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Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Jihad Academy - Nicolas Henin

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  • Introduction

    Les collines de Raqqa, ses gorges dessches etcaillouteuses de la valle de lEuphrate, la Jzira, sontdevenues clbres un matin maudit daot 2014. Un filmsur Internet. Un fondu au noir qui rvle un otage encombinaison orange, un bourreau qui nargue et pointeson couteau. Un court sermon, ultime provocation, puisun dernier message de la victime sa famille. Et unmeurtre, un de plus, sous le soleil de Syrie.

    La mise en scne macabre de lexcution de JamesFoley a russi au-del des esprances de sesarchitectes. Elle a choqu lOccident. Les grandesvacances taient termines. Obama tenait une runionde crise. Cameron interrompait ses congs. Trois ansdattente, dinaction, de tergiversations et, soudain, laviolence sinvite sur nos crans, nous pousse ragir.Ltat islamique simpose notre agenda.

    Et pourtant, cet tat islamique, on lavait vu venirdepuis son divorce plus ou moins amiable davec leJabhat al-Nosra, franchise officielle dal-Qaeda en Syrie.Une progression implacable sur fond de dchanementde violence, de dchirement de lopposition,daccumulation de dsesprances, de frustrations. Onavait cru percevoir au printemps une pause dans saprogression, alors que les groupes arms en Syriestaient engags dans des luttes fratricides, mais lepourrissement de la situation en Irak lui avait donn unnouveau souffle. Ltat islamique prenait Mossoul

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  • presque sans coup frir, puis instaurait un califat.Restaurait plutt, puisque ce dernier a exist sansdiscontinuer dans lhistoire de lislam jusquen 1924.

    Dun coup, avec ce meurtre commis dans le dsertsyrien, cest comme si nous prenions conscience dudfi pos la fois par la Syrie, lIrak, et ce groupe qui sefait appeler tat islamique . Des morts, il y en avait djeu par milliers, par centaines de milliers. Mais celui-cinous interpellait violemment. Il nous concernait. Centaient plus des Syriens qui sentretuaient. Plus desArabes. Ctaient des ntres, des Occidentaux.Ctaient, en pleine guerre civile syrienne, un Amricainvenu du New Hampshire, froidement assassin par unBritannique originaire de lest londonien.

    Depuis trois ans, si lon ne tient compte que de lacrise syrienne, les dgts sont considrables. Un demi-million de blesss graves. Deux cent mille disparus, descombattants ou des civils dtenus, soumis la torture,qui sans doute ne rentreront jamais chez eux. Un tiersau moins des habitations du pays a t endommag.Prs de la moiti des Syriens ont d quitter leurdomicile. Rfugis ou dplacs, ils sentassent dansdes camps prcaires. Mais, plus grave encore, lesdgts dans les esprits seront difficiles rparer.Comment imaginer recoller ensemble les diffrentescomposantes de la socit syrienne aprs un teldferlement de haine et dexactions ?

    La socit irakienne, quant elle, nen peut plusdtre ballotte. En trente-cinq ans, elle a connu uneguerre terrible contre lIran, une interventioninternationale destructrice, suivie dun embargo criminel,puis une nouvelle invasion et les affres dune occupation

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  • mal termine. Car, comme cest la rgle, lorsquelenvahisseur fait ses valises, il laisse derrire lui ensouffrance les questions les plus brlantes.

    En 2011, le dpart des dernires troupes amricainesa paradoxalement ouvert une nouvelle priodedinstabilit, sous la frule du trs autoritaire et sectairePremier ministre Nouri al-Maliki. Au point que, dans delarges pans dIrak, loccupation amricaine a tremplace par une occupation beaucoup plus sournoise lauto-occupation. Loccupation dun pays par sespropres forces de scurit. Curieux spectacle que cessoldats irakiens tenant des barrages sur les routes etdans les rues dIrak en toisant de haut la population,singeant lattitude des soldats amricains auxquels ilsont succd.

    Discrimination, marginalisation, communautarisme.Voil le cocktail qui a permis la flambe de ltatislamique. En Occident, il devient une opportunit pourdes jeunes en crise didentit, qui cherchent un moyendexprimer leur rvolte due aux injustices et auxcontradictions du monde. Dans la rgion Syrie-Irak, il sedveloppe parmi des populations soumises laviolence, prives despoir. La dfaillance de ces tats aainsi ouvert la voie ce groupe en lui laissant un espaceo prosprer.

    En cela, les dfis que pose cette crise sont originaux.Ils nous contraignent une rponse globale. Uneraction qui ne serait base que sur un travail de police,de justice, de renseignement, est voue lchec. Demme quune opration militaire, quels que soient lesmoyens que lon puisse engager, sachant quelintervention de troupes au sol, hormis le travail discret

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  • de forces spciales, est exclue puisque personne nenveut. Quand la frustration dun jeune de nos banlieuesrencontre la rage dun habitant de la valle de lEuphrateperscut par les forces de scurit de son propre pays,on comprend bien que cela impose tous les acteurspublics duvrer ensemble. La diplomatie doit fairepression pour obtenir une transition politique dans lescapitales concernes. Lhumanitaire doit agir, car quelmeilleur terreau pour lextrmisme que le dsespoir depopulations entires ?

    Certes, la tche sera ardue. Car des puissancescontradictoires se penchent sur la crise en Syrie et enIrak, dans lespoir de renforcer leurs positions. Laxedessin par Moscou et Thran a le sentiment dy jouersa survie. Les monarchies du Golfe y voient le moyen decontrecarrer le croissant chiite tout en confortant lespenchants conservateurs du Printemps arabe. LaTurquie, aprs avoir d faire le deuil de son modle dediplomatie de bon voisinage, cherche dsormais touffer les revendications kurdes tout en contenant lapousse djihadiste, sans comprendre que les pays de largion ne regardent pas dun meilleur il sonimprialisme no-ottoman. Et lOccident, enfin, voitcomme souvent la crise surtout du point de vue de lascurit, obnubil en particulier par celle dIsral ; ildemeure emptr dans ses contradictions lorsquil doitvoquer les questions incontournables des droits delhomme et de la protection des civils.

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  • Cette rgion du monde est le berceau de notrecivilisation. Que cest dans les valles irrigues par leTigre et lEuphrate quont t invents lcriture et sespremiers usages : la littrature, le calcul, le droit, lecommerce Cest ici quont t poses les bases de lamdecine, de la philosophie. Ici mme que, devantsassocier pour dompter la nature, les hommes ontappris vivre en socit et ont invent les bases deltat et de ladministration.

    Pendant mes mois de captivit dans les caves de

    ltat islamique, jai plusieurs fois revisit mentalementle muse berlinois de Pergame. Les yeux ferms, je meremmorais la porte dIshtar, les fragments de lpopede Gilgamesh, les tablettes et petits rouleaux quiservaient de support aux traces dcriture les plusanciennes que nous ayons conserves. Et cettesplendide chambre dAlep ! Je me souvenais aussi dema visite, deux ans plus tt, de la ziggourat dUr, dans leSud irakien, ou de mon reportage dans la maisondAbraham, maladroitement reconstruite par SaddamHussein. Jtais constamment habit par ces souvenirsdes cultures sumriennes, hittites, babyloniennes,assyriennes, mais aussi des califats abbassides etomeyyades, autrement plus clairs que celui dusinistre Ibrahim. Quel dcalage violent entre lobscnitde ce que je vivais et la richesse de la page crite parces civilisations dans notre histoire commune.

    Mais ce que les djihadistes ont oubli, ce que mmeles dirigeants de ces pays qui saccagent allgrementleur patrimoine ont oubli, gardons-le bien lesprit :

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  • Irak et Syrie sont le berceau de notre civilisation. Cesont nos racines qui, avec ce conflit, sont en train de sedtruire.

    Si ce monde seffondre, le ntre est menac.

    1. Ltat islamique (appel jusqu juin 2014 tat islamique en Irak et auLevant, ou EIIL, avant de se dbarrasser de toute indication de territoire) estconnu sous plusieurs appellations. Les Anglo-Saxons le dsignentgnralement sous les initiales IS , ISIS ou ISIL . En France,comme au Moyen-Orient, il est souvent appel Daech, ce qui est le droulde lacronyme arabe, mais avec une consonance trs pjorative. Un grandnombre de mdias ont dcid de prfixer son nom de groupe afindinsister sur le fait quil ne sagit pas dun rel tat. Je considre que je naipas utiliser dautre nom que celui sous lequel il se dsigne et prfre meconcentrer dans ma critique sur ses actions et son idologie plutt que detomber dans lanathme. Le vocable tat islamique sera utilis dans celivre, sauf lorsque les personnes cites ou interviewes en ont utilis unautre.

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  • 1.

    Le marketing de la lacit

    Le rgime syrien nest pas lac. Il sestconstruit sur le communautarisme. Saprtendue dfense des minorits est unmythe.

    La Syrie est tenue depuis plus de quatre dcenniespar un rgime autoritaire, avec sa tte un parti nommBaath ( Renaissance ), dont la devise Unit, libert,socialisme est prometteuse. Port sur les fontsbaptismaux au sortir de la Seconde Guerre mondiale parun sunnite, Salah al-Din al-Bitar, un alaouite, Zaki al-Arzouzi, et un chrtien, Michel Aflak, ce mouvement quise veut panarabe, rvolutionnaire, n dans un contextede dcolonisation douloureuse et de dbats sur le non-alignement du Sud en pleine guerre froide, aurait puconduire la Syrie sur la voie de la prosprit pour tousses habitants, avec ses objectifs affichsdautosuffisance conomique, de priorit donne lducation, dmancipation des femmes, et sonopposition assume lislam politique.

    Ctait en fait sans compter sur la personnalit de

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  • Hafez al-Assad, auteur dun coup dtat en 1970. Cedernier va installer la tte du pays un systme decommandement et dallgeance pyramidal : au sommet,le prsident et sa famille ; en dessous, son clan ; aurang infrieur, sa communaut, les alaouites, considrsdepuis la colonisation comme une branche du chiisme ;et, tout en bas, le reste de la population.

    Aujourdhui confront une insurrection mene par lamajorit, ce rgime met en avant sa lacit et srige enseul dfenseur des minorits. Un positionnement quilrpte comme un slogan publicitaire. La chute durgime syrien signifierait llimination des minorits dela rgion , avanait le 23 mai 2011 lun de seschantres, le dput franco-libanais Nabil Nicolas sur lachane du Hezbollah, al-Manar. Lgrie de lacommunication du rgime, Bouthana Chaabane,cherchait mme vendre lide dun complot contre lalacit dans le monde arabe. Estimant quil y avaitencore trois pays lacs dans la rgion, le Soudan, lIraket la Syrie, elle regrettait lclatement du premier depuisla sparation du Sud, linvasion du deuxime etlagression contre le troisime. Les tats occidentauxet leurs allis rgionaux cherchent dtruire le rgimelac en Syrie , sindignait-elle. Une propagande qui, delextrme gauche altermondialiste lextrme droiteidentitaire, rencontre un cho certain, crant de fait unecoalition nausabonde dantismites et dislamophobes.Le site Internet Riposte laque, proche de lextrmedroite, fut ainsi heureux de publier les lucubrations dunHamdane Ammar, qui prtend que les Amricainsveulent tout prix redessiner la carte gostratgique detoute la rgion. Aprs avoir livr lIrak aux chiites, ils

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  • tentent aujourdhui de faire basculer la Syrie aux mainsdes sunnites, cest un jeu dangereux auquel ils selivrent .

