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Itinéraire d'un fuyard

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Itinéraire d'un fuyard

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ISBN : 2-86469-088-8

0 ÉDITIONS ALPHA BLEUE 1998 Tous droits de reproduction, adaptation et traduction réservés pour tous pays. Les personnages et les événements relatés dans ce roman sont fictifs. Toute

ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé serait purement fortuite

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Patrick Mercado

Itinéraire d'un fuyard

alpha bleue l i t térature

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Du même auteur :

Scooter triades, Éditions Baleine, Instantanés de Polar, 1997

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Au peuple malgache. Aux autres...

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Dans le zinc - jeudi 2 janvier 1992

Nuit sans rêve. L'Imovane pris avec la carte d'em- barquement fait des pieds de nez à l'insomnie. Sou- rires commerciaux de toute la compagnie :

- Bon voyage, monsieur ! Rien à battre. Tanké au fond, vautré près du hublot.

Le Walkman en boules Quiès. Les Door's. L. A. Wo- man... Anonyme woman...

Une cinquantaine de pinpins dans un avion aussi vide que mon esprit. Première escale. Les Seychelles. Tous les gus y vont. Dix minutes après le départ, ils sont en tenue. Entongués. Embermudanisés. Ils com- parent les « écrans total »...

Descente surprise. L'Imovane atterrit trop tôt. Un antidépresseur, gobé en cata, pour supporter les

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vacanciers. Devant moi, un beau gosse lit à son petit camarade le Guide bleu de l'île. Il grimpe dans les ai- gus et couvre la gratte de Clapton.

- T'as rien sur la forêt de Fontainebleau, je compte y tripper au retour ?

Mimique crispée de l'explorateur. Le son à donf pour m'isoler. Cocaïne. La guitare pure et dure. Trou d'air. Le zinc twiste. Un gus s'éjecte des gogues, es- soufflé et apeuré. Sa première aventure... Le steward n'a pas l'arpion montagnard et valse dans le couloir. Grand écart. Il s'emmanche l'entrejambe dans le ge- nou du narrateur et renverse, avec un talent certain, sa cargaison de jus de fruits sur mes burnes. Réveil pan- tin. Précis l'aviateur. Il n'a touché ni le cuir ni le tee-

shirt. J'ai le service trois pièces en Antarctique. La braguette décorée de pailles et de petits parasols mul- ticolores... Je freine la pogne repêcheuse. Une char- mante hôtesse arrive, la frimousse avenante et les mi- mines entourées d'une serviette éponge. Les quenottes sont de service, l'humour aussi.

- Vous vous débrouillerez bien tout seul ! me su-

surre-t-elle d'une voix à faire fondre les glaçons. Les couilles et le valseur baignent dans les vitamines. Le steward maladroit mais serviable m'offre un autre

siège. Dans la cabine de service j'enlève mon slip, l'essore et tripote ma zigounette tel un gamin curieux.

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Le jus d'orange me poisse les cuisses et a poussé une incursion dans les chaussettes et les tiagues. Le poil pubien mohican-punk. Je me lave et m'essuie avec des Kleenex pelucheux... La queue recroquevillée. Une coquille, un peu de beurre et hop un escargot tout chaud ! Je regagne ma place. Lance une œillade assas- sine au géographe. Une remarque et je sors la poêle à châtaignes. Frimousse d'ange m'apporte un café brû- lant que je manie avec précaution.

- Avec la climatisation, vous allez vite sécher ! Fin de voyage langé dans une grande serviette

orange, tel un vieillard incontinent. Sensible au moindre courant d'air. Les portes s'ouvrent sur une chaleur étouffante. Un ultime regard au jean. Ne pas débar- quer, un parasol tropical ou un chalumeau coincé dans la braguette. Une paille et la quéquette sniffeuse...

