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  • Palais de TokyoRuines habitables ?

  • Palais de TokyoRuines habitables ?

  • Palais de TokyoRuines habitables?

    Mmoire de fin dtudes

    On peut aussi bien lire les tableaux de ruines comme les fi-gures dun portrait, voire dun autoportrait Jacques DerridaComme dans un miroir, les ruines renvoient limage de ceux qui les regardent Michel Makarius

    Le passage du temps, lagressivit de la nature ou la main de lhomme crent la ruine. Elle se prsente sous la forme dun espace dont la constitution fragmente est prmdite ou ac-cidentellement dcompose. Cette ruine est de taille, de volume, de proportions, de mat-riaux ou de vocations initiales infiniment va-riables. Elle est ncessairement lie la main de lhomme en tant quobjet architectural. Mais cet artefact renvoie toujours au chaos de la nature ( sa menace constante) et ses transformations diverses. Depuis que lHomme construit, certaines de ses crations architecturales se sont ncessaire-ment dtruites sans quelles naient pour autant acquis le statut dlment digne de considra-tion esthtique. Elle fascine pourtant depuis que la Renaissance la arrach au nant, car elle nat de lintrt que lhomme peut porter sa

  • propre histoire. La ruine se noie cependant dans les conditions qui permettent de la pen-ser. Depuis les redcouvertes antiques Rome, elle a en effet t lobjet de nombreuses tudes et reprsentations, voire de constructions et de reconstructions. Polysmique, son identit se dplace et sadapte la vitesse des nouveaux paradigmes de chaque poque. Elle peut tre le signe dune fin rendue sublime par la distance qui la spare du prsent, tout en faisant valoir la civilisation nouvelle qui porte un regard sur elle. Elle peut tre aussi bien la dsolation du prsent qui saccompagne de la nostalgie des grandeurs passes. Car si la ruine cache souvent lombre dune chute, elle est galement le signe dun possible renouveau. lheure o la fin du monde ne cesse dtre annonce et commente par les procds les plus divers, dans un monde dont la re-configuration est ininterrompue mal-gr la prsence de cette chute envisage, la peur dune fin des fins nest elle pas aussi paradoxale-ment la crainte dun manque de ruines, au sens esthtique du terme?Le Palais de Tokyo, site de cration contempo-raine Paris, est un espace dexposition du dbut du XXIsicle dont la structure architecturale a t labore par Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal. Il ouvre ses portes en tant que muse dart contemporain le 22 janvier 2002. Son b-timent tait alors ferm depuis quelques annes. Il ne ressemblait rien dautre dans le paysage

  • des structures de muses. Le btiment original date de lexposition universelle de 1937, soixante cinq ans sparant seulement la construction du btiment du nouveau muse parisien. Lespace intrieur est en friche, les murs tant le squelette de bton de lancien btiment de lentre-deux guerres. On y a chass tout lment pouvant rendre au monument un caractre original, au sens des intentions initiales de ses concepteurs. La nouveaut offerte par le travail conduit par les nouveaux architectes est celle dun tat pri-mitif dgrad. Cet tat nouveau est en fait la restitution dune tape intermdiaire du chan-tier de dpart, la rvlation dun espace relevant les coulisses de la construction. Dans le mme temps, lensemble fait irruption dans une cat-gorie qui se rapproche de la modernit archi-tecturale entendue dun point de vue orthodoxe: une vrit du matriau (bton), dnud, rendu sa vrit, une honntet brutale. Cest aussi un travail qui sapparente une forme de cri-tique gntique. tude privilgiant lexamen des brouillons et des repentirs plutt que la publi-cation en elle mme, la critique gntique est un travail danalyse littraire qui fait merger les arc-boutants dune oeuvre. Ici, lpure en brouillon questionne le travail de larchitecte et tente de composer un espace non-appro-pri, non directif, permettant lartiste qui sy installe dy composer un territoire qui lui est propre. Pas une surface de mur ou de plafond

  • qui ne soit dchire, gratte, dmolie ou morce-le. Les murs et les plafonds sont laisss dans un tat proche de celui du chantier de restauration brusquement interrompu. Les architectes ont principalement remis aux normes de scurit la structure de bton. La carcasse de lancien btiment tait originellement recouverte de dalles de pierre calcaire. Nettoye de son vieux manteau blanc, elle devient un nouvel espace de prsentation de la cration contemporaine. Le raffinement intellectuel et esthtique attendu pour un nouveau muse parisien se mle alors au spectacle dun navire naufrag et ravag par les bulldozers. Les visiteurs, en entrant dans ce muse, dcouvrent un espace en friche en plein cur du XVI arrondissement de Paris. Lin-trieur djant fut vivement critiqu par le public parisien lors des vernissages douverture: la surprise fut telle quon parlait de dsacralisa-tion de lart, lhabitude voulant quun muse dart contemporain prsente ses uvres dans de grands espaces blancs.

    Nous navons pas organis une ruine pr-cisent les architectes, prfrant le terme dha-bitation celui de rhabilitation. Pour Anne Lacaton et Jean Philippe Vassal, le projet du Palais de Tokyo rponds un dsir dhomo-gniser lextrieur et lintrieur, et de prfrer une dimension modulable limmobilisation habituelles des murs de muses. Il sagit pour

  • les architectes de rendre lespace architectural au public et au spectateur du lieu. Le confort dune maison et le renouvellement constant dun es-pace de vie se substitue alors limmensit du palais et son apparence dgrade. Ce texte se situe au sein de cet cart, entre une nouvelle conception de la ruine et le propos des architectes. Le spectacle de la dgradation, contrastant avec les boulevards finis et lustrs qui lentourent, nous engage en effet re-formu-ler la question de la ruine. Quen est-il si nous renversons le propos des architectes : lorgani-sation dune ruine lpoque contemporaine ne ncessite-elle pas labandon de sa dimension de dmolition? Ne pourrait-on pas envisager le Pa-lais de Tokyo comme une ruine dynamique o les murs ne tomberaient pas verticalement? La perception de la ruine notre poque nest-elle pas ncessairement bouscule par de nouvelles conceptions du temps et de lespace? La ruine ne peut-elle pas tre pense comme un paysage parcourir, une maison habiter?

    lintrieur de cet espace hors-norme, le re-gard du visiteur oscille en effet entre la valeur contemporaine des uvres quelle cloisonne et la valeur historique dgrade du btiment. La prsence liqufie des murs entre lesquels sac-complit la circulation irrigue de fait la ruine dun sang neuf. En effet, ce qui apparaissait il y a si peu de temps comme une image de ds-

  • hrence, de dcadence ou de dclin se mue en objet de conscration. La ruine qui doublait le spectacle orgueilleux de son pass dune dso-lation face la fugacit des choses adopte ici le visage de sa pure exaltation. Les marques de lir-rversibilit du temps qui passe se transforment en signe de la contemporanit et senivrent des odeurs broyes du prsent. La coquille en bton du palais de Tokyo renverse galement les attri-buts normaux de la construction: la dmolition, la destruction ou mme leffondrement dune architecture deviennent lun des procds mo-teur dune nouvelle rection physique et figure. Car lacceptation dun difice en friche ne signi-fie pas paradoxalement labandon de lambition du projet architectural. Les perspectives esth-tiques de construction se dforment et tendent adopter de nouvelles rgles, plus hasardeuses, limage de la trajectoire erratique des pierres qui tombent. Quelles sont ds lors les condi-tions de pense qui permettent lutilisation dun espace dgrad comme lieu de prsentation de lart contemporain? Comment faut-il regarder la perspective multiple points de fuites dun lieu fig dans un futur antrieur qui consacre lart de notre temps?Lobjet de ce texte est dtudier cette transfor-mation de perception de la ruine. Il sagira dans un premier temps de penser la tension entre un espace mlant ses propres dcombres et son actualit de bote prcieuse. De mme que