    Cette marchandisation de limage dun rgimedfenseur des chrtiens est soigneusement orchestre.Pas une visite dacadmiciens, de parlementaires, delobbyistes occidentaux, pas un reportage non plus quine soit opportunment orient vers les milieux chrtiens,avec toujours les mmes interlocuteurs, idiots utiles durgime, clerg nomm par le gouvernement de cet tatqui se prtend par ailleurs lac.

    De fait, ds larrive au pouvoir du parti Baath, les

    relations se crisprent avec la majorit sunnite.Rapidement, les Frres musulmans, qui taient lunedes seules forces pouvoir prtendre incarner unequelconque opposition, se retrouvrent viss par lepouvoir. Le mouvement fut interdit en 1964. Grves etmanifestations furent rprimes par larme les annessuivantes. Mais larrive au pouvoir de Hafez al-Assaden 1970, et surtout linvasion syrienne du Liban en 1976,mirent le feu aux poudres. La confrontation connut uneescalade, faite dattentats et dassassinats dune part,darrestations et de torture de lautre, jusqu ce quuneexcroissance sectaire de la confrrie lance une attaquecontre lcole dartillerie dAlep en 1979. Quatre-vingt-trois cadets, tous alaouites, furent assassins. Lavengeance du rgime fut terrible. Une vritable guerrecivile sensuivit, largement mconnue, car pratiquementaucun mdia ne put la couvrir. Elle se conclut parlcrasement, en 1982, de la ville de Hama. Plusieurs

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  • dizaines de milliers de personnes furent tues. Desmilliers furent dportes dans la prison de Palmyre, aucur du dsert oriental, transforme de facto en campdextermination. Avec ce massacre, qui ne soulevagure de protestations internationales, le rgimesacheta au prix fort trois dcennies de paix civilerelative. On notera avec intrt que le rgime dcidadenvoyer en premire ligne un certain nombredofficiers chrtiens craser Hama. Une faonmachiavlique de sceller avec cette communaut unpacte de sang. Le message tait clair : si un jour cesgens-l se trouvent en position de prendre leurrevanche, ils se vengeront sur vous autant que sur nous.Votre sort dpend dsormais de la survie de notrergime.

    Larrive au pouvoir de Bachar al-Assad, aprs la mort

    de son pre en 2000, offrit lespoir dune ouverture durgime, dune volution vers plus de lacit, fonde surla tolrance religieuse. Les relations avec loppositionsamliorrent grandement. Beaucoup de prisonniers dela confrrie furent relchs et la direction des Frresmusulmans, depuis son exil londonien, annona unchangement de politique, rejetant la violence et appelant un tat moderne et dmocratique. On assista unedouble ouverture, politique et conomique. Des forumsde discussions virent mme le jour. Cette priode ditedu Printemps de Damas a suscit de grandsespoirs. Mais, aprs ce Printemps arabe avant lheure,la dception ne tarda pas. Le rgime eut vite fait deretomber dans ses travers scuritaires. La plupart desmeneurs de ce renouveau, intellectuels, avocats ou

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  • dputs frondeurs, furent arrts et emprisonns. Lergime montra son incapacit intrinsque se rformer.

    Ayman Abdel-Nour, opposant et journaliste syrien,ancien baathiste, connat bien Bachar. Ils taientproches sur les bancs de luniversit et sont rests bonsamis : il la accompagn pendant ses premires annesde jeune prsident. Cest donc en critiqueparticulirement autoris quil a lanc le site All4Syria,qui est devenu lune des principales sourcesdinformation indpendante sur la Syrie. Mais sesrelations avec le palais se gtent tel point quil doit, en2007, choisir lexil et se rfugier dans le Golfe. Dans uneinterview publie par Souriya ala toul, il dcritlimposture de la lacit assadienne : Depuis lepremier jour, le rgime a jou sur la cordeconfessionnelle, avant mme quil y ait la moindredimension islamique, le moindre slogan islamique ou lemoindre mouvement islamique []. Il est parvenu terroriser les chrtiens vivant en Syrie et lextrieur[]. Le rgime sest vertu diviser les confessionssur tous les plans. Il sest employ rduire leur poidsen donnant une importance artificielle dautres, desgens crs par ses soins qui lui taient donc lis etredevables . Ayman Abdel-Nour est lui-mmechrtien.

    La faon dont le rgime syrien a construit un systme

    de survie en mettant en scne, derrire une lacit defaade, un communautarisme bas sur les assabiyat at remarquablement dcrite par Michel Seurat, finobservateur de ce quil a qualifi dtat de barbarie .

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  • Une dnonciation qui lui a cot la vie, puisque Damasavait expressment demand ses ravisseurs duHezbollah quil ne sorte pas vivant de captivit.Beaucoup plus rcemment, le chercheur Zakaria Taha,sintressant aussi Assad junior, a essay dans sathse de doctorat de comprendre comment cesrgimes russissent se donner limage dun pouvoirlaque tout en manipulant les communauts et eninstrumentalisant la lacit afin de lgitimer et deprenniser leur pouvoir sous prtexte dtre en butte auxdivisions communautaires et duvrer pour lunitnationale .

    Tout est affaire de marketing, de prsentation. Car,dans les faits, cette lacit la syrienne tend devenirune source de justification ou dinspiration pour lacensure des consciences, lintolrance idologique,voire le rejet du principe dmocratique , rappelle lesociologue Burhan Ghalioun. La carte de la lacit,conclut Zakaria Taha, reste la seule carte jouer par lergime qui se prsente, envers les minorits, comme lerempart tout conflit .

    Le rgime utilise la lacit comme un instrument,comme quelque chose quil peut vendre lOccident,confirme lintellectuel de Raqqa Yassin al-Haj Saleh,militant communiste de la premire heure. Je crois quila donn beaucoup dargent des socits de relationspubliques pour vendre sa modernit prsume,notamment autour de limage dAsma, cette premiredame qui est belle et fut duque en Grande-Bretagne.Mais, au final, nous avons deux types de fascistes : desfascistes en cravate au gouvernement, et en face desfascistes avec une longue barbe. Mais notre lutte ne doit

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  • pas se limiter prendre position entre ces deuxfascismes .

    Car la ralit, cest que le rgime alimente les peurs

    communautaires. Na-t-il pas prtendu, audclenchement de la rvolution, que les manifestantsscandaient : Les chrtiens Beyrouth, les alaouites autombeau ! ?

    Je nai personnellement trouv nulle part laconfirmation que ces mots ont rellement tprononcs. Mais cette menace a t crue par beaucoupet elle a contribu, ds le dbut du soulvement, lacrispation communautaire. Trs tt aussi, le rgime aprocd des distributions darmes, notamment dansdes villages alaouites de la cte ou des faubourgsdruzes de Damas, accompagnant les livraisons demessages alarmistes de menaces inventes de toutespices en provenance des villages sunnites voisins.Mais ce machiavlisme ne surprend pas Yassin al-HajSaleh, qui dcrit dans un article glaant intitul Lindustrie du meurtre en Syrie les ressorts utilisspar Assad pour riger un mur de la peur, de la doublepeur, celle du systme de rpression du rgime et cellede lautre, le concitoyen. Avant le dclenchement de larvolution, nous savions que le rgime dpendait dedeux systmes stratgiques de type orwellien : lecomplexe de la peur, dont la fonction est dinterdire queles choses soient nommes par leur nom, et lecomplexe du mensonge, dont la fonction est dappelerles choses par dautres noms que les leurs, les deuxgarantissant que les Syriens soient coups de leurs

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  • conditions de vie relles, quils ne puissent ni lesnommer, ni les matriser.

    Depuis le dbut, le rgime sest concentr sur lesoutien des minorits. Il leur a donn les postes les pluslevs dans larme, dans les renseignements, sachantquil faut faire la diffrence en Syrie entre la position etle pouvoir effectif , explique Ayman Abdel-Nour,fondateur de All4Syria . Son site Internet donneprcisment la parole de nombreux reprsentants desminorits syriennes afin de dmonter cette narration durgime.

    Ainsi, lorsque Bachar al-Assad ose prtendre sur la

    chane Russia Today que son rgime est la dernireforteresse de la lacit au Moyen-Orient, le journalistedruze Maher Charafeddin lui rpond en lapostrophantsur ce site Internet. Une liste de questions qui sontautant de griefs :

    1 / Pourquoi la dfection dun citoyen alaouiteordinaire branle-t-elle les bases de ton rgime plus quecelle dun officier de haut rang, un gnral par exemple,de toutes les autres confessions ?

    2 / Pourquoi le Hezbollah et lArme du Mehdi volent-ils au secours de ton rgime lac, alors quils font partiedes organisations les plus hostiles la lacit ?

    3 / Pourquoi la dfection du Premier ministre [RiyadHijab] na-t-elle pas provoqu la moindre motion latte de ton rgime, alors quailleurs un tel vnementaurait peut-tre abouti son croulement ?

    4 / Pourquoi a-t-on matriellement ddommag avec

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  • une extrme rapidit les victimes de lexplosion duquartier alaouite de Mazzeh 86, alors que les autresquartiers victimes dattentats ne lont toujours pas tjusqu aujourdhui ?

    5 / Pourquoi ton rgime lac enlve-t-il lopposant(alaouite) Abdel-Aziz Al Khayyer, alors que sesrevendications sont si modestes que des opposantssyriens, au Caire, lont jadis bombard avec des ufs ?

    6 / Pourquoi les mdias de ton rgime ont-ils menune campagne de rumeurs aussi massive et concertecontre la comdienne (alaouite) Fadwa Souleyman,alors que celle-ci nest quune artiste pacifique et quelleserait tout fait incapable, au cas o elle le voudrait, demanier une arme ?

    7 / Pourquoi as-tu dsign un ministre de la Dfensechrtien aprs le dclenchement de la rvolution, et as-tu discrtement fait savoir tes mdias quellecommunaut il appartenait ?

    8 / Pourquoi les mdias de ton rgime lac seconcentrent-ils davantage sur les attentats qui seproduisent dans les rgions peuples de minorits que sur ceux qui frappent les autres zones ?

    9 / Pourquoi ton rgime na-t-il tu aucun manifestant Soueda et Salamiyeh, places fortes des druzes et desismaliens, et sy est-il limit effrayer les opposants et emprisonner certains dentre eux, alors que des tirs balles relles dcimaient ailleurs les manifestants ?

    10 / Pourquoi les seuls quartiers ayant chapp ladestruction, Homs, sont ceux dans lesquels habitentdes gens de ta confession ?

