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Jean Laporte, Saint Cyran

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Paris PUF 1923

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  • SAINT-CYRAN

    /

  • SAINT-GYRAN

    THESE COMPLMENTAIREPOUR LE

    DOCTORAT ES LETTRESPRSENTE

    A LA FACULT DES LETTRESDE LX'-XIVERSITK UK PARIS

    PA n

    Jean LAPORTEAnc\en Elve de l'Ecole Xoi'inale Suprieure

    et de la Fondation ThiersAgrg de philosophie

    Matre de Confrences l'Universit de Caen

    PARIS

    LES J'HESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE42, BOULEVARD SAIXT-MICIIEL

    I9Q2

  • A LA Mioioiiu d'Augustin GAZIKR.

    A Monsieur Henri DELACROIX.

    \J

  • 78497V

  • TABLE DES MATIRES

    r.NTRODUCTION I"

    CHAPITRE PREMIER. En quel sens on peut parler d'une doctrinede Saint-Cyran.

    I. La lgende d'un Saint-Cyran chef de secte . . . . u

    II. La conversion de Saint-Cyran.

    Faire passer sa science de la tte dans le cur . iC

    III. Caractre tout pratique de la doctrine de Saint-Cyran. 38

    CHAPITRE SECOND. ^ L'esprit de^ Saint-Cyran 58I. La rgle fondamentale du chrtien renouvel :

    Suivre Dieu ^9II. Premire partie de cette rgle : la docilit 41a vocation

    intrieure de l'Esprit 66

    III. Deuxime partie de cette rgle : la docilit l'Eglise. 90IV. Fruit de l'humilit chrtienne :

    Oprer son salut avec tremblement et tran-

    quillit lao

    CONCLUSIO.N i33

    Appendice : uvres de Saint-Cyran :Imprims 000Manuscrits 000

    V)ll

  • LIVRE PiiKMIER

    SAINT-CYRAN

    Il y a toujours eu du je ne sais quoi dans l'abb de Saint-Cyran, Et quoique bon nombre de biographes, les unsennemis, les autres sympathiques, se soient appliqus l'airerevivre cette me complexe, aucun d'eux, pas mme Sainte-Beuve, qui nous en a laiss le portrait le plus expressif, nepeut se vanter d'avoir pntr jusqu'au fond le caractre deson modle^ Mais dans cette tude, exclusivement doctrinale,nous n'avons pas nous occuper, si ce n'est de faon acces-soire, de la personne de Saint-Gyran; nous n'avons en vue quesa pense (i). Celle-ci est fort heureusement moins difficile dfinir que celle-l.

    (i) Pour tout ce qui concerne la biographie de Saint-Cyran. il .suffitfie se reporter Sainte-Beuve. (Port-Royal, "j' dition.)Pour la liste des ouvrages de Saint-Gyran, v. VAppendiiX! la lin de

    ce volume.

    NOTA. Dans mes rlcrenccs, je dsignerai le Pelrus Aurelius, parP. A.; les uvres chrtiennes et spirituelles, {)ar O. C. (sauf pour le t. W

    ,

    qui comprend plusieurs opuscules pagination spare, mentionnerle titre de l'ouvrage cit); les Lettres chrtiennes et spirituelles, par L.C; les Considrations sur les dimanches et ftes par Consid. i; les Considrations sur les ftes de la Vierge et des Saints, par Consid. a; leRecueil manuscrit de la Bibliothque des Amis de Port-Royal, par P. R. 3i ;les lettres indites publies par le P. Hrucker dans les Recherches deScience Religieuse en 191a et 1913, par BnucKEn 1912 et Brlckbr I9i3;enfin les Mmoires de Fontaine, Lancelot, etc., par Fontaine,Lancelot, etc. ; et les Mmoires pour servir l'histoire de Port-Royal etde la Mre Marie-Anglique par Mmoires d'Utrecht.

  • OHAPITUK PREMIEl

    EN QUEL SENSON PEUT PARLER D UNE DOCTRINE

    DE SAINT-CYRAN

    C'est un fait pourtant, si je croyais qu'il en ft autrementje n'crirais pas ce chapitre, que la pense de SaintCyrann'a jamais t, au moins depuis le xviii'' sicle (i), prsenteau public dans un expos d'ensemble la fois complet etfidle.

    Parmi les historiens modernes de Port-Royal, les uns. sou-cieux de l'aire oeuvre attrayante, ont nglig les ides pours'attacher aux analyses psychologiques et aux anecdotes, Lesautres, soucieux de faire uvre pie, ont uniquement cherchdans les crits de Saiut-Gyran, ou plutt dans les pamphlets deses adversaires, les traits susceptibles de justifier sa rputationde chef de secte, honni bon droit par les puissanceshumaines et divines. Ainsi, la lgret des premiers favori-sant le parti pris des seconds. a fini par s'implanter peuprs partout, relativement ce qu'on appelle la doctrine deSaint-Cyran , une opinion qui se recommande la fois du

    (i) Je fais cette r-serve en pensatlt l'expos de Besoigne ; encore cetexpos ne lais.se-t-il pas de me paratre bien insuffisant.

  • SAlNT-CYllAX

    P. Pinlhorcau et de SaiiiU -Meuve, et que traduit assez bien

    cette page d'un auteur estim (a), laquelle renferme prcis-

    ment autant d'erreurs que de mots :

    Quant sa doctrine (la doctrine deSaint-Gyran), il est facilede la dgager de tout ce qu'on a vu jusqu'ici de ses crits et de

    ses actes : un dogme dsesprant, reposant sur la croyance laPrdestination (3), au serf arbitre, et au petit nombre des lus;

    une morale inhumaine force d'austrit, proscrivant la posie,

    rabaissant le mariage, comprimant toutes les alfections de la

    famille, tous les attraits de la nature ; une liturgie sans clat, em-

    pruntant aux premiers sicles leurs coutumes les plus svres, la

    pnitence publique, la grand'messeobligatoire,etc. ; la discipline

    ecclsiastique nerve dans ce qu elle a de plus essentiel : dans

    l'autorit du Pape, dont on discute les dcisions, dans celle des

    Evques, qu'un seul pch prive de leurs pouvoirs, en somme

    un semi-pratestantisme. o

    Un semi-protestantisme 1 un Calvinisme rebouilli

    ,

    disait cet autre ! Telle est bien l'ide qu'ont eue et qu'ont

    voulu donner du Cyranisme les accusateurs de l'abb

    de Saint-Gyran, en i638, celle qui ressort des trente Maximesextraites de son Information (4), celle qui semble hanter

    encore l'esprit de saint Vincent de Paul dans ses fameuse

    lettres M. Dehorgny sur les opinions du temps (5), et

    dans ses confidences Pallu (6). Il faut dire qu'en cette atlaire

    les adversaires catholiques de Saint-Gyran ont trouv des

    appuis chez les Calvinistes mmes, lesquels, avec une satisfac-

    tion non dguise, constatent deux choses : la premire, que

    (a) Fbrnand Mouuret, Histoire Gnrale de L'Eglise, nouvelle dition,

    1914 t IV, p. 3G2-363. l3) Cette phrase ne laisse pas d'tretonnante

    sous la plume d'un prtre catholique. M. Mourret estime donc que la. croyance la Prdestination (et il ne prcise mme pas s'il l'entendde la Prdestination gratuite ou non gratuite), mne .- un dogmedsesprant ... Faut-il lui rappeler que, dsesprant ou non, le dogmede la Prdestination se trouve dans saint Paul, et qu'il est, pour tout

    catholique, article de foi? (V. Monsabr, Expos du Dogme Catholique,Carme 18j6, p. 24624:7).

    , n -

    (4) V ces maximes rapportes par Pinthereau dans le frogresdu Jansnisme. Ce sont ces maximes qu'examine Arnauld dans ladeuxime partie de VApologie de Saint-Cyran. - (5) \. ces lettres(i5 juin 1648 et 10 septembre 1648) dans la Correspondance de saintVincent de Paul, dit. Coste, t. III, p 3r8 et suiv., p. 362 et suiv-ie) Rapportes par Abelly, {Vie de saint Vincent de Paul, t. U; p. 539,Paris, 1891 .

  • EN ()UKL SICNS PKrr-ON PAULIiU DE SA OOCTRINl. O

    Tabb (le Saint-Cyran avait dessein de l'foriirer l'Eglise et defaire une nouvelle religion; la seconde, q le cette religionrforme sur les ides de cet abb n'tait jioint loigne decelle de Calvin, et convenait avec elle dans les principes. Eten effet, M. de Saint-Cyran avait accoutum de dire de Calvinqu'il avait dit beaueoii{) de choses vritables; mais qu'il lesavait dites imprudemment (j) .Qui parle ainsi? Jurieti, dans un pam[)ble1 dirig

  • 6 SAINT (AU AN

    lexte de lu Frqucuto (Communion mme, inoutrc assez qno,soit dfaut de lumire ou de mmoire ou ])our tout autremotil", l'illustre Saint ne comptait pas au nombre de ses vertuscelle de rapporter fidlement les opinions lliologiques (ii).Quant aux divers tmoins charge du procs, les uns commeCaulet, le futur vque de Pamiers, se sont formellementrtracts ii'ji. Les autres, comme Zamet, ou comme l'abb dePrires, quoi qu'on puisse penser d'eux par ailleurs,

    doivent tre tenus ici pour susjjects, raison de leurs senti-ments notoires de malveillance ou de jalousie envers l'accus.Au total, sans vouloir mme taxer personne de mensonge, sil'on runit tous ces tmoigriages, et si on les rapproche desexplications donnes sur les mmes points, soit par Saint-Gyran dans son Interrogatoire, soit par ses familiers, dp lamre Anglique Lancelot et Antoine Le Matre (i3),

    (il) Il serait trop facile, ii>ais peu agrable, de discuter une une lesallgations formules dans les lettres M Dehorgny, etde faire voir lepeu de crdit qu'elles mritent. Contentons-nous, avec tout le respect (lu un si grand saint, de rappeler le jugement que faisait de lui le bonHermant : 11 (M. Vincent) parlait selon ses lumires, qui n'taient pasfort diffrentes des tnbres, et qiii n'auraient bloui personne, s'il nese ft mis depuis longtemps en possession de se faire un mrite de sonignorance iIIkrmakt, t. H, p. 586). Barcos dit de mme, plus charita-blement : M. Vincent a t louable d'avoir reconnu que Dieu luiavait donn peu de science des matires de thologie. (Dfense deM. Vincent, Paris, i668, p. 69). Pourtant, M. Vincent ne laisse pasd'avertir Dehorgny qu'il fait des matires de la grce le sujet ordinairede ses mditations [loc. cit., p. 33i). Et son diteur, M. Goste, comptepublier prochainement

  • EN QUEL SENS PEUT-ON PARLER DE SA DOCTRINE^

    dans leurs dpositions, leurs relations et leurs apologies; sil'on tient compte, enfin, du temprament de celui que Riche-lieu appelait le Basque aux entrailles chaudes , et quiavouait volontiers une certaine tendance la catachrse (i4jon se convaincra aisment que toutes les prtendues hrsiesou blasphmes imputs Saint-Cyran et qui ont servi de pr-texte son emprisonnement, celui-ci, par exemple, qu'iln'y a plus d'Eglise (i5i, se rduisent, suivant le mot deSainte-Beuve, des propos mchamment ou btement inter-prts I i6i.Non moins ridicules sont les tentatives faites pour trouver

    dans les crits de l'homme qui avait fait de la rfutation deserreurs calviniennes l'uvre de sa vie ( 17), on ne sait quellesmarques d'intelligence avec Genve .

    Je ne citerai qu'un exemple : il est typique, parce qu'ils'agit d'une opinion si expressment protestante (et mmeWicleffiste), qu'elle est de celles qu'Arnauld rfutera avec leplus d'ardeur chez les Calvinistes, en s'appuyant sur saintAugustin 118). C'est cette thse qu'un seule pch grave privel'vque de son pouvoir. Nous venons de la voir attribue

    (i4> V. l'Interrogatoire Recueil d'Utrecht, p. no . Cf. Bksoigne,t. III, p. 5oi.

