J. Abbink 1991, 'Mytho-légendes Et Histoire

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A 1991 anthro-historical study of myths and legends aroung the Beta Esrael (Ethiopia).

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  • ILES CAHIERSDU CEDAF

    MYTHO - LEGENDES ET HISTOIRE:Lnigme de Iethnogensedes Beta EsraeI

    par J. ABBINK

    ASDOC-STUDIES

    3

    JUILLET-AOUTJULI-AUGUSTUS

    1991ERIODIQUE MENSUEL/MAANDBLAO

    1LJL1flfl 11CENTRE DETUDE ET DE AFRIKA STUDIE- ENDOCUMENTATION AFRICAINES DOKUMENTATIECENTRUM

    I.! ____I

    .

  • MYTHO-LEGENDES ET HISTOIRE: IssNo2161gLnigme de Iethnogensedes Beta EsraeI

    par J. ABBNK

    Cahier/Studte 3/1991Srie/Reeks 2:

    Histoire, politique,droit, administration /

    Geschiedenis, poiitiek,recht, administratie

    fg

    Prface 1

    1. Introduction 3

    2. Les Beta Esrael 8

    3. Le cadre thiopien: la position des Ambara-Tigrayet leurs mytho-lgendes

    A. Contexte historique prsalomonide 13B. LEmpire salomonide et le mythe de Mnilek 18

    4. La position sociale des Beta Esrael ds la fin du XIVe sicle 23

    Prix au numro: 300 F8 / Prijs per nummer : 300 8FCENTRE DTIJDE ET DE DOCUMENTATION AFRICAINES . CEDAF

    AFRIKA STUDIE- EN DOKUMENTAflECENTRUM - ASDOC

    Rue Belliard, 65, BelliardstraatBruxelles 1040 Brussel

    Tel: 02/230.75.62 CCP/PCR: 000-0596862-21 BBL: 310-0272181-85

  • MYTHO-LEGENDES ET ifiSTOIRE:LENIGME DE LETIINOGENESE DES BETAESRAEL

    J. ABBINK (*)

    PREFACE

    Cette tude propose une nouvelle interprtation du processusdethnogense des Beta Esrael (ou Falacha) dthiopie, ethnienigmatique dont lorigine et lhistoire posent une srie dequestions qui nont aujourdhui rien perdu de leur fascination.Une analyse anthropo-historique du problme de lethnogenseet du dveloppement historique des Falacha est prsente ici partir des traditions orales mythiques et lgendaires concernant leurdescendance et leur tradition religieuse. Il convient de soulignerltroite liaison qui existe entre le discours mythique desAmhara-Tigray chrtiens (au temps de lempire salomonide) etcelui des Beta Esrael qui en tant que groupe dorientationjudaque, sopposaient aux premiers.On peut distinguer deux phases dans la tradition mytho-lgendairedes Beta Israel. Une analyse de ces deux phases semble indiquerque lethnogense du groupe ne peut tre situe avant le XIVesicle et quelle sest droule surtout dans le contexte de la socitabyssine plutt quen dehors dEthiopie (par exemple au Moyen-Orient) comme lapproche orientaliste conventionnelle la affirmau cours des deux sicles derniers. Ainsi, lexamen de ces traditionsorales confirme les rsultats de rcentes recherches historiques etethno-musicologiques.

    (*) K.N.A.W., Amsterdam et Universit de Nimgue, Pays-Bas.

    5. Mytho-lgendes des Beta Esraeel - Premire phase 28

    A. Aperu gnral des diffrentes versions des mytho-lgendesBeta Esrael concernant la premire phase: le thmede leur origine et de leur foi 30

    B. Les versions salomonides des mytho-lgendes desBeta Esrael 37

    6. Lpisode de Gudit et les Zagwe: premiersretentissements historiques dans la tradition orale desBeta Esrael 44

    7. La deuxime phase des traditions mytho-lgendaires: religion,guerre et rsistance 50

    A. Rcapitulation historique 50

    B. Le rle des dissidents chrtiens: mission et interaction 53

    C. La chute des chefs politiques 56

    D. Les moines, nouveaux chefs politiques du peupleBeta Esrael: la lgende dAbba Sivra 58

    E. La frontire sociale entre Amhara chrtiens etBeta Esrael judaques 67

    8. L.e cas curieux des Qimant

    f

    9. Essai de conclusion

    A. Rsum

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    B. Lopration mythique

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    C. La recherche future

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    Bibliographie

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    Jexprime ici mes profonds remerciements mes informateursisraliens, le qes Yishaq Iyasu, le qes Imharen Ajjw, AdmasChekole, et feu le qes Birhan Biruch, ainsi quau Dr. Steven Kaplan(Hebrew University, Jrusalem), au Professeur Kay KaufmanShelemay (New York University), et au Dr. R. Schneider (MissionFranaise dArchologie et Dpartement dHistoire, UniversitdAddis Ababa), pour leurs commentaires critiques et positifs duneversion prliminaire de cette tude et qui mont permis damliorercelle-ci. Bien videmment, je porte lentire responsabilit du texte.Quon me pardonne, enfin, de conseiller au lecteur de ne pasngliger les notes de ce texte, car beaucoup de remarquesimportantes de cette tude y sont consignes.

    1. INTRODUCHON

    Cette tude est consacre au problme de linteraction entremythes et vnements historiques et de leur reprsentationconceptuelle, tudi partir du cas intressant de lethnie des BetaEsrael (1) ou Falacha dthiopie (depuis mai 1991, presque toutela communaut des Falacha demeure en Isral (2). Beaucoup dequestions sur ce groupe - si souvent sujet de dbat et controverse- restent encore sans rponse en ce qui concerne leur histoire etleur culture en Ethiopie. Il est dailleurs tonnant quaucune tudedensemble de leur histoire nait encore t publie (celle de E.Trevisan Semi (1987) dcrit seulement un bref pisode du XXesicle).

    Le prsent ouvrage se veut une contribution lanalyse de larelation entre mythes, lgendes, histoire et identit des Beta Esrael partir dune perspective anthropo-historique, afin de rvaluer laquestion de leur ethnogense et de son reflet historique dans ledomaine idel ou conceptuel.

    (1) En Ethiopie, le groupe sest appel B& Esral (la transcriptioncorrecte du guze ou de lamharique; signification: Maison dIsral).Ils sappelaient aussi Esraelotch (= Isralites). Dans notre texte, nouscrirons Beta Esrael), transcription simplifie. Les chrtiensthiopiens et les trangers les appelaient Faiacha ou Falacha, maisles Beta Esrael ont dhabitude rejet ce nom pjoratif (cf. Abbink1984a et 1984b: 67). En Isral, ils prfrent se nommer simplementjuifs thiopiens, bien quune de leurs organisations porte le nom deBet Israel.

    (2) La population Beta re1 en Isral compte aujourdhui environ 34.000personnes.

    - -

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    Une telle analyse est dautant plus intressante tant donn lesefforts entrepris par les Beta Esrael - face aux questions critiquesdes autorits rabbiniques israliennes leur gard au cours desannes prcdentes - pour accentuer rtrospectivement limportance de certaines de leurs coutumes et traditions judaquespratiques en thiopie. Une question fondamentale qui sous-tendnotre enqute est celle de savoir si lon peut arriver desconclusions substantielles concernant lhistoire proprement dite desBeta Esrael en parcourant et en analysant les lments cruciaux deleur tradition orale. Cette tude est en mme temps une rflexionsur la reprsentation des autres: les Falacha ont t vus commeles juifs noirs et inconnus dAfrique, tout diffrents des autresjuifs. Cette image a domin la littrature (populaire et scientifique)des deux sicles derniers et nous nous interrogerons cet gard.

    Notre tude empruntera quelques lments de lanalyse structuraledes phnomnes mythiques, mais au fond veut suivre essentiellement un parcours diffrent, en tudiant les relations entremythes et la pratique de leur production et de leur usage social,au sein dun contexte historique dtermin.

    En considrant le cas des Beta Esrael, on constate que le discoursmythique peut fonctionner comme le vhicule idel de lidentitcollective dun groupe et quil est en partie dtermin par lesconditions infrastructurelles de la formation sociale dans laquellece groupe - avec dautres - sest constitu. Dans lthiopiechrtienne du Moyen-Age, le discours mythique stait labor sousune forme crite et stait exprim en ce quon peut appelermytho-lgendes historicistes de caractre religieux. Leur messagedrive des ides bibliques de destin et de plan divin et soutientle pouvoir et la lgitimit de la dynastie amhara chrtienne.

    Lanalyse des rcits des Beta Esrael montrera vite et de manirevidente quils ne peuvent tre interprts que dans leur relationidologique troite avec cette tradition religio-mythique desAmhara-Tigray (3) (les Abyssins), qui furent longtemps lesgroupes dominants de lEthiopie du point de vue politique etreligieux.

    Les mythes dont nous parlerons ici peuvent tre dfinis comme desrcits sacrs (voir Dundes 1984 et Leach & Aycock 1983: 8), maisnous parlerons plutt de mytho-lgende, terme plus apte pourdfinir les rcits considrer (dfinition ci-dessous). Notrepremire hypothse sera que les mytho-lgendes des AmharaTigray (rassembles notamment dans le Kibril Ngast, ou Gloiredes Rois - le fameux texte politico-religieux mdival (cf. Bezold1905) souvent dsign avant 1974 comme lpope nationale desAbyssins) et les divers rcits et traditions historico-religieuses desBeta Esrael sont les lments dun mme discours.

    Dans ce discours, les oppositions significatives et les transformations de lun (Beta Esrael/judaque) vis--vis de lautre(Amhara-Tigray/chrtien) sont apparues par un mouvementdialectique dans un contexte de luttes et de conflits rels et idels.

    (3) Les Tigray sont habituellement considrs comme un peuple apparentaux Amhara. fis se considrent aussi comme les reprsentants delhritage politico-religieux de lancien royaume dAxum. fis sontgalement chrtiens orthodoxes (en majorit). Bien que leur histoirergionale et leur langue (tigrinya) soient bien diffrentes de celles desArnhara, les deux peuples ont encore beaucoup en commun du point devue culturel et socio-conomique. fis se nomment aussi Habsha,Abyssins, ce qui les distingue des autres ethnies thiopiennes. Je lesconsidre, dans cette tude, comme unit historique, en me rendantcompte de leur rivalit profonde.

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    Cest au cours de ces conflits que certaines diffrenciationsdidentification ethno-religieuse se sont produites. Les traditionsorales des Beta Esrael, telles que nous les connaissons aujourdhui,sont en grande partie le reflet inverse de la tradition crite ducorpus thiopien chrtien dj existant au Moyen-Age. Cela nousmne souligner la fonction de charte des mytho-lgendes: ellespeuvent tre considres comme cadre idologique de justificationet de diffrenciation face dautres groupes, surtout lorsquellment historique y est prsent de manire vidente. Ce fait nousa amen introduire le nouveau terme de mytho-lgende, que lonpourrait dfinir comme rcit sacr dun groupe fonctionpolitico-idologique, se rfrant au domaine supra-empirique desforces divines ou spirituelles, indiquant lorigine et le destin dugroupe, mais labor dans un contexte politique et historiquedonn. Les mytho-lgendes sont ainsi produites par un groupe ouune ethnie spcifique comme rponse idologique aux problmesdu prsent, mais par rapport une dimension atemporelle danslaquelle le groupe dfinit son existence. La combinaison des deuxnotions de mythes et de lgendes indique le caractre doubledatemporalit sacrale et supra-empirique dun ct, et de (pseudo-)histoire de lautre, bien que celle-ci soit toujours ancre dans unplan divin-mythique.

