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Jean de La Fontaine Fables livres VII à XI Livre du professeur par Stéphane Maltère Professeur de Lettres

Jean de La Fontaine Fables - Magnard Enseignants · 1. Relevez, au cours de votre lecture, les différentes manières dont use La Fontaine pour parler de la fable. Dans la dédicace

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Jean de La Fontaine

Fables livres VII à XI

Livre du professeur par Stéphane Maltère

Professeur de Lettres

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Sommaire Étude de l’œuvre : toutes les réponses aux questions Séance � L’art de la fable………………………………………………………………………………………… 3 Séance � Philosophie de La Fontaine……………………………………………………………………… 14 Séance � Dimensions critique et satirique des Fables……………………………………………. 25 Séance � Imagination et pensée…………………………………………………………………………….. 39

Autour de l’œuvre : toutes les réponses aux questions Lecteurs de La Fontaine 1. LETTRE : Lettre à Madame de Grignan, 29 avril 1671, MADAME DE SEVIGNE………………………… 50 2. ESSAI : Émile ou De l’éducation, JEAN-JACQUES ROUSSEAU……………………………………………….… 50 3. CONFERENCE : Les Cinq Tentations de La Fontaine, JEAN GIRAUDOUX…………………………….….… 51 4. ROMAN : Silbermann, JACQUES DE LACRETELLE……………………………………………………………..…… 51 5. MONUMENT : Buste de Jean de La Fontaine, ACHILLE DUMILÂTRE et VICTOR THIÉBAUT…………… 52 Pour aller plus loin : documentation et informations complémentaires Autour de l’œuvre : textes complémentaires et questions…………………………………….……….…. 54

Information/Documentation…………………………..………………….…………………………...……………. 71

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ÉTUDE DE L’ŒUVRE toutes les réponses aux questions

Séance � L’art de la fable ► LIVRE ÉLÈVE P. 190 LECTURE Lecture du texte Lecture d’ensemble 1. Relevez, au cours de votre lecture, les différentes manières dont use La Fontaine pour parler de la fable. Dans la dédicace à Madame de Montespan, La Fontaine rappelle la paternité divine du genre : « L’apologue est un don qui vient des immortels ». Il insiste ensuite sur les pouvoirs de la fable, qui sont d’attirer l’attention pour faire passer des idées, comme un ensorcellement : « C’est proprement un charme : il rend l’âme attentive, / Ou plutôt il la tient captive, / Nous attachant à des récits / Qui mènent à son gré les cœurs et les esprits ». Il associe le genre à un art de mentir : « Vous savez quel crédit ce mensonge a sur nous ». Dans Le Pouvoir des fables (VIII, 4), il insiste sur l’aspect divertissant du genre : « Le monde est vieux, dit-on : je le crois ; cependant / Il le faut amuser encor comme un enfant ». Au contraire, dans Le Rat et l’Huître (VIII, 9), il met l’accent sur son aspect didactique : « Cette fable contient plus d’un enseignement ». Dans Tircis et Amarante (VIII, 13), il ne s’intéresse qu’à son aspect esthétique : des animaux qui se parlent en vers : « Sire Loup, sire Corbeau / Chez moi se parlent en rime ». La fable Le Bassa et le Marchand (VIII, 18) revient sur l’aspect divertissant de ce genre, sans oublier toutefois que cet agrément est là pour faire passer des idées : « Écoute-moi ; sans tant de dialogue. / Et de raisons qui pourraient t’ennuyer, / Je ne te veux conter qu’un apologue ». Ce leurre du divertissement dissimulant un enseignement se retrouve dans Le Dépositaire infidèle (IX, 1) : « Le doux charme de maint songe / Par leur bel art inventé, / Sous les habits du mensonge / Nous offre la vérité ». La fable 7 du livre IX, La Souris métamorphosée en Fille fait de la fable une manière de prouver ces vérités, en donnant un exemple plus parlant que dix théories : « Cette fable / Prouve assez bien ce point ». Dans l’Épilogue (livre XI), enfin, La Fontaine s’adresse aux poètes inspirés qui prendront sa suite et leur demande d’achever ce qu’il a commencé : « Donnez mainte leçon que j’ai sans doute omise / Sous ces inventions il faut l’envelopper », ce qui reprend la définition de la fable visant à enseigner des vérités dissimulées sous un masque plaisant. 2. Quels sont les principaux décors des fables ? Aident-ils à identifier l’auteur qui les a inspirées ? Parmi les inspirateurs de La Fontaine, on compte bien sûr Ésope, mais aussi Abstémius, Pilpay, et, dans une moindre mesure, Phèdre et Horace. On peut parfois reconnaître la source d’inspiration au « décor » des fables. Ainsi, l’on distingue souvent celles de Pilpay (ou d’autres inspirateurs venus d’Orient), à l’aspect oriental : les deux Amis (VIII, 11) se passe au « Monomotapa », Le Bassa et le Marchand (VIII, 18), Le dépositaire infidèle (IX, 1), qui parle d’un « trafiquant de Perse », La Souris métamorphosée en Fille (IX, 7), qui évoque un « bramin » (même si La Fontaine y mêle aussi l’antiquité grecque), Les deux Aventuriers et le Talisman (X, 13). Parfois, La Fontaine hellénise ou latinise un décor : de ce fait, la source orientale est impossible à distinguer. C’est le cas, par exemple, de L’Ours et l’Amateur des jardins (VIII, 10), Le Loup et le Chasseur (VIII, 27). Il peut également supprimer toute référence grecque, latine ou orientale, et donner, d’une fable de Pilpay, un aspect universel : Le Faucon et le Chapon (VIII, 21) en est un exemple, comme Les deux Pigeons (IX, 2), Le Mari, la Femme et le Voleur (IX, 15). La Fontaine multiplie, dans ses fables, les allusions aux dieux de la mythologie gréco-latine. Les deux Coqs (VII, 12) fait de nombreuses références à la Guerre de Troie, La tête et la queue du Serpent (VII, 16) évoque le Styx, Le Pouvoir des fables (VIII, 4) a un « décor » antique, comme L’Homme et la Puce (VIII, 5), Jupiter et le Passager (IX, 13) ou La Tortue et les deux Canards (X, 2). Ces fables sont d’Ésope, mais là encore, La Fontaine peut nous tromper. L’Horoscope (VIII, 16), Le Singe et le Léopard (IX, 3), Le Loup et le Chien maigre (IX, 10) sont du même auteur, mais sans indication dans le texte de l’antiquité de la source. De plus, l’inspiration antique passe aussi par Phèdre, Horace, Abstémius, et le traitement qu’en fait La Fontaine est proche de celui des textes inspirés d’Ésope. D’autres textes, enfin, ont un aspect médiéval, proches du fabliau, de la farce. Là encore, le décor peut être trompeur car les sources en sont très diverses : Le mal Marié (VII, 2) vient d’Ésope, La Laitière et le pot au lait (VII, 9) est à la fois du XVIe

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siècle (Bonaventure des Périers) et orientale, Les Femmes et le secret (VIII, 6) d’Abstémius et Le Paysan du Danube (XI, 7) d’un ouvrage du XVIe siècle. 3. Classez les personnages des fables selon qu’ils appartiennent aux hommes, aux animaux, aux végétaux ou aux dieux.

PERSONNAGES DES FABLES HOMMES ANIMAUX VEGETAUX DIEUX

Livre VII 2 homme, femme 4 fille 5 hôtes du follet 9 laitière (Perrette) 10 curé 11 deux hommes 13 commerçant, ami 14 deux femmes 17 monarque

1 lion, renard, tigre, ours, âne, loup 3 rat 4 héron 6 lion, ours, singe, renard 7 vautours, pigeons 8 mouche 12 coqs, vautour 15 chat, belette, lapin 16 serpent

- 5 follet 11 Fortune 13 Fortune 16 Ciel

Livre VIII 1 mourant 2 savetier, financier 4 orateur, peuple 5 homme 6 homme, femmes 8 rieur 10 amateur des jardins 11 deux amis 13 Tircis, Amarante 16 père, fils 18 bassa, marchand, berger 19 riche, ignorant 23 homme 26 Démocrite, Hippocrate, Abdéritains 27 chasseur

3 lion, loup, renard 4 anguille, hirondelle 5 puce 7 chiens 9 rat, huître 10 ours 12 cochon, chèvre, mouton 14 lion, cerf 15 rat, éléphant, chat 17 âne, chien 18 chiens 21 faucon, chapon 22 chat, rat, hibou, belette 24 chiens 25 chiens, âne mort 27 loup

- 1 Mort 4 Cérès 5 Dieux, Jupiter 20 Jupiter, Mercure, Furies, Vulcain

Livre IX 1 commerçant, voisin 4 homme (Garo) 5 écolier, maître d’école, maître d’un jardin 6 statuaire 7 fille 8 fou 9 plaideurs, Perrin Dandin 12 homme 15 mari, femme, voleur 16 hommes 19 berger (Guillot)

2 pigeons 3 singe, léopard 7 souris 10 loup, chien 14 chat, renard 17 singe, chat 18 milan, rossignol 19 moutons (Robin), loup 20 rats, renard

(4 gland, citrouille) 7 bramin 12 Jupiter 16 Fortune

Livre X 1 homme 4 avare, compère 5 bergers 9 berger, roi 10 berger 11 roi, fils du roi 13 aventuriers

1 couleuvre, vache, bœuf 2 tortue, canards 3 écrevisse, cormoran 5 loup 6 araignée, hirondelle 7 perdrix, coqs 8 chien (Mouflar) 10 poissons

1 arbre

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15 pâtre, gentilhomme, marchand, fils de roi

11 perroquets 12 lionne, ourse

Livre XI 3 fermier 4 homme 7 paysan, Romains 8 vieillard, trois jeunes hommes

1 lion, léopard, renard 3 chien, renard 5 lion, singe, ânes 6 loup, renard 9 souris, chat-huant

- 2 Jupiter, dieux

Cette rapide analyse montrera la prédominance, comme sujet des fables, des animaux, mais la présence très importante (souvent méconnue, sous-estimée) des personnages humains. Avertissement du deuxième recueil 4. De quelle manière La Fontaine compte-t-il donner « un air et un tour un peu différent » à ce nouveau livre de fables ? Dans l’Avertissement, La Fontaine annonce des nouveautés par rapport au premier recueil. Il évoque d’abord une « différence de sujets » (l. 4) puis une volonté de « remplir de plus de variété » (l. 4) son livre. En changeant de perspective, il souhaite donner plus de place aux « circonstances de ces récits » (l. 10), sans doute influencé par l’art des contes qu’il a pratiqué à deux reprises en 1671 et 1674. La variété, qu’il appelle plus loin « diversité », paraît être une quête importante dans la composition de ces nouvelles fables. 5. Montrez qu’une part des « enrichissements » (l. 9) voulus par La Fontaine sont proviennent d’autres auteurs ? Si les « inventions d’Ésope » (l. 6-7) semblent moins influencer ce recueil, par peur des « répétitions » (l. 8), La Fontaine a recherché des « enrichissements » (l. 9) auprès d’autres sources : « Pilpay, sage indien » (l. 16), « Locman » (l. 18), « Quelques autres m’ont fourni des sujets assez heureux » (l. 19). À Madame de Montespan 6. Vers 1-10 : quelle définition de l’apologue est donnée par La Fontaine ? Invention des dieux ou d’un seul homme, l’apologue est défini comme un « bel art » (v. 6) capable d’envoûter les hommes (« C’est proprement un charme », v. 7). Ce pouvoir est ainsi défini : « il rend l’âme attentive, / Ou plutôt il la tient captive, / Nous attachant à des récits / Qui mènent à son gré les cœurs et les esprits » (v. 7-10). 7. Quelles demandes La Fontaine fait-il à Madame de Montespan ? Avec cette dédicace, La Fontaine se montre plus mondain qu’il ne l’a été auparavant. Il cherche en Madame de Montespan un mécène. Il connaît l’influence qu’elle a sur le monde des arts, la protection qu’elle pourrait lui apporter, le soutien qui lui permettrait le succès et la gloire éternelle. Il exprime tout cela dans cette dédicace : - v. 14 : « Favorisez les jeux où mon esprit s’amuse » (v. 14) : La Fontaine demande à Madame de Montespan d’agir pour le soutenir et pour faire en sorte que son livre accède à l’immortalité (« Le temps qui détruit tout, respectant votre appui / Me laissera franchir les ans dans cet ouvrage », v. 15-16) ; - v. 19 : « C’est de vous que mes vers attendent tout leur prix » : il attend un marrainage de cette spécialiste des arts qui saura reconnaître les beautés de son œuvre ; - v. 31 : « Protégez désormais le livre favori » : si Madame de Montespan soutient La Fontaine, le nom même de cette protectrice sera un « rempart », un « abri » (v. 30) contre les critiques et les cabales ; - v. 33-35 : « Sous vos seuls auspices, ces vers / Seront jugés, malgré l’envie, / Dignes des yeux de l’univers » : La Fontaine croit à l’influence de Madame de Montespan qui saura relayer son admiration bienveillante à tous les futurs lecteurs. Livres VII à XI 8. Quel est le Pouvoir des fables (VIII, 4) selon le fabuliste ? Pour La Fontaine, le pouvoir des fables est d’être un moyen efficace pour attirer l’attention : « l’assemblée / Par l’apologue réveillée / Se donne entière à l’orateur » (v. 62-64). En effet, leur aspect plaisant, varié, dépasse les discours et les sermons. Loin de cet « art tyrannique » (v. 37) auquel les esprits sont rompus, la fable est une autre manière d’exposer des idées, de se faire entendre, « un autre tour » (v. 49). Ce ne sont pourtant que des « contes d’enfants » (v. 58), mais ils valent mieux que l’éloquence. 9. Pourquoi le bassa recourt-il à l’apologue dans la fable Le Bassa et le Marchand (VIII, 18) ? Quel usage La Fontaine fait-il de cette fable ? Le bassa, qui protégeait un marchand, est sur le point d’être remplacé par trois autres hommes qui demandent moins d’argent que lui. Il est même menacé de mort. Il décide de faire changer d’avis le marchand grec, mais, plutôt que de lui

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donner des arguments, il lui raconte une histoire : « Sans tant de dialogue, / Et de raisons qui pourraient t’ennuyer, / Je ne veux te conter qu’un apologue » (v. 34-36). La fable en question sert à persuader le marchand de le garder comme protecteur. La Fontaine élargit le sens de cette fable et lui donne une interprétation politique, en conseillant la fidélité au pouvoir royal : « mieux vaut en bonne foi / S’abandonner à quelque puissant roi, / Que s’appuyer de plusieurs petits princes » (v. 55-57). L’allégorie politique est même liée à un événement politique, les Provinces-Unies (la Hollande) ayant cherché à se passer de la protection de Louis XIV. 10. Résumez les idées essentielles au sujet de la fable des vers 1 à 39 du Dépositaire infidèle (IX, 1). Le Dépositaire infidèle, qui ouvre le livre IX, parle du genre de la fable et de l’idée que La Fontaine en conçoit. La fable débute par une reconnaissance aux Muses qui l’ont bien inspiré en choisissant ce genre : « J’ai chanté des animaux. / Peut-être d’autres héros / M’auraient acquis moins de gloire » (v. 2-4). Il montre qu’en faisant dialoguer le chien et le loup (« Le loup en langue des dieux / Parle au chien dans mes ouvrages », v. 5-6), de manière à mettre en scène des types du genre humain : « Je mets aussi sur la scène / Des trompeurs, des scélérats, / Des tyrans, et des ingrats, / Mainte imprudente pécore, / Force sots, force flatteurs » (v. 14-17), des sages, des fous, des menteurs. Il met en valeur aussi l’héritage qu’il doit à Ésope et à Homère (v. 30) qui ont su, les premiers, dissimuler la vérité sous le masque du mensonge, en créant des fictions qui disent la vérité : « Le doux charme de maint songe / Par leur bel art inventé, / Sous les habits du mensonge / Nous offre la vérité » (v. 32-35). 11. Montrez que l’Épilogue (XI) agit comme un bilan et une conclusion. Reformulez-en les principales idées. Ce dernier texte du livre XI clôt une succession impressionnante de fables. Il offre une conclusion aux recueils parus en 1678 et 1679. Cet achèvement est montré par l’adverbe conclusif « ainsi » (v. 1) qui ouvre le poème. La Fontaine y fait un bilan des textes écrits, en insistant sur son rôle de traducteur, d’interprète des voix de la nature mais aussi sur son rôle de pionnier (v. 12). S’il reconnaît humblement ses possibles insuffisances, des morales oubliées, il passe le relais à d’autres poètes qui pourront continuer son œuvre. Il termine en minimisant son art au regard des exploits de Louis XIV et loue la pérennité de l’action qu’il conteste à ses fables. Questions de synthèse 12. Montrez que les Fables des livres VII à XI prennent parfois l’apparence d’autres genres comme le conte, le fabliau ou le poème amoureux. Les Fables de La Fontaine ne forment pas un ensemble uniforme. La variété, au contraire, y est essentielle. Diversité de ton, d’inspiration, de fonctions, de personnages, de vers… les Fables sont aussi diverses par les genres auxquelles elles empruntent parfois l’apparence. Ainsi, aux fables « authentiques », présentant un récit suivi ou précédé d’une morale (le corps et l’âme, selon La Fontaine), s’ajoutent : - des contes et des récits : La Laitière et le pot au lait, Le Curé et le Mort, L’ingratitude et l’injustice des Hommes envers la Fortune, L’Écolier, Le Pédant et le Maître d’un jardin, Les deux Aventuriers et le Talisman, Le mal Marié, Le Savetier et le Financier, Les Femmes et le secret, Le Rieu et les Poissons, Le Mari, La Femme et le Voleur, ... ; - des épîtres : À Madame de Montespan, la première partie du Pouvoir des Fables (adressée à M. de Barillon), le début de Tircis et Amarante pour Mademoiselle de Sillery, le début du Discours à Madame de La Sablière ; - des poèmes philosophiques : L’Horoscope ; - des poèmes scientifiques : Un animal dans la Lune, le Discours à Madame de La Sablière ; - des poèmes amoureux : Tircis et Amarante, la fin des Deux Pigeons ou celle du Songe d’un habitant du Mogol. Questions supplémentaires Étudiez la théâtralité des fables. On peut associer le genre de la fable, tel que le pratique La Fontaine, avec le genre théâtral. En effet, la structure même de certaines fables montre des similitudes de construction, qui vont de l’exposition au dénouement en passant par une progression de l’action qui fait la part belle aux dialogues et aux monologues. On pourrait demander aux élèves de faire une liste de quelques fables théâtrales. On pourrait y trouver : La cour du Lion (VII, 6), Le Lion, le Loup et le Renard (VIII, 3), Le Chien qui porte à son cou le dîner de son maître (VIII, 7), Le Mari, la Femme et le Voleur (IX, 15), L’Enfouisseur et son Compère (X, 4), Le Lion, le Singe et les deux Ânes (XI, 5) … On pourrait d’ailleurs proposer aux élèves une transposition de la fable en scène théâtrale, de manière à faire comprendre les points communs et les différences d’écriture entre un poème et une pièce de théâtre.

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Pourquoi peut-on dire que La Fontaine fait, avec ses Fables, l’éloge de la variété ? La Fontaine cherche, par ses Fables, à provoquer le plaisir du lecteur par des effets de changement qu’on appelle, au XVIe siècle, dans le langage de la rhétorique la varietas. Cette stimulation de l’esprit devant la diversité et les changements est l’un des aspects de l’esthétique de La Fontaine. Dans le conte Le pâté d’anguille, il écrit d’ailleurs : « Diversité, c’est ma devise ». Les Fables sont donc un hymne à la variété. Cette diversité se trouve à la fois dans la multiplicité des genres qui figurent dans le recueil de La Fontaine (conte, poème amoureux, poème philosophique, épître, élégie…), mais aussi dans les changements de tons et de registres (tantôt pathétique, tantôt comique, tantôt tragique, usant du langage populaire comme du plus beau style). Les changements métriques sont une manière de diversifier ses poèmes : choix de types de vers différents, volonté de varier le rythme (rejets, contre-rejets, enjambement…). La diversité du bestiaire (tous les animaux, de la puce à l’éléphant), mais aussi la présence de l’hommes, des objets, des dieux, des végétaux pour former les personnages des Fables, tout concourt à la variété le recueil. Lecture d’image 13. Décrivez précisément cette image. Illustre-t-elle vraiment le texte de La Fontaine ? Quand on observe cette image, on a d’abord du mal à imaginer qu’il s’agit d’une illustration d’une fable de La Fontaine. L’arrière-plan montre la tribune d’une assemblée nationale (Chambre des députés ou Sénat) : à cette tribune, un homme (député ou sénateur), un discours à la main, s’exprime avec emphase face à un ensemble d’hommes. Sur les murs, des toiles soulignant la majesté du décor. Au-dessus de cet orateur, le président de l’assemblée, les bras croisés et endormi à son bureau sur lequel on trouve une clochette et un registre ouvert. Au milieu de la salle des séances, un groupe d’hommes est réuni autour d’un seul, qui tient une image dans ses mains, attirant la curiosité et la fascination de tous. Autour d’eux, d’autres hommes discutent, inattentifs ou endormis. Au premier plan, sur une rambarde, on trouve du courrier ouvert (le coupe-papier en témoigne), des lettres écrites et une cocotte en papier. Tout est fait pour montrer le manque d’intérêt que provoque le discours de l’orateur à la tribune. Grandville s’est montré, en dépit d’une première impression, très fidèle au sens et à l’esprit de la fable de La Fontaine. Mais ce n’est pas l’orateur qui se met à parler de Cérès, l’hirondelle et l’anguille pour attirer l’attention. Grandville montre donc dans son image que les discours politiques et les préoccupations pour le pays passent après le divertissement. Il critique ici ouvertement les hommes politiques de son temps, faisant de son dessin une satire des députés et des sénateurs. 14. Comment Grandville renforce-t-il le sens politique de la fable ? Grandville, en choisissant de représenter des députés plus intéressés par une image – celle de Cérès, l’anguille et l’hirondelle – que par le discours que fait le député à la tribune. Il actualise la fable : ce n’est plus Athènes dont il est question, ni de Philippe de Macédoine, mais de la France du XIXe siècle. La Fontaine inscrivait déjà sa fable dans la politique de l’époque (l’intervention de l’ambassadeur pour éviter un conflit entre la France et l’Angleterre dans la guerre de Hollande). Grandville fait de même, en utilisant un décor et des personnages familiers de ses contemporains. On pourrait tout aussi bien imaginer que ce dessin figure dans la presse, comme les caricatures de Daumier, dont le trait est similaire.

Gravure du « Pouvoir des fables » par Franz Richard Brend’amour d’après un dessin de J. J. Grandville, 1864 (Leemage)

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Étude de la langue Stylistique 15. Faites la liste des différents types de vers utilisés par La Fontaine dans ses Fables. Commentez ces choix. Jean de La Fontaine, dans son souci de variété et de diversité, utilise rarement dans la même fable le même mètre (le même type de vers). On exceptera Les Vautours et les Pigeons (VII, 7) formé de 45 décasyllabes, L’Homme et la Puce (VIII, 5) fait de 16 alexandrins, Jupiter et les Tonnerre (VIII, 20) écrit en 63 heptasyllabes et Le Statuaire et la Statue de Jupiter (IX, 6), constitué de 9 quatrains d’octosyllabes. Quatre poèmes isométriques sur quatre-vingt-onze (parmi les livres VII à XI), on comprend par ce chiffre le goût de La Fontaine pour l’irrégularité. On trouve donc, parfois au sein d’un même texte, différents types de vers, qui servent à créer des ruptures, des accélérations, des ralentissements, qui épousent bien souvent l’action ou l’idée, créant une chute, une surprise, un contraste. Si l’on observe la première fable du livre VII, Les Animaux malades de la peste, les octosyllabes alternent irrégulièrement avec les alexandrins. La surprise vient du vers 29, qui présente un trissyllabe (« Le berger »), qui présente cette ultime proie du vorace lion de manière atténuée. On trouve dans la fable 2 du même livre le premier décasyllabe du recueil : v. 46 : « Je vous rappelle et qu’il m’en prenne envie ». La Tête et la Queue du Serpent (VII, 16), commence par sept heptasyllabes, comme Tircis et Amarante (VIII, 13), qui débute par vingt-sept vers de sept syllabes, ou comme « Le Dépositaire infidèle » et ses quarante-trois heptasyllabes initiaux. Une autre curiosité se trouve au livre IX, fable 16 : dans Le Trésor et les deux Hommes, le vers 20 est un dissyllabe : « Absent ». 16. Trouvez des exemples de rejets, de contre-rejet et d’enjambements et analysez leurs effets. Le rejet, le contre-rejet, l’enjambement sont des effets rythmiques qui consistent dans le report d’un mot, de plusieurs ou de la totalité d’un vers sur le vers suivant. Pour les repérer, il faut observer les vers qui ne s’achèvent pas par un signe de ponctuation. Dans ce cas, d’ailleurs, le lecteur ne s’arrête pas en fin de vers et enchaîne sur le vers suivant. Cela rompt la régularité du poème, et crée des diversités rythmiques. 1. Le rejet reporte un mot (ou plusieurs) avant la césure (avant la moitié du vers) du second vers, de manière à ne pas séparer des groupes grammaticaux qui vont ensemble. L’élément long est sur le premier vers, l’élément court sur le second.

Ex. : Les Devineresses (VII, 14, v. 47-50) : plusieurs enchaînements de rejets. J’ai vu dans le palais une robe mal mise Gagner gros : les gens l’avaient prise Pour maître tel, qui traînait après soi Force écoutants. Demandez-moi pourquoi. Ex. : Le Chat, la Belette et le petit Lapin (VII, 15, v. 1-3) Du palais d’un jeune lapin Dame Belette un beau matin S’empara ; c’est une rusée.

2. Le contre-rejet repose sur le principe contraire : une phrase, commencée à la fin du premier vers (après la césure) est poursuivi au-delà de la césure du vers suivant. L’élément court est sur le premier vers, l’élément long sur le second.

Ex. : Les Animaux malades de la peste (VII, 1, v. 30-31) Je me dévouerai donc, s’il le faut ; mais je pense Qu’il est bon que chacun s’accuse ainsi que moi. Ex. : Le mal Marié (VII, 2, v. 45-46) Retournez au village : adieu. Si de ma vie Je vous rappelle et qu’il m’en prenne envie… Ex. : Jupiter et le Passager (IX, 13, v. 22-23) … Qu’un tel trésor était en tel lieu. L’homme au vœu Courit au trésor comme au feu…

3. L’enjambement, enfin, fait se suivre deux vers (ou plus), sans interruption, et dans le but de ne pas séparer des éléments grammaticaux nécessairement ensemble.

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Ex. : Le Loup et le Renard (XI, 6, v. 13-14) Deux seaux alternativement Puisaient le liquide élément. Ex. : Rien de trop, (IX, 11, v. 1-2) Je ne vois point de créature Se comporter modérément. Ex : Le Rat et l’Huître (VIII, 9, v. 35-37) Nous y voyons premièrement Que ceux qui n’ont du monde aucune expérience Sont aux moindres objets frappés d’étonnement.

17. Étudiez les rimes (genre, disposition, richesse) dans les vers 1 à 22 de L’horoscope (VIII, 16). Pour étudier les rimes d’un poème, on s’appuie sur trois éléments : - leur genre (rime féminine ou rime masculine) ; - leur disposition ; - leur richesse. Pour les rimes des vers 1 à 22 de L’horoscope, on peut dire que La Fontaine se sert de l’ensemble des possibilités, dans le souci esthétique de la variété. LE GENRE : Une rime féminine se termine par un « e », graphique et/ou sonore (« âge / davantage »). Les autres terminaisons sont masculines (« surtout / bout »). La règle veut que les rimes masculines et féminines alternent dans le poème. Rimes féminines : « destinée / lignée ; géniture / aventure ; âge / davantage ; vie / envie ; chasse / fasse » ; Rimes masculines : « éviter / consulter ; surtout / bout ; jamais / palais ; badiner / promener ; esprits / mépris ; enseignement / tempérament ». LA DISPOSITION : 3 dispositions sont fréquentes dans les poèmes : - rimes suivies (ou plates) : les sonorités se suivent selon un schéma AA, BB, CC… ; - rimes croisées (ou alternées) : les sonorités sont disposées selon le schéma ABAB ; - rimes embrassées : les sonorités sont disposées selon le schéma ABBA. Destinée A Éviter B Lignée A Consulter B à rimes croisées Géniture A Aventure A à rimes suivies Surtout A Âge B Davantage B Bout A à rimes embrassées Vie A Jamais B Palais B Envie A à rimes embrassées Badiner A Promener A

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à rimes suivies Chasse A Esprit B Mépris B Fasse A à rimes embrassées Enseignement A Tempérament A à rimes suivies LA RICHESSE : La richesse d’une rime se mesure au nombre de son en communs à la rime. S’il n’y a qu’un son en commun, la rime est dite « pauvre », si deux sons sont en commun, elle est « suffisante » ; pour trois sons ou plus, la rime est « riche ». Destin[ée] Lign[ée] 1 seul son en commun : [e] : rime pauvre Évi[t][er] Consul[t][er] 2 sons en commun : [t] [e] : rime suffisante Géni[t][u][re] Aven[t][u][re] 3 sons en commun : [t] [y] [R] : rime riche Surt[out] B[out] 1 seul son en commun : [u] : rime pauvre [Â][ge] Davant[a][ge] 2 sons en commun : [a] [j] : rime suffisante [V][ie] En[v][ie] 2 sons en commun : [v] [i] : rime suffisante Jam[ais] Pal[ais] 1 seul son en commun : [ɛ] : rime pauvre Badi[n][er] Prome[n][er] 2 sons en commun : [n] [e] : rime suffisante Ch[a][sse] F[a][sse] 2 sons en commun : [a] [s] : rime suffisante Es[p][r][its] Mé[p][r][is] 3 sons en commun : [p] [R] [i] : rime riche

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Enseigne[m][ent] Tempéra[m][ent] 2 sons en commun : [m] [ã] : rime suffisante Étymologie 18. Recherchez l’étymologie du mot « fable ». Trouvez, à la fin de la dédicace À Madame de Montespan, un mot qui confirme l’un de ces premiers sens. Le mot « fable » vient du latin fabula qui signifie « récit, propos ». Lui-même vient du verbe latin fari qui veut dire « parler ». Le nom « fable » a très vite servi à désigner les récits mythologiques, les contes et les apologues. Au moyen-âge le terme prend aussi le sens de mensonge, sens qu’on retrouve dans les verbes « fabuler », « affabuler » ou les noms « affabulation » et « affabulateur ». À la fin de la dédicace à Madame de Montespan, La Fontaine parle, au sujet de la fable, d’un « mensonge » qui aurait de l’influence sur ses lecteurs. PATRIMOINE 19. Qu’est-ce qu’un fabliau ? Montrez que Le mal marié (VII, 2), Les femmes et le secret (VIII, 6), … sont proches de ce genre. Le fabliau appartient aux textes à visée morale : il s’agit d’un récit bref, se concentrant sur des types de personnages. Il cherche à divertir par des situations risibles et joue beaucoup sur les comiques de mots, de gestes et de situation. Par le rire, le fabliau dénonce des travers de la société du moyen-âge à laquelle il appartient et cherche à éduquer. Dans le fabliau, les relations conjugales sont souvent exploitées. Dans la fable Le mal Marié (VII, 2), La Fontaine montre des relations conjugales rendues impossibles par une femme « querelleuse, avare et jalouse » (v. 14). Insupportable partout, il décide de la renvoyer définitivement. Dans Les Femmes et le Secret (VIII, 6), un mari teste la discrétion de sa femme en lui révélant un extraordinaire secret : il a pondu un œuf. Évidemment, l’ « indiscrète et peu fine » épouse révèle rapidement le secret, qui est amplifié par les autres commères. La Fontaine, par ce conte, fait à nouveau la satire des femmes sur le mode comique et exagéré des fabliaux. Enfin, dans Le Mari, la Femme et le Voleur, La Fontaine crée une situation digne d’un fabliau : un mari, sans cesse repoussé par sa femme, se voit soudain l’objet d’une tendresse inattendue quand un voleur pénètre dans leur maison. Ces fables, aux personnages humains typiques et réduits à leur rôle (mari, femme…), sont donc proches du fabliau, une forme de conte comme La Fontaine les affectionnait. EXPRESSION Expression écrite Commentaire 20. Faites le commentaire de la fable Le pouvoir des fables (VIII, 4). Le commentaire de cette fable concerne les vers 34 à 70, la fable à proprement parler. Si la première partie, l’épître à M. de Barillon, n’est pas l’objet du commentaire, il est important de ne pas perdre de vue cette introduction politique, afin de l’exploiter dans l’introduction, mais aussi dans le cours de l’analyse. On peut proposer, pour ce commentaire, le plan suivant : I. Une fable dans la fable On montrera les aspects formels de la fable (récit, dialogue, vers, morale), en insistant sur les aspects de la variété et de la diversité chers à La Fontaine (rythme, types de vers), et la présence de deux fabulistes dans ce texte, le personnage de l’orateur utilisant à son tout une fable. II. L’échec relatif de la rhétorique Dans cette partie, on étudiera à la fois la stratégie inefficace de l’orateur (violence des images, échec des procédés habituels de l’art oratoire), mais aussi la frivolité de l’auditoire. On relativisera ensuite l’échec de l’orateur par le fait qu’après avoir capté l’attention de son public, il fait passer son message selon, sans doute, sa manière. III. le pouvoir de la fable On montrera ici à la fois le changement de façon de l’orateur mais aussi la réaction de son public ; on verra l’effet produit par la fable et la colère de l’orateur. Le message politique passe et, s’il n’est encore développé, il a au moins été évoqué. La morale appuie sur la futilité utile de la fable.

