2008). L’approche de nature institutionnaliste historique ne parvient pas à surmonter les difficultés liées à la distinction entre organisation et institution, ce qui pose le problème de distinguer entre les deux typologies. La littérature se complexifie et par conséquent appréhender les phénomènes : outre la distinction générale entre le courant interactionniste (proximités géographique, organisationnelle et institutionnelle) et le courant institutionnaliste (proximité géographique et organisée), certains auteurs ont introduit plusieurs distinctions entre « proximités lourdes » et « proximités légères » (Garnier, 2004), entre « proximité organisationnelle » et « proximité informationnelle » (Veltz, 1995) et aussi entre « proximité géographique temporaire, subie ou recherchée » (Rallet et Torre, 2004). D’autres dimensions de la proximité peuvent être repérées, comme la « proximité cognitive » (Boschma, 2004) ou la « proximité circulatoire » (Blanquart, 1998). La liste n’est pas exhaustive. Le résultat est donc une confusion relative à l’articulation entre les différentes dimensions de la proximité, et en particulier « un flou concernant les définitions des formes « organisationnelles » et « institutionnelles » de proximités, ainsi que leur combinaison »165. Il n’y a pas de convergence sur l’activation des effets de proximité (Bouba-Olga, Grossetti, 2006). En effet, actuellement il n’y a pas une théorie de la proximité, mais tous les approches dégagent les points communs suivants :

• le territoire est un construit et non un réceptacle d’activités économiques ; • la proximité ne se limite pas à une vision purement géographique, physique. Elle ne se

réduit pas « à être voisin de », mais prend en compte les institutions, les organisations, la culture ;

• les dynamiques de proximité naissent notamment de la tension entre le local et le global (Burmeister et Dupuy, 2003).

Plutôt que s’intéresser à l’ancrage territorial versus le nomadisme des firmes, peu cohérent avec notre thématique, l’approche de l’ « encastrement » de la coordination économique dans les réseaux sociaux ou interindividuels d’une part et dans les institutions de l’autre me semble plus solide, tant sur le plan théorique que sur ses applications empiriques (Grossetti, 2001, 2004 ; Triglia, 2002 ; Torre, 2004 ; Raveyre, 2005). Cette approche se distingue de la plupart 164 Latour B., Changer de société. Refaire de la sociologie, Paris, La Découverte, 2006, pag. 365. 165 Colletis-Wahl K., Micro-institutions et proximités : quelles lectures des dynamiques territoriales ?, dans : Révue d’économie régionale et urbaine, num.2, 2008, pag. 261.

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des études sur les effets de proximité, qui tendent le plus souvent à s’enfermer dans la seule dimension économique ou technologique. Dans ce sens, la proximité n’est pas considérée comme une contrainte qui oblige des acteurs à se rapprocher physiquement, mais comme un construit (Gilly et Torre, 2000 ; Burmeister et Dupuy, 2003). Ce caractère spécifique a été bien décrit par M. Raveyre : « Les relations interpersonnelles de proximité occupent une place importante dans cette forme de relation en réseaux. Toutefois, il ne s’agit pas ici uniquement de liens s’établissant à partir de réseaux sociaux existants, ou de communautés culturelles historiquement constituées comme cela est le cas dans les systèmes locaux, ou encore de « proximité organisationnelle » que les agents acquièrent du fait de leur appartenance à une organisation (Rallet, Torre, 2001), mais surtout de réseaux de relations qui se créent dans le cours de l’action. Il ne s’agit pas non plus a priori de proximité institutionnelle : les acteurs en présence appartiennent, pour partie, à des mondes différents, entre lesquels on s’accorde généralement à reconnaître qu’il est difficile d’établir des passerelles. Plus que l’existence de solidarités et que le partage de représentations où de référentiels communs préexistants à l’échange, c’est la négociation (au sens large) entre les acteurs qui constituerait l’un des principaux moteurs de cette dynamique d’association. Les réseaux qui se nouent sont plutôt à considérer comme un processus émergent : les accords se construisent dans le cours de l’action, en établissant des connexions entre plusieurs types de réseaux existants, mais aussi en en créant de nouveaux ; ils supposent de mobiliser divers types d’acteurs, ce qui n’est pas acquis d’emblée. Dans une certaine mesure, la proximité est ici en partie construite. »166 On peut en déduire, avec M. Grossetti, que les relations locales entre organisations ne peuvent être pleinement comprises qu’en interrogeant le niveau individuel (Grossetti, 2001). Ainsi, « on ne peut donc pas comprendre les effets de proximité en restant au seul niveau des organisations. Il faut pouvoir « descendre » au niveau des individus et de leurs réseaux et pouvoir remonter ensuite au niveau des organisations et au-delà au niveau des systèmes plus vastes »167. Plus précisément Grossetti avance que la proximité géographique s’institue dans les relations professionnelles à travers la participation des individus à des réseaux locaux qui sont, en grande partie, extra-professionnels et ces relations peuvent dépasser les frontières mêmes des organisations du fait de la circulation des individus à travers des cercles sociaux différents (Grossetti, 2004). En faisant l’exemple de Toulouse, il montre qu’à l’échelle de la ville peuvent coexister plusieurs systèmes productifs peu liés entre eux. Ainsi à Toulouse, l’installation des activités aéronautiques au nord-ouest, de l’électronique au sud-ouest et de l’industrie spatiale au sud-est est le fruit des politiques d’aménagement urbain des années soixante, ce qui n’a pas empêché la formation successive, sous l’effet conjugué de l’évolution des technologies et des relations science-industrie, d’un système dédié aux compétences de conception en électronique et en informatique et d’un autre système centré sur les sciences du vivant, lié à des activités distinctes qui découlent des fonctions de capitale régionale. Et, ce qui compte le plus c’est que chacun de ces systèmes se structure autour de réseaux distincts, tant au niveau des organisations qu’au niveau des individus (Grossetti, 1995, 2004). Pour comprendre les effets spécifiques de la proximité, « il est nécessaire de se placer au niveau des hommes et des organisations saisis dans des situations concrètes pour comprendre en quoi leurs logiques sont travaillées par le local »168. Les réseaux sociaux expliquent la proximité puisqu’ils ont une part locale très importante : « l’origine géographique peut être un élément non négligeable de proximité des références et de construction des identités. Il y a une mémoire des lieux, des modes de vie, des personnes, du territoire en définitive, qui peut

166 Raveyre M., Restructurations, grands groupes et territoires De l’utilité de la construction d’espaces de coordination localisés, dans : Géographie, Economie, Sociétés, vol. 7, 2005, pag. 341. 167 Grossetti M., Concentration d’entreprises et innovation : esquisse d’une typologie des systèmes productifs locaux, dans : Géographie, Économie, Sociétés, vol. 6, 2004, pag. 171. 168 Grossetti M., Sciences, industrie et territoire, Presses universitaires du Mirail, Toulouse, 1995, pag. 34.

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constituer un ensemble de références communes »169. En donnent pour preuve les résultats empiriques obtenus à partir d’enquêtes réalisées en milieu urbain, en France comme ailleurs : pour rester toujours à Toulouse, 83% des 300 personnes interrogées habitent à moins d’une heure de transport et 71% dans les communes de l’agglomération. Assez pour faire dire à Grossetti que « l’ « atmosphère industrielle » de Marshall n’est qu’une métaphore. Pour bénéficier des effets de proximité au sein d’un système productif local, il ne suffit pas d’en respirer l’air plus ou moins pollué, il faut rencontrer des gens, nouer des relations, construire des réseaux »170. Seulement si l’on rentre dans ces réseaux d’acteurs, ancrés spatialement et transversalement aux organisations et aux institutions, on peut vraiment comprendre les logiques qui expliquent la construction territoriale de la qualité. En retenant l’importance donnée aux relations de proche en proche, on peut considérer le réseau comme « un régime d’interaction et de coordination […] émergent, tourné vers l’avenir. Les actions ne s’y ajustent pas selon le mode de l’ « évaluation », mais selon le mode de l’ « intéressement », au sens que M. Callon donne à ce terme »171. Autrement dit, nous étudions le jeu des acteurs avec une approche interactionniste enrichie par les concepts de la sociologie de l’acteur-réseau, qui permettent de sortir d’un réductionnisme relationnel de l’activité économique (Torre, 2004 ; Bouba-Olga et Grossetti, 2006 ; Colletis, 2008). 3.5. Comprendre la construction d’une ressource territoriale. Il est clair que partager un même espace implique aussi le partage de ressources communes et donc, « autour d’intérêts communs liés au territoire, des réseaux peuvent se construire ou s’activer lors d’une mise en jeu territoriale quelconque »172. Il faut alors préciser ce que l’on entend par ressource. Comme nous avons vu dans le premier chapitre, le territoire, de même que le terroir, est à la fois le contenant et l’issue d’un processus d’élaboration d’un contenu, ce qui nous amène à articuler entre :

• « le territoire donné : c’est la portion d’espace (le plus souvent d’un découpage infranational) constituée qui est l’objet de l’observation. Dans ce cas, on postule le territoire comme préexistant et on analyse ce qui s’y déroule. C’est en quelque sorte le territoire a priori, pour lequel on ne cherche pas à analyser la genèse et les conditions d’élaboration, mais qui constitue un support. Il s’agit généralement d’un territoire institutionnel : région, canton, cercle, province, etc.

• le territoire construit : dans cette perspective, le territoire est le résultat d’un processus de construction par les acteurs. Le territoire n’est pas postulé, il est constaté a posteriori. Cela veut dire que le territoire construit n’existe pas partout et que l’on peut donc se trouver en présence d’espaces dominés par les lois exogènes de la localisation et qui ne sont pas des territoires »173.

Le constat de l’irréductibilité du territoire à stock de ressources impose la définition de ces dernières. Au sein d’un territoire rural, une exploitation agricole peut produire, à côté des biens et services marchands classiques, des flux matériels ou immatériels qui peuvent avoir des effets positifs ou négatifs sur les activités de production ou de consommation. Ces phénomènes sont la traduction d’interactions entre les acteurs économiques et sont communément abordés par les économistes à travers le concept d’effets externes ou d’externalités, négatives (pollutions,

169 Grossetti M., op. cit., 1995, pag. 260. 170 Grossetti M., op. cit., 2004, pag. 169. 171 Veltz P., op. cit., pag. 217. 172 Grossetti M., op. cit., 1995, pag. 261. 173 Pecqueur B., op. cit., pag 299.

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dégradation du paysage, perte de fertilité des sols, etc.) ou positives (gestion hydrogéologique, entretien du paysage, sauvegarde de la biodiversité, etc.). On rappelle que dans le monde de la commercialisation interpersonnel que nous avons théorisé plus haut (cf. chap. 2), le produit est l’élément clé autour duquel se construit l’espace stratégique critique de l’économie pour ses acteurs. Ce sont effectivement les agriculteurs qui élaborent le produit et non des variables exogènes et des phénomènes formels comme les technologies et les marchés (Sylvander et al., 2007). De plus, dans ce monde interpersonnel, les situations d’échange entre producteurs et clients ont pour particularité une relation immédiate entre les pratiques de production et les usages de consommation. Dans ce monde, les usages prennent leur place en continuité des pratiques de transformation. Le lieu d’achat et donc d’évaluation des propriétés du produit est souvent le lieu de production. Ainsi, le produit engage la renommée du fabricant et elle seule, et celle-ci est autant attribuée à son savoir-faire qu’au produit dont on accepte les défauts contingents, les irrégularités expliquées par le producteur lui-même. C’était une modalité d’existence assez répandue en milieu rural, mais qui s’efface progressivement, suite à l’affaiblissement des liens socioculturels et aux institutions traditionnelles, comme la famille ; ce qui amène à une disparition des repères d’identification de ces productions (Dubeuf et Sorba, 2002). C’est là que Slow Food tient un rôle primordial : par la mise en avant d’un ensemble de valeurs (par exemple : produit « bon », « propre » et « juste »), il a une fonction de véritable médiateur culturel entre les usagers et les producteurs (et aussi d’autres acteurs) qui se retrouvent liés au sein d’une même « communauté de la nourriture ». Ainsi, dans l’exemple cité de la « Robiola », ce sont des acteurs locaux qui n’appartiennent pas au monde de la production qui se sont mobilisés. Motivés par la recherche d’un goût authentique, respectueux du terroir, ils ont agi de façon proactive, autrement dit, ils ont fait pression pour que l’appellation soit modifiée en faveur des « vrais » producteurs, ceux qui utilisaient le lait des troupeaux de chèvres. La notoriété de Slow Food tient de plusieurs actions similaires : ainsi, le « lardo di Colonnata », un des premiers « presidi » créés en Italie, se réfère à un produit qui, malgré une réputation locale, ne pouvait plus être commercialisé, suite à l’application stricte de normes hygiéniques par l’autorité sanitaire locale pour laquelle la phase de l’affinage dans les anciennes carrières de marbre ne respectait pas certains critères. La mobilisation d’une hétérogénéité d’acteurs dans un réseau multidimensionnel a amené au changement de cet environnement institutionnel défavorable, ce qui a eu pour effet de donner une notoriété médiatique à l’échelle nationale à Slow Food et parallèlement au produit objet de la mobilisation. Un autre exemple montrant les valeurs sur lesquelles se fondent les actions de Slow Food nous vient de la France, où 169.000 tonnes de fromage au lait cru ont été produites en 2007, soit une baisse de 5,8% par rapport à 2006 et de 12% depuis 1997, et où les productions au lait pasteurisé continuent par contre d’augmenter et représentent désormais 86% des fromages affinés174. Slow Food se veut, depuis la création de « Cheese » en 1997, promoteur et défenseur du lait cru en tant qu’élément d’enracinement territorial et de qualité organoleptique pour les fromages. C’est ainsi qu’en 2007 deux géants de l’industrie alimentaire française, Lactalis et Isigny-Sainte-Mère, ont abandonné l’AOC camembert de Normandie pour produire le fromage avec du lait pasteurisé ou thermisé (le cahier des charges de l’appellation oblige l’utilisation du lait cru). Les deux entreprises représentent 80% de la production de camembert et leur décision d’abandonner le lait cru n’a été dictée que par des raisons économiques : la fabrication au lait cru est en effet plus coûteuse, exige davantage de contrôles sanitaires et plus d’attention. Lactalis et Isigny ont fait pression sur l’ODG (Organisme de Défense et de Gestion qui représente les acteurs de la filière des produits AOC) et sur l’INAO pour produire le camembert AOC de Normandie avec du lait pasteurisé. Slow Food France s’est rangé du côté des petites productions au lait cru et a promu une

174www.cheese.slowfood.com/pagine/deu/ufficio_stampa/comunicato.lasso?id=3E6E345B114fd25ADBroj328BB05&ln=fr&-session=ch2009:42F941761d84d0D74AqWN1E5686D

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campagne pour s’opposer au camembert AOC de Normandie au lait pasteurisé. Finalement, la proposition des industriels n’a pas été acceptée. Néanmoins, la sortie de ces deux acteurs de l’appellation a entraîné une baisse des productions de fromages au lait cru : moins 59% en Basse-Normandie… En somme, même si ce n’est pas le cas pour ce dernier exemple, les « produits Slow Food » peuvent bien être considérés comme des biens patrimoniaux. Ils sont des produits reconnus par l’usage, donc porteurs de valeurs culturelles et identitaires qui dépassent la seule sphère marchande (Bérard et Marchenay, 2004). Cela concerne avant tout leur valeur culinaire - le goût -, mais pas seulement : ils participent à la préservation de la biodiversité globale puisqu’ils font partie de l’arche du goût, l’inventaire créé par Slow Food (Cf. Annexes et partie II), où sont classés les produits de terroir en voie de disparition. Il s’agit en effet d’espèces ou de variétés rares qui constituent une richesse biologique et culturelle, de par les savoir-faire nécessaires à leur exploitation. De plus, ces produits tirent souvent leur spécificité des rapports directs avec l’espace car leur production est le résultat de processus d’internalisation d’externalités positives, par exemple l’entretien du paysage de la part des troupeaux. Ils peuvent être considérés aussi comme des biens collectifs, de par la valorisation indirecte de l’environnement et du contexte socio-spatial de production. Au vu de ces caractéristiques, il est possible de faire une analogie entre les notions de patrimoine et de ressource territoriale. Tout processus de production demande des inputs, c’est-à-dire des facteurs de production que l’économie standard désigne comme ressources. On distingue en ce sens les actifs, qui sont « des facteurs en activité », c'est-à-dire valorisés sur le marché, des ressources, qui sont des « facteurs à exploiter, à organiser ou encore à révéler », c'est-à dire qu’elles constituent une réserve et peuvent se transformer en actifs si les conditions de production ou de création de technologie le permettent (Pecqueur, 2005). L’autre distinction à faire est celle entre les ressources et/ou actifs génériques, définis par le fait qu’ils sont reproductibles en tout lieu et dont la valeur est indépendante de leur participation à un quelconque processus de production, et les ressources et/ou actifs spécifiques, « expression du processus cognitif qui est engagé lorsque des acteurs ayant des compétences différentes produisent des connaissances nouvelles par la mise en commun de ces dernières » (Hirczak, et al., 2004 ; Pecqueur, 2005). En résumé, ce qu’on appelle ressource ce sont des facteurs à exploiter, à organiser, à révéler. Dans l’optique d’une concurrence entre territoires, « une différenciation durable, c’est-à-dire non susceptible d’être remise en cause par la mobilité des facteurs, ne peut naître véritablement que des seules ressources spécifiques, lesquelles ne sauraient exister indépendamment des conditions dans lesquelles elles sont engendrées »175. Par ailleurs, il semblerait que les espaces disposent tous de ressources potentielles qui peuvent être révélées ou valorisées, mais qu’il n’existe pas de ressource en soi, cela constituant le postulat de base du développement local (Angeon et Caron, 2004). C’est pourquoi tout l’enjeu des stratégies de développement territorial est essentiellement de saisir ces conditions, et de rechercher ce qui constituerait le potentiel identifiable d’un territoire, que l’on pourra désigner aussi par la notion de patrimoine (Hirczak et al., 2005). La notion de ressource-patrimoine permet en effet de dépasser la conception strictement utilitaire, renvoyant à des objets ayant des justifications176 qui dépassent le cadre strictement marchand (Kebir, 2004 ; Peyrache-Gadeau, 2004). De la même façon qu’une ressource ou que le territoire, « le patrimoine n’existe pas a priori » (Leniaud cité par Di Méo, 1998). Comme nous avons vu dans le premier chapitre, le produit de terroir peut être appréhendé en tant que ressource territoriale, celle-ci faisant l’objet d’une construction sociale, car « tout objet peut endosser une fonction patrimoniale et tout espace peut devenir territoire, à la condition qu’ils soient, l’un et l’autre, pris dans un

175 Hirczak M., Pecqueur B., Mollard A., Le panier de biens et de services de qualité : vers un modèle de développement territorial durable, dans : Montagnes Méditerranéennes, num. 20, 2004, pag. 39. 176 Au sens de Boltanski et Thevenot (1991).

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rapport social de communication » (Raffestin, 1980). Si « les ressources constituent un processus relationnel entre un objet (connaissance, matière première, etc.) et un système de production »177 et si, comme le dit Di Méo (1998), l’élargissement du concept patrimonial à la dimension territoriale ne fait plus le moindre doute, on peut toutefois identifier par quelles étapes se déroule le processus de patrimonialisation. Nous pouvons suivre à ce propos H. François, M. Hirczak et N. Senil, qui proposent une explication duale178.

Fig. 12 – La ressource territoriale au cœur de la dynamique territoriale (Source : François, Hirczak, Senil, 2006).

Une première analyse (Fig. 12) met en évidence deux processus distincts d’efficience de la ressource territoriale :

- un « circuit long » incluant une phase de valorisation marchande ; - un « circuit court » dans lequel la ressource n’est pas valorisée, mais elle participe tout

de même à redéfinir les conditions de départ et les ressources spécifiques mobilisées par des processus de production.

« Par cette distinction il est possible de différencier ce qui fait ressource de ce qui est actif et d’aborder le processus même de la construction, de la révélation et de la valorisation de l’objet devenu patrimoine ». C’est bien le cas évoqué des produits sentinelles qui, « requalifiés » par les acteurs locaux, à travers la médiation de Slow Food, deviennent des objets de référence qui participent activement à la construction culturelle et identitaire du territoire.

177 Kebir L., Ressource et développement régional, quels enjeux ?, dans : Révue d’économie régionale et urbaine, num. 5, 2006, pag. 703. 178 François H., Hirczak M., et Senil M., Territoire et patrimoine : la co-construction d’une dynamique et de ses ressources, dans : Révue d’économie régionale et urbaine, num. 5, 2006, pp. 683-700.

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« Le patrimoine peut donc être abordé avec la notion de ressource, au sens où il fait lien entre un objet et un système (ici la dynamique patrimoniale) au travers du processus de patrimonialisation. Cette dynamique étant fondamentalement liée à la dynamique territoriale, les ressources territoriales constituent une forme de patrimoine, dont la vocation ne sera pas uniquement marchande »179. Le processus de patrimonialisation se déroule en plusieurs étapes selon une logique itérative180.

Fig. 13 – Les étapes de la patrimonialisation (Source : François, Hirczak, Senil, 2006).

1. Sélection. Un processus de construction s’exécute dès l’instant où les objets sont sélectionnés à la lumière des potentialités qu’ils recèlent. Cette mise en évidence peut être un moment de découverte, appelée « invention ». Dans notre cas, les acteurs vont mettre en place une sorte d’invention de la tradition, par exemple par la récupération et la mise en culture d’une ancienne variété végétale ou par la relance d’une race locale.

2. Justification. La justification permet par la suite de repositionner l'objet dans son contexte. Par conséquent, lors du passage à l'étape supérieure, l'objet se construit, évolue sous l'effet des échanges et de la confrontation des représentations, ce qui modifie ainsi son statut (Faure, 2000). On peut penser au partage de connaissances nécessaire aux producteurs pour définir les caractéristiques du produit afin de pouvoir l’inscrire à l’arche du goût181.

3. Conservation. C’est l’ensemble des actions ou processus qui visent à sauvegarder les éléments caractéristiques d’une ressource culturelle afin d’en préserver la valeur

179 François et al., op. cit., pag. 690. 180 François et al., op. cit., pag. 691. 181 Les critères d’inscription dans l’arche du goût sont décrits dans la deuxième partie.

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patrimoniale et d’en préserver la vie physique. On peut penser à la restauration d’étables en pierre des estives, ou des murs en pierre sèche d’une culture en terrasses.

4. Exposition. La mise en exposition donne les moyens de présenter le bien au public et lui offre ainsi une reconnaissance sociale (Laplante, 1992). C’est à ce moment-là qu’une connexion est faite avec le tourisme. On peut penser à la participation à un concours agricole ou à la création d’une route thématique.

5. Valorisation. Cette dernière étape n’est pas automatique, la mise en exposition pouvant se suffire à elle-même. Elle peut toutefois représenter une sorte de « consécration économique » pour les efforts fournis tout au long du processus. C’est le cas d’un produit qui après avoir été inscrit dans l’arche du goût, acquiert le statut de « Presidio » ou de « Sentinelle ».

Il faut souligner que, quelle que soit la phase du processus, l’appropriation est très importante parce qu’elle prouve une attribution de sens, la formation d’une identité commune. Ce caractère transversal renvoie aussi à la présence de conflits, notamment lorsque l’appropriation est faite de manière illégitime. De plus, s’il n’y a pas d’appropriation collective ou si elle est partielle, l’initiative sera destinée à l’échec ou encore elle aura un effet déstructurant pour le territoire. C’est le cas d’un surinvestissement marchand de la ressource, qui, au détriment des composantes sociales et environnementales peut en préjuger la durabilité. En conclusion, en abordant la question du patrimoine sous l’angle de la ressource territoriale, il est possible d’appréhender le produit à la fois comme un facteur potentiel de la croissance économique, confronté à la conjoncture marchande, mais aussi un élément fondateur de la dynamique socioculturelle locale qui s’inscrit dans l’histoire de la collectivité. Comme maintes fois souligné, le territoire constitue à la fois un support de diffusion des ressources et un lien entre elles que seule une approche territoriale est à même de souligner. Nous avons vu dans le premier chapitre avec le cas de l’AOC Beaufort que le paysage, considéré comme une forme patrimoniale, est une source de valeur ajoutée pour différentes composantes de l’offre de territoire, notamment le tourisme, mais il peut aussi devenir un facteur d’attractivité pesant sur les conditions du marché local (en jouant sur le rapport offre/demande). « L’entretien du paysage, assuré par un groupe particulier, dans ce cas les agriculteurs, peut leur profiter, par le biais de produits de qualité territoriale, tout en apportant une valeur ajoutée à l’ensemble de l’offre du territoire (par exemple les gîtes). De fait, la qualité de l’environnement constitue une ressource territoriale mobilisable par différents types d’acteurs dans une stratégie de développement. En retour, elle constitue aussi un facteur d’attractivité territoriale important (Angeon et Caron, 2004). De plus, outre cette dimension d’externalité positive, le territoire donne une cohérence productive dans la mobilisation de différentes ressources. Toutes sont parties d’un même système de production et participent de la construction territoriale. En ce sens, elles prennent un sens collectif et on peut supposer que la spécificité des territoires peut tout aussi bien résider dans la ressource même, que dans leur combinaison originale »182. Suite à ces considérations, nous rejoignons B. Pecqueur lorsqu’il souligne le remplacement, déjà évoqué plus haut, du concept de l’avantage comparatif par celui de « l’avantage différenciatif », constatant qu’il n’est plus possible aujourd’hui pour les territoires d’être dans une logique de comparaison et que pour échapper aux lois de la concurrence lorsqu’elles sont impossibles à suivre, ils doivent chercher une spécialisation dans la production pour laquelle ils seraient, dans les conditions idéales, en situation de monopole. C’est en cherchant la solution à un problème productif que des acteurs peuvent trouver cet avantage (Pecqueur, 2007). Pour nous le problème est le danger de disparition de la ressource-produit, pour laquelle c’est Slow Food qui aide à créer les conditions idéales.

182 François et al., op. cit., pp. 695-696.

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3.6. La méthode de l’acteur-réseau et le cycle de la traduction. En conclusion de cette première partie, nous allons présenter la construction méthodologique du travail de recherche sur le terrain exposé dans la partie suivante. Il s’agit d’une série d’enquêtes réalisées dans un premier temps (entre janvier et mars 2010) en Italie, et puis en France (mars et avril 2010). Dans un premier temps, la préférence est accordée aux données qualitatives, obtenues par des entretiens directifs et des interviews ouvertes avec les producteurs et d’autres témoins privilégiés comme les responsables des associations des producteurs. Dans un deuxième temps, nous procédons à l’envoi d’un questionnaire électronique aux membres locaux de Slow Food, avec l’appui des responsables locaux de Slow Food contactés. Le questionnaire a l’objectif de prendre en compte l’ensemble des consommateurs engagés dans les conviviums locaux de Slow Food et il devrait permettre d’obtenir des informations de type qualitatif (perceptions de la qualité), mais aussi de type quantitatif, notamment par rapport à la localisation des lieux d’achat, d’approvisionnement et de consommation, à la résidence et d’autres données qui permettent de déterminer le profil socio-économique des membres de Slow Food. A travers les informations recueillies il est possible de construire le réseau d’acteurs selon l’approche de l’ « Actor Network Theory » (ANT), intégrée par l’outil conceptuel du « cycle de la traduction » (Callon, 1986 ; Law, 1992 ; Akrich et al., 2006)183. Brunori et al. (2006) a analysé l’organisation des systèmes socio-économiques des produits typiques à travers l’ANT184. L’analyse en terme de réseau permet d’aller au-delà des schémas conceptuels qui se focalisent sur les flux du produit ou sur la filière, qui seraient insuffisants : il est en effet nécessaire de comprendre les relations et les discours et pas seulement les flux physiques et monétaires (Johnson, 1988 ; Boltanski et Thevenot, 1991 ; Law ; 1992). Selon Brunori, il est ainsi possible d’expliquer la genèse et la reproduction du capital endogène d’un territoire et comment ce capital territorial est incorporé dans les produits, « donnant vie à ce que l’école française a défini terroir »185. Ce capital territorial est constitué par plusieurs composantes, sorte de « boîtes noires », c’est-à-dire de règles partagées et capitalisées et qui ne sont plus l’objet d’une négociation (Latour, 1998 ; Akrich et al., 2006). Elles sont les suivantes :

- le capital naturel, c’est-à-dire les races, les variétés autochtones, le paysage, la qualité de l’air ou de l’eau, la fertilité des sols, certains microclimats spécifiques ;

- le capital culturel, qui regroupe des techniques de production, des produits artisanaux, des traditions locales, recettes, styles de vie, vêtements, monuments et objets historiques ;

- le capital humain, constitué par l’ensemble des capacités présentes dans les individus, telles que des métiers spécifiques, la connaissance de phénomènes naturels ou de mécanismes écologiques locaux, capacité d’organisation et de communication ;

183 Pour d’autres applications de l’ANT voir aussi : Latour B., On Actor Network Theory: A few clarifications, Centre for Social Theory and Technology, Keele University, UK, 1998 ; Akrich M., Callon M., Latour B., Sociologie de la traduction : textes fondateurs, Paris, 2006 ; Latour B., Changer de société. Refaire de la sociologie, Paris, La Découverte, 2006. Sur les limites de l’approche ANT dans l’agroalimentaire et ses liens avec la gouvernance voir : Marsden T., Food matters and the matter of food: toward a new food governance ?, dans : Sociologia Ruralis, vol. 40, num. 1, 2000. 184 Brunori G., Cerruti R., Rossi A., Rovai M., L’analisi dell’organizzazione dei sistemi socio-economici dei prodotti tipici attraverso l’approccio di network, dans : Rocchi B., Romano D., (a cura di), Tipicamente buono. Concezioni di qualità lungo la filiera dei prodotti agroalimentari in Toscana, Franco Angeli, 2006, pp. 97-116. Voir aussi : Amilien V. et Maizi P., Les tribulations d’un bien commun : l’AOC Ossau Iraty, pp. 185-191, dans : Durbiano C. et Moustier P., (sous la direction de), Actes du colloque international sur les terroirs, université de Provence, 9-12 mai 2007. 185 Brunori et al., op. cit., pag. 100.

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- le capital social, (ou capital relationnel, cf. plus haut), potentiel d’action collective lié aux réseaux familiaux, amicaux, associatifs, etc.186

La mobilisation de ces ressources facilite la création d’un capital symbolique, sur lequel se fonde la communication de la qualité vers l’extérieur et donc la naissance de la réputation, la confiance que les observateurs extérieurs ont vers le produit ou le nom, et qui est à la base de toute création du capital économique187. Dans un article dédié au cas du district rural du Chianti, Brunori et Rossi expliquent le processus à la base de la création du capital symbolique188. Comme nous pouvons voir dans le schéma de la figure 14, l’intervention d’acteurs internes et externes permet la création d’un champ de pouvoir. Les acteurs internes procèdent vers un alignement, à travers le partage de comportements, valeurs, routines, sur lequel se fonde la construction d’identité et d’institutions. Ce sont les boîtes noires, un ensemble de règles intériorisées, qui motivent l’action des acteurs : par exemple, le choix d’élever une race locale, moins productive, mais plus adaptée au contexte, ou encore plus clair, l’ensemble des comportements adoptés par les agriculteurs biologiques, au départ « alternatifs », aujourd’hui reconnus par les institutions grâce aussi aux consommateurs qui ont choisi ce modèle de production suite aux crises alimentaires (vache folle, etc.). Le réseau est donc influencé par des changements de l’environnement extérieur et par l’adoption de nouveaux comportements ou idées des acteurs internes (Kirwan, Foster, 2008).

Fig. 14 – Le processus de formation du capital symbolique (Source : Brunori et Rossi, 2007).

A travers le contrôle du consensus et le renforcement des institutions, le champ de pouvoir peut influencer la prise de décisions et les politiques liées au capital territorial et en même temps une implémentation effective et efficace des politiques est en relation stricte à l’alignement des acteurs. Les acteurs externes sont impliqués dans le processus en tant que cibles des pratiques de communication contrôlées par le champ de pouvoir, en tant qu’utilisateurs du territoire et

186 Belletti G., Brunori G., Burgassi T., Cerruti R., Marescotti A., Rossi A., Rovai M., Scaramuzzi S., Guida per la valorizzazione delle produzioni agro-alimentari tipiche: concetti, metodi, strumenti. Firenze, Arsia, 2006, pag. 48. 187 Belletti G., Brunori G., Marescotti A., Pacciani A., Rossi A., Il processo di valorizzazione delle produzioni tipiche, dans : Rocchi B., Romano D., (a cura di), Tipicamente buono. Concezioni di qualità lungo la filiera dei prodotti agroalimentari in Toscana, Franco Angeli, 2006, pp. 182-183. 188 Brunori G. et Rossi A., Differentiating countryside: Social representations and governance patterns in rural areas with high social density: The case of Chianti, Italy, dans : Journal of Rural Studies, num. 23, 2007, pp. 183-205.

Politiques

Alignement

Identités

Capital territorial

Acteurs internes

Champ de pouvoir

Acteurs externes

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comme observateurs des discours qui concernent le territoire même. Ainsi, ces observateurs externes interfèrent dans le processus d’alignement à travers leur influence sur les politiques, sur les marchés, et sur les processus de construction de sens à la base de la formation des identités locales. Enfin, la réputation gagnée avec l’intervention des acteurs extérieurs est incorporée dans le produit avec un nom ou un signe distinctif, ce qui correspond au capital symbolique. En particulier, Brunori et Rossi nous disent que « plus ce capital symbolique est fort, plus grands seront les bénéfices qu’un territoire peut en tirer par sa mobilisation dans des marchés et dans des réseaux politiques »189. Les ressources constitutives du capital territorial, matérielles ou immatérielles, circulent à travers des structures relationnelles situées dans des contextes spatiaux, dans lesquels les acteurs se situent aussi. Ces derniers sont donc les nœuds de structures relationnelles territorialisées dont nous cherchons à comprendre les dynamiques organisationnelles. De ce fait la nourriture peut être appréhendée au sens de Slow Food comme un réseau de personnes, de lieux, de produits et de savoirs (Cf. chap. 3.6 et fig. 15). La nourriture intègre en effet une valeur relationnelle, par sa capacité à favoriser la construction ou le renforcement des liens entre les individus, et les produits du terroir constituent le support de cette construction, en particulier du coté des consommateurs lorsqu’ils s’organisent dans des réseaux alternatifs de consommation alimentaire (Goodman, 2004 ; Sonnino et Marsden, 2006 ; Maye, Holloway et Kneafsey, 2008). « L’homme est en effet ancré à son lieu de naissance autant par la dimension matérielle de son attachement au territoire à travers les produits, les objets qui lui sont familiers par exemple, que par la dimension immatérielle comme sa culture d'origine ou ses savoirs locaux »190.

Fig. 15 – La nourriture selon Slow Food : un réseau territorialisé. L’approche ANT se base sur un principe de symétrie, par lequel les acteurs humains et les acteurs non humains sont considérés de manière identique dans la construction du réseau (Callon, 1986). Les acteurs non humains (ou actants) sont définis comme « intermédiaires, lesquels contribuent à leur tour à la construction de réseaux de relations et, combinés ensemble, établissent les liens de nouvelles structures organisationnelles ou macro-acteurs »191. La métaphore du réseau, outre l’identification des stratégies192 des acteurs

189 Brunori G. et Rossi A., op. cit., pag. 198. 190 Selon Dedeire M. et Tozanli S., Les paradoxes des distances dans la construction des identités alimentaires par acculturation, dans : révue Anthropology of Food, S3, Décembre 2007. 191 Brunori et al., op. cit., pag. 102. 192 On fait référence au terme “stratégie” ainsi défini par Di Méo G. : « production d’un discours et d’actes qui visent un objectif, une intentionnalité, dont la construction se place dans une perspective sociale que concrétisent des relations intersubjectives, des tensions et des dissymétries mesurables sur les rapports sociaux et spatiaux eux-mêmes ».

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impliqués, favorise aussi la compréhension des liens entre les comportements individuels et les macro-acteurs, les différences de comportement à l’intérieur d’un contexte socio-spatial donné. Le fait d’avoir ou pas une famille est par exemple un fait très important pour un acteur, mais qui est souvent négligé dans l’analyse économique. De plus, « les intermédiaires peuvent être interprétés comme le résultat de processus de consolidation de significats partagés, et une fois produits ils peuvent conditionner l’évolution des réseaux auxquels ils appartiennent »193. On peut penser à l’importance que possèdent certains éléments immatériels comme les codes, les lois, des règles techniques, et aussi d’éléments matériels, comme les édifices, les routes, tous les artefacts, y compris les modifications à l’environnement qui caractérisent par exemple certains paysages. Les éléments matériels sont particulièrement significatifs car ils peuvent influencer l’interaction entre les personnes : on peut penser au rôle de certaines infrastructures (routes, électricité…), et dans ces dernières années à l’importance croissante qu’assument les nouvelles technologies. Par exemple, internet a joué et continue de jouer un rôle fondamental pour le succès de Slow Food. Qu’elles soient au Brésil ou en Hongrie, en Pologne ou à Taipei, les personnes qui visitent le site, qu’elles soient membres ou pas de l’association, accèdent à une véritable mine d’informations, et elles y trouvent une banque de données avec tous les produits parrainés par l’association, les contacts des producteurs, mais aussi des articles de presse, des projets innovants et des dossiers sur tout ce qui concerne l’alimentation : des aspects sociaux, culturels, techniques, politiques, bref la gastronomie, dans le vrai sens du mot ; c’est plus qu’une banale présentation de recettes ! En somme, il est clair qu’une liaison rapide au réseau internet est aujourd’hui un service indispensable, encore plus pour les milieux ruraux que pour les zones urbaines. Il suffit de penser que sans internet, l’établissement de liens, le contact entre producteurs et entre ceux-ci et les clients n’aurait pas été possible. D’ailleurs cette même recherche n’aurait pas été possible sans internet ! Internet joue un rôle clé dans la diffusion des valeurs du mouvement, de l’information en général194. Pour ce qui concerne les éléments matériels, on peut rappeler l’importance d’autres applications technologiques telles que les panneaux solaires ou photovoltaïques, car elles peuvent aider certains producteurs à faire face à des problèmes autrefois insurmontables (par exemple faire marcher un appareil pour la potabilisation de l’eau ou le simple fait d’avoir un frigo), notamment pour ceux qui résident dans des zones enclavées comme celles de montagne. L’ANT peut aussi permettre d’identifier des situations conflictuelles et d’éventuelles dissymétries entre les acteurs, à partir desquelles il est possible de souligner les points critiques de l’organisation du système localisé et les facteurs à la base des processus du développement local (Akrich et al., 2006). Le réseau peut être alors considéré comme la conséquence d’une « structuration », le fruit d’une reconfiguration des rapports de pouvoir et des ressources. Pour comprendre l’évolution d’un réseau d’acteurs dans le temps, le concept du « cycle de la traduction » de Callon (1986) semble efficace et aussi pertinent pour décrire les dynamiques évolutives qui interviennent en tant que processus d’apprentissage et de construction sociale au sein des processus de valorisation. Le cycle peut se résumer dans une mise en relation qui implique toujours une transformation, c'est-à-dire d'une opération de « traduction ». Celle-ci consiste à relier des éléments et des enjeux à priori incommensurables et sans commune mesure. Elle renvoie à la série de re-formulations et re-présentations qu’un objet subit lorsqu’il circule dans un réseau d’action et s’avère pris successivement en charge par des acteurs et dans des contextes différents. La traduction établit un lien entre des activités hétérogènes et rend le réseau intelligible. Cette reconstitution du réseau passe généralement

193 Brunori et al., op. cit., pag. 102. 194 Drot-Delange, B., Sinda, A., PME de terroir : quels usages du web ?, dans : actes colloque Gabès, Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand, 2006, pp. 1-14.

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par l'analyse des controverses qui permet de voir comment les acteurs traduisent leurs positions tout en nous faisant entrer dans les débats qui construisent les faits pour ensuite se stabiliser (Akrich et al., 2006 ; Callon, Ferrary, 2006). Selon ce modèle on trouve quatre phases :

• problématisation : après l’identification d’une situation critique et d’une possible solution, le système d’acteurs développe progressivement une représentation commune de la réalité extérieure, à travers le partage de connaissances, valeurs et d’un sens d’identité ; la problématisation permet aux acteurs qui s’en emparent de délimiter la question et de se montrer indispensables à sa résolution ;

• intéressement : déploiement des discours, des objets et des dispositifs destinés à séduire et attacher les différents acteurs au réseau ; dans cette phase d’autres acteurs s’intéressent et rejoignent les premiers autour de cette représentation et ensuite autour de la définition d’objectifs et de stratégies en commun. Des points de passage obligés lient les opérateurs dans un système d’alliances ou d’associations : par exemple l’existence d’un programme de récupération d’anciennes variétés végétales ou de races locales ;

• attribution de rôles ou enrôlement : définition et stabilisation des rôles prescrits par la problématisation. Cela consiste à fixer aux différents acteurs du réseau ce qu’ils doivent faire dans la lignée de la traduction de leurs intérêts. Questions et hypothèses se transforment dans une série d’affirmations : les objets (actants), auxquels un rôle a été attribué permettent aux intéressements d’aboutir. Par exemple la lentille, de simple légume oublié, « assume » les propriétés qui lui sont attribuées : ressource de biodiversité, qualité organoleptique reconnue. Avec cette phase un nouveau réseau de relations est créé, suite à l’alignement du comportement des acteurs autour d’une série de règles, normes et routines qui devraient favoriser le réseau pour atteindre les objectifs ;

• mobilisation : le réseau a atteint une certaine stabilité spatiale et temporelle, il peut prendre une forme collective de macro-acteur ou méta-organisation qui entre en contact avec l’extérieur pour former d’autres réseaux. Les acteurs individuels se cachent derrière ce macro-acteur, qui s’exprime par des « porte-parole » représentatifs, qui permettront de rendre plus largement acceptable la version des faits produite.

Chaque acteur pouvant jouer le rôle de médiateur et effectuer des traductions pour faciliter l’accès des autres à son propre réseau, un maillage de relations locales peut se développer, qui pourra être réactivé à tout moment pour traiter des questions techniques, agricoles, financières, etc. Par exemple, la chambre de l’agriculture peut organiser une foire pour créer de la visibilité aux producteurs. Ces intermédiations, sont largement fondées sur des relations de proximité, relevant de plusieurs formes (Raveyre, 2005). En partie, les liens entre les acteurs s’appuient sur une proximité géographique, car c’est au sein de l’espace local qu’ils vont se rencontrer et élaborer des projets communs. Toutefois, ces coopérations dépassent le niveau local car chaque type d’acteur appartient à des ensembles et des réseaux plus globaux, réseaux que les agents vont mobiliser de diverses façons pour conduire l’action commune au niveau local. Dans le cas de cette recherche, des producteurs pourraient faire partie d’une association d’agriculteurs, ou encore d’un syndicat, celui-ci sera en contact avec des institutions locales ou nationales, etc. On souligne en particulier que les producteurs rentrent en contact avec les consommateurs par la médiation de Slow Food, à partir d’une échelle locale (vente directe ou restauration sur place/locale), jusqu’à une échelle globale : les « communautés de la nourriture » se réunissent chaque deux ans dans Terra Madre, « le réseau de réseaux » qui se matérialise à Turin en parallèle au salon du goût (Petrini, 2005 ; 2009). Avec cette articulation de liens locaux et globaux, nous sommes ici dans une configuration assez proche de celle de « small world » analysée par Zimmermann (2004).

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Fig. 16 – Les phases du cycle de la traduction.

Chaque cas étudié doit aussi être inséré dans un contexte précis. Il ne s’agit pas d’ajouter « une dimension supplémentaire qui donne du volume à une description sans cela trop restreinte et trop plate »195. Il s’agit de situer les éléments précédents dans des contextes politico-administratifs, légaux, culturels, économiques, qui donnent des paramètres généraux pour l’action. On y retrouvera des textes, des règlements, des lois, des procédures et des processus, des ressources (financières, politiques, légales…). Les contextes existent à toutes les échelles (locale, provinciale, régionale, nationale et internationale). Cette opération permettra une meilleure compréhension de la qualification territoriale des produits agricoles au-delà de la schématisation du réseau en forme graphique. Schématisation qui permet de mettre en évidence l’évolution, les changements, les configurations que les acteurs développent au sein du système territorialisé. Une analyse similaire, inspirée par les mêmes auteurs, est proposée par M. Doyon et C.R. Bryant (2007), chercheurs à l’université de Montréal, qui dans leur « schéma conceptuel de la dynamique des localités » (fig. 17) appliquent l’analyse des réseaux d’acteurs locaux et régionaux à la compréhension de la construction des territoires196.

195 Latour B., Changer de société. Refaire de la sociologie, Paris, La Découverte, 2006, pag. 263. 196 Cet exemple est tiré de : Bryant C. R., La place des espaces ruraux périurbains et de l’environnement dans le développement régional, dans : Hirczak M., Mollard A., Sauboua E. (coord.), Territoires et enjeux du développement régional, , éd. Quae, 2007, pp. 159-171.

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Fig. 17 – Schéma conceptuel de la dynamique des localités (Source : Bryant, 2007). Dans ce modèle les acteurs (1), qui peuvent être locaux ou non, poursuivent leurs intérêts, valeurs et objectifs (2), en posant des actions (3) (ou en empêchant d’autres de poursuivre leurs propres actions) ; pour ce faire, ils utilisent et construisent des réseaux (4) qui reflètent aussi bien l’organisation formelle (5a) de l’espace et son organisation informelle (5b). Suite aux multiples décisions prises et actions posées par les différents acteurs, différentes orientations (6a) émergentes, nous permettant de caractériser chaque localité en terme de profil socio-économique et d’activité humaine (un territoire périurbain peut être caractérisé par le développement résidentiel haut de gamme dans une petite ville, une agriculture portée sur l’agrotourisme et la conservation de la nature ; tandis qu’un autre territoire possède un profil caractérisé par une agriculture de grande culture et un habitat dispersé, et un autre encore par une agriculture orientée sur l’élevage, une fréquentation touristique importante et des zones « récréo-touristiques »). Evidemment, un territoire est aussi caractérisé par ce qui n’apparaît pas, c’est dans ce sens qu’on peut parler d’orientations latentes (6b) (une zone avec une écologie fragile mais où aucune action n’a été entreprise en termes de conservation) ; on peut expliquer ces orientations latentes de différentes façons, comme par exemple l’ignorance du potentiel ou de la nécessité d’une action ou un ensemble de décisions qui militent contre l’émergence de telle ou telle orientation. Enfin, toutes les composantes de ce schéma sont inter-reliées et interagissent dans un contexte (7) politico-légal administratif, culturel et économique, et ce, à différentes échelles géographiques.