    Les mytho-lgendes des Beta Esrael peuvent ainsi tre interprtescomme variations sur un thme de base: la tentative de rsoudredes contradictions idologiques, consquences de problmesmatriels (politico-conomiques) survenus aprs leur dfaite finalecontre les armes royales des rois Amhara, et leur incorporationforce dans la socit expansionniste chrtienne dont ils refusaientla lgitimit et les valeurs centrales. Ainsi, une analyse unifie etsystmatique des rcits des Beta Esrael nous fait connatre unesmantique historique qui nous permettra dclaircir le problmede lethnogense de ce groupe remarquable. Comme la ditEdmund Leach, rflchissant sur le problme de lanalysestructurale de squences chronologiques dans certains mythes(Leach 1969: 42-43):

    ... the significance of individual items in any kind of story is to befound in their patterned arrangement. What attracts ... attention isnot the content of any particular story but the contrast of patternas between one story and another. The principle should be just asapplicable to stories which purport to be history as to storieswhich are palpably myth.

    li est possible de poursuivre cette ide dans ltude des mytholgendes des Beta Esrael. Comme nous le verrons, chercher laposition significative des lments individuels dans les divers rcitsest important, comme une premire tape de ltude des questionsdethnogense. De plus, dans les conditions nouvelles de la socitisralienne, quelques mytho-lgendes des Beta Esrael sontmaintenant, de faon rtrospective, soulignes par eux commelments cruciaux de lhistoire juive thiopienne. Ainsi ils essaient,pour ainsi dire, de recrer et de redfinir leur identit face auxautres Israliens.

    *

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    2. LES BETA ESRAEL

    Les Beta Esrael sont une ethnie thiopienne de 35.000 40.000personnes environ, qui vivent aujourdhui presque toutes en Israel.Jusquen mai 1991, quelques 15.000 personnes, venues de la rgionde Gondar pendant les annes prcdentes, se trouvaient encore Addis Abeba, attendant leur migration en Isral (4). Elles furenttransportes en masse en Isral au moment de loffensive finale desmouvements rebelles contre la capitale, dans une actionspectaculaire dvacuation organise par les Israliens (5).

    La communaut des Beta Esrael ou Falacha, a toujours constituun des groupes les plus pauvres et les plus mpriss de la socitrurale de lEthiopie du Nord-Ouest. Pendant des sicles, jusquaurgime de lempereur Hayl Sellas, ils formrent une casteinfrieure, effectivement prive de la possession de la terre.

    Ils travaillaient comme fermiers marginaliss sur les champs desAmhara ou Tigray, leur donnant des tributs substantiels (partie dela rcolte et corve; ils russirent obtenir leurs propres champsde culture uniquement dans la rgion de Tigray).

    Mais les Beta Esrael taient surtout connus comme les artisans decette rgion du Nord-Ouest: forgerons, tisserands, potiers,occupations traditionnellement ddaignes par les Amhara etTigray.

    Au cours des ges, les Beta Esrael judaques se sont battusfrquemment avec les Amhara chrtiens dominants et leur religionfut souvent condamne et diffame, par exemple au temps de leursdfaites contre les armes royales aux XVTe et XVIIe sicles. Lescampagnes de conversion et de perscution nont cependant pasempch la survivance dun noyau de cette communaut jusquauXXe sicle, bien que leur nombre se soit svrement rduit. Selonquelques sources, le chiffre de 35.000 personnes daujourdhui nereprsente plus que 10% de leurs effectifs estims aux XVIe ouXVTIe sicle (cf. Kessler 1982; ce chiffre est cependant discutable,et nous mne directement au problme Qui est/tait un BetaEsrael).

    (4) 3.000 4.000 Beta Israel avaient russi quitter lEthiopie de manirelgale entre 1988 et 1990.

    (5) En 1976, un recensement a t fait par M. Julian Kay, alors employdune organisation dassitance en Ethiopie (le ICA). n y dnombra28.189 Beta Israel. Ds le dbut de lmigration des Falacha versIsral, le nombre de personnes se dclarant Beta Esrael/Falacha aaugment rapidement. Dune part, cause de la reconversion debeaucoup de Falacha qui staient convertis ou assimils auchristianisme orthodoxe (mme sils taient les enfants ou petits-enfantsde personnes converties), mais aussi parce quun grand nombre dechrtiens thiopiens (de la rgion de Gondar, habitat traditionnel desFalacha) se firent passer pour des Falacha, afin de saisir loccasion deschapper dEthiopie.Pendant les annes 80, quelques 4.000 Beta Israel sont morts en routevers le Soudan (de faim, de maladie, victimes dassassinats et de guerrecivile).

    Depuis la redcouverte des Beta Esrael/Falacha par le savant-explorateur cossais James Bruce, dans les annes 1770, lesvoyageurs, historiens, ethnologues ainsi que des communauts juivesdOccident (parmi elles, des cercles rabbiniques) se sont poss denombreuses (mais souvent les mmes) questions sur lorigine,lhistoire, et la forme spcifique du judasme des Beta Esrael (cf.Abbink 1984, chapitres II et III; aussi Kessler 1982). Les BetaEsrael nont t reconnus comme juifs (par la Loi du Retourisralienne) que depuis 1975. Leur migration vers Isral a ds lorscommenc tre facilite par les autorits israliennes. Cettedcision de reconnatre leur identit juive, et le dbut delmigration, ne fut possible que grce aux efforts de la petitecommunaut Falacha en Isral (en 1974-75, peine quelques 250personnes).

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    Aujourdhui, le dbat sur le statut et lidentit religieuse des BetaEsrael en Isral ne soulve plus de grands problmes (cf. lasituation des annes 80, Abbink 1984a and 1984b (6).

    Il va sans dire que le groupe lui-mme se voit comme une communaut juive ancienne, avec une identit ethno-religieuse bien dfinieet incontestable. Les immigrants Beta Esrael sidentifient demanire forte lidentit isralo-juive, et cette identification est unfait vident respecter et reconnatre. Mais bien sr, celanempchera pas la poursuite de linvestigation scientifique decertaines nigmes dethnogense et de dveloppement historique,comme on les rencontre dans leur tradition orale.

    Si on envisage la question de leur histoire, la plupart desethnologues et historiens acceptent le fait que les Beta Esrael sont,au moins partiellement, dorigine agaw (lancienne population duHaut Plateau thiopien). Il est souvent suppos quils ont unecertaine affinit -- bien quobscure -- avec les anciens isralites; or,ils nont probablement jamais parl lhbreu, nont jamais t aucourant des traditions talmudiques du judasme post-exilique, etnont gure eu, jusquau XXe sicle, de contacts avec dautres Juifsdans le monde. Leur foi, rituel et coutumes judaques, malgr labase toranique-biblique remarquable, sont considrs comme assezdiffrents du judasme dominant. On peut affirmer galementquavant le XVe sicle, on ne possde pas de clefs significativespour se former une image de leur socit et de leur mode de vie.Il nest pas surprenant, ds lors, quau cours des deux dernierssicles, les spculations et les thories sur les Beta Esrael se soientmultiplies dans le grand public intress ainsi que chez lessavants.(7)

    La question centrale est celle de la formation de la foi des BetaEsrael, en considrant la base agw de leur culture: est-ce quilsont t amens adopter leur judasme dune source extrieure,cest--dire hors dthiopie et hors de la tradition riche de lglisethiopienne orthodoxe, ou non (on sait que cette Eglise a toujours- depuis sa fondation au IVe sicle

    - retenu beaucoup dlmentsjudaques; cf. Rodinson 1964, Ullendorif 1968). Une rponseaffirmative indiquerait que les Beta Esrael seraient peut-tre desdescendants dune communaut juive ancienne dans la rgionthiopienne. (8)

    Une autre possibilit est de supposer que les Beta Esrael (9) sesont forms, en tant que communaut ou ethnie, prcisment enthiopie (il est possible quils aient subi linfluence de visiteurs etde petits groupes juifs venant de pays voisins, mais une telleinfluence nest pas dmontrable). De ce point de vue, on peutsupposer quils auraient t influencs surtout par la traditionchrtienne thiopienne, en en transformant certains lmentsidologiques afin daffirmer leur propre identit, en une sorte demouvement oppositionnel. Il existe certaines indications quisuggrent (et des sources crites) que certains groupes agiw furentinfluencs de manire significative par quelques groupes dissidentschrtiens. Ceux-ci ont d transfrer leur symbolisme religieux etsusciter chez les Agiw certaines ides dopposition politicoreligieuse aux groupes chrtiens (Amhara) dominants. Cest ce quilfaudra explorer plus en dtail ci-dessous.

    (8) On trouve la dsignation Ethiopie comme nom du pays dans le KibriiNgst (conu aux IXe et )CUe sicles).

    (9) 11 est dailleurs douteux quils se soient dj dsigns comme BetaIsrael avant larrive de ces chrtiens apostats (voir le texte ci-dessous), sauf si on considre les Beta Israel comme les adeptes deBeta Esrael, soi-disant frre et (rival) du roi-rformateur GbriiMiisqiii (IXe sicle). (Voir Getatchew 1982: 319). Mais alors, ilsauraient certainement t des chrtiens!

    I

    (6) Dans certains cercles religieux orthodoxes cependant, on continueencore exprimer des doutes sur la descendance et lidentit religiohistorique des Beta Esrael comme ancienne communaut juive. Cecipour des raisons dhalacha (= loi religieuse).La bibliographie de Kaplan & Ben Dor (1987) contient toutes lespublications significatives.

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    Force nous est de considrer cette deuxime possibilit comme plusprobable que la premire. Il ny a gure de donnes archologiques,littraires et historiques qui plaident en faveur de cette premirehypothse. Par contre, ltude de la tradition orale (du moins de lapart connue jusqu prsent) est rvlatrice et plaide en faveur dela deuxime alternative. Lanalyse historique de J. Quirin (1977,1979) ainsi que les rsultats de K. Shelemay (1980, 1986) du pointde vue ethnomusicologique, nous fournissent de trs importantspoints de dpart galement. Par rapport ces tudes, notre analysede la position structurale de quelques mytho-lgendes des BetaEsrael, compares celles des Amhara-Tigray, apporte des idesnouvelles pour valuer les questions indiques et va dans le sens dela deuxime hypothse. Linterprtation des rcits Beta Esrael,troitement lis ceux des Abyssins, montre que leurs mytholgendes ne se rfrent directement aucune tradition mythique delangue non-thiopienne, ni aux mythes et lgendes qui ne soientpas dj transmis dans les langues thiopiennes (comme le guze,lamharique, le tigrigna ou 1agiw).

    *

    3. LE CADRE THIOPIEN: LA POSiTION DESAMHARA-TIGRAY ET LEURS MYTHO-LGENDES

    A lpoque o les Beta Esrael/Falacha deviennent identifiables entant quethnie dans lhistoire thiopienne, cest--dire vers 1400environ (cf. Quiin 1977: 34), lempire salomonide des Amharatait dj bien tabli depuis plus dun sicle dans les rgionsactuelles du Shawa et Wallo du Sud et de lOuest. Ds 1270,lAmhara Yikunno Amlak (ce nom signifie: Quil soit Roi/Seigneur) avait tabli une monarchie sur une base nouvelle, aprsavoir vaincu ou dtrn le roi Yitbarak, descendant de la dynastieappelle Zagw. Ces Zagw, dont nous parlerons ci-dessous, taientdes chrtiens de descendance agiw de la rgion de Lasta, au Willo.Les Salomonides vont affirmer de nouveau le mythe de la filiationisralite des rois thiopiens. fi convient de souligner ici que lesmytho-lgendes des Beta Esrael ont t conues et labores dansle contexte historico-religieux de cet empire salomonide fondaprs les Zagw. Elles ne semblent pas en effet avoir t formulesavant le XVe sicle. Avant dexpliquer limportance de loppositionZagw

    - Amhara dans le domaine politico-idologique, il nous fautesquisser le fond historique qui nous permettra dvaluer le rle desmytho-lgendes.

