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Dossier pédagogique Jazz à l’Ouest Fred Bonté – TEAT Champ Fleuri | TEAT Plein Air 1 Dossier pédagogique TOTAL JAZZ JAZZ À L’OUEST Quelle idée folle l’année dernière, que de rassembler sur la scène du TEAT Plein Air de Saint-Gilles quatre pianistes pour une soirée dédiée aux cordes bien frappées lors du festival Total Jazz ! L’entreprise, inédite à La Réunion, avait été ponctuée par des interventions de Thüryn Mitchell et Pat Burter dans 4 lycées de la commune de Saint-Paul. Bouillonnant de talents, ce duo proposera cette année encore, et à des collégiens cette fois-ci, un répertoire de Standards de Jazz qui laissera libre cours à leur imagination. Car c’est bien le maître mot de ce style de musique basé sur l’improvisation, l’invention. SOMMAIRE L’HISTOIRE DU PIANO P.3 SPÉCIFICITÉ DES JAZZMEN P.3 L’INSTRUMENT PRIVILÉGIÉ DU SOLO P.4 DES ORIGINES COMPLEXES P.4 LE PIANO JAZZ EN FRANCE P.5 DU PIANO JAZZ PARTOUT DANS LE MONDE P.5 BIOGRAPHIE DES ARTISTES : THÜRYN MITCHELL P.6 PATT BURTER P.7 QUEL SERA LE RÉPERTOIRE DE CE DUO VOLCANIQUE ? P.7 QU’EST-CE QU’UN STANDARD ? P.8 ANALYSE D’UN STANDARD JOUÉ PAR CE DUO : BODY AND SOUL P.8 Dossier pédagogique réalisé par Fred Bonté Professeur relais du Théâtre Canter Nathalie Ebrard Chargée des relations avec le public des TEAT Champ Fleuri | TEAT Plein Air 0262 41 93 22 / 0692 41 93 21 / [email protected]

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Dossier pédagogique

TOTAL JAZZ

JAZZ À L’OUEST

Quelle idée folle l’année dernière, que de rassembler sur la scène du TEAT Plein Air de Saint-Gilles quatre pianistes pour une soirée dédiée aux cordes bien frappées lors du festival Total Jazz ! L’entreprise, inédite à La Réunion, avait été ponctuée par des interventions de Thüryn Mitchell et Pat Burter dans 4 lycées de la commune de Saint-Paul.

Bouillonnant de talents, ce duo proposera cette année encore, et à des collégiens cette fois-ci, un répertoire de Standards de Jazz qui laissera libre cours à leur imagination. Car c’est bien le maître mot de ce style de musique basé sur l’improvisation, l’invention.

SOMMAIRE

� L’HISTOIRE DU PIANO P.3 � SPÉCIFICITÉ DES JAZZMEN P.3 � L’INSTRUMENT PRIVILÉGIÉ DU SOLO P.4 � DES ORIGINES COMPLEXES P.4 � LE PIANO JAZZ EN FRANCE P.5 � DU PIANO JAZZ PARTOUT DANS LE MONDE P.5

� BIOGRAPHIE DES ARTISTES : � THÜRYN MITCHELL P.6 � PATT BURTER P.7 � QUEL SERA LE RÉPERTOIRE DE CE DUO VOLCANIQUE ? P.7

� QU’EST-CE QU’UN STANDARD ? P.8 � ANALYSE D’UN STANDARD JOUÉ PAR CE DUO : BODY AND SOUL P.8

Dossier pédagogique réalisé par Fred Bonté Professeur relais du Théâtre Canter

Nathalie Ebrard

Chargée des relations avec le public des TEAT Champ Fleuri | TEAT Plein Air

0262 41 93 22 / 0692 41 93 21 / [email protected]

