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1 Négociation du projet urbain et représentations virtuelles, la place des technologies de réalité mixte » Revue Flux, Paris, à paraître, 2010. Equipe Lab’Urba, Université Paris Est Maria Basile Architecte, docteur en urbanisme (thèse en cotutelle IFU/Ecole doctorale Ville et environnement/Université de Paris 8 et Département Polis de l’Université de Gènes, Italie), maître de conférences et membre du laboratoire MRTE de l’Université de Cergy-Pontoise, associé du Lab’Urba, université Paris Est [email protected] Jean-Jacques Terrin Architecte, docteur en architecture, habilité à diriger des recherches, actuellement professeur à l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Versailles (ENSAV). Il est chercheur au laboratoire Cultures constructives à l’ENSAV et membre associé du Lab’Urba, université Paris Est. Il participe à plusieurs programmes de recherche nationaux et européens. [email protected] Résumé Cette contribution concerne les recherches menées dans le cadre d’IP City, un projet intégré financé par le 6 e PCRD (Programme-Cadre de Recherche et de Développement) de l’Union Européenne en réponse à l’appel d’offre « Presence and Interaction in Mixed Reality Environments » dont l’objectif est d’explorer les conditions dans lesquelles les technologies de réalité mixte (MR) peuvent être utilisées dans des environnements urbains. La réalité mixte permet d’associer des scènes réelles à des éléments numériques générés par un ordinateur, destinés à « augmenter » la réalité. Un des enjeux du projet était de développer certaines de ces technologies et de les rendre portables, mobiles et légères afin d’offrir aux acteurs d’un même projet urbain la possibilité de communiquer et de débattre collectivement et in situ du passé et de l’avenir de leur ville, de leur quartier. Le projet a donc consisté dans un premier temps à identifier et à faire évoluer des prototypes en cours de développement dans les laboratoires partenaires du projet, puis à mener des expérimentations en situation réelle sur des sites opérationnels. La contribution de l’équipe Française à ce projet a plus spécifiquement consisté à participer aux spécifications de ces outils, et notamment à les interroger dans leur capacité à représenter une situation urbaine en action, puis à vérifier leur pertinence au travers d’expérimentations en vraie grandeur menées dans le cadre de projets urbains en cours. English abstract This paper concerns the researches developed in IP City, an integrated project financed by the 6 th FPRD (Framwork Program of Research and Development) of the European Union and answering the call « Presence and Interaction in Mixed Reality Environments ». Its objective is to explore the conditions in which Mixted Reality (MR) technologies can be used in urban environments. Mixed Reality associates real scenes to digital elements computer generated, in order to « augment » reality. One of the stakes of the project was to develop some of those

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Revue Flux, Paris, à paraître, 2010. 1 Figure 1 – La réalité mixte dans un continuum entre réalité et virtualité selon Paul Milgram 2 3 4 5 Figure 1 - Manipuler les objets sur la Table de couleurs, dessiner avec l’Urban Sketcher… 6 7

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Négociation du projet urbain et représentations virtuelles, la place des technologies de réalité mixte »

Revue Flux, Paris, à paraître, 2010.

Equipe Lab’Urba, Université Paris Est

Maria Basile

Architecte, docteur en urbanisme (thèse en cotutelle IFU/Ecole doctorale Ville et environnement/Université de Paris 8 et Département Polis de l’Université de Gènes, Italie), maître de conférences et membre du laboratoire MRTE de l’Université de Cergy-Pontoise, associé du Lab’Urba, université Paris Est

[email protected]

Jean-Jacques Terrin

Architecte, docteur en architecture, habilité à diriger des recherches, actuellement professeur à l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Versailles (ENSAV). Il est chercheur au laboratoire Cultures constructives à l’ENSAV et membre associé du Lab’Urba, université Paris Est. Il participe à plusieurs programmes de recherche nationaux et européens.

[email protected]

Résumé

Cette contribution concerne les recherches menées dans le cadre d’IP City, un projet intégré financé par le 6e PCRD (Programme-Cadre de Recherche et de Développement) de l’Union Européenne en réponse à l’appel d’offre « Presence and Interaction in Mixed Reality Environments » dont l’objectif est d’explorer les conditions dans lesquelles les technologies de réalité mixte (MR) peuvent être utilisées dans des environnements urbains.

La réalité mixte permet d’associer des scènes réelles à des éléments numériques générés par un ordinateur, destinés à « augmenter » la réalité. Un des enjeux du projet était de développer certaines de ces technologies et de les rendre portables, mobiles et légères afin d’offrir aux acteurs d’un même projet urbain la possibilité de communiquer et de débattre collectivement et in situ du passé et de l’avenir de leur ville, de leur quartier. Le projet a donc consisté dans un premier temps à identifier et à faire évoluer des prototypes en cours de développement dans les laboratoires partenaires du projet, puis à mener des expérimentations en situation réelle sur des sites opérationnels.

La contribution de l’équipe Française à ce projet a plus spécifiquement consisté à participer aux spécifications de ces outils, et notamment à les interroger dans leur capacité à représenter une situation urbaine en action, puis à vérifier leur pertinence au travers d’expérimentations en vraie grandeur menées dans le cadre de projets urbains en cours.