  • Ptrarque entre dans les restes des temples et des forums antiques une poque o la ruine nexiste que comme horreur, nous tentons ici de pntrer le palais de Tokyo afin de reconsidrer ce qui tait encore hier le signe dun affaiblisse-ment, dune perte de pouvoir, dune disparition imminente. Pour tenter de mettre bien ce pro-jet, nous accepterons entre autre des ellipses, des virages et sauts quantiques afin danalyser au mieux ce changement de perception. Il ne sagit pas en outre de circonscrire la ruine lespace ar-chitectural du muse parisien. La deuxime am-bition de ce texte sera de regarder la ruine sous un aspect plus gnral et dy chercher le reflet de la cration contemporaine. Tout en maintenant lide selon laquelle la ruine nest plus synonyme de chute, un parcours autour duvres choisies pour leurs qualits intrinsques donnera pen-ser la tension contradictoire dune ruine riche du prsent et de son spectateur. Le texte sani-mera ainsi de la croyance selon laquelle la ruine reflte lhomme qui la produit. Il ne sagit pas ici de se plonger dans une analyse critique de larchitecture contemporaine, ni de faire une analyse historique du muse. Ce texte nest pas non plus une critique de lart contemporain et de ses lieux dexposition et de cration, bien au contraire (le btiment ayant par ailleurs dj essuy assez de maldiction avant mme son dification). Il sagit bien plus de montrer lim-portance de la ruine et de ses bouleversements

  • multiples face au renouvellement incessant des villes daujourdhui (Paris tant presque une ex-ception mondiale en terme de permanence de son tissu urbain, ce qui tend renforcer encore la place quy occupe le Palais de Tokyo), et de la considrer comme le nud spatio-temporel o se renouvellent les questions de la cration contemporaine. Cest son reflet dans le liquide dynamique du prsent qui fait lobjet de ce texte. Tel un jeu de miroirs, il sagit de penser que la ruine revt le manteau de notre prsent, dsor-mais dbarrasse du poids dun temps linaire.

    1 DERRIDA Jacques, Mmoires daveugle, Lautopor-trait et autres ruines, RMN, 19902 MAKARIUS Michel, Ruines, Au fil de listoria, p.22.3 FORERO-MENDOZA Sabine, Le temps des ruines, Champs Vallon, 20024 CASCARO, Le muse dcontract, David Cascaro, 2006 http://www.lacatonvassal.com/publications.php5 BOURRIAUD Nicolas, SANS Jrme, Histoire du palais de Tokyo Magazine N156 DIDI-HUBERMANN George, corces, ditions minuits, p.68.

  • TABLE

    Repoussoir n1 : Labri du temps : Une oeuvre dart de la Renaissance

    Repoussoir n2 : Ex-temps : Une thorie du temps

    Repoussoir n3 :Vershlant : Lorigine du mot friche

    Repoussoir n4 : Rseaux mentaux : Limmatrialit des oeuvres

    Repoussoir n5 : Horizontalit labyrinthique : Une exprience de la marche

    Repoussoir n6 :Fiction : Les ruines, un pige du temps?

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  • Labri du temps

    Lart ntait pas l abri du temps. Il tait l abri du temps Jean-Luc Godard

    La perception de la ruine est videmment diff-rente selon lpoque qui la regarde. Cependant, certaines attitudes vis vis de la ruine appa-raissent dans certains textes et disparaissent ensuite, et se manifestent dans leur poque sur-tout en fonction de leurs puissances paradigma-tiques. Par exemple, si elle renvoie parfois la dsolation du prsent, la ruine peut galement renvoyer la dlectation de son actualit, sans pour autant perdre en force nostalgique. Pour qualifier le rapport de ces croisements, nous parlerons ici de rgimes de perception qui se superposent, sassimilent ou se contredisent. Ces manires de percevoir ne sont pas statiques, elles passent par des tensions dynamiques, des renversements logiques et des changes contra-dictoires. Un exemple prcis permet de mieux comprendre les fluctuations dune perception. Louvrage Hypnerotomachia Poliphili, crit en 1467 par Colonna, montre un personnage rvant des grandeurs du pass en face de ruines. Cette attitude soppose certains des contemporains de son auteur, qui observent le reste des em-pires dans une perspective plus archologique. Brunelleschi et Alberti avaient pass beaucoup de temps tudier les ruines de la Rome an-

  • tique, mais seulement afin de dcouvrir quelle tait lapparence des difices lorsquils ntaient pas en ruines. [En revanche,] Colonna se laisse aller, en prsence des ruines considres comme autant de symboles de linstabilit des choses, au plaisir sentimental et mlancolique quelles lui procurent, sentiment qui, plus tard (au XVIII sicle surtout), allait tre trs la mode. Si ces deux attitudes sont clairement les tmoins dune conscience historique (plus lHistoire est prsente, plus on regarde les ruines), ils nen t-moignent pas moins de rgimes de perception opposs. Ainsi, ce qui fait lobjet de ce texte nest pas tant lmergence dune transformation radi-calement nouvelle que le changement actuel de rgime de perception paradigmatique. Pour dgager un mme rgime de perception au sein des mouvements infinis de considration de la ruine, nous allons utiliser ici la Nativit de Francesco di Giorgio Martini. Ce tableau fait tat dun vritable topos pictural la Renais-sance, la reprsentation des ruines dans la nati-vit. Ce thme montre gnralement une scne o le lieu de naissance du Christ est presque ciel ouvert parmi des vestiges antiques. Une charpente triangulaire, archtype du toit et de la maison est souvent construite sur ces murs dlabrs. Souvent labores partir de limage-rie des restes des grandeurs de Rome, les repr-sentations de ruines qui entourent la maison du Christ signifient lerreur des cultes polythistes

  • et la chute des civilisations du pass avant larri-ve du royaume de Dieu. Les ruines des temps antiques juxtaposes la jeunesse du fils de Dieu sont en fait les deux pinces dune mme tenaille. Elles dsignent un nouveau monde en gestation, en train de se rgnrer avec les pierres du pass. Le monde dans lequel le Christ arrive est en ruine, mais par sa prsence il sy forme comme la rgnration dun nouveau temps, construit sur et avec les erreurs du pass. Au moment o elles ne font que commencer tre reprsentes, les ruines nont donc pas le visage entirement tourn vers le pass. Dans la Nativit de Martini, un toit a t fix dans lchancrure de lancien arc de triomphe. Ce toit est simplement pos sur les ruines, il a un pied sur une corniche et lautre dans une fissure.