Légende 1 : acteurs 2 : objectifs et intérêts 3 : actions

4 : réseaux 5a : organisation formelle 5b : organisation informelle

6a : orientation réelle 6b : orientation latente 7 : contexte

1 (2)

4

5a 5b

1 (2)

6b

6a

3

7

6a

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Les tenants de ce schéma conceptuel soulignent l’importance primordiale de bien comprendre les acteurs agissant « en contexte », et celle de poursuivre une recherche sur « les acteurs dans leurs démarches pour atteindre leurs objectifs », ce qui amène à ne pas se limiter à étudier le contexte administratif : « on doit comprendre non seulement les structures formelles de prise de décision collective mais aussi les réseaux informels par lesquels une grande partie du développement est réellement entreprise »197 . Chaque phase du processus voit une forme différente du réseau : certains sujets apparaissent, d’autres disparaissent, des groupes d’acteurs peuvent entrer en conflit, etc. Il faut souligner que les traductions peuvent se révéler être des trahisons. Ce sont les controverses qui les révèlent. Elles manifestent alors la dissidence de certains acteurs et la remise en cause de la représentativité de leurs porte-parole. La controverse est l’objet du débat dont la résolution ultérieure va consolider les faits qui cesseront ensuite d’être questionnés et deviendront des boîtes noires. Celle-ci cachent les modalités par lesquelles les situations ont été naturalisées et deviennent progressivement des faits non questionnables et en ce sens la prise en compte des acteurs « en contexte » est importante parce qu’elle permet de comprendre des aspects fondamentaux tels que : le lien au terroir, par l’identification des ses ressources spécifiques ; certaines caractéristiques qualitatives du produit, obtenues par des pratiques productives qui ont évolué dans le temps ; le lien avec la communauté locale, avec les traditions, les rapports institutionnels et politiques, mais surtout avec les consommateurs qui participent activement au sein des conviviums Slow Food. A ce propos, l’analyse du réseau sera complétée par l’intégration des interviews aux témoins privilégiés avec un questionnaire électronique. A travers cet outil il sera possible de comprendre la logique d’interaction entre les producteurs et les consommateurs membres des conviviums locaux et d’obtenir des informations qui aident à mieux comprendre l’organisation et la cohérence entre les conceptions des producteurs et des consommateurs informés par l’intermédiaire de Slow Food, ainsi que l’identification de relations non marchandes. « Par logique d’interaction il est fait référence à la faculté des acteurs de nouer des relations qui engendrent des externalités198 spécifiques et qui favorisent la réactivité et les complémentarités »199. C’est la raison pour laquelle un réseau a une efficacité étroitement corrélée avec le dynamisme de son capital relationnel, qui lui-même tire sa pertinence de la continuité historique, de son inscription territoriale. La réussite tiendra beaucoup à la cohérence entre les parties prenantes, laquelle détermine le degré de solidarité c’est-à-dire la coopération dans la réalisation du projet de valorisation et la fixation de nouveaux objectifs communs (Carluer, 2005). L’efficacité des acteurs à atteindre leurs buts dépend en partie de leur capacité à maintenir, construire et étendre leurs réseaux, donc de créer et maintenir leur pouvoir. Pour atteindre l’objectif, le réseau doit se faire au moins à la même échelle que l’enjeu sinon à une échelle supérieure, d’où l’importance de Slow Food, véritable acteur-réseau étendu sur le monde entier, et pour cela capable de fédérer les intérêts des communautés locales, engagées dans une restructuration des rapports de production et de consommation centrés sur des rapports à base locale. La deuxième partie de la recherche se pose en continuité avec les raisonnements effectués jusqu’à ce point. Par l’étude empirique de quatre formes « alternatives » de valorisation des produits agricoles de terroir, nous pourrons entrer dans les réseaux pour en tirer un « bilan ». L’identification de facteurs positifs ou négatifs nous aidera à une meilleure compréhension des démarches de valorisation ; elle permettra d’avoir une idée plus précise sur cette modalité de fonctionnement originale et novatrice et sur les apports concrets ou potentiels pour les territoires ruraux, au sein desquels ces réseaux tirent leur origine et évoluent.

197 Bryant C. R., op. cit., pag. 169. 198 On rappelle que les externalités sont des ressources que les entreprises obtiennent hors du marché par leurs présence dans certains lieux ou dans certains réseaux. 199 Carluer F., Réseaux d’entreprises et territoires : une matrice d’analyse stratégique, dans : Revue management et avenir, Ed. Management Prospective, num. 6, 2005/4, pag. 14.

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Nous avons donné une importance particulière au paysage parce qu’à travers son observation il est possible de lire les trajectoires des processus territoriaux passés ou encore en œuvre (Donadieu, 1998, Bryant, 2007). Cela aussi dans le but de pallier à certains manques qu’une analyse plus profonde de ces processus aurait pu faire émerger, mais que nous n’avons pas eu le temps d’effectuer. Pour être plus complète, l’étude aurait dû en effet être élargie à toutes les fonctions de l’espace : de loisirs, touristiques, productives, résidentielles, etc. Nous n’irons pas en profondeur sur toutes ces questions, pour des motifs de temps, mais sans pour autant les oublier ou nier leur importance. Nous souhaitons au contraire qu’elles puissent faire l’objet de recherches futures, de notre part comme par d’autres chercheurs.

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PARTIE 2 : LES PROJETS DE SLOW FOOD EN FRANCE ET EN ITALIE.

Dans cette partie du travail sont présentées les études de cas. Il faut dire d’emblée que dans cette partie aurait dû rentrer une présentation de Slow Food, mais celle-ci a été ensuite déplacée dans les annexes. En effet le risque était grand d’oublier certains traits essentiels, et au même temps, un descriptif complet de l’organisation, de sa philosophie, de son histoire aurait pris trop d’espace au sein de la recherche. Pour comprendre l’étude il est absolument nécessaire de connaître quelles sont les orientations et les buts de Slow Food, pour lesquels on renvoie donc aux annexes. Nous avons analysé les premiers projets réalisés par Slow Food. Il s’agit des « presidi », qui en France prennent le nom de « sentinelles ». Ils sont considérés comme des projets locaux de relance de la biodiversité alimentaire et des produits traditionnels à risque d’extinction. Ils sont actuellement 177 en Italie et 121 dans d’autres 46 pays du monde et ils concernent plus de 10.000 petits producteurs : paysans, pêcheurs, charcutiers, bergers, fromagers, boulangers, pâtissiers. D’une première comparaison entre les deux pays, on constate qu’en France ils n’ont pas la même diffusion qu’en Italie et sont limités à 12. Les sentinelles sont présentées par Slow Food comme des exemples concrets et vertueux d’un nouveau modèle d’agriculture, fondé sur la qualité, sur la récupération des savoir-faire traditionnels, sur le respect des saisons, sur le bien-être animal. Ils sauvent des produits bons et enracinés dans la culture du territoire ; des produits propres, obtenus avec des techniques durables et dans le respect du territoire ; des produits justes, réalisés dans des conditions de travail respectueuses des personnes, des leurs droits, de leur culture et qui garantissent une digne rémunération. Ils sont aussi supposés de renforcer l’économie locale et favorisent la constitution d’une forte alliance entre ceux qui produisent et ceux qui consomment. Les projets sentinelles sont promus et coordonnés par la Fondation Slow Food pour la Biodiversité et font partie du réseau mondial des communautés de la nourriture Terra Madre200. Une première partie du travail, réalisée en Italie entre la fin de janvier et le début de mars 2010, porte sur deux projets retenus pour leur localisation dans la province de Trévise : le premier concerne la farine de « mais Biancoperla », l’autre le fromage « morlacco del Grappa » ; ils seront traités dans le premier chapitre. Le choix d’étudier deux produits faisant partie de la même province ou département vient d’une exigence de cohérence de l’analyse : choisir des productions très éloignées les unes des autres n’aurait fait que rendre plus difficile l’étude de leur organisation spatiale, par exemple en multipliant les déplacements ou le nombre des entretiens. Ainsi, le choix de cette province a été dicté par les exigences pratiques de proximité à Vittorio Veneto, où je suis né et où j’ai habité pendant la période du travail sur le terrain. Le reste des enquêtes a eu lieu en France dans le département de l’Hérault, durant le printemps 2010. Les cas du fromage Pélardon affiné et du navet noir de Pardailhan seront ainsi au centre du deuxième chapitre de cette partie. Dans ce cas aussi le choix a été motivé principalement par des motivations de proximité, mais aussi par la spécificité du département qui héberge deux sentinelles, ce qui est particulièrement significatif par rapport au nombre total des sentinelles françaises. Une remarque ultérieure porte sur le fait que les produits étudiés présentent des similarités qui en favorisent la comparaison : pour chaque pays il y a en effet une production fromagère (Pélardon et Morlacco) et une production végétale (Navet noir et farine de maïs). Nous savons déjà qu’en étant sentinelles ou « presidi » Slow Food, tous ces projets ont des caractéristiques en commun :

200 Cf. Petrini C., Terra Madre, éd. Giunti/Slow Food, 2009.

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• le produit doit être défini avec une certaine précision quant à sa technique de fabrication, sa zone de culture, d’élevage ou de fabrication, ses conditions et sa durée d’affinage, etc. Mais toujours avec une attention particulière au maintien de la diversité du produit, donc sans tomber dans des règles strictement pointues. Il s’agit plutôt de principes, tels l’exclusion des OGM, l’usage exclusif de lait cru, du pâturage ou du foin quand il s’agit de fromages, le respect du bien-être animal et des techniques traditionnelles ;

• la nature du produit doit être précisée (il s’agit souvent d’un aliment prêt à consommer, comme une farine, une charcuterie, ou plus généralement d’un produit ayant des caractéristiques qui le rendent unique ; ce n’est pas uniquement la protection d’une race animale ou d’une variété végétale) ;

• les producteurs doivent être représentés par un collectif (association, syndicat…) auquel d’autres producteurs sont susceptibles de se joindre. Slow Food ne souhaite pas engager des efforts de promotion en faveur d’activités menées par des individus ou des collectifs qui voudraient en garder le monopole ;

• Slow Food et le collectif des producteurs doivent mettre en place un cahier des charges de la production et définir les objectifs qu’ils veulent atteindre en commun ;

• Slow Food et les producteurs doivent trouver les moyens de financer ce programme auprès de partenaires publics ou privés, mais ces derniers ne doivent aucunement être impliqués dans la production, ni pouvoir retirer un intérêt économique de la promotion du produit. En effet, la promotion d’une sentinelle implique toujours des coûts pour Slow Food (participation à des manifestations, édition de documents de promotion, assistance technique…), qui doivent être couverts par des ressources ;

• enfin, les produits concernés doivent préalablement avoir accédé à l’Arche du Goût, un inventaire des produits du monde entier, sélectionnés selon des critères précis et scientifiques. Les produits de l’Arche doivent être: d’une qualité gustative exceptionnelle ; reliés à une aire géographique spécifique ; produits de manière artisanale et à petite échelle ; produits selon des méthodes équitables ; en danger d’extinction (Cf. annexes).

L’étude de tous les processus de valorisation sera précédée par une analyse des principaux enjeux des territoires dans lesquels les systèmes d’acteurs se localisent. Nous chercherons donc d’identifier les principales dynamiques territoriales en jouant entre l’échelle de la région et celle du département, avant de nous focaliser sur l’organisation des systèmes agroalimentaires localisés. Cela doit permettre une lecture univoque de ces systèmes, englobant les dynamiques qui vont au-delà de la seule activité agricole, mais qui l’influencent directement par leurs dimensions sociale et spatiale. Relativement à celles-ci nous ferons souvent référence au paysage, compte tenu que l’agriculture en est une composante majeure, génératrice de celui-ci et partie du cadre de vie, de la culture locale, outre qu’activité économique à part entière. « Le paysage est la représentation territorialisée de l’environnement, qui est situé géographiquement et caractérisé par des composantes matérielles qui ont aussi une valeur culturelle »201. A cela s’ajoutent les traces de la transformation de ces composantes par les pratiques agricoles et humaines en général, car « les paysages agraires sont les reflets d’une période agraire et changent avec les objectifs du développement »202. Ainsi, comme nous pourrons voir, le paysage est marqué par les éléments bâtis, les techniques agricoles, tous les artefacts, qu’il s’agisse d’un paysage agraire ou urbain, de montagne (constructions traditionnelles, forêts…) ou de plaine (mitage, habitat dispersé,

201 Tissier J.-L., dans : Lévy J. et Lussault M. (sous la la dir. de), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, éd. Belin, Paris, pag. 700. 202 Malassis L., Ils vous nourriront tous les paysans du monde si…, éd. Quae, Paris, 2006, pag.172.

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friches…). En somme, le paysage est une résultante des relations entre la société et son milieu et il est donc construit par les acteurs territoriaux (Peyrache-Gadeau, 2009). La lecture du paysage s’intègre bien dans la démarche qualitative que nous suivons. Le traitement des données statistiques requiert en effet un travail long et avide de temps, difficile à réaliser si l’on veut prendre en considération la pluralité des dynamiques qui affectent les territoires, notamment dans le cas de cette recherche qui porte sur deux pays différents. Loin d’ignorer l’utilité de l’exploitation de ces données quantitatives, nous y ferons recours à partir des recensements et des bases de données statistiques régionales et d’autres études préexistantes, afin de compléter l’analyse par une prise en compte de la complexité des contextes géographiques dans lesquels les systèmes agroalimentaires localisés s’insèrent. En outre, la dimension extrêmement réduite des systèmes agroalimentaires étudiés - des véritables micro-filières -, ne motive pas le recours à la statistique, s’agissant d’exploitations familiales, fermières ou artisanales, en tout cas de très petites productions. L’étude comparative de quatre cas, - à priori différents les uns des autres, pour ce qui concerne le type de produit (frais ou transformé) ; le système de production ; le lien au terroir ; la conscience collective de la qualité et des valeurs du produit développée par les communautés locales -, à travers la reconstruction des réseaux de relations, permet l’individuation d’éventuels problèmes où d’opportunités. Il est ainsi possible de dresser une sorte de « bilan » de l’action de valorisation des produits, à partir duquel les acteurs des différentes réalités productives comparées pourraient tirer des indications et des orientations utiles pour organiser leurs stratégies futures. Pour ce qui concerne les enquêtes, nous avons choisi de donner la priorité aux informations de type qualitatif, plutôt qu’à des informations de type statistique, qui n’auraient pas pu être traitées de manière exhaustive, faute de temps. Nous avons ainsi recherché l’abondance des informations recueillies, qui au bout d’un certain nombre d’entretiens auraient dû vraisemblablement devenir redondantes, ce qui s’est effectivement passé. Ce choix méthodologique est à mettre en relation avec la petite taille des systèmes productifs étudiés, ce qui nous a rassuré contre les risques d’incomplétude des recherches. Les informations ont été récoltées par une série d’entretiens semi-directifs aux « témoins privilégiés » : d’abord les producteurs, ou leurs porte-parole lorsqu’ils sont associés, ensuite les responsables d’autres groupements collectifs (collectivités locales, associations, responsables des conviviums…). Il n’a pas toujours été facile de rester fidèles aux grilles de questions203 rédigées, le dialogue avec les sujets ayant facilement tourné vers d’autres directions, souvent malgré ma volonté. D’ailleurs il est souvent arrivé que des sujets nous ont amené visiter les structures productives, et de plus, nous avons même participé à certains événements locaux des conviviums Slow Food, notamment des repas traditionnels. Ces rencontres ont donné lieu à des échanges enrichissants non seulement sur le plan scientifique de la recherche, mais aussi et surtout aux niveaux culturel et humain. Il faut aussi souligner qu’une bonne connaissance personnelle du patois, encore très répandu dans les campagnes italiennes, a été en quelque cas providentielle, puisque nous avons rencontré plus d’un acteur, notamment les anciens, qui ne savaient pas s’exprimer en langue italienne ! Dans certains cas nous avons contacté des sujets par téléphone, du fait de la distance et du temps nécessaires pour les joindre, ou simplement pour l’exigence d’avoir des précisions, donc d’accéder à un nombre réduit d’informations, ce qui ne justifiait pas des déplacements longs et coûteux et qui rendait inutile la réalisation d’entretiens longs et structurés, lesquels auraient demandé aussi beaucoup de temps pour la retranscription. Ces types d’informations, contrairement aux entretiens, ne sont pas présents dans les annexes, mais elles ont tout aussi contribué à mieux comprendre les dynamiques des réseaux.

203 Les grilles des questions ainsi que les entretiens dans leur intégralité sont consultables dans les annexes.

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Enfin, il y a tout un ensemble de documents secondaires (sites internet, dépliants, brochures, revue de presse, etc.), non recensés, mais qui ont eux aussi contribué à la compréhension générale du récit, des actions et des relations entre les sujets impliqués. Chapitre 4. Les dynamiques territoriales et la valorisation des produits agricoles du

terroir en Italie. 4.1. Encadrement géographique.

Fig. 18 – La Vénétie dans l’Italie du nord-est et la structure réticulaire de l’urbanisation

(Source : Veneto Land Cover, GSE-Land - Urban Atlas, 2007) et la localisation de la province de Trévise (Source : provincia di Treviso, site internet).

4.1.1. Une région en forte croissance démographique, de plus en plus multiethnique. La province de Trévise fait partie de la région de la Vénétie. Elle se situe à la frontière de la province de Bellune au nord, de la région du Frioul à l’est, des provinces de Venise et de Padoue au sud et de Vicence à l’ouest. La surface totale est de 2.476,68 km² sur lesquels est présente actuellement une population de 880.295 habitants, pour une densité remarquable de 355,4 hab./km². Elle est en effet la 17ème province italienne par nombre d’habitants et la 14ème par densité, sur un total national de plus de 105 provinces. Cette démographie dynamique se retrouve aussi à l’échelle régionale : entre 1961 et aujourd’hui la population de la région a augmenté d’environ un million d’habitants, passant de 3,8 millions au début des années ’60 aux actuels 4,8 millions. Il s’agit d’un changement radical pour ces territoires, qui encore dans les années ’50 étaient en retard, notamment par rapport aux régions occidentales, et voyaient la population émigrer vers l’étranger. Si l’on

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considère les années les plus récentes, la croissance devient impressionnante : entre 2001 et 2008 se sont établis en Vénétie environ 360.000 résidents, comme si chaque année une nouvelle ville des dimensions de 50.000 habitants ait été créée. (Tab. 5).

Tab. 5 – Dynamique démographique récente des provinces vénètes (Source : Regione Veneto)

Cette croissance extraordinaire est due à l’attractivité que la région exerce, la population étant concentrée dans la zone centrale de la Vénétie, là où se trouvent les activités productives les plus dynamiques. Ainsi, une grande partie de cette croissance est due aux étrangers, qui constituent aujourd’hui 9,3% de la population de la Vénétie, correspondant au 12% du total national. Avec 96.127 étrangers la province de Trévise contribue à environ 11% du total régional. Sur la période longue, Trévise apparaît comme la province qui a eu la croissance plus forte, supérieure aux autres territoires vénètes. En 1991 la population de la province était de 744.368 personnes, en 2008 on compte 879.408 résidents, ce qui signifie une croissance de +18,1%, face à une croissance moyenne régionale de +11,5% (Tab. 6). La croissance très forte remarquable à partir de 2002 est en grande partie liée à la lois n.189 de 2002, plus connue comme « Legge Bossi-Fini », qui a fait émerger de la clandestinité un grand nombre d’étrangers déjà présents sur le territoire. En deuxième lieu, l’élargissement à l’est de l’U.E. a lui aussi favorisé l’entrée dans le pays d’un grand nombre d’étrangers, notamment de roumains, qui constituent aujourd’hui la plus grande communauté étrangère de la région (Fig. 19).

Tab. 6 – Population étrangère résidente par province (Source : Regione Veneto, 2010).

Verona Vicenza Belluno TREVISO Venezia Padova Rovigo VENETO 1991 787.910 748.134 211.925 744.025 819.607 820.530 247.801 4.379.932 1996 806.326 769.868 212.047 763.727 816.851 838.980 244.994 4.452.793 2001 827.328 795.123 209.492 796.171 809.613 849.711 242.385 4.529.823 2008 908.492 861.768 214.026 879.408 853.787 920.903 247.164 4.885.548

Verona Vicenza Belluno TREVISO Venezia Padova Rovigo VENETO 2003 50.922 55.830 7.541 54.400 27.494 37.456 6.791 240.434 2006 72.459 75.630 9.939 77.947 44.996 58.498 10.746 350.215 2007 86.062 82.207 11.624 87.976 53.550 69.321 13.245 403.985 2008 96.309 90.421 12.728 96.127 63.520 79.878 15.470 454.453

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Fig. 19 –Distribution des premières 10 communautés étrangères régionales au 31 décembre 2007 (Source : Regione Veneto, 2010).

Il en découle qu’à ce rythme, dans quelques années la Vénétie passera le seuil des 5 millions d’habitants et sera donc une région beaucoup plus hétérogène que dans son passé, avec plus d’un quart de ces habitants qui n’ont pas d’origines autochtones. Pour appréhender les raisons et les conséquences territoriales de ces évolutions majeures nous allons maintenant proposer une lecture, bien que rapide, de l’histoire économique régionale, toujours avec une attention particulière à la province de Trévise204. 4.1.2. De région arriérée à modèle de la « Troisième Italie ».

La Vénétie était sortie de la crise internationale du 1929 avec un trend de croissance positif sur la période longue, mais la deuxième guerre mondiale avait donné un coup très dur à l’économie régionale : plus que dans les destructions des établissements, la gravité était dans les dégâts au patrimoine résidentiel et aux infrastructures, ce qui empêchait une reprise rapide des commerces et des flux de matières premières. Les bombardements détruisirent ponts, routes et les nœuds ferroviaires de Mestre, Padoue et Trévise. La population était épuisée et la pénurie de matières premières et de denrées alimentaires ne permettait pas une reprise vigoureuse. Un obstacle ultérieur résidait dans la dualité d’une économie marquée par le contraste entre montagne et plaine. Ces facteurs auraient demandé un control démocratique des ressources disponibles plus fort et une programmation économique plus réfléchie, lesquels, au contraire, manquèrent et laissèrent la reconstruction dans le spontanéisme et dans l’initiative individuelle. Cependant, grâce à une forte demande internationale et au bas prix de la main d’œuvre, les grandes industries retrouvèrent vite les chiffres antérieures à la guerre en terme d’emplois, notamment dans les secteurs de la laine et dans les nouvelles installations liées à la chimique et au pétrole dans la zone littorale de Mestre et Marghera. La conjoncture des années ’50 était à la base du développement parallèle des industries mécaniques et du secteur édile. Le laissez-faire des premiers gouvernements de la Démocratie Chrétienne avait

204 Pour un résumé en langue française du contexte géo-historique régional sur une plus longue période cf. Claval P., Le réseau urbain de la Vénétie. Dans : Revue de géographie de Lyon. Vol. 39 n°4, 1964. pp. 247-271. Sur l’histoire économique de la région voir : Roverato G., L’industria nel Veneto: storia economica di un “caso” regionale, Esedra ed., Padova, 1996 ; Brunetta E., Treviso e la Marca tra Ottocento e Novecento, Treviso, Canova, 1999 ; Fontana G.L., Mercanti, pionieri e capitani d’industria. Imprenditori e imprese nel Vicentino tra ‘700 e ‘900,Vicenza, Neri Pozza, 1993.

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favorisé la tendance déjà présente dans les années ’30 de réponse individuelle à la crise économique, avec une impulsion de nouvelles énergies entrepreneuriales. Les zones les plus touchées par cet épanouissement de petites et moyennes entreprises furent celles de Mestre et Marghera, grâce aux économies d’agglomération activées par les nouvelles activités et l’axe centrale entre Vérone, la Riviera del Brenta (Vicence et Padoue) et Trévise. Les nouvelles entreprises se multiplièrent, notamment celles spécialisées dans la production de biens de première nécessité et de consommation immédiate, donnant lieu au phénomène connu comme « miracle italien ». Dans cette période comprise entre la fin des années ‘50 et la fin des années ’70 le P.I.B. italien se caractérisait par une croissance rapide et la Vénétie figurait parmi les régions les plus touchées par le phénomène, grâce aux soutiens de l’état, d’abord destinés à l’industrie lourde et ensuite élargis vers le bas, donc à la petite industrie205. Dans chaque centre local les nouvelles productions industrielles avaient pris rapidement la place des produits jusqu’alors fournis par le monde paysan de façon autoréférentielle. La conséquence était un exode massif des zones de montagne et l’abandon des champs, à la fois par les salariés des campagnes, que par les petits éleveurs et cultivateurs des Préalpes, envieux de revanche sociale après des décennies de misère (Turri, 2003, 2004). Cette conception de l’activité d’entreprise comme status symbol s’accompagna à des relations étroites entre économie et politique, jusqu’à des phénomènes peu agréables comme la recommandation à travers l’argent ou la corruption, qui sont cycliquement à l’actualité des médias nationaux, à l’époque et encore aujourd’hui. Tous ces facteurs étaient à la base de la culture de « l’usine pour chaque clocher », un slogan qui en synthétise efficacement le sens. Cette époque est vraisemblablement considérée comme l’âge d’or du capitalisme vénitien (Roverato, 1996). Les dernières vingt-cinq années ont vu l’apparition de nouveaux protagonistes, notamment dans le secteur du textile, comme Diesel à Vicence et Benetton à Trévise, deux firmes multinationales avec des points de vente localisés dans le monde entier, ou encore le district de la chaussure (district sport-system) aux alentours de Montebelluna, dans la province de Trévise, qui fournit à lui seul 90% des productions italiennes des chaussures de ski. La Vénétie est la région italienne avec le plus de districts industriels : on compte aujourd’hui 45 entre districts et méta-districts, lesquels donnent emploi à environ 268.000 personnes et 9.000 entreprises206. Ces secteurs ont su se positionner à l’intérieur du scenario international, en s’appuyant sur le marketing, sur les facteurs commercial et de la distribution, sur des milliers de boutiques (on peut penser à Benetton, Diesel, Geox, Lotto, dans le textile) et en visant beaucoup sur la spécialisation et sur la valorisation du savoir-faire productif. Aujourd’hui ils doivent faire face à la concurrence internationale et depuis quelques temps les cycles productifs ont été automatisés, on cherche l’augmentation de la valeur ajoutée, à travers l’intensification du marketing, l’acquisition et la rationalisation d’établissements extrarégionaux et étrangers, avec l’objectif de maximiser la flexibilité des productions et la réduction des coûts de la main d’œuvre. Toutefois les exportations italiennes semblent avoir du mal à tenir le pas des concurrents européens et tandis que la quasi totalité des activités productives sont désormais à l’étranger, le tertiaire est devenu le secteur plus important : à Trévise il absorbe 74% de la population active (Turri, 2004). Tout ça se traduit actuellement par des nombreuses retombées sociales, avec une difficulté, voir impossibilité, pour des milliers d’anciens ouvriers, de se replacer sur le marché du travail

205 Dans les années ’60, dans la mécanique légère, les provinces de Padova, Vicenza et Treviso possédaient à elles seules le 66,3% de la force motrice installée au niveau national et le 64% de la main d’œuvre du secteur (Roverato, 1996). 206 Selon le site : www.distrettidelveneto.it/index.php?option=com_content&task=view&id=159&Itemid=6.

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et avec les nouveaux défis dans le domaines de l’immigration et de l’intégration à rendre encore plus compliqué le débat sur l’économie vénitienne207. 4.1.3. Un paysage qui change avec la société.

Les changements économiques évoqués ont d’autres répercussions territoriales, en particulier sur le paysage (Turri, 1990, 2003, 2004). En effet la lecture de ce dernier permet de comprendre les processus qui structurent les systèmes territoriaux et de ce fait deux dynamiques opposés signent profondément le paysage régional, et trévisan en particulier. Il s’agit de l’abandon des montagnes et du phénomène parallèle que les auteurs ont défini comme : « città diffusa », « rurbanisation », « urban sprawl », « jam city », « edge city », « urban realms », etc. (Fig. 20 et 21).

Fig. 20 – Entre vignes et champs de maïs : la zone industrielle de Susegana, au nord de la province de Trévise (Source : association Geograficamente).

207 Il semblerait que le « modèle » des districts ait subi une grave blessure avec la crise économique de 2008 : alors qu’un nombre croissant d’entreprises locales ferment leur portes, on compte aujourd’hui 2.228 entreprises chinoises en Vénétie, 5.798 entrepreneurs chinois inscrits dans les chambres de commerce régionales, pour une croissance de + 235,7% à compter de 2002. Cf. http://geograficamente.wordpress.com/2010/03/28/veneto-la-cina-e-vicina-%E2%80%93-il-nordest-che-si-confronta-con-il-grande-paese-asiatico-conquistati-dalla-cina-o-alla-conquista-degli-immensi-mercati-cinesi-non-aver-paura-e-farne-una-grande-o/

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Fig. 21 – Vue aérienne du paysage de la Vénétie centrale : on peut remarquer les zone artisanales et les résidences qui se développent entre les parcelles cultivées et les axes routiers.

(Source : Castiglioni et Ferrario, 2007).

Ce phénomène est identifiable non seulement dans la Vénétie, mais dans toute la plaine du Po, tant que le géographe Eugenio Turri (2004) l’a définie la « mégalopole padane ». C’est une véritable coulée de béton qui va de paire avec l’expansion du secteur BTP, lequel au début du nouveau millénaire, avait atteint 63.000 entreprises dans la seule Vénétie, presque le même chiffre du secteur historique des manufactures (Munarin et Tosi, 2001). Pendant seize ans, entre 1980 et 1996 ont été donnés les permis pour construire 84.000 édifices résidentiels, correspondants à 145 millions de mètres cubes. 72% de ces édifices, cet-à-dire 60.000, corresponds à des maisons mono et bifamiliales, des résidences dotées de standards qualitatifs élevés tels que terrasses, balcons, jardins privés, augmentation du nombre et des dimensions des pièces208. La Vénétie possède la primauté par nombre de résidences avec plus de 6 pièces, avec la province de Trévise qui marque le record national : 118,5 m² et 4,9 pièces/habitant, face à une moyenne nationale de 36,8 m² et 4,2 pièces. Tout cela a amené à une densité de 58,9 édifices résidentiels par km², bien au-delà d’une moyenne nationale de 42,5 édifices/km², ce qui fait de la Vénétie la quatrième région parmi les plus densément édifiées209. Les mêmes dynamiques concernent aussi les édifices non résidentiels : par exemple on peut signaler la diffusion des centres commerciaux, qu’en région étaient 64 en 2002, chiffre inférieure seulement à la plus grande Lombardie. La primauté vient avec la densité d’établissements qui appartiennent à la grande distribution, ce qui voit la région au sommet de l’Italie depuis 1993, avec une moyenne de 257,49 m²/1.000 habitants210.

208 Cf. Munarin S. e Tosi M. C., Tracce di città: esplorazioni di un territorio abitato: l’area veneta, Milano, Franco Angeli, 2001. 209 Varotto M., Abitare tra le isole del Veneto centrale, dans : Il grigio oltre le siepi: geografie smarrite e racconti del disagio in Veneto, Portogruaro, Nuova Dimensione, 2005, pag. 71. 210 Intervention de Favero, A., au colloque : Ripensare il Veneto, atti del convegno, maggio 2006. Selon le géographe Turri E. (2004) le hangar est devenu la nouvelle icône du paysage de l’Italie du Nord.

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Une dernière donnée significative atteste de la forte consommation du sol régional : 17,9 m3/ha édifiés contre une moyenne nationale de 7,9 m3/ha211. Dans la seule année 2004 a été autorisée l’édification de 17.751.000 m3 de bâti résidentiel, avec une augmentation de 13% par rapport à l’année précédente (Castiglioni et Ferrario, 2007) !

Fig. 22 –Paysage typique de la plaine de la Vénétie centrale : champs de maïs et hangars. A l’horizon le massif du monte Grappa (Castiglioni et Ferrario, 2007).

C’est donc sur ces chiffres qui se fonde l’extraordinaire croissance économique, mais surtout urbaine, de la Vénétie centrale, dans laquelle les éléments structurants du paysage, témoins du cours de l’histoire, tendent progressivement à disparaître pour laisser place à une organisation fractale de l’espace faite par de « barrières » et de « corridors » autonomes et spécialisés : un patchwork territorial d’espaces d’interface, fait de niches privées, un archipel d’ « îles », de non-lieux privés des liens avec l’histoire, la culture et la société, où les personnes ne vont pas construire leur identité sociale, mais au contraire, vont acheter le droit à leur anonymat212. Ce modèle de développement est remis en question par un nombre croissant d’auteurs qui décrivent l’hybridation du paysage, le sens de perdition et le malaise croissant des citoyens213. Un malaise qui est mesurable par l’augmentation des comités de citoyens qui s’organisent sur le territoire régional pour la défense de l’environnement et qui dans la seule province de Trévise ont doublé dans une dizaine d’années, passant de 35 à 70214. Le phénomène complémentaire à la croissance urbaine dans la plaine est celui de l’abandon des Préalpes215. Il s’agit d’un phénomène rapide, qui a changé radicalement paysage et environnement dans quelques décennies. La montagne préalpine vénète avait lentement atteint au fil des siècles un haut degré de anthropisation, sous l’impulsion de fortes pressions

211 Varotto M., op. cit., p. 72. 212 Pour une profonde analyse anthropologique des non-lieux voir : Augé M., Non-Lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Seuil, 1992 et Ilardi M. (a cura di), La città senza luoghi: individuo, conflitto, consumo nella metropoli, scritti di Alessandra Castellani et al., Genova, Costa & Nolan, 1997. 213 Parmi les plus importants : Rumiz P., La secessione leggera, Roma, Ed. Riuniti, 1997 ; Cosgrove D., Il paesaggio palladiano: la trasformazione geografica e le sue rappresentazioni culturali nell’Italia del 16° secolo, Vicenza, Cierre, 2000 ; Erbani F., L’Italia maltrattata, Roma-Bari, Laterza, 2003 ; Vallerani F. e Varotto M. (a cura di), Il grigio oltre le siepi: geografie smarrite e racconti del disagio in Veneto, Portogruaro, Nuova Dimensione, 2005. 214 Piccin L., Difendere l’ambiente in provincia di Treviso: conflitti e comitati tra 1998 e 2007, mémoire de licence en géographie, sous la direction de Varotto M., Padova, 2007. Pour en savoir plus et pour le recensement à l’échelle régionale cf. le site : www.paesaggivenetisos.it. 215 Le phénomène est étudié par les géographes dans le cadre du projet “Terre Alte” du Club Alpin Italien. Cf. Varotto M., Il paesaggio dell’abbandono nel massiccio del Grappa (settore Nord Orientale), Bergamo, Quadrifolio, 1999 ; Mattana U., Il paesaggio dell’abbandono nelle Prealpi trevigiane orientali, Verona, Cierre, 2006.

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démographiques, et la recherche de nouvelles terres s’était poursuivie jusqu’à la deuxième guerre mondiale, même si l’excès de population avait déjà utilisé la valve de l’émigration transocéanique à la fin du XIXème siècle. L’après-guerre et en particulier la période du boom économique des années ‘60, ont représenté une période très courte, mais marquée par des formes intenses d’émigration définitive vers les centres du piémont ou de la plaine du Po en général. Le paysage de l’aire préalpine est donc caractérisé par deux aspects principaux (Castiglioni, 2005 ; Mattana, 2006). Du point de vue morphologique on constate la présence de versants boisés très escarpés avec des prairies sur les hauts plateaux, lesquels s’étendent entre 1.000 et 1.700 mètres, interrompus par les incisions profondes des fleuves : le massif du monte Grappa est par exemple délimité à l’est par le fleuve Piave et à l’ouest par le fleuve Brenta, il est constitué par un grand et composite bloque tectonique soulevé, plié sur son marge méridional donnant forme à une large plie à genou qui donne sur la plaine et qui justifie le déplacement vers le sud du sommet (Varotto, 1999). Du point de vue du paysage humain, on constate une « invasion » de la mégalopole dans les grandes vallées fluviales, notamment en correspondance des grandes voies de communication, où se trouvent les plus grands centres : Bassano del Grappa à l’entrée de la vallée du fleuve Brenta, Montebelluna sur le fleuve Piave et Vittorio Veneto, liaison entre la plaine et les Dolomites. Ces villes, comme la majorité des communes de l’aire préalpine, se caractérisent par une forte croissance démographique et économique, notamment dans la période entre 1981 et 2001 (Castiglioni, 2005). La proximité aux centres industriels de la plaine est fondamentale dans les choix résidentiels, dans une époque caractérisée par une motorisation privée qui rends les déplacements beaucoup plus rapides, même dans les parcours secondaires. Encore il faut souligner que ce développement démographique n’est pas homogène. Le déplacement des populations vers les communes plus proches à la plaine est en effet plus marqué à partir des vallées préalpines plus profondes ou de la province alpine de Bellune, laquelle voit chuter sa population de -10,83% entre 1981 et 2001216. Cette dynamique démographique semble actuellement s’estomper : comme on peut voir du tableau 5 cette province paraît amorcer une phase de croissance démographique, tout comme les autres provinces marginales : celle de Venise, notamment dans la partie orientale, moins touchée par l’urbanisation diffuse, et celle de Rovigue à sud. Cette trajectoire démographique qui semblerait se dessiner n’a pas encore fait l’objet d’études approfondies et on ne peut donc pas parler avec certitude d’un renouveau des ces espaces ruraux, ce qui laisse ouverte la question de la provenance géographique de ces nouveaux arrivés217. En tout cas, l’abandon généralisé des Préalpes, témoigné par le pourcentage élevé de résidences tombées en ruine et des surfaces enherbés conquises par les bois, a limité drastiquement les possibilités de projets dans le domaine agricole (Varotto, 1999 ; Mattana, 2006). Une bonne partie des populations ont émigré, tandis que d’autres ont profité du « miracle économique » pour s’installer dans la plaine. La plupart des jeunes ont choisi des styles de vie moins lourds de tâches dans les pratiques agricoles, s’agissant d’un processus qui apparaît principalement lié à des facteurs et à des modèles socioculturels qui imposent leur influence à partir de l’extérieur (Turri, 1990, 2003 ; Varotto, 2000). De plus, l’abandon a aussi d’autres conséquences territoriales : la dissolution du lien homme-montagne a en effet provoqué la fin de formes de micro-attention et de micro-connaissance de la montagne, héritières d’une organisation séculaire, ce qui a déterminé la perte du control social sur le territoire et a transféré la gestion des problèmes environnementaux à des institutions parfois

216 Cf. la contribution de Castiglioni B. : Montagne e valli del Veneto: varietà di ambienti, varietà di paesaggi, dans : Longo O. et Viola F. (a cura di), La montagna veneta, Milano, Franco Angeli, 2005. 217 Il serait intéressant de comprendre s’il s’agit d’un retour dans le rural plutôt que de mouvements d’étrangers, ceux-ci étant plus mobiles et disponibles aux déplacements. Pour un panorama des migrations internes à l’Italie, avec une référence particulière à la Vénétie, cf. Bellamio (2006).

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éloignées et encore aujourd’hui dénouées d’une indispensable connaissance vécue (Mattana, 2006). On peut penser à la gestion des risques hydrogéologiques qui, sans les interventions des montagnards, ponctuelles mais diffuses (terrasses, déboisement et défrichement), devient plus faible et plus difficile, avec la conséquence directe d’un alourdissement dangereux de la portée des fleuves de la plaine. Toutes ces considérations sur les grandes transformations du paysage, qui mériteraient une attention beaucoup plus profonde218, mais qui nous amèneraient au-delà des objectifs principaux de la recherche, nous permettent déjà d’identifier l’espace de la province de Trévise, également à celui de la Vénétie centrale, comme un espace de plus en plus déterritorialisé et décentré, suspendu entre son passé rural et une urbanisation en partie encore inachevée219. 4.1.4. Une agriculture productiviste en quête de qualité. A partir d’une comparaison des recensements agricoles régionaux réalisés entre 1970 et 2000 nous pouvons définir les principales caractéristiques structurelles de l’agriculture vénète, en mettant en relief celles de la province de Trévise220. Les données statistiques plus complètes et fiables rendues disponibles par la région se réfèrent principalement au début des années 2000 et ne répondent que partiellement aux changements spatiaux qui ont marqué si profondément le territoire trévisan et régional dans la dernière décennie. En outre, la crise économique globale qui a eu lieu suite à l’éclatement de la bulle financière en 2008 et qui a affecté tous les secteurs économiques, s’est répercutée de façon particulière sur l’agriculture par la flambée des prix des céréales, et nous supposons que les données économiques récentes devront être révisées à la lumière de ce facteur conjoncturel majeur. Cependant elles peuvent représenter une base valide pour la compréhension de la structure et des grandes évolutions de l’agriculture locale. L’agriculture, en Vénétie comme dans le reste de l’Union Européenne, est caractérisée par une recomposition qui s’est traduite jusqu’à aujourd’hui par une forte diminution des exploitations et une concentration de la production dans les entreprises de plus grande taille. La diminution a touché fortement les zones marginales, notamment la province montagneuse de Bellune, mais globalement toute la région a subi une diminution sensible : presque -30% en trente ans (Tab.7).

1970 1982 1990 2000 Variation 2000/1970 Bellune 21.633 17.588 12.551 7.783 -13.850 Padoue 56.022 49.482 47.481 41.683 -14.339 Rovigue 17.768 14.563 13.330 10.787 -6.981

TREVISE 55.171 54.580 51.818 44.812 -10.359 Venise 31.046 29.989 28.234 24.951 -6.095 Vérone 38.091 33.477 31.008 26.452 -11.639 Vicence 43.670 41.843 40.491 34.617 -9.053

VENETO 263.401 241.522 224.913 191.085 -72.316

Tab. 7 – Diminution des exploitations agricoles par province (Source : Veneto Agricoltura). 218 Par exemple nous ne traitons pas les questions tout aussi importantes relatives aux infrastructures et aux transports, qui sont devenues stratégiques aux niveaux local et international, notamment après l’élargissement vers l’est, qui a eu comme conséquence directe une augmentation du trafic sur route et l’exigence d’intégrer le système local dans le projet européen du corridor 5. 219 Bialasiewicz L., Geographies of production and the contexts of politics: dis-location and new ecologies of fear in the Veneto città diffusa, dans : Environment and Planning D: Society and Space 24(1), 2006, pp. 41–67. 220 Les résultats des recensements sont disponibles sur les sites : http://statistica.regione.veneto.it et http://osservatorioeconomico.venetoagricoltura.org.

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Le phénomène de restructuration semble avoir subi une accélération à partir des années ’90. Comme nous le verrons cela est dû principalement à l’instauration des quotas laitiers pendant les années ’80, ce qui n’a pas empêché à la région de maintenir sa spécialisation dans le secteur, mais qui a de facto provoqué la cessation de nombreuses activités. Cependant, au début du nouveau millénaire la Vénétie est encore profondément marquée par une présence élevée de petits producteurs : plus de 80% des exploitations possèdent moins de 5 ha et couvrent plus du quart de la surface agricole utilisée de la région (Tab. 8).

Classes de S.A.U. totale Nombre

d'exploitations % sur le total des

exploitations Sans terre 3.950 1,9 < 2 ha 113.527 59,4 2-3 ha 19.968 10,4 3-5 ha 19.424 10,2 5-10 ha 18.166 9,5 10-20 ha 9.932 5,2 20-30 ha 2.830 1,5 30-50 ha 1.940 1 50-100 ha 1.118 0,6 > 100 ha 590 0,3 Total exploitations Veneto 191.085 100

Tab. 8 – Taille et nombre des exploitations en Vénétie en 2000 (Source : Veneto Agricultura).

La recomposition de l’agriculture est lisible aussi dans l’évolution de la surface agricole totale (S.A.T.) qui s’est sensiblement réduite (-14,4%) sur l’ensemble du territoire régional, passant de 1.407.557 ha en 1970 à 1.204.278 ha en 2000 (Tab. 9). Cette dynamique négative n’est pas homogène : les réductions plus considérables se trouvent à Bellune (-23,6%) et à Vicence (-20%), les provinces plus montagneuses, mais aussi à Trévise (-14,4%) qui fait ainsi partie des trois provinces où la diminution de la S.A.T. est supérieure à la moyenne régionale (Fig. 23). Cette perte de S.A.T. s’explique à la fois par l’abandon des activités dans les zones marginales, mais aussi par l’urbanisation intense des dernières décennies.

1970 1982 1990 2000 Bellune 259.252 248.457 245.384 197.974 Padoue 178.780 163.058 163.584 158.676 Rovigue 138.034 135.794 136.835 128.290 TREVISE 205.548 188.988 184.482 175.726 Venise 155.137 146.673 155.492 145.303 Verone 247.153 231.009 219.213 219.386 Vicence 223.652 206.835 196.809 178.921 VENETO 1.407.557 1.320.814 1.301.798 1.204.278

Tab. 9 – Surface agricole totale par province (Source : Veneto Agricoltura).

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Fig. 23 – Variation de la S.A.T. entre 1970 et 2000 par province (Source : Veneto Agricoltura).

Le même changement concerne la Surface Agricole Utilisée (S.A.U.), qui voit la région passer de 991.264 ha en 1970 à 852.744 ha en 2000, soit une baisse de -14%. Comme pour la S.A.T., même la diminution de la S.A.U. est supérieure à la moyenne régionale pour les provinces de Bellune, de Vicence et de Trévise. Cette dynamique plus intense est due principalement au caractère montagneux ou collinaire du territoire, qui rends plus difficile la concentration des activités productives, lesquelles restent donc fortement atomisées. La réduction de la S.A.U. est en effet moins marquée dans les zones de plaine, comme Rovigue, Venise ou Padoue (Tab. 10 et fig. 24). Il faut remarquer aussi que la diminution de la S.A.T. régionale a été plus marquée dans la dernière décennie (-13,2%), comparée à une diminution de la S.A.U. de -3,2% sur la même période. Vraisemblablement, c’est par l’avancée des espaces boisés que la perte de S.A.T. a eu lieu. Ainsi, la province de Bellune est celle où la S.A.U. pèse moins sur la S.A.T., du fait d’un territoire totalement montagneux et en grande partie couvert par la forêt. Vicence et Trévise se distinguent aussi des autres provinces, avec une S.A.U. inférieure à 80% de la S.A.T. (Fig. 25). Il est tout à fait possible que l’urbanisation galopante n’ait pas joué un rôle secondaire dans cette évolution.

1970 1982 1990 2000 Bellune 73.247 69.018 55.188 52.893 Padoue 157.728 141.906 140.506 135.668 Rovigue 120.397 116.740 119.541 114.003 TREVISE 163.957 148.073 142.641 138.494 Venise 134.057 123.892 122.941 119.995 Verone 198.154 186.729 180.963 177.520 Vicence 143.723 127.660 119.487 114.170 VENETO 991.264 914.017 881.267 852.744

Tab. 10 – Surface agricole utilisée par province (Source : Veneto Agricoltura).

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Fig. 24 – Variation de la S.A.U. par province.

Fig. 25 – Incidence de la S.A.U. sur la S.A.T. par province.

4.1.5. Des spécialisations agricoles répondant à la morphologie du territoire.

Nous allons voir maintenant comment est distribuée la S.A.U. avec une attention particulière aux surfaces à emblavés, dont le maïs représente la culture principale et qui est une production qui nous intéresse de près221. Lorsque nous nous penchons sur la structure de la S.A.U., nous trouvons un pourcentage élevé de prairies et de pâturages dans les provinces de Bellune et de Vicence, les plus riches en zones montagneuses, dans lesquelles l’alpage est encore assez pratiqué (Asiago à Vicence, cf. chap. 3). Cette destination de la S.A.U. est moins marquée à Padoue, Rovigue et Venise, où presque toute la surface utilisée est concernée par les emblavés. Dans les provinces de Vérone et de Trévise, les trois composantes sont distribuées de façon plus équilibrée, ces zones étant particulièrement vouées à la production viticole.

221 Nous ne disposons pas de données précises sur le maïs sur la période longue. Cependant, à titre indicatif on rappelle qu’en 1990 le maïs couvrait en Vénétie 186.000 ha. En 1999 le maïs couvrait 273.919 ha sur 334.031 ha des surfaces à céréales ; en 2005 le maïs représentait 307.441 ha sur un total de 378.335 ha, constituant 95% de la production régionale de céréales. En 2007, la Vénétie avec ses 310.000 ha de surface à maïs, obtenait la primauté nationale. Sur la base de ces chiffres nous pouvons considérer que l’évolution de la culture du maïs s’insère dans celle plus générale des autres céréales.