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Dissertation 21. La Fontaine, dans Le Bûcheron et Mercure (V, 1) définit la fable comme « une ample comédie à cent actes divers, / Et dont la scène est l’univers ». Cette formule vous paraît-elle s’appliquer aux fables des livres VII à XI ? Les termes théâtraux de cette citation invitent les élèves à réfléchir sur l’aspect dramatique des fables, à la mise en scène d’animaux, d’hommes, de dieux dans des objectifs typiques du XVIIe siècle : plaire et enseigner. Cette « ample » comédie en « cent actes » montre la diversité des saynètes représentées par les fables, qui, chacune à sa manière, est une parcelle de la compréhension du monde et des hommes. La diversité est aussi un rappel du souci de variété de La Fontaine. On pourrait proposer ce plan : I. Les fables : des saynètes dramatiques Relevé des aspects proches du théâtre (exposition, développement de l’action, dénouement) des fables (personnages stéréotypées, proximité de la farce, comique de situation…) II. Variété et diversité : plaire Mise en rapport des procédés de la variété (voir réponse à la question supplémentaire) avec la nécessité d’apporter un divertissement plaisant et éloigner les hommes de leur inquiétude. III. Le théâtre du monde des Fables Montrer que l’objectif des fables est de faire voir l’homme et le monde, d’en critiquer les travers, mais aussi d’en révéler les beautés et les bienfaits. Carnet de lecture et d’écriture 22. Faites la liste des fables que vous préférez en en expliquant la raison (plaisir de l’histoire, pertinence de la morale, etc.) Ce travail peut se faire au fil de la lecture : l’élève peut relever les titres des fables qui lui ont paru intéressantes ou plaisantes. Au terme de la lecture, il peut proposer un Top 10 de ses fables préférées et expliquer, pour chacune d’elles, les raisons de sa préférence. Il peut s’appuyer sur ses réactions, liées à l’histoire racontée, à la morale, à la manière de traiter le sujet par la Fontaine, au style du fabuliste… 23. À la manière d’un journal intime, transcrivez, dans un carnet, au fil de la lecture, vos impressions, vos commentaires, vos interrogations, vos protestations au sujet des Fables. L’exercice, s’il peut sembler rébarbatif à des lycéens, est pourtant formateur : il permet de garder une trace de ses lectures (ce qui est souvent négligé), dans la perspective de l’oral de l’épreuve anticipée de français ou dans la constitution d’une culture générale. On peut simplifier la tâche en demandant aux élèves de circonscrire ce « journal de lecture » au premier livre (livre VII) des Fables, en insistant sur les hypothèses de lecture, les premières réactions, les difficultés rencontrées, les impressions, tout en conservant une place pour le commentaire : comment l’élève perçoit-il le projet de La Fontaine ? Expression orale Exposé sur un texte 24. Faites le commentaire linéaire de L’Huître et les Plaideurs (IX, 9) On peut relever quatre mouvements dans cette fable : v. 1-6 : récit : la trouvaille v. 6-14 : dialogue : échange de paroles v. 15-21 : le jugement v. 22-25 : moralité On comprend, à la lecture de ce texte, qu’il est question de la satire de la justice. Le relevé des procédés et l’analyse pourra se diriger en ce sens. On n’oubliera pas, également de traiter de ce qui fait de ce texte une fable (formellement et dans le fond). Problématique : En quoi cette fable, par sa composition, offre-t-elle une satire de la justice ? Exemple de relevés : v. 1 : « Un jour » : marqueur temporel typique des récits. v. 1 : « deux pèlerins » : présentation des personnages : sont-ils de simples voyageurs ou des chrétiens en pèlerinage ? Dans le second cas, la violence physique, la dispute pour une huître révèlent aussi la satire de deux croyants ni altruistes, ni partageurs. v. 2 : l’enjambement des vers 1-2 place le complément « Une huître » au début du vers, et le met ainsi en valeur. v. 3 : chiasme : Sujet/verbe + complément / complément + Sujet/verbe. Ce vers montre deux parties du corps « yeux », « doigt » qui annoncent le débat au sujet d’une troisième « la dent » (v. 4), mais aussi une action chimérique (ils mangent l’huître virtuellement) et éloignée (ils la montrent du doigt). Leurs deux actions sont encore communes. Le verbe « contester » (v.4) annonce la rupture de deux êtres qui agissaient jusqu’à présent de concert.

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v. 5-6 : la rupture est marquée par la distinction entre « L’un » et « L’autre » … On procède ainsi jusqu’à la fin de du texte, puis on essaye de classer les éléments afin de les analyser au fur et à mesure qu’on étudiera le texte, mouvement par mouvement. On n’oublie pas qu’un relevé (versification, figure de style, etc.) ne vaut rien en lui-même. Il faut le rattacher au sens et à la démonstration. Dire qu’il y a une métaphore ou une rime riche n’a aucun sens en soi. 25. Analysez les compléments dans la phrase des vers 15 à 18 du texte. Dans cette phrase des vers 15 à 18 de L’Huître et les Plaideurs, on relève des compléments circonstanciels (v. 15 : « Pendant tout ce bel incident », CCT ; v. 17 : « fort gravement », CCM) et des compléments d’objet direct sous la forme d’un groupe nominal (« l’huître », v. 17) ou de pronoms personnels antéposés (v. 16 : « le » ; v. 17 : « la » ; v. 18 : « le »). NB : On ne relèvera pas « juge », ni « pour juge » comme un complément : il s’agit là d’un attribut du COD « le ». Présentation de l’œuvre au programme 26. En vous appuyant sur les pages 4 à 9, préparer une présentation des livres VII à XI des Fables. Pour débuter la présentation de l’œuvre choisie à l’oral, l’élève doit en donner, en quelques mots, les informations essentielles. La partie présentation p. 4 à 9 permet à la fois d’informer sur l’auteur, sur la composition du recueil, sur les objectifs de La Fontaine ainsi que sur le contexte historique et littéraire. 27. Cherchez des arguments pour justifier pourquoi vous avez choisi de présenter cette œuvre à l’oral. Toujours dans le cadre de la présentation de l’œuvre choisie à l’oral, le candidat doit expliquer pourquoi il a choisi cette œuvre. On ne pourrait accepter des arguments contre les autres œuvres (« je n’ai pas aimé les autres », « je n’ai rien compris aux autres », etc.). Il faut donc, dans une démarche personnelle et sincère, trouver quelques raisons au choix de l’œuvre : être capable de justifier ses choix est un des éléments de l’évaluation de l’oral. Aime-t-on une œuvre en fonction de son sujet, de ses thèmes ? parce que le genre littéraire plaît ? parce que l’œuvre mêle les registres ? parce que les visées de l’œuvre nous paraissent pertinentes ?

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Séance � Philosophie de La Fontaine ► LIVRE ÉLÈVE P. 194 LECTURE Lecture du texte Lecture d’ensemble 1. Étudiez la thématique de la fortune dans le livre VII des Fables. Cinq fables du livre VII traitent de la thématique de la fortune, au sens des aléas de la destinée, du hasard et de la chance : Les Souhaits (5), L’Homme qui court après la Fortune et l’Homme qui l’attend dans son lit (11), Les deux Coqs (12), L’ingratitude et l’injustice des hommes envers la Fortune (13), Les Devineresses (14). Dans Les Souhaits, il n’est fait qu’une rapide allusion à la fortune : les hôtes du follet, ayant fait le souhait de l’abondance, ne rencontrent que des problèmes (excès, temps perdu, voleurs, taxes) : « Voilà les pauvres gens / Malheureux par trop de fortune » (v. 44-45). Ce n’est pas l’allégorie de la divinité qui apparaît là. La Fontaine joue d’ailleurs sur le mot « fortune » qu’on peut comprendre aussi bien comme « richesse » que comme « chance ». Les fables 11, 12 et 13 forment un ensemble homogène sur la thématique de la fortune, et sur la destinée en règle générale. La Fontaine brosse d’abord le portrait de la déesse : « Cette fille du Sort », « un volage fantôme », « L’inconstante » (v. 5, 6 et 8 de la fable 11). On comprend très vite le caractère capricieux de la divinité (« cette capricieuse », v. 46). Le début de la fable 11 montre que le « mérite » (v. 14) ne compte pour rien dans la destinée, qui est entièrement vouée au hasard : « La Fortune a-t-elle des yeux ? » (v. 15), « Ne cherchez point cette Déesse, / Elle vous cherchera » (v. 20-21). Dans la fable 11, le fabuliste oppose deux amis, l’un « soupira[n]t sans cesse / Pour la Fortune » (v. 23-24) ambitionnant un avenir meilleur, l’autre se contentant de ce qu’il a et ne cherchant rien. Commence alors pour le premier une quête de la Fortune dans les lieux qu’elle doit fréquenter : la cour, Surate, chez le riche Mogol, le Japon… Ne la trouvant pas, il regrette son village et y retourne. Là, il tombe sur elle. Dans cette fable, La Fontaine se place en observateur de cette vaine recherche (v. 2-5), en sage qui a compris que cette quête est inutile : « je les plains » (v. 9). La Fontaine se sert de cette thématique pour parler du bonheur : être riche, avoir les honneurs, être pape, cela rend-il heureux ? Cela permet-il de trouver le repos, la tranquillité ? Évite-t-elle la mort ? La fin de la fable montre plutôt que la fortune a favorisé l’ami resté au village, qui sait profiter du « profond sommeil » (v. 87). Au moins le voyage aura-t-il appris la sagesse à l’homme qui cherchait la Fortune. La fable 12 illustre les changements du sort, les caprices de Fortune : un coq, vaincu par un autre pour l’amour d’une belle poule, voit son destin changé subitement par un vautour qui vient supprimer son rival : on parle là de « fatal retour » (v. 24) et des coups du sort : « La Fortune se plaît à faire de ces coups » (v. 29). On retrouve un exemple semblable au livre IX dans « Le Trésor et les deux Hommes » (16). La fable 13 met en scène le « Sort », la « Fortune » (v. 4, 6), sauvant un marchand des flots agités et qui devient riche. Quand un ami lui demande d’où lui vient ce succès il répond : « Je n’en dois rien qu’à moi, qu’à mes soins, qu’au talent / De risquer à propos, et bien placer l’argent » (v. 20-21). Il a sans doute oublié que la Fortune a fait de lui le seul survivant du navire battu par les flots. Quelque temps après, retournement de situation : il fait de mauvaises affaires, est victime des corsaires et devient pauvre. Il dit alors à son ami que c’est la Fortune qui en est responsable. La Fontaine en tire une morale sur la responsabilité et le libre-arbitre : « Le bien nous le faisons ; le mal c’est la Fortune : / On a toujours raison, le Destin toujours tort ». Enfin, « Les Devineresses » traite de la fortune sous l’angle du hasard : « C’est souvent du hasard que naît l’opinion » (v. 1). Une femme, déménageant dans l’ancienne maison d’une astrologue qui a fait fortune se voit poussée à faire de même. La Fontaine, par cette thématique, insiste sur les hasards de la Fortune : il met ainsi en garde contre l’ambition, l’agitation et rappelle que puisque tout est hasard, autant profiter de l’existence en repos. La mort viendra bien assez tôt.

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Représentations allégoriques de la Fortune :

De gauche à droite : La roue de Fortune par Herrade de Landsberg, Hortus Deliciarum (calque d’Engelhardt, XIIe siècle) –

Sebald Beham, Fortuna, 1541 – Louis Testelin, La Roue de la Fortune (XVIIe siècle) – La Roue de la Fortune par le Maître de Rohan (XVe siècle)

2. Commentez la place de l’homme dans le livre X. Sur les quinze fables du livre X, neuf ont pour sujet des hommes. On y voit d’abord l’homme cruel envers les animaux et régnant sur la nature qu’il exploite à son profit. Dans L’Homme et la Couleuvre, l’homme décide du sort du serpent au nom de sa supposée ingratitude. Mais le « pervers » (v. 4), l’ingrat, le cruel, c’est l’homme qui, en dépit des arguments et des exemples donnés par la vache, le bœuf et l’arbre, n’admet pas sa position exagérément dominante. La Fontaine en profite pour associer cette domination à celle des puissants : « tout est né pour eux, quadrupèdes, et gens, / Et serpents » (v. 86-87). Le Loup et les Bergers souligne également la cruauté et la bestialité des hommes : un loup, prêt à devenir végétarien en raison de la haine qu’on lui voue pour sa supposée cruauté, se rend compte que l’homme fait comme lui, « mangean[t] un agneau cuit en broche » (v. 24). L’homme est cruel aussi (même si c’est pour son bien), avec son chien à qui il a coupé les oreilles (fable 8). Cette attitude de l’homme contre les animaux est évoquée aussi au début du Discours à Monsieur le duc de La Rochefoucauld, v. 1-3). Le livre X montre aussi un avare (L’Enfouisseur et son Compère) qui refuse de jouir de sa fortune, mais change d’avis après avoir été volé par son ami ; un berger devenu juge par l’ambition d’un autre et qui retourne heureux à sa situation première, bien plus reposante et sans risque de fausses accusations sur sa probité (fable 9) ; un aventurier qui réussit grâce à son audace, amie de la fortune (fable 13) ; des hommes qui préfèrent la puissance et la force à la raison et au langage (« les Poissons et le Berger qui joue de la flûte ») ; des hommes, ne valant pas mieux que les perroquets, portés à la querelle, à la haine et à la vengeance (fable 11) ; des hommes incapables malgré leurs connaissances et leur savoir (fable 15). Livres VII à XI Chercher la tranquillité et le bonheur 3. Quelle conception du bonheur est exposée dans « Le mal Marié » (VII, 2) ? La Fontaine vous semble-t-il y souscrire lui-même ? Dans cette fable, La Fontaine se prononce contre le mariage, source de difficultés et d’embarras. L’exemple qu’il donne de ce mari rejetant par deux fois une épouse insupportable (« Querelleuse, avare et jalouse », v. 14) lui laisse à penser que le mariage est un danger (« hasar[d] », v. 9) et que les exemples de mariages qu’il a observés conduisent tous à un repentir des époux (« Les quatre parts aussi des humains se repentent », v. 10). La Fontaine, réputé n’avoir pas été très heureux dans sa vie conjugale, s’implique lui-même dans cette fable et utilise, pour cela, le pronom « je » : « Ne trouvez pas mauvais que je ne cherche point » (v. 6). Le célibat serait-il, pour la Fontaine, une source de bonheur ? 4. Dans Le Héron, La Fille (VII, 4) et Les Souhaits (VII, 5), quels conseils La Fontaine donne-t-il pour vivre heureux ? Les fables jumelles Le héron, La fille donnent une leçon commune : celle de ne pas refuser quelque chose par une trop grande exigence : « Ne soyons pas si difficiles » (v. 27). Le héros, repoussant avec dédain tous les poissons qui se présentent sous son bec, finit par devoir se contenter d’un escargot : « Gardez-vous de rien dédaigner ; / Surtout quand vous avez à peu près votre compte » (v. 30-31). La fille agit comme le héron, repoussant les avances de tous ses prétendants, faisant la difficile. Vieillissante et sans plus pouvoir finalement choisir, la Précieuse prend pour mari un « malotru ». Ces conseils de modération sont poursuivis dans la fable « Les souhaits », qui montre que, contrairement à l’adage, l’abondance de biens nuit, entraînant un excès de labeur, la menace des voleurs, la ruée des emprunteurs et la dureté des taxes : « Voilà les pauvres gens / Malheureux par trop de fortune » (v. 43-44). Ils en viennent à l’excès inverse,

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souhaitant la pauvreté et appelant l’indigence de leurs vœux. Finalement, ils usent de leur troisième souhait pour « demand[er] la sagesse » (v. 60). Pour vivre heureux, il faut vivre en sage, voilà le conseil de La Fontaine. 5. Montrez que Le songe d’un habitant du Mogol (XI, 4) est aussi un hymne à la solitude et à la retraite. Dans cette fable, La Fontaine se place du côté du vizir cherchant la solitude : il a compris que le pouvoir ni la richesse n’étaient source de bonheur. Il est d’avis qu’il faut se retirer du monde et vivre en harmonie avec la nature : « J’inspirerais ici l’amour de la retraite » (v. 19). La Fontaine explique ensuite les avantages de la solitude : - « Elle offre à ses amants des biens sans embarras » (v. 20), des cadeaux du ciel et de la nature ; - elle isole des agitations du monde « Loin du monde et du bruit » (v. 24) ; - elle permet au poète de se consacrer pleinement à son art (v. 26-30) ; - elle permet de profiter des beautés de la nature (v. 32) ; - elle éloigne des soucis et permet de dormir en paix (v. 40 et 36). Fuir les excès 6. Dans La Laitière et le pot au lait (VII, 9), montrez que Perrette et le poète doivent servir d’exemples de modération. Dans cette fable, Perrette et le poète sont abusés par leur rêverie. La laitière, si elle rêve légitimement d’accroître son bien (le prix de son lait lui permettant d’acheter des œufs, puis des poules, puis un cochon…), pèche par excès d’ambition. Son rêve d’avenir est démesuré, au point qu’elle quitte son rang pour s’élever au rang de riche fermière, gérant un « troupeau » (v. 21). C’est l’absence de modération qui provoque la catastrophe due à son enthousiasme. La Fontaine, s’il excuse ce rêve commun à tous les hommes, « les sages [et] les fous » (v. 33), n’est pas plus raisonnable que la laitière. Lui aussi, à force de rêves, dépasse son statut de poète pour égaler ou dépasser les plus grands : « je fais au plus brave un défi » (v. 38), « je vais détrôner le Sophi » (v. 39), « On m’élit roi, le peuple m’aime ; / Les diadème vont sur ma tête pleuvant » (v. 40-41). Certes, « il n’est rien de plus doux » (v. 34) que la rêverie, mais en tout il faut être modéré, sous peine de tomber de haut. 7. « C’est la mer à boire » (p. 94, v. 38) : expliquez le sens de cette expression et ce que La Fontaine cherche à montrer dans la fable Les deux Chiens et l’Âne mort (VIII, 25). On connaît cette expression sous sa forme négative, « Ce n’est pas la mer à boire », pour signifier qu’une entreprise qui paraît difficile n’est pas si dure que cela. « C’est la mer à boire » signifie au contraire que ce qu’on entreprend est long et difficile, à l’image de ces chiens de la fable qui s’imaginent pouvoir boire toute l’eau de la mer pour récupérer le corps d’un âne mort. Ils en meurent car la tâche est impossible. La Fontaine, s’il cherche d’abord à montrer que les défauts viennent davantage en nombre que les vertus chez l’homme (v. 1-9), illustre ensuite l’union des vices par un exemple : les deux chiens gourmands et sots qui meurent de ces deux défauts associés. Il transforme enfin cette réflexion en l’axant autour de l’excès, excès d’enthousiasme, excès d’ambition, excès de désirs que l’homme ne peut maîtriser. 8. Quelle fable du livre IX met en évidence les dangers de l’excès ? La fable Rien de trop (IX, 11) met en évidence les dangers de l’excès. La Fontaine prône tout le contraire : la modération et la médiocrité, qu’il appelle un « certain tempérament » (v. 3). Dans cette fable, La Fontaine montre une chaîne d’excès : trop de blé ? les moutons dévorent tout ; trop de moutons ? les loups les exterminent ; trop de loups ? les humains se chargent de les tuer. Personne ne sait garder la mesure nécessaire à une vie simple et sereine : « Il n’est âme vivante / Qui ne pèche en ceci » (v. 26-27). Penser avec les philosophes 9. Qu’enseignent aux hommes les philosophes dans Un Animal dans la Lune (VII, 17) ? Le principal enseignement apporté par les philosophes dans cette fable c’est que les hommes peuvent faire confiance à leurs sens à condition que la raison y ait sa part. La Fontaine donne, pour bien se faire comprendre, des exemples où les sens pourraient tromper l’homme s’il n’avait sa raison pour corriger ce qu’il sent : - la taille du soleil, qui paraît infime vue de la terre ; - la rotondité du soleil, qui n’apparaît pas à l’œil ; - l’immobilité du soleil, qui semble pourtant se mouvoir ; - l’illusion d’optique qui montre un bâton courbé quand il est plongé dans l’eau ; - les formes dessinées par les ombres et les reliefs de la lune. L’apologue qui suit ce développement philosophique des vers 1 à 41 apporte une autre illustration : observée par une lunette astronomique, on découvre un animal étrange sur la lune : aussitôt, on crie au miracle jusqu’à ce que le doute philosophique fasse examiner de plus près l’instrument dans lequel on trouve cachée une souris.

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Accepter l’idée de la mort 10. Reformulez les vers 1 à 19 de La Mort et le Mourant (VIII, 1). Quelles sont les revendications du mourant ? Que lui répond la mort ? Quel commentaire en fait le fabuliste ? Dans la première partie de sa fable, La Fontaine livre ses pensées sur la mort : - le sage se prépare à la mort : « La mort ne surprend point le sage : / Il est toujours prêt à partir, / S’étant su lui-même avertir / Du temps où l’on doit se résoudre à ce passage » (v. 1-4) ; - la mort peut survenir à tout moment : « Ce temps, hélas ! embrasse tous les temps » (v. 5) ; - tous les hommes y sont soumis, y compris les puissants et quelles que soient les qualités qu’on possède : « tous sont de son domaine » (v. 8), « Défendez-vous par la grandeur, / Alléguez la beauté, la vertu, la jeunesse, / la mort ravit tout sans pudeur » (v. 13-15) ; « Un jour le monde entier accroîtra sa richesse » (v. 16) ; - tous les mortels savent qu’ils vont mourir mais personne ne veut voir cette vérité en face : « Il n’est rien de moins ignoré, / […] / Rien où l’on soit moins préparé » (v. 17 et 19). L’exemple donné par La Fontaine dans l’apologue qui suit ces réflexions est celui d’un centenaire, réputé avoir eu le temps de vivre, qui se plaint à la mort de devoir partir « précipitamment » (v. 21), sans avoir été prévenu (« Sans l’avertir au moins », v. 24) : « Est-il juste qu’on meure / Au pied levé ? » (v. 24-25). Il enchaîne ensuite trois revendications, qui constituent autant de raisons de ne pas mourir tout de suite : - il ne doit pas mourir sans sa femme : « Ma femme ne veut pas que je parte sans elle » (v. 26) ; - il doit rester vivant pour aider financièrement l’un de ses descendants : « Il me reste à pourvoir un arrière-neveu » (v. 27) ; - il a des travaux à faire : « Souffrez qu’à mon logis j’ajoute encore une aile » (v. 28). Ces trois raisons paraissent de peu de valeur, comme s’il s’agissait d’excuses de mauvaise foi pour échapper à la mort. La mort répond qu’à cent ans passés, elle lui a laissé le temps de se faire à l’idée de mourir, et qu’elle lui a donné des avertissements comme la faillite des sens (le goût, l’ouïe), les difficultés pour se déplacer, l’affaiblissement de son esprit et de son jugement, la perte ou la maladie de ses amis… Au terme de cet apologue, La Fontaine fait un commentaire à la fois sur l’art d’apprendre à mourir (comme quitter un banquet), mais aussi sur l’injustice qui voit la jeunesse sacrifiée dans des guerres ou des morts précoces. 11. De quelle manière la fable Le Cochon, la Chèvre et le Mouton (VIII, 12) parle-t-elle aussi de la mort ? Cette fable parle aussi de la mort, à travers la peur irrépressible du cochon qui la pressent. En allant à la foire pour y être vendu, il sait que la mort l’attend. Ses cris sont alors autant de protestations contre cette mort qui le privera de son « toit » et de sa « maison » (v. 28), c’est-à-dire de ce qui fait sa vie ici-bas. Les autres autour de lui ne comprennent pas le sens de ses cris : « Ils ne voyaient nul mal à craindre » (v. 12). La morale de la fable donne raison à l’inquiétude du cochon, mais la trouve sans remède : à quoi bon tous ces cris quand ils sont impuissants face au sort ? « Quand le mal est certain / La plainte ni la peur ne changent le destin » (v. 30-31). Il vaut mieux se résigner à son sort et ne pas y penser (« le moins prévoyant est toujours le plus sage », v. 32). Se méfier de l’argent 12. Dans Le Savetier et le Financier (VIII, 2) quelles idées le fabuliste fait-il passer sur l’argent ? Dans cette fable, deux personnages s’opposent : l’un est riche (le financier), l’autre survit par son travail d’artisan (le savetier). Le premier dort mal et ne chante guère, le second « chant[e] du matin au soir » (v. 1), montrant ainsi sa joie de vivre. Le financier, las d’être réveillé par ce voisin chantant, lui donne un jour cent écus, sûr qu’ils ne lui donneront plus le loisir de chanter. En effet, inquiet en permanence de se faire voler, le savetier ne chante plus, et ne dort plus, au point qu’il préfère rendre l’argent et vivre. La Fontaine oppose donc l’argent au bonheur. Le savetier, pauvre, est « content » (v. 4), donne du plaisir aux autres (« C’était merveilles de le voir », v. 2), il est « rieur » (v. 17), « gaillard » (v. 18), ne se soucie que de vivre, en dépit de finances au plus bas. À partir du moment où il obtient cent écus, tout change, comme si l’argent était incompatible avec la joie et le bonheur : « il enserre / L’argent et sa joie à la fois » (v. 37-38). La Fontaine montre bien un rapport de cause à conséquence entre cet argent et cette perte de gaieté, en soulignant la temporalité commune : « Plus de chant ; il perdit la voix / Du moment qu’il gagna ce qui cause nos peines » (v. 39-40). Au lieu de la joie, il récupère l’insomnie (v. 41), « les soucis, / Les soupçons, les alarmes vaines » (v. 42-43). Sans cesse sur le qui-vive (v. 44-46), il ne vit plus que dans la crainte d’être volé. 13. Comment La Fontaine montre-t-il l’Avantage de la science (VIII, 19) sur l’argent ? Des deux hommes de cette fable (« L’un […] pauvre, mais habile, / L’autre riche, mais ignorant » (v. 3-4), La Fontaine montre sa préférence pour le premier, qui subit les critiques de l’ignorant dont les seuls mérites tiennent dans sa richesse.

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Cet homme se prétend utile à la société (v. 24-26). Le savant ne dit rien, laissant le destin le venger. Une guerre vient réduire à néant les richesses de l’homme prétentieux qui « resta sans asile » et « reçut partout des mépris » (v. 35), alors que le savant, toujours pauvre « reçut partout quelque ferveur nouvelle » (v. 36), ayant quelque chose à transmettre et à donner, ayant toujours une valeur aux yeux des autres. La Fontaine conclut : « le savoir a son prix » (v. 38). Un exemple a pour lui valeur de démonstration. Le savoir est supérieur à la fortune. Travailler 14. Dans le Marchand, le Gentilhomme, le Pâtre et le Fils de Roi (X, 15), comment les quatre hommes comptent-ils sortir de leur revers de fortune ? Quel est celui qui sera le plus utile ? Pour sortir de la misère, les quatre hommes comptent user de leurs compétences, sur les conseils du pâtre qui leur conseille de travailler (v. 18) : le marchand veut donner des cours d’arithmétique (v. 26-27), le fils du roi veut donner des cours de politique (v. 28-29), le noble veut enseigner l’héraldique (v. 30). Le pâtre, qui n’a que ses mains pour compétences, voit l’insuffisance de ces savoirs théoriques pour sortir de leur situation. Il préfère agir dans l’instant et faire des fagots de bois qu’il va vendre. Assurément, selon La Fontaine, le plus utile est celui qui agit et qui travaille de ses mains : « La main est le plus sûr et le plus prompt secours » (v. 52). Avoir des amis 15. Quelles fables traitent de l’amitié ? Que dit La Fontaine à ce sujet ? Si l’on trouve un « couple d’amis » (v. 22) dans L’Homme qui court après la Fortune et l’Homme qui l’attend dans son lit (VII, 11), ce n’est que pour marquer le contraste entre les deux personnages. De même, dans L’Enfouisseur et son Compère (X, 4), le « compère », familier plus qu’ami véritable, mais digne de se voir confier le secret d’un trésor, le thème n’est pas l’amitié, ni même la trahison de l’amitié. Les deux Pigeons (IX, 2) établit une relation amicale, amoureuse et fraternelle entre les deux personnages, mais la fable traite davantage des douceurs du foyer que de l’amitié. Deux fables sont, en revanche, totalement consacrées à l’amitié : L’Ours et l’Amateur des jardins (VIII, 10) et Les deux Amis (VIII, 11) qui forment un diptyque sur le sujet. La première fable montre la naissance de l’amitié entre un ours solitaire et un vieillard qui s’ennuie de ne pas avoir de compagnie ; il voudrait « quelque doux et discret ami » (v. 18) au milieu des jardins qu’il aime et cultive. Leurs deux ennuis se rencontrent et les deux êtres, sur le chemin de la demeure du vieillard, deviennent « bons amis » (v. 37). La cohabitation se passe bien : l’ours est discret et serviable et le vieillard poursuit sa tâche. Leur amitié prend fin par un excès de soins : l’ours, voulant chasser une mouche sur le nez de son « ami dormant » (v. 46), lui écrase la tête avec une pierre. La Fontaine met donc en garde : « Rien n’est si dangereux qu’un ignorant ami ; / Mieux vaudrait un sage ennemi ». La seconde fable est un hymne véritable à l’amitié. Les deux personnages apportent des preuves, quoique différentes, de leur amitié pour l’autre : ainsi, le premier, réveillé par un cauchemar dans lequel il a vu son ami triste, accourt chez lui en pleine nuit pour prendre de ses nouvelles : « Un songe, un rien, tout lui fait peur / Quand il s’agit de ce qu’il aime » (v. 30-31). L’autre ami, réveillé en sursaut, met tout en œuvre pour satisfaire son ami, qu’il croit en difficultés (argent, épée, femme). La Fontaine pose la question : « Qui d’eux aimait le mieux ? » (v. 24) Il ne peut répondre mais laisse entendre qu’il est aussi amical de précéder les désirs et les besoins de ses amis que de montrer de l’inquiétude pour eux. Profiter de l’existence 16. Quelles recommandations La Fontaine multiplie-t-il dans Le Loup et le Chasseur (VIII, 27) ? Comment l’apologue illustre-t-elle ces conseils ? La Fontaine conseille, au début de la fable, de jouir de l’existence sans tarder : « jouissons » (v. 6), « Jouis » (v. 9), « Jouis dès aujourd’hui » (v. 11), « Hâte-toi […], tu n’as pas tant à vivre » (v. 7), sans attendre « demain » (v. 9). Il conseille aussi d’arrêter de vouloir toujours plus de bien, qu’il appelle « Fureur d’accumuler » (v. 1) et qui est un frein à la jouissance. Parce que l’homme cherche sans cesse toujours plus, il ne s’arrête jamais pour profiter de ce qu’il a. L’apologue l’illustre très bien puisqu’un chasseur, toujours plus avide, ne cesse de tuer (daim, faon, sanglier) : au lieu de s’arrêter et de profiter des fruits de sa chasse, il veut encore plus et tente de tuer une perdrix, mais le sanglier, simplement blessé, le tue. Il ne faut donc pas sans cesse convoiter. Il poursuit l’apologue en racontant comment un loup compte profiter de ce carnage. Là encore, au lieu de profiter d’une des proies, qu’il souhaite conserver pour plus tard, il veut manger le boyau de l’arc. Il trouve la mort par une flèche de l’arc ainsi débandé. S’il n’avait voulu garder son bien, le loup ne serait pas mort. Il a péché par avarice. 17. Reformulez les principales idées de la fable Le Vieillard et les trois jeunes Hommes (XI, 8). Dans cette fable, il est également question de profiter de l’instant présent : le vieillard, en travaillant pour sa postérité, se procure un plaisir immédiat : « Cela même est un fruit que je goûte aujourd’hui ». Mais l’idée principale est peut-être contenue dans le destin des trois jeunes hommes qui croient que l’avenir leur appartient et meurent tous avant le vieillard.