  • La porte antique est donc pense comme une ruine-abris qui dsigne le renouveau chrtien aprs le chaos paen. Parce quelle est le chan-tier dun monde nouveau, la ruine-abri dsigne le prsent : elle est le moteur de loeuvre dau-jourdhui.Parce quelle possde galement un toit et parce quelle est conjugue au prsent, la ruine du XXIsicle participe du mme rgime de rcep-tion de cette ruine-abri, espace paradoxal dune dgradation qui protge. Le palais de Tokyo est travers par cette concordance entre ruine et chantier, protection et menace, extrieur et intrieur. Cette ruine est de fait une protection: elle est claire, chauffe, et les intempries ny pntrent pas. Si son agencement architectural nest pas utilis comme repoussoir dun renou-veau, il sapparente en revanche une immense cabane dont la particularit est dtre la fois protection et ruine. Tiberghein, dans un court texte intitul Notes sur la nature, la cabane et quelques autres choses, a thoris la nature de la cabane. Construction prcaire, elle nest pas caractrise par son aspect rudimentaire et sa taille, mais par sa permabilit. La cabane nest pas un espace clos, autonome ou inaccessible. Ce qui la distingue de la maison, cest louver-ture entre le dehors et le dedans, la communi-cation dun ailleurs qui la pntre continuelle-ment. Elle ne tente pas de retirer du monde son habitant mais lexpose au dehors. La cabane est

  • une construction qui se substitue au paysage qui lentoure, en rapport dialectique constant entre lextrieur et lintrieur. Le palais de Tokyo, dans une plus grande mesure, renvoie galement la forme de la cabane. Pens comme un paysage, ses lignes sont rythmes par dimmenses ouver-tures qui tombent daplomb sur son plan hori-zontal. La deuxime intervention architecturale a donn lieu un espace grand de 22000 mtres carrs. La luminosit, la circulation, le passage et la grandeur des proportions sont mis en avant dans le projet des architectes. Le muse a t pens comme une dynamique de croisements des flux et des mouvements. La place Jaama el fna Marrakech, Alexanderplatz Berlin, ainsi que le Fun palace de Cdric Price ont t utilises comme rfrences architecturales. Les mots quutilisent les architectes Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal ne proviennent pas du vocabulaire de la ruine. Pour eux, le terme ha-bitation convient mieux que celui de rhabilita-tion pour le projet. Cest une ruine non dsole, son visiteur ny passe pas comme dans un ter-ritoire hostile, mais y sjourne le temps dune visite. Tout lquipement susceptible de rendre confortable la visite du lieu est runi en dpit de la dgradation du monument. Laspect double dun espace bienveillant plac au milieu de d-combres subsiste comme acceptation dune ten-sion contradictoire, mais unie.

  • 1 GODARD Jean-Luc, The old place (1999) in Four short films, DVD, ECM cinma, 2006. Min.16:002 BLUNT Anthony, La thorie des arts en Italie de 1450 1600, gallimard, 1956, p.70.3 LACATON Anne et VASSAL Jean Philippe, In-terview, Histoire du palais de Tokyo, Magazine N15,11 MAKARIUS Michel, Ruines, Rome rayonnante, p.52.

  • Ex-temps

    Les ruines sont le reflet dune certaine concep-tion du temps. Quelles amnent penser les dcombres comme splendeur du pass ou comme dsolation du prsent, elles ont toujours tmoign de lintrt pour le rythme qui scande, par oscillation entre destruction et construction, la continuit de la vie. Les dcombres, dans leur apprciation esthtique, rendent compte de la manire denvisager le temps car lhomme voit dans la ruine lobjet de son propre renouvelle-ment. Leur spectateur admire en fait le spec-tacle de sa propre vie, voire de son propre corps, marqu par une fin ncessaire et les renouvel-lements quelle implique. Ainsi, les ruines for-gent le rgime de perception du temps de celui qui les regarde, elles saccordent avec la manire de penser le temps. Si les ruines naissent avec la conscience historique, donc dune position dans le flot continu du court des choses, cette naissance se voit tre marque par une concep-tion du temps linaire. Quen est-il cependant lorsque cette gomtrie est plonge dans le bain acide dun temps post-moderne, reproductible et infini, dont les cadences sont en surnombre?Dans un court texte intitul Comrades of time, Boris Groys nous invite penser une nouvelle perception du temps au sein de lart contempo-rain. Pour le philosophe, le temps a perdu des qualits de profondeur depuis la chute des r-

  • gimes communistes. Ses points de fuites se sont rapprochs nettement de la position du spec-tateur. Cette conception du temps trouve ses origines dans le passage des projets politiques modernes utopique lre postmoderne. Lart contemporain dveloppe un temps en excs, fond sur une vision dynamique dun prsent qui faonne pass et futur en continu. Pour as-seoir cette ide, il utilise la vision traditionnelle de la cration dobjets: il y a un temps de pro-duction et de travail et un temps illimit dusage du produit. Les utopies et les projets moder-nistes peuvent tre penss de la mme faon : lpoque moderne, le prsent est la situation ncessaire pour travailler, penser et achever les imperfections. Son caractre imparfait fait alors de lui lespace en chantier dun futur meilleur. Ainsi, le prsent (son chaos et ses incertitudes) ne saurait tre lendroit dun renouveau de lhu-manit, ils en est seulement le moyen. Lqui-libre entre leffort de la mise bien du projet tait donc autrefois compense par la certitude dune jouissance infinie en lobjet achev. Les choses ont ds lors volu depuis que le projet communiste sest effondr. Si, lre moderne, le prsent renvoyait un futur meilleur, nous sommes dsormais tents de ne plus y croire jusqu en tre las ou ennuy, ou incapables de le penser. Aujourdhui, lancienne foi dans le fu-tur a t dfaite et le sentiment quon prouve face la possibilit dun prsent meilleur se noie

  • dans la possibilit de dception de ne jamais voir se raliser une quelconque amlioration. Ds lors, la perte dune perspective historique infinie gnre le phnomne dun temps non productif, dune perte de temps. Ce qui vient remplacer lide du meilleur dans le futur, cest en quelque sorte un temps qui renouvelle la las-situde du prsent constamment. Il est comme le tmoin dune mise en uvre dune vie sans rserve temporelle, au del de sa valeur tendue dans les champs des projections conomiques et politiques modernes. Lart contemporain possde cette qualit dun temps en excs qui ne se consomme que pour lui mme. Les ex-positions temporaires prennent le dessus sur les collections permanentes, les uvres dart exhibent des boucles infinies ou sans dbut ni fin. Chacun peut rpter le temps que propo-sent les vidos des endroits et des moments diffrents. Les fichiers dune uvre dart nu-mrique peuvent se multiplier linfini. Ainsi, pratiquer la rptition littrale peut tre vue comme le point de rupture avec la continuit de la vie en crant un excs non-historique de temps travers lart. Lart contemporain pro-pose un espace-temps qui ne projette rien, qui sexprimente en excs, cest dire dans aucune exprience linaire du temps. Il creuse dans la surface du prsent le trou dun renouvellement incessant de lui mme. Une telle thorie du temps ne peut laisser la