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Fig. 26 - Comparaison entre les principales composantes de la S.A.U. par province (Source : Veneto Agricoltura)222.

Les cultures céréalières constituent la principale production régionale (Fig. 26). La surface cultivée est caractérisée par une tendance positive entre 1970 et 1982 avec une augmentation de +17,4% en 1982, tandis que les autres cultures à emblavé, avaient une importance plus limitée dans la période (Tab. 11). En 1990 on peut assister à une réduction consistante des céréales (-28%) et à une augmentation parallèle et également consistante des plantes industrielles, due notamment à l’introduction du soja en Italie : ces cultures sont passées de 3.920 ha en 1982 à 147.290 ha en 1990 (Tab. 12).

1970 1982 1990 2000 Bellune 2.257 2.907 2.557 2.715 Padoue 74.329 85.656 63.619 83.519 Rovigue 56.094 71.922 61.470 68.786 TREVISE 50.925 68.146 47.508 55.808 Venise 77.591 88.967 46.087 56.589 Vérone 60.085 64.797 50.786 48.427 Vicence 35.861 36.721 29.722 35.468 VENETO 357.143 419.116 301.748 351.313

Tab. 11 – Evolutions de la surface productive céréalière (Valeurs en ha).

1970 1982 1990 2000 Bellune 2 0 256 80 Padoue 472 411 29.335 9.828 Rovigue 388 322 18.317 15.968 TREVISE 274 59 25.229 15.558 Venise 434 278 42.792 25.831 Vérone 2.793 2.322 21.536 19.647 Vicence 544 526 9.825 6.732 VENETO 4.908 3.920 147.290 93.644

Tab. 12 – Evolutions de la surface à plantes industrielles (Valeurs en ha).

222 Les données se réfèrent au recensement de l’année 2000. Ayant à notre disposition les données sur les surfaces à emblavé en 2006 nous avons calculé les valeurs suivantes : Bellune 8%, Padoue 85%, Rovigue 95%, TREVISE 65%, Venise 91%, Vicence 51%, Vérone 56%. Ces valeurs semblent témoigner d’une stabilité des valeurs entre 2000 et 2006.

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Suite aux pressions exercées lors du G.A.T.T.223, les réformes Mac Sharry en 1992 et Agenda 2000 quelques années plus tard, ont fixé une limite aux cultures oléagineuses par une réforme des mécanismes de soutien à ces cultures et aux céréales, avec une limitation à l’extension de ces surfaces pour faire face à une production communautaire excédentaire. Ainsi, à partir de l’année 2000 on constate les effets de telle réforme, qui se traduit dans une réduction de -36,6% des surfaces à plantes industrielles, compensée par une augmentation des surfaces céréalières. Ce fait est dû aussi à une tendance commerciale relativement plus favorable à ces cultures, enregistrée à partir de la fin des années ’90 (Fig. 27). Les surfaces à betterave sucrière n’ont pas été concernées par des variations remarquables en pourcentage, tout comme les cultures à emblavés, conséquence des quotas de production qui dans ces secteurs ont étés introduites dès l’année 1968/1969.

Fig. 27 - Comparaison de l’incidence en pourcentage des surfaces céréalières, à betteraves, à cultures industrielles et horticoles au niveau régional entre 1970 et 2000224.

La figure 28 atteste d’une structure régionale de l’agriculture que l’on retrouve à l’échelle de chaque province, avec une certaine spécialisation pour la culture des betteraves à sucre dans les provinces de Venise, Vérone, Padoue et Rovigue, une légère variabilité pour les cultures horticoles et une distribution équilibrée des cultures industrielles (soja), plus ou moins intense selon la présence d’élevages.

223 General Agreement on Tariffs and Trade (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce). 224 Les pourcentages n’arrivent pas à 100% puisque dans le recensement de 1970 la S.A.U. comprenait les châtaigneraies, tandis que dans les recensements successifs étaient inclues les potagers familiaux, qui ne rentrent pas dans l’analyse.

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Fig. 28 - Comparaison de l’incidence en pourcentage des surfaces céréalières, à betteraves, à cultures industrielles et horticoles par province en 2000225.

En conclusion on peut affirmer qu’à la moitié des années 2000, le maïs est de loin la principale culture de la région (Figures 29 et 30). Cela est d’autant plus vrai pour les zones de plaine, où la mécanisation et l’irrigation sont plus faciles : ainsi les provinces de Rovigue, Padoue et Venise, marquées par l’absence de relief, totalisent près du 60% des surfaces et 63% de la production. Les autres provinces sont tout aussi des grands contributeurs à la production régionale, mais la présence de surfaces collinaires et montagneuses a permis une diversification de l’agriculture, notamment dans le secteur viticole à Vérone et à Trévise. Le nord de Vicence et Bellune sont marqués par la montagne, ce qui explique une présence réduite du maïs au sein de ces espaces. Ce sont les conditions climatiques favorables et la spécialisation zootechnique régionale qui contribuent à faire du maïs le choix principal des agriculteurs régionaux. En effet le pourcentage élevé des surfaces à maïs n’est pas lié à une consommation correspondante de la part des hommes ! C’est l’exigence de nourrir le bétail qui motive une si grande extension des surfaces à céréales. Mais cela est lié aussi à une réglementation européenne de laquelle dépendent fortement tous les agriculteurs et qui a eu pour principale conséquence de concentrer la production dans un nombre de plus en plus réduit d’exploitations.

225 Les pourcentages n’arrivent pas à 100% puisque dans le recensement de 1970 la S.A.U. comprenait les châtaigneraies, tandis que dans les recensements successifs étaient inclues les potagers familiaux, qui ne rentrent pas dans l’analyse.

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Fig. 29 – Distribution des surfaces à maïs par province, en 2006 (Valeur en ha – Source : ISTAT,

2010).

Fig. 30 – Production de maïs par province en 2006 (Valeur en tonnes – Source : ISTAT, 2010).

4.1.6. L’évolution productiviste de la zootechnie. La Vénétie est une région spécialisée dans la zootechnie. Avec une production qui varie entre 35% (jeune veau, 5-6 mois) et 20% (veaux entre 14 et 20 mois), la région est en position de leader national dans la production de viande bovine. La valeur estimée de la production de lait bovin a atteint 430 millions d’euro en 2004. On y trouve aussi les filières avicole et porcine et une spécialisation dans l’élevage de lapins, secteur dans lequel elle est toujours leader fournissant 40% de la production italienne226. Malgré ces chiffres, le secteur zootechnique est marqué par une restructuration qui touche à toutes les spécialisations. A partir des données rendues accessibles par « Veneto Agricoltura » nous présentons les principales caractères de la filière laitière, qui peut fournir un exemple de l’évolution générale de l’ensemble du secteur zootechnique et qui se rattache directement à une de nos études de cas.

226 Selon les données relatives à l’année 2004/2005 (Site internet Regione Veneto).

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Bellune Padoue Rovigue TREVISE Venise Vérone Vicence VENETO

1970 Exploitations 9.599 21.085 4.051 30.686 11.100 14.120 22.218 112.859

Cheptel 24.083 67.411 17.228 103.667 38.577 75.505 82.035 408.566

1982 Exploitations 4.317 9.699 991 16.106 4.543 6.381 11.485 53.522

Cheptel 16.097 56.217 8.600 65.865 21.780 65.454 73.513 307.526

1990 Exploitations 2.210 4.986 405 8.473 2.105 3.676 6.812 28.667

Cheptel 14.485 53.895 6.568 60.448 18.993 65.539 76.625 296.643

2000 Exploitations 807 1.916 131 2.650 622 1.536 2.943 10.605

Cheptel 9.034 34.901 4.506 33.252 10.906 46.417 56.401 195.417

Tab. 13 – Evolution du cheptel et du nombre d’exploitation de bovins à lait par province. En 2000 la filière bovine compte 21.575 exploitations à niveau régional, dont 49% est représenté par des producteurs de lait : 10.605 (Tab. 13). La tendance du secteur est négative pendant toute la période considérée et on observe une réduction du nombre des exploitations, accompagnée par une réduction du cheptel bovin. Dans la province de Trévise la consistance du cheptel a chuté de -45% entre 1990 et 2000 et de -68% entre 1970 et 2000 (Fig. 31). A noter aussi l’effondrement du nombre des exploitations, diminuées de -91% ( ! ) entre 1970 et 2000, plus que la moyenne régionale (Fig. 32).

Fig. 31 – Evolution du nombre des exploitations et du cheptel bovin en province de Trévise.

Fig. 32 – Pourcentage de variation des exploitations entre les différents recensements dans la province de Trévise et au niveau régional.

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Les résultats d’une étude de l’université de Milan, réalisée pour Veneto Agricoltura, nous permettent de prolonger l’analyse jusqu’à l’année 2004 et nous offrent aussi des précieuses données sur la production laitière227. Relativement au nombre d’exploitations, la tendance négative qu’on a déjà souligné sur la longue période continue et s’intensifie même, Trévise enregistrant la perte plus marquée avec -67,2% d’exploitations en 8 ans, bien au delà d’une moyenne régionale de -56,2% (Tab. 14). Si en 1996 elle avait la primauté avec 29,4% des exploitations de la région, en 2004 elle n’en a plus que 22%. Une primauté qui est passée à Vicence, province qui a vu augmenter sa part de 26% à 29,5% du total régional.

Vérone Vicence Bellune TREVISE Venise Padoue Rovigue VENETO 1996/1996 2.127 4.125 1.187 4.672 854 2.736 173 15.874 1996/1997 2.069 3.992 1.130 4.348 810 2.655 167 15.171 1997/1998 1.996 3.747 1.018 3.930 731 2.416 165 14.003 1998/1999 1.777 3.299 889 3.205 624 2.058 149 12.001 1999/2000 1.572 2.926 788 2.580 540 1.843 131 10.380 2000/2001 1.453 2.608 719 2.067 476 1.526 123 8.972 2001/2002 1.381 2.387 648 1.878 420 1.409 119 8.242 2002/2003 1.304 2.229 592 1.723 377 1.283 108 7.616 2003/2004 1.232 2.053 549 1.533 331 1.157 100 6.955

Tab. 14 – Nombre de producteurs laitiers par province.

Vérone Vicence Bellune TREVISE Venise Padoue Rovigue VENETO

1996/1996 280 337 39 206 75 227 30 1.193 1996/1997 279 337 41 200 74 223 31 1.185 1997/1998 289 339 40 196 72 224 32 1.191 1998/1999 288 338 39 192 72 229 31 1.188 1999/2000 282 331 38 180 69 225 31 1.155 2000/2001 295 345 42 186 71 230 32 1.198 2001/2002 304 349 43 189 69 233 32 1.218 2002/2003 308 350 43 189 68 235 32 1.224 2003/2004 301 344 45 185 67 231 29 1.202

Tab. 15 – Production de lait commercialisée (Valeurs en millier de tonnes).

Pour ce qui concerne la production, le tableau est cette fois plus contrasté (Tab.15). Nous trouvons des légères augmentations à Vérone, Vicence et Bellune, tandis que Padoue et Rovigue montrent une certaine stabilité. Venise et Trévise se distinguent pour une chute de la production d’environ 10%. A remarquer aussi la valeur régionale, presque stable, malgré quelque fluctuation. La production moyenne par exploitation (Tab. 16) a augmenté d’environ 130% à l’échelle régionale et Trévise est cette fois la province plus vertueuse, avec une augmentation de la production moyenne de 174,1%. Cependant, même si les écarts entre les provinces tendent à se réduire, Trévise se démarque, avec Bellune, par une structure de la production encore fragmentée, ce qui peut expliquer une valeur productive par exploitation en dessous de la moyenne régionale.

227 L’étude est consultable sur le site de Veneto Agricoltura.

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Vérone Vicence Bellune TREVISE Venise Padoue Rovigue VENETO 1996/1996 132 82 33 44 88 83 171 75 1996/1997 135 84 36 46 91 84 185 78 1997/1998 145 90 39 50 98 93 193 85 1998/1999 162 102 44 60 115 111 209 99 1999/2000 180 113 49 70 128 122 234 111 2000/2001 203 132 57 90 148 151 258 134 2001/2002 220 146 66 101 164 165 270 148 2002/2003 236 157 73 109 180 183 293 161 2003/2004 244 168 81 121 202 200 292 173

Tab. 16 – Production moyenne par exploitation par province (Valeurs en tonnes).

Classes de dimension productive

0,1 - 20 20,1 - 100 100,1 - 500 >500 VENETO 1994/1995 7.048 7.224 2.988 248 17.508 1995/1996 6.311 6.778 2.996 290 16.375 1996/1997 5.586 6.393 2.916 275 15.178 1997/1998 4.948 5.815 2.897 304 13.964 1998/1999 3.790 5.013 2.802 385 11.990 1999/2000 2.936 4.348 2.696 400 10.380 2000/2001 1.928 3.873 2.711 460 8.972 2001/2002 1.591 3.494 2.647 510 8.242 2002/2003 1.423 3.128 2.519 546 7.616 2003/2004 1.248 2.736 2.397 574 6.955

Tab. 17 – Nombre de producteurs laitiers par classe de dimension productive.

Classes de dimension productive

0,1 - 20 20,1 - 100 100,1 - 500 >500 VENETO 1994/1995 70 338 605 204 1.216 1995/1996 63 320 617 238 1.237 1996/1997 58 308 602 243 1.210 1997/1998 48 279 603 252 1.183 1998/1999 38 247 593 312 1.190 1999/2000 29 216 579 332 1.156 2000/2001 21 194 591 391 1.198 2001/2002 18 178 587 436 1.218 2002/2003 16 161 567 480 1.224 2003/2004 14 142 545 501 1.202

Tab. 18 – Quantité de lait produite par classe de dimension (Valeurs en milliers de tonnes).

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Fig. 33 – Evolution de la production par classe de dimension (Valeurs en % sur le total régional).

L’analyse par classe de dimension est particulièrement intéressante (Tab. 17). Les données se réfèrent à l’ensemble de la région, qui est touchée par une tendance commune à toutes les provinces. Ce qui en ressort est la disparition des très petites exploitations (< 20 t), qui passent de 7.048 en 1995 à 1.248 en 2004, soit une diminution remarquable -82,3%. Leur poids sur le total régional est fortement redimensionné : elles représentaient 40,3% du total en 1995, tandis qu’en 2004 elles ne constituent plus que 18%. Les petites exploitations (entre 20 t et 100 t), voient leur nombre diminuer de 7.224 en 1995 (41,3% du total) à 2.736 en 2004 (39,3% du total), soit une diminution de -62,1%. Les exploitations que l’on peut définir comme moyennes (entre 100 t et 500 t), voient leur nombre diminuer, avec une perte de -19,8%, mais leur poids sur le total régional augmente. Ainsi, elles passent de 2.998 exploitations en 1995, correspondant au 17% des exploitations vénitiennes, à 2.397 en 2004, soit 34,5% des producteurs régionaux. Les grandes exploitations (> 500 t) ont plus que doublé : elles sont passées de 248 en 1995 (1,4%) à 574 en 2004 (8,25%). C’est par le croisement de ces données avec celles de la production que l’on comprend bien comme le secteur traverse une phase de restructuration profonde (Tab. 18). Les deux classes des petits producteurs (< 100 t) constituent encore 57,3% du total, mais il n’en est pas de même pour la production qu’ils fournissent : 157.000 tonnes, seulement 12% du total régional. Les exploitations de taille moyenne ont augmenté leur poids relatif, mais leur contribution à l’ensemble de la production régionale diminue, passant de 50% en 1995 à 45% en 2004. Les vrais gagnants sont les grands producteurs, qui non seulement ont doublé en nombre, mais qui détiennent 42% du lait produit en 2004, tandis qu’ils n’en fournissaient que 17% en 1995 (Fig. 33).

4.1.7. Une agriculture à la recherche d’espace.

Nous avons déjà souligné que la croissance urbaine entraine une consommation de sol considérable, mais elle entre aussi en compétition avec l’agriculture pour ce qui concerne deux facteurs productifs : la terre et le travail228. Le tableau 19 permet de constater comme le prix à l’hectare varie selon les zones. Ainsi pour un hectare à emblavé dans la plaine centrale comprise entre Trévise et le nord de Padoue, les prix varient entre un minimum de 60.000-80.000€ et un maximum de 95.000-110.000€. Dans les zones marginales de la région, les

228 Cf. Tempesta T., L’agricoltura Veneta in un contesto di urbanizzazione diffusa, pp. 349-410. Dans : Rapporto 2006 sul sistema agroalimentare nel Veneto, éd. Veneto Agricoltura, 2006. Les considérations suivantes se réfèrent à cette publication.

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moins densément peuplées, à la frontière avec le Frioul ou dans la province méridionale de Rovigue, les prix tombent entre 25.000-35.000€ et 55.000-75.000€.

Typologie et localisation Valeur ( milliers

d’€/ha ) min max

Emblavé de la plaine au sud de Vérone 55 130 Maraîchage de la plaine véronaise 89 190 Vignes des collines véronaises 110 300 Emblavé dans la plaine centrale de la province de Trévise

60 95 Vignes AOC des collines trévisanes 150 400 Vignes non AOC des collines trévisanes 70 160 Emblavé de la plaine orientale vénitienne 35 75 Vignes de la plaine orientale en province de Venise

90 120 Maraîchage dans la plaine côtière au sud de Venise

75 90 Emblavé de la plaine en province de Padoue (nord)

80 110 Emblavé de la plaine en province de Padoue (sud)

43 70 Vignes dans la plaine de Padoue 60 105 Maraîchage spécialisé en province de Rovigue 60 120 Maraîchage en province de Rovigue (centre-nord) 44 88 Emblavé dans la province de Rovigue 25 55

Tab. 19 – Valeurs moyennes du foncier dans des zones de plaine en Vénétie en 2004 (Source :

Veneto Agricoltura, 2010).

La città diffusa amène donc à une soustraction directe de surfaces agricoles qui réduit la base productive. De l’autre côté, l’augmentation de la rente urbaine sur le territoire va inhiber la capacité du secteur primaire de se réorganiser à travers l’augmentation des dimensions moyennes des exploitations. Il en découle que l’exploitation, à cause de ses dimensions réduites, sera surcapitalisée avec la conséquence directe d’une réduction des gains, quand elle n’aura déjà cessé l’activité229. En outre, l’effet croisé de la dispersion du bâti et de l’incapacité d’organiser un remembrement efficace du foncier aura pour conséquence une fragmentation croissante du maillage parcellaire.

Année Agriculture Industrie Services Agr./Ind. Agr./Ser. 1981 10.381 20.492 25.027 0,5066 0,415 1987 18.997 42.441 52.079 0,4476 0,365 1991 34.433 57.503 72.830 0,5988 0,473 1997 59.727 77.463 106.511 0,7710 0,561

Tab. 20 – Revenu intérieur brut par employé et par secteur en Vénétie (Source : Veneto

Agricoltura, 2010 - valeur en devise italienne, par milliers -). Le tableau 20 témoigne d’une forte différence entre la rentabilité du travail en agriculture et dans les autres secteurs économiques en Vénétie. Au début des années ’80 le revenu brut par actif correspondait à la moitié de celui des autres secteurs. Probablement suite à la réforme Mac Sharry de 1992, la P.A.C. a porté une diminution dans ce gap, mais à l’approche du nouveau millénaire le revenu d’un actif agricole correspondait encore à 77% d’un actif dans l’industrie et à 56% d’un actif dans les services. On constate donc que la forte compétitivité entre marché du travail et marché du foncier peut amener à des résultats opposés. D’un coté 229 La taille moyenne d’une exploitation en région varie entre 3,5 et 6,5 hectares selon les zones et selon les estimations. L’agriculture italienne en général est d’ailleurs connue pour cette spécificité relative à la taille réduite des entreprises agricoles : selon le recensement de l’agriculture en 2000 celles inférieures à 5 ha constituaient 80% du total national.

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on pourrait avoir un processus de désactivation de l’exploitation et de réduction du temps dédié à l’activité agricole. De l’autre, les entreprises poussées par cette compétition pourraient être amenées à intensifier les productions ou à démarrer des activités complémentaires à l’agriculture, ce qui nécessite d’une vocation territoriale (agricole, touristique ou récréative), d’une certaine intégrité paysagère et d’une mentalité entrepreneuriale (Tempesta, 2006). La carte des surfaces couvertes par la forêt peut donner une idée des zones les plus vouées, autour desquelles pourraient se développer ces types d’activités (Fig. 34). Les zones boisées constituent effectivement une ressource, notamment dans un contexte comme celui de la province de Trévise, fortement marquée par le morcellement de la propriété, qui se mêle à l’étalement des villes. Ces espaces verts, déjà protégés, doivent être valorisés, la demande de « nature » et de « bien-être » des populations urbaines étant de plus en plus forte et répandue. En plus, ces espaces constituent autant d’abris pour la biodiversité et participent au maintien d’un paysage naturel, chargé de valeurs esthétiques et composante primordiale du cadre de vie.

Fig. 34 – Les surfaces forestières dans le PTCP230.

Dans ce sens le développement d’une viticulture de qualité a pu empêcher le bétonnage de certaines zones et a permis le développement d’activités à impact réduit sur l’environnement – c’est notamment dans la province de Trévise que l’on trouve 23,3% des agritourismes de la région, localisés notamment dans les collines au nord de la province231, dans une région qui est sur le podium national pour nombre d’agritourismes – ainsi que le maintien de l’emploi et la préservation du paysage. C’est le cas évident de la partie septentrionale de la province, où 230 “Piano Territoriale di Coordinamento Provinciale”, littéralement : Plan Territorial de Coordination Provincial. 231 Selon le site de Veneto Agricoltura, en 2004 derrière Trévise on trouvait Vérone avec 20,6% et Vicence avec 20%. Nous soulignons que la primauté en termes quantitatifs revient à la commune de Valdobbiadene où l’on trouve une trentaine d’agritourismes (Cf. www.veneto-agriturismo.it/index.php?section=agriturismo&provincia=Treviso).

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plusieurs parcours thématiques coexistent : certains sont liés à la mémoire de la première guerre mondiale, qui est terminée dans les Préalpes de Trévise232; d’autres font référence aux particularités culturelles du paysage, comme c’est le cas des bourgs historiques (Asolo ; Follina ; Cison di Valmarino, siège du G8 de l’agriculture en 2009) et des résidences nobiliaires de l’ancienne république de Venise, projetées et réalisées pour s’insérer dans un paysage en trompe l’œil, comme cela a été bien décrit dans l’ouvrage de Denis Cosgrove : « Il paesaggio palladiano » (2000). Les potentialités en termes de développement apparaissent en toute évidence lorsque d’autre itinéraires croisent les parcours évoqués : tel est le cas de la route du Prosecco, qui se déroule dans un paysage viticole dont certains acteurs locaux soutiennent aujourd’hui la candidature à patrimoine de l’humanité (Cf. encadré et figures 35 et 36). Tout cela dans une région qui est la première destination touristique d’Italie depuis plusieurs années, avec plus de 60 millions de touristes par an, soit plus de 15% du total national (Regione Veneto, 2010).

Encadré 1 - Une appellation qui vaut 370 millions d’€.

La zone de production du « Prosecco di Conegliano e Valdobbiadene » s’étend sur l’aire collinaire de la province de Trévise – comprise entre Conegliano et Valdobbiadene – et elle comprends 15 communes à l’intérieur d’une appellation (DOC), née en 1969 et qui couvre 18.000 ha de surface agricole. La vigne est cultivée dans la partie la plus exposée au soleil des collines, à une altitude comprise entre 50 et 500 mètres, tandis que les versants au Nord sont principalement couverts par les bois. En 2009 étaient inscrits dans l’appellation 4.908 ha de vignes (dont 106,4 ha appartiennent au terroir « Supérieur de Cartizze »), dans lesquelles travaillent environ 5.000 producteurs, avec 2.193 viticulteurs, 454 vinificateurs, 166 œnologues, 1.500 employés dans le secteur œnologique, alors que les entreprises viticoles sont 166. Le caractère très escarpé des collines, en rendant difficile la mécanisation du travail, a permis que la gestion des vignes est souvent restée dans les mains des petits viticulteurs. Seulement aux alentours de Conegliano on trouve quelques exploitation de plus grandes dimensions. Le Prosecco est présent sur ces collines à partir du XIXème siècle ; avec la fondation à Conegliano de l’école de viticulture et d’œnologie et de la station expérimentale pour la viticulture les études sur ce vin se sont développées et en ont permis une diffusion sur toute la zone. Outre au cépage homonyme, Verdiso, Perera, Bianchetta sont les autres cépages autochtones qui rentrent dans la production, dans la mesure de 15%. Le cahier des charges prévoit qu’à partir de 100 kg de raisins on puisse obtenir un maximum de 70 litres de vin. Après le pressage le mout vient laissé reposer au froid (5-10° C) dans des vasques en acier. Après 10-12 heures, la partie limpide du mout vient séparée du dépôt et la fermentation est activée. La vinification se déroule grâce aux levures qui provoquent la fermentation alcoolique. La vinification a lieu dans les vasques en acier à une température constante de 18-20°C et dure environ 15-20 jours. Dans l’année 2008 ont étés produites 57.434.000 bouteilles, dont : 48.058.000 de spumante (champagne) ce qui correspond au 83% du total ; 1.450.000 de supérieur de Cartizze, 7.504.000 de frizzante (pétillant) et 421.000 de « tranquille ». 30% des bouteilles ont étés exportées, la valeur du produit à la consommation correspond à 370 millions d’€ (source : AltrAgricoltura NordEst – aout 2009).

Cependant, l’internationalisation d’une demande en croissance constante pour ces vins de qualité, soulève de plus en plus de critiques vers cette tendance poussée à l’exportation, car

232 En donnent exemple les toponymes des communes qui font référence à cet épisode marquant de l’histoire nationale (Moriago della Battaglia, Sernaglia della Battaglia, Nervesa della Battaglia…) ; Vittorio Veneto, lieu de signature de l’armistice de 1918 où l’on trouve le musée de la bataille ; le fleuve Piave, considéré sacré pour la patrie ; le monte Grappa héberge un monument colossal sur son sommet (cf. figure 48).

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elle pourrait engendrer des phénomènes pervers. D’un coté l’extension de la zone d’appellation risquerait d’engendrer une banalisation des paysages, qui ressembleraient de plus en plus à une grande vigne233. De l’autre il y aurait une réduction de la biodiversité (Figures 38-39).

Fig. 35-36. Le paysage collinaire de Valdobbiadene, futur patrimoine de l’UNESCO ? (Source :

consorzio del Prosecco, site internet). Sur ce point est significatif le fait que les exploitants qui dans une saison dépassent les 20 traitements phytosanitaires ne sont pas rares et, ce qui est plus grave, dans certaines zones le recours à l’hélicoptère pour traiter les vignes a des conséquences non seulement sur l’environnement naturel, mais aussi sur la population civile234. Ces craintes ne semblent pas infondées ou isolées : dans la commune de Vidor - faisant partie du berceau historique de la DOCG -, la mairie est arrivée à interdire la fréquentation d’un parcours cyclo-touristique, suite à une demande de certains producteurs locaux, inquiets pour la santé d’éventuels promeneurs235. L’ARPAV (Agence Régionale pour la Protection de l’Environnement de la Vénétie) a publié en 2008 une étude scientifique qui confirme l’existence d’un taux de pesticides et de nitrates supérieur aux limites légales236. La direction de cette agence a ainsi

233 Cf. Brunori G. et Rossi A., Differentiating countryside : social representations and governance patterns in rural areas with high social density :the case of Chianti, Italy, dans : Journal of Rural Studies, num. 23, 2007, pp. 183-205. 234 Cf. les articles parus dans : « Il gazzettino di Treviso », 22 et 23 aout 2009, disponibles en ligne sur le site: http://www.ecceterra.org/doc/gazzettino.treviso.prosecco.pesticidi_22-23ago09.pdf 235 Cf. le dossier paru dans l’hebdomadaire de la diocèse de Vittorio Veneto : L’Azione, 29 Novembre 2009. 236 http://www.arpa.veneto.it/acqua/docs/interne/superficiali/Relazione_sintesi_ISPERIA.pdf

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dénoncé la gravité d’une situation qui touche pratiquement toute l’agriculture locale et a annoncé une campagne intensive de contrôles237. A partir d’avril 2010, l’aire de l’appellation a été étendue à 9 départements, s’étalant ainsi sur deux régions, tandis que le noyau historique de l’appellation (15 communes, - fig. 37 -) bénéficie de la DOCG, qualification supérieure. Compte tenu qu’un groupe de communes s’est récemment engagé vers l’adoption d’un règlement de bonnes pratiques valable pour l’ensemble de la DOCG238 et que la mention « rive » fait son apparition sur les étiquettes239, nous constatons que pour le Prosecco une véritable appellation à deux vitesses vient d’être mise en place : d’un côté, une DOCG qui se fonde sur les valeurs identitaires et patrimoniales, garantie de l’excellence et d’une qualité supérieure ; de l’autre une DOC à la carte, destinée à un marché d’exportation qui a le vent en poupe. Cette dynamique semble bien se situer dans la lignée du cas de la DOCG Chianti Classico, exemple évoqué par J.C. Hinnewinkel (Cf. chap. 1), et qui semble à plusieurs égards trouver ici une réplique fidèle.

Fig. 37 – L’aire de production du Prosecco di Conegliano e Valdobbiadene DOCG, dans les

collines au nord de Trévise. (Source : Consorzio del Prosecco, site internet).

237 Cf. « La Tribuna di Treviso », 21 Novembre 2009, pag. 25. Dans la province de Trévise en 2007 ont été employées 55 tonnes de Glyphosate et 8 tonnes de Glufosinate ammonium, interdit par la Communauté Européenne (http://www.altragricolturanordest.it/dettaglio.asp?Id=941). 238http://www.trevisopress.it/index.php?option=com_content&view=article&id=7439:prosecco-e-antiprassitari-15-sindaci-eco-alleati&catid=14:pubblica-ammne&Itemid=69 239 La dénomination « rive » (qui en patois local signifie : pente escarpée), est introduite dans le décret qui institue la nouvelle DOCG. Elle permet à une trentaine de localités définies de pouvoir indiquer sur l’étiquette cette référence particulière à l’origine, ayant pour but « de mettre en lumière la vocation et les nombreuses différences qui expriment les différentes localités de la dénomination » ! Pour les « rive » la production est réduite à 130 q/ha, la récolte doit être manuelle et le millésime doit être aussi indiqué.

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Fig. 38 – Exemple d’utilisation déraisonnée d’herbicides dans les vignes du Prosecco, avec

dégradation de l’activité biologique du sol (Source : www.ruralpini.it).

Fig. 39 – Les lignes jaunes dans les vignes, effet des herbicides (Source : www.ruralpini.it).

Pour synthétiser, on peut dire qu’actuellement, l’agriculture trévisane se distingue de l’agriculture traditionnelle par une production intensive, une diversification des formes de production, des productions spécialisées surtout orientées vers l’exportation et le marché urbain, de plusieurs exploitations à temps partiel et morcellement très marqué de la propriété foncière. Ils demeurent toujours des espaces fragiles et sensibles, objet d’enjeux économiques, sociaux, politiques et environnementaux : le piémont septentrional, avec les montagnes, son vignoble (et son paysage) de qualité ; les zones en proximité des fleuves, notamment l’aire des sources du fleuve Sile, située dans la partie méridionale de la province, protégée par un parc naturel régional qui regroupe 11 communes ; les communes orientales moins touchées par l’urbanisation diffuse.

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Les productions agricoles analysées par la suite doivent donc être considérées à l’intérieur de ce contexte spatial complexe, qui amène à réfléchir sur la durabilité d’une « troisième Italie » fruit de conditions historiques locales non reproductibles, d’un « modèle Veneto » consommateur de foncier, jusqu’à aujourd’hui construit sur des logiques purement monétaires et qui semble destiné à proliférer, « faute d’un projet de ville centré sur la durabilité du développement urbain et, d’abord, sur la construction d’un nouveau rapport entre urbs (la ville physique) et civitas (la société civile) »240. Un projet qui devra probablement intégrer dans cette forme urbaine contemporaine la multifonctionnalité de l’agriculture, variable fondamentale pour l’aménagement d’un territoire « où il fait bon vivre »241.

240 Gibelli M. C., L’étalement urbain en Italie entre Villettopoli et délégitimation de l’urbanisme, dans : Berque A., La ville insoutenable, Paris, Éditions Belin, 2006. 241 Nous soulignons que la consommation de sol n’est pas mesurable objectivement, car les données de l’ISTAT mesurent la réduction du foncier agricole, qui n’est pas due seulement à l’étalement urbain, mais en large mesure à la progressive disparition des exploitations agricoles marginales. Même le programme européen CORINE n’est pas fiable à 100% sur ce point, car il n’est pas capable de mesurer des aires inférieures à 25 ha, délaissant donc une partie considérable du bâti, (le véritable sprawl), ainsi que d’autres infrastructures (routes, hangars, carrières, etc.).

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Encadré 2 - Une région en avance sur la qualité.

La Vénétie soutien une politique plutôt attentive à la qualité dans l’agroalimentaire. Au-delà de la production de vins de qualité, pour laquelle la région est la plus grande productrice et représente le premier exportateur italien avec 27% du total italien en 2009, la Vénétie se distingue aussi avec 25 produits enregistrés comme DOP ou IGP au niveau européen, ce qui en fait la deuxième région d’Italie par nombre de produits ayant obtenu cette importante reconnaissance. Outre à ses vins d’excellence la province de Trévise possède plusieurs produits qui en font la renommée et la place dans la « top ten » des provinces italiennes par nombre d’indications géographiques enregistrées à Bruxelles. Avant tous, le « radicchio rosso di Treviso », le premier

produit agricole d’Europe à avoir obtenu l’IGP (Reg. 1263/96). Il s’agit d’une chicorée qui se différencie en deux typologies : le « type précoce » et le « type tardif », caractérisés chacun par une période d'ensemencement, de récolte et de rendement maximum à l'hectare. Le type tardif présente la particularité d’être mis à blanchir dans l’eau des résurgences, protégées par un parc naturel régional et qui donnent naissance au fleuve Sile, le plus long fleuve italien de résurgences. Cela donne au radicchio un goût unique et une

double coloration blanche et rouge qui permet au consommateur de le reconnaître. Le radicchio IGP doit présenter une traçabilité du produit, un toilettage précis et soigné ainsi qu'un étiquetage spécifique conforme à son cahier de charges. Il est produit dans la partie méridionale de la province de Trévise et dans certaines communes de Padoue et de Venise. Les adhérents à l’IGP augmentent d’une année à l’autre et en 2007 sa production a été de 800 tonnes. Aujourd’hui le consortium s’engage aussi dans la protection du « radicchio variegato di Castelfranco », une autre variété qui bénéficie elle aussi de l’IGP. C’est dans des sols sablonneux d’origine alluviale, perméables et bien drainés, que l’on cultive l’ « asparago bianco di Cimadolmo ». Il s’agit d’une variété d’asperge cultivée dans 11 communes situées au bord du fleuve Piave, où cette IGP trouve les conditions pédoclimatiques idéales. Depuis 2010 il est accompagné d’une autre IGP, l’ « asparago bianco di Badoere », qui concerne 12 communes au sud de la province, plus trois dans les territoires de Padoue et Venise. La province de Trévise possède aussi la plus haute concentration de fromages d’appellation de la région, avec cinq fromages sur huit. Ainsi, elle contribue à la production du « Grana Padano », du « Taleggio », du « Montasio », des grandes appellations qui s’étendent sur plusieurs régions. La dernière arrivée, la DOP « Castella trevigiana », est un fromage frais à pate molle, produit dans le seul territoire de la province. Une partie à l’ouest de la province rentre dans la zone d’appellation du fromage « Asiago ». Dans le piémont septentrional on trouve deux produits qui valorisent les forets qui couvrent collines

et Préalpes : l’IGP « marrone del Monfenera » à l’ouest et l’IGP « marrone di Combai » à l’est, qui protègent deux écotypes locaux de châtaignes. Toujours dans la zone préalpine se trouvent les oliveraies qui permettent la production de la DOP « olio veneto del Grappa ». Ici les oliviers sont à la limite de leurs conditions productives, mais ils trouvent dans les montagnes des abris contre les courants froids qui descendent du nord et une exposition à sud qui en favorise l’ensoleillement. L’huile qui

en dérive se distingue des huiles du sud pour un goût plus délicat qui contribue à en faire la typicité. La région a aussi été une des premières à mettre en place une loi régionale qui discipline les routes des vins et des produits typiques (L.R. n.17/2000). Il s’agit d’un moyen très efficace pour créer des synergies entre les différents acteurs du territoire. Encore une fois Trévise se distingue, deuxième seulement derrière Vérone, avec cinq routes : route du « Prosecco di Conegliano e Valdobbiadene DOCG », route du vin du « Montello e Colli Asolani », route des vins « Piave DOC », route du « Radicchio rosso di Treviso e variegato di Castelfranco IGP », route de « l’asparago bianco di

Cimadolmo IGP ».

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4.2. Le processus de valorisation de la farine de maïs « Biancoperla ». 4.2.1. Introduction. Le maïs, nous venons de le voir, est la principale culture de la région et cela non seulement pour les hauts rendements qu’il permet - en 2009 ont été atteintes les 10 tonnes/ha face aux 3,5 pour le blé et 2,5 du soja, les autres principales emblavures -, mais aussi pour des facteurs culturels. En effet, si aujourd’hui il est destiné principalement pour nourrir le bétail, et en moindre mesure pour la production de sirop de glucose, alcool ou amidon par l’industrie alimentaire, et plus récemment aussi comme carburant ( ! ), il n’en a pas toujours été ainsi (Fig. 40).

Fig. 40 – Composition de la consommation nationale de maïs en 2000 (Source : Veneto Agricoltura).

Historiquement, le maïs a été l’aliment de base de toutes les civilisations précolombiennes. Il s’est ensuite répandu dans d’autres contrées, en Europe et en Afrique, se substituant partiellement ou totalement à des céréales consommées plus largement autrefois comme le mil, le millet, le sorgho. Dans l’Europe méridionale, il était consommé largement autrefois sous forme de bouillies, constituant une alimentation bon marché pour les couches paysannes. Certaines de ces préparations sont encore relativement connues aujourd’hui, comme les « gaudes » dans la Bresse (Bérard et Marchenay, 2004). En Italie, la consommation de bouillies remonte au moins à l’époque romaine, dans laquelle on trouve trace de préparations comme la « puls », mélange d’épeautre ou de légumineuses cuites dans l’eau. Avec l’arrivée du maïs après la découverte de l’Amérique la « puls » évolue, dans l’étymologie et dans la pratique, et la farine de maïs cuite dans l’eau sert à préparer la polenta. Cette préparation deviendra pendant des siècles la base de l’alimentation de la majorité des paysans du nord de l’Italie, où le maïs trouve dans ces terres des conditions pédoclimatiques idéales. En Vénétie la polenta était consommée en masse jusqu’à une époque récente, comme en atteste le sobriquet « polentoni » avec lequel on désigne encore aujourd’hui, de façon plutôt péjorative, les habitants de cette région. La diffusion de la polenta de maïs est aussi témoignée par le taux très élevé de personnes touchées par la pellagre242, maladie cutanée liée à une carence en vitamine PP, conséquence directe d’une consommation presque exclusive de polenta.

242 De l’italien : « pellagra » ; littéralement formé de : « pelle » (peau) et « agra » (aigre).

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Au début du XXème siècle la Vénétie était une région épuisée : après la chute de la République de Venise (1797) les populations, déjà opprimées, furent soumises à un siècle de guerres et de dominations étrangères, qui faisait que la région était le plus grand bassin d’émigration italien pendant toute la période à cheval entre ‘800 et ‘900243. A Trévise on comptait 210 émigrés pour mille habitants, contre une moyenne régionale de 137 pour mille. Et c’était Trévise la province qui battait le record de diffusion de la pellagre, avec huit paysans sur cents atteints par cette maladie en 1881, par rapport à une moyenne régionale de 5,4%, taux qui à la moitié du siècle avait atteint 2,36% de la population agricole, tandis qu’en région il se limitait à 0,98%244. Ainsi, le progrès fut lent à se réaliser, à cause des grands conflits mondiaux et de la crise internationale des années ’30. La situation dans les campagnes resta alors difficile jusqu’à la fin de la deuxième guerre mondiale, avant les changements radicaux des années récentes. Tout cela nous fait comprendre comme la polenta est un aliment qui possède des valeurs identitaires très forts, même si elle ne constitue plus la base de l’alimentation locale. Aujourd’hui le maïs est obtenu par des variétés hybrides, sélectionnées pour donner des rendements maximales, selon des critères tels que la résistance au froid (pour anticiper les semis), la vitesse de maturation, le feuillage réduit (majeure concentration de plantes par mètre carré) ou encore la présence du pigment xantofille, très apprécié dans le secteur avicole puisque les œufs doivent avoir un jaune très vif245. Il est de plus en plus cultivé en alternance avec le soja, (trois années de maïs pour une année de soja), mais assez répandue est la mono-succession, pratique à fort impact environnemental, avec des conséquences sur l’appauvrissement des sols et sur l’accumulation d’herbicides dans les nappes phréatiques et même dans les fleuves246. 4.2.2. Caractérisation du produit. La culture du maïs Biancoperla était autrefois répandue dans les provinces de Trévise, Rovigue, Padoue, Vicence et Venise et même dans une partie du Frioul (Pordenone et Udine). C’est dans le territoire administratif de ces provinces que sa production est aujourd’hui autorisée. En 1950 la surface à maïs Biancoperla occupait en moyenne plus du 20% des surfaces destinées au maïs, plus de 50.000 hectares, jusqu’à atteindre le pourcentage remarquable de 61% dans la province de Trévise. Le maïs Biancoperla comprend en réalité plusieurs phénotypes locaux, dont plus d’une vingtaine dans la seule province de Trévise, qui font actuellement l’objet d’un travail de sélection afin de caractériser les plus adaptés à la culture, la commercialisation et l’usage alimentaire. Le maïs se distingue des variétés hybrides par une productivité inférieure, assez variable en fonction de la fertilité du sol, du phénotype et logiquement du climat. Moyennement, le rendement peut se situer entre 2 et 4 tonnes par hectare. Les plantes se présentent très hautes, entre 2 et 2,5 mètres. Elles produisent un épi, rarement deux, qui sont facilement attaquées par les parasites. Les épis sont longs et pointus,

243 Pour plus de données cf. Barengo M., L’agricoltura veneta dalla caduta della repubblica all’unità, Milano, Banca commerciale italiana, 1963. 244 Cecchetto G., Cusinato A., La genèse d’une culture locale d’entreprise au nord-est d’Italie, L’Harmattan, Paris, 2007, pp. 155-157 et en particulier la note 64 à pag. 157 pour un témoignage poignant sur les conditions sociales et culturelles des paysans trévisans. 245 http://www.agraria.org/coltivazionierbacee/mais.htm 246 La province de Trévise et plus en général la région ont été touchées au début des années ’90 par des graves pollutions des eaux, qui ont porté en 1992 à une loi nationale qui interdit l’usage des produits responsables. Cf. La Repubblica, 27 décembre 1992, pag. 22. Cf. aussi l’étude de : Marangon F., Tempesta T., L'inquinamento da atrazina delle acque sotterranee, dans : Aestimum, num. 44, juin 2004, pp. 1-24. Plus récemment (2009) : http://www.tgverona.it/index.cfm/hurl/contenuto=121839/cronaca/acqua_all_atrazina_nel_villafranchese_oggi_dovrebbe_cessare_l_allarme.html

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avec des graines grosses et vitreuses, d’une couleur blanche, brillante et perlée (Fig. 41). Le semis s’effectue en isolement spatial, cet-à-dire à une distance d’au moins 200 mètres des autres surfaces à maïs, ou en isolement temporel, anticipant (ou retardant) la culture. Le semis est plus espacé, avec 4 à 5 plantes par mètre carré, à cause des plus grandes dimensions des feuilles et pour faciliter les opérations de buttage et réduire ainsi les risques de verses. La récolte doit être la plus rapide possible pour éviter les attaques des moisissures. Les graines doivent être séchées à une température optimale de 55°C sans dépasser le 70°C. Les graines séchées au dessous du 14% d’humidité peuvent être stockées dans des locaux secs et aérés, dans l’attente d’être moulues. La transformation en farine peut avoir lieu dans des moulins à cylindres ou en pierre, autorisés par l’association des producteurs. La farine de maïs Biancoperla existe en quatre typologies :

- farine de maïs Biancoperla intégrale moulue à pierre ; - farine de maïs Biancoperla moulue à cylindres ; - farine de maïs Biancoperla intégrale moulue à cylindres ; - farine de maïs Biancoperla moulue à pierre.

Fig. 41 – Le maïs Biancoperla (Source : Slow Food, site internet).

La polenta blanche est par beaucoup considérée de meilleure qualité par rapport à la polenta jaune, plus rustique et plus diffuse dans le reste de la région, notamment dans les zones collinaires et montagneuses. La polenta s’accompagnait presque à tout et dans les campagnes elle était souvent consommée chaude avec du lait froid : c’étaient les « patugoi » ou « pestarei » en colline, ou les « tacoi » dans la plaine. Aujourd’hui elle constitue un aliment à haute valeur culturelle et identitaire, consommé le plus souvent à l’occasion de fêtes ou de repas conviviaux, notamment lorsqu’elle est accompagnée par le « spiedo », une grande brochette de viandes qui tourne devant le feu pendant plusieurs heures ; ou encore « poenta e osei », la polenta avec les oiseaux, « le » plat régional, qui rappelle une fois de plus la pauvreté de ces paysans et qui est devenu un plat de restaurant luxueux et coûteux. 4.2.3. Problématisation. Le processus de valorisation de la farine de maïs Biancoperla démarre grâce à l’institut de génétique et expérimentation agraire « Nazareno Strampelli » de Lonigo, en province de Vicence. Cet institut est né en 1950 avec la finalité affichée de jeter un pont entre la recherche scientifique et les agriculteurs. Ainsi, actuellement l’institut donne une grande attention aux retombées de la recherche et de l’expérimentation dans le territoire. De par cette philosophie l’institut « Strampelli » a investi beaucoup de ses ressources pour la valorisation et l’amélioration qualitative des productions typiques locales, en particulier à travers une banque du germoplasme, où sont conservées plus de 500 variétés de maïs, blé et d’autres céréales.

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Grâce à l’institut est actuellement en cours la demande visant l’obtention de l’IGP pour le maïs Marano, une autre variété locale de couleur jaune. L’autre élément déclencheur date de l’année 2000, quand la « Regione Veneto », à travers sa branche agricole - Veneto Agricoltura - assigne à l’institut « N. Strampelli » un projet de recherche sur la récupération et la valorisation des anciennes variétés de céréales de la Vénétie247. L’objectif du projet, à moyen et à long terme, est double : d’un côté il s’agit de promouvoir le développement économique et la consolidation de filières alimentaires liées à des variétés locales, de l’autre il s’agit de sauvegarder la biodiversité agricole, dans le but d’empêcher la diffusion des organismes génétiquement modifiés.