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� L’HISTOIRE DU PIANO

Appartenant à la famille des cordes frappées, le pianoforte de Cristofori des origines (1716-1717) avait pour ambition, comme son nom l’indique, de proposer aux musiciens un instrument à clavier capable de produire des nuances contrastées. Et cela grâce à l’échappement, mécanique sensible à l’impulsion de la frappe qui ramène les 88 touches à leur position de départ. Lorsque le doigt quitte la touche, les étouffoirs viennent arrêter la vibration du son en se reposant sur la corde. Deux ou trois pédales sont actionnées par le pied. Celle de droite, appelée la pédale forte, sert à amplifier le son et à le prolonger même si la touche est relâchée. Pour amoindrir le son, on appuie sur celle de gauche. Inventée en 1862 par Montal, la pédale « harmonique » ou de « prolongation » (celle du milieu quand il y en a trois) tient levé tel(s) étouffoir(s) spécifique(s) décidé par l’exécutant, ce qui permet de mettre en résonance seulement telle(s) note(s) spécifique(s) et non le reste du clavier. Par la suite, des modifications successives améliorent les capacités de l’instrument comme le double échappement du français Sébastien Erard, au début du XIXème siècle, pour une répétition plus rapide des notes. Ces bonifications, et d’autres plus particulières, portent le piano à une perfection telle qu’il semble peu probable qu’une prochaine innovation révolutionne l’instrument. Ce sont surtout les techniques de jeu qui évoluent.

� SPÉCIFICITÉ DES JAZZMEN

Par rapport aux pianistes issus de l’école « classique », les instrumentistes du jazz se caractérisent par une approche majoritairement percussive. S’il est exact qu’avec Prokofiev ou Bartok cette dimension existe aussi dans la musique de tradition savante, et s’il est vrai que le « beau son » fait aussi partie de la palette du pianiste de jazz depuis les années 1950, il faut tout de même reconnaître qu’à l’origine les jazzmen se sont appropriés le piano d’une façon plus brute, n’ayant pas peur de cogner, de racler (touches et cordes), voire de « malmener » l’instrument par rapport aux conceptions traditionnelles occidentales. De cette façon, ils impriment à l’instrument ce côté « dirty » caractéristique du jazz, à l’opposé du son idéal et parfait recherché par les pianistes issus des conservatoires. On rencontre donc des techniques elles-mêmes peu orthodoxes, parfois conséquences d’un apprentissage autodidacte : doigts tendus et non relâchés et attaques de haut (Thelonious Monk) ; corps en position debout ou sous le clavier (Keith Jarrett) ; pianistes infirmes s’inventant un jeu propre (Horace Parlan) ; percussion des coudes et des avant-bras (Cecil Taylor), etc. Comme dans la musique contemporaine, outre les mains sur le clavier, les artistes utilisent directement l’intérieur du piano, en plaçant des objets sur les cordes (piano « préparé »), en touchant les cordes avec le doigt, avec ou sans le recours des marteaux, pour émettre des harmoniques. On peut aussi en faire un instrument de percussion à hauteur non déterminée ; ou encore en transformer le son acoustique par des adjonctions informatiques, bien que celles-ci restent rares.

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� L'INSTRUMENT PRIVILÉGIÉ DU SOLO

Le piano formant un orchestre à lui seul, il est par excellence propice aux parcours en solo depuis le ragtime. Les premiers pianistes produisaient une musique de divertissement, s'accompagnant eux-mêmes, la main gauche assurant la base rythmico-harmonique et la droite contribuant à des variations mélodiques. Par la suite, la prestation en solo a évolué vers un exercice d'invention et d'introspection dans lequel l'instrumentiste doit trouver seul les ressources de son expression. On ne peut pas tricher ou se cacher derrière les autres membres d'une section rythmique. Avec le solo, le pianiste aborde le temps de la vérité, celui où il doit faire ses preuves à la fois techniques et avant tout musicales, mais aussi celui où sa personnalité se révèle pleinement : c'est ainsi une forme de « challenge » artistique auquel la plupart des pianistes se confrontent un jour. C'est aussi un moment de méditation intime, d'épanchement en toute quiétude, avec comme uniques contraintes celles que l'on s'impose à soi-même, qui fait du solo un laboratoire d'expérimentation. Somme toute, on retrouve dans le jazz les raisons qui ont assuré le succès du piano dans le domaine de la tradition savante occidentale. Les interprétations en piano solo traversent donc l'histoire de cet art même si la formule en trio est probablement celle qui occupe le plus le devant de la scène.