    A. Contexte historique prsalomonide

    Lancien royaume dAksum, au nord de lthiopie, tait le premiergrand tat du Haut Plateau abyssin, stendant autour de la villedAksum jusquaux bouts de la Mer Rouge, et dont lapoge sesitue autour des annes 270

    - 650 (cf. Kobishchanov 1979) (10).

    (10) fi est trs probable que la ville elle-mme fut dj abandonne audbut du Vile sicle. Voir les rsultats des fouilles archologiques delquipe de N. Chittick, dans Munro-Hay, 1990.

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  • Aksum entretenait des relations commerciales, culturelles etpolitiques avec dautres puissances dans la rgion de la Mer Rougeet de la Mditerrane. Son pouvoir rgional se basait sur lecommerce maritime, exploitant lintrieur abyssin, et sur un systmedagriculture relativement avanc.

    Il est certain que sous le rgne du roi Ezana (ca. 330-335), lechristianisme devint une force importante Aksum, aprs laconversion du roi la nouvelle foi (cf. Anfray, Caquot & Nautin:266; aussi Kobishchanov 1979: 67). On ne peut pas en tre certain,mais il semble que ce roi pratiquait dj une forme ou lautre demonothisme avant daccepter la foi chrtienne comme stadesuprieur (cf. Kaplan 1982). En tout cas, les rois successifs taienttous des chrtiens, et aprs lanne 350 environ, Aksum doit treconsidr comme un royaume chrtien, alli au camp chrtien dansla rgion mditerranenne. Cette conversion de la maison royaletait en partie inspire par des raisons politiques: par exemple,Aksum dsirait laide de lempire byzantin (cf. Taddesse 1972: 23;Kobishchanov 1979: 69). Cependant, la population du royaumedAksum ne devint pas chrtienne dun seul coup: lexpansion de lafoi fut dabord assez limite. Cest seulement aprs des dizainesdannes (et dans les rgions priphriques encore plus tard), quecette foi stablit comme dominante (Kobishchanov 1979: 235).Aksum avait une ancienne tradition paenne, qui limitaitlinfluence chrtienne. A ct des nouvelles ides chrtiennes,circulrent aussi des ides hellniques et probablement judaquesjusquau moment de la conversion officielle du IVe sicle.Ladoption du christianisme signifia une sorte de dvaluation de cesautres religions du pays.

    Dans un article intressant, Irfan Shahd (1976) indique que leKibra NAgist, lpope religieuse bien connue de lAbyssinie, estdj, dans sa forme originelle, trs vraisemblablement une crationdu VI sicle (en tant que reflet de la guerre entre lAbyssiniechrtienne et le Himyar (Yemen) judaque sous le roi Yusuf DhuNawas).

    Si ceci est vrai, il sensuit que le conflit religio-idologique envidence dans le Kibra Nigst se rfre au roi juif ou judasant dela rgion sud-arabique, et non une autre quelconque personne enEthiopie-mme. Jajoute ici que limportante question de savoir sion peut dj parler, au IVe sicle, dune dynastie salomonide biendfinie, comparer avec celle daprs 1270, reste encore sansrponse satisfaisante. Nous ne prenons pas position ici en ce quiconcerne la thse qui affirme que la mytho-lgende selon laquelleles rois dAksum descendraient du fils de la reine de Sheba (Saba,en Arabie du Sud) et du roi Salomon (voir ci-dessous) naurait tdclare comme mythos tatique que rtrospectivement, aprs lafondation de la nouvelle monarchie des Amhara en 1270.Cependant, Shahd a suggr quil y avait une possibilit pour quele roi Caleb, trs probablement le personnage qui a instigu ledveloppement de cette pope nationale du Kibra Ngst, sedise dj un tel descendant (Shahd 1976: 158-159).

    Lexistence de communauts juives au royaume dAksum pendantces sicles ne peut pas tre dmontre. En tout cas, elles nontlaiss aucune trace linguistique, littraire ou archologique. Il estcependant vident que beaucoup de lgendes et dides religieuseset rituelles dorigine juive (mais galement celles dorigine grecque,syrienne et arabe) taient connues dans le royaume. Cela nest passurprenant en considrant la position dAksum comme grand centrede commerce rgional. Ce qui parat le plus vraisemblable est quece matriel mytho-lgendaire ait t transmis par la voie de lEglisethiopienne orthodoxe (et manant, par exemple, de sourceslittraires gyptiennes et syriennes). Les spculations deKobishchanov (1979: 119) concernant lexistence dun tat falacha cette poque, bien quintressantes, ne peuvent tre confirmesnon plus.

    14 15 1

    Il est certain quau cours de la formation de la base idologique dela royaut, Aksum se laissa inspirer par les ides de lAncienTestament. Lorigine de lautorit fut dfinie comme divine, commeon peut le lire dans les inscriptions anciennes trouves sur lesfameuses stles. Aksum y fut dsigne comme la nouvelle Zion,ce qui suggre quelle se voyait comme tat-successeur lgitime delancien Isral, certainement au temps du roi Ella-Asbha ou Caleb(ca. 520-540).

  • Sous le drapeau du christianisme, conu comme une idologietatique, Aksum russira stablir comme pouvoir rgional dansla Corne de lAfrique, avec une prtention de souverainet absolueet divine par laquelle il se croyait suprieur aux peuples paens delintrieur mais aussi au royaume non-chrtien de lArabie du Sud.

    Il faut souligner que, surtout aprs labandon de la versionmonophysite du christianisme en 518 par Justin, le nouvel empereurbyzantin (Shahd 1976: 163), Aksum -- cela veut dire en fait le roiCaleb -- se voyait comme tvrai gardien de la foi chrtienne. Ceciest confirm par le fait de lexpdition de Caleb en Himyar,organise suite aux rumeurs de perscution des chrtiens par YusufDhu Nawas (cf. Shahd 1976: 135). Entre-temps, le processusdexpansion du christianisme dans le nord de lthiopie elle-mmese poursuivait graduellement, mme parmi les Agaw des rgions deBagemdir et de Wallo. Cela se produisit non seulement au tempsde Caleb, mais galement sous le rgne des autres monarquesabyssins, jusqu Digna-Jan (IXe sicle).

    Le dclin du royaume dAksum, surtout comme pouvoir rgional,est vident ds le Vile sicle. Il fut achev par sa dfaite contre lespeuples non-smitiss (cest--dire, les groupes qui ntaient pasprofondment influencs par le christianisme ou par les traditionsculturelles de lArabie du Sud, parlant des langues couchitiques, etsuivant, en majorit, leurs religions traditionnelles). Les Agawjourent ici un rle important car ils se rvoltrent au milieu du Xesicle. Pendant les guerres qui suivirent, la ville dAksum futdtruite, la maison royale presqulimine, et beaucoup dglises etlieux saints furent dtruits. Le christianisme semblait perdre sonrle dominant. Selon la tradition thiopienne, la rvolte taitdirige par une reine, dorigine obscure et connue sous plusieursnoms (Gudit, Gudewit, Esatu ou Aster). Selon quelques sourcesthiopiennes concernant cette priode (analyses par Sergew 1972b,mais, qui ne sont cependant pas contemporaines !), Gudit auraitt lpouse du gouverneur de Bugna dans la rgion du Lasta, cette poque, pays des Agw.

    Dun point de vue historique, on ne peut pas tre certain que cettereine fut dorigine juive, comme le diront plus tard les Amhara, lesTigray, ainsi que les Beta Esrael. (11) Mais il est trs frappant devoir quelle fut dsigne comme telle, suivant la demandemythologique des rcits sacrs de ces peuples sopposant lun lautre (cf. ci-dessous, p. 30).

    A partir de cette rvolte (945 environ) jusquen 1137, il ny eut plusde monarchie chrtienne unifiante dans lEthiopie du Nord: lesrgions au Sud et lEst apparemment reconcquirent leurindpendance. Le royaume chrtien se limita alors aux rgions duTigray du Sud et dAngot (Taddesse 1972: 53). Cependant les ideset les traditions religieuses et historiques dAksum restrent encorevivantes dans la mmoire collective de la plupart des habitants desdiffrentes rgions, surtout dans les cercles religieux.

    En 1137, un roi des Zagw prit le pouvoir. Onze rois de cetteligne agaw ont domin le pays jusquen 1270. Tous taient deschrtiens. En effet, la foi chrtienne retrouvait un nouvel lan, etse rpandait parmi les peuples voisins. On constate aussi cettepoque une nouvelle phase darchitecture religieuse. Cependant, lesZagw ntaient pas accepts comme rois lgitimes par lesAmhara-Tigray et leur lite religieuse, cause de leur soi-disantdescendance non-isralite. Les Amhara et Tigray regagnrent deleur force et se constiturent leur unit, principalement dans largion de Shawa. Pour cette raison, et cause de la faiblesse dusystme de succession des Zagw, une opposition Amhara cettedynastie du Lasta stablit, aboutit la dfaite des Zagw et aurtablissement de la monarchie salomonide avec Yikunno Amlak.

    (11) n parat plus vraisemblable quil sagissait dune reine originaire dunterritoire du Sud (peut-tre le Sidama). Une autre source (doriginecopte-arabe) parle dune reine paenne des Bani al-Hamwiya(Taddesse 1972: 38-39), qui domina la rgion de ShAwa pendant unepartie du Xe au XIe sicle (cf. ibid.; 51). Comparez aussi Krempel1972: 14-15 et Sergew 1972a. On doit aussi se demander si les Amharavoulaient vraiment suggrer que cette reine tait juive au sens religieux.

    16 17 N

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    B. LEmpire salomonide et le mythe de Mnilek

    Il convient de souligner que cette monarchie salomonide sedfinissait spcifiquement comme le lignage lgitime des roisdthiopie. Les Zagw -- tant de langue agaw sans lien direct aveclhritage dAksum -- furent prsents comme des usurpateursdorigine non-isralite. Limportance du facteur ethnique estvidente ici -- les conflits peuvent certainement tre expliqus ense rfrant au contexte des relations inter-ethniques de cettepriode, fl nest ni possible ni utile de nous tendre sur ce point ici,mais on doit se rendre compte du fait que les mytho-lgendes quinous intressent ont t conues dans ce contexte.

    Ceci nous mne au rgne du roi Amdi Siyon (1314-1344). Sous cemonarque, le neuvime de la nouvelle dynastie, on introduisit laversion plus ou moins dfinitive du Kibr Nigist. Elle aurait trdige dans sa version finale par des reprsentants du clergorthodoxe thiopien du Tigray, mais, suivant lhypothse de Shahd(1976), on est enclin croire quune premire version fut djcompose au VIe sicle. (12) Cependant, ce nest quaprs 1270,quon peut noter son utilisation plus systmatique dans le domainepolitique (nous sommes ports distinguer la question de sacomposition de celle de son usage dans le domaine politique).Comme nous lavons vu, cest dans le Kibri Nigast que lon trouvele mythe fondateur bien connu des Abyssins, non seulement desrois, mais aussi des peuples Amhara et Tigray. Cette oeuvre dcritles Ethiopiens comme le nouveau peuple lu par Dieu. Ainsi, onpeut lire dans le texte (dans la traduction de Bezold 1905: 67):

    Le Kibr2i Nagist contient ainsi la charte historico-religieuse de lanouvelle dynastie amharique chrtienne, considre commedirectement dsigne par Dieu. Bien que cet ouvrage rassembledivers cycles de mythes (aussi dorigine biblique), nous nousoccuperons ici seulement de la mytho-lgende principaleconcernant la descendance des Amhara et de leurs rois. Selon laversion thiopienne, on peut la rsumer de la manire suivante(comparez ldition de Bezold 1905) (13).

    Aprs la mort de son pre (un chef important originaire du Tigray),Maquda devint reine de Saba (dcrit comme un pays thiopien,J.A.). Son pre avait, avec des moyens magiques, battu le Serpent,qui rgnait en Ethiopie depuis 400 ans. Maquda, reine vierge, taitladepte dune religion dans laquelle ladoration du Soleil tenait uneplace centrale. Un commerant thiopien lui parla un jour de lasagesse extraordinaire de Salomon, roi des Isralites, et elle dcidaensuite de lui rendre visite Jrusalem.