    (i5) V. ce sujet les remarques d'Arnould in Apologie pour Saint-Cyran, t. XXIX, [). 294 et 3uiv. Gf. l'Interrogatoire ; et Besoigne, L III,p. 494"49>^- 16' Saixtk-Beuve, Port Royal, t. I, p. 002, note 3. Il en estvidemment ainsi, par exemple, de cette phrase que lui attribue saintVincent de Paul que s'il avait dit dans une chambre des vrits despersonnes qui en seraient capables, et qu'il passt dans une autre oil en trouverait d'autres qui ne le seraient pas, il leur dirait le con-traire, il prtendait mme que Notre Seia^neur en usait de la sorte, etil recommandait qu'on fit de mme . (Lett. M. Dehorgny, 10 sept.1648). M. Allier, ce sujet, note avec beaucoup de raison (quoi quepuisse dire M. Costei, le contresens flagrant de M. Vincent. {La Cabaledes Dvots, p. i65i. Gf. Lettres Arnauld (O. G., t. Il, p. 421). Saint-Cyranlui-mme a dit : < ...Lorsque ceux qui parlent sont gens de bien, etremplis de grces, comme il est dit de saint Ktienne, il y a sujet d'expli-qxier en un bon sens tout ce qu'ils disent, (juclque excs qu'il y ait enapparence. ( Consid. /, 1. 1. p. 88). Et ailleurs : Je serai trs aise quevous jugiez toujours de mes paroles par moi, et non de moi par mesparoles : ^ans cela vous courez risque de vous tromper souvent dansle sens de mes lettres. > (Lettre M. de Rebours, L. G., t. II, p. 643),

    (17) V. LaxceLot, t. I, p. 326, et l'Innocence et la vrit dfendues, etc.(uv. d'Afnauld, t. XXX, p. igS. Gf. Lett. de Jansnius Saint-Cyran, p. 435 et suiv. (18) Renversement de la morale de Jsus-Christpar ls Cahinistes. ((Euv. d'Arnauld, t. XIII, p. fiay et suiv. .

  • O SAIM-CYRAN

    Saint-Clyran j-ar l'abbc Mourj-ct. L'abb Mouircl, ici, s'est li Sainte-Heuve 119). Sainte- Heuvc, lui, ordinairement mieuxinspir, a d se fier un Pinthereau quelconque {20}. Quoi-qu'il en soit, l'imputation a lait fortune, car elle se retrouvedans toutes les tudes modernes consacres Saint Cyran (211.

    Elle n en est pas moins absurde. Le texte auquel on se rfreest pris du Petrus Aurelius, et doit tre tir des Vindici(t. II, p. 3191, 011 il est dit que toute infraction la chastetc prime le sacerdoce : Ut non solnm deletio vinciiii casti-tatis, sed qulibet infractio perimit sacerdotium. Or, il suffitde lire la phrase dont cette incidente fait partie, et de la rap-procher des pages qui prcdent, poar voir apparatre un senstrs diffrent de celui qu'on dnonce comme une erreur calvi-nienne.Aurelius veut rfuter une certaine thse du jsuite Lme-

    lius, qui, pour montrer la supriorit de l'tat rgulier surl'tat sacerdotal, avait avanc cette assertion que le vu dechastet est essentiel au premier, et non au second : Votunicastitatis sacerdotio non est essentialiter annexurn. (PktuusAurelius, Vindici, X. II, p. 3ii (22). Et comment la rfute-t-il?En rappelant, avec toute sorte de citations des Conciles, quel'ancienne Eglise n'admettait pas au sacerdoce un hommeconvaincu d'avoir eu des relations avec plusieurs femmes,mme dans le mariage, alors que pour les moines on s'inqui-tait peu du nombre de leurs mariages ou de leurs concubi-nages passs, c'tait assez de la continence prsente (a3). Aquel propos cette diffrence? Parce que l'tat rgulier est pro-prement un tat de pnitence fait pour les criminels qui ont expier; l'tat sacerdotal, au contraire, est en principe un tatd'innocence, et, ce titre, on devrait dire qu'il ne convient pas ceux qui ont faire pnitence, si l'glise n'avait cet

    (19J V. Port-Royal., t. I, p. SiS-Sig. 20) A moins que ce ne soit l'auteur de la Bibliothque Jansniste, le P. Colonia. (21) Entre autres,dans celles ,de MM. Laferrire et Brmond. Ce serait bien le cas derappeler ici de fines remarques de Racine, dans son Abrg de l'Histoirede Port- Royal (d. Gazier, p. 4^-49)

    (22j Observons qu'en tout tat de cause, c'est du sacerdoce qu'il estici question, non de Ypiscopat, comme le prtend Sainte-Beuve, etcetie seule remarque rduit nant les dductions subtiles par les-quelles le mme Sainte-Beuve essaie de tirer la pense 'Aurelius unesorte de Presbytrianisme. a3l P. A., t. II, p. 3i4

  • KN QUEL SENS l'El'-ON l'AUl.EIt DE SA DOCTHl.M;
  • I> SAIM-CYKAN

    Or, l.i duioustration que nous veiions de l'aire sur un pointassez spcial, rien ne serait plus facile que de la renouvelerpour chacun des trois principaux chefs auxquels se rapportentles accusations de protestantisme diriges contre Saint-Cyran : savoir les Sacrements, la Hirarchie de l'Eu'lixa et le Cultedes Saints. On l'a accus de dprcier les sacrements, lui quia tant insist sur les dispositions ncessaires pour s'enapprocher ! de renverser la hirarchie, lui qui relve si hautla dignit du prtre, la suprmatie de l'vque et la primautdu pape (27), et qui son zle pour la liirarchie, en mmetemps qu'il le faisait traiter par les jsuites (VHyperhierar-chiciis (28), a valu trois reprises les flicitations et les remer-ciements du clerg ! de ngliger, enfin, le culte des saints, luiqui, dans ses Considrations sur les ftes de la Vierge et desSaints, fait paratre une dvotion si passionne pour la sainteVierge, pour saint Bernard, pour saint Dominique et pourtous les autres saints, y compris le saint jsuite Franois-Xavier (39), et qui recommande en toute occasion l'invocationde Marie et de Joseph (3o) ! Ce serait perdre son temps que de

    dans la 2 partie de YApologie pour M. de Salnt-Cyran. V. sur cettequestion des rapports du sacerdoce et de la cliastel la doctrine desdisciples de Saint-Cyran, in Note de Wendrock sur la VI' Provinciale,sect. III (Wendrock parat en ce point un peu plus svre que PetrusAureliiis). (37) Veut-on d'autres exemples des interprtations quese permettent certains historiens propos de Saint-Cyran? Je lestirerai du livre de M. Laferrire, qui a pour nous, dans l'espce, cegrand intrt de n'tre visiblement qu'un cho : Petrus Anrelius, citpar M. Laferrire lui-mme, crit (P. A., t. II, p. 22?) : Deus instituitepiscopatum, ut summum et plenitudinem ecclesiastic potcstatis, in suoquemque tractu, quam episcopus in ministros pro Ecclesi commododiffunderet. M. Laferrire traduit: Les vques sont gaux au pape (p. 80). Petrus Aurelius dit encore {Ibid.,p. 106) : Non solum jurUtdictioet regimen episcoporum particularium, sed etium pentijicio niaximi prcs-bjteris suppleri interdum prodest et Sipp suppMum fuit. M. Laferriretraduit : Les prtres sont gaux aux vques (p. 8oj. Si l'on veuttrouver chez Saint-Cyran les thses expressment contraires ces deuxphrases de Laferrire, on peut se reporter, par exemple, pour la pre-mire, aux Considrations sur les ftes de la Vierge et des Saints (t. II,p. i3o], et pour la seconde an Petrus Aurelius (t. II, p. 91). Cf. Arnauld,l'Innocence et la Vrit dfendues, t. XXX, p. 178-180.

    (28) Apol. pour Saint-Cyran, t. XXIX, p. 297. (29) Consid. 3, t. I,p. 9-i3. 11 appelle Franois Xavier

  • EN QUKL SK\S l'KUT-ON l'AHLKU I)K SA DOCTUl.NK I I

    s'attardera de telles accusations, dont Arnauld et Le Matre \3i),d'abord, puis les Lancelot, les Fontaine, les lesoigne et biend'autres apologistes, ont montr en dtail, et d'une manirequi semble sans rplique, la vanit. Le fait est que, commecertaines calomnies concernant les religieuses de Port-Royaleussent d tre rduites nant par une seule visite au monas*tre (32), cette lgende d'un Saint-Gyran hrsiarque ou schis-matique, d'un Saint-Cyran tendant rvolutionner l'Eglise eti s'loigner du catholicisme, ne peut venir que d'une entireignorance ou d'une invraisemblable mconnaissance destextes,

    S'avance-ton beaucoup en affirmant cela? On ne fait quereprendre en d'autres termes ce que les plus acharns adver-saires de Saint-Cyran ont t contraints d'avouer. Le prince deGonti, dans ses Remarques sur le livre de la frquente com-munion, composes l'instigation des jsuites, au temps ole prince, qui devait plus tard si compltement changer departi, tait encore leur porte-parole, ne dclare-t-il pas

    ingnument : Quant l'abb de Saint-Cyran, rien ne parais-sant par crit de la doctrine dont on l'accuse, je n'en dirai

    dvotion de Saint-Gyran la sainte Vierge, v. la remarquable tudede Fl.\ciiairic : la Dvotion la Vierge dans la littrature catholiqueau XVII' sicle, Paris. 1917, p. Xa et suiv.). (3i) V. toute l'Apologiepour Saint-Cyran au t. XXIX des uvres d'Arnauld. Cf. d'Arnauldl'Innocence et la Vrit dfendues contre le P. Brisacier i65o, t. XXX,3* partie, p. 168 et suiv., et 8" vol. de la Morale pratique des jsuites,1694, t. XXXV, p. 89 et suiv.

    (Sa) Arnauld crivait ce sujet ; On a fait courir le bruit par toutela France, pendant plusieurs annes, qu'on n'avait Port-Royal niimages, ni eau bnite, ni chapelets, qu'on n'y invoquait point la Vierge,et qu'on n'y communiait presque point. Un religieux d'une compa-gnie clbre l'avait assur, dans un crit imprim, et c'est sur ce fon-dement qu'il avait donn aux religieuses de ce monastre le nomd'Asacramentaires. Le moyen de croire qu'il et impos de faux crimes tout un couvent, en des'choses .si facile5, vrifierfCar pour s'assurersi cela tait vrai ou faux, il ne fallait qu'entrer dan.s leur glise quitait dans Paris et ouverte tout le inonde, et on y aurait vu tout ceque l'on soutenait n'y tre pas. Il ne fallait qu'entendre leurs messes,quelques fles ou dimanches de suite, et on se serait bientt lassd'en compter les communiants. Et n'y ayant point de ftes de laVierge dont. elles no fassent oflice .solennel, outre qu'elles disent unpetit oflice tous les jours de fri, suivant le Brviaire de Paris, il nefallait qu'y assister pour reconnatre si on les pouvait accuser de ne lapas invoquer. Mais de ce que cette information tait si aise faire,c'est de l inme qu'on jugeait qu'il n y avait pas lieu de souponner

  • SAlM'-t:Ylt.V.\

    mot i33i .' Oui, mais, objectent certains critiques (34), celane signifie rien : ne savons-nous pas bien avec quel soin lescrits de Saint-Cyran ont t revus et sans doute expurgs parles jansnistes qui s'en sont faits les diteurs? Ces gens-l ontvideinuienl attnu ou sup[)i'im tout ce qui tait de nature compromettre la mmoire de leur matre (35) 1 L'objectionI)0terail peut-tre en ce qui concerne les Lettres et Opusculespublis par Port-Royal. Mais, en dehors de ces ouvrages, ilfaut songer que, lors de l'arrestation de Saint-Cyran, lesarchers saisirent chez lui une prodigieuse quantit de manus-crits : extraits des Pres, traits de thologie (entre autres untrait de l'Eglise) et recueils de penses diverses, de quoi rem-plir, au jugement de Le Matre, trente ou quarante volumesin-folio (36). Le chancelier distribua tous ces papiers diversespersonnes de confiance, parmi lesquelles tait le thologalllabert, qui devait se signaler peu d'annes plus tard pai* sesattaques contre Jansnius et Arnauld, pour y chercherla justification de la mesure de rigueur qu'on venait deprendre {3'j). Or, aprs deux ans d'investigation, les manus-crits sortirent de l'examen purs et brillants comme l'or quisort du creuset (38). Tous les examinateurs, quelque pilo-gueurs de mots qu'ils pussent tre, rendirent tmoignage aumagistrat qu'ils n'y avaient rien trouv que d'admirable etdigne des plus grands hommes de l'antiquit (Sq). Et, en elTet,les jsuites mmes n'en surent tirer que les pices qui com-posent les libelles du P. Piuthereau, et qui, franchement, nednotent pas un grand fauteur d'opinions nouvelles. Pourtant,comme le remarque Arnauld, si l'abb de Saint-Cyran et eu

    de mensonge ceux qvii assuraient ces choses. Et c'est ce qui arrivesouvent par la faiblesse de l'esprit des hommes. La hardiesse mentir,dans les choses les plus exposes la vue de tout le monde, est ce quifait qu'au moins pour un temps les menteurs en sont plutt crus .. [Nouvelle Dfense de la trad. de Mons, uv. d'Arnauld, t. VII, p. 4o:;)-

    (33) Cit in l'Innocence et la Vrit dfendues contre le P. Brisacier(uv. d'Arnauld, t. XXX, p. 209). (34) Par exemple le P. Brucker,M. de Meyer, etc. f35) C'est ainsi que Le Camus aurait entendu dire Dom Jouaud, abb de Prires (l'un des accusateurs de Saint-Cyran eni638) : Il n'y a rien de plus oppos que la conduite de MM. de Port-Royal, et celle de M. de Saint-Cyran, et ses lettres n'ont aucun rapportavec ses manires de s'expliquer. (Lettres de Le Camus, publies parIngold, Paris, 1892, p. 257.).