  • ruine dans sa position erratique. Le rgime de perception dun temps excessif recouvre la ruine dune cape dinvisibilit. Car lorsque le temps est volumineux et pens comme une perte, les ruines ne peuvent plus le segmenter de faon linaire. Une fois nettoye de cette gomtrie, la ruine prend lapparence confuse du chantier. La perception du temps en excs court-circuite les ruines contemporaines de leur possible pas-sage dans un temps linaire. Cette perception du temps transforme le chantier et ses artifices en ruine du prsent. La conservation infinie des ruines du forum de Trajan Rome, par exemple, le retire dsormais dune position prcise dans le temps. Figes en ltat et conserves de ma-nire ce que lrosion ne laffecte plus, le forum est ptrifi dans un temps en excs, infiniment consommable et perd ds lors en puissance nos-talgique. La restauration infinie des ruines leur fait prendre laspect dun chantier continuel de restauration et de protection. lvocation concrte des fondations dun nouveau btiment rpond immdiatement lide de sa destruction et de sa reconstruction superpose. Si lide abs-traire danantissement prcde les apprcia-tions esthtiques de la ruine, cest de lide dun renouvellement incessant que semble natre aujourdhui lvocation des ruines. Le chantier, parce quil runit la fois des traits de construc-tions inexistants et des fragments incomplets, sapparente dsormais comme les ruines (im-

  • mdiates) dune construction.Un geste oppos permet galement de soulever le voile dinvisibilit. Lautre manire de penser lexcs est celle de son effet contraire : la sen-sation dun temps pur dont lextension serait illimite, homogne, infiniment condense. Les ruines ajoutent la nature quelque chose qui nest dj plus de lhistoire mais qui est tem-porel. Le paysage des ruines, qui ne reproduit intgralement aucun pass et fait intellectuel-lement allusion de multiples passs, double-ment mtonymique en quelque sorte, propose au regard et la conscience la double vidence dune fonctionnalit perdue et dune actualit massive, mais gratuite. Il affecte la nature dun signe temporel et la nature, en retour, achve de le dshistoriciser en le tirant vers lintemporel. Le temps pur, cest ce temps sans histoire dont seul lindividu peut prendre conscience et dont le spectacle des ruines peut lui donner fugitivement lintuition. Marc Aug dcrit ici lexprience dun temps pur, libr de toute linarit. Ce temps pur est en fait le nom des directions infinies du temps contemporain. Il est lautre visage des multiples rgimes de tem-poralit que les ruines excdent. Les multiples passs, lactualit massive, la double vidence produisent le caractre immacul de ce temps pur. La double mtonymie dsigne en fait le caractre multiple de passs contredisant le pr-sent. Cest une tension paradoxale : dune part se

  • multiplient les possibilits temporelles, dautre part celles-ci se synthtisent en une forme im-macule. Ainsi, la perception contemporaine de la ruine cumule des rgimes de temporalit diffrents qui rendent compte de la puret du prsent et de sa finitude. Les ruines concentrent le spectacle de dmantlements multiples qui donnent au prsent la sensation dune puret. On fait lexprience des ruines la fois comme dun trop-plein, comme le dtour dans une paisseur de temps qui nous ramne au prsent, mais galement comme dune puret tempo-relle parfaitement homogne. Le Palais de Tokyo, ruine labore sur le sque-lette dune construction du sicle pass, est une adquate traduction de cette perception du temps. Chantier en ruine, il produit cette excavation en excs dans la surface temporelle du prsent. Espace aux dimensions temporelles multiples, il rduit la distance entre sa construc-tion et sa destruction dans sa propre actualit. Le btiment est de ce fait prsent sous ses di-mensions finies, infinies et inexistantes : il est la fois un projet en chantier, la possibilit de celui-ci, et sa propre conclusion dans le prsent. En ramenant le chantier, son achvement et sa ruine sur un mme plan, il runit dans le pr-sent diffrentes directions du temps, animant le passage du visiteur de plusieurs promenades par accumulation. Il y a en effet une stratifica-tion de temps de construction qui se donnent

  • voir dune manire homogne. De mme que le temps propos par Boris Groys se pense au moyen dun dveloppement en excs, de mme le palais de Tokyo carte les lignes du temps. Rien, dans son architecture, ny est fig: tout y est en mme temps projet, construit, termin, empaquet, utilis et dtruit dans une boucle infinie. Le temps pur sy peroit comme un excs, une perte de temps. Lensemble archi-tectural propose des sauts dans le temps qui se renouvlent en continu dans un prsent obse, runissant toutes les dimensions possibles de ses ralisations passes et futures. Lespace du Palais de Tokyo produit un voyage loign du temps linaire qui dborde dans le prsent du muse.

    1 voir SIMMEL Georg, les ruines2 GROYS Boris, What is contemporary art? e-flux journal, Sternberg press, 2010, p.28.Trad. de l angl. : The loss of the infinite historical pers-pective generates the phenomenon of unproductive, was-ted time. However, one can also approach this wasted time more positively, as excessive time -as time that at-tests to our life as pure being-in-time, beyond its value within the framework of modern economic and political projections3 FORERO-MENDOZA Sabine, Le temps des ruines, Champs Vallon, 2002, p.22. 4 AUG Marc, Le temps en ruines, Galile, 2003, p.43.

  • Verschlant

    La ruine gnre des espaces dont elle souligne la nature modifiable et phmre. Si elle tra-duit une exprience particulire du temps pour celui qui la regarde, elle sinscrit toujours dans une perception topologique. La friche, les d-combres, le terrain vague, les vestiges peuvent se voir comme autant de sous-catgories de la ruine. La friche industrielle, caput-mortuum des alchimies mcaniques, a longtemps symbo-lis le renouvellement du progrs industriel et ses rejets ncessaires. Si lart contemporain fait delle un lieu privilgi pour lexposition de la cration, ne participe-t-elle pas dun La friche, dans son sens courant, est un terrain vierge laiss labandon. Elle dlimite une fron-tire peu claire entre nature et culture, o lagri-culture, par exemple, sest substitue un espace non utilis mais non naturel. En ce sens, cest un espace alternatif : il se situe entre un pass dont les fonctions antrieures seraient rvolues et un futur dont lobjet est pour linstant sine die. Etymologiquement, le mot friche vient du nerlandais versh, ou kirsch, qui veut dire frais, nouveau. Employ avec le mot lant terre [le verschlant] dsigne une terre quon a gagne sur la mer en lendiguant. Ainsi les polders, ces tendues de terres neuves gagnes sur la mer, se-raient lorigine de ce qui pourrait sembler tre leur oppos, le terrain abandonn. Un mme trait de caractre traverse pourtant les deux vi-

  • sages de ces espaces sans destination. Le polder est un espace neuf, vol au domaine maritime. Presque cre ex nihilo, il nat du repoussement de leau, de son retrait forc. Il surgit de lcarte-ment dune frontire et propose un espace neuf de tout regard. Le polder nest pourtant pas le remblaiement dun espace liquide avec des l-ments solides. Il est lasschement, la recompo-sition terrestre dun espace aquatique en terre fertile. Ce qui sopre, cest ds lors un renverse-ment de son statut. Il ne sagit pas de transfor-mer le liquide en solide, auquel cas le remblaie-ment de pierre suffirait, mais de modifier son anatomie et de transformer un espace maritime en espace terrestre. Le polder ne saccommode pas de son pass marcageux, il en est loppos. La friche, avant de dsigner la ruine, est donc dabord un terrain vierge, un espace alternatif qui na pas encore de ralit fonctionnelle. Cest un espace vierge, au sens o il nest pas tach par la sueur dun travail ou dun statut. Il figure comme une page blanche, lave par le passage du temps de ses anciennes critures (naturelles ou humaines). Ainsi, le polder comme la friche font partie dun courant contraire. Dans un mouvement de retrait, dans le sens oppos de sa direction premire, il sinsre veau leau dans la surface terrestre de manire crer un apport, une prothse de terre. En tant quespace vierge, la nature ne sy est pas totalement retire et lhomme ne peut pas encore en faire usage. La