    Salomon lui fit bon accueil et elle commena lui poser toutessortes de questions. Aprs de longues conversations, elle fut enfinconvaincue dadopter la religion monothiste du roi, et ... ne pasadorer le Soleil, mais le Crateur du Soleil.

    Avant son dpart pour lthiopie, elle dna avec Salomon etconsentit passer la nuit dans ses chambres dans le palais, bien querefusant de coucher avec lui. Salomon promit de ne pas la sduirepar la force, condition quelle ne sempara de rien de ce qui luiappartenait sans lui demander auparavant la permission. Maispendant la nuit, tourmente par la soif cause du dner excessivement pic servi par Salomon, elle prit de leau, sans riendemander personne. Salomon la vit, lui remit en mmoire sapromesse

    -- et elle d coucher avec lui. Maquda, aprs sa rentreen thiopie, accoucha neuf mois plus tard dun fils quelle nommaMnilek.

    (13) Une traduction anglaise du Kibrii Ngiist est prsente dans le livre deE.A. Wallis Budge, The Queen of Sheba and Her Only Son Manyelek(Lendres:Hopkinson, 1922).

    Zion (lArche de lAlliance originelle des Isralites, J.A.) aber hatseinen Wohnsitz bei Deinen Ersteborenen genommen und wirdzur ewigen Erlsung des Voilces Athiopien werden...

    On peut trouver un plan de composition de cette oeuvre chez Levine(1974: 94). U faut noter que ShahTd (1976), apparemment, nattache pasbeaucoup dimportance au moment de la rdaction finale du KibraNgst au XIVe sicle; mais alors, on peut se demander pourquoi cetteoeuvre fut-elle rintroduite, et par qui, et quelle aurait pu tre lamotivation et la nature de cette dition des clricaux tigraens?

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    Jeune homme, ce fils son tour rendit visite son pre Salomon, Jrusalem. Il complta son ducation chez lui, et quelque tempsaprs repartit pour lEthiopie. Cependant, son pre, dsirant tablirplus solidement la foi isralite en thiopie, fit choisir un certainnombre de premiers-ns de notables et des prtres dIsral pouraccompagner Mnilek. Ensuite, linstigation du fils duGrand-Prtre Zadok, Azariah, on fit faire, en secret, un double delArche de lAlliance originelle du Sina, qui reposait au Temple. Lacopie fut place dans le Temple, et lArche originelle emmene enthiopie. Mnilek et ses compagnons russirent prendre cong deSalomon sans veiller de soupons. Mnilek lui-mme napprit levol que lorsque la compagnie fut dj bien en route, et il approuvala ruse dAzariah. Avant que le vol -- sanctionn par Dieu, quiprotgea les fuyards pendant leur voyage -- ne fut dcouvert, legroupe de Mnilek tait dj hors datteinte des hommes deSalomon.

    Aprs larrive en thiopie, lArche fut dpose Aksum. Ds lors,Aksum fut la nouvelle Zion, protge par Dieu, et les rois abyssinsfurent dsormais les protecteurs lgitimes de lArche et, en tantqulus, dots dune mission historique et religieuse. La gloiredivine fut ainsi transfre des Isralites aux thiopiens. LesIsralites furent discrdits. Mnilek devint le premier roi dunedynastie nouvelle et tous les vrais rois dthiopie descendent de lui.Aprs Mnilek, il ne fut plus permis quune reine gouverne enthiopie.

    Pour les thiopiens, le statut de Nouveaux lus tait confirm parlarrive du christianisme en Ethiopie, dj indique par lesprophties de lAncien Testament. Lthiopie ainsi ...continueradans la foi orthodoxe jusqu larrive du Seigneur. (14)

    Dans les derniers chapitres du Kibra Nigst, des batailles avec lesJuifs, prsents comme un peuple rejet et destin disparatre,sont contes. Selon quelques rcits thiopiens supplmentaires, quelon est tent de citer (cf. Krempel 1972: 23, 26-27), Maquda, lorsde son retour, tait accompagne dun groupe dIsralites artisanset maons: les anctres des Falacha (infrieurs aux AmharaTigray, dont le lignage Maquda/Mnilek tait plus prestigieux).

    Le Kibril Ngst, et en particulier ce mythe de Mnilek et du volde lArche (15), a suscit une multitude dinterprtationssuggestives que nous naborderons pas ici (16). Au contraire, nousprendrons ce mythe de Mnilek comme point de repre, parce quilreprsente la base idologique de ltat salomonide des Amhara, etfut respect et dfendu comme la charte de leur autorit royale etde leurs ambitions de souverainet sur toute la rgion de lEthiopiecentrale, travers les frontires de lancien empire dAksum. Cetteinterprtation du Kibra Ngst -- rintroduit, comme nous lavonsvu, au XIVe sicle -- ne retranche rien lhypothse selon laquellecette pope aurait dj t compose et tablie au VIe sicle.

    Le mythe, cit comme rcit sacr par excellence, tait considr (dumoins dans les cercles de la royaut et du clerg abyssin) commehistoire vraie et vrit ternelle (cf. aussi Haberland 1965: 29, 32),du moins jusqu la priode rvolutionnaire (1974 et aprs). Ondoit, bien sr, noter que ce mythe ne se rfre pas directement audomaine divin ou cosmologique: cest un rcit orient surtout enfonction des vnements et des conditions spcifiques caractrisantune certaine priode (pseudo)historique. On y voit le reflet de laposition privilgie dun peuple vis--vis dautres, bien que la basedu mythe soit fournie par le rcit mythique de la Bible.

    (15) Cet pisode du vol donnait aux yeux des Ethiopiens Amhara-Tigray uneforce spciale au christianisme thiopien et elle fournissait aussi uneraison pour garder les traditions judaques de lAncien Testament danslEglise thiopienne, qui se disait gardienne des mots et descommandements de Dieu.

    (16) Voir quelques bons exemples chez Levine 1975 et Spencer 1979.(14) Cf. la traduction de Bezold (1905: 134).

    I. I

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    La main de Dieu est reconnue comme principe actif dans lhistoirede lthiopie, soulignant le destin et la vocation des Amhara-Tigray.videmment, le mot mytho-lgende parat plus adquat ici, cause de la combinaison de laspet historique et de laspect divin.Cette mytho-lgende semble lgitimer nettement la pratique dedomination et le processus dexpansion que les peuples non-abyssins de la rgion subissaient.

    Un fait remarquable est que beaucoup dautres ethnies de la rgionthiopienne se sont servies de ce mythe de Salomon, Shba etMnilek comme mythe dorigine (cf. Taddesse 1972: 250), bienentendu souvent sous une autre forme. Par exemple, on pourraitciter des tribus pastorales islamiques (Bja ou Beni Amer) maisgalement des groupes dorigine agiw. Ce fait souligne la forcenormative de ce corpus mythologique biblique et quasi-biblique,ainsi que le dfi quil reprsentait du point de vue politique pourles peuples non-Amhara et non-chrtiens.

    Nous avons dj exprim notre doute concernant lexistence desBeta Esrael comme ethnie juive bien dfinie, avant la priode desgrandes guerres entre une partie des Agaw et les Amhara, durantles annes 1390-1415 environ. Les rcits bien connus de diversvoyageurs anciens (comme Eldad haDani, IXe sicle, ou Binyaminde Tudla, XIIe sicle) ne sont pas suffisamment solides commesources historiques pouvant confirmer lexistence dunecommunaut juive en thiopie. En plus, la tradition orale des BetaEsrael montre une csure significative concernant les priodesdavant et daprs 1400 environ. Ce fait est plus important quon nela reconnu jusqu prsent. Dans leur tradition lpisode davant1400 a un caractre plus mythique, refltant assez clairement latradition abyssine chrtienne, tandis que lpisode daprs 1400 serfre surtout aux dveloppements historiques au sein de leurpropre socit, rvlant un caractre plus lgendaire que mythique.Il est trs important de noter cette diffrence qualitative desmytho-lgendes entre ces deux priodes, et den chercher la raison.Cest prcisment cette diffrence qui peut nous aider claircir laquestion historique de lethnogense, esquisse ci-haut.

    4. LA POSiTION SOCIALE DES BETA ESRAEL DES LAFIN DU XIVE SIECLE

    Afin dvaluer lhypothse qui vient dtre propose, il nous fautprsenter les lments cruciaux du contexte socio-politique et lesprincipaux vnements de lhistoire des Beta Esrael, partir deleur apparition comme ethnie spcifique. En consultant les sourcesorales et crites, il est indubitable que ds le dbut du X1Ve sicleun groupe judaque et partiellement dorigine agiw, habitant unergion en marge de lempire salomonide, stait form commeentit politique relativement autonome. Ces proto-Beta Esrael -comme on peut les appeler, suivant lexemple linguistique --(17),avaient leurs propres chefs territoriaux (souvent dsigns commerois dans la littrature). ils ntaient pas, avant cette date, dessujets du roi amhara, bien quils lui payaient, probablement, destributs (cf. Quirin 1977: 52). Cependant, depuis le rgne du grandroi-guerrier Amd Siyon (1314-1344), ils taient considrs commeun danger croissant pour lempire salomonide, car ils staientrvolts contre lexpansion politique et religieuse des chrtiensamhara et contre leur prtention de vocation divine et desouverainet (Cf. aussi la carte dans Taddesse (1972: 65), quimontre la position stratgique des proto-Beta Esrael/Falachavis--vis de lempire la priode prcdant linstallation deYikunno Amlak).

    (17) A cette poque, ni le nom de Beta re1 ni celui de Falacha,ntaient employs par les Ethiopiens pour dsigner les juifs thiopiens.Les recherches de la tradition orale des Beta Lsrel ne permettent pasde rvler lorigine exacte du terme Beta rael pour le groupe ni lemoment de son adoption (Cependant, cf. la note 9).James Bruce (1830-32, tome 4: 211) disait que le nom de Beta Israel(Maison dIsra1) leur avait t donn par les Abyssins pour lesdistinguer de la Maison de Jude (do venaient David, Salomon,Mnilek et les rois salomonides)

    *

    I.

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    Bien quil soit probable que les proto-Beta Esrael aient dj tvangliss dune manire extensive (18), il est impossible de direquelque chose de prcis sur leur mode de vie et leur culture, saufquils taient, en grande majorit, des Agaw (la tradition orale necontient pas dinformation sur ce point; ou plutt, suggre que labase agaw de leur culture commenait sroder et se modifier).Ce qui parat essentiel cette poque est, cependant, linfluenceprofonde quils subissent de la part de dissidents chrtiensprovenant de lEglise orthodoxe thiopienne: moines ou hommessaints (cf. Kaplan 1984: 42, 65-66, 102; aussi Kaplan 1985b) quiquittent lEglise cause de conflits qui les opposent aux rois et auclerg dominant (Krempel 1972: 35; Kaplan 1984: 36-37, etci-dessous). Selon plusieurs auteurs, ces dissidents auraientcontribu la formation daspects importants de la religion et dumode de vie des Beta Esrael (Quirin 1977; Kaplan 1984, etsurtout Shelemay 1980, 1982, 1986). Ce sujet sera trait plus endtail dans le chapitre 7.

    Revenant, pour le moment, au thme des relations entre protoBeta Esrael et Amhara, cest en particulier sous les rois Dawit(1380 - 1413) et Yishaq (1414 - 1430) (19), que les anctres desBeta Esrael/Rilacha se battirent avec les armes royales. Ce futune longue priode de guerres, commence sous Dawit -- et dontil ne sera pas ncessaire de prsenter un rsum ici -- et qui prit finseulement en 1625, avec la soumission presque complte des BetaEsrael au roi Susneyos (1605 -1632). (Quirin 1977: 76). Au coursd cette priode, ils perdirent, pourtant, peu peu, leurs droits la terre et leur autonomie territoriale. Le roi Yishaq joua un rledcisif en leur arrachant leur position relativement autonome etpuissante (Quirin 1977: 54 sq.).

