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Jacky Billeau Histoires naturelles ou presque

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Page 1: Jacky Billeau Histoires naturelles ou presque

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----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique

[Roman (130x204)] NB Pages : 158 pages

- Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,07 mm) = 12 ----------------------------------------------------------------------------

Histoires naturelles ou presque

Jacky Billeau

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Jacky Billeau

Histoires naturelles ou presque

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Du même auteur :

• Images dérobées (2012) • Soixante et quelques paroles éteintes (2013) • La fée du logis (2014) • Portrait de Gabriel sous les étoiles (2014) • Les tiroirs à vent (2015) • C’était juste pour dire (2015) • Chansons des routes (2016) • Les grands mots se mangent pas en salade (2016) • Fragments d’un voyage ordinaire (2017) • À quoi songeait le vieux débris qui allait voir la mer (2017)

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Faisons le pari, à part chez les humains, tout ce qui vit est doué de sensibilité

En quoi serais-je plus important qu’un papillon

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Je me suis déjà expliqué sur l’absence de point final

dans certains textes comme « une invitation à poursuivre le voyage ». Je n’y reviendrai pas1.

Dans le lycée de ma jeunesse, en classe de philosophie, on apprenait la différence entre l’homme et l’animal. L’homme était doué d’intelligence et l’animal d’instinct. Je me souviens, lorsque le prof nous a déballé cette science, d’instinct je me suis dit : Mon Dieu, qu’il est bête l’animal, il faudra que je lui présente mon chien !

J’ai rencontré, dans les villages, mais pas seulement, gens de tout acabit qui juraient également que l’animal ne ressentait pas la douleur. On pouvait taper dessus. J’ai pu assister, enfant, au spectacle horrible d’une vieille jument qui refusait d’avancer d’un sabot. Alors le maquignon, muni d’une sorte de gros peigne hérissé de pointes, se mit à lui planter des coups dans les fesses afin de réussir péniblement à faire monter la pauvre bête dans le camion à bestiaux qui allait la conduire à l’abattoir. Qui nous dira justement si l’étroit caisson n’était pas imprégné dans la paille et les planches des odeurs de détresse et de mort des précédents

1 Chansons des routes, Edilivre (2016) À quoi songeait le vieux débris qui allait voir la mer, Edilivre (2017)

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chargements ! Douleurs, non, pensez donc, juste un peu rouillée la vieille, forcément. Ces connaisseurs savaient cela sans avoir lu Descartes ni les programmes de philosophie, ignorant probablement que l’animal du Moyen Âge était doté d’une responsabilité pénale et pouvait même être excommunié. Mais c’était il y a bien longtemps, avant l’amendement du Code civil de 2015 reconnaissant tout animal comme « être vivant doué de sensibilité ». Alors, on passe l’éponge sur ce temps-là. Errare humanum est, l’homme, pardon l’humain, est aussi bête que cela

L’homme serait un animal politique, nous dit le sage, vérité indiscutable comme on a pu le constater maintes fois au cours de l’histoire. En politique, l’homme se comporte comme un animal

* * *

Ce que Georges Clemenceau, animal politique s’il en fut, exposait ainsi : « en politique, on succède à des imbéciles et on est remplacé par des incapables »

* * *

Pour bien comprendre la différence entre l’homme et l’animal, il suffit de se rendre au Muséum d’histoire naturelle où l’on voit que les cages sont nettement plus petites

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Le chien du saxophoniste

En fait, ce n’était pas plus le chien du saxophoniste que celui de sa fermière de femme, mais comme l’animal avait un rapport très particulier au son qui sortait du pavillon lorsque son maître en faisait usage qu’il m’a semblé tout naturel de lier les deux.

Je n’ai nullement l’intention de gamberger sur le fait de savoir si la musique aurait un quelconque effet sur les mœurs des animaux, pour la simple raison que j’aurais les plus grandes peines du monde à distinguer ce qui relève de l’art et ce qui n’est que bruit plus ou moins agressif. Je me bornerai à la notion de son et de rythme.

De mes lectures, il ressort que nos amis les bêtes y sont sensibles, ainsi, le bon usage de Beethoven dans les étables aurait un effet positif sur la production laitière.

J’ignore ce que pourrait donner une portion de métal infernal ou de rap sur la gent animale. Quant à moi, je sais quel effet cela produit sur ma personne et comme je n’ai pas l’âme d’un tortionnaire, j’en dispenserai nos amis les bêtes. Il m’a été donné d’être resté toute une nuit sans dormir, éveillé jusqu’à l’excitation la plus sauvagement désespérée, suite à une fête endiablée assourdissante qui sévissait dans mon proche voisinage. J’appris au matin que le chien du lieu, dans en accès de folie impuissante et rageuse en avait dépenaillé de ses crocs tout un divan de salon. Comme quoi,

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la musique et les mœurs ne font pas nécessairement bon ménage ainsi que l’annonçait Aristote et d’autres qui planchèrent sur le sujet bien avant nos déferlements sonores contemporains. Qu’elle soit militaire, religieuse ou populaire, je croirais plutôt que la musique illustre les mœurs et les accompagne, mais bon, des bruits et des couleurs, chacun puise son supplément d’âme là où il croit pouvoir.

