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1 Philosophia reformat Johann Daniel Mylius revu le 10 octobre 2006 Introduction. Jean Daniel Mylius publia sa Philosophia reformata en 1622. Comme le verra, ces gravures doivent beaucoup aux Douze Clefs attribuées à Basile Valentin, et selon, Adam Mc Lean, leur symbolisme se ressent aussi des Douze Portes de Ripley. Ces emblèmes ont été gravés par Balthazar ou Baltzer Schwan, citoyen de Francfort qui mourut en 162 La Philosophia reformata est le chef d'oeuvre de Mylius et ses emblèmes furent remployées par Daniel Stolcius dans ses anthologie Viridarium Chemicum [1624] et Chymisches Lustgärtlein [1627]. Cf. gravures . Cette Philosophie réformée contient deux livres : le premier est divisé en sept parties. Le première partie traite de la génération des métaux dans les entrailles de la terre ; la deuxième partie expose les principe de l'Art philosophique ; la troisième partie enseigne un abrégé de la science divine ; la quatrième énumère les douze degrés de la sagesse des Philosophes. La cinquième énumère les points ambigus de la science divine. La sixième parle de la récapitulation pratique de l'art divin. Quant au second livre, il contient les autorités des Philosophes a été publié à Francfort, chez Lucas Jennis en 1622. Cette série se trouve dans l'édition allemande [Florilège de l'Art secre Stanilsas Klossowski de Rola, Seuil, 1974] du Crede Mihi de Northon et dan le Viatorum Spagyricum de Jamsthaler. Les planches ci-dessous ont é reproduites, d'après l'exemplaire du British Museum, Londres, département des Imprimés. Elles se composent d'une première série de 28 gravures et d'une seconde série qui reproduit des éléments du Rosaire des Philosophes [anonyme]. Ces gravures et emblèmes permettent de dégager d'importants points de symbolisme dont l'un n encore été que peu étudié : le puits. E. Canseliet, dans ses Etudes de symbolisme alchimique, a parlé à trois reprises du puits : "Ces trois robes desquelles il dut changer, l'une après l'autre, à cause de ses tro chutes dans le fossé du puits à roue , alors qu'il [Frédéric Mistral] y voulait cueill des jolies fleurs de glais , à savoir sa robe ordinaire, puis celle du dimanche, enfi des jours de fête." [Alchimie, p. 150] Or, que sont ces fleurs de glais, si ce n'est des fleurs de terre [marga

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Philosophia reformataJohann Daniel Mylius

revu le 10 octobre 2006

Introduction.

Jean Daniel Mylius publia sa Philosophia reformata en 1622. Comme onle verra, ces gravures doivent beaucoup aux Douze Clefs attribuées àBasile Valentin, et selon, Adam Mc Lean, leur symbolisme se ressentaussi des Douze Portes de Ripley. Ces emblèmes ont été gravés parBalthazar ou Baltzer Schwan, citoyen de Francfort qui mourut en 1624.La Philosophia reformata est le chef d'oeuvre de Mylius et sesemblèmes furent remployées par Daniel Stolcius dans ses anthologies :Viridarium Chemicum [1624] et Chymisches Lustgärtlein [1627]. Cf. gravures.Cette Philosophie réformée contient deux livres : le premier est diviséen sept parties. Le première partie traite de la génération des métauxdans les entrailles de la terre ; la deuxième partie expose les principesde l'Art philosophique ; la troisième partie enseigne un abrégé de lascience divine ; la quatrième énumère les douze degrés de la sagessedes Philosophes. La cinquième énumère les points ambigus de lascience divine. La sixième parle de la récapitulation pratique de l'artdivin. Quant au second livre, il contient les autorités des Philosophes eta été publié à Francfort, chez Lucas Jennis en 1622. Cette série se trouve dans l'édition allemande [Florilège de l'Art secretStanilsas Klossowski de Rola, Seuil, 1974] du Crede Mihi de Northon et dan le Viatorum Spagyricum de Jamsthaler. Les planches ci-dessous ont étéreproduites, d'après l'exemplaire du British Museum, Londres,département des Imprimés. Elles se composent d'une première sériede 28 gravures et d'une seconde série qui reproduit des éléments duRosaire des Philosophes [anonyme]. Ces gravures et emblèmespermettent de dégager d'importants points de symbolisme dont l'un n'aencore été que peu étudié : le puits. E. Canseliet, dans ses Etudes desymbolisme alchimique, a parlé à trois reprises du puits :