  • difficult de lopration renseigne galement sur le temps dattente, de gestation du lieu avant sa mise en production. Espace endigu, le polder ncessite du temps de fabrication et une chirur-gie complexe - le pompage tait par ailleurs autrefois motoris par les moulins vent. Ain-si, le vershlant est aussi un espace en devenir, une dmarcation dont la caractristique serait dtre en attente. Lespace en friche marque ce mme temps darrt. Leurs fonctions rvolues, les espaces en friche sont librs de toute acti-vit. La friche est un espace de recul, de retrait et dloignement, comme le polder lest sur la mer. Elle sloigne de la trajectoire voulue, des intentions initiales de lhomme ou de la nature, tout en exhibant sa virginit. Elle est le terrain dune utilit non dcouverte, susceptible (ou non) de trouver une nouvelle fonction. En ce sens, elle devient une possibilit, un entre-deux, la matrice dun possible en recherche. Lespace en friche est la carte de trajets qui nexistent pas encore, dune fertilit qui na pas t rendue en-core possible. Elle tire le terrain de manire tre la fois un abandon et une puissance ru-nie. Cest le terrain propre de la recherche, qui seffectue sans directions, par pure gratuit. Le terrain en friche a t vid comme par lusage nomade du sol qui dlaisse la terre aprs lavoir transforme. Pour le nomade, on peut [] ex-ploiter la terre et labandonner une fois quelle a donn.. La friche sapparente cet espace

  • brl, mtamorphos, la jonction des artefact et des objets naturels. Elle tmoigne la fois de lappauvrissement de ses capacits antrieures et de sa force future.Lart contemporain est, dans une certaine me-sure, fascin par cette dimension topologique despaces alternatifs. En recherche constante dun ailleurs, lart dveloppe par exemple des terrains en sappropriant des terres qui lui sont trangres. Dans cette perspective, lexposition lexpdition scintillante de Pierre Huyghue peut se lire comme la recherche dun espace de travail propre lart. Il sagit dune symphonie qui combine une srie dhypothses mettant en relief les progrs dun voyage qui appar-tient surtout au spectateur. Lexposition tente de renverser les attributs de la fiction : lartiste y propose une histoire (la dcouverte dune le en antarctique) qui devient la raison dune ex-pdition relle, mi-scientifique mi-artistique. Il dgage donc un terrain propre lart, qui se d-gage de la fiction parce quil la rend relle tout en reconnaissant sa fausset. Lexposition tente de traduire ce voyage sur trois tages, chaque niveau correspondant une partie de lexpdi-tion. Le premier tage sert de premier acte: un bateau taill dans la glace est en train de fondre. Il est la fois le moyen du voyage et une partie de lui. La salle suit les mme conditions m-torologiques dcrite dans le texte du carnet de bord, retransmises par un poste de radio. Le

  • deuxime tage rejoue les Gymnopdies dErik Satie (1888) alors quune bote blanche met de la fume et des rayons de lumires colores. Au troisime niveau, la restitution du voyage se fait par une patinoire dont la glace est sombre et o patine une danseuse professionnelle. Loeuvre de Pierre Huygue mle diffrentes modalits de temps : celle du prsent de lexposition, le hors-temps de la fiction, le temps du dplacement, la dsignation dun moment dans le pass, la tem-poralit de la lgende. Lorsque Pierre Huyghe dcrit son projet, il met en relief la tension entre le caractre mental, immatriel de sa recherche et son investigation physique. Cest un d-placement vers un ailleurs, on pourrait se dire quon invente des fictions et quon se donne les moyens rels daller vrifier leurs existence. On pourrait le voir comme un processus mental, aller chercher une ide et puis aprs la mettre en lumire. Dans un type doeuvres bien plus proches de la ruine au sens classique du terme, les installations dAnselm Kiefer rvlent ga-lement la manire dont on peut faire natre des espaces alternatifs en utilisant les tensions temporelles de la ruine. Comme lon difie une maison sylvestre, lartiste-architecte cre une autre demeure, qui est tableau. Mais alors que le monde est dangereux et dsordonn, larchi-tecture nest pas nette, elle nest pas fixe, elle ne suit pas un ordre gomtrique. Et cette utilisa-tion de la biomasse peut apparatre comme un

  • symbole de ce que cre le plasticien: un autre espace, une conception autre de llaboration du rel. Les oeuvres dAnselm Kiefer donnent voir de manire explicite la capacit des ruines sextraire du temps et de lespace. Le travail de Tatiana Trouv rend galement compte dun processus de recherche despaces alternatifs en gnral, mais particulirement dans ce quelle nomme justement des polders. Ces maquettes de lieux implicites parasitent en effet un es-pace pour en changer la nature. Il sagissait de reconstruire des lieux dans lesquels javais vcu ou dans lesquels quelque chose stait produit: des reconstitutions despaces, de mmoire sous la forme de maquettes. Ces polders sont r-cuprs sur des lieux ambivalents et sans grande utilit. La conqute dun espace par la resti-tution dun autre dgage ainsi une nouvelle frontire entre le regard du spectateur et lespace qui lenvironne, de la mme manire quun pol-der hollandais fait muter un interstice en nou-veau territoire.

    1 http://www.cnrtl.fr/etymologie/friche/substantif2 TIBERGHEIN A. Gilles, Notes sur la nature, la ca-bane et quelques autres choses, cole suprieure des arts dcoratifs, 2000, p.23.3 GRAU Donatien, Anselm Kiefer, lespace et la ruine, Li-gea Potique du chantier, juillet-dcembre 2010 XXIII anne N101-102-103-104 p.209.4 COUDERT Gilles, Pierre Huyghe, Celebration park, Paris, A.p.e.e.s. prod. cop. 2008, DVD

  • 5 MANGION ric, Tatiana Trouv, www.lespresses-dureel.com/PDF/14066 http://www.dailymotion.com/video/xphja0_pa-roles-d-artistes-tatiana-trouve-polder-2001_crea-tion#.US_We-g1GhM

  • Rseaux mentauxLe moi subjectif et le monde quil contemple doivent tre considrs comme les deux faces, la double manifestation et le double produit dun mme principe. Emmanuel KantSomething you cross, where you suspend your conclu-sions.Pierre Huyghe

    Malgr leurs fragmentations, les ruines ne sont pas un tas de cendres ou de poussires. Elles runissent assez dlments pour que le specta-teur les regardent et prouve une rflexion sur sa propre nature. Comme on lit lpure dun monument dans les ruines, on regarde dans les fragments lamorce dune totalit immatrielle. Le fragment ne se rapporte au tout que pour le mettre en question, le supposer comme absence, ou nigme, ou mmoire perdue. De la mme manire, on peut trouver une fascination de lart contemporain pour le fragment et la capacit du spectateur restituer lpure dune oeuvre. Dans louvrage Radicant, Nicolas Bourriaud montre une forme darticulation discontinue de loeuvre contemporaine. travers un prin-cipe de composition bas sur des lignes traces dans le temps et lespace, loeuvre se dveloppe [] comme un chanage dlments articuls entre eux - et non plus dans lordre dune go-mtrie statique qui en assurerait lunit. Les installations, sculptures, expositions composent cet ensemble dconstruit et transforment un