Fig. 42 – Le réseau dans la phase de la problématisation. 4.2.4. Intéressement. La première phase est donc le fruit d’une collaboration forte entre recherche scientifique et institutions, motivée par une volonté politique clairement affichée d’opposition à la diffusion des cultures OGM. Une fois le projet démarré, avec un relatif octroi de fonds sur trois ans, les rares paysans locaux qui encore possèdent la graine sont contactés et commence un travail de sélection et d’identification des variétés. Le réseau s’enrichit d’un acteur fondamental, l’institut professionnel de l’Etat pour l’agriculture et l’environnement « Domenico Sartor » de Castelfranco Veneto. Il s’agit d’un lycée agricole qui, dans le cadre de ses compétences institutionnelles, formatives et promotionnelles, participe activement à la sauvegarde de la biodiversité rurale. L’objectif devient celui d’une diversification des activités agricoles avec une attention particulière au maintien d’un nombre le plus élevé possible de populations végétales, résidus des cultures agricoles passées et en danger d’extinction. On attribue ainsi un lien stricte entre les aliments ayant un goût de niveau élevé et le patrimoine génétique des plantes autochtones, rustiques, peu productives, cultivées, transformées, cuisinées et consommées avec des méthodes et des temps traditionnels. La culture et les modalités de transformation et utilisation représentent autant d’aspects qui caractérisent les racines et dont « la sauvegarde constitue avant tout une opération de profonde signification culturelle ». De plus, selon l’institut, une telle sauvegarde ne peut pas être centrée sur elle-même, ni motivée par une « pathétique nostalgie du bon temps passé », mais doit « résulter d’une valorisation concrète et durable des productions agroalimentaires au profit des agriculteurs, des transformateurs et des consommateurs ». Le réseau s’élargit aux élèves impliqués dans les activités formatives, aux personnel et aux premiers paysans avec lesquels est établie une collaboration. 247 L.R. n. 5/2000 « Interventi per la tutela e conservazione delle antiche varietà cerealicole venete », art. 39.

Institut “N. Strampelli”

Veneto Agricoltura

Regione Veneto

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Fig. 43 – Le réseau dans la phase de l’intéressement.

4.2.5. Enrôlement.

Cette phase voit le développement d’une série d’événements qui accélèrent le processus de valorisation et qui portent à une densification des relations. Le premier est la création de l’association des conservateurs du maïs Biancoperla. A la suite des finalités énoncées plus haut, l’institut « D. Sartor » de Castelfranco propose aux paysans qui ont décidé de participer à l’expérimentation de s’associer pour mettre en place une micro-filière, essayer de vendre les premiers kilos de farine et surtout pour tester l’intérêt des consommateurs locaux. Mais bientôt un nouveau problème émerge : une fois le maïs cueilli et dégrainé il doit être séché et surtout, il doit être moulu avant de devenir farine, ce qui amène l’association à prendre contact avec un moulin. Le moulin ainsi chargé de l’opération trouve un débouché pour la farine à travers la grande distribution. Cette dernière impose alors son prix, trop bas pour les producteurs de l’association, qui très vite se rendent compte de l’impossibilité de se situer sur ce canal commercial, qui ne permet pas de profiter de la valeur ajoutée du produit.

Fig. 44 – Le réseau dans la phase de l’enrôlement (1).

L’autre événement clé de cette phase est la rencontre avec le responsable local de Slow Food, un historien, collègue du professeur de l’institut « D. Sartor » qui coordonne les paysans de

Regione Veneto

Institut “D. Sartor” Institut “N. Strampelli”

Veneto Agricoltura

Producteurs (Autoconsommation)

Consommateurs

(vente directe)

Consommateurs

Institut Padoue

Moulin Favaro

Producteurs Institut “N. Strampelli”

Veneto Agricoltura

Regione Veneto Institut “D. Sartor”

Grande distribution

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l’association. Les projets des « presidi » étaient en train de se développer un peu partout en Italie, et le maïs Biancoperla de par ses caractéristiques est recensé dans l’Arche du goût. Un premier groupe de huit producteurs participe à la rédaction du cahier des charges ; parmi ces acteurs l’institut agraire « Duca degli Abruzzi » de Padoue et des exploitations professionnelles plus structurés. Celles-ci entrent en contact avec un distributeur spécialisé en produits de terroir, qui va créer des nouveaux débouchés tout en partageant les valeurs de l’association. En 2002 le « Presidio farina di mais Biancoperla » est créé et participe au salon du goût de Turin. L’association prend un statut juridique, ce qui a signifié un certain travail bureaucratique, fastidieux pour les petits paysans, mais au final accepté comme un moindre mal. L’association des producteurs devient un macro-acteur, une « boîte noire » dans laquelle une pluralité de sujets opère selon des énoncés partagés et intériorisés. En parallèle, Slow Food favorise la consommation du produit, qui devient la référence dans de nombreux restaurants, non seulement les plus luxueux. L’appartenance à un « presidio » représente une valeur ajoutée, c’est un gage de qualité, le produit acquiert une reconnaissance gastronomique. Dans les rencontres organisées par les conviviums régionaux la polenta est presque toujours à base de farine de maïs Biancoperla.

Fig. 45 – Le réseau dans la phase de l’enrôlement (2). 4.2.6. Mobilisation. Nous avons vu comme les acteurs sont arrivés à une conceptualisation univoque de la qualité, formalisée par l’écriture du cahier des charges, lequel résume les « critères Slow » - bon, propre et juste -, communiqués par Slow Food à travers une médiatisation et une promotion qui font sortir le produit d’une échelle strictement locale. Certains paysans racontent avec étonnement d’avoir été contactés depuis Okinawa, d’autres se vantent d’avoir fourni du maïs pour les bateaux de scheiks arabes, ou d’avoir vendu « les 5kg de maïs Biancoperla plus chers du monde », achetés par avion (y compris le billet !) par l’Hôtel Hilton d’Amsterdam. Cela, avec la participation aux salons du goût, amène les producteurs à développer une conscience identitaire collective. Une fois les rôles attribués, d’autres « micro-traductions » s’opèrent à l’intérieur du réseau et mettent en évidence des divergences qui ne débouchent pas sur un conflit ouvert, mais qui restent quand même des controverses révélatrices d’un équilibre précaire et fragile.

Association

conservateurs du Mais

Biancoperla

Veneto Agricoltura Regione Veneto

Slow Food locale Slow Food Italie

Distributeur Consommateurs

Restaurateurs

Boutiques spécialisées

Consommateurs

Consommateurs

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D’abord, le soutien régional lié au projet quinquennal sur la récupération de la biodiversité végétale vient à manquer, non sans critiques de la part de l’association, qui voit un manque d’intérêt des institutions locales vers la démarche. Le salon du goût de 2006 voit ainsi la seule participation d’un producteur professionnel, lequel a la particularité d’avoir une exploitation entièrement vouée aux productions céréalières de qualité : il fait notamment partie d’un autre « presidio » portant sur une variété locale de riz, lié à la province de Vicence. Derrière cet acte se cachent en réalité des diversités de fond sur la coordination : les petits producteurs s’insèrent dans un monde domestique de la commercialisation (cf. chap. 2), tandis que pour l’autre l’importance économique est fondamentale. Ce dernier n’accepte pas les producteurs qui considèrent la démarche avec peu de sérieux, car il s’agit de saisir une opportunité qui permet d’avoir un retour, mais à condition de « s’activer » et de « se donner du mal ». Autrement dit, les petits producteurs commencent à se détacher d’un processus de valorisation qui ne leur permet pas d’avoir des retombées économiques certaines et qui représente plus un coût et un investissement de temps non négligeable. De l’autre côté le producteur professionnel perçoit l’importance et le bénéfice associé à l’effet marketing qui vient de l’action de Slow Food.

Fig. 46 – La phase de la mobilisation. Les choses évoluent à la moitié des années 2000, en particulier avec l’adoption du nouveau plan de développement rural régional, (« P.S.R. – Piano di Sviluppo Rurale ») valable pour la période 2007-2013. Ce dernier contient certaines mesures spécifiques, à partir desquelles a lieu la création d’un projet régional sur la biodiversité. Le projet permet de fédérer plusieurs lycées agricoles autour de la sauvegarde des espèces animales en voie d’extinction et des variétés végétales à

Association

Conservateurs

du mais

Biancoperla

Producteur

professionnel Petits

producteurs

Restaurateurs

Restaurateurs locaux

Veneto Agricoltura Regione Veneto

Chambre de commerce

Slow Food locale Slow Food Italie

Distributeur

Consommateurs

Consommateurs

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risque d’érosion génétique, leur caractérisation et la réalisation d’actions d’information, diffusion et formation en lien avec la biodiversité animale et végétale. L’institut « D. Sartor » retrouve ainsi des moyens et affiche des nouveaux objectifs à réaliser dans le cadre du projet :

- la récolte, la sélection, la transformation en farine et l’emballage du maïs comme indiqué dans le cahier des charges de l’association et du « Presidio Slow Food » ;

- la participation aux activités techniques et promotionnelles à la fois de l’association des conservateurs du maïs Biancoperla, dont l’institut est le siège, à la fois et surtout du « Presidio Slow Food » ;

- collaboration systématique, technico-scientifique et promotionnelle avec Veneto Agricoltura et avec l’institut de génétique et d’expérimentation agraire « N. Strampelli » ;

- participation comme chef de file au programme « Vivere Meglio » (vivre mieux) de la Chambre de Commerce de Trévise, finalisé à la caractérisation organoleptique et à la valorisation de quelques produits de niche trévisans.

Le salon du goût de 2008 retrouve la participation de l’association des producteurs du maïs Biancoperla, qui reviennent sur leurs pas. Cela provoque la réaction du producteur professionnel, qui en guise de représailles refuse de participer au sein de l’association, en préférant le faire personnellement, payant à ses frais le déplacement et le stand à la grande foire de Turin. Le geste cette fois est motivé pour des raisons différentes, qui révèlent une situation complexe qui va en partie au-delà du système agroalimentaire localisé. Pour la comprendre il faut expliquer que le maïs est une culture attaquée par le champignon Fusarium verticillioides, principal responsable des mycotoxines, notamment dans un climat chaud et humide comme celui de la plaine du Po. Ces mycotoxines sont dangereuses pour la santé humaine car cancérogènes, et peuvent aussi être transmises dans des produits transformés comme le lait et les fromages. Suite à une normative européenne récente et en évolution248, même dans les années plus favorables une grande partie de la production vénète résulte ainsi exclue de l’usage humain outre que de l’élevage des espèces les plus sensibles. Actuellement les seules mesures possibles se fondent sur une application correcte des « Bonnes Pratiques Agricoles » et indirectement par le contrôle des pyralidés, même si l’efficacité de ces pratiques n’est pas encore vérifiée scientifiquement. Ce qui compte dans notre cas, ce que le producteur professionnel, extrêmement sensible à la qualité de ces productions, a fait des gros investissements pour faire face à ces risques, notamment pour accéder à des innovations telles qu’une machine à sélection optique, capable de vérifier graine par graine la présence de ces mycotoxines, ou encore un appareil pour confectionner sous azote la farine, processus qui améliore la conservation du produit sans en réduire la qualité. Evidemment, très rares sont les producteurs capables de s’équiper de telles innovations, d’où les débats et les controverses autour de cette réglementation contraignante, non seulement parmi les acteurs du réseau, mais de la profession en général. Il en découle que pour notre producteur professionnel la qualité ne répond plus au critère : « propre ». Pour lui, « propre signifie : sain », d’où la nécessité de limiter la présence de ces mycotoxines, même si cela équivaut à sortir du « presidio » et se dissocier des critères de Slow Food. Suite à cette prise de position le « producteur illuminé » se rend compte que les petits paysans ne peuvent pas toujours assurer les limites fixées par une normative européenne jugée comme responsable d’« ouvrir la porte aux multinationales des OGM »249. Les paysans peuvent alors être aidés, « on peut leur faire confiance », à condition qu’ils montrent de l’intérêt et une volonté participative à la démarche ; la critique s’adresse à un

248 Le Reg. 1881/2006 fixe les limites pour l’alimentation humaine, mais il est en cours de révision. 249 Le maïs Bt, contenant le gène du Bacillus thuringiensis, permettrait d’obtenir une production en dessous du seuil fixé par les normes européennes.

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exploitant précis, qui a des dimensions plus importantes que les autres et qui est jugé d’avoir agit « comme dans un jeu ». Dans la phase actuelle les producteurs, qui ont participé en 2009 à un travail de caractérisation agronomique, génotypique et organoleptique du maïs Biancoperla, assistés par des agronomes de l’institut agraire « Duca degli Abruzzi » de Padoue, ont développé une identité commune et d’autres canaux commerciaux ont été activés : restaurants, boutiques spécialisées, consommateurs locaux. Si un paysan a préféré sortir de l’association, préférant se dédier à d’autres cultures, le passage de huit membres à une douzaine témoigne d’un intérêt local pour le projet. Les prix ont augmenté, ayant doublé suite au premier salon du goût : le sachet d’un kilo de maïs se vend localement entre 2,50 € et 3 €, mais le prix peut doubler lors d’un achat par internet. L’analyse d’un nouveau « processus de traduction » devrait permettre une évaluation du travail actuel visé à caractériser le produit ; une nouvelle attribution des rôles semblerait inéluctable, d’où une relative reconfiguration du réseau. Nous croyons qu’il s’agira de comprendre si le producteur professionnel assumera le rôle de leader éclairé, si de par son poids économique il sera capable de dynamiser l’ensemble du processus, où s’il sortira du « presidio », laissant alors le destin des agriculteurs dans leurs mains et dans celles des consommateurs, mais aussi sous l’épée de Damoclès d’une réglementation européenne de plus en plus contraignante pour la paysannerie.

Fig. 47 – Le réseau dans la phase actuelle.

Producteurs fermiers

Producteur professionnel

Autres producteurs

Association Conservateurs du Mais Biancoperla

Restaurateurs

Restaurateurs locaux

Veneto Agricoltura Regione Veneto

Slow Food locale Slow Food Italie

Distributeur

Consommateurs

Consommateurs

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4.3. Le processus de valorisation du fromage « morlacco del grappa ». 4.3.1. Introduction. Le territoire du monte Grappa concerne six communes situées à l’extrémité nord occidentale de la province de Trévise. La partie septentrionale du massif rentre dans l’administration de Bellune (quatre communes) et la partie plus orientale dans la province de Vicence (six communes). Le massif est délimité morphologiquement par la plaine à sud, la « Valsugana » à l’ouest (vallée du fleuve Brenta), le fleuve Piave à l’est, la vallée de Feltre et le lac du « Corlo » au nord. Etendu sur environ 400 km2 il constitue un massif bien distingué et isolé des autres systèmes montagneux, et dont le sommet, appelé « Cima Grappa », est le point culminant à 1.775 mètres. Ce lieu est connu pour le « Sacrario » de la première guerre mondiale, un grand monument contenant les os de 12.615 victimes, dont 10.332 inconnues, construit en époque fasciste pour célébrer la mémoire des batailles particulièrement âpres et sanglantes qui ont eu pour scénario final ces montagnes, la guerre se concluant avec la bataille et l’armistice de Vittorio Veneto en 1918 (fig. 48). Ces caractéristiques contribuent à faire du monte Grappa une localité attractive du point de vue touristique.

Fig. 48 – Le sommet du Monte Grappa avec le monument en mémoire de la première guerre mondiale (Source : provincia di Treviso, site internet).

La partie méridionale du massif se distingue de celle au nord par une structure de haut plateau, lequel se présente entouré par des versants profonds et escarpés, pouvant atteindre plus de mille mètres de dénivelé. La présence de pâturages et de prairies à des altitudes variables entre 900 et 1.700 mètres est donc une spécificité de la partie méridionale du monte Grappa, d’où une plus haute présence d’activités humaines dans les versants de Trévise. L’activité économique était traditionnellement liée à la nécessité d’épargner le foin pour l’hiver et les pâturages représentaient une ressource pour les populations locales. Le massif était donc fortement marqué par la présence humaine, dont en atteste la grande quantité de « signes de l’homme » (maisons en pierre, murs en pierre sèche, bassins pour la récolte de l’eau, sentiers, etc.), aujourd’hui en état d’abandon (Varotto, 1996 ; 1999). La forte émigration qui a caractérisé ce territoire et en général toute la moyenne montagne préalpine suite au dernier conflit a porté à la fin de cette « économie verticale », qui s’est accompagnée

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par une radicale modification du paysage, parfois interprétée positivement comme le retour d’une « naturalité » qui cache en réalité une perte de diversité botanique et paysagère entretenues et enrichies par plusieurs siècles de colonisation humaine (Varotto, 2000). L’avancée de la couverture forestière est en effet caractérisée par des espèces pionnières et nitrophiles (noisetiers, ronces, robiniers, etc.), qui plus est, tendent à occuper des espaces autrefois attentivement soignés par une présence humaine constante et ponctuelle, rendant parfois impossible l’identification du patrimoine bâti, ce qui aggrave aussi la gestion des risques hydrogéologiques (Varotto, 1999). « L’intérêt pour une valorisation authentique du territoire de montagne dépasse en effet les limites altimétriques et physiques de la montagne même, et assume une portée universelle parce que, au fond et indéniablement, chaque plaine reçoit une forme par la montagne à laquelle elle s’oppose »250. Dans ce contexte local d’abandon généralisé des activités socio-économiques de montagne, les estives du monte Grappa font figure d’exception et contribuent ainsi à distinguer ce relief. La proximité des grands centres urbains (le sommet est à une heure de voiture de Trévise), la présence d’itinéraires cyclo-touristiques et de parcours de randonnée qui lient intérêts historiques et culturels avec un environnement naturel préservé, et tout un ensemble d’activités liées à un tourisme vert (agritourisme, vol libre, escalade, etc.), sont des facteurs qui favorisent la présence in situ de potentiels acheteurs et profitent ainsi aux producteurs de fromages. 4.3.2. Caractérisation du produit. Le fromage « morlacco » est un fromage à lait cru, maigre, autrefois préparé à base de lait écrémé : c’était un « formajo de poareti », un fromage des pauvres. La crème était en effet utilisée pour produire le beurre destiné à la plaine, et le fromage obtenu constituait avec la polenta, la base de l’alimentation des « malgari », les occupants des « malghe », mot qui désigne les pâturages d’altitude avec les relatives « casere », exemples de constructions locales en pierre sèche, véritable bio-architecture ante litteram251. Le fromage est aujourd’hui produit à partir des traites du soir et du matin suivant, qui sont ensuite chauffées jusqu’à une température variable entre 36°C et 38°C. On y ajoute alors du sel et une fois atteinte la température de 40°C un caillé liquide de veau. On le laisse reposer jusqu’à la coagulation (entre 15 et 30 minutes) et successivement on casse le caillé en guise de grosses graines et on laisse le tout à repos une nouvelle fois, pendant une vingtaine de minutes. Une fois obtenue une masse élastique et suffisamment sèche on la coupe en gros morceaux qui viennent placés dans des paniers pour faire égoutter le lactosérum pendant 10-12 heures. Le fromage est ensuite placé dans des formes pendant trois à quatre jours, ce qui donnera des tommes de forme cylindrique, d’un diamètre de 25-30cm, pas plus haut d’une dizaine de centimètres. Le poids varie entre 5 et 7 kg. Le fromage possède une croûte à peine perceptible, la pate est tendre, mais pas molle, d’une couleur blanche qui avec l’affinage tend au jaune paille. Le fromage est retourné et salé quotidiennement. Le « morlacco » se distingue de la plupart des autres fromages d’estives, car il ne durcit pas avec l’affinage (comme un beaufort ou un gruyère), mais il devient de plus en plus onctueux et crémeux. L’affinage minimum est d’une quinzaine de jours, pouvant aller jusqu’à trois ou quatre mois, ce qui donne les fromages aux goûts les plus recherchés. Au-delà de trois mois le produit risque de n’être plus comestible. Le

250 Varotto M., Montagna e sostenibilità: le terre alte tra fuga e ritorno, dans : Rivista Geografica Italiana, num. 107, 2000, pag. 202. 251 Le toponyme « malga » est un terme ayant un sens double, qui englobe la surface exploitée par l’éleveur et aussi la « casera » ; cette dernière prend elle aussi le nom de « malga ». Par exemple derrière les termes : « malga Mure », « malga Archeson », « malga Coston da Quinto » on trouve autant d’édifices que d’exploitations agricoles. Les termes peuvent faire référence à des familles, mais plus souvent la « malga » prend le nom d’un lieu, ce qui en fait un toponyme à tous les effets.

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goût rassemble à celui d’un fromage « feta » quand il est frais, puis il pourrait se rapprocher à celui d’un « gorgonzola », avec des aromes d’herbe et de noisette.

Fig. 49 – Le fromage Morlacco (Source : www.fruttidiunterritorio.it). En tout cas, c’est un fromage très salé, qui se caractérise par ces valeurs nutritionnels, variables selon la période et la zone de production et les techniques utilisées :

- calories : 350 kcal ; - humidité : 40/50% ; - graisses : 15/25% ; - protéines : 13/25%.252

Certains producteurs parlent d’une technique pour conserver le fromage dans la terre, en particulier dans l’argile qu’on trouve en abondance dans le piémont (productions de briques et de tuiles). Ce savoir-faire particulier permet de prolonger la conservation du fromage pendant quelque mois et affine ultérieurement le goût du fromage. Quant à l’origine du nom (parfois il est appelé « morlak » ou « burlacco »), les hypothèses sont différentes, mais la plus accréditée fait référence aux peuples latinophones de la Valachie Noire, région de l’actuelle Roumanie, qui suite à des migrations vers l’Istrie avaient été placés par la république de Venise dans les massif du Grappa, dans une époque (XVème siècle) où la démographie était faible et le besoin d’exploiter l’arrière pays se faisait pressant. C’est donc à ces peuples, connus sous le nom de « morlaques » ou « mavro-valaques », qu’on doit lier l’origine du nom « morlacco ». 4.3.3. Problématisation. Le processus de valorisation du fromage « morlacco del Grappa » est complémentaire à une autre série d’initiatives locales visant à la récupération d’une race de vache autochtone : la « burlina ». Parmi les races bovines élevées en Vénétie, la « burlina » est sans doute la plus connue et au même temps celle qui a connu la plus grave réduction du cheptel (Tab. 21). Même sur les origines de cette race théories et légendes coexistent, nous préférons alors laisser aux historiens cette tache. Ce qui par contre est sur c’est qu’à la fin du XIXème siècle existaient en Vénétie des animaux appelés « burlini » possédant toutes les caractéristiques des races laitières alpines : ligne dorsale droite, tête petite aux yeux proéminents, adaptés aux pâturages de montagne car rapides, très rustiques, capables de profiter des pâturages les moins riches et avec une bonne attitude laitière (Fig. 50). De par ces caractéristiques, dans la première partie

252 Pour 100 gr. de produit.

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du siècle passé la burlina était largement répandue dans toutes les Préalpes de la région (Vérone, Vicence, Trévise).

Année Zone Nombre vaches 1931 Provinces de Trévise, Vicence et Vérone. 15.000 1943 Provinces de Trévise, Vicence et Vérone. 18.400 1954 Provinces de Trévise, Vicence et Vérone. 14.750

Tab. 21 – Présence de vaches de race burlina en Vénétie entre 1931 et 1954 (Source : Veneto

Agricoltura).

Fig. 50 – Exemplaire de vache burlina en pâturage (Source : www.burlina.it).

Le 19 septembre 1954, dans une rencontre organisée à Vicence par la chambre du commerce, de l’industrie, de l’artisanat et de l’agriculture, est prise la décision d’abandonner le race burlina, en faveur d’autres plus productives. A partir de ce moment les données relatives au cheptel ne concernent plus que la province de Trévise, la seule où les contrôles sont encore effectués.

Année Nombre vaches 1955 4.662 1960 4.401 1965 3.850 1970 1.920 1972 1.500

Suspension des contrôles entre 1973 et 1982 1983 431 1993 219 1996 242 2006 291

Tab. 22 – Nombre de vaches de race burlina en province de Trévise entre 1955 et 2006 (Source :

Veneto Agricoltura). La statistique montre l’inexorable déclin du cheptel, jusqu’au vide des années 1970, période dans laquelle une loi n’approuve plus les taureaux pour la reproduction et où la fin des contrôles témoigne de la volonté d’abandonner cette race locale (Tab. 22). L’association provinciale des éleveurs (APA) reprend les contrôles dans les années 1980 et un registre national des races menacées est créé en 1985, parmi lesquelles figure aussi la burlina, reconnue officiellement comme race en extinction.

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La même période voit aussi la naissance d’un premier projet porté par l’ESAV (« Ente Sviluppo Agricolo Veneto » - Institut pour le développement agricole de la Vénétie), ayant pour objectif d’inverser la tendance à travers l’accroissement du nombre de femelles et la réduction du croisement avec d’autres races. Tache pas facile, compte tenu que la politique précédente prônait les croisements sensés augmenter la productivité.

Fig. 51 – Le réseau dans la phase de la problématisation.

4.3.4. Intéressement. Le projet de l’ESAV n’apporte pas de véritables changements, mais il est significatif d’une première prise de conscience, bien que timide, des institutions locales d’un problème qui n’est pas seulement celui d’une espèce menacée, mais aussi celui des petits éleveurs qui disparaissent les uns après les autres. Au début des années 1990 la situation était plutôt grave, le nombre des vaches autochtones se rapprochait dangereusement du seuil de 200, avec en plus la mise en place des quotas qui n’allait pas à l’encontre des petits paysans qui amènent chaque été leur bétail en montagne. En Italie, les lois qui reçoivent les directives européennes contribuent à rendre encore moins facile la vie des producteurs fermiers : le décret législatif 155/1997 introduit le protocole HACCP253 et le décret du Président de la République n. 54/1997 introduit une série de contraintes qui pèsent lourd sur la gestion des ces exploitations, situées dans des zones difficiles, et cela d’autant plus pour les producteurs de fromages au lait cru :

- obligation de contrôles permanents pour les exploitations de transformation du lait ; - détermination de standards relatifs aux structures des locaux productifs ; - obligation de déclarer sur l’étiquette le type de traitement thermique subi par le lait ; - fixation d’un seuil très stricte de bactéries (< 500.000/ml).

Ainsi les contrôles de l’autorité sanitaire locale (ASL) s’intensifient et deviennent pointilleux, comme témoigne cet ancien paysan :

« Ils sont montés depuis Trévise… Et autour, et autour et autour… Ils ne savaient pas où s’attaquer et ils se sont attaqués au sol du « caserin254 », qui était un sol lavable… Béton lavable… Et ils ont dit que non. Et ils m’ont fait 500.000 lire d’amende. Un procès verbal… 500.000 lire… Alors nous l’avons donné au maire, à l’agent de la

253 Le protocole HACCP (Hazard Analysis Critical Control Point) est une méthode de maîtrise de la sécurité sanitaire des denrées alimentaires élaborée aux États-Unis d'Amérique par un laboratoire dépendant de la NASA avec le concours de la firme Pillsbury dès 1959 dont l'objectif est la prévention, l'élimination ou la réduction à un niveau acceptable de tout danger biologique, chimique et physique. 254 Construction traditionnelle destinée à la transformation du lait et à la conservation des fromages.

Consommateurs

(vente directe)

Producteurs

ESAV APA

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police… Et alors le maire n’a pas accepté le procès verbal… Et ils l’ont retiré, en somme… »255.

L’attachement de ce paysan au travail d’une vie est un des facteurs explicatifs de la réussite du processus de valorisation. De par sa ténacité il a réussi à mobiliser les maires locaux, organisés dans la « comunità montana del Grappa 256», déjà attentifs à la situation des éleveurs, puisqu’ils ont toujours géré la gestion des infrastructures, en particulier les routes (en faisant pression sur la province) ou le courant électrique qui encore en partie manque aujourd’hui. Cet engagement a permis aux producteurs de trouver des alliés précieux dans les institutions locales et a poussé l’autorité publique à donner une interprétation moins stricte des règles. En parallèle d’autres changements institutionnels interviennent positivement dans le développement du processus. D’abord la création de Veneto Agricoltura, suite à la disparition de l’ESAV. Cet organisme sera un nœud important entre le législateur régional et les principaux acteurs de la filière agricole. Parmi ceux-ci, fait son apparition l’A.PRO.LA.V (Association Producteurs du Lait de la Vénétie) qui succède à l’ « istituto lattiero-caseario » (Institut laitier-fromager). Cette association basée à Trévise, qui aura un rôle de premier plan dans le processus, va toute de suite s’occuper de la valorisation du fromage « morlacco » : à partir de la fin des années 1990 est organisé un concours annuel donnant un prix aux meilleurs trois producteurs dans le double but de faire connaître les productions fromagères locales - outre au « morlacco » il existe aussi le fromage « bastardo », une tomme à pate cuite et plus ou moins affinée -, et de valoriser le travail des paysans.

Fig. 52 – Le réseau dans la phase de l’intéressement.

4.3.5. Enrôlement. L’intéressement du directeur de l’APROLAV pour la production du « morlacco » va donner une impulsion au processus. Une collaboration avec l’université de Padoue vient alors activée : elle va donner lieu en 2003 à un projet de recherche et de récupération de la race

255 “Ils” se réfère aux N.A.S. (« Nuclei Anti Sofisticazione »), les inspecteurs de police chargés de réprimer les fraudes. 500.000 lire c’est l’équivalent d’environ 500€, compte tenu de la montée des prix qui a suivi l’introduction de l’euro. 256 La « comunità montana » (communauté de montagne) est une entité créé par la loi du 3 décembre 1971. Elle est instituée par la Région à laquelle elle appartient et regroupe des communes situées en zone de montagne ou partiellement en montagne. Sa finalité est de valoriser les zones de montagne en exerçant des fonctions propres ou par l'exercice en commun d'attributions normalement dévolues aux communes. Elle peut, pour certains aspects, s'apparenter aux communautés de communes du droit français.

APA

Veneto Agricoltura

Consommateurs

(vente directe)

Producteurs

ASL

APROLAV

Comunità montana

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bovine autochtone burlina, pour la sauvegarde des ressources génétiques et la qualification des produits laitiers. Le lien entre le produit et le terroir passe par la valorisation de la race locale. L’intervention de l’université doit permettre une reconnaissance scientifique d’un gage de qualité dû à l’utilisation exclusive du lait de burlina. Le travail de recherche implique la participation de la province de Vicence, où l’on trouve une exploitation expérimentale qui servira pour accroître le nombre de vaches, en mettant en valeur les caractères de rusticité et adaptabilité de la race et en comparant les caractéristiques des fromages obtenus en plaine et en montagne. Le projet est répété en 2004, avec plus de moyens : le département de sciences animales de l’université de Padoue travaille alors sur les mêmes objectifs, par l’analyse moléculaire de l’ADN et l’analyse chimique des caractéristiques organoleptiques. A sa conclusion en 2005, la situation est la suivante :

- les paramètres morphologiques de la race se sont conservés dans le temps ; - l’analyse à travers les marqueurs génétiques de l’ADN démontre une différenciation

des caractéristiques morphologiques et génétiques par rapports aux autres races cosmopolites locales (Frisonne et Brune Alpine) ;

- le risque de consanguinité est élevé (3 fois plus que pour la Frisonne) et donc celui de perte de la race aussi, ce qui est probablement dû au nombre limité de reproducteurs utilisés ;

- la race a confirmé ses qualités de rusticité et adaptabilité à l’environnement de montagne, malgré les nombreux problèmes liés à la gestion zootechnique et sanitaire des animaux ;

- la qualité du lait est similaire à celle des autres races, mais des marges d’amélioration sont possibles, notamment pour le taux des protéines ;

- la production de fromage « monorace », donc de « morlacco del Grappa » semble difficile du point de vue logistique et de la localisation des élevages.

Parallèlement le responsable local de Slow Food rencontre le directeur de l’APROLAV et c’est ainsi que démarre une autre collaboration, très importante pour la valorisation du fromage. Trois producteurs sont choisis comme les plus représentatifs du système productif local, de par la taille de leurs élevages, qui permet de fournir des tommes pour la promotion et par la présence de vaches autochtones. Au total, les producteurs du « morlacco del Grappa » sont une quinzaine. A partir de 2001 l’APROLAV devient le référent des producteurs du « presidio del formaggio morlacco di malga ». Celui-ci sera présent aux salons du goût de 2002 à 2008 ainsi qu’à Cheese, le salon des fromages, outre qu’aux manifestations et concours locaux et régionaux. Les conviviums s’activent et en font le protagoniste de nombreuses animations et repas organisés. La société Valsana, distributeur spécialisé en produits de terroir, qui s’intéresse aux « presidi », contribue à commercialiser le produit dans boutiques et restaurants et à en accroître la réputation. Pareil pour la VenLat, branche commerciale de l’APROLAV, qui amène le produit dans des boutiques spécialisées même en dehors du territoire local. La ASL disparaît du réseau : de plus en plus les producteurs, notamment les plus jeunes, comprennent la nécessité et l’inévitabilité de garantir la traçabilité tout au long de la filière, ce qui signifie la participation aux rencontres organisées par l’APROLAV, une disponibilité à coopérer, l’attention constante aux normes dans chaque phase opérative pour garantir la sécurité sanitaire :

« c’est une chose qu’au début ils n’arrivaient pas à comprendre parce qu’ils l’avaient toujours fait et il n’avait jamais fait mal à personne, mais le consommateur est en train de changer beaucoup : maintenant les gens sont très intolérants, il y a toute une série de problèmes, ils ont les défenses immunitaires faibles […]. Ils ont tous le manuel HACCP et avec le temps au fur et à mesure ils comprennent et ils assimilent, […] mais ils sont très curieux et je suis très contente de dire qu’ils participent activement aux rencontres formatives, ils viennent et ils posent beaucoup de questions

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[…]. L’ASL, surtout l’ASL n. 8 de Montebelluna, est en train de les suivre de près, mais de façon vraiment consciente que le rôle qu’ils ont dans la montagne est très important, […] il n’y a pas la finalité de les faire fermer ; il y a la finalité de les laisser continuer tout en respectant des règles minimales de bonne pratique hygiénique-sanitaire. Si quand-même ils le font, si quelques fois quelque chose échappe aux mailles, évidemment ce n’est pas dans l’intérêt du producteur de ne pas se soucier de certains passages, mais c’est dû aux conditions difficiles de la montagne… ».

Ce témoignage montre comment le réseau a évolué, intégrant désormais l’exigence de la sécurité hygiénique et sanitaire, malgré les difficultés liés à la localisation. Les nouvelles règles participent de la qualité d’un fromage qui, étant au lait cru, nécessite d’une matière première sans défauts. La présence constante de l’APROLAV avec son travail de conseil et d’assistance aux producteurs d’un côté, et l’activation de relations commerciales avec d’autres acteurs locaux et extra-locaux, constitue l’évolution majeure du réseau. Parmi ces acteurs Slow Food constitue un médiateur entre le système productif et les consommateurs et favorise la connaissance du projet de valorisation du « morlacco » et de la « burlina ». Dans cette phase le réseau activé pour la valorisation du fromage est devenu un ensemble très complexe de relations entre une pluralité de sujets qui appartiennent aux domaines de la politique, de la production, du commerce et de la recherche scientifique.

Fig. 53 – Le réseau dans la phase de l’enrôlement. 4.3.6. Mobilisation. Dans les années 2000 la région renouvelle sa volonté de soutien à la biodiversité rurale (loi régionale 40/2003, art. 69) ce qui se traduit dans un nouveau financement des activités et dans le démarrage d’un nouveau projet en 2006 portant sur la conservation et la valorisation des ressources génétiques et animales d’intérêt régional. Le vice-président de la région - qu’il nous semble important de souligner, est trévisan et qui a été ministre de l’agriculture entre

APA

Veneto Agricoltura

Consommateurs

(vente directe)

Producteurs

APROLAV

Comunità montana

Université

VenLat

Slow Food local

Slow Food national

Distributeur

Boutiques spécialisées

Restaurateurs

Consommateurs

Province de Vicence

Consommateurs

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2008 et 2010, avant de prendre la présidence de la région pendant l’écriture de ces lignes -, résume ainsi les objectifs du projet :

« Les diversités biologiques et génétiques en agriculture sont un facteur essentiel pour le développement durable de la production agricole et des zones rurales et la sauvegarde des variétés et des races autochtones un engagement de première importance, qui va bien au delà du simple fait économique pour devenir tutelle des spécificités territoriales, productives, de la tradition, et authentique choix culturel et identitaire »257.

Pour ce qui concerne le secteur zootechnique le programme se pose en continuité avec les précédents et il vise à la caractérisation et à la traçabilité du fromage « morlacco » à partir du lait des vaches de race burlina, à travers l’implication des exploitations localisés dans le piémont de Trévise et de Vicence. La coopération entre institutions, université et producteurs en sort renforcée. Le projet est contenu dans le D.G.R.258 3510/2006, qui fixe aussi l’objectif de créer une micro-filière laitière liée au territoire, à la race, à la qualité, qui puisse être étendue à d’autres réalités locales. Derrière la valorisation économique du fromage on trouve ainsi un ensemble de valeurs qui vont au-delà du goût du produit, mais qui renvoient à des principes et à des objectifs politiques centrés sur le territoire. Dans le plan de développement régional sont aussi indiquées des mesures financières destinées à aider les éleveurs de races animales autochtones : pour chaque burlina est versée la somme de 266 €. Au même temps l’U.E. publie un ensemble de règlements, connus sous le nom de « paquet hygiène259 », ayant pour but de garantir la sécurité des aliments pour animaux et des denrées alimentaires de la « fourche à la fourchette », en responsabilisant chaque maillon de la filière (producteur, fabricant, transporteur, éleveur…). Sont alors confirmés les principes qui ont orienté toute la normative précédente, mais avec un objectif de simplification des règles et une flexibilité d’application notamment vers certains « opérateurs de la production primaire ». Nous tenons à souligner que si la responsabilisation de l’exploitant donne plus de liberté d’action (obligation de résultat), la traçabilité se traduit pour le paysan dans un formalisme qui s’applique à chaque phase de la production : il est en effet prévu l’enregistrement de chaque matière ou intrant non issu de l’exploitation et la tenue d’un registre de suivis sanitaires devient obligatoire. En adéquation aux règlements la région publie une normative, dont un décret spécifique aux productions de montagne, (D.G.R. 3761/2008), dans lequel sont explicitées des nombreuses normes et prescriptions liées à l’hygiène et à la sécurité sanitaire, mais aussi les avantages par rapports aux élevages de plaine, du fait des dérogations qui prennent en compte des difficultés de la montagne. L’assistance de l’APROLAV permet aux paysans d’en prendre connaissance, grâce à des rencontres organisées dans les locaux mis à disposition par la « comunità montana », qui intervient aussi lors des manifestations sur le monte Grappa et qui a permis le financement et la réalisation d’infrastructures importantes (routes goudronnées, électrification). L’APROLAV a aussi publié des fiches sur le produit et en particulier en 2009 un guide très détaillé où sont recensés toutes les « malghe » des Préalpes de Trévise avec le soutien de la région, de la province et de la chambre de commerce de Trévise. En parallèle Slow Food fournit son travail de communication et les conviviums ont continué à proposer le fromage dans leurs animations et rencontres ; le « morlacco » a participé à tous les

257 Cf. Il Piave, 18 novembre 2006. 258 Decreto Giunta Regionale : Décret du conseil régional. 259 Règlements 178/2002 (principes généraux de la législation alimentaire et institution de l’Autorité européenne de sécurité des aliments), 852/2004 (hygiène des denrées alimentaires), 853/2004 (hygiène des denrées alimentaires d’origine animale), 854/2004 (organisation des contrôles officiels), Directive 2004/41 (abrogation de textes et modification des Directives 89/662 /CEE 92/118/ CEE et décision 95/408/CE).

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événements d’envergure internationale (Salon du goût, Cheese) proposés par l’association, qui année après année augmente le chiffre de ses membres260. Sur le plan de la commercialisation les ventes se développent et le « morlacco di malga » est aujourd’hui très recherché, la demande étant supérieure à l’offre. Le prix du fromage fait l’objet de discussions : les paysans manifestent à cet égard une certaine méfiance et ils voient dans l’augmentation du prix un facteur partiellement négatif, car ils craignent une diminution des achats. L’association des producteurs de lait quant à elle, pousse pour des légères augmentations qui ne devraient pas compromettre les ventes d’un produit qui fait l’objet de consommateurs plutôt fidèles et motivés, arrivant à se déplacer pour aller « chercher » le producteur. Le fromage est aujourd’hui vendu entre 8 et 9 €/kg, tandis qu’il se vendait à 7,50 € au début des années 2000. Le prix constitue un autre point sensible qui mobilise plusieurs acteurs. En particulier, le prix introduit la question des coopératives fromagères du piémont. Celles-ci, vue la réputation croissante, tendent à transformer de plus en plus de lait en « morlacco », pour le vendre ensuite à des prix compris entre 10 et 14 €/kg, mais lors de la vente elles ne spécifient pas l’origine du fromage, ce qui donne lieu au phénomène qu’en littérature est connu sous le nom de free-rider (ou passager clandestin). Le phénomène est aujourd’hui pointé par tous les acteurs que nous avons entendu et il devient particulièrement fastidieux lorsque du « morlacco de val » (de plaine, en patois) est vendu sous le nom de « morlacco di malga ». Sur ce point les paysans nous ont manifesté leur désarroi, avec une certaine rage suite à avoir vu des camions de lait provenant de Slovénie approvisionner les coopératives locales. Face à ce problème un dossier pour l’obtention de l’Indication Géographique est actuellement à l’étude de l’APROLAV. L’enjeu est important, mais la réussite ne semble pas certaine. La dynamique du système agroalimentaire est dans l’ensemble positive, mais plusieurs problèmes restent à résoudre. Ainsi, l’IG devrait mettre en valeur seulement les producteurs qui se situent en dessus de 1.000 mètres d’altitude - où la composition florale des pâturages contribue au terroir -, et distinguer le « morlacco di malga » du « morlacco de val ». A noter que les paysans sont membres de ces coopératives fromagères, auxquelles ils fournissent leur lait pendant l’hiver. Encore, suite aux règles du « paquet hygiène » les liens avec les distributeurs sont plus précaires, une partie des producteurs n’ayant pas encore obtenu la certification CEE (où la dérogation) qui seule permet la commercialisation du produit en dehors de la vente directe. Selon ces normes, pour pouvoir commercialiser le produit hors vente directe il faut qu’il soit affiné au moins 60 jours, chose qui est difficile à faire passer aux paysans, qui restent en montagne entre juin et septembre et qui ont donc une nécessité d’écouler leurs productions sur place, avant de descendre. En plus, la difficulté de vendre ce fromage sur des circuits longs tient aussi du fait qu’après trois mois il est rarement comestible. Dans ce sens nous soulignons que tous les paysans interrogés ont diversifié leur activité et ont investi dans une valorisation agritouristique, activité qui concerne aussi d’autres nombreuses exploitations présentes sur le massif. Un point critique reste le niveau de conscience des producteurs d’appartenir au « presidio Slow Food » : en effet c’est l’APROLAV qui s’occupe de la promotion du produit et qui est présente lors des foires ; c’est donc cette association qui gère les relations avec le mouvement des consommateurs comme toute la promotion en général. Le responsable du convivium local de Slow Food qui suit les producteurs, et qui a récemment remplacé son prédécesseur, a manifesté cet aspect critique auquel il entend pallier à travers des rencontres avec les montagnards et une possible visite organisée d’autres « presidi » italiens liés aux productions fromagères.

260 Par exemple lors des cinq jours du Vinitaly 2010 (foire vitivinicole internationale de Vérone) ont été récoltées 339 adhésions, soit 4 plus que l’année précédente. 94 de ces nouvelles adhésions ont concerné des membres de la Vénétie, région qui compte bien 27 conviviums (Source : Slow Food Veneto).

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Enfin la suppression des « comunità montane » prévue par la loi nationale n. 244 du 24 décembre 2007261 ne va absolument pas en faveur des paysans, qui y voyaient une entité sensible à leurs problèmes et difficultés. Effectivement, nous ne pouvons que partager les préoccupations de ces paysans, à l’heure où l’absence de bactéries dans l’eau doit être garantie 24 heures par jour, tandis que la ionisation constante de l’eau résulte impossible avec le seul groupe électrogène et l’électrification du haut plateau tarde à se compléter suite aux sempiternels problèmes bureaucratiques. La forme actuelle du réseau dénote une grande variété d’acteurs impliqués autour de la valorisation du « morlacco del Grappa ». Comme on voie dans la représentation graphique du réseau on peut distinguer un ensemble hétérogène d’acteurs institutionnels dans les parties en bas et à gauche : les collectivités locales, l’université de Padoue, la Région avec Veneto Agricoltura, la province de Vicence, qui travaille pour la relance de la race burlina dans les élevages de son territoire, d’autres institutions… Dans la partie en haut apparaissent les liens avec les acteurs de la commercialisation du fromage, avec les consommateurs, lesquels sont aussi présents sur la droite, organisés dans le mouvement Slow Food. Nous avons marqué la distinction entre les acteurs de la production et les consommateurs organisés dans le mouvement, pour mettre en évidence que si le produit a réussi à sortir d’une dimension strictement locale, il est tout aussi vrai que l’appropriation des principes de Slow Food ne s’est pas encore réalisée par les paysans.

Fig. 54 – Le réseau dans la phase de la mobilisation.

261 La loi a été annulée par la cour constitutionnelle, après recours des régions Vénétie et Toscane, mais le nouveau gouvernement au pouvoir à partir de 2008 a repris le projet de loi, aujourd’hui en discussion. La gestion politique est actuellement confiée aux régions ; la Vénétie n’a pas encore adopté des mesures officielles sur les sujet.

Province Trévise

Chambre de commerce

Région

APROLAV

Slow Food

locale

Restaurateurs

Slow Food Italie

Boutiques

Consommateurs

locaux

Producteurs

VenLat

Consommateurs

Comunità Montana

Distributeur

Consommateurs

Veneto Agricoltura

APA

Province Vicence

Université

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Chapitre 5. Les dynamiques territoriales et la valorisation des produits agricoles du

terroir en France. 5.1. Encadrement géographique.

Fig. 55 – La région Languedoc-Roussillon (Source : Schéma départemental du tourisme de Lozère, 2009).

Fig. 56 – Le département de l’Hérault. (Source : Chambre Agriculture Hérault, 2010).

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5.1.1. Une démographie marquée par une croissance progressive. Le département de l’Hérault s’étend sur 6.101 km2 et compte 343 communes. C’est un département côtier situé sur la façade méditerranéenne à l’ouest du Rhône. Le fleuve Vidourle marque la frontière avec le département du Gard à l’est, tandis qu’à l’ouest c’est l’Aude qui marque la frontière avec le département homonyme. En progressant vers le nord, la plaine alluvionnaire du Languedoc laisse progressivement la place aux collines boisées de garrigues, jusqu’aux reliefs méridionaux des Cévennes gardoises à nord-est et aux massifs du Caroux et de l’Espinouse et du département du Tarn à nord-ouest. Le département de l’Hérault fait partie de la région Languedoc-Roussillon, située dans le sud de la France. En mars 2009, le Languedoc-Roussillon comptait 2.616.000 habitants. Ce niveau de population résulte de très fortes croissances depuis 1962, quand la région venait tout juste de dépasser un million et demi d’habitants. Sur la période 1962-1999, la croissance démographique se déroule au rythme moyen de 1,1 % par an. La croissance démographique du Languedoc-Roussillon est actuellement parmi les plus fortes de la France, deuxième seulement à la Corse. Depuis 1999, la région gagne plus de 33.000 habitants chaque année et le taux annuel a encore augmenté sur les dix dernières années, s’élevant à 1,6%.