"Ces trois robes desquelles il dut changer, l'une après l'autre, à cause de ses troischutes dans le fossé du puits à roue, alors qu'il [Frédéric Mistral] y voulait cueillirdes jolies fleurs de glais, à savoir sa robe ordinaire, puis celle du dimanche, enfin,des jours de fête." [Alchimie, p. 150]

Or, que sont ces fleurs de glais, si ce n'est des fleurs de terre [marga =

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marne, terre]. Les Adeptes ne disent-ils pas qu'il faut savoir cultiver lesperles rares [margarita] :

C'est dans ce sens que l'entend Tollius :

"Et pour vous rafraîchir un peu, je vous offre un vinaigre, mais du vinaigre distillétrès aigre, avec vous pourrez (quand bon vous semblera) préparer la teinture ducorail , c'est-à-dire l'acide ou le soufre fixe ; ou bien vous préparerez les perles,c'est-à-dire l'alcali et vous boirez pour vous fortifier du vin ou Esprit de VinAntimonial." [le Chemin du ciel chymique]

Et cette perle, ce trésor, ne gît-il pas, comme il se doit, au fond d'unpuits ? C'est ce que semblerait accréditer la gravure suivante, où l'on

FIGURE I

(frontispice de la Philosophia reformata. Cliquez pour obtenir un agrandissement - taille de l'image : 388 Ko)

voit le soleil, c'est-à-dire la lumière sortir de l'obscurité, l'occultedevenir manifeste [Lux obnubilata]. La figure I est un compendium del'oeuvre. Si l'on part de la vignette en haut à gauche, en nous dirigeantà droite puis en bas, on observe d'abord une Reine avec deuxphylactères en main [voir le mot phylactère en recherche] ; puis le soleililluminant la terre et la lune, avec le cône d'ombre de la terre où l'ondistingue une partie grisée et l'autre tout à fait obscure [voyez l'emblèmeXLV de l'Atalanta fugiens]. Il s'agit des différentes phases de l'oeuvre quisont symbolisées par ce jeu de miroir céleste. Nous voyons ensuite ledieu Jupiter et ses aigles, rappelant l'emblème I de l'Atalanta fugiens

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de Maier. Nous observons ensuite le couple alchimique s'apprêtant àassommer le dragon écailleux qui figure le Mercure [rappelant la figure IVde l'Aurora consurgens et l'emblème XXV de l'Atalanta]. Puis, la phase degermination de la Pierre, rappelant la Clef VIII de Basile Valentin. Puis un vieillard, symbole du Mercurius senex, qui s'apprête à manger unfruit de l'arbre solaire : c'est le Mercurius senex qui dissout les chauxmétalliques représentées par des fruits, probablement des pommes[assonance entre µηλον : pomme et mouton] ; au second plan, les enfantshermétiques [l'Arbore solari réapparaît à la dernière partie de la Philosophiareformata]. A droite, deux fauves dont l'un est ailé et l'autre aptère,sont identiques aux dragons que Nicolas Flamel a fait représenter auCimetière des Innocents à Paris [Figures Hiéroglyphiques] mais l'imagerappelle l'emblème XVI de l'Atalanta. En bas à gauche, la parturitionhermétique, avec l'image de Cupidon où l'on peut voir aussi leSagittaire [emblème XXIII de l'Atalanta qui annonce la anissance du Soufresolaire]. Au centre, des figures géométriques concentriques quirappellent exactement l'emblème XXI. Enfin, en bas et à droite, uneallégorie représentant le signe du Verseau, image de la fontaine dejouvence. Il existe un rapport de cabale entre la perle, le dissolvant des Sages et