English abstract

This paper concerns the researches developed in IP City, an integrated project financed by the 6th FPRD (Framwork Program of Research and Development) of the European Union and answering the call « Presence and Interaction in Mixed Reality Environments ». Its objective is to explore the conditions in which Mixted Reality (MR) technologies can be used in urban environments.

Mixed Reality associates real scenes to digital elements computer generated, in order to « augment » reality. One of the stakes of the project was to develop some of those

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technologies and make them portable, mobile and light in order to give the stakeholders of an urban project the opportunity to communicate and collectively debate in situ about the past and the future of their town or their district. Therefore, the first tasks developed the project consisted in identifying the prototypes in progress in the laboratories of IP City consortium, making them evolve and organizing experimentations in real situations on operational sites.

The contribution of the French team consisted more specifically in participating to the specifications of these tools and questioning their capacity for representing an urban situation in action, then in checking their pertinence through experimentations in real scale in urban projects in progress.

1. Réalité mixte (MR) et environnements urbains

1.1 Les technologies de réalité mixte

Le terme de réalité mixte se réfère à un ensemble de nouvelles technologies qui articulent diversement éléments virtuels et réels. Les notions d’espace réel, espace virtuel et espace mixte qui participent de la MR sont définies de façon relativement codée par les informaticiens et sont essentiellement destinées aux technologies numériques. De manière générale, est considéré virtuel ce qui est généré par ordinateur. Néanmoins, des images (photos, vidéos…) qui seraient simplement captées par un appareil numérique sans être retravaillées sont assimilées à des éléments réels par les spécialistes de ces technologies. De ce fait, l’enjeu technique majeur de la MR est d’associer une scène réelle et des éléments numériques qui sont destinés à l’« augmenter ». Selon Ronald Azuma (1997), les éléments fondateurs de la réalité mixte sont la capacité d’interaction et la réactivité des outils en temps réel. Une autre définition largement acceptée est celle de Milgram (1994). Selon ce dernier, la réalité mixte couvrirait l’ensemble de l’espace intermédiaire compris dans un continuum entre « tout réel » et « tout virtuel ».

Figure 1 – La réalité mixte dans un continuum entre réalité et virtualité selon Paul Milgram

Appliquée au projet urbain, la notion de réalité mixte peut contribuer à enrichir la réflexion sur les corrélations entre contexte réel et potentiel du projet à venir. De plus, elle est fondée sur des principes d’interaction entre acteurs, et interroge notamment les relations qui s’établissent avec les usagers. Selon Michel Lussaut (2007), « l’image […] présente ce qu’elle invente, ce qu’elle fait advenir ». Les représentations issues de la réalité mixte permettent de superposer et d’étudier les passages entre la réalité présente, la scène qui existe sous les yeux de ceux qui l’observent, avec sa charge de mémoire et ses usages stratifiés au fil des époques, et le potentiel virtuel des évolutions futures, un projet chargé des attentes et des contraintes issues du débat et de la négociation entre de multiples acteurs, impliqués à divers titres dans cette transformation (techniques, politiques, d’usage, d’exploitation, etc.).

De fait, la littérature scientifique sur la notion d’espace virtuel (physique, et par extension social) est commune aux spécialistes de la ville et des nouvelles technologies : les uns et les autres se retrouvent notamment à partir des définitions de Deleuze (1968) du virtuel comme

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un état opposé à l’actuel. Pour les architectes et les urbanistes, le projet a toujours été l’espace virtuel/potentiel dans lequel de nouveaux objets et les pratiques qu’ils pourraient susciter sont conçus, questionnés et testés. En effet, le processus de projet urbain se complexifiant au sein d’un système multi-acteurs, les objets virtuels qui le composent sont nécessairement conçus sur la base de références qui doivent être partagées. Leur formalisation se concrétise progressivement, tout au long de chacune des phases de mise au point du projet, à travers la rencontre et la confrontation des savoirs et des savoir-faire des différents acteurs : programmation, faisabilité, conception, négociation, gestion, production, etc. Au-delà des activités de création, plus individuelles, ces interactions (explicites et implicites) contribuent à l’instauration d’une « intelligence collective » capable d’aboutir à des formulations réelles et explicites (par une expression formelle) qui traduisent les valeurs et les objectifs partagés (Terrin 2005). Le projet urbain devient à la fois objet et support de la négociation et peut être considéré comme un système mixte (de même qu’on parle de réalité mixte) dans lequel l’actuel/réel et le potentiel/virtuel trouvent un équilibre à travers un processus interactif qui permet de produire un environnement urbain.

