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CONJONCTURE 143 Jean-Nicolas Bach « Le roi est mort, vive le roi » : Meles Zenawi règne, mais ne gouverne plus Le Premier ministre éthiopien Meles Zenawi est décédé en août 2012, privant le FDRPE – à la tête de l’État depuis 1991 – de son leader historique. Fruit d’un compromis, la nomination du protégé de Meles Zenawi, Hailémariam Dessalegn, marque la poursuite de son œuvre. La continuité du régime ne saurait néanmoins cacher des tensions plus profondes: celles liées à la survie de toute une classe politique à la tête d’un pays dont la stabilité à moyen terme dépend désormais de la réalisation des promesses faites par l’ancien Premier ministre avant sa mort. à la tête du Front populaire de libé- ration du Tigraï (FPLT) 1 depuis le milieu des années 1980, Meles Zenawi s’était peu à peu imposé comme leader du Front démocratique révolutionnaire populaire éthiopien (FDRPE) 2 , une coalition fondée à la fin de cette même décennie sous l’impulsion du FPLT avec pour ambition de renverser le régime de Mengistu Hailé Mariam (1974-1991) 3 . Depuis la chute de ce dernier en 1991, Meles Zenawi cumulait la présidence du FDRPE avec les plus hautes fonctions de l’État, d’abord comme 1. Voir A. Behre, A Political History of the Tigray People’s Liberation Front (1975-1991), Los Angeles, Tsehai, 2009. 2. Aujourd’hui composée de quatre partis – le FPLT, le Mouvement national démocratique amhara (MNDA), l’Organisation populaire démocratique oromo (OPDO) et le Front démocratique populaire éthiopien du Sud (FDPES) –, cette coalition continue de représenter le cœur du pouvoir politique. 3. Le régime militaire, plus connu sous son nom en amharique därg («comité»), dura de 1974 à 1991. président du Gouvernement éthiopien de transition (1991-1995), puis comme Premier ministre de la République fédérale démocratique d’Éthiopie à partir de 1995, jusqu’à sa disparition le 21 août 2012. Mais c’est surtout à l’issue de la crise interne au FPLT-FDRPE en 2001 que Meles Zenawi ancra sa domination au sein de l’État éthiopien. La guerre contre l’Érythrée (1998-2000) avait attisé les tensions internes au FPLT-FDRPE, si bien que Meles fut mis en minorité au sein même du comité central du FPLT 4 . 4. Les tensions s’étaient cristallisées autour des accords de paix. Mis en minorité au sein du comité central du FPLT (13 voix contre 17), Meles parvint finalement à reprendre l’ascendant en réactivant un discours révolutionnaire redoutable hérité de la lutte contre le därg puis en purgeant le FPLT-FDRPE des éléments dissidents. Voir P. Milkias, « Ethiopia, the TPLF, and the Roots of the 2001 Political Tremor», Northeast African Studies, vol. 10, n° 2, 2003,

Jean-Nicolas Bach «Le roi est mort, vive le roi : Meles

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conjoncture143

Jean-Nicolas Bach

«Le roi est mort, vive le roi»: Meles Zenawirègne, mais ne gouverne plus

Le Premier ministre éthiopien Meles Zenawi est décédé en août 2012, privant le FDRPE– à la tête de l’État depuis 1991 – de son leader historique. Fruit d’un compromis,la nomination du protégé de Meles Zenawi, Hailémariam Dessalegn, marque la poursuitede son œuvre. La continuité du régime ne saurait néanmoins cacher des tensions plusprofondes : celles liées à la survie de toute une classe politique à la tête d’un pays dontla stabilité à moyen terme dépend désormais de la réalisation des promesses faitespar l’ancien Premier ministre avant sa mort.

à la tête du Front populaire de libé­ration du Tigraï (FPLT) 1 depuis le milieudes années 1980, Meles Zenawi s’était peuà peu imposé comme leader du Frontdémocratique révolutionnaire populaireéthiopien (FDRPE)2, une coalition fondéeà la fin de cette même décennie sousl’impulsion du FPLT avec pour ambitionde renverser le régime de Mengistu HailéMariam (1974­1991) 3. Depuis la chute dece dernier en 1991, Meles Zenawi cumulaitla présidence du FDRPE avec les plushautes fonctions de l’État, d’abord comme

1. Voir A. Behre, A Political History of the TigrayPeople’s Liberation Front (1975-1991), Los Angeles,Tsehai, 2009.2. Aujourd’hui composée de quatre partis – le FPLT,le Mouvement national démocratique amhara(MNDA), l’Organisation populaire démocratiqueoromo (OPDO) et le Front démocratique populaireéthiopien du Sud (FDPES) –, cette coalition continuede représenter le cœur du pouvoir politique.3. Le régime militaire, plus connu sous son nom enamharique därg («comité»), dura de 1974 à 1991.

président du Gouvernement éthiopiende transition (1991­1995), puis commePremier ministre de la Républiquefédérale démocratique d’Éthiopie àpartir de 1995, jusqu’à sa disparition le21 août 2012.

Mais c’est surtout à l’issue de la criseinterne au FPLT­FDRPE en 2001 queMeles Zenawi ancra sa domination ausein de l’État éthiopien. La guerre contrel’Érythrée (1998­2000) avait attisé lestensions internes au FPLT­FDRPE, sibien que Meles fut mis en minorité ausein même du comité central du FPLT 4.

4. Les tensions s’étaient cristallisées autour desaccords de paix. Mis en minorité au sein du comitécentral du FPLT (13 voix contre 17), Meles parvintfinalement à reprendre l’ascendant en réactivant undiscours révolutionnaire redoutable hérité de lalutte contre le därg puis en purgeant le FPLT­FDRPEdes éléments dissidents. Voir P. Milkias, «Ethiopia,the TPLF, and the Roots of the 2001 PoliticalTremor», Northeast African Studies, vol. 10, n° 2, 2003,

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Pour s’imposer, il se trouvait contraintde renégocier ses rapports avec les autrespartis du FDRPE, cherchant notam­ment un soutien auprès du Mouvementnational démocratique amhara (MNDA)d’Addissu Legesse, vice­Premier ministrejusqu’en 2010. La crise de 2001 a ainsi eupour conséquence d’ancrer davantagele FPLT­FDRPE à Addis Abeba, autourde la personne de Meles Zenawi, etnon plus au Tigraï comme c’était le casjusque là.