ce que nous avons dit du IXe travail d'Hercule dans la section de Fontenay. La perle, µαργαριτης, notre « marguerite » minérale, par saracine, se rapproche de µαργος qui signifie déréglé, fou, furieux quidéfinit l'état naturel du Mercure commun quand il n'est pas contrôlé.Au vrai, Ajax Le Grand est dans le même état quand il est pris dedémence et décime un troupeau là où il croit tuer des soldats. Et d'oùtirer notre marguerite, si ce n'est du puits ? Voyez l'explication del'allégorie à l'emblème XVI. Disons ici que les rapports de proximitéentre marga, margarita [µαργαριτης] et le mot glais, employé par E.Canseliet, dans ce contexte précis, prennent tout leur sens etpermettent de nommer deux des prima materia employées dans lapréparation du dissolvant. Dans le Talisman de Marly-Le-Roi, E. Canseliet va plus loin dans le rapprochement avec le puits :

"Grégoire de Tours [de Miraculis, lib. I, cap. I] et Haymon vont jusqu'à dire quel'étoile était tombée dans un puits à Bethléem et qu'on l'y voyait encore. A uneheure de distance de Jérusalem est un puits qu'on appelle le puits de l'Etoile oudes Mages." [Les Evangiles apocryphes, Gustave Brunet, Paris, 1863]

Ce puits est parfaitement visible à la figure II et sur l'emblème XVI de Mylius, où un détail supplémentaire permet de donner le nom du Seldes Sages, encore qu'il s'agisse ici d'un nom caché : le Sel ne sauraitêtre celui qu'il faut aller chercher dans une étable vulgaire, mais biendans celle qui vit la naissance de Jésus, là précisément où :

"... l'étoile s'arrêta sur le faîte de la maison où était l'Enfant, puis sur sa tête..."[Ib.]

Si nous revoyons la figure I, on voit que la margelle du puits portel'inscription : « source bénie d'eau vive ». Fulcanelli, dans le Mystère desCathédrales, nous donne l'explication suivante :

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"Disons enfin que la tradition ésotérique de la Fontaine de Vie ou Fontaine deJouvence se retrouve matérialisée dans les Puits sacrés que possédaient auMoyen Âge, la plupart des églises gothiques. [...] De même l'eau du puits de Saint-Marcel, à Paris, creusé dans l'église, près de la pierre tombale du véénrableévêque, se révélait, d'après Grégoire de Tours, comme un puissant spécifique deplusieurs affections." [Myst., p. 98]

nous gagerions que Fulcanelli parle de notre Eau pontique dont estformée l'étoile des Mages, en forme de feu aqueux ou d'eau ignée.

Un mot encore : je dois à l'obligeance de M. Alain Mauranne desreproductions particulièrement soignées des emblèmes de Mylius. Le lecteur doit simplement cliquer sur chaque emblème indiqué encaractère gras et la planche apparaîtra dans une nouvelle feuille web

Tous mes remerciements à Alain Mauranne.

Johann Daniel Mylius, 1620

Philosophia reformata

I. Gravures reproduisant les allégories de l'Atalanta fugiens etdes Douze Clefs de philosophie [de 1 à 28]

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emblème I

On voit deux grosses roches, sur lesquelles sont deux animaux : àgauche, une salamandre ; à droite un aigle qui est sur le point des'envoler, dans un nid. Au centre, le symbole du monde, à tête desoleil, tient dans ses mains un enfant marqué du signe du Soufre. Sespieds reposent dans un ruisseau. L'eau semble sourdre du bas desdeux roches.