Un aérodrome de province gardé par des flics dé- bonnaires. Un hall climatisé et cinq heures d'escale, échoué entre les boutiques de luxe. Cartes postales de rêve. Carapaces de tortues massacrées lampes. Co- quillages rares vernis poupées. Coraux dynamités porte-clés. Par les baies vitrées, sable blanc et mer tur- quoise.

Tout ce que Freddie vit avec Simon. Là-bas sur leur île de milliardaires d'où elle m'expédia, en cachette,

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une carte postale-dépliant. La plage. L'hôtel. Le ba- teau pour la pêche et la plongée. Un vrai « reportage- Cousteau », muet ! Une île que je connus aussi bien qu'elle. Lizard-Island. Je la situai sur les cartes. Grâce aussi aux cassettes visionnées, en loucedé, pendant un deuxième voyage, un après-midi de pluie, dans un Pa- ris vidé par Bison futé.

Perquisition sournoise et malsaine sans mandat, sous prétexte d'arroser les plantes. Elle et lui « à la mer ». Le visage déformé par le masque et le tuba. Ses cheveux flottent dans l'eau limpide et la plénitude. L'air heureuse, clin d'œil complice à la caméra. De gros poissons peu farouches. Une sarabande orchestrée pour les visiteurs. Le sourire niais du maître nageur bronzé et taillé Mister Clean... Et Simon si petit, perdu parmi des poissons énormes, chaussé de ridicules pal- mettes bleu ciel. Images de bonheur et de fric !

Antananarivo - vendredi 3 janvier

À peine débarqué, je change 2000 francs français. Un employé tatillon me fait signer une douzaine de formulaires, tous écrits sur un papier de mauvaise qualité qui absorbe l'encre et transforme ma signature en un gros pâté illisible. Il me remet 758 000 francs

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malgaches. Je suis teuton pendant le krach de 29... Coups d'œil inquiets à gauche et à droite. Que

foutre de ce paquet de blé, dont la plus grosse coupure est un biffeton de dix mille francs malgachis. Je glisse ma nouvelle fortune et ma parano dans les fouilles du Barbour. Trois cents sacs et j'étais millionnaire. Môme nous écoutions le tirage de la Loterie nationale et es- périons une fortune d'anciens francs. J'ai des zéros à n'en savoir que foutre.

D'ailleurs c'est ça. « Que faire? » J'ai claqué la lourde et je suis derrière et con. Au guichet d'Air France, confrontation avec un Blanc tropical. Le chef d'escale. Joufflu, rougeaud, fort en gueule et accent Sud Sud-Ouest. Le pantalon en Tergal bleu foncé re- passé rasoir, la liquette pays chauds, manches courtes auréolées sous les aisselles. La brioche coincée sous

une fine ceinture, des pompes avachies et sans classe. Coups d'œil éloquents à mes bottes et à ma dégaine. Nous nous affrontons du regard. J'y gomme le mépris et lui la jouissance du pouvoir de me renvoyer en France sous quinzaine. Pas assez pour une cavale. La voix rocailleuse met la moitié de l'aéroport au courant de ma requête. Il conclut par un :

- Vous savez, il n'y a pas grand-chose à foutre ici pour un... et me plante là. Sourires gênés du person- nel malgache. Une foule de gosses veulent porter mon

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sac mais sont incapables de le soulever. Les chauf- feurs de taxi se ruent à leur tour. Une déferlante de

sauterelles m'agrippe, me tire vers leurs caisses. Un coup d'épaule remet de l'ordre chez les orthoptères gloutons. Je choisis un gus plus calme, un peu en re- trait, devant une 203 vert olive. Son air de s'en battre me botte.

À l'intérieur, le surplus a été sacqué. Le bitume dé- file entre mes arpions. À peine assis, pied au plancher, klaxon bloqué, claquements de piston, nous déboulons sur Tananarive.

Ciel bas, lourd, gris en harmonie avec mon blues. Les antidépresseurs digérés, la garde baissée j'en- caisse la tristesse en pleine gueule. Abruti par les som- nifères, en descente d'antiasthéniques, je me recroque- ville dans le mauvais choix.