1975 1982 1990 1999 2008 Aude 272.366 280.686 298.712 309.770 349.500 Gard 494.575 530.478 585.049 623.125 696.500 HERAULT 648.202 706.499 794.603 896.441 1.023.000 Lozère 74.825 74.294 72.825 73.509 77.000 Pyrénées or. 299.506 334.557 363.796 392.803 441.500 Total région 1.789.474 1.926.514 2.114.985 2.295.648 2.587.500

Tab. 23 – Dynamique démographique du Languedoc Roussillon, par département (Source :

INSEE). Cette évolution fait du Languedoc-Roussillon, sur l’ensemble des quarante dernières années, une région particulièrement dynamique, partageant avec une grande partie de départements français méditerranéens (P.A.C.A. et Corse) une progression supérieure à la moyenne nationale. La forte croissance démographique résulte, pour l'essentiel, de l'attractivité du Languedoc-Roussillon : les migrations en constituent le moteur principal. Plus de 90% de la croissance démographique y est imputable, plus précisément au solde des arrivées dans la région sur les départs vers d’autres régions. Ces flux migratoires contribuent à ralentir le vieillissement de la population. Même si la population régionale est plus âgée que la moyenne nationale, le solde naturel demeure positif et explique un dixième de l'accroissement de la population. Le dynamisme démographique est particulièrement sensible sur le littoral et dans les zones sous influence des principales agglomérations : Montpellier, Nîmes et Perpignan. Dans ce mouvement, l’Hérault occupe une place à part : depuis les années 1970, il est le premier contributeur de la croissance démographique régionale. Sur les quarante dernières années sa population s’est accrue au rythme moyen de 1,5% par an (Tab. 24). Sur cette période un tel rythme hisse la croissance démographique de l’Hérault au 8ème rang des départements français. La population est en progression constante : elle est passée de 794.603 habitants en 1990 à plus d’un million aujourd’hui. Entre 1990 et 2004, le nombre des arrivants dans l'Hérault dépassait celui des partants de 11.000 personnes par an en moyenne. Pendant les années 1990 le département a été le plus attractif des départements métropolitains.

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Population (1er janvier

2006)

Variation annuelle moyenne (en %) 1999-2006 1982-1999

Totale Solde naturel

Solde migratoire

Total Solde naturel

Solde migratoire

Aude 341.000 1,4 -0,1 1,5 0,6 -0,2 0,8 Gard 683.200 1,3 0,2 1,1 1,0 0,2 0,8 HERAULT 1.001.000 1,6 0,3 1,3 1,4 0,2 1,2 Lozère 76.800 0,6 -0,2 0,9 -0,1 -0,2 0,2 Pyrénées or. 432.100 1,4 -0,1 1,5 1,0 -0,1 1,1 Total région 2.534.100 1,4 0,1 1,3 1,0 0,1 1,0

Tab. 24 – Rôle des migrations dans la croissance démographique (Source : INSEE).

Sa partie la plus dynamique, à savoir l’aire urbaine de Montpellier a enregistré une croissance de sa population au rythme annuel moyen de 1,88% entre 1990 et 1999. A l’inverse, des bassins de l’arrière pays tels ceux d’Alès et de Limoux, confrontés à de difficiles crises de reconversion de leurs structures d’activité connaissaient un relatif déclin démographique. Plus généralement, sur les quarante dernières années, la population et surtout l’activité ont eu tendance à se concentrer d’une part en zone littorale et d’autre part au sud-est d’une ligne Sète-Montpellier-Bagnols sur Cèze. 5.1.2. Une trajectoire économique originale et contrastée. Avec un Produit Intérieur Brut de 23.726 €/hab. en 2008, le Languedoc Roussillon occupe la dernière place parmi les régions françaises, bien en dessous d’une moyenne nationale de 30.746 €. Le taux de chômage est aussi parmi les plus élevés : 12% à la fin du 2008, contre une moyenne nationale de 8% ; chiffres à revoir à la hausse suite à la crise économique internationale des derniers deux années. Selon l’INSEE ces données négatives ne sont pas le signe d’une productivité insuffisante, mais s’expliqueraient par un déficit du nombre d'emplois par rapport à la population résidente. La part de la population qui se situe dans la tranche d'âge de travailler est moins importante que dans les autres régions et qui plus est, la population de la région est plus âgée et la proportion de seniors plus grande. En outre, le taux d'activité des personnes en âge de travailler est plus faible qu'ailleurs. Le chômage massif et la part plus importante qu'ailleurs des bénéficiaires de minima sociaux illustrent ce déficit structurel d'emplois. La région bénéficie massivement de transferts sociaux car elle est fortement affectée par les phénomènes de pauvreté et/ou de précarité. Près d'un languedocien sur cinq vit dans une famille en dessous du seuil de pauvreté. Le taux d'allocataires du revenu minimum d’insertion et la part des foyers fiscaux non imposés sont parmi les plus élevés des régions françaises. Toujours selon l’INSEE le système productif régional est fragile, marqué par un taux de survie des entreprises régionales parmi les plus faible de France. Cependant, si nous observons avec un regard dynamique l’économie régionale, on constate que quelle que soit la date à laquelle on se réfère, depuis cinquante ans le Languedoc-Roussillon est au premier rang des régions françaises, avec une croissance de l’emploi de 40% entre 1962 et 1999. Seulement la région P.A.C.A. a fait mieux (Rouzier, 2001). Au cours de la période 1993-2006, le Languedoc-Roussillon se situe au premier rang des régions françaises pour la création d'entreprises. Les activités tertiaires, très présentes dans la région, favorisent cette position. Le fort taux de création est aussi lié à la surreprésentation des micro-entreprises dans la région, notamment celles qui n'ont pas de salarié, correspondant à 83,2%. Enfin, la région bénéficie également d'un dynamisme spécifique qui ne résulte pas de l'activité ou de la taille des entreprises. Même si cette dynamique positive reste inférieure à la

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croissance démographique, en trente ans la région a gagné près de 50% de sa population alors qu’elle ne gagne plus qu’un tiers d’emplois (Rouzier, 2001). Cette dynamique n’était guère imaginable avant les années ’60, quand les secteurs portants de l’économie - la viticulture, la mine, la métallurgie, la chimie, le textile et le travail du cuir - traversaient tous une crise grave et profonde. La répartition de l’économie selon les secteurs classiques (agriculture, industrie, bâtiment et tertiaire) rends compte à la fois de la mutation de l’emploi et nous offre aussi un tableau de la situation actuelle. Pendant longtemps considérée comme l’une des régions les moins industrialisées de France, le Languedoc-Roussillon se caractérise historiquement par une forte empreinte agricole. Cela dit, il ne faut pas oublier que les manufactures étaient bien présentes en région depuis des siècles, avec des spécialisations dans la laine fournie par un élevage ancien de moutons et aussi dans la soie produite dans les Cévennes, activités qui donnaient lieu à un artisanat textile florissant, commandé par les grandes villes de Montpellier, Nîmes et Carcassonne. Sur ces bases, la révolution industrielle avait pu démarrer, grâce à une relative abondance de charbon et l’avènement du chemin de fer (Montpellier-Sète en 1839) et l’existence d’une bourgeoisie locale enrichie dans le négoce et le textile. Cette dernière avait investi ses capitaux dans une activité viticole rémunératrice, ce qui contribue à expliquer l’insuffisante industrialisation qui a marqué le développement économique du XXème siècle (Verlaque, 1987). La région a en effet suivi une trajectoire de développement qui ne semble pas répondre aux « étapes de la croissance » de Rostow, mais qui se base sur des facteurs originaux et qui la distinguent. Ainsi elle est passée du primaire directement au tertiaire, la croissance (faible) des effectifs dans l’industrie se faisant dans la longue période (Rouzier, 2001). Après la Seconde Guerre mondiale, en 1954, on dénombre quelque 89.000 actifs dans l’industrie et 37.000 autres dans le BTP. Jusqu’à la fin des Trente Glorieuses, en 1975, ces effectifs ont grossi pour passer à 97.000 effectifs dans l’industrie et surtout à 70.000 dans le secteur BTP, qui marque déjà une croissance considérable (Verlaque, 1987). C’est une évolution en contre-tendance par rapport à la France, où la donne montre une contraction de l’emploi, tandis que le secteur industriel régional avait développé ses effectifs dans la longue période, ce qui témoigne d’un réel progrès, bien qu’insuffisant pour changer le caractère sous-industrialisé du Languedoc-Roussillon. De même, les effectifs des activités de la construction se sont accrus, face à une légère réduction dans l’ensemble du pays, ce qui est à attribuer à la croissance démographique et à l’essor du tourisme balnéaire. L’évolution du secteur tertiaire se distingue aussi par une croissance de près de 50% supérieure à la croissance nationale et si région et nation occupaient en 1962 plus ou moins le même pourcentage d’effectifs dans les services, à la fin des années ‘90 le Languedoc-Roussillon se retrouve avec 80% des emplois dans ce secteur tandis qu’en France ils dépassaient le 60% (Tab. 25).

Indices d’évolution 1962-1990*

Agriculture Industrie Construction Tertiaire Total

Languedoc-Roussillon

37 107 106 224 133

France 32 89 98 185 117 Structures en % en 1990

Languedoc-Roussillon

9 13 9 69 100

France 6 23 7 64 100

Tab. 25 – Spécificité de l’emploi régional entre 1962 et 1990 (Source : Rouzier, 2001 - *indice 1990, base 100 en 1962).

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La grande mutation, sans exagérer on peut tout aussi dire la révolution, concerne l’agriculture, qui comptait pour plus du tiers des effectifs au début des années ’60, et qui ne compte plus que pour 9% du total des emplois juste trente ans après. Nous traiterons successivement de façon plus détaillée ce secteur qui actuellement (données de 2005) voit sa part se réduire ultérieurement, jusqu’à 5%. L’évolution plus récente de la structure de l’emploi, entre les deux derniers recensements de la population de 1990 et 1999 témoigne d’une accélération de la trajectoire qui a pris forme sur la longue période (Tab. 26). L’industrie a perdu environ 10.000 emplois, suivant en cela la tendance anticipée à l’échelle nationale. C’est pareil pour le secteur des constructions. Mais c’est le tertiaire qui est aujourd’hui le moteur de la croissance de l’emploi régional, avec plus de 80.000 postes crées entre fin 1989 et fin 1997. Une dynamique positive qui concerne les commerces et les services (Rouzier, 2001).

1962 1990 1999 Agriculture 31 9 6 Industrie 17 13 11 BTP 11 9 7 Tertiaire 41 69 76 Total 100 100 100

Tab. 26 – Evolution de la structure de l’emploi en Languedoc-Roussillon entre 1962 et 1999

(Rouzier, 2001). Ainsi, les derniers cinquante ans ont vu une mutation radicale de l’économie et de la société du Languedoc-Roussillon, autrefois agricoles et rurales, aujourd’hui structurées autour de commerces et de services. Ces changements ont continué à affecter la région même à l’entrée dans le nouveau millénaire et aujourd’hui l’économie du Languedoc-Roussillon, malgré ses difficultés énoncées plus haut, tends à ressembler de plus en plus à celle de la nation. Elle reste une région marquée par une sous-industrialisation, différence non négligeable, mais il faut dire aussi qu’à l’époque actuelle la tendance nationale s’est renversée : l’industrie réduit le nombre de ses effectifs tandis que le tertiaire augmente. La part prépondérante du secteur tertiaire dans l'économie de la région s'explique par son fort potentiel touristique : terre d'histoire et de nature, le Languedoc-Roussillon est aujourd’hui la quatrième région touristique de France, favorisée par un climat doux et ensoleillé262. Le secteur du BTP enfin reste plutôt stable, avec un taux légèrement plus élève par rapport à la moyenne française, probablement par l’action conjuguée de la demande publique et de la croissance démographique toujours très forte (Figures 57 et 58).

262 Avec 6,9 milliards d’euros de chiffre d’affaires le tourisme constitue près de 15% du PIB régional pour une moyenne nationale de 6,1%. La région est visitée par 15 millions de touristes chaque année ; 2/3 des 103 millions de nuitées sont assurées par la clientèle française, dont 10% par la clientèle régionale (Chambre de l’agriculture, dossier de presse : Les trophées de l’agritourisme, 2010).

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Fig. 57 – Structure de l’emploi en Languedoc-Roussillon en 2005 (Source : INSEE, données provisoires).

Fig. 58 – Structure de l’emploi en France en 2005 (Source : INSEE, données provisoires). La richesse du territoire du Languedoc-Roussillon, et donc de l’Hérault, n'est pas seulement fonction de sa capacité à produire des biens et des services compétitifs sur le marché extérieur. Son attractivité participe également à son dynamisme économique. Ainsi, la résidentialisation de jeunes néoruraux, de retraités, de fonctionnaires publiques, les transferts sociaux versés à certaines catégories, l'accueil des touristes, contribuent-ils à la richesse du territoire en important de la richesse produite ailleurs. Tous ces revenus liés à l'exportation ou à la captation de revenus non nécessairement dépendants de la production locale sont réinjectés dans l'économie « domestique ». Toutefois, ce fonctionnement dépend en partie par le degré d'attractivité régionale, mais en grande partie du niveau de la redistribution nationale et du maintien des capacités contributives des autres territoires français. 5.1.3. Des espaces ruraux en recomposition et une grande diversité paysagère.

Des garrigues aux steppes des causses, des forêts des Cévennes aux milieux dunaires, des Pyrénées aux étangs littoraux, le Languedoc-Roussillon se distingue par sa diversité et sa richesse écologique. En simplifiant beaucoup (en excluant la Lozère), trois grands types de paysages sont identifiables comme partout en milieu méditerranéen : les hautes terres, les collines et moyennes montagnes et la plaine littorale parsemée d’étangs. Dans cet ensemble complexe il est possible définir deux traits principaux (Rouzier, 2001). Le premier est la forte empreinte rurale : les espaces naturels (landes, garrigues et forêts) couvrent 54% de la surface régionale. S’y ajoutent les grandes cultures agricoles, avec le plus grand vignoble du monde (257.000 hectares en 2007) couvrant 9% du territoire, et les cultures céréalières, qui occupent 113.777 hectares en 2008, soit 4% de la surface régionale. Le second trait est dans la grande diversité des paysages dans un espace restreint, tenant principalement de la coprésence d’influences climatiques méditerranéennes, océaniques et continentales. Le département de l’Hérault représente bien cette variété. Dans l’Atlas des paysages du Languedoc-Roussillon sont répertoriés 37 unités paysagères, résumés dans 6 grandes unités263. On distingue alors :

- les plaines, largement présentes entre Lunel et Montpellier, dans la basse vallée de l’Hérault, du Libron et de l’Orb. Elles se distinguent des paysages du littoral, formés de lagunes encore en place ou comblées, composant un grand ensemble paysager en soi ;

263 L’Atlas est consultable sur internet dans le site : www.languedoc-roussillon.ecologie.gouv.fr/atlas.asp. Pour chaque unité paysagère une lecture associée à des photos est proposée et sont aussi définis les enjeux majeurs, auxquels nous renvoyons pour plus d’approfondissements.

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Fig. 59 – Limite nord de Montpellier : le vignoble AOC (à gauche) et l’urbanisation sont séparés par la route. Pour combien de temps encore ?(Source : Piccin, 2010)

- les paysages des collines et des moyennes montagnes, avec un sous-ensemble

caractérisé par les garrigues qui va de l’est du département, en prolongement des garrigues gardoises, et qui s’arrête à la vallée de l’Hérault. Plus à l’ouest, autour de l’Hérault et jusqu’à l’Aude en passant par les environs de Béziers, le paysage est plus marqué par les grandes extensions viticoles ;

Fig. 60 – Entre vignoble AOC et garrigues : vue depuis le causse de l’Hortus, 30 km à nord de Montpellier (Source : Piccin, 2010).

- les hautes terres offrent des paysages remarquables, tels que le causse calcaire du

Larzac et les gorges de la Vis, qui forment un ensemble bien distingué. A l’ouest les formations schisteuses, gneissiques et granitiques du Caroux, de l’Espinouse et du Somail dépassent les 1.000 mètres d’altitude et s’accompagnent d’avant-monts et de vallées.

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Fig. 61 – Charnière entre la plaine viticole et les avant monts, au milieu de gorges et vignobles classés, la commune de Minerve est fréquentée chaque année par des centaines de milliers de

touristes (Source : www.geo.fr.).

Fig. 62 – Carte des 6 grandes ensembles de paysages (Source : Atlas des paysages du Languedoc-Roussillon, 2010).

La protection de cette véritable richesse de milieux doit conjuguer la pluralité des activités humaines (sylviculture, élevage, agriculture, chasse, loisirs...) et l’accueil d'une demande de nature croissante de la part de la population urbaine. Aux changements économiques majeurs qui ont concerné la région comme la plupart des pays européens, a suivi une forte modification des territoires ruraux qui a entraîné de nombreux problèmes comme la fermeture des paysages dans l'arrière-pays, avec pour corollaire une progression de la friche et de la forêt, accompagnés par l’augmentation des risques d'incendies, d'érosion et de diminution de

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la biodiversité animale et végétale, particulièrement riche dans ces espaces méditerranéens. Ceci est d'autant plus paradoxal que cette modification s'est doublée des effets de l’étalement urbain, du tourisme de masse, des difficultés propres à l'agriculture. Suite au retour des « pieds noirs », rapatriés après l’indépendance de l’Algérie, les villes qui s’étaient développées de façon régulière et équilibrée comme capitales viticoles démarrent un processus cumulatif qui voit d’abord une intensification des centres et ensuite va se transformer dans une distribution des nouveaux arrivés dans les périphéries. La périurbanisation, avec ses banlieues et guidée par une tendance générale à l’habitat privatif va entraîner un grand développement des maisons individuelles, souvent sous forme de lotissements standardisés. Les zones d’activités d’un côté et les communes résidentielles de l’autre participent à un zonage fonctionnel du territoire, où l’utilisation de la voiture personnelle est rendue indispensable. La recherche d’un meilleure cadre de vie, du calme, d’une parcelle bon marché, la recherche d’une activité motivent ces nouveaux mouvements de populations : « à l'image de la région de Montpellier, le périurbain correspond a un mode de vie de plus en plus dominant et prise, entraînant un grand chambardement dans les mouvements de population, les modalités d'occupation du sol, les attentes contradictoires des nouveaux habitants qui tout en recherchant la proximité avec la nature en provoquent son recul »264. Par conséquence, après plusieurs décennies d’étalement urbain que les Plans d’Occupation des Sols à eux seuls n’ont pas été capables de gouverner, aujourd’hui deux languedociens sur trois habitent à moins de trente kilomètres de la mer. C’est le résultat croisé de la prééminence de la logique de marché, de l’absence de maîtrise des politiques d’urbanisation, plutôt orientés vers l’aménagement touristique du littoral (Rouzier, 2001). Ainsi, si actuellement près de la moitié des communes ont une densité inférieure à 20 habitants au km2 et dans les zones les moins peuplées 4,8% de la population occupe 52% de l’espace régional, dans les zones les plus urbanisées de la plaine littorale, sur 5,4% de la région, on compte près de 50% de la population265. Dans la plaine agricole du Languedoc-Roussillon la construction de maisons individuelles consomme en moyenne près de 1.000 hectares par an ; près de 10.000 hectares de friches potentielles s’ajoutent aux terres abandonnées les années précédentes (Pôle prospective, 2007). Dans la fig. 63 on distingue bien l’axe métropolitain qui s’étend entre Sète et Nîmes, en passant par Montpellier ; dans cet espace on compte aujourd’hui plus d’un million d’habitants, soit plus de 40% de la population régionale (Rouzier, 2001). Relativement à l’Hérault on retiendra aussi le pôle qui se développe entre Béziers et Narbonne. Mais au-delà de ce constat évident, la carte nous fait réfléchir sur les liens entre les espaces urbanisés et une agriculture qui tient encore une place importante dans l’économie régionale, malgré sa restructuration globale. Ainsi, cette zone métropolitaine se caractérise par la perte de terres agricoles, notamment par la conversion du vignoble vers des sols artificialisés (constructions, infrastructures de transports et d’activités) dans la plaine et le long du littoral (Poman de Changy, 2007 ; Abrantes et al., 2008). Jarrige et al. (2006) a mis en évidence que, en relation avec la généralisation de l’habitat pavillonnaire, l’accroissement de l’espace moyen consommé par nouvel habitant, s’il n’est pas enrayé par une densification de l’habitat, va accentuer la pression sur les espaces ouverts autour de Montpellier. La demande immobilière engendre des effets spéculatifs liés à la rente foncière. La valeur des terres agricoles destinées à l’urbanisation est sans comparaison avec celle que procure l’utilisation productive des terres agricoles et la crise viticole ne fait que favoriser cette situation.

264 Laurens, L. Le périurbain de Montpellier ou le grand chambardement, Revue canadienne des sciences régionales, vol. 26, n° 2 et 3, 2003, pp. 271-281. 265 Cf. région Languedoc Roussillon, Profil environnemental du Languedoc-Roussillon, DIREN, 2006, pag. 10.

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Fig. 63 – Carte des typologies des dynamiques urbaines en Languedoc Roussillon (Source : Abrantes er al., 2008).

Mais la carte nous inspire aussi une autre réflexion, à partir du constat de la présence en « peau de léopard » des communes en périurbanisation (classe 4). Ce type de communes sont en effet présentes dans l’arrière-pays, par exemple dans les hauts cantons ruraux de l’Hérault ou dans le département de la Lozère, ce qui ne s’explique pas par la seule recherche de foncier à bas prix, et encore moins par la localisation des activités productives. Si en effet nous allons considérer la région dans son ensemble il devient possible d’appréhender les relations entre espaces à dominante urbaine et espaces à dominante rurale et surtout, on peut appréhender ces derniers comme porteurs d’une logique autonome (Dedeire, 1997 ; Chevalier et Dedeire, 2009). En particulier, E. Font (2001) avance la notion de codominance, qui offre une nouvelle perspective pour expliquer la nouvelle organisation spatiale marquée par une complémentarité entre espace rural et espace urbain, mais aussi entre les sociétés rurale et urbaine, caractérisées par l’appartenance à des mondes culturels très différents. Les dynamiques à l’œuvre sont donc très complexes et la seule prise en considération des indices statistiques ne permet pas d’éclairer les processus qui fondent cette recomposition des espaces ruraux

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français, et surtout régionaux. Ce qui signifie aussi remettre en question les thèses sur la désertification des campagnes (Kayser, 1990). En particulier, c’est dans la fonction résidentielle qu’il faut chercher une première source de la croissance économique locale : celle-ci est en effet porteuse d’effets économiques semblables aux autres fonctions de production à caractère inducteur (Font, 2001 ; Chevalier, 2002). Les migrations domicile-lieu de travail sont en effet plus intenses autour des pôles urbains, mais elles sont également pratiquées dans les communes rurales les plus isolées. La présence éparpillée de ces micro-pôles est à l’origine d’une mobilité qui porte à généraliser la fonction résidentielle, qui est dans ce sens inductrice, dans la mesure où elle permet l’arrivée de revenus d’origine extérieure. L’induction continue par la suite, dans une sorte de cercle vertueux, avec la création ou le maintien de services publics ou privés. Ces migrations ont commencé à paraître évidentes avec les soixante-huitards qui voulaient « vivre autrement », cet-à-dire qui cherchaient dans la campagne un espace idéalisé, même si cela n’a pas constitué un retournement du double exode rural et agricole. C’est à partir des années ‘80 que le changement est nettement plus perceptible, notamment en Languedoc-Roussillon, qui est parmi les premières régions françaises à bénéficier de ces nouveaux apports migratoires : les études sur les départements les plus ruraux l’ont démontré (Dedeire, 1997 ; Font, 2001 ; Chevalier, 2002 ; Berger et al., 2005). S’amorce ainsi un rééquilibrage du solde naturel grâce à l’arrivée de populations moins âgées, souvent composées de jeunes couples à la recherche d’un habitat rural, moins motivés par l’accession facile à la propriété mais de plus en plus par des valeurs non marchandes ; du moins pas motivés par la logique de l’acteur économique rationnel. Les recensements de 1990 et de 1999 confirment ce processus, avec le phénomène conjoint du solde migratoire positif et d’un solde naturel également positif ; ce qui donne lieu à un retournement démographique. Cette situation, bien que spécifique à certains espaces et non généralisable massivement (plus évidente dans le sud), témoigne d’une revitalisation incontestable de la France rurale266. Les recherches effectuées montrent aussi que la fonction résidentielle n’est pas la seule variable explicative de la recomposition de l’espace rural : par exemple le tourisme va souvent se greffer à la fonction résidentielle, par la réhabilitation de l’habitat traditionnel, le développement des gîtes ruraux, des campings267, de l’accueil à la ferme (Berger et al., 2005). Les chiffres de l’INSEE parlent clair sur ce point : en 2006, 43% des logements du Languedoc-Roussillon sont des résidences secondaires dans les pôles ruraux. Cette proportion est de 33% dans les autres communes rurales. Si la pérennité de l’activité touristique semble assurée seulement dans les espaces qui possèdent des atouts exceptionnels, néanmoins elle peut constituer une source de diversification d’autres activités, notamment agricoles, par exemple à travers l’agritourisme (Cavailhès et al., 1994). Cette activité représente « une opportunité pour les familles vivant de l’exploitation agricole familiale d’avoir des revenus complémentaires et d’améliorer leurs conditions de vie »268. Le Languedoc-Roussillon est actuellement la 5ème région de France pour le nombre de gîtes en chambres d’hôtes (plus de 4.000) et la 3ème région française en termes de fréquentation en gîtes ruraux. L’intérieur du territoire draine 20% de la fréquentation touristique269. Comme le rappelle E. Font, « c’est

266 Cf. Berger A., Chevalier P., Dedeire M., Les nouveaux territoires ruraux. Eléments d’analyse, Montpellier, 2005, pag. 46. 267 La France est le pays le plus visité au monde ; face à une crise de l’hôtellerie, les campings, notamment dans le sud, ont le vent en poupe. Cf. http://www.lesechos.fr/patrimoine/famille/020477590962-la-france-reste-la-premiere-destination-de-vacances.htm et http://www.lefigaro.fr/voyages/2009/08/05/03007-20090805ARTFIG00226-cet-ete-les-campings-font-le-plein-grace-a-la-crise-.php 268 Zekri, L., La microentreprise féminine en milieu rural catalan, dans : Revue de l’économie méridionale, n. 213, 2006, pag. 54. 269 Chambre de l’agriculture, dossier de presse : Les trophées de l’agritourisme, 2010, pag. 4.

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notamment dans les activités à caractère touristique que les complémentarités entre agriculture et autres activités s’expriment de la manière la plus forte »270. En somme, l’espace rural a perdu son caractère monodimensionnel lié à la production agricole, la perte spectaculaire des actifs dans l’agriculture en donne une épreuve. La recomposition actuelle concerne principalement des activités liées aux services : en Languedoc-Roussillon « sur 10 actifs ruraux ayant un emploi, 2 travaillent encore dans l’agriculture, 2 dans l’industrie et le bâtiment et 6 dans les services, dont 4 dans les services privés »271. C’est une tertiarisation de l’espace rural qui en désigne le caractère multifonctionnel. La qualité de la vie, un environnement naturel préservé, le paysage en tant que cadre de vie sont aujourd’hui les nouveaux avantages comparatifs de cet espace rural en mutation. C’est dans ce sens que l’agriculture du terroir trouve toute sa place et sa légitimité au sein de ces espaces : lorsqu’elle est pratiquée, elle ne se limite pas à la simple fonction nourricière et encore moins, elle ne se base pas sur la logique de la rentabilité immédiate ou de la productivité272. Dans certains cas les entrepreneurs néoruraux « allant jusqu’au bout de leur logique résidentielle, limitent volontairement l’extension des débouchés pour ne pas être aspirés dans un cycle productiviste qui remettrait en cause leur mode de vie » 273, ce qui montre une motivation et une attribution de valeurs à l’espace rural de la part de ces migrants. L’agriculture participe de la tertiarisation de l’espace rural, et « outre la production d’aliments et de fibres, fournit toute une série de produits autres que les produits de base, tels que les aménités rurales et environnementales ou la sécurité des approvisionnements, et contribue à la pérennité des zones rurales »274. En effet, l'intensification de l'agriculture, bien souvent près des zones littorales, entraîne une pollution par les produits phytosanitaires, engrais azotés et autres intrants qui migrent vers les zones phréatiques. Il est alors important de souligner que l’agriculture de terroir peut se définir multifonctionnelle, lorsqu’elle réponds à ces missions :

- production de services, tels que la lutte contre l’érosion des terres, la gestion du paysage, l’amélioration des habitats, la préservation de la biodiversité, etc. ;

- production et transformation des produits réalisés, d’où une reconnaissance des agriculteurs, identifiés à un territoire lui-même reconnu pour cela (AOC et produits typiques) ;

- participation à la création de la richesse nationale, par la production de biens alimentaires et non alimentaires ;

- production de richesses valorisables en tant que bien privés, mais aussi publics ; - production de biens non marchands275.

Enfin, des enquêtes menées en Languedoc-Roussillon (Dedeire, 1997) ont montré que les nouveaux entrepreneurs agricoles qui s’installent dans l’espace rural contribuent à une intégration accrue du milieu local dans un environnement économique plus vaste. Les migrants possèdent souvent un niveau d’études plus élevé que les autochtones, ce qui explique une propension majeure au recours aux modernes technologies de communication. Qui plus est, ces enquêtes ont permis l’identification d’un espace économique de ces produits-terroir qui allie « le niveau local jusqu’au niveau international et recèle de nombreuses possibilités d’extension quantitative et spatiale »276. De par cette ouverture l’agriculture de

270 Font E., Les activités non agricoles dans la recomposition de l’espace rural, L’Harmattan, 2001, pag. 33. 271 Berger A., La recomposition de l'espace rural en Europe du Sud : l'exemple français, Pôle Sud, vol. 5, num. 5, 1996, pag. 73. 272 Berger et al., op. cit., 2005, pag. 24. 273 Rouzier J. (sous la dir. de), Le Languedoc Roussillon, 1950-2001 :histoire d’une mutation, éd. Privat, 2002, pag. 140. 274 OCDE, Multifonctionnalité: élaboration d’un cadre analytique, Paris, 2001, p. 177, cité dans : Berger et al., op. cit., 2005, pagg. 77-78. 275 Berger et al., op. cit., 2005, pagg. 78-79. 276 Dedeire M., Le concept d’agriculture de terroir, thèse de doctorat, université de Montpellier, 1997, pag. 256.

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terroir s’affirme dans des territoires délaissés par le productivisme : en témoigne le déploiement de réseaux informationnels, sociaux et économiques (Berger, 1996). C’est aussi une démonstration que l’espace n’est pas un simple containeur, mais un véritable acteur du développement économique. Avant de passer à la présentation des grandes dynamiques de l’agriculture nous pouvons synthétiser en disant que « le Languedoc-Roussillon, longtemps vierge d’industrialisation, se pose comme un espace d’innovation en termes d’activités puisque, d’un label viticole qui plus est bas de gamme, la région est passée à l’accueil d’activités industrielles de pointe notamment au travers de la filière informatique et d’activités tertiaires supérieures. En même temps, les activités traditionnelles comme la viticulture s’adaptaient à la nouvelle donne du marché en faveur de productions de qualité dont l’octroi d’une AOC régionale sera le couronnement dans les années à venir »277. 5.1.4. Une agriculture marquée par la difficile restructuration de la viticulture.

Traiter de l’agriculture dans cette région de la France équivaut à parler de viticulture, même si le secteur viticole nous intéresse que de façon marginale. La situation est aujourd’hui très difficile malgré des tentatives de qualification et de diversification. Les chiffres sont assez éloquentes : elles paraissent réciter le de profundis de nombreux vignerons et plus généralement de la viticulture comme base de l’agriculture régionale. En s’appuyant sur les statistiques des recensements agricoles et sur les analyses des institutions régionales notre propos est plutôt celui de présenter la trajectoire globale de l’agriculture du Languedoc-Roussillon, toujours avec une attention particulière au département qui nous intéresse de plus près : l’Hérault. Tout en étant conscients que les chiffres ne suffisent pas à montrer la réalité complexe des hommes qui depuis de siècles travaillent ces terres, à travers luttes, sueur, satisfactions ou échecs (Genieys et Smith, 2000). D’autant plus que les situations peuvent varier beaucoup à l’intérieur même de chaque commune, d’un terroir à l’autre. Les études des cas qui suivront l’éprouvent. Un premier constat vient de l’analyse au niveau régional des chiffres relatives au nombre d’exploitations et de la S.A.U. qu’elles occupent (Tab. 27 et 28). Les données se référant à la période entre 1970 et 1988 permettent une analyse plus fine, qui nous fait comprendre que globalement il y a eu une disparition de 35% des exploitations. La S.A.U. s’est aussi réduite, mais de façon moins marquée : seulement 9%.

1970 1988 Variation 1988/1970 Nombre SAU Nombre SAU Nombre SAU

<2 ha 42.918 37.941 25.106 21.221 -42% -44% 2 à 5 ha 20.010 64.768 11.429 37.165 -43% -43% 5 à 10 ha 16.614 119.906 9.168 66.579 -45% -45% 10 à 20 ha 13.233 185.192 10.591 151.319 -20% -18% 20 à 50 ha 8.898 273.571 7.952 244.745 -11% -11% 50 à 100 ha 2.870 194.552 3.024 207.401 5% 7% >100 ha 1.164 245.671 1.549 291.406 33% 19% Total 105.707 1.121.601 68.819 1.019.836 -35% -9%

Tab. 27 – Nombre d’exploitations et SAU relative entre 1970 et 1988 (Source : RGA 1970, 1988).

277 Font E., op. cit., pag. 34.

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2000 2007 Variation 2007/2000 Nombre SAU Nombre SAU Nombre SAU

<20 ha 32.318 174.039 21.246 126.481 -34% -27% De 20 à 50 ha 6.585 202.331 6.078 186.591 -8% -8% De 50 à 100 ha 2.831 200.046 2.626 183.729 -7% -8% De 100 à 200 ha 1.477 200.766 1.596 217.387 8% 8% >200 ha 577 188.082 692 228.781 20% 22% Total 43.789 965.264 32.239 942.970 -26% -2%

Tab. 28 – Nombre d’exploitations et SAU relative entre 2000 et 2007 (Source : RGA 2000 ;

enquête structure, 2007). Dans le détail on peut constater que ce sont les exploitations de taille plus petite qui voient chuter leur nombre, avec des pourcentages supérieurs à 40% pour toutes les classes inférieures à 10 ha. A noter la tendance positive des exploitations de plus de 100 ha, qui augmentent de plus du tiers. Dans les années 2000 la tendance se poursuit. Même si on ne dispose pas des mêmes indicateurs on voit que ce sont les exploitations de plus petite taille qui disparaissent, tandis que celles possédant plus de 200 ha ont augmenté. Face à une perte totale de 26% des entreprises, la baisse de la S.A.U. est de -2% seulement. Sur la période entre 1970 et 2007 la chute des exploitations agricoles de la région est de -69,5% ; la baisse de la SAU est de -15,9% (Fig. 64). Autrement dit, la propension à disparaître est d’autant plus grande que l’exploitation est petite.

Fig. 64 – Baisse des exploitations et de la S.A.U. en pourcentage entre 1970 et 2007. Il est important de souligner que cette diminution concerne de petites exploitations, mais aussi des exploitations dites « professionnelles » (21.600 en 2000 et 19.100 en 2005), dont la proportion progresse et est même devenue majoritaire (53% des exploitations en 2005). En suivant l’analyse de l’évolution de la valeur ajoutée agricole régionale en euros constants depuis 1950, proposée par Touzard et Klajman (2006) nous pouvons distinguer quatre périodes : - de 1950 à 1975-78 : phase de croissance tirée par l’amélioration des rendements, selon le modèle productiviste ; - de 1975 à 1995 : longue période de décroissance des surfaces cultivées et des prix, correspondante à la crise du productivisme ; - de 1995 à 2002 : reprise de la croissance, avec augmentation des prix, due à la mise en place des labels de qualité ; - depuis 2003 il y a une nouvelle phase de crise marquée par une baisse à la fois des volumes et des prix qui se prolonge jusqu’à aujourd’hui. En effet, depuis la campagne 2005/2006 (et même l'année précédente dans les Pyrénées-Orientales), il est possible, pour les viticulteurs, d'arracher définitivement leurs vignes productives. Ils bénéficient en contrepartie d'une prime, de 6.000 à 8.000 €/ha suivant les

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années et les rendements des parcelles qu'ils arrachent. Depuis la campagne 2008-2009, les exploitants arrachant la totalité de leur vignoble et âgés de plus de 55 ans sont prioritaires pour bénéficier de ce dispositif, suivis par les exploitants de plus de 55 ans qui n'arrachent qu'une partie de leur vignoble. Selon les chiffres de l’INSEE plus de 40.000 ha devraient avoir disparu au terme de cette cinquième campagne d'arrachage, à mettre en regard des 275.000 ha en production en 2005. Le vignoble en production aura perdu 13% de ses superficies de 2005, sans tenir compte des parcelles qui ne sont plus en production, mais qui ne peuvent pas bénéficier de la prime à l'arrachage : parcelles isolées devenues peu rentables, mais subsistantes dans une exploitation pérenne, parcelles mal entretenues ne pouvant pas être primées, etc. La récolte 2009 est l'une des plus faibles de l’histoire, ce qui a poussé les viticulteurs à manifester, parfois même avec violence278. L’arrachage provoque une perte évaluée à 1.000 euros par an et par hectare. Au cours de la campagne 2009-2010, environ 5.200 hectares devraient être arrachés, alors que les demandes spontanées des viticulteurs portaient sur plus de 11.000 hectares. L’arrachage génère des friches à grande échelle, dont l’avenir n’est pas toujours connu, ce qui pose la question de l’aménagement et de la gestion des territoires concernés. Le vignoble à lui seul explique en grande partie cette involution de la valeur ajoutée agricole régionale : en 1965 il concernait 25% des emplois régionaux et 20% du P.I.B. En 1980 sa contribution au P.I.B. était réduite à 10% (Verlaque, 1987). En 1998 sa contribution n’est plus que de 4% et les actifs dans la viticulture se situent entre 5 et 6%. Encore, en 1975 la région contribuait à 35% de la valeur viticole française, tandis que deux décennies après sa place était réduite à 15%, dans un contexte de croissance à niveau national, dû au développement des vins de qualité dans les autres régions (Touzard et Laporte, 1998). Pour comprendre les problèmes actuels du vignoble il faut en chercher les origines dans son grand développement dans le siècle passé (Genieys et Smith, 2000). Suite à la crise de la phylloxéra à la fin du XIXème siècle et suite à la grande révolte des vignerons de 1907 le vignoble languedocien démarre un processus de reconstitution fait en faveur des rendements, sans attention pour la qualité, ce qui fait augmenter la production régionale, mais aussi les importations de vins algériens, comme le souligne la phrase : « au Languedoc les vins de masse, à l’Algérie les vins médecins »279. Avec la décolonisation, à partir des années ’60 les importations de vins algériens laissent la place aux importations de vins espagnoles et italiens. C’est une première raison de la chute du nombre des exploitations et de la baisse des surfaces (Tab. 29).

Exploitations Superficie du vignoble (hectare)

1988 2000 Variation 2000/1988 1988 2000

Variation 2000/1988

<1 ha 15.703 7.846 -50% 7.889 3.880 -51% de 1 à 2 ha 7.755 4.248 -45% 11.024 6.083 -45% de 2 à 5 ha 9.056 4.770 -47% 29.487 15.760 -47% de 5 à 10 ha 7.851 4.125 -47% 57.535 30.448 -47% de 10 à 15 ha 5.198 3.444 -34% 63.814 42.854 -33% de 5 à 20 ha 2.933 2.581 -12% 50.362 44.795 -11% de 20 à 30 ha 2.373 2.365 0 56.870 56.940 0 >30 ha 1.662 1.978 +19% 80.426 96.907 +20% Ensemble 52.531 31.357 -40% 357.406 297.667 -17%

Tab. 29 – Variation des exploitations viticoles et des superficies du vignoble par taille (Source :

RGA, 2000).

278 http://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/societe/20091126.OBS8853/une-manifestation-de-viticulteurs-tourne-a-l-emeute.html et www.lepoint.fr/actualites-societe/2009-11-25/mobilisation-a-montpellier-manifestation-de-viticulteurs-ruines-et-desesperes/920/0/398553 279 Verlaque C., Le Languedoc-Roussillon, Presses Universitaires de France, 1987, pag. 49.

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Parallèlement la consommation nationale chute : elle passe d’une fourchette comprise entre 55 et 60 millions d’hectolitres en 1960 à moins de 50 millions à la fin des années ’80 (Verlaque, 1987). La tendance à la baisse se poursuit et ne cesse de s’arrêter, aujourd’hui appuyée par des campagnes éducatives et par des lois sur la santé publique de moins en moins tolérantes. Au final on passe d’environ 160 l/an en 1965 à 75 litres à la fin des années ’90 (Touzard et Laporte, 1998). Ce glissement de « vin aliment » à « vin d’agrément » participe à expliquer le décalage entre offre régionale et demande globale. A ces conditions il faut ajouter les changements économiques du Languedoc-Roussillon, avec l’arrivée progressive de nouveaux immigrés, le développement du tourisme sur le littoral, ainsi que du secteur tertiaire plus en général. La croissance urbaine est à l’origine de la spéculation, comme déjà évoqué à plusieurs reprises. Tout cela engendre une perte de poids politique par la profession (par exemple, de moins en moins de maires dans les bourgs ruraux) et amène au constat que le vignoble de masse doit suivre une inévitable restructuration (Genieys et Smith, 2000). Les arrachages qui démarrent dans les années ’80 sont une des solutions. Entre 1988 et 2000, 60.000 hectares disparaissent, ce qui n’empêche pas à la région de rester le plus grand vignoble français, avec l’Hérault qui figure encore aujourd’hui comme le premier département national en termes de production de vins. Les petites exploitations laissent la place à celles qui sont plus grandes et organisées, lesquelles s’organisent en caves coopératives. On en compte 550 en 1980, mais après une série de fusions elles baissent à 380 vingt ans après. La concurrence internationale (élargissement de l’U.E.) incite à réduire la main d’ouvre et désormais 60% des vendanges se font avec la machine en 2000, tandis que le pourcentage était de 27% en 1988 (RGA, 2000). Une politique de ré-encépagement visant à améliorer la qualité des vins pousse à abandonner des cépages comme l’aramon, à fort rendement mais faibles en alcool, en faveur de cépages plus nobles, sur lesquels sont construites les nouvelles zones d’appellation. Celles-ci semblent prometteuses et vers la fin des années ’90 une légère hausse des prix et des volumes fait espérer un changement de tendance. Entre 1988 et 2000 les surfaces de vin AOC progressent, avec un croit de +13% dans l’Hérault. Le vin de table ne compte plus que 35.000 ha au niveau régional, dont 14% en Hérault, 11% dans le Gard et dans l’Aude, 4% dans les Pyrénées Orientales. Le vin de pays montre lui aussi une dynamique positive et voit sa surface couvrir 50% du vignoble languedocien (RGA, 2000). La surface en vin de pays arrive jusqu’à 67% aujourd’hui dans l’Hérault (Fig. 65).

Fig. 65 – Répartition des surfaces et localisation des AOC héraultaises.

En 2006 les syndicats se sont fédérés autour du label régional AOC Languedoc, avec l’objectif de favoriser la visibilité à l’extérieur et d’améliorer la qualité des sous-appellations

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régionales (Chiffoleau et al., 2005). Des efforts ont été faits dans la reconversion en agriculture biologique. Cependant, les arrachages vont continuer et la production a baissé de nouveau (tab. 30), tout comme le nombre d’exploitants, qui sont de plus en plus vieillissants, ce qui interroge sur la transmission de l’exploitation aux nouvelles générations. En plus, la loi « Santé publique » de 2004, qui a porté à une réduction de la consommation d’alcool de 20% en 4 ans contribue à rendre plus critique un contexte déjà difficile. Les efforts vers la qualification sont à reconnaître, mais l’avenir n’est pas certain. Aujourd’hui, même parmi les exploitants professionnels, la majorité n’a pas suivi une formation agricole initiale de niveau secondaire ou supérieur, alors que 5% seulement ont suivi une formation agricole supérieure (Préfecture de l’Hérault, 2007). A l’heure de la mondialisation, face aux nouveaux pays émergents, cela constitue un handicap important. Le marketing est aujourd’hui un enjeu primordial à ne pas négliger, d’autant plus que les petites coopératives ont du mal à supporter les coûts financiers pour promouvoir leurs appellations. La viticulture est l’image du territoire, mais aussi le territoire est l’image du vin. C’est là aussi qui se joue l’avenir de cette filière, ce n’est pas simplement une question de soutien publique ou de réduction des coûts. Il faut rappeler que la filière viticole italienne, à genoux après le scandale du vin au méthanol au début des années ’90, aujourd’hui rivalise avec la France pour la primauté mondiale d’une production de qualité280.

1965 1984 2007 Pyrénées orientales

3.391 1.957 897

Aude 8.806 9.113 4.317 HERAULT 13.478 11.998 5.528 Gard 6.342 6.504 3.916 Total Région 32.029 29.574 14.657 % France 48,1 46,4 31,3 VQPRD* 883 3.627 3.057

Tab. 30 – Evolution de la production de vin en hectolitres entre 1965 et 2007 (En milliers

d’hectolitres, source : Agreste, 2007 - *VQPRD, norme européenne regroupant AOC, vins doux naturels et vins de qualité supérieure).

En poursuivant l’analyse du nombre des exploitations à l’échelle de chaque département nous pouvons faire des distinctions (Tab. 31). Sur les derniers vingt ans on trouve aux extrêmes une baisse plus marquée dans les Pyrénées Orientales (-61%), tandis que la Lozère semble tenir plus que les autres. En effet, si bien qu’en baisse ce département est le seul à afficher une réduction des exploitations sensiblement inférieure à la moyenne régionale : -39% contre -53,1%. Avec une baisse de -53,7%, l’Hérault se situe dans la moyenne, comme les autres départements.

1988 2000 2007

Variation 2007/1988

Aude 15.169 9.371 7.485 -50,6% Gard 13.794 8.955 6.563 -52,4% HERAULT 23.763 15.481 10.991 -53,7% Lozère 4.220 3.081 2.572 -39% Pyrénées orientales 11.873 6.901 4.628 -61% Languedoc-Roussillon

68.819 43.789 32.239 -53,1%

Tab. 31 – Evolution du nombre total des exploitations par département (Source : Agreste, 2007).

280 http://www.symbola.net/din/adminphp/doc/0215Metanolo.pdf

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La répartition de l’utilisation du sol régional permet de comprendre ces disparités départementales qui traduisent donc une diversité des sources de revenu, contribuant ainsi à nuancer l’image négative de monoculture viticole. Rappelons avant tout, que la part de la S.A.U. des exploitations au niveau régional par rapport à l’ensemble du territoire est inférieure au taux national qui correspond à environ 50%. Le reste du territoire est occupé par le territoire non agricole (notamment surfaces urbanisées), cet-à-dire environ 300.000 hectares. Le territoire agricole non cultivé (landes, friches) représente environ 350.000 hectares (Fig. 66). Les surfaces boisées sont importantes, elles couvrent un million d’hectares, soit 38% pour 28% au niveau national281. C’est aussi une forme de richesse, bien au-delà de l’exploitation économique de ressources forestières, mais par la contribution à la diversité et à la qualité des paysages, fondement de l’attractivité touristique du territoire et du bien-être des résidents.

Fig. 66 – Répartition de l’utilisation du sol en Languedoc-Roussillon (Source : Agreste, 2007).