1.2 Techniques de représentation des projets urbains

Le montage et le pilotage des projets urbains se sont progressivement enrichis et à la fois complexifiés ces dernières années par le rôle de plus en plus affirmé d’un nombre grandissant d’acteurs et par la présence active d’utilisateurs finaux, notamment lors des négociations qui se déroulent pendant la phase de faisabilité des projets. Autrefois, la négociation était relativement simple : elle se faisait entre le détenteur du pouvoir et ses techniciens. Pour faciliter ce type de négociation bilatérale, un mode traditionnel de représentation s’est institué qui, depuis des siècles n’a guère évolué dans ses principes généraux. La ville a depuis longtemps été, et elle est toujours le plus souvent, représentée de deux façons complémentaires : un système géométral en 2D, fait de cartes, de plans, de coupes et de façades, conçu par des professionnels et prioritairement destiné à ces derniers, et une simulation picturale en 3D destinée au non initié, plus ou moins réaliste et séduisante mais parfois source de malentendu. Les modes picturaux viennent surtout en complément des modes géométraux et ces derniers sont destinés essentiellement à la réalisation. L’ensemble prend un caractère définitif, l’information y est codée et semble de ce fait ne pas laisser de marge de manœuvre à la négociation avec les acteurs profanes. Il peut également arriver que le mode pictural soit vécu comme une manière de « faire passer la pilule » par des images séduisantes qui évitent d’aborder les questions de fond. De ce fait, il arrive parfois que le recours à l’image ne facilite pas le débat, mais, au contraire, qu’il restreigne l’espace de la négociation.

Si la logique géométrale et picturale n’a pas fondamentalement changé, les techniques de représentation ont beaucoup évolué depuis la banalisation des supports numériques. La plupart de celles qui sont utilisées par les professionnels du projet urbain depuis une trentaine d’années sont orientées vers la gestion de données cartographiées (SIG) et la production (CAO), parfois la simulation (images de synthèse, réalité augmentée), plus rarement l’immersion. D’autres techniques plus sophistiquées, plus confidentielles, existent, mais les deux familles d’outils les plus fréquemment utilisées par les professionnels restent aujourd’hui :

- d’une part des logiciels de cartographie et de conception assistée par ordinateur qui remplacent les outils traditionnels de l’urbaniste et de l’architecte par des moyens ergonomiquement comparables mais infiniment plus productifs,

- d’autre part, des outils de modélisation et de synthèse souvent très sophistiqués qui demandent un haut niveau d’expertise et des moyens financiers très élevés.

Ces outils ont permis des gains de productivité extraordinaires et des performances représentatives exceptionnelles sans toutefois modifier fondamentalement les modes de représentation traditionnels : on continue le plus souvent à représenter la ville en géométral,

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on en mesure les paramètres techniques, et on la simule en trois dimensions par des images de plus en plus séduisantes et parfois « animées », mais qui restent relativement statiques et manquent d’interfaces. Il est certes possible de guider l’interlocuteur à travers des parcours virtuels qui permettent au spectateur de se déplacer selon des trajets généralement prédéfinis, mais on ne dispose pas d’interfaces qui lui permettraient d’agir de façon dynamique sur le système qui « produit la ville », ni dans l’espace, sur les différents flux qui interagissent, ni sur le temps, le changement, l’évolution et les rythmes urbains. Des évolutions en cours montrent que les professionnels sont à la recherche de « documents hybrides lisibles, plus clairs et plus faciles à fabriquer que les produits CAO » (Masboungi, McClure 2007).

1.3 D’autres langages sont nécessaires

La négociation nécessite un support, un cadre. Longtemps, en France et dans un certain nombre de pays européens, le cadre de l’urbanisme a été celui d’une planification d’essence technique, bureaucratique et administrative, le plus souvent centralisée. Depuis deux décennies, la complexité accrue des opérations d’urbanisme impose une gestion basée sur des formes d’action plus limitées dans l’espace et dans le temps, facilitant la négociation et le partage de valeurs. C’est pourquoi la plupart des villes européennes structurent aujourd’hui leur développement, mais aussi leur communication et leur marketing, autour de « projets urbains », en réaction aux pratiques antérieures. Cette approche, limitée dans l’espace et dans le temps, fait appel à des méthodes de management qui facilitent la constitution d’équipes polyvalentes, généralement fondées sur des partenariats entre secteur public et secteur privé, entre acteurs locaux et opérateurs globaux. Elle se justifie par ses capacités à faciliter des pratiques innovantes, considérant essentiel de prendre en compte dès leur programmation des objectifs économiques, sociaux et environnementaux. La négociation devient ainsi un enjeu central au sein duquel le développement durable joue un rôle important, entre politiques publiques, attentes des habitants, exigences de la planification et stratégies des acteurs ; une négociation qui se mène souvent entre des logiques contradictoires et qui se déploient parfois sur un mode d’affrontement entre long terme et court terme, global et local, privé et public…

De nouveaux langages et de nouveaux outils seraient nécessaires pour faciliter les interactions sur la base d’un design collaboratif entre les professionnels qui gravitent autour du projet urbain et entre ces derniers et l’ensemble des acteurs sociaux (politiques et citoyens). Pour faciliter le rapprochement entre le projet et ses acteurs, ces langages devraient également rendre compte de l’importance des éléments immatériels de la production de la ville tels que la mobilité ou les ambiances, auxquels les termes de la négociation font souvent appel.