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Comme la mort peut frapper quiconque à chaque instant, jeunes comme vieux, il importe de profiter de l’existence, ce qui n’exclut pas de travailler pour l’avenir. Aimer 18. Quel enseignement le fabuliste tire-t-il de la fable Les deux Pigeons (IX, 2) ? De quelle manière y livre-t-il une part de son intimité ? Le sort du pigeon voyageur est une réflexion sur l’amour : l’être aimé doit être l’horizon de l’amoureux, et rien ne sert d’aller chercher ailleurs ce que l’on possède chez soi, que l’on doit entretenir. La Fontaine délivre cette morale sous forme de conseils aux amoureux, qu’il apostrophe : « Amants, heureux amants, voulez-vous voyager ? / Que ce soit aux rives prochaines ; / Soyez-vous l’un à l’autre un monde toujours beau, / Toujours divers, toujours nouveau ; / Tenez-vous lieu de tout, comptez pour rien le reste » (v. 65-69). Quand on s’aime, comme les pigeons, « d’amour tendre » (v. 1), il faut entretenir cet amour pour ne pas être gagné par l’ennui (v. 2) et être tenté par l’aventure. À la fin de cette fable, La Fontaine, qui utilise le pronom personnel « je » (v. 70, 77, 82, 83) se livre intimement, se confiant sur ses amours. Pour lui, amoureux, il n’aurait pour rien au monde quitté l’objet de son amour. Mais cet amour a semble-t-il disparu et le poète regrette ces moments perdus : « Hélas ! quand reviendront de semblables moments ? » (v. 78) et dresse un tableau mélancolique et désespéré de sa situation amoureuse (v. 81-83). La fable, pour une rare fois, est ainsi l’occasion pour La Fontaine de se livrer intimement. Vivre avec la nature et les animaux 19. Montrez que Le Loup et les Bergers (X, 5) et La Perdrix et les Coqs (X, 7) traitent de la relation entre l’homme et les animaux. Complétez votre réponse en tirant les principales idées du Discours à M. le duc de La Rochefoucauld (X, 14). Dans Le Loup et les Bergers, le loup réfléchit sur la manière dont il est perçu par les hommes : « Je suis haï » (v. 6), « Le loup est l’ennemi commun » (v. 7). Quoique décrit comme « rempli d’humanité » (v. 1), il est caractérisé par sa « cruauté » (v. 3), même s’il ne s’en sert « que par nécessité » (v.4), en prédateur naturel des bêtes vieillissantes et malades (v. 16-17). Il est celui par qui l’on effraie les enfants (v. 14-15). La Fontaine montre ensuite que le loup, sur le point de se résigner à devenir herbivore, constate que ses proies sont aussi celles des hommes et de leurs chiens : « il vit des bergers pour leur rôt / Mangeant un agneau cuit en broche » (v. 23-24). Il se ravise alors. Cette fable est l’occasion pour La Fontaine de réfléchir sur la cruauté, sur l’animalité, sur la bestialité, qui appartient autant à l’homme qu’au loup : « Est-il dit qu’on nous voie / Faire festin de toute proie, / Manger les animaux, et nous les réduirons / Aux mets de l’âge d’or autant que nous pourrons ? » (v. 34-37). Dans La Perdrix et les Coqs, La Fontaine donne encore le mauvais rôle aux hommes. La perdrix, violentée par des coqs avec lesquels elle est contrainte de vivre, relativise le mal qu’elle subit en constatant que ce sont les mœurs des coqs qui les font agir ainsi. Seul l’homme est responsable de les avoir enfermés avec elle : « Il nous prend avec des tonnelles, / Nous loge avec des coqs, et nous coupe les ailes : C’est de l’homme qu’il faut se plaindre seulement » (v. 22-24). Le Discours à M. le Duc de la Rochefoucauld poursuit cette réflexion sur les rapports entre l’homme et l’animal. En effet, dès le début de ce texte, il constate les mauvais agissements de l’homme : « Je me suis souvent dit, voyant de quelle sorte / L’homme agit et qu’il se comporte / En mille occasions comme les animaux : / Le roi de ces gens-là n’a pas moins de défauts / Que ses sujets » (v. 1-5). L’espèce humaine ne serait donc pas différente de l’espèce animale. Il en tire ensuite des exemples : celui des lapins qui oublient vite leur frayeur, semblables aux hommes qui, une fois un danger couru, s’y précipitent de nouveau : « Ne reconnaît-on pas en cela les humains ? / Dispersés par quelque orage, / A peine ils touchent le port / Qu’ils vont hasarder encor / Même vent, même naufrage » (v. 29-33). Il prend ensuite l’exemple de chiens qui chassent les chiens étrangers, semblables aux hommes qui ne veulent pas accepter d’autres hommes dans leurs corporations : La coquette et l’auteur sont de ce caractère ; / Malheur à l’écrivain nouveau ! » (v. 49-50), afin d’avoir à moins partager. Discours à Madame de La Sablière 20. Par quels exemples La Fontaine tente-t-il de réfuter la thèse cartésienne de l’animal-machine ? Trouvez-en un autre à la fin du livre XI. Pour réfuter la thèse de l’animal-machine, un animal tout mécanique sans âme ni pensée, La Fontaine choisit quatre exemples : - les cerfs qui, poursuivis par les chasseurs, brouillent les pistes : « Que de raisonnements pour conserver ses jours ! / Le retour sur ses pas, les malices, les tours, / Et le change, et cent stratagèmes / Dignes des plus grands chefs » (v. 76-79) ; - les perdrix qui, voyant ses petits en danger, fait diversion : « Elle fait la blessée, et va traînant de l’aile, / Attirant le chasseur, et le chien sur ses pas, / Détourne le danger, sauve ainsi sa famille » (v. 86-88) ; - les castors qui sont capables de bâtir sur les fleuves : « Ils y construisent des travaux / Qui des torrents grossis arrêtent le ravage, / Et font communiquer l’un et l’autre rivage » (v. 97-99) ;

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- les bobaques qui sont des guerriers organisés et stratèges : « Jamais la guerre avec tant d’art / Ne s’est faite parmi les hommes, […] / Corps de garde avancé, vedettes, espions, / Embuscades, partis, et mille inventions / D’une pernicieuse et maudite science » (v. 127-132). À la fin de livre XI, Les Souris et le Chat-Huant, La Fontaine donne un autre exemple d’intelligence animale : le Chat-Huant estropiant les souris qu’il chasse afin d’avoir un garde-manger toujours rempli (v. 8-33). 21. Quels mots du champ lexical de la raison et de l’intelligence emploie-t-il à leur sujet ? La Fontaine utilise des mots du champ lexical de la raison et de l’intelligence au sujet des animaux : « raisonnements » (v. 76), « stratagèmes » (v. 78), « ils savent » (v. 108), loin de l’« ignorance profonde » des hommes (v. 95), loin d’être des « corps vide[s] d’esprit » (v. 114). Ils ont la « science » (v. 132), le « bon sens » (v. 135), « l’expérience » (v. 135). 22. De quelle façon La Fontaine glorifie-t-il ces animaux cités en exemple ? Le cerf est comparé aux « plus grands chefs » (v. 79), sa mort est vu comme « ses honneurs suprêmes » (v. 81). Les castors, par leur organisation, sont mis au rang d’inspirateurs de Platon : « La république de Platon / Ne serait rien que l’apprentie / De cette famille amphibie » (v. 105-107). Enfin, les bobaques, ces valeureux guerriers, méritent un aède à la hauteur de leurs exploits : « Pour chanter leurs combats, l’Achéron nous devrait / Rendre Homère » (v. 136-137). 23. De quelle manière la fable Les deux Rats, le Renard et l’Œuf poursuit-il la réflexion sur le même sujet ? En guise de dernier exemple à sa réflexion, La Fontaine propose une fable, assez brève, qui prouve une nouvelle fois l’intelligence animale. Deux rats ont l’idée, pour transporter un œuf, de le faire porter par l’un allongé sur le dos pendant que l’autre le traîne par la queue : « Qu’on m’aille soutenir après un tel récit, / Que les bêtes n’ont point d’esprit » (v. 19-20). Il poursuite ensuite sa pensée en affirmant que cette intelligence animale est équivalente à celle d’un enfant, que leur raison n’est pas celle des hommes, ni même leur âme. Lecture d’image 24. Décrivez, en vous servant d’un vocabulaire technique précis, cet « animal-machine ». On pourra proposer aux élèves une liste de mots à employer dans leur réponse : Mécanique, ressort, machine, rouage, engrenage, automate, rotation, piston, activation et proposer, pour une plus grande précision technique, un schéma (ci-dessous) assorti d’un vocabulaire technique plus précis encore.

Sur la figure tirée des Merveilles de l’horlogerie, on peut voir un canard automate en plan de coupe avec le dessin du mécanisme des engrenages. D’un bec métallique part un entonnoir relié à un tuyau qui entre dans une boîte en métal. Au moyen de pistons, le liquide est ensuite propulsé dans un long tuyau qui l’expulse par un orifice situé à l’arrière de l’animal-machine. À cela s’ajoute un ensemble de barillets, de rouages, de roues et de pignons qui servent à actionner le mécanisme afin d’assurer le mouvement de l’animal.

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25. Trouvez dans le Discours à Madame de la Sablière une phrase qui puisse servir de légende à cette image. On peut noter, en légende de cette image, des vers tirés du « Discours à Madame de la Sablière » : - « Ils disent donc / Que la bête est une machine ; / Qu’en elle tout se fait sans choix et par ressorts : / Nul sentiment, point d’âme, en elle tout est corps » (v. 29-32) ; - « Telle est la montre qui chemine, / A pas toujours égaux, aveugle et sans dessein » (v. 33-34).

Le canard de Vaucanson dans Les Merveilles de l’horlogerie par Camille Portal et Henry de Graffigny, 1888.

Étude de la langue Lexique 26. « Philosophie », « inquiétude », « bonheur » : recherchez la formation, l’origine, le sens et des synonymes de ces mots.

FORMATION ORIGINE SENS SYNONYMES philosophie Emprunt au grec

philosophia, composé en grec de philo et de sophia

Grecque : philo veut dire « j’aime » et sophia signifie « sagesse »

Manière de voir le monde, de le questionner, de le définir

Système de pensée Doctrine Théorie Sagesse

inquiétude Dérivation préfixale du mot quiétude (radical) auquel on a ajouté le préfixe privatif « in-»

Latine : quies signifie « calme » et a donné quietudo

État de celui qui n’a pas le repos moral, qui est tourment

Tourment Souci Agitation Trouble Incertitude

bonheur Composition à partir de l’adjectif « bon » et du nom « heur »

Latine : bonus signifie « bon » et augurium désigne le présage.

État heureux de satisfaction

Joie Félicité Allégresse Béatitude Exultation Contentement

Grammaire 27. Étudiez les moyens d’exprimer la négation dans Les animaux malades de la peste (VII, 1). Le corpus est constitué d’abord de corrélations (l’adverbe de négation en deux unités) : - « ne… pas » (v. 9) ; - « ne… point » (v. 10, 25) ; - « ne… trop » (v. 46). L’adverbe « ne… pas » exprime une négation moins forte de « ne… point », qu’on considèrerait aujourd’hui plus soutenu.

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On trouve également le pronom négatif sujet « Nul » (v. 12), doublé de l’adverbe négatif « n’ », le déterminant indéfini « Nulle » (v. 29) ou « nul » (v. 56) utilisés dans une phrase à la forme négative, le pronom « Rien » (v. 63), la conjonction de coordination « ni » (v. 47) et l’adverbe « non » (v. 39). Stylistique 28. Relevez et étudiez les figures de styles dans les vers 11 à 19 de la fable Le rat et l’éléphant (VIII, 15). Dans ce passage de la fable Le rat et l’éléphant, on peut trouver plusieurs figures de style : Un rat des plus petits voyait un éléphant Des plus gros, et raillait le marcher un peu lent à antithèse (petit / gros) De la bête de haut parage, à périphrase Qui marchait à gros équipage. Sur l’animal à triple étage à périphrase Une sultane de renom, Son chien, son chat, et sa guenon, Son perroquet, sa vieille, et toute sa maison, à énumération, accumulation S’en allait en pèlerinage. L’antithèse initiale et les deux périphrases illustrent déjà la sentence du début de la fable : « Se croire un personnage est fort commun en France. / On y fait l’homme d’importance, / Et l’on n’est souvent qu’un bourgeois » (v. 1-3). En montrant l’éléphant dans toute sa hauteur et sa grosseur, La Fontaine n’en souligne que mieux la petitesse du rat et prépare la suite de la fable. L’accumulation elle-même suggère que l’animal n’est pas important pour rien puisqu’il peut soutenir une telle quantité de gens et d’animaux. EXPRESSION Expression écrite Commentaire 29. Faites le commentaire de la fable Les deux pigeons (IX, 2). On cherchera à montrer comment La Fontaine, en exploitant le thème de l’amitié/de l’amour, par les péripéties de son personnage, parvient à donner une recette personnelle et intime du bonheur. On pourra ainsi proposer, comme axes de lecture : I. Les manifestations de l’amour et de l’amitié II. L’expérience du bonheur extérieur : les aventures du pigeon III. Moralité et expérience personnelle : la recette du bonheur Dissertation 30. En 1947, dans La Fontaine : l’homme et l’œuvre, Pierre Clarac affirme que le fabuliste, dans les textes du deuxième recueil « se livre à nous dans l’inquiétude de son cœur et de son esprit, […] tout à la fois […] rusé et franc, prudent et généreux, sceptique et enthousiaste, résigné et tourné vers le long espoir. » Cette affirmation vous semble-t-elle convenir pour les fables des livres VII à XI ? Cette citation tirée d’un ouvrage consacré à La Fontaine invite à réfléchir sur certaines notions, comme celle de l’inquiétude, très importante au XVIIIe siècle, qui est une forme d’agitation morale et physique, qui est à l’inverse du repos. Cette agitation peut aussi bien concerner la quête du bonheur que la peur de la mort, que la soumission au destin ou encore les exigences du pouvoir et de la cour. Les couples d’adjectifs servant à caractériser La Fontaine, parfois antithétiques, sont là pour montrer cette agitation de l’esprit, qui fait entrer en jeu le contraste, le compromis. Cela revient aussi à la notion de variété et de diversité qui est constitutive des Fables. Il n’est donc pas étonnant de trouver ces termes opposés : ils forment aussi la personnalité du fabuliste. On pourra développer l’idée d’un fabuliste qui, à travers ses fables, dévoile sa propre expérience de l’homme et du monde ; que l’inquiétude et les préoccupations morales sont constantes dans ces parties du recueil et que La Fontaine cherche à faire de ses fables un manuel de vie heureuse, à la manière des philosophes. Contraction de texte et essai 31. Résumez en 200 mots le Discours à Madame de la Sablière puis interrogez-vous, à la suite de La Fontaine sur la sensibilité et l’intelligence des animaux. Voilà un texte suffisamment long pour pouvoir être résumé dans les proportions attendues à l’examen. On s’appuiera sur les conseils donnés dans l’encadré « Méthode » (p. 198).

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L’essai est une réflexion qui doit être argumentée. Elle s’appuie aussi bien sur le texte du résumé que sur les connaissances personnelles. Expression orale Exposé sur un texte 32. Faites le commentaire linéaire des vers 18-40 du Songe d’un habitant du Mogol (XI, 4). Il conviendrait, dans une introduction, de ne pas oublier que cette fable forme un diptyque et d’en dire un mot. L’extrait à commenter est la deuxième partie de ce diptyque Quelques axes de lecture : I. Le discours lyrique du poète II. Une philosophie du bonheur : la solitude 33. Relevez dans le passage deux Propositions subordonnées conjonctives ayant pour fonction d’être Complément circonstanciel. Dans ce passage, on trouve une Proposition subordonnée conjonctive circonstancielle de condition : « Si j’osais ajouter au mot de l’interprète », v. 18 ; une circonstancielle d’opposition : « si je ne suis né pour de si grands projets », v. 31 ; une circonstancielle de temps : « Quand le moment viendra d’aller trouver les mots », v. 39). Entretien sur l’œuvre au programme 34. Comment La Fontaine traite-t-il de l’écologie dans ses Fables ? Vous vous appuierez entre autres sur L’homme et la couleuvre (X,1). Le lecteur d’aujourd’hui sera peut-être sensible à l’esprit écologiste de La Fontaine, qui est l’un des traits de sa modernité. Outre le retour à la nature (comme l’amateur des jardins, VIII, 10 ou le fabuliste lui-même dans le Songe d’un habitant du Mogol, XI, 4, qui souhaite « Loin du monde et du bruit, goûter l’ombre et le frais », être « loin des cours et des villes », v. 24 et 26), la condamnation des excès en tout (Rien de trop, IX, 11), la défense animal est au cœur de L’Homme et la Couleuvre (X,1), dans laquelle l’homme passe devant le tribunal de la Nature (une vache, un bœuf et un arbre) et se fait dire des vérités qui le vexent. PATRIMOINE 35. Recherchez qui sont Épicure, Lucrèce, Démocrite, Descartes, Gassendi et Malebranche.

SIÈCLE NATIONALITÉ ŒUVRES THÉORIE Épicure IVe – IIIe

av. J.-C. Grecque Lettres et maximes L’âme est composée d’atomes ; le plaisir

est une absence de douleur ; les sens permettent d’accéder à la connaissance.

Lucrèce Ier Latine De rerum natura (De la nature)

Disciple d’Épicure, il en reprend la doctrine (sur l’atome, sur l’homme et la nature formés d’atomes) et oppose Épicure à la religion pour expliquer l’univers.

Démocrite Ve – IVe av. J.-C.

Grecque fragments Disciple de Leucippe et fondateur de l’atomisme, qui a influencé Épicure. Adepte du doute et du scepticisme, il est considéré comme le père des sciences modernes.

Descartes XVIIe Française Discours de la méthode Méditations métaphysiques

Théories de la connaissance ; interprétation mathématique du monde (explicable par des figures, des mouvements, des lois) ; élaboration d’une méthode de recherche de la vérité ; cogito ergo sum (« Je pense donc je suis »)

Gassendi XVIIe Française Œuvres en latin Théoricien de l’atomisme, disciple d’Épicure, il est rationaliste comme Descartes (et s’oppose à lui dans sa théorie de l’animal-machine).

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Malebranche XVIIe - XVIIIe

Française De la recherche de la vérité Occasionnalisme (intervention active de Dieu sur le monde)

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Séance � Dimensions critique et satirique des Fables ► LIVRE ÉLÈVE P. 199

LECTURE Lecture du texte Lecture d’ensemble 1. Quelles visions de la monarchie absolue sont données dans les Fables ? Il est courant de dire que l’animal qui sert de masque à la critique du pouvoir royal est le lion. Dans les livres VII à XI, cette figure est présente dans les fables suivantes : - Les Animaux malades de la peste (VII, 1) ; - La cour du Lion (VII, 6) ; - Les Obsèques de la Lionne (VIII, 14) ; - Le Lion, le Singe et les deux Ânes (XI, 5). Dans ces fables où le lion figure, on constate que le monarque est sanguinaire (« Satisfaisant mes appétits gloutons / J’ai dévoré force moutons. […] / Même il m’est arrivé quelquefois de manger / Le berger » (VII, 1, v. 25-26, 28-29) ; il préside le conseil, donne la direction à suivre. Dans La cour du Lion, le roi étale ses richesses (« un fort grand festin », v. 10 ; « magnificence », v. 12) pour montrer sa puissance. Mais son pouvoir est là encore sanguinaire et le « Louvre », palais des rois est un « vrai charnier » (v. 15) puant. La violence y est de rigueur : tout opposant, tout contestataire est mis en pièces (le sort de l’ours et du singe). Son pouvoir absolu est tyrannique, à l’image de « Caligula » auquel il est fait allusion (v. 27). Le roi est colérique (VIII, 14, v. 30-31) ; c’est un « terrible sire » (XI, 5, v. 74), dont les courtisans se méfient. L’image de la monarchie absolue est celle d’un régime de terreur où tout dépend d’un homme, aussi éclairé veuille-t-il devenir (XI, 5, v. 1-2). La figure de Jupiter est également associée au pouvoir absolu. Dans Jupiter et les Tonnerres (VIII, 20), le personnage est à la fois roi et dieu et les divinités qui l’entourent (et qui font plus de mal aux hommes que lui) sont ses ministres. On voit là un roi à l’autorité indulgente et bienveillante envers les hommes, vers qui il n’adresse jamais directement sa foudre. Ce pouvoir absolu existe aussi par les courtisans qui entourent le monarque. Dans Le Lion, le Loup et le Renard (VIII, 3) ou dans La cour de Lion, ils sont bien plus malfaisants que lui. 2. Quelles fables peuvent être considérées comme des fables politiques ? Contrairement aux idées reçues, les Fables ne sont pas toutes politiques ni toutes dirigées contre le pouvoir absolu. On en dénombre certaines, dans les livres VII à XI, politiques ou d’actualité : - Les Animaux malades de la peste (VII, 1) ; - Le Rat qui s’est retiré du monde (VII, 3) ; - La cour du Lion (VII, 6) ; - Les Vautours et les Pigeons (VII, 7) ; - Le Chat, la Belette et le petit Lapin (VII, 15) ; - La Tête et la Queue du Serpent (VII, 16) ; - Un Animal dans la Lune (VII, 17) ; - Le Lion, le Loup et le Renard (VIII, 3) ; - Le Pouvoir des Fables (VIII, 4) ; - Le Chien qui porte à son cou le dîné de son maître (VIII, 7) ; - Les Obsèques de la Lionne (VIII ? 14) ; - Le Bassa et le Marchand (VIII, 18) ; - Le Singe et le Chat (IX, 17) ; - L’Homme et la Couleuvre (X, 1) ; - Le Berger et le Roi (X, 9) ; - Les Poissons et le Berger qui joue de la flûte (X, 10) ; - Le Lion (XI, 1) ; - Les Dieux voulant instruire un Fils de Jupiter (XI, 2) ; - Le Lion, le Singe et les deux Ânes (XI, 5). Livres VII à XI La justice royale 3. Dans les animaux malades de la peste (VII, 1), le principe de justice (v. 34-35) est-il respecté ? Le lion, symbole du roi dans les Fables, réunit la cour pour désigner quel animal sera sacrifié pour calmer la colère du Ciel et faire disparaître la peste qui fait des ravages parmi les animaux. Il pose un principe de justice : « [I]l est bon que chacun s’accuse ainsi que moi / Car on doit souhaiter selon toute justice / Que le plus coupable périsse » (v. 33-35). Mais ce

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principe est dévoyé car les fautes sont jugées à hauteur de la puissance de celui qui les a commises. Ainsi, le roi est pardonné (son crime est même un honneur pour les moutons et les bergers qui ont eu les faveurs d’une mort aussi digne), tout comme les autres animaux redoutables : « On n’osa trop approfondir / Du tigre, ni de l’ours, ni des autres puissances / les moins pardonnables offenses » (v. 46-48). Le pouvoir et la force excusent ainsi les crimes, ce que l’antithèse des vers 49-50 souligne : « Tous les gens querelleurs, jusqu’aux simples mâtins, / Au dire de chacun, étaient de petits saints ». L’âne, représentant des faibles, des pauvres (« Ce pelé, ce galeux », v. 60) est ainsi injustement sacrifié, en dépit même de la faiblesse de sa faute : « Sa peccadille fut jugée un cas pendable » (v. 61). Si le lion disparaît dès le milieu de la fable, le relais est pris par sa Cour, les renards, les loups, qui dictent une justice inique et opportuniste. 4. Qui du roi (Jupiter) ou de ses ministres (les Furies, les autres dieux de l’Olympe) semble être la cible des attaques de La Fontaine dans Jupiter et les Tonnerres (VIII, 20) ? Dans cette fable, La Fontaine montre un roi paternel, indulgent et qui manque (exprès ?) ses coups en direction des hommes : « Jupiter ne tarda guère / A modérer son transport » (v. 12-13), « Tout père frappe à côté » (v. 41), « On lui dit qu’il était père » (v. 49), v. 59-63. Au contraire, les autres dieux et les Furies semblent impitoyables envers les hommes, qu’ils sont avides de punir : Alecton, l’une des Furies, est la première à vouloir agir : « Ce choix la rendit si fière, / Qu’elle jura par Pluton / Que toute l’engeance humaine / Serait bientôt du domaine / Des déités de là-bas » (v. 25-29). L’ensemble des dieux de l’Olympe se plaint des conséquences de l’indulgence de Jupiter et c’est Vulcain qui se charge des tonnerres qui frappent les hommes tandis que Jupiter se charge de ceux qui frappent les montagnes. Cette fable est une critique des ministres d’un roi, de leur férocité et de leur manque d’indulgence. 5. À quelle fable du livre VII, L’Huître et les Plaideurs peut-elle être rapprochée ? La fable L’Huître et les Plaideurs met en scène deux hommes qui se battent pour savoir qui emportera l’huître qu’ils viennent de trouver. Ils s’en remettent à la justice d’un troisième, Perrin Dandin, qui, en « juge » (v. 16), « d’un ton de président » (v. 19), les départage en mangeant l’huître et en leur laissant la coquille. Cette fable ressemble à une autre, du livre VII : Le Chat, la Belette et le petit Lapin (fable 15), qui met aussi en scène deux individus en litige (une belette a volé le logis d’un lapin) qui ne parviennent à trouver un accord. Ils s’en vont trouver « Raminagrobis » (v. 31), un chat « arbitre expert sur tous les cas » (v. 35), qui a tout l’air, lui aussi, d’un président de tribunal (« bien, fourré », « juge », « Sa Majesté fourrée », v. 34-38). Il les met d’accord en les mangeant tous les deux. Dans les deux cas, La Fontaine s’en prend à la dureté de la justice, rapprochant celle-ci de celle du roi : « Ceci ressemble fort aux débats qu’ont parfois / Les petits souverains se rapportant aux rois » (v. 46-47). Les moines et les prêtres 6. Dans Le rat qui s’est retiré du monde (VII, 3), de quelle manière La Fontaine fait-il une critique indirecte des moines ayant refusé en 1675 de financer la guerre de Hollande ? « Le rat qui s’est retiré du monde » est une fable d’actualité : en 1675, le clergé, ayant été sollicité pour participer à l’effort de guerre sous la forme d’un « don gratuit », refusa, préférant payer en prières. Trois ans plus tard, au moment de la publication du deuxième recueil des Fables, l’allusion devait être transparente, la référence au « fromage de Hollande » étant un astucieux clin d’œil. La Fontaine prend pourtant soin de dissimuler derrière un masque oriental la cible de sa satire. Il parle alors d’une légende venue des « Levantins » (v. 1), évoque la ville imaginaire, mais à consonance orientale, de « Ratopolis » (v. 18) et dévoile l’identité de « ce rat si peu secourable » (v. 33), niant que ce soit un moine (v. 34), mais le désignant comme un « dervis ». La critique, ainsi dissimulée, est inattaquable. 7. Quels comportements des moines y sont dénoncés de manière satirique ? C’est une tradition médiévale que d’attaquer l’état monastique, considéré comme inutile à la société. Villon, Rabelais, Rutebeuf puis, plus tard Voltaire et les mouvements anticléricaux du début du XXe siècle ont fait du moine un portrait caricatural qu’on retrouve dans la fable de La Fontaine : - le moine misanthrope : « se retira loin des tracas » (v. 4), « Notre ermite » (v. 7), « Le nouveau saint ferma sa porte » (v. 31) ; - le moine égoïste : « Les choses d’ici-bas ne me regardent plus » (v. 25), « ce rat si peu secourable » (v. 33) ; - le moine goinfre et jouisseur : « Il fit tant de pieds et de dents / Qu’en peu de jours il eut au fond de l’ermitage / Le vivre et le couvert » (v. 8-10), « Il devint gros et gras » (v. 11). On sent dans le portrait de ce rat-moine que La Fontaine critique l’opportunisme de cet « ermite nouveau » qui, par gloutonnerie et égoïsme, plus que par vocation religieuse, s’est retiré du monde. Alors qu’il a tant fait pour lui-même (v. 8), que ses valeurs chrétiennes devraient l’obliger à porter secours, il semble ne vouloir rien faire pour les autres. On notera la réponse impersonnelle du rat : « que peut-il faire […] ? »

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8. Quel portrait du prêtre La Fontaine fait-il dans Le Curé et le Mort (VII, 10) ? Dans cette fable, La Fontaine brosse le portrait d’un curé heureux de conduire un mort à sa dernière demeure : « Un curé s’en allait gaiement / Enterrer ce mort au plus vite » (v. 3-4). Comme Perrette, dans la fable précédente, le curé échafaude des plans sur l’avenir : grâce à ce mort, il aura de l’argent (« salaire », v. 17 ; « ce trésor », v. 19 ; « j’aurai de vous tant en argent », v. 21-22) qui lui permettra d’assouvir ses vices (la boisson et la débauche) : « Il fondait là-dessus l’achat d’une feuillette / Du meilleur vin des environs ; / Certaine nièce assez propette / Et sa chambrière Pâquette / Devaient avoir des cotillons » (v. 24-28). Le Curé est donc montré avide et libidineux, semblable à beaucoup de portraits anticléricaux de l’époque. Les courtisans 9. Quelle image des courtisans La Fontaine donne-t-il dans La cour du Lion (VII, 6), Le Lion, le Loup et le Renard (VIII, 3), Les Obsèques de la Lionne (VIII, 14) ? La cour du Lion, après avoir montré un ours trop sincère, montre un singe courtisan qui complimente la tyrannie du roi et vante l’odeur infecte de son antre. Il n’y a aucune sincérité dans ses paroles : « Et flatteur excessif il loua la colère / Et la griffe du prince, et l’antre, et cette odeur : / Il n’était ambre, il n’était fleur / Qui ne fut ail au prix » (v. 21-24). « Sa sotte flatterie » (v. 24) le conduit à la mort. La Fontaine en vient alors à donner un conseil aux courtisans, sous la forme d’une morale : « Ne soyez à la cour, si vous voulez y plaire, / Ni fade adulateur, ni parleur trop sincère » (v. 34-35). Dans Le Lion, le Loup et le Renard, le danger ne vient pas directement du roi, mais des autres courtisans. On s’y dénigre (« Le loup […] daube au coucher du roi / Son camarade absent » (v. 10-11), on y ment et manipule (le mensonge du renard, v. 15-21), on s’y venge (le loup qui donne la peau du renard comme remède aux maux du lion). Là encore, La Fontaine termine par des conseils aux courtisans : « cessez de vous détruire : / Faites si vous pouvez votre cour sans vous nuire » (v. 35-36). Enfin, dans Les Obsèques de la Lionne, la cour apparaît comme un essaim de mouches qui se précipite pour flatter à toute occasion : « Aussitôt chacun accourut / Pour s’acquitter envers le prince / De certains compliments de consolation » (v. 2-4). Le courtisan est imitateur : le lion rugit-il de douleur, aussitôt ils font de même : « On entendit à son exemple / Rugir en leurs patois messieurs les courtisans » (v. 15-16). Le courtisan est délateur et menteur : quand il s’aperçoit qu’un des leurs ne participe pas à la comédie des larmes, il le dénonce : « Un flatteur l’alla dire, / Et soutint qu’il l’avait vu rire » (v. 28-29). La Fontaine, au cœur de sa fable, tire un portrait saisissant des courtisans : « prêts à tout » (v. 18), « à tout indifférents » (v. 18), « sont ce qu’il plaît au prince, ou […] / Tâchent au moins de le paraître » (v. 19-20). Ils agissent mécaniquement, comme un seul homme, imitant l’attitude des autres et du roi : « Peuple caméléon, peuple singe du maître, / On dirait qu’un esprit anime mille corps ; / C’est bien là que les gens sont de simples ressorts » (v. 21-23). Les hommes et leurs défauts 10. Quelles sont les cibles de la fable Le Loup et le Chasseur (VIII, 27) ? Cette fable prend pour cible les avares et les envieux : par l’exemple d’un chasseur insatiable (« C’était assez de biens ; mais quoi ? rien ne remplit / Les vastes appétits d’un faiseur de conquêtes », v. 24-25) qui trouve la mort pour n’avoir pas su éteindre sa soif de tuer, et par l’exemple d’un loup qui ne sait pas profiter de la fraîcheur des proies qu’il trouve, voulant économiser cet énorme butin et qui préfère croquer le boyau de la corde de l’arc plutôt que les victimes du chasseur, La Fontaine montre que l’homme doit profiter et ne pas chercher ni à vainement accumuler ni conserver sans usage les biens. Le style vient souligner cette double cible : La Fontaine utilise deux chiasmes pour montrer que les deux sont identiques : « Cette part du récit s’adresse au convoiteux : / L’avare aura pour lui le reste de l’exemple » (v. 33-34) et « La convoitise perdit l’un ; / L’autre périt par l’avarice » (v. 51-52). 11. Quelles fables dénoncent la cupidité ? L’avarice et la cupidité sont des défauts familiers des fables de La Fontaine, qu’on pense à La Cigale et la Fourmi ou bien à L’Avare qui a perdu son trésor. On trouve ce thème exploité dans les fables des livres VII à XI : - Le Rat qui s’est retiré du monde (VII, 3) ; - Le Curé et le Mort (VII, 10) ; - Les deux Chiens et l’Âne mort (VIII, 25) ; - Le Loup et le Chasseur (VIII, 27) ; - L’Enfouisseur et son Compère (X, 4).