  • espace comme autant de points de rencontre entre le spectateur et loeuvre. La consistance htrogne et discontinue des lments permet dimmerger le spectateur dans un bain de signes quil retraduit intrieurement. Cette articu-lation sopre de manire rendre la prsence de lhomme insparable de loeuvre contempo-raine. Le parcours physique dans les oeuvres sassocie alors la forme clate des parcours dexpositions. Loeuvre contemporaine ncessite une exploration qui est mise en forme par diff-rents points de vue. Pour une famille doeuvres, la composition est donc interactive, il sy opre une dambulation autour ou dans loeuvre qui correspond une forme-trajet. Celle-ci peut renvoyer un ou plusieurs lments absents, loigns physiquement, passs ou venir. Elle peut se composer dune installation connecte sur des vnements ultrieurs ou sur dautres lieux; elle peut rassembler dans un mme es-pace-temps, linverse, les coordonnes cla-tes dun parcours. Lespace-temps parcouru devient lendroit dune rencontre de plusieurs points-clefs, qui sorganisent comme autant de traductions de lespace. Dans le trajet du spec-tateur, loeuvre na donc pas de gnalogie fixe. Elle est un concentr, un ensemble de fragment dont la gnalogie sorganise dynamiquement. Ainsi, ce qui se dveloppe, cest une identit de loeuvre dracine. Elle projette le spectateur dans un tissu de rfrences quil reconstruit

  • comme autant de morceaux dun puzzle. Ses origines se fondent sur des vnements brefs ou anecdotiques, documentaires ou non, dans les fantasmes de la fiction ou dans les sinuo-sits du temps. Ainsi, les oeuvres senracinent dans le prsent des spectateurs et accentuent limportance de la restitution mentale. Celle-ci complte loeuvre en fonction des indices que le spectateur reoit comme autant de signes qui scandent son parcours. La citation clbre de Duchamp du spectateur qui fait loeuvre est en fait limage simplifie dune coexistence dun espace-oeuvre dconstruit un espace mental qui le reconstruit. Ce travail intrieur, Jacques Rancire le nomme la reconfiguration ici et maintenant du partage de lespace et du temps, qui redfinit le rle du spectateur et de son immobilit dont on a pu penser tort quelle tait de la passivit. Pour Rancire, liner-tie du spectateur est la face brillante dune pice dont le ct cach reconstitue dans lombre ce qui est donn voir. De la mme manire, cer-tains espaces de lart deviennent solidaire du spectateur qui r-articule constamment un ob-jet dsarticul. On peut en ce sens avancer une famille doeuvre dart contemporaine structure sur la forme dune ruine-chantier. Les ruines soffrent celui qui les parcourt comme un pass quil aurait perdu de vue, oubli, et qui pourtant lui dirait encore quelque chose. La ruine a la

  • puissance dactiver des morceaux de mmoires qui nappartiennent pas celui qui les regarde, mais quil est capable de restituer de manire autonome, limage dun chantier intrieur. Dans la ralit, loeuvre est en ruine, mme si elle prend la forme du chantier pour celui qui la regarde. Elle senrichit de fait dans lexprience du spectateur. On pourrait ici parler dun fan-tme de laura benjaminienne, dans la mesure o le parcours devient une forme de hic et nunc reconstruisant loeuvre. La sparation avec la perception du spectateur lloigne en revanche de lauthenticit de laura dont parle Benjamin. Loeuvre se construit en effet avec des points de vue multiples et dynamiques, et na donc plus dauthenticit. Limmatrialit de loeuvre nest en fait que la moiti manquante de la matire crbrale qui en reoit les signaux comme au-tant de pices de construction. Loeuvre, dans cette famille, est le terrain prothtique des constructions mentales de celui qui la regarde. Jonction dun autre, la forme ruine-chantier est le trait dunion entre le spectateur et lagence-ment de formes quil peroit, lincorporation dun ou de plusieurs regards, un espace com-plter mentalement. Antoni Muntadas, par exemple, exprime la participation mutile qui construit ses oeuvres: dune manire gnrale, beaucoup de travaux sapparentent une forme de montage. Quand on conoit un livre ou une srie de photographies, on fait du montage.

  • Pour la vidos et les installations, cest la mme chose. Le moment du montage, cest celui de la dcision finale. Dans mon travail, cest le spec-tateur qui prend la dcision finale. Chacun es-saie de mettre tous les lments ensemble et de faire son propre collage. Et le collage est diff-rent pour chacun. Une telle conception rend compte du rle du spectateur. Loeuvre, chez Antoni Muntadas, correspond des formes de liaisons qui sont autant de ressorts dun va-et-vient du spectateur qui se recule tout propos pour valuer lensemble de ce quil regarde, limage dun peintre et de sa toile. Ldition, le collage, le montage forment la structure sur laquelle beaucoup doeuvres contemporaines slaborent. Le parcours bricol des artistes est aussi le parcours du spectateur autours des oeuvres. Ainsi, les oeuvres schafaudent sur un rseau de points fixes, dpures que reconstruit lesprit du spectateur par des btisses intrieures. Il en tissent les liens comme autant de fils qui se perdent dans les rseaux dinformations pla-ntaires.

    1 BOURRIAUD Nicolas, Radicant, Denol, p.136.2 BOURRIAUD Nicolas, Radicant, Denol, pp.137.138.3 RANCIRE Jacques, Le spectateur mancip, La fa-brique, 2008, p.26.4 AUG Marc, Le temps en ruines, Galile, 2003, p.75.5 DIDI-HUBERMAN George, Devant limage, di-tions de minuit, paris, 2004, p.274.7 MUNTADAS, Antoni, Les projets et montages dAn-

  • toni Muntadas, entretien avec Christophe Kihm et mile Soulier, Art press, Novembre 2012, N394, p.29.8 DAVILA Thierry, Marcher, crer, dplacements, flneries, drives dans lart de la fin du XX sicle, Regard, p.168.