2. Le projet IPCITY, une recherche entre réalité mixte et urbanisme

2.1 Un projet européen

L’objectif du projet IP City est de faciliter la participation et la communication entre acteurs d’un même projet ou d’un même évènement : élus, citoyens, habitants, riverains dans le cas d’un projet urbain, spectateurs dans le cas d’un évènement sportif ou culturel, ou encore simples visiteurs d’une ville. L’ambition du projet IP City est d’offrir à ces acteurs, qu’ils soient néophytes ou professionnels, un ensemble d’outils de MR leur permettant de découvrir collectivement le passé ou l’avenir de leur ville et d’en débattre ensemble. Un des enjeux qui a rassemblé les chercheurs d’IP City, était de faire sortir les technologies de la réalité mixte des laboratoires et des campus dans lesquels ils sont mis en œuvre de façon idéale, hors contexte, parfaitement couverts par des réseaux de communication et pratiqués par des étudiants et chercheurs experts en nouvelles technologies. L’idée de se confronter à l’univers urbain comportait un défi à la fois technique (agir sur des espaces « connectés » de

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manière peu homogène, développer des outils mobiles et adaptables), ethnologique (aller au devant d’usagers non-experts) et multi-disciplinaire (s’enrichir de la rencontre entre la recherche sur la ville et sur les nouvelles technologies).

IP City est organisé en plusieurs groupes de travail techniques qui expérimentent les techniques de MR dans des contextes urbains de quatre types : le renouvellement urbain, les grands évènements, les jeux éducationnels et l’histoire des villes. Le premier axe, en particulier, porte sur les processus de négociation autour du projet urbain. Sa dénomination « urban renewal » est révélatrice de la place particulière des urbanistes face aux techniciens : l’intitulé a été choisi sans rentrer dans les subtilités du débat international autour de concepts diversement traduits, tels que « rénovation », « renouvellement », « régénération » urbaine, etc. En effet, le projet IP City est né surtout en réponse à des problématiques techniques. L’inscription dans la ville et dans les questions de recherche urbaine s’est faite progressivement, « par frottement » entre les chercheurs issus de domaines différents.

A l’origine du projet, les urbanistes étaient sollicités en tant qu’usagers finaux des outils en cours de développement : ils étaient appelés à en orienter les prescriptions et à participer à leur évaluation. L’opportunité d’intervenir dans la phase de conception des technologies a rapidement fait émerger la nécessité d’intégrer certains questionnements sur les pratiques et sur la production de la ville. Ce positionnement a amené les chercheurs à confronter le potentiel des technologies disponibles et en cours d’évolution aux faiblesses par rapport aux besoins de la négociation du projet urbain. Par conséquent, une période d’apprentissage réciproque a été nécessaire, avec mise en commun des principales notions rendant le travail collectif possible. Dans le cadre de cette collaboration, les technologies sont devenues à la fois un objet de recherche et un support de réflexion sur les évolutions de l’urbanisme et de la production de la ville.

2.2 Une méthode pragmatique

Le projet IP City est parti d’une boîte à outils dont le développement avait déjà été amorcé par les divers partenaires techniques et dont les prototypes ont évolué au cours du projet en fonction des problématiques spécifiques de l’appel d’offre qui portait sur « interaction et présence », notions typiques de la recherche sur la réalité virtuelle et mixte. En ce qui concerne l’axe expérimental mené sur les processus de projet urbain, les technologies ont été regroupées dans un laboratoire mobile, intitulé MR-Tent, pouvant être installé sur un site de projet sous forme d’une tente. La MR-Tent abrite l’application de réalité mixte Urban Express qui regroupe la Table de couleurs et l’Urban Sketcher.

La Table de couleurs est une table numérique multi-utilisateurs qui permet à des urbanistes et à leurs interlocuteurs d’observer ensemble les changements générés par un projet urbain. Elle permet à ses utilisateurs d’intégrer des éléments virtuels générés par ordinateur (édifices, infrastructures, personnages, végétation, etc.) dans un environnement réel, par projection sur un écran transparent, sur une séquence vidéo, ou sur une projection photographique de type panoramique, et de les manipuler en temps réel. La Table de couleurs est utilisée de façon complémentaire avec l’Urban Sketcher, une application qui associe à la prise vidéo d’une scène réelle plusieurs couches d’informations virtuelles pouvant être élaborées en commun par ses utilisateurs. Ceux-ci peuvent insérer des objets dans la scène et les manipuler en changeant leur taille et leur degré de transparence ou bien en leur appliquant des couleurs ou des textures. Un exemple de fonctionnalité introduite suite aux échanges entre les équipes de disciplines différentes est la possibilité de dessiner directement sur la scène réelle, ou l’annoter et ainsi créer des collages entre des éléments réels et virtuels. Des sons peuvent également leur être associés, leur volume pouvant être modulé.