    11 / Pourquoi le rgime de Nouri al-Maliki, qui affirme

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  • quil est chiite avant dtre irakien, est-il devenu un alliessentiel de ton rgime lac ?

    12 / Pourquoi 99,99 % de ceux que ton arme laque atus taient-ils des sunnites ?

    Tu peux, si tu veux, considrer ces questions commeun test de lacit et dintelligence.

    Fin connaisseur de lislam syrien, Thomas Pierret,matre de confrences luniversit ddimbourg,stonne pour sa part que le rgime fasse en ralit sipeu cas de sa lacit. Assad lui-mme nutilise le termeque de faon exceptionnelle : lors dune interview Charlie Rose, de la chane amricaine PBS, il indiquaitque son grand dfi tait de garder la socit aussisculire quelle lest aujourdhui . Lagilit du ras,cest de laisser le soin de parler de lacit ceux quilconsidre comme des fusibles vulnrables etdpourvus de crdibilit , comme le grand mufti AhmadHassoun. Le chercheur sest intress la mise enscne de la non-lacit du rgime. En novembre 2011,par exemple, recevant des membres duRassemblement des oulmas au Liban (uneorganisation pro-iranienne), Assad se repentaitouvertement de ses politiques anti-religieuses du passet soulignait la rcente ouverture dune tlvisionsatellitaire islamique par le gouvernement, Nur al-Sham. Et de conclure, que si le rgime est lac,cest plutt de manire ngative, en maniant lesrfrences religieuses avec une extrme parcimonie encomparaison avec les autres rgimes de la rgion .

    Le nombre des victimes constitue un rvlateur ultime

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  • des mensonges du rgime sur sa prtendue protectiondes minorits . Les clichs exfiltrs par un certain Csar constituent lune des meilleures sources dontnous disposons pour recenser ces crimes. Employ dela police militaire Damas, cet homme, qui protge savritable identit, tait charg, avant mme le dbut dela rvolution, de prendre en photo les victimes demeurtre et daccident dans lesquels du personnel de laDfense tait impliqu. Il a donc, pendant des annes,t confront lensemble des dtenus tus au coursde la rpression, dans les deux hpitaux militaires deDamas, celui de Tichrin et celui de Mezzeh. Les corpsquil a photographis provenaient de 24 centres desservices de scurit du gouvernorat de Damas, rvlantpratiquement tous des traces de torture.

    Plus de deux ans aprs le dbut de la rvolution, il arussi faire sortir 55 000 clichs, documentantprcisment le sort de prs de 11 000 victimes. Or, ceux-l prouvent, par des dtails troublants, que le rgimesattaquait aux minorits. De nombreux chrtiens taientnotamment identifiables par leur absence decirconcision et leur tatouage en forme de croix. Certainsportaient des marques religieuses indiquant quilstaient chiites, et dautres avaient mme le nom ou levisage de Bachar al-Assad dessin sur le corps.

    Propager la terreur dans toutes les communauts,parmi toutes les strates de la socit, permet demaintenir le mur de la peur qui a ciment le rgimedepuis sa cration. Je me souviens de rvolutionnairesalaouites et chrtiens, rencontrs Lattaqui dans lestout premiers temps de la rbellion. Malheur nous siles moukhabarat, les redoutables services de

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  • renseignements, nous attrapent, mavaient-ils confi.Car ils sacharnent en particulier sur les gens commenous, parce quils nous considrent comme des tratres notre communaut !

    Voil pour ce qui est de la lacit la syrienne Lesrvolutionnaires de la premire heure taient bienconscients du pige que leur tendait le rgime, eux quivotaient chaque semaine sur Internet pour nommer lesmanifestations du vendredi, ddies chaque fois unthme nouveau. On avait ainsi eu le vendredi de ladignit , celui des martyrs ou celui des femmeslibres . Ils avaient dcid dappeler vendredi saint lajourne daction de la semaine pascale.

    Le rgime syrien cherche en ralit imposer une

    forme de dhimmitude politique ses minorits. En terredislam, traditionnellement, le dhimmi est un non-croyant auquel ltat musulman assure sa protection enchange dune taxe spcifique. Dans la Syrie desAssad, les minoritaires sont pris de se taire, de sesoumettre politiquement, afin de prserver leur scurit.Comme le dcrit Ayman Abdel-Nour, le rgime atoujours entretenu avec les chrtiens une relation stable.Elle sapparente une sorte de troc. En change de leurrenoncement leurs droits politiques et conomiques,les membres du clerg bnficient de lintgralit deleurs droits religieux . Le journaliste, lui-mmechrtien, considre que le clerg chrtien syrien a tlittralement achet par le rgime. Les glises reoiventeau et lectricit gratuitement. Le clerg est dispensde service militaire. Il a droit des voitures hors taxes,

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  • mais doit obtenir une signature du prsident pour cela.Donc les prtres et les vques doivent dfiler au palaispour obtenir le droit de rouler dans de belles voitures et ils sempressent de le faire !

    chaque vnement, il y a sur la photo, autour dureprsentant du gouvernement, un reprsentant dechaque culte. Le rgime a organis la comptition pourque les reprsentants des diffrentes gliseschrtiennes se battent entre eux pour tre celui qui aurale privilge dtre sur la photo. Et puis, il y a eu de lacorruption directe, avec des versements en espces. Jenai aucun respect pour le clerg en Syrie ! .

    1. Cite par lagence russe RIA Novosti, 19 juin 2012.2. http://ripostelaique.com/que-se-passe-t-il-reellement-en-syrie.html3. Repris par All4Syria, 13 octobre 2013.4. Michel Seurat, Syrie, ltat de barbarie, PUF, 2012 (rdition).5. Zakaria Taha, La Problmatique de la lacit travers lexprience du

    Parti Baath en Syrie, EHESS, 2012.6. Burhan Ghalioun, Islam et politique, la modernit trahie, La Dcouverte,

    1997.7. Zakaria Taha, La Problmatique de la lacit travers lexprience du

    Parti Baath en Syrie, op. cit.8. Entretien avec lauteur.9. Publi en franais par LExpress, 14 mars 2014.10. Entretien avec lauteur.11. Traduit en franais sur http://syrie.blog.lemonde.fr/2012/11/11/de-la-

    pretendue-laicite-du-regime-syrien/12. Entretien avec lauteur.13. Entretien avec lauteur.

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  • 2.

    La gense des djihadistes

    Le rgime syrien a engendr ltatislamique.Il ne le combat pas.Ltat islamique ne combat pas le rgimesyrien.

    Le rgime de Damas nest pas une contradictionprs lorsquil sagit de sa survie. Sur le plan intrieur, ilrprime farouchement les Frres musulmans. Mais cestpour mieux les dborder lorsquil sagit de soutenir lesmouvements islamistes dans les pays voisins : Hamasdans les territoires palestiniens (qui ntait lui-mme pas une contradiction prs lorsquil tait le protgdAssad), et Hezbollah au Liban. Et, surtout, la Syrie asoutenu et clairement manipul deux mouvementssalafistes djihadistes : les volontaires qui se rendaienten Irak pour combattre la prsence militaire amricaine,au moins durant les premires annes de loccupation,puis le Fath al-Islam au Liban.

    Saddam Hussein, voyant linvasion arriver, avaitappel durant lhiver 2002-2003 tous les musulmans qui

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  • le souhaitaient venir se battre pour dfendre lIrak etparticulirement en dcoudre avec les Amricains. Ilsfurent plusieurs centaines rpondre cette invitation et affluer, principalement Bagdad, dfiant au passagetoute logique. LIrak de Saddam, baathiste, se prtendaitgalement lac, mme si sa lacit de faade dissimulaitun communautarisme assez quivalent celuidvelopp en Syrie. Et Assad, dont le dsir de perturberles plans des Amricains tait encore plus fort que sadtestation de Saddam, dcida de laisser passer lescombattants sur son sol.

    Ce flux de djihadistes, le premier dans la zone syro-irakienne, se poursuivit et saccrut aprs linvasion demars et avril 2003. Il a dessin sur la carte une autoroute du djihad , qui se confond sans surpriseavec les contours de la zone dinfluence actuelle deltat islamique.

    Jai rencontr plusieurs de ces djihadistes alors quejtais bas Bagdad comme correspondant, entre2002 et 2004. Jai ensuite pu revoir des vtrans decette insurrection tandis que je couvrais la rvolutionsyrienne. Ils voquent tous sensiblement le mmeparcours. Le point de ralliement tait en gnral unemaison dhtes rattache une mosque dAlep. De l,ils partaient en bus le long de la valle de lEuphrate,passaient par Raqqa et Deir ez-Zor, descendaient ctdal-Boukamal. L, des passeurs les prenaient encharge et leur faisaient franchir sans grande difficult lafrontire irakienne. Ils transitaient ensuite par al-Qam,Haditha, puis descendaient jusqu Fallouja. Beaucoupsarrtaient dans la province occidentale dal-Anbar.Ceux qui poursuivaient jusqu Bagdad taient en

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  • gnral hbergs aux environs dAbou Ghraib ou dans lequartier dAmariyah.

    Lun des organisateurs de cette autoroute du djihadtait le cheikh Mahmoud Abou Qaaqaa, un jeune imamdAlep connu pour ses sermons enflamms appelant prendre les armes contre lenvahisseur amricain. Dessermons professs en public, mais aussi enregistrs surdes cassettes et des CD quon retrouvait dans lesbagages de nombreux djihadistes. Le cheikh appelaitgalement ltablissement en Syrie dun rgimeislamique rgi par la charia. Les observateurs de la viepolitique alpine regardaient avec curiosit ce cheikhvoluer, au vu et au su de tous, hbergeant chez lui desmoudjahidines en partance pour lIrak. Tout cela sansraction de la part des autorits, alors que les servicesde renseignements syriens sont dhabitude trs prompts reprer et punir tout ce quils considrent comme undiscours dviant.

    Il fallut quelque temps pour comprendre la raison decette tolrance : parmi les jeunes recrues dAbouQaaqaa, un certain nombre natteignait jamais lIrak. Entout cas, aucune nen revenait. Limam aux discoursexalts tait en fait ce que les services derenseignements appellent un pot de miel , unvulgaire appt, charg de reprer et de canaliser lescandidats au djihad pour les signaler. Ils partaient enIrak marqus la culotte. Certains passaient, dautresmourraient ventuellement sur place. Limportant taitquils soient limins et ne reviennent jamais. Et tant pissi, au passage, quelques faibles desprit taientpousss franchir la ligne rouge du crime. Le religieux afinalement t abattu en pleine rue alors quil sortait de

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  • la prire du vendredi. limination de la preuve par lesmoukhabarat, alors que le pige commenait trevent, ou vengeance de la part dun djihadiste pour luifaire payer son double jeu ? Je ne connais personne quipuisse rpondre cette question. Mais il est troublant derelire, la lumire des vnements rcents, cettephrase issue dune interview accorde par Abou Qaaqaa un journaliste amricain, un an avant son assassinat : Oui, jaimerais voir un tat islamique en Syrie et cestce quoi nous travaillons. Nous appelons lunit et la comprhension, et le gouvernement est partieprenante. Nous appelons le gouvernement et travaillonsavec lui cooprer ensemble dans ce but . Lamission dAbou Qaaqaa tait didentifier des djihadistespotentiels, ventuellement confirmer leurs penchantsviolents, puis il les dsignait. Le rgime faisait coupdouble : il se dbarrassait de jeunes prompts devenirviolents pour les empcher dagir en Syrie, et il lesutilisait pour servir sa politique de dstabilisation duvoisin irakien. On trouve ce genre de raisonnement,aussi immoral quinefficace dun point de vuescuritaire, chez un certain nombre de noscompatriotes, qui se rjouissent du dpart de jeunesFranais au djihad, accompagnant leur hijra dunnausabond bon dbarras ! .

