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J Radiol 2007;88:1665-6 © Éditions Françaises de Radiologie, Paris, 2007 Édité par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés analyse commentée IRM et carcinome canalaire in situ, la fin d’un dogme ? P Taourel rois mois après l’article publié par Lehman dans le New England Journal of Medecine (1) et récemment analysé dans le Journal de Radiologie (2) qui évaluait l’intérêt de l’IRM dans le diagnostic de cancer contro-latéral, un article important et largement commenté a été publié par Christiane Kuhl dans le Lancet sur les performances de l’IRM dans le diagnostic des car- cinomes canalaires in situ (3). Cet article remet en question un dogme, le fait que le diagnostic de carcinome canalaire in situ re- pose exclusivement sur la mammographie puisque seule celle-ci permet de diagnostiquer les microcalcifications, signal du carci- nome canalaire in situ. Cette étude montre qu’un peu moins de la moitié des carcinomes canalaires in situ est méconnue par la mammographie. Elle retrouve des performances très nettement supérieures de l’IRM qui n’en manque que 10 %. L’étude menée par C. Kuhl est unicentrique et inclut 7319 pa- tientes qui ont bénéficié d’une IRM et d’une mammographie sur une période de 5 ans (2002-2007). Parmi ces 7319 patientes, 469 ont un diagnostic final de cancer invasif et 193 un diagnostic de carcinome canalaire in situ. Cent soixante-sept des 193 patientes avec un carcinome canalaire in situ avaient bénéficié de la mam- mographie et de l’IRM avant toute biopsie, et les performances de l’IRM et de la mammographie ont été comparées dans cette population de 167 patientes. La sensibilité de l’IRM était supé- rieure à celle de la mammographie pour les carcinomes canalai- res in situ (92 versus 56 %) et cela dans la population des carcino- mes canalaires in situ de haut grade comme de bas grade. Cependant, cette supériorité était plus nette pour les carcinomes canalaires in situ de haut grade (98 % versus 52 %) que pour les carcinomes canalaires in situ de bas et moyen grade (85 % versus 60 %). Dans la population des cancers in situ de haut grade in- cluant 89 patientes, l’IRM était positive avec une mammographie négative chez 48 % des patientes, alors que la mammographie n’était positive de façon exclusive que chez 2 % des patientes. Dans la population des carcinomes in situ de grade bas et inter- médiaire incluant 78 patientes, l’IRM était positive avec une mammographie négative chez 37 % des patientes, alors que la mammographie était positive de façon exclusive chez 13 % des patientes. Malgré cette excellente sensibilité, l’IRM gardait une bonne valeur prédictive négative de 59 % pour le diagnostic de cancer, incluant les cancers in situ et les cancers invasifs, compa- rable à la valeur prédictive positive retrouvée en mammographie de 55 %. Cette étude publiée au mois d’août et présentée 3 mois plus tôt au congrès de l’ASCO à Chicago amène un certain nombre de com- mentaires. Elle retrouve des résultats inattendus à première vue et bouscule certains consensus sur la non-indication de l’IRM pour le diagnostic de carcinome canalaire in situ. En démontrant une sensibilité supérieure de l’IRM, en particulier pour les carci- nomes canalaires in situ de haut grade qui sont ceux qui ont le plus de risque d’évoluer vers un cancer invasif, elle pourrait don- ner une place accrue à l’IRM dans le diagnostic précoce des can- cers du sein, voire dans le dépistage. En réalité, ces résultats ne sont pas tellement surprenants d’une part, et une utilisation large de l’IRM du sein en dépistage ne doit pas être préconisée à partir des résultats de cette étude d’autre part. Ces résultats ne sont pas surprenants puisqu’il était pressenti que de nombreux carcinomes canalaires in situ ne s’accompagnaient pas de microcalcifications. En effet, les carcinomes canalaires in situ diagnostiqués en mammographie, en grande majorité grâce aux microcalcifications, ne représentent que 20 % des cancers diagnostiqués par les programmes de dépistage. Or, le passage par la phase de lésion in situ est un passage obligatoire dans le dé- veloppement d’un cancer du sein qui naît des cellules bordant les canaux épithéliaux. Le cancer canalaire microscopique va se dé- velopper à l’extérieur du canal en cancer invasif, ou bien à l’inté- rieur du canal en cancer canalaire in situ macroscopique, ou bien encore de façon mixte dans les cancers canalaires in situ avec composante invasive ou dans les cancers invasifs avec composan- te canalaire in situ prédominante. Le passage obligé par le stade in situ ne s’accompagne évidemment pas toujours de microcalcifi- cations. Le manque de sensibilité du signal des microcalcifica- tions n’est donc pas une surprise. La bonne sensibilité de l’IRM n’en est pas une non plus puisque les carcinomes canalaires in si- tu, en particulier de haut grade, induisent une angiogénèse avec prolifération de néovaisseaux et augmentation de la perméabilité vasculaire bien connue des anatomo-pathologistes (4, 5). Cette étude ne doit pas aujourd’hui nous amener à proposer une généralisation plus large du dépistage par IRM, comme certains experts le craignaient à l’issue du congrès de l’ASCO, et cela pour deux raisons : – la première raison est que la population incluse dans cette étude ne reflète en rien la population générale, même si la population est large, incluant près de 1500 patientes par an pour un seul cen- tre. Elle n’obéit certes pas aux critères classiques d’indications de l’IRM (6) puisqu’un certain nombre de patientes incluses ont sou- haité la réalisation d’une IRM alors qu’elles n’avaient pas de fac- teurs de risque familiaux particuliers et pas d’image mammogra- phique suspecte. On aurait d’ailleurs aimé connaître la rentabilité de l’IRM dans cette situation particulière, mais com- me l’a développé Christiane Kuhl dans sa très belle mise au point publiée dans Radiology (7), il n’est pas éthique pour un radiologue de refuser une IRM du sein, examen le plus sensible, à une pa- tiente informée. Son rôle est de lui préciser les avantages poten- tiels de l’IRM mais également ses inconvénients en termes de faux positifs et possibles examens de surveillance inutiles, voire Analyse de l’article « MRI for diagnosis of pure ductal carcinoma in situ: a prospective observational study ». Lancet 2007;370:459-60. T Service d’Imagerie médicale, Hôpital Lapeyronie, 371, av du Doyen G Giraud, 34295 Montpellier. Correspondance : P Taourel E-mail : [email protected]