Un vieux panneau rouillé. ANTANANARIVO. J'en veux à la petite gonzesse de l'agence. Qu'ai-je à voir avec ces faubourgs inondés, cette foule grouillante et misérable ? Pourquoi cette ville glauque, sale, pouilleuse, détériorée par sept mois de grève ? Ça schlingue la misère et tout ce qui s'y ventouse. Le tra- fic, la magouille, la prostitution. Sur les murs, un patchwork étrange de slogans marxistes délavés, d'af- fiches militantes embues et de pubs rutilantes pour des produits introuvables. Une circulation bruyante,

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pétaradante, polluante d'épaves où parfois une BMW jette des reflets obscènes.

Une pluie torrentielle voile le pare-brise. Le toit de la caisse n'est pas étanche... Les ruisseaux de boue rougeâtres débordent et refluent des égouts dans l'in- différence la plus totale. Rien à voir avec l'exubérance de la mousson asiatique. Je devine les drames des quartiers inondés.

- « Dépression ! » m'annonce le chauffeur hilare. Bouffi, tu l'as dit. Dépression... Il me largue devant la gare. En face : l'hôtel Terminal. J'ai lu dans un guide que c'était un lieu animé. En quelle année ? J'évite de me noyer dans la mare qui stagne devant les marches. Trois gus déguisés en grooms de comédie ricaine se précipitent, baptisent le sac dans la flotte et m'aident à y tremper mes bottes...

À peine au sec, je dois remplir deux formulaires. Ce pays est le paradis de la paperasse administrative. Héritage colonial, plus méfiance communiste.

Étrange envol. Sans désir. La trouille de me barrer. Tout me poussait à rester. À m'incruster. À ne pas cé- der la place. Ma place ! J'avais tellement clamé :

- Je fous le camp ! Les amarres sont usées... Im- possible de reculer. Freddie s'était mollement pro- posé de m'accompagner, avec le même manque

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d'enthousiasme qui caractérisait tout ce que nous vi- vions. Une mollesse assassine. Simon monopolisait son temps, ses regards et son cul. Mon départ ne la touchait plus. Je me dégottais une envie de partir seul. Foutaises.

En revanche, à 19 heures, Sophie était là, efficace. La Mercedes garée en double file. Le coffre ouvert happa mon sac. Une tendresse maladroite qui rendit l'absence de Freddie encore plus palpable. Elle était ravie. Pour la première fois, nous sortions ensemble. Je la laissai conduire. Je respirai l'odeur de cuir et de cossu. Gamin déjà, j'associais les Mercos et le Capi- tal...

Elle roula vite et me questionna sur ma fuite. Nous étions arrivés en avance. Elle ne semblait pas pressée de me quitter. Nous avons dîné dans une auberge en Skaï. Fausses verdures. Faux chaumes. Faux bonheur.

Je n'avais pas faim. J'étais ailleurs. Elle était ra- dieuse. La place vacante, elle y prenait ses marques. Elle reparla de notre relation, et m'offrit en guise d'adieu ses fantasmes de femme docile. Loin de nos

jeux pervers. « Bizness-woman » fascinée par la sou- mission, se pliait au moindre de mes ordres. Sapée banquière respectable. Potelée. Blonde platine, laquée précieuse. Maquillage discret. Lèvres pulpeuses ro- sées entrouvertes. Cils baissés. Langue experte. Et

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moi, défoncé par le Lariam, antipalu pris avant de partir.

Bluesy par des mots que j'aurais aimé entendre de la bouche de Freddie, j'avalai deux Lexomil aux chiottes. Retour en forme. Grâce à la chimie je devins un compagnon agréable, aimable avec la serveuse, câ- lin avec Sophie et jouai de la voix avec les filles du vestiaire. Je vivais ce vers quoi Freddie m'avait sans cesse poussé : m'équilibrer ailleurs, avec une autre. J'eus un début d'érection. Je délirai sur un after-eight rapide dans la Mercedes au troisième sous-sol. Je me fis tendre, quémandeur. Impuissant à donner un ordre. Refus de Sophie. Tant pis.