    Au Liban, cest par lintermdiaire de Fath al-Islamque le rgime syrien a soutenu les djihadistes. Ilsagissait dun groupe en particulier prsent dans lecamp de rfugis de Nahr al-Bared, dans la rgion deTripoli, dans le nord du pays. Cest l quil a provoqudes combats contre larme libanaise dans le courantde lt 2007, combats qui avaient mis le camp feu et

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  • sang et provoqu la mort de plus de 200 personnes,dont 134 soldats libanais. Lobjectif ? Entretenir lechaos au Liban sous le gouvernement Siniora, perucomme une source de dstabilisation du rgime syrien,et frapper le Courant du Futur en son point faible, cest--dire la base sunnite radicale, explique lislamologueThomas Pierret. Contrairement au Hezbollah, partirvolutionnaire qui a russi mobiliser et intgrer lacommunaut sunnite, unissant bourgeoisie pieuse etjeunesse pauvre pour reprendre les termes de GillesKepel , le Courant du Futur est un parti de notables quine maintient, grand-peine, la loyaut de la basesunnite pauvre que par le clientlisme. En encourageantlmergence dun mouvement sunnite radicalouvertement hostile aux options pro-occidentales duFutur (tout en tant trangement muet sur ses ennemis, savoir le Hezbollah, lIran et la Syrie), Damas obligeaitle gouvernement Siniora mener la guerre une partiede sa base populaire thorique. lpoque, le discoursdu Hezbollah sur Fath al-Islam navait rien voir avecson actuelle rhtorique anti takfiriste. Le Hezbollah sergalait de voir ses adversaires en difficult, qualifiantlentre de larme dans un camp palestinien de lignerouge et sabstenant de qualifier les victimes de larmede martyrs, comme le faisaient les autres mdiaslibanais .

    Trs tt aprs le dclenchement de la rvolution, alorsquelle commenait lentement prendre les armes etquil apparaissait pour le rgime quil ne sagissait pasdun phnomne passager mais dune crise profondesusceptible de provoquer sa chute, Damas commena organiser une prise en tenaille des dmocrates, en

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  • favorisant les radicaux. Ds le dbut de la rvolution,jai t invit prononcer un discours aux funraillesdun martyr, se remmore lancien dput et opposantRiad Sef. Jai mis en garde contre deux pigesquAssad allait nous tendre : le recours aux armes, et laguerre confessionnelle. Et encore, je navais pas vuvenir larme al-Qaeda !

    Le procd est classique et rejoint un schma djvu. Les Russes ont favoris lmergence des islamistesau sein de la gurilla tchtchne pour provoquer sonclatement. Les Israliens ont longtemps laiss leHamas prosprer dans lespoir daffaiblir lOLP(Organisation de libration de la Palestine). Mme Hafezal-Assad avait dbord les islamistes par leur droite,permettant aux salafistes quitistes, extrmementconservateurs mais non djihadistes, de se dvelopper,afin de contrecarrer linfluence des Frres musulmans.

    partir de lt 2011, on commence voir desdtenus arrts pour leur participation suppose audjihad relchs des prisons syriennes. Leur chiffredpasserait le millier, et une bonne part de ltat-majoractuel des groupes islamistes les plus durs auraitbnfici de cette mesure damnistie. Abou Mohammedal-Jolani, lmir de Jabhat al-Nosra, franchise officielledal-Qaeda et prcurseur de ltat islamique, aurait faitpartie de ces prisonniers librs. Aaron Lund, directeurdu site Internet Syria in Crisis, considre ainsi que lergime sy est bien pris pour faire de la rvolution unervolution islamiste. Les librations de la prison deSednaya ( 50 kilomtres au nord de Damas), qui estlune des principales prisons politiques du centre dupays, en sont un bon exemple. Assad leur a offert une

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  • remise de peine quil a prsente comme faisant partiedune amnistie gnrale. Mais il a en fait t bien au-del. Il ny a pas de gnrosit fortuite de la part de cergime .

    Au mois de janvier 2014, un ancien membre de laDirection du renseignement militaire, lun des nombreuxservices syriens de renseignements, a accord uneinterview fracassante . Cet informateur, qui a dsertaprs douze ans de service dans lappareil derenseignement, rvle que le rgime na passeulement ouvert les portes des prisons cesextrmistes. Il leur a facilit la tche en les aidant crer des brigades armes .

    Ce programme de librations a t supervis par leDirectorat de la scurit gnrale et a dur quatre mois,jusquen octobre 2011. La slection des prisonniers at faite soigneusement. Ceux dont lengagement enfaveur des droits de lhomme et de la dmocratie taitconnu sont rests croupir en prison. Ceux quiprsentaient un profil radical ont t librs. Lun desplus clbres est Zahran Alouch, qui, sitt libr, afond le groupe le plus puissant de la rgion de Damaset qui sillustre par son discours violemment anti-chiite.

    Le rgime voulait raconter au monde quil combattaital-Qaeda, mais en fait la rvolution tait pacifique audbut, alors il a d fabriquer la lgende dune rbellionislamiste arme, poursuit cet ancien agent cit par TheTelegraph. Il y avait de fortes tendances islamiques dansle soulvement, donc ce ntait pas difficile de juste lesencourager []. Vous relchez juste quelquespersonnes, et vous crez de la violence. Elle sepropagera de faon contagieuse.

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  • Le major gnral Fayez Dwairi, officier de larmejordanienne en charge de la lutte contre la propagationdu djihadisme dans le royaume hachmite, confirmecette version : Beaucoup des gens qui ont cr leJabhat al-Nosra ont t capturs par le rgime en 2008et taient en prison depuis lors. Lorsque la rvolution admarr, ils ont t relchs sur ordre dofficiers durenseignement syrien, qui avaient assur Assad : ilsferont du bon travail pour nous. Il y a certes beaucoupdinconvnients les laisser sortir, mais il y a encoreplus davantages, parce quils vont convaincre le mondeque nous sommes en lutte contre le terrorismeislamiste . cela sajoute le fait que, comme lerappelle entre autres luniversitaire amricain JoshuaLandis, les groupes djihadistes syriens, notammentltat islamique, sont infiltrs par les services derenseignements du rgime. Et de rappeler cet aveudAbdullah Abou Moussab al-Souri, assistant dOmar al-Chichani : Bien sr, ltat islamique a t largementinfiltr par le rgime syrien et cela a conduit affaiblir saposition et a mis en danger sa scurit .

    Pour Damas, le bnfice politique est vident. Ilpermet dinflchir le discours gnralement accept parles mdias occidentaux. Il ne sagit plus dune rvolutionlgitime, mais dune guerre contre le terrorisme, ennemide lintrieur fanatique et sectaire. Dans le pire des cas,le jour o la Syrie sera sur le point de seffondrer, il seratoujours possible de dfendre la face du monde la thorie du moindre mal , qui voudrait que le rgimesoit moins grave que ltat islamique. Les Assad onttoujours manipul le moi ou le chaos avec unegrande force de persuasion. Lpouvantail est dune

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  • efficacit redoutable.

    Cest pour cela que le rgime ne va jamais frapper

    directement les djihadistes, mais concentrer sesoprations militaires sur ceux qui incarnent le plus granddanger son gard, cest--dire ceux qui peuventlgitimement prtendre reprsenter une alternativepolitique : les modrs. Les bataillons de larme libre etles brigades islamistes dmocratiques ont bien souventt seuls en premire ligne contre larme syrienne.Pire, ils se sont souvent retrouvs pris entre deux feux :ceux du rgime, dun ct, et de ltat islamique delautre.

    Cest le second avantage du grignotage du terrain parltat islamique partir de lt 2014. Partout o sescombattants avancent, ils repoussent les groupesmodrs, les chassent des territoires conquis de hautelutte. Le groupe djihadiste se comporte un peu limagedun coucou, faisant main basse sur le nid gagn grand-peine par les rvolutionnaires. Pratiquement toutle territoire sur lequel rgne actuellement ltatislamique avait t pralablement conquis par dautresgroupes. Ltat islamique sest quasiment toujourscontent de rafler la mise une fois quune rgion avaitt libre par dautres.

    Rsultat, ltat islamique ne sest que trs rarementoppos frontalement au rgime. Pour couper court lacontradiction, on commencera par citer la liste desexceptions. Ltat islamique a bel et bien affrontlarme syrienne lors de la prise de la base arienne deMannagh, de la capture de la division 17 de Raqqa et de

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  • laroport militaire voisin. Il a aussi pris part desbatailles dimportance moyenne dans le Qalamoun,dans les rgions dAlep, de Lattaqui et de Qamishli.Mais cette liste sarrte l ! Elle rvle surtout que leshommes de Baghdadi nont finalement, depuis que lemouvement a t cr, gure cherch en dcoudreavec le rgime. Ils ont au contraire concentr leursattaques sur les rvolutionnaires ou les Kurdes, contrelesquels ltat islamique est en comptition sur le planterritorial.

    Alors que jtais Raqqa en juin 2013, quelquessemaines aprs que les djihadistes avaient pris lecontrle de la ville, je ne cessais de mtonner de voir lergime lcher presque quotidiennement des barils deTNT sur les zones civiles, provoquant des dgtsconsidrables, alors que ltat-major des djihadistes, legouvernorat de la province, btiment massif en pleincentre-ville, demeurait intouch. Ce nest finalement queplus dun an plus tard quil a t bombard non paspar le rgime, mais par des frappes amricaines !