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Figure 1 - Manipuler les objets sur la Table de couleurs, dessiner avec l’Urban Sketcher…

2.3 Une recherche fondée sur l’expérimentation

Le développement des outils de réalité mixte et la réflexion théorique sur la représentation du projet urbain sont rythmés par des sessions d’expérimentation (ou workshops) sur des terrains d’étude sélectionnés à la fois pour les possibilités qu’ils offrent pour le test des technologies et pour les enjeux liés au projet urbain. Les sessions se déroulent généralement sur deux jours, avec deux groupes de participants aux orientations différentes, de manière à compenser en partie les aléas liés au contexte (changements météorologiques et de conditions de lumière, dynamique de groupe, stabilité des technologies…).

Ainsi, les deux premières sessions (juin 2006 et mars 2007) ont eu lieu dans l’enceinte de l’hôpital Sainte-Anne. Elles ont permis dans un premier temps de se familiariser avec les outils et de capitaliser les enseignements de la première session en organisant une deuxième session un peu plus portée sur les questionnements ouverts par le projet de réhabilitation de l’hôpital dont l’agence Architecture Studio est en charge. En particulier, un des enjeux principaux concernait l’ouverture de l’hôpital sur le quartier et le traitement du mur d’enceinte, classé comme monument historique. Alors que la première session s’est tenue dans des locaux administratifs, la deuxième session a été l’occasion pour tester la situation sur site, avec la location d’une tente, qu’il a fallu adapter pour les besoins de l’expérimentation. Dans les deux cas, un groupe de participants était constitué des principaux acteurs du projet (services administratifs et médicaux de l’hôpital, un représentant de l’agence Architecture Studio, l’Architecte des Bâtiments de France en charge du projet) et le deuxième de personnes intéressées par le projet IP City que ce soit pour les aspects technologiques ou urbanistiques.

Pour la troisième session, en septembre 2007, le choix s’est orienté vers un site avec un projet urbain plus complexe : le Tribunal de Grande Instance (TGI) de Paris, pour lequel un concours avait été lancé sur la friche ferroviaire située dans le quartier Austerlitz, près de la Bibliothèque nationale, dans le 13e arrondissement. La session s’est déroulée dans les locaux du voisin complexe cinématographique Mk2, qui sont dotés d’une grande verrière avec vue sur le site. Un des principaux intérêts de cette session est d’avoir pu prendre en compte l’animation du site : voitures, bus, passants circulaient en premier plan devant la verrière, le site de projet étant en arrière plan.

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Figure 2 – TGI (3e session, septembre 2008) : scène de MR construite à partir d’une image vidéo captée en temps réel qui rend compte de l’animation du site et dans laquelle sont incrustés des éléments générés par ordinateur : bâtiments, mais aussi flux de personnes (en bleu)

En ce qui concerne le choix des participants, la logique adoptée était la même qu’à Sainte-Anne. Pour les deux sites, le contenu iconographique était basé sur les travaux d’étudiants de l’école d’architecture de Versailles dans le cadre de leur cours de projet. Cela permettait de comparer diverses options, sans que cela remette en cause la négociation autour des « projets officiels ».

En septembre 2008, une Tente de la MR a été spécialement confectionnée pour les besoins du projet IP city. Elle a été installée dans le quartier Bossut, une ancienne caserne de 150 hectares qui fait actuellement l’objet d’une étude de renouvellement urbain et qui a une localisation stratégique entre Cergy et Pontoise, au cœur de l’agglomération. Les acteurs du projet, urbanistes et responsables de l’agglomération, ont pu s’y réunir pendant deux journées pour débattre du projet urbain en cours d’élaboration avec différents représentants de la population tout en observant le paysage urbain qu’ils avaient sous les yeux, qu’ils pouvaient « augmenter » avec des images numériques préalablement sélectionnées par les participants. Dans ce cas, l’expérimentation se situait dans la phase amont du processus de projet, quand sont uniquement esquissés des éléments programmatiques, avant la véritable phase de conception.

Les contenus iconographiques étaient donc constitués de volumes simples ou de vignettes 2D évoquant des objets (tramway, passerelle, arrêt de bus, fontaine…), des activités (commerces, loisirs…) et des ambiances (espaces publics, terrasses de café, espaces naturels, espaces bâtis plus ou moins denses…). La scène du projet était simultanément générée sur un plan du site posé sur une table interactive au centre de la tente, et, verticalement, sur différents supports « réels » : des images panoramiques prises de points de vue remarquables ; une vue vidéo filmée en temps réel par une caméra mobile se déplaçant sur le site ; un écran transparent intégré dans une fenêtre de la tente permettant une intégration des images virtuelles dans le paysage réel. Les intervenants pouvaient modifier les objets virtuels situés sur la scène réelle, définir leurs modénatures, tracer des circulations, en préciser les flux, créer un paysage sonore et l’associer à la scène visuelle. Ils pouvaient également dessiner ou écrire directement sur la scène, en appliquant par exemple des textures sur les sols et sur les objets virtuels.