Cette gravure se rapproche, en substance, de l'emblème de Limojon deSaint-Didier. Ces roches sont les mêmes que les collines fleuries quientourent le caducée d'Hermès. Ce sont les mêmes que l'on trouve aufrontispice d'un autre ouvrage de Mylius, l'Anatomia Auri. Le y estfiguré par l'aigle [dont la fable fait le seul être vivant capable de fixer la lumièresolaire] et la est représentée par la salamandre qui symbolise le selindestructible que les alchimistes appellent leur magnésie [assimilable àl'aimant des Sages ; Jung en traite dans Aïon au chapitre du poisson comparé àl'échéneis ou au rémora] L'homme, à tête de pleine lune, ceinturé dumonde, estporteur de l'embryon hermétique. Les deux animauxpermettent d'identifier les matières premières. La salamandre est labête à feu, symbole d'un sel incombustible, infusible à la plus chaleurblanche. C'est donc d'un sel fixe qu'il est question, du principe Soufre.L'aigle indique une idée de sublimation et symbolise le principemercuriel ; plus exactement et ainsi que nous venons de le dire, il fauty voir le Soufre solaire dissous dans le Mercure : ιος. C'est là l'un desgrands secrets de l'alchimie en ce qu'il y réside la connexion entre lelaboratoire et l'oratoire. Tout porte à croire que le ruisseau forme leMercure ou Lait de Vierge qui contient les principes nutritifs pour laPierre. En résumé : sel fixe - principe volatil - Mercure - petit mondedes philosophes - Βασιλευσ de l'oeuvre. Reproduit dans Jung, p. 412 :« La terre, en tant que prima materia, nourrissant le fils des philosophes ». Ilfaudrait aussi citer le deuxième chapitre de l'Atalanta fugiens qui reproduitune gravure où l'on retrouve le globe. Mais il n'y a pas de roche. Ellessont remplacées d'un côté par une chèvre [Amalthée qui a nourri Jupiter] et de l'autre côté par une louve qui allaite.

Emblème II

Quatre Cariatides portant chacune un matras couronné d'oùs'échappent des flammes. Une sphère supporte chaque déesse et

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présente le symbole d'un Elément. Successivement : la Terre , l'Eau

, l'Air et le Feu . Un symbole est présent dans chaque matras. À

la Terre correspond un personnage qu'on peut identifier comme unhomme, c'est-à-dire comme un corps ; à l'Eau un animal mal visiblequi semble tenir de la tortue et du batracien ; à l'Air, un phénix et auFeu, une tête de fauve qui doit être un Lion. La gravure nous présenteles Quatre Eléments dont dépend toute la marche de l'oeuvre et onpourrait presque retrouver dans les figures thériomorphes les symbolesdu Tétramorphe, à ceci près que l'animal non identifié [Eau] devraitêtre un boeuf ou un taureau et que le phénix devrait être un aigle . Ilne faut pas y voir des signes ésotériques. Dans d'autres sections, on avu que chaque Elément voile soit une substance chimique, biendéfinie, soit l'une des opérations de l'oeuvre. L'ordre de mise en placede ces symboles n'est pas indifférent. Ainsi, le Feu est-il placé à côtéde l'Air, ce qui ne saurait nous étonner, puisque l'Air des Sages définit lasublimation du Soufre dans le Mercure. Qu'une tête de lion apparaisseen face de ce symbole est logique, puisqu'il s'agit du Lion vert[dissolvant des Sages ou Mercure en son premier état, par rapport au Lion rougequi correspond au Mercure philosophique]. Qu'au Ciel corresponde le phénix,rien que de normal, puisque l'oiseau d'Hermès est le signe de larenaissance de la Terre, réincrudée en un Corps neuf, corporification del'astérie des Sages [analogue de l'individuation de Jung]. Qu'à l'Eaucorresponde un animal d'allure chimérique est conforme à la doctrine :c'est le Mercure commun [Mercure dans son premier état avant l'infusion dessoufres]. Cette gravure est là en sorte de prolégomène et sert degénérique à Mylius. Reproduit dans Jung, p. 300 : « Les quatre stades duprocessus alchimique. Les quatre éléments sont indiqués sur les sphères »[Psychologie et Alchimie, trad. Buchet Chastel, 1970].