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12. Dans L’Homme et la Couleuvre (X, 1), montrez que La Fontaine, en prenant le parti des animaux, critique l’homme. Relevez, dans Les Poissons et le Cormoran (X, 3) deux expressions péjoratives au sujet des hommes. Dans la fable L’Homme et la Couleuvre, La Fontaine, par un animal redouté – le serpent –, lance un plaidoyer contre les hommes. Il commence par lui adresser quelques piques : « l’animal pervers » (v. 4) n’est pas celui qu’on croit, le fabuliste le précise dans une parenthèse (« (C’est le serpent que je veux dire, / Et non l’homme, on pourrait aisément s’y tromper) », v. 5-6) ; quand l’homme veut tuer le serpent pour le punir de son ingratitude (« Symbole des ingrats », v. 12), le serpent rétorque : « le symbole des ingrats / Ce n’est point le serpent, c’est l’homme » (v. 25-26). Dans le débat qui commence alors, l’homme voit défiler toute sortes d’animaux qui font des reproches à l’homme : - la vache dénonce le vol de son lait, l’abandon quand elle devient vieille ; - le bœuf dénonce les tâches pénibles qu’on lui fait faire, les coups qu’il reçoit, les sacrifices dont il est la cible ; - l’arbre vient également dans ce débat avec les animaux et dénonce l’abattage dont il est victime alors qu’il donne ombre et fruits. Ces raisons sont toutes recevables pour le lecteur, qui se range du côté de la nature. Pourtant, l’homme, ne voulant plus rien écouter, se montre le maître et tue le serpent. Dans Le Poisson et le Cormoran, l’homme est qualifié de « traîtres humains » (v. 31) et d’« humaine engeance » (v. 43). Lecture d’image 13. Montrez que le lion incarne la puissance royale. Le lion, dans l’imaginaire collectif, est l’incarnation de la puissance. La Fontaine, et d’autres artistes, en ont fait le symbole de la puissance royale. Grandville, sur cette image, montre le lion assis sur un trône de pierre, habillé à l’antique d’une toge et d’une couronne de lauriers. Il surplombe les autres animaux, une patte sur le corps mort d’un ennemi redoutable, l’ours, et une autre patte appuyée sur l’accoudoir de pierre, le corps en avant, dans une situation d’impatience ou de colère. Derrière lui, un blason représentant un lion, accentue la référence au pouvoir royal. 14. Comment sont montrés les courtisans ? Les courtisans sont représentés par un renard en tenue de seigneur qui s’incline devant le lion. Cette position de respect et de soumission est accentuée par l’expression humble et apeurée du courtisan. Derrière lui, en arrière-plan, deux lapins semblent effarés. Les autres courtisans présents (le singe, par exemple) sont morts ou réduits à l’état d’ossements. 15. Commentez le décor qui entoure les personnages. Le décor est antique (trône de pierre, colonnades) et montre une certaine décrépitude, de celle des royaumes tombés dans le déclin et la décadence. Les colonnes sont brisées, le palais qui les abritait est envahi par la végétation. Tout autour du trône, des ossements, des cadavres et, auprès du roi, un vautour, symbole des charognards. Cette représentation de la cour du lion par Grandville est une critique du pouvoir monarchique.

Illustration de « La cour du lion » par J. J. Granville, 1864 (Bibliothèque Stanislas, Nancy).

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Étude de la langue Lexique 16. Recherchez l’étymologie et le sens du mot « satire ». Trouvez ensuite un homonyme et un antonyme que vous emploierez dans une phrase de votre invention. Le mot « satire » a une origine inattendue. Il vient du latin satira, variante d’un autre mot latin, satura, qui désigne la macédoine de légumes, appliqué en littérature pour parler de textes mélangeant les genres. C’est au sujet de deux auteurs latins, Juvénal et Horace, que le terme a indiqué la critique des vices dans un poème. La satire est un texte attaquant et critiquant les vices et les ridicules des hommes. Le « satyre » est un homonyme de la « satire » : il désigne un homme lubrique, exhibitionniste mais aussi un faune (une divinité à corps d’homme, à pieds et cornes de bouc) faisant partie du cortège des débauches de Dionysos. Ex. : On dit aux enfants de se méfier des satyres qui rôdent autour des écoles. L’éloge est un antonyme de la satire, puisqu’il loue les qualités des hommes, apporte, au contraire de la satire, un jugement favorable destiné à mettre en valeur. Ex. : Ses professeurs l’ont félicitée : ils l’ont couvertes d’éloges. Grammaire 17. Dans la fable Le berger et le roi (X, 9), relevez les connecteurs logiques des vers 1 à 21 et indiquez la relation logique qu’ils expriment.

CONNECTEUR RELATION LOGIQUE v. 4 : si Condition v. 7 : car Cause v. 8 : mais Opposition v. 13 : grâce aux Cause v. 14 : par Cause v. 19 : quoiqu’il Opposition

18. Dans la même fable, reformulez les vers 14 et 21 de manière à faire ressortir pour l’un la cause, pour l’autre la conséquence. v. 14 : « Le berger plut au roi par ces soins diligents » à Le berger plut au roi parce qu’il soignait avec précaution ses moutons. v. 21 : « Il avait du bon sens ; le reste vient ensuite » à Il avait du bon sens donc le reste vient ensuite. 19. Relevez et analysez les expansions des noms des vers 1 à 18 de Jupiter et les tonnerres (VIII, 20). Il existe trois types d’expansions du nom : l’adjectif qualificatif épithète ; le groupe prépositionnel complément du nom et la proposition subordonnée relative complément de l’antécédent.

NOM EXPANSION Adjectif qualificatif

Épithète Groupe prépositionnel Complément du nom

Proposition subordonnée relative Complément de l’antécédent

v. 2 : « haut » des airs v. 3 : « hôtes » nouveaux v. 4 : « cantons » de l’univers v. 5 : « race » qui m’importune et qui me lasse v. 8 : « Furie » la plus cruelle v. 10 : « Race » que j’ai trop chérie v. 14 : « rois » qu’il voulut faire arbitres de notre sort v. 15 : « arbitres » de notre sort v. 17 : « orage » qui la suit v. 18 : « intervalle » d’une nuit

20. Dans Le lion (XI, 1), relevez les propositions subordonnées conjonctives circonstancielles. On peut trouver plusieurs propositions subordonnées conjonctives circonstancielles dans cette fable : - v. 7 : « Comme entre grands il se pratique » : circonstancielle de comparaison ; - v. 15 : « S’il garde ce qu’il a » : circonstancielle de condition ; - v. 20-21 : « Avant que la griffe et la dent / Lui soit crue » : circonstancielle de temps ; - v. 21 : « qu’il soit en état de nous nuire » : circonstancielle de temps (« que » mis pour « avant que ») ; - v. 29-30 : « tant qu’enfin / Le lionceau devient vrai lion » : circonstancielle de conséquence ;

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- v. 43 : « S’il n’en est pas content » : circonstancielle de condition ; - v. 50 : « Quoi que fît ce monde ennemi » : circonstancielle d’opposition ; - v. 53 : « Si vous voulez le laisser craître » : circonstancielle de condition. Stylistique 21. Le « dieu de Cythère » (p. 171, v. 45), « le manoir liquide » (p. 173, v. 32), « l’hôte des terriers » (p. 179, v. 10) : quelle figure de style identifiez-vous ? Ces expressions sont des périphrases : le « dieu de Cythère » est l’amour, le « manoir liquide » désigne la mer, l’océan, l’« hôte des terriers » est le renard, qui s’invite dans les terriers. EXPRESSION Expression écrite Commentaire 22. Faites le commentaire du Rat qui s’est retiré du monde, en montrant comment la fable favorise la visée satirique du texte. On pourrait, pour ce texte, voir comment s’appliquent les différentes méthodes d’approche des textes pour le commentaire : - celle qui part de la définition du texte et des impressions de lecture - celle qui part d’une analyse linéaire 1- La première méthode appliquée au texte Il s’agit de définir les caractéristiques du texte : objet d’étude, genre, formes de discours, registres et autres qualifications, thème, appartenance à un mouvement littéraire, objectifs de l’auteur. - Objet d’étude : imagination et pensée ; l’argumentation (apologue – argumentation indirecte) - Genre : poésie (fable) - Formes de discours : narratif, descriptif et argumentatif - Registres et qualifications : ironique, satirique + plaisant - Thème : égoïsme et misanthropie des moines ; religion - Appartenance à un mouvement littéraire : classicisme (volonté d’instruire le lecteur, en suscitant son émotion ; retrouver l’universalité des caractères et des passions ; imitation des anciens ; style simple et naturel…) - Objectifs de l’auteur : présenter une satire du monachisme ; raconter une histoire plaisante ; rechercher l’adhésion du lecteur À partir de ces éléments, une problématique, des axes, un plan peuvent commencer à émerger (mise en évidence de ce qui paraît le plus important, ou le plus exploitable et relevé d’éléments du texte) : - Idées importantes (axes retenus) : la forme du texte (son genre, la forme de discours principale ─ la narration) ; les registres satirique et ironique employés pour une critique, une dénonciation. > visée satirique > aspect plaisant du conte > analyse des procédés de l’argumentation indirecte, par l’apologue NB : validation des axes par la présence d’éléments du texte pour aider à la démonstration et par la nécessité de prouver quelque chose (« je veux montrer que… ») Relevé dans le texte et classement de la matière utile au commentaire : - les aspects et caractéristiques du conte, de la fable - les aspects de la critique Problématique possible : En quoi la fable favorise-t-elle la visée satirique de La Fontaine ? Mise en forme d’un plan détaillé : I. Un conte plaisant A. distanciation spatiale et temporelle B. personnification et caractère humain C. le conteur et son auditoire II. Une satire habile A. jeu d’oppositions B. ironie du moraliste C. cible actuelle, cible éternelle Rassemblement du savoir autour du texte : - l’auteur - son œuvre

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- le contexte historique : la guerre de Hollande et le refus du clergé de participer à l’effort de guerre - l’intertexte : Tartuffe, tradition anticléricale - le mouvement littéraire - citations (sur la fable) - connaissance du genre … Rédaction d’une introduction et d’une conclusion : • Introduction : - accroche (généralité utile) - présentation du texte - annonce de la problématique et du plan • Conclusion : - récapitulation - ouverture (critique du clergé dans les fables : hypocrisie et exploitation des autres) 2- La seconde méthode appliquée au texte Il s’agit de faire émerger les idées à partir d’une observation ligne à ligne (ou vers à vers) du texte. Analyse linéaire qui permettra de faire jaillir des points forts, des points de rapprochement. Chaque relevé fait l’objet d’une analyse ou d’une remarque. Remarque formelle générale : alternance irrégulière d’octosyllabes et d’alexandrins. Structure du passage : v. 1 à 12 : situation initiale : la retraite fructueuse d’un rat v. 13 à 23 : élément perturbateur : la requête des rats v. 24 à 31 : résolution de l’action : la réponse de l’ermite v. 32 à 35 : conclusion en forme de morale

RELEVÉ COMMENTAIRE v. 1 : Levantins

Choix de l’exotisme par un déplacement de l’histoire au Proche-Orient à volonté de distance

v. 1 : en leur légende

Distance temporelle (légende connotant un temps lointain et une part d’imagination) ; leur (pronom possessif qui accentue la distance avec la France)

v. 2 : un certain rat Généralisation (article indéfini ; déterminant indéfini) v. 2 : las des soins d’ici-bas Raison donnée à cet isolement monacal : non pas la spiritualité mais la fuite

des soucis du monde) v. 3 : fromage de Hollande

Limite de la distanciation ? rapprochement européen. Allusion à la guerre de Hollande (commencée en 1672).

v. 4 : Se retira loin du tracas Retraite liée à une fuite égoïste (pas de préoccupation religieuse)

v. 6 : partout à la ronde Rondeur du fromage ; jeu de mots.

v. 7 : Notre ermite nouveau Présence du conteur ; caractère récent de la vocation : vocation sincère ?

v. 7 : Subsistait là dedans

Impression de survie (« pour subsister jusqu’à la saison nouvelle ») ; lieu désigné par deux adverbes sans indication de description : lieu neutre, voire inconfortable.

v. 8 : Il fit tant Activité extrême pour se sauver : énergie pour son propre profit.

v. 8 : de pieds et de dents Personnification du rat ; faire des pieds et des mains : activité extrême (actions du corps, pas de l’esprit)

v. 9 : en peu de jours Rapidité de l’exécution – action miraculeuse ?

v. 10 : Le vivre et le couvert

Redondance de la préoccupation : voracité (éloignement de l’ascèse et des privations qui vont de pair avec l’isolement monacal)

v. 10 : que faut-il davantage ?

Question rhétorique ; implication du lecteur ; suggestion d’une vie de privations

v. 11 : Il devint gros et gras

Réponse à la question implicite ; réponse attendue : « Rien » ; réponse effective : le rat vit en pacha, pas en reclus.

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v. 11-12 : Dieu prodigue ses biens / A ceux qui font vœu d’être siens

Générosité et protection divine (les bienfaits que Dieu accorde) ; sentence (vérité générale) ; vie au service de Dieu.

On poursuit l’analyse au brouillon, en notant les éléments qui paraissent intéressants : v. 13 : ironie qui pointe « dévot personnage » v. 15 : euphémisation : persuasion v. 16 à 23 : Discours indirect libre : volonté de se montrer aussi humble que le rat ; accumulation d’éléments persuasifs (éloignement, férocité de l’ennemi, indigence…) v. 18 : Ratopolis : exotisme (du côté de la Grèce) v. 24 : espoir dans l’apostrophe « Mes amis » ; le solitaire (nom donné aux ermites jansénistes de Port-Royal : cible ?) v. 25 : raison du refus : donnée générale : retraite du monde v. 26 : mise en avant de sa faiblesse : « pauvre reclus » (ironie) ; questionnement rhétorique v. 27 : mise en exergue de l’aide : rejet de « vous assister » ; questionnement rhétorique ; « que peut-il faire » vs « Il fit tant » v. 28 : report de la responsabilité sur Dieu ; quelle action ? une absence d’action : « prier » ; « en ceci » (neutralité, désintérêt) v. 29 : indifférence : « quelque souci » v. 30-31 : fin de non-recevoir : « cette sorte » « nouveau saint » (comportement différent de la tradition de charité) ; clôture de l’histoire / fermeture sèche de la porte v. 32-33 : « je », « votre » : présence du conteur et du destinataire ; « votre avis » : nécessité de réflexion, participation du lecteur, complicité. Devinette (aspect plaisant) v. 34 : Question-réponse : « Un moine ? » Récusation immédiate : « une dervis » : éloignement géographique ; proximité des deux assurée par le « mais » v. 35 : présence du « je » ; hypothèse (manque de certitude mais volonté de se dédouaner) ; ironie. Regroupement des idées proches Dégagement des axes et de la problématique : > on doit pouvoir arriver au même résultat avec les deux méthodes > l’avantage de la seconde est qu’elle offre une proximité immédiate avec le texte Rédaction de l’introduction et de la conclusion Commentaire du texte Le rat qui s’est retiré du monde Cette fable de La Fontaine permet de s’interroger sur le rôle critique de l’apologue et de se demander ainsi en quoi le récit favorise la visée satirique du fabuliste. Dans un premier temps, nous aborderons la fable comme un récit plaisant, en mettant en valeur ce qui constitue l’agrément de ce conte. Puis nous nous intéresserons à l’enjeu et aux procédés satiriques du texte. I- Un conte plaisant Tout d’abord, le recours au récit apparaît comme une façon de divertir le lecteur pour l’intéresser à sa cause. La construction de la fable elle-même, par succession d’étapes narratives propres au conte, semble mimer un genre florissant au XVIIème siècle. La Fontaine l’a pratiqué (en vers), comme ses contemporains Charles Perrault, Mme d’Aulnoy et d’autres nombreuses femmes-conteuses. La fable suit ainsi, en accéléré, le schéma narratif caractéristique des contes. A. Distanciation spatiale et temporelle Pour faire de sa fable un texte purement fictif, La Fontaine va se servir de différents moyens pour créer une distance avec la réalité de son temps. - distanciation spatiale par le recours à l’Orient mythique, encadrant la fable : « les Levantins » du premier vers appelant le « dervis » du v. 34 ; - distanciation temporelle : l’action se passe dans un temps lui aussi mythique : celui de la « légende » ; - distanciation avec la réalité et le monde sensible : la « légende » renvoyant à un univers fictif et souvent merveilleux ; « Ratopolis » (au vers 18) plongeant le récit à la fois dans la Grèce antique (formation du mot sur celui de la Cité grecque) et dans le bestiaire humanisé de La Fontaine. à univers fantaisiste, riche et divers pour brouiller les pistes. B. Personnification et caractère humain

Dans cette recherche du divertissement propre aux classiques (instruire et plaire), la personnification prend une place importante. Ainsi, le choix de transposer le monde des humains en monde animalier permet à La Fontaine de proposer

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un agrément de façade efficace. Les traits de la personnification : éléments de la double lecture (un rat humain, incarnation d’un caractère humain). C. Le conteur et son auditoire : dialogues L’art de La Fontaine est un art de la diversité et son objectif est de ne pas ennuyer son lecteur. Pour cela, il endosse le rôle du conteur, faisant dialoguer ses personnages, jouant de la versification tout en s’adressant à son auditoire.

Pour plaire, le récit doit être vivant, et La Fontaine trouve l’agrément dans l’art du dialogue.

- diversité du vers - conversation avec le lecteur [Transition] Les attributs du conte, la diversité qu’il amène et l’agrément qu’il propose, permettent une légèreté de façade favorisant cependant une profondeur du propos, une visée critique de la fable, une satire habile.

II- Une satire habile contre les moines En choisissant, pour incarner un moine, un rat, animal qui, dans ses Fables, est souvent stupide ou vantard, La Fontaine semble diriger la lecture vers une critique de l’état monastique. A. Un portrait peu élogieux Le moine-rat de la fable subit en effet un portrait féroce : - goinfrerie - égoïsme : euphémisation de la demande - misanthropie (en dépit d’une amorce de réponse qui laisse un espoir). B. L’ironie du moraliste La satire de La Fontaine passe par une ironie mordante. Si La Fontaine critique l’opportunisme du rat-moine, devenu « ermite nouveau » par gloutonnerie plus que par vocation religieuse, il le fait par opposition des paroles aux actes. Ainsi, à ses valeurs chrétiennes supposées (« dévot personnage ») s’opposent l’égoïsme et un refus d’assistance. Celui qui peut tant pour lui-même (« il fit tant, de pieds et de dents ») semble ne rien pouvoir faire pour les autres : d’ailleurs, son refus n’est pas tout à fait personnel puisqu’il s’efface derrière le pronom « il » qui semble excuser un autre que lui : « que peut-il faire ? » (v. 27) La Fontaine peut alors laisser libre cours à l’ironie par les antiphrases utilisées : outre le « dévot personnage » (v. 13), le « pauvre reclus » du vers 26 (alors qu’il semble profiter d’un certain confort) ou le « nouveau saint » (v. 31) permettent une certaine complicité avec un lecteur qui n’est pas dupe de la critique. La dénégation finale, qui fait passer la cible du moine au dervis, et la supposition qui clôt la fable, laisse planer le doute sur la charité des moines. La critique est cinglante, bien que sous-entendue, la charité des moines étant sérieusement contestée. C. Cible actuelle, cible éternelle La critique touche une partie du clergé catholique français (les moines), mais semble se généraliser à l’ensemble des religieux. Ainsi, la cible est à la fois très précise pour les contemporains de La Fontaine et s’étend à une critique plus globale de la religion. 23. Quels avantages présente le recours à l’argumentation indirecte dans Les Obsèques de la Lionne (VIII, 14) ? Analyse de la question et re-formulation : - avantages : ce qui est utile, profitable - argumentation indirecte : recours au récit pour faire passer un message à visée didactique, critique, morale… à En quoi le choix de l’argumentation indirecte est-il favorable au passage du message ? Quels avantages ?

- la séduction par le récit - le détournement de la censure / la possibilité de sauver sa peau - la possibilité de faire passer un message, une critique

I- Une avantageuse séduction par le récit en vers L’argumentation indirecte a pour principe de faire passer un message par l’agrément d’un récit : dans la fable inaugurale du livre VI des Fables, La Fontaine insiste sur ce fondement de l’apologue : « Le conte fait passer le précepte avec lui. » Ainsi, « Les Obsèques de la lionne » illustrerait, par les techniques narratives, aussi bien que par la variété de la versification, cet avantage de l’apologue qui permet de séduire par le récit. A. Attraits de la narration et du dialogue 1. La progression narrative (rebondissements, récit alerte…)

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- concision du récit : rapidité du récit (mort de la lionne > organisation des obsèques > obsèques > dénonciation du Cerf > défense du Cerf > fête) - récit guidé par un narrateur 2. Qui commente régulièrement son récit : - v. 5 : « Qui son surcroît d’affliction » (présent de vérité générale) - v. 10 : « Jugez si chacun s’y trouva » (ellipse) - v. 14 : « Les Lions n’ont point d’autre temple » (présent de vérité générale) - v. 17-24 : définition du courtisan (pause explicative, ralentissement du récit) - v. 30-31 : maxime, sentence : référence aux Proverbes de Salomon dans la Bible. - v. 32 : « Mais ce Cerf n’avait pas accoutumé de rire » 3. Qui dirige son récit : - v. 24 : « Pour revenir à notre affaire » (implication du lecteur ; fin de la digression) - v. 28 : « Bref » (adverbe) à Cela donne de la vivacité au récit. 4. Les paroles rapportées La Fontaine a apporté au genre court de la fable à la façon d’Ésope ou de Phèdre un moyen d’étoffer et de rendre vivante sa fable : les paroles des personnages. - le discours narrativisé des courtisans (v. 2 à 5) qui n’a pas besoin d’être développé pour être compris : banalités de la consolation. - le DIL du Roi (v. 6-10), qui montre la solennité de ses propos (à la fois repris et entendus) - le DI du flatteur-délateur : discours indirect, comme l’est la façon de dénoncer hypocritement. - le moment fort du récit, celui qui constitue une scène sur le plan narratif aussi bien que sur le plan théâtral, est celui du DD du lion et la réponse, selon les mêmes modalités, du cerf. à On peut ajouter à ces moyens de dynamiser le récit par la parole celle du narrateur qui intervient, comme dans un exposé, par le « je » v. 17 ainsi que la prise en compte du lecteur dans la morale (succession d’impératifs : « Amusez, flattez, payez » et présence du pronom « vous » v. 55). B. Diversité de la versification Mais La Fontaine ne se contente pas de rassembler tout ce qui fait l’agrément d’une histoire bien racontée ; il fait le choix des vers : celui de la diversité. 1. Le mètre au service du sens La Fontaine fait de l’hétérométrie un principe poétique de la diversité. Ainsi, il choisit l’alternance irrégulière des alexandrins et des octosyllabes, ce qui confère à sa fable une grande souplesse. Souvent, les alexandrins représentent une certaine gravité, une majesté que viennent rompre un octosyllabe, en même temps qu’il rompt le rythme. La métrique est alors au service du sens :

- mise en valeur Les octosyllabes des vers 27 et 29 succèdent à des alexandrins ; la rupture est nette et semble mettre en valeur à la fois la cruauté de la reine défunte et la traîtrise du courtisan.

- mimétisme des attitudes Les octosyllabes des premiers vers rendent compte de la vitesse avec laquelle les courtisans agissent et se rendent à leurs devoirs. (v. 2) : le mètre insiste sur l’aspect mécanique et servile du comportement des courtisans. L’alexandrin au vers 4 mime les devoirs liés aux funérailles, et insiste sur le même aspect servile et affecté (la diérèse sur « consolati-on » l’appuie encore) Mais l’alexandrin est surtout là pour accompagner le discours du lion (montrer sa majesté aux vers 34-35) aussi bien que l’octosyllabe dans ses propos souligne le caractère impérieux et autoritaire des ordres du roi (v. 36-38) 2. Jeux de rimes, jeux de vers De la même façon, certaines rimes ou certains effets métriques permettent d’appuyer le sens ou d’apporter une certaine fluidité. • Rimes : - v. 1-2 : « mourut / accourut » : agitation des vivants : comédie sociale qui se met en marche automatiquement. - définition par les rimes du Courtisan : v. 16-21 : « courtisans = gens indifférents (gens sans intérêt, sans importance) ballottés entre « être » et « parêtre » à cause de leur « maître » qui les empêche d’être sincères et honnêtes. - v. 30-31 : « Salomon » / « Lion » : Salomon, roi biblique d’Israël connu pour ses jugements pleins de sagesse ; le lion de la fable est arbitraire, juge sur délation, se venge. • Enjambements, rejets et contre-rejets : - ils rendent la fable fluide et cassent toute régularité des vers tout en faisant ressortir des effets de sens

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- v. 2-4 : enchaînement rapide (conforme à l’attitude des courtisans) - v. 6-10 : ordres du roi - v. 26-27 : mise en valeur par le contre-rejet de la cruauté de la reine - v. 35-36 : mise en valeur du roi-divin On le voit, La Fontaine, dans son choix de l’argumentation indirecte, choisit de mettre en œuvre des procédés de la variété et de la diversité, de façon à séduire son lecteur, tant par la richesse du rythme de son récit, que par les paroles rapportées, que par la fluidité des vers. C’est un avantage certain que l’apologue a sur l’argumentation directe, qui peut être pesante et indigeste. Par ce biais, indirectement, l’apologue permet de contourner bien des dangers. II- Une profitable contournement des dangers La Fontaine n’a jamais subi la censure royale. Sa liberté de ton aurait pu le mettre nombre de fois en danger. Mais Louis XIV semblait tolérer les Fables de La Fontaine, notamment en raison du peu de cas qu’il faisait du genre de la fable, noble bas et sans importance. Mais c’est dans le genre lui-même que La Fontaine trouve sa protection, sa couverture : la double lecture est toujours possible, mais le fabuliste aime à rappeler que ces fables sont des « badineries », des simples façons de faire parler des animaux. Dans ce texte, La Fontaine marque sa présence par un conseil cynique autant que par la présence de son double : le Cerf. A. Conseils pratiques et définition de la fable 1. Une morale dangereuse et effrontée : Comment se faire aimer des rois ? En leur mentant et en les flattant. - conseils donnés par des impératifs « Amusez, flattez, payez » - quels destinataire : les courtisans ? le commun des mortels ? - quelle cible ? « les rois » (façon de se protéger par la généralisation) 2. Définition de la fable comme un mensonge : - « agréables mensonges » - « songes » à idée d’irréalité (celle de l’apologue », agréable lui aussi et qui permet de faire passer bien des critiques) à impunité pour La Fontaine, grâce à ses fables. B. Le discours du cerf, double du fabuliste Le cerf contourne le danger (un danger de mort immédiate) par une fable (fable dans la fable v. 41-49) et par des voies qui sont celles du mensonges et de la parole à double sens. 1. Composition du discours du cerf : - il capte l’attention du roi (apostrophe respectueuse « Sire ») en allant à l’encontre des fausses consolations du début : « le temps des pleurs / Est passé » à parole choquante en plein enterrement - double sens : « la douleur est ici superflue » : il ne faut plus pleurer ou la reine ne mérite pas ces pleurs. - compliments, flatteries et valorisation : « votre digne moitié »… - euphémisme : « couchée entre des fleurs » - mise en valeur de sa personne et du lien d’amitié avec la reine : « je », « m’ », apostrophe « Ami » - prosopopée (figure de style qui consiste à faire parler les morts, ce qui constitue une sorte d’argument d’autorité) qui permet d’expliquer le comportement atypique du cerf. à Le cerf est ainsi un double du fabuliste : ils font tout deux de la littérature pour s’innocenter. Pourtant tous deux sont coupables : l’un ne respecte pas le protocole ; l’autre dénonce les vices du pouvoir. Si La Fontaine se protège par l’argumentation indirecte, c’est parce que ses fables, et particulièrement celle-ci, présentent une critique féroce du pouvoir et de la cour. III- Une critique féroce de la cour « Les Obsèques de la lionne » montrent une critique à la fois claire et explicite (le fabuliste dénonce en son nom l’attitude courtisane, montre dans la morale la crédulité des rois) et une critique implicite, qui est tout l’avantage de l’apologue. Ses cibles sont à la fois l’autorité de pouvoir royal et la servilité des courtisans. A. Nature autoritaire du pouvoir royal - convocation, réglage des moindres détails - roi au chagrin exagéré et démonstratif (hyperbole v. 12-13) ; terrible dans sa colère, arrogant et méprisant avec les faibles - roi cruel qui condamne arbitrairement et sur délation - roi sensible à la flatterie, qu’il récompense

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- formes impératives B. Servilité des courtisans - absence d’individualité propre : pronom indéfini « chacun » « chacun accourut », « chacun s’y trouva » ; « on » - emploi de termes collectifs : « la compagnie », « Messieurs les Courtisans » (emploi ironique de mépris), « la Cour », « peuple », « les gens », « mille corps » - la rapidité de leur réaction : « aussitôt » - comportement mimétique : emplois métaphoriques de « caméléon » et de « singe » (animalisation péjorative), « de simples ressorts » (déshumanisation) à la cour devient un mécanisme dont le courtisan est un rouage - rapprochement de termes singuliers et pluriels « les gens / Prince », « un esprit / mille corps » - l’homme de cour est changeant : antithèse – chiasme v.18 + rythme irrégulier et sautillant du vers - l’hypocrisie : v. 20 « parêtre » rime anti-sémantique et riche avec « être » Carnet de lecture et d’écriture 24. À la manière de La Fontaine, réécrivez en vers la fable d’Abstémius Le Lion et le Loup. Vous y ajouterez une morale à portée critique contre le pouvoir royal. Le Lion et le Loup d’Abstémius est un texte dont La Fontaine a fait usage pour ses fables, sans en garder toutefois ni l’intrigue originelle, ni la morale (Le Lion, le Loup et le Renard, VIII, 3). Voici cette fable : LeLoupetlerenardchassaientensemble.IlsforcèrentunCerfqu’ilsallaientpartager,lorsquesurvintleLion,quiprituntiersdelaproie,commeRoidesAnimaux.Leloupvouluts’yopposer.MaisleLionluienlevaentièrementlapeaudelatête.Àpeineput-ilgagnersongîte.Aprèscetteexpédition,leLionsetournaversleRenard,etluidemandas’ilvoulaitquelquechose?«MonRoi,réponditleRenard,jeconsensnonseulementquevouspreniezletiersduCerf,maisencorequevousl’emportieztoutentier.–Quit’aapprisàsibienparler,demandaleLion?–LebonnetrougequevousavezmisauLoup,moncompagnon»,luiréponditleRenard.Ilvautmieuxcéderunepartiedecequel’onpossède,quedeperdretout.

Traduction M. Pillot, 1814 Si l’on compare ce texte avec les vers de La Fontaine, on constate la sécheresse de cette prose, quand bien même le dialogue est présent. Il faut donc, pour cet exercice, écrire en vers cette fable, en ajoutant une morale dirigée contre le pouvoir royal. Exemple :

UnLoupetunRenard,tousdeuxdecompagnie,Chassaientunjourensembleenunboisreculé.Bienloindelacité,aucunneseplaignitD’êtredetoutimpôtainsidissimulé.Pointdecensàpayer,degabelleàlever,

Laproieseraitpoureux,Despiedsauboutdunez,Leurentierpot-au-feu.

Acentpattesdelàseprésenteunbeaucerf,Sévèrementcasqué.

«Attaquons!–Volontiers!»SilepremiersesertDesaférocité

Lesecond,plusrusé,plusmatois,plusfuté,Élaboreleplanqu’ilfautexécuter.IlsfirenttantquelepauvreActéonMourutsouslescoupsdeleurbarbarie.Proienouvelleàleurpanthéon,Bellebête,mafoi,pourleurgrosappétit.Al’heuredufestin,rêvantd’êtrerepus,Nosdeuxamisgloutonssontlorsinterrompus

ParunLion.Jugezalorsleurémotion!Rattrapésparlefisc,saisisparlafinance,Lesvoilàempêchésdejouirdetoutleurbien.

«UntierspourlaRégence!C’estuntoutpetitrien…»,

S’écrielepuissantLion.MaisleLoups’interpose,

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Sortlescrocs,sortlesgriffes.SireLions’avanceetd’ungesteagressifSurlatêteduLoupsoudainementilposeSapattegriffue.Avecelleilretire–ohsanglantecagoule!L’entièrepeaudenotreamileLoupQuis’enfuitenhurlantloindesbois,loindetout,Répandantaprèsluiunsangnoirquis’écoule.Lerenard,spectateurdecethorribledrame,SetourneversleLion,seprosterneetluidit:«Seigneur,untiersdel’animalquibrameEstunprélèvementbientroppetit. Prenezletout. Jen’aipasfaim.»IlnefautpasjouerauplusfinAveccegenredematous.Touslesroissontsemblablesàcelionavide:Ilsprennentsurnosbiensjusqu’aumoindrecentimePourremplirdescoffretsque,d’unairmagnanime,

Ilsvident.

Expression orale Exposé sur un texte 25. Effectuez l’explication linéaire de La Cour du Lion (VII, 6). On peut définir trois mouvements : v. 1-14 : l’invitation du lion v. 15-32 : le carnage et la prudence v. 33-36 : la moralité Des axes de lecture possibles : I. L’art de la fable : simplicité et variété II. La critique de la cour et du pouvoir royal III. L’ironie comme arme critique Pour les commentaires linéaires, on commence par rassembler, ligne à ligne, le matériau nécessaire à l’analyse. 26. Donnez la nature et la fonction des propositions subordonnées dans la phrase des vers 7 à 11. La phrase à étudier est la suivante : « L’écrit portait / [Qu’un mois durant le roi tiendrait / Cour plénière], [dont l’ouverture / Devait être un fort N : Proposition subordonnée conjonctive complétive N : Proposition subordonnée relative F : COD du verbe « portait » F : Complément de l’antécédent « cour plénière » grand festin, / Suivi des tours de Fagotin]. » Entretien sur l’œuvre au programme 27. Quelle idée les Fables donnent-elles des relations conjugales au XVIIe siècle ? Dans les Fables des livres VII à XI, on trouve quelques fables mettant en scène des hommes et des femmes dans le cadre de la vie conjugale. Le mal Marié (VII, 2), montre l’union impossible entre un mari et sa femme « querelleuse, avare, et jalouse » (v. 14). Elle est si désagréable qu’il la chasse du foyer. La Fontaine, dans les premiers vers de la fable, en fait un hymne contre le mariage ; Dans La Fille (VII, 4), on n’a pas une idée de ce que donnera le mariage entre la fille et le « malotru » (v. 77), mais on ne peut guère avoir d’espoir à ce sujet ; La Laitière et le pot au lait (VII, 9) laisse supposer la violence conjugale (« En grand danger d’être battue », v. 27) et la soumission de la femme à son époux ; Les Femmes et le secret (VIII, 6) dénonce l’indiscrétion des femmes (et de certains hommes) et montre leur bêtise supposée, facilement jouées par leur mari ; Dans Le Mari, la Femme et le Voleur (IX, 15), La Fontaine montre le difficile quotidien des époux amoureux d’une femme qui ne l’est guère. Les mariages arrangés en sont peut-être la cause.