IRM et carcinome canalaire in situ, la fin d’un dogme ?

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Page 1: IRM et carcinome canalaire in situ, la fin d’un dogme ?

J Radiol 2007;88:1665-6© Éditions Françaises de Radiologie, Paris, 2007

Édité par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

analyse commentée

IRM et carcinome canalaire

in situ

,la fin d’un dogme ?

P Taourel

rois mois après l’article publié par Lehman dans le

NewEngland Journal of Medecine

(1) et récemment analysé dansle

Journal de Radiologie

(2) qui évaluait l’intérêt de l’IRMdans le diagnostic de cancer contro-latéral, un article importantet largement commenté a été publié par Christiane Kuhl dans le

Lancet

sur les performances de l’IRM dans le diagnostic des car-cinomes canalaires

in situ

(3). Cet article remet en question undogme, le fait que le diagnostic de carcinome canalaire

in situ

re-pose exclusivement sur la mammographie puisque seule celle-cipermet de diagnostiquer les microcalcifications, signal du carci-nome canalaire

in situ

. Cette étude montre qu’un peu moins de lamoitié des carcinomes canalaires

in situ

est méconnue par lamammographie. Elle retrouve des performances très nettementsupérieures de l’IRM qui n’en manque que 10 %.L’étude menée par C. Kuhl est unicentrique et inclut 7319 pa-tientes qui ont bénéficié d’une IRM et d’une mammographie surune période de 5 ans (2002-2007). Parmi ces 7319 patientes, 469ont un diagnostic final de cancer invasif et 193 un diagnostic decarcinome canalaire

in situ

. Cent soixante-sept des 193 patientesavec un carcinome canalaire

in situ

avaient bénéficié de la mam-mographie et de l’IRM avant toute biopsie, et les performancesde l’IRM et de la mammographie ont été comparées dans cettepopulation de 167 patientes. La sensibilité de l’IRM était supé-rieure à celle de la mammographie pour les carcinomes canalai-res