Inconscient jusqu'à la salle d'embarquement. À 23 heures, peu de gus se battaient pour aller à Mada- gascar. Je restais cloué devant les téléphones à cartes d'où je ne pouvais plus appeler Freddie.

Voix irréelle. Porte 5. Couloirs nus.

Cassé par le voyage, déprimé par la ville, angoissé par la flotte, obnubilé par Freddie, je me couche tout habillé, sans déballer mon sac.

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Adasile - mardi 7 janvier

Parti aux aurores. Deuxième classe. Le tortillard pris d'assaut. Foule bigarrée et paisible. Un membre d'une famille se faufile, repère un coin de banquette vide, hurle par la fenêtre. La tribu et les paquets s'amoncellent. Va- et-vient rapide. Les caisses sont hissées à l'intérieur, les gosses s'y asseyent. Les mémés squelettiques, en lotus, lévitent à bout de bras par l'ouverture. Elles sont dépo- sées telles des divinités. Je réquisitionne un siège du côté droit, le nez au vent. (Vieille manie de routard.)

Traversée de la ville et de banlieues qui s'ébrouent aux premiers rayons. Sifflet ininterrompu. Lumières diffuses. Les volutes blanches et parfumées des feux de bois s'élèvent, hésitantes dans un petit matin sans vent. Le convoi prend sa vitesse de croisière. Des ri- zières à perte de vue pigmentées de taches vives. Par- tout, les paysans sont des lève-tôt.

L'omnibus fait la nique au TGV. Les locos datent de De Gaulle et les rails de Gallieni. Dans les pre- miers mètres des montées, les boggies n'accrochent qu'avec discrétion l'acier creusé. Vers onze heures, une dizaine d'arrêts. À chaque fois, pause bouffe. De jeunes marchandes, le fonds de commerce en équi- libre sur la tête, proposent Fanta, bananes, beignets ou morceaux de poulet rôti. Je résiste.

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Nous serpentons dans la forêt vierge. Les arbres penchés caressent de leurs ramures lascives les wa- gons. Les fougères arborescentes frôlent ma main avide. Une semaine sans trafic et la voie est expro- priée. Par instant, le compartiment est envahi de pa- pillons multicolores. Les ventilateurs les repoussent mollement vers l'extérieur.

- Lantanas. Me postillonne une mamie entre deux chiques de bétel. Je pédale parmi les invertébrés. Une Indienne hautaine m'apprend qu'il s'agit des ar- bustes que nous traversons. Les papillons s'enivrent de l'odeur. Arrêt. Bousculades. Ruée sur la tortore.

Regards inquisiteurs. Je ne dévore rien et ne carbure qu'à l'Eau Vive. Tout le monde grignote et balance les restes par les fenêtres. J'aperçois des lézards et des caméléons. J'aimerais m'arrêter.

Midi. Andasile. Une heure de pause. L'endroit me cligne de l'œil. Discussion avec le contrôleur. Le tic- ket est valable une semaine. Le train remonte demain

et repasse dans deux jours. Petit pourliche. Il m'in- dique un hôtel. Le Buffet de la gare.

Construit dans la station. Vu la fréquence du dur, peu de risques d'insomnie. La salle à manger est en palissandre, dans le fond, une cheminée trapue, sertie d'une carapace de tortue... Au mur, près de la porte,

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une vieille horloge de cuivre, aux heures latines. Un autre temps. Sifflement du train. Vapeur et emballe- ment de bielles qui cognent. Bruit de western.