  • Horizontalit labyrinthique

    La ruine crase sur elle mme les successions de temps travers desquels elle voit ses propres construction(s) et destruction(s). Cet aplatis-sement mle des temps diffrents, rehausse les traits de moments qui ne sont plus. Lorsque la ruine devient artificielle, ou provoque, elle transforme cette rencontre avec le pass en jeu mtaphysique. Le spectateur devient le com-plice dimprcisions cauchemardesques, o le sens des constructions se mle au doute inh-rent la destruction de toute chose. Dans ce labyrinthe de temps, le visiteur renverse la ver-ticalit dun monument, et les rgimes de tem-poralit se croisent dans un plan horizontal qui entremle le regard. Le monde apparat comme une ruine arpenter, dans laquelle le hasard des fragmentations et du dsordre forment une ex-prience morcele et labyrinthique. Le chantier, la ruine, le non-lieu de la surmodernit sont les temples de la dambulation dcentre et des expriences de dpaysements psychiques. La ruine-monde est limage du palais de Tokyo, elle ne renvoie plus un pass ou un ge prcis et perd sa capacit dsigner lpure dune an-cienne dification.Que la ville contemporaine slargisse pour devenir un immense rseau dinformations, de trajets et de dplacements mondiaux, nous ne pouvons plus nous en tonner. Le village global

  • ressemble un archipel dles qui se juxtaposent, se mlent et se dmlent ensemble. Dsormais, dans un monde compltement recouvert par la prsence de lhomme, les horizons imma-culs sont devenus inexistants. La ville gante prend la forme dune tour de Babel horizon-tale, dans laquelle les rseaux sentremlent en surface. Cette exprience dhorizontalits superposes modifie ncessairement le regard que nous portons sur le monde. Au XX sicle, certaines expriences de la marche, tmoin de lhorizontalit par excellence, rendent dj compte de cette surface entremle. La drive situationniste et la flnerie benjaminienne ti-rent horizontalement lusage de la dambu-lation, tout en rehaussant les dtours labyrin-thiques. Walter Benjamin trouve lorigine de la flnerie dans lusage des passages parisiens. Il sagit dabord dune activit dont la nouveaut sopre par lvidement architectural de Paris et la construction des grands boulevards. Cette modification de grande ampleur ouvre de nou-velles possibilits dexprience de la marche, dont le flneur va profiter. La flnerie devient ainsi le dtour dans les galeries lumineuses et les marchandises construisent le parcours dun nouveau labyrinthe de verre et dacier. Pour la drive situationniste, il sagit dune dambula-tion dun tout autre genre. Guy Debord rend compte thoriquement de ce nouvel usage des villes : aller aux sollicitations du terrain et des

  • rencontres qui y correspondent, cest dire faire lexprience de la ville dans une dimension psycho-gographique. Lexprience de la drive situationniste est un des premiers tmoins des effets de la rigueur architecturale de la ville sans fin. Elle conduit errer non pas en suivant des trajectoires dtermines mais en laissant le hasard provoquer des choix et des dcouvertes continuelles. Se laisser aller aux dtours et ac-centuer une perception essentiellement motive de la marche dans la ville dtourne de manire labyrinthique lusage quotidien que la moder-nit en fait. Ainsi, les probabilits de rencontres priment sur les certitudes des lignes architec-turales. La drive situationniste fait usage des dtours sibyllins et horizontaux comme dune vritable ncessit.Pour Thierry Davila, lexprience de la marche dans une ville-monde au XXI sicle devient un vritable brouillon de lignes qui sentrem-lent. Le piton plantaire dessine sur le sol de la ville quil arpente, au gr de ses parcours occasionnels et hasardeux, des figures non li-naires, sinueuses et complexes, qui correspon-dent gnralement aucun motif lisible [] Ce sont des entrelacs qui restent dans toute leur ampleur non consigns et qui saccumu-lent dans une confusion sans fin. Ce sont des sinuosits dont lvanescence est la raison dtre et la multiplicit prolifrante. Lexprience de la marche sur la surface-monde sapparente

  • dsormais celle dun labyrinthe extra-large. Les directions multiples qui sy laborent sva-nouissent et construisent des trajets ddalens. Cette manire dexprimenter le monde montre la puissance paradigmatique de lentrelacement de points de vues et de lhorizontalit. Ce primat du plan horizontal entreml se per-oit dans dautres terrains que celui du paysage devenu urbanisme. Les thories philosophiques du XX sicle tmoignent de ce dcoupage angle droit. Dans une perspective topologique de la philosophie, Christophe Kihm rend compte du primat de la surface et du plan sur les visions transcendantales antrieures. Lida-lisme moderne lie le temps avec lespace dune manire rectiligne. Dans cette perspective, lHistoire choisit ses terrains, comme leau et les armes privilgient certaines valles et lais-sent de ct les zones difficiles leurs passage. Cette conception transcendantale tendrait laisser de ct certaines parties qui se satelli-sent autour dune direction unique de lHis-toire. Ainsi, lidalisme moderne gouverne les vnements en intensifiant certains points pr-cis. Ce qui vient renverser cette prdisposition dune linarit transcendantale hglienne, ce sont les vecteurs multiples dune pense privi-lgiant par exemple le rhizome, dvelopp par Gilles Deleuze, ou les rflexions de Foucault sur le langage qui glisse sur lui mme. Les conceptualisations modernes laissent donc la

  • place une alternative la pense dialectique, verticale, validant une conception linaire de lhistoire (lpope), par laffirmation dune pen-se topologique, horizontale, de ltendue, de la connexion ou du branchement. Cette version conceptuelle moderne de lespace philosophique et de sa topologie privilgie ainsi les superposi-tions, les embranchements et les couches dhis-toires.Dans les filets de matires et de fragments, la ruine freine les regards linaires. Si elle se pense gnralement en plan vertical et dans le sens de la gravitation terrestre, son tymologie montre un autre rapport au plan. Ruine vient du latin ruo, cest dire dabord se prcipiter, se ruer, slancer; et dans un deuxime temps tomber, scrouler, crouler, se renverser. Entre ces deux sens, deux rapports distincts la surface : dans le premier, la prcipitation, lcrasement se font horizontalement. Dans le second, auquel on attache le sens courant de la ruine, lide dun renversement vertical, dun effondrement qui tombe daplomb. Cette diffrence perpendi-culaire rend compte du premier sens de ruo comme celui dun mouvement horizontal, dun avancement aveugl dans lespace, et rappelle que la ruine est galement cet avancement la-byrinthique dans un destin inconnu. Ruo, avant dtre une chute verticale, se pense comme un mouvement de prcipitation horizontal, dune hte vers son destin, dun empressement incon-

  • sidr limage dune course effrne. Avec un espace architectural comme la palais de Tokyo, les ruines phagocytent une trajec-toire historique unique: ce qui domine, cest la superposition floue de rgimes de temporalit qui sentassent et ne privilgient aucune version ancienne de la construction. Elles ragissent comme des fluctuations de lespace, des distor-sions, des rversions du proche et du lointain. En outre, llvation, lrection, ldification ny sont plus les agents de structure. La ruine est lespace o le temps tente de rduire une verti-calit originelle en puzzle horizontal. Comme le parcours dans un labyrinthe, la marche dans les ruines efface les verticalits et privilgie les dtours entremls. Elle fait ainsi de larchitec-ture une matire penser par accumulation ou par couche. On y pratique plutt des passages privilgiant les rythmes assonants et la superpo-sition daffects contradictoires. Ainsi, de mme que la flnerie benjaminienne est le deuxime revers de la mdaille lumineuse haussmanienne, les dambulations horizontales superposes peuvent tre penses comme le deuxime visage des immenses nervures rectilignes de la mon-dialisation. On entre dsormais dans la ville-monde comme dans la fange dun labyrinthe en construction.

    1 AUG Marc, Non-lieux, introduction une anthro-pologie de la surmodernit, Paris, Le Seuil, 1992 2 voir LUHAN MAC

  • 3 DEBORD Guy-Ernest, Les lvres nues, art. cit. p.6.4 DAVILA Thierry, Marcher, crer, dplacements, flneries, drives dans lart de la fin du XX sicle, Regard, p.168.5 KIHM, Christophe, GNS, Global navigation sys-tme, Palais de Tokyo Site de cration contemporaine, Cercles dart, 2003, pp.69.75.