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Dans les Fables, l’image des relations conjugales est assez négative. La Fontaine était mal marié et reporte peut-être cette frustration sur ses personnages. Il prône, en tout cas, la retraite et la solitude. PATRIMOINE 28. Recherchez des œuvres littéraires ayant pour personnages des animaux servant à la critique des hommes. Parmi les nombreuses œuvres littéraires ayant pour personnages des animaux servant à la critique des hommes, on peut citer : - le Roman de Renart ; - Alice au Pays des Merveilles de Lewis Carroll ; - La Métamorphose de Kafka ; - Mémoires d’un Rat de Pierre Chaine ; - La Ferme des animaux de George Orwell ; - La Fameuse Invasion de la Sicile par les Ours de Dino Buzzatti ; - Truismes de Marie Darrieussecq. À partir de ces quelques titres, on pourra en proposer aux élèves la lecture, ainsi qu’une présentation succincte de l’intrigue et des principaux aspects critiques et satiriques.

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Séance � Imagination et pensée ► LIVRE ÉLÈVE P. 203 LECTURE Lecture du texte Lecture d’ensemble 1. Relevez, au fil de votre lecture, les morales qui sont restées dans le langage de tous les jours. Dans les livres VII à XI, on trouve des phrases restées célèbres : - Les Animaux malades de la peste (VII, 1) : « Selon que vous serez puissant ou misérable / Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir » ; - Le Héron (VII, 4) : « On hasarde de perdre en voulant trop gagner » ; - Le Rat et l’Huître (VIII, 9) : « Tel est pris qui croyait prendre » ; - L’Horoscope (VIII, 16) : « On rencontre sa destinée / Souvent par des chemins qu'on prend pour l'éviter » ; - L’Âne et le Chien (VIII, 17) : « Il se faut entraider, c'est la loi de nature » ; - L’avantage de la Science (VIII, 19) : « Laissez dire les sots, le savoir a son prix » ; - Le Milan et le Rossignol (IX, 17) : « Ventre affamé n'a point d'oreilles ». Certains vers, moins connus, mériteraient de l’être, constats, conseils avisés ou art de vivre : - La cour du Lion (VII, 7) : « Ne soyez à la cour, si vous voulez y plaire, / Ni fade adulateur, ni parleur trop sincère, / Et tâchez quelquefois de répondre en Normand » ; - Les Vautours et les Pigeons (VII, 8) : « Tenez toujours divisés les méchants » ; - La Mort et le Mourant (VIII, 1) : « La Mort ne surprend point le sage ; / Il est toujours prêt à partir, / S'étant su lui-même avertir / Du temps où l'on se doit résoudre à ce passage » ; - Le pouvoir des Fables (VIII, 4) : « Le monde est vieux, dit-on : je le crois ; cependant / Il le faut amuser encor comme un enfant » ; - Les Femmes et le secret (VIII, 6) : « Rien ne pèse tant qu'un secret : / Le porter loin est difficile aux dames ; / Et je sais même sur ce fait / Bon nombre d'hommes qui sont femmes » ; - L’Ours et l’Amateur des jardins (VIII, 10) : « Rien n'est si dangereux qu'un ignorant ami ; / mieux vaudrait un sage ennemi » ; - Les deux Amis (VIII, 11) : « Qu'un ami véritable est une douce chose ! » - Le Cochon, la Chèvre et le Mouton (VIII, 12) : « Quand le mal est certain, / La plainte ni la peur ne changent le destin ; / Et le moins prévoyant est toujours le plus sage » ; - Le Torrent et la Rivière (VIII, 23) : « Les gens sans bruit sont dangereux / Il n'en est pas ainsi des autres » ; - Le Statuaire et la Statue de Jupiter (IX, 6) : « Chacun tourne en réalités, / Autant qu'il peut, ses propres songes : / L'homme est de glace aux vérités ; / Il est de feu pour les mensonges » ; - Rien de trop (IX, 11) : « […] Rien de trop est un point / Dont on parle sans cesse, et qu'on n'observe point » ; - La Tortue et les deux Canards (X, 2) : « Imprudence, babil, et sotte vanité, / Et vaine curiosité, / Ont ensemble étroit parentage. / Ce sont enfants tous d'un lignage » ; - L’Enfouisseur et son Compère (X, 4) : « Il n'est pas malaisé de tromper un trompeur » ; - Les deux Perroquets, le Roi et son Fils (X, 11) : « L'absence est aussi bien un remède à la haine / Qu'un appareil contre l'amour ; - Les deux Aventuriers et le Talisman (X, 13) : « Aucun chemin de fleurs ne conduit à la gloire ». Il ne serait pas inutile de faire rechercher également les morales et phrases restées célèbres des premières Fables, souvent étudiées au collège : Par exemple : - Le Corbeau et le Renard (I, 1) : « Apprenez que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l'écoute » ; - Le Loup et l’Agneau (I, 10) : « La raison du plus fort est toujours la meilleure » ; - Les Frelons et les Mouches à miel (I, 21) : « À l'œuvre on connaît l'artisan » ; - Le Lion et le Rat (II, 11) : « On a souvent besoin d'un plus petit que soi » ; « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage » ; - Le Renard et le Bouc (III, 5) : « En toute chose il faut considérer la fin » ; - Le Chat et un vieux Rat (III, 18) : « La Méfiance est mère de la sûreté » ; - Le Lion amoureux (IV, 1) : « Amour, Amour, quand tu nous tiens, / On peut bien dire : ‟Adieu prudence” » ; - Le petit Poisson et le Pêcheur (V, 3) : « Petit poisson deviendra grand / Pourvu que Dieu lui prête vie » ; « Un tiens vaut, ce dit-on, mieux que deux tu l'auras » ; - Le Laboureur et ses Enfants (V, 9) : « Travaillez, prenez de la peine : / C'est le fonds qui manque le moins » ;

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- Le Cochet, le Chat et le Souriceau (VI, 5) : « Garde-toi, tant que tu vivras, / de juger les gens sur la mine » ; - Le Lièvre et la Tortue (VI, 10) : « Rien ne sert de courir, il faut partir à point » ; - Le Chartier embourbé (VI, 18) : « Aide-toi, le ciel t'aidera ». 2. Étudiez le rôle du langage dans le livre VIII des Fables. Quelle fable du livre XI fait l’éloge de l’éloquence ? Le langage, la parole, la voix sont des thématiques importantes des Fables : le dialogue y est omniprésent et nombre de personnages se sortent des situations embarrassantes grâce aux mots. La parole est d’abord une arme, comme le montre Le Lion, le Loup et le Renard (3) : la perfidie du loup, qui dénigre auprès du roi le renard, est vengée par des mots : le renard en effet se justifie et fait tuer le loup par le lion, en prétextant que sa peau sera un remède à son mal. C’est également une manière d’agir sur les foules comme dans Le Pouvoir des Fables (4), de manipuler et d’agir sur les autres : dans « Le Rieur et les Poissons » 8), l’homme, par sa plaisanterie, arrive à ses fins ; dans Les Obsèques de la Lionne (14), le Cerf se sort d’une mort assurée en payant le lion de bons mots, de flatteries et de mensonges ; dans Le Bassa et le Marchand (18), le bassa convainc par ses arguments et l’apologue qu’il conte. La voix peut être « traîtresse » (v. 1) dans Le Faucon et le Chapon (21) et le chapon, par peur de mourir, préfère ne pas faire confiance à la voix de son bourreau. Enfin, le langage est dénaturé dans Les Femmes et le Secret (6) puisqu’une parole tient lieu de vérité et est amplifiée à outrance. Dans le livre XI, Le Paysan du Danube (7) fait l’éloge de l’éloquence : on admire « l’éloquence / Du sauvage » (v. 86-87) qui en tire de grands biens. On veut même se servir de lui comme modèle d’éloquence : « Le Sénat demanda ce qu’avait dit cet homme, / Pour servir de modèle aux parleurs à venir » (v. 91-92). Livres VII à XI Imagination 3. Quel est le rôle de l’imagination dans La Laitière et le pot au lait (VII, 9) ? L’imagination, dans cette fable, a une double place : présente au cœur de l’histoire de Perrette, elle est ensuite longuement analysée dans la morale. Dans la fable, on entre dans la pensée de Perrette (dès le vers 8). L’adverbe « déjà » (v. 8) souligne la fertilité de l’imagination de la jeune fille. Suit une série d’actions, marquée par la rapidité et l’ellipse : on passe très rapidement (deux vers) du lait à une « triple couvée » (v. 10). L’imparfait employé suggère l’inachèvement des actions. Commence alors, v. 12 à 21, un monologue intérieur qui établit, dans la tête de la jeune femme, la succession de ses achats assurant sa prospérité. On notera l’emploi du futur (« sera », v. 14 ; « coûtera », v. 16 ; « aurai », v. 18, etc.) pour évoquer ces projections. On passe ainsi rapidement des poulets au cochon, du cochon à la vache et son veau… jusqu’au « troupeau » (v. 21). Les dangers sont envisagés (« le renard », v. 14-15), comme ce qu’il en coûtera (champ lexical de l’argent). Dans ce rêve éveillé, on notera l’intéressant emploi du passé, au vers 17 : « Il était quand je l’eus de grosseur raisonnable », actant comme une réalité cette acquisition. Dans la seconde partie du texte, v. 30-43, l’imagination est analysée. Elle est présente : - sous la forme d’expressions : « ba[ttre] la campagne » (v. 30) ; « fai[re des] châteaux en Espagne » (v. 31) ; - par l’évocation de personnages ambitieux « Picrochole, Pyrrhus » (v. 32). La Fontaine analyse la rêverie (« Chacun songe en veillant », v. 34), comme un acte commun à tous les hommes. Loin de la condamner, il montre quel bien elle apporte (« il n’est rien de plus doux », v. 34) et comment cette « flatteuse erreur » gonfle l’égo et fait du bien à l’amour-propre. Rien n’est impossible : richesse (« tous les biens du monde », « honneurs », « femmes » (v. 35-36). Il livre même une expérience personnelle, confiant ses propres rêves de gloire (v. 38-41) avant la chute fatale qui ramène au réel : « Je suis Gros-Jean comme devant » (v. 43). 4. P. 100-102, v. 40-91 : comment s’opposent raison et imagination dans Le Dépositaire infidèle (IX, 1) ? Dans cette fable, La Fontaine dénonce l’absurdité des exagérations et des renchérissements, que ce soit par ruse ou par vantardise. La première histoire racontée est celle d’un commerçant qui, ayant déposé du fer chez son voisin, ne peut le récupérer, le voisin prétendant qu’un Rat l’a dévoré. Cette impossibilité, qu’il qualifie de « prodige » (v. 52) se heurte donc à la raison : l’homme « feint de le croire » (v. 52). Pour se venger, le commerçant kidnappe le fils de son voisin et, le voyant éploré, lui dit qu’il a vu son fils enlevé par un chat-huant. Là encore, l’histoire est incroyable, volontairement : « Comment voulez-vous que je croie / Qu’un hibou pût jamais emporter cette proie ? » (v. 64-65). L’autre lui répond, moqueur : « Faut-il que vous trouviez étrange / Que les chats-huants d’un pays / Où le quintal de fer par un seul rat se mange, / Enlèvent un garçon pesant un demi-cent ? » (v. 71-74). Le mensonge est lié à l’imagination, mais quand il est trop gros, trop incroyable, il se heurte à la raison. La seconde histoire est plus anecdotique : elle concerne une exagération sans conséquences d’un voyageur qu’un autre refuse de combattre par des arguments : il préfère renchérir afin de lui montrer l’absurdité de ce qu’il avance : « Quand l’absurde est outré, l’on lui fait trop d’honneur / De vouloir par raison combattre son erreur ; / Enchérir est plus court » (v. 89-91).

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5. De quelle manière La Fontaine traite-t-il du pouvoir de l’imagination dans Le Statuaire et la Statue de Jupiter (IX, 6) ? Dans cette fable, l’imagination du sculpteur est montrée comme illimitée : devant un bloc de marbre, il a tout pouvoir créateur : « Qu’en fera […] mon ciseau ? / Sera-t-il dieu, table ou cuvette ? » (v. 3-4). Le futur souligne cette réalité en devenir : « Il sera dieu » (v. 5). Il réussit si bien son Jupiter qu’il se met à en avoir peur (v. 15-16). La Fontaine poursuit en prétendant que l’imagination des hommes, des poètes, a créé les dieux (v. 19-20) et que l’humanité entière s’est prise au jeu de cette invention (v. 25-28). Dans le dernier quatrain, il oppose le réel à l’imaginaire. Destin et revers de fortune 6. Quelle réflexion porte La Fontaine sur le destin et l’art de le prédire dans L’horoscope (VIII, 16) ? L’horoscope débute par une morale, illustrée par l’apologue, et qui est reprise au début du commentaire que fait le fabuliste au sujet du destin et de l’astrologie : « On rencontre sa destinée / Souvent par des chemins qu’on prend pour l’éviter » (v. 1) équivaut en effet à « cet art […] fait tomber dans les maux / Que craint celui qui le consulte » (v. 56-57). La Fontaine émet immédiatement une réserve sur l’existence d’une telle science : « s’il est vrai » (v. 56), ce qu’il réfute quelques vers plus loin : « je […] maintiens qu’il est faux » (v. 58). Pour lui, le destin ne peut pas être inscrit (« Je ne crois pas que la nature / Se soit liée les mains », v. 59-60) car tout dépend du hasard, « d’une conjecture / de lieux, de personnes, de temps » (v. 62-63). Qu’on prétende que le destin (ou Jupiter) ait décidé du roi et du berger lui paraît une idée non recevable car le monde est si vaste et si rempli d’atomes minuscules qu’il est impossible à quiconque d’influencer cette matière : « L’immense éloignement, le point, et sa vitesse, / Celle aussi de nos passions / Permettent-ils à leur faiblesse / De suivre pas à pas toutes nos actions ? » (v. 79-82). L’astrologie est donc une imposture de « charlata[n] » (v. 64), un art « aveugle et menteur » (v. 90) qui profite parfois des hasards. 7. Comment La Souris métamorphosée en Fille (IX, 7) illustre-t-elle la force du destin ? Dans cette fable, une souris métamorphosée par un sorcier en fille finit par choisir pour époux un rat. La Fontaine conclut : « On tient toujours du lieu dont on vient » (v. 48) et ajoute, dans les quatre vers qui terminent le poème : « Il en faut revenir toujours à son destin / C’est-à-dire, à la loi par le Ciel établie. / Parlez au diable, employez la magie, / Vous ne détournerez nul être de sa fin » (v. 77-80). La souris-fille aurait pu prendre pour mari le soleil, le nuage, le vent, la montagne, mais elle a été poussée vers le rat (v. 43-44). 8. Quels tours joue la « déesse inconstante » (p. 127, v. 36) dans la fable Le Trésor et les Deux Hommes (IX, 16) ? La « déesse inconstance », la Fortune, qui symbolise le destin et la fatalité, change le destin de deux hommes : l’un miséreux qui, en voulant se pendre, tombe sur un trésor, l’autre, propriétaire du trésor, un « avare » (v. 29), qui, voyant que l’argent a disparu préfère se pendre avec la corde que l’autre avait laissée. La Fontaine estime que la Fortune a fait « du troc » (v. 33), ayant décidé qu’un homme se pendrait, elle choisit celui qui s’y attendait le moins. Là encore, La Fontaine insiste sur la destinée, étrange (« bizarre », v. 35), à laquelle il faut se soumettre. Pensée 9. Expliquez la raison de la visite d’Hippocrate à Démocrite dans la fable Démocrite et les Abdéritains (VIII, 26). Qu’est-ce qui oppose le philosophe et le peuple d’Abdère ? Les habitants d’Abdère invitent Hippocrate à visiter Démocrite parce qu’ils le croient fou : « Son pays le crut fou » (v. 6), « Sa folie est extrême » (v. 25). On le voit parler tout seul (v. 24). Hippocrate est censé « venir rétablir la raison du malade » (v. 12). Pour eux, l’infinité des nombres (v. 16), la théorie de l’atome (v. 19-21) n’est pas compréhensible et ils le prennent pour de la démence. Hippocrate ne met pas longtemps à comprendre qu’il est loin d’être fou… Folie 10. Quelle place La Fontaine fait-il à la folie dans ses fables ? Le thème de la folie est présent dans les Fables de La Fontaine. Le fabuliste en fait une catégorie sociale souvent associée aux sages : « Autant les sages que les fous » (VII, 9, v. 33), « Sages, fous, enfants, idiots » (IX, Discours, v. 222). Au début du livre IX, parlant de la fable, La Fontaine parle de la diversité de ses personnages : « Les uns fous, les autres sages / De telle sorte pourtant / Que les fous vont l’emportant » (IX, 1, v. 9-11). La folie des personnages est parfois dans leurs actions : le cierge se lance dans la flamme par « pure folie » (IX, 12, v. 14) : il n’a pas raisonné, ne sachant « grain de philosophie » (v. 16). Le pigeon qui veut voyager est « assez fou pour entreprendre / Un voyage en lointain pays » (IX, 2, v. 3-4). Il paiera son manque de prévoyance au prix de quelques plumes. Certains personnages sont pris pour fous alors qu’ils sont sages : c’est le cas de Démocrite, incompris à son époque (« Son pays le crut fou », « Sa folie est extrême », VIII, 26, v. 6 et 25). Un autre pourrait devenir « fou » de solitude (l’ours dans

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la fable 10 du livre VIII). On sent une sympathie pour les fous de la part de La Fontaine : « on a pour les fous / Plus de pitié que de courroux », écrit-il aux vers 9 et 10 de « L’Homme qui court après la Fortune et l’Homme qui l’attend dans son lit » (VII, 11). Enfin, un véritable dément est le personnage principal d’une fable : « Le Fou qui vend la sagesse » (IX, 7). La recommandation est claire : ne pas s’approcher des fous. La Fontaine raconte l’histoire d’un fou qui piège les crédules (plus fous que lui ?) et leur vend un morceau de ficelle en leur donnant une gifle. Finalement on comprend que la sagesse vendue par le fou est la distance de ficelle vendue pour être tenu à distance des fous. Amour-propre 11. De quelle manière la question de l’amour-propre est-elle traitée dans Le Lion, le Singe et les deux Ânes (XI, 5) ? L’amour-propre, qu’on appellerait aujourd’hui plus facilement l’« ego », est vu dans la fable de La Fontaine comme « le père, / […] l’auteur de tous les défauts » (v. 10-11). Le Singe met ainsi en garde de Lion contre les méfaits de l’amour-propre, qui fait passer sa propre personne avant les intérêts de l’État : « pour régner sagement / Il faut que tout prince préfère / Le zèle de l’État à certain mouvement / Qu’on appelle communément / Amour-propre » (v. 6-10). Le Singe explique qu’il est difficile de ne pas lui donner la priorité et qu’il est déjà bien de vouloir le diminuer : « C’est beaucoup de pouvoir modérer cet amour » (v. 16). Cela permettra au monarque de n’être ni ridicule ni injuste (v. 18-19). La fable développe alors prudemment le premier point : comment l’amour-propre évite le ridicule (le Singe se garde bien, devant la cruauté supposée du roi, de traiter l’autre point, v. 71-74). Il donne alors l’exemple de deux ânes qui se croient supérieurs, en intelligence et pour la beauté de leur chant, aux hommes. Le thème de l’amour-propre est traité par l’un des amis de La Fontaine, le moraliste La Rochefoucauld à qui il s’adresse dans le « Discours » du livre X. Dans ses Maximes et réflexions morales (en 1678), il parle abondamment du sujet : 2 « L’amour-propre est le plus grand de tous les flatteurs » ; 3 « Quelque découverte que l’on ait faite dans le pays de l’amour-propre, il y reste encore bien des terres inconnues » ; 4 « L’amour-propre est plus habile que le plus habile homme du monde » ; 13 « Notre amour-propre souffre plus impatiemment la condamnation de nos goûts que de nos opinions » ; 83 « Ce que les hommes ont nommé amitié n’est qu’une société, qu’un ménagement réciproque d’intérêts, et qu’un échange de bons offices ; ce n’est enfin qu’un commerce où l’amour-propre se propose toujours quelque chose à gagner » ; 88 « L’amour-propre nous augmente ou nous diminue les bonnes qualités de nos amis à proportion de la satisfaction que nous avons d’eux ; et nous jugeons de leur mérite par la manière dont ils vivent avec nous » ; 324 « Il y a dans la jalousie plus d’amour-propre que d’amour » ; 339 « Nous ne ressentons nos biens et nos maux qu’à proportion de notre amour-propre » Maximes supprimées : « L’amour-propre est l’amour de soi-même, et de toutes choses pour soi ; il rend les hommes idolâtres d’eux-mêmes, et les rendrait les tyrans des autres si la fortune leur en donnait les moyens ; il ne se repose jamais hors de soi, et ne s’arrête dans les sujets étrangers que comme les abeilles sur les fleurs, pour en tirer ce qui lui est propre » ; « Le premier mouvement de joie que nous avons du bonheur de nos amis ne vient ni de la bonté de notre naturel, ni de l’amitié que nous avons pour eux ; c’est un effet de l’amour-propre qui nous flatte de l’espérance d’être heureux à notre tour, ou de retirer quelque utilité de leur bonne fortune » ; « L’amour-propre empêche bien que celui qui nous flatte ne soit jamais celui qui nous flatte le plus » ; « Dieu a permis, pour punir l’homme du péché originel, qu’il se fît un dieu de son amour-propre pour en être tourmenté dans toutes les actions de sa vie ». Question de synthèse 12. Comment le Discours à Mme de La Sablière et la fable qui le suit (IX, 20) permettent-ils de montrer la littérature est la jonction entre pensée et imagination ? Dans ce discours, La Fontaine montre qu’il mélange dans la fable des éléments de réflexion, de la philosophie de l’époque : « j’entremêle des traits / De certaine philosophie / Subtile, engageante et hardie » (v. 25-27). Si le texte adressé à Mme de La Sablière est théorique, du côté de la pensée. Pourtant, afin de faire comprendre les idées qu’il y exprime, le fabuliste a recours à des exemples qui sont du domaine de la fiction imaginative, même si les faits sont tirés du réel. La fable qui suit le discours mêle imagination (la première partie de la fable) et réflexion (la seconde partie, qui est une reprise des idées du discours). Lecture d’image 13. Qu’est-ce qu’une eau-forte ? L’eau-forte est un type de gravure lié à un procédé chimique. L’aquafortiste utilise un mordant chimique tel que l’acide nitrique. Sur une plaque en métal (cuivre ou zinc), on étale un vernis résistant au produit chimique utilisé. Le dessin est

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exécuté sur ce vernis qui est ainsi retiré. La plaque est ensuite plongée dans le bain d’acide qui creuse ainsi l’espace où le vernis a disparu. Le reste du vernis est alors retiré et la plaque encrée pour donner l’eau-forte. Pour voir la technique de l’aquatinte (autre nom de l’eau-forte), suivre ce lien : https://www.youtube.com/watch?v=_t4AuraeHeU 14. De quelle manière est représentée l’imagination de la laitière ? Sur cette eau-forte d’Auguste Delierre, l’imagination de Perrette est montrée par la fumée qui s’élève au-dessus d’elle et qui s’échappe du pot au lait. Dans cette fumée qui monte vers les cieux se trouvent les rêves de la laitière, un troupeau de mouton et des volatiles. Elle-même semble dans une position de rêverie, alors qu’elle est étendue par terre à cause d’une chute.

Eau-forte d’Auguste Delierre illustrant La laitière et le pot au lait, 1883 (Gallica)

15. Recherchez d’autres illustrations de cette fable et comparez-les. Il existe de nombreuses illustrations de la fable de La Fontaine.

Gustave Doré Grandville Marc Chagall

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François Chauveau Jean-Baptiste Oudry Benjamin Rabier

Ces six illustrations ne sont qu’un petit échantillon des nombreuses manières qu’ont eues les illustrateurs de La Fontaine, que ce soit pour l’édition de ses Fables, pour des jeux de cartes ou des publicités (sur des boîtes de camembert, notamment). On a même détourné dans un but satirique ces fables, en 1939, pour en faire un pamphlet contre Hitler. Ce qu’on remarque, c’est que toutes – hormis celle de Chagall – se concentrent sur l’accident et le constat de ses conséquences. Les réactions de Perrette sont différentes, de la stupeur (Rabier) à la profonde tristesse (Doré). De même, toutes ou presque ont pour point commun la fermette qui se trouve à l’horizon, parfois accompagnée des animaux que la laitière rêve d’élever. Chez Oudry, la ferme se trouve côte à côte avec le donjon d’un château, marquant l’aboutissement des rêves de la jeune femme. Si Chauveau saisit Perrette dans son élan d’enthousiasme et Oudry dans sa chute, le mouvement est souvent présent par le lait qui se répand. Enfin, les rêves de la laitière sont souvent placés en haut de l’illustration, parfois dans les nuages symbolisant ses chimères (Chagall, Rabier). Étude de la langue Lexique 16. Dans Le fou qui vend la sagesse (IX, 8), relevez les différentes manières de désigner les fous, puis trouvez des synonymes du terme. Hormis les désignations directes (« fous », v. 1 ; « fol », v. 8 ; « fou », v. 21 et « gens fous », v. 28), on trouve deux expressions : « une tête éventée » (v. 4) et « un cerveau blessé » (v. 22). Synonymes du mot « fou » : aliéné, dément, déséquilibré, dingue, forcené, insensé, malade mental, psychopathe… Au registre familier, on en trouve une multitude : toqué, timbré, tapé, maboul, marteau, louf, jobard, givré, frappé, foldingue, dingo, fada, barjo, braque, brindezingue, cinoque, etc. 17. Cherchez l’étymologie du mot « raison » (p. 115, v. 20). Le mot « raison » vient du latin « rationem », du verbe « reri » signifiant « compter, penser ». le sens du mot « ratio » est d’abord arithmétique. Au Moyen âge, ce sens s’affaiblit au profit de rapport de conformité d’une chose avec la vérité et la réalité. Il désigne ensuite les facultés intellectuelles. Stylistique 18. Commentez les rimes de la dernière strophe de la fable Le statuaire et la statue de Jupiter (IX, 6). Les rimes finales de cette fable sont particulièrement intéressantes, le texte évoquant les rapports de l’homme aux pouvoirs de l’imagination, étant capable de se créer des dieux, comme le statuaire effrayé de la statue de Jupiter qu’il vient de sculpter. Dans la dernière strophe, « réalités » rime avec « vérités », « songes » avec « mensonges ». Les rimes sont riches (3 sons en commun), mais elles sont également riches de sens, faisant alterner les éléments de ce qui existe réellement et les apparences. La Fontaine souligne ainsi la capacité de l’homme à croire à des illusions, alors qu’il se montre fermé à la vérité, ou qu’il cherche à modifier le réel. 19. Dans la même fable, relevez les mots qui évoquent l’imagination. Si « songes » (v. 34) et « mensonges » (v. 36) sont des représentants de l’imagination (imagination des rêves, des illusions, et des histoires inventées), on trouve dans le texte d’autres mots qui évoquent l’illusion ou l’invention. Tout d’abord, dès la première strophe, on comprend que l’imagination créatrice est dans les ciseaux du sculpteur qui peut faire ce qu’il veut de son bloc de marbre « Sera-t-il dieu, table ou cuvette ? » (v. 4). Optant pour un dieu, il en imagine la posture (« je veux / Qu’il ait en sa main un tonnerre », v. 5-6). L’art consiste à exprimer l’imagination (il « exprima si bien / Le caractère de

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l’idole », v. 10). Le mot « idole » en tant que représentation imagée d’une divinité, est un terme évoquant l’imagination. Au vers 14, on trouve le mot « image », au vers 30 le mot « chimère ». On peut même considérer que le « cœur », opposé, au vers 25, à « l’esprit », comme un synonyme de l’imagination. Grammaire 20. Dans Le Coche et la Mouche (VII, 8), relevez aux vers 1-6 les verbes : identifiez leur mode, leur temps et leur valeur. On relève 7 verbes conjugués entre les vers 1 à 6 du « Coche et la mouche ».

VERBE MODE TEMPS VALEUR tiraient indicatif imparfait action de second plan, inachevée était descendu indicatif plus-que-parfait antériorité suait indicatif imparfait action de second plan, inachevée, actions successives soufflait indicatif imparfait action de second plan, inachevée, actions successives était indicatif imparfait action de second plan, inachevée, actions successives survient indicatif présent narration s’approche indicatif présent narration

21. Pour la même fable, réécrivez les vers 6 à 19, en remplaçant les verbes au présent par le temps du passé qui convient, en respectant la concordance des temps. Unemouchesurvint,etdeschevauxs'approcha;Prétenditlesanimerparsonbourdonnement;Piqual'un,piqual'autre,etpensaàtoutmomentQu'ellefaisaitallerlamachine,S'assitsurletimon,surlenezduCocher;Aussitôtquelecharchemina,Etqu'ellevitlesgensmarcher,Elles'enattribuauniquementlagloire;Alla,vint,fitl'empressée;ilsembla/semblaitquecefûtUnsergentdebatailleallantenchaqueendroitFaireavancersesgens,ethâterlavictoire.LamoucheencecommunbesoinSeplaignitqu'elleagissaitseule,etqu'elleavaittoutlesoin;Qu'aucunn'aidaitauxchevauxàsetirerd'affaire. 22. P. 83, v. 9-16 ; p. 94, l. 19-33 ; p. 137, v. 163 ; p. 145, v. 22-25 : étudiez l’interrogation dans ces extraits. Toutes les questions de ces extraits sont directes : p. 83, v. 9-10 : « pourquoi révérer / Des biens dépourvus de mérite ? » p. 83, v. 15 : « tenez-vous table ? » p. 83, v. 16 : « Que sert à vos pareils de lire incessamment ? » p. 94, v. 19 : « Est-ce un bœuf, un cheval ? » p. 94, v. 20 : « Hé qu’importe quel animal ? » p. 94, v. 33-34 : « Combien fait-il de vœux, combien perd-il de pas ? / S’outrant pour acquérir des biens ou de la gloire ? » p. 137, v. 163 : « qui la guide ? » p. 145, v. 22 : « D’où vous vient cet avis ? » p. 145, v. 22 : « Quel est votre garant ? » p. 145, v. 23 : « Êtes-vous sûr de cette affaire ? » p. 145, v. 24 : « N’y savez-vous remède ? » p. 145, v. 24 : « Et qu’est-il bon de faire ? » p. 145, v. 25 : « Comment le ferons-nous ? » • L’interrogation directe se fait par inversion du sujet et du verbe : p. 83, v. 15 : « tenez-vous table ? », p. 94, v. 19 : « Est-ce un bœuf, un cheval ? », p. 145, v. 23 : « Êtes-vous sûr de cette affaire ? », p. 145, v. 24 : « N’y savez-vous remède ? ». • À cette inversion sujet-verbe peut s’ajouter l’emploi d’un mot interrogatif, comme l’adverbe interrogatif (« pourquoi, comment, combien) : p. 83, v. 9-10 : « pourquoi révérer / Des biens dépourvus de mérite ? », p. 94, v. 33-34 : « Combien fait-il de vœux, combien perd-il de pas ? / S’outrant pour acquérir des biens ou de la gloire ? », p. 145, v. 25 : « Comment le ferons-nous ? ». • Les pronoms interrogatifs (qui, que, quel, d’où) permettent également de poser directement une question : p. 83, v. 16 : « Que sert à vos pareils de lire incessamment ? », p. 137, v. 163 : « qui la guide ? », p. 145, v. 22 : « D’où vous vient cet avis ? », p. 145, v. 22 : « Quel est votre garant ? », p. 145, v. 24 : « Et qu’est-il bon de faire ? ».