Un dispositif d’analyse avait été mis en place : la scène était filmée, enregistrée et photographiée ; un protocole d’observation avait été étudié autour de questions telles que la répartition des rôles dans la négociation, le langage utilisé et la place réservée aux différents registres (oral ou visuel), les références à des éléments abstraits ou concrets, les concepts proprement urbains, le rapport entre les dimensions réelles et virtuelles, etc. La dynamique de groupe s’est avérée assez différente lors des deux séances de travail. Le premier groupe était en majorité constitué de personnes informées du projet et ayant une expertise reconnue

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sur la ville : parmi les participants, il y avait un des architectes-urbanistes fondateurs de la ville nouvelle, des responsables de la communauté d’agglomération en charge du projet aujourd’hui, une enseignante du département de Géographie de l’université de Cergy-Pontoise, des représentants d’une association sur les modes de déplacements doux. Lors de cette séance de travail, la négociation a pris une connotation professionnelle et les questions de stratégie urbaine ont longuement été évoquées avant de tenter de les mettre en œuvre dans un esprit « ludique » avec les technologies.

Figure 4 – Les participants placent des éléments sur le plan du quartier Bossut et vérifient le résultat à l’écran

En revanche, les personnes ayant répondu à l’appel pour la deuxième séance de travail ont contribué à constituer un équilibre différent, avec une majorité de participants « non-experts », mais concernés par le site : un chercheur en biologie dont le bureau a vue sur la caserne et qui peut être considéré comme un riverain, un représentant de la Chambre de commerce en charge des questions de gestion urbaine et d’animation commerciale, un policier en poste dans la caserne (seule activité actuellement en fonction sur le site). Par ailleurs, les « experts » (un jeune urbaniste et un enseignant du département de Géographie de l’université de Cergy-Pontoise) ont eu à cœur d’impliquer tous les participants dans la discussion qui s’est essentiellement déroulée sous la tente de la MR, autour de la table de couleurs et des technologies. Les participants se sont pris au jeu et se sont donnés les moyens d’aller plus loin dans les options de projet étudiées que lors de la précédente séance de travail.

Figure 5 – L’interaction rend possible la configuration de « scènes urbaines » et la discussion autour d’enjeux et de stratégies plus que de concevoir un projet urbain et architectural

Ces observations sont la conséquence de plusieurs facteurs, difficiles à isoler dans l’état actuel de la réflexion. Finalement, ces deux séances de travail ont permis de faire de

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nombreuses observations, tant sur le plan du travail collaboratif autour de l’élaboration de stratégies urbaines que sur la façon dont les technologies sont utilisées comme médias de débat et de négociation. Le dispositif mis en place pour l’observation de cette dernière session d’expérimentation est en cours d’analyse. Il doit apporter des éléments utiles pour l’organisation de la prochaine session qui aura lieu en juin 2009.

3. Questions en débat

Ces sessions d’expérimentation permettent, d’une part, de tester les prototypes en cours de développement et, de l’autre, d’évaluer les hypothèses émises par les différents groupes de chercheurs du projet européen. Les outils dont dispose IP City, notamment dans le cadre de l’axe « Urban renewal », favorisent la dimension collaborative et l’expression d’une intelligence collective à partir de dispositifs à la fois techniques et spatiaux qui rassemblent un certain nombre d’acteurs plus ou moins experts, incluant des usagers et des riverains. Notre hypothèse est que la mobilisation dans la scène réelle de la négociation d’objets générés par ordinateur (objets tridimensionnels, images, flux, sons, etc.) permet aux usagers impliqués d’enrichir la réflexion collective de références personnelles qui habituellement restent implicites, et de les communiquer aux professionnels.

3.1 Enonciations imagées et légendées

L’expérimentation proposée par IP City consiste à solliciter les acteurs présents grâce à des images, éventuellement associées à des sons, que chacun peut mixer et interpréter en fonction de ses propres références. On peut aussi parler de mots illustrés par une icône et qui seraient légendés différemment par chaque protagoniste. Ces « mots légendés » pourraient constituer le vocabulaire d’un langage destiné à faciliter la communication entre ces acteurs de culture différente, le partage de leurs expériences, la négociation face à des choix ou des orientations possibles. Les outils développés par IP City ouvrent des pistes pour étudier ces divers types de vocabulaires qui enrichissent le débat autour du projet urbain. Ainsi, une des questions qui se sont posées lors des sessions d’expérimentation concerne la pertinence de l’image et son rapport avec le discours oral propre à la négociation, ainsi que les types d’images (abstraites, concrètes, métaphoriques, …) qui ont eu la préférence des différents protagonistes ; mais aussi les références mobilisées, issues d’expériences professionnelles ou bien appartenant plutôt à la sphère de l’imaginaire ou du vécu, la manière dont elles sont sollicitées : démarche sécurisante à partir de ce qui est connu, pragmatique ou créative et prête à détourner les matériaux disponibles, débat sur les valeurs, sur l’imaginaire ou sur des enjeux plus factuels, etc.

3.2 Panoramas et échelle réelle

Dès les premières sessions d’expérimentation à Sainte-Anne, il est apparu que la possibilité de travailler à l’échelle réelle (1 :1) et la relation directe au site, avec l’animation qui le caractérise ou qui lui manque était une des attentes les plus motivantes des architectes et des urbanistes.