    (36) Lancelot, t. I, p. 69. 3:) Y. Besoigxf., t. III, p. '589. ,38j Ibid. (39) Ibid.

  • r:.\ ()VK\. sKNs i'i:ur-C).\ parler di: sa nocriUNK i3

    des erreurs et des opinions dangereuses, il tait impossiblequ'il ne s'en trouvt quelques-unes en tant d'crits, puisquenous ne parlons jamais avec plus de libert que lorsque nousne parlons qu nous-mmes, et que nous expliquons nos sen-timents par le papier dans le secret et le silence (4o).

    D'autre part, de quel droit assure-t-on que les diteurs dePorl-Koyal, puisqu'ils se ?ont permis de retoucher les j)hrispsde Saint-Cyran, ont d aussi altrer sa pense? C'est faire ces messieurs une injure gratuite. Ils ne l'ont point mritedans leur publication des Penses o, tout en adoucissant beaucoup de termes, et mme en sacrifiant certaines formulesd'allure paradoxale, ils ont au total, quoi qu'on ait pu dire,prsent de Pascal aux lecteurs une image trs suffisammentfidle. Or Arnauld nous avertit, dans une lettre intime, qu'ilsont tenu l'gard des Considrations sur les dimanches etftes de Saint-Cyran prcisment la mme conduite qu' l'garddes Penses (4ii. Et peut-on imaginer en effet qu'ils eussent eumoins de scrupules dnaturer les sentiments d'un Saint-Cyran vnr par eux comme un saint et comme un matre,que ceux d'un Pascal qui, avec tout son gnie, tait petitgaron devant M. Arnauld (42)? Tout nous porte penserque si, dans les Considrations ou dans les uvres chrtienneset spirituelles, ils ne nous ont pas donn intgralement le textede l'auteur, du moins n'en ont-ils pas falsifi le sens, et n'enont-ils rien retranch d'essentiel.

    (4oi Arnauld, Morale pratique des Jsuites, t. XXW, p. 90. Le mmeArnauld avait dj fait observer, dans VApoiogie pour Saint-Cyran :L'abb de Saint Cyran est hautement justifi, non seulement par savie toute sainte, mais par ses crits et par ses papiers, o on n'a rientrouv que d'orthodoxe, et par ses livres imprims, qui sont autant depreuves de sa pit ijue de sa science ; on n'a pu le convaincre de lamoindre apparence d'erreur en cinq annes de recherches et de dten-tion, ni par un seul crit vrifi en justice, ni par le tmoignage d'unseul homme qu'on lui ait os confronter ; enfin celui (jui le retenait auBois de Vincennes l'a jug lui-mme, api-s tant d'interrogatoires, sicatholique et si habile qu'il lui fit dire qu'il serait bien aise qu'ilcontinut en ce lieu de travailler la dfenses de l'Eglise contre lesministres calvinistes, tovichant l'Eucharistie, la primaut du pape et lesautres points de controverse. iCEav. d'Arnaud, t. XXIX, p. ai6i. Lesennemis de Saint-Cyran n'ont jamais rien rpondu, que je sache, cetteargumentation.

    (4l) V. Lett. d'Arnaud M. Prier [uv. d'Arnaud, t. I, p. 643). (42) V. les propos de Tsicolo rapports par Racine.

  • l4 S.\INl-c:VHAN

    Lu pi'cuve, s'il en tait besoin, serait facile lournir : un adocouvert, en ces dernires annes, plusieurs indits de Saint-Cyran : le manuscvil de Munich, mis au jour par le P. Brucker,une autre rdaction de la Thologie fainUicre (43) et plusieursopuscules et/ragnients contenus dans un recueil que j'ai djsignal 44). quoi il faut ajouter les Mmoires de Hcrnmnt,publis par M. Gazier, et o sont rapportes plusieurs conver-sations de Saint-Cyran, enfin diverses copies manuscrites desMmoires de Lancelot et de Fontaine (45), en plusieurs endroitsplus compltes que les imprims. Or tous ces indits nousrvlent-ils sur la pense de Saint Gyran rien de vraimentnouveau? Il faudrait n'avoir point lu les imprims pour l'oserprtendre (46i. Ou plutt la seule rvlation dont on puisseparler, assez piquante, au reste, elle se rencontre dans une cer-taine copie del Thologie familire, qui nous montre un Saint-(^lyran partisan des vues de Pie X sur la premire communiondes enfants : A quel ge faut-il communier? A l'gede discrtion, qui vient aux uns j)lus tt qu'aux autres, commesept, huit ou dix ans, et quelquefois plus tard, comme aussiquelquefois plus tt (47)- Serait-ce peut-tre une de cesopinions subversives qu'on craint que Port-Royal n'ait dissi-mules ?Aussi bien, avouons-le : s'il y avait eu rellement dans les

    penses de Saint-Cyran, soit parmi ses instructions, soitparmi ses lettres ou ses ouvrages, des choses tellementextraordinaires que, non seulement au xvii^ sicle, au lende-main de la paix de l'Eglise, mais plus tard, entre i^So et1760 (48), alors que Port-Royal ni son parti n'avaient certes

    (43) A la Bibliothque nationale. Une autre copie semblable se trouvedans le Recueil de la Bibl. Gazier (P. R. 3i). (44) P. R. 3i. (45) Pourles mmoires de Fontaine, en particulier, une collation due au travailde M"" Ccile Gazier met en vidence les nombreuses additions que lacopie manuscrite apporte l'imprim.

    (46) Tel parat bien tre le cas du P; Brucker. Il serait cruel d'insistersur la msaventure de M. Laferrire. Renvoyons seulement le lecteur l'article de M. Gazier dans la Revue critique du 3o novembre 1912.

    (4:7) Petit Catchisme de M. de Saint-Cyran, in P. R. 3i, p. 633. Le mmepassage se trouve dans la copie de la Bibliothque nationale, signalepar Laferrire (p. 200).

    (48) C'est, on le sait, la priode o ont t publies, outre les Lettreschrtiennes et spirituelles, un grand nombre de Correspondances et deMmoires concernant Port-Royal.

  • KN QUEL SENS l'KU'I'-OX l'Altl-KU 1)K SA DOCTUIXK l5

    plus rien ranag-er ni percire. ses disci[)les n'ont pas os lesfaire connatre, cette partie sotrique du Sainl-Gyranismepourrait sembler, l'historien des doctrines relig"ieusos, (|uan-tit ngligeable, puisqu'elle aurait t littralement sans con-squence. Mais c'est l une hypothse chimrique. La vritest qu'au contraire, si l'on compare sur quelques points,comme celui de la Pnitence ou de la Communion, les lor-mules contenues dans les (euvres de Saint-Gyran avec cellesde ses disciples, Arnauld par exemple, ou Quesnel, ou Barcos,dans leurs ouvrages avous, on trouvera que ceux-ci s'expri-ment d'une manire infiniment plus forte que leur Matre 149).Loin de cherchor attnuer ses exagrations, ils sont pluttproccups de l'excuser d'avoir parl d'une manire trojfaible (5o). En sorte qu'au lieu d'admettre avec Sainte-Beuveque le dveloppement du Jansnisme ait marqu, par rapport la pense originale de vSaint-Cyran, un appauvrissement etun flchissement, ou serait souvent tent de se demander siSaint-Gyran lui-mme, sur les matires pour lesquelles ses dis-ciples et les disciples de ses disciples ont si fermement combattuet si patiemment souflert, a jamais eu une position bien nette.

    Voil la vraie question qui se pose l'historien dnu departi pris. De voir dans le prisonnier de Vincennes un rfor-mateur l'exemple de Luther et de Calvin, un rvolution-naire ou simi)lement un novateur > et un factieux (5i;,

    49) C'est ainsi que, pour ce qui est de la ncessit de la contrition,Arnauld, dans ses remarques sur les Eclaircissements de M. d Choi-seul, est beaucoup plus catf^orique que Saint-(]yran. Que signifie,apri cela, l'affirmation du P. Brucker, que les diteurs des uvreschrtiennes et spirituelles (16791 ^"^ " arranjj >, en supprimant certainspassages compromettants, relatifs la contrition, des lettres qui ontt;atgralement publies dans les Lettres chrtiennes et spirituellesen 1744*^ (Brucker, Rech. de Se. religieuse, 1912, p. 4801. Outre que lesditeurs de 1744 n'taient pas moins jansnistes que ceux de 1679,c'est prcisment vers le moment de la publication des uvres chr-tiennes et spirituelles qu'Arnauld ainsi que Neercassel, dont il avaitinspir l'Amor Pnitens), soutenait l'insuffisance de l'uttrition avec unenettet et une nergie que Saint-Gyran, nous allons le voir, est loind'avoir gales ! (5o) V. ce que dit Besoigne propos de VInterro-gatoire de Saint- Cyran par Lescot : il trouve les rponses de Saint-Gyran si faibles qu'il les suppose fal.sifies par ses ennemis desseinde le rendre " mprisable >. V. Besoignb, t. III, p. ^o5-lio6. L'diteurdes Mmoires de Laneelot s'exprime de mme. (5i) Ce sont lesexpressions du P. de Montzon dans le Mmoire publi en appen-dice du tome I du Port-Royal de Sainte-Beuve.

  • l(i SAIM'-CYRAN

    c'est uiir iniagiiialion laquelle Saint-Cyran a pu donner pr-texte, la ibis par ses habitudes de langage et par ses alluresvolontiers mystrieuses, mais laquelle il serait dt'cidnientridicule de s'arrter. Il est tout de mme incontestable quecet homme-l a t, au sein de la religion catholique, l'initia-teur dun mouvement ccmsidrable, qui n'a pas entran seu-lement des religieuses, mais des prtres et des thologiens,lesquels se sont toujours rclams de lui. Nous devrions do7)c,semble-t-il, trouver dans son uvre, sinon des dogmes parti-culiers, au moins certaines laons particulires d'expliquer lesdogmes, qui dfinissent la formule de son cole , quelquechose d'analogue ce que sont les thories de la Prmotionphysique pour l'cole thomiste, ou de la science mojyenne pourl'cole moliniste. Or c'est ce que ne montrent gure ni seslettres, ni ses entretiens, ni ses traits. Il faut y regarder laloupe pour apercevoir dans l'norme Petrus Aurelius un petitnombre de sentences qui se rattachent une doctrine tholo-gique dfinie, Baanisme, Jansnisme, ou plutt Augusti-nisme : celles-ci, par exemple, que la loi nouvelle consiste toutedans la charit (aj, et que la phrase de saint Paul : Dieuveut que tous les hommes soient sauvs ne doit pas s'en-tendre de chaque homme en particulier (53); on peut y joindrequelques autres sentences, tires des lettres, sur la profondeurde la dchance originelle, sur la ncessit de la grce pourcooprer la grce, et mme, si l'on veut, d'autres encore,cites comme de lui dans les Maximes extraites de son Infor-mation, et que ses apologistes n'ont point rcuses : que Dieune donne pas les mmes grces aux rprouvs qu'aux lus (n IX) ou que les enfants morts sans baptme sont damnset tourmentes de la peine du sens n" XIII ). Seulement toutesces sentences, au temps o elles ont t crites, et les consi-drer isolment, telles prcisment qu'elles se trouventdans notre auteur, n'avaient rien, je ne dis pas d'htro-doxe (54 j, mais rien mme qui pt passer pour caractris-

    (52) P. A., t. II, p. l35. (53) p. A., t. II, p. 55.

    (54) Arnauld dit plaisamment, propos de la maxime 11 IX: Jem'imagine que, l'un de ces jours, l'on accusera M. de Saint-Cyran decroire trois personnes en la Trinit et deux natures en Jsus-Christ.