    Pas tonnant, dans ces conditions, que ltatislamique soit si mal vu par les autres groupes de larbellion syrienne, et quil entretienne mme desrelations conflictuelles avec dautres mouvementsdjihadistes, tels que le Jabhat al-Nosra et Ahrar ash-Sham. Laccusation de tratrise, de collaboration avec lergime, est lun des principaux reproches qui lui sontadresss plus encore que lextrmisme de sespositions ou la violence de ses procds.

    la fin de lanne 2013, les groupes modrs, lasssde perdre du terrain au profit de ltat islamique,sexasprrent de la conqute de la localit frontalire

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  • dAzaz, au nord-ouest du pays. Le contrle desfrontires est videmment un objectif de premier choixpour les groupes insurgs. Cest par elles que parvientla contrebande, et notamment les armes. Elles sontaussi une source importante de revenus, puisque lesgroupes arms qui les contrlent imposent des taxes surles marchandises en transit . Tout dbut janvier 2014,une coalition se forma, principalement autour du Frontislamique et de la brigade Tempte du Nord, pourdloger ltat islamique de ses bastions du Nord-Ouest.Les djihadistes furent chasss des villes dAtareb etdal-Dana. Mais loffensive fut suivie dune contre-attaque djihadiste, qui fut largement un succs. Lestroupes de ltat islamique taient pourtant infrieuresen nombre celles des brigades modres quellesaffrontaient, avec le soutien pourtant de plusieurs pays,notamment les tats-Unis, la Turquie et des puissancesdu Golfe.

    Le chercheur Romain Caillet, qui tudie avec grand

    talent les vnements syriens depuis lInstitut franaisdu Proche-Orient Beyrouth, estime que la victoire deltat islamique a t permise par sa cohrence interne, la fois idologique et de commandement, face desgroupes rebelles plus diviss. Cette unit [de ltatislamique] assure une organisation et une discipline surle terrain qui tranchent avec celles dune Armesyrienne libre regroupant la fois des militairesdserteurs et des bandes mafieuses, ou mme cellesdu Front islamique partag entre islamistes modrs etsalafistes. Mme Jabhat al-Nosra ne bnficie pas

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  • dune telle homognit idologique . celasajoutent un certain nombre de ralliements tribaux queltat islamique sest assurs et qui lui apportent dessoutiens cruciaux.

    Malgr certains succs au Nord-Ouest (campagnedIdlib et prise de louest dAlep), cette offensive dejanvier est globalement reste un chec : ltatislamique a notamment conquis lest dAlep, Raqqa etDeir ez-Zor. Lenseignement que lon peut en tirer restesans appel : les groupes modrs ont dmontr leurcapacit affronter ltat islamique. Ce sont les seuls mme de le faire sur le terrain.

    partir de lt, alors que lOccident lanait sacampagne arienne contre ltat islamique, unenouvelle vague dpuration est intervenue, qui a mis mal les modrs. Le 9 septembre 2014, le groupesalafiste Ahrar ash-Sham, lun des piliers du Frontislamique, tait dcapit. Une cinquantaine de membresde son tat-major politique et militaire, runis dans unecache souterraine de la rgion dIdlib, prissaient dansune explosion, dont on ne sait si elle est luvre deltat islamique ou du rgime.

    En octobre puis en novembre, les autres groupessoutenus par lOccident subissaient revers sur reversdans les provinces dIdlib et dAlep, ainsi que dans leJebel Zawia. Le Front rvolutionnaire, lun des oripeauxde lArme syrienne libre, et le mouvement lac Hazemtaient expulss de leurs fiefs du Nord-Ouest, chassspar un Jabhat al-Nosra qui est dsormais la recherchedune position stratgique. Le groupe djihadiste, toutfranchis dal-Qaeda quil est, jouit dune rellepopularit dans les zones sunnites, justifie par sa lutte

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  • effective contre le rgime. Dans les zones quil contrle,la population apprcie plutt quil ne se livre pas auxpillages des ressources autant que dautres groupesarms, y compris les miliciens du rgime. Les sunnitestendent considrer galement que le Jabhat al-Nosraest efficace pour les protger contre les exactions durgime.

    Enfin, Abou Mohammed al-Jolani apparaissait ltdernier en qute de reconnaissance, adressant enparticulier une demande aux Nations unies de voir sonmouvement retir de la liste des organisationsterroristes. Un geste qui aurait pu tre accompagn dunretrait dal-Qaeda, mais qui na a priori pas retenulattention des grandes puissances.

    Pourtant, en Occident, la tentation revient

    rgulirement de reprendre langue avec le rgime aunom de la lutte contre le terrorisme. Le Monde dcrivaitavec moult dtails comment, la fin du premiertrimestre 2014, les services franais ont voulu renoueravec Damas . Il sagit en fait dune initiative de laDGSI (Direction gnrale de la scurit intrieure,renseignement intrieur), prise, semble-t-il, sans grandecoordination ni avec llyse ni avec le Quai dOrsay, etregarde avec une grande circonspection par les cousins de la DGSE (Direction gnrale de lascurit extrieure). Son but tait de relancer lacoopration policire technique avec les moukhabaratsyriens afin didentifier les djihadistes franais prsentssur le sol syrien, dans la crainte quils ne viennent ycommettre un attentat. Les services syriens se sont

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  • trouvs plutt flatts de cette prise de contact, rapporteLe Monde, tout en fixant une condition : la rouverturede lambassade de France Damas, ferme le 6 mars2012, lorsque la France a cess de considrer legouvernement de Bachar al-Assad comme lgitime. Sila DGSI dispose de moyens techniques et humainsimportants pour surveiller, sur le sol franais, lescandidats au djihad syrien et leurs communications, il luimanque, en revanche, un maillon prcieux : celui deleurs activits et de leurs mouvements en Syrie. Larupture brutale des contacts entre Paris et Damas aassch la source syrienne dinformation et prive,depuis deux ans et demi, la DGSI dlments jugsimportants , crit Jacques Follorou. Lun des acteurs(probable instigateur aussi) de cette tentative derapprochement est lancien patron du prdcesseur dela DGSI, la DCRI, Bernard Squarcini. Un grand flic qui entretenait des rseaux scuritaires Damas,activs notamment la grande poque du djihadirakien, et rest trs influenc par les thsesdveloppes par le rgime.

    Outre le fait quune collaboration policire avec lesservices de scurit syriens, responsables de crimes demasse depuis le dbut de la rvolution, serait immorale,il faut garder lesprit quelle serait totalement contre-productive. Bachar al-Assad est le pire partenairepossible pour lutter contre ltat islamique. Ses servicesmanquent dailleurs singulirement dinformations surles djihadistes qui dferlent sur son sol. Comme cesderniers entrent clandestinement dans le pays, il estimpossible de recouper les registre de visas ou lesinformations de la police aux frontires. Mme les

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  • interceptions lectroniques (communicationstlphoniques et Internet) sont trs limites.

    Dans les zones libres de Syrie, on sestmancip des rseaux syriens, coups par le rgime eten grande partie dtruits par les combats, et on necommunique pratiquement plus que via des accsInternet relays par satellite, sur lesquels lesmoukhabarat syriens nont gure de prise et, dans tousles cas, beaucoup moins que les grands servicesoccidentaux. Seuls des agents infiltrs par legouvernement syrien au cur de ltat islamiquepourraient tre utiles. Mais leur apport resterait marginal.On apprend probablement beaucoup plus sur lesdjihadistes europens en tudiant avec attention lestextes et documents quils postent sur les rseauxsociaux quen organisant une prilleuse missiondinfiltration !

    Si lon demandait au rgime de nous assister dans lalutte contre ltat islamique, celui-ci ne nous apporterait pas grand-chose dutile et surtout beaucoup deproblmes , ironise lislamologue Thomas Pierret . Dans tous les cas, les avantages strictement militairesdune alliance avec Assad sont insignifiants face auxinconvnients politiques dune telle stratgie. SoutenirAssad et abandonner les rebelles revient faire de ltatislamique le seul opposant crdible au rgime, et donc jeter dans ses bras une bonne partie des sunnites,mmes modrs. Cest exactement ce qui sest passen Irak au cours des dernires annes, avec cettediffrence que, en Irak, les sunnites ne constituent que20 ou 25 % de la population. Imaginer quAssad puisseconclure une alliance durable avec des forces sunnites

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  • crdibles contre ltat islamique est une aberration :premirement, parce que les capacits dinclusionpolitique de son rgime sont nulles et, deuximement,parce que, contrairement au gouvernement irakien, il napas de rente ptrolire significative grce laquelle ilpourrait acheter la loyaut de combattants sunnites.

    Enfin, il faut se mfier des promesses que Bachar al-Assad pourrait faire de nous aider lutter contreltat islamique. Il faut garder lesprit quil na aucunintrt sa disparition, qui signifierait aussi la fin dunpouvantail fort utile. Le rgime a montr avec laffairedes armes chimiques quelle est sa stratgie : ilprocrastine. Gagne du temps. Manuvre. Finalement,ses actions rvlent ses mensonges.

    1. http://now.mmedia.me/lb/en/commentaryanalysis/death_of_a_cleric2. migration en terre dislam. Cest le terme qui dsigne en particulier le

    dpart en terre de djihad.3. Entretien avec lauteur.4. Entretien avec lauteur.5. Ruth Sherlock, Syrias Assad accused of boosting al-Qaeda with

    secret oil deals , The Telegraph, 20 janvier 2014.6. Phil Sands, Assad regime set free extremists from prison to fire up

    trouble during peaceful uprising , The National, 22 janvier 2014.7. Ruth Sherlock, Syrias Assad accused of boosting al-Qaeda with

    secret oil deals , op. cit.8. http://www.sada.pro/?p=182809. Laspect conomique du conflit est dvelopp dans le chapitre 3.10. Romain Cailet, chec de loffensive de lArme syrienne libre contre

    ltat islamique en Irak et au Levant , OrientXXI.info, 4 fvrier 2014.11. Jacques Follorou, Comment les services franais ont voulu renouer

    avec Damas , Le Monde, 6 octobre 2014.12. Entretien avec lauteur.

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    Le poids de largent

    Ne pas oublier les racines conomiques etsociales de la rvolution.Le rgime et les groupes arms sedisputent le contrle des richesses.

    La Syrie est, depuis le coup dtat de 1963 qui aconduit le parti Baath au pouvoir, un pays dinspirationsocialiste. Une doctrine conomique qui a cependantvolu avec le temps et que les diffrentes parties enprsence dans le conflit actuel ont su dtourner leurprofit. La guerre se nourrit sur la bte et salimentedelle-mme.

    Depuis le dbut des annes 1960 et pendant deuxdcennies, la politique socialiste syrienne a fonctionntrs convenablement. Il y avait des constructionsdcoles, de raffineries, de barrages , raconte JihadYazigi , conomiste qui dirige plusieurs publicationsspcialises sur le pays, dont le trs prcieux syria-report.com. Longtemps, le rgime est parvenu maintenir lidal flot et a investi dans ledveloppement. La dcouverte du ptrole, au dbut des

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  • annes 1980, commena faire drailler ce beauprocessus. Cest la maldiction de lor noir et sespromesses denrichissement facile qui dun coupprovoqurent lavidit. partir de ce moment, desofficiers suprieurs entreprirent de rclamer rtributionde leur loyaut au ras. Cest aussi ce moment-l queles investissements de dveloppement chutrent. quoi bon continuer dinvestir, se sont-ils demand. Ils ontalors pens que le ptrole pourrait tout payer. Lesrformes, la libralisation se sont arrtes en mmetemps que les investissements , explique Jihad Yazigi.