� DES ORIGINES COMPLEXES

À l'instar des autres instruments, l'histoire du piano dans le jazz est une affaire d'individualités exceptionnelles, chaque musicien apportant sa contribution à l'évolution de l'ensemble. Aux origines du jazz, cet instrument est quelque peu marginalisé en raison du prix exorbitant que son achat représente. Il n'apparaît évidemment pas dans ces musiques de labeur que sont les work songs, ni dans le blues des descendants d'esclaves. Souvent chantés a cappella, les spirituals sont tout de même parfois accompagnés à l'orgue dans les églises. Au XIXème siècle, le piano n'a pas non plus sa place dans les ensembles itinérants qui parcourent le territoire américain et qui, pour survivre, doivent se déplacer rapidement. Contraint à l'immobilisme, le piano n'est cependant pas écarté de l'ascension irrésistible du courant noir américain émergent. L'apparition du piano mécanique en 1901 contribue encore davantage à installer l'instrument dans ce rôle : un grand nombre de pianistes ont réalisé eux-mêmes des rouleaux perforés reproduisant leurs œuvres. Lisant les partitions, les musiciens de couleur jouent des musiques à la mode, de la musique « classique », des airs de danses, etc. Ils s'imprègnent ainsi peu à peu du répertoire et de la technique de l'instrument. Mais tous connaissent aussi la musique populaire de la rue, celle qui, enfants, les a imprégnés. Lentement, après sans doute de nombreux essais et tâtonnements, quelques artistes aboutissent vers 1890 aux expériences convaincantes du ragtime.

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� LE PIANO JAZZ EN FRANCE

Chaque continent a apporté sa contribution au jazz. L'apparition de fortes personnalités amenant avec elles leur culture musicale a contribué à enrichir la sphère du jazz au départ seulement afro-américaine. Au fil du temps, il se découvre ainsi une dimension universelle de cette musique dans le sens où, aux quatre coins du monde, elle est parvenue a trouvé un écho fécondant. Depuis ses origines, le jazz assimile en les fusionnant des musiques d'horizons divers. Et en premier lieu, la France qui a offert bon nombre d'excellents pianistes, surtout à partir du milieu des années 1940.

� DU PIANO JAZZ PARTOUT DANS LE MONDE

Par essence, le piano a peu de place dans l’électro-jazz, au profit du Rhodes par exemple. Mais le Suédois Esbjörn Svensson (*1964) tente tout de même de fusionner adroitement le piano acoustique avec des effets électroniques qui ne sont pas gratuits, apportant une couleur planante, ou au contraire très rock. En fait, le son du piano est repris par un micro relié à un ordinateur qui ajoute des effets, comme Benoît Delbecq dans une esthétique bien différente. Des pianistes de tous les continents se produisent de nos jours à travers le monde.

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� BIOGRAPHIE DES ARTISTES :

THÜRYN MITCHELL Réunionnais d’adoption depuis quatre ans, il est rapidement devenu l’un des pianistes les plus demandés de la scène jazz insulaire. Impliqué dans le monde de la musique depuis plus de vingt ans, il est originaire de Montréal au Canada. Il étudie le piano classique et jazz au réputé Collège de St-Laurent. Il poursuit ensuite ses études à l’Université Concordia en performance jazz, arrangements et compositions. Parallèlement, il suit quelques master-class à Paris avec le « grand » Michel Petrucianni. De plus, une bourse du gouvernement fédéral canadien et québécois lui permet d’aller se perfectionner à New York, où il habite pendant 6 mois, avec les pianistes Jacky Terrasson et Kenny Werner. Sa propension à l’éclectisme et ses talents d’accompagnateur et soliste font rapidement de lui un musicien recherché partout au Canada. Il accompagne des artistes de variété de réputation mondiale (Maceo Parker), compose de la musique pour films et courts métrages, participe à plusieurs arrangements pour Big Band et remporte aussi plusieurs concours. Lors de la sortie de son premier album en trio intitulé What’s Up, il est mis en nomination pour le meilleur album jazz de l’année à l’ADISQ (équivalent des Victoires de la musique) et des Prix OPUS. De 2003 à 2005 il est l’hôte, avec son trio, de la célèbre jam session du Festival International de Jazz de Montréal où il a l’occasion de jouer avec : George Benson, Buena Vista Social Club, Ray Charles big band, James Carter, Roy Hargrove, Philippe Katerine, Wynton Marsalis, Terence Blanchard… Thüryn parcourt aussi la planète avec son trio avec plusieurs grandes lignes de bateaux de croisières où il a la chance de voyager dans plus de cinquante pays. Ensuite il travaille pendant deux ans pour le Cirque Akya (une filiale du Cirque Du Soleil) où il est directeur musical, compositeur, pianiste et même acteur ! Cette expérience de production et de tournées lui permet de collaborer avec plusieurs créateurs : directeur artistique, metteur en scène, chorégraphe, directeur des éclairages, artistes de cirque, etc... Après cette période, Thüryn Mitchell habite Paris pendant cinq ans et est très actif sur la scène musicale européenne. Thüryn habite maintenant l'île de la Réunion. Il est impliqué dans plusieurs projets à la Réunion : électro (Ti Fock), DJ (Terry Laird et DJ Blaise - Électropicales 2012), jazz (Olivier Ker Ourio, Sabouk et Laurence Beaumarchais), compos (Jean Pierre Jozéphine & Gilbert Barcaville), danse contemporaine, théâtre ainsi que ses propres projets (Organic trio & Electroya). Il fait aussi avec différents groupes les premières parties d'Erik Truffaz, Michel Portal et Jacky Terrasson dans le cadre du festival Total Jazz.