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• Le déterminant interrogatif peut également servir dans une interrogation directe : p. 94, v. 20 : « Hé qu’importe quel animal ? ». On peut également étudier la portée de l’interrogation. Certaines interrogations sont totales (on peut y répondre par oui ou par non). D’autres sont partielles. Interrogations totales : p. 83, v. 15 : « tenez-vous table ? », p. 145, v. 23 : « Êtes-vous sûr de cette affaire ? », p. 145, v. 24 : N’y savez-vous remède ? ». Interrogations partielles : p. 83, v. 9-10 : « pourquoi révérer / Des biens dépourvus de mérite ? », p. 83, v. 16 : « Que sert à vos pareils de lire incessamment ? », p. 94, v. 19 : « Est-ce un bœuf, un cheval ? », p. 94, v. 20 : « Hé qu’importe quel animal ? », p. 94, v. 33-34 : « Combien fait-il de vœux, combien perd-il de pas ? / S’outrant pour acquérir des biens ou de la gloire ? », p. 137, v. 163 : « qui la guide ? », p. 145, v. 22 : « D’où vous vient cet avis ? », p. 145, v. 22 : « Quel est votre garant ? », p. 145, v. 24 : « Et qu’est-il bon de faire ? », p. 145, v. 25 : « Comment le ferons-nous ? ». PATRIMOINE 23. Réalisez l’édition numérique enrichie de la fable de votre choix (livres VII à XI) : au texte de La Fontaine, vous adjoindrez une présentation, des notes explicatives (les noms propres et les mots difficiles) ainsi que deux ou trois illustrations légendées.

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24. Recherchez les principales sources de « La Laitière et le pot au lait » (VII, 9). On trouve une version de « La Laitière et le pot au lait » chez Bonaventure des Périers, un conteur français du XVIe siècle. Dans Les Nouvelles Récréations et joyeux devis, en 1558, la nouvelle XII s’intitule « Comparaison des alchimistes à la bonne femme qui portait une potée de lait au marché » :

Chacunsaitquelecommunlangagedesalchimistes,c'estqu'ilssepromettentunmondederichesses,etqu'ilssaventdessecretsdenaturequetousleshommesensemblenesaventpas;maisàlafintoutleurcass'envaenfumée,tellementqueleuralchimiesepourraitplusproprementdireartquimineouartquin’estmie;etnelessaurait-onmieuxcomparerqu'àunebonnefemmequiportaitunepotéedelaitaumarché,faisantsoncompteainsiqu'elle la vendraitdeux liards ; de cesdeux liards elle en achèteraitunedouzained'œufs, lesquels ellemettrait couver, et en aurait une douzaine de poussins; ces poussins deviendraient grands et les feraitchaponner;ceschaponsvaudraientcinqsolslapièce:ceseraitunécuetplus,dontelleachèteraitdeuxcochons,mâleetfemelle,quideviendraientgrandsetenferaientunedouzained'autres,qu'ellevendraitvingtsolslapièceaprèslesavoirnourrisquelquetemps:ceseraientdouzefrancs,dontelleachèteraitunejument,quiporteraitunbeaupoulain,lequelcroîtraitetdeviendraittantgentil:ilsauteraitetferaithin.Et,endisanthin,labonnefemme,del'aisequ'elleavaitensoncompte,sepritàfairelaruadequeferaitsonpoulain,etenlafaisantsapotéedelaitvatomberetserépandittoute.Etvoilàsesœufs,sespoussins,seschapons,sescochons,sajumentetsonpoulain,touspar terre.Ainsi les alchimistes, aprèsqu'ils ontbien fournoyé, charbonné, lutté, soufflé, distillé, calciné,congelé,fixé,liquéfié,vitrifié,putréfié,ilnefautquecasserunalambicpourlesmettreaucomptedelabonnefemme.

Bonaventure des Périers a tiré son histoire d’un texte en latin de Nicolas de Bergame, Dialogus creaturarum, moralisatus, jucundus, fabulis plenus en 1480 qui, lui-même, s’est sans doute inspiré d’un exemplum de Jacques de Vitry, dans les Sermones vulgares (1240). Vitry a, quant à lui, pris cette histoire chez Pilpay (IIIe siècle), un inspirateur des fables de La Fontaine. La Fontaine a peut-être lu « Le pot cassé » : Unrichenégociantcomblaitdebienfaitsunpauvrehomme,sonvoisin.Chaquejour,illuienvoyaitunecertainequantitédemieletd’huile.Lemielservaitàlanourrituredumalheureux:quantàl’huile,illamettaitdecôtédansunegrandeetlargecruche.Quandlacruchefutpleined’huile,lemalheureuxsemitàsongeràl’emploiqu’ilenpourraitfaire.Etilcalcula:«Cette cruche contientmaintenantbeaucoupd’huile.Envendant cettehuile, jeme ferai assezd’argentpouracheterdixbrebis,chaquebrebismedonnera,danslecoursdel’année,deuxagneaux;ainsi,enmoinsdedixannéesdetemps,jemeverraipossesseurd’unnombreuxtroupeau.»Etilcontinuasesbeauxrêves:«Devenuriche, je feraibâtirunsuperbepalais.Puis jememarieraiet j’auraiun filsdont jesoigneraiparticulièrementl’instruction. Ce fils sera reconnaissant de mes soins… Sinon, s’il me désobéissait, je lui ferais sentir moncourroux.»Disantcela,ets’imaginantcorrigersonfilsrebelle,ilfaitviolemmenttournerlebâtonqu’iltenaitàlamain.Maisvoilàquelebâton,entournant,atteintlacruchepleined’huile?Lacruchevoleenéclats,etl’huilecouleauxpiedsdumalheureuxquivoitainsi,enuninstant,s’évanouirsonbeaurêve,etsesbrebisetsesmoutons,etsonpalaisettoutessesrichesses.Lepauvrehommecompritalorscombienc’étaitfoliedefairedetropgrandsprojets.

De nombreuses traductions de Pilpay ont été effectuée jusqu’à la Renaissance, autorisant les adaptations de la fable ancienne. EXPRESSION Expression écrite Dissertation 25. La Fontaine affirme dans son Discours à Monsieur le duc de La Rochefoucauld (X, 14) qu’ « il faut laisser / Dans les plus beaux sujets quelque chose à penser ». Cette affirmation vous semble-t-elle rendre compte des Fables ? La Fontaine, dans ces deux vers du Discours à Monsieur le duc de La Rochefoucauld, mêle l’idée de beauté (l’esthétique d’une œuvre d’art) à la réflexion. Pour lui, l’œuvre est nécessairement associée à une pensée, qu’elle soit donnée par l’auteur ou laissée au lecteur qui pourra lui-même faire ses réflexions sur l’œuvre lue. Si l’on veut simplifier le sujet, on pourrait associer aux « plus beaux sujets » la fiction, destinée au divertissement et au plaisir et le « quelque chose à penser » à la morale, la philosophie, l’esprit des Fables. Carnet de lecture et d’écriture

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26. Critique littéraire pour la Gazette du Grand Siècle, vous écrivez, au moment de leur parution, un article sur l’originalité des Fables et l’efficacité des moyens utilisés par son auteur. Cet écrit d’invention peut être l’occasion de montrer que le contexte d’écriture, de publication et de réception des Fables a bien été compris. L’objectif est d’écrire une synthèse de ce qui a été compris des Fables, de s’interroger, de critiquer ou de louer les moyens mis en œuvre par La Fontaine, de mesurer le plaisir du lecteur, les risques éventuellement pris dans ses attaques contre la justice, le clergé, le pouvoir et les courtisans, d’apprécier les conseils de sagesse et de bonheur. Une possibilité de mise en page à la manière d’un article de journal de l’époque est possible. Expression orale Exposé sur le texte 27. Faites le commentaire linéaire de La Laitière et le pot au lait (VII, 9). La fable de La Fontaine donne à réfléchir sur les douceurs et les limites de l’imagination. Mouvements du texte : v. 1-6 : situation de l’action et du personnage v. 7-21 : pensées et paroles de Perrette v. 22-29 : retour à la réalité v. 30-43 : réflexions morales et exemple personnel Pour les axes de lecture, on pourra toujours privilégier : I. Les aspects de la fable II. Un tableau ancré dans le réel paysan III. Le pouvoir de la rêverie et ses limites 28. De quelle manière sont reliées les propositions de la phrase complexe des vers 34-37 ? La phrase est la suivante : « Chacun songe en veillant, il n’est rien de plus doux : / Une flatteuse erreur emporte alors nos âmes : / Tout le bien du monde est à nous, / Tous les honneurs, toutes les femmes. » On dénombre quatre propositions dans cette phrase complexe : [Chacun songe en veillant], [il n’est rien de plus doux] : [Une flatteuse erreur emporte alors nos âmes] : [Tout le bien du monde est à nous, Tous les honneurs, toutes les femmes]. Ce sont quatre propositions indépendantes juxtaposées : en effet, chacune d’entre elles est liée à l’autre au moyen d’un signe de ponctuation (virgule ou deux-points) Entretien sur l’œuvre au programme 29. La Fontaine donne-t-il à rire dans ses Fables ? La Fontaine accorde une grande importance à la notion de « gaieté », « un certain charme, un air agréable qu’on peut donner à toutes sortes de sujet » et qui n’excite pas forcément le rire. Cette question invite à réfléchir sur les « clichés » autour des fables qui les réduiraient à des contes plaisants et sans profondeur. La Fontaine associe les deux, mais use de tous les registres. Le comique n’est pas forcément la tonalité la plus courante. On pourra recourir, pour répondre, à la diversité des genres (fabliau, farce), aux situations comiques ou drolatiques, au langage qui sert à amuser par l’ironie ou la satire, mais on pourra nuancer en évoquant le pessimisme de certaines fables.

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AUTOUR DE L’ŒUVRE : TEXTES ET IMAGES DANS LE CONTEXTE toutes les réponses aux questions

Lecteurs de La Fontaine ► LIVRE ÉLÈVE P. 208 1. Lettre MADAME DE SÉVIGNÉ (1626-1696), Lettre à Madame de Grignan, Livry, 29 avril 1671 1. Quel rapprochement pouvez-vous effectuer entre le cadre dans lequel se trouve Madame de Sévigné quand elle écrit cette lettre et l’univers des Fables ? Madame de Sévigné écrit à sa fille entourée d’animaux, ceux de La Fontaine (le « Singe », le « Chat », « Le Rossignol ») mais surtout ceux qui l’accompagnent dans sa solitude de Livry (« le rossignol, le coucou, la fauvette », « trois ou quatre rossignols »). La nature est omniprésente, en ce printemps 1971, autour de la marquise, aussi bien la « Citrouille » de La Fontaine que la « forêt » de ce « triomphe du mois de mai ». 2. Que pense Madame de Sévigné des fables de La Fontaine qu’elle a lues ? À la lecture des quelques fables de La Fontaine qu’elle envoie à sa fille, Madame de Sévigné se forge un avis : elle les trouve « jolies ». Elle en est charmée, transportée, « ravi[e] » au point qu’avec son ami, La Rochefoucauld, elle en apprend par cœur. Elle donne une appréciation des textes lus en trois mots : « Cela est peint », ce qui signifie que La Fontaine est parvenu à représenter par ses fables une vérité qui frappe l’imagination. 3. Identifiez les fables évoquées dans le dernier paragraphe. Quand Mme de Sévigné parle de « la Citrouille » et du « Rossignol » au dernier paragraphe, elle évoque deux fables du livre IX : Le Gland et la Citrouille (IX, 4) et Le Milan et le Rossignol (IX, 18). 2. Essai JEAN-JACQUES ROUSSEAU (1712-1778), Émile ou De l’éducation (1762) 1. Expliquez la première phrase du deuxième paragraphe. Êtes-vous d’accord avec Jean-Jacques Rousseau ? Jean-Jacques Rousseau, dans cette partie de son traité d’éducation, estime que les enfants ne sont pas capables de comprendre les fables qu’on leur fait apprendre. Chacun pourra se prononcer sur la vérité de cette réflexion de Rousseau selon sa propre expérience de lecteur des fables dans l’enfance ou par un souvenir précis d’une fable apprise sans qu’elle ait été complètement comprise, ou encore selon les expériences de l’entourage en la matière. 2. Que reproche aux Fables Jean-Jacques Rousseau ? Rousseau estime que les fables sont trompeuses : « l’apologue, en les amusant, les abuse ». Le reproche porte sur la forme poétique et divertissante, pleine de moyens de séduire les enfants (les animaux…), qui, en définitive, devient un voile cachant la vérité que les fables doivent enseigner. Il pense également que la morale, pas toujours clairement énoncée (« mêlée ») ou « disproportionnée à leur âge », peut produire l’effet inverse de l’effet recherché : « les porte[r] plus au vice qu’à la vertu ». 3. Quels exemples de fables choisit-il ? Que démontre-t-il dans le dernier paragraphe ? La Fontaine choisit deux exemples : Le Corbeau et le Renard et La Cigale et la Fourmi pour montrer que les enfants peuvent ne pas comprendre la morale et être attirés par le personnage possédant un défaut moral. Il montre que le Renard est préféré au Corbeau dont on moque la bêtise, préférant alors la ruse du Renard, tout comme la Cigale est préférée à la Fourmi : « On n’aime point à s’humilier ; ils prendront toujours le beau rôle », même si ce beau rôle est celui d’un personnage vicieux. Selon Rousseau, les enfants « penchent à aimer le vice avec lequel on tire parti des défauts des autres ».

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3. Conférence JEAN GIRAUDOUX (1882-1944), « La tentation de la vie bourgeoise », Les Cinq Tentations de La Fontaine, Grasset (1938) 1. Qu’a appris le jeune Giraudoux grâce à son professeur ? Le jeune Giraudoux a appris, grâce à son professeur de latin, à écrire des vers. Ce professeur, M. Bornecque, « ne parlait qu’en vers français » et ne donnait des rédactions que pour faire pratiquer la versification à ses élèves (une lettre en vers de Racine à Molière, une épître de Voltaire à la reine Catherine de Russie). 2. Comment Giraudoux en vient-il à penser qu’il est un descendant de Jean de La Fontaine ? Les élèves, emballés par ces exercices poétiques à répétition, se prennent au jeu de « prétendre qu’ils descendaient de poètes connus ». Il faut donc, dans cette généalogie fictive, trouver des poètes en rapport avec sa région d’origine. Giraudoux est en difficulté (« je tombais mal : j’étais de Bellac), car aucun poète célèbre n’est originaire de sa ville ou de ses environs. Il doit donc s’intéresser à ceux qui sont passés par sa région et qui auraient pu fréquenter ses ancêtres. Il en trouve deux : un archevêque, Fénélon, et le poète Jean de la Fontaine, de passage une nuit. Cela lui suffit à imaginer la brève histoire d’amour entre la fabuliste et l’une de ses aïeules et à penser qu’il est le descendant de l’auteur des Fables. 3. « [L]’idée vint à certains d’entre nous de prétendre qu’ils descendaient de poètes connus. » À ce jeu, qui choisiriez-vous et pourquoi ? On peut, pour ce jeu, s’intéresser aux poètes (on peut élargir à tous les écrivains) de sa région ou de sa ville, ce qui serait une justification simple et banale. On peut également choisir pour des raisons particulières (amour pour une œuvre, points communs biographiques…) un écrivain dont on voudrait descendre. 4. Roman JACQUES DE LACRETELLE (1888-1985), Silbemann, Gallimard (1922) 1. Quelles sont les principales idées de Silbermann au sujet des Fables ? Pour Silbermann, La Fontaine, par ses Fables, est parvenu à décrire son époque : « La Fontaine est notre plus grand peintre de mœurs. […] [I]l a dépeint son siècle ». Grâce aux animaux, il est parvenu à parler à la fois du pouvoir royal, des paysans et des bourgeois. De plus, il le trouve « audacieux dans sa moralité », n’hésitant pas à dépasser la simple anecdote animalière pour donner une portée plus haute à ses fables. 2. Observez l’image (p. 217) : êtes-vous de l’avis de Silbermann au sujet de cette sculpture ? Silbermann trouve « laid » le monument de Dumilâtre et Thiébaut : il estime que la « composition [est] banale » et qu’on ne fait pas ainsi honneur au génie de La Fontaine. On peut être de son avis ou admiratif face à la synthèse opérée par les deux artistes et sa vision métaphorique de l’œuvre de La Fontaine, qui n’est pas éloignée des frontispices foisonnants de certaines éditions des Fables.

Frontispices d’éditions des Fables de La Fontaine.

De gauche à droite : Lambert (1870), Grandville (1838), Oudry (1755) et Picart (1728)

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3. « Est-ce que tu aimes La Fontaine ? » demande Silbermann au narrateur. Répondez à sa question. La réponse ne peut être que personnelle et son traitement multiple. On peut rédiger une série de paragraphes argumentatifs, on peut écrire une version alternative du texte tiré de Silbermann en faisant discourir le narrateur, on peut faire un éloge (ou une condamnation) de La Fontaine, en s’appuyant sur des impressions, des émotions, des sensations… 5. Monument ACHILLE DUMILÂTRE (1844-1923) et VICTOR THIÉBAUT (1747-1804), Buste de Jean de La Fontaine (1894, détruit en 1942).

1. Pourquoi consacrer un monument à Jean de La Fontaine ? Les élèves sont invités à réfléchir sur la fonction mémorielle des monuments publics. On demande également qu’ils comprennent que les artistes et les personnages historiques constituent un socle commun de culture, un patrimoine. On pourrait imaginer transformer cette question en exercice d’écriture : l’association des Amis de Jean de La Fontaine écrit une lettre au maire d’une ville pour demander qu’un monument soit érigé en l’honneur du fabuliste. 2. Quels personnages apparaissent aux côtés du fabuliste ? Expliquez. Silbermann, dans l’extrait p. 215, dresse déjà la liste des figures qui voisinent avec le buste de Jean de La Fontaine : « une Muse », « ce groupe d’animaux, le lion, le renard, le corbeau ». On trouve deux sortes de personnages : les allégories et les animaux : - la « Muse » ailée est une allégorie de l’Inspiration, elle tient à la main une couronne de laurier, ce qui peut également faire penser à l’allégorie de la Gloire ; elle est accompagnée d’un petit ange ailé, allégorie du Génie ou de l’Amour qui court ; - sur le piédestal, un renard convoite le fromage du corbeau posé sur le buste de La Fontaine ; un lion à l’air majestueux et, dans la fontaine, deux pigeons. Un premier projet montrait également un singe.

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Le Magasin pittoresque du 30 septembre 1891

3. Cherchez le monument qui remplace actuellement celui-ci au jardin du Ranelagh à Paris. Comparez-les et dites celui que vous préférez. Le monument actuel en hommage à Jean de La Fontaine situé au jardin du Ranelagh a été fait par Charles Correia, inauguré en 1983. Beaucoup plus dépouillé que le précédent, réduit à deux seuls animaux emblématiques des Fables, il peut être préféré ou non à celui détruit en 1942.

Buste de La Fontaine, Charles Correia, jardin du Ranelagh (Paris), photos de Stéphane Maltère

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POUR ALLER PLUS LOIN

documentation et informations complémentaires La fable au cours des siècles : petite anthologie

1. Loqman (Xe – IXe siècle av. J.C.)

L’hommeetleporcUnhommeportaitunjoursurunebêtedesomme,unmouton,unechèvreetunporc,ets'enallaitvendreletoutàlaville.Lemoutonetlachèvreétaienttranquilles,maisleporcétaitrétifetnecessaitdesedébattre.L'hommealorsluidit:«Oleplusmauvaisdesanimaux,pourquoilemoutonetlachèvresont-ilscalmesetpaisibles,tandisquetoituneveuxpasrestertranquille.»—«Omonmaître,luiréponditleporc,chacunseconnaît;etjesaisqu'onrecherchelemoutonpoursalaineetlachèvrepoursonlait,maismoi,malheureux,quin'ainilaine,nilait,àmonarrivéeàlavilleonm'enverrasansaucundouteàlaboucherie.» Cette fable signifie que ceux qui sont plongés dans les délits et les crimes que leurs mains ont commis, doivent connaître le sort malheureux qui les attend dans l’autre vie. L’enfant et le scorpion Unjour,unenfantchassantauxsauterelles,vitunscorpionetcrutquec'étaitunegrandesauterelle:ilétenditlamainpourleprendre,maisilseretiraaussitôt.«Situm'avaisprisdanstamain,luiditlescorpion,tuauraiscessédechasserauxsauterelles.Cette fable signifie que l'homme doit savoir distinguer le bien du mal, et traiter chaque chose d'une manière convenable à sa nature. 2. Hésiode (VIIIe siècle av. J.-C.)

Maintenantjeraconteraiauxroisunefablequeleursagessemêmenedédaignerapoint.Unéperviervenaitdesaisir un rossignol au gosier sonore et l'emportait à travers les nues ; déchiré par ses serres recourbées, lerossignolgémissaittristement;maisl'épervierluiditavecarrogance:«Malheureux!pourquoicesplaintes?Tuesaupouvoirduplusfort;quoiquechanteurharmonieux,tuvasoùjeteconduis;jepeuxàmongréoufairedetoimon repas ou te rendre la liberté.»Ainsi parla l'épervier au vol rapide et aux ailes étendues.Malheur àl'insenséquioseluttercontreunennemipluspuissant!privédelavictoire,ilvoitencorelasouffrances'ajouteràsahonte. (LesTravauxetlesJours)

De la peinture des cinq âges du monde, Hésiode passe brusquement à la narration d'un apologue qui semble avoir pour objet de reprocher aux puissants leur iniquité et d'exciter la pitié en faveur des faibles.

La fable, qui a pour but de fronder nos travers et nos préjugés, de châtier nos vices, de corriger le genre humain en l'amusant, n'a pu naître en Grèce que dans une époque plus civilisée que celle d'Homère : elle annonce un siècle où la complication des intérêts et des besoins a nécessité l'abus de la force et l'emploi de la ruse. Alors la morale emploie un langage détourné pour faire parler la vérité ; elle ne décoche ses traits que d'une manière oblique ; elle appelle l'allégorie à son aide : ce sont les animaux qu'elle met en scène pour que les hommes ne s'offensent pas de reproches qui ne leur sont point adressés par leurs semblables.

L'apologue, qui est un symbole développé, une fiction morale mise à la portée de tout le monde, a existé dans tous les pays parvenus à une certaine civilisation, dans l'Inde, dans la Perse, chez les Hébreux, en Lydie. Fille de l'Asie centrale, cette mère patrie du symbole et du despotisme, la fable est venue en Grèce lorsqu'elle a eu des défauts et des ridicules à censurer, des grands à punir et des petits à venger. Quoiqu'elle appartienne à la même famille que la comédie, elle naquit longtemps avant elle, parce que le petit nombre de ses acteurs la rendait d'abord accessible à toutes les intelligences. C'est dans Hésiode que nous trouvons le premier type de l'apologue grec, qui se trouve placé entre la simplicité majestueuse des âges épiques et la spirituelle

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malignité de ces temps où la poésie comique vécut d'allusions politiques ou privées et fit plutôt alliance avec la philosophie qu'avec l’histoire. 3. Ésope (VIe siècle av. J.-C.)

L’Aveugle Unaveugleavaitl’habitudedereconnaîtreautouchertoutebêtequ’onluimettaitentrelesmains,etdediredequelleespèceelleétait.Orunjouronluiprésentaunlouveteau;illepalpaetrestaindécis.«Jenesaispas,dit-il,sic’estlepetitd’unloup,d’unrenardoud’unautreanimaldumêmegenre;maiscequejesaisbien,c’estqu’iln’estpasfaitpouralleravecuntroupeaudemoutons.»C’estainsiquelenatureldesméchantssereconnaîtsouventàleurextérieur. 4. Phèdre (Ier siècle)

Lupus et agnus AdrivumeumdemLupusetAgnusvenerant,SiticompulsisuperiorstabatLupus,LongequeinferiorAgnus.TuncfauceimprobaLatroincitatus,jurgiicausamintulit.Cur,inquit,turbulentamfecistimihiAquambibenti?Lonigercontratimens:Quipossum,quæso,lacere,quodquereris,Lupe?Atedecurritadmeoshaustusliquor.Repulsuoilleveritatisviribus,Antehossexmensesmale,ait,dixistimihi.ResponditAgnus:Equidemnatusnoneram.Paterherculetuus,inquit,maledixitmihi.Atqueitacorreplumlaceratinjustanece.Hæcpropterillosscriptaesthominesfabula,Quifictiscausisinnocentesopprimunt. Le loup et l’agneau (traduction) UnLoupetunAgneau,pressésparlasoif,étaientvenusaumêmeruisseau.LeLoupsedésaltéraitdanslehautducourant, l’Agneau se trouvait plus bas;mais, excité par son appétit glouton, le brigand lui chercha querelle.«Pourquoi,luidit-il,viens-tutroublermonbreuvage?»L’Agneaurépondittout,tremblant:«Comment,jevousprie,puis-jefairecedontvousvousplaignez?cetteeaudescenddevousàmoi.»Battuparlaforcedelavérité,leLoupreprit:«Tumédisdenous,ilyasixmois.—Maisjen’étaispasné,»répliqual’Agneau.«ParHercule!cefutdonctonpère,s’ajoutaleLoup.Et,danssarage,illesaisitetlemetenpiècesinjustement.Cettefableestpourceuxqui,sousdefauxprétextes,opprimentlesinnocents. 5. Bidpaï ou Pilpay (IIIe siècle)

La grue et l’épervier Unegrue,citoyennedesbordsd'unlac,yvivaitdesdifférentsinsectesqu'elleytrouvaitenabondance.Unjourelleaperçutunépervierqui,aprèsavoirdonnélachasseàuneperdrix,l’avaitpriseetladévorait.Cetépervier,ditenelle-mêmelagrue,faitsanourrituredesoiseauxlesplusdélicats,etmoi,quil'emportesurluiparlaforceetparlagrandeur,jemecontentedevilsinsectes.Jeveuxsuivresonexemple.Lagrue,aprèscebeaumonologue,aperçoituneperdrixquid'unvollégerrasaitlasurfacedel'eau;elleveutfondresurcetteproie,maislapesanteurdesoncorpsl'entraîne,elletombesurlesbordsdulac,quiétaienttrès-fangeux,sespattess'enfoncentdansle limon,ellefaitdevainseffortspours'entirer.Unbergerquiétaitauxenvironsprendl'oiseau, l'encageetleporteàsesenfants.Vousvoyezparcettefable,medit lederviche,queldangerl'oncourtenquittantsonétatpourunautreauquell'onn'estpaspropre.Lessagesconseilsdudervichenemefirentaucuneimpression;Jefussourdàsavoix.J'abandonnaimonfouretj’ensemençaiunchampquej'avaisloué.Mevoilàdoncdevenucultivateur.Lesinstrumentsnécessairesaulabourageavaientabsorbélepeuquejepossédais:ilmefallaitattendreprèsd'uneannéeavantdepouvoirrienretirerdemesterres.Mafamillesetrouvaréduiteàladernièremisère.Jemerepentisalorsden'avoirpassuivilessagesconseilsduderviche;Jecrusréparermafauteenreprenantmonfour.Undemesamismeprêtadel'argentetjefustoutàlafoisboulanger

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etlaboureur.Jecouraisdelavilleauxchampsetdeschampsàlaville.Legarçonauquelj'avaisconfiémonfourme vola et prit la fuite ; des orages, qui se succédèrent les uns aux autres, ravagèrent les campagnes. J'allaicomptermesmalheursaudervichemonvoisin.─Jevousl'avaisprédit,medit-il:vousressemblezàcethommeentredeuxâgesavecsesdeuxfemmes. 6. Marie de France (XIIIe siècle)

Ésopeditceciduloupetdel'agneau,quibuvaientàunruisseau:leloupàlasourcebuvait,etl'agneauenavalétait.Aveccolèreparlaleloupquiétaittrèsquerelleur.Parmauvaisehumeurilluiparla:«Tum'as,dit-il,faitgrandennui.»L'agneauluiarépondu:«Sire,etenquoi?»Donc,nelevois-tu?tum'asicitroublécetteeau:jen'enpuisboiremonsoûl.Aussi,jem'enirai,jecrois,commejevins,toutmourantdesoif.»L'agneletdoncrépond:Sire,déjàvousbuvezenamont:devousmevienttoutcequej'aibu».«Quoi!»fitleloup«m'outrages-tu?»L'agneaurépond:«Jen'enai intention».Le loupluidit:«Jesaisdevrai;celamêmemefittonpère,àcettesourceoù j'étaisavec lui,maintenant ilyasixmois,commejecrois».«Qu'enretirez-vous, fit-il,surmoi? Jen'étais pas né, comme je crois.» «Et cela est parce que cela est», lui a dit le loup, «maintenantme fais-tucontrariété?c'estchosequetunedoispasfaire.»Donclelouppritlepetitagneau,l'étrangleavecsesdents,etletue.Ainsifontlesrichesvoleurs,lesvicomtesetlesjuges,deceuxqu'ilsontenleurjustice.Fauxprétextesparconvoitise, ils trouvent assezpour les confondre, souvent ils font comparaîtreà leursplaids, la chair ils leurenlèventetlapeau,commeleloupfitàl'agneau. 7. Fabliaux (Moyen Âge)

«Brunain,lavacheauprêtre»:C'estd'unvilainetdesafemmequejeveuxvousconterl'histoire.PourlafêtedeNotre-Dame,ilsallaientprieràl'église.Avantdecommencerl'office,lecurévintfairesonsermon;ilditqu'ilétaitbondedonnerpourl'amourdeDieuetqueDieurendaitaudoubleàquidonnaitdeboncœur.«Entends-tu,bellesœur,cequ'aditleprêtre?»faitlevilainàsafemme.«QuipourDieudonnedeboncœurrecevradeDieudeuxfoisplus.Nousnepourrionsmieuxemployernotrevache,sibontesemble,quedeladonneraucuré.Ellead'ailleurssipeudelait.–Oui,sire,jeveuxbienqu'ill'ait,dit-elle,decettefaçon.»Ilsregagnentdoncleurmaison,etsansendiredavantage.Levilainvadanssonétable;prenantlavacheparlacorde,illaprésenteàsoncuré.Leprêtreétaitfinetmadré:«Beausire,ditl'autre,mainsjointes,pourDieujevousdonneBlérain.»Illuiamislacordeaupoing,etjurequ'ellen'estplussienne.«Ami,tuviensd'agirensage,répondlecurédomConstantquitoujoursestd'humeuràprendre;Retourneenpaix,tuasbienfaittondevoir:sitousmesparoissiensétaientaussiavisésquetoi,j'auraisdubétailenabondance.»Levilainprendcongéduprêtrequicommandeaussitôtqu'onfasse,pourl'accoutumer,lierBlérainavecBrunain,saproprevache.Lecurélesmèneensonclos,trouvesavache,cemesemble,leslaisseattachéesl'uneàl'autre.Lavacheduprêtresebaisse,carellevoulaitpâturer.MaisBlérainneveutl'endurerettirelacordesifortqu'elleentraînel'autredehorsetlamènetantparmaison,parchènevièresetparprésqu'ellerevientenfinchezelle,aveclavacheducuréqu'elleavaitbiendelapeineàmener.Levilainregarde,lavoit;ilenagrandejoieaucœur.«Ah!dit-ilalors,chèresœur,ilestvraiqueDieudonneaudouble.Blérainrevientavecuneautre:c'estunebellevachebrune.Nousenavonsdoncdeuxpourune.Notreétableserapetite!»Parcetexemple,cefabliaunousmontrequefolestquineserésigne.LebienestàquiDieuledonneetnonàceluiquilecacheetenfouit.Nulnedoublerasonavoirsansgrandechance,pourlemoins.C'estparchancequelevilaineutdeuxvaches,etleprêtreaucune.Telcroitavancerquirecule. 8. Bonaventure Des Périers (XVIe siècle)

Nouvelle XII Comparaison des alchimistes et la bonne femme qui portait une potée de lait au marché Chacunsaitquelecommunlangagedesalchimistes,c’estqu’ilssepromettentunmondederichesses,etqu’ilssaventdessecretsdenaturequetousleshommesnesaventpas;maisà lafintout leurcass’envaenfumée,tellementqueleuralchimiesepourraitproprementdire:Artquimine,ouArtquin’estnue;etnelessaurait-onmieuxcomparerqu’àunebonnefemmequiportaitunepotéedelaitaumarché,faisantsoncompteainsi:qu’ellelavendraitdeuxliards;decesdeuxliardselleenachèteraitunedouzained’œufs,lesquelsellemettraitcouver,eenauraitunedouzainedepoussins;cespoussinsdeviendraientgrands,et les feraitchaponner:ceschaponsvaudraientcinqsols lapièce:ceseraitunécuetplus,dontelleachèteraitdeuxcochons,mâleet femelle,quideviendraientgrandseten feraientunedouzained’autres,qu’ellevendraitvingtsols lapièceaprès lesavoirnourrisquelquetemps:ceseraientdouzefrancs,dontelleachèteraitunejument,quiporteraitunbeaupoulain,lequelcroîtraitetdeviendraittantgentil:ilsauteraitetferait«hin».Etendisant«hin»,labonnefemme,del’aisequ’elleavaitensoncompte,sepritàfairelaruadequeferaitsonpoulain,etenlafaisantsapotéedelaitvatomberetserépandittoute.Etvoilàsesœufs,sespoussins,seschapons,sescochons,sajumentetsonpoulain,

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tousàterre.Ainsilesalchimistes,aprèsqu’ilsontbienfournayé,charbonné,lutté,soufflé,distillé,calciné,congelé,fixé,liquéfié,vitrifié,putréfié,ilnemanquequecasserunalambicpourlesmettreaucomptedelabonnefemme. 9. Antoine Furetière (XVIIe siècle)

De deux écrevisses Unejeuneécrevisse,etsansexpérience,Vitd’unœilenvieuxparaîtreunfestin,Quantitédesessœursenpompeuseapparence,Teintesd’unbelincarnadin.Ellecourutdireàsamère:«J’admiredemessœurslafortuneprospère:J’enaivutrentedansunplat,SimagnifiquementvêtuesQuejelescroyaisparvenuesAuxhonneursducardinalat:Tandisque,barbotantdanslaboueetl’ordureNoussommescouvertesdebure.Quejesouhaiteraisunsortsifortuné,Etd’avoirunhabitsibienenluminé.»LavieilleetprudenteécrevisseÀsafillerépond:«Vousêtesbiennovice,Cellequibrilleavecplusdesplendeur,Voudraitbienretenirsapremièrecouleur:Etquoiqu’ilsemblequ’elleéclateSousunerobed’écarlate,C’estunfunesteaccoutrementQuinedoitpasfaireenviePuisqu’ilestvenduchèrementEtqu’elleenaperdlavie.Moralité:Tel,etsemblableestlefort,D’unhéroscouvertdegloire:Ilvitdevrai,dansl’histoire,Maiscependant,ilestmort. 10. Jean-Pierre Claris de Florian (XVIIIe siècle)

Eneffet,unapologueestuneespècedepetitdrame: ilasonexposition,sonnœud,sondénouement.Quelesacteursensoientdesanimaux,desdieux,desarbres,deshommes,ilfauttoujoursqu'ilscommencentparmedirecedontils'agit,qu'ilsm'intéressentàunesituation,àunévènementquelconque,etqu'ilsfinissentparmelaissersatisfait,soitdecetévènement,soitquelquefoisd'unsimplemot,quiestlerésultatmoraldetoutcequ'onaditoufait.Ilmeseraitaisé,sijenecraignaisd'êtretropbavard,deprendreauhasardunefabledeLaFontaine,etdevousyfairevoirl'avant-scène,l'exposition,faitesouventparunmonologue,commedanslafabledubergeretsontroupeau;l'intérêtcommençantaveclasituation,commedanslacolombeetlafourmi;ledangercroissantd'acteenacte,carilyenadeplusieursactes,commel'alouetteetsespetitsaveclemaîtred'unchamp;etledénouementenfin,misquelquefoisenspectacle,commedans le loupdevenuberger ,pluscommunémentensimplerécit. (Préface) LegrillonUnpauvrepetitgrillonCachédansl'herbefleurieRegardaitunpapillonVoltigeantdanslaprairieL'insecteailébrillaitdesplusvivescouleursL'azur,lepourpreetl'oréclataientsursesailes.Jeune,beau,petit-maître,ilcourtdefleurenfleur,

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Prenantetquittantlesplusbelles.Ah!disaitlegrillon,quesonsortetlemienSontdifférents!dameNaturePourluifittout,etpourmoirien.Jen'aipointdetalent,encormoinsdefigure;Nulneprendgardeàmoi,l'onm'ignoreicibas!Autantvoudraitn'existerpas.Commeilparlait,danslaprairieArriveunetrouped'enfants.AussitôtlesvoilàcourantAprèslepapillondontilsonttousenvie:Chapeau,mouchoirsbonnets,serventàl'attraper.L'insectecherchevainementàleuréchapper,Ildevientbientôtleurconquête.L'unlesaisitparl'aile,unautreparlecorps;Untroisièmesurvient,etleprendparlatête:Ilnefallaitpastantd'effortsPourdéchirerlapauvrebête.Oh!oh!ditlegrillon,jenesuispasfâché;Ilencoûtetropcherpourbrillerdanslemonde.Combienjevaisaimermaretraiteprofonde!Pourvivreheureux,vivonscachés. 11. Les fables et l’école républicaine (XIXe siècle)

Quand Jules Ferry impose l’école gratuite et obligatoire, il redonne une nouvelle jeunesse aux fables, grâce aux cours de morale qui s’appuient sur La Fontaine ou sur de nouveaux fabulistes.