  • EN QUEL SENS PKUT-ON PARLER DE SA DOCTRINE 17

    tique 'd'une thologie spciale : on les rencontrerait presquedans les mmes termes i sans parler des Pres et des anciensScolastiques), chez cent autres thologiens du xvi'' sicle oudu commencement du xvn", parfaitement trangers JBausou Jansnius. Qu'on prenne un livre comme la Thologiefamilire (55), que Saint-Gyran, plusieurs reprises, et notam-ment dans son Interrogatoire, a donn pour l'expressionauthentique de sa pense. Quoique ce livre ait t mis l'index (56), je crois qu'on ne s'aviserait gure en le lisant, sil'on n'en savait l'auteur, qu'il est d'un homme qui fut consi-dr par Richelieu comme dangereux cause de la nou-veaut de ses opinions, ou mme qu'il est d'un homme dePort-Royal. > Pour tout dire, on serait fort embarrass d'expli-quer en quoi ce petit Catchisme de M. de Saint-Cyran diflred'un catchisme ordinaire (S^i. Un crivain de nos joursdclare n'avoir trouv dans celui qu'il appelle a un pauvrecerveau incohrent ->> que des penses (^ insignifiantes (58).D'une certaine manire, il a raison; et plus encore, sansdoute, qu'il n'imagine. La difficult propos de Saint-Cyrann'est pas de savoir dans quelle mesure sa doctrine s'carte ouse rapproche du Catholicisme orthodoxe, c'est de savoir enquel sens on lui peut attribuer une doctrine.

    saint Augustin. (V. ce snjet notre t. II, ch. 1' de la i"^' Partie). Il est remarquer que, dans ia premire dition de la Thologie Familire, quiest de 1639, Saint-Cvran se horne dire, au sujet des enfants mortssans baptme, qu'ils sont privs de la batitude qui est le partagedes enfants de Dieu -. (Paris, i63g, p. 208-200). A vrai dire, quelques-unes des Maximes extraites de l'Information semblent tomber sous lecoup de la Bulle contre Baus; mais, l'poque, cette Bulle, par suitede l'quivoque tenant sa fameuse virgule, et de l'imprcision desnotes qu'elle impose aux diverses propositious qu'elle condamne, neparat pas avoir pes d'un grand poids auprs des meilleurs catholi-ques Cf. les Hexaples, t. II, p. 8911. (55) Les auteurs de l'dition de laThologie Familire, en 1G79, disent, dans l'avis prliminaire : Si on prendseulement la peine de confrer les faussets qu'on lui attribue avec, sescrits, on trouvera qu'elles sont dissipes par une seule lect^ire, et qu'enplusieurs endroits, il dit tout le contraire de ce qu'on lui impose. (O. G.

    ,

    t. IV, p. 78. (56) Ce n'a pu tre que in odio aucloris. Et, du reste, que;d'autres livres, cette pocjue ou plus tard, out t mis lindex, qui'n'en sont pas moins gnralement considrs comme trs orthodoxes ! -^iS^) Et il en serait de mme de la copie manuscrite (jue j'ai consulte.Dans le texte de la Thologie Fam. O. C, t. IV, p. 19 , Saint-Cyran ditque Jsus-Christ est mort pour racheter le monde . Dans la copie (PU.3i, p. 627, leon IIl) : Comment est-il mort (Jsus-Christ; '.' Pouf nousracheter tous. .> 58" Rhkmonu. Hist. lit. dn Sentiment rel:gien.\\\.\\\\\.\'y.\.

  • Il

    Yiisotis un certan jour, Saint-Cyran est bien, en ollt,comme Ta dit Sainte-Beuve, un souverain Docteur .L'un des traits par oi il a le plus tonne; ses contemporains,

    ceux surtout qui n'ont pas vcu tout fait dans son intimit,c'est sa science extraordinaire (i), extraordinaire par sontendue et par sa profondeur. Le Cardinal de Richelieu leprsentait aux courtisans comme le plus savant hommed'Europe (2). Bourdoise jugeait de mme (3). Et Ferrand(qui ne le connaissait encore que de rputation) le proclamait plus savant que saint Jrme , et comparable au seul saintAugustin, (.< tant il possde la Thologie, c'est--dire le fond,la liaison et, pour ainsi parler, le systme de la doctrine chr-tienne (4) De fait, nous savons, il le dit lui-mme LeMatre, qu'il est n a avec la passion de savoir (5). Noussavons aussi que, ds son jeune ge, il s'est livr de vrita-bles dbauches livresques; qu' Louvain, il suscitait, par sonlabeur, l'admiration de Juste Lipse; qu' Bayonne, durant lesannes passes avec Jansnius, il travaillait quatorze et quinzelieures par jour, entranant son compagnon au point de fairecraindre M'"" de Haurannc qu'il ne tut ce bon Flamand force de le faire tudier (G); qu' Poitiers (7), il ne fut pasmoins laborieux ; et qu' Paris, enfin, il a pass une ving-taine d'annes en vrai reclus, ne connaissant que son cabinet

    (i) V. le manuscrit publi par Grisolle SiUioueites Jansnistes , inRev. d'hist. lit. de la France, anne 1910, j). 140. (2) Fontaine, t. 1,.p. 140. (3) Laxcelot, l. I, p. 9. (4) Ibid. (5) Entrelien avec Le Matre(FoNTAiNK, t. I, p. 179). Cf. L. C, t. I, p. 40 : Il n'y a peut-tre i^er-sonne qui ail eu un plus ^rand dsir de savoir les vrits de la tho-logie que moi, ds mon premier ge, ni qui ait crit de ses mains jilusde livres de philosophie et de thologie. (6) Langelot, t. 1, p. 102(note). (7) V. ce sujet ce que raconte Rapin des tudes entreprisespar Duvergier pour le service de l'Evque de Poitiers (Rapin, Hist.dii. JansL'nisinc, p. 69).

  • EN QUEL SENS PEUT-ON PAKLEK DE SA nOCTIUNE )

    et l'glise (8). C'est par l, nous dit Besoigne, qu'il fit nt par des annotations marginalesque par des gloses interlinaires, pour le soulagement de ceuxqui, s'tant bien exercs dans la lecture du Matre des Sen-tences ou de saint Thomas, se seraient rendus capables decette seconde leon, plus difficile que la premire 1 12).

    Voil qui suppose une culture thologique singulirementvaste et singuLixTement sre d'elle-mme. De cette culture, dureste, la seule Somme des Erreurs et Faussets du P. Garassesuffirait donner la preuve, par la prodigieuse quantit decitations et des Pres, et des Scolastiques, et mme des Philo-

    18) V. Besoignk, t. III, p. 3."ii. {9 Id, Ihid. 110) V. rallcslalioii d(>Jusle Lipse in Besoignk, t. III, p. i'j33''i4. (m ApoL pour Saint- Cj-ran^t. XXIX, p. 2i1o. Arnauld ajoute : Co que ceux qui l'ont connu croient({il il et l'ail sans peine, dans la vigueur d'esprit o il tait aloi'a, ill'tude trs exacte qu'il avait laite de celte science ; il n'y cul quequelques rencontres particulires rjui l'eni pchrent (rexculer cellersolution, laquelle il tait dj tout prpa- Ihiil.K (la) JU>Ibid., p. 2yo-a)i.

  • no SAINT-CVItAN

    soj^lics l'ayens. qui y sont contenues (i3). Ajoutez cela quedes Thologiens consomms tels que Jiinsnius et Arnauld, sesont toujours fait une loi de consulter Saint-Cyran, mme surdes points de pure rudition, et l'ont tenu ( ce qu'on n'eut gardede faire lgard de Singlin dans la suite) pour une autoritpresque indiscute.

    II tait donc fort savant. Mais en mme temps, tout dans sesjugements, dans ses conseils, dans sa faon de conduire lesiiommes parat l'oppos du caractre savant. Barcos, ainsique Lancelot. le constatent comme une chose notoire, Tousceux qui ont frquent l'abb de Saint-Cyran, savent combienil tait retenu parler des matires de science. Il semblaitsouvent qu'il ne ffit pas homme d'tude, et qu'il n'aimt pasles Livres. Ses entretiens n respiraient que le service deDieu et l'dification du prochain. 11 avait un loignement mer-veilleux de toute curiosit, et des contestations qui se mlentaisment dans les conversations

  • EN ()UEI. SKNS l'KLl-lJ.V l'UtM.ll DK SA DOCTlil.NK 'J.i

    mais des thories, des rflexions 2)ro|)remeut intoilectueile.s,on n'y en trouve presque point. Au contraire, on y trouve lacondamnation des thories. Saint-Cyran ne manque pas uneoccasion de s'lever contre les science.^ humaines, qui, suivantle mot de saint Grgoire de Nazianze sont entres .dansl'Eglise comme les mouches dans l'Egypte, pour y faiz*c uneplaie (i6i . Il dclare, propos des enfants, que, gnrale-ment parlant, la sci(mce nuit plus la jeunesse qu'elle ne luisert, et que sur cent enl'ants, il n'y en a pas quelquefois unseul qu'il conviendrait de faire tudier {l'j). Mais bien mieux,ce ne sont pas seulement les sciences humaines dont il sedfie, c'est la science divine mme. 11 ^< redoute, en cedomaine, l'accroissement des lumires et des vrits , etil reprend chez ses pnitents le trop fort dsir de savoir lesgrandes vrits chrtiennes (i8) . 11 n'hsite pas combattrele trop grand cas qu'on fait de la qualit de docteur (19).Aprs tout, tant de thologie n'est pas ncessaire ; il ne fautque savoir le Symbole et les Commandements de Dieu, et fairedes bonnes uvres de charit et de pnitence pour devenirgrand Saint . Le Ciel sera le lieu des grandes connaissances;ici c'est le lieu des bonnes uvres et des soulTrances 1201.Visons donc, non multiplier les connaissances , ukus multiplier les bonnes uvres 121) .Comment se concilient, dans un mme homme, des disposi-

    tions si contraires ?C'est peut-tre qu'elles rpondent respectivement des

    moments distincts de sa vie, Tune convenant au premier Saint-Cyran, au Saint-Cyran encore mal pntr du vritable senschrtien, et l'autre au Saint-Cyran dfinitif, au Saint-Cyranconerti.

    Oui, converti. On a iin peu trop pris l'habitude et dansleur ferveur candide, ses biographes, ou plutt ses hagio-graphes jansnistes, n'ont pas peu contribu susciter cetteillusion de reprsenter Duvergier de Hauranne comme unpersonnage tout d'une pice, apparu ds le premier joursous le rude aspect d'un aptre et d'un Conqurant sj)iri-

    (16) Lancklot, II, p. igj. (17) Lancelot, II, p. 195. (18) O. C, l. l.p. i4-i5. (19) L. C, t. I, p. 170. (20) O. c, t. I, p. i4-i5. Cf. L. r;.,t. II, p. 601 : ' Ce n'est pas ici le temps de savoir, mais de faire. ' (21) O. C, t. I, p. i5.

  • jd \1M CVUAN

    luylv,

    ici MU' comnic un {ocher au milieu dis rtutlua-Uons du raondo. Il y u lieu d'eu rabaUrc, Et, laissantde cvM pour le moment certaines variations et certains flchis-Kemcnls, sur lesquels nous reviendrons bientt, on est bient)l)lig d'avouer par exemple, que les Lettres de Juste Lipse

    nous donnent du caractre de Duvergier une ide malais-ment couciliabe avec colle qui ressort des pangyriques de la?ilcrc An

  • F\ (itn^L SENS PEUT-0.\ PAllLKa 1)K SA DOCTIUNK 2'^

    meut n'tait pas aclieve, en iGii6, au temps de la Rfut-liiorcde Garasse, ui mme, quatre ans plus tard, au temps despolmiques cuutre les Jsuites d'Anij-leterre (28,1. Il csi bienvraisemblable, d'autre part, que la principale cause d'une telle('volulion a t le progrs intrieur dune pense qui a finipar rencontrer sa voie, et, comme et dit notre auteur, serendre l'appel de Dieu. Que si pourtant on veut s enquriren outre des causes ou des occasions extrieures, il semblequ'on ne puisse ngliger l'influence de Port-Royal, d'abord,{)uis 1 emprisonnement de Vincennes.Port-Royal, que certains tendent considrer (je parle

    du | spirituel ) comme une cration de |Saint-Cyran, exis-tait avant lui, vivait, plusieurs annes avant d'avoir reu sesinstructions, d'une inspiration religieuse et asctique djtoute Augustinienne (291 ; et ce n'est pas de Saint-Cyran, c'estde directeurs antrieurs lui, entre autres le P. de Condren,le P. de Sullren et saint Franois de Sales, que la Mre Ang-lique et ses religieuses avaient reu le premier lan vers cetteperfection monastique laquelle elles ne devaient plus cesserde tendre (3oi. Il est seulement permis de penser que la pitpratique dans ce couvent se trouvait singulirement rpondre 1 idal que, depuis longtemps, Saiut-Gyran avait tir de seslectures. En fait, ds que, par Arnauld d'Andiily, il a occasionde connatre la Mre Anglique (i(>2i>, il est frapp dadmi-

    (28) Je dis cela parce qu'il s'allit d'ouvrir le Pelrus AufcUiis, pourvoirque l'auteur est loin d'avoir renonc aux >> recherches curieuses >d'rudition.