L’utilisation du sol est similaire dans les départements côtiers (Tab. 32). Elle confirme l’extension remarquable des surfaces boisées, avec des extrêmes dans le Gard (Cévennes) et dans le département montagneux de la Lozère. Ces deux départements sont aussi ceux qui possèdent le moins de territoires agricoles non cultivés, avec des moyennes inférieures à celle de la région. La Lozère est aussi faiblement touchée par l’artificialisation du territoire : seulement 4%. La S.A.U. de ce département s’élève à 50% du territoire, à lier à la pratique de l’élevage extensif (fromages AOC et viande). Les autres départements présentent des taux qui se rapprochent de la moyenne régionale, avec l’Aude qui se distingue pour un taux de S.A.U. en dessous de la moyenne de la région (41% pour 38,8%) et l’Hérault qui présente le taux plus élevé de territoires non cultivés, fait à mettre en relation aux phénomènes conjoints d’abandon des vignes et de spéculation foncière.

281 Chiffres obtenus dans le site de la DRAAF Languedoc-Roussillon.

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Pyrénées Orientales

Aude HERAULT Gard Lozère

S.A.U. 34% 41% 36% 33% 50% Territoires agricoles non cultivés

15% 16% 19% 9% 3%

Bois et peupleraies

33% 33% 33% 44% 43%

Autres territoires non agricoles

18% 10% 12% 14% 4%

Tab. 32 – Répartition de l’utilisation du sol par département en 2005 (Source : Agreste, 2007).

5.1.5. Une agriculture en voie de diversification.

1988 2000 Céréales 100.508 116.989 Oléagineux 37.723 31.050 Fourrages 49.402 58.238 Superficies toujours en herbe 377.406 387.728 Légumes/Légumes secs/Protéagineux/Fleurs

22.173 14.973

Vignes 356.905 297.156 Vergers et autres cultures permanentes

34.775 28.605

Jachères 36.743 43.693

Tab. 33 – Principales cultures régionales (Surfaces en hectares – Source : RGA 1988, 2000).

Culture Superficie

(ha) Céréales 110.142 Cultures industrielles 25.415 Légumes secs et protéagineux 2.918 Fourrages 67.432 Superficie toujours en herbe (STH) 384.065 Pommes de terre et tubercules 882 Légumes frais (y compris fraises et melons) 8.204 Vignes 265.244 Cultures permanentes entretenues 21.693 Jachères 55.770 Terres labourables 266.970

Tab. 34 – Répartition de la S.A.U. régionale en 2007 (Source : Enquête structure, 2007).

Les tableaux ci-dessus mettent en évidence trois grandes tendances évolutives. Primo, la réduction des surfaces viticoles ; secundo, une augmentation des jachères et des cultures fourragères ; tertio, une diminution des vergers et des cultures permanentes, ainsi que des oléagineux. Les données relatives à l’année 2007 nous semblent toutefois moins précises et ne nous permettent pas d’effectuer une comparaison fiable sur la période. Nous préférons alors nous appuyer sur les considérations tirées du site internet de la DRAAF, qui se réfèrent à la même période.

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Comme on a déjà pu constater le département de la Lozère se distingue des autres, influencé par un climat de type continental et montagneux, car appartenant au Massif Central. C’est le département le plus rural et le moins peuplé. Les surfaces en herbe occupent 80% de la S.A.U., les surfaces boisées 43% du territoire alors que les territoires non agricoles ne représentent que 4% du territoire (contre de 9% à 16% dans les autres départements). Les cultures permanentes, vigne et vergers sont très représentatives de la S.A.U. des 3 autres départements (37 à 51%), contre 4% au niveau national. La vigne qui à elle seule caractérise l’occupation d’une grande partie de l’espace régional et contribue à en façonner les paysages des zones de plaine aux zones de piémont, représente 30% de la S.A.U. régionale. L’Aude se distingue en partie des autres départements, par une extension remarquable de terres arables (Ouest Audois) et par un pourcentage élevé de la S.A.U. (47%) constitué par les grandes cultures. En général au niveau régional on peut remarquer : - des surfaces agricoles non cultivées des exploitations (friches, garrigues, landes) variables de 9% à 19% dans l’Hérault ; 13% au niveau régional contre 5% au niveau national ; - des terres arables en jachères suite à l’introduction du gel des terres (P.A.C.), mais également d’une part liées aux exigences rotationnelles des cultures (19% de la S.A.U. au niveau régional contre 6% au niveau national). Selon la DRAAF, sur la longue période (1989/2006) trois grandes tendances d’évolution du sol, déjà constatées au niveau national, se reproduisent au niveau régional : - diminution de la S.A.U. des exploitations (déprise agricole). La S.A.U. perd de l’ordre de 39.500 ha (4%) ; les terres arables progressent de 12.800 ha, les surfaces en herbe progressent de 25.000 ha, les cultures permanentes régressent de 77.000 ha (vigne -65.000 ha). Depuis 2000 : les terres arables progressent (plus de 11.000 ha), les surfaces toujours en herbe légèrement (1.600 ha) et les cultures permanentes continuent de diminuer (-17.600 ha, correspondant à -5%) ; - gain de surfaces artificialisées. 40.200 ha sur la période considérée, dont 12.600 ha après l’année 2000 (+4%). Comme nous avons plusieurs fois souligné la croissance démographique et l’activité économique des zones de plaine urbanisées au niveau et autour des grandes agglomérations induisent un développement des infrastructures et une compétition pour l’occupation de l’espace disputé à l’agriculture, dans des espaces qui sont le plus souvent de bonne potentialité agronomique. - gain de surfaces boisées. Toujours sur la longue période les surfaces boisées gagnent 114.800 ha (+12%). Ces variations significatives de l’occupation de l’espace traduisent les dynamiques à l’œuvre au niveau des activités agricoles et non agricoles ; elles contribuent en particulier à l’évolution des paysages. L’artificialisation des espaces suite à la progression des zones urbanisées et des infrastructures, l’extension des espaces naturels occupés par la garrigue ou par la forêt sont par ailleurs souvent liées à un mitage et une perte d’homogénéité de l’espace préjudiciable à la qualité des paysages mais également à la restructuration des activités agricoles ou forestières. Il est donc important de préserver les « espaces de transition » constitués par les terres délaissées par l’agriculture productiviste ; la mise en place de nouveaux outils d’aménagement du territoire comme les Plans d’Aménagement et de Développement Durable (PADD) et surtout les Schémas de Cohérence Territoriale (SCOT), capables de fédérer plusieurs sujets autour d’un « territoire de projet » pourraient représenter une voie pour le démarrage d’initiatives vertueuses, à condition de réussir à conjuguer des intérêts et des points de vue souvent conflictuels (Jarrige et al., 2003 et 2006).

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Pyrénées Orientales

Aude HERAULT Gard Lozère LANGUEDOC ROUSSILLON

Terres arables dont céréales

jachères

14.852 1.420 8.273

113.193 52.160 21.960

45.896 16.030 18.871

59.080 31.510 14.207

48.973 10.440

150

281.994 111.560 63.461

Cultures permanentes Dont vergers

vignes

41.448 8.273 33.140

84.799 1.289 83.080

105.183 3.310

101.703

78.502 10.237 66.582

611 561

-

310.543 23.670 284.505

Surface Toujours en

Herbe 34.600 43.870 56.000 48.800 200.733 384.003

Surface Agricole Utile

90.900 241.862 207.079 186.382 250.317 976.540

Bois et peupleraies

136.720 211.000 201.300 259.100 225.820 1.033.940

Autres surfaces 186.498 181.573 201.722 141.777 41.527 753.097 Surface Totale 634.435 414.118 610.101 587.259 517.664 2.763.577

Tab. 35 – Surfaces des principales cultures par département en 2005 (Source : Agreste, 2007).

Pyrénées

Orientales Aude HERAULT Gard Lozère

Terres arables dont céréales

jachères

5,3 1,3 13,0

34,6 46,8 40,1

16,3 14,4 29,7

21 28,2 22,4

17,4 9,4 0,2

Cultures permanentes Dont vergers

vignes

13,3 35

11,6

27,3 5,4 29,2

33,9 14,0 35,7

25,3 43,2 23,4

0,2 2,4 -

Surface Toujours en

Herbe 9 11,4 14,6 12,7 52,3

Surface Agricole Utile

9,3 24,8 21,2 19,1 25,6

Bois et peupleraies

13,2 20,4 19,5 25 21,8

Autres surfaces 24,4 23,0 26,4 18,5 5,4 Surface Totale 14,9 22,9 22 21,2 18,6

Tab. 36 – Part de chaque culture sur le total régional par département en 2005 (Source :

Agreste, 2007). Les tableaux 35 et 36 permettent d’avoir une vision générale de l’agriculture à la moitié des années 2000, qui prend aussi en compte les spécificités départementales. Cette répartition confirme la prédominance de l’activité viticole en plaine, avec l’Hérault qui se distingue, avec plus du tiers du vignoble régional. Aux extrémités de la région nous trouvons les deux principaux bassins de production de fruits et de légumes, avec le Gard et les Pyrénées Orientales qui regroupent 80% des vergers régionaux. Les céréales sont la spécialisation de l’Aude, en particulier dans le Lauragais ; mais il faut souligner que même si cette culture représente la deuxième culture du Languedoc-Roussillon en surface, elle ne constitue pas plus que 1,3% de la superficie céréalière française (Pôle prospective, 2007). D’une manière générale ce constat témoigne d’une progressive diversification progressive de l’agriculture régionale. Les cultures intensives de la vigne (28% de la SAU) et des fruits et légumes (4%) sont minoritaires dans l’espace, alors que les cultures céréalières et les

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oleoprotéagineux (14%) et surtout la surface toujours en herbe (43%) assurent une couverture importante de l’espace.

Encadré 3 - La politique de la qualité en Languedoc-Roussillon.

Le passage d’un vignoble voué à la quantité à un vignoble valorisant les terroirs a porté à une richesse faite de 41 AOC viticoles, qui regroupent toutes les typologies de vins : vins tranquilles, vins doux naturels et vins pétillants du Languedoc, vins tranquilles et vins doux naturels du Roussillon, vins tranquilles de la Vallée du Rhône. Mais la valorisation des terroirs viticoles ne se résume pas à leur délimitation par le zonage des appellations : dans les dernières années la région et les conseils généraux ont soutenu les syndicats et les producteurs qui se sont engagés dans le mise en place de nombreuses routes des vins. Elles traversent un peu tout le vignoble languedocien, de la Camargue aux Pyrénées Orientales ; la plupart de ces routes fait partie de la fédération nationale du tourisme de terroir. En Hérault on peut rappeler les routes des terroirs AOC Faugères et Saint-Chinian, ainsi que la route de l’AOC Minervois. L’agglomération de Montpellier a appuyé la réalisation de la route des vins et du patrimoine homonyme. D’autres AOC ont intégré la valorisation du paysage dans leurs décrets : le cas plus connu est celui de Banyuls, avec ses terrasses en bord de mer, mais nous pouvons rappeler aussi le travail effectué au sein de l’AOC Limoux, qui a porté à la rédaction d’une charte paysagère. Pour ce qui concerne les produits agricoles autres que le vin nous avons dénombré 17 signes européens de la qualité et de l’origine dans la région. Parmi les AOC dominent les productions fromagères : le Pélardon, le Laguiole, le Roquefort, le Bleu

des Causses et le Bleu d’Auvergne. La méditerranée est bien représentée par la double AOC Huile d’olive et Olive de Nîmes, mais d’autres produits sont ambassadeurs de la qualité et de la valeur des terroirs régionaux : l’AOC Oignon doux des Cévennes produite sur les terrasses qui façonnent les paysages de ces montagnes ; l’AOC Taureau de Camargue, qui valorise la viande de ces animaux élevés en liberté avec toutes les attentions possibles, avant d’être destinés aux spectacles de la tauromachie ; sans oublier les pommes de terre primeur du Roussillon.

Pour ce qui concerne les IGP la liste est encore plus nombreuse : la dernière née est la fraise de Nîmes IGP. En partant de la mer nous trouverons l’Anchois de Colliure à l’ouest et le riz de Camargue dans les rizières du delta du Rhône à l’est. Les volailles fermières du Languedoc et du Lauragais sont les deux IGP qui regroupent les producteurs de poulets jaunes, poulardes et chapons. Dans les montagnes nous trouvons les IGP génisse « Fleur d’Aubrac » et l’agneau de Lozère Elovel.

Le département de l’Hérault est concerné par cinq produits qui ont obtenu la protection européenne. L’AOC Pélardon s’étend sur une large partie du département, principalement dans les collines et dans les avant-monts. Les communes les plus septentrionales rentrent dans la zone d’appellation du Roquefort et les éleveurs de vaches du nord-est se regroupent dans l’AOC Bleu des Causses. Une partie orientale du département rentre dans la zone de l’AOC Taureau de Camargue, ainsi que de l’AOC Huile d’olive de Nîmes.

Enfin, il faut rappeler tous les produits qui n’ont pas de label européen, mais qui possèdent un label français, cet-à-dire le label rouge ou la certification de conformité. L’ensemble de ces produits et d’autres encore sont aujourd’hui regroupés sous la marque-ombrelle « Sud de France », créée par la Région afin de fédérer les efforts des acteurs des différentes filières pour renforcer la présence des produits sur les marchés à l’échelle nationale et internationale ainsi que leur image.

La diversification a aussi lieu au sein de chaque production identifiée par la statistique agricole : sur 284.505 ha de vigne, environ 80.000 ha sont classés en AOC et près de 100.000

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produisent des vins de Pays non basiques, qui semblent bien tenir sur les marchés. La tendance est à une progression du pourcentage des surfaces des zones d’appellation, même si dans le cadre d’une réduction générale du vignoble, qui devrait s’attester à 190.000 ha en 2015 (Pôle prospective, 2007). Les cinq productions légumières les plus importantes de la région (salades, melons, asperges, artichauts, tomates) occupent 95% des 9.000 ha plantés en légumes frais ; les principales productions fruitières régionales (pêche, pomme, abricot, poire, cerise et l’olive) régressent en surface depuis plusieurs années, sauf pour les oliveraies (Touzard et Klajman, 2006). A noter que ces arbres trouvent un milieu pédoclimatique propice dans la région, qui à ce jour n’a qu’une seule AOC dans le secteur des huiles d’olive. Une filière sûrement porteuse d’avenir, compte tenu d’un contexte général favorable (attention à la santé, atouts du régime méditerranéen). La diversification concerne aussi l’agriculture biologique. En 2008 le Languedoc-Roussillon est avec la région P.A.C.A., une des deux régions qui possèdent une S.A.U. en agriculture biologique supérieure à la moyenne nationale (5% en Languedoc-Roussillon pour 2,1% en France)282. Un secteur qui est en progression constante. Pour ce qui concerne l’Hérault on note une certaine spécialisation dans la production du melon. Cette culture constitue 69% de la récolte régionale et 13% de la récolte nationale en 2007 et couvre 68% de la surface légumière du département, 2.492 ha. On signale la baisse des surfaces à asperges (-31% entre 2004 et 2007) et des tomates (-81%, même période). Ces deux cultures sont en régression aussi en termes de production : -45% pour les asperges et -76% pour les tomates, toujours entre 2004 et 2007. Vient ensuite la production de salades (rouge du Midi ou de Montpellier). La culture en plein champ ou sous abris-bas est largement majoritaire (96 % des surfaces en légumes frais en 2007). Les serres sont majoritairement non chauffées. En termes de chiffre d’affaire la production légumière représente 14,20 millions d’euros en 2005. Elle est en baisse régulière depuis 2001 (-26% en 2007).

Fig. 67 – Répartition de la S.A.U. à légumes du département de l’Hérault en 2007 (Source, préfecture de l’Hérault, 2007).

Dans l’Hérault, les producteurs de fruits sont 1731 en 2007 dont près des trois quarts exploitent des oliveraies. Seulement une partie d’entre eux ont la production de fruits comme activité principale. Les productions fruitières se répartissent principalement entre les olives (45% des surfaces), les pommes (27% de surfaces), les cerises (12%), les pêches et nectarines, les amandes et les abricots. Elles occupent 2972 ha en 2007. La production globale de fruits est en baisse, notamment pour la pomme (-15% entre 2003 et 2007) et la cerise (-55%). En termes de chiffre d’affaire la production de fruits représente 59,12 millions d’euros en 2005. Malgré des années difficiles entre 2004 et 2006, elle est en hausse régulière (+32% entre 1995 et 2005).

282 www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/323_Agriculture_biologique_1_.pdf

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Fig. 68 – Répartition de la S.A.U. des productions fruitières du département de l’Hérault en 2007 (Source : préfecture de l’Hérault, 2007).

5.1.6. Un élevage extensif, artisanal et à haute valeur naturelle. Dans l’ensemble des espaces qui entourent « l’amphithéâtre méditerranéen » du Languedoc Roussillon l’agriculture conserve une place plus importante que dans les plaines. Ces zones restent pour une part encore hors du « moteur démographique » régional, même si la déprise rurale est stoppée globalement et les prévisions officielles avancent l’hypothèse d’une reprise démographique plus nette, confirmant ce que les chercheurs cités plus haut avaient déjà constaté avec quelques années d’avance283. L’agriculture se concentre autour des activités d’élevage, généralement associées aux travaux forestiers et à différentes formes de services ou revenus complémentaires (tourisme estival ou hivernal, secteur médico-social, emplois pour les collectivités, cueillettes…). La production laitière continue d’y régresser au profit de l’élevage extensif bovin, avec une progression des surfaces moyennes par exploitation et, dans plusieurs cantons, une stabilisation du nombre d’exploitations (Touzard et Klajman, 2006). Les activités agroalimentaires sont donc essentiellement liées à la transformation du lait et de la viande et sont dominées par des PME et unités à caractère artisanal qui ne transforment qu’une partie des productions agricoles locales. En 2008 23% des exploitations professionnelles du Languedoc-Roussillon, correspondant à 4.000 exploitations, représentent 12% de la production agricole régionale soit 56% de la S.A.U. La Lozère est le département plus concerné, mais l’activité est présente aussi dans les autres montagnes et zones de piémont, ainsi qu’en Camargue (AOC Taureau de Camargue). Au-delà du cheptel herbivore existent aussi des exploitations hors sol où se concentrent 6,6 millions de volailles, 68.000 porcs charcutiers et 95 millions d’œufs de consommation.

Surfaces « en herbe » (fourrages + prairies cultivées + prairies naturelles + parcours)

562.200

Surfaces Toujours en Herbe (prairies naturelles + parcours) 498.600 Part de la STH dans la surface totale utilisée 88,7%

Surface totale de parcours 387.100 dont parcours collectifs 110.100

Part des parcours dans la surface totale utilisée 68,9%

Tab. 37 – Répartition de la surface régionale destinée à l’élevage (Source : Etat des lieux de l’élevage, 2010).

L’essentiel de l’élevage est constitué par les parcours (68,9%). Ces espaces sont constitués par une végétation naturelle, de type spontané, caractérisée par une faible productivité, utilisable

283 http://www.lozere.developpement-durable.gouv.fr/article.php3?id_article=116

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presque exclusivement pour le pâturage. En effet l’herbe n’est pas toujours la principale ressource végétale ; on la trouve dans les estives des montagnes (Pyrénées, Lozère), mais une grande partie de ces surfaces (pelouses, garrigues, « matorral », « près salés », châtaigneraies, etc.) requièrent des savoir-faire spécifiques et un suivi constant, sans lesquels elles ne pourraient pas être valorisées profitablement par les troupeaux. Les sols accidentés souvent ne permettent pas d’exploiter autrement le foncier. A cela s’ajoutent les conditions climatiques méditerranéennes, très contraignantes : ensoleillement très fort, sécheresses estivales, vents très soutenus. Ces conditions expliquent la permanence de systèmes d’élevage extensif, adaptés à ces milieux particuliers (Etat des lieux de l’élevage, 2010). Encore, ces espaces se trouvent souvent au centre de véritables conflits d’usage entre plusieurs catégories sociales : promeneurs, forestiers, chasseurs (Raynal, 2006). Cela complexifie ultérieurement la pratique de l’élevage et risque de rendre précaire la conduite de l’exploitation. Enfin, la prise en compte des problématiques environnementales par les politiques, notamment aux échelles internationales, se traduit localement dans une multitude d’enjeux environnementaux qui confèrent aux éleveurs des responsabilités accrues. Parmi les régions françaises le Languedoc-Roussillon est en effet la première de France pour taux de zones classés dans le réseau Natura 2000. A cela s’ajoutent les autres zones protégées, comme les Parcs Naturels Régionaux ou les Parcs Nationaux. L’ensemble de ces zones peut être englobé sous la notion d’espaces à Haute Valeur Naturelle, schématisés dans les cartes suivantes284.

Fig. 69 – Carte des territoires pastoraux (cantons > 250 UGB) du Languedoc Roussillon (Source : Etat des lieux de l’élevage, 2010).

284 Les cartes, les chiffres, ainsi qu’une partie de ces considérations sont tirées du document : État des lieux de l'élevage en Languedoc-Roussillon en 2009-2010, présenté dans la journée régionale « Avenir de l'élevage en Languedoc-Roussillon » à Agropolis, Montpellier, 11 février 2010. Disponible en ligne dans le site : www.languedocroussillon.chambagri.fr/no_cache/sud-de-france-montagne-elev/documentation.html?print=1

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Fig. 70 – Carte des territoires soumis à enjeux environnementaux (zones Natura 2000, réserves naturelles, sites classés, parc naturels, etc. – Source : Etat des lieux de l’élevage, 2010).

La superposition des deux cartes donne une idée assez claire de la coïncidence entre territoire de l’élevage et zones à enjeux environnementaux. L’élevage extensif représente donc la voie d’élection pour une gestion durable et appropriée de ces espaces à HVN, comme cela a été reconnu par la commission européenne : « la forme d’agriculture la plus précieuse pour la conservation de la biodiversité dans toute l’Europe est l’élevage extensif, valorisant une végétation non « améliorée » (c'est-à-dire ni semée, ni fertilisée), qui est pâturée, broutée ou fauchée à des fins fourragères, comme le confirme une importante littérature scientifique (voir, par exemple, Bignal et al., 1994 ; Bignal et MacCracken, 1996) »285. 285 Beaufoy G. et Tamsin C., Document d’orientation pour l’instruction de l’indicateur d’impact HVN, Période de Programmation 2007-2013, Communautés européennes, 2009, pag. 5.

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Encadré 4 - Le cheval : une filière en émergence. Le cheval est présent sur l’ensemble du territoire régional. Les élevages sont les plus gros consommateurs d’espace. D’après le dernier Recensement de l’Agriculture en 2000, les exploitations possédant 3 juments poulinières ou plus occupent près de 50.000 hectares soit une moyenne par exploitation de 60 hectares. Les élevages possédant 8 juments poulinières ou plus occupent en région 23.000 hectares. Ces exploitations possèdent en moyenne 26 équidés et occupent 80 hectares. Les élevages de chevaux utilisent majoritairement des prairies et parcours (en moyenne plus de 85% de leur surface d’après l’enquête). Il s’agit d’un élevage extensif et respectueux de l’environnement. On peut distinguer entre un élevage équin de montagne, basé sur l’élevage de chevaux lourds et un élevage équin « de plaine », davantage axé sur les chevaux de selle. De plus le cheval a la particularité d’être un animal herbivore et monogastrique particulièrement bien adapté à la valorisation de grands espaces peu productifs. Il est souvent présent sur les espaces abandonnés par d’autres productions, en zone rurale comme en zone périurbaine. Ses qualités de débroussailleur du fait de sa consommation et de ses déplacements sont scientifiquement reconnues, mais il est souvent oublié dans les projets pastoraux initiés par les collectivités locales. Le cheval est un moyen privilégié de découverte de l’environnement régional : on compte près de 2.500 kilomètres de chemins balisés pour les équidés et de grandes surfaces du territoire régional ne peuvent être visitées qu’avec le cheval comme moyen de locomotion (Parc National des Cévennes, Parc Naturel de Camargue…). Les chevaux sont les herbivores de loisirs les plus représentés en zone périurbaine. Il peut s’agir de centres équestres, de petits éleveurs ou encore de propriétaires particuliers. Les équidés y remplissent un rôle social (animal de compagnie, animal de loisir, attachement à un mode de vie rural) et économique (vente de prestations d’équitation). On peut estimer le nombre d’équidés détenus dans les établissements équestres à 10.500 individus et ceux détenus par les propriétaires particuliers à environ 10.000 têtes. Depuis 1979 on constate une très forte augmentation du cheptel équin : plus de 90% d’augmentation en 20 ans et augmentation de 36% de 1988 à 2000 (RGA 1979, RGA 1988, RA 2000). Entre 1999 et 2001, selon les données de la statistique agricole annuelle, l’augmentation a été de 18,7%. Cette augmentation, malgré les modifications et les lacunes dans le dénombrement des équidés, est unique concernant les grandes productions animales. Le Languedoc-Roussillon est également largement au dessus de la moyenne nationale en terme de nombre d’équidés par habitant. Le cheval Camargue, avec environ 150 naissances par an, est la deuxième race de chevaux élevée dans la région (après le Comtois) et la première race de chevaux de sang. Elle est aussi la seule race ayant son berceau en Languedoc-Roussillon. Elle est enfin fortement attachée à un territoire, à son patrimoine et à une économie basée sur le jeu taurin et le tourisme. Le cheval Camargue est un cheval très polyvalent, utilisé pour le travail du bétail mais aussi pour le loisir et dans de nombreuses disciplines sportives. La race bénéficie d’une médiatisation importante et reste porteuse d’une image de cheval liberté, mais aussi de cheval de travail, une image intimement liée à sa zone d’origine et à ses traditions. Le cheval Camargue naît et vit dans la région de Camargue qui se révèle prépondérante pour le développement de ses qualités. Cette région que l'on désigne comme le « berceau de race » est délimitée par le triangle Tarascon, Montpellier et Fos sur Mer. N’ont droit à l'appellation « Camargue », que les produits nés et élevés en « manade » c'est-à-dire en troupeau et en élevage extensif (extrait du site du Conseil des Equidés du Languedoc-Roussillon - www.terre-equestre.com).

L’élevage extensif représente un moyen efficace pour l’entretien du territoire et contribue à empêcher la fermeture des paysages et au maintien de la biodiversité. Reconnaître cet ensemble de services écosystémiques rendus par les éleveurs signifie aussi leur permettre de maintenir leur activité, à condition qu’elle soit justement rémunérée et valorisée.

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A l’échelle du département se reproduisent les mêmes situations constatées à l’échelle régionale, à savoir : faible contribution du secteur à l’ensemble de la production agricole (4,2%), présence beaucoup plus sensible en montagne que dans la plaine286. L’élevage se caractérise aussi par son caractère extensif, mais sur ce point le département se distingue de la région : les tailles moyennes des exploitations sont en effet de 243 ha pour les ovins/caprins et 297 ha pour les bovins, au-delà de la moyenne nationale (inférieure à 90 ha pour les deux filières) et régionale (environ 150 ha). Au total les superficies toujours en herbe (55.474 ha) et les fourrages (7.498 ha) représentent en 2007 32% de la S.A.U. totale du département.

Fig. 71 – Carte des surfaces toujours en herbe dans les communes de l’Hérault (Source : Préfecture de l’Hérault, 2007).

Les éleveurs sont principalement orientés vers les bovins pour la production de viande, vers les ovins et les caprins, productions qui se concentrent pour l’essentiel dans le nord du département, mais aussi dans l’est, où les races bovines liées à la tauromachie montrent un certain dynamisme. La production avicole (volaille de chair et poules pondeuses) est également présente sur le département. Elle représente même plus de 30% du chiffre d’affaire des productions animales. L’élevage de porcs est moins important. A l’exception du cheptel ovin, le cheptel départemental reste de dimensions modestes, réparti à travers quelques centaines d’exploitations. En terme de taille du cheptel, les élevages bovins et ovins professionnels se différencient : les premiers sont plutôt petits (74 animaux) alors que la taille moyenne des troupeaux d’ovins (289) est supérieure à la moyenne régionale. Les tableaux 38 et 39 attestent d’une hausse des cheptels de bovins et de chèvres, parallèle à une diminution des exploitations, ce qui peut être interpreté comme une professionalisation de l’activité (labels). La filière des ovins est en crise structurelle et encore plus celle des porcins, qui semble meme vouée à disparaître. Globalement le chiffre d’affaire dégagé par les

286 Nous reprenons ici les informations données par la préfecture de l’Hérault, à travers la direction départementale de l’agriculture et de la foret, contenues dans un document sur la filière élevage en Hérault disponible sur le site : www.herault.pref.gouv.fr/actions/agriculture_presentation/pdf/presentation_elevage.pdf

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productions animales a chuté de 15% entre les années ‘90 et les années 2000. Cette baisse est en grande partie liée à la crise de la filière ovin viande dont le chiffre d’affaire a diminué de 38% durant la même période ainsi qu’à une baisse du chiffre d’affaire de la production d’œufs (-30%). Par ailleurs, les exploitations animales d’herbivores dépendent fortement des aides du premier et du second pilier (aides animales, prime herbagère, indemnité compensatoire de handicap naturel). Actuellement leur survie semble en grande partie liée à l’évolution vers les productions de qualité (AOC Roquefort, AOC Pélardon, AOC Bleu des Causses, Perail).

1970 1988 2007 Variation 2007/1970

Bovins 3.385 6.484 11.669 +80% Brebis mères 49.613 44.419 37.343 -33% Chèvres 2.940 4.700 3.393 +13% Porcins 3.215 5.069 1.750 -84%

Tab. 38 – Taille du cheptel dans l’Hérault (Source : RGA 1970, 1988, enquête structure 2007).

1970 1988 2007 Variation 2007/1970

Bovins 281 196 245 -15% Brebis mères 542 317 378 -43% Chèvres 368 228 284 -30% Porcins 532 152 36 -1378%

Tab. 39 – Nombre d’exploitations (Source : RGA 1970, 1988, enquête structure 2007).

Avant de passer aux études de cas, nous pouvons conclure que l’agriculture languedocienne, et encore plus l’agriculture héraultaise, est dans une phase de profonde restructuration qui n’est pas encore achevée. Le recentrage d’une viticulture productiviste fondée sur la recherche de gros volumes, vers une viticulture fondée sur la valorisation des terroirs impliquera des retombées qui vont toucher la société et l’espace. De nombreuses parcelles sont inévitablement destinées à changer d’usage, une grande partie du vignoble ne pouvant pas faire l’objet d’une zone d’appellation ; encore faut-il voir si les AOC sauront se faire une place dans un marché international de plus en plus saturé par la présence des pays émergents qui produisent à des prix fortement concurrentiels, dans une époque où les politiques alimentaires et de santé publique sont plutôt défavorables à la consommation d’alcool. Ce questionnement renvoie directement aux problèmes de la continuité de l’activité et de la reprise de l’exploitation par les jeunes qui, dans une région au taux de chômage le plus élevé de France, peuvent se trouver dans des situations difficiles voir dramatiques lorsqu’ils abandonnent cette filière. Avec pour corollaire les retombées spatiales, compte tenu que la vente de la parcelle devient un complément « naturel » au départ à la retraite des exploitants. Au-delà du secteur viticole, on constate une grande hétérogénéité de petites productions présentes sur un territoire tout aussi diversifié, qui nécessitent d’être valorisées par des outils conséquents : la création d’une marque ombrelle régionale peut être interprétée dans ce sens. La labellisation des productions progresse et plusieurs filières ont déjà obtenu la reconnaissance officielle. Cependant le développement démesuré du vignoble dans le siècle passé a eu comme conséquence de laisser derrière lui une pluralité de micro-productions souvent limitées à des terroirs plus ou moins définis qui sont aujourd’hui autant d’atouts, mais qui ne possèdent pas toutes la taille critique pour obtenir une indication géographique. La mise en place de soutiens adaptés à ces productions de terroir et plus généralement la valorisation de l’agriculture de terroir constituent une alternative sérieuse et/ou une activité complémentaire à la restructuration viticole. Dans ce sens aussi ces productions peuvent contribuer à un développement plus harmonieux du territoire.

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5.2. Le processus de valorisation du navet noir du Pardailhan. 5.2.1. Introduction. Le plateau du Pardailhan se situe dans l’ouest du département de l’Hérault, à environ quarante kilomètres à nord de la côte méditerranéenne et fait partie du groupe montagneux des avants monts. Le plateau du Pardailhan est constitué par une pente douce qui s’élève entre environ 400 et 800 mètres d’altitude. Ces conditions expliquent un climat de type méditerranéen montagneux, avec une pluviométrie plus élevée par rapport à la plaine méditerranéenne, un ensoleillement réduit et une forte exposition aux vents. Les températures sont en moyenne légèrement inférieures de 4 à 5 degrés par rapport à la plaine. Ainsi, en arrivant à Pardailhan par la route qui relie Béziers à Saint Chinian on quitte progressivement les paysages viticoles pour trouver pâturages et vaches, landes et moutons, forêts de châtaigniers où prospèrent les sangliers. La commune est composée d’une dizaine de hameaux, qui ont vu partir leurs habitants à travers un exode rural qui a commencé dans le XIXème siècle et qui a atteint son seuil le plus bas en 1975, quand on ne comptait plus que 83 habitants. Les recensements successifs semblent confirmer la thèse valable pour l’ensemble du territoire régional d’un retour vers l’arrière pays : 102 habitants en 1982, 126 en 1990, 164 en 1999. La motorisation qui favorise la mobilité des individus et l’amélioration du niveau de vie peuvent expliquer ce changement, mais le choix résidentiel semble également y compter pour beaucoup. Aujourd’hui les activités locales se concentrent autour d’une polyculture pratiquée sur quelques dizaines d’hectares, dont le navet noir est le produit principal. Certains villageois élèvent des ovins, des chevaux, depuis quelque temps ont été réintroduites aussi des vaches. L’environnement préservé a permis le développement d’un tourisme vert, avec une pluralité de gîtes ruraux. C’est ainsi qu’à l’occasion de la deuxième édition des trophées de l’agritourisme, organisée par la région en mai 2010, c’est un gîte de Pardailhan qui a gagné le premier prix dans la catégorie environnement et développement durable. La rénovation et donc la multiplication des maisons secondaires est aussi une source d’impôts pour la mairie locale. La qualité des navets du Pardailhan est reconnue depuis très longtemps : le produit apparaît même dans un cours d’agriculture datant 1789 et dans un autre document similaire de 1801, de provenance espagnole. Face à une telle réputation il avait été mis en conserve à la fin du XIX ème siècle et il avait obtenu des prix dans les expositions internationales. Mais après la dernière guerre, l’agriculture a décliné sensiblement à Pardailhan et avec elle la culture des navets aussi. Quelques producteurs ont cependant maintenu la tradition, vendant eux-mêmes sur les marchés des villes proches : Béziers, Saint-Pons, Narbonne. 5.2.2. Caractérisation du produit. Les producteurs ont les idées très claires à propos de leur produit et ils précisent que « on dit Navet du Pardailhan et non Navet de Pardailhan car on parle d'un terroir et non de la commune composée de plusieurs hameaux ». Ce terroir est bien défini : il s’étend sur 3.169 hectares à une altitude moyenne de 550 mètres sur la commune de Pardailhan et une petite partie des communes de Babeaux-Bouldoux et de Ferrières Poussarou. Les sols sont profonds et caillouteux, riches en matière organique et peu calcaires. A la fois frais et légers, ils ne présentent aucun obstacle dans les 50 centimètres exploités par le navet. L’argile, présente en profondeur, permet de maintenir une certaine fraîcheur favorable à la croissance régulière du navet noir. La présence complémentaire d’éléments grossiers, favorise un drainage efficace indispensable après les pluies d’automne.

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Le navet est obtenu à partir de la variété de navet noir long de Caluire. De poids moyen de 150 grammes et de 15 centimètres de long, le navet doit effectivement son nom à une peau noire, sous laquelle on trouve une chaire blanche ivoire. Il se présente recouvert d’une pellicule de boue rougeâtre provenant du plateau argilo-calcaire, ce qui en favorise l’identification. Autre caractéristique qui permet de l’identifier est la présence d’une multitude de petites radicelles. Les parties aériennes (la « fane ») sont constituées de grandes tiges supportant de larges feuilles sur une hauteur de 10 à 30 centimètres (Fig. 72).

Fig. 72 – Les navets noirs du Pardailhan après la récolte (Source : www.slowfood.com). Une préparation minutieuse du sol précède le semis. Elle est effectuée par labour et reprise superficielle avec un canadien sur 4 à 6 passages afin de bien préparer le lit de semences et maintenir un maximum d’humidité dans le sol. Le semis est effectué à la volée autour du 15 août, afin de bénéficier des orages favorables à la levée. Le sol n'est pas arrosé ni irrigué, mais doit cependant bénéficier de traitements organiques tels que le compost et le fumier. Le désherbage n’est pas nécessaire. C’est une plante très rustique qui n’a pas de grands parasites : de traitements éventuels contre l’altise et le négril peuvent cependant être effectués après la levée. Les populations de sangliers peuvent occasionner de dégâts importants, contre lesquels certains producteurs font recours à la pose de clôtures électriques autour des parcelles ensemencées. En automne le plateau arrête les pluies et les brouillards, très favorables au navet : on dit que le navet « boit » le brouillard par les feuilles. Il est récolté à la main à partir de la fin d’octobre, jusqu’au mois de février. La récolte est faite au fur et à mesure, par éclaircissage, prélevant seulement la quantité nécessaire pour la vente immédiate. Le navet a une bonne aptitude à se conserver longtemps en terre, mais il ne supporte pas longtemps l’aération : après deux semaines commencent à apparaître les signes du desséchement. Depuis la campagne 2005 la commercialisation ne s’effectue plus dans les cagettes en bois ; la plupart des producteurs conditionnent les navets destinés aux grossistes ou épiciers dans un emballage commun en carton d’une contenance de 10 kg. Des emballages en carton pour des quantités moindres sont utilisés par certains. Actuellement les étiquettes d’emballage mentionnent obligatoirement le logo de l’association des producteurs. Le produit est vendu individuellement par chaque producteur. Les caractéristiques organoleptiques du produit renvoient à des senteurs doux, de végétal, tandis qu’au goût on ressent des notes douces d’amande et de noisette, légèrement sucrées, avec une texture croquante en cru, tendre et fondante en cuit. Il se prête à des multiples valorisation culinaires : sauté à la poile et caramélisé, en ragoût, dans le pot-au-feu, râpé en rémoulade… Une versatilité qui contribue à en faire un produit particulièrement apprécié par les chefs cuisiniers.

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5.2.3. Problématisation. Médaillé aux expositions de Paris, Anvers et Bruxelles, le navet du Pardailhan disposait autrefois d’une renommée incontestable qui sortait largement des frontières locales. Entre les deux guerres mondiales sa culture est à son apogée : grossistes et épiciers montaient sur le plateau pour apprivoiser les bassins de consommation autour des villes de Béziers et de Narbonne. Les paysans locaux descendaient avec leurs charrettes une dizaine de kilomètres plus en bas, dans la ville de Saint-Chinian, pour les faire transiter par la ligne de l’autocar. Déjà à l’époque les producteurs laissaient volontairement sur les navets une pellicule de terre rouge, pour les distinguer des autres navets « passagers clandestins ». Successivement l’exode rural se généralise, comme nous venons de voir, et les populations préfèrent s’installer dans la ville où dans la plaine pour pratiquer la viticulture. Dans les années ’60 et ’70 la production devenait confidentielle, réduite à satisfaire les besoins de quelque famille locale. C’est en 1993 que le maire de Pardailhan décide de relancer le navet. Ils forme alors une association avec quelques autres villageois, mais celle-ci restera peu connue, même si le produit, encore très présent dans la mémoire des gens, regagne un peu de sa réputation sur les marchés locaux.

Fig. 73 – Le réseau dans la phase de la problématisation.

5.2.4. Intéressement. Dans cette phase deux sont les événements principaux qui permettent au processus d’évoluer :

- la naissance des projets sentinelles de Slow Food France ; - la rencontre entre les producteurs et Slow Food.

Pendant que le navet noir commençait à sortir d’une dimension strictement locale, Slow Food fait son apparition en France et établie son siège à Montpellier. C’est ainsi qu’un représentant du mouvement, chercheur au CIRAD de Montpellier et qui connaissait déjà le produit, décide de prendre contact avec l’association des producteurs :

« …au départ l’association était très peu dynamique quand moi j’étais arrivé en 2003. C’était le maire qui était le président de l’association et il n’était jamais sorti de Pardailhan : pour lui Montpellier c’était le bout du monde. J’ai eu une conversation avec lui pour le faire venir à un salon qui était surréaliste. Il ne se rendait pas compte : « C’est trop loin, puis la voiture est en panne et puis… ». C’était rigolo, c’était incroyable… Puis il me dis : « Je vais en parler à mon jeune voisin » […] ».

Ce témoignage est significatif du fait que souvent les acteurs locaux donnent pour escomptés des facteurs qui sont en réalité importants. Dans ce cas, le simple fait de « sortir de Pardailhan » sous-entend une possibilité de mettre en valeur une ressource locale (le navet), qui ne possède pas encore de visibilité même à une distance relativement réduite. Ainsi, le « jeune » voisin, qui depuis 1999 avait repris sa résidence sur le plateau pour cultiver le navet en complément de son emploi de cadre, devient le président de l’Association Lou Nap del Pardailha287, qui à l’époque (2003) regroupe 14 producteurs. La rencontre entre cet 287 « Lou Nap Del Pardailha » signifie le navet du Pardailhan en occitane, langue morte locale.

Consommateurs locaux

Producteurs

Autoconsommation

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homme et le porte-parole de Slow Food permet la connaissance et le partage des valeurs du mouvement. En 2003 la sentinelle du Navet noir du Pardailhan est créée, sur la base d’une volonté partagée de valoriser une production liée à un terroir bien défini, par laquelle fournir des réponses aux problèmes de l’emploi et plus en général de développement socio-économique d’un territoire considéré comme marginal. Le mois de novembre elle participe au premier salon Aux origines du goût qui a lieu au parc des expositions de Montpellier. C’est une première en France, le salon rencontre un bon succès de public, il permet de faire connaître au grand public le mouvement de Slow Food, ses idées, des produits et des producteurs venant de plusieurs régions et pays. L’événement a été fortement voulu par le chercheur du CIRAD, actuellement président du comité international de l’Arche du goût, comme lui même a témoigné :

« …c’est lui qui a pris la bonne expérience, parce que ce qui a tout déclenché, c’est quand on a fait le premier salon de Slow Food à Montpellier, en novembre 2003. Moi j’ai fait des pieds et des mains pour faire venir le navet de Pardailhan ».

A coté de ces deux événements il y en a un troisième, autour duquel va se mettre en place un véritable réseau parallèle : c’est la démarche pour l’obtention de l’AOC. En effet, une partie des producteurs étant à la retraite après avoir travaillé comme vignerons pendant de nombreuses années dans les caves coopératives de la plaine, ils cherchent de façon presque naturelle l’appui du bureau local de l’INAO, forts des relations tissées dans leur passé dans le milieu viticole.

« C’est dans notre culture si vous voulez. Les gens qui sont retraités maintenant, dans le navet, certains étaient viticulteurs à Saint Chinian […] avec la culture du vin, c’était l’AOC, donc la demande en AOC est partie là-dessus ».

L’agent local de l’INAO donne un avis favorable à l’initiative des producteurs et il va ainsi les aider à constituer le dossier.

Fig. 74 – Le réseau dans la phase de l’intéressement.

5.2.5. Enrôlement. Dans la foulée du salon montpelliérain, les producteurs se motivent de plus en plus, comme le prouve bien ce témoignage :

« le deuxième événement déclencheur c’est quand on a fait une tournée avec des responsables de Slow Food italiens en janvier 2004, donc juste après, et on avait organisé une réunion à la mairie de Pardailhan. Nous on était là, il y avait les producteurs, il y avait le Parc Naturel Régional, il y avait la chambre de l’agriculture, il y avait un tas de services officiels… Je pense que là aussi, les petits producteurs ont

CIRAD

Slow Food Consommateurs locaux

Association

Producteurs

Autres

consommateurs

INAO

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eu un petit électrochoc : voire que tout d’un coup des tas de gens s’intéressaient à eux ».

Le salon Aux origines du goût sera un rendez-vous incontournable pour l’association des producteurs. Organisé en partenariat avec le conseil général de l’Hérault et le syndicat des producteurs de l’AOC Coteaux du Languedoc, il se répétera en 2005 et en 2007, édition concomitante au salon Vignerons d’Europe. En alternance, dans les années 2004, 2006 et 2008, les producteurs ont l’occasion de connaître la foire internationale de Turin. Au même temps la démarche AOC permet aux producteurs de caractériser le produit et de construire un dossier qui vaut de cahier des charges pour la production du navet. Surtout, le travail pour obtenir la protection européenne vise à empêcher les tentatives de profiter de la réputation croissante autour du navet, qui se multiplient dans les villages voisins. Mais après des années d’efforts pour construire un dossier qui paraissait avoir tous les atouts pour être validé par le comité national de l’INAO, les producteurs reçoivent une douche froide :

« on avait un dossier qui était pas mal, pas mal fait, qui nous avait demandé beaucoup de travail et quand on l’a présenté aux commissions qui étudient les produits… Nous avons présenté notre dossier parce que l’ingénieur de l’INAO qui s’occupe du coin et qui nous aidait à faire l’AOC, nous a dit : « On peut y aller, ce n’est pas mal quoi. Il y aura quelques petits problèmes, mais ce n’est pas mal ». Et en fait ils ont trouvé que nous n’étions pas assez nombreux et que la superficie n’était pas assez grande. On est trop petits pour une AOC ».

Trop petits pour avoir une AOC, autrement dit les producteurs n’étaient pas assez nombreux (ils étaient passés à 18) pour constituer un poids économique capable de gérer les nouvelles conditions introduites dans la reforme de l’INAO de 2007, résumée dans son essentiel dans ce témoignage du chercheur du CIRAD :

« en 2007 les règles françaises ont changé et en particulier, maintenant il faut un système de contrôle externe par un organisme tiers, exactement comme pour l’agriculture biologique, alors qu’en France avant, c’étaient les producteurs et l’INAO qui faisaient de l’autocontrôle, assistés par l’INAO. Ça ne coûtait rien, alors que maintenant ça coûte et donc le bureau local de l’INAO a monté le dossier avec les producteurs, donc ils pensaient que ça pouvait aboutir… C’est parti à Paris et quand c’est arrivé à Paris, les gens ne savaient pas que les règles avaient changé… Donc ils leur ont dit : « Oui, vous n’êtes pas assez forts économiquement pour supporter ce système là… ». Ils n’ont même pas considéré le dossier ».

A travers la reforme de l’INAO l’Etat se désengage : en effet ce n’est plus un agent de l’INAO qui se déplace sur le terrain pour vérifier le respect du cahier des charges, le lien au terroir. La responsabilité passe aux producteurs et aux organismes de gestion (les syndicats), qui doivent établir un plan des contrôles et choisir un organisme de contrôle tiers, agréé par l’INAO. Ce changement n’était pas prévu dans le dossier monté par les producteurs, qui n’a donc pas été considéré… Mais les producteurs, malgré cette « trahison » et le relatif découragement, restent encore accrochés à la démarche AOC, ne serait-ce que parce qu’ils y ont crû et ils y ont dédié du temps et de l’énergie. Aujourd’hui ils espèrent encore de pouvoir obtenir la protection juridique pour leur navet.

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Fig. 75 – Le réseau dans la phase de l’enrôlement.

5.2.6. Mobilisation. Si le travail pour obtenir la reconnaissance juridique n’a pas abouti, la conscience des producteurs de faire partie d’un terroir spécifique en est renforcée.

« Si cette démarche n'a pas encore abouti malgré les efforts de nos producteurs, c'est essentiellement parce que notre aire de production serait jugée trop petite et que nous nous refusons à prendre dans notre appellation des productions qui ne seraient pas conformes à notre savoir faire, issues de cultures copieusement irriguées venant sur des sols ne correspondant pas à notre terroir. C'est donc pour défendre à la fois le consommateur et notre travail que nous avons dans un premier temps enregistré un logo largement reconnaissable et, dans un deuxième temps déposé à l'INPI la marque Navet du Pardailhan ».