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PATT BURTER S’il se concentre ces dernières années sur des concerts en solo, il a beaucoup joué à Paris avec la mouvance cubaine, l’orchestre d’Ernesto Tito Puentes (programmé au festival Total Jazz 2013) et est un spécialiste de la salsa. Patt fait des études de piano jazz à l'école du C.I.M (Paris) en 1987 et obtient le Premier prix du Concours Val de Marne piano jazz. Il est également sélectionné au Concours de jazz de la Défense 1992. Durant

cette période il se produit en trio dans les clubs de Paris. De retour sur son île, il anime en 2001 et en 2002 un Master de piano Salsa au sein du pôle régional de la Réunion proposé par Alain Courbis. Puis au cours de ces dernières années, il explore de nouveaux horizons dans les festivals tels que : Jazz ô Barachois, Jazz en mer (Ste-Marie), Fête des plages (st Gilles), Jazz St-Pierre, Total Jazz, Kaloo Bang off (St-Denis) Il fera la première partie du Cubain Roberto Fonseca en 2014 à la Grande ravine de St-Leu.

� QUEL SERA LE RÉPERTOIRE DE CE DUO VOLCANIQUE ?

Ayant reçu un très bel accueil des élèves de lycées lors de l’édition précédente, Thüryn Mitchell et Patt Burter se produiront cette fois-ci devant un public plus jeune, celui des collèges. La ligne directrice sera l’improvisation totale et libre avec des passages en solo, mettant chaque artiste en lumière, puis des duos. Ne doutons pas une minute qu’ensemble, cela formera un mélange d’influences très riche ! Les standards de jazz seront donc la matière première de leur collaboration.

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� QU’EST-CE QU’UN STANDARD ?

Un standard de jazz est une composition musicale qui revêt une importance particulière dans le jazz. Les thèmes musicaux, souvent à la base d'arrangements ou d'improvisations, sont très souvent joués, repris, réarrangés, détournés, en particulier lors de jam sessions. Les standards de jazz peuvent représenter à la fois un patrimoine historique, une appropriation artistique, et une langue véhiculaire du jazz. Tous les standards de jazz n'ont pas été écrits par des compositeurs de jazz. Beaucoup sont des chansons populaires, des airs de Broadway ou de comédies musicales hollywoodiennes. Le répertoire des standards de jazz peut donc avoir des points communs avec ceux du blues ou de la traditional pop music américaine. Jusque dans les années 1930, le standard de jazz le plus enregistré fut St. Louis Blues, composé en 1914 par W. C. Handy, dépassé ensuite par Stardust (1927) de Hoagy Carmichael pendant plus de vingt ans, et aujourd'hui détrôné par Body and Soul (1930) de Johnny Green. Le Real Book est un recueil qui rassemble les grilles harmoniques de nombreux standards, mais il n'existe ni label ni liste officielle des standards de jazz.