    Ds les annes 1990, la crise survint. Les revenus duptrole chutrent sous le double effet de lpuisementde la production et du contre-choc ptrolier, alors que lapopulation ne cessait de gonfler. Lorsquil arriva aupouvoir en juillet 2000, Bachar al-Assad se retrouvaaccul et dut relancer louverture et reprendre laprivatisation. Cette politique conomique se fit au profitdune nouvelle lite et fit apparatre une nouvellegnration de fils de . Il y avait Samer Douba, filsdAli, lancien patron du renseignement militaire, etaussi Rami Makhlouf, fils de Mohamed, un hommedaffaires aujourdhui rfugi Moscou, o il cherche mettre sa fortune labri des sanctions. Il y eut aussiFiras Tlass, fils de lancien ministre de la DfenseMoustapha Tlass, depuis pass lopposition.

    Lopposant et journaliste Ayman Abdel-Nour, anciencompagnon de fac de Bachar al-Assad, est impitoyablelorsquil dcrit la mthode mise en place par le jeuneprsident : Le systme conomique tout entier taitconu pour servir loligarchie. Hafez al-Assad, lui,donnait des miettes aux sunnites damascnes et

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  • aleppins pour sassurer un peu de stabilit. Mais Bacharrefuse de cder le moindre morceau. Il a arrang tout lesystme pour que tout revienne sa famille. Parexemple, il va rformer le systme bancaire seulementune fois que les structures familiales seront prtes labsorber. Son clan veut contrler toute la Syrie. Il traitele pays tout entier comme sa maison .

    La maison des Assad mua rapidement en Assad, inc. . Elle se retrouva lhiver 2005, peuaprs le dixime congrs du parti, dans un grand htelde la cit romaine de Palmyre, dans le dsert oriental.Dehors, les colonnades dessinaient un dcor de rve.Sous les ors de ce palace, des hommes daffairesproches du rgime se concertrent pour se partager niplus ni moins lintgralit des richesses du pays. De ce Yalta des privatisations dcoula la cration de deuxholdings, le groupe Cham, dirig par Rami Makhlouf,cousin du prsident, et le groupe Souria. Ds lors, cesgroupes se rpartirent les participations de ltat ainsique les contrats publics. Larchitecte de cetterorganisation de lconomie ntait pas un conseillerconomique. Ce ntait mme pas Abdullah Dardari,proche de Bachar, duqu en Europe, parlantcouramment langlais et le franais, nomm vice-Premier ministre en charge de lconomie aprs avoirt reprsentant Damas du Programme des Nationsunies pour le dveloppement. Non, Bachar ne sestmme pas donn la peine de mettre en avant lune deses vitrines utiles, polyglottes, polices et tlgniques.Cest, beaucoup plus prosaquement, le gnral BahjetSleiman, qui avait quitt en juin de la mme anne labranche intrieure des renseignements gnraux, qui

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  • prit en charge cette rforme. Lconomie tant un enjeude scurit nationale, les agences de scurit devaientprendre le contrle des ressources. La suite du rgne deBachar, jusquau dclenchement de la rvolution, a tun jeu de dupes. Dun ct, le rgime mettait en scneses rformes et ses privatisations. Abdullah Dardari taitcharg de prsenter aux mdias, aux diplomates, auxmissions dexpert, une faade radieuse de la situation,tandis quen coulisse le jeu tait pip. Il ny avait pas deconcurrence possible. Les oligarques proches dupouvoir, membres de la famille ou de lappareilscuritaire, staient dj rparti les beaux morceaux.Corruption et prvarication devinrent les devises durgime.

    Il ny a pas eu en Syrie de privatisations dans lesens de vente dactifs publics, comme on connat enOccident, explique Jihad Yazigi, juste une ouverture desecteurs. Le cas dcole, a a t les marchs detlphonie mobile. Il y avait deux licences en jeu,videmment trs rentables, mais lattribution na pasdonn lieu un appel doffres rel et, au final, unelicence a t attribue Makhlouf et une autre Mikati.

    Sil y a quelquun qui a pay particulirement cher salutte contre ce systme, cest Riad Sef, hommedaffaires avis, franchis notamment de la marqueAdidas en Syrie et dput depuis 1994 sous ltiquette indpendant . Depuis mon lection, jai toujourspris trs cur de lutter contre la corruption. Et celama beaucoup cot. En 1996, ils mont pris mon fils. Ila t assassin. En 1999, ils ont organis ma faillite . En 2001, Riad Sef publie un rapport prouvant que

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  • lattribution des licences de tlphonie mobile a t faitesans mise en concurrence srieuse, et que laformulation des contrats fait de ces marchs des vaches lait pour ceux qui les remportent. Le rgime prendprtexte de ses activits politiques et de lorganisationdun forum de discussion son domicile pour le mettreen prison cinq annes. peine sorti, il prend la tte dela Dclaration de Damas, un manifeste pour louverturepolitique qui lui vaut dtre arrt nouveau fin 2007,cette fois pour deux ans et demi. Ce rgime nest pascapable de se rformer, conclut-il, amer. En fait, avantmme dtre une dictature, cest une oligarchiefamiliale. Bachar est persuad que la Syrie est saproprit prive. Et, depuis le dbut de la rvolution, ilmontre quil prfre la casser plutt que de la perdre.

    Au plus haut niveau, il ny a que Bachar al-Assad etRami Makhlouf qui dcident de tout. lchelleinfrieure, les hommes daffaires doivent acheter laprotection de responsables des services derenseignements , prcise Ayman Abdel-Nour . Il y aun patronage des services de renseignements. Si tuouvres un htel, il va falloir que tu paies un responsabledes moukhabarat ou alors il actionnera un copain auministre du Tourisme qui va faire un rapport disant quetu vends de la nourriture avarie et ils vont faire fermerton htel jusqu ce que tu paies , dcrit Jihad Yazigi.

    Avec cette ouverture , sous contrle troit du

    pouvoir, les lites conomiques se concentrrent sur lesvilles et dlaissrent les campagnes. Lagriculturesyrienne connut ensuite plusieurs annes conscutives

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  • de scheresse qui conduisirent des rcoltescalamiteuses. Marginaliss, appauvris, les rurauxsyriens devinrent les premiers opposants. Pour les finsconnaisseurs du pays, ce nest pas une surprise que larvolution comment Deraa, alors mme que labourgade du Sud syrien tait plutt un bastion du partiBaath. La rvolution prend sa source dans desquestions qui sont en grande partie conomiques. Lagographie du soulvement est trs parlante et rvledes racines qui vont au-del des simples hiatuscommunautaires communment avancs. La rvolutiontrahit des lignes de fracture conomiques et socialesavant que de rvler un conflit entre sunnites et chiites.Les campagnes se sont souleves les premires. linverse, le souk dAlep, pourtant presque exclusivementsunnite, est rest trs longtemps favorable au rgime.

    Le politologue libanais Ziad Majed nhsite pas, luinon plus, utiliser une grille de lecture dinspirationmarxiste pour dcrypter les origines de la rvolutionsyrienne. Il y a dans la rvolution syrienne unequestion de classes. Mis part les tudiants, lesintellectuels et les activistes qui ont jou un rleimportant au cours des premiers mois, cette rvolutionconcerne surtout des pauvres, des ruraux, des gensrustres, pour lesquels une partie de la nouvellebourgeoisie syrienne na pas beaucoup de sympathie.Elle prfre sidentifier aux apparences occidentalisesdu rgime, qui en plus protge ses intrts et sesaffaires. Il y a du racisme social. On ne veut voir queles gens qui nous ressemblent. On senferme dansune certaine bulle, et on mprise les travailleurs, lesvendeurs de lgumes, les femmes de mnage et tous

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  • ceux qui les soutiennent . De fait, la rvolte desSyriens avait au moins lorigine un aspect communard romantique, collectiviste et libertaire. Il nest pas trstonnant quelle se soit rapidement heurte desconservatismes.

    Avec le dbut de la rvolution, la population a trs vite

    trouv des solutions pour combler le vide laiss par lesdfaillances de ltat. Ds quil y a eu des zoneslibres, on a eu comme un mouvement spontan, maistrs bien organis : les notables de la ville seregroupaient et craient des conseils locaux, raconte lajournaliste Hala Kodmani. La population sest organisepour le ravitaillement, pour les coles, pour les hpitaux,pour les tribunaux. Deux lments ont fait chouer cetteexprience : dune part, les bombardements du rgime,qui visaient tout particulirement les cibles civiles, etspcialement les coles et les hpitaux, et, dautre part,les islamistes . Mais la rvolte dclencha aussi unecomptition pour le contrle des ressources. Trs vite,ltat rencontra des difficults pour payer les diffrentesmilices et les chabiha (miliciens informels, souventdanciens voyous en charge des basses uvres desservices de renseignements) quil employait danslapplication de sa rpression. Les hommes de main durgime furent donc autoriss se payer sur la bte .Lorsquils mataient un quartier ou prenaient un villageaux rvolutionnaires, ils ne se contentaient pas desattaquer ses habitants, mais se livraient despillages en rgle quon a mme pu voir en direct latlvision.

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  • Le lendemain de la chute de la ville dAl-Qusayr le5 juin 2013, lenvoye spciale de la BBC, Lyse Doucet,obtint des autorits lautorisation de se rendre dans laville rcemment reprise aux terroristes . Le rgimetait tellement satisfait de son succs, vritable tournantdans la rvolution, quil permit son accs un mdiainternational afin doptimiser la publicit autour de cettevictoire. Lquipe de tlvision tait dote de moyenssatellites qui permirent Lyse Doucet, marchant dansles rues, de faire un reportage en direct, sans montage,dcrivant simplement ce quelle voyait autour delle.Bien sr, le rgime avait prvu quelques habitantschargs de clamer leur joie du retour de larme. Mais,ce qui sautait aux yeux, ctaient tous les hommesarms, vtus de treillis dpareills, certains portant desinsignes jaunes du Hezbollah, juchs hilares sur desmotos qui transportaient tout ce que leur monture leurpermettait : mobilier, tls, ordinateurs, appareilslectromnagers On a vu par la suite souvrir unmarch informel Homs, surnomm souk al-sunna ,le march des sunnites, parce quil servait vendre lesbiens pills cette communaut. On assiste en Syrie une folle dgradation de ltat, au point quil setransforme en milice, explique le politologue HamitBozarslan. Selon Weber, ltat, cest une mafia qui arussi. Ltat westphalien a le droit de faire la guerre lextrieur pour protger sa socit. Mais, dans le casprsent, on assiste un tat mafieux qui dtruit sasocit pour vivre de sa destruction .