    Mais il y eut encore des batailles acharnes sous Sarsi Dingil (1563- 1597). Pendant ces 250 annes, les Beta Esrael se sont montrsde redoutables adversaires des Amhara. Une lecture des chroniquesroyales de ce temps (Cf. Hess 1969 pour un rsum historique) lemontre lvidence.

    Il nest plus acceptable de dire que la dsignation thiopienneFalacha ou Flasa (20) aurait t introduite par le roi Yishaq.Il semblerait que ce terme ait t associ exclusivement aux rebellesjudasants au dbut du XVIe sicle. On connat le fameux dcretde Yishaq, quon pensait jadis avoir t proclam par ce roi aprsavoir achev lexpdition militaire contre les Beta Esrael deWgra dans les annes 1414-15: Seul celui qui a t baptis dansla foi chrtienne peut hriter des terres de son pre; sinon, quilsoit un falasi. (dans Taddesse 1972: 201, ma traduction, J.A.).Apparemment, le mot fiulasi ici signffie: homme sans droit depossession des terres, rsident temporaire, ou visiteur. Il y aplusieurs traductions voisines de ce terme: migr, errant, exil(Une autre traduction est proslyte, donne par Shelemay 1977:246, suivant Dillmann. Celui-ci aussi donne hrmite (= hommespar des autres). Krempel (1972: 257) donne: (quelquun ouquelque chose) de dracin ou coup . Ainsi le ton pjoratif dumot est donn la suite de leurs dfaites car les groupesAgiw/Beta Esrael constituaient en effet des errants ou desdracins. Mais aujourdhui il est certain que le texte de cedcret fut seulement conu et publi bien aprs le rgne dYishaq(cf. Kaplan 1985a). On peut dire en tout cas que loriginelappellation falasha/falasi tait probablement assez gnrale, etdsignait plusieurs groupes, pas seulement les judass. Dailleurs,il est impossible de rpondre la question de savoir si lesproto-Beta Esrael, avant dtre dsigns Flasha, se nommaientdj Beta Esrael.

    (20) Getatchew Halle a fait allusion un petit document (?) nomm BiLzeyatalhiyi Falas (A ce moment les Flas(ha) taient spars), ce qui estpeut-tre une rfrence un pisode du IXe sicle, au moment oquelques groupes chrtiens dans lempire axuniite refusrent daccepterles rformes religieuses proposes par le roi Gbri Misqal (cf. note3sf).

    (18) Dans la chronique royale dAmda .Siyon, les rebelles du Nord (dans lepays des Agaw) taient dsigns comme des rengats: ... jadischrtiens, mais devenus ... comme les juifs. Cf. Krempel 1972: 34-35;Quirin 1977: 53.

    80.(19) Et sans doute aussi sous Sayf Ard (1344-1371), voir Quirmn 1977: 52,

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    Aprs les combats dcisifs de lanne 1625 (avec Susneyos), lesBeta Esrael -- bien sr, cette poque il ny a plus aucunproblme didentffication -- perdirent toute autonomie politique etconomique. Ainsi, le processus de domination commenc sousYishaq fut achev: tout droit de proprit patrimoniale, terres ouressources naturelles leur fut retir -- ce qui les rendit trangersau sein de leurs propres rgions. Progressant dans leur conqute,les Amhara vainqueurs construisirent beaucoup dglises etmigrrent vers les nouvelles rgions. Les Beta Esrael furent deplus en plus forcs dvelopper des activits artisanales. Ils furentainsi mis hors du systme foncier fodal des Amhara-Tigray. Cestla raison pour laquelle ils se dispersrent dans tout le nord-ouestde lEthiopie, jusquau Shawa. Ils durent alors se dfendre contreles pressions missionnaires et contre la domination socioconomique des Amhara chrtiens. La prsence des Beta Esraelsur le sol mme de lthiopie semblait peine tolre: cela setraduisit de faon concrte par linterdiction dobtenir et delabourer leurs propres champs et de se fixer en certains lieux pourplus de deux ou trois gnrations.

    Cette attitude des Amhara-Tigray pouvait prendre une forme siaigus cause de la force normative de lidologie culturelle duKibra Nagst, texte dsignant les Juifs comme peuple vaincu,dgrad et ternellement soumis (aux chapitres 95 - 117). Lesdiffrences politico-conomiques, religieuses et ethniques entre cespeuples taient aggraves par des tabous contraignants concernantles contacts sociaux, lalimentation, etc. Lhostilit tait aussirenforce par des reprsentations supranaturelles (par exemple,attribution dun pouvoir magique dangereux aux Falacha). Malgrle fait que cette attitude hostile des groupes lun envers lautre serelcha de temps en temps -- il y eut aussi de longues priodes depaix et de symbiose -- un profond abme social et religieux secreusa entre eux. Les soupons mutuels ressuscitrent aux momentscritiques et subsistrent jusquau XXe sicle (cf. Kessler 1982: 151).

    En somme, la dfaite politico-militaire des Beta Esrael et ledclassement socio-conomique qui la suivit, provoqurent ladlgitimation de leurs propres traditions politiques et religieusespar rapport au contexte de la socit abyssine.

    Cest en raction contre cette place infrieure et marginalise quileur tait impose au sein de la socit thiopienne du Nord-Ouest,et contre cette humiliation gnrale, que les Beta Esraelformulrent leur rponse idologique. Ils nirent la versionAmhara-Tigray sur lorigine de leur ethnie (dans le Kibr Ngst etdautres textes), et en modifirent les lments principaux dans lebut de se dfendre contre les ambitions politiques et religieuses desAmhara-Tigray.

    *

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    5. MYTHO-LGENDES DES BETA ESRAEL- Premire phase

    Des deux phases qui se trouvent reprsentes dans la pensemytho-lgendaire des Beta Esrael, nous nous intresserons toutdabord la premire. Dans les pages qui suivent nous essayeronsdtablir que les mytho-lgendes de cette premire priode sontessentiellement des variations de la version Amharo-chrtienne quenous avons prsente ci-haut. Nous en soulignerons la signification.Ceci fait, nous prendrons les rcits de la deuxime phase (aprs1400), qui montrent une rduction de llment mythique en faveurde llment lgendaire. Du point de vue historique, lnigme delethnogense des Beta Esrael semble se situer justement lacsure de ces deux phases.

    Les diffrentes versions des mytho-lgendes des Beta Esrael,rpandues depuis longtemps et familires ceux qui connaissent lalittrature sur ce groupe, ont souvent pris comme base le mythe deMnilek. Elles ne constituent pas une tradition autonome transmiseau cours des gnrations depuis le soi-disant dpart dIsral (onne possde encore aucune preuve dune possible migration degroupes juifs du territoire de Jude vers lthiopie). Un des vieuxprtres Beta Esrael que jai rencontr en Isral me disait mmeque le Kibra Niigst contenait le rcit essentiel non seulement delorigine et de lhistoire des Amhara mais aussi de celles des BetaEsrael.

    Cela peut paratre trange si on considre les Beta Esrael commeune communaut dexils juifs; mais dun autre ct, comme nousle verrons, le prtre avait raison (21).

    Les rcits des Beta Esrael semblent consister en laborationssecondaires dun mme thme de base, et avoir t conus aprs lesversions abyssines chrtiennes, souvent directement en rponseaux problmes poss par la version officielle du mythe de Mnilekqui dune manire tout fait vidente, niait les droits ou lalgitimit des Beta Esrael comme groupe tabli en thiopie.

    (21) En rflchissant cette remarque, et en la reliant larticle de Shahd(1976), il me semble que linformateur, le Qes Birhan Biruch, unhomme remarquable et un des derniers produits du systme dducation monacale de llite des Beta Israel, avait peut-tre tout faitraison. Remettons-nous en mmoire les lments suivants: lpisode dela conqute de Himyar et la soi-disant dportation dun nombreimportant de notables himyarites (judass) vers lEthiopie par le roiaxumite Caleb; la dsignation de Yusuf Dhu Nawas comme PinchasZoanush; ladaptation du nom de Beta Israel en Falacha (prenantainsi ce quon croyait avoir t le nom dun des deux fils (?) de Caleb(N.B. dans le Kibrii Ngast): Beta Israel, lautre ifis tant GiibraMiisqiii). Tout cela offre des lments additionnels pour une interprtation plus dtaille de cet pisode fascinant de lhistoire de lEthiopie(OE aussi les remarques de Bruce, note 13 ci-dessus, et la mytholgende J.b., dans le texte). Nous ne pouvons pas laborer ce point ici(mais cf. note 31). Cependant, il me semble vident que les relationsentre chrtiens et juifs, surtout cette poque, rvlent unprocessus dinteraction plus compliqu et plus tendu quon ne lasuppos jusqu prsent. Cependant les donnes disponibles sontencore insuffisantes pour reconstruire ce processus en dtail.

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    A. Aperu gnral des diffrentes versions des mytho-lgendesBeta Esrael concernant la nremire phase: le thme de leurorigine et de leur foi

    Nous sommes en prsence de plusieurs sources (dailleurs ennombre assez limit) concernant les mytho-lgendes des BetaEsrael, et par consquent, de versions diffrentes. Souvent, on peutnoter des diffrences rgionales ou temporelles, selon lorigine duconteur. Il ny a pas une tradition orale centrale ou normative. Dupoint de vue des Beta Esrael, on peut distinguer trois espces detraditions, dont la troisime est la moins importante.

    10 La tradition dominante (qui, jusquau XXe sicle, fut la plusrpandue parmi les Beta Esrael) fut celle drive du mythede Mnilek. En prsentant les versions de ce genre 10 faceaux Amhara ou aux interlocuteurs trangers, les Beta Esraelexprimaient leur dsir dtre regards, non pas ncessairement comme les descendants du roi Salomon, maiscertainement comme ceux des contemporains de Salomon etde Mnilek, originaires du royaume dIsral. Quelquesversions de ce type seront traites plus en detail ci-dessous(voir point B).

    20 Un second type de tradition mytho-lgendaire souligne laroute dEgypte, saffiliant directement au mythe biblique delExode du peuple dIsral ou au rcit de la fuite des Juifsaprs la destruction du premier Temple Jrusalem en 586avant J.-C. Les anctres des Beta Esrael seraient arrivs enEthiopie venant du Nord, indpendamment de Mnilek et desa compagnie. Les versions les plus frquentes de ce type IIsont les suivantes:

    20a (Source: Krernpei 1972: 24)

    Zur Zeit der Emigration aus gypten stritt ein Teilder Israeliten sich mit Moses ilber den Weg und dieRichtung in das gelobte Land. Die streitende Parteiwandte sich von der ailgemeinen Menge ab und gingeigene Wege.

    Nach langen Wanderungen erreichten diese Israelitendas Hochiand von Abessinien, wo sie sich niederliessen,HAuser bauten, Anbau betrieben und dem Glauben derVter treu blieben.

    Une version diffrente de la route dgypte a t donne parle missionnaire protestant J.M. Flad (1869: 4). Selon lui lesFalacha disent que:

    20h ... ihre VorvAter ais Fltichtlinge von der assyrischen biszur babylonischen Gefangenschaft nach Agyptenentkamen, von da Nilaufwerts gingen um sich imwestlichen Teil von Abessinien, in der Provinz Quara,niederiiessen. Von dort aus hAtten sie sich wAhrend derletzten Jahrhunderte auch in die Provinzen Dembea,Wogera, Semien, &c. verbreitet.