� ANALYSE D’UN STANDARD JOUÉ PAR CE DUO : BODY AND SOUL

Johnny Green (1908-1989), chef d’orchestre, pianiste, arrangeur, compositeur et orchestrateur de musiques de films est aussi le compositeur d’un petit nombre de chansons de bonne facture. Il travailla pour CBS dans les années 30, fut directeur musical de la MGM de 1949 à 1958, et chef du Hollywood Bowl Orchestra à la même période. Pour le cinéma, il a dirigé entre autres les orchestres que l’on entend dans Un Américain à Paris (1951, musique de George Gershwin) et West Side Story (musique de Leonard Bernstein, 1961). Body and Soul est son premier grand succès, inséré en 1930 dans la revue Three’s A Crowd (271 représentations, malgré la dépression économique). Toutes les autres chansons de ce spectacle étaient d’Arthur Schwartz pour la musique et Howard Dietz pour les paroles mais Body and Soul est la seule chanson qui retint l’attention et passa à la postérité. Structure de Body and Soul Elle est la plus courante pour une chanson de Broadway des années 30 : un couplet d’introduction de 16 mesures suivi d’un refrain en AABA (4 x 8 mesures).

Entendons-nous bien sur le terme de couplet. Pour nous, aujourd’hui, le couplet (en anglais, verse) raconte une histoire, et le refrain (chorus, ou refrain), d’une durée sensiblement égale au couplet, est la partie la plus accrocheuse et la plus répétitive de la chanson. Il s’inscrit dans une structure alternant couplet – refrain – couplet – refrain…. Le couplet d’une chanson de Broadway des années 30 a une fonction différente : il s’agit d’une partie liminaire qui prépare l’auditeur en captant son attention (rôle de transition avec le numéro précédent), annonce le thème de la chanson, apporte des éléments nécessaires à sa compréhension et à son intégration dans la scène. Il est rarement utilisé en-dehors du contexte spécifique pour lequel il a été conçu.

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Il arrive cependant que des standards soient interprétés avec leur couplet d’introduction — pensons à Night and Day de Cole Porter (Gay Divorce, 1932) ou à Autumn Leaves/Les Feuilles Mortes par exemple, que les chanteurs et chanteuses de jazz interprètent assez souvent avec son couplet, « Oh je voudrais tant que tu te souviennes… ». Cette pratique est cependant beaucoup plus rare chez les instrumentistes : musicalement, le couplet est généralement une longue ligne mélodique peu accrocheuse. L’accroche, l’idée musicale la plus séduisante, étant réservée pour le refrain. Il se rapproche fréquemment du récitatif, et même si une forme en A1A2 (2 x 4 lignes, la même mélodie étant répétée, sauf pour sa conclusion) était courante, l’insuffisance de répétition structurale et d’intérêt harmonique fait généralement du couplet un piètre support pour l’improvisation. Le couplet de Body and Soul est de 16 mesures. Voici une description par Alec Wilder de sa musique :

Son couplet est aussi étrange et sans précédent que son refrain. Basé sur une pédale de Fa [Mi bémol dans notre partition, qui est dans la tonalité courante], il monte jusqu’à un Sol haut par des intervalles difficiles, chacun étant soutenu par un accord. Après quatre mesures, la tonalité change de 4 bémols à un bémol. Après ces 8 mesures dramatiques, nous trouvons une nouvelle idée en La mineur, mais cette fois sans que chaque note soit enveloppée dans un accord. Puis, après un retour à un accord de Do7 de dominante, une dernière croche de La bémol annonce d’autres innovations. Et nous retrouvons effectivement 3 bémols à la clé, et donc Fa mineur, qui est la tonalité dans laquelle le refrain commence. Il s’agit donc d’un couplet d’une complexité inhabituelle, d’un abord peu aisé. Le public des théâtres newyorkais devenait exigeant, et les chansons plus intéressantes, faisant appel à une certaine culture, tant musicale que littéraire.