Cependant la réalité mixte implique plus généralement la notion de mise en situation et de cohérence entre le potentiel exprimé et le cadre réel dans lequel il est inscrit, même si celui-ci est représenté à une échelle réduite par un média vidéo ou photographique. Un des supports de communication développés par IP City est celui de panoramas photographiques qui permettent aux participants d’observer le site et ses transformations depuis plusieurs points de vue stratégiques. Ces panoramas ont constitué des forums de discussion extrêmement efficaces, « comme une avant première de collectif » (Bruno Latour 2006).

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3.3 Systèmes en mouvement

La notion de mouvement peut être évoquée à propos de la ville comme support des technologies mais aussi comme objet à part entière. En effet, le projet urbain et sa négociation ne se limitent pas à la construction d’éléments urbains, mais ont un impact sur les flux (piétons, modes doux ou motorisés, individuels ou collectifs) qui structureront et connecteront les sites concernés. Ces questions sont moins traitées de manière technique et fonctionnelle qu’en tant que composantes de la ville qui s’articulent à d’autres éléments urbains concernant les usages. Les chercheurs d’IP City ont donc voulu dépasser les traditionnelles visions statiques, et offrir une dimension dynamique de la représentation urbaine.

Ces intentions sont facilitées par divers dispositifs. D’une part, les flux de personnes et d’infrastructures peuvent être intégrés sur la scène de représentation au même titre que les objets urbains tels que des édifices, des espaces publics, etc. D’autre part, la possibilité de débattre du projet en étant en relation directe avec le site grâce à une interface de type « see-through » et à des images captées en temps réel par une caméra offre aux participants du débat une dimension extrêmement dynamique. Celle-ci permet en effet d’intégrer dans le même champ de vision la scène réelle, son animation et les mouvements de personnes ou d’objets qui la traversent (ou leur absence) et les projections virtuelles, objet du projet.

Figure 6 – A gauche, l’espace central de la caserne (les bâtiments existants sont visibles en arrière plan) a été repensé et redistribué avec de nouveaux bâtiments longés par un axe ouvert aux piétons et aux cyclistes. A droite, une autre option a été discutée : l’espace central est parcouru par plusieurs axes ouverts aux voitures.

Pour compléter cette sensation de dynamisme, les outils d’IP City relient l’espace de la négociation, situé sous la MR-Tent, à des « scouts » pouvant se déplacer à la demande sur le site et à ses alentours. Cela permet de multiplier les points de vue et surtout d’enrichir le débat grâce à des images « en mouvement ».

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Figure 7 – L’interaction autour de la table permet de discuter et de mettre en relation les éléments placés sur plan qui apparaissent dans différentes vues (à gauche, le see-through, la fenêtre sur le site à l’échelle réelle et à droite une image prise d’un point de vue plus lointain, avec un champ de vision plus large).

A ces dispositifs, s’ajoute le choix de la MR Tent, laboratoire mobile qui rend les outils eux-mêmes mobiles et facilite la relation au site. Elle a été conçue pour rassembler les participants dans un lieu significatif du site de projet autour des outils technologiques et notamment autour de la Table de couleurs, élément fédérateur du dispositif.

Le mouvement comporte également une dimension temporelle. Les technologies d’IP City facilitent la prise en compte de l’évolution du site dans le long terme, des rythmes urbains (journaliers, hebdomadaires, saisonniers…), mais également les phases du processus de négociation. Ainsi, des prises de vue panoramiques de jour et de nuit, par exemple, entrent dans cette logique de dynamisme temporel.

Figure 3 – Panoramas de jour et de nuit pour travailler sur l’insertion du projet dans le skyline

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3.4 Ambiances

Le langage propre aux ambiances nous semble être un moyen de communication privilégié pour faciliter les débats et la négociation sur les aspects immatériels du projet, très présents sur la scène urbaine, tels que le climat, les atmosphères, le confort, le bien-être, la qualité de la vie, etc. En effet, la notion d’ambiance fait à la fois référence à des niveaux de perception physiques (et donc mesurables), sensibles (donc plutôt individuels), culturels (plutôt sociaux ou collectifs). La notion d’ambiance ouvre au débat entre les acteurs un champ multi-sensoriel. Dans le cas d’IP City, l’introduction de la dimension sonore n’en est qu’à ses balbutiements mais celle-ci permet d’éviter une focalisation exclusive sur le visuel, et favorise une perception plus globale de l’espace urbain et de son fonctionnement.

3.5 Gestion de l’incertitude

La prise en compte de l’incertitude concerne également les processus de négociation du projet urbain. L’écueil des modes de représentation traditionnels (géométral et pictural) étant souvent de rester cloisonnés dans les aspects techniques ou dans le registre de la séduction, la négociation souffre parfois d’être fondée sur des objets prédéfinis alors que les représentations pourraient « jouer le rôle d’instruments maïeutiques capables de faire découvrir aux élus et aux acteurs locaux les potentialités de leur territoire » (Chapel, Grudet, Mandoul 2007). Pour cela les outils doivent pouvoir traduire les notions de provisoire, de flou et d’aléatoire qui sont intrinsèques au projet urbain.