    (29) On peut apporter [tour preuve la Prire de la Mre Anglique,compose en iGia (V. le texte dans les Mmoires de Guilbkrt, t. II,p. 468], et surtout le premier Chapelet du Saint-Sacrement, compos en1G27 par la Mre Genevive Le Tardif (la Mre Agns) y a eu aussiquelque part). Ces deux ouvrages, principalement le second, sontremplis de formules augustiniennes, qui s'expliquent par le rle quejourent dans le premier Port-Royal des Augustiniens dclars telsque le P. de Condren et ses confrres de l'Oratoire, et Octave deRellegiu-de, ami de Zamet. (V. ce sujet Mm. de Gtiledut, t. II,p. 390 et 397.) Nous reviendrons longuement sur ce point en tudiantl'influence de Port-Royal sur la formation thologique d'Arnauld.

    (Soi Rappelons que c'est seulement en iG36, quoi que prtendeRapin, inexact ici comme ailleurs (V. Hist. du Jansnisme, p. 124), que Saint-Cjran j)rit la direction de Port Royal, et qu'il n'eut de com-munication habituelle avec les Religieuses qu'aprs iG34 (affaire duChapelet Secret de la ^lre Agn;) et surtout aprs i63j (date de son^introduction Vlnstifut du Saint-Sacrement, par Zamet].

  • *^^ s\rvT-cvnAV

    t-alion par les vertus de 1 ahbcssc, }jar son austi-ritc, et surtoutpar son dsintressement o revit, lui semble-t-il, encoreque la Mre Anglique n'en ait point de connaissance, l'esprit prsentement si dlaiss de la primitive glise (3i).Si, pri, vers le mme temps, de prcher Port-Royal, il ydonna de ses lumires (^ une ide sublime , on peut croireque lui-mme n"a pas d voir de prs un monastre si" rform sans en tre difi profondment. De ce moment,il ne cesse pas de porter intrt Port-Royal, tout en n'ayantque peu de eommunication avec les religieuses et avec laMre Anglique (32). Et quand une circonstance ^ extraordi-naire .), savoir la tempte du Chapelet Secret , et linitia-tive de Zamet, Fiatroduit, d'abord l'Institut du Sacrement,puis Port-Royal, comme directeur en titre, il est certainqu'aprs un peu d'hsitation, c'tait assez sa manire, ilaccepta la charge avec joie.

    C'est cette charge nouvelle qui parat avoir donn lapense de Saint-Cyran son orientation dfinitive. La meilleurefaon d'apprendre, c'est d'enseigner, dit saint Franois devSalIes. En . renouvelant Port-Royal, Saint-Cyran s'est beaucoup d'gard, renouvel lui-mme,

    Jusqu'alors, l'activit de Saint-Cyran a eu quelque chosed'instable et de mal dfini. Depuis de longues annes, aprson sjour de Rayonne, avec Jansnius, et Poitiers, il aVcu constamment Paris, sauf quelques voyages, tudiant,crivant et polmiquant. Ses biographes disent qu'il y a vcudans la retraite. Mais ils ajoutent que cette grande retraiten'empcha point qu'il ne ft bientt fort connu et consquem-

    (3i) V. la lettre de Saint-Cyran la Mtrc Anglique pour la flicitervie son acte de charit l'gard des reli

  • EX QVFA. Se/cs }>EUT-(N HAnLtK UE r^A DOCTP.IXE 25

    ment trs estime (33) de toutes soites de personnes : prlatset hommes d'glise, tels que M. de la Rochepozay, vque dePoitiers, et de M. de la Cochre, vque d'Aire, Richelieu, leP. Joseph, le P. de Brulle, M. Bourdoise, M. Vincent, M. Char-pentier; hommes de cour ou parlementaires, tels que M. d'An-dilly, M. de Chavigny, M. Mole, M. Bignon; littrateurs eta acadmiciens , tels que Balzac; et beaucoup d'autres encore.N'est-ce pas dire, suivant le mot de Lancelot, qu'il se multi-pliait (34)? A cette poque, il faut l'avouer, Saint-Cyran, avectoute la vertu et la pit qu'on voudra, n'est pas exemptd'ambition. Ambition religieuse assurment. De sa corres-pondance avec Jansnius et avec d'Andilly, il ressort que sonrve ne va, en somme, qu'au rtablissement du vrai Christia-nisme. Mais enfin, ce dsir de rpandre et faire triompherla vrit mconnue rappelle par plus d'un ct le zle d'unDescartes pour la propagation de sa proj^re philosophie : il aquelque chose d'humain. D'autant que c'est bien par desmoyens humains que Saint-Cyran tche le raliser. Il semnage des amitis influentes ; il cherche se concilier, telest sans doute le sens d'ouvrages tout politiques commeVAdmonitio ad Imperatorem (35), les bonnes grces deRichelieu (36) ; il ne manque aucune occasion de ruiner le crditdes grands adversaires de son entreprise, les Jsuites; aucontraire, il circonvient Brulle et l'Oratoire, pour tcher des'en faire des auxiliaires (37). Dans tout cela, il y a, coupsr, ainsi que l'a not Sainte-Beuve, des vues de principaut,encore que de principaut spirituelle; et il y a aussi comme unair, qu'il faut se garder d'exagrer et qui tient en grandepartie cette manie du secret dont notre abb n'a jamais su sedfaire, de cabale et de complot.

    (33) Besoigne, t. Iir, p. 346 et suiv. (34; V. sur le danger de semultiplier , les remarques de Lancelot, d'aprs Saint-Cyran (Lancelot,t. II, p. 140). (35) V. ce sujet L, t. I, pancklot. 99-100, cf. Clmencet,Hist.lit.de P.R. (imprime), 1. 1, p. 366. (36i V. ce sujet quelques justesremarques de Sainte-Beuve, Port-Royal., t, 1, p. 3i3-3i4 Encore est-il bond'observer, pour attnuer ce que je dis l propos de la Rfutation dela Garasse, que si Vpitre ddicataire contient un loge de Richelieuauquel le ministre fut particulirement sensible, Saint-Cyran ne rvlapoint qu'il en ft l'auteur, et Richelieu n'en fut inform que par lesperquisitions faites chez Saint-Cyran lors de l'emprisonnement.

    37' V. les Lettres de Jansnius Saint-Cyran ^1633-1624, etc...!.

  • ii(> sAi.\r-(:vi(AN

    Mais voici que, ces projets concerts et ces vises eiicoretrop terrestres, l'atmosphre de Port-Royal va, sinon les fairevanouir, au moins les purer et comme les sublimer.Avant de diriger Port-Royal, Saint-Gyran n'a donn que peu

    de lui-mme au gouvernement des consciences. Il a conseilld'Andilly et M"" ArnauUl. Il s'est mme occup par intervallesde certaines communauts religieuses, entre autres au coursdes premires annes de son sjour Paris, des Filles duCalvaire, auprs desquelles le P. Joseph, oblig de faire unvoyage en Espagne, l'avait pri de le suppler (38). MaisLancelot a soin de nous dire qu'il ne s'y tait i^ointattach (Sg). Et, au total, ce genre de soins n'a pas tenugrande place dans sa vie. Les religieuses de Port-Royalsemblent s'en tre parfaitement rendu compte, aux premiresinstructions qu'elles reurent de lui : un thologien trs

    savant plutt que spirituel et saint , un prdicateurqui parle avec une lvation d'esprit admirable , desmatires gnrales de dvotion , mais qui, en raison mme desa sublimit , ne semble avoir rien de propre se rabaisserdans la conduite particulire des mes : voil l'impressionque Saint-Cyran avait faite aux religieuses en 1625, et au cours

    des rares visites qui suivirent (40). Je crois que cette impres-sion, dont elles devaient rougir plus tard, n'tait pas fausse et

    que celui qu'elles s'accusent, dans leurs relations, d avoirmconnu, a simplement chang entre temps. 11 a changparce que, dans le gouvernement de ce monastre de filles,a t enfin otert, ce temprament la fois mditatifet dbordant d'nergie active, l'emploi qui lui convenait.Tout s'unit cette fois pour l'intresser, pour le passionner.

    (38) Lancelot, t. II, p. 273-274. Hermant, t. !, p. 83, et Racine, Abreg-ede VHist. de P. R., p. 23 (d. Gazier). Arnauld d'Andilly dclare cesujet que Saint-Cyran rpugnait accepter cette charge, parce que savie, jusqu'alors, avait t toute d'tude et de retraite . V. n 2481de la Bibl. Mazarine. fSg) Lancelot, ibid. Par ailleurs, il est remar-quable qu'en 1622, l'occasion s'tant prsente pour Saint-Cyran de secharger de la direction d'un monastre de femmes, Jansnius l'endissuade, en lui remontrant qu'il est craindre que cela ne lui fasseperdre du temps et ne le dtourne de son travail, tant Saint-Cyran luiparat encore, ce moment, vou une tche purement intellectuelle.(V. les Lettres de Jansnius de fvrier 1622; cf. Lancelot, t. II, p. 277-278.)

    (4oj Ce sont les expressions dont se sert la Mre Anglique l]\Im.d'Utrecht, t. I, p. 339 et p. 210 .

  • l\ QUEL SENS P1:LT-0X J'AUI.KU DK S.V DOCIUINK U^

    D'abord l'cxcejjtionnelle qualit intellectuelle et moraledes personnes qui il a affaire '. dans quel couvent, parexemple, trouverait-on une runion de religieuses comparables la Mre Anglique, la Mre Agns, la Mre Le Tardif,sans parler de celles qui devaient Venir par la suite? Puis lesrsistances mmes (par exemple celle de la sur Marie-Claire)qu'il doit vaincre et qui ne font, par les efforts qu'elles exigentde lui, que le piquer au jeu et l'engager davantage. Joignez cela que, dans cette terre bnie de Port-RoyaU les premiressemences jetes portent des fruits merveilleux. Non seulementles Religieuses renouveles font revivre avec une rgularitexacte les plus difficiles vertus chrtiennes. Mais trs viteautour de ce monastre, dont l'influence sanctifiante se rpandet dans les familles des religieuses, et dans toute la France,surgit une floraison d' ermites : M. Le Matre (1637),M. Singlin, M. de Sricourt, M. de Saci, Lancelot, et biend'autres, qui s'unissent, de plus qu moins prs, et chacundans son ordre de pit, quantit de personnes du monde,nobles ou parlementaires, sur qui le souffle de Port-Royal apass (4i). Quelle tche plus consolante et plus captivante quede prendre soin de tels hommes et de telles filles (42) ?Dsormais la voie de Saint-Gyran est trouve, sa destine estfixe, c'est la Direction. Toutes ses plus essentielles qualits ledisposaient ce rle (43). Il s'avise maintenant que ce rle estle plus noble et le plus utile de tous. Les vastes desseins, lescombinaisons d'allure politique, les intrigues, par lesquelleson croit assurer le succs plus ou moins extrieur d'un partiou d'une doctrine, tout cela parat mesquin au prix de l'actionpersonnelle, comme celle du bon Pasteur ramenant surses paules la brebis gare, qui s'exerce d'me me, etpar laquelle sont engendres les mes la vie spirituelle. Ladevise de Saint-Gyran sera dornavant celle de ce roi parlant

    (4i) C'est ces personnes que sont adi'esse.s les Lettres de Saint-Gyran publies en i645. (42) V. Sur la consolation extraordinaire que Saint-Gyran tire de l, Lancelot, t. I, p. 35. On sait, par ailleurs,l'admiration que Saint-Gyran professe pour d'Andilly. V. L. C, t. II,p. 5o7-5o8. {431 V. ce sujet l'avertissement des Lef^/rs chrt. et spirit,de 1^44, p. V,; cf. at". d'Arnauld, Prf. hist. et crit. du t. XXIX, p. x.et Sainte Beuve. Rapin exprime, sa manire, la mme opinion (Hist.daJansjiisnie^ p. 260, p. uO'^, etc. .

  • 28 SAINT f.VUW

    il Abraham dans l'Ecrilure : Donnez-moi les mes, je voustiens quitte de tout le reste (44'-

    Les mes, il les a de plus en plus. Et il a des raes d'lite.Dans le rapport troit et constant qu'il entretient avec elles,dans la connaissance que la confession lui donne de leurs lanset de leurs besoins, il semble que, telles les hypothses aucontact de l'exprience, beaucoup des conceptions qu'ilavait pu lire dans les Pres, voire exprimer lui-mme, sansen pntrer toute la vrit, vont prendre une signification etune importance nouvelles.

    Solitaires et religieuses le vnrent comme un oracle. Mais.lui, de son ct, pench sur ces merveilles surnaturelles (45).y trouve de continuels motifs d'admiration. Et qu'admire-t-ildans les plus hautes d'entre ces mes ? Prcisment ce qui luimanque lui-mme': la simplicit, dont Lancelot nous dit qu'iltaisait tant de cas (46), mais qui ne se montre gure dans sespremires lettres d'Andilly ou dans ses ouvrages de dbut,voire dans \2i Rfutation de Garasse; une pit solide, nullementsuperstitieuse, et nanmoins parfaitement trangre touteproccupation du sicle comme toute curiosit. Ces religieuses ce point mortifies, ardentes d'amour divin, remplies du puresprit du Christianisme, elles ne savent rien des arcanes de lathologie (47)- Et leur confesseur sent une secrte jalousiecontre ces femmes qui sont si vertueuses et si saintes dans leurignorance (48). Il n'envie pas moins l'humilit des soli-taires (49). les uns, comme Lancelot, encore tout brillants decette navet que donne une innocence jamais entame, lesautres, comme Le Matre, verss dans l'tude et dans les belleslettres, mais ayant rsolument sacrifi tous leurs dons et toutleur savoir afin de mourir au monde et de vivre pour Dieu

    (44) O. C, t. III, p. ii3.(45) Lancelot, t. I, p. 35. (46) Ibid., t. II, p. 35i et suiv. Cf. Maximes

    indites, in P. R. 3i, p. 34i. (47) Sur l'ignorance o sont demeuresles religieuses de Port-Royal (au moins avant i638), touchant lesmatires de la Prdestination et de la Grce. V. la Relation de la MreAnglique in Mmoires d'Utrecht, t. I, p. 480-481. Il est ditlicile pourtantde ne pas faire quelques exceptions, ne ft-ce que pour la Mre Agns,que Saint-Gyran lui-mme appelait la Thologienne , et dont leslettres rvlent une connaissance assez avance des questions de lagrce et de la doctrine de saint Augustin.

    (48) O. C, t. III, p. 346 et p. 3-4. (49 Fontaine, t. I, p. 199.

  • KX QUKL SKNS PKUT-ON PAni.KIl DE SA DOCTKINK 29

    seul. Il constate combien un Singlin, modeste catchiste de latroujje de M. Vincent, dpourvu de talent et d'loquence, saitpourtant, lorsqu'il prche, toucher ses auditeurs. Il vrifieenfin ce qu'il a appris de l'Evangile, qu'on peut tre un excel-lent chrtien, avec une instruction des moins releves.La science n'est donc pas tout. Bien au contraire, il faut dire

    que

  • 30 SAINT- (".YUAN

    elles ont t l'ormes, quoique presque leur iusu, sur le vraimodle de la perfection chrtienne

    ; et c'est prcisment pourne pas les laisser dchoir de ce chemin de vrit que Saint-Cyran, voyant qu'elles n'avaient plus personne pour lesinstruire, a voulu se charger d'elles (58). Quant aux ecclsias-tiques, s'il a plu Dieu de confondre les sages en leurmontrant dans la personne de M. Bernard un prtre parfai-tement sain, en mme temps que compltement ignorant (Sg),ce ne peut tre qu'un cas exceptionnel (60). I.e prtre est faitpour conduire les fidles. Et qui ne sait que, selon l'vangile, si un aveugle conduit un autre aveugle, ils tomberont tousdeux dans le prcipice (61) ? En rgle gnrale, la science n'estpas moins indispensable un prtre que l'innocence (62).

    C'est dire que le prix de la science est grand, pourvu qu'ellene marche pas sans la vertu, comme il n'est que trop frquem-ment arriv dans ces derniers sicles, ou plutt pourvu^qu'ellemne la vertu (63). Le prix de la science est gxand en cequ'elle nous apporte la vrit. Mais, prcisment, il y a unecertaine faon curieuse de cultiver la science, qui, s'amusant la vrit, comme la vue s'amuse la beautdes objets (64), finit par touffer la vrit mme (65) : Lapassion de savoir qui s'attache la science pour elle-mmenuit plutt qu'elle ne sert , non seulement pour l'acqui-sition de la vraie vertu, mais mme pour la connaissance dela pure vrit (66). Aussi, le chrtien digne de ce nom, demme qu'il est pauvre par l'esprit au milieu des richesses,possde-t-il la science comme s'il ne la possdait pas (67). Etil n'en use q^ue pour nourrir non seulement sa conversationou sa mmoire, mais ses actions (68), en s'appliquant toutesles vrits tant de la Foi que de la Raison (69). La thologiequi s'arrte la seule connaissance n'est qu'une philosophie

    prtendre de pouvoir bien conduire, et selon les rgles de l'Evangile,s'il n'est autant dans la connaissance de la vrit que dans l'exercicede la charit. . (58) I.angklot, t. 11, p. 277. (59) O. C, t. III, p. 498-499. (60J Ibid. (61) Lettre Guillebert, L. C, t. 1, p. 34; cf. p. 87. (62) O. a, t. III, p. 522. (63) O. C, t. III, p. 288-289.

    (64) O. C.,t. I, p. i4-i5 ; cf. Entretien avec Le Matre (Fontaine, t. /,p. i.Si-183). (65) O. C, t. m, p. 346. (66) Entretien avec Le Maitre(Fontan::, t. I, p. 179).

    (67) O. C, t. '[I, p. 254 et p. 544- - (68) O. G, t. I, 239-242. ~ (69! Ibid.,t. I, p. 245,

  • T5.V QUEL SENS l'KlT-ON PAULEK 1,)E SA DOCTRINE 'il

    humaine 1701. Toute connaissance, et spcialement la connais-sance Ihologique, doit aboutir l'amour de Dieu et auxbonnes uvres dont l'amour est le principe (71). Et, par unremarquable retour, c'est la charit qui donnera accroissement la connaissance elle-mme (72). Ne voyons-nous pas que leslumires des Pres de l'Eglise ont t les fruits de leurpit (73 1? Pareillement, pendant prs de douze cents ans, tousceux qui ont t grands thologiens et grands docteurs dansl'Eglise ont t aussi de grands saints (74). Sachons-le donc : Le moyen le plus court de reconnatre la Vrit de Dieu etde faire sa volont. .. Go que David avait dit en trois mots : Arnandatis tuis intellexi : J'ai acquis l'intelligence en suivanttes prceptes (76).La science qui sert au gouvernement des mes (76), la

    science des saints (77), la vraie sagesse (78) est celle qui,d'unepart, engendre la charit et, d'autre part, en procde (79).Ne serait-ce pas que cette science a son sige, non dans la seulefacult de connatre, mais dan les profondeurs intimes del'me o la chaint a sa source, dans le foyer d'o rayonnent lafois chaleur et lumire (80), et qu'on appelle le cur (81)?

    (70) Lettres Guilieberl, L. C, t. I, p. i35 ; cf. L. C, t. II, p. 601 :a Sans la charit, l'loquence et la science d'un Ange n'est rien . (711 o. C, t. II. p. 478; cf., p. 467. (72) o. a, t. II, p. 441-442;cf. O. C. t. III, p. 283. (73i Ibid., t. III, p. 288-289. La Vierge est laligure de ceux qui sortent de la contemplation pour passer l'ac-tion : Elle tait comme l'enfant qui se pend au cou de sa mre etqui, sans la quitter, se baisse pour jouer avec ceux qui le caressent :de coLlo pendeiis... Ainsi l'on peut dire de la Vierge dans l'exercice desa charit envers les hommes ce qui a t dit du Fils de Dieu, qu'ilest descendu nous sans quitter le sein du Pre. (Consid. 2, t. II,p. 290-291. 1

    1741 O. C, t. III, p. 283-285. Au contraire, SaintrCyran a souventremarqu que la Thologie scolastique ne compte que deux saints,saint Bonaventure et saint Thomas.

    (75) Cons/ti. 1, 1. 1, p. 393; cf. Consid. 2, t. 11, p. 69. C'est quoi rpondentles considrations du' Liber Promialis eVAngnatinus, sur l& Mthode decharit. (V. notamment LJ6. Promial., cap. 7). (76) Lettre GuillebertL. C, t. I, p. 1711. 77) Jd. Ibid., p. 34 iGest l'expression dont se sertla Mre Agns dans une lettre Arnauld qui est de 1634- Lettres de laMrr Agns, I,p. 6o-6ij. f 781 Lettre Guillebert (L. C, 1. 1, p. 41 L (79) V.\e Lib. Promial. de l'Augustiniis, cap. 7. (8o)L. C, t. II, p. 669 ;cl'. Z,i&.Promial., cap. 21. (81) Saint-Cyran dfinit frquemment le curcomme ce qu'il va de plus profond eu l'homme, le premier vivant , le principe de toutes les fonctions de la vie. V. Fragments indits.,P. R. V/. j). 5y3, et Le Co'iir nouveau. O. C., t. IV, p. 77.

  • 3-2 SAlM-CYllAN

    La science vraiment bnite (82) ne saurait entretenirla vie qu' la condition de devenir vivante elle-mme, la condition de ne pas demeurer l'tat de spculationpuroment intellectuelle, mais de pntrer, d'imprgner lavolont (83), ^ de passer de la tte dans le cur (84), d'treenfin ce point rumine et incorpore notre substance,que nous la sentions plutt que nous ne la connaissons d'unemanire distincte. Rduite cet tat de sentiment (85), lavrit devient pour nous indpendante et des livres et enquelque faon de la mmoire (86). Lors mme qu'elle paratnous chapper, ou que nous sommes impuissants en rendrecompte d'une manire distincte, elle se conserve en ce trfondsde nous-mmes o Dieu opre, suivant le mot de l'Aptre, etd'o il saura bien la faire surgir quand besoin sera (87). C'estainsi, en rpandant leur cur devant Dieu, avant de lerpandre devant les hommes (88), en ne donnant que de leurabondance, suivant le prcepte de saint Bernard (89), en sefiant l'inspiration de Dieu plutt qu' l'tude, ou plutt enfaisant de leur tude mme une prire (90), que les Pres lesplus savants ont su mettre dans leurs ouvrages cette secrtevertu qui se communique ceux qui les lisent (91). Lesgrands saints et premiers Pres de l'Eglise n'ont parl desVrits que par un vritable sentiment... et c'est . quoi nousdevons tendre (92).

    Qu'il y ait l mieux que de vaines formules, un vnementcapital a permis Saint-Cyran d'en faire l'preuve : sonemprisonnement. En cette double prison , dclare-t-il lui-mme, parlant prcisment des dispositions nouvelles o ilse trouve l'gard de la science, Dieu lui a fait connatre

    (82) V. ce que dit Saint-Cyran sur cette science (qu'il oppose lavraie sagesse) dans laquelle il n'y a pas de bndiction. {L. C, t. II,p. 600). (83) O. C, t. II, p. 540. (84) O. a, t. I, p. 9-iD. Sur le rledu cur pour ruminer et assimiler les vrits. V. Lib. Promial.,

    cap. 21 et cap. 4 et 8. (85) O. C, t. III, p. 288-289. (86) L.vngelot, t. 1,p. 44. (87) Id. Ibid., p. 46. 188) Id. Ibid. p. 44; cf. Entretien avec LeMatre, in Font.vine, I, p. 178.

    (8q) Ibid. (90) L. C, t. II, p. 542; cf. Entretien avec Le Matre (Fon-taine, t. I, p. 181) et Lancelot, t. I, p. 44- (91)0. C, t. Il, p. 419-420,et Entretien avec Le Matre (Fontaine, I, p. ija-i^S). [f^a) O. C, t. III,p. 388- 289, cf L. C, t. II, p. 55i.

  • K.\ (MI'I, SENS rKUT-OX l'ARLER DE SA DOCTIUNE 3'3

    et sentir ce (j,u il uuuraiL jamais pu s'imagiuer avant quede l'avoir expriment lorsqu'il tait Vincenues (gS).

    On se rappelle les i'aits.Brusquement, un matin, par ordre de Richelieu, il est

    arrt et jet dans le grand donjon , o, durant six mois,il reste sans communication, ou presque, avec personne, ])rivde lecture, priv de correspondance. Or, voici que dans son abandonnement , une nouvelle lui parvient: la plupart deses papiers sont saisis; il devait s'y attendre; mais, en outre,

    plusieurs de ses manuscrits les plus importants, qu'avaient

    oublis les archers, Barcos, anim de plus de zle que de bonsens son ordinaire, et craignant de laisser exposer des per-

    quisitions nouvelles des crits o la mauvaise foi des ennemisde son oncle pourrait bien chercher encore prtexte desaccusations d'hrsie, les a jets au feu (94)- Ce mo-ment marque pour SaintCyran la crise dcisive. Au milieu detoutes les angoisses physiques et morales et de toutes lespreuves de conscience, dont il est, ainsi qu'il l'a racont lui-mme (95), accabl, le a brlement de ses papiers est le der-nier coup (96). Il faut se souvenir que Saint-Gyran (il l'a dclaraussi plusieurs fois) a peu de mmoire 97), et c'est pourquoi il ata.il crit de notes et d'extraits. Toute sa science est dans ces

    trente ou quarante volumes in-folio dont la vue eil'rayait le

    Chancelier, et qui remplissaient deux coffres extraordinaire-ment grands s (98). Or, tous ces papiers sont saisis et brls.

    C'en est fait : sa science est perdue (99) . Saint-Cyran reste

    d'abord comme tourdi sous le coup. Tout ce qu'il avait mis

    tant de peine et de temps recueillir, durant plus de trente

    annes (100) ; toute cette abondance de vrits et d'claircisse-ments (loij, tout cela est dissip. C'tait la plus grande

    perte qu'il eut jamais faite, et aprs celle-l il n'en devait plus

    (93) Entretien avec Le Matre (Fontaine, t. I, p. ijSj. (94) V. Lancelot,t. I. p. 70-71. 195, V. Entretien avec Le Matre (Fontaine, I. p. 179. cl".Besoignic, t. III, p. 3871.

    (96) Notons en pas.sant que l'accablement et la douleur de Saint-Gyran la nouvelle du brlement de ses papiers est la meilleure preuveque ces papiers ne contenaient rien de compromettant pour lui; autrement, il n'et pu que se fliciter de la prudence de son neveu.

    971 V. p. ex. : t. Il, p. 67. '98) Lancelot, t. I, p. 69. (99) O. C. t.III, p. 401. (100 Ibid. (loi) L. C. t. II, p. 670,

    3

  • SAINT-CVIAN

    craindre d'autre > (loj) Un iuslanl abattu et dsespr, Saint-Gyran ne tarde pas se reprendre. 11 voit l une oecasion dedtruire en lui tout ce qui pouvait rester d'orgueil et d'atta-chement la libido sciendi. Accepter l'preuve, consentir unsacrifice, voil le vrai moyen d'acqurir dcidment l'humi-lit. Saint-Gyran a exprim lui-mme son tat d'me dans lesConsidrations sur la Fte de saint Paul, premier Ermite:

    -

  • K\ (JUEL SENS IEUT-0.\ l'AULKR DE SA DOCTHINK 35

    Augustin ou de la Vie des Saints ,106), qui demeurent sadisposition, et surtout s'abandonner aux penses telles quellesque Dieu lui donne, cela lui suffit pour clairer sa propre vieintrieur et celle de ses pnitents. Lui qui pleurait la pertede sa science, il s'aperoit, son sacrifice fait, qu'en somme iln'a rien perdu. Parlant de tant de prcieuses penses anantieavec, les papiers de son oncle, Barcos disait, aprs -coup, que ces pen.ses n'tait pas perdues, puisqu'elles s'en taientretournes Dieu de qui elles taient sorties, et qu'aussi bien,quand on aurait voulu travailler quelque crit, on n'auraitpas regard ces papiers, parce que, s'tant nourri loisir desvrits qu'ils contenaient, on aurait pu se contenter de tirer desa plnitude ce que Dieu aurait voulu donner et renouveler encrivant (107). C'tait l, remarque Lancelot, se conformertrs parfaitement l'esprit de Saint-Cyran (108). C'tait mmesans doute rpter ses propres paroles (109). Le fait est que leprisonnier de Vincenues, quand aprs deux ans on se dcide lui rendre ceux de ces papiers, en plus grand nombre qu'ilne croyait, qui avait chapp au feu, ne parat pas s'en treservi. Il dcline l'invitation du Cardinal de Richelieu qui pro-posait de lui fournir toutes les choses ncessaires pour la con-tinuation do son grand livre de controverse contre les Protes-tants (iio). Les seuls ouvrages auxquels il dsire s'appliquer

    fio6) C'est sous l'orme de rflexion sur la Vie des Saints de llil)adeneiraqu'ont t composes Vincenues les Considrations sur les Dimancheset Ftes, et les (Considrations sur les l'tes de la Vierge et des Saints.(Lancelot, t. II, p. 84). 1107; Lancelot, t. L p. 72-73. (1081 lbid.,p.'ji. (109) V. ce .sujet L.-C.t.ll p. 670. et [O. C. t. IH, p. 401. D'autrepart, on lit dans les Fragments indits : Si on perd les plus excellentslivres du monde, o on avait crit de rares vrits, on ne perd rienparce que les vrits demeurent et se conservent dans le cur. {P. R. 3i,p. 129; cf. p. 429. Arnauld d'Andilly, dans son Avant-Propos l'ditiondes Lettres, dit, expliquant comment Saint-Cyran a compos ces Lettresdans sa prison, en l'absence presque complte de livres : Il ne parleque sur la foi de sa mmoire, ou plutt il ne tire ses discours, commeJ-C. dit dans l'Evangile, du trsor de son esprit et de cur, qui avaitcomme tourn en sa propre substance toute la doctrine de l'antiquitsacre..

    (110) V. Besoigne, t. III, p. 395-366 et p. 391. On dit il est vrai qu'aprssa sortie de prison, Saint-Cyran, press par Charpentier, songea unmom ent se remettrel cet ouvrage ilbid. p. 449-45o'. Mais en fait il neparat pas s'y tre remis. Et du reste, on sait que c'eut vers le mmetemps qu'il forma le projet d'abandonner toute tude et de se retirerdans son abbaye pour y mener une vi purement monastique.

  • 36 SAIM-CVUAN

    sont des lettres de direction, ou bien des *^ lvations du genrede son (^ur noiweau, ou de ses Penses sur le Sacerdoce,ou bien encore ses Considrations sur les Dimanches et sur lesFtes de la Vierge et des Saints crites pourrait-on dire en marge de la Vie des Saints de Ribadencira (in);et il les compose, dit-il lui-mme, en vitant les trop grandsdiscernements et rflexion , et mme en laissant l'cart ,autant qu'il peut, toute sa science o : Je me mets comme un

    vase devant Dieu, afin qu'il me donne les lumires et leschaleurs qu'il lui plat, me gardant surtout de faire le moindreeftbrt, ni de la tte ni du cur (112). Quant aux tudesd'rudition, quant la science proprement dite, il ne s'en sou-cie plus fii3). Non qu'il veuille dtourner les autresd'apprendre (ii4) Mais pour lui (ii5j, guri enfin de cette passion (116), et de ses intemprances, il est de plus en plusdcid renoncer la science livresque, pour s'en tenir cette bibliothque intrieure , qui est l'abri |des atteintesdu dehors parce qu'elle est btie au fond du cur del'homme (117).

    Qu'est ce dire ?Il est clair qu'une bibliothque intrieure ne saurait tre

    aussi bien fournie qu'nne bibliothque matrielle. Ce qui peutaller au cur, ce qui peut tre senti par le cur, ce ne sontpas apparemment ces subtilits dont s'embarrassent lesEcoles (1181, ces ratiocinations perte de vue sur des matiresabstruses, souvent insolubles l'homme, (comme celles qui

    (111) C'est dans sa prison que Saint-CjTan se met lire les uvresdes mystiques, sainte Thrse, sainte Catherine de Gnes et saint Fran-ois de Sales, uvres mystiques que, nous assure Lancelot, u il n'avaitpas lues auparavant (La>'celot, t. II, p. 85).

    (112) L.-C, t. II, p. 669-671. (ii3) Entretien avec Le Matre (Fontaink,t. I. p. 1:79). (ii4) Ibid., p. 186 et suiv.. (it5) Ibid.. (i6) Ibid., p. 179.

    (117) Lett. Arnauld {uvres d'Arnauld, t. I, p. 9-io). Cf. sur l'infrioritde la science des livres par rapporta celle qui se conserve dans l'me.V. Fragments indits, P. R 31, p. 520-621. C'est la mthode de la mreAnglique. Voici le conseil qu'elle donne une Religieuse qui avaitl'habitude d'crire les penses qui lui venaient: ... Comme elle medemande si quelquefois, rencontrant quelque belle sentence, elle nel'crirait point, je lui dis que non; mais que, lorsqu'elle en auraitenvie, elle se mt genoux et prit Dieu de l'imprimer dans son curet de la lui faire pratiquer. (Lettre indite de la mre Anglique citepar Prunel, Zamel, p. 234 note i). (118) V. le Lib. Proni. del'Auguslinus, cap. 8.

  • K.\ QLEL SENS i'KLT-O.N l'AlU.iCU DK S.V 1)0- TIUN'E 3"]

    coiieeruent la nature des Anges) (1191, ou dont la solution,quelle qu'elle aoit, n'intresse pas notre conduite. Encoremoins ces contentions par lesquelles une scolastique poin-tilleuse (120) s'elForce, l'aide del philosophie et de raison-ment humains (121), de soumettre des discussions tropexacte > les dogmes et les cas de conscience (12a). La vrits'claircit plus par des mditations secrtes (jue par des disputesimportunes i iq3). Et surtout il est inutile de chercher elair-cir l'excs les vrits que Dieu nous a confies. La charit,principe et fin de la science, en est aussi la mesure. A ce creuset,la thologie s'pure de toutes ces superfluits qui ne sont paspropres rendre l'me meilleure. Elle ne garde que le pluspalpable et le moins abstrait d'elle-mme (124). Elle tend,par une sorte de concentration, revenir la simplicit de laFoi, laquelle, comme le dit saint Thomas, n'est pas discursivemais intuitive ii25), et se borne la premire vue de ceque Dieu lui dcouvre 1126). Une thologie simple (127), aussivoisine que possible de l'intuition, et aussi ennemie quepossible des discours tudis >, familire enfin, suivantle nom carastristique qu'il a donn l'un de ses derniersouvrages, et par l mme facile retenir et digrer (128):Saint-Cyran (qui dplore d'avoir donn tant d'annes de sa vie des recherches vaines m'en veut plus connatre d'autres (129).

    (119) Ibid., cap. 6; V. aussi cap. 5. (120J L.-C, t. I, ]). 84. (2i) LaFoi hait les moindres raisonnements, non seulement les conten-tions, dans la thologie {L.-C, t. II, p. 600-601). (122) Consid. 2, i.I, p. 199-aoo. (ia3i O.-C, t. III, p. i^a. (ia4) Tho- logie familire.Avis au lecteur, de l'dition de 1689. (i25) Ibid. ; V. aussi L.-C. t. II,p. 600-601 ; O.-C. t. I. p. 135., et P.-A. t. II, p. et t. III, p. 56o.(126) Lett. Guillebert (L.-C. t. 1, p. 3-4). (127) Ibid., t. I., p. 84. cf-

    Lib. ProrniaL, cap. 6. (ia8) V. l'Avis au lecteur de la ThologieFamilire, d. 1639. (129) Nous verrons, par la suite, les conseilsqu'il donne Arnauld, et les ellorls qu'il fait pour le retirer duraisonnement et des disputes .

  • ni

    C'est ce point de vue qu'il faut se placer pour coipprendrel'attitude de Saint-Cyran touchant deux questions o ellepourrait tout d'abord sembler dconcertante.

    La premire est celle de Yattrilion. On sait qu'ellefut lacause, ou le prtexte, de l'emprisonnement de Saint-Cyran.Celui-ci passait pour avoir inspir, sinon crit, le livre duP. Sguenot de la Sainte Virginit, livre qui avait excit ungrand bruit parce qu'il combattait l'opinion des Jsuites(laquelle tait aussi celle du Cardinal de Richelieu dans sonCatchisme), que Vattrition, c'est--dire le ressentir fond surla seule crainte de l'enfer, suflt au pnitent, avec l'absolutiondu prtre, pour obtenir la rmission de ses pchs. Il est peu prs certain que Saint-Cyran n'avait nulle part ce

    livre (i), que mme il y condamnait plusieurs choses (2), etque surtout il n'en trouvait pas la publication opportune (3).Mais il n'est pas moins certain que, sur le fond de la matire,il tait d'accord avec Sguenot (4)- H jugeait l'attrition uneinvention humaine, et le dernier relchement du sacrementde pnitence (5). Mme, dans des lettres ses amis, il s'in-digne a qu'on ait pu mettre en question publique si l'attritionsimple tait suffisante (6). Il veut qu'on dise hardimentque la Contrition (c'est--dire l'Amour de Dieu) est nces-saire , non pas cette sorte de milieu que certains sont entraind'imaginfr entre la Contrition et l'Attrition (7,1, mais la Con-trition parfaite, c'est--dire l repentir fond sur l'amourdominant de Dieu. Ds lors, on peut s'tonner que, dans plu-

    (i) V. Lancelot, t. I., p. :78-79; Cf. Interrogatoire, Recueil d'Utrecht,p. 85-86. (a) Interrogatoire, p. 87. (3) L. C, t. II, p. 694. (4) V. Ibid.p. 594. (5) L. a, t. II, p. 697. (6) L. C, t. II, p. 465-466 et p. 672,673. (7^ L. C, t II. p. 691-693. Cf. Ibid., 673-673.

  • i:- H est bon, du reste, de se rappelerque les mets de contrition et d'attrition ont re^u jusqu' neuf sensdiffrents chez les lliologiens du temps (\. ibid., j). oj ; cf. Besoigne.t. III, p. 4^)- Mais, outre que cette interprtation ne cadre gureavec les textes, elle" laisserait en tout cas subsister rencontre deSaint-Cyran le reproche d'avoir us d'quivoque. V. ses lettres M d'.Vndilly, dans Lancei.ot, t. 1, p. 169-173.