Après le couplet vient le refrain ou chorus, dont on distingue les trois parties A, à-peu-près identiques musicalement, et le pont B (en anglais bridge). Dans une construction de ce type, A1 A2 B A3, le pont B est en principe très distinct, des points de vue de la mélodie, de l’harmonie et parfois du rythme, des parties A. Dans Body and Soul le contraste A/B est presque exclusivement harmonique, et la relative complexité harmonique et mélodique du pont (dans 2 tonalités différentes de celle des A, soit 3 changements de tonalité en 8 mesures) explique sans doute en grande partie l’intérêt qu’y trouvent les improvisateurs depuis 70 ans : le pont vient relancer l’intérêt d’un thème qui serait un peu terne sans lui. Pour les jazzmen, et les instrumentistes en particulier, un standard est habituellement limité au refrain : sa mélodie, et surtout sa grille harmonique servant de support à l’improvisation. De là l’expression « prendre un chorus » pour l’improvisation sur une grille complète. C’est la seule partie de la chanson qui doive retenir l’attention de l’étudiant de Body and Soul en tant que standard de jazz. Body and Soul est un parfait exemple de torch song, chanson d’amour triste, ou complainte, dont Billie Holiday a été la plus grande interprète. Les années 30 et

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40 ont vu fleurir la torch song en même temps que la relation amoureuse prenait une place importante dans les préoccupations populaires. Couplet

Life’s dreary for me, days seem to be long as years. I look for the sun, but I see none through my tears. Your heart must be like a stone To leave me here all alone, When you could make my life worth living By simply taking what I’m set on giving.

Le personnage que l’on nomme « le chanteur » — l’équivalent du narrateur dans un roman — fait part dès la première ligne de sa tristesse. Sa vie est « morne », ou « monotone » et ne vaut pas d’être vécue, puisqu’une personne au cœur de pierre le laisse seul, refusant de prendre le cœur que le chanteur lui offre. Il s’agit à l’origine d’une chanteuse, mais Body and Soul peut être interprétée indifféremment par un homme ou une femme : c’est une précaution élémentaire de tout parolier qui se respecte que de faire en sorte que l’adaptation nécessaire soit facile ou, comme c’est le cas ici, inutile. A1

My heart is sad and lonely, For you I sigh, for you, dear, only. Why haven’t you seen it ? I’m all for you, body and soul !

(2 mesures par ligne) En affirmant « Je suis tout à vous, corps et âme », on pourrait croire que le chanteur/la chanteuse s’offre à l’être aimé, mais ce n’est pas encore le cas : il/elle exprime son dépit de n’être pas aimé en retour. Sa tristesse (« Mon cœur est triste et solitaire / Pour vous seul, chéri(e), je me lamente ») est mêlée de regret : « to sigh for » signifie aussi « regretter », et « Pourquoi ne l’avez-vous pas vu ? / Je suis à vous, corps et âme ! » est l’expression même du dépit amoureux. A2

I spend my days in longing And wond’ring why it’s me you’re wronging, I tell you I mean it, I’m all for you, body and soul !

Le deuxième A confirme le message du premier, mais à la tristesse et au regret vient s’ajouter le reproche, qui fait écho au « cœur de pierre » du couplet : « Je me languis de vous chaque jour, / Et me demande pourquoi c’est à moi que vous faites du tort, / Je vous le dis du fond du cœur, / Je suis à vous, corps et âme ! ». B

I can’t believe it, It’s hard to conceive it That you’d turn away romance. Are you pretending, It looks like the ending Unless I could have one more chance to prove, dear.

Pour la première phrase du pont, le compositeur Johnny Green ne joue pas sur un contraste rythmique ou de phrasé, puisque la phrase mélodique correspondant à « I can’t believe it » est identique au début de la dernière