La réalité mixte permet de « rendre visible l’invisible » et notamment de faire apparaître directement sur site différentes sortes d’information : d’une part, les stratifications, à la fois physiques (y compris les réseaux souterrains) et thématiques (les « layers » des logiciels de CAO et de SIG) ; d’autre part, les limites (administratives et d’usage) qui déterminent les compétences sur les divers éléments du projet urbain mais dont le foisonnement complique souvent le processus de négociation.

Par la représentation d’ambiances urbaines, d’analogies et de métaphores, en qualifiant le flou et l’imprécision, le projet raconte une autre histoire de l’architecture, à la fois sensible et mesurable. Il devient débat, séduction, négociation, avant d’être la description d’un objet à réaliser. L’image qu’il transmet est conçue comme un « embrayeur de débats ». Il en découle de nouvelles écritures qui font émerger progressivement des idées, qui s’appuient sur des perceptions sensorielles, et des modalités d’usage.

Conclusions

Une des pistes de travail que propose le programme de recherche d’IP City est de suggérer que la réalité mixte puisse constituer de nouveaux langages de représentation du projet urbain qui favoriseraient le dialogue entre différents acteurs, professionnels et profanes. Par leur vision dynamique de la scène urbaine, par les interactions qu’ils faciliteraient, par la fusion qu’ils opéreraient entre la ville réelle et la ville virtuelle, par leur capacité à appréhender la ville à l’échelle réelle, ces langages constitueraient une véritable rupture avec les modes de représentation actuels. Cette position pourrait certes suggérer un éventuel déterminisme de l’instrumentation sur les processus de conception qui pourrait paraître choquant dans la mesure où elle touche à l’activité créatrice de l’architecte ou de l’urbaniste. Elle se justifie pourtant, sans doute, au regard de l’explosion actuelle de l’instrumentation des professionnels de la conception. Elle pose cependant d’inévitables questions éthiques sur l’usage des technologies de représentation et leur pouvoir d’influence sur les observateurs néophytes par des experts qui enferment leurs connaissances dans une « boîte noire » inaccessible à leurs interlocuteurs et clients. Supports d’expertises trop souvent opaques, ces technologies délivrent des informations difficilement vérifiables, encore plus difficilement discutables, et jouent donc plus facilement sur le registre de la séduction que sur celui de la négociation.

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Concernant IP City, il est pourtant possible de nuancer ce propos sur plusieurs plans. D’une part, les techniques de réalité mixte proposées ne semblent pas participer d’une obsession techniciste (Boudinet 1993). Elles ne jouent pas sur l’effet séducteur de la technologie pour étouffer les débats et les interactions. Au contraire, elles s’inscrivent plutôt dans une logique de simplification d’usage et de mise au service de la discussion et de la négociation. Elles mettent à la disposition des usagers de la ville des moyens d’expression qu’ils peuvent utiliser pour exprimer leurs sensations, leurs exigences, leurs expériences. La mise au point avec eux, préalablement à l’expérimentation, d’une base de données d’images et d’ambiances qui représentent ces expressions, facilite leur capacité d’intervention et objective leurs points de vue. A ce titre, les outils mis au point à l’occasion d’IP City ne sont pas à considérer comme des outils de conception mais plutôt comme des outils d’aide au débat et à la négociation, préalables à la conception, qui permettent d’engager des passerelles entre les maîtres d’ouvrage et maîtres d’œuvre d’une part, et les représentants de l’usage et des gestionnaires des espaces urbains de l’autre. Lorsqu’elles seront réellement opérationnelles, les technologies de réalité mixte pourraient devenir un maillon, actuellement manquant, entre les acteurs situés en amont des processus de conception qui ont une vision de l’objet final mais ne sont pas sûrs de la façon dont il sera vécu, et les acteurs situés en aval qui n’ont aucune compétence technique sur la façon de le réaliser mais qui ont une réelle expertise sur le vécu d’un espace.

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Notes

(1) Participent à ce projet six laboratoires développant des technologies de réalité mixte (FIT Fraunhofer en Allemagne, coordinateur du projet, et les Universités de Technologie d’Helsinki, de Graz, d’Aalborg, de Vienne, de Oulu, ces deux dernières comportant des équipes qui travaillent sur les implications ethnologiques et méthodologiques des relations homme-machine), une entreprise (Imagination) et deux équipes de recherches urbaines (Université des arts appliqués de Vienne et l’Université Paris Est pour le compte du laboratoire Lab’Urba)

(2) Projection d’éléments virtuels sur une ouverture à travers laquelle une partie du site est visible

(3) Dans le dossier « Représenter » du n.357 de la revue Urbanisme (2007), Pascale Simard plaide pour l’utilisation de l’audio-visuel pour élargir le débat sur le projet urbain (p.50-51)

(4) La réflexion sur la gestion des temporalités prends de plus en plus d’ampleur, notamment avec le « chrono-urbanisme » et les « bureaux du temps ». Par exemple, le numéro 77 des Annales de la Recherche urbaine « Emplois du temps » apportait dès 1997 plusieurs éléments du débat.