Leporcetl’osdebœufUn gros vilain porc était aussi paresseux quemalpropre et dégoûtant; toujours il se vautrait aumilieu desruisseaux;toujoursilfaisaitmalaucœurauxpassants.Ilpuaitcommeunratmort,ettoutenlevoyantchacunsepinçaitlenez,ets’enfuyaitcommelevent.Cen’estpastoutencore;cejolimonsieur,quis’enallaittoujoursgrognant,étaitdesplusgourmands.Enfaisanthon,hon,lelongd’unchamp,ilrencontraungrosOsdebœuf,etvoulutl’avalercommeunœuf.Domgloutonfutbienattrapé,carl’Osluirestaàl’entréedugosier,etiltombamortauprèsd’untasdefumier.Danssesexcès,gueulefraîcheesttrompée;Lagueulefitpérirplusd’hommesquel’épée. 12. Raymond Queneau (XXe siècle)

LepeuplieretleroseauÀchevalsursesbranchesLepeuplierditauroseau«Aulieuderemuerleshanches,Venezfairelacoursedutrot.»Lepeupliercaracole,IlfaitdesbondsdegéantC’esttoutjustes’ils’envolePas;leroseau,lui,attend.L’arbresecasselagueule,ExpirechezlemenuisierEtserviradecercueilÀquelquedéshérité.Amère,amèrevictoire,Leroseaun’apasbougé,Neretiraaucunegloire

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Des’êtreimmobilisé.La fable vue par La Fontaine

Voici ce que dit Jean de La Fontaine de la fable. On peut se servir ce cette fiche afin de préparer les élèves à la rédaction de l’introduction et de la conclusion d’un devoir écrit ou d’une présentation orale. Activités : À partir de ces éléments, faites la liste de ce qui caractérise l’apologue chez La Fontaine et rédigez un paragraphe qui en fasse une synthèse facile à retenir. Surlignez quelques formules que vous apprendrez par cœur. [1668]ÀMONSEIGNEURLEDAUPHIN«L’apparenceenestpuérile,jeleconfesse;maiscespuérilitésserventd’enveloppeàdesvéritésimportantes.»PREFACEPhèdremaniaitlafablecommeunartdelabrièveté:«Commeilm’étaitimpossibledel’imiterencela,j’aicruqu’ilfallaitenrécompenseégayerl’Ouvrageplusqu’iln’afait.» «Onveutdelanouveautéetdelagaieté.Jen’appellepasgaietécequiexcitelerire;maisuncertaincharme,unairagréablequ’onpeutdonneràtoutessortesdesujets,mêmelesplussérieux.»«[…N]ous voyons que la Vérité a parlé aux hommes par Paraboles; et la Parabole est-elle autre chose quel’Apologue,c’est-à-direunexemplefabuleux,etquis’insinueavecd’autantplusdefacilitéetd’effetqu’ilestpluscommunetplusfamilier?»«Cesbadineriesnesonttellesqu’enapparence;cardanslefondellesportentunsenstrèssolide.»«EllesnesontpasseulementMorales,ellesdonnentencored’autresconnaissances.LespropriétésdesAnimauxetleursdiverscaractèresysontexprimés;parconséquentlesnôtresaussi,puisquenoussommesl’abrégédecequ’ilyadebonetdemauvaisdanslescréaturesirraisonnables.»«L’Apologueestcomposédedeuxparties,dontonpeutappelerl’uneleCorps,l’autrel’Âme.LeCorpsestlaFable;l’Âme,laMoralité.Aristoten’admetdanslafablequelesanimaux;ilenexclutlesHommesetlesPlantes.Cetterègle estmoins de nécessité quede bienséance, puisqueni Ésope, ni Phèdre, ni aucundes Fabulistes, ne l’agardée:toutaucontrairedelaMoralité,dontaucunnesedispense.Ques’ilm’estarrivédelefaire,cen’aétéquedanslesendroitsoùellen’apuentreravecgrâce,etoùilestaiséaulecteurdelasuppléer.OnneconsidèreenFrancequecequiplaît:c’estlagranderègle,etpourainsidirelaseule.»ÀMONSEIGNEURLEDAUPHIN«JechantelesHérosdontÉsopeestlepère:Troupedequil’Histoire,encorquemensongère,Contientdesvéritésquiserventdeleçons.ToutparleenmonOuvrage,etmêmelesPoissons.Cequ’ilsdisents’adresseàtoustantquenoussommes.Jemesersd’AnimauxpourinstruirelesHommes.»II,1,«Contreceuxquiontlegoûtdifficile»«LeMensongeetlesVersdetouttempssontamis.»«Cependantjusqu’icid’unlangagenouveauJ’aifaitparlerleLoupetrépondrel’Agneau.J’aipasséplusavant;lesArbresetlesPlantesSontdevenuschezmoicréaturesparlantes:Quineprendraitcecipourunenchantement?»

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V,1,«LebûcheronetMercure»«J’opposequelquefois,parunedoubleimage,Leviceàlavertu,lasottiseaubonsens,LesAgneauxauxLoupsravissants,LaMoucheàlaFourmi;faisantdecetouvrageUneampleComédieàcentActesdivers,EtdontlaScèneestl’Univers.Hommes,Dieux,Animaux,toutyfaitquelquerôle.»VI,1,«Lepâtreetlelion»«Lesfablesnesontpascequ’ellessemblentêtre;Leplussimpleanimalnousytientlieudemaître.Unemoralenueapportedel’ennui:Lecontefaitpasserleprécepteaveclui.Encessortesdefeinteilfautinstruireetplaire;Etconterpourcontermesemblepeud’affaire.C’estparcetteraison,qu’égayantleuresprit,Nombredegensfameuxencegenreontécrit.Tousontfuil’ornementetletropd’étendue»VI,21«Lajeuneveuve»LaFontaineannoncesonapologueparuneintéressanteassociationd’idée:«Onditqu’onestinconsolable;Onledit,maisiln’enestrien,CommeonverraparcetteFable,Ouplutôtparlavérité.»[1678-1679]VII«AVERTISSEMENT»«VoiciunsecondrecueildeFablesquejeprésenteaupublic;j’aijugéàproposdedonneràlaplupartdecelles-ciunair,etuntourunpeudifférentdeceluiquej’aidonnéauxpremières;tantàcausedeladifférencedessujets,quepourremplirdeplusdevariétémonOuvrage.»«Enfinj’aitâchédemettreencesdeuxdernièresPartiestouteladiversitédontj’étaiscapable.»ÀMADAMEDEMONTESPAN«L’apologueestundonquivientdesimmortels.»«C’estproprementuncharme:ilrendl’âmeattentive,Ouplutôtillatientcaptive,NousattachantàdesrécitsQuimènentàsongrélescœursetlesesprits.»«Voussavezquelcréditcemensongeasurnous.»VIII,4«Lepouvoirdesfables»«Lemondeestvieux,dit-on:jelecrois;cependantIllefautamuserencorcommeunenfant.»VIII,9,«Leratetl’huître»«Cettefablecontientplusd’unenseignement.»VIII,13,«TircisetAmarante»«SireLoup,sireCorbeauChezmoiseparlentenrime.»VIII,19,«LeBassaetlemarchand»«Écoute-moi;sanstantdedialogue.Etderaisonsquipourraientt’ennuyer,Jeneteveuxconterqu’unapologue.»

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IX,1,«Ledépositaireinfidèle»«LedouxcharmedemaintsongeParleurbelartinventé,SousleshabitsdumensongeNousoffrelavérité.»IX,6,«LestatuaireetlastatuedeJupiter»«L’hommeestdeglaceauxvérités;Ilestdefeupourlesmensonges.»XIÉPILOGUE«FavorisdesneufSœurs,achevezl’entreprise:Donnezmainteleçonquej’aisansdouteomise:Souscesinventionsilfautl’envelopper.»[1694]XIIÀMONSEIGNEURLEDUCDEBOURGOGNE«Cesmensongessontproprementunemanièred’Histoire,oùonneflattepersonne.Cenesontpaschosesdepeud’importancequecessujets.LesAnimauxsontlesprécepteursdesHommesdansmonOuvrage.Jenem’étendraipasdavantagelà-dessus;vousvoyezmieuxquemoileprofitqu’onenpeuttirer.»

Premier recueil de Fables (1668) : Épître à Monseigneur le Dauphin, préface, à Monseigneur le Dauphin ÉpîtreàMonseigneurleDauphinMONSEIGNEUR,

S’ilyaquelquechosed’ingénieuxdanslarépubliquedeslettres,onpeutdirequec’estlamanièredontÉsopeadébitésamorale.Ilseraitvéritablementàsouhaiterqued’autresmainsquelesmiennesyeussentajoutélesornementsdelapoésie,puisqueleplussagedesanciensajugéqu’ilsn’yétaientpasinutiles.J’ose,Monseigneur,vousenprésenterquelquesessais.C’estunentretienconvenableàvospremièresannées.Vousêtesenunâgeoùl’amusementetlesjeuxsontpermisauxprinces;maisenmêmetempsvousdevezdonnerquelques-unesdevospenséesàdesréflexionssérieuses.ToutcelaserencontreauxfablesquenousdevonsàÉsope.L’apparenceenestpuérile,jeleconfesse;maiscespuérilitésserventd’enveloppeàdesvéritésimportantes.

Je ne doute point, Monseigneur, que vous ne regardiez favorablement des inventions si utiles et toutensemblesiagréables;carquepeut-onsouhaiterdavantagequecesdeuxpoints?Cesonteuxquiontintroduitlessciencesparmileshommes.Ésopeatrouvéunartsingulierdelesjoindrel’unavecl’autre;lalecturedesonouvragerépandinsensiblementdansuneâmelessemencesdelavertu,etluiapprendàseconnaître,sansqu’elles’aperçoivedecetteétude,ettandisqu’ellecroitfairetoutautrechose.C’estuneadressedonts’estservitrèsheureusementceluisurlequelSaMajestéajetélesyeuxpourvousdonnerdesinstructions.Ilfaitensortequevousappreniezsanspeine,ou,pourmieuxparler,avecplaisir,toutcequ’ilestnécessairequ’unprincesache.Nousespéronsbeaucoupdecetteconduite.Mais,àdirelavérité,ilyadeschosesdontnousespéronsinfinimentdavantage:cesont,Monseigneur,lesqualitésquenotreinvincibleMonarquevousadonnéesaveclanaissance,c’estl’exemplequetouslesjoursilvousdonne.Quandvouslevoyezformerdesigrandsdesseins;quandvousleconsidérezquiregardesanss’étonnerl’agitationdel’Europeetlesmachinesqu’elleremuepourledétournerdesonentreprise;quandilpénètredèssapremièredémarchejusquedanslecœurd’uneprovinceoùl’ontrouveàchaquepasdesbarrièresinsurmontables,etqu’ilensubjugueuneautreenhuitjours,pendantlasaisonlaplusennemiede la guerre, lorsque le repos et lesplaisirs règnentdans les coursdes autresprinces; quand,noncontentdedompterleshommes,ilveutaussitriompherdeséléments;etquand,auretourdecetteexpédition,où ilavaincucommeunAlexandre,vous levoyezgouvernersespeuplescommeunAuguste,avouez levrai,Monseigneur,voussoupirezpourlagloireaussibienquelui,malgrél’impuissancedevosannées;vousattendezavecimpatienceletempsoùvouspourrezvousdéclarersonrivaldansl’amourdecettedivinemaîtresse.Vousnel’attendezpas,Monseigneur;vousleprévenez.Jen’enveuxpourtémoignagequecesnoblesinquiétudes,cettevivacité,cetteardeur,cesmarquesd’esprit,decourageetdegrandeurd’âmequevousfaitesparaîtreàtouslesmoments.Certainementc’estunejoiebiensensibleànotremonarque,maisc’estunspectaclebienagréablepourl’univers,quedevoirainsicroîtreune jeuneplantequicouvriraun jourdesonombre tantdepeuplesetdenations.

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Jedevraism’étendresurcesujet;maiscommeledesseinquej’aidevousdivertirestplusproportionnéàmesforcesqueceluidevouslouer,jemehâtedevenirauxfablesetn’ajouteraiauxvéritésquejevousaiditesquecelle-ci:c’est,Monseigneur,quejesuis,avecunzèlerespectueux,

Votretrèshumble,trèsobéissantettrèsfidèleserviteur,

DELAFONTAINE. Préface

L’indulgencequel’onaeuepourquelques-unesdemesfablesmedonnelieud’espérerlamêmegrâcepourcerecueil.Cen’estpasqu’undesmaîtresdenotreéloquencen’aitdésapprouvéledesseindelesmettreenvers:ilacruqueleurprincipalornementestden’enavoiraucun;que,d’ailleurs,lacontraintedelapoésie,jointeàlasévéritédenotre langue,m’embarrasseraitenbeaucoupd’endroits,etbanniraitde laplupartdecesrécits labrièveté,qu’onpeut fortbienappeler l’âmeduconte,puisquesanselle il fautnécessairementqu’il languisse.Cetteopinionnesauraitpartirqued’unhommed’excellentgoût; jedemanderaisseulementqu’ilenrelâchâtquelquepeu,etqu’ilcrûtquelesgrâceslacédémoniennesnesontpastellementennemiesdesmusesfrançaises,quel’onnepuissesouventlesfairemarcherdecompagnie.

Aprèstout,jen’aientreprislachosequesurl’exemple,jeneveuxpasdiredesanciens,quinetirepointàconséquence pourmoi,mais sur celui desmodernes. C’est de tout temps, et chez tous les peuples qui fontprofessiondepoésie,queleParnasseajugécecidesonapanage.Àpeinelesfablesquel’onattribueàÉsopevirentlejour,queSocratetrouvaàproposdeleshabillerdeslivréesdesmuses.CequePlatonenrapporteestsiagréable,quejenepuism’empêcherd’enfaireundesornementsdecettepréface.IlditqueSocrateétantcondamnéauderniersupplice,l’onremitl’exécutiondel’arrêtàcausedecertainesfêtes.Cébès1l’allavoirlejourdesamort.Socrate luiditque lesdieux l’avaientavertiplusieurs fois,pendant sonsommeil,qu’ildevait s’appliquerà lamusiqueavantqu’ilmourût.Iln’avaitpasentendud’abordcequecesongesignifiait;car,commelamusiquenerendpasl’hommemeilleur,àquoibons’yattacher?Ilfallaitqu’ilyeûtmystèrelà-dessous,d’autantplusquelesdieuxneselassaientpasdeluienvoyerlamêmeinspiration.Elleluiétaitencorevenueunedecesfêtes.Sibienqu’ensongeantauxchosesqueleCielpouvaitexigerdelui,ils’étaitaviséquelamusiqueetlapoésieonttantderapport,quepossibleétait-cedeladernièrequ’ils’agissait.Iln’yapointdebonnepoésiesansharmonie;maisiln’yenapointnonplussansfictions,etSocratenesavaitquedirelavérité.Enfinilavaittrouvéuntempérament:c’étaitdechoisirdesfablesquicontinssentquelquechosedevéritable,tellesquesontcellesd’Ésope.Ilemployadoncàlesmettreenverslesderniersmomentsdesavie.

Socraten’estpasleseulquiaitconsidérécommesœurslapoésieetnosfables.Phèdreatémoignéqu’ilétaitdecesentiment;etparl’excellencedesonouvragenouspouvonsjugerdeceluiduprincedesphilosophes.AprèsPhèdre,Avienus2a traité lemêmesujet.Enfin lesmodernes lesont suivis:nousenavonsdesexemplesnonseulementchezlesétrangers,maischeznous.Ilestvraique,lorsquenosgensyonttravaillé,lalangueétaitsidifférentedecequ’elleest,qu’onnelesdoitconsidérerquecommeétrangers.Celanem’apointdétournédemonentreprise;aucontraire,jemesuisflattédel’espéranceque,sijenecouraisdanscettecarrièreavecsuccès,onmedonneraitaumoinslagloiredel’avoirouverte.

Ilarriverapossiblequemontravailferanaîtreàd’autrespersonnesl’enviedeporterlachoseplusloin.Tants’enfautquecettematièresoitépuisée,qu’ilresteencoreplusdefablesàmettreenversquejen’enaimis.J’aichoisivéritablement lesmeilleures,c’est-à-direcellesquim’ontsemblé telles;mais,outreque jepuism’êtretrompédansmonchoix,ilneserapasbiendifficilededonnerunautretouràcelles-làmêmesquej’aichoisies;et,sicetourestmoinslong,ilserasansdouteplusapprouvé.Quoiqu’ilenarrive,onm’auratoujoursobligation,soitquematéméritéaitétéheureuse,etquejenemesoispointtropécartéducheminqu’ilfallaittenir,soitquej’aieseulementexcitélesautresàmieuxfaire.

Jepenseavoirjustifiésuffisammentmondessein;quantàl’exécution,lepublicenserajuge.Onnetrouverapasici l’éléganceetl’extrêmebrièvetéquirendentPhèdrerecommandable;cesontqualitésau-dessusdemaportée.Commeilm’étaitimpossibledel’imiterencela,j’aicruqu’ilfallaitenrécompenseégayerl’ouvrageplusqu’il n’a fait. Non que je le blâme d’en être demeuré dans ces termes: la langue latine n’en demandait pasdavantage;et,sil’onyveutprendregarde,l’onreconnaîtradanscetauteurlevraicaractèreetlevraigéniedeTérence. La simplicité estmagnifique chez ces grandshommes:moi, qui n’ai pas les perfections du langagecommeilslesonteues,jenelapuiséleveràunsihautpoint.Iladoncfallusecompenserd’ailleurs;etc’estcequej’aifaitavecd’autantplusdehardiesse,queQuintilienditqu’onnesauraittropégayerlesnarrations.Ilnes’agitpasicid’enapporteruneraison:c’estassezqueQuintilienl’aitdit.J’aipourtantconsidéréque,cesfablesétantsuesdetoutlemonde,jeneferaisriensijenelesrendaisnouvellesparquelquestraitsquienrelevassent

1 Disciple de Socrate. 2 Avianus est un fabuliste du IVe siècle.

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legoût.C’estcequ’ondemandeaujourd’hui:onveutdelanouveautéetdelagaieté.Jen’appellepasgaietécequiexcitelerire,maisuncertaincharme,unairagréablequ’onpeutdonneràtoutessortesdesujets,mêmelesplussérieux.

Maiscen’estpastantparlaformequej’aidonnéeàcetouvragequ’onendoitmesurerleprix,queparsonutilitéetparsamatière;carqu’ya-t-ilderecommandabledanslesproductionsdel’espritquineserencontredansl’apologue?C’estquelquechosedesidivin,queplusieurspersonnagesdel’antiquitéontattribuélaplusgrandepartiedecesfablesàSocrate,choisissant,pourleurservirdepère,celuidesmortelsquiavaitleplusdecommunicationaveclesdieux.Jenesaiscommeilsn’ontpointfaitdescendreducielcesmêmesfablesetcommeilsneleurontpointassignéundieuquieneûtladirectionainsiqu’àlapoésieetàl’éloquence.Cequejedisn’estpastoutàfaitsansfondement,puisque,s’ilm’estpermisdemêlercequenousavonsdeplussacréparmileserreursdupaganisme,nousvoyonsquelaVéritéaparléauxhommesparparaboles,etlaparaboleest-elleautrechosequel’apologue,c’est-à-direunexemplefabuleux,etquis’insinueavecd’autantplusdefacilitéetd’effetqu’ilestpluscommunetplusfamilier?Quinenousproposeraitàimiterquelesmaîtresdelasagessenousfourniraitunsujetd’excuse: iln’yenapointquanddesabeillesetdesfourmissontcapablesdecelamêmequ’onnousdemande.

C’estpourcesraisonsquePlaton,ayantbanniHomèredesaRépublique,yadonnéàÉsopeuneplacetrèshonorable. Ilsouhaitequesesenfantssucentses fablesavec le lait; il recommandeauxnourricesde les leurapprendre;caronnesauraits’accoutumerdetropbonneheureàlasagesseetàlavertu.Plutôtqued’êtreréduitàcorrigernoshabitudes,ilfauttravailleràlesrendrebonnespendantqu’ellessontencoreindifférentesaubienouaumal.Orquelleméthodeypeutcontribuerplusutilementquecesfables?DitesàunenfantqueCrassus,allantcontrelesParthes,s’engageadansleurpayssansconsidérercommeilensortirait;quecelalefitpérir,luietsonarmée,quelqueeffortqu’ilfîtpourseretirer.Ditesaumêmeenfantquelerenardetleboucdescendirentaufondd’unpuitspouryéteindreleursoif;quelerenardensortit,s’étantservidesépaulesetdescornesdesoncamaradecommed’uneéchelle:aucontraire,leboucydemeurapourn’avoirpaseutantdeprévoyance;etparconséquent il faut considérer en toute chose la fin; je demande lequel de ces deux exemples fera le plusd’impressionsurcetenfant.Nes’arrêtera-t-ilpasauderniercommeplusconformeetmoinsdisproportionnéquel’autreàlapetitessedesonesprit?Ilnefautpointm’alléguerquelespenséesdel’enfancesontd’elles-mêmesassezenfantines,sansyjoindreencoredenouvellesbadineries.Cesbadineriesnesonttellesqu’enapparence,cardanslefondellesportentunsenstrèssolide.Etcommeparladéfinitiondupoint,delaligne,delasurface,etpard’autresprincipestrèsfamiliers,nousparvenonsàdesconnaissancesquimesurentenfinlecieletlaterre;demêmeaussi,parlesraisonnementsetconséquencesquel’onpeuttirerdecesfables,onseformeetlejugementetlesmœurs,onserendcapabledegrandeschoses.

Elles ne sont pas seulement morales, elles donnent encore d’autres connaissances; les propriétés desanimaux et leurs divers caractères y sont exprimés: par conséquent les nôtres aussi, puisquenous sommesl’abrégédecequ’ilyadebonetdemauvaisdanslescréaturesirraisonnables.QuandProméthéevoulutformerl’homme,ilpritlaqualitédominantedechaquebête:decespiècessidifférentesilcomposanotreespèce;ilfitcetouvragequ’onappellelePetitMonde.Ainsicesfablessontuntableauoùchacundenoussetrouvedépeint.Cequ’ellesnousreprésententconfirme lespersonnesd’âgeavancédans lesconnaissancesque l’usage leuradonnées,etapprendauxenfantscequ’ilfautqu’ilssachent.Commecesdernierssontnouveauxvenusdanslemonde,ilsn’enconnaissentpasencoreleshabitants,ilsneseconnaissentpaseux-mêmes;onnelesdoitlaisserdanscetteignorancequelemoinsqu’onpeut:illeurfautapprendrecequec’estqu’unlion,unrenard,ainsidureste,etpourquoil’oncomparequelquefoisunhommeàcerenardouàcelion.C’estàquoilesfablestravaillent;lespremièresnotionsdeceschosesproviennentd’elles.

J’aidéjàpassélalongueurordinairedespréfaces;cependantjen’aipasencorerenduraisondelaconduitedemonouvrage.

L’apologueestcomposédedeuxparties,dontonpeutappelerl’unelecorps,l’autrel’âme.Lecorpsestlafable;l’âmeestlamoralité.Aristoten’admetdanslafablequelesanimaux;ilenexclutleshommesetlesplantes.Cetterègleestmoinsdenécessitéquedebienséance,puisqueniÉsope,niPhèdre,niaucundesfabulistesnel’agardée,toutaucontrairedelamoralité,dontaucunnesedispense.Ques’ilm’estarrivédelefaire,cen’aétéquedanslesendroitsoùellen’apuentreravecgrâce,etoùilaétéaiséaulecteurdelasuppléer.OnneconsidèreenFrancequecequiplaît:c’estlagranderègle,et,pourainsidire,laseule.Jen’aidoncpascruquecefûtuncrimedepasserpar-dessuslesanciennescoutumes,lorsquejenepouvaislesmettreenusagesansleurfairetort.Dutempsd’Ésope,lafableétaitcontéesimplement,lamoralitéséparée,ettoujoursensuite.Phèdreestvenu,quines’est pas assujetti à cet ordre: il embellit la narration, et transporte quelquefois la moralité de la fin aucommencement.Quandilseraitnécessairedeluitrouverplace,jenemanqueàcepréceptequepourenobserverun qui n’est pas moins important; c’est Horace qui nous le donne. Cet auteur ne veut pas qu’un écrivains’opiniâtrecontrel’incapacitédesonespritnicontrecelledesamatière.Jamais,àcequ’ilprétendunhommequiveutréussirn’envientjusque-là;ilabandonneleschosesdontilvoitqu’ilnesauraitrienfairedebon:

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EtquæDesperattractatanitescereposse,relinquit.3

C’estcequej’aifaitàl’égarddequelquesmoralitésdusuccèsdesquellesjen’aipasbienespéré.

ÀMonseigneurleDauphinJechanteleshérosdontÉsopeestlepère,Troupedequil’histoire,encorquemensongère,Contientdesvéritésquiserventdeleçons.Toutparleenmonouvrage,etmêmelespoissons;Cequ’ilsdisents’adresseàtoustantquenoussommesJemesersd’animauxpourinstruireleshommes.Illustrerejetond’unprinceaimédescieux,Surquilemondeentieramaintenantlesyeux,Etqui,faisantfléchirlesplussuperbestêtes,Compteradésormaissesjourspardesconquêtes,Quelqueautretedirad’uneplusfortevoixLesfaitsdetesaïeuxetlesvertusdesrois.Jevaist’entretenirdemoindresaventures,Tetracerencesversdelégèrespeintures;Etsidet’agréerjen’emporteleprix,J’auraidumoinsl’honneurdel’avoirentrepris.

Troisième recueil de Fables (1693) : à Monseigneur le Duc de Bourgogne

Monseigneur,

Jenepuisemployer,pourmesfables,deprotectionquimesoitplusglorieusequelavôtre.Cegoûtexquisetcejugementsisolidequevousfaîtesparaîtredanstouteschosesau-delàd'unâgeoùàpeinelesautresprincessont-ilstouchésdecequilesenvironneavecleplusd'éclat;toutcela,jointaudevoirdevousobéiretàlapassiondevousplaire,m'aobligédevousprésenterunouvragedontl'originalaétél'admirationdetouslessièclesaussibienquecelledetouslessages.Vousm'avezmêmeordonnédecontinuer;et,sivousmepermettezdeledire,ilyadessujetsdontjevoussuisredevable,etoùvousavezjetédesgrâcesquiontétéadmiréesdetoutlemonde.Nousn'avonsplusbesoinde consulterniApollonni lesMuses, ni aucunedesdivinitésduParnasse : elle serencontrenttoutesdanslesprésentsquevousafaitslanature,etdanscettesciencedebienjugerdesouvragesdel'esprit,àquoivousjoignezdéjàcelledeconnaîtretouteslesrèglesquiyconviennent.Lesfablesd'Ésopesontuneamplematièrepourcestalents,ellesembrassenttoutessortesd'événementsetdecaractères.Cesmensongessontproprementunemanièred'histoireoùonneflattepersonne.Cenesontpaschosesdepeud'importancequecessujets:lesanimauxsontlesprécepteursdeshommesdansmonouvrage.Jenem'étendraipasdavantagelà-dessus:vousvoyezmieuxquemoileprofitqu'onpeutentirer.Sivousvousconnaissezmaintenantenorateursetenpoètes,vousvousconnaîtrezencoremieuxquelquejourenbonspolitiquesetenbonsgénérauxd'armée;etvousvoustromperezaussipeuauchoixdespersonnesqu'auméritedesactions. Jenesuispasd'unâgeàespérerd'enêtretémoin.Ilfautquejem’encontentedetravaillersousvosordres.L'enviedevousplairemetiendralieud'uneimaginationquelesansontaffaiblie:quandvoussouhaiterezquelquefable,jelatrouveraidans ce fonds-là. Je voudrais bien que vous y pussiez trouver des louanges dignes du monarque qui faitmaintenantledestindetantdepeuplesetdenations,etquirendtouteslespartiesdumondeattentivesàsesconquêtes,àsesvictoires,etàlapaixquisembleserapprocher,etdontilimposelesconditionsavectoutelamodérationquepeuventsouhaiternosennemis.Jemelefigurecommeunconquérantquiveutmettredesbornesàsagloireetàsapuissance,etdequionpourraitdire,àmeilleurtitrequ'onnel'aditd'Alexandre,qu'ilvatenirlesÉtatsdel'univers,enobligeantlesministresdetantdeprincesdes'assemblerpourtermineruneguerrequinepeutêtrequeruineuseàleursmaîtres.Cesontdessujetsau-dessusdenosparoles;jeleslaisseàdemeilleuresplumesquelamiennes,etsuisavecunprofondrespect.

Monseigneur,Votretrèshumble,trèsobéissant

ettrèsfidèleserviteur,DELAFONTAINE.