    Ce rcit est plutt une lgende, et ne contient pas dlmentsmythiques intressants. Par consquent, nous ne nous yarrterons pas. -

    Une troisime version est la suivante (Source: Krempel 1972:25):20c Jeremias (le prophte, J.A.) floh mit einer grossen

    Zahl von Fliichtlingen vor Nebukadnezar nachAgypten. Vielen Fltichtlingen wurde ein Aufenthait inAgypten verboten, sodass eine lange Zeit derWanderungen begann. Vorbergehend siedelten sichdie Fhichtlinge in Oberagypten an, doch auch von dortwurden die Israeliten vertrieben. Abessinien war derletzte Zufluchtsort.

    20d Une autre version, peu courante (source: Flad 1869;4-5), dit que les Falacha ne furent chasss de leurpatrie, la Jude, vers lthiopie quaprs la destructiondu (deuxime) Temple Jrusalem (1er sicle).V

    I I

  • 32 33

    Ces rcits semblent tous drivs de la tradition criteabyssine ou de la Bible guze. En concluant cette brveprsentation, il nous faut encore prendre connaissance de laversion trs importante donne par M. Schoenberger dans sathse de 1975 (pp. 11-14. Le texte complet est prsent ici,car ltude de Schoenberger na pas t publie). Ce type 2esitue aussi les Beta Esrael/Falacha comme des descendantsdIsralites rfugis (ici notamment de Jude, et pasdIsral!).

    2 e The Falashas migrated like many of the other Sons ofIsrael to exile in Egypt after the destruction of the FirstTemple by the Assyrians in 586 BCE (the time of theBabylonian exile). This group of people was led by thegreat priest, On. They remained in exile in Egypt for afew hundred years until the reign of Cleopatra. Whenshe was engaged in war against Augustus Caesar, theJews supported her. When she was defeated, it becamedangerous for the small minorities to remain in Egyptand so there was another migration (approximatelybetween 39-3 1 BCE). Some of the migrants went to theYemen. Some of them went to the Sudan andcontinued on their way to Ethiopia, helped by Egyptiantraders who guided them through the desert. Some ofthem entered Ethiopia through Quara (near theSudanese border, and sorne came via Eritrea. Thesettiement of the Falashas in Ethiopia was prior to thesettlernent of the Amharas, the Tigrinyans, flot to speakof the Gallas. At this time, Ethiopia was populated byindigenous peoples -- the Agau (Cushitic tribes) andpartly by Semitic Arabian tribes. The population at thistime was ignorant of any handicrafts or technoiogy.This made it a very convenient place for the Falashasto sertie, for they had corne from a civilisation in Egyptwith a knowledge of craftsrnanship such as building,smithing, weaving and potting. With their knowledge ofthese crafts, they becarne the uncrowned governors ofthe area. They were able to influence the nativepopulation and brought about many changes.

    At that time, there was a very good reiationshipbetween the Falashas and the local population, whichbrought about the possibilities of intermarriage, whichis why we have dark skins. In some areas, tiil today,there are Faiashas who speak the ianguage of theoriginal inhabitants and because there were few Jewishwomen, there were mixed marnages with the Agaupeople and that is how the Agau language was passedto the Falashas. From this time until today, we havecalled ourselves Beta Israel. The Falashas had sevenkings, ail of whom were named Gideon, and onequeen, named Judith. King Gideon I was the king ofBeta Israel at the tirne of Abyssinian king Barzil, whogoverned in Eritrea when Gideon I ruled in Aksum. Atthis time, there were friendly relations between the twokings. Later in time, there was an Abyssinian kingnarned Kaieb, who wished to enlarge his kingdorn, sohe declared war on the Yemen and conquered it.And so, during his reign, there came another group ofJews to Ethiopia, led by Azonos and Phinhas. Theybecame famous as Jewish missionaries and had a lot ofsuccess in converting the pagan Agau to Judaism. Andthis (...) is also the time when Judaic elements firstirifiltrated into the teachings of Coptic Christianity.After the reigns of four Gideons, Judith ruied. She wasthe daughter of Gideon TV, and it is known that sheruled in the tenth century for forty years. She rebelledagainst the Christian Amharas because they threatenedthe Falashas by trying to convert them to Christianity,and for this reason she burnt many Christian churchesand killed a lot of priests, and in fact, threatened theentire Abyssinian empire. Finally she was defeatedbecause it was flot enough for her to fight only againstthe Chnistians, but she also began to fight against Arabtribes who had begun to infiltrate into her kingdomthrough Eritrea.

  • 34 35

    For a long tirne after Queen Judith there was noFalasha monarch. During this time, the Falashas foughta lot ofwars against the Christians who oppressed themas a revenge for the deeds of Judith.Then came Gideon V who reorganized the Falashas tofight against the Christian domination, Then there wasGideon VI, and then Gideon VII, who was also knownas Gideon Falasha. He was the last of the Falashakings. He reigned during the time of the Abyssinianking Isaac, during the fifteenth century. During thisturne there was a big war between the two kings whichresulted in the defeat and the oppression of theFalashas forever. When Gideon VII was killed in battle,the power of the Falashas was broken at the centre.There was no one to take his place as a leader and noone strong enough to reorganize the Falasha defences,so king Isaac scattered the Falashas by force allthrough Begemdir to small villages. He was the onewho took the privilege of titie to land from us. It wasat that time that the name Falasha began to be used,meaning emigrant, or foreigner, and it also meansthat it is someone who .is flot allowed to own land.

    Il est vident que ce rcit remarquable na pas t racont telquel par linformateur (Qes Birhan Biruch), mais reconstruitpar Schoenberger qui a rassembl diverses rponses reues de0es Biruch au cours de plusieurs conversations. Cette versionmytho-lgendaire est une pseudo-histoire, de nouveau, pluslgendaire que mythique. Elle voque une synthse trscomplte de presque tous les lments dhistoire et de mytheconnus chez les Beta Esrael cette date (1973). On y trouvedes lments du Kibr Nagist, de la Bible, et de la traditionagw, et lensemble offre plusieurs interprtations possiblesque lon na pas encore pu corroborer dautres sources (parexemple, la tradition des rois Gidon avant le roi axoumiteCaleb).

    Au moment o cette version tait prsente au chercheur,lide dune migration ventuelle des Falacha dthiopie enIsral tait devenue trs populaire, et le besoin de dmontreraux visiteurs et savants juifs que les Falacha taient aussi desjuifs comme tous les autres juifs dans le monde se faisaitsentir fortement.

    Le rcit 2 constitue ainsi une combinaison originelle etintelligente de divers lments lgendaires et historiques (enpartie mme drivs de lhistoriographie moderne), mais quisont souvent contradictoires. Lide fondamentale y est demontrer les Beta Esrael juifs comme entit ethno-religieusebien dfinie travers lespace et le temps. A partir de leurExil de Jude jusquau moment de cette narration, ilsauraient ainsi particip tous les vnements cruciaux delhistoire de la rgion: * leur fuite aprs la destruction duTemple (rcit biblique), lmigration au Yemen et en Egypte,et de l en thiopie; * leur arrive antrieure aux peuplesdominants dEthiopie; * leurs problmes avec le roi axoumiteCaleb et lexpdition ymnite; * les conflits religieux avec lechristianisme et lislam (les Arabes); * le grand conflit avecle roi Yishaq. Il est vident aussi que certaines caractristiques du groupe comme quasi-caste infrieure sontprojetes dans le pass et en mme temps inverses: - bienquils aient t mpriss par les chrtiens abyssins cause deleur pratique de lartisanat, cela leur aurait confr dans lepass une certaine autorit et supriorit - leur affinitculturelle et physique avec les Agiw est explique; et eneffet, la rvolte des Agiw est rinterprte comme unpisode de rvolte juive (Judith = Gudit, cf note 11),soulignant ainsi le lien troit entre Agiw et Beta Esrael.

    A cause de son inconsistance interne et de son caractre sivident de bricolage (du ct de linformateur, ou deSchoenberger, ou de tous les deux), il est impossibledaccepter ce rcit comme une version ancienne outraditionnelle -- il sagit plutt dune composition moderne,qui nexistait pas comme telle dans la tradition orale des BetaEsrael.

    f

  • 3637

    Elle na t donne par aucun autre informateur pendant lessicles prcdents.

    3 Une troisime tradition narrative se distingue des traditionsdu types 1 et 20. Elle se rattache une interprtationjuive-orthodoxe, probablement fournie pour la premire foispar une autorit rabbinique du XVIe sicle -- le rabbin Davidibn Abu Zimrah, du Caire -- et confirme par des rabbins enIsral. En 1972, le Grand Rabbin spharade dIsralannonait, par voie de psak-din (dcision rabbinique autoritaire) que les Falacha taient des Juifs descendants de laTribu de Dan, une des dix tribus perdues de lancienroyaume dIsral (au Ville sicle avant J.-C.). M.Schoenberger a not que le Grand Prtre quLza cit (luiaussi au courant des dbats en Isral sur le statut religieuxdes Falacha) se rfrait galement au fait que les BetaEsrael seraient des Danites (Schoenberger 1975: 14). Ceciserait cependant un peu contradictoire avec ce queSchoenberger a indiqu dans le rcit 20e que lon vient deprsenter (22). Cette remarque semble toutefois tre une desinnovations rcentes dans la tradition orale des Beta Esrael.Bien quil soit certainement intressant dtudier plus endtail toutes les innovations survenues dans les mytholgendes, la musique liturgique, etc. des Beta Esrael desXJXe et XXe sicles, nous les ngligerons dans la prsentetude, parce que pour rpondre aux questions dethnogenseils ne sont pas dimportance primordiale (23).

    (22) Le Dr. Steven Kaplan ma indiqu le rapport dElijah de Ferrara de1438 (cf. A. Yaari 1971; je nai pas pu consulter cette source). Cevoyageur, ayant rencontr un Juif abyssin au Moyen-Orient, note queles Juifs dEthiopie se disent membres de la tribu de Dan; et apparemment ctait un nonc provenant du groupe (Beta Israel) lui-mme- il ntait pas influenc par les Juifs non Ethiopiens. Cet pisode nestpas dcrit dans le rapport dElijah dans E. Carmoly 1847; 334-335.

    B. Les versions salomonides des mytho-lgendes des BetaEsrael (

    Revenons maintenant aux versions du type 10, afin dlaborer notrehypothse. Ces versions taient les rcits les plus courants prsentspar les Beta Esrael aux Amhara-Tigray et aux trangers dj bienavant le XXe sicle. Que nous disent-elles par rapport aux versionsabyssines chrtiennes?

    La premire de ces versions a t donne par James Bruce(1830-32, tome 4: 208-209):10 a Reconnaissant la mme tradition propos de Salomon, de

    la reine de Sheba et de Mnilek, les Falacha disent quilssont les descendants des Juifs qui accompagnrent Mnilekde Jrusalem en thiopie. Ils sont rests fidles la foiisralite de Salomon et de la reine de Sheba, mme au tempsde lapostasie, sous les rois Abraha et AtsNiha (24). A cemoment-l, les Falachas choisirent un nouveau souverain dela tribu de Juda, de la ligne de Salomon et de Mnilek,nomm Phinas. Tous les souverains falachas qui suivirentdescendent de lui.

    Comme nous lavons dj remarqu (note 17), Bruce dit quele nom de Beta Esrael fut donn aux Falacha par lesAbyssins pour les distinguer de la Maison de Jude et deSalomon (i.e., les Amhara-Tigray et leurs rois). Mais lesFalacha eux-mmes ont toujours affirm quils taient lesvrais reprsentants de la maison de Jude (cf. Bruce 1830-32,tme 4: 217).

    (24) Lapostasie veut dire ici la conversion au christianisme au IVe sicle.Selon la tradition, Abriiha et Asbaha taient les rois dAxum cettepoque. fi faut souligner que ces deux noms figurent dans la listeofficielle des rois dEthiopie, prsente par Hayl Sellas I en 1922(publie par Rey 1935: 275). Dans cette liste, le nom du roi Ezana nefigure pas, mais il est accept aujourdhui quAbriiha/Asbaha et EzanaI sont les noms dun seul et mme roi.