Emblème III

Nettement plus complexe que les deux premières, cette gravure donneà voir un cercle dans lequel on distingue un serpent à trois têtes.Au-dessus, sont le Soufre [à tête de Soleil] et la Lune hermétique [tête depleine Lune], analogues à l'emblème I. Des symboles sont annexés auxdeux principes de la Pierre. Pour le Soufre, le prince et le corbeau ;pour la Lune hermétique [qui ne correspond pas exactement au principeMercure], le cygne et le paon. Notez bien le décor environnant. À droite,vous verrez un tronc d'arbre qui a été scié et dont une branche estétreinte par une cordelette. Observez aussi la haute cheminée qui seprofile dans le lointain et qui semble sortir de quelque fourneau. C'estordinairement dans ce type de cheminée que l'on recueille la tutie. Quel'image du roitelet soit associée au Soufre rouge est normal.Examinons pourquoi l'image du corbeau y est aussi associée : le Soufredoit d'abord subir une dissolution radicale dans le Mercure ; c'est la

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phase de putréfaction qui correspond à la nigredo ou sol niger. Le

symbole de cette phase est par tradition le corbeau. Quant auxanimaux de droite, annexés à la Lune, le cygne est l'hiéroglyphe duMercure et le paon, l'animal consacré à Junon. Philalèthe écrit que :

"Et notre mercure philosophique est l'oiseau d'Hermès, à qui l'on donne aussi lenom d'Oie ou de Cygne, et quelquefois celui de Faysan."

Dans cette opération, on procède par la voie humide avec une matièreque certains Philosophes ont appelé Lili [il s'agit du Mixte compost - premier Merure qui, selon le moment de l'oeuvre, est encore nommé airain,laiton, cuivre, aes, homme double igné, etc.]. Ils appellent ce Lili, lion rouge,qui à l'aide de la nature et de l'art, est promis à devenir aigle blanc. CeLion doit être trouvé en Orient [Lucifer ] et l'Aigle doit être trouvé au

Midi [il s'agit du symbole de la sublimation ; la correspondance passe par le

symbole de l'ιος ] ; Paracelse enseigne que les matériaux idoinesseront trouvés en Hongrie. Lili doit, dûment préparé dans le pélican,passer par les couleurs dans l'ordre requis, c'est-à-dire devenir plusnoir que le corbeau, puis, plus blanc que le cygne, puis, jaune, enfin,plus rouge que le sang, jusqu'à ce que Lili ait acquis les propriétés dela Salamandre [De la teinture des physiciens, chap. II, attribué àParacelse]. C'est ce qu'indique l'emblème III. Le serpent, autre symboledu Mercure, exprime par sa forme l'idée de la circulation qui doitrégner dans le pélican. Plus qu'un serpent d'ailleurs, nous avons affaireà l'hydre à trois têtes dont l'une seulement est immortelle selon cequ'en disent les mythographes. On peut aussi y voir le symbole destrois principes de l'oeuvre [principes principiés : sulphur - sal -

mercurius ]. Basile Valentin dit encore que le cygne rôti sera pour le

Roi, manière d'exprimer l'emploi du Mercure pour l'oeuvre couronnée.Quant au paon, sa queue étoilée et constellée d'yeux, est à l'image descouleurs irisées qui apapraissent à la fin de la nigredo, lorsqu'arrive lerégime de Jupiter [cf. Aurora consurgens II pour la relation aux « yeux depoissons » évoquée dans les textes, relevée par Jung dans ses Racines de la

Conscience (trad. Buchet Chastel)]. Enfin, le pélican nourrit sa progéniturede sa substance même [voir la figure XXII de l'Aurora consurgens pour un exemple] ; il s'agit là de rien moins que la nature mercurielle même ouvase naturalis. Le contenant, en alchimie, a une importance aussigrande que le contenu. D'un côté, spiritus mundi ; de l'autre côté, animamundi. Evoquons pour finir le mandala central où la lumière côtoieévidemment les ténèbres : sol niger, avec ce soleil et ensurimpression, l'image du spiritus corruptus, l'hydre tricéphale. C'est bienà l'hydre que l'on peut assimiler ce serpent monstrueux : son sang -son âme - est un poison [ιος] dans lequel Héraklès trempait sesflèches : ne soyons donc pas étonnés de voir dans l'emblème suivantCadmus visant la prima materia [l'inconscient de Jung] d'une flècheenduite de sang mortel [âme impure, assimilable à la chute de l'ange : