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Le Figaro. Supplément littéraire du dimanche Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Jean Moréas, - Le Symbolisme, Le Figaro, Le Samedi 18 Septembre 1886

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Le Symbolisme

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  • Le Figaro. Supplment littraire du dimanche

    Source gallica.bnf.fr / Bibliothque nationale de France

  • Le Figaro. Supplment littraire du dimanche. 1876-1929.

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  • Samedi 18 Septembre i886Ce Supplment ne doit pas tre vendu part12e Anne Numro 38

    Prix dn Sapplmeal aiec le S mit*

    20 CENTIMES A PARIS 25 CENTIMES H0R3 PARU

    Abonnement spoial an SUPPI>SHB!Tr HTmila

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    12 FR. Ijftul=i. .I

    D ACTION DU SUPPLMENT

    A. PRIVIR

    SECRTAIRE

    AUGUSTE MAROADK

    Paris 26, rue Drouot Paris SXJFFX-.l^EISrT LITTR.A1B.B

    SOMMAIRE DU SUPPLMENT

    Gnral Ambert. Un Officier d'autrefois.

    Rcits militaires.

    D' Gaurulus. L'Hygine et la Chasse.

    Actualit.

    Georges Brunel. Retour-au foyer.

    Nouvelle.

    JeanMobas. Le Symbolisme.

    Un manifeste littraire.

    Fikisre Makl. Disparu!

    Histoire d'un marin.

    AUGUSTE Marcade. A travers les Revues.

    Finances La Financire.

    RCITS MILITAIRES

    1Oflicierfl'Autrelois- i

    Jean-Antoine d Riquetti de Mirabeau

    naquit le 29 septembre 1666. Son preavait t lev Paris, o il apprit fort

    peu de chose. Aussi disait-il que les col-

    lges produisent des pdants et nuisent la' sant. Il tait pour l'ducation rus-

    tique l'usagedu monde faisantlereste,et la vie de famille mettant l'enfant sur

    l chemin de l'honneur plus srement

    qu'Horace et Virgile. Jean-Antoine passadonc sa jeunesse dans la terre de Mira-

    beau, chevauchant, battant les bois et

    lisant des lgendes de guerre.Les habitudes de la famifle ne sont

    plus celles du dix-septime sicle. Ce

    jeune homme, appartenant une mai-son de haute noblesse, crivit des notes

    longtemps aprs, o il consigna cetteobservation c

    Les murs taient imposantes. Aux yeux

    d'un excellent pre et d'ne mre digne de

    lui, je ne prenais pas la parole sans tre in-

    terrog je restais debout, si le pre ou la

    mre ne m'autorisaient prendre un sige.Je n'ai jamais eu l'honneur de toucher la

    chair de ce pre essentiellement bon, mais

    dont la dignit contenait la bont. Cette

    bont ne se montrait jamais en dehors.

    Celui qui porta lev nom de marquis' dMirabeau raconte, qu'oblig de partirbrusquement pour l'arme qui entrait

    en campagne, il se leva le matin et de-

    manda s'il faisait jour chez son pre. Il

    attendit la permission de se prsenter.L'ayant obtenue, il entra dans la cham-

    bre o son pre tait au lit. Comme la

    voiture n'tait pas prte, le pre fit con-

    tinuer son fils une lecture de dvotion

    qu'on avait commence. Lorsqu'il futtemps

    Voil, dit le pre, votre voiture.Adieu, mon fils, soyez sage si vous

    voulez tre heureux.Le fils salua respectueusement et sor-

    tit, sans mme s'approcher du lit:

    #*#

    Jean-Antoine de Riquetti de Mirabeaun'avait pas dix-huit ans lorsqu'il entraaux mousquetaires. Si l'on en croit leduc de Saint-Simon, qui y servit lui-mme, Louis XIV faisait entrer dansce corps la jeunesse qu'il voulaitprendre sous saprotection.LeRoi se fai-sait rendre compte de leurs tudes, deleurs progrs et de leur conduite. Mira-beau dit au contraire que les mous quetairestaient une mauvaise cole, commeele sera toujours, ajoute-t-il, toute ru-nion de jeunes gens. Cette mthoded'entasser la jeunesse la dispense detoute dcence, de toute tutelle domesti-que et fait perdre la dignit personnelle.

    Le nouveau mousquetaire, lev trssvrement dans sa maison, chappaaux dangers de l'entre au service. Nile jeu, ni les galanteries, ni les. festinsne troublrent ses dbuts. Dans cetemps, on ne soupait qu'entre hommes.

    Aprs tre rest quatre ans mousque-taire, il servit dans les troupes et, la

    paix de Nimfegue. en 1678, il dbuta dansfe rgiment de Bezons.

    Charg d'amener avec lui quarantehommes pour sa compagnie de cavale-rie, Mirabeau fit sa leve en Provence.Il choisit sur quatre-vingts bourgeois deses terres, qui s'offrirent volontairement,les quarante demands, et sur ces qua-rante, onze devinrent dans la suite offi-ciers de cavalerie.

    Louis XIV, peine g de cinquanteans, avait alors renonc aux plaisirs,mais il aimait le luxe et la reprsenta-tion. Sa courtait brillante et ses armesclatantes de dorures, de galons et deplumes. Lors de la conqute de la Lor-raine en 1733, les vieillards qui se sou-venaient encore des Franais du sicle eprcdent assuraient ne pas les recon-natre dans leurs, enfants. Autrefois;disaient-ils, les cors, les trompettes, lesvalets de livre, les chevaux, les pi-queurs, les voitures brillantes intercep-taient les avenues des spectacles; vousn'tes que de -maigres soudards. auprsde ces brillants chevaliers. n

    Si Louis XIV encourageait le luxe, iln'en rcompensait pas moins le mrite-modeste. M. de Bezons tait un vieil of-ficier peu brillant, mais qui avait fait laguerre avec distinction. Il commandaitle rgiment o fut plac le jeune mar-quis de Riquetti de Mirabeau. Le lieute-nant-colonel, M. de Bondy, tait encoreplus raboteux que M. de Bezons. Il avaitservi avec les Sudois et tenait l'anti-que et bonne cole militaire. Les officiersinfrieurs portaient seuls l'uniforme, etles officiers gnraux, les officiers sup-rieurs, considrant l'uniforme comme lalivre du Roi, refusaient de le porter.

    M. de Bondy, habill simplement,1

    coiff d'ungrand. feutre sur une perruquerousse, tait sans manires et presquesans paroles. Les jeunes gens riaient unpeu de lui et s'en tenaient au crmo-nial strict de l'Ordonnance qui exigeaitune visite; le matin, une fois par se-maine. Le lieutenant-colonel: rendait lesalut et l'officier se retirait, en murmu-rant: Quel automate l

    Lorsque la campagne de 1680 s'ouvrit,le rgiment de Bezons y fut appel. Aucombat de Valcour, les jeunes officierset les gentilshommes, volontaires pourla guerre, se rjouirent de voir l'ennemide prs. Monts sur leurs plus beauxchevaux, ils caracolaient devant lesrangs et laissaient clater leur~gat. Lelieutenant-colonel, M. de Bondy, levantl tte et du ton de commandement donton ne lui connaissait pas une note, s'-cria

    Silence, messieurs, et rentrez dansles rangs; il faut que je voie ma droiteet ma gauche.Le ton, le geste, l'inusit, tout surprit

    la jeunesse qui obit en regardantBondy, devenu tout coup imposant et

    fier. Quelques minutes aprs, le lieute-nant-colonel appelle l'aide-major

    Pleineselye, lui dit-il, montez votrecheval blanc, et galopez la .troupedore (l'tat major) que vous voyez l-haut. Tenez-vous le plus prs possibledu gnral. Vous entendrez bientt de-mander la cavalerie. Alors, vous jetterezvotre chapeau en l'air. Allez, je vous suisde l'il.

    Tout se passe comme l'avait; prvu levieil officier. Le chapeau de Pleineselvedonne le signal, et il repart .au galop. M.de Bondydcouvre sacuirasse, en jetantsur son paule droite un coin de sonmanteau, il saisit son pe, et, le visage eenflamm, les yeux tincelants jettece cri

    Allons, enfants, en avant Timba-lier, haut les bras t

    Il part au galop, suivi de ses cavaliers,arrte l'ennemi et le met en droute.

    Le soir, au quartier gnral, on ne

    parlait que du rgiment de Bezons et de

    l'intrpide Bondy. Les jeunes officiers,glorieux d'tre sous ses ordres, vinrentle lendemain prsenter leurs hommages cet admirable chef, mais ils ne trou-vrent plus le fougueux cavalier de laveille. Bondy tait redevenu froid, lourd,silencieux.

    C'est ainsi que sont parfois les gensde guerre. Aussi se trompe-t-on souventsur leur compte. Les bruyants ne sont

    pas les meilleurs.

    ###

    A ces poques, la jeune noblesse taittoute militaire. Dans les salons on par-lait guerre, aprs en avoir demand par-don aux dames. Mais le bon ton voulait

    que l'on ft modeste. La troupe tait son colonel et son capitaine autant

    qu'au Roi. et bien plus qu'au gnral quine faisait que passer. L'officier donnait

    toujours l'exemple de la bravoure, et lamoitidesofficiersd'un rgiment taienttus dans une campagne. Quant au sol-

    dat, il accomplissait sans cesse des ac-tions d'clat.

    Le commandement militaire tait pa-ternel, noble et digne. Le marchal deChoiseul racontait qu'tant colonel ileut le tort de faire une course hte pourune chtelaine des environs. Prcis-ment pendant sonabsence, son rgimenteut ordre de marcher pour couvrir unconvoi. Il y eut une affaire importantecommande par le lieutenant-colonel et

    qui lui fit grand honneur. C'tait pourChoiseul une faute impardonnable.Lorsque le rgiment, aprs la victoire,

    rejoignit son poste, Choiseul suivait

    dsespr et rsolu se jeter dans la

    premire Chartreuse venue.Par des lettres de ses amis, il ap-

    prend que M. de Turenne a dit

    J'avais charg le comte de Choiseul d'unecommission secrte et je lui ai fait manquerainsi l'occasion de se distinguer. J'en suisvraiment fch.

    Plus de vingt ans aprs la mort deTurenne, le comte de Choiseul racontacette grandeur d'me de son gnral.

    Et qu'on ne croie pas que les gnrauxde ce temps taient tous des courtisansfavoriss par le Roi. On ne vit pas depuis,des chefs d'arme suprieurs Turenne,au marchal de Boufflers, Vendme et d'autres que nous pourrions nommer.

    II

    Malgr les rglements si svres deLouvois, et la volont si superbe deLouis XIV, l'officier tait plein de sveet de verdeur. Son esprit d'indpen-dance personnelle rsistait la bureau-cratie qui commenait peser sur l'ar-me. Le Roivoulait soumettre le militaireet non l'avilir. La pdanterie de la plumen'entrait pour rien dans le gouverne-ment, et l'pe tait encore l'appui leplus solide du trne. L'esprit militairen'tait pas encore assoupli aux minutiesintroduites dans les troupes par lescommis. Ainsi, les officiers n'assistaientpas volontiers aux camps, en temps depaix, et aux simulacres de combats.S'iln'y a pasdetus.d'estropis.d'enter-rs, ce n'est pas la guerre, disaient-ils.Les rglements sur la dimension descheveux et la faon des manchettesfaisaient rire tous les capitaines de l'ar-me, qui demandaient si leurs ttes neleur appartenaient plus.

    Quant l'uniforme qu'ordonnaitLouis XIV, les officiers rpugnaient leporter. Le marquis de Cotquen taitcolonel d'un rgiment qui passait larevue du Roi. Au lieu de se conformer l'ordre de Sa Majest sur l tenue, M.le marquis de Cotquen tait en tenue deville, la tte de sa troupe. Louis XIVlui dit haute voix

    Monsieur le marquis, je vous cassedevant votre rgiment.

    Sire, rpond le marquis sans sedconcerter, heureusement que lesmorceaux me restent.

    #*#

    Afin d'viter les passe-volants et lesmorte-paie qui taient de vritables vols

    faits l'Etat, Louvois cra Y Inspection.Djb vieux ofciers trs svres firentnomms commissaires. Mais dans l'ar-

    me, ils taient dsigns sous le nom

    d'aptres. Leur considration tait fort

    mince; tout leur pouvoir consistait

    compter, lorsque les soldats passaientdevant eux. Des officiers gnraux eu-

    rent, sous le nom d'inspecteurs, un con-trle sur le nombre et la police, mais ils

    ne passaient qu'une revue annuelle. A"

    peine taient-ils tolrs, et peu de colo-nels se prsentaient l'inspecteur, ft-il-officier gnral.

    Seul le commandement tait noblel'administration semblait affaire de

    plume, trangre la bataille.

    Un jour, le marquis de Mirabeau,alors capitaine/n'arriva devant sa com-

    pagnie, pour la revue .du commissaire,

    qu'aprs l'appel de sa troupe. Il descen-dit de cheval et vint auprs du majorqui se tenait ct du commissaire.

    Monsieur, dit le major celui-ci,voil M. de Mirabeau que je vous disaisne pouvoir manquer d'arriver dans la

    journe.J'en suis bien fch, rpond, le

    commissaire, mais mon devoir est de

    passer la troupe en revue et de noter ce

    qui y manque d'hommes; au momento la compagnie a t vue, M. de Mi-rabeau n'y tait pas je ne puis prendreconnaissance d'autre chose. En con-

    squence, la "revue est close pour M. de

    Mirabeau, et il est pass absent.Celui-ci laisse le major plaider sa

    cause et se rcrier contre la rigueur ducommissaire, qui s'crie

    M. de Mirabeau est absent, je l'ai

    constat il est absent.Le jeune capitaine; muet jusqu'alors,

    dit au commissaire avec le plus grandsang-froid

    Je suis donc absent?Oui, monsieur.En ce cas, monsieur, ceci se passe

    en mon absence, et, tombant sur le com-missaire grands coups de cravache,devant le rgiment, il rpte en riant Je suis absent

    L'affaire fit quelque bruit, et les com-missaires demandrent un chtiment

    exemplaire. Louvois pensait commeeux, mais Louis XIV rpondit ngli-gemment: C'est trs mal, mais c'est

    logique.**#

    Aprs avoir achet une compagnie decavalerie, le marquis de Mirabeauacheta, en 1696, un rgiment d'infanteriequi porta son nom. Il avait coutume dedire: -Il est des hommes faits pourobir; il en est de faits pour commander,et cela ne se ressemble pas.

    Peut-tre -n'avait-il pas tort, et nousavons appris depuis qua les hommes sfaits pour obir se tirent difficilement ducommandement.

    Le rgiment qu'on avait confi -mon

    grand-pre, crit le petit-fils du colonel, avaitle plus grand besoin d'arrangement relative-ment aux finances. Deux majors successifsavaient emport la caisse, et se trouvaientenferms dans les forts.

    Le colonel lui-mme dclare souventdans ses notes que les chefs de corps s

    pillaient leur rgiment. Le sentiment tde l'honneur, si dlicat au sujet du cou-

    rage, tait moins sensible sur le cha-pitre de la probit.

    Homme d'ordre dans ses dpenses,quoique fort riche, il rglait sa table, en

    campagne, de faon ne pasvivre aux

    dpens des habitants. Ds le commen-cement de la campagne, il mettait auxmains du major cent pistoles pour le

    premier mois et quinze cents livres pourchacun des suivants.

    Sa table tait constamment ouverteaux officiers. Il avait en campagne unemaison plus noblement tablie que celle ede la plupart des colonels. Outre un

    grand nombre de chevaux de toute

    espce, le colonel marquis de Mirabeautait suivi de douze mulets et de sixbufs pour traner ses chariots et car-rosses. Sa vaisselle plate taitrenommedans les camps. A la tte de ses valets

    figurait un contrleur de la meilleuremine. Le matre-d'htel dirigeait untrain de cuisine remarquable, et son

    apothicaire entretenait une pharmaciepour les officiers du rgiment.

    Avec cela, le colonel ne touchait ni

    appointements ni indemnits; quelque-fois, mais rarement, il demandait cinqmille livres qu'il distribuait, en secret, de pauvres capitaines.

    Ses mmoires nous apprennent qu'ily avait peine dans l'infanterie un of-ficier par rgiment possdant millelivres de rent.La noblesse de cour, quioccupait les hauts grades, touchait de

    gros traitements, mais les gentils-hommes de province se retiraient avecle grade de capitaine et la croix de Saint-Louis, cre en 1693. Quant aux titresde noblesse, ils taient extrmementrares. On usurpait la noblesse, commenous l'apprend le marchal de Vauban,mais on s ft dshonor en faisant

    prcder un nom usurp par un titre

    usurp;

    Pendant la vieillesse de Louis XIV, lepdantisme militaire, qui, plus tard,devint fort la mode sous Frdric II,commenait se faire jour.

    Le colonel de Mirabeau, charg decommander un fourrage l'arme deFlandres, se trouva de bonne heure aurendez-vous. Un officier vint lui, de lapart de M. de Puysgur, pour lui ex-pliquer la faon de diriger sa troupe. Ildbuta ainsi

    M. de Puysgur vous fait dire qu'ilfaut.

    Qu'est-ce que M. de Puysgur ?2Qu'est-ce qu'il faut?., et qui tes-vous ?7

    Je suis aide de camp de M. le mar-quis de Puysgur, et je viens de sapart.

    Mais qui est ce marquis? Allez luidire que je fais mon mtier et qu'il aillese faire f.

    L'tonnement de l'aide de camp futcomplet. M. de Puysgur tait le ma-rchal gnral des logis et donnait desordres tous les officiers gnraux.Aprs une brillante carrire, il devintmarchal de France.

    M. de Puysgur se montra de bonne

    composition et l'affaire n'eut pas de

    suites. Si nous en croyons Saint-Simon,

    Puysgur tait l'ennemi du duc de Ven-

    dme, et tout ennemi de Vendme allu-mait la colre de Mirabeau.

    #*#'

    On trouve dans ls notes du colonel,comme dans les mmoires de Saint-

    Simon, des rflexions -plus ou moins

    politiques' ou philosophiques, qui ne

    semblent pas crites sous une mo-

    narchie peu dmocratique. Saint-Simon

    jious dit:

    Ainsi prissent dans les emplois communs

    des seigneurs de marque, dont le gnie su-

    prieur soutiendrait avec gloire le ^faix des

    plus grandes affaires de guerre et de paix,si la naissance, le mrite n'taient pas des

    exclusions certaines, surtout quand ils sont

    joints un cur lev qui ne peut se frayerun chemin par des bassesses et qui ne con-

    naissent que la vrit.

    Louis XIV avait mis la dignit la

    mode, le gnie de Lebrun, son premier

    peintre, et celui deRigaud et Largillireexagraient le got du matre. Aussi,tous les portraits de cette poque ont-ils

    quelques traits olympiens. N'tant quecapitaine, et fort jeune, Mirabeau sa-

    crifia de fort beaux cheveux, pour cou-

    vrir sa tte d'une vaste perruque, afin

    de rendre sa physionomie plus impo-sante.

    Chamillard, ministre de la guerre,homme faible et peu capable, obtint la

    confiance du. Roi, et la bureaucratiedevint souveraine. On tait en cam-

    pagne, et le colonel de Mirabeau de-manda au ministre Chamillard des

    lettres de sous-lieutenant pour treizecadets qu'il avait amens et forms dans

    son rgiment. Les bureaux lui rpon-dirent que le Roi n'aimait point les

    cadets et ne voulait qu'un petit nombre

    d'officiers de fortune dans ses armes.En apprenant ce refus, le marquis de

    Mirabeau crivit

    Le Roi, avec un fonds de 500,000 hommes

    de troupe, n'en avait pas, beaucoup prs,la moiti d'effectifs. Les colonels devenaient

    pillards, ainsi que les officiers gnrauxles colonels profitaient de la paye des of-

    ciers, s'entendaient avec les commissaires,et laissaient les emplois vacants. C'est au

    milieu de ce dsordre, en un temps o tout

    le monde tait capitaine et marchait nu-pieds,

    qu'on chicanait un chef de malheureuses

    lettres de sous-lieutenant.

    Malgr le refus du ministre, le colonelde Mirabeau fit as'sembler son rgimentet reconnatre comme sous-lieutenantsles treize cadets. Il en prvint le ministre.

    : v

    mr '

    A la guerre, lorsque son rgiment nedonnait pas, il le faisait coucher ventre terre, et lui seul restait debout, jugeantdu haut de sa taille colossale les mou-vements de l'ennemi. Fallait-il charger?Dfense qui que ce ft de le dpasserdfense de frapper un ennemi au dos,ni d'en pargner un au visage. Dans lesattaques de postes, une hache d'une mainpour couper les chevaux de frise, lebrandon de paille de l'autre pour ef-frayer du fer et du feu. L'ennemi faisait-il un signal de se rendre ? il n'tait plusennemi.

    Au feu, il appelait les soldats cama-rades il prtendait d'ailleurs que le plusbeau titre tait celui de soldat.

    Pendant la campagne d'Italie, les d-serteurs qui parvenaient se rfugierdans une glise ou un monastre yjouissaient de franchises. Le colonel deMirabeau apprit que l'on abusait sin-gulirement de ce droit. Il fit dire auxmoines-de ne pas se compromettre,parce qu'il saisirait chez eux ses dser-teurs. Malgr cet avis, des Cordeliers enrecelrent. Le inarquis fit prendre lesarmes et marcher droit l'glise. Lesportes lui furent fermes.

    Grenadiers, la hache la main lcria-t-il.

    A peine les premiers coups taient-ilsports, que les portes s'ouvrirent toutesgrandes et qu'une vritable processionparut, le Saint-Sacrement en tte.

    Dauphin, dit le colonel son aide-major, va chercher l'aumnier du rgi-ment, et qu'il vienne retirer le bonDieu des mains de ce drle-l.

    A ces mots; la procession fut en d-route, et les dserteurs saisis dans lasacristie. Mirabeau leur fit raser la ttedevant la porte de l'glise et reconduireau camp coups de crosse.

    Cependant, le colonel tait fort reli-gieux, mais il prtendait que la pitd'un soldat doit tre fire, et non lar-moyante comme celle d'une nonne.

    En Italie, prs un rude combat, Mi-rabeau, .couvert de sang, revenait avecson rgiment mis en lambeaux. Le comtede Cologon, jeune colonel du rgimentdeGatinais, amenait des charrettes au-devant des blesss. Mirabeau taitanim par le combat, dsespr despertes subies par ses bataillons. Le ma-rchal de Tess l'attendait pour le fli-citer. Un frre de M. de Chamillard, leMinistre de la guerre, tait marchal decamp, et, s'avanant au-devant de Mira-beau, lui dit:" Monsieur, je vous promets que je

    rendrai bon compte mon frreMirabeau le regarda et rpond it

    Monsieur, votre frre est bien heu-reux de vous avoir, car, sans vous, ilserait le plus sot homme du royaume.

    Le comte de Cologon ajoute: on fitalors une promotion, et le marquis deMirabeau n'en fut pas.

    ###

    M. de Vendme qui, en Itslie, avait combattre le prince Eugne, n6 rendaitpas justice cet habile adversaire. Ven-dme apprend un jour que le prince pardeux marches forces es t prs de l'Adda etqu'il va jeter unpont.il n'a pas le tempsde se porter sur les bords du fleuvepour empcher le passage. Dsespr, il

    fait mander Mirabeau et lui dit qu'il faut

    empcher ce passage. La conservation

    du Milanais en dpend.Mirabeau demande Vendme les

    grenadiers de la division. On luien

    confie trente compagnies. Ils fonttfente-

    six lieues en vingt-quatre heures. En

    arrivant, Mirabeau trouve le pont ina-

    chev, il fait prendre position la troupeen attendant le jour.Ds qu'il parat, les

    grenadiers dtruisent les travauxdu

    pont, et des deux cts on commence

    tirailler. Vendme arrivait la hte et

    ordonnait Mirabeau de suivre avec

    ses grenadiers le cours de l'Adda quele

    prince Eugne remontait de son ct.

    La division de M. de Vendme n'tait

    qu'un fort dtachement d'infanterie, le

    gros de l'arme, sous les ordres du

    grand-prieur son frre, tait au del

    dans la plaine, quelques milles

    en avant. Il s'agissait de gagner le pontde Cassano pour franchir l'Adda, afin de

    se runir au grand-prieur. L'arme en-

    tire du prince Eugne marchait de

    l'autre ct vers le pont de Cassano.Cette arme tait de soixante-cinq mille

    hommes soutenue par une artillerie for-

    midable. Vendme n'avait que dix-septbataillons, sans cavalerie ni artillerie.

    On tait au 15 aot 1705, et la chaleurdevenait excessive. Vendme'fait occu-

    per le pont de Cassano par la troupe de

    Mirabeau; le prince Eugne tablit son

    arme vis--vis le pont qu'il croit rompu

    parce que Mirabeau a fait couvrir le mi-

    lieu avec des branches et des troncs

    d'arbres. ,Le colonel de Mirabeau est debout

    l'extremit du pont oppose l'ennemi iles grenadiers sont couchs plat ven-

    tre, et l'ennemi fait unfeu pouvantable.Enfin Eugne, qui sait que le pont n'est

    pas rompu, lance une forte colonne.

    Mirabeau ne commet pas la fautede rsister de front une puis-sante colonne d'attaque lance en avant,

    (faute de Malplaquet et de Fontenoy), il

    laisse passer la premire partie et chargede flanc pour sparer les Impriaux en

    deux. La mle devient furieuse. Mira-

    beau tombe le bras cass par une balle;il se relve et refuse de se retirer. Ven-

    dme vint lui ordonner au nom du Roi

    d'aller se faire soigner.Allez vous faire f. vous et le roi,

    je suis mon poste et j'y reste.Une nouvelle attaque est encore re-

    pousse, et le colonel de Mirabeau, unehache de la main gauche, frappe de tous

    cts, lorsqu'un coup de fusil le ren-verse. La balle lui avaitcouples nerfsdu cou et la jugulaire. Il Il tombe sur le

    pont. Sa brigade, le croyant mort, se dis-

    perse. L'ennemi, profitant du dsordre,livre un troisime assaut, et des cen-taines d'hommes foulent aux pieds le

    corps du colonel. Puis, ce fut le tour dela cavalerie.

    Voyant sa ligne rompue, Vendmes'cria Ah Mirabeau est mort l

    #

    En ce temps, les officiers, pour un

    jour de bataille, mettaient leurs plusbeaux habits. Le colonel de Mira-beau portait un mantelet couvert d'or.Cela le fit remarquer. On le d-

    pouilla, et l'un des ennemis crut recon-natre quelques signes de vie. Mais

    transport au quartier gnral, la mortfut constate et le corps rejet pour tremis en terre. Villevieille, officier de son

    rgiment, fait prisonnier, crut le recon-natre, quoique le visage ft couvert de

    sang et tout meurtri il le lava, l'habillaet fit avertir le prince Eugne. Celui-cile renvoya, aprs l'avoir fait revenir lavie. Eugne le fit escorter par dix-septofficiers de son rgiment qu'il rendit la libert- sans ranon. Trente-deux of-ficiers de grenadiers avaient t tus oublesss dans cette journe.

    Mirabeau demanda un prtre et remplitses devoirs de chrtien. Il tait tout

    prt pour la mort, car tous les nerfstaient attaqus, raccourcis, les os mou-

    lus, etc. Le colonel fut transport en France,

    sur un brancard, par les soldats de son

    rgiment.Depuis cette bataille il eut toujours le

    bras droit soutenu par une charpe noireet le cou entour d'un collier d'argentpour soutenir la tte sur les paules.

    Il ne parla plus de la bataille de Cas-sano qu'en disant: Le jour o je fus tu.

    Lorsqu'il put voyager, Mirabeau serendit Paris et Versailles. Ven-dme voulut le prsenter lui-mme Sa

    Majest.-Sire, dit-il,depuis l'entre des Fran-

    ais en Italie, M. le marquis de Mirabeau

    n'a pas quitt le harnais un seul instant.Il se prsente au Roi mutil parla guerre.

    Oui, sire, reprit le colonel mcontent,si, abandonnant les drapeaux, j'taisvenu la cour payer quelque catin, j'au-rais eu de l'avancement et pas de bles-sures.

    Louis XIV, toujours matre de lui, et

    majestueux, se contenta d'adresser laparole quelque autre. M. de Vendme,en se retirant, dit au colonel

    J'aurais d te connatre. Dsormais,je te prsenterai toujou'rs' l'ennemi et

    jamais au Roi.

    Rentr dans ses terres, Mirabeau

    pousa Mlle de Gastellane, au mois demai 1708. Cette jeune personne, d'u ne

    grande beaut, avait vingt-trois ans, et iltait dans sa quarante-deuxime anne.

    Sept enfants naquirent de cette union.

    Devenu vieux,Mirabeau refusa la pen-sion de cinq mille livres qu'on lui offrit.Il aimait raconter ceci

    Etant jeune, je vis en Languedoc un bonhomme en habit rp, figure insignifiante et

    perruque rousse, qui faisait construire unmur

    en pierre sche l'extrmit do son jardin;il se nommait M. de Prignan. Qui m'et dit

    que, trente-cinq ans aprs, je reverrais ce

    bonhomme, toujours prs de son mur, de-venir duc et pair et cordon bleu 1 Tandis quemoi, aprs m'tre fait casser les bras, les

    jambes et le cou, je suis rest comme devant.

    Prignan devint en effet le premierduc de Fleury. C'est lui que le cardinaichoisit entre Ses parents pour en faire

    \q porte-nom de ,Sa fortune et envoya

    chercher dans sa terre o il s'enivraitavec le marchal-ferrant du vilfage.

    Les mmoires du temps rapportentque le Roi,frapp de voir dans la galeriela haute taille de Mirabeau, et soncharpe noire, et son collier d'argent, luiavait fait dire que, n'ayant rien faire Versailles,- il et se retirer dans sesterres.

    Ce rcit a sembl fort douteux et s'ac-corderait peu avec le caractre deLouis XIV.

    Le colonel marquis de Mirabeau mou-rut le 27 mai 1737, dans sa soixante etonzime annne.

    Gnral Ambert.

    ACTUALITE

    L'HYGINE&LACHASSE

    ILE CHASSEUR

    La chasse est, de tous les exercices

    en plein air, l'un des plus agrables etdes plus salutaires, la fois, au reposde l'esprit, au dveloppement de la forcemusculaire, au jeu rgulier des organesde notre vie de relation. Il n'est pointde- pratique plus capable d'affiner lessens de la vue et de l'oue, d'assurer lebon fonctionnement du larynx et de la

    poitrine, d'liminer les matriaux nui-sibles qui sont en excs dans notre co-

    nomie de calmer enfin, par une heu-reuse diversion, l'tat d'irritabilit du

    systme nerveux.La chasse est des plus utiles aux

    jeunes gens d'abord, parce qu'ils sontles plus aptes en supporter les pniblesfatigues; ensuite, parce qu'elle les d-tourne de tous les excs qu'entrane,dans la jeunesse, l'inactivit physique,notamment de l'abus des plaisirs del'amour i

    Manel sub Jove frigidoVenator, tenerce conjugirimmemor.

    comme dit le bon Horace.L'homme de cinquante ans a grand

    besoin aussi des exercices de la chasse,qui lui permettront de refaire une sant,souvent compromise par l'existencesdentaire des villes. Non seulement lachasse le fait respirer et transpirer en

    plein air, pour le plus grand bien de son

    conomie mais aile lui enlve, en mme

    temps, sa fatige morale et ce tsediumvitx, cet tat de dgot universel, si fr-

    quemment produit par les, affaires. Les

    gens du monde consentent, d'ailleurs,assez aisment fuir la vie des villes

    pour se livrer, de temps autre, cesexercices cyngtiques si amusants

    parfois qu'ils vous empoignent la ma-nire d'une vritable passion.

    L'exercice de la chasse ne se horne

    pas (comme on pourrait le croire) assurer l'quilibre de la mcanique hu-maine normale. Elle diminue les taresorganiques, rgularise la circulation,dveloppe les poumons, enrichit le sang.Excellente pour les sujets atoniques,affaiblis, lymphatiques, pour les can-didats la phtisie, la chasse s'appliquesurtout aux organismes qui font, trop derecettes. et pas assez de dpenses. C'est

    ainsi que, dans le diabte, elle favoriserala combustion du sucre dans l'obsit,la rsorption de la graisse; dans la gra-velle et la goutte, les liminations

    uriques dans la dyspepsie enfin, etdans la constipation, elle agira commesdative et rgulatrice; dans les n-vroses, elle mettra en fuite les troublesdivers d'un systme nerveux dtraqu.

    ###

    Chaque mdaille a son revers, et c'estsurtout en hygine que ce proverbe sevrifie. Plus que tout autre exercice, eneffet, la chasse a ses motions, ses fa-tigues, ses dangers. Pour tre bon chas-seur et pour tirer de cet exercice des b-nfices vraiment hyginiques, il faut,d'abord, tre trs robuste. Saint Hubertn'aime par les sujets trop jeunes nitrop vieux; il n'est pas non plus lesaint des sujets trop affaiblis'ou tropdlicats. Mais il porte surtout malheuraux vieillards, et nous voulons insistersur ce point. Aprs soixante ans, engnral, le cerveau est moins rsistant,le systme nerveux plus engourdi lecur et les gros vaisseaux sont plus. oumoins rouilles l'organisme ne sauraitimpunment supporter les mouvementsvifs et nergiques, les veilles, les irr-gularits vitales varies, le surmenagscorporel et nerveux que provoque forc-ment la chasse. Il faut que l'conomieait, on le conoit, ses ractions faciles etfranches.

    Pour se leveravant le jour, pour subirles matines humides et brumeuses, lesmidis torrides, les journes agites parle vent ou inondes par les aversessoudaines pour grimper sur les mon-tagnes, marcher dans les bruyres,s'embarrasser dans les hautes herbespour passer la belle toile les soireset les nuits froides; pour braver les rhu-matismes et les courbatures qu'amnentces fatigues insolites; pour supportersans inconvnients les excitations datout genre, les multiples carts de rgimeet les irrgularits d'existence pronon-ces, il faut tre jeune et bien portant,avoir de bonnes jambes, un estomacd'autruche; n'tre ni myope, ni durd'oreilles; avoir la colonne vertbraleassez lastique et les jointures assezsouples pour courir, sauter et marchersur tous les terrains avec agilit, sansavoir redouter les entorses, les frac-tures et les luxations. Enfin, pourchapper aux dangers des blessures dechasse et rsister aux animaux qui sedfendent, il faut, videmment, un cer-tain degr de prsence d'esprit et d'-nergie morale.

    Le tableau prcdent n'est pas charg,ainsi qu'on pourrait le supposer. Tousles ans, nous voyons des chasseurs, quipersistent, malgr des conditions con-traires d'ge et une sant dfavorable, se livrer (malgr l'avis motiv du m*

  • 150 LE FIGARO SAMEDI 18 SEPTEMBRE 1888

    decin) leur plaisir favori, -mourir vic-times de la fatigue, du chaud et froid,de l'insolation, des motions vives.Combien, enfin, en avons-nous qui, deleurs excs de chasse, rapportent peu degibier, mais, en revanche, de belles etsolides nvralgies; des fluxions de poi-trine, du rhumatisme chronique et mmede l'ataxie I

    #*#

    On prvoit donc quels sont'les pr-ceptes hyginiques que nous voulonsdicter ici aux chasseurs. Ils devrontlimiter sagemert leurs fatigues prendreles temps d'arrt et les heures de reposncessaires, ainsi que toutes les pr-cautions possibles contre les maladieset les accidents. Avant de partir, fusilsur l'paule, dans la brume du matin, ilfaut, d'abord, avoir mang: la rsistanceau froid et ta fatigue dpend troite-ment de cette condition. A propos desrepas, disons ici franchement aux chas-seurs qu'ils ne savent pas modrer,comme cela est ncessaire, leur apptitet leur soif la modration leur viteraitpourtant les indigestions, la diarrhe,la dysenterie. Notre tube digestif, eneffet,. participe toujours, plus ou moins, la fatigue gnrale du corps, et sesfonctions s'en ressentent vivement.L'estomac du chasseur supporte doncassez difficilement la nourriture, gros-sire en gnral, qu'on lui adresse, sur-tout lorsque cet envoi lui est fait irr-gulirement et en trop grandes quan-

    tits. Le ch'asseur vitera, a fortiori, demanger et boire dans les intervalles deses repas. Les boissons aqueuses l'ex-posent des drangements d'entraillesles boissons alcooliques aux irritationsde l'estomac et la suppression de l'ap-ptit, cette sauvegarde du chasseur 1

    Il importe de fuir, autant. que faire sepeut, les brusques transitions du chaud,au froid. Aprs une course nergique,lorsque le corps est en sueur, quoi deplus facile, sous l'influence d'une averse(ou sous la simple action de la fracheurd'une fort), quoi de plus facile que decontracter une inflammation thoraciqueaigu ou bienunrhumatisme articulairegnralis? C'est pourquoi le chasseurdevra porter un habillement lger etchaud la fois, en velours gris, parexemple.

    Il possdera, autant que possible, desvtements de rechange, dont les plusutiles sont videmment une flanelle, uncaleon et des chaussettes de laine. Ilfera bien aussi d'avoir en son carnierl'une de ces plerines lgres en caout-chouc, dont sont pourvus les officiers decavalerie, et qui protgera compltementses vtements et sa peau, dans le cas oune pluie subite viendrait tomber. Soncouvre-chef sera en feutre gris, imper-mable au soleil et la pluie. Ses chaus-sures seront soigneusement huiles, etil aura soin de graisser toujours sespieds avant les grandes marches prati-que souveraine contre le froid auxpieds, l'humidit et les fatigues de lacourse. L'huile empche l'eau du sol depntrer, comme elle le fait dans lescuirs les meilleurs, et de dsassouplirles chaussures (ce qui paralyse, on lesait, entirement la marche).

    Nous n'entrerons point ici dans deplus minutieux dtails. L'hyginiste n'apas la prtention de suppler, par sesconseils, l'exprience des chasseurs. Ila seulement le devoir de formuler uneopinioa gnrale, et la voici (elle nousservira de conclusions)

    Ta chasse est une distraction agrable etsaine, mais dont les srieuses fatigues con-viennent peu aux malades et aux faibles, etne sont point faites "pour la vieillesse, qui(selon le'mot cruel de notre vieil Ambroise

    Par) est, de sa nature, espce de maladie.

    II

    LE GIBIER

    Brillt-Savarin a dfini le gibier Lesanimaux bons manger, qui vivent dansles bois et les campagnes dans l'tat delibert naturelle. Cet tat de libertdonne (on le conoit) la chair des ani-maux des caractres alimentaires toutparticuliers. Il est vident que la vie enplein air, avec ses inquitudes, son agi-tation, ses ncessits, ses irrgularits,l'exercice forc, la recherche, souventpnible, de la nourriture, les dures exi-gences de la lutte pour l'existence, etcette incessante exposition de l'tre sau-vage toutes les vicissitudes atmosph-riques et mtoriques; il est vident,disons-nous, que toutes ces conditionscrent, pour le gibier, des modalits denutrition spciales. Rien d'tonnant alorsque sa chairsoitplus ferme, plus chaude,plus sche, plusdure,moins persille degraisse, que la chair des animaux do-mestiques rien d'tonnant qu'elle cons-titue un nutriment de haut got, de fu-met vari etde digestion parfois difficile,surtout pourles sujets sdentaires, puis-qu'il est vrai que l'on digre avec lesjambes, au moins autant qu'avec l'esto-mac t

    Les caractres numrs plus hautnous expliquent galement pourquoi legibier a souvent besoin, pour tre man-geable, d'tre faisand, c'est--dire ra-molli par un commencement de putr-faction pourquoi le marinage et les ar-tifices varis de l'assaisonnement doi-vent prsider sa prparation culinaire;pourquoi enfin l'hygine commandeimprieusement l'usage modr du gi-bier comme nourriture. II exerce, enetet, sur les fonctions digestives unevive stimulation, que tolrent seuls lesestomacs robustes. Un faisandage sa-^vant, une prparation approprie, etsurtout la prcaution contre l'abus fontde la plupart de ces viandes, noires etfortement fibrineuses, des aliments trsriches et gnralement trs assimilables,principalement pendant la saison froide.

    **#

    Le ventre de Paris engloutit des quan-tits colossales de gibier, dans la pro-duction desquelles la France n'entregure pour plus d'un vingtime. L'Alle-nsagne nous inonde littralement de songibier poil, la Russie nous envoie sesperdrix, la Corse et les lacs italiens leursgrives et leurs bcasses; la Hollande etl'Ecosse leurs canards et leurs gibiersd'eau, etc. Certaines personnes se croientobliges de manger le gibier lorsqu'ilest compltement pourri. C'est une ha-bitude trs malsaine on n'irrite pas envain le tube digestif par ces dtritus pu-trides et toxiques de viande avance.Toutefois, cette perversion du got estteliement rpandue, que M.Villain.notresavant inspecteur des viandes, recom-mande de nesaisir que trs rarement legibier sur nos marchs. Le public ap-prciant trs diversement les qualitsae ces viandes, les employs de l'ins-

    pection n3 devront, dit-il, intervsiir

    que dans le cas de rclamations desacheteurs 1

    Nous tracerons brivement ici l'es-quisse brmatologique des produits de

    la chasse. Le sanglier, le chevreuil et lelivre sont les principaux reprsentantsdu gibier poil. Le sanglier, cette sou-che sauvage du porc, n'est gure que

    dans sa jeunesse (marcassin) un alimentriche, agrable et sain. Sa viande exhale,au momentdurut, une abominable odeurque l'on retrouve plus ou moins, l'po-que amoureuse, dans toutes les espcesanimales. Le sanglier adulte est sec, co-riace et peu mangeable il a besoin, pourtre prsentsurnostables, d'une longuecuisson et de condiments relevs.

    Le chevreuil prsente les qualits ali-mentaires les plus variables, selon seshabitudes d'existence et les localits o ilrside. Jusqu' l'ge de 18 mois environ(faon), il-est vraiment exquis etde diges-tion facile, surtout son filet et ses cte-lettes. A partir de l'ge de deux ans, onest forc, pour rendre sa viande accepta-ble, de la soumettre un marinage pro-long et dans cet tat, le got de che-vreuil n'existe plus gure! Aussi nos lec-teurs ne s'tonneront-ils pas de la confi-dence suivante, que nous voulons leurfaire l'oreille: La plupart des filets de

    chevreuil des restaurants sont des filetse cheval marins (le fait nous a t cer.tifi par notre regrett matre HenryBouley).

    La viande des animaux longtemps for-cs est mauvaise au got et en mmetemps fort malsaine. Le surmenage, eneffet, fait souvent mourir l'animal avantque le fusil ne parte. Epuis de fatigue,il tombe, et il se produit alors dans sonorganisme des troubles si profonds, quesa chair noircit et se fonce en couleur(c'est le livre charbonnier dont parlentles paysans); le muscle, dsorganis parles phnomnes chimiques de la cou-traction exagre, se putrfie avec rapi-dit et exhale bientt une odeur d'urinetrs prononce. Ces faits sont bien con-nus, puisque l'on n'abat jamais les ani-maux de boucherie qu'aprs ls avoirlaisss se reposer excellente habitude,car les animaux surmens donnent uneviande mauvaise. L'homme n'est pas l'abri de la mort par fatigue-: c'est ainsique mourut le Spartiate quittant Loni-das et ses compagnons pour courir Lacdmone; peineeut il narr l'hro-que dfense desThermopyles, qu'il s'af-faissa pour ne plus se relever.

    #*#

    poursuivons notre tude du gibier poil. Le livre jeune fournit une viandesavoureuse

    Inler quadrupdes goria prima lepus

    dit le gourmet Martial. Rpandu surtoute la surface du globe, il prsentedes qualits diverses selon les pays. Ilest surtout excellent dans les collines etles montagnes, o sa chair se parfumede plantes aromatiques. Le levraut desvignes possde un rble pais et succu-lent, trs apprci des gastronomes.Leslivres allemands sont. en gnral, trsinfrieurs comme qualit on les recon-nat leur pelage fauve et leurs trs

    grandes pattes. Le jeune livre a desoreilles trs fragiles et qui se dchirentaisment: il prsente, en dehors de l'ar-ticulation du carpe, une sorte de lentille

    cartilagineuse, qui disparat avec l'ge.Avec l'ge galement, le livre blanchit,surtout dans les pays froids. Sa chairest chauffante, coriace ,et bilieuse, sil'on peut dire. Elle est nuisible dans lesclimats chauds et c'est pour cela proba-blement que le livre a t svrementproscrit comme animal impur, parMose, et plus tard par Mahomet. Il nefaut pas croire que la chair du livre

    gagne en haut got mesure que l'ani-mal vieillit au contraire,elle se rappro-che plutt, par sa fadeur, de la chair du

    lapin de garenne.

    **#

    Les reprsentants du gibier plumessemangent surtout l'aulomne. L'hommeles laisse chanter au printemps, non parposie ni par respect pour leurs amours,mais parce que leur got est dplorable cette poque. On saitque l'oeuvre dechair est peu favorable, en gnral, celle des animaux (pour employer une

    phrase tintamarresque).Les oiseaux carnivores, surtout long

    bec, sont moins dlicats au palais et pluslourds l'estomac que ne le sont, d'ordi-naire, les oiseaux vgtariens. L'alouette

    (mauviette), le rouge-gorge, le chardon-neret et le bec-figue sont des morceauxfortrecherchs,quoiqueGrimoddelaRey-nire les surnomme mchamment de

    petits faisceaux de cure-dents (ce quisemblerait prouver, entre nous, que ce

    grand homme a usurp sa rputation de

    gourmet, et qu'il n'tait qu'un gourmandvulgaire).

    La caille et l'ortolan, qui ont uneegrande tendance Fengrassemcnt, etcela malgr une ardeur amoureuse de-venue proverbiale (pour la caille, au

    moins),constituent des mets dlicieux ettrs nourrissants, surtout la fin del't, lorsqu'ils sont bien gras. Le van-neau, la glinotte et la perdrix sontaussi des plats savoureux, lorsque l'a-nimal est jeune. Le perdreau trahit son

    jeune ge par les plumes pointues deson aile. La vieille perdrix donne auxconvalescents un succulent bouillon. Lachair du faisan (comme celle de la per-drix) a besoin d'tre faite, et relevepar les soins d'un cuisinier habile si-non, elle est peu agrable.

    #

    Les grives, turdiens sauvages omni-yores, trs friands de fruits, gloutonspar excellence, s'engraissent et se sao-lent d'olives, de genivre, de jusquiame,de figues et de raisins. Devenues obses,elles mritent l'enthousiasme du potequi s'criait

    Nilmelius turdo! 1

    en prsence des gras oiseaux que Lucul-lus engraissait lui-mme dans ses vo-lires.

    Paris mange, annuellement, plus decent mille grives, et Marseille prs dudouble, cause du voisinage de laCorse. La grive est vraiment exquise etdigestible mme pour l'estomac dlicatdu convalescent. Il en est de mme dumerle qui, gras et dlicieux durant ven-dmiaire, fait mentir tous les jours lefameux proverbe dont il est le hros.

    La bcasse fournit une chair noire etferme, trs estime pendant les derniersmois d'hiver. Le faisandage lui donneun. inapprciable fumet, qui met lesgourmets en joie. La bcasse ne vautrien pour les bilieux ni pour les sujetssdentaires celui-l seul qui la tire de-vrait la manger, car il faut un estomacde chasseur pour la bien digrer.

    En passant, nous crie;ns mfiance

    aux Parisiens, nos frres, qui trouve-ront, dans les restaurants o l'on mangedu cheval pour du chevreuil et du chatpour du: livre, d'excellents salmis debcasses faits avec des corbeaux! Eton-nez-vous, aprs cela, d'entendre direl bcasse, j'en ai mang, c'est dtes-table !.w

    L'oie sauvage, ce faisan des cordon-niers (Monselet), a un got aromatirque et est assez dure digrer. Commela dinde sauvage, elle demande, pourparler le cruel langage de la Cuisinirebourgeoise, elle demande tre man-ge jeune. Le pigeon sauvage est moinsfade que le pigeon domestique;mais saviande, noire, est peu agrable et sou-vent indigeste. Il en est de mme de lamsange et de l'tourneau, et nous sup-plions les chasseurs de laisser plutt tces oiseaux leur mission insectivore,dont se rjouit l'agriculture.

    Quant aux oiseaux sauvages qui vi-vent auprs de l'eau, canards sauvages,sarcelles, macreuses, poules d'eau,etc.,etc., leur chair, noire et spongieuse,prsente souvent une odeur musque etune saveur huileuse qui rappellent lepoisson dont ils vivent et les marcageso ils s'battent. Les Romains, ces fi-nauds de la gueule, connaissaient bienle peu de digestibilit du canard sau-'vage, dont ils ne mangeaient que la poi-trine, le cou et la cervelle, ainsi qu'entmoigne l'pigramme bien connue deMartial

    Tota quidem ponaiur anas; sed pectore tantmEt ervice sapit ecetera redde coquo 1

    Il est bon d'ajouter, pourtant, que lefumet de ces oiseaux de carme variebeaucoup, selon -la prparation culi-naire. Accommodes par un chef con-sciencieux, et convenablement arroses

    par de vieux crus, ces viandes sont en-.core trs acceptables, mme pour lesconvives les plus. difficiles. Demandezplutt ceux qui pratiquent, avec unedvotion svre, la dite quadragsi-male annuellement ordonne par l'E-

    glise 1.D* Garrulus.D" Garrtmis.

    RETOUR AU FOYER

    NOUVELLE

    Pendant le mois de septembre, tous les che-

    mins sont couverts de soldats qui rejoignentleurs familles, aprs cinq annes de service.

    Quelques-uns reviennent de loin de l'Algrie,de Tunisie, des confins du dsert, des colonies,

    de l'extrme Orient, enfin.

    C'est d'une de ces scnes mouvantes de re-

    tour, que M. Georges Brunel a t tmoin dans

    l'Est de la France, et qu'il a comme photogra-

    phie dans la page qui suit.

    D'abord on avait compt les mois, puis les

    semaines, enfin, depuis quelque temps, o n

    alignait les jours. La huitaine qui venait de'

    s'couler n'avait t qu'un remue-mnagedans toute la 'maisonne.

    La veille, les servantes ont nettoy jusquesaux combles, rcur la batterie de cuisine

    fond, sorti de l'armoire, o elle dormait de-

    puis longtemps, la vaisselle de faence

    grands dessins nafs et couleurs voyantes.Tout a t pousset, gratt, cir, bross

    mis en place les rideaux, jaunis par l'air et

    la fume, ont t remplacs par une belle

    mousseline blanche brode jonquille et, luxe

    inou, on a sabl l'alle qui va du porche au

    seuil de la maison. Plusieurs volatiles, un

    jeune veau ont t tus et, ds l'aube, les

    fourneaux ont commenc s'allumer. Le

    bosquet qui se trouve adoss au mur de la

    grange a t soigneusement mond et, sous

    son ombrage, on a dress une table immense

    pouvant contenir au moins cinquante cou-

    verts.

    Au petit jour, une voiture, attele d'un

    cheval rouan, s'est arrte devant la ferme.

    lien est descendu une jeune fille, d'une

    vingtaine d'annes elle a la coiffe blanche

    des grands joursde fte et le tablierde soie

    garni de guipures crues. C'est une ravis-

    sante blonde, aux yeux bleus, langoureux;

    la bouche est petite, mignonne, mais -les

    lvres sont lgrement sensuelles elle a

    le nez aquilin, presque pointu signe de

    fermet de caractre. Derrire elle, ont

    mis pied terre deux personnes paraissant

    ges, quoique en ralit n'ayant gure d-

    pass la moiti de la vie humaine. Ce sont,

    n'en pas douter, son pre et sa mre puis

    cinq ou six' paysans, hommes et femmes,ont

    galement saut de la voiture. Pourtant, ils

    n'ont point l'air d'tre lis par aucun lien de

    parent avecles premiers descendus. Selon

    toute vraisemblance, ils ont tout simplement

    profit de la voiture. Tout. ce monde est en-

    tr dans la ferme. La porte-charretire s'est

    ouverte, la voitureat remise et le cheval

    conduit l'curie o une paisse litire l'at-

    tendait.

    Et comme cela, de quart d'heure en quart

    d'heure/des groupes de deux, trois, quatre

    ou cinq personnes des parents, des amis,des voisins sont entrs tour tour dans

    l'intrieur de l'habitation du fermier Pierre

    Magloire,

    **

    Mais pour qui donc sont faits tous ces ap-

    prts ? Ah I voil, c'est qu'aujourd'hui le fieurevient dans ses foyers, aprs avoir t payer

    sa dette la patrie, et l'avoir servie pendant

    cinq annes, qui ont paru bien longues, et

    l'absent et au village 1

    Pendant son cong, il n'est pas revenu

    une seule fois au pays. Ses lettres seules le

    rappelaientau bon souvenir de ses proches,

    et c'est dur de passer un laps de temps pa-reil loin des siens, loin de ses plus chres

    affections. Car Jacques, en partant, tait fianc.

    Au moment du dpart, on s'tait bien promisde se revoir mais dsign par le sort, il

    avait t incorpor dans un rgiment de

    chasseurs d'Afrique.

    Les affaires de Tunisie taient arrives et

    la prsence des soldats tant ncessaire dans

    la Rgence, il n'avait pu obtenir la moin-

    dre permission pour aller voir ses parents.

    Longtemps avant ce jour tant dsir o

    le fils doit revenir l'indicateur des che-

    oins de fer (achet pour la circonstance) a

    t consult et, d'aprs ses informations, en

    calculant le temps qu'il faut en voiture pourvenir de la gare, distante de dix kilomtres

    de la ferme, tout fait prvoir qu'il puorra ar-

    river vers les onze heures du matin.

    La maitresse de la ferme la dame Ma-

    gloire-r- comme on dit dans le pays, donne

    ses derniers ordres pour que tout soit prt.

    quand l'heure du pantagrulique djeunersera sonne et elle recommande qu'aumoinsles volailles ne soient pas brles 1

    Son mari est parti dans la matine avec la

    carriole, chercher son enfant la gare.

    Les vieux parents se sont assis sur lebord de la route pour tre les premiers

    apercevoir la-bas, dans l'horizon poussireux,la voiture qui ramnera Jacques.

    La fiance, Madeleine, la jeune fille quenous avons vue matin descendre la pre-mire terre, est fort mue et ne dit rien.

    Elle a peur de ne plus rencontrer chez son

    promis la mme tendresse qu'au dpart.C'est qu'elle a appris que Jacques a conquisun haut grade, qu'il est marchal des logis-

    chef Elle se le figure avec un costume cla-

    tant et plein de galons d'or sur toutes les

    coutures. Ainsi charmarr, il sera fier et ne

    voudra plus d'elle, peut-tre Par moments,ses penses l'obsdent tellement que les

    larmes perlent sur ses cils, s'chappent de

    ses beaux yeux et glissent silencieusement

    sur ses joues roses elle soupire, elle a le

    coeur bien gros, puis un revirement s'opreelle se voit son bras, rendant les visites

    dans la contre, fire, heureuse d'tre ses

    cts. A ce tableau que ses illusions lui pro-

    curent, elle sourit.

    La mre aussi, de temps en t emps, verse

    un pleur, malgr qu'elle veuille paratre forte.Elle ne peut pas toujours matriser sa vo-

    lont mais les larmes verses aujourd'huisont des larmes de joie Car combien de

    fois a-t-elle pleur, la chre femme ? Quandson Jacquot, son fils est parti, son enfant

    ador, son unique Le jour des adieux, ellea ressenti un grand dchirement dans la, poi-

    trine elle a pens ne plus le revoir. Luisi chtif, si frle, si plot, habitu aux cajo-leries et aux douceurs du foyer, aller l-bassur cette terre d'Afrique, qu'elle croit inhos-

    pitalire et malsaine, expos aux intemp-

    ries, au chaud, au froid, la soif, aux fivres.Jamais il n'en reviendra! Et pourtant, dans

    une heure, elle le pressera dans ses bras I

    *~t

    Cependant onze heures sont sonnes len-

    tement la vieille horloge de l'glise et rien

    ne se montre l'horizon. L'impatience com-

    mence gagner sous les esprants. Le train

    aurait-il eu du retard ? Un accident serait-il

    arriv?. Mais tout coup, un cri se fait

    entendre, un nuage de poussire s'levant

    au loin sur la route indique la carriole tant

    attendue. En moins de vingt minutes, elle

    s'arrte devant la ferme. Un lgant mili-

    taire saute prestement terre et tient en

    respect toutes les avances que les braves

    gens allaient lui faire.

    C'est un solide gars, maintenant. Il a une

    longue et fine moustache blonde qui lui

    donne l'air conqurant il porte admirable-

    ment l'uniforme. Les deux galons d'or,

    poss en V renvers et superposs sur ses

    manches, rehaussent l'clat de son costume.Dans son air, dans son maintien, il y quel-

    que chose de crne qui arrte toutes les

    expansions sur le bord des lvres.

    Subitement la mre, mue se trouver

    mal, parat. Jacques se prcipite vers elle,la serre contre lui. Il embrasse la. chre

    femme et sent des larmes qui lui montent

    aux yeux. Toute Pindi frence dont son cur

    s'tait cuirass durant son service fond de-

    vant le tableau qu'il a devant les yeux, de-

    vant les sympathies dont il se voit l'objet.

    Aprs plusieurs treintes, il promne ses

    regards sur les assistants, comme cherchant

    quelqu'un il aperoit Madeleine, il s'lance

    vers elle, la prend dans ses bras et i'em-

    brasse de deux bons baisers qui rsonnent

    joyeusement dans l'air. La pauvre enfant

    s'abandonne aux caresses de son fianc,heureuse de cette dmonstration sentimen-

    tale.

    Enfin le tour des parents et des amis vient.

    Il lui faut embrasser un nombreincalculable

    de joues, recevoir de nombreuses accolades,

    et quand chacun lui a fait son complimentou souhait la bienvenue, que l'on s'estbien

    extasi sur son changement, sur sa tournure,il est temps du djeuner. On accorde quel-

    ques minutes Jacques pour qu'il reprenne

    ses esprits et qu'il procde une toilette

    sommaire.

    Le pre, pendant cette scne, est rest si-

    lencieux mais s' il ne dit pas grand'chose,on peut lire dans ses yeux ce qui se passedans son me. Il est fier de son gars arriv

    au plus Ijaut grade que puisse atteindre un

    militaire durant son premier cong.Tous les invits ont pris place autour de

    la table. Jacques et Madeleine, occupent la

    place d'honneur. Le service ne se fait pas

    vite, car les servantes ne peuvent se lasser

    d'admirerle jeune matre dans son bel uni-

    forme.

    Les deux jeunes gens semblent ne voir

    personne, tellement ils sont heureux d'tre

    runis. Ils ne parlent presque pas mais

    leurs yeux parlent,et ce langage muet n'est

    pas moins loquent. Toute fille a dans son

    cur une pointe de vanit. En voyant son

    promis si joli, si bel homme, si bien affuti,

    elle ne peut se dfendre d'un mouve-

    ment d'orgueil.

    Vers la fin du repas, le son s-officier ra-

    conte ses campagnes et q uelques pisodes

    de la vie militaire.II n'a pas toujours t

    heureux,il a fait des corves fort dures et

    pas toujours agrables il a got les dou-

    ceurs de la boite (la salle de po lice), du pe-loton de chasse mais il ne pense plus

    tout cela et,en somme, il avoue qu'il ne re-

    grette pas le temps pass sous les drapeaux

    et qu'il est fier d'avoir servi sa patrie 1

    Bien parl, chef, dit une bonne et

    grosse voix.

    Tout le monde se retourne et l'on aperoit

    la joviale figure du brigadier de gendarmerie

    Denis, qui vient, lui aussi, apporter son tri-

    but d'loges. Seulement, dans sa' manire

    d'tre, de parler, on remarque une certaine

    dfrence. II ne tutoie plus le jeune homme

    qu'il a connu gamin, il n'est plus pour lui

    Jacques Magloire, mais so us-officier dans

    l'arme franaise. Il connat le respectqu'on

    doit aux suprieurs, et le prati que. C'est ce

    qui explique le sentiment de gne qu'il res-

    sent dans sa faon de s'exprimer.

    Autant l-bas, au rgiment o il passait t

    pour trs raide, c'est--dire qu'il faisait stric-

    tement son service Jacques tait fier de

    ses galons, autant ici, en famille,il ne penseplus son grade. Toute l'altration facticedont son caractre s'tait revtu au dur com-

    merce des soldatss'envole et il ne reste quele jeune homme de jadis. Aussi il rpond en

    plaisantantet en tendant la main au brigadier.

    Mon vieux Denis, il n'y a plus ici ni

    marchef ni grad, mais Jacques, heureuxde- se retrouver en famille, au milieu de ses

    amis, auprs de sa chre Madeleine, contentd'avoir satisfait aux lois et consacr un lus-tre au service du pays Et tendez votre

    verre, brigadier, trin quons tous la prosp-rit de notre mre commune, de notre bellerrance

    Un tonnerre de bravos accompagne ces

    quelques paroles puis quand les verressont vids, un vieux barbe blanche, unancien du temps du petit caporal, qui a vuWaterloo et qui a pleur des larmes de sangsur ces journes, se lve et dit d'une voixchevrotante

    Pardon. vousparlez bien, mon enfant..vous dites avoir servi le pays. bon, maisvous n'avez pas fini votretche maintenant,il vous faut encore travailler, le labeur du

    moins ne sera pas aussi pnible, il est vrai.Il faut doter la Patrie de quelques futurs

    soldats, de quelques dfenseurs de plusqu'en pense Madeleine ?

    Chacun a ri de la plaisanterie de l'ex-gre-nadier de la garde. La jeune fille a rougi,baiss la tte, mais n'a point retir sa main

    que Jacques presse dans les siennes, etcomme on voit que les deux jeunes gensbrlent du dsir d'changer un baiser

    Allons, ajoute le vieux dbris, embras-

    sez-vous, jeunesses, c'est fte aujourd'hui,nous vous le permettons t

    Et aux applaudissements de tous, Jacquesa saisi sa fiance dans ses bras, la tient con-tre son cur et la couvre de baisers reten-tissants.

    Georges Brunel.

    I MISfISTILITTERAIRE

    Depuis deux ans, la presse parisienne s'estbeaucoup occupe d'une cole de potes et de

    prosateurs dits dcadents . Le conteur duTh che\ Miranda (en collaboration avec M.Paul Adam, l'auteur de Soi), le pote desSyrtes et des Cantilnes, M. Jean Moras, undes plus en vue parmi ces rvolutionnaires delettres, a formul, sur notre demande, pour leslecteurs du Supplment, les principes fonda-mentaux de la nouvelle manifestation d'art.

    UE SYMBOUSME

    Comme tous les arts, la littraturevolue volution cyclique avec des re-tours strictement dtermins et qui secompliquent des diverses modificationsapportes par la marche des temps etles bouleversements des milieux. Il seraitsuperflu de faire observer que chaquenouvelle phase volutive de l'art corres-pond exactement la dcrpitude snile, l'inluctable fin de l'cole immdiate-ment antrieure. Deux exemples suffi-ront Ronsard triomphedel'itnpuissancedes derniers imitateurs de Marot, le ro-mantisme ploie ses oriflammes sur lesdcombres classiques mal gards parCasimir Delavigne et Etienne de Jouy.C'est que toute manifestation d'art ar-rive fatalement s'appauvrir, s'pui-ser alors, de copie en copie, d'imitationen imitation, ce qui fut plein de sve etde fracheur se dessche et se recro-queville ce qui fut le neuf et le spon-tan devient le poncif et le lieu-commun.

    Ainsi le romantisme, aprs avoirsonn tous les tumultueux tocsins de larvolte, aprs avoir eu ses jours de gloireet de bataille, perdit de sa force et de saagrce, abdiqua ses audaces hroques,sent rang, sceptique et plein de bonsens; dans l'honorable et mesquine ten-tative des Parnassiens, il espra defallacieux renouveaux, puis finalement,tel un monarque tomb ea enfance, ilse laissa dposer par le naturalismeauquel on, ne peut accorder srieusementqu'une valeur de protestation, lgitimemais mal avise, contre les fadeurs de

    quelques romanciers alors la mode.

    Une nouvelle manifestation d'art taitdonc attendue, ncessaire, invitable.Cette manifestation, couve depuis long-temps, vient d'clore. Et toutes les ano-dines facties des joyeux de la presse,toutes les inquitudes des critiques gra-ves, toute la mauvaise humeur du pu-blic surpris dans ses nonchalancesmoutonnires ne font qu'affirmer chaquejour davantage la vitalit de l'volutionactuelle dans les lettres franaises,cettevolution quedes juges presss notrent,par une inexpliquable antinomie, de d-cadence. Remarquez pourtant que leslittratures dcadentes se rvlent es-sentiellement coriaces, filandreuses,timores et serviles toutes les trag-dies de Voltaire, par exemple, sontmarques de ces tavelures de dcadence.Et que peut-on reprocher, quereproche-t-on la nouvelle cole ?+ L'abus de la

    pompe, l'tranget de la mtaphore, unvocabulaire neuf o les harmonies secombinent avec les couleurs et les li-

    gnes caractristiques de toute renais-sance.

    Nous avons dj propos la dnomi-nation de Symbolisme comme la seule

    capable de dsigner raisonnablement latendance actuelle de l'esprit crateur enart. Cette dnomination peut tre main-tenue.

    Il a t dit au commencement de cetarticle que les volutions d'art offrentun caractre cyclique extrmement com-

    pliqu de divergences; ainsi, pour suivrel'exacte filiation de la nouvelle cole, ilfaudrait remonter jusques certains

    pomes d'Alfred de Vigny, jusques

    Shakespeare, jusques aux mystiques,plus loin encore. Ces questions deman-deraient un volume de commentaires

    disons donc que Charles Baudelaire doittre considr comme le vritable pr-curseur du mouvement actuel M. St-

    phane Mallarm le lotit du sens du

    mystre et de l'ineffable M. Paul Ver-laine brisa en son honneur les cruellesentraves du vers que les doigts presti-gieux de M. Thodore de Banville avaient

    assoupli auparavant. Cependant le Su-

    prme Enchantement n'est pas encoreconsomm un labeur opinitre et jalouxsollicite les nouveaux venus.

    *#*

    Ennemie de l'enseignement, la dcla-

    mation, la fausse sensibilit, la des-

    cription objective,la posie symbolique

    cherche vtir l'Ide d'une forme sen-sible qui, nanmoins, ne serait pas sonbut elle-mme,mais qui,tout en servant exprimer l'Ide, demeurerait sujette.L'Ide, sontour, ne doit point se laisservoir prive des somptueuses simarresdes analogies extrieures car le carac-tre essentiel de l'art symbolique consiste ne jamais aller jusqu' la conceptionde l'Ide en soi. Ainsi, dans cet art, lestableaux de la nature, les actions deshumains, tous les phnomnes concretsne sauraient se manifester eux-mmesce sont l des apparences sensibles des-tines reprsenter leurs affinits so-triques avec des Ides primordiales.

    L'accusation d'obscurit lance contreune telle esthtique par des lecteurs btons rompus n'a rien qui puisse sur-

    prendre. Mais qu'y faire ? Les Pythiquesde Pindare, YHamlet de Shakespeare,la VitaNuova de Dante, le Second Faust'de Goethe, la Tentation de Saint Antoinede Flaubert ne furent-ils pas aussi taxs

    d'ambigut ?1

    Pour la traduction exacte de sa synthse,il faut au symbolisme un style archtypeet complexe d'impollus vocables, la

    priode qui s'arcboute alternant avecla priode aux dfaillances ondules, tes

    plonasmes significatifs, les myst-rieuses ellipses, l'anacoluthe en suspens,tout trope hardi et multiforme enfinla bonne langue instaure et moder-nise la bonne et luxuriante et frin-

    gante langue franaise d'avant les Vau-gelas et les Boileau-Despraux, la languede Franois Rabelais et de Philippe deCommines, de Villon, de Rutebuf etde tant d'autres crivains libres et dar-dant le terme acut du langage, tels destoxotes deThrace leurs flches sinueuses.

    LE RYTHME L'ancienne mtriqueavive; un dsordre savamment ordonnla rime illucescente et martele commeun bouclier d'or et d'airain, auprs de larime aux fluidits absconses l'alexan-drin ' arrts multiples et mobiles 4.l'emploi de certains nombres premiers

    sept, neuf, onze, treize (rsolus enles diverses combinaisons rythmiquesdont ils sont les sommes.

    ###

    Ici je demande la permission de vousfaire assister mon petit INTERMDEtir d'un prcieux livre Le Trait dePosie Franaise, oM.Thodore de Ban-ville fait pousser impitoyablement, telle dieu de Claros, de monstrueusesoreilles d'ne sur la tte de maint Midas.

    Attention l

    Les personnages qui parlent dans la

    pice sont

    UN DTRACTEUR DE L'COLE SYMBOLIQUE

    M. THODORE DE BANVILLE

    ERATO

    Bc^ne Premire

    LE DTRACTEUR. Oh! ces dcadents I

    Quelle emphase! Quel galimatias Comme notre

    grand Molire avait raison quand il a dit

    Ce style figur dont on fait vanitSort du bon caractre et de la vrit.

    THODORE DE BANVILLE. Notre grandMolire commit l deux mauvais vers qui eux-

    mmes sortent autant que possible du bon ca-

    ractre. De quel bon caractre? De quelle v-rit ? Le dsordre apparent, la dmence cla-

    tante, l'emphase passionne sont la vrit mme

    de la posie, lyrique. Tomber dans l'excs des

    figures et de la couleur, le mal n'est pas grandet ce n'est pas par l que prira notre littra-

    ture. Aux plus mauvais jours, quand elle expire

    dcidment, comme-par exemple sous le pre-mier Empire, ce n'est pas l'emphase et l'abus

    des ornements qui la tuent, c'est la platitude. Le

    got, le naturel sont de belles choses assur-

    ment moins utiles qu'on ne le pense la posie.Le Romo et Juliette de Shakespeare est crit

    d'un bout l'autre dans un style aussi affect

    que celui du marquis de Mascarille; celui de

    Ducis brille par la plus heureuse et la plus na-

    turelle simplicit.

    LE DTRACTEUR. Mais la csure, la c-

    sure 1 On viole la csure

    THODORE DE BANVILLE. Dans sa remar-

    quable prosodie publie en 1844, M. Wilhem

    Tenint tablit quele vers alexandrin admet douze

    combinaisons diffrentes, en partant du vers

    qui a sa csure aprs la premire syllabe, pour

    arriver au vers qui a sa csure aprs la onzime

    syllabe. Cela revient dire qu'en ralit la c-

    sure peut tre place aprs n'importe quelle

    syllabe du vers alexandrin. De mme, il tablit

    que les vers de six, de sept, de huit, de neuf,de dix syllabes admettent des csures variables

    et diversement places. Faisons plus osons

    proclamer la libert complte et dire qu'en ces

    questions complexes l'oreille dcide seule. On

    prit toujours non pour avoir t trop hardi

    mais pour n'avoir pas t assez hardi.

    LE Dtracteur. Horreur Ne pas res-

    pecter l'alternance des rimes Savez-vous, Mon-

    sieur, que les dcadents osent se permettra

    mme l'hiatus! mme Fhi-a-tus! 1

    THODORE DE Banville. L'hiatus, la

    diphtongue faisant syllabe dans le vers, toutes

    les autres choses qui ont t interdites et sur-

    tout l'emploi facultatif des rimes masculines et

    fminines fournissaient au pote de gnie mille

    moyens d'effets dlicats toujours varis, inat-

    tendus, inpuisables. Mais pour se servir de ce

    vers compliqu et savant, il fallait du gnie et

    une oreille, musicale, tandis qu'avec les rgles

    fixes, les crivains les plus mdiocres peuvent,

    en leur obissant fidlement, faire, hlas des

    vers passables Qui donc a gagn quelque

    chose la rglementation de la posie ? Les

    potes mdiocres. Eux seuls 1

    LE Dtracteur. Il me semble pourtant

    que la rvolution romantique.

    THODORE DE BANVILLE. Le romantisme

    a t une rvolution incomplte. Quel malheur

    que Victor Hugo, cet Hercule victorieuxaux

    mains sanglantes, n'ait pas t un rvolution-

    naire tout fait et qu'il ait laiss vivre une par-

    tie des monstres qu'il tait charg d'exterminer

    avec ses flches de flammes 1

    LE Dtracteur. Toute rnovation est

    folie 1 L'imitation de Victor Hugo, voil le sa-

    lut de la posie franaise I

    Thodore DE Banville. Lorsque Hugo

    eut affranchi le vers, on devait croire qu'ins-

    truits son exemple les potes venus aprslui

    voudraient tre libres et ne relever qued'eux-

  • LE FIGARO SAMEDI 18 SEPTEMBRE 1888 m

    mmes. Mais tel est en nous l'amour de la ser-

    vitude que les nouveaux potes copirent et imi-

    trent l'envi les formes, fcs combinaisons et

    -les coupes les plus habituelles de Hugo, au lieu

    de s'efforcer d'en trouver de nouvelles. C'est

    ainsi que, faonns pour le joug, nous retom-

    bons d'un esclavage dans un autre, et qu'aprs

    les poncifs classiques, il y a eu des poncifs

    romantiques, poncifs de coupes, poncifo de

    phrases, poncifs de rimes; et le poncif, c'est-

    -dire le lieu commun pass a l'tat chronique,en posie comme en toute autre chose, c'est la

    Mort. Au contraire, osons vivre 1 et vivre c'est

    respirer l'air du ciel et non l'haleine de notre

    voisin, ce voisin ft-il un dieu t

    Scne n

    ERATO (invisible). Votre Petit Traiti

    de Posie Franaise est un ouvrage dlicieux,matre Banville. Mais les jeunes potes ont du

    sang jusques aux yeux en luttant contre les

    monstres affens par Nicolas Boileau on vous

    rclame au champ d'honneur, et vous vous tai-

    sez, matre Banville 1

    Thdore DE BANVILLE (rveur). Mal-diction Aurais-je failli mon devoir d'an et

    de pote lyrique i

    (L'auteur des Exils pousse un soupir lamen-

    table et l'intermde finit.)

    #1:

    La prose, romans, nouvelles,contes, fantaisies, volue dans unsens analogue celui de la posie. Deslments, en apparence htrognes, yconcourent Stendhal apporte sa psy-chologie translucide; Balzac sa vision

    exorbite, Flaubert ses cadences de

    phrase aux amples volutes, M. Edmondde Goncourt son impressionnisme mo-dernement suggestif.

    La conception du roman symboliqueest polymorphe': tantt un personnageunique se meut dans des milieux d-forms par ses hallucinations propres,son temprament en cette dformation

    gt le seul rel. Des tres au geste m-canique, aux silhouettes obombres,s'agitent autour du personnage uniquece ne lui sont que prtextes sensationset conjectures. Lui-mme est un

    masque tragique, ou bouffon, d'unehumanit toutefois parfaile bien querationnelle. Tantt des foules, super-ficiellement affectes par l'ensemble des

    reprsentations ambiantes, se portentavec des alternatives de heurts et destagnances vers des actes qui demeurentinachevs. Par moments, des volontsindividuelles se manifestent; elles s'at-tirent, s'agglomrent, se gnralisentpour un but qui, atteint ou manqu, lesdisperse en leurs lments primitifs.Tantt de mythiques phantasmes vo-qus, depuis l'antique Dmogorgnjusques Blial, depuis les Kabires

    jusques aux Nigromans, apparaissentfastueusement atourns sur le roc deCaliban ou par la fort de Titania auxmodes mixolydiens des barbitons et desoctqcordes.

    Ainsi ddaigneux de la mthode pu-rile du naturalisme, M. Zola, lui,fut sauv par un merveilleux instinctd'crivain le roman symbolique

    impressionniste difiera son uvre de

    dformation subjective fort de cet.axiome que l'art ne saurait chercheren l'objectif qu'un simple point de d-

    part extrmement succinct.

    Jean Moras,

    DISPARU!

    HISTOIRE D'UN MARIN

    Les noirs sont accourus en grandnombre dans la baie .aux Baleines. Il yen a plus de mille, de beaux hommesaux grosses lvres, mais aux bras mus-cls. Ils ont surpris l'aspirant et lestrente matelots venus l pour renouvelerla provision d'eau de la Naade. L-bas,sur les flots tranquilles, la corvette selaisse bercer sous ses voiles cargues.Ici, travers l'herbe haute, sous les pal-miers cimes de parasol, sous les eu-

    phorbes qui distillent la mort, sous les

    figuiers la dense vgtation, la durebataille est engage.

    Et les marins battent en retraite, pru-demment, savamment. Ils se dissmi-nent dans la verdure et marchent en secourbant pour mieux chapper aux sa-

    gaies qui sifflent et se fichent, avec unbruit seer aux troncs noueux. Chaqueballe qu'ils envoient en se retournantporte dans le tas des ngres. Mais lesclameurs et les vocifrations de la bandecouvrent les cris d'agonie.

    Il s'agit de regagner le canot sansabandonner les barriques. Les hommesse relaient .pour les rouler. Ils ne leslcheraient pas, cette heure, pourtroismois de solde. Deux d'entre eux gisent tquelque part dans un taillis. On a voulules relever; inutile 1 Les sagaies sont

    empoisonnes.Les Damaras resserrent leur cercle.

    Mais on touche la plage. Le sifflet aurassemblement se faitentendre. Vite lestonneaux dans l'embarcation et une der-nire vole aux faces noires. Vingt coupsde fusil clatent la fois, et les ngress'arrtent. Dj le second matre patrona donn l'ordre de pousser. Les matelots'psent sur les avirons. La chaloupe

    s'loigne vivement du bord.

    Une voix s'lve tout coup.Le lieutenant? O est le lieutenant?

    Et cette voix un cri de dtresse rpond.Un instant.la confusion est son comble.C'est pourtant lui qui a command laretraite. Il ne peut tre bien, loin sur lacte. Ses matelots le veulent, mort ouvif..

    Derechef, l'embarcation vire de bord.Elle rentre dans la crique et remonte lepetit fleuve limpide. Les Damaras nesont plus l. Tout le monde dbarque.On retrouve les cadavres des deux ca-marades morts, dj tumfis et gonfls.L'un deux, mme, n'a plus de tte. Lessauvages ont d l'emporter,

    Et l'on fouille les tertres, les halliers,on met le feu aux buissons pars, oncrie, on dcharge les armes en i'air.Rien ne rpond, pas mme les hurle-ments des noirs. Qu'est donc devenul'aspirant?

    Or, la nuit descend, la nuit de l'Equa-teur, sans crpuscule. Le dsespoiraffole ces braves. Ils ne veulent pasquitter cette terre sans rapporter leurjeune officier. Ils l'aiment tant[ Ils ferontplutt cent lieues cette nuit, demain,

    sous le soleil qui dvore, travers lesdents des fauves, travers les flches etles reptiles venimeux. Ils ne s'en irontpas ainsi.

    En ce moment, un son grave, Ion-gues dgradations onduleusejs, roule surles flots. Il vient du large, c'est le canonde la Naade qui rappelle la corve enretard.

    Alors grinant des dents, les yeuxpleins de grosses larmes qui descendentsur leurs joues bronzes, les rudes ga-biers bordent de nouveau les avirons et

    nagent vers la corvette. Ils ont dposdans le fond, l'arrire, sur le tapisbleu aux ancres rouges, les morts qu'ilsramnent, celui qui n'a plus de tte, et

    l'autre dfigur par l'pouvantable ac-tion de l'euphorbe. Et la nuit tombe surle bateau de deuil.

    n

    Disparu Son fils a disparu fElle est assise au coin du feu, la

    femme en noir, l'inconsolable, fillepouse et mre de marins. Son pre estmort Saint-Jean d'Ulloa, son mari pen-dant la tempte, Balaklava, Il y a sixmois qu'elle a reu l'avis terrible

    Disparu Et depuis six mois elle n'a plusparl que pour rpter ce mot disparu.

    Prs d'elle, ses pieds, est affaissela vieille nourrice qui la garde, pleuranten silence, dans l'ombre, pour ne pointmettre de bruit dans ce mutisme de ladsolation, sans mesure, pour ne pointtroubler de son passage ces yeux quiregardent devant eux, sans voir.

    Il y a six mois que la mre douloureusen'a point repos sa vue sur les objetsterrestres il ya six mois que, morne,sans quitter sa place, ni pour le repas nipour le sommeil, elle attend dans sacontemplation inflexible.

    Qui attend-elle ? L'absent, celui quine reviendra plus. L'me sans trouble dela mre le voit-elle ? La porte de lachambre est ferme: celle par laquelleil entrait jadis, souriant et heureux,pour lui dire le matin, de grand matin, Bonjour, mre ! celle par laquelle ilest sorti la dernire fois, pour le grandvoyage sans retour.

    Elle attend. Voici l'heure funbre. Leslongues nuits d'hiver sont venues, avecleur lourd manteau de nues. Le jours'achve dans la brume du dehors. De lacampagne dserte, autour de la maisonisole, montent des bruits vagues, despas de paysans attards qui se signentdevant les croix de pierre; des plainteslamentables de chiens errants qui pleu-rent la mort. Au dedans, la lampeclaire la chambre comme un tombeau.Etouffant ses sanglots, la nourrice posesur le guridon accoutum le repas quisoutient la vie de cette ombre. Et elle sepenche vers la femme insensible.

    MadamePas de rponse.

    Madame, rpte la servante enla tirant doucement par la robe.

    Pas de rponse.

    Or, voici que tout coup l'immuablevisage s'illumine. Un beau sourire passecomme un rayon de soleil sur les lvresdcolores. La porte condamne s'est ou-verte. Quelqu'un vient d'entrer dans lachambre.

    La Bretonne peur. Elle est tombe genoux; elle murmure des prires.

    C'est lui, lui, l'enfant, le.disparu. Ilvient droit sa mre. La lampe s'estteinte. Une lumire trange enveloppele visiteur. Est-ce la blanche clart de laluneNqui lui fait ainsi un manteau impal-pable? Il glisse dans la vaporeuse lueur.

    Il s'approche sans soulever un cho.Oh qu'il est ple C'est bien lui, cepen-

    dant. Les yeux de l'infortune l'ont re-connu. Il a gard sa belle chevelure bou-cle, sa chevelure blonde aux mchescapricieuses, qui faisaient une gloire sas vingt ans. Il a mme le sourire auxlvres, le bon sourire de son enfance.Pas une tache sur son uniforme noir,pas une trace de boue. Seulement, oh!cela est trange, son cou nu, son coud'athlte, une large raie rouge, un troud'o coule un sang vermeil.

    Il s'approche davantage. La mre luia ouvert ses bras. Le fantme se penche;sa main touche la main de la veuve, salvre la baise au front. Elle tressaillela lvre et la main sont si froides Maisil sourit toujours; elle ne peut se rassa-sier de ce sourire; elle demeure en ex-tase sa vue. Et puisqu'il est l, main-tenant, il faut bien qu'elle lui parle.

    Comme tu viens tard, mon fils ?Savais-tu bien que j'attendais ? Tu m'a-vais oublie, ingrat Les jours se sontjoints aux jours, les nuits ont augmentles nuits, et tu m'as laisse solitaire

    auprs de mon foyer glac, sous montoit dsol. O donc tais-tu, enfant ?Tu courais peut-tre dans l'espacecomme autrefois, lorsque, peureuse, jete criais de modrer ta fougue, lorsque,jalouse de la vague dont les treintesm'avaient ravi ton pre, je te suppliais,tremblante, de ne point courir ses ca-resses mortelles. Ah! j'ai tant pleur.Tu ne m'entendais pas, mchant. Quel-quefois, je croyais surprendre ton rire,dans les gazouillements de la fort, l,tu sais bien, prs de la roche moussue, 1o tu rvais sous les soirs empourprsd'automne. Quelquefois, quand la fumemontait lgre l'horizon, quand lesnues se fondaient dans les pleursmauves du ciel, quand l'tre crpitait,

    comme une crcelle de grillon, commeun chuchotement de sylphe, je croyaisentendre ton souffle de chrubin* en-dormi dans la gazedetes rideaux blancs.

    Et je me penchais sur ton lit; je rame-nais les couvertures, mais je ne sentaispas la chaleur de ton corps sous le tissude laine. O dors-tu, maintenant,mon fils? Tu as froid dans tes som-meils lointains? Ne t'arrive-t-il plus,dans la surprise des rves, d'appeler toi ta pauvre mre ? Oh pourquoi

    ne m'avoir point emmene ? Je t'auraisrchauff de mon cur et de mes bras,enfant. Et j'aurais tanch ce sang quicoule, j'aurais lav de mes larmes cecou dchir. Car je n'ai plus besoin devivre aujourd'hui, si tu n'es plus l, prsde moi !n

    Et la femme en'deuil s'est leve. Elleretient dans ses deux mains la mainfroide que rien ne rchauffe.

    Pourtant tu es revenu. C'est bien.Tu es venu me chercher, n'est-ce-pas ?`tDis que tu es venu me chercher. Vois-tu, je ne serai pas longue te suivre.Je suia si heureuse de partir, de m'en-fuip avec toi, l-bas, o tu voudras, dans

    ( quelque beau pays o le bonheur ne

    finit point, o les mres n'ont d'autrejoie que de contempler leurs enfantspendant l'Eternit.

    **#

    Alors, tandis que la- pauvre nourricecontinue prier, ses genoux alourdissur le plancher, les deux ombres pour-suivent leur ineffable entretien. La veuves'est laiss enlacer par le bras repli dumarin. Il la soulve et l'emporte il l'en-

    trane, lger, insaisssable,pendantqu*elleboit son regard et s'enivre du fluide quien mane. Et voici que la porte s'ouvrede nouveau. Ils glissent dans leur em-brassement sacr. Le seuil est franchiles feuilles mortes tourbillonnent sousleurs pas, dans l'orchestre de l'aquilon;la plaine blanchie par la neige, les co-teaux balays par le Nord fuient sousleur course arienne. Ils passent, d-vorant les terres, et ils prennent leurvol au-dessus de la mer aux verts ca-

    prices, aux sombres colres bleues.Puis, de nouveau, la terre apparat.Voici l'anse aux rives d'meraude, lacharmille d'euphorbes et de chamrops.

    Les grandes herbes se sont redres-ses. Des hippopotames broutent dansl'eau claire, des buffles ruminent sur lesbords. L-bas, un grand lion bille,en attendant l'arrive des gazelles.Pourtant ni le lion, ni les buffles, ni les

    hippopotames ne s'meuvent de leur

    prsence.Ils sont arrivs. Le fils a cart les

    herbes. Un trou s'est ouvert dans lesable. Il y entre. Elle voudrait le retenir,mais il chappe son treinte. Il s'en-

    fonce, peu peu,toujours le sourire auxlvres. Et maintenant il se couche, ils'est couch dans la fosse. La terre re-tombe comme un couvercle, voilant son

    suprme regard, et les grandes herbesfroisses se redressent au-dessus de la

    tombe.

    ni

    Je me rappellerai toujours la scne

    qui suit.

    Depuis deux jours notre aviso avaitquitt la cte de Guine, descendantdans le sud. Vers les deux heures, la

    vigie signala une tartane ngre qui cher-chait un point d'atterrissage dans unesorte d'anse forme par un petit coursd'eau. Avec sa jumelle, l'officierdequartdistingua sur le pont de l'embarcationdeux femmes, vtues de noir. Ellestaient seules au milieu ds lascars. In-

    trigu, le commandant me fit appeler etm'ordonna d'aller avec une baleinire

    m'enqurir du motif qui amenait dansde tels parages ces voyageuses inatten-dues. Je fis armer et poussai droit latartane que le jusant empchait d'attein-dre le bord. En approchant, je vis queles lascars manuvraient lourdement.La tartane culait. L'une des femmes,celle qui paraissait la plus distingue,agita son mouchoir, nous faisant signede lui venir en aide.

    Qu'y a-t-il pour votre service, ma-dame?- demandai-je en montant .bord, aprs avoir respectueusement sa-lu cette trange statue qui semblait

    personnifier la douleur.Elle avait tressailli en me dvisageant^

    et son regard avait tristement contem-

    pl l'uniforme d'aspirant dont j'tais re-vtu.

    Enfin, elle se dcida parler. C'taitla premire fois, parat-il, depuis qu'elleavait quitt le Havre.

    Vous tes dans la marine franaise,monsieur?

    J'ai cet honneur, madame.Voudriez- vous me faire conduire

    terre?Je me rcriai

    A terre Vous n'y pensez pas, ma-dame ? Cette cte n'a pas une seule habi-tation de blanc. Je ne vois pas mme dehuttes ngres. Elle est signale comme

    dangereuse.C'est l pourtant que je dois des-

    cendre, monsieur. On m'attend.On vous attend?Oui, depuis plus de six mois.

    Je la regardai. Mes yeux laissaientlire ma profonde stupeur.

    Elle eut un sourire navrant.-Vous me prenez pour folle, n'est-ce

    pas ? Je ne le suis pas, monsieur. Jevous rpte qu'on m'attend.

    Et. qui donc peut vous attendre ?Mon fils.

    Une exclamation me vint aux lvres.Votre fils ? Mais il n'y a sur cette

    cte que des btes fauves et des sau-vages.

    Je le sais, monsieur.Et. le sachant, vous maintenez

    votre rsolution ? Que fait donc mon-sieur votre fils ?

    A son tour, elle attacha sur moi unregard d'une pntration glaciale qui mefit passer un frisson dans irout le corps.

    Il est mort.! rpondit-elle.Et elle ajouta:

    Je suis la mre de l'aspirant B.disparu il y a huit mois la suite d'uncombat livr aux Damaras.

    Il n'y avait plus rpliquer. Je mesouvenais de la douloureuse affaire laquelle Mme B. venait de faire allu-sion. Il ne m'tait pas permis de mettreobstacle ce pieux et dchirant pleri-nage.

    Je fis donc mettre le cap sur l'anse etj'accompagnai la veuve, sa suivante etles matelots noirs, qui, sur la demandede la voyageuse, emportrent des pelleset des pics.

    Les hippopotames de la rive s'car-trent. Les bumes s'enfuirent notreapproche. Un grand lion noir, notre vue,se leva de l'ombre d'un figuier et s' loi-gna d'un pas majestueux.

    Mme B. marchait la/ premire, lesyeux fixes, le pas automatique, commeguide par une ill uminatioil surnaturelle.Elle nous montrait le chemin.

    Nous avions fait un kilomtre traverslesfourrs et les fondrires, nous re-tournant de" temps en temps pour recon-natre la route parcourue. Tout coupla veuve s'arrta.

    Ici, dit-elle.

    Oh cette voix Elle vibre encore mon oreille. Elle n'avait plus rien d'hu-main. Quelque chose d'au del y sonnaitcomme un cho des mlodies sans pa-reilles que l'on a entendues parfois dansles sombres hallucinations de la fivre.

    Ici, rpta-t-elle encore.Elle montrait une sorte de tertre ca-

    ch sous l'herbe.Nous l'attaqumes aussitt. Les pics

    et les pelles dblayrent le sol. Le sablerejet laissa voir une fosse naturelle.

    Et l, deux pieds au-dessous du ni-veau, un cadavre nous apparut, encorevtu du noble uniforme de la marine.

    A la gorge,dans une large blessuredont'les lvres dcolles taient noires desang fig, adhrait un fer de sagaie,dont le, manche bris gisait ct ducadavre. Il avait d tomber l, l'infor-tun, sous une sorte.d'boulement, et lanature pieuse avait elle-mme donn la

    s pulture..Alors la mre eut un sourire de sainte.

    Elle tendit les bras la dpouille, et,sans prononcer un mot, glissa douce-ment, les genoux plies, la face en avantcomme pour serrer encore son fils entreses bras.

    Effrays, nous la relevmes. Hlas!Elle avait tenu sa promesse, elle s'taitrendue l'appel; la runion de l'enfantet de la mre tait accomplie. Elle taitmorte.

    La nourrice en pleurs nous remit untestament. C'tait un ordre. Le lende-main, nous unmes dans la mme fosseceux qui s'taient donn l'ternel ren-dez-vous, et, sur la tombe, un camaradede B. planta la croix qui devait y fixerles regards de Dieu.

    Il y a six ans que ce-que je racontes'est pass, et iLme semble que c'esthier.

    Pierre Mal.

    A. TR.~9~YE~

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