    Pour autant, le rgime na pas le monopole de la

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  • rapine. La dgnrescence de la guerre civile a conduitles diffrents patrons de katibas se comporter leurtour, bien souvent, comme de vulgaires warlords, deschefs de guerre sans scrupules. Les groupes armsont fait main basse sur les civils, dplore lintellectuelYassin al-Haj Saleh. Pour tout, vous avez besoin deux mme pour avoir manger, vous avez besoin deux. Ilsveulent le pouvoir. Ils veulent contrler les gens. Il y aparmi eux des groupes qui sont plus ouverts desprit,mais leurs ressources sont plus limites et ils sont plusfaibles que les groupes radicaux . Les groupes armssont devenus des acteurs conomiques majeurs. L oils se sont installs, ils ont remplac ltat, dfaillant,pour la fourniture des services de base la population,mais aussi, et surtout, pour lexploitation desressources : usines, fermes dtat, silos grains,boulangeries industrielles, barrages hydrolectriquesLe contrle des frontires, avec les droits de douane auxquels il donne accs, est particulirement lucratif.

    Le contrle des postes-frontires et des barragesroutiers est lune des sources de revenus les plusimportantes pour les brigades rebelles, crit JihadYazigi . Quelque 34 postes de contrle, par exemple,ont t rpertoris sur les 45 km qui sparent Alep de lafrontire turque, soit un poste de contrle tout les1,3 km. Alep mme, le barrage du quartier de Bustanal-Qasr, qui relie les zones rebelles celles du rgime, at lobjet dpres batailles entre plusieurs brigades, carson contrle permet de percevoir des taxes sur toutesles marchandises qui le traversent. En pratique, denombreuses brigades rebelles sont maintenantdavantage concentres sur le dveloppement de leurs

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  • activits commerciales que sur la lutte contre le rgime.Pour celles-ci, ainsi que pour de nombreux autresindividus et groupes des deux cts du conflit, la guerreest source de richesse et sa fin potentielle seraitsynonyme de pertes.

    La principale ressource du pays demeure malgr toutles hydrocarbures. Il est ce titre intressant deconstater que le rgime comme ltat islamiqueprtendent tous les deux librer les populations de latyrannie de lautre, mais que leurs principales bataillesne se droulent pas spcialement autour des centresurbains. Le territoire quils se disputent le plusfrocement est dsertique, mais riche en hydrocarbures.Les combats ont surtout vis conqurir des champs,des raffineries, des oloducs. En loccurrence, la Syriedispose de deux bassins ptrolifres. Le premier stendde Deir ez-Zor la frontire irakienne. Il a t, un temps,un joyau de Shell et de Total, avec une production autourde 400 000 barils par jour dans les annes 1980,dsormais descendue un niveau gure suprieur 100 000. Le second bassin se situe dans lextrmeNord-Est, entre les villes de Qamishli et Hassaka, dansune zone dont le rgime a largement cd le contrleaux peshmergas du PYD, la filiale syrienne du PKK.Cette rgion tait encore en forte croissance au momento la rvolution a clat, avec 250 000 barils produitspar jour en moyenne. Dans la rgion de Deir ez-Zor, lesgroupes arms se font concurrence pour rcuprer unepart de la production de ces champs, provoquant mmedes combats violents entre factions rebelles .

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  • Dun autre point de vue, le conflit dure aussi parce queles diffrents acteurs continuent de percevoir des fondsde leurs sponsors trangers. Ct rgime, les revenusordinaires ne rentrent plus. La bourgeoisie, insatisfaitedu service rendu, ne paie plus limpt. Les exportationsdhydrocarbures ont chut. Rsultat, un curieuxcommerce triangulaire sest mis en place. LIran estdevenu le principal pourvoyeur de devises de Damas etse retrouve rgler directement les livraisons darmesassures par Moscou. Ct rebelles, les soutiensviennent principalement du Golfe, des hommesdaffaires de la diaspora syrienne et, dans une moindremesure, de Turquie et dOccident. Il nexiste, maconnaissance, aucune tude globale sur les ressourcesdes groupes insurgs (rvolutionnaires et djihadistesensemble), mais il est vident que, en la matire, largle du qui paie commande est de mise. Elle nestdailleurs pas pour rien dans la radicalisation du conflit,puisque, lorsque la rvolution sest arme, on a assist une comptition entre katibas pour sattirer lesfinancements du Golfe. Les branches mdias desdiffrents groupes arms filmaient leurs exploits pourattirer les sponsors, et il leur est vite apparu que plusces films taient empreints dun pais vernis islamique,plus ils remportaient de succs parmi les donateurs,pour qui ces dons constituent la zakat, limpt islamiquequi est lun des piliers de lislam. Mais ces donationsreculent, victimes des mesures prises pour lutter contrele financement du terrorisme.

    Parmi tous les groupes insurgs, celui qui a mis enuvre lconomie la plus efficace est probablementltat islamique, dont les finances sont radieuses, au

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  • point den faire lorganisation terroriste la mieuxfinance au monde , selon ladministration amricaine.La contrebande de ptrole, exploite dans les champssous son contrle en Irak et en Syrie, lui rapporterait unmillion de dollars par jour. Cela semble considrable,mais ce nest quune toute petite partie de son budget,que les tats-Unis estiment deux milliards de dollars !Les services de renseignements peinent identifier lesintermdiaires qui achtent ce ptrole sale , unehuile de contrebande commercialise en gnral peu oupas raffine. Ensuite, tout un rseau de financiersvreux recycle les sommes dgages grce un jeu deprte-noms. Parmi les autres sources de revenus delorganisation djihadiste : la mise sac de la banque deMossoul, dans laquelle se seraient trouvs 480 millionsde dollars (une information ensuite conteste etcontredite par plusieurs officiels irakiens), et le trafic desantiquits. Des objets dart, provenant de muses oudglises, seraient revendus des trafiquants,notamment en Turquie (mais beaucoup de rumeurscirculent ce sujet. Le trafic dantiquits par ltatislamique est trs mal document, au point quebeaucoup prfrent insister sur les destructionsdantiquits). Ltat islamique tient galement des pointsde contrle douaniers chacune de ses frontires ettaxe les camions plusieurs centaines de dollars. Enfin,le sous-secrtaire dtat amricain au Trsor DavidCohen dplore quau moins 20 millions de dollars deranons aient t verss ltat islamique pourassurer la libration dotages. Un chiffre videmmentinvrifiable et dmenti par tous les pays concerns.

    Ironie de lhistoire, ltat islamique et le gouvernement

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  • syrien ne sont pas une contradiction prs lorsquilsagit de faire des affaires ensemble. En janvier 2014,Ruth Sherlock, correspondante du Daily Telegraphbritannique au Moyen-Orient, rvlait les dessous duncomplexe trafic de ptrole entre les deux adversaires .Ayant recueilli des tmoignages de services derenseignements occidentaux, dinsurgs syriens et derepentis dal-Qaeda, elle mit au jour des accords quebeaucoup de Syriens suspectaient : le fait que du brutextrait en zone contrle par le gouvernement transitaitpar des oloducs dans des zones tenues par ltatislamique, ou vice-versa, tait, sur le terrain, la preuvedun accord au moins tacite entre eux. Mais lajournaliste du quotidien britannique prouva la duplicitdes deux ennemis : Lassertion quAssad combat leterrorisme dune main de fer nest rien dautre quunevaste hypocrisie, lui confie un agent de renseignementoccidental. Pendant quil sert une fable sur son combatcontre le terrorisme, le rgime a conclu un certainnombre de contrats afin de protger ses intrts etassurer sa survie .

    Cest au printemps 2013 que les premires traces detels contrats entre rgime et djihadistes remontent ,lorsque Jabhat al-Nosra prend le contrle de champsptrolires parmi les plus riches du pays, dans laprovince orientale de Deir ez-Zor. Le rgime paie al-Nosra pour protger les oloducs et les gazoducstombs sous son contrle dans lEst et le Nord du pays,et aussi pour permettre le transport du ptrole vers deszones tenues par le gouvernement , rapporte lajournaliste britannique. Les raffineries de Homs et deBanias, en particulier, nont pas cess dtre

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  • approvisionnes en brut malgr la perte de la plupartdes champs par le rgime. Beaucoup de cesinstallations, conquises par le Jabhat al-Nosra, sontdsormais sous lemprise de ltat islamique, et rien nesemble indiquer que ces accords aient pris fin depuis.

    Ct irakien, ltat islamique a mis la main sur deschamps ptrolifres dans la rgion de Mossoul, maisaussi aux frontires des zones kurdes, et il se bat contrelarme irakienne pour le contrle de la raffinerie deBeiji, lune des plus importantes installations ptrolifresdu pays.

    Enfin, ce nest la moindre des contradictions des

    frappes dclenches par les tats-Unis que davoiraccru les souffrances des civils. Jihad Yazigi dveloppedans une note de blog trs documente limpactfinancier de cette campagne sur les acteurs syriens. Lescibles principales des bombardements ont t, ds lespremiers jours, les raffineries contrles par ltatislamique, dans lobjectif notamment de tarir le ptrolecomme source de financement. Alors quil estprobable que les finances de ltat islamique vontsouffrir de la destruction des raffineries, il nest pascertain que limpact soit aussi important que ne lespreWashington, relve lconomiste. Contrairement auxraffineries, la plupart des champs ptrolifres nont past touchs et lorganisation islamique a toujours lesmoyens de vendre le ptrole sous forme brute. Et denoter que ltat islamique dispose de nombreusesautres sources de financement, notamment des taxes etimpts levs dans les zones sous son contrle.

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  • Jihad Yazigi relve en revanche que la population,elle, eut trs vite souffrir de difficults pour trouver ducarburant. Des pnuries qui deviennent particulirementcritiques en hiver, alors que limmense majorit de lapopulation se chauffe grce des poles domestiquesau mazout. Ce dficit de produits ptroliers a eu un effetinflationniste et provoqu des consquences en chane :le prix des produits, notamment agricoles, a aussiaugment du fait de la hausse des prix de transport, etla fourniture dlectricit, largement dpendante degnrateurs diesel alors que le rseau a t largementdtruit par la guerre, sest rduite encore plus. Quelquesjours aprs les premires frappes, le rgime aaugment successivement le prix du mazout de 33 %, etde 17 %, dans une simultanit qui pourrait bien trahirencore les flux de produits ptroliers extraits en zonetenue par ltat islamique et consomms en zonegouvernementale.

    La terrible ironie de ces frappes, cest que lespopulations souffrent le plus dans les zones qui ontquitt le giron gouvernemental, quelles soient tenuespar larme libre, ltat islamique ou un autre grouperebelle. Le rgime, grce un soutien financierimportant de lIran et de la Russie, parvient en effet maintenir le niveau de vie de la population. Il en est toutautrement des zones qui se sont libres de son joug,avec une petite nuance toutefois pour les rgions depeuplement kurde.

    Linstabilit a dtruit lconomie de production, mis enplace des structures bases dun ct sur la survie, etde lautre sur la prdation. Aux dpens, cest la loi dugenre, de la population.