3 Citation d’Horace : « Et ce qu’il craint de ne pouvoir rendre attrayant par sa touche personnelle, il l’abandonne. »

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La Fontaine vu par… Perrault, Chamfort, Sainte-Beuve et les autres. La Fontaine par Charles Perrault, «Son plus bel ouvrage et qui vivra éternellement, c'est son recueil des fables d'Ésope qu'il a traduites ouparaphrasées. Il a joint au bon sens d'Ésope des ornements de son invention si convenables, si judicieux et siréjouissants enmême temps, qu'il estmalaisé de faire une lecture plus utile et plus agréable tout ensemble. Iln'inventaitpaslesfables,maisilleschoisissaitbien,etlesrendaitpresquetoujoursmeilleuresqu'ellesn'étaient.» La Fontaine par Madame de Sévigné, lettre à Bussy-Rabutin, 20 juillet 1679 «Faites-vousenvoyerpromptement lesFablesde laFontaine;ellessontdivines.Oncroitd’abordendistinguerquelques-unes;etàforcedelesrelire,onlestrouvetoutesbonnes.C’estunemanièredenarrer,etunstyleàquoil’on ne s’accoutume point. Mandez-m’en votre avis, et le nom de celles qui vous auront sauté aux yeux lespremières.» La Fontaine vu par Jean de La Bruyère, Discours de réception à l’Académie française, 15 juin 1693 «UnautrepluségalqueMarot,etpluspoètequeVoiture,alejeu,letouretlanaïvetédetouslesdeux;ilinstruitenbadinant,persuadeauxhommeslavertuparl’organedesbêtes,élèvelespetitssujetsjusqu’ausublime;hommeunique dans son genre d’écrire, toujours original, soit qu’il invente, soit qu’il traduise, qui a été au-delà de sesmodèles,modèlelui-mêmedifficileàimiter.» La Fontaine vu par Jean-Jacques Rousseau, Émile ou De l’éducation (livre II), 1762 «Émilen’apprendrajamaisrienparcœur,pasmêmedesfables,pasmêmecellesdelaFontaine,toutesnaïves,toutescharmantes qu’elles sont; car lesmots des fables ne sont pas plus les fables que lesmots de l’histoire ne sontl’histoire. Comment peut-on s’aveugler assez pour appeler les fables la morale des enfants, sans songer quel’apologue,enlesamusant,lesabuse;que,séduitsparlemensonge,ilslaissentéchapperlavérité,etquecequ’onfaitpourleurrendrel’instructionagréablelesempêched’enprofiter?Lesfablespeuventinstruireleshommes;maisilfautdirelavériténueauxenfants:sitôtqu’onlacouvred’unvoile,ilsnesedonnentpluslapeinedelelever.OnfaitapprendrelesfablesdelaFontaineàtouslesenfants,etiln’yenapasunseulquilesentende.Quandilslesentendraient,ceseraitencorepis;carlamoraleenesttellementmêléeetsidisproportionnéeàleurâge,qu’ellelesporteraitplusauvicequ’àlavertu.Cesontencorelà,direz-vous,desparadoxes.Soit;maisvoyonssicesontdesvérités.Jedisqu’unenfantn’entendpointlesfablesqu’onluifaitapprendre,parcequequelqueeffortqu’onfassepourlesrendresimples,l’instructionqu’onenveuttirerforced’yfaireentrerdesidéesqu’ilnepeutsaisir,etqueletourmêmedelapoésie,enlesluirendantplusfacilesàretenir, lesluirendplusdifficilesàconcevoir,ensortequ’onachètel’agrémentauxdépensdelaclarté.Sanscitercettemultitudedefablesquin’ontriend’intelligiblenid’utilepour lesenfants,etqu’on leur fait indiscrètementapprendreavec lesautres,parcequ’elless’y trouventmêlées,bornons-nousàcellesquel’auteursembleavoirfaitesspécialementpoureux.JeneconnaisdanstoutleRecueildelaFontainequecinqousixfablesoùbrilleéminemmentlanaïvetépuérile:decescinqousix,jeprendspourexemplelapremièredetoutes,parcequec’estcelledontlamoraleestleplusdetoutâge,cellequelesenfantssaisissentlemieux,cellequ’ilsapprennentavecleplusdeplaisir,enfincellequepourcelamêmel’Auteuramiseparpréférenceàlatêtedesonlivre.Enluisupposantréellementl’objetd’êtreentendudesenfants,deleurplaireetdelesinstruire,cettefableestassurémentsonchef-d’œuvre:qu’onmepermettedoncdelasuivreetdel’examinerenpeudemots. LE CORBEAU ET LE RENARD, Fable MaîtreCorbeau,surunarbreperché,Maître!quesignifiecemotenlui-même?quesignifie-t-ilau-devantd’unnompropre?quelsensa-t-ildanscetteoccasion?Qu’est-cequ’uncorbeau?Qu’est-cequ’unarbreperché?l’onneditpas;surunarbreperché:l’ondit,perchésurunarbre.ParconséquentilfautparlerdesinversionsdelaPoésie;ilfautdirecequec’estqueproseetquevers.Tenaitdanssonbecunfromage.Quel fromage?était-ceunfromagedeSuisse,deBrie,oudeHollande?Si l’enfantn’apointvudecorbeaux,quegagnez-vousà lui enparler? s’il enavu, comment concevra-t-il qu’ils tiennentun fromageà leurbec?Faisonstoujoursdesimagesd’aprèsnature.

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MaîtreRenard,parl’odeuralléché,Encoreunmaître!maispourcelui-cic’estàbontitre:ilestmaîtrepassédanslestoursdesonmétier.Ilfautdirecequec’estqu’unrenard,etdistinguersonvrainaturel,ducaractèredeconventionqu’iladanslesfables.Alléché.Cemotn’estpasusité.Illefautexpliquer:ilfautdirequ’onnes’ensertplusqu’envers.L’enfantdemanderapourquoil’onparleautrementenversqu’enprose.Queluirépondrez-vous?Alléché par l’odeur d’un fromage! Ce fromage tenu par un corbeau perché sur un arbre, devait avoir beaucoupd’odeurpourêtresentiparlerenarddansuntaillisoudanssonterrier!Est-ceainsiquevousexercezvotreélèveàcetespritde critique judicieuse,quine s’en laisse imposerqu’àbonnesenseignes, et saitdiscerner lavéritédumensonge,danslesnarrationsd’autrui?Luitintàpeuprèscelangage:Celangage!Lesrenardsparlentdonc?ilsparlentdonclamêmeLanguequelescorbeaux?Sageprécepteur,prendsgardeàtoi:pèsebientaréponseavantdelafaire.Elleimporteplusquetun’aspensé.Eh!bonjour,MonsieurleCorbeau!Monsieur!titrequel’enfantvoittournerendérision,mêmeavantqu’ilsachequec’estuntitred’honneur.CeuxquidisentMonsieurduCorbeauaurontbiend’autresaffairesavantqued’avoirexpliquécedu.Quevousêtescharmant!quevousmesemblezbeau!Cheville,redondanceinutile.L’enfant,voyantrépéterlamêmechoseend’autrestermes,apprendàparlerlâchement.Si vousdites que cette redondance est un art de l’auteur, et entredans le desseindu renard, qui veut paraîtremultiplierlesélogesaveclesparoles;cetteexcuseserabonnepourmoi,maisnonpaspourmonélève.Sansmentir,sivotreramageSansmentir!onmentdoncquelquefois?Oùenseral’enfant,sivousluiapprenezquelerenardnedit,sansmentir,queparcequ’ilment?Répondaitàvotreplumage.Répondait! que signifie cemot?Apprenez à l'enfant à comparerdesqualités aussi différentesque la voix et leplumage;vousverrezcommeilvousentendra.VousseriezlePhénixdeshôtesdecesbois.Le Phénix! Qu’est-ce qu’un phénix? Nous voici tout-à-coup jetés dans la menteuse antiquité; presque dans lamythologie.Leshôtesdecesbois!Queldiscoursfiguré!Leflatteurennoblitsonlangageetluidonneplusdedignitépourlerendreplusséduisant.Unenfantentendra-t-ilcettefinesse?sait-ilseulement,peut-ilsavoir,cequec’estqu’unstylenobleetunstylebas?Àcesmots,leCorbeaunesesentpasdejoie.Ilfautavoiréprouvédéjàdespassionsbienvivespoursentircetteexpressionproverbiale.Etpourmontrersabellevoix,N’oubliezpasquepourentendreceversettoutelafable,l’enfantdoitsavoircequec’estquelabellevoixducorbeau.Ilouvreunlargebec,laissetombersaproie.Ceversestadmirable;l’harmonieseuleenfaitimage.Jevoisungrandvilainbecouvert;j’entendstomberlefromageàtraverslesbranches:maiscessortesdebeautéssontperduespourlesenfants.LeRenards’ensaisit,etdit:MonbonMonsieur,Voilàdonclabontétransforméeenbêtise:assurémentonneperdpasdetempspourinstruirelesenfants.ApprenezquetoutflatteurMaximegénérale;nousn’ysommesplus.Vitauxdépensdeceluiquil’écoute.

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Jamaisenfantdedixansn’entenditcevers-là.Cetteleçonvautbienunfromage,sansdoute.Cecis’entend,etlapenséeesttrèsbonne.Cependantilyauraencorebienpeud’enfantsquisachentcompareruneleçonàunfromage,etquinepréférassentlefromageàlaleçon.Ilfautdoncleurfaireentendrequeceproposn’estqu’uneraillerie.Quedefinessepourdesenfants!Lecorbeau,honteuxetconfus,Autrepléonasme;maiscelui-ciestinexcusable.Jura,maisunpeutard,qu’onnel’yprendraitplus.Jura!QuelestlesotdeMaîtrequioseexpliqueràl’enfantcequec’estqu’unserment?Voilàbiendesdétails;bienmoinscependantqu’iln’enfaudraitpouranalysertouteslesidéesdecettefable,etlesréduireauxidéessimplesetélémentairesdontchacuned’ellesestcomposée.Maisquiest-cequicroitavoirbesoindecetteanalysepoursefaireentendreàlajeunesse?Nuldenousn’estassezphilosophepoursavoirsemettreàlaplaced’unenfant.Passonsmaintenantàlamorale.Jedemandesic’estàdesenfantsdedixansqu’ilfautapprendrequ’ilyadeshommesquiflattentetmententpourleurprofit?Onpourraittoutauplusleurapprendrequ’ilyadesrailleursquipersiflentlespetitsgarçons,etsemoquentensecretdeleursottevanité:maislefromagegâtetout;onleurapprendmoinsànepaslelaissertomberdeleurbec,qu’àlefairetomberdubecd’unautre.C’esticimonsecondparadoxe,etcen’estpaslemoinsimportant.Suivezlesenfantsapprenantleursfables,etvousverrezquequandilssontenétatd’enfairel’application,ilsenfontpresquetoujoursunecontraireàl’intentiondel’auteur,etqu’aulieudes’observersurledéfautdontonlesveutguérir ou préserver, ils penchent à aimer le vice avec lequel on tire parti des défauts des autres.Dans la fableprécédente,lesenfantssemoquentducorbeau,maisilss’affectionnenttousaurenard.Danslafablequisuit;vouscroyez leur donner la cigale pour exemple, et point du tout, c’est la fourmi qu’ils choisiront.Onn’aimepoint às’humilier;ilsprendronttoujourslebeaurôle;c’estlechoixdel’amour-propre,c’estunchoixtrèsnaturel.Or,quellehorribleleçonpourl’enfance!Leplusodieuxdetouslesmonstresseraitunenfantavareetdur,quisauraitcequ’onluidemandeetcequ’ilrefuse.Lafourmifaitplusencore,elleluiapprendàraillerdanssesrefus.Danstouteslesfablesoùlelionestundespersonnages,commec’estd’ordinaireleplusbrillant,l’enfantnemanquepointdesefairelion;etquandilprésideàquelquepartage,bieninstruitparsonmodèle,ilagrandsoindes’emparerde tout. Mais quand le moucheron terrasse le lion, c’est une autre affaire; alors l’enfant n’est plus lion, il estmoucheron.Ilapprendàtuerunjouràcoupsd’aiguillonceuxqu’iln’oseraitattaquerdepiedferme.Danslafableduloupmaigreetduchiengras,aulieud’uneleçondemodérationqu’onretendluidonner,ilenprendunedelicence.Jen’oublieraijamaisd’avoirvubeaucouppleurerunepetitefillequ’onavaitdésoléeaveccettefable,toutenluiprêchanttoujoursladocilité.Oneutpeineàsavoirlacausedesespleurs,onlasutenfin.Lapauvreenfants’ennuyaitd’êtreàlachaîne:ellesesentaitlecoupelé;ellepleuraitden’êtrepasloup.Ainsidonc lamoralede lapremière fablecitéeestpour l’enfantune leçonde laplusbasse flatterie; cellede lasecondeune leçond’inhumanité;cellede la troisièmeune leçond’injustice;cellede laquatrième,une leçondesatire;celledelacinquièmeuneleçond’indépendance.Cettedernièreleçon,pourêtresuperflueàmonélève,n’enestpasplusconvenableauxvôtres.Quandvousleurdonnezdespréceptesquisecontredisent,quelfruitespérez-vousdevossoins?Maispeut-être,àcelaprès,toutecettemoralequimesertd’objectioncontrelesfables,fournit-elleautantderaisonsdelesconserver.Ilfautunemoraleenparolesetuneenactionsdanslasociété,etcesdeuxmoralesneseressemblentpoint.Lapremièreestdanslecatéchisme,oùonlalaisse;l’autreestdanslesfablesdeLaFontainepourlesenfants,etdanssescontespourlesmères.Lemêmeauteursuffitàtout.Composons,MonsieurdeLaFontaine.Jepromets,quantàmoi,devouslireavecchoix,devousaimer,dem’instruiredansvosfables;carj’espèrenepasmetrompersurleurobjet.Maispourmonélève,permettezquejeneluienlaissepasétudieruneseule,jusqu’àcequevousm’ayezprouvéqu’ilestbonpourluid’apprendredeschosesdontilnecomprendrapaslequart;quedanscellesqu’ilpourracomprendreilneprendrajamaislechange,etqu’aulieudesecorrigersurladupe,ilneseformerapassurlefripon.Enôtantainsi tous lesdevoirsdesenfants, j’ôte les instrumentsde leurplusgrandemisère,savoir les livres.Lalectureestlefléaudel’enfance,etpresquelaseuleoccupationqu’onluisaitdonner.ÀpeineàdouzeansÉmilesaura-t-ilcequec’estqu’unlivre.Maisilfautbien,aumoins,dira-t-on,qu’ilsachelire.J’enconviens:ilfautqu’ilsachelirequandlalectureluiestutile;jusqu’alorsellen’estbonnequ’àl’ennuyer.» La Fontaine par Chamfort, Éloge de La Fontaine, 1774 «MaiscequidistingueLaFontainedetouslesmoralistes,c'estlafacilitéinsinuantedesamorale,c'estcettesagessenaturelle,commelui-même,quiparaîtn'êtrequ'unheureuxdéveloppementdesoninstinct.Chezlui,lavertunese

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présentepointenvironnéeducortègeeffrayantqui l'accompagned'ordinaire.Riend'affligeant,riendepénible :offre-t-ilquelqueexempledegénérositéquelquesacrifice,illefaitnaîtredel'amour,del'amitié,d'unsentimentsisimple,sidouxpourceluiqui l'éprouve,quecesacrificemêmeadû luiparaîtreunbonheur.Mais,s'ilécarteengénérallesidéestristesd'efforts,deprivations,dedévouements,ilsemblequ'ilscesseraientd'êtrenécessaires,etquelasociétén'enauraitplusbesoin.Ilnevousparlequedevous-mêmeoupourvous-même;etdesesleçons,ouplutôt, de ses conseils, naîtrait le bonheur général. Combien cette morale est supérieure à celle de tant dephilosophesquiparaissentn'avoirpointécritpourdeshommes, etqui«taillent», commeditMontaigne, «nosobligationsàlaraisond'unautreÊtre»?Telleesteneffetlamisèreetlavanitédel'homme,qu'aprèss'êtremisau-dessousdelui-mêmeparsesvices,ilveutensuites'éleverau-dessusdesanatureparlesimulacreimposantdesvertusauxquellesilsecondamne,etqu'ildeviendrait,enréalisantleschimèresdesonorgueil,aussiméconnaissableàlui-mêmeparsasagesse,qu'ill'esteneffetparsafolie.Maisaprèstouscesvainsefforts,renduàsamédiocriténaturelle, soncœur lui répètecemotd'unvraisage,quec'estunecruautédevouloirélever l'homme,à tantdeperfection.Aussi,toutcefastephilosophiquetombe-t-ildevantlaraisonsimple,maislumineuse,deLaFontaine.Unancienosaitdirequ'ilfautcombattresouventlesloisparlanature;c'estparlanaturequeLaFontainecombatlesmaximesoutréesdelaphilosophie.Sonlivreestlaloinaturelleenaction.C'estlamoraledeMontagneépuréedansuneâmeplusdouce,rectifiéeparunsensencorplusdroit,embelliedescouleursd'uneimaginationplusaimable,moinsfortepeut-être,maisnonpasmoinsbrillante.N'attendez point de lui ce fastueux mépris de la mort, qui, parmi quelques leçons d'un courage trop souventnécessaireàl'homme,afaitdébiterauxphilosophestantd'orgueilleusesabsurdités.Toutsentimentexagérén'avaitpointdeprise sur sonâme, s'enécartaitnaturellement, et la facilitémêmede son caractère semblait l'enavoirpréservé.LaFontainen'estpoint lepoètede l'héroïsme, ilestceluide laviecommune,de laraisonvulgaire.Letravail,lavigilance,l'économie,laprudencesansinquiétude,l'avantagedevivreavecseségaux,lebesoinqu'onpeutavoirdesesinférieurs,lamodération,laretraite,voilàcequ'ilaimeetcequ'ilfaitaimer.L'amour,cetobjetdetantdedéclamations,«cemalquipeut-êtreestunbien»,ditLaFontaine,illemontrecommeunefaiblessenaturelleetintéressante. Il n'affecte point ce mépris pour l'espèce humaine, qui aiguise la satire mordante de Lucien, quis'annoncehardimentdanslesécritsdeMontagne,sedécouvredanslafoliedeRabelais,etpercequelquefoismêmedans l'enjouement d'Horace. Ce n'est point cette austérité qui appelle, comme dans Boileau, la plaisanterie ausecoursd'uneraisonsévère,nicetteduretémisanthropiquedeLaBruyèreetdePascal,qui,portantleflambeaudansl'abîmeducœurhumain,jetteunelueureffrayantesursestristesprofondeurs.Lemalqu'ilpeint,illerencontre;lesautresl'ontcherché.Poureux,nosridiculessontdesennemisdontilssevengent;pourLaFontaine,cesontdespassantsincommodesdontilsongeàsegarantir:ilritetnehaitpoint.Censeurassezindulgentdenosfaiblesses,l'avariceestdetousnostraversceluiquiparaîtleplusrévoltersonbonsensnaturel.Maiss'iln'éprouveetn'inspirepoint,Ceshainesvigoureuses,Quedoitdonnerleviceauxâmesvertueuses,aumoinspréserve-t-ilseslecteursdupoisondelamisanthropie,effetordinairedeceshaines;l'âme,aprèslalecturede ses ouvrages, calme, reposée, et pour ainsi dire, rafraîchie comme au retour d'une promenade solitaire etchampêtre,trouveensoi-mêmeunecompassiondoucepourl'humanité,unerésignationtranquilleàlaprovidence,àlanécessité,auxloisdel'ordreétabli,enfinl'heureusedispositiondesupporterpatiemmentlesdéfautsd'autrui,etmêmelessiens:leçonquin'estpeut-êtrepasunedesmoindresquepuissedonnerlaphilosophie.» La Fontaine vu par Voltaire, lettre de M. de La Visclède au Secrétaire perpétuel de l’Académie de Pau, 1776 «Vousconnaissezcetenfantdelanature,ceLaFontaine[…].Ilavaitcegranddondelanature,letalent.L'espritleplussupérieurn'ysauraitatteindre.C'estparlestalentsquelesiècledeLouisXIVseradistinguéàjamaisdetouslessiècles, dansnotre France si longtemps grossière. Il y aura toujoursde l'esprit; les connaissancesdeshommesaugmenteront,onverradesouvragesutiles;maisdes talents, jedoutequ'ilennaissebeaucoup. Jedoutequ'onretrouvel'auteurdeCinna,celuid'Iphigénie,d'Athalie,dePhèdre,celuidel'Artpoétique,celuideRolandetArmide,celuiquiforçaenchaire,jusqu'àdesministres,depleureretd'admirerlafilledeHenriIV,veuvedeCharlesIeretsafilleHenriette,Madame.[…]Tout cela,monsieur, n'empêche pas qu'un nombre considérable de fables pleines de sentiment, d'ingénuité, definesse,etd'élégance,nesoientlecharmedequiconquesaitlire.Quandjedisqu'ilestpresqueégal,danssesbonnesfables,auxgrandshommesdesonmémorablesiècle,jenedisriendetropfort.Jeseraisunexagérateurridiculesij'osaiscomparerMaîtreCorbeau,surunarbreperché,

Tenaitensonbecunfromage;

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etLacigaleayantchanté

Toutl'été,àcesversdeCornéliequitientl'urnedesonépoux:Éternelentretiendehaineetdepitié,RestesdugrandPompée,écoutezsamoitié;etàceuxdeCésar:Rested'undemi-dieudontàpeinejepuisÉgalerlegrandnom,toutvainqueurquej'ensuis!«LeSavetieretleFinancier»,«LesAnimauxmaladesdelapeste»,«leMeunier,sonFilsetl'Âne»,etc.,etc.,toutexcellentsqu'ils sontdans leurgenre,ne seront jamaismisparmoiaumêmerangque la scèned'HoraceetdeCuriace,ouquelespiècesinimitablesdeRacine,ouqueleparfaitArtpoétiquedeBoileau,ouqueleMisanthropeetleTartuffedeMolière.Lemériteextrêmedeladifficultésurmontée,ungrandplanconçuavecgénie,exécutéavecungoûtquinesedémentjamaisdansRacine,laperfectionenfindansungrandart,toutcelaestbiensupérieuràl'artdeconter. Jeneveuxpointégalerlevoldelafauvetteàceluidel'aigle. JemeborneàvoussoutenirqueLaFontaineasouventréussidanssonpetitgenreautantqueCorneilledanslesien.[…]Vousmefaites,monsieur,unequestionplusimportante.VousmedemandezpourquoiLouisXIVnefitpastombersesbienfaitssurLaFontaine,commesurlesautresgensdelettresquifirenthonneuraugrandsiècle.Jevousrépondraid'abordqu'ilnegoûtaitpasassezlegenredanslequelceconteurcharmantexcella.IltraitaitlesfablesdelaFontainecommelestableauxdeTeniers,dontilnevoulaitvoiraucundanssesappartements.Iln'aimaitlepetitenaucungenre,quoiqu'ileûtdansl'esprit autantdedélicatessequedegrandeur. Ilnegoûta lespetits versdeBenseradequeparcequ'ils avaientrapportauxfêtesmagnifiquesqu'ildonnait.Deplus,LaFontaineétaitd'uncaractèreànesepasprésenteràlacourdecemonarque.Sesdistractionscontinuelles,sonextrêmesimplicité,réjouissaientsesamis,etn'auraientpuplaireàunhommetelqueLouisXIV.» La Fontaine vu par Sainte-Beuve, Causeries du lundi, tome VII, 1853 «ParlerdeLaFontainen’estjamaisunennui,mêmequandonseraitbiensûrden’yrienapporterdenouveau:c’estparlerdel’expériencemême,durésultatmoraldelavie,dubonsenspratique,finetprofond,universeletdivers,égayéderaillerie,animédecharmeetd’imagination,corrigéencoreetembelliparlesmeilleurssentiments,consolésurtoutparl’amitié;c’estparlerenfindetoutesceschosesqu’onnesentjamaismieuxquelorsqu’onamûrisoi-même.CeLaFontainequ’ondonneàlireauxenfantsnesegoûtejamaissibienqu’aprèslaquarantaine;c’estcevinvieuxdontparleVoltaireetauquelilacomparélapoésied’Horace:ilgagneàvieillir,et,demêmequechacunenprenantdel’âgesentmieuxLaFontaine,demêmeaussilalittératurefrançaise,àmesurequ’elleavanceetqu’elleseprolonge,sembleluiaccorderuneplusbelleplaceetlereconnaîtreplusgrand.Longtempsonn’aosélemettretoutàfaitaumêmerangquelesautresgrandshommes,quelesautresgrandspoètesquiontillustrésonsiècle:«LeSavetieretleFinancier,disaitVoltaire,lesAnimauxmaladesdelapeste,leMeunier,sonFilsetl’Âne,etc.,etc.,toutexcellentsqu’ilssontdansleurgenre,neserontjamaismisparmoiaumêmerangquelascèned’HoraceetdeCuriace,ouquelespiècesinimitablesdeRacine,ouqueleparfaitArtpoétiquedeBoileau,ouqueleMisanthropeouleTartuffedeMolière.»Voltairepeut-êtrearaison,etpourtantlapostérité,quin’apasàopterentreceschefs-d’œuvrediversniàsedéciderpourl’unaudétrimentdesautres,lapostérité,quin’estpashommedelettres,neseposepointlaquestiondelasorte;ellenerecherchepascequiestplusoumoinsdifficileouélevécommeart,commecomposition;elleoublielesgenres,ellenevoitplusqueletrésormoraldesagesse,devéritéhumaine, d’observation éternelle qui lui est transmise sous une forme si parlante et si vive. Elle jouit de cescharmantstableauxencoreplusqu’ellenesongeàlesmesurerouàlesclasser;elleenaimel’auteur,ellelereconnaîtpourceluiquialeplusreproduitenluietdanssapoésietouteréellelestraitsdelaraceetdugéniedenospères;et,siuncritiqueplushardiqueVoltairevientàdire:«NotrevéritableHomère,l’HomèredesFrançais,quilecroirait?c’estLaFontaine,»cettepostéritéyréfléchitunmoment,etellefinitparrépondre:C’estvrai.»

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Lathéoriedel’animal-machineRENEDESCARTES(1506-1650)DiscoursdelaMéthode(1637)[…Lemouvementdel’animal]nesembleranullementétrangeàceuxqui,sachantcombiendediversautomates,ou machines mouvantes, l'industrie des hommes peut faire, sans y employer que fort peu de pièces, àcomparaisondelagrandemultitudedesos,desmuscles,desnerfs,desartères,desveines,etdetouteslesautrespartiesquisontdanslecorpsdechaqueanimal,considérerontcecorpscommeunemachine,qui,ayantétéfaitedes mains de Dieu, est incomparablement mieux ordonnée et a en soi des mouvements plus admirablesqu'aucunedecellesquipeuventêtreinventéesparleshommes.[…]C'estaussiunechosefortremarquableque,bienqu'ilyaitplusieursanimauxquitémoignentplusd'industriequenousenquelques-unesdeleursactions,onvoittoutefoisquelesmêmesn'entémoignentpointdutoutenbeaucoupd'autres:defaçonquecequ'ilsfontmieuxquenousneprouvepasqu'ilsontdel'esprit,caràcecompteilsenauraientplusqu'aucundenousetferaientmieuxentouteautrechose;maisplutôtqu'ilsn'enontpoint,etquec'estlanaturequiagiteneuxselonladispositiondeleursorganes:ainsiqu'onvoitqu'unehorloge,quin'estcomposéequederouesetderessorts,peutcompterlesheuresetmesurerletempsplusjustementquenousavectoutenotreprudence.

PourDescartes,lanaturedel’âmeestdistinctedecelleducorps.Considérantlecorpscommeunpurobjetmatériel,Descartesenfaitunethéoriemécaniste.L’organismeneseraitqu’unegrandemachineperfectionnée,entièrementexplicableparlesloisdelaphysique.Lerecoursàunprincipeimmatérield’animationpourexpliquerlavieestalorsinutile. Tout n’est, pour lui, que leviers, tuyaux, chaudière, rouages, ressorts… L’animal, pure machine selonDescartes,neressentrienetréagitdemanièrepurementmécanique.Dansd’autrestextes,Descartesprécisedavantagesapenséeennotantquetoutes lesactions,etsurtout lesplusaccomplies,desanimauxpeuventêtreexpliquéesparlastructureetladispositiondeleursorganesetrésulterdel’instinct(nousdirionsaujourd’hui:duprogrammegénétique).Laperfectionmêmedecertainesdeleursactionsplaideraitpourlecaractèreautomatiquedeleurexécution.Aucontraire,uneactionintelligenteatoujoursquelquechosed’imparfaitetd’inachevé,etpeutêtreencoreperfectionnée.Ladifférenceentre l’hommeet l’animaln’estdoncpasunedifférencededegréoudecomplexité,maisbienunedifférencedenature.Carl’homme,parcequ’ilpense,parleouinventeunsystèmedesignesdestinéàcommuniquercequ’ilpense.Laparoleestleseulsignecertaind’unepenséeenferméedanslecorps.Onpeutalorsconjecturerquesil’animalnenouscommuniquepassespensées,cen’estpasparcequenousnecomprendrionspasle«langage»dans lequel il lesexprime,maisparcequ’ilnepensepas.Celaneveutpasdirequ’ilnevitpasouqu’iln’estpassensible,maisseulementqu’iln’estrégiqueparunprincipemécaniqueetnonaussiparunprincipe intelligent.(D’aprèsScribd) La Fontaine s’oppose à ce principe et y revient dans son « Discours à Madame de la Sablière » (IX) Descartes, dans sa « lettre au marquis de Newcastle » en 1646, revient sur l’animal-machine : Jesaisbienquelesbêtesfontbeaucoupdechosesmieuxquenous,maisjenem'enétonnepas;carcelamêmesertàprouverqu'ellesagissentnaturellementetparressorts,ainsiqu'unehorloge,laquellemontrebienmieuxl'heurequ'ilestquenotrejugementnenousl'enseigne.Etsansdouteque,lorsqueleshirondellesviennentauprintemps,ellesagissentencelacommedeshorloges.Toutcequefontlesmouchesàmielestdemêmenatureetl'ordre que tiennent les grues en volant, et celui qu'observent les singes en se battant, s'il est vrai qu'ils enobserventquelqu'un,etenfinl'instinctd'ensevelirleursmorts,n'estpasplusétrangequeceluideschiensetdeschats,quigrattentlaterrepourensevelirleursexcréments,bienqu'ilsnelesensevelissentpresquejamais:cequimontrequ'ilsnelefontqueparinstinct,etsansypenser.Onpeutseulementdireque,bienquelesbêtesnefassentaucuneactionquinousassurequ'ellespensent,toutefois,àcausequelesorganesdeleurscorpsnesontpasfortdifférentsdesnôtres,onpeutconjecturerqu'ilyaquelquepenséejointeàcesorganes,ainsiquenousexpérimentonsennous,bienquelaleursoitbeaucoupmoinsparfaite.Àquoijen'airienàrépondre,sinonque,si elles pensaient ainsi que nous, elles auraient une âme immortelle aussi bien que nous ; ce qui n'est pasvraisemblable,àcausequ'iln'yapointderaisonpourlecroiredequelquesanimaux,sanslecroiredetous,etqu'ilyenaplusieurstropimparfaitspourpouvoircroirecelad'eux,commesontleshuîtres,leséponges,etc.

Bibliographie, Filmographie, Visite

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BIOGRAPHIES ET DOCUMENTAIRES - Roger Duchêne, Jean de La Fontaine, Fayard, 1995. - Erik Orsenna, La Fontaine, Une école buissonnière, Stock, 2017. - Sylvie Dodeller, La Fontaine, En vers et contre tous ! École des Loisirs, 2017. - Patrick Dandrey, La Fontaine ou Les métamorphoses d’Orphée, « Découvertes Gallimard », Gallimard, 2008. Sur le XVIIe siècle - Paul Morand, Fouquet ou Le Soleil offusqué, Folio histoire, 1985. - Antoine Adam, Histoire de la littérature française au XVIIe siècle, Albin Michel, 1997. - François Lebrun, Louis XIV, Le Roi de Gloire, Découvertes Gallimard, Gallimard, 2007. - Voltaire, Le Siècle de Louis XIV, Folio classique, 2015. - Jean-Christian Petitfils, Le Siècle de Louis XIV, Tempus, 2017. Jean de La Fontaine - Contes et nouvelles en vers, Folio Classique, 1982. - Œuvres complètes tomes 1 et 2, La Pléiade, Gallimard, 1991. Autres fabulistes - Les Fables d’Ésope, traduites par Jacques Lacarrière, Albin Michel, 2016. - Phèdre, Fables, Rivages Poche, 2018. - Fables de Florian, La France pittoresque, 2017. - Jean Anouilh, Fables, Folio, 1973. La Fontaine illustré - Gérard Gréverand, La Fontaine et les Artistes, La Renaissance du Livre, 2002. - Les Fables de La Fontaine illustrées par Benjamin Rabier, Tallandier, 2003. - Au pays de La Fontaine, Casterman, 2008. - Choix de Fables illustrées par Gustave Doré, BNF Éditions, 2016. FILMOGRAPHIE - Fables de La Fontaine de Don Kent [2007], mise en scène de Robert Wilson (Comédie-Française) avec Christine Fersen, Laurent Stocker) DVD, Éditions Montparnasse, 2007. - Jean de La Fontaine, le défi de Daniel Vigne [2007] (avec Lorànt Deutsch et Philippe Torreton), DVD, Lancaster, 2010. - Le Roi, l’Écureuil et la Couleuvre de Laurent Heynemann [2011] (avec Lorànt Deutsch et Thierry Frémont), DVD, Koba Films, 2011. VISITES - Musée Jean de La Fontaine, 12 rue Jean de La Fontaine, Château-Thierry (Aisne). - Château de Vaux-le-Vicomte (Seine et Marne). SITES www.la-fontaine-ch-thierry.net http://www.lafontaine.net/ http://www.musee-jean-de-la-fontaine.fr/ (visite virtuelle du Musée Jean de La Fontaine).