L’esprit d’initiative amène les agriculteurs à enregistrer le produit à l’Institut National de la Propriété Intellectuelle, sorte de preuve pour le consommateur de leur engagement dans une production de qualité, respectueuse du terroir et du savoir-faire associé. Le capital symbolique est intégré dans le produit.

Fig. 76 – La marque déposée à l’INPI. (Source : Association des producteurs du Navet du Pardailhan).

Chaque année une journée du Navet du Pardailhan est organisée par l’association. Plutôt intime au départ, cette manifestation s’est progressivement ouverte : elle ne se réalise plus dans la salle des fêtes du village, mais à l’extérieur et à partir de 2006 plusieurs partenaires participent à sa réussite : le personnel de l’Institut Consulaire de Formation (ICF) de

Consommateurs

locaux

Association

Producteurs

Conseil Général

INAO

Autres

consommateurs

Parc Naturel

Slow Food

Syndicat AOC

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Béziers/Saint Pons288, les caves coopératives de Saint Chinian et de Saint Jean de Minervois, le Conseil Général de l’Hérault et le Parc Naturel Régional du Haut-Languedoc, dont la commune de Pardailhan fait partie. Ces mêmes acteurs, avec le concours de la chambre d’agriculture de l’Hérault et d’autres associations locales, ont réalisé en 2006 un livret de recettes autour du navet. En 2007 cette journée a été l’occasion pour l’association d’organiser la journée nationale des sentinelles du goût, à laquelle sept des huit sentinelles alors existantes en France ont répondu. C’est une preuve ultérieure de l’appropriation de la ressource-terroir de la part des producteurs locaux. Le travail de Slow Food est ainsi reconnu et apprécié. La phrase : « pour être connus à Montpellier il faut être connus sur Paris » explique bien le fonctionnement réticulaire de Slow Food et la dimension d’une réputation retrouvée. La médiatisation et le travail de communication dopent les ventes et aujourd’hui la zone de Montpellier s’est ajoutée au bassin traditionnel de Béziers. Le navet se vend entre 2,20 € et 2,50 € localement, mais à Montpellier ou dans les foires le prix est plus haut. C’est un prix qui pourrait être supérieur pour cette production à forte valeur ajoutée, mais les agriculteurs rechignent à toute augmentation, au moins pour les marchés de proximité. Au même temps ils se déclarent très contents de Slow Food et ils considèrent qu’ils n’en profitent pas assez :

« si vous voulez, on en profite pas de Slow Food. Parce que on n’a pas une grosse production et… Slow Food nous permettrait de nous développer beaucoup plus : on a de la demande maintenant dans des endroits assez lointains, mais cette demande là on ne la satisfait pas quoi… Puisqu’il y a tout qui s’en va sur le secteur quoi ».

En somme, la demande est aujourd’hui supérieure à l’offre. Cela n’est pas sans conséquences. La présence aux foires internationales est remise un peu en discussion, les producteurs ne possédant pas les moyens pour livrer à l’étranger les navets dans des bonnes conditions, s’agissant d’un produit qui ne tolère pas trop l’aération. Et en plus la demande est toujours pour des petites quantités de produit, souvent pour des restaurants, avec des conséquences sur les frais d’expédition. C’est principalement pour ces raisons que l’association s’est aujourd’hui concentrée sur le marché national, plus facile à satisfaire. Une solution pourrait être représentée par la transformation du navet en conserve, mais il s’agit encore d’une expérimentation. Autre problématique actuelle est la sortie de l’association de deux producteurs, lesquels fournissent le navet à deux enseignes de la grande distribution à Béziers. Ceux-ci produisent en irrigué et pourraient capter la rente associée à la réputation retrouvée, d’où l’intérêt pour un label officiel, qui seul peut garantir le respect de conditions et de règles codifiées. La marque déposée en effet ne suffit pas à empêcher les phénomènes de type free-riding, c’est-à-dire de producteurs « tricheurs » qui s’appuient sur le nom sans respecter le lien au terroir et le gage de qualité associé. Avec un signe officiel ces phénomènes seraient bloqués par la répression des fraudes, tandis que la marque déposée implique une procédure plus longue et coûteuse, le recours à un avocat, etc. C’est une problématique encore latente est pas vraiment manifeste, interne à l’association, qui laisse cependant prévoir des futures « traductions ». Globalement, l’expérience est sans doute positive : les producteurs associés sont aujourd’hui 18, dont un tiers sont des retraités, un tiers sont des néoruraux et un autre tiers sont des gens qui cultivent le navet comme deuxième activité. La production a plus que doublé, estimée entre 50 et 70 tonnes totales (compte tenu les deux non associés). Slow Food a certes joué un rôle majeur dans cette communauté de la nourriture, qui retrouve du lien social et vit avec fierté autour de sa racine, même si le navet reste un produit de niche, produit en quantité limitée.

« Une quantité limitée, et… Les néoruraux déjà, ils sont venus ici, pas dans l’esprit de venir ici de faire de l’argent avec… Déjà de venir ici… Donc cela… J’ai des collègues

288 Il s’agit d’un établissement d’enseignement professionnel de la restauration et de l’hôtellerie.

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là qui, bon, ils font une quantité de navet et ils la font en bio mettons, ils font des marchés avec et puis je ne sais pas… Ils ne cherchent pas, ils ne s’emmerdent pas avec des grossistes, de la distribution. Donc, ça déjà c’est difficile… Les retraités qu’il y a dans l’association, bon, ils en vendent un peu comme ça, mais ils ne cherchent pas non plus… Ils sont à la retraite, ils en ont assez quoi. Et puis après il y a des gens comme moi, cet-à-dire qui travaillons, qui sont juste des jeunes retraités, qui essayons de le pousser un petit peu plus, mais on a du travail par ailleurs quoi : moi je travaille dans une banque, un autre travaille dans une coopérative, donc ces gens là, comme moi… On n’a pas trop le temps de faire… Donc, ça viendra, mais… On se coince un peu. La seule possibilité pour développer ça… Il faut que les néoruraux, entre guillemets, tous ces jeunes qui sont agriculteurs et qui ont du potentiel, mais qui ne sont pas trop là-dessus, il faut que ceux là ils s’investissent un peu plus. Alors bon, en vieillissant peut être ils le feront ».

Fig. 77 – Le réseau dans la phase de la mobilisation.

?

ICF

Consommateurs

locaux

Association

Producteurs

Conseil Général

INAO Consommateurs

extérieurs

Parc Naturel

Slow Food

Caves

cooperatives

Chambre

Agriculture

Autres

associations

locales

Restaurateurs

Autres

producteurs

Consommateurs

INPI

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5.3. Le processus de valorisation du fromage Pélardon affiné. 5.3.1. Introduction. Le fromage Pélardon affiné n’a pas encore complété son processus de valorisation et pourtant l’étude ne peut pas se définir complète. En effet le produit est encore en voie de définition et l’alignement des différentes conceptions de la qualité attribuées au fromage est actuellement en cours. Nous allons ainsi retracer la trajectoire de ce fromage de chèvre qui depuis l’an 2000 est protégé par l’appellation d’origine contrôlée. Le Pèlardon est un fromage de chèvre dont le berceau historique se situe dans les Cévennes, ensemble montagneux à cheval entre le Gard et la Lozère. Traditionnellement il était destiné à une consommation familiale, dans des territoires ruraux où l’activité économique principale était l’élevage de brebis et de chèvres pour la production de lait et de viande. Le surplus de production était transformé en fromage. Avec l’exode rural et le modèle de production fordiste les systèmes traditionnels disparaissent et ceux qui restent se spécialisent vers la vente. Les soixante-huitards et d’autres nouveaux venus constituent un ensemble de néoruraux qui s’installent dans les zones difficiles et qui vont s’insérer dans le tissu économique local ; ces populations développent la transformation et la commercialisation du Pélardon, mais refusent tout compromis vers des méthodes intensives. Les néoruraux participeront activement à la mise en place de l’AOC, à travers leur implication dans les associations locales ou dans les institutions municipales, ainsi que dans les syndicats caprins départementaux. Ils ont aussi aidé et orienté les experts dans la mise en place du zonage (Ricard, 1999 ; Durand, 2000). Dans les années ‘80 d’autres néoruraux s’installent ; ceux-ci ont suivi des formations agricoles et rendent ainsi les systèmes d’élevage et de production plus performants, ce qui amène à une hétérogénéité de modes de production, de personnalités, de convictions (Boutonnet et al., 2005). Le rôle des néoruraux est important aussi parce que par leur origine extérieure à la zone, ces exploitants migrants ont contribué à élargir le marché, faisant découvrir leurs produits aux personnes qu’ils connaissent dans leurs lieux d’origine (Durand, 2000). La participation au projet AOC leur a enfin permis de s’intégrer dans le milieu local (Durand, 2000). Face à la crise du lait de chèvre qui démarre en 1983 de nombreux producteurs décident de transformer eux-mêmes le lait en fromage (Carton et al., 1997). En parallèle la région décide d’élaborer une marque commerciale pour le Pélardon, appelée : Languedoc-Roussillon, lancée en 1986 (Benkahla, 2003). La marque rencontre la participation de nombreux éleveurs, dont beaucoup de néoruraux. Le but de cette démarche était « de maintenir les exploitants agricoles et même de dynamiser ce secteur économique dans des espaces plutôt difficiles »289. L’initiative régionale est positive ; elle s’essoufflera au début des années ’90, mais elle laisse en héritage le syndicat des producteurs du Pélardon, qui détient aujourd’hui un rôle primordial. Au milieu des années ’80 certains éleveurs se rencontrent pour discuter de l’augmentation de la concurrence des entreprises d’autres régions (en particulier une entreprise du Poitou), ainsi que des entreprises espagnoles, lesquelles exportent à des prix bien inférieurs aux prix régionaux. Une centaine de producteurs s’organisent dans l’Association de Défense du Pélardon (ADP), qui voit le jour en 1988. Cette association sera à l’origine de la demande de l’AOC en 1993 « pour une amélioration de la qualité, la reconnaissance du produit comme un produit de qualité et la résistance par rapport à la concurrence de fromages comme le Rocamadour ou du caillé espagnol permettant la production de « Pélardons » bon marché […] le maintien de petites unités de production en zone défavorisée et la conservation

289 Durand M., La territorialisation de l’AOC Pélardon, mémoire de maitrise de Géographie, dirigé par Cortès G. et Berger A., université de Montpellier, 2000, pag. 14.

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du niveau de vie de ces petits producteurs »290. Le dépôt du dossier à l’INAO se fait en 1993. Une commission d’experts, dont un géographe ruraliste, deux anthropologues et un zootechnicien de l’INRA est chargée d’identifier la zone d’appellation, définie en 1997 (Ricard, 1999 ; Benkahla, 2003). Celle-ci montre un glissement du noyau historique cévenol - où se concentrent les exploitations - vers l’ouest, ce qui peut rendre perplexes.

Fig. 78 – Le zone de production de l’AOP Pélardon (Source : Syndicat des producteurs, site internet).

Ainsi D. Ricard291 nous dit que « l’homogénéité du milieu naturel a été un argument fort » et que le Pélardon d’AOC est un « fromage de montagnes méditerranéennes, des milieux difficiles ». L’enquête anthropologique a été délicate, même si elle a montré « l’existence, au moins dans certaines régions des Corbières et du versant sud de la Montagne Noire, d’une réelle tradition caprine de fromages similaires au Pélardon ». Le même auteur reconnaît que les AOC peuvent participer à l’aménagement du territoire, mais « l’erreur serait de faire

290 Carton S., Ciechelski S., D’Andrea A., Pistolesi J., Impact de la mise en place de l’AOC Pélardon pour la coopérative des Chevriers de l’Hérault à Lodève et la fromagerie des Loubes à Montignargues, projet d’ingénieur de l’Ecole Nationale Supérieure Agronomique de Montpellier, 1997, pag. 4. 291 Les citations suivantes se réfèrent à : Ricard D., Qualité et terroir : les zones d’AOC fromagères, dans : Sud Ouest Européen, n. 6, 1999, pagg. 35-37.

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passer la volonté d’aménagement du territoire avant la logique interne de l’AOC, ce qui conduirait à élargir à l’extrême les zones d’AOC à la plupart des milieux difficiles sans se soucier vraiment du terroir ». Sans compter que « des pressions politiques peuvent s’exercer, susceptibles de retarder la signature ministérielle… ». Les motivations de ce zonage seraient alors plutôt d’ordre politique et économique et vont cherchées en premier lieu dans la volonté du conseil régional qui « avait brouillé les cartes », puisqu’il visait l’ensemble de la région administrative (marque Languedoc-Roussillon). En deuxième lieu elles s’expliqueraient par le désengagement d’une coopérative dans l’Aude, qui avait poussé les éleveurs à choisir la transformation fermière, d’où le choix « de retenir le Cabardès ainsi que les terres les plus rudes des Corbières, deux régions particulièrement difficiles où les risques d’intensification et d’industrialisation de la filière sont forts limités »292. Au total ce sont près de 500 communes qui rentrent dans l’appellation : 62 dans l’Aude, 222 dans le Gard, 163 dans l’Hérault, 45 en Lozère et 1 dans le Tarn, qui représentent 13.000 km2, presque la moitié de la région administrative. Finalement le décret est signé en 2000, trois ans après le zonage. Actuellement la filière lait caprine, et en particulier la filière Pélardon, est caractérisée par une diversité d’acteurs et de systèmes de production (Boutonnet et al., 2005). En 2005 on comptait dans la région 547 éleveurs de chèvres dont 450 transformaient leur lait en fromage et 97 étaient des fournisseurs de lait. Présent sur tout le territoire régional, le troupeau caprin valorise surtout les zones les plus difficiles (accidentées, structures de petite dimension…). Selon les informations de l’Etat des lieux de l’élevage en 2009 la région compte 21.790 chèvres, soit 3.8% du cheptel national. Un effectif en baisse régulière depuis plus de 20 ans. Sur une production régionale qui avoisine 11 millions de litres de lait, 2 millions sont collectés par deux coopératives « artisanales » :

- la Fromagerie des Cévennes à Moissac qui reçoit 1,6 millions de litres chez 29 producteurs principalement du Gard et de la Lozère.

- la coopérative des Chevriers de l’Hérault à Lodève : 450.000 litres collectés chez 8 producteurs sur Gard, Hérault et Lozère.

Les ventes des deux coopératives sont principalement basées sur l’AOC Pélardon, le signe de qualité qui représente une grande partie de la filière caprine du Languedoc Roussillon : on dénombre actuellement 103 producteurs en AOC Pélardon dont 71 fermiers et 32 laitiers. Ils produisent 220 tonnes de fromages chaque année. Indispensable à la filière, notamment sur les ventes hors région, le syndicat des producteurs de Pélardon doit aujourd’hui faire face aux nouvelles réglementations et prendre à sa charge les coûts des contrôles. D’autres produits très diversifiés et sous marques commerciales permettent à ces opérateurs de proposer une vraie gamme. Traversant quelques difficultés et fragilisées par des dimensions économiques limitées, les deux coopératives doivent aujourd’hui consolider leur activité. A coté des coopératives existent aussi deux entreprises privées : la fromagerie des Loubes et la fromagerie la Cigaloise, qui s’occupent de l’affinage et de la commercialisation. Cependant, comme le montre Daniel et al. (2007) seulement 37% des éleveurs et 28% des producteurs fermiers rentrant dans le zonage adhèrent à l’AOC, ce qui s’explique par la nature des circuits de distribution. Selon l’auteur on peut en effet distinguer trois modes de commercialisation du produit :

- un circuit court (vente directe) qui concerne 10% des producteurs fermiers faisant partie de l’AOC, mais dans lequel rentrent aussi 65% des non adhérents (fromage dit « type Pélardon ») ;

- un circuit de grosses exploitations qui vendent plutôt dans des circuits longs (commerce régional et national), et qui transforment 4% du lait en Pélardon AOC et seulement 1% en fromages « type Pélardon » ;

292 Ricard D., op. cit., 1999, pag. 38.

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- un circuit mixte, dans lequel rentrent les entreprises laitières et les coopératives, lesquelles répondent à une offre locale (20%), mais qui fournissent surtout (80%) la grande distribution (Benkahla, 2003). Elles transforment 7% du lait en fromage AOC et 14% en d’autres fromages sans appellation (bûches, tommes, etc.).

On retiendra, en accord avec A. Benkahla (2003) que le marché porteur pour l’AOC est celui de la grande distribution et des grossistes nationaux. A coté de celui-ci existe un marché plus local, dans lequel nous trouvons les petites exploitations qui n’ont pas accès à ces autres marchés. Or les grossistes et la grande distribution imposent d’avoir des approvisionnements réguliers sur l’année, ce qui se traduit par une distorsion du cahier des charges, puisque cela nécessite de désaisonnaliser la production293. De plus, les pressions sont plus fortes à la fin de l’année, en période de fêtes, quand le produit est plus rare et quand la demande pour les produits à haute valeur ajoutée grimpe. Ainsi, outre au zonage de l’AOC, on se retrouve face à une nouvelle barrière à l’entrée : « la nécessité de produire du Pélardon AOC et pouvoir le vendre sur un marché où il sera valorisé correctement, de désaisonner son troupeau et d’avoir une structure d’exploitation adéquate. De ce fait, ce sont prioritairement les petites exploitations qui ne désaisonnent pas qui se retrouvent exclues 294». Le résultat est paradoxal, puisque l’AOC, qui par définition devrait préserver les usages locaux, loyaux et constants, se développe sur des marchés qui imposent non seulement des prix, mais aussi des pratiques qui ne semblent pas tout à fait celles traditionnelles. C’est aussi la raison pour laquelle le pourcentage d’adhérents à l’AOC est bas, nombre de fermiers préférant rester en dehors car ils semblent profiter également de la renommée du Pélardon, même s’ils vendent des fromages qui ne s’appellent pas comme ça. Encore une fois on se trouverait face à des « passagers clandestins ». Au final, on se retrouve face à un marché extérieur élargi, mais qui semble bénéficier à une minorité d’éleveurs de taille importante, tandis que les petits éleveurs, positionnés sur des marchés de proximité, ne semblent pas profiter de l’appellation, souvent n’y voyant même pas d’intérêt puisqu’ils s’insèrent dans un « monde de la commercialisation » domestique, où la confiance avec les consommateurs s’est développée au fil du temps. Cependant, il ne faut pas considérer l’AOC de façon totalement négative. L’AOC a accompli son principal objectif du départ qui était celui de la protection contre une concurrence déloyale. Elle se fonde sur un cahier des charges assez stricte. Elle a entraîné une utilisation plus importante des pâturages et par conséquence elle favorise la diminution du risque d’incendie et préserve les paysages ouverts, avec des impacts sur le tourisme (Boutonnet et al., 2005). Encore, dans les grandes surfaces le fromage sous appellation se vend entre 15 et 20% plus cher que celui sans label. En plus l’exportation hors région peut libérer des places sur le marché local, qui pourraient justement être occupées par les fermiers. Comme l’indique A. Benkahla dans sa conclusion : « ayant du mal à exporter leur production hors région, ils pourraient essayer de se regrouper afin de disposer de volumes suffisants ou s’engager, avec des collecteurs affineurs, vers de nouveaux circuits de fromagers spécialisés ou de restauration haut de gamme »295…

293 Les chèvres tendent naturellement à se reproduire en automne et les mises bas ont lieu vers la fin de l’hiver ou le début du printemps ; d’où un pic de la production au printemps, une réduction en automne et surtout en hiver. Pour désaisonner il est fait recours à l’insémination artificielle et/ou aux traitements lumineux. 294 Benkahla A., Stratégies d’acteurs et performances dans la valorisation de l’AOC Pélardon, mémoire de recherche de l‘Ecole Nationale Supérieure Agronomique de Montpellier, sous la direction de Boutonnet J.-P. et Fort F., 2003, pag. 90. 295 Benkahla, A., op. cit., pag. 117.

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5.3.2. Caractérisation du produit. Le Pélardon qui est valorisé (on devrait dire qui est en train d’être valorisé) dans le projet de Slow Food n’est que la version affinée de l’AOP Pélardon.

Fig. 79 – L’AOP Pélardon (à gauche) et sa version affinée (droite) (Source : Syndicat des producteurs de l’AOP Pélardon, site internet).

C’est un fromage au lait cru et entier de chèvre, à pâte molle, obtenu par coagulation lente, essentiellement lactique. L’affinage doit être de 11 jours minimum à compter de l’emprésurage. Sa forme est celle d’un petit palet à bords arrondis, de hauteur comprise entre 22 et 27 mm et de diamètre entre 60 et 70 mm. Le poids est de 60 grammes minimum à 11 jours. La composition est de 45% minimum de matière grasse et de 40% minimum de matière sèche. La croûte d’un Pélardon est fine, jaune pâle, blanche. La pâte est de couleur blanche à ivoire, de texture homogène et d’aspect lisse à la coupe. L’affinage minimum de 11 jours permet aux arômes de se développer, il a alors une pâte onctueuse et crémeuse et un goût plutôt doux. Dans la version affinée le fromage se présente couvert d’une moisissure bleue. La moisissure apparaît parfois même avant les 11 jours d’affinage minimum. Cela peut alors représenter un problème, puisque la grande distribution ne veut pas de ce fromage ! Sur la durée de l’affinage il n’y a pas d’accord. Nous avons goûté des Pélardons bleus de 15 jours, d’un mois, de deux mois et… De deux ans ! Nous proposons d’expliquer l’affinage avec les mots d’un chef qui a participé à un atelier du goût organisé par Slow Food, que nous avons trouvé sur internet : « peu à peu la croûte, fine, se couvre de moisissures et s’assombrit, la pâte se durcit et devient friable et plus compacte. Quasiment inodore quand il est frais, son odeur caprine est alors plus évidente et son goût reste léger avec une légère amertume mâtinée d’un soupçon de piquant. Le résultat parfait est difficile à obtenir c’est sans doute pour cela que l’affinage avait été abandonné et aussi parce que le goût plus violent du pélardon affiné ne peut plaire qu’à des palais éduqués à contrario du pélardon frais qui ne heurte absolument pas les papilles »296. Le cahier des charges exprime une attention profonde de préservation du lien au(x) terroir(s). Ainsi on y trouve des indications contraignantes concernant les pratiques d’élevage et les méthodes de transformation artisanales. Outre aux caractéristiques déjà énoncés on y trouve aussi les suivantes :

- le lait doit provenir de chèvres de race Saanen, Alpine, Rove ou de croisement de ces races ;

296 http://www.chazallet.com/blog/magazine/evenement/gastronomie/biac-2007-william-frachot-et-pelardon.asp

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- les animaux doivent pâturer sur les parcours au minimum 180 jours pour les élevages situés à une altitude supérieure à 800 mètres et 210 jours pour les autres ;

- l’éleveur doit garantir au minimum 0,2 ha de parcours par chèvre ; - la base de l’alimentation est constituée des espèces fourragères issues des parcours,

des prairies permanentes ou temporaires ; - le foin doit provenir de la zone d’appellation pour au moins 80% ; - la quantité d’aliments concentrés pour la complémentation est limitée à 400 grammes

par litre de lait produit annuellement ; - l’utilisation de caillé congelé est interdit, ainsi que toute addition de lait en poudre, de

concentré, de colorants ou d’arômes ; - les fromages doivent être retournés au minimum tous les deux jours ; - le fromage peut être affiné et conditionné sur l’exploitation ou par un affineur de l’aire

géographique de production ; - l’emballage du fromage est obligatoirement réalisé dans la zone de production.

5.3.3. Problématisation. Ces conditions de production montrent que la définition du produit a été respectueuse des pratiques artisanales et ne répond pas à des logiques industrielles. Cependant nous avons vu que lorsque le fromage fait l’objet d’une commercialisation dans les circuits longs (grande distribution) les pressions pour une fourniture constante détournent un peu l’esprit de cette codification. Ainsi les petits producteurs sont essentiellement exclus de ce circuit. Pourrait-on interdire la pratique de la désaisonnalisation ? On serait amenés à dire : oui. En réalité les choses ne sont pas si simples. Si les grosses entreprises (les seules qui peuvent se permettre cette pratique) ne fournissent plus les grossistes des grandes surfaces, celles-ci pourraient être amenées à ne plus stipuler des contrats, avec des conséquences pour toute la filière. C’est en effet un problème structurel. Plus de 60% des producteurs vendent sur les marchés locaux une petite quantité du produit, tandis que l’autre tiers écoule la production sur les circuits longs. Perdre ces débouchés ne semble pas souhaitable. Il faut aussi considérer que la filière caprine ne fait pas exception dans l’agriculture régionale : bon nombre d’exploitants sont vieillissants et le renouveau de l’activité n’est pas toujours assuré par les jeunes. En plus il y a un problème lié à la commercialisation des chevreaux après les mises bas : les troupeaux ne peuvent pas s’agrandir sans limite, il faut pouvoir commercialiser les chevreaux, mais les débouchés (80% des chevreaux va en Espagne et en Italie) s’essoufflent. En bref, il nous semble que la production de Pélardon paraît destinée à se concentrer dans des entreprises plus performantes et de type professionnel. Mais revenons au Pélardon affiné. Celui-ci était autrefois consommé avec régularité par les familles qui vivaient de leurs troupeaux. Le fromage en surplus était en effet stocké pour faire face au manque de production pendant l’hiver, quand les chèvres sont taries avant les mises bas :

« L’idée de faire du Pélardon affiné, c’est aussi parce que dans le système traditionnel, pendant trois mois les chèvres sont taries, parce qu’elles portent le chevreau, donc en gros, il n’y a pas de Pélardon. A cette période là, c’est justement la tradition de manger du Pélardon affiné. Parce que, voilà, c’est un fromage qui peut se conserver des semaines et des mois et dans le système moderne, parce que les supermarchés et certains consommateurs veulent des fromages frais on dessaisonne les chèvres de telle manière qu’elles font des chevreaux toute l’année et donc il y a toujours des chèvres en lactation. Du coup il faut leur donner à manger toute l’année, y compris l’hiver quand il n’y a pas d’herbe, donc il faut leur donner plus de tourteaux, de trucs, etc. c’est moins, c’est moins un système herbagé, c’est moins fourragé ».

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La valorisation du Pélardon affiné serait donc motivée, - selon les paroles du Président international de l’arche du goût, qui est aussi le promoteur de cette sentinelle -, par la volonté de sauvegarder une diversité de type culturel. C’est la préservation d’un savoir-faire local, qui fait la qualité du produit. Un savoir-faire qui risque aujourd’hui de disparaître, puisque la grande distribution n’accepte pas de commercialiser ce type de fromages, dont la typicité est garantie par une poignée de producteurs très motivés, qui se tournent vers d’autres canaux commerciaux :

« Nous c’est sur des circuits courts, cet-à-dire épiceries, restaurants, boucheries, absolument pas de grossistes ni de grandes surfaces, rien du tout : nous ne voulons absolument pas rentrer là dedans […]. On préfère travailler sur des circuits courts et à la limite si la coopérative arrête, diminuer le nombre des chèvres ou diversifier, mais on ne veut pas rentrer dans les circuits de la grande distribution : ils veulent notre image mais ils ne veulent pas nos contraintes, donc moi je ne suis pas pour aller négocier mes produits, nous on travaille, on se lève le matin, on a le droit de vivre ».

Fig. 80 – Le réseau dans la phase de la problématisation. 5.3.4. Intéressement. Après le contact du Président de l’arche du goût avec l’ancien président du syndicat, qui était favorable et qui était lui même producteur, sont individués les producteurs les plus motivés pour s’investir dans le projet. Ceux-ci n’étaient même pas une dizaine au départ, en 2003, localisés un peu dans toute la zone d’appellation : dans les Cévennes, ainsi que dans les garrigues héraultaises et gardoises. Aujourd’hui les adhérents au projet sont encore les mêmes, mais les producteurs de fromage affiné sont nombreux, même s’ils n’adhèrent pas au projet. En réalité ils ne valorisent pas ce produit, qui est considéré comme un retour, un invendu. Il y a un déficit d’information : de nombreux membres de l’AOC ne connaissent pas Slow Food. Cependant ceux qui le connaissent ont eu du mal à identifier exactement le produit à valoriser, pour des raisons qu’on peut appeler « techniques » :

« L’affinage du pélardon sentinelle n’est pas une science exacte : on ne réussit pas tous les coups. Il y a des petites années, des grandes années. D’un jour à l’autre ça

Consommateurs

Producteurs

Pélardon frais

Consommateurs

INAO Syndicat

Pélardon

Producteurs

Pélardon

affiné

Cooperatives Fromageries

Grande

distribution

Autres circuits

courts

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peut évoluer beaucoup, parce que chaque fromage… Où dans chaque lot de fabrication, chaque fromage est une petite usine chimique à part qui travaille d’une façon différente d’une fois à l’autre, donc on ne maîtrise pas tout ».

Dans ces conditions trouver un accorde n’est pas simple. Comment faire pour définir un « standard volontaire » ? L’apparition du bleu est par certains producteurs considérée comme une contrainte, pour laquelle le remède est le recours à des ferments commerciaux. Cette pratique ne permet pas de maintenir une typologie de biodiversité invisible et peu connue, celle de la flore microbienne, responsable de la couverture et de l’affinage. Une autre difficulté tient de la participation des membres des conviviums locaux, qui s’est un peu essoufflée à cause de « règlements de comptes ». L’aide des conviviums est important puisqu’ils aident les producteurs avec la participation à des animations, à travers l’organisation de stands de dégustation ou des ateliers du goût. La difficulté n’est pas seulement interne à la production, mais elle se trouve aussi au niveau de la gestion et de la communication :

« Je pense qu’à l’instant on n’a pas suffisamment travaillé, il y a une phase de travail à faire sur la sentinelle, caractériser le produit, puis passer dans la phase un peu plus, je dirais de booster les choses quoi, d’en parler un peu plus. Le problème c’est que effectivement on a un syndicat qui a beaucoup d’autres problèmes à gérer sur l’AOC, parce qu’il y a eu des réformes sur les appellations d’origine donc il y a tout un tas de processus de control qui ont changé, donc voilà ce n’est pas eux leur priorité, donc nous on essaye derrière de faire bouger les choses, mais en arrière il faut des moyens financiers et il faut des moyens humains ».

En effet, les producteurs qui ont pris part au projet sont partis avec leurs produits dans les grandes foires de Slow Food : le salon de Montpellier, le salon du goût de Turin, « Cheese » à Bra et « Eurogusto » à Tours en hiver 2009. Les frais de déplacement sont couverts par les institutions (syndicat ou département), tandis que Slow Food offre les stands et l’hébergement aux producteurs. C’est surtout la fragilité de l’AOC qui empêche le déploiement de moyens humains et financiers pour soutenir cette démarche. On peut dire alors qu’il n’y a pas de proximité institutionnelle, ce qui a provoqué des interruptions dans le processus de valorisation. Un témoignage du Président de l’arche du goût est clarifiant :

« C’est la région qui manque […]. La région ne partage pas du tout les valeurs de Slow Food […]. Déjà en France les régions ne peuvent pas faire des lois. La décentralisation est beaucoup moins importante en France. Cela dit il y a des régions qui ont des politiques de biodiversité et qui ont des conservatoires et qui mènent des actions dans le domaine de la biodiversité cultivée. Mais ce n’est pas le cas ici, de la région […]. Quand George Freches a inauguré le dernier salon du goût qu’on a fait ici en 2007 il nous a dit que tout ça c’était des amusements et que ce n’était pas l’avenir… Que l’avenir c’était autre chose ».

C’est événement n’a pas favorisé la structuration du réseau, au contraire il favorise sa déstructuration. Pourtant la solution avancée par A. Benkahla dans la conclusion de sa recherche sur la filière Pélardon était de développer le positionnement dans les nouveaux circuits des fromageries spécialisées et dans la restauration haut de gamme… Quel avenir pour cette communauté de la nourriture ? Nous croyons que les choses peuvent changer. Les signaux positifs ne manquent pas. Par exemple en 2009, un nouvel octroi de fonds du département a permis de rassembler les producteurs avec un technicien de l’institut national de l’élevage, avec l’objectif de faire un travail de caractérisation organoleptique du produit et l’identification de bonnes pratiques d’affinage. Comme le syndicat des producteurs nous a communiqué, aujourd’hui les membres des conviviums font partie des commissions de dégustation chargés du contrôle organoleptique du

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fromage. C’est une innovation sur laquelle il faudrait miser à notre avis : Slow Food est une association internationale, mais il reste avant tout un mouvement de consommateurs. Faire participer ces derniers à la définition de la qualité, prendre en considération leur avis, représente un atout pour une meilleure reconnaissance du produit. Encore, au printemps 2010 le groupe italo-suisse « Coop » a manifesté son intérêt pour le Pélardon affiné, ce qui est surprenant si l’on considère que la plupart des grandes surfaces refuse tout Pélardon ayant la moindre tache de bleu ! C’est aussi un exemple de la capacité des consommateurs d’influencer les règles du jeu. Il reste à voir si en France le mouvement va se diffuser et gagner en visibilité. En tout cas une stratégie de communication serait un plus qui permettrait de faire avancer le projet, mais les producteurs n’y pourront pas parvenir avec leur propres moyens. Pourtant le potentiel est évident comme témoigne cette éleveuse de Montesquieu, dans l’Hérault :

« La seule chose c’est que si effectivement on a des moyens de communication, ce que je vous disait c’est que, par exemple, j’ai un client sur Pézenas qui a des Pélardons qui deviennent un peu bleu. Les gens ils y vont, comme c’est une boutique de produits bio, où les clients ont un certain niveau financier et une certaine éducation, il y a eu une année où on avait mis des plaquettes Slow Food : les fromages ils ne tenaient pas la semaine ! […]Les gens ils voyaient ça, ils comprenaient la démarche et ils se jetaient dessus. C’est flagrant. Ce n’est pas valable pour tout, mais c’est valable sur certains magasins, sur certains circuits de commercialisation […]. Sans mettre d’étiquette, juste une plaquette en disant que voilà, sur ce produit il y a un travail qui est fait dessus… Bon, il n’y a même pas besoin, il y a juste à mettre une plaquette. Incroyable ».

La coopérative des chevriers de l’Hérault ne commence que maintenant à mettre en avant la spécificité du Pélardon affiné, qui jusqu’à aujourd’hui n’a pas bénéficié d’aucune promotion. Slow Food France est encore jeune, il ne possède pas la réputation qu’on lui accorde en Italie, où il constitue la référence en matière de gastronomie. Cependant parmi les professionnels de la restauration il gagne de plus en plus en popularité. Il nous semble que cette tendance, qui est appelée à se renforcer et à se confirmer, représente une opportunité pour toute la filière du Pélardon, et non seulement affiné, qu’il ne convient pas de négliger.

Consommateurs

Producteurs

Pélardon frais

Consommateurs

Syndicat

Pélardon

Producteurs

Pélardon

affiné

Cooperatives Fromageries

Grande

distribution

Autres circuits

courts

INAO

Slow Food

Institut de

l’élevage

Restaurants

Coop Italie

?

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Fig. 81 – Le réseau dans la phase actuelle. Chapitre 6. Conclusion de la deuxième partie.

6.1. Analyse comparative des processus organisationnels de la qualité.

L’analyse des réseaux a mis en évidence l’existence de processus sociaux de qualification des ressources qui sont révélés par les produits. La méthode de l’acteur-réseau nous permet d’identifier les changements évolutifs de cette construction de la qualité. Comme nous avons déjà souligné la valorisation du Pélardon affiné est encore dans une phase embryonnaire et nous considérons qu’on ne peut pas évaluer le projet en cours, ni tirer des conclusions. Nos observations conclusives se baseront surtout sur les autres produits étudiés. Dans le tableau suivant sont synthétisées les principales évolutions des processus organisationnels étudiés.

Farine de maïs « Biancoperla »

Fromage « Morlacco del Grappa »

Navet noir du Pardailhan

Fromage Pélardon affiné

Problématisation

Réseau local, développement économique à partir d’une variété ancienne.

Réseau local, maintien d’une production fermière (contraintes hygiéniques).

Réseau local, permettre le maintien de la culture du navet.

Réseau local et de filière, associé au savoir-faire et à une différenciation (Circuits courts).

Intéressement

Réseau renforcé, meilleur goût, variété locale comme alliée anti-OGM, valeurs culturelles.

Réseau renforcé, soutien technique pour garantir la transformation du lait cru.

Réseau renforcé, reconnaissance du lien qualité/terroir

Définition de bonnes pratiques d’affinage. Reconnaissance de la qualité du produit affiné ?

Enrôlement

Réseau élargi à l’extérieur, salons, restaurants, positionnement dans le créneau de la haute qualité.

Réseau densifié, qualité du produit associée à la relance de la race locale.

Réseau élargi à l’extérieur, qualité reconnue, restaurants, salons.

-

Mobilisation

Réseau en crise, croissance quantitative, mais présence de leaders et de problèmes sanitaires.

Réseau élargi à l’extérieur, réputation élargie avec imitations, obtention de l’IG ?

Réseau densifié, croissance quantitative, réputation élargie, problème des passagers clandestins.

-

Tab. 40 – La construction de la qualité dans chaque phase du processus.

Nous avons identifié cinq évolutions majeures. • Définition du problème et d’éventuelles solutions ; chaque réseau se développe

localement à partir d’un ou plusieurs promoteurs, qui identifient un problème de nature plus ou moins différente selon le contexte.

Le maïs Biancoperla se trouve dès le commencement du processus au centre d’intérêts convergents : scientifiques, liés à la sauvegarde d’un produit agricole menacé de disparaître (biodiversité rurale) ; politiques, puisque l’institution régionale se montre clairement opposée aux OGM et appuie la démarche ; socioculturels, car le maïs « Biancoperla » est menacé, mais son goût est historiquement apprécié par une grande partie de la population ; économiques, puisqu’il s’agit aussi d’impulser le développement d’une activité à haute valeur ajoutée.

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Le réseau du fromage morlacco del Grappa se fonde sur la nécessité partagée par les acteurs de la production et par l’association régionale des producteurs de lait de pérenniser l’activité de transformation du lait cru dans un fromage considéré supérieur, à laquelle s’ajoute la volonté de relancer la race de vache autochtone. La relance du navet noir du Pardailhan est liée à des motivations économiques et surtout socioculturelles : l’envie de sauvegarder la culture d’un légume unique de par son goût original ; la diversification des activités comme fondement de création du lien social et de valorisation de la vie des habitants de cet espace marginal. Le contact établi par le président de l’arche du goût a été fondamental.

• Renforcement du réseau ; phase qui correspond à une stabilisation des relations et à une consolidation des rôles et de la communication de la qualité.

Le processus de valorisation de la farine de maïs Biancoperla s’est renforcé grâce à une cohérence de conceptions de la qualité que des acteurs hétérogènes (producteurs, instituts de recherche, collectivités locales, consommateurs…) ont accordé au produit. Ce dernier est érigé en symbole culturel et, plus que représenter un lien à un espace de production déterminé, c’est un lien à un espace de consommation qui s’affiche : le souvenir d’un passé révolu mais encore très ancré dans les représentations des rurbains. Ces facteurs culturels sont mobilisés et partagés par tous les acteurs comme base d’une valorisation des ressources locales face au « danger » des OGM. Le fromage morlacco del Grappa a également permis la création d’alliances entre acteurs appartenant à des champs d’action différents. Les nouveaux organismes régionaux de gestion et de soutien à l’agriculture (Veneto Agricoltura, APROLAV) se manifestent très proches aux préoccupations des institutions locales (communes). La qualité du fromage au lait cru est menacée par les nouvelles lois, très contraignantes pour ces structures productives particulièrement fragiles. Le produit est alors enrôlé et devient un nœud relationnel entre : l’association des producteurs laitiers, qui suis de près les paysans ; les autres acteurs locaux (engagés dans la relance de la race autochtone) et surtout Slow Food, qui favorise la transmission des informations. Les producteurs du navet du Pardailhan partagent la philosophie de Slow Food dès le départ, ce qui contribue à l’appropriation des ressources intégrées dans le produit.

• Elargissement à l’extérieur ; suite à l’intéressement et/ou la sensibilisation aux démarches engagées, d’autres acteurs extérieurs entrent dans les réseaux et de nouvelles relations sont activées.

Le maïs Biancoperla bénéficie de la communication que Slow Food apporte et renforce son image sur les marchés de niche dans lesquels il s’insère. Le projet prend très tôt une dimension régionale, avec la participation des administrations publiques, des instituts de recherche, d’acteurs commerciaux, fédérés autour des valeurs du mouvement. La grande distribution est abandonnée suite aux pressions déstabilisantes sur le système productif et des nouveaux canaux commerciaux sont ouverts par la suite : présence dans foires et salons, distribution spécialisée, positionnement dans le haut de gamme. La caractéristique de la farine de pouvoir être stockée pendant une période relativement longue en favorise la vente tout au long de l’année et par internet, ce qui facilite la rencontre avec une demande très éloignée, bien que ponctuelle. Cela entraîne dans les producteurs une prise de conscience de la valeur du produit avec une relative augmentation du prix. Le fromage morlacco del Grappa est connu surtout dans le territoire régional. Dans ce cas aussi c’est Slow Food qui en favorise la connaissance à travers les grands événements et l’arsenal médiatique dont elle dispose, mais aussi grâce aux conviviums qui « célèbrent » le produit dans les repas organisés dans les restaurants locaux, ou directement chez eux. Les concours organisés par l’association des producteurs de lait représentent une vitrine où mettre en avant la « démarche Slow

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Food ». En été les touristes envahissent le sommet du « monte Grappa » qui se trouve dans une position stratégique, puisque c’est le relief le plus proche pour les habitants de la plaine. On peut penser aux habitants de Trévise, Vicence, Vénise et Rovigue qui en été échappent au climat chaud et humide de la plaine padane pour « changer d’air » et ramener avec eux un « morceau de Grappa ». Les acteurs du réseau du navet noir du Pardailhan ont progressivement établi des relations avec l’extérieur. La participation aux salons d’envergure internationale de Slow Food les a projetés dans un univers complètement différent des petits hameaux cachés sur le plateau de Pardailhan. Les rapports avec les caves coopératives viticoles des plaines sont réactivés. Les caves deviennent alors des nœuds qui favorisent l’interaction avec les agents de l’INAO ; le travail successif de constitution d’un dossier pour obtenir l’appellation d’origine renforce la conscience du lien fort du produit au terroir. La demande des consommateurs provient de loin, d’Italie ou encore de Paris. Ainsi, le produit est aujourd’hui tellement recherché que la demande n’est pas satisfaite et cela malgré l’élargissement du marché à la zone de Montpellier.

• Densification ; les produits sont enrôlés dans les projets des acteurs, qui les font connaître et donc ils les insèrent à l’intérieur d’autres réseaux.

Le cas du fromage morlacco del Grappa est le plus significatif. Il rassemble actuellement un ensemble hétérogène d’acteurs qui opèrent pour une valorisation des ressources locales, à savoir le fromage au lait cru (associations des producteurs laitiers), mais aussi les infrastructures (communes), la race locale (université). La qualité intègre ces ressources transformées en images territoriales (paysages, dimension artisanale, maintien de la biodiversité) que Slow Food contribue à révéler à l’extérieur. Ainsi les consommateurs participent au réseau, directement (achat à la ferme) ou indirectement (boutiques spécialisées, distributeurs et traiteurs). En général tous les produits voient une densification des relations, ce qui n’est pas toujours à la base de dynamiques positives. En effet on peut arriver à des nouvelles phases problématiques.

• Crise et émergence de conflits ; des nouveaux problèmes déstabilisent les réseaux, les relations deviennent précaires et les processus risquent de perdre d’efficacité ou encore de terminer. En effet les cas étudiés ont tous un caractère évolutif qui amène à reconsidérer constamment les rapports de force et de pouvoir entre les acteurs.

Le processus de valorisation de la farine du maïs Biancoperla est aujourd’hui dans une phase qui voit une controverse en cours entre les producteurs. La hiérarchisation du système productif, avec l’apparition d’un leader local est source de divisions et semble fragiliser le processus. Les cas du morlacco et du navet sont similaires entre eux pour deux aspects : la réputation accrue favorise les phénomènes d’imitation, avec appropriation illicite de la plus value attachée au produit ; les deux systèmes d’acteurs sont marqués par une tendance individualiste.

De cette première comparaison entre les cas étudiés nous constatons que la qualité est une construction sociale et en tant que telle elle n’est jamais donnée, c’est un concept évolutif. Elle est continuellement négociée par les acteurs qui, à travers des « traductions » successives, intègrent progressivement des ressources dans les produits. Les processus organisationnels de qualification naissent d’une situation critique et sont impulsés par des promoteurs qui identifient des solutions. Le partage de ces solutions entre un nombre croissant d’acteurs est un facteur de réussite. L’apparition de leaders peut porter à une déstructuration des réseaux et la nécessité d’un nouvel alignement des plans individuels autour d’une conception partagée. Des leaders locaux peuvent également être à l’origine d’une structuration des réseaux, notamment lorsqu’ils détiennent le rôle de médiateurs qui agissent comme des nœuds entre

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réseaux de relations différents. Ce sont les institutions publiques, les instituts de recherche, les restaurants, etc., mais c’est surtout le cas de Slow Food qui facilite la connaissance du produit et du capital symbolique qu’il intègre, à l’extérieur du contexte local. Slow Food permet de formaliser les spécificités des ressources territoriales dans des images et des argumentaires que la plupart des producteurs ne possèdent pas. Ce faisant on assiste aussi à un rapprochement entre l’espace de la production et l’espace de la consommation. Celui-ci peut se faire localement, mais également à distance, par exemple lors des foires nationales ou internationales. En plus, la rencontre entre l’amont et l’aval structure ultérieurement la qualification du produit autour de conceptions partagées, de plus en plus complexes. Les produits sont alors plus que de simples aliments possédant une seule fonction nutritionnelle : ils sont des opérateurs actifs qui font émerger les liens entre les ressources et le territoire. Dans ce contexte s’ouvrent des questionnements successifs entre les acteurs décidés à mettre en exergue la qualité « intégrale » du produit et les acteurs plus favorables à négocier la qualité pour un meilleur positionnement commercial, comme le cas du navet paraît bien le montrer. Cela renvoie au niveau d’adhésion des acteurs au projet initial, et à l’appropriation des ressources intégrés dans le produit et plus généralement à l’appropriation du processus par les acteurs. Pour éclairer ce propos nous proposons une grille de lecture de la patrimonialisation des produits (François et al., 2006). 6.2. Analyse comparative des processus de patrimonialisation.

Farine de maïs « Biancoperla »

Fromage « Morlacco del Grappa »

Navet noir du Pardailhan

Fromage Pélardon affiné

Sélection Récupération variété locale, ancienne.

Valoriser fromage au lait cru.

Variété ancienne, adaptée au milieu.

Affinage.

Justification

Anti-OGM, biodiversité rurale, meilleur goût.

Maintien d’une biodiversité, qualité supérieure du lait cru.

Gout supérieur grâce au terroir.

Savoir-faire local.

Conservation

Cahier des charges informel, bonnes pratiques agricoles, isolation spatiale et temporelle.

Soutien technique, rénovation des structures.

Cahier des charges avec l’INAO, définition du lien au terroir.

Définition du produit (en cours).

Exposition Slow Food. Slow Food, fête locale.

Slow Food, fêtes locales.

Slow Food.

Valorisation

Circuits courts, vente par internet, foires et salons, magasins spécialisés.

Vente directe, concours, foires et salons, fromageries. Risque d’imitation.