  • 4o SAINT-CVU.VN

    Cyran vu ivsseiilit presque aussilt a})rs en est la [d'cuvii>lo({ueute, qu'il w n'avait point parl ici aussi fortementqu'il aurait d . Cependant, de voir l une pure et simplemarque de duplicit et de faiblesse, une manire de reniementde Saint Pierre, ce serait aussi lourdement s'garer (i8j. Ondoit se rappeler que, dans plusieurs auties ciieonstiuces ant-rieures ou postrieures, Saint-Cyran a exprim, en termesseulement un peu moins accommodants, des })enses trs voi-sines de celles de la lettre Chavii,'^ny. Ijancelot le remarque,en citant le rsum crit par l'abb lui-mme, en 63g, de saconversation avec Lescot, et il constate que son matre n'a paschang de sentiment (19). Un p^u aprs, dans une conver-sation avec la duchesse d'Aiguillon, Saint Cyran reprendraplusieurs des ides exprimes dans sa lettre. Lui-mme n"ajamais pens avoir trahi, proprement parler, la Vrit. Ils'est humili en attnuant un peu ses faons de parler ordi-naires (ao). Mais qu'il ait parl contre sa pense, ni lui ni sesamis ne l'ont jamais cru. Souvenons-nous que sa letti'e M. deChavigny a t dresse [)ar M. de Barcos (ai 1. Souvenons-nousaussi que ses dfenseurs les plus fidles, tels qu'Arnauld, ontparl de sa doctrine sur la contrition en termes presque quiva-lents ceux de la fameuse lettre (22). Souvenons-nous, enfin,que la dite lettre lui a t inspire par des amis qui taientM. d'Andilly et le duc de Liancourt. Et ces amis lui reprsen-taient qu'il n'avanait rien dans cette lettre qu'il ne leur etdj maintes fois fait entendre eux-mmes (23). Il faut doncadmettre en dernire analyse que la lettre Chavigny, quelque part qu'on doive faire la faiblesse d'un pri.sonnierpress par tout le monde et en proie une terrible crisemorale, n'est dans la pense de Saint-Cyran ni en contra-diction formelle, ni mme sans lien, avec l'ensemble de ses

    (18) Hermant, t. I, p. 121. (19) L.-VNCELOT, t. I, p. i65-i66 ; Hermant, l.I, p. laS. (20) Her.maivt, t. I, p. 129. (21) Lancelot, t. I, p. 161. (aa) Il est bon de noter que, comme nous le verrons en dtail ailleurs,Arnauld, pour son propre compte, devait s'exprimer d'une faonbeaucoup plus nergique. Rfutant Ghoiseul, il dclare qu'il aime-rait mieux qu'on lui coupe la main que d'crire que l'opinion del'atlrition peut tre vritable (V. Difficults sur les Eclaircissements deM. de Choiseul. t. XXVI, p. 99 et p. 186). Apologie pour Saint-Cyran, 2part., V. t. XXIX, p. 281). (23) Y. Hermant, t. 1. p. 121; Besoigxe,t. III, p. 428.

  • EN ()UKI. SlvNS l'EUT-ON l'AKLKll DK SA DOCTHIM; I

    ides (24). Et ds lors, comment iaut-il l'entendre? La cleflie l'nigme est sans doute dans rimporlance prpondranteattribue par Saint-Cyran aux considrations pratiques. Saint

    (]yran, thoriquement, est contre la suffisance de l'attrition.Mais, pratiquement, il ne veut pas prendre [);irli. Pourquoi?Pour deux raisons qu'il a lui-mme trs nettement indiques :Par souci de lunit de l'Eglise (a5), d'abord. L'Eglise len

    l'espce, le Concile de Trentei n'a pas tranch entre les deuxo[)inions. L'une et l'autre sont soutenues par des Chrtienscousidrables. Celle des attritionnaires est mme aujourd'hui laplus commune (quoique videmment la moins ancienne) (26i.En l'attaquant de front, c'est donc une partie notable del'Eglise qu'on rompt en visire. Or, la rupture de l'Unit del'Eglise , le schisme, est le plus grand pch d'un Chr-tien ('2j). (]*est une pense familire Saint-Cyran qu'ilfaut sui)porter, non seulement tous les plus grands dsordres,mais la mort mme, plutt que de se sparer de l'Eglise,parce que cette spai*ation est le plus grand de tous lesmaux (aSi . Il fait profession de lui demeurer toujoursuni, non seulement " dans une mme foi, mais, dans unemme charit (29), adhrent cette Eglise catho-lique, apostolique et romaine... jusqu'aux moindres frangeset filets de sa robe (3oi. Pour vivre chrtiennement, ilfaut, pense-t-il, supporter les opinions qu on voit avoirvogue dans les Ecoles publiques de l'Eglise, quoiqu'on sachecertainement qu'elles sont contraires la tradition. Car tant

    (i2',i V. ce que dit Saint-Cyran lui-mme (L. C. t. II p. 53^ : II estdifficile en ce temps d'allier la vrit et la charit chrtienne, sanstomber dans d'apparentes contrarits.

    (20) V. Interrogatoire, p. ii2-ii3.(26) V. L. G. t. II p. 5()2-593; 672 678; 691-692(27) Penses sur le sacerdoce (L. C, t. I, p. 323). Je ne puis m'em-

    pcher de croire qu'il faut aussi tenir compte de la publication deVAugustinus, dans lequel plusieurs chapitres (les chapitres i3 27, etparticulirement 20 et 26, du livre V du t. IIIi sont consacrs soutenirexpressment la ncessit de la Contrition, et l'insuffisance de l'attri-tion fonde sur la seule crainte de l'Enfer. Saint-Cyran parat avoir tfortement impressionn par cette voix de son ami dfunt, dclarantdu Ciel par son Livre ce que lui-mme n'avait pas cru devoir direpubliquement. Et il se pourrait bien qu'il y eiil vu un avertissementdu Ciel, et comme une sorte de rappel l'nergie. V. L. C, t. II,p. 673 et p. 465-466 2S1 F(>\T.\i.xK, t. I, p. i43. (29^ Fontaink. t. I,[). 143. i3oi Dchinilioit faite Lcscot. in L.vncklot, t. I. p. i5i-i52.

  • 4'J SAINl-CVUAN

    s'en l'aul (lu'il se faille s[)arer pour cela,' ni de lEglisc, (juine fait que les tolrer, ni de ceux-mmes qui les souli-ennent :il ne faut pas mme combattre' ces mauvais docteurs avecclat (3i ). Ce n'est qu'au cas o ces mauvais docteurs pousse-raient leur faux zle jusqu' prtendre mettre au ban del'Eglise les adeptes de la vraie doctrine, que ceux-ci, injuste-ment attaques, auraient le droit et le devoir de parler haut.Tempiis tacendi, tempiis loquendi {3a). Mais s'il est d'un Chr-tien de dfendre sans mnagement l'orthodoxie dans les con-tentions (33), il est aussi d un Chrtien d'viter tout ce quijjourrait donner lieu aux contentions, et de ne vouloir faireschisme aucun pour dfendre la vrit qu'il a dans lecur (34)-Et c'est pourquoi tant que les attritionnaires s'abstiendront dedclamer contre l'opinion traditionnelle, on s'abstiendra ausside s'lever contre eux, au moins ouvertement (35). On ne refu-sera mme pas de qualifier leur opinion de probable : cequi signifiera seulement que, jjar une condescendance qui estprcisment le fait de la charit, on leur accordera le bnficede la libert que l'Eglise, en ditl'rent de rendre sa dcision, avoulu laisser ses enfants sur ce point. On ne condamnerapas les attritionnaires ; bien mieux on condamnera ceuxqui les condamnent parce qu'ils agissent contre l'unit del'Eglise (36).

    Peut-tre au fond, du reste, ce sacrifice fait l'unit del'Eglise n'est-il pas si lourd. A tout prendre, la querelle entre attritionnaires et & contritionnaires n'est qu'une querelle

    spculative. Ce qui importe, pratiquement, c'est de savoir cequ'on doit faire en face d'un pnitent qui vient confesse. Or,que la contrition, ou le repentir fond sur l'amour de Dieu,soit indispensable en soi pour la rmission des pchs, il n'enreste pas moins, d'une j)art, que, repentir fond sur l'amour ourepentir fond sur la crainte, ce sont l des mouvements int-rieurs et secrets dont l'intelligence d'autr'ui, et mme celle dupnitent lui-mme, ne peut juger : le discernement n'en estpossible qu' Dieu (37); d'autre part, il ncsfpas immanquable.

    (3i) Lettre Guillebevt. {L. C, t. I, p. 1271. (3i) X. C , t. II, p. 5oi. (33) V. L C, t. II, p. 57-1 et 468. (34) L. C, t. II, p. Sj^^-j^. (35) Inter-rogatoire, Recueil d'Utrecht, p. ii2-ii3. (36) Lettre Chai'igny, inLancelot, t. I, p. i63. (37) Interrogatoire, Recueil d'Utrecht, p. 6768.(Cf. Hermant, t. I, p. ia8, et Lettre Chavigny, h.s.ycKLOT, L I, p. 1621

  • VIS (lUKI, Si;.\S PKL r-()N l'AUl.KU I)K SA DOCIKINK {3

    mais il peut ai-rivcr, (juau Tribunal de la pni-tcnce, le Pni-tent d'attrit ) devienne < contrit (38); cela se fait par lavertu iqui n'est ])as j^ureinent dclarative i 09) du Sacrementde pnitence (4oi, quoique la vrit, de faon un peu extraor-dinaire '4i \yicn mieux, on peut dire que, quand Dieu veutvraiment sauver une Ame, il fait toujours suivre; 1 atlrition dela contrition, comme il iait succder laurore le soleillev ( 'J2i : dans lignorance o il est des desseirts de Dieu, unPrtre ne devrait pas hsiter absoudre une personne qui,tant blesse mort, n'aurait que la crainte de l'enfer, quelquepersuad qu'il ft que cette crainte seule ne suffirait pas rendre l'absolution valable (43). S'il en est ainsi, mme l'gard de ceux qui sont en pleine sant, on aurait bien tortd'embarrasser les mes dans ces discernements, qui ne lesrendraient que plus scrupuleuses et non pas meilleures (44'-Tout ce qu'on doit leur demander, c'est qu'elles aient unedouleur sincre d'avoir offens Dieu, et un vrai dsir dechanger de vie i45). Et cette douleur sincre, elle se recon-nat quoi? ses fruits, ses fruits extrieurs. Si une meproduit au dehors des actions de pnitence constante et pro-portionne ses pchs , il peut juger par ces actions de vieque l'me est vivante (46), il peut tre sr que le repentir est

    (38) Interrogatoire, Recueil d'Utrecht, p. 89-90 el Laxcelot, t. I, p. i65,(rsum de la conversation avec Lescot) (89) Recueil d'Utrecht, p. 68et Lett., V. II, p. 699. (4o) Ibid., p. 90, Lancei.ot, t. I, p. i65. (4i)Lancklot, t. I, p. i65. (42) Laxcklot, t. I, p. 179 180. Cf. Hermant,t I, p. m. V. aussi Trait de la Grce de Jsus-Christ, P. R. 3i,p. 538-539. '43) Conversation de Saint- Cyran avec la Duchesse d'Aiguillon,in Hemmant, t. I, p. 128.

    (4 j> AuN.wi.i), Apologie pour Saint-Cyran, a partie, t. XXIX, p. 23i. Y.aussi 4* partie, p. 376. (Bien entendu, c'est la doctrine de Saint-Cyranqu'Arnauld exprime l.) On penl viair encore le tmoignage de laMre Anglique ; Au reste, il (l'Abb de Saint-Cyran confesse commeun autre ; et, quand une personne se prsente lui avec sincrit etdouleur de son pch, il l'absout sans s'enqurir si c'est attritionnaturelle ou surnaturelle, ou contrition. Et on sait bien qu'il a critau R. P. Maignaud, qu'on dix tre dans ces maxmes, qu'il devait rece-voir tous ceux qui se prsentaient lui sincremeiat, et avec rsolutionde quitter leurs pchs, et les absoudre sur cela... iMm, d'Utrechtt. I p. 4.531. (Cf. L. C. t. II p. 469, p. 537; et Besoignk t,. III p. 428. (45^Lettre Chavigny, Laxcelot^ t. I, p. 162.

    (461 V. Entretien avec la Scur Marie-Claire, in Mmoires d'Utrecht, etL. G, t. II, p. 677-679. Cf. L'C, t. II, p. 573 : Bien que les Pres n'aientpoint parl de la contrition, mais des fruits de la pnitence, parcequ'elle n'est rjue de la connaissance de Dieu, au lieu que les fruits de

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    srieux, il neut tre assur qu il y ;i cii elle quelque tincelledu feu du ciel , et que, si la contrition parfaite n'est pas lencore, elle viendra. Voil quoi il faut s'arrter. Le reste, [)ropfemeiit parler, n'est que matire d'cole [^J), qui nescft rien pour la conduite de la vie.