in situ

(92

versus

56 %) et cela dans la population des carcino-mes canalaires

in situ

de haut grade comme de bas grade.Cependant, cette supériorité était plus nette pour les carcinomescanalaires

in situ

de haut grade (98 %

versus

52 %) que pour lescarcinomes canalaires

in situ

de bas et moyen grade (85 %

versus

60 %). Dans la population des cancers

in situ

de haut grade in-cluant 89 patientes, l’IRM était positive avec une mammographienégative chez 48 % des patientes, alors que la mammographien’était positive de façon exclusive que chez 2 % des patientes.Dans la population des carcinomes

in situ

de grade bas et inter-médiaire incluant 78 patientes, l’IRM était positive avec unemammographie négative chez 37 % des patientes, alors que lamammographie était positive de façon exclusive chez 13 % despatientes. Malgré cette excellente sensibilité, l’IRM gardait unebonne valeur prédictive négative de 59 % pour le diagnostic decancer, incluant les cancers

in situ

et les cancers invasifs, compa-rable à la valeur prédictive positive retrouvée en mammographiede 55 %.Cette étude publiée au mois d’août et présentée 3 mois plus tôt aucongrès de l’ASCO à Chicago amène un certain nombre de com-mentaires. Elle retrouve des résultats inattendus à première vue

et bouscule certains consensus sur la non-indication de l’IRMpour le diagnostic de carcinome canalaire

in situ

. En démontrantune sensibilité supérieure de l’IRM, en particulier pour les carci-nomes canalaires

in situ

de haut grade qui sont ceux qui ont leplus de risque d’évoluer vers un cancer invasif, elle pourrait don-ner une place accrue à l’IRM dans le diagnostic précoce des can-cers du sein, voire dans le dépistage. En réalité, ces résultats nesont pas tellement surprenants d’une part, et une utilisation largede l’IRM du sein en dépistage ne doit pas être préconisée à partirdes résultats de cette étude d’autre part. Ces résultats ne sont pas surprenants puisqu’il était pressenti quede nombreux carcinomes canalaires

in situ

ne s’accompagnaientpas de microcalcifications. En effet, les carcinomes canalaires

insitu

diagnostiqués en mammographie, en grande majorité grâceaux microcalcifications, ne représentent que 20 % des cancersdiagnostiqués par les programmes de dépistage. Or, le passagepar la phase de lésion

in situ

est un passage obligatoire dans le dé-veloppement d’un cancer du sein qui naît des cellules bordant lescanaux épithéliaux. Le cancer canalaire microscopique va se dé-velopper à l’extérieur du canal en cancer invasif, ou bien à l’inté-rieur du canal en cancer canalaire

in situ

macroscopique, ou bienencore de façon mixte dans les cancers canalaires

in situ

aveccomposante invasive ou dans les cancers invasifs avec composan-te canalaire

in situ

prédominante. Le passage obligé par le stade

insitu

ne s’accompagne évidemment pas toujours de microcalcifi-cations. Le manque de sensibilité du signal des microcalcifica-tions n’est donc pas une surprise. La bonne sensibilité de l’IRMn’en est pas une non plus puisque les carcinomes canalaires

in si-tu,

en particulier de haut grade, induisent une angiogénèse avecprolifération de néovaisseaux et augmentation de la perméabilitévasculaire bien connue des anatomo-pathologistes (4, 5).Cette étude ne doit pas aujourd’hui nous amener à proposer unegénéralisation plus large du dépistage par IRM, comme certainsexperts le craignaient à l’issue du congrès de l’ASCO, et cela pourdeux raisons : – la première raison est que la population incluse dans cette étudene reflète en rien la population générale, même si la populationest large, incluant près de 1500 patientes par an pour un seul cen-tre. Elle n’obéit certes pas aux critères classiques d’indications del’IRM (6) puisqu’un certain nombre de patientes incluses ont sou-haité la réalisation d’une IRM alors qu’elles n’avaient pas de fac-teurs de risque familiaux particuliers et pas d’image mammogra-phique suspecte. On aurait d’ailleurs aimé connaître larentabilité de l’IRM dans cette situation particulière, mais com-me l’a développé Christiane Kuhl dans sa très belle mise au pointpubliée dans