  • Fiction

    Nettoye du temps, la ruine garde lpure de son futur aussi bien que de son pass. Le temps est un cercle disait Aristote. Si les ruines peuvent tre dsosses du temps linaire, il en reste les dbris dun ternel retour du mme. Elles appa-raissent alors comme un espace clos, un jardin o les dispositions du temps savalent comme par autophagie. Dans ce trou noir se runit alors les dimensions du pige ou du canular mta-physique. Un ouvrage permet de rendre agra-blement cet aspect tragi-comique des ruines. Les ruines circulaires forme une des fictions du fameux ouvrage de Jorge Luis Borges portant le mme titre, Fictions. Il compose un ensemble de plusieurs textes qui sont autant dinventions de jeux avec ou dans le temps. Dans Les ruines cir-culaires, lauteur invente un dcor o figure des ruines dont la destruction reprsentent lternel retour de lhistoire raconte. Le texte commence en dcrivant la situation dun homme qui, mys-trieusement purifi de tout pass, arrive avec le courant dun fleuve sur un monument en ruine. Cet ancien temple a t ravag par plusieurs in-cendies et le personnage en fait son lieu de vie. Un groupe dhomme qui habite les environs lui apporte nourriture et vivres suffisantes pour y vivre. Il se consacre alors entirement lobjet de son dsir le plus cher : construire un homme dans ses rves qui existe rellement la lumire

  • du monde. Il cre alors pendant son sommeil un jeune homme dont il va raliser chaque partie son image. Chaque organe du corps est sculpt dans la matire de ses rves. Cet individu, une fois complet, ne sanime malheureusement pas des vibrations de la vie. La poupe reste inerte comme une modlisation parfaite mais paraly-se. Son auteur se tourne alors vers la chimre qui orne les ruines et invoque le dieu du feu de lui insuffler la vie. Il contracte alors un accord en rve avec la divinit. Le fils devra, une fois en connaissance des rites du dieu du feu, partir pour les ruines lointaines qui ornent lhorizon. Le jeune homme, une fois parachev par le souffle divin et instruit dans les rites du dieu, quitte son pre en direction de la construction lointaine. Alors que le temple est en feu et r-duit une nouvelle fois en ruine, le pre se rend compte quil ne peut pas mourir en tentant de marcher sur le feu. Il ralise alors quil est lui mme le rve dun autre. Le titre de la pice, les ruines circulaires, marque limportance du dcor architectural dans lequel se droule lhistoire. Comme pour les autres crits de Borges, cest dans la faon de raconter que rside lenjeu principal. Ainsi, la scne, les dtails datmosphre et les accents priment sur la structure du rcit. Sa construction est simple: il sagit dun rve dans un rve, limage dune poupe russe semboitant linfini. Les ruines dtruites par le feu sont ici le dcor par lequel le

  • personnage prend conscience de sa propre irra-lit. Elles reviennent alors ncessairement dans une boucle dont le lecteur prend conscience tardivement. Lillusion du personnage et de lensemble des faits devient en effet compr-hensible dans les dernires lignes du texte. Si la circularit des ruines dsigne dabord le disque qui dessine le temple dans lequel la fic-tion prend place, elle constitue aussi la structure mme de lhistoire. La narration est faonne limage de ces ruines : le cercle est dtruit par les faits mme qui dessinent lhistoire. Le d-cor des ruines sert donner un indice de temps que lhistoire elle mme va contredire ensuite. Les ruines incendies dans lesquelles le person-nage arrive au dbut de lhistoire sont en effet celles par lesquelles le lecteur et le protagoniste entrent et sortent de la fiction. Lhistoire est ainsi construite sur ses propres ruines : elles renvoient non pas un pass lointain, mais lhistoire mme dans laquelle elles sont pro-duite. Tout ce qui fait partie de lhistoire contri-bue btir ce qui in fine apparat comme les restes de cette mme histoire. Ainsi, les indices temporels sont dsigns comme les illusions de ce monde. Le temps devient larchitecture par laquelle lhomme se trompe sur sa propre exis-tence. Cest l o se mlange le gnie policier de Borges et ses rflexions mtaphysiques. Le temps induit en erreur, il fait entrer les tres dans une fausse vision du monde. Les ruines

  • circulaires sont la fois lindice qui positionne lhistoire dans un temps linaire et lobjet qui re-tire ce mme temps sa crdibilit. Lefficacit narrative (comme dans les romans policiers), se doublait dune charge parodique et humo-ristique presque constante, de manire que le lecteur, drang dans ses habitudes, ne sache jamais vraiment sil est devant un canular. [] Plus dune nouvelle de Fictions montre un style de cette sorte et produit sur le lecteur un effet de drangement, ou de dstabilisation analogue. La ruine, comme le temps gnralement chez Borges, est le pige par lequel le personnage et le lecteur entrent dans une fausse histoire.

    1 ARISTOTE, Physique, IV, 223-224, trad. fr. M.Dayan, Paris, PUF 19662 POUILLOUX Jean-Yves, Fictions de Jorge Luis Borges, folio, 1992, p.53. 3 Ibid, p.43.

  • Conclusion

    La ruine, lheure o le temps stire et devient lastique, fragmentaire et entreml, sappa-rente au chantier du prsent. Elle natteste plus dune poque rvolue, mais tend confondre les lignes droites de son pure en de multiples points de rencontres o spuisent les possibili-ts historiques et temporelles. Les spectateurs de ces ruines contemporaines ne regardent donc pas tant le reflet de leurs propres corps en vie et de sa finitude que lamalgame entre vie et mort et leurs ncessaires mlanges. Nous mourrons ds notre naissance et nous naissons jusqu notre mort: cet aphorisme de Martin Heidegger sapplique parfaitement une nou-velle famille de ruines lpoque contemporaine et au mlange ralenti et acclr des points de rencontres entre rupture et continuit. Elles rendent compte dun temps fragment qui ne stend plus linairement et smancipe du pass et du futur. Vcues dans le prsent mme des destructions auxquelles elles renvoient, ces ruines possdent dsormais la valeur de nou-veaut, du terrain vierge auquel on accorde la prsence dun temps pur et excessif. Dans ce nouveau labyrinthe sans murs, le temps apparat comme un pige et recouvre la ruine de linvisi-bilit du prsent. De toutes ces prises thoriques et formelles partir desquelles nous avons tent de penser

  • un nouveau rgime de perception des ruines lpoque contemporaine, il en reste surtout la dimension dun endroit cratif, dune labora-tion autre, dun ailleurs qui nous chappe n-cessairement. Sagirait-il dun espace proche de la quatrime dimension? Dans la perspective de Marcel Duchamp, la quatrime dimension sob-tient par rflexion soustractive : si la deuxime dimension est une dcoupe de la premire, et que la troisime dimension est galement une dcoupe de la deuxime, cette troisime dimen-sion (dans laquelle nous sommes) doit nces-sairement tre la coupe de la quatrime. En ce sens, le trou-noir des ruines, aspirant le temps tout en multipliant les fluctuations spatio-tem-porelles, ne dgage-t-il pas une sensation de quatrime dimension?