    (23) Cf. un exemple dinnovation dans le domaine de la liturgie religieusechez Shelemay 1978.

  • 38 39

    Sans tre capable de rsoudre ces contradictions dans le rcitde Bruce, nous pouvons noter que sexprime par l la rivalitidologique entre les deux groupes. En supplment cetteversion 1 a, on doit considrer lpisode rapport parKrempel (1972: 29) quelle reut de la bouche de prtres desrgions de Wagara et de Simien:

    1b Die Israeliten (gemeint sie die Falascha) sind die wahrenHerren von Athiopien. Die Amhara fielen vom wahrenGlauben der Vater ab und nahmen das Christentum an.Unter den Priestern, die den Sohn Salomons nach Athiopienbegleiteten, befand sich auch Elieser. Er wurde zum Urvatereines Geschlechtes von Priestern, dem Pinchas entstammte.Ais die Knige von Aksum die Lehre von Maria und Christusannahmen und dem Glauben der Vater untreu wurden,rebellierte Pinchas. Er ffihrte die Fhichtlinge an, die Aksumaus Furcht vor der Rache der Knige verlassen mussten. Diewahren und treuen Israeliten (= Falaschas) wollten keinenVerrat am Glauben Salomons tiben.

    Nous avons dj rencontr le nom nigmatique de Pinchasdans le rcit 1 a de Bruce (ci-dessus) mais galement dans lercit 2e de qes Birhan.

    Lorsque jinterrogeai le qes Birhan plus en dtail sur cepoint, il me dit quun chef falacha du nom de Finhas/PinchasZoanush avait lutt contre le roi abyssin Caleb. Mais du faitque Caleb rgnait au VIe sicle et faisait la guerre contre leroi himyarite Yusuf Dhu Nawas, un converti au judasme, ilsemble que Pinchas ne soit pas un roi abyssin mais ymnite.Cependant, cette explication de linformateur est significative(cf. note 21). Le choix du nom biblique de Pinchas (nom dunGrand-Prtre dans lAncien Testament) comme symbole dela foi orthodoxe, ntait pas sans raison. On peut en effetconstater que lorigine de la lgitimit et du nom des BetaIsrael judaques est projete dans le pass, par la rfrenceau rcit politico-religieux du Kibra Nagast (parlant desbatailles de Caleb), que les membres du clerg Beta Israelconnaissaient aussi trs bien.

    Dans la tradition orale des Beta Israel, on na que rtrospectivement dclar Dhu Nawas comme anctre desFalacha/Beta Israel.

    Le rcit 1 b (ou Pinchas est galement prsent comme unEthiopien) doit tre considr de la mme manire.Dailleurs, il ny a aucune trace culturelle ou autre (en langueou livres et coutumes religieuses) dune migration ou dunecampagne de conversion (des Agaw en thiopie) mene pardes prisonniers ou dports de lHimyar judaque au tempsde Caleb et Dhu Nawas.

    Une autre version intressante sur lorigine des Falacha, estprsente par dAbbadie (1851:183).1 c Nous sommes venus avec Salomon. Zogo, fils de la reine de

    Saba, est le pre de Liqaunt. Nous sommes venus aprsJrmie le prophte. Nous ne comptons pas depuis lannede larrive de Min Ylik

    .... Nous vnmes sous Salomon; noussommes venus par Sannar et, de l, Alcsum. Le monde restasous une seule foi pendant 5500 ans, jusqu Jsus-Christ:nous sommes venus sous Salomon bien sr.

    Linformateur qui a donn ce rcit mystrieux tait unGrand-Prtre et moine (Amharique: malakse) des BetaEsrael de la rgion de Bagemdir, le fameux Abba Ishaq. Iltait un chef spirituel important de la communaut et rsidait Hoharua, emplacement dun ancien monastre falacha. Onvoit quAbba Ishaq souligne ici la route gypte-Soudan(Sennar) et lassociation directe avec le roi Salomon, avantque le lien des chrtiens avec Mnilek ne fut tabli.

    Il faut encore noter une quatrime version, troitement lie latradition mytho-lgendaire thiopienne officielle (Source: S.Gobat 1834, cite par Luzzato 1853: 489, raconte par une vieillefemme falacha).

  • I d ...Salomon eut un fils de la reine de Saba qui ressemblait sibien son pre que les habitants de Jrusalem le prenaientpour lui. Celui-ci, jaloux, le renvoya en lui disant dallerprendre possession du royaume dAbyssinie. Minylik, ensortant de Jrusalem, emporta avec lui lArche de lAllianceet vint en Abyssinie avec un grand nombre de Juifs; mais enchemin il traversa une rivire avec lArche et avec une partiedes Juifs le jour du Sabbat, et depuis lors il fut chrtien avectous ceux qui passrent la rivire avec lui. Les Falachas sontles descendants de ceux qui restrent attachs la loi deMose et qui refusrent de passer la rivire le jour du Sabbat.LArche est depuis lors reste Axum (...), mais elle estinaccessible aux chrtiens, et ils ny a que les Falachas quipuissent sen approcher. Quand un Falacha savant et saintsapproche de lendroit o est lArche, ses murailles sedivisent en deux, jusqu ce quil en sorte aprs avoir fait sesadorations.

    Pour la priode davant 1400 environ, il ny a pas unetradition spcifiquement falacha qui se rfrerait un autrediscours mytho-lgendaire que celui des chrtiens. Celadmontre une fois de plus limpossibilit de strictementsparer la pense et la culture religieuse des chrtiensAmhara-Tigray et celle des Falacha judaques: les deuxcatgories se mlent.Prenons un exemple. Dans les versions 1 a et 1 d, encombinaison avec les noncs de Qes Birhan (sur PinchasZoanush et dans la deuxime partie de 2e), nous notons uneprojection, par voie danalogie, de lpisode de lexpditionde Caleb travers leau (de la Mer Rouge) contre YusufDhu Nawas, entreprise qui symbolise le dbut de lapostasiedes rois abyssins: ils abdiquent la vraie foi en attaquant leroi himyarite juif. Nanmoins, mme dans ce cas, la mytholgende Beta Esrael driverait du discours salomonidechrtien (cf. note 21).

    Tentons cependant de faire-- de faon schmatique

    -- unrappel des lments essentiels du modle idologique desAmhara et de lopposer au modle Beta Esrael.

    A. Amhara-rigray B. Beta Esrael

    1. A cause de la transmission delArche de lAlliance, les Ethiopienssont, grce Mnilek

    . commem&iiateur - le peuple lu, selon ladcision de Dieu.La ruse de Salomon (la sduction deMaquda) est venge la gnrationsuivante par la ruse de Mnilek (le volde lArche Lautorit politicoreligieuse des Amhara-Tigray salomonides est tablie pour toujours.

    (26) Notons aussi que selon une autre tradition (dAhbadie 1845b: 234), lesFalacha se disaient fils de Lvi, Lvi tant la tribu des prtresisralites disperss parmi les autres tribus dIsral, et qui fonctionnaientcomme gardiens de la foi.

    F 40 41

    Ce rcit contient des lments dinvention et dadditionindividuelle, surtout dans la deuxime partie. Mais lapremire partie est intressante parce quelle montre lidedu contraste entre chrtiens et uifs/ Falacha, soulignant nouveau, comme dans le rcit 1 a, le thme delapostasie.

    Ces quatres pisodes contribuent la dfinition mytholgendaire des Beta Esrael en tant que groupe dou de sapropre identit ethno-religieuse au sein de la socitabyssine. Ces rcits sont inspirs par les mmes ides de baseque celles des chrtiens. Comme nous lavons dj dit, il nya pas chez les Beta Esrael/Falacha de tradition orale autreque celle lie la tradition chrtienne (25).

    (25) Comme la dj dit Aescoly (1962: 93): ... cette tradition (des Falacha;J.A.) na rien de falacha en elle-mme, moins dadmettre que leschrtiens le doivent aux anctres des Falachas actuels... (Ce qui estassez discutable).

    1. La transmission de lArche est admise,mais elle doit tre garde par desreprsentants des Isralites premiers.ns, rests fidles la loi.

    La grce de Dieu est avec les Ethiopienstant quils resteront fidles la foiisralite. Les Beta Esrael en sont lesvrais gardiens. (26)

  • Dans cette dernire version, nous rencontrons un rcitpseudo-historique qui accentue lidentit des Beta Esrael commegroupe Juif exil aprs la destruction du Temple en 586 avant J.-C.Ce fait de lhistoire juive est en effet considr comme moinsdouteux que la connection salomonide expliquant lexistence desjuifs noirs en thiopie.La version 2 e constitue un effort en vue de synchroniser lhistoiredes Beta Esrael/Falacha avec celle des autres juifs, qui furenttoujours mystifis par les Falacha et qui mme, dune certainemanire, voquaient ce rcit, comme rponse leurs questions.

    Il est aussi intressant de noter quici (2e) les Falacha-- tant

    arrivs avant les Amhara, Tigray et Oromo (Galla)-- se considrent

    comme les civilisateurs du point de vue technologique, et que parconsquent ils ne furent pas ncessairement infrieurs ds lorigine.

    Il ressort de cette comparaison lmentaire que ces deux groupes, * /nonant une rivalit historique, se disputaient lun lautrelanciennet ainsi que lorthodoxie religieuse en Ethiopie au sein dela mme tradition mytho-lgendaire (ou peut relever ici la diffrence entre leur rivalit dune part, et la rivalit des Amhara aveclIslam dautre part). Cependant, il nen peut rien rsulter commelment explicatif du point de vue historique proprement dit.

    Soulignons la diffrence surprenante entre les versions salomonides,en cours jusquau dbut du XXe sicle, et la version moderne (2 e)des origines des Beta Esrael, raconte par Qes Birhan.

    (27) Le shabbat tait devenu un des symboles religieux les plus importantsdes Beta Isral. Comme lexprimait linformateur de dAbbadie (1845a:56-57): Marie (...) est la mdiatrice des Chrtiens; notre mdiateur estsamedi. (Cf. aussi le texte du livre falacha Teezazii Sanbat).

    (28) Cf. Krempel (1972: 24, 27).

    4342

    2. Le christianisme introduit plus tardest laccomplissement lgitime de lafoi, confirmant le rle primaire desnouveaux-lus, comme prvu dans laBible. LEthiopie devient la gardiennede la foi orthodoxe.

    3. LArche est dpos Aksum, danslEglise orthodoxe dAksum-Siyon,inaccessible aux non-chrtiens, commemusulmans, paens ou Falacha.

    4. Les Amahra et leurs rois salomonides,sont les vrais matres de lEthiopie,dsigns comme les souverainspolitiques et religieux indiscutablespar droit divin.

    5. Les Ainhara-Tigray et leurs roisdescendent des importants premiers-nsisralites. Les Falacha descendent desartisans et ouvriers qui leur sont

    2. La conversion au christianisme est uneapostasie, annonce dj pendant la fuitede Mnilek, quand il traversa la rivirependant le Shabbat avec une partie desIsralites (cet acte tait contraire la foide Salomon) (27).3. LArche se trouve Aksum bien sr,mais elle nest vraiment accessiblequaux Beta Esrael pieux, car ils sontles responsables de ce symbole de la foidIsral.

    4. Les Beta Esrael, qui maintinrent lavraie foi isralite ont un droit lgitimeaussi de rgner en Ethiopie, si pas dans lepays entier, du moins dans leur propreterritoire du Nord.

    5. Les Beta Esrael descendent despremiers-ns isralites, tuteurs et chefs

    religieux qui gardaient leur foi pourltablir en Ethiopie, et ainsi nen sont

    infrieurs (28). pas intrinsquement infrieurs.