Piaule propre et spartiate. Une odeur de végétation et d'humus pourrissant. Un bain de nature. Je suis l'unique Blanc. Antasibe retombe dans sa torpeur. Une moiteur pesante et lourde englue toute vie. L'air visqueux vibre des ailes d'une multitude d'insectes. Tous cassent nectar à grand renfort de bourdonne- ments énervés et de trompes goulues. Des papillons irisés, vus que morts et épinglés dans les vitrines du Jardin des plantes, jouent des ailes telles des Sévil- lanes de l'éventail.

Le patron m'entraîne vers la cuisine. Découvertes de plats typiques? Non, une collec ahurissante d'or- chidées. Toutes les espèces locales. Parfums entêtants et sucrés des épiphytes.

Bungalow en bordure de forêt. Juste derrière un chemin pénètre dans la réserve de Périnet. À Tana, sur les conseils de la taulière du Terminal, j'ai demandé une autorisation au service des Eaux et Forêts. Bu-

reaux désertés et personnel fantôme. La pause déj. En fin d'aprèm, le lendemain, j'étais en carte. Papelards, valables pour tout le territoire malgache, recouverts de tampons baveux. Plusieurs formulaires soupçonneux. Ils savent tout de moi. Ma bouille sur les clichés du

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Photomaton local. Deux dépliants et des plans et le sourire éblouissant des hôtesses.

Assis sur une minuscule terrasse, je déguste un jus de mangue et une Visy Gasy Le verre poisseux attire de gros scarabées maladroits et têtus. L'un d'eux tente un double salto avant et brasse désespérément dans le nectar. Je l'héliporte. Posé sur la table, il se nettoie pé- niblement. Une fourmi éclaireuse le papouille et s'éloigne. Il pédale dans le jus de mangue. Je l'arrose. Débarrassé de la pulpe, il se lave. Les élytres retrou- vent leurs réflexes, les pattes leur flexibilité. Une brève flânerie dans une tache de soleil puis il déguste le cocktail de son bain. Vrombissement. Un autre sca-

rabéidé se pose. Plus gros. Il déplie ses ailes d'un vert mordoré qui scintille. Pelotages d'antennes, ils éclu- sent ensemble. Des potes de beuverie. Les fourmis rappliquent et titillent les gros pères. Une ultime su- crerie pour le vol et ils abandonnent la flaque aux hy- ménoptères agités.

J'assèche la gazeuse. Accro à la flotte. Passé de la bière au Coca. Puis au Coca light. Une calorie par verre ! Plus vraiment de goût. Similaire à l'amour en- cagoulé. Je l'emballe dans le K-way, par trouille. Hygiénique et aseptisé, je baise moins. Le light, je l'ai

(1) Eau gazeuse malgache (référence à l'eau de Vichy)

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essayé avec du citron. Quitte à écluser une saloperie pétillante avec de l'agrume, j 'ai viré Perrier-ron- delle... Les bulles m'ont gonflé. Depuis eau plate.

Andalise - le 8 - 23 heures

Le matin. Petit sac à dos. Pompes de marche broussard. Direction la réserve. Un semblant d'organi- sation. Mine déçue du gardien à l'apparition de l'auto- risation. Il se fait de la gratte avec ceux qui en sont dé- munis. Un biffeton planquousé dans la pogne lui astique les ratiches. Il m'indique un jeune mec qui jacte français. Ensuite discussion pour établir l'itiné- raire. Une ou deux heures. La demi-journée ou le jour entier avec retour à la nuit pour surprendre certains lé- muriens. Il m'exhibe une lampe électrique qui date de l'indépendance. Je laisse ma Migh Light Police dans le sac. Les jumelles en cloche à vache, les deux bou- quins dans la veste de jean coupée aux épaules et le bandana Rambo, l'am ready pour l'aventure.