Radiology

(7), il n’est pas éthique pour un radiologuede refuser une IRM du sein, examen le plus sensible, à une pa-tiente informée. Son rôle est de lui préciser les avantages poten-tiels de l’IRM mais également ses inconvénients en termes defaux positifs et possibles examens de surveillance inutiles, voire

Analyse de l’article « MRI for diagnosis of pure ductal carcinoma in situ: a prospective observational study ». Lancet 2007;370:459-60.

T

Service d’Imagerie médicale, Hôpital Lapeyronie, 371, av du Doyen G Giraud, 34295 Montpellier. Correspondance : P TaourelE-mail : [email protected]

Page 2: IRM et carcinome canalaire in situ, la fin d’un dogme ?

J Radiol 2007;88

1666

IRM et carcinome canalaire

in situ

, la fin d’un dogme ?

P Taourel

en termes de gestes de radiologie interventionnelle sous IRM dif-ficiles à obtenir et à réaliser. Néanmoins, malgré les indicationslarges et hors consensus pour certaines patientes, le taux de can-cer du sein dans la population des patientes incluses dans l’étudedu

Lancet

atteignait 9 %. On comprend bien que cette populationn’était en rien comparable à une population de dépistage et mê-me de dépistage chez les femmes à risque.– la deuxième réserve concernant cette étude, et elle a été large-ment développée par l’auteur elle-même, est qu’il s’agit de résul-tats retrouvés par une équipe très performante, très habituée àl’IRM, expérimentée, s’appuyant sur une interprétation à la foisrigoureuse et pragmatique de la classification Birads IRM, etayant un accès aux prélèvements sous IRM.Malgré ces réserves, et comme l’a noté un éditorial publié dans le

Lancet

(8) accompagnant l’article de Christiane Kuhl, cette étudemontre clairement que l’IRM est supérieure à la mammographiedans la détection des cancers canalaires

in situ

du sein, qu’en lamatière elle ne doit pas être considérée comme un simple examende troisième intention mais comme une technique supplémentai-re permettant de diagnostiquer des cancers du sein à un stadeprécoce. Elle invite à évaluer l’IRM dans une population plus gé-nérale, avec des critères d’entrée bien codifiés, et de façon multi-centrique.

Références

1. Lehman CD, Gatsonis C, Kuhl CK, Hendrick RE, Pisano ED,Hanna L, et al. MRI evaluation of the contralateral breast in wo-men with recently diagnosed breast cancer. N Engl J Med2007;356:1295-303.

2. Taourel P. Une place accrue pour l’IRM dans la détection et le biland’extension des cancers du sein. J Radiol 2007;88:627-8.

3. Kuhl CK, Schrading S, Bieling HB, Wardelmann E, Leutner CC,Koenig R, et al. MRI for diagnosis of pure ductal carcinoma

in situ

:a prospective observational study. Lancet 2007;370:485-92.

4. Guidi AJ, Schnitt SJ, Fischer L, Tognazzi K, Harris JR, DvorakHF, et al. Vascular permeability factor (vascular endothelialgrowth factor) expression and angiogenesis in patients with ductalcarcinoma

in situ

of the breast. Cancer 1997;80:1945-53.5. Brown LF, Guidi AJ, Schnitt SJ, Van De Water L, Iruela-Arispe

ML, Yeo TK, et al. Vascular stroma formation in carcinoma

in situ

,invasive carcinome, and metastatic carcinoma of the breast; ClinCancer Res 1999;5:1041-56.

6. Taourel P, Prat X, Granier C, Suau A, Lesnik A, Boulet P. IRM dusein. Ed Sauramps Medical 2007

7. Kuhl CK. Current status of breast MR imaging. Clinical applica-tions. Radiology 2007;244:672-91.

8. Boetes C, Mann RM. Ductal carcinoma

in situ

and breast MRI. TheLancet 2007;370:459-60.