  • LEPISODE DE GUDW ET LES ZAGWE: PREMIERSRETENTISSEMENTS HISTORIOUES DANS LA

    Quand, au Xe sicle, le royaume dAksum fut attaqu par lespeuples agaw, se tenait la tte de la rvolte une reine connueaujourdhui sous le nom de Gudit ou Esatu. Ce nom (= le feu),est videmment symbolique et fut donn par les Amhara chrtiensdsireux de rappeler la grande dvastation du pays (destruction desglises et trsors chrtiens) au temps de cette reine (29). La rvoltedes Agiw est, du point de vue historique, indubitable ainsi que lerle dune reine non-aksumite. Selon la tradition thiopiennechrtienne, la grande glise dAksum fut mise feu par Gudit (ce moment lArche de lAlliance, qui sy trouvait, avait dj tamene au monastre de Dibri Siyon, au Lac Ziway). Gudit auraitgalement tu tous les membres de la famille royale aksumite quise trouvaient Dibri Damo (sauf un: Dil Naad, fils du dernier roi,qui stait rfugi au Shiiwa).

    Les sources thiopiennes concernant cet pisode et cette reine sontcontradictoires (30), bien que linterprtation mytho-lgendaireabyssine soit assez consistante: la reine fut dsigne juive etviolente, menaant tous les chrtiens thiopiens et leur culturereligieuse. Elle est ainsi reprsente comme lanti-thse compltedu rgne lgitime abyssin tel que reprsent dans le Kibrii Niigst(rois salomonides masculins, Isralites, chrtiens, lus de Dieu,etc.). La reine est aussi dcrite, de faon mythique, comme langation mme de la reine Maquda: non seulement elle ntaitpas vierge (quelques rcits la dcrivent mme comme uneprostitue; cf. Sergew 1972a), mais elle voulait aussi:1) dtruire lArche de lAlliance, en essayant dliminer le signe

    central de llection divine des thiopiens;2) remplacer la dynastie Isralite (cest--dire, descendant de

    Mnilek) par des non-Isralites (31);3) dfier la prohibition de couronner une reine comme

    souveraine dthiopie;4) donner le pouvoir aux Juifs -- mot qui dans ces textes

    mdivaux thiopiens veut simplement dire opposants deschrtiens. Lide sous-jacente de limage mytho-lgendairede Gudit est quelle tentait dannihiler tout le bien (enmatire de religion, lection divine, autorit politique, etc.)que la reine de Shba, par sa sagesse, avait apport dIsralen Ethiopie.

    (30) Cf. aussi les remarques de Krel (1972: 15-19) sur ce point.

    (31) Cest le Kibra Ngst qui le dit: ... ainsi le royaume passait aux mainsdun autre peuple, ntant pas de la tribu dIsral... (cf. Budge 1928:213).

    44

    6.

    TRADiTION ORALE DES BETA ESRAEL

    45

    Les vnements politiques dcrits plus haut ont reu galement untraitement mythique qui mrite plus dattention. Llmenthistorique dans ces rcits sera plus vident ici, comme nous leverrons, mais laspect mythique domine encore la reprsentationdes faits, mme dans la tradition des Beta Esrael.

    /

    (29) On doit se rendre compte du fait quil ny a pas de source contemporaine (du IX ou Xe sicle) qui ait mentionn le nom de cette reine, nparat certain que Gudit (plus tard renomme Yodit ou Yudit,probablement pour la premire fois par Bruce !) nest pas son vrainom. Nous sommes ici tout fait dans le domaine mytho-lgendaire.

  • 46 47

    Lune des raisons pour lesquelles Gudit fut rtrospectivementreprsente comme juive est probablement quau Moyen-Age thiopien toutes les sortes de rbellion taientconsidres par les Salomonides comme trahison ouapostasie, comme une ngation de leur foi et de leurautorit divine (cf. sur ce point, Kaplan 1984: 19 et Krmpel1972: 19). En ce qui concerne les faits historiques, il estcertainement possible que Gudit ait t lpouse dungouverneur rebelle (au pays agiw), qui refusait de payer letribut. Combattant le roi avec son mari, Gudit continua laguerre aprs la mort de celui-ci (cf. aussi la note 11). Il estsignificatif que les Beta Esrael, plus tard, aient accept cetpisode comme vrai: Gudit (renomme Yodit/Yudit) futreconnue comme une de leurs anctres. Sur la dynastie queGudit/Yudit a pu tablir aprs son soi-disant rgne de 40ans, nous navons pas dinformation substantielle.

    Aprs 1137, on parle de la dynastie des rois Zagw, que londclare quelque fois comme apparente la famille de Gudit, etqui est considre comme non-salomonide. Comme on sait, la baseterritoriale de leur royaume tait galement le Lasta. Je cite le casdes Zagw ici pour esquisser linterprtation mythique que leurhistoire a subie dans la tradition des Beta Esrael. Ceux-ci,conscients de la tradition salomonide sur les Zagw, prsentent,selon Kessler (1982: 81-82, citant des sources thiopiennes), le rcitsuivant qui dmontre un lien troit avec cette tradition:

    videmment, il est trs douteux que ce rcit soit dorigine falacha,car les Beta Esrael seraient prsents ici par dfinition comme lesinfrieurs des Amhara salomonides, comme les descendantsdesclaves, serviteurs ou soldats, et cest ce quils ont toujours essayde nier. Au contraire, les Falacha considrent que les descendantsde ce fils Zagwe se trouvent parmi les groupes agiiw, comme lesQimant.

    II vaut la peine de se remettre en mmoire la mytho-lgende 1 c.Nous y lisons une phrase nigmatique: Zogo, fils de la reine deSaba, est le pre de Liqaunt. Or, il sagit ici dune rfrence auxZagw (Zogo) et, pe4t r , lethnie des Qimant (Liqaunt,serait peut-tre une transcription errone de dAbbadie)? LesQimant, dont nous parlerons encore plus longuement plus loin sontun petit groupe dorigine agiw, vivant, cette poque, auprs desFalacha dans la rgion de Gondir (Dambiya, Chilga). Ces Qimantavaient une religion syncrtique, ayant en commun avec les BetaEsrael/Falacha quelques coutumes et lments de foi hbraqueremarquables (cf. Gamst 1969: 29f.).

    Les Qimant ne livrrent pas de combats acharns contre les armesamhara, comme le firent les Beta Esrael. Ceux-ci ont toujoursessay de se distancier des Qimant, surtout au XXe sicle, face auxvisiteurs juifs dOccident (32).Si notre interprtation du rcit 1c est correcte (rfrence auxZagw), on trouve ici une projection de la mytho-lgende amharaconcernant les Beta Esrael sur les Qimant. A leur tour, les BetaEsrael vont considrer les Quimant comme infrieurs cause deleur religion non-isralite (bien que semblable). Une telleprojection faite sur les Amhara serait irrationnelle car ceux-cifurent si manifestement -- avec leur Kibr Nagist comme charte, etavec leur pouvoir politico-militaire et conomique -- les matressuprieurs de la rgion.

    (32) Cf. la rponse dAbba Ishaq, cit la page 74 ci-dessous. J_a raisonpour ne pas sassocier avec les Qimant sera vidente. Voir aussichapitre 8 ci-dessous.

    Tradition has it that besides taking the Queen of Sheba into hisbed King Solomon also worked his will on ber servant who borehim a son called Zagwe. In due course Zagwe founded his owndynasty and his haif-brother Menilek provided him with membersof a bodyguard whom he had brought from Israel and they spreadinto the provinces of Wollo, Gojjam, and Shoa, where they becamethe ancestors of the Falasha.

    Kessler ajoute: Ibis is a variation on the Ethiopian tradition thatthe Agau tribe came into the country with the Army of Menilek I.(ibid.).

    I

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    Rsumant ces pisodes mytho-lgendaires traits jusquici, ilapparat que les Beta Esrael ne possdent pas vraiment unetradition orale autonome qui ait t labore sans rfrence auxtraditions abyssines chrtiennes gnrales, cest--dire, cellesconcernant la priode davant la fondation du royaume salomonideau XIIIe sicle. Nous sommes forcs de conclure quune traditionBeta Esrael hors du discours salomonide nexiste pas. Et noussavons que ce discours ne fut labor que plus dun sicle aprs larinstitution de la monarchie de Yikunno Arnlak en 1270. Ergo,il ny a aucun point de repre solide qui nous permette de nousformer une ide de lethnohistoire des Beta Esrael/Falacha avantcette priode; et, de plus, il ny a pas dvidence suffisantedmontrant leur existence comme ethnie juive exile, supposedorigine non-thiopienne. Nous arrivons une telle conclusionmme abstraction faite des arguments purement historiques quonpouvait apporter (cf. Quirin 1977: 34; Abbink 1984b: 29-32).Nanmoins, il est peut-tre possible de pousser la limite temporelleconcernant lorigine de quelques lments des proto-Beta Esraeljusquau IXe sicle (comme nous lavons dj indiqu dans lesnotes 20, 21 et 33), condition que nous acceptions les conclusionsde Getatchew Haile (1982) concernant la date du rgne du roiGbr Miisqiil: ca. 884 AD (33). Il y a, selon Getatchew, bien desindications qui montrent que le rgne de Gibra Miisqil fut unepriode de regnration du christianisme du point de vue liturgiqueet rituel, et quil y aurait eu un premier dpart de monothistes etde chrtiens judass dAksum. Ceux-ci sopposaient aux rformes,et se seraient rfugis au Simien (Getatchew 1982: 319) (34).

    (33) Cet auteur conclut aussi que ce roi, nomm dans le Kibra Ngst,ntait pas en ralit un fils (avec son frre Bet Esrael) du roiCaleb (VI sicle !), comme lavait dit Shahd (1976).

    Cependant, cette argumentation ne peut pas dvaloriser notreconclusion provisoire: une tradition judaque originaire delextrieur de 1Ethiopie nest pas un lment formateur duprocessus dethnogense des Beta Esrael/Falacha (35).

    *

    (35) Le frre (et rival politique) du roi Giibr Msqal (cf. notes 21 et 33)sappelait Betii Esrael (Getatchew 1982: 320). Ses adeptes politiquesauraient pu adopter son nom. Si cela peut nous donner en effet lasource du nom des Falacha, les origines du groupe se trouveraient toutde mme Ethiopie.

    (34) Getatchew, par consquent, semble aussi adopter une autre date pourla composition du Kibrii Ngst, car cette oeuvre est pour lui le rsultatdes conflits voqus par ces rformes de Gibr Msqal la fin du IXesicle (ibid.: 320): The Kebra Ngst was composed most probably atthe zenith of the reign of Giibril Msqal in whom the Christians hadhope to restore the glory of Kalebs Axum by destroying their religiousrivais. (ibid.). Linterprtation de Getatchew, base sur une tude trsadmirable des sources, contredit ainsi celle de Shahd 1976, sans quecelle-ci ne me paraisse compltement rfute.

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    7. LA DEUXIEME PHASE DES TRADITIONSMYTHO-LGENDAIRES: RELIGION. GUERRE ET

    A. Rcapitulation historique

    A partir du moment o les Beta Esrael apparaissent sur la scnede lhistoire abyssine salomonide (aprs 1400, lorsque lon trouveleur nom dans les chroniques royales et dautres documents), lesrcits rapports par leur tradition orale se modifient considrablement. Il faut tre clair sur ce point: quand les mytho-lgendes BetaEsrael se rfrent la priode daprs 1400 environ (disons, aprsle rgne du roi Dawit, 1380 - 1413), on ne trouve plus gure dercits drivs de sources classiques comme la Bible, les LivresApocryphes, ou le Kibri Nigist, mais au contraire des souicescontemporaines comme des hagiographies et des traditions oralessur des hommes saints locaux, strictement dorigine thiopienne. Ony trouve le reflet dvnements et personnages plus historiques (encontraste avec les personnes mythiques comme Maquda ouMnilek ou mme Salomon), qui proviennent moins directement