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phrase de A2 (« I’m all for you »). Identique, mais transposée ½ ton plus haut, ce qui relance l’intérêt, et devrait amener de la part des paroliers la recherche d’une montée équivalente dans l’intensité des sentiments exprimés. La rupture musicale A/B est donc très relative, et c’est également le cas de la variation thématique des paroles. Alors que pont pourrait donner lieu à une digression ou un changement de perspective, le premier thème abordé est l’incompréhension : « Je ne puis le croire / Il est difficile de concevoir / Que vous repoussiez l’amour. » Or le chanteur s’était déjà demandé 3 lignes plus haut pourquoi on lui faisait du tort en repoussant son amour. Avec le deuxième changement de tonalité intervient une deuxième évolution du discours, presque aussi ténue que la première : « Faites-vous semblant, / Il semble que tout soit fini / Sauf si je pouvais avoir encore une chance de prouver, chéri(e) ». La rime « ending-pretending » est un cliché de la chanson populaire, et il semble que les paroliers y croyaient si peu qu’ils se sont dispensés de mettre un point d’interrogation à la fin de leur question. Néanmoins un nouveau thème est abordé brièvement, celui du soupçon, qui mène directement à celui, plus cohérent, de l’espoir. Cohérent, puisqu’il était annoncé dans le couplet : « Vous pourriez faire que ma vie vaille d’être vécue », mais aussi la seule lueur dans un ensemble profondément sombre. Juste après, musique et paroles redescendent vers la tonalité première, mais la note d’espoir apportée trouvera sa résonance à la fin. A3

My life a wreck you’re making, You know I’m yours for just the taking ; I gladly surrender Myself to you, body and soul !

Le retour au thème musical s’accompagne d’une exacerbation des sentiments exprimés jusque-là. La tristesse se mue dans un premier temps en désespoir : « Vous faites de ma vie un naufrage ». Mais ce paroxysme est immédiatement suivi d’un abandon total à l’être aimé. « Vous savez que je suis à vous, vous n’avez qu’un mot à dire ; / Je me livre dans la joie / A vous, corps et âme ! » De la chanson au standard de jazz Ce sont littéralement des centaines d’artistes différents qui ont enregistré Body and Soul, de la variété la plus classique au jazz le plus inventif. Le premier enregistrement jazz de ce thème fut celui de Louis Armstrong, l’année même de sa création, en 1930 donc. Leo Reisman et son orchestre sont les premiers à en avoir fait un tube, avec Eddy Duchin au piano, mais c’est l’enregistrement de Coleman Hawkins en 1939 qui en a fait un standard de jazz : il eut un tel succès que Hawkins dut le garder à son répertoire pendant de nombreuses années. Alec Wilder parle fort justement au sujet de la version de Hawkins d’« exubérance rhapsodique ». Autant que la chanson elle-même, les possibilités d’invention qu’elle offre à l’improvisateur ont fait de Body and Soul un standard. Body and Soul au cinéma Pour une étude du destin cinématographique de Body and Soul, voici l’article de Marion Vidal et Isabelle Champion :

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Cette chanson de l'amour fou, de la femme soumise « corps et âme » à l'homme qui la délaisse, fut un des grand succès d'Helen Morgan. Ann Blyth — doublée par Gogi Grant — la reprit avec une troublante émotion dans The Helen Morgan Story (Pour elle un seul homme. Michael Curtiz, 1957), à l'intention de Paul Newman, le goujat de l'histoire... Créée par Libby Holman dans le show Three’s a Crowd, elle fut également interprétée par Janis Paige dans Her Kind Of Man (Frederick De Cordova, 1946) et par Ida Lupino, doublée par Peg LaCentra, dans The Man I Love (id. Raoul Walsh, 1947). Trois versions jazz sont à signaler. La première par Coleman Hawkins : elle fut un de ses grands succès en 1939 et on peut l'entendre dans The Color Purple (La Couleur Pourpre. Steven Spielberg, 1985). La seconde, plus récente, par Dexter Gordon dans 'Round Midnight (Autour de minuit. Bertrand Tavemier, 1986). La troisième par Benny Goodman, sur la bande sonore de Radio Days (id. Woody Allen, 1987). Ce grand standard donna son titre à Body And Soul (Sang et or. Robert Rossen, 1947), mais il ne figurait pas dans le remake homonyme de George Bowers en 1981. En revanche, on l'entend dans They Shoot Horses, Don't They ? (On achève bien les chevaux. Sydney Pollack, 1969), After Hours (id. Martin Scorsese, 1985), Legal Eagles (L'Affaire Chelsea Deardon. Ivan Reitman, 1986)...

Et pour conclure en citant Thüryn :

« Dans le jazz, il y a toujours un élément de surprise, et c’est ça qui rend les choses intéressantes !!! »