Circuits courts (marchés village), foires, salons, grossistes, épiceries. Imitation.

Circuits courts. Faible, à évaluer.

Tab. 41 – Les processus de patrimonialisation des produits.

Excepté le cas du Pélardon affiné, qui se trouve encore aujourd’hui dans un stade initial, tous les produits ont fait l’objet d’un processus de patrimonialisation. Nous pouvons le retracer cas par cas, pour comprendre si à chaque phase il y a eu une appropriation des ressources par les acteurs : • le maïs Biancoperla a été (ré-)créé, puisqu’il n’était conservé que par quelque paysan

isolé ou dans la banque du germoplasme. La convergence d’intérêts entre instituts de recherche, demande des consommateurs et institutions politiques a porté à une adhésion

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aux valeurs culturelles à la fois locales (consommation de polenta) et globales (biodiversité rurale et opposition aux OGM). Le produit a été l’objet d’une dynamique positive et aujourd’hui il est valorisé sur des marchés de niche. Cela a été possible grâce à la mise en exposition du produit par l’intermédiaire de Slow Food. L’apparition de nouvelles réglementations sanitaires visant à contrôler le taux de mycotoxines dans la farine révèle une hiérarchisation entre un producteur spécialisé dans des fournitures de qualité, capable de garantir la traçabilité « de la fourche à la fourchette », tandis que d’autres producteurs ne disposent pas des mêmes moyens. La philosophie de Slow Food est alors mise en discussion : la notion de produit « propre » n’est plus capitalisée par tous les acteurs. Le producteur leader s’est approprié cette nouvelle exigence productive, associée à une vision plutôt sanitaire qu’environnementale de la qualité. Le non-respect des normatives pourrait empêcher de commercialiser la farine de maïs ; de plus, la mise ne marché d’une farine non conforme pourrait faire l’objet de controverses légales avec des retombées négatives en termes d’image pour l’exploitant leader. Le dialogue et l’alignement des conceptions autour de cette notion critique seront des conditions à vérifier dont dépendra le renouvellement du processus de valorisation.

• La possibilité de manger du fromage morlacco del Grappa est mise en discussion suite au changement réglementaire qui ne favorisait pas les bergers, déjà fragilisés par la localisation défavorable. L’association des producteurs a sélectionné ce produit et s’est montrée attentive à la situation des montagnards. Aujourd’hui ceux-ci maîtrisent de plus en plus les normes sanitaires, qui ne sont plus interprétées comme une imposition, mais come une nécessité, puisqu’ « on ne peut pas produire de la dynamite » ! Les maires de la « comunità montana » se font ambassadeurs du « morlacco » et des savoir-faire des hommes qui vivent de cette production d’excellence. Le fromage rentre alors dans un cercle vertueux, car il constitue une sorte de présentation d’un territoire exceptionnel par ses paysages alpins, l’environnement préservé, l’architecture locale. La démarche parallèle de relance de la vache « burlina » accroît la dimension patrimoniale du produit. L’activation de liens avec les membres locaux de Slow Food en favorise l’exposition et donc la communication à l’extérieur des ressources mobilisées. Enfin la valorisation économique est vue par les producteurs comme un risque, puisqu’ils rechignent à augmenter le prix des fromages, qui reste inférieur de plus de 20% par rapport aux produits concurrents des laiteries de la plaine. En somme, c’est une patrimonialisation réussie, même si la conscience d’appartenir au réseau de Slow Food est encore faible, ce qui va recherché dans la faible interaction avec les conviviums locaux, dans une gestion extérieure (déléguée à l’association des producteurs laitiers) des rapports entre les producteurs et le mouvement et aussi dans un individualisme ancré dans la culture des habitants locaux.

• Le navet noir du Pardailhan est l’exemple le plus réussi de la construction et de l’appropriation de la ressource-produit. Le projet initial de l’ancien maire de la commune est sélectionné, voir « embarqué » dans l’arche du goût. La constitution de l’association des producteurs du navet représente une première appropriation des idées de Slow Food, renforcée par le soutien que le mouvement fournit aux agriculteurs : foires à Montpellier, Turin, Bilbao, Tours… ; visite d’une délégation italienne ; médiatisation du projet. Une mise en exposition parfaite qui a pour effet d’élargir la réputation du produit en dehors de la région. Si Slow Food a joué un rôle primordial, c’est aussi l’esprit d’initiative de cette poignée d’agriculteurs motivés qui explique la réussite du projet. Aujourd’hui ils ont augmenté la production à un niveau jugé comme satisfaisant, avec des marges d’amélioration à exploiter. Tout comme les producteurs du « morlacco », ils refusent d’appliquer de grands changements du prix, au moins sur les marchés de proximité. C’est donc un succès pour une agriculture familiale en rupture radicale avec la logique productiviste de la tradition viticole languedocienne. Dans ce cas l’appropriation des

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ressources du plateau est évidente. Ainsi, faute de pouvoir obtenir la protection juridique pour le terroir de Pardailhan, à l’origine de la réputation du navet, les producteurs ont poursuivi la voie du dépôt de la marque : actuellement c’est le « Navet du Pardailhan » que le consommateur doit chercher ; le navet du terroir et de la communauté humaine qui le fait vivre.

Dans le tableau suivant nous avons voulu synthétiser les principales ressources sur lesquelles se fondent les processus de patrimonialisation/valorisation des produits.

Farine de maïs « Biancoperla »

Fromage « Morlacco del Grappa »

Navet noir du Pardailhan

Fromage Pélardon affiné

Lien au lieu

Faible, production adaptée au milieu, mais possible dans toute la plaine vénète (Pas de dénomination).

Fort, production limitée aux estives du massif.

Fort, agro-terroir du plateau délimité spatialement.

Défini par l’AOC.

Les paysages

Fragmentation, espace très peuplé, campagne dans la ville.

Image paysagère forte, pâturages entretenus par les vaches.

Contribue à empêcher la fermeture, mais lien plutôt indirect, contraste avec la plaine viticole.

Garrigues et châtaigneraies, haute valeur naturelle, paysages ouverts.

Les savoir-faire locaux

Bonnes pratiques extensives, mais nouvelles contraintes sanitaires.

Pâturages, processus de fabrication fermier et artisanal.

Culture extensive, semée à la volée, récolte manuelle.

Contrôle de l’affinage.

Les objets patrimoniaux et la culture

Transformation du produit à forte valeur identitaire (Polenta).

Bergeries en pierre (« malghe »).

Produit à valeur identitaire.

Consommation « oubliée ».

Le vivant et la biodiversité

Variété ancienne. Race « Burlina », lait cru.

Variété rare valorisée par un terroir spécifique.

Lait cru, ferments et flore microbienne.

Synergie avec le tourisme

- Agrotourisme, tourisme vert et culturel.

Production complémentaire à l’offre de gîtes ruraux en été.

Richesse d’espaces naturels diversifiés.

Tab. 42 - Les ressources territoriales mobilisées dans les processus de valorisation des produits. Globalement nous pouvons considérer que la valorisation est réussie pour tous les produits. Le tab. 42 permet d’avoir une vue d’ensemble sur les principales typologies de ressources mobilisées. Le pélardon affiné rentre dans le tableau, mais plus dans le cadre d’une orientation latente que d’une valorisation qui reste encore largement inachevée. Nous croyons de pouvoir identifier des produits qui bénéficient d’un contexte plus favorable que d’autres : c’est assez évident pour le fromage morlacco del Grappa qui, sans posséder une Indication Géographique, s’identifie déjà à l’espace bien repérable du massif préalpin. En plus, ce territoire possède d’autres « avantages compétitifs » qui permettent l’activation de synergies : sur une vingtaine d’exploitants d’estives, environ trois quarts valorisent le produit sur place à travers l’activité agritouristique. Cela dans une montagne facilement accessible (à une heure de voiture de Trévise) et dans la région la plus touristique d’Italie. Dans le cas du navet noir de telles synergies ne se réalisent pas, puisque la production se déroule entre novembre et février, avec le froid. Cependant l’environnement préservé (Parc

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Naturel Régional), le microclimat du plateau ainsi que la proximité à la plaine viticole et urbaine représentent des atouts sur lesquels paraissent miser les exploitants des gîtes ruraux (premier prix aux Trophées de l’agritourisme en Languedoc Roussillon 2010). Cette offre agritouristique peut représenter une activité complémentaire à la culture du navet et dans ce sens elle peut constituer une potentielle synergie. Le cas du maïs Biancoperla se distingue des autres. En effet le produit n’est pas associé à un espace bien défini, ni à des paysages particulièrement attractifs. Au contraire, ces derniers se caractérisent par une fragmentation extrême, conséquence de l’étalement urbain démesuré qui a pris forme à partir d’une structure réticulaire préexistante. Cela ne signifie pas que la valorisation du produit est destinée à échouer. Nous pouvons en effet renverser la perspective critique partagée par la plupart des auteurs, comme le font Castiglioni et Ferrario (2007), qui proposent d’observer le paysage avec une approche moins négative, plus proche aux perceptions des habitants. Les enquêtes menées par ces auteurs ont en effet montré d’un côté que le paysage n’est pas perçu comme beau ou enrichi de valeurs esthétiques et que ses transformations ont étés profondes et radicales, mais de l’autre côté émerge aussi le constat que les habitants semblent apprécier la dimension réticulaire de cette nouvelle forme urbaine. L’exemple récurrent est la possibilité de travailler dans les centres urbains la journée ou la semaine et de rentrer chez soi pour cultiver le jardin potager où apprécier les produits que l’oncle ou le grands-parents cultivent (où cultivaient, s’ils ne sont plus vivants), dans une région où le passé agricole est encore très présent dans la mémoire collective. Ainsi, cette nouvelle forme urbaine est définie comme « agropolitaine », pour marquer la présence d’une « campagne dans la ville ». Une campagne qui doit alors être valorisée, de par les valeurs affectifs qui lui sont attribués par les habitants. Reconnaître la multifonctionnalité de l’agriculture devient ainsi un enjeu majeur pour la préservation d’un paysage cadre de vie dans la plaine vénète. Un terme, celui de paysage, qui apparaît très souvent dans les outils de la planification régionale, mais qui jusqu’à aujourd’hui reste soumis à des logiques monétaires, comme nous avons vu. C’est dans ce contexte que la valorisation d’un produit comme le « maïs Biancoperla », chargé de valeurs culturelles et identitaires très forts, peut représenter un premier pas vers cette multifonctionnalité agricole qui tends de plus en plus à s’afficher comme une solution porteuse d’avenir dans les campagnes européennes. Enfin dans ce cas, et de façon encore plus évidente que dans les autres, la spécificité de la ressource « Biancoperla » paraît dépendre plus d’un lien à une consommation territorialisée, qu’à un lien à une production territorialisée. Il nous semble en effet évident que le convergence de la conception de la qualité entre producteurs et consommateurs est l’objectif de la plupart des démarches de qualification des produits, qu’elles soient centrées sur la traçabilité ou sur un lien au terroir ou à l’origine. L’échange d’informations est donc fondamental et le territoire devient un opérateur actif, tout comme le produit, révélateur de la qualité : si demain les consommateurs voudrons rentrer dans les ateliers, aujourd’hui ils s’informent sur ces territoires de la qualité, par le biais des déplacements, mais aussi grâce à internet, un outil clé pour le succès de Slow Food. C’est dans ce sens que nous pouvons dire, avec F. Casabianca, que l’appropriation est « moins l’affaire des experts que celle des citoyens »297, car ces derniers sont des véritables co-producteurs, selon la terminologie de Slow Food. C’est l’innovation majeure introduite par Slow Food, qui se propose comme un « facilitateur » de la rencontre entre espace de la production et espace de la consommation. Ce qui est aussi l’objectif d’un ensemble plus vaste d’« alternatives food géographies » qui redessinent de plus en plus le monde agro-alimentaire contemporain. 6.3. Synthèse globale.

297 Cf. Chap. 1.4, pag. 24.

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Nous proposons une dernière comparaison générale entre les quatre processus de valorisation étudiés, à partir d’un modèle de type PEST (acronyme de : « Political, Economic, Social and Technological Factors »), qui nous permettra de définir les principaux facteurs politiques, économiques, socioculturels et technologiques qui influencent les dynamiques organisationnelles des systèmes d’acteurs298. Nous pourrons alors identifier menaces et opportunités et évaluer les projets en rapport aux dynamiques territoriales des environnements extérieurs.

FACTEURS Maïs Morlacco Navet Pélardon

Facteurs politiques

Facteurs exogènes

Contexte politique favorable + ++ +/- +/- Normative contraignante - - - +/- Rôle d’acteurs extérieurs capables d’activer les ressources spécifiques

+ + + ?

Disponibilité d’outils de promotion + + + -

Facteurs endogènes

Proximité de valeurs entre producteurs et collectivités locales

++ ++ - -

Capacité de gestion des relations et ouverture vers l’extérieur

+ +/- +/- ?

Influence de leaders locaux ++ +/- - ?

Facteurs économiques

Facteurs exogènes

Contexte de l’agriculture régionale (filières) et du marché (demande de produits de terroir)

+ + + +

Concurrence + +/- +/- -

Facteurs endogènes

Présence de ressources territoriales et intégration dans le produit

- ++ + +

Financements publiques + + - - Contraintes économiques +/- - + +/-

Facteurs sociaux

Facteurs exogènes

Tendances de la consommation + ++ ++ +/-

Facteurs endogènes

Contexte socioculturel favorable, niveau de participation et de cohésion des acteurs

+ + ++ +/-

Confiance réciproque, inclusion dans les processus décisionnels

+/- +/- + +

Participation dans la communication et dans la promotion de la qualité

+ - + +

Facteurs technologiques

Rôle des acteurs qui apportent des changements techniques ou qui les favorisent

++ + - +

Adaptabilité des techniques traditionnelles aux changements normatifs

- + +/-

Niveau d’accessibilité aux changements techniques - - ?

Tab. 43 – Comparaison des principaux facteurs endogènes et exogènes des quatre études de cas.

298 L’analyse PEST est présentée dans : Belletti G., Brunori G., Burgassi T., Cerruti R., Marescotti A., Rossi A., Rovai M., Scaramuzzi S., Guida per la valorizzazione delle produzioni agro-alimentari tipiche: concetti, metodi, strumenti, Firenze, Arsia, 2006, pp. 106-107.

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Les facteurs politiques comprennent l’ensemble de normes, lois, projets, plans de développement rural, etc., susceptibles d’avoir influencé les projets. Evidemment, un soutien institutionnel est un atout très important qui peut à lui seul changer radicalement la dynamique du système d’acteurs. Notre analyse a montré que les principales orientations des politiques agricoles restent ancrées à des logiques concurrentielles et marchandes. Les soutiens se traduisent par une intégration croissante des producteurs à l’intérieur de filières de plus en plus performantes où la qualité est associée à une conception hygiénique et sanitaire. Les résultats sont les mêmes en France ou en Italie : disparition des petites productions fermières et artisanales et concentration dans les grosses structures. Les mesures agro-environnementales peinent à donner des résultats efficaces et durables, elles doivent être renforcées et les fonds européens devraient être répartis de façon plus équilibrée. Ce constat global se traduit dans chacun des cas étudiés par l’apparition de normes qui représentent autant de « menaces » ou de « dangers » pour les produits de terroir. Pour le maïs on peut distinguer plusieurs phases. D’abord le choix des variétés hybrides, la course aux rendements et le débat sur les OGM ont poussé les instituts de recherche à identifier les phénotypes locaux. Le mise en place du projet a vu, de surcroît, le soutien de l’administration régionale qui montre un intérêt grandissante pour la biodiversité rurale et pour la qualité agro-alimentaire. Cependant, les récentes évolutions des directives européennes imposent des limites sévères pour le seuil de mycotoxines, autrement dit, elles imposent des contraintes sanitaires inattendues qui ont pour effet d’inhiber le processus de qualification. Ces contraintes pèsent aujourd’hui non seulement sur les producteurs du maïs Biancoperla, mais sur toute la filière du maïs en général. Nous supposons que seulement les entrepreneurs financièrement plus forts pourront soutenir l’adéquation aux nouvelles normatives. La restructuration de la filière n’est pas achevée et la concentration de la production pourrait continuer. Dans ce contexte le produit fera sûrement l’objet de nouvelles négociations entre les acteurs. Slow Food aura encore des mots à dire. Le cas du morlacco del Grappa n’est pas isolé : il paraît la copie exacte du cas étudié par Brunori et al. (2006), relatif au fromage « Pecorino » au lait cru. Les deux produits ont étés soumis à de conditions normatives très contraignantes. L’intervention de l’association des producteurs laitiers a permis l’adéquation progressive des structures productives (sol lavable, potabilisation de l’eau, etc.), ainsi qu’une sensibilisation aux problèmes sanitaires, ce qui a porté à un dialogue et à un rapport constructifs, avec une prise de conscience des producteurs. La mise en place d’une Indication Géographique pourrait impulser ultérieurement les processus cognitifs entre les producteurs et les protéger de l’appropriation illicite de la part d’autres producteurs des ressources du territoire intégrées dans le fromage. En Languedoc-Roussillon l’agriculture est marquée par le poids d’une viticulture de masse en crise chronique. Les politiques locales ont logiquement cherché de donner leur soutien à cette filière et aujourd’hui un zonage des meilleurs terroirs témoigne d’une transition qualitative de la viticulture régionale, renforcée par des initiatives activatrices de synergies, comme les routes des vins. Cette filière devra quand-même faire face aux nouveaux concurrents de l’hémisphère sud et aux enjeux de l’urbanisation dont la soustraction de sols propices non seulement à la vigne. Parallèlement est émergée l’exigence de soutenir les autres productions régionales et une politique de labellisation s’est amorcée. Cependant, même dans la région française la logique dominante est celle de la filière, sauf quelques exceptions (AOC Taureau de Camargue, AOC Oignons doux des Cévennes). Le cas du navet se situe dans ce contexte. Il s’agit d’une culture familiale, qui n’a bénéficié d’aucun soutien publique, mis à part les fonds du conseil général pour imprimer les livrets des recettes ou pour aider les producteurs à se déplacer lors des foires et salons Slow Food. Paradoxalement, ce produit extrêmement lié à un terroir délimité (et mesuré), ne peut pas bénéficier de l’appellation qui pourtant devrait

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garantir ce même lien. L’intérêt de Slow Food ici est évident. Le pélardon est un cas étrange, puisqu’il est déjà valorisé par une AOC qui en réalité ne semble pas apporter des réels avantages économiques à l’ensemble des producteurs. Il nous semble en effet que cet outil a été approprié par les entrepreneurs qui exportent hors région et qui ont des contrats avec la grande distribution. Dans ce cas aussi le rôle de Slow Food, jusqu’à aujourd’hui sous-estimé, pourrait être significatif et favoriser une différenciation de l’offre sur le créneau de la qualité supérieure. Plutôt qu’un réseau alternatif il s’agirait d’un complément à l’appellation. Les facteurs économiques ont été en partie déjà anticipés. Globalement il s’agit d’une tendance générale favorable, les consommateurs étant de plus en plus sensibles à la provenance et à la qualité des produits. La concurrence est faible du fait de la qualification territoriale qui aujourd’hui tend à spécifier l’offre agro-alimentaire. Cependant, l’appartenance à un « presidio » ou à une « sentinelle » ne met pas à l’abri des « passagers clandestins » qui peuvent s’approprier de la rente territoriale associée aux produits. Si le problème pourrait trouver une solution avec l’obtention de l’appellation pour le fromage morlacco, il en va pas de même pour le navet qui a déjà fait l’objet d’une démarche AOC, mais sans conclusion positive. Le pélardon souffre d’une crise structurelle de la filière caprine (baisse des exploitants), mais l’AOC a permis aux producteurs de rendre visible le produit et d’avoir une meilleure rémunération du lait. Le syndicat est soutenu par les collectivités et constitue un intermédiaire important, qui joue un rôle primordial dans la communication des ressources intégrées dans le produit, même si la « démarche Slow Food » n’a jamais été mise en avant. Parmi les facteurs endogènes, le financement publique est sans aucun doute très important. La Vénétie a financé les projets avec des lois régionales ad hoc : par exemple la région donne environ 250 € pour chaque vache « burlina » élevée. Aujourd’hui la région tend à élargir son soutien aux petits producteurs et à ceux qui diversifient leurs activités : elle est une des premières régions italiennes par nombre d’Indications Géographiques ; elle a encadré et soutenu la mise en place d’itinéraires thématiques autour de produits non seulement viticoles ; elle a même promu la première loi régionale pour le soutien de la consommation de produits locaux dans les cantines, les restaurants, la grande distribution299. En outre, on trouve bien 11 « presidi Slow Food » sur le territoire régional, dont trois dans le seul territoire de Trévise300. Celui-ci pourrait alors se démarquer, notamment sa partie septentrionale, où des synergies pourraient s’activer entre le vignoble du « Prosecco », les montagnes préalpines, l’architecture d’époque vénitienne... C’est donc un territoire dans sa globalité qui se distingue par la qualité de ses ressources, même si ce propos reste à nuancer pour la plaine urbanisée. Nous constatons enfin une véritable proximité institutionnelle : l’actuel gouverneur de la région, né dans le département de Trévise, a été ministre de l’agriculture entre 2008 et 2010 après avoir été président du conseil général de la province. Cela mérite d’être rappelé. A ce propos un paysan producteur de maïs nous a révélé que la famille du gouverneur fait partie de sa clientèle habituelle. Tout cela ne trouve pas d’équivalent en France. Ici la région ne donne aucun soutien aux projets de sauvegarde de la biodiversité agricole. Qui plus est, l’actuel président de la région a même fait « déménager » le salon montpelliérain « Aux origines du goût » qui pendant trois éditions avait regroupé dans la capitale régionale les sentinelles de l’Europe entière. Ce traumatisme a provoqué le transfert du siège de Slow Food France de Montpellier à Toulouse, centre d’une région qui, au contraire, mène une politique incitative et en faveur de la diversité agriculturale, à travers le soutien au conservatoire régional de la biodiversité.

299 Loi régionale n.7 du 25 juillet 2008. 300 Il existe aussi un projet de relance d’une race locale d’oie associée à la production de confit . Nous ne l’avons pas traité, parce qu’il fait l’objet d’un seul agritourisme dans la province, et d’une deuxième exploitation à Padoue.

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Cette différence est en partie expliquée par une conception différente de la notion d’appellation, qui trouve en France sa mère patrie. Ainsi, les producteurs de navet se sont tournés de façon presque naturelle vers l’INAO pour essayer d’obtenir la protection juridique. Cette institution n’a pas de correspondant en Italie, où l’appellation est souvent considérée comme un artifice bureaucratique. Au même temps et à l’envers, le mouvement Slow Food est né en Italie il y a plus de vingt ans et grâce à une série de publications et de guides à caractère gastronomique au fil des années il a su se développer et grandir, pour passer de force de contestation à force de proposition. Ainsi, actuellement parler d’un presidio Slow Food équivaut à parler de la qualité gastronomique. Sur le plan quantitatif nous n’avons pas pu obtenir d’informations précises, mais tous les producteurs ont parlé d’une augmentation des ventes. Les producteurs du maïs ont augmenté les prix et les volumes ainsi que les producteurs du navet. Les producteurs du morlacco n’ont pas augmenté les volumes de production de façon considérable, mais c’est la réputation du produit qui s’est élargie et avec elle les imitations. D’où l’intérêt pour une protection du nom. Le pélardon affiné, n’ayant pas encore une définition univoque, n’a pas augmenté les ventes et le prix est le même que pour un pélardon frais. Pour conclure avec les facteurs économiques on peut dire que le département de l’Hérault, comme la région Languedoc-Roussillon, possèdent des ressources à activer, du fait d’une grande partie du territoire faiblement humanisée, marquée par la présence d’un environnement préservé et de paysages remarquables et variés. La prise en compte de ces externalités environnementales ainsi que l’intégration avec d’autres activités non strictement agricoles peut dynamiser le tissu rural, où un renouveau démographique paraît s’amorcer. Nous avons anticipé un certain nombre de facteurs socioculturels. Globalement on constate un retour à l’authentique, à la typicité : le terroir est effectivement à la mode. Cela se traduit par une ré-localisation des achats, motivée par un intérêt croissant des consommateurs vers l’origine des produits, mais aussi vers les spécificités territoriales qui en font l’originalité, sans oublier la recherche d’un contact plus direct avec les producteurs, témoigné par la diffusion des AMAP, de la vente à la ferme, de l’agritourisme, des distributeurs automatiques de lait cru, du phénomène des farmers’ markets301. Sans oublier le renouveau des fêtes et en général de tous les moments conviviaux où les produits sont érigés en supports de la mémoire collective, autrement-dit en patrimoines : aujourd’hui presque chaque bourg rural célèbre son produit du terroir avec une fête de village et cela des deux côtés des alpes. Parmi les facteurs endogènes on constate un développement général de la conscience qu’ont les producteurs de fournir un travail apprécié, reconnu par des consommateurs de plus en plus curieux. La présence aux salons est dans ce sens très importante : comme nous a dit le président de l’arche du goût se référant aux producteurs de navets, elle a constitué un « électrochoc ». Ces agriculteurs, dont bon nombre d’entre eux ont rénové les maisons autrefois abandonnées de Pardailhan, sont aujourd’hui très soudés. Les petites dimensions du village (même pas 200 habitants) favorisent les rencontres et les interactions et on observe aujourd’hui un renforcement du lien social entre les habitants qui ont monté aussi une association et un blog pour répondre à ces besoins (association « Pardailhan initiatives »). Chaque année ils organisent une fête du navet et ils ont même été promoteurs d’une journée nationale des sentinelles Slow Food. Cependant, il en existe qui ont voulu sortir de l’association des producteurs, ce qui témoigne d’une « dissidence » et d’une remise en question de la problématisation du départ. Ces deux dissidents adoptent l’irrigation, et qui

301 Slow Food a introduit en Italie le concept de « earth markets » depuis 2005 ; la législation nationale a pris le relais avec un premier décret en 2007. Actuellement un projet de loi approuvé par le conseil des ministres du 1er mars 2010 introduit d’importants soutiens en faveur de l’agriculture de proximité. (Cf. Disegno di Legge : “norme per la valorizzazione dei prodotti agricoli provenienti da filiera corta e di qualità”). Pour un état des lieux en France cf. http://biplan.over-blog.com/article-circuits-courts-alimentaires-44313364.html

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plus est, ils fournissent la grande distribution locale, même si cela ne constitue pas (encore) un conflit ouvert. Dans le cas du morlacco on note une participation accrue aux formations et aux réunions techniques proposées par l’association des producteurs laitiers, mais aussi le manque d’appropriation des valeurs de Slow Food. La capacité de s’ouvrir à l’extérieur est dans ce cas à développer ultérieurement. Dans le projet du maïs Biancoperla le groupe des producteurs souffre un peu de l’effet combiné de l’étendue de l’espace de production et de la fragmentation du paysage, qui ne favorise pas les rencontres à la base de l’apprentissage collectif. Le cas du pélardon révèle que tous les producteurs sont enthousiastes de Slow Food. La participation aux salons est motivée plus par des facteurs humains que pour faire connaître ou pour vendre le fromage. Le salon de Turin est même considéré comme « monstrueux » et les rencontres sont enrichissantes sur le plan humain. Ce qu’ils reprochent est le manque général d’information en France, à la fois dans les consommateurs et dans les autres producteurs. Malgré un faible état d’avancement le cas du pélardon a mis en évidence comme des consommateurs avisés peuvent être appelés à jouer un rôle, selon nous à renforcer, puisqu’ils font partie des commissions chargées de l’évaluation et du contrôle organoleptique du produit. Le changement technologique s’est révélé comme un facteur d’activation de réseaux et de structuration des processus de valorisation. Le maïs en est un peu l’archétype. Au départ c’était une banque du germoplasme qui était appelée à garantir son soutien pour la relance d’une variété locale adaptée aux conditions pédoclimatiques et au goût supérieur. Successivement la gestion de cette biodiversité a fédéré un ensemble plus large d’autres instituts (lycées agricoles), qui ont joué le rôle d’intermédiaires et ont créé des relations avec les élèves, ceux derniers avec leurs familles, etc. Successivement le produit est associé aux facteurs identitaires et culturels (redécouverte de moulins en pierre), avant d’être à nouveau l’objet d’une controverse technique : cette deuxième fois, comme on a vu plus haut, autour des mycotoxines cancérogènes. Le producteur leader, depuis des années orienté vers une production de qualité « nec plus ultra », décide d’investir dans une machine sélectionneuse optique, qui grâce à des cellules laser peut détecter la moindre imperfection… Graine par graine ! C’est un investissement de dizaines de milliers d’euros, une somme hors porté pour le reste des paysans. C’est ainsi que ce leader accroît sa position de contrôle et donc son pouvoir à l’intérieur du réseau. Dans le cas du morlacco le changement concerne le respect des normes hygiéniques des structures productives, qui oblige les montagnards à investir pour rénover les locaux de production des estives. Le partage de cette problématique avec les maires des communes du massif et puis avec les associations d’éleveurs et surtout des producteurs laitiers favorise l’identification d’une solution partagée, qui amène à l’enrôlement du fromage. Au même temps les producteurs maîtrisent de plus en plus les normes HACCP, grâce à l’appui technique de l’association des producteurs de lait. Les contrôles de l’autorité sanitaire deviennent une routine et non plus une contrainte. Successivement la région rentre dans le réseau : elle va distribuer des fonds aux éleveurs de « burline » et puis adopte une réglementation plus souple, pour aller à l’encontre des exigences productives des éleveurs. En France nous n’avons pas constaté de problèmes productifs particuliers pour les producteurs de navets, même si aujourd’hui ils sont à la recherche d’une méthode pour mettre en conserve les navets, ce qui pourrait permettre de les commercialiser et goûter tout le long de l’année. Pour les producteurs de pélardon il s’agit de trouver une solution au pic de surproduction au printemps et au manque de production hivernal. Autrefois la pratique de la congélation du caillé permettait de trouver une solution rapide, mais aujourd’hui elle est interdite par un cahier des charges attentif à préserver la valorisation du lait cru. Ainsi il nous semble que les deux solutions possibles sont : la dessaisonalisation des chèvres, pour avoir du

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lait toute l’année, où alors une valorisation de l’affinage. Une fois de plus la qualité sera liée à une pluralité de conceptions dont la convergence est le postulat fondamental pour une valorisation réussie.

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CONCLUSION GENERALE Sur le plan théorique et méthodologique, nous avons pu tester et rendre opératoire la notion d’acteur-réseau. Celle-ci nous a permis de comprendre les processus organisationnels à l’œuvre dans les démarches de valorisation des produits agricoles de terroir, à travers les quatre moments de la problématisation, de l’intéressement, de l’enrôlement et de la mobilisation. Si nous savons qu’une définition a priori, objective et absolue de la qualité n’est pas envisageable, néanmoins nous pouvons affirmer que :

- la qualité est un significat partagé, résultat de processus relationnels et cognitifs, basés sur la communication entre les parties.

Ces dernières ne se résument pas aux seuls individus, mais comprennent aussi les objets non humains, notamment les ressources territoriales intégrées dans le capital symbolique du produit, que dans notre cas peut correspondre au terme de terroir. C’est donc une qualification de type territoriale qui aujourd’hui favorise la valorisation des produits agricoles. Nous sommes alors d’accord avec M. Hirczak, lorsqu’elle met en évidence que « la qualité territoriale est un ensemble, un construit d’acteurs, où la notion d’environnement est prise au sens large, englobant par là des éléments concernant aussi bien les pollutions des sols que le paysage par exemple » 302. Les conséquences sont importantes et mettent en évidence les limites actuelles des outils de qualification rendus disponibles par le législateur. Une meilleure prise en compte des externalités territoriales est donc un atout que tout promoteur d’une démarche-qualité doit prendre sérieusement en considération, bien avant de viser à une valorisation exclusivement marchande des ressources. Au niveau des résultats nous voulons mettre en évidence certaines limites de ce travail. La première est sans doute l’échec du questionnaire électronique que nous avons envoyé aux responsables locaux de Slow Food. Nous nous sommes en effet confrontés au problème du traitement des données personnelles. L’association souhaite garder le confidentialité de son rapport avec les membres et nous n’avons pas pu obtenir les contacts (mailing-lists) des associés, même si les questionnaires auraient garanti l’anonymat. C’est pour cela que nous avons choisi d’approfondir l’étude des réseaux à travers l’enquête qualitative. Une deuxième limite concerne l’objet de l’analyse, qui aurait pu être élargie aux questions environnementales, de plus en plus centrales dans l’agenda politique et de façon générale dans la vie humaine de ce début de millénaire. C’est d’ailleurs un constat que nous avons souligné à plusieurs reprises : la prise en compte des problématiques écologiques est désormais rentrée dans l’agriculture et dans l’aménagement des territoires. Cela laisse des questionnements ouverts sur le caractère multifonctionnel de l’activité agricole mais aussi de l’espace, qui évolue de simple réceptacle d’objets vers un nouvel statut d’acteur, ou d’opérateur actif. Nous avons enfin éclairé le fonctionnement des premiers projets que Slow Food soutien dans le monde entier. Ceux-ci ne constituent qu’une partie des actions menées par ce réseau mondial des communautés de la nourriture que nous ne pouvons qu’encourager. Il s’agit d’un enjeu culturel, centré sur une recherche du plaisir qui se traduit dans la possibilité libre et consciente de pouvoir choisir une nourriture qualitativement et quantitativement suffisante, à n’importe quelle latitude ou longitude. C’est aussi un enjeu politique qui renvoie à la souveraineté alimentaire et à la possibilité de changer l’organisation actuelle des marchés

302 Hirczak, M., La co-construction de la qualité agroalimentaire et environnementale dans les stratégies de développement territorial. Une analyse à partir des produits de la région Rhône-Alpes, thèse de doctorat en Géographie, Université Joseph Fourier, Grénoble, 2007, pag. 307.

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agricoles. C’est une rupture qui se fera lentement comme l’escargot nous le rappelle, mais qui est déjà dans les mains et surtout dans les bouches de chacun de nous.

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LISTE DES SIGLES

ADN : Acide Désoxyribonucléique ADP : Association de Défense du Pélardon ADPIC : Accord sur les Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce AFIG : Association des Régions Françaises des Indications Géographiques AMAP : Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne ANT : Actor Network Theory AOC : Appellation d’Origine Contrôlée AOP : Appellation d’Origine Protégée APA : Associazione Provinciale Allevatori APROLAV : Associazione Produttori di Latte Veneti AREPO : Association des Régions Européennes des Produits d’Origine ARPAV : Agenzia Regionale per la Protezione dell’Ambiente ARSIA : Agenzia Regionale per lo Sviluppo e l’Innovazione in Agricoltura ASRDLF : Association de Science Régionale De Langue Française BTP : Bâtiment Travaux Publics CEE : Communauté Economique Européenne CERAMAC : Centre d’Etudes et de la Recherche Appliquée au Massif Central CIHEAM : Centre International de Hautes Etudes Agronomiques Méditérranéen CIRAD : Centre de Coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement DATAR : Délégation à l'Aménagement du Territoire et à l'Action Régionale DDAF : Direction Départementale de l’Agriculture et de la Forêt DGR : Decreto della Giunta Regionale DIACT : Délégation Interministérielle à l’Aménagement et à la Compétitivité des Territoires

DOC : Denominazione di Origine Controllata DOCG : Denominazione di Origine Controllata e Garantita DOLPHINS : Development of Origin Labelled Products : Humanity, Innovation and Sustainability DOP : Denominazione di Origine Protetta DPI : Droits de Propriété Intellectuelle DRAAF : Direction Régionale de l'Alimentation, de l'Agriculture et de la Forêt ENSA : Ecole Nationale Supérieure d’Agronomie ESAV : Ente per lo Sviluppo Agricolo Veneto FAO : Food and Agriculture Orgnization FEOGA : Fond Européen d’Orientation et de Garantie Agricoles FSS : Formation Socio-Spatiale GATT : General Agreement on Tariffs and Trade GREMI : Groupe de Recherche Européen sur les Milieux Innovateurs HACCP : Hazard Analysis Critical Control Points HVN : Haute Valeur Naturelle IAMM : Institut Agronomique Méditerranéen de Montpellier ICF : Institut Consulaire de Formation IG : Indication Géographique IGP : Indication Géographique Protégée INAO : Institut National de l’Origine et de la Qualité INPI : Institut National de la Propriété Intellectuelle

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INRA : Institut National de Recherche Agronomique INSEE : Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques ISTAT : Istituto nazionale di statistica LEADER : Liaison Entre Actions de Développement de l'Economie Rurale LR : Legge Regionale NAS : Nuclei Anti Sofisticazione NEC : Nord Est Centre OCDE : Organisation de Coopération et de Développement Economiques OGM : Organisme Génétiquement Modifié OMC : Organisation Mondiale du Commerce OMPI : Organisation Mondiale de la Protection Intellectuelle ONG : Organisation Non Gouvernementale ORIGIN : Organisation for an International Geographical Indications Network PAC : Politique Agricole Commune PACA : Provence Alpes Cote d’Azur PADD : Plan d’Aménagement et de Développement Durable PCI : Patrimoine Culturel Immateriel PEST : Political, Economic, Social and Technological factors PIB : Produit Intérieur Brut PME : Petites et Moyennes Entreprises PSR : Piano di Sviluppo Rurale PTCP : Piano Territoriale di Coordinamento Provinciale RGA : Recensement Général Agricole SAT : Surface Agricole Totale SAU : Surface Agricole Utilisée SCOT : Schéma de Cohérence Territoriale SINER-GI : Strengthening INternational Research on Geographical Indications SPL : Système Productif Localisé STG : Spécialité Traditionnelle Garantie STH : Surface Toujours en Herbe SYAL : Système Agroalimentaire Localisé UE : Union Européenne UGB : Unité Grand Bovin UNESCO : Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture VQPRD : Vins de Qualité Produits dans des Régions Déterminées

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TABLE DES INDEX Table des figures Fig. 1 – Une conception de la qualité partielle et emblématique Fig. 2 - Le terroir : un système géographique complexe Fig. 3 – La chaîne patrimoniale du terroir Fig. 4 - Les dynamiques des régions rurales en France, Espagne et Italie Fig. 5 – Dynamique croisée des prix moyens du Parmigiano Reggiano en €/kg (ligne bleue) et de la production (ligne jaune) en tonnes Fig. 6 – Le fonctionnement multiscalaire de Slow Food Fig. 7 – L’organisation des consommateurs dans le réseau Slow Food dans le monde Fig. 8 – Schéma explicatif du milieu innovateur Fig. 9 – Configuration des modèles territoriaux d’entreprises Fig. 10 – Après l’IG : trajectoires vertueuses Fig. 11 – Après l’IG : trajectoires vicieuses Fig. 12 – La ressource territoriale au cœur de la dynamique territoriale Fig. 13 – Les étapes de la patrimonialisation Fig. 14 – Le processus de formation du capital symbolique Fig. 15 – La nourriture selon Slow Food : un réseau territorialisé Fig. 16 – Les phases du cycle de la traduction Fig. 17 – Schéma conceptuel de la dynamique des localités Fig. 18 – La Vénétie dans l’Italie du nord-est et la structure réticulaire de l’urbanisation et la localisation de la province de Trévise Fig. 19 – Distribution des premières 10 communautés étrangères régionales au 31 décembre 2007 Fig. 20 – Entre vignes et champs de maïs : la zone industrielle de Susegana, au nord de la province de Trévise Fig. 21 – Vue aérienne du paysage de la Vénétie centrale : on peut remarquer les zone artisanales et les résidences qui se développent entre les parcelles cultivées et les axes routiers Fig. 22 –Paysage typique de la plaine de la Vénétie centrale : champs de maïs et hangars. A l’horizon le massif du monte Grappa Fig. 23 – Variation de la S.A.T. entre 1970 et 2000 par province Fig. 24 – Variation de la S.A.U. par province Fig. 25 – Incidence de la S.A.U. sur la S.A.T. par province Fig. 26 - Comparaison entre les principales composantes de la S.A.U. par province Fig. 27 - Comparaison de l’incidence en pourcentage des surfaces céréalières, à betteraves, à cultures industrielles et horticoles au niveau régional entre 1970 et 2000 Fig. 28 - Comparaison de l’incidence en pourcentage des surfaces céréalières, à betteraves, à cultures industrielles et horticoles par province en 2000 Fig. 29 – Distribution des surfaces à maïs par province, en 2006 Fig. 30 – Production de maïs par province en 2006 Fig. 31 – Evolution du nombre des exploitations et du cheptel bovin en province de Trévise Fig. 32 – Pourcentage de variation des exploitations entre les différents recensements dans la province de Trévise et au niveau régional Fig. 33 – Evolution de la production par classe de dimension (Valeurs en % sur le total régional) Fig. 34 – Les surfaces forestières dans le PTCP Fig. 35-36. Le paysage collinaire de Valdobbiadene, futur patrimoine de l’UNESCO ? Fig. 37 – L’aire de production du Prosecco di Conegliano e Valdobbiadene DOCG, dans les collines au nord de Trévise Fig. 38 – Exemple d’utilisation déraisonnée d’herbicides dans les vignes du Prosecco, avec dégradation de l’activité biologique du sol Fig. 39 – Les lignes jaunes dans les vignes, effet des herbicides Fig. 40 – Composition de la consommation nationale de maïs en 2000

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Fig. 41 – Le maïs Biancoperla Fig. 42 – Le réseau dans la phase de la problématisation Fig. 43 – Le réseau dans la phase de l’intéressement Fig. 44 – Le réseau dans la phase de l’enrôlement (1) Fig. 45 – Le réseau dans la phase de l’enrôlement (2) Fig. 46 – Le réseau dans la phase de la mobilisation Fig. 47 – Le réseau dans la phase actuelle Fig. 48 – Le sommet du Monte Grappa avec le monument en mémoire de la première guerre mondiale Fig. 49 – Le fromage Morlacco Fig. 50 – Exemplaire de vache burlina en pâturage Fig. 51 – Le réseau dans la phase de la problématisation Fig. 52 – Le réseau dans la phase de l’intéressement Fig. 53 – Le réseau dans la phase de l’enrôlement Fig. 54 – Le réseau dans la phase de la mobilisation Fig. 55 – La région Languedoc-Roussillon Fig. 56 – Le département de l’Hérault Fig. 57 – Structure de l’emploi en Languedoc-Roussillon en 2005 Fig. 58 – Structure de l’emploi en France en 2005 Fig. 59 – Limite nord de Montpellier : le vignoble AOC (à gauche) et l’urbanisation sont séparés par la route. Pour combien de temps encore ? Fig. 60 – Entre vignoble AOC et garrigues : vue depuis le causse de l’Hortus, 30 km à nord de Montpellier Fig. 61 – Charnière entre la plaine viticole et les avant monts, au milieu de gorges et vignobles classés, la commune de Minerve est fréquentée chaque année par des centaines de milliers de touristes Fig. 62 – Carte des 6 grandes ensembles de paysages Fig. 63 – Carte des typologies des dynamiques urbaines en Languedoc Roussillon Fig. 64 – Baisse des exploitations et de la S.A.U. en pourcentage entre 1970 et 2007 Fig. 65 – Répartition des surfaces et localisation des AOC héraultaises Fig. 66 – Répartition de l’utilisation du sol en Languedoc-Roussillon Fig. 67 – Répartition de la S.A.U. à légumes du département de l’Hérault en 2007 Fig. 68 – Répartition de la S.A.U. des productions fruitières du département de l’Hérault en 2007 Fig. 69 – Carte des territoires pastoraux (cantons > 250 UGB) du Languedoc Roussillon Fig. 70 – Carte des territoires soumis à enjeux environnementaux (zones Natura 2000, réserves naturelles, sites classés, parc naturels, etc. Fig. 71 – Carte des surfaces toujours en herbe dans les communes de l’Hérault Fig. 72 – Les navets noirs du Pardailhan après la récolte Fig. 73 – Le réseau dans la phase de la problématisation Fig. 74 – Le réseau dans la phase de l’intéressement Fig. 75 – Le réseau dans la phase de l’enrôlement Fig. 76 – La marque déposée à l’INPI Fig. 77 – Le réseau dans la phase de la mobilisation Fig. 78 – Le zone de production de l’AOP Pélardon Fig. 79 – L’AOP Pélardon (à gauche) et sa version affinée (droite) Fig. 80 – Le réseau dans la phase de la problématisation Fig. 81 – Le réseau dans la phase actuelle Table des encadrés Encadré 1 - Une appellation qui vaut 370 millions d’€ Encadré 2 - Une région en avance sur la qualité Encadré 3 - La politique de la qualité en Languedoc-Roussillon Encadré 4 - Le cheval : une filière en émergence

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Table des tableaux Tab. 1 – Evolution du nombre de fromageries en France sur 20 années Tab. 2 – Les hypothèses d’évolution des ruralités Tab. 3 – Les instruments législatifs liés aux justifications des IG Tab. 4 – Comparaison des systèmes laitiers français et italien en 2008 Tab. 5 – Dynamique démographique récente des provinces vénètes Tab. 6 – Population étrangère résidente par province Tab. 7 – Diminution des exploitations agricoles par province Tab. 8 – Taille et nombre des exploitations en Vénétie en 2000 Tab. 9 – Surface agricole totale par province Tab. 10 – Surface agricole utilisée par province Tab. 11 – Evolutions de la surface productive céréalière (Valeurs en ha) Tab. 12 – Evolutions de la surface à plantes industrielles (Valeurs en ha) Tab. 13 – Evolution du cheptel et du nombre d’exploitation de bovins à lait par province Tab. 14 – Nombre de producteurs laitiers par province Tab. 15 – Production de lait commercialisée (Valeurs en millier de tonnes) Tab. 16 – Production moyenne par exploitation par province (Valeurs en tonnes) Tab. 18 – Quantité de lait produite par classe de dimension (Valeurs en milliers de tonnes) Tab. 19 – Valeurs moyennes du foncier dans des zones de plaine en Vénétie en 2004 Tab. 20 – Revenu intérieur brut par employé et par secteur en Vénétie Tab. 21 – Présence de vaches de race burlina en Vénétie entre 1931 et 1954 Tab. 22 – Nombre de vaches de race burlina en province de Trévise entre 1955 et 2006 Tab. 23 – Dynamique démographique du Languedoc Roussillon, par département Tab. 24 – Rôle des migrations dans la croissance démographique Tab. 25 – Spécificité de l’emploi régional entre 1962 et 1990 Tab. 26 – Evolution de la structure de l’emploi en Languedoc-Roussillon entre 1962 et 1999 Tab. 27 – Nombre d’exploitations et SAU relative entre 1970 et 1988 Tab. 28 – Nombre d’exploitations et SAU relative entre 2000 et 2007 Tab. 29 – Variation des exploitations viticoles et des superficies du vignoble par taille Tab. 30 – Evolution de la production de vin en hectolitres entre 1965 et 2007 Tab. 31 – Evolution du nombre total des exploitations par département Tab. 32 – Répartition de l’utilisation du sol par département en 2005 Tab. 33 – Principales cultures régionales Tab. 34 – Répartition de la S.A.U. régionale en 2007 Tab. 35 – Surfaces des principales cultures par département en 2005 Tab. 36 – Part de chaque culture sur le total régional par département en 2005 Tab. 37 – Répartition de la surface régionale destinée à l’élevage Tab. 38 – Taille du cheptel dans l’Hérault Tab. 39 – Nombre d’exploitations Tab. 40 – La construction de la qualité dans chaque phase du processus Tab. 41 – Les processus de patrimonialisation des produits Tab. 42 – Les ressources territoriales mobilisées dans les processus de valorisation des produits Tab. 43 – Comparaison des principaux facteurs endogènes et exogènes des quatre études de cas