Les élections de 2005 et de 2010 ontconfirmé ce glissement du pouvoir versla capitale. Après une victoire contestéeen 2005 5, la perspective des électionsde 2010 nécessitait la (re)constructiond’un parti puissant. à cette fin, le nombred’adhérents au FDRPE serait passé enquelques années de quelques centainesde milliers à plus de cinq millions 6. àl’issue des élections de 2010, le FDRPEraflait la presque totalité des 547 siègesde la Chambre basse, permettant auPremier ministre de se consacrer à laréalisation de son projet politico­économique enclenché au lendemain de

p. 13­66 ; M. Tadesse et J. Young, «TPLF : Reform orDecline ? », Review of African Political Economy,vol. 30, n° 97, 2003, p. 389­403.5. Les élections générales de 2005 ont représenté uneprogression notable d’une partie de l’opposition(notamment la Coalition for Unity and Democracy).Les résultats contestés par celle­ci ont conduit àdes violences les mois suivant l’élection, faisantplus d’une centaine de morts. Voir J. Abbink,« Discomfiture of Democracy ? The 2005 ElectionCrisis in Ethiopia and its Aftermath », AfricanAffairs, vol. 105, n° 419, 2006, p. 173­199.6. Voir K. Tronvoll, « The Ethiopian 2010 Federaland Regional Elections : Re­establishing the One­party State », African Affairs, vol. 110, n° 438, jan­vier 2011, p. 121­136.

la crise de 2001 – et qui n’a cessé des’accélérer depuis lors : celui du «demo­cratic developmentalism », conduit parun régime se refermant sur lui­même 7.Le FDRPE et ses partis affiliés mono­polisent ainsi depuis 2010 la presquetotalité des sièges à la Chambre desReprésentants du Peuple, alors qu’ONG,journalistes et opposants demeurentsous pression constante du gouverne­ment.Ce serait un euphémisme de qualifier

de mitigé le bilan d’un règne de plusde deux décennies sans partage et sansalternance, qui ne s’est achevé qu’avec lamort de Meles Zenawi8. Et de fait, depuis1991, le jargon de la démocratisation s’estprogressivement estompé pour laisserapparaître la version éthiopienne del’État développemental (developmentalstate) inspiré des modèles asiatiques etthéorisé à l’issue de la crise politiqueinterne au FDRPE en 2001 9. Ce projet a

7. Voir « Democratic Developmentalism : An alter­native to Neo­liberal Dead­end », The EthiopianHerald, 15 février 2008, p. 5.8. J. Mosley, « Meles’ Death : National and RegionalImplications», Chatham House, 21 août 2012, <www.chathamhouse.org/print/185419>. Voir égalementl’article publié avant la mort de Meles Zenawi parRené Lefort, «Ethiopia After Meles», Opendemocracy,8 août 2012, <www.opendemocracy.net/ren%C3%A9­lefort/ethiopia­after­meles>. Voir égalementM. Handino, J. Lind et B. Mesfin, « After Meles :Implications for Ethiopia’s Development », Instituteof Development Studies, n° 1, octobre 2012.9. Le developmental state éthiopien est initié après lacrise de 2001 et impulsé par Meles Zenawi et sonentourage proche. Inspiré des modèles asiatiques(Corée du Sud, Taïwan), il se fonde sur une écono­mie dont les secteurs public et privé sont fortementcontrôlés par l’État. Tout est mis au service dudéveloppement économique et, notamment, de l’in­sertion jugée inexorable du pays dans l’économie

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conduit en 2010 à l’adoption du nouveauplan quinquennal, le Growth and Trans-formation Plan (GTP) : d’ici 2015, la crois­sance des dernières années de règne deMeles Zenawi estimée officiellement àplus de 11 % devrait être doublée 10. Larecette? Promouvoir un secteur indus­triel lui­même impulsé par l’agriculturedans le cadre d’une politique écono­mique fondée sur des « méga projets »qui redessinent déjà le paysage du pays :infrastructures routières, ponts, voies dechemin de fer, barrages hydroélectriquessur les principaux cours d’eau du pays,exportation d’électricité dans les paysvoisins, projets d’irrigations, etc.

Mais l’État développemental éthio­pien n’admet ni dialogue ni compromis,Meles Zenawi ne faisant confiancequ’à son entourage proche, voire qu’àlui­même, pour orchestrer l’entrée del’Éthiopie dans le concert des pays àrevenus intermédiaires annoncé àl’horizon 2025. Le règne autocratiquede Meles Zenawi fut jusqu’ici le prixdu développement annoncé.

Dans ce tableau tracé à grands traits,la disparition de ce dernier représenteun tournant historique pour au moins

de marché internationale. Les ouvertures démocra­tiques sont ici sacrifiées à l’efficacité économique.Sur le renversement de la relation économie­démocratie depuis 1991, voir J.­N. Bach, «Abyotawidemocracy : Neither Revolutionary nor Demo­cratic, a Critical Review of EPRDF’s Conception ofRevolutionary Democracy in Post­1991 Ethiopia »,Journal of Eastern African Studies, vol. 5, n° 4, 2011,p. 641­663.10. Le Growth and Transformation Plan est disponiblesur le site du ministère éthiopien des Finances et duDéveloppement économique. Voir <www.mofed.gov.et/English/Pages/Government.aspx>.

deux raisons essentielles : primo, leremplacement de Meles Zenawi parHailémariam Dessalegn en septembre2012 11, soit un mois après sa mort, repré­sente le premier changement pacifiquedu chef de l’État depuis le couronnementd’Hailé Sélassié comme roi des rois(Negussa Nägäst) en 1930. Une trans­mission du pouvoir qui, pour la premièrefois également, ne s’accompagne pasd’un changement brutal de régime.Secundo, l’État n’est plus incarné par unhomme fort, voire providentiel, ce quireprésente un défi de taille pour le nou­veau Premier ministre HailémariamDessalegn. Ces deux tournants ren­seignent sur le travail accompli par leFDRPE depuis 1991. Cette continuitéétatique au­delà des hommes qui l’in­carnent donne à la célèbre formule « Leroi est mort, vive le roi » un écho par­ticulier, même si les honneurs sont moinsrendus au successeur désigné qu’à l’an­cien Premier ministre dont les représen­tations iconographiques le rendentomniprésent dans l’espace public, voireprivé. Une «présence» qui explique peut­être en partie la stabilité actuelle durégime. Car trois mois après sa mort, onne peut que constater l’absence de criseouverte au sommet de l’État éthiopien 12.

Cette continuité s’explique avant toutpar l’héritage laissé par Meles Zenawi,

11. à la mort de Meles Zenawi, celui qu’on sur­nomme déjà HMD a assuré les fonctions de Premierministre par intérim puis de Premier ministreaprès son élection à la Chambre des Représentantsdu Peuple, conformément à la Constitution de 1995.Il occupe officiellement les fonctions de Premierministre depuis le 21 septembre 2012.12. Cet article a été rédigé en décembre 2012.

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via notamment les grands projets poli­tiques et économiques inaugurés sousson règne et que personne ne sembleprêt à remettre en question de façonradicale. Les développements politico­économiques internes sont par ailleursintrinsèquement liés aux engagementsrégionaux de l’Éthiopie. Cette imbricationpermet de penser que tout pourraitcontinuer à être mis en œuvre afin demaintenir la stabilité du pays et de larégion, ce que nous verrons en premièrepartie. Le FDRPE semble encore en avoirles moyens, mais pour combien de temps?Un enjeu central de cette successionétant la prochaine échéance électorale de2015, cette note de conjoncture revient,dans un second temps, sur la perspectivede ces prochaines élections : si la prépa­ration de ces dernières peut expliquer enpartie la stabilité politique actuelle, l’in­certitude qui entoure la réalisation despromesses faites pour l’horizon 2015représente corrélativement l’un des prin­cipaux vecteurs d’instabilité du régime.Car c’est bien ici que réside le paradoxede cette succession : les éléments expli­catifs de la permanence institutionnellesont aussi ceux qui, bien souvent, sontporteurs d’un fort potentiel déstabi­lisateur.

L’Éthiopie n’explose pas:

la permanence institutionnelle

Certains experts ont souligné depuisaoût dernier les risques d’explosion del’Éthiopie 13. Une crainte découlant de

13. Voir notamment International Crisis Group,

l’idée selon laquelle la « transition » encours pourrait entraîner le pays dansle chaos et, dans le même élan, embraserla Corne de l’Afrique toute entière enraison de l’implication d’Addis Abebadans les pays voisins à travers sesengagements diplomatiques, militaireset économiques. L’État éthiopien semblepourtant disposer de la solidité nécessaireà l’amortissement d’un tel changementde situation, une solidité qu’expliquenten partie deux décennies de gouverne­ment du FDRPE.

Suivre la ligne tracée par Meles

Les élites tigréennes ont travaillédepuis 1991 à la consolidation de l’Étatéthiopien, de sorte qu’il y a peu de raisonde croire pour l’instant à sa déliques­cence suite à la mort de Meles. Cecis’explique tout d’abord par la visiondéveloppée par le FPLT durant la luttearmée de l’État éthiopien. Malgré unebrève revendication d’accès à l’Indé­pendance du Tigraï par le FPLT avec lapublication du Manifeste du mouvementen 1976, le mouvement rebelle a rapi­dement ambitionné de contrôler l’Étatplutôt que de s’en émanciper 14. Il s’agis­sait ainsi de lutter contre le régime du

« Ethiopia After Meles », Policy Briefing, AfricaBriefing n° 89, 22 août 2012. Ou encore le dossier deLa Lettre de l’Océan Indien ayant pour titre explicite :«L’après­Meles Zenawi, une bombe à retardement»,<www.africaintelligence.fr/LOI/dossier/meles_zenawi_ethiopie_succession>, consulté le 10 sep­tembre 2012.14. Voir A. Behre, A Political History of the TigrayPeople’s Liberation Front…, op. cit.

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därg tout en réaffirmant le Tigraï commele cœur historique de l’État 15. à cette fin,les symboles historiques forts étaientlargement mobilisés, telle que la stèled’Axoum (en référence à l’empire axoumitequi connut son apogée il y a deux millé­naires) que l’on retrouvait alors au centredu symbole du mouvement armé. Néan­moins, il ne s’agissait pas pour le FPLTde mobiliser uniquement des symbolestigréens, mais plutôt de rappeler l’ambi­tion pan­éthiopienne du mouvement,particulièrement après la formation duFDRPE à la fin des années 1980. Le faitde baptiser l’offensive décisive du FDRPEcontre les armées du därg en 1989 «Opé­ration Théodoros » – en référence au« héros national » considéré comme lebâtisseur de l’Éthiopie moderne dansl’historiographie dominante – est à cetitre révélateur des ambitions du FDRPEde contrôler l’État et non de le détruireou d’en sortir 16.

Ces ambitions s’expliquent elles­mêmes par l’interprétation historiquequ’avaient les élites du FPLT de la for­mation de l’État éthiopien en termesd’« oppression nationale », contrastantavec la thèse de la «colonisation interne»défendue notamment par le Front popu­laire de libération érythréen (FPLE) à lamême époque, ce dernier luttant pour

15. M. Tadesse, The Eritrean-Ethiopian War: Retrospectand Prospects, Addis Abeba, Mega Printing Enter­prise, 1999.16. J.­N. Bach, Centre, périphérie, conflits et formationde l’État depuis Ménélik II : les crises «de» et «dans»l’État éthiopien (xixe-xxie siècles), thèse de doctoraten science politique, Sciences Po Bordeaux, octo­bre 2011.

l’Indépendance de l’Érythrée 17. Ceciexplique en partie pourquoi le démem­brement de l’État annoncé au début desannées 1990, suite à la mise en place dela structure fédérale multinationale, n’apas eu lieu 18. L’ancrage du FPLT­FDRPEà Addis Abeba depuis 2001, et la distanceprise vis­à­vis de sa base tigréenne sou­lignée plus haut, n’ont fait qu’accentuercette tendance 19. La survie des élites duFDRPE dépend donc désormais de lasurvie même de l’État éthiopien, si bienqu’elles devraient continuer d’œuvrer àla stabilité de ce dernier.Il paraît par ailleursdifficilede remettre

aujourd’hui en question cet ancrage en

17. Ces thèses sont ancrées dans le mouvementétudiant éthiopien des années 1960­1970. Elles ontété élaborées en réaction à une troisième thèse, cellede la construction nationale, selon laquelle l’expan­sion du royaume de Ménélik II au tournant du xxe

siècle aurait été une « reconquête » des territoiresperdus les siècles précédents, en vue de « recons­truire » une « Grande Éthiopie ». Voir A. Gascon,La Grande Éthiopie, une utopie africaine, Paris, CNRSÉditions, 1995. Voir également M. Gudina, Ethiopia.Competing Ethnic Nationalism and the Quest forDemocracy, 1960-2000, Addis Abeba, ChamberPrinting House, 2003.18. A. Rimbaud, « La négation de l’Éthiopie ? »,Hérodote, n° 65­66, 1992, p. 191­206 ; A. Jembere,«The Making of Constitution in Ethiopia : The Cen­tralization and Decentralization of the Adminis­tration », in H. G. Marcus (dir.), New Trends inEthiopian Studies : 12th International Conference ofEthiopian Studies, Michigan State University 5-10 sep-tembre 1994, vol. 2, Lawrenceville (NJ), Red SeaPress, 1995, p. 66­78.19. Sur les relations entre le FPLT/FDRPE et l’Étatéthiopien, voir S. Vaughan, «Revolutionary Demo­cratic State­Building : Party, State and People in theEPRDF’s Ethiopia», Journal of Eastern African Studies,vol. 5, n° 4, 2011, p. 619­640. Voir égalementM. Tadesse, « Meles Zenawi and the EthiopianState », The Current Analyst, 14 octobre 2012,<www.currentanalyst.com/>.

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raison de la structure de contrôle étroitemise en place par le FPLT­FDRPE. LaConstitution de 1995 et le fédéralismemultinational fondé sur le « Droit desNations, Nationalités et Peuples »d’Éthiopie à l’autodétermination (art. 39)représentait la mise en pratique institu­tionnelle de la thèse de l’« oppressionnationale » héritée de la lutte. Découpéeen neuf région­États et deux villes àstatut spécial (Addis Abeba et DiréDaoua), l’Éthiopie fédérale rompait ainsiavec les politiques de centralisation desrégimes précédents. Mais la pratique dupouvoir est demeurée très centralisée 20.Le FDRPE contrôle l’administration grâceà un système de partis affiliés, grâce àune administration parallèle et obéissantau FDRPE, ou encore grâce à la formationdes élites administratives (notammentau sein de l’Ethiopian Civil Service Col­lege). La domination du FDRPE s’exerceainsi via le contrôle de toutes les unitésadministratives jusqu’au plus bas niveaude l’échelle, à savoir les käbälé urbains(« associations de quartiers » en amha­rique) et les associations de paysans à lacampagne21. Les administrations locales,régionales et nationales ont donc été

20. Voir L. Aalen, « Ethnic Federalism and Self­Determination for Nationalities in a Semi­Authoritarian State : The Case of Ethiopia »,International Journal on Minority and Group Rights,vol. 13, 2006, p. 243­2611 et S. Planel, « Du centra­lisme à l’ethno­fédéralisme. La décentralisationconservatrice de l’Éthiopie », Afrique contemporaine,n° 221, 2007, p. 87­105.21. Créés sous le därg dans le cadre de la nationa­lisation des terres, les käbälé assurent des fonctionsadministratives (inscription sur les listes élec­torales, réalisation de la carte d’identité, etc.), maiségalement de contrôle.

conçues dès la mise en place du régimecomme de véritables structures de contrôledu parti dominant – et d’opportunitépour ses membres. Cette organisationqui entendait neutraliser les tensionscentrifuges a été si efficace que le chaosne saurait aujourd’hui venir de ces der­nières, souvent pointées du doigt poursouligner la fragilité du pays. Car lapolitique radicale et violente menée parMeles Zenawi à l’égard des groupesreprésentant des menaces potentielles aété d’une efficacité avérée, les fronts delibération Somali ou Oromo étant aujour­d’hui considérablement affaiblis dansun pays dont l’armée reste l’une desplus efficaces et les mieux équipées ducontinent 22.

Les doutes demeurent néanmoinsquant à la stabilité de la nouvelle équipedirigeante avec l’arrivée du nouveauPremier ministre, Hailémariam Dessalegn(HMD), qui dispose d’un crédit indénia­blement plus faible que l’ancien Premierministre. Preuve de ce défaut de légiti­mité au sein de la classe politique aupouvoir : la faible participation desreprésentants de la Chambre basse auvote d’investiture du nouveau Premierministre en septembre 2012 (375 présentssur les 545 élus FDRPE et affiliés). HMDn’est­il pas après tout un « marginal »issu du Sud (région du Wälayta), unhomme politique sans passé d’ancien

22. Il y a aujourd’hui très peu de travaux sur l’arméeéthiopienne post­1991. Voir P. Ferras, Les forces dedéfense nationale éthiopiennes : un instrument de puis-sance régionale au service du pouvoir civil fédéral, thèsede doctorat de géographie mention géopolitique,Université Paris­8 Vincennes­Saint­Denis, 2011.

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guérillero et, de surcroît, de confessionprotestante ? Nombreux sont ainsi ceuxqui le considèrent comme un simplepion du FDRPE, voire du FPLT.

Cependant, le nouveau Premierministre ne débute pas sur la scènepolitique éthiopienne. Après avoir pré­sidé la région fédérée du Sud (SouthernNations, Nationalities and Peoples’Regional State) entre 2001 et 2006, HMDa remplacé le fidèle bras droit et compa­gnon de la lutte armée de Meles, SeyoumMesfin, en prenant la tête du ministèredes Affaires étrangères en 2010 23. Et jus­qu’à son élection à la présidence duFDRPE et comme chef du gouvernementen septembre dernier, il cumulait cettefonction centrale avec celle de vice­Premier ministre. HMD a ainsi profitédu renouvellement des élites voulu parMeles Zenawi après les élections de 2010.Une ascension qui n’est guère étonnantesi l’on se souvient du déroulement de lacampagne. Lors des débats télévisés,HMD était sur le devant de la scène pourdéfendre non seulement le bilan du

23. Après la victoire écrasante du FDRPE aux élec­tions générales de 2010, d’anciens cadres du Frontont cédé leur fonction à des cadres plus jeunes.Cette évolution s’est notamment ressentie au seindu Parlement où des membres éminents de la coa­lition tels que Bereket Simon ou Addissu Legesse,tous deux du MNDA, n’ont pas renouvelé leurcandidature. Notons tout de même que ce renou­vellement des élites politiques demeure relatif :ces «anciens» ont depuis conservé des postes clés :Addissu Legesse préside le conseil d’administrationde la compagnie Ethiopian Airlines (remplaçantSeyoum Mesfin), alors que Bereket Simon a conservésa place à la tête du Government CommunicationAffairs Office. Seyoum Mesfin occupe quant àlui le poste d’ambassadeur d’Éthiopie en Chinedepuis 2010.

FDRPE depuis 1991, mais de façon plusnotable son idéologie « démocratiquerévolutionnaire» 24. HMD a réitéré à plu­sieurs reprises son admiration envers lefédéralisme multinational et l’Abyotawidimokrassi («démocratie révolutionnaire»).Le fait qu’HMD ait présidé l’un des organesde propagande les plus actifs affilié augouvernement (Walta Information andPublic Relations Center) est révélateurde sa position au cœur du régime. Ainsi,les formes d’exercice du pouvoir et sonidéologie ne devraient pas être remisesen cause par le nouveau dirigeant.

Cette continuité se retrouve plusconcrètement dans la mise en applicationdes réformes lancées par l’ancien Premierministre ces dernières années. Les décla­rations d’HMD quant à la poursuite desplans économiques initiés par MelesZenawi se sont en effet multipliées cesderniers mois. Afin d’atteindre les ambi­tieux objectifs fixés par le plan quin­quennal du GTP, les autorités éthiopiennespoursuivent la politique de contrôle destravailleurs enclenchée sous Meles. Lespaysans sont ainsi soumis depuis quelquesmois à l’organisation amist lä and («cinqpour un») consistant à organiser les tra­vailleurs des zones rurales par groupesde cinq, parmi lesquels l’un rend descomptes sur l’assiduité et la qualité dutravail des autres. Ce «délégué» réfère àun groupe de vingt, lequel rend compteau käbälé, puis aux échelons administratifssupérieurs (wäräda, zone, région, Étatfédéral). Cette logique organisationnelle

24. «“Six­Party Debate”, Democracy, Elections, and«“Six­Party Debate”, Democracy, Elections, andMultiparty System in Ethiopia », Ethiopia Television,Round One, 12 février 2010.

conjoncture150

devrait par la suite s’élargir aux zonesurbaines 25. Loin de représenter unerupture, l’après Meles Zenawi doit doncêtre perçu, pour l’instant du moins,comme l’application d’une profonde etambitieuse reconfiguration économique,administrative et politique à l’échelle dupays définie sous le règne de MelesZenawi et dont les implications dépassentlargement les frontières de l’État.

Un engagement régional ambitieuxmais risqué

La politique régionale du projetpolitico­économique éthiopien connaîtpour l’instant la même continuité.D’abord parce qu’elle dérive des objectifsinternes déjà évoqués. En prenant contactavec les délégations étrangères au len­demain de son investiture, HMD sevoulait ainsi rassurant quant à cettecontinuité. Surtout, le principe selonlequel la coopération et l’interdépendanceéconomiques à l’échelle régionaleassureraient la paix et la stabilité du paysdemeure à la base de cette stratégie.

L’engagement militaire n’est en cesens qu’un outil au service d’un projetéconomique impliquant un engagementrégional fort, comme le préconisait

25. La capitale, Addis Abeba, a quant à elle déjàconnu une réorganisation de son administrationenclenchée sous Meles Zenawi. Avant la mort deMeles, les 209 käbälé de la capitale ont été redéfinisen 116 wäräda. L’objectif affiché de ces réajustementsen cours de l’organisation administrative est liéà l’efficience recherchée en matière économique.Il s’agit de gérer au mieux le développement desmicro­ et petites entreprises ayant vocation às’agrandir par la suite.

clairement l’ancien chef d’état­major(1991­2001), le général Tsadkan GäbräTensaé, lors d’une conférence donnée àAddis Abeba en 2009 26. L’armée éthio­pienne agit clairement en ce sens :engagées en Somalie sans mandatinternational 27, dans l’Abyei au Soudan/Soudan du Sud sous mandat onusien 28,au Darfour sous mandat hybride (Mis­sion des Nations unies et de l’Unionafricaine au Darfour) ou encore sur lafrontière érythréenne, les troupes éthio­piennes ont pour mission de lutter contretoute éventuelle escalade d’un conflitqui embraserait la région.

Cette stabilité doit notamment per­mettre la mise en valeur des eaux desprincipaux fleuves du pays par laconstruction de grands barrages hydro­électriques29. Le projet le plus titanesque,

26. T. G. Tensaé, «National Defense and EconomicDevelopment in Ethiopia », Economic Focus, Bulletinof the Ethiopian Economic Association (EEA), vol. 11,n° 2, janvier 2009, p. 19­40.27. Hailémariam Dessalegn a récemment confirméle maintien des troupes éthiopiennes en Somaliepour une durée indéterminée. Voir S. Bekele,« Ethiopian Forces Will Stay in Somalia », Capital,4 décembre 2012, <www.capitalethiopia.com/index.php?option=com_content&view=article&id=2059:ethiopian­forces­will­stay­in­somalia&catid=35:capital&Itemid=27>.28. Suite aux accords de démilitarisation de larégion disputée de l’Abyei signé par Khartoum etJubba le 10 juin 2011 à Addis Abeba, l’Éthiopie adéployé une force de plus de quatre mille hommesmandatée par l’ONU (Résolution 1990 du Conseilde Sécurité) dans la zone. La force est exclusivementcomposée de soldats éthiopiens.29. Considérés comme de véritables poumons éco­nomiques en devenir, ces barrages ont jusqu’àprésent été construits sur des fleuves dont la dimi­nution du débit n’avait de répercussions majeuresque sur l’écosystème proche, dans les périphérieséthiopiennes : Gilgel Gibe I, sur la rivière Omo,

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«Le roi est mort, vive le roi» : Meles Zenawi règne, mais ne gouverne plus151

qui attire l’attention des observateursdepuis plus d’un an, est le Grand Renais-sance Dam sur les eaux du Nil bleu, à unequarantaine de kilomètres de la frontièresoudanaise. En 2011, le FDRPE et l’agenceéthiopienne de l’électricité (l’Ethiopia’sElectric Power Corporation­EEPCO) y ontdébuté la construction de cet impression­nant barrage dont le coût est estimé àplus de cinq milliards de dollars. Soutenupar la Banque mondiale à hauteur deseulement quarante et un millions dedollars, le gouvernement éthiopien adécidé de lancer une immense campagned’émission d’obligations (EEPCO Mil-lennium Bonds 30) visant à assurer laconstruction « autonome » du barrage.Djibouti a récemment investi dans cesobligations à hauteur d’un million dedollars, devenant ainsi le premier soutienfinancier au projet. Sur les 5250 Méga­watts devant être produits par le GrandRenaissance Dam, cent seraient exportésmensuellement vers le Soudan voisin quideviendrait ainsi ledeuxièmebénéficiairede la production électrique éthiopienne,derrière Djibouti qui se fournit déjàen électricité éthiopienne à hauteur de35 Mégawatts par mois 31. Il semble que

achevé en 2004, a une capacité annuelle de 184Mégawatts (MG); Gilgel Gibe II, sur la même rivière,a été achevé en 2009 et génère 420 MG ; la mêmeannée un autre barrage est inauguré sur le fleuveTekeze au Nord, pour une capacité de 310 MG ;le barrage Gilgel Gibe III, encore en constructionsur la rivière Omo, devrait fournir 1 870 MGd’ici 2013.30. Voir notamment le site de Grand MillenniumDam, http://grandmillenniumdam.net/category/buy­the­dam­bond/.31. Voir « Sudan, Egypt and Ethiopia to Meet forVoir « Sudan, Egypt and Ethiopia to Meet forTalks over Blue Nile Dam», Sudan Tribune, 26 février

10 % du projet auraient déjà été réalisésfin mai 2012 32.

L’ancrage régional de ces projets éco­nomiques initiés par Meles Zenawi rendimpossible tout retour en arrière, d’autantque l’ancien Premier ministre avait faitde la construction du Grand RenaissanceDam une véritable question nationale enfinançant le projet sur des fonds exclusi­vement éthiopiens. Les fonctionnaireséthiopiens sont ainsi appelés à fairepreuve de leur soutien à la patrie enconsacrant, chaque année, l’équivalentd’un mois de leur salaire à la réalisationdu barrage (en sus des impôts déjàexistants).

De même, les projets d’infrastructuresroutières et ferroviaires ou encore lesprojets d’oléoducs entre Jubba, AddisAbeba et Djibouti ou entre Jubba, AddisAbeba et Lamu dans le nord du Kenyaconfirment l’ancrage régional des ambi­tions nationales éthiopiennes 33. Il s’agit

2012, <www.sudantribune.com/Sudan­Egypt­and­Ethiopia­to­meet,41733>. Les exportations vers leSoudan auraient débuté en décembre 2012, voir«Ethiopia Begins Electricity Export to NeighboringSudan», Walta Information Center, 17 décembre 2012,<www.waltainfo.com/index.php?option=com_content&view=article&id=6687:ethiopia­begins­electri­city­export­to­neighboring­sudan­&catid=52: natio­nal­news&Itemid=291>.32. Voir <http://edition.cnn.com/2012/05/31/busi­ness/ethiopia­grand­renaissance­dam/index.html>.33. L’initiative Lamu port to South Sudan andEthiopia (Lapsset), d’un montant de 23 milliards dedollars, vise à connecter Jubba au port de Lamu surla côte kényane, en passant par le Sud de l’Éthiopie(par la ville kényane frontalière de Moyale). Inau­guré en mars 2012, le projet prévoit le dévelop­pement du port de Lamu, l’installation d’une raffi­nerie pétrolière, un pipeline reliant le Soudan duSud à Lamu ainsi qu’un réseau routier (1 700 km)et ferroviaire (1600 km) connectant les trois pays.

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donc pour le gouvernement éthiopien,en cette période de flou politique interne,de ne pas révéler ses faiblesses à l’ex­térieur. Le gouvernement d’HDM resteainsi très actif dans la médiation entreKhartoum et Jubba, et très ferme sur sespositions vis­à­vis d’Asmara – on doitplutôt s’attendre à une démonstration deforce en cas de montée des tensions surla frontière érythréenne.

Mais une telle stratégie n’est pas sansdanger. Si l’Éthiopie s’avérait ne pasavoir les moyens de ses ambitions, lacharge symbolique, voire nationalisteinsufflée par les grandes réformes pour­rait se retourner contre ses dirigeantsd’autant plus violemment que ceux­cine bénéficient plus du charisme deMeles Zenawi. L’engagement militaireimportant (et donc coûteux) dans unerégion qui demeure très instable seraitdifficilement soutenable en cas de criseéconomique grave. Par ailleurs, le déve­loppement économique fortement enca­dré par l’État pourrait limiter à termeles flux de capitaux depuis l’étranger etremettre ainsi les ambitions du FDRPEen question. C’est l’un des paradoxesessentiels de l’État développementaléthiopien : l’héritage de la démocratierévolutionnaire appelant à un enca­drement strict du marché par le partidominant risque de ne pas s’accommoderd’un projet économique fondé aussiexplicitement sur le développement dusecteur privé et sur l’insertion dans l’éco­nomie de marché internationale 34.

Le Kenya devrait profiter de 400 Mégawatts annuelsd’électricité produite en Éthiopie.34. Selon l’expression même des élites du FDRPE,

Malgré ces risques intrinsèques auxprojets de développement, aucunevéritable alternative n’a encore puémerger, ni au sein du FDRPE ni au seindes oppositions. Autrement dit, le défipour Hailémariam Dessalegn semblese limiter à la réalisation des ambitionsde l’ancien Premier ministre. C’est aussicela, l’héritage de Meles. Une tâched’autant plus lourde pour un Premierministre qui devra également veiller à lapréparation de la prochaine échéanceélectorale de 2015.

L’horizon 2015: une élection

trop loin?

Il est encore trop tôt pour se prononcersur les personnalités les plus influentesdu régime. La succession ainsi que lesreconfigurations du pouvoir demeurentopaques, comme il est de coutume dansce pays cultivant le secret politiquejusque dans l’hospitalisation de son chefd’État dans les mois précédant sa mort.On peut néanmoins voir dans la stabilité(apparente) du régime un compromisdes élites au pouvoir dans la perspectivedes élections de 2015.

Les proches de Meles Zenawi autourdu nouveau Premier ministre

La nomination d’un Premier ministrenon tigréen a remis en cause les ambi­tions d’une partie des élites tigréennesd’accéder à la fonction suprême de l’État.

cette insertion dans l’économie de marché seraitdevenue « une question de vie ou de mort ».J.­N. Bach, «Abyotawi Democracy… », op. cit.

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En clôturant temporairement la luttepour l’accès à ce poste clé, cette successionpourrait par ailleurs ouvrir un chapitreinédit de la vie politique et institution­nelle de la République fédérale, à savoirle passage d’un pouvoir concentré entreles mains d’une personne (Meles) à unepratique collégiale du pouvoir.

En approuvant le 29 novembre dernierla nomination de deux vice­Premierministres supplémentaires aux côtésde Demeke Mekonnen, après la nomi­nation de ce dernier comme vice­Premierministre d’HMD en septembre 35, leParlement a confirmé cette tendance.Parmi les promus, l’ancien ministre desCommunications et des Technologies del’Information, Debretsion Gebremichael,conserve ses fonctions de ministre desCommunications qu’il cumule désormaisavec celles de vice­Premier ministre.Debretsion, numéro deux du FPLT etpersonnalité montante du Front tigréen36

est par ailleurs chargé de coordonner le

35. Demeke Mekonnen (MNDA) a assumé les fonc­tions de vice­président du Front aux côtés d’HMDdepuis le 15 septembre 2012, en plus de son titre deministre de l’Éducation, avant d’être nommé vice­Premier ministre d’Hailémariam Dessalegn le21 septembre. Chacun des trois vice­Premierministres est en charge d’un « pôle » (pôle social ;bonne gouvernance; économie et des finances). VoirT.­A. Tekle, « Ethiopian Prime Minister Reshufflespost­Zenawi Cabinet », Sudan Tribune, 29 novem­bre 2012, <www.sudantribune.com/spip.php?article44685>, Y. Tadele, «Aboard the Driving Seat», AddisFortune, 2 décembre 2012, <http://addisfortune.net/articles/aboard­the­driving­seat­2/>, KirubelTadesse, «A Refreshed Cabinet !», Capital, 4 décem­bre 2012, <www.capitalethiopia.com/index.php?option=com_content&view=article&id=2061:a­re­freshed­cabinet&catid=35:capital&Itemid=27>.36. Voir R. Lefort, « Ethiopia : Meles Rules FromBeyond the Grave…», art. cit.

secteur clé de l’économie et des finances.Le second promu, Muktar Kedir, étaitégalement un proche de Meles dont il futconseiller et directeur de cabinet depuis2010 jusqu’à son décès. Cette figuremontante de l’Organisation PopulaireDémocratique Oromo (OPDO) et membredu comité exécutif du FDRPE, a ainsiégalement été nommé le 29 novembre2012 vice­Premier ministre, fonctionqu’il cumule avec le poste de ministrede la Fonction publique. En permettantà ces deux personnalités proches deMeles Zenawi de gouverner aux côtés deDemeke Mekonnen, le Parlement a enté­riné une situation inédite dans laquellel’exécutif gouvernemental représentedésormais officiellement les quatregroupes de la coalition au pouvoir(FDPES, OPDO, MNDA et FPLT). Cettenouvelle organisation a officiellementpour objectif d’améliorer la mise enœuvre du GTP 37 mais il pourrait s’agird’une nouvelle façon d’exercer le pouvoirde façon collective au sein du FDRPE 38,confirmant les annonces répétéesd’HMD qui n’a cessé de plaider en faveur

37. Voir l’interview d’Hailémariam Dessalegn parl’Agence éthiopienne de Radio et de télévision,«Prime Minister Hailemariam on the Government’sMajor Activities», 4 décembre 2012, <www.mfa.gov.et/news/more.php?newsid=1456>.38. Voir William Davidson, « Ethiopian Prime. Voir William Davidson, « Ethiopian PrimeMinister Changes Cabinet to Give Ethnic Balance»,Businessweek, 29 novembre 2012, <http://danielber­hane.com/2012/12/07/ethiopian­pm­changes­cabinet­to­give­ethnic­balance/> et « Ethiopian PrimeMinister Fires Govt’s Minister whose Wife FacesTerror Charges », The Washington Post, 29 novem­bre 2012, <www.washingtonpost.com/world/africa/ethiopian­prime­minister­fires­govt­minister­whose­wife­faces­terror­charges/2012/11/29/0eecf78e­3a15­11e2­9258­ac7c78d5c680_story.html>.

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d’une pratique collégiale du pouvoirdepuis la mort de Meles.

Mais la continuité du personnel poli­tique proche de Meles et entourantdésormais HMD est frappante. Unentourage composé à la fois d’anciensmembres non tigréens tels que BereketSimon 39 et Addissu Legesse (tout deuxMNDA) et, de façon notable, de jeunescadres de la coalition – auxquels appar­tient Hailémariam Dessalegn – dont laprogression politique durant la dernièredécennie s’est confirmée au lendemaindes élections de 2010.

Surtout, la nomination d’HMD, unPremier ministre qui n’est pas issu duFPLT, ne signifie pas la marginalisationdu groupe tigréen à la tête du régime.Il s’agit plutôt pour les élites tigréennesde garantir au mieux leurs intérêts danscette nouvelle donne. En effet, parmi lespersonnalités qui demeurent influentesau sein du régime, on trouve notammentAzeb Mesfin. Veuve de Meles Zenawi,elle a connu une ascension politique etéconomique fulgurante ces dernièresannées, en prenant notamment la têtede l’Endowment Fund for Rehabilitationof Tigray (Effort) 40. Parmi les proches de

39. On constate ici un maintien notable deBereket Simon, personnalité proche de Meles Zenawiet à la tête de l’Information, au sein du ministèrerebaptisé Office for Government CommunicationAffairs depuis quelques années. On peut imaginerque certaines publications critiques à l’égardd’HMD dans la presse éthiopienne des dernièressemaines ont été « autorisées » officieusement parce ministre qui conserve la main sur une grandepartie de la presse du pays.40. La logique d’imbrication des capitaux économi­ques et politiques chez les élites n’est pas nouvelle.Depuis l’arrivée au pouvoir du FPLT­FDRPE au

Meles ayant conservé leur poste straté­gique, notons également le maintien duchef d’état­major Samora Yénus, ouencore de Getachew Assefa et WorkinehGebeyehu, respectivement à la tête desservices de renseignement/sécurité etde la police fédérale 41. à leurs côtés,on trouve depuis le remaniement du29 novembre l’ancien ministre de laSanté et proche de Meles Zenawi,Tewodros Adhanom, à la tête duministère des Affaires étrangères 42. Ceposte clé est ainsi confié à un éminent

début des années 1990, celui­ci contrôle les grandssecteurs de l’économie via cette structure politico­économique, les hauts responsables politiques sié­geant parfois à la tête des conseils d’administrationdes plus grandes entreprises du pays. DemekeMekonnen dirige la compagnie nationale d’élec­tricité, l’Ethiopia’s Electric Power Corporation(EEPCO), chargée notamment de la réalisation duGrand Renaissance Dam. Sur Effort et les ramifica­tions politico­économiques des dirigeants, voirP. Milkias, « Ethiopia, the TPLF, and the Roots ofthe 2001 Political Tremor», Northeast African Studies,vol. 10, n° 2, 2003, p. 13­66. Voir égalementS. Vaughan et M. Gebremichael, « RethinkingBusiness and Politics in Ethiopia. The Role of Effort,the Endowment Fund for the Rehabilitation ofTigray», Africa Power and Politics, Research Report,n° 2, août 2011.41. Voir « Les quatre clans du TPLF », AfricaIntelligence/La lettre de l’océan Indien, n° 1342, 20 octo­bre 2012, <http://africaintelligence.fr/article/print_article.aspx?DOC_I_I>. Pour une présentation plusdétaillée des différents « clans » au sein du FPLT­FDRPE, voir R. Lefort, « Ethiopia After Meles… »,art. cit. Et du même auteur, « Ethiopia : MelesRules From Beyond the Grave, but For How Long?»,Open Democracy, 26 novembre 2012, <www.opendemocracy.net/opensecurity/ren%C3%A9­lefort/ethiopia­meles­rules­from­beyond­grave­but­for­how­long>.42. Berhane Gebrekristos, ministre d’État, assumaitces fonctions depuis la mort de Meles Zenawi enremplacement d’Hailémariam Dessalegn.

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membre du Comité exécutif du FDREmais aussi du Politburo du FPLT.

Il est donc possible de douter du degréde marge de manœuvre du nouveauPremier ministre lorsque l’on observel’influence du FPLT au sein de cette« nouvelle donne ». Hormis le maintiende quelques personnalités influentes nontigréennes et ambitionnant également dese maintenir au cœur du pouvoir (commeBereket Simon, Addissu Legesse ouencore Muktar Kedir), HailémariamDessalegn se trouve « encadré » ausommet par deux membres éminents duFPLT, à savoir Debretsion Gebremikaelet Tewodros Adhanom. Cette continuitéincite également à prendre toutes lesprécautions nécessaires lorsqu’il s’agitde lire la transition en termes «ethniques».Les ramifications politico­économiques,bien plus que les origines régionalessouvent surestimées, continueront àdéterminer les luttes qui se jouent ausein du FDRPE. Ces développementsconfirment l’évolution des relations entrele FPLT et les autres groupes du FDRPEdepuis 2001 : le FPLT, même s’il restedominant, n’a d’autre choix que de rené­gocier le pouvoir à Addis Abeba et nonplus au Tigraï. Une analyse en termes degroupes ethniques doit désormais clai­rement laisser la place à une approcheen termes de système de partis dont leFDRPE, et non plus uniquement le FPLT,serait le moteur.

Mais si la continuité du personnelpolitique explique en partie la stabilitéactuelle du régime, elle ne permet pasde résoudre les facteurs de tension ausein même du régime. Ce compromis en

lui­même pourrait d’ailleurs être sourcede discorde. En effet, le remaniementrécent ne s’est pas accompagné d’uneredéfinition constitutionnelle des rela­tions entre le Premier ministre et son/ses vice­Premier ministre(s), suite àla nomination de Muktar Kedir et deDebretsion Gebremikael. Des tensionssont donc à craindre au sein du gou­vernement et du FDRPE autour depersonnalités ambitieuses à la foispolitiquement et économiquement.Tensions provisoirement apaisées parles imbrications des règles du jeu poli­tiques et économiques, dont la remiseen cause ferait des perdants dans tousles camps.

Le processus de succession étantloin d’être bouclé, on peut égalementimaginer qu’HMD ambitionnerait dedévelopper son influence au sein de lacoalition gouvernementale afin de semaintenir au pouvoir, même si sa margede manœuvre paraît aujourd’hui trèslimitée. Surtout, dans la perspective desélections de 2015, comment imaginerqu’une personnalité située au cœur dupouvoir depuis 2010 et du systèmeFDRPE depuis plus de dix ans abandonnesi facilement le pouvoir ? Il n’y a pourl’instant pas de réponse claire à cettequestion. Les trois années à venir, enparticulier les mois de campagne pré­électorale, rendront sans aucun douteplus visibles ces rapports de forces et lesambitions d’HMD.

L’enjeu de la succession se situe doncdans la redéfinition des rapports deforces institutionnels et partisans remisen cause par la mort de Meles Zenawi.

conjoncture156

Une succession qui, si elle tardait à sestabiliser, risquerait de fragiliser le projetpolitico­économique lancé par MelesZenawi et faire de cette période charnièreune fenêtre d’opportunité pour desopposants jusque là tenus à distance parcelui­ci.

Pas d’appel d’air pour les opposants

Dans la perspective des électionsde 2010 et dans une logique de contrôlede la société éthiopienne en vue de l’ap­plication du GTP, Meles avait consacréles dernières années de son règne à fairedu FDRPE une machine politique redou­table. La forte mobilisation partisane duFDRPE, couplée aux reconfigurationséconomiques et administratives en cours,rendent la tâche très délicate aux oppo­sants, d’autant que la succession n’a pourl’instant donné aucun signe d’ouvertureattendus par ceux­ci.

La coalition d’opposition la plusimportante est représentée aujourd’huipar le Forum for Democratic Dialogue inEthiopia, plus connu sous son diminutifMedrek (« forum », en amharique) 43.Formé à la veille des élections généralesde 2010, Medrek remet moins en questionl’organisation fédérale du régime quela logique multinationale qui la sous­tend. Le projet du Forum souligne eneffet les risques de désintégration du

43. Formé en 2008,Formé en 2008, Medrek est aujourd’hui composéde six partis : Ethiopian Social Democratic Party,Oromo People’s Congress, Oromo Federal Demo­cratic Mouvement, Southern Ethiopia People’sDemocratic Union, Unity for Democracy and Justice,et Arena Tigraï for Justice and Democracy.

pays dans le système fédéral actuel.Le programme défend une idéologielibérale contrariant la démocratie révo­lutionnaire du FDRPE par le respect desdroits des individus, la propriété privéeou encore la libre concurrence du marché.Depuis la mise en place du régime, leForum est la première coalition forméedans la perspective d’une élection géné­rale qui soit parvenue à se maintenir aulendemain d’une échéance électorale(aujourd’hui c’est le seul groupe d’oppo­sition à siéger à la Chambre basse àtravers son unique représentant GirmaSaifu).

Néanmoins, la mort de Meles Zenawin’implique pas un renouvellement de lastratégie de la coalition. La redéfinitiondu programme politique défendu en2010 n’est d’ailleurs pas envisagée, ce faitrévélant la perception des opposantsselon laquelle «rien ne devrait changer»avec la mort de Meles et la nominationd’Hailemariam Dessalegn 44. Le contrôlemené par le FDRPE se reflète ainsi dansl’inertie de Medrek en particulier et desoppositions éthiopiennes en général.Celles­ci ne perçoivent généralement lamort de Meles Zenawi ni comme unappel d’air, ni comme une nouvelleopportunité de pénétrer la scène poli­tique. Elles espèrent tout au mieux uneouverture de la part d’HMD dont lesdéclarations initiales pouvaient êtrelues en ce sens. Mais un véritable gestereste peu envisageable, le nouveau Pre­mier ministre ayant à plusieurs reprises

44. Entretien avec Tilahun Endeshaw, président deMedrek, Addis Abeba, novembre 2012.

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loué l’« Abyotawi dimokrassi » éthio­pienne et la ligne politique de Meles dontil était le «poulain». Medrek demeure parconséquent dans une position inchangée,favorable au dialogue avec les autoritésdu FDRPE dans la perspective des pro­chaines élections et en vue notammentde la signature d’un code de conduitefavorisant la tenue de débats publics etla diffusion de leur programme dans lapresse nationale.Notons enfin que ces opposants pour­

raient se trouver affaiblis par l’émergence(encore balbutiante) de nouvelles for­mations politiques plus jeunes, ayantquitté les partis d’opposition en accusantleurs leaders de monopoliser les respon­sabilités les plus élevées des partis d’op­position. Mais il est encore trop tôt pourvoir de quelle façon ces nouveaux groupessont structurés ou s’il s’agit de nouvellesformes d’opposants «affiliés» au FDRPElui­même.

Plusieurs facteurs expliquent lastabilité du régime depuis la disparitionde Meles Zenawi: l’État développementalconstruit par celui­ci, que les élites nepourraient déconstruire sans risquer descier la branche sur laquelle ils sont eux­mêmes assis ; l’engagement régional enfaveur de la stabilité nécessaire à laréalisation des grands projets engagésdans le cadre du Growth and TransformationPlan ; ou encore le maintien au pouvoirdes élites dominantes, et plus particuliè­rement des proches de Meles Zenawi,unis dans la perspective des électionsde 2015.

Chacun de ces facteurs concentre néan­moins un fort potentiel déstabilisateurà terme. Si les promesses de développe­ment économique à l’horizon 2015 etleurs retombées ne se faisaient pas res­sentir, le gouvernement perdrait alorsl’un des piliers sur lesquels il a construitsa légitimité. Alors qu’une croissance deplus de 20 % est annoncée pour 2015, lechômage croît, notamment chez lesjeunes, et l’inflation avait atteint officiel­lement 19 % en octobre 2012 45. Quantaux fonctionnaires, on peut se demanders’ils auront la capacité (et la volonté) desupporter l’effort qui leur est demandépour la réalisation des projets « natio­naux». Un tel échec pourrait remettre encause les engagements du pays dans unerégion qui demeure très instable et quiconcentre pas moins de trois foyers detensions à ses frontières (Soudan duSud, Somalie, Érythrée). Quant auFDRPE et ses élites dirigeantes, on peutcraindre une explosion des tensions envue d’un nouveau partage du pouvoiret des retombées économiques à l’issuedes élections générales de 2015.

Pour le moment, le fantôme deMeles Zenawi continue de planer sur lavie politique éthiopienne. Omniprésents,davantage que de son vivant, ses por­traits grandeur nature flottent dans lesmanifestations officielles et trônent àchaque coin de rue de la capitale. C’est

45. « Inflation Declines to 19 Percent : PMHailemariam », Walta Information Center, 16 octo­bre 2012, <www.waltainfo.com/index.php?option=com_content&view=article&id=5729:inflation­declines­to­19­percent­pm­hailemariam&catid=52:national­news&Itemid=291>.

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cette continuité qui représente la véri­table originalité de cette succession à latête de l’État éthiopien : le régime n’estpas remis en question et la succession alieu pacifiquement. La vie politiqueéthiopienne continue donc de se déroulerau rythme de Meles. Mais si les nouveauxdirigeants du FPLT­FDRPE pourront s’eninspirer, l’admirer ou utiliser son image,ils risquent d’éprouver certaines dif­ficultés à « tuer» leur père.

Jean­Nicolas Bach

Les Afriques dans le Monde

Institut d’études politiques de Bordeaux

Abstract«The King is dead, long live the King»:Meles Zenawi does not govern anymorebut still reignsThe Ethiopian Prime Minister Meles Zenawi

died in August 2012 leaving the EPRDF, thedominant party controlling the State since1991, without its historical leader. Thenomination as Prime Minister of HailemariamDessalegn, Meles’ favourite, by EPRDF’s elitesconfirms Zenawi’s strong legacy. Nevertheless,this nomination hardly hides deep internalpolitical tensions. The survival of the politicalelite running the country will be determinedby their capacity to implement the programmeand the promises formulated by MelesZenawi in the years preceding his death.