Le chien en question, ou plutôt la chienne, puisque c’en était une, se présentait comme une espèce de boule de poils noirs et blancs qui frisaient un peu dans tous les sens, de sorte qu’on ne savait pas toujours distinguer la truffe du terminus, d’autant que, contrairement à ce qui se fait aujourd’hui, l’animal ne prenait contact avec l’eau que par voie naturelle, c’est-à-dire les jours de pluie où elle se trouvait à circuler par les chemins. Douce, affectueuse et d’un naturel tranquille, elle se réveillait soudain lorsque le pavillon du saxophone éructait les éclats tonitruants d’une fanfare endiablée au rythme d’un ancien pasodoble qui sonnait comme autant d’éclairs belliqueux menaçant tout le voisinage. Les séances se déroulaient dans une petite pièce qui servait à la fois de salle à manger et de salon dans lequel le maître avait installé son coin pupitre pour ses répétitions. Et Rita – c’était son nom – de tourner et retourner dans une sorte de ronde mécanique autour de la table où ses maîtres avaient l’habitude de prendre leurs repas. Dans son numéro de manège automate, elle fixait le plancher tout en lâchant un son monotone, rude et insistant, infinie langueur dont on ne sut jamais s’il s’agissait, pour l’animal, d’une interminable plainte de souffrance ou d’un accompagnement approbateur emporté par la mélodie. Le maître, lui, en avait vite soupé qui posait le saxo sur la table,

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ouvrait en grand la porte vitrée donnant sur la rue et oust, vous éjectait la pauvre bête avec ordre d’aller voir ailleurs. Ah, mais, en voilà des façons ! Et de reprendre son pasodoble qu’il n’avait jamais l’occasion de mener à bout. Bientôt, au rythme endiablé que le pavillon de l’instrument accompagnait en virant d’un bord à l’autre la cadence, se mêlait un violent grincement du côté de la porte d’entrée, juste sous les carreaux vitrés. La Rita n’appréciant pas d’avoir été éjectée par le videur des lieux tenait à le faire savoir avec la plus grande énergie. Le saxophoniste, un peu par lassitude, espérant que l’animal avait compris la leçon, lui ouvrait alors la porte. Et rebelote. Quelques mesures et tournis sonores plus tard, le videur reprenait du service. Dans la pièce, d’autres sons d’instruments se faisaient entendre de manière quotidienne en provenance du poste de radio. Rita les ignorait. Seul le saxo du maître déclenchait invariablement les rondes de la chienne autour de la table de cuisine. Des années plus tard, c’est le silence qui devait s’installer dans cette petite pièce où l’on n’entend plus ni pasodoble fanfaronnant ni les litanies d’une boule de poils hirsute et douce à la fois. Compte tenu des éclats enflammés qui fusaient du saxophone, j’aurais tendance à douter que la petite chienne fût comme prise et emportée sous le charme. Toutefois, sait-on jamais ! Fort de l’expérience de ce qui peut s’entendre de nos jours, je ne me prononcerai pas de façon aussi catégorique. Comme je ne saurais dire si ce genre de séance avait eu une quelconque influence sur le tempérament affectueux de la petite chienne. Qu’importe, si la musique adoucit ou non les mœurs, elle peut laisser d’inoubliables souvenirs qui font du bien à qui les a vécus

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Rubrique à brac

Fleuri ou pas, le langage des humains fait la part belle aux animaux. De la bébête qui monte à l’éléphant qui trompe, jardin d’acclimatation garanti. On pourrait même en faire un jeu de société, après quoi, on passerait aux végétaux. C’est tout bête, suffit de fureter un peu sans poireauter ni donner sa langue au chat. Belle salade

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Le monde dans un regard

On dit parfois d’un animal qu’il ne lui manque que la parole. Pour l’homme, ce serait souvent l’inverse, ce n’est pas la parole, mais le regard qui manquerait

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Allez donc, si ce n’est déjà fait, retrouver Montaigne, incomparable guide et compagnon en humanité, il s’offre en partage avec humilité et clins d’œil Quand je me jouë à ma chatte, qui sçait, si elle passe son temps de moy plus que je ne fay d’elle ? Nous nous entretenons de singeries reciproques. Et tant d’autres perles sur nos rapports aux animaux, à méditer d’urgence (Apologie de Raimond Sebond, Essais II, 12)

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Prendre le taureau par les cornes est un choix cornélien

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Le torero avait beau faire ses contorsions bigarrées, le taureau ne voulait rien entendre Si je prête l’oreille, tu voudras jamais me la rendre

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Il faut ménager la chèvre et le chou, surtout la chèvre, il y a plus à manger

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Un élevage de poulets, c’est comme un élevage de saumons avec l’eau en moins parce que le poulet ne sait pas nager

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Les magiciens font l’élevage des lapins dans un chapeau

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L’achat de deux chapeaux de magicien donne droit à un lapin gratuit

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On peut même, en allant par les rues la nuit dans Paris, s’entendre appeler « mon petit lapin », alors que vous allez d’un pas normal et que les fêtes de Pâques sont terminées depuis belle lurette. Véridique, je tiens cela de quelqu’un qui s’y connaissait

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Le pet-de-nonne, c’est que du vent. Ça ne vaut pas un pet de lapin. Mais ce n’est pas tout. Quand bien même le lapin serait un géant des Flandres à l’odeur de bière et de frite, son pet ne vaudra jamais une crotte de bique

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On en entend de belles, vous savez !

« Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage » dit le poète, c’est bien joli ça, mais pendant tout ce temps-là, Argos, lui, balisait sur un fumier, une vie de chien quoi, alors que sa crémière à Ulysse, elle enfilait des perles. Ce sont des détails qu’on oublie trop souvent, mais il ne faudrait pas que la petite histoire se perde dans la grande