Il ne reste qu'une mince frange de forêt primaire gangrenée par endroits par des eucalyptus et des rave- nalas originaires de la côte Ouest. Le sentier hésite entre les fourrés denses et épineux. Pas question de s'éloigner pour pisser. Parfois tels de gigantesques

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cierges quelques espèces s'élancent vers les cieux. Arbres fins, ténus, enlacés et blottis à l'écorce blême et décolorée presque blanche sous le soleil. Le Mal- gache au pas élastique trace sur le sentier. Ses orteils s'enfoncent dans la fine couche de terre arable. Des

pieds larges, aux empreintes qui m'en rappellent d'autres. Le citron pressé suinte d'images acides et d'ailleurs. La voix du guide en filtre.

- « Palissandre ! » Isolé, un arbre d'une quarantaine de mètres règne en despote sur un coin de jungle, à sa base il ne tolère que des sous-bois luxuriants et drus. Cris dans les taillis. Des perroquets gris, bastonneurs et râleurs. Bruissements dans les frondaisons, une sorte de singe écaudé, d'environ quatre-vingts centi- mètres, à la fourrure brillante noire et blanche, gueule comme Tarzan et joue de la liane tel le maître de la jungle. Je le harponne dans les jumelles. Une grosse bouille moustachue, de bon bougre. Un lémurien.

- « Babakoto ! » J'épluche le guide. Indri, tel est le nom scientifique du baba... Notre vadrouille sylvestre se poursuit. Rafimahaléo débusque les bestioles d'un regard. Parfois j'écarquille les mirettes sans rien voir. Le doigt se fait plus précis et, statufié sur une branche, je décèle un caméléon. Un rhinocéros, deux cornes, vert fluo. Le Parsonii.

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être mortel. Les parents s'extasient à Euro-Disney. Des Rmistes à grandes oreilles leur distribuent des pin's. La direction licencie.

Un après-midi, dans le Monde : « Un groupe de ci- vils armés, menés par le pasteur Michel Féty, a oc- cupé pendant quelques heures les locaux de la radio nationale, après avoir diffusé l'hymne malgache. Le pasteur a déclaré qu'il était déçu par les Forces vives et qu'il suspendait toutes les institutions... » Ratsiraka est toujours président...

J'ai revu Freddie. Nous nous croisâmes, par ha- sard, dans la rue. Le soleil nous incita à de la compli- cité. Devant les cages du jardin des Plantes, nous ten- tâmes de nous parler. Les mangabeys dorés, les agoutis couineurs et les pécaris gloutons entendirent les mots flous qui s'envolèrent de nos lèvres dis- jointes. Ses souvenirs n'étaient déjà plus les miens.

Éveil dans un appartement dallé de marbre qui re- flétait la froideur de Simon et la solitude de Freddie.

Mes pognes n'y laissèrent aucune empreinte. Je n'avais plus la main verte...

Depuis, j'ai déménagé, épousseté la douleur, pia- noté des filles vénales, englouti du chocolat et repris vingt kilos.

Soirée TV hypnose. Clapton. Cocaïne. Zapping

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sans son. Des images. Gosses orphelins dans des bus.

Casques Bleus cibles. Tables plus très rondes. Époque de drapeaux blancs. Ni rouges ni noirs... Sourires mé- caniques. Élections. Pol Pot repenti...

La tendresse prend l'alcool. Les chips au piment crissent dans l'absence. Wonderful Tonight. Je roule des pelles à Jack Daniel's. Pas d'éléphant rose mais le « chat bleu » de Willy Deville. « Savoir faire » ! Je change de véhicule. Corona, bière mexicaine. D'autres images. Les GI's rasés sentent bon l'after-shave et dé-

barquent l'espoir et le riz. Plus de caméras que de mi- trailleuses. Loin le Vietnam...

Je m'écroule. Just to walk that little Girl Home. Tu

l'as dit Willy. Je rêvasse tiédasse d'Anne dont je n'ai plus aucune nouvelle. Heureuse?

Je m'endors aux côtés de la femme sans tête qui a déposé notre enfant mort.