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  • 1. Entretien avec lauteur.2. Entretien avec lauteur.3. Entretien avec lauteur.4. Entretien avec lauteur.5. Ibidem.6. Entretien avec lauteur.7. Entretien avec lauteur.8. Confrence du 30 novembre 2014.9. Entretien avec lauteur.10. http://jihadyazigi.com/tag/nord-est/11. Lorsque jtais Raqqa en juin 2013, plusieurs tmoins voquaient de

    tels accords, la fois dans la province et dans celle de Deir ez-Zor.12. Ruth Sherlock, Syrias Assad accused of boosting al-Qaeda with

    secret oil deals , op. cit.13. Ce type daccord avait dbut plus tt avec les contrats passs entre

    le rgime, dune part, et, dautre part, les tribus arabes originaires de largion ou le PYD kurde, rmunrs pour assurer la protection des sites etlacheminement des hydrocarbures en direction des raffineries.

    14. http://jihadyazigi.com/2014/11/06/lourd-impact-socio-economique-des-frappes-aeriennes-contre-lei-en-syrie/

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  • 4.

    Une prophtie autoralisatrice

    La radicalisation de la rvolution syrienneest le rsultat naturel de notre inaction.

    Aux gens qui, dans les dners en ville ou lissue deconfrences, viennent me voir dun air apitoy en medisant : Pour sr, mon bon monsieur, que cette histoirede Syrie est un drame sans fin. Mais bon, tout cela,cest tellement compliqu et repartent dans unsoupir de dsespoir, jai pris lhabitude de rpondre parune fable de cour dcole.

    Cest lhistoire dun petit lve qui, chaquercration, se faisait casser la figure par un autre enfant.Llve, sagement, est all voir la matresse pour seplaindre. Laquelle la immdiatement dfendu : Oh,mon pauvre chri, cest pas bien ce qui tarrive , etdaller voir lautre pour le sermonner : Tu es mchant,arrte tout de suite ou je vais te punir Sauf que,chaque jour, chaque rcr, notre enfant se faitmassacrer. La matresse, le directeur, les surveillantsretournent certes voir lenfant violent pour lerprimander, mais ils ne font jamais rien pour larrter.

    Cela fait maintenant trois ans que cela dure, trois ans

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  • que notre lve se fait violenter. Il a dcid de rejoindreun gang pour se protger. Un vrai gang de vraismchants. Alors, tout le personnel encadrant de lcolelui saute dessus pour le critiquer. Et le mchant garon,celui qui cassait la figure, vient maintenant voir lamatresse en crnant : Tu vois, je tavais bien dit quectait un voyou !

    Jai eu, au cours de ma vie de journaliste travers le

    Moyen-Orient, de nombreuses occasions de constaterque les prophties, dans ce coin du monde, sontincroyablement autoralisatrices. En loccurrence, ilsuffit bien souvent de crier au loup pour crer un loup.La violence appelle la violence, comme le dsespoirradicalise et la haine alimente la haine.

    Ds mon premier reportage en Syrie aprs le dbut dela rvolution, en septembre 2011, je minquitais dupotentiel de violence qui tait contenu dans cemouvement naissant. Pourtant, lpoque, il nesagissait pas dune guerre. Il ny avait pas encore decombats. Mais, dj, le pire des conflits paraissaitinluctable, comme je lcrivais dans Le Point.

    Cette rvolution a creus entre les communautsdes fosss qui seront difficiles combler. Le pouvoirtient fermement ses bastions, les villes dAlep ou deTartous, ainsi quune bonne part de Damas. Il peutcompter sur la fidlit sans faille des alaouites, de laplupart des chrtiens et de beaucoup dhommesdaffaires. Mais il sest sans doute alin pour toujoursles sunnites, majoritaires. En face, les rvolutionnairessemblent chouer recruter des partisans en dehors de

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  • leur terreau naturel : les populations les plus modestes,souvent rurales, et les quelques villes industrielles ducentre. Dans tous les cas, lallgeance au pouvoir ou la rvolution dpend largement de la communautdorigine, au point de pouvoir se dessiner sur une carte.Tel village est acquis un camp, tel autre au second.Dans les villes, on passe dun quartier rebelle unquartier loyaliste. Sauf que les deux sont entremls lchelle du pays et ne permettent pas lopposition dese constituer une base arrire consistante. Des deuxcts, beaucoup de gens ont franchi un point de non-retour. La plupart des rvolutionnaires se saventrecherchs par le rgime, qui sera sans piti. Et lessbires du pouvoir qui ont men la rpression cesderniers mois ont peu despoir de survivre sa chute.Pour les uns comme pour les autres, cest la victoire oula mort .

    La radicalisation de la rvolution a t proportionnelle

    au durcissement de la personnalit de Bachar al-Assad,lui dont on disait quil avait choisi, son entre en colede mdecine, de se spcialiser en ophtalmologie parcequil ne supportait pas le sang ! Entre ses annes defac, durant lesquelles Ayman Abdel-Nour le frquentait,et sa prise de pouvoir, la nature efface de lhritier aprogressivement laiss place la duret implacabledun ras. Les souvenirs de son ancien ami, qui acontinu de le ctoyer jusqu son accession au pouvoir,ne manquent pas de piquant : Bachar al-Assad napas eu quune seule vie, il en a eu trois. Le premierBachar a dur jusqu la mort de son frre Bassel [qui

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  • devait assurer la succession de son pre]. Ctait unbonhomme trs normal ! Il tait timide. Il cachait sonsourire, parce quil naimait pas sa bouche, alors il secachait le visage pour rire. Il tait toujours prt rendreservice. Le deuxime Bachar est celui qui est rentr deLondres pour suivre sa formation militaire. Comme iltait docteur lorigine, il lui manquait le respect delinstitution militaire, autrement dit le statut decombattant. Cest pourquoi on la sorti du service desant des armes pour lintgrer au collge de cavalerie,car les tanks sont plus virils. Il a commenc prendredes muscles. Et sa voix, autrefois fluette, sest affirme.Il a perdu toute timidit. Le troisime Bachar est celuiqui accde au pouvoir. peu prs un an et demi aprsson accession la prsidence, il commence seprendre pour Dieu. Cest l que jai cess de le voir .

    Cest en avril 2013, lors dun reportage dans le Jebel

    Zawwiya, que jai pris conscience que la radicalisationtait un processus implacable. Elle allait de pair,systmatiquement, avec une critique de linactionoccidentale. Si vous ne faites rien pour nous aider,nous serons tous des al-Qaeda ! Combien de fois ai-jeentendu cette phrase, profre comme une menace dela dernire chance. Jtais pourtant parti tourner pour lachane Arte un reportage sur Kafranbel, une bourgadeperche dans les collines qui sillustrait sur les rseauxsociaux par des messages humoristiques envoys aumonde. Raed Fares, baathiste repenti , y dirige avecbeaucoup dimagination le centre des mdias desrvolutionnaires, tandis quAhmed, ancien prothsiste

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  • dentaire, est devenu lun des caricaturistes les plusclbres de la rvolte syrienne. Kafranbel, on chantait,on dansait, et on avait encore la force de rire. Onmanifestait mme en famille. Alors que la guerre faisaitrage, que les bombes et les obus tombaient presquechaque jour, la rvolution tait encore bon enfant.

    Une fois sur place, jai dcouvert que le Jabhat al-Nosra accumulait les gains dans la rgion. Je fussurpris de voir que ce dveloppement se faisait enrelative bonne intelligence avec les autres groupes de larbellion. Lors de sa fondation, au printemps 2012, alorsque le quartier homsiote de Baba Amr tait assig parlarme syrienne, le Jabhat al-Nosra jouissait dans unpremier temps dune certaine estime en Syrie. Pluttorganiss, honntes, efficaces au combat avec leurpratique ponctuelle de lattentat-suicide (eux ne parlentque d oprations martyres ), ses membresreprsentaient aux yeux de la population syrienne unbarrage efficace contre le rgime, quand bien mme ellene partageait pas, le plus souvent, leurs vues politiques,religieuses et sociales extrmement conservatrices. LeJabhat al-Nosra sattachait mriter son nom ( Frontdu soutien en arabe, qui est, au complet, celui de Front du soutien la population syrienne desmoudjahidines du Cham dans larne du djihad ). Il nerechignait dailleurs pas aller au charbon contrelarme et sinterposer lorsquelle attaquait. Il prittoujours soin de diffrencier les cibles civiles etmilitaires.

    Pourtant, lors de mon reportage Kafranbel, ce queme dit lun des commandants de lArme syrienne libretait sans appel : Si on laisse le peuple syrien comme

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  • a, il va se laisser gagner par des tendances djihadistesvritables. On va aller vers les mouvements islamistes.Nous sommes tous des musulmans modrs, mais sion nous laisse seuls sur le terrain, nous allons rallier lestendances extrmistes. Ce sera un honneur pour nous !Tous les jours, 500 ou 600 personnes meurent. On veutque nous restions des spectateurs, mais nous nallonspas rester spectateurs. Le monde va payer le prix, car lepeuple syrien ne va pas obir, ni au Conseil de scurit,ni lONU, ni aux organisations des droits de lhomme,ni personne. Comme nous sommes livrs nous-mmes, nous avons le droit de rpondre par nous-mmes, par les moyens que nous jugeons ncessaires.Le peuple syrien est uni, les gens arms avec les gensdsarms, les employs avec les ouvriers, nous avonsun rseau uni, debout contre le rgime. Le peuple va setourner vers ce quil juge meilleur pour lui. Le peuplesyrien, lArme syrienne libre, le Jabhat al-Nosra, noussommes tous unis sur le terrain. Car le Jabhat al-Nosra,que lOccident nous dcrit comme terroriste toutes cesdfinitions leur conviennent eux, les Occidentaux, maispas nous , fait partie du tissu social syrien. On nepeut le sparer du peuple. Ce sont des jeux politiquesdont le peuple syrien est conscient, et dont lobjectif estleffondrement du peuple syrien lui-mme. Pasleffondrement du rgime de Bachar al-Assad. Lesilence du monde entier a pour but leffondrement dupeuple syrien !

    Le succs des groupes islamistes tient plusieurs

    facteurs : leur image defficacit militaire, dintgrit,qui les rend souvent populaires dans la population, mais

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  • aussi la faon dont les fonds sont levs, qui est uneincitation surenchrir dans le discours religieux. Leprincipal facteur de radicalisation, cest que les groupesles mieux quips sont ceux qui ont attir le plus denouvelles recrues, note Zyad Majed. Cest ce qui apermis la croissance des djihadistes, qui sont ceux quiavaient les meilleurs sponsors .

    La popularit du Jabhat al-Nosra drange. Parailleurs, malgr son allgeance al-Qaeda,lpouvantail devient rapidement insuffisant pour que lesOccidentaux ne dtournent leur aide la rvolutionsyrienne. Le rgime continuera donc de pousser laradicalisation de la lutte, contribuant la fois conduirele Jabhat al-Nosra plus de communautarisme, et lacration de ltat islamique. Cest ainsi que le Jabhat al-Nosra, traditionnellement soigneux dans le choix de sescibles, a chang de politique lt 2013, au lendemainde lattaque chimique de la Ghouta, pour favoriser unglissement confessionnel en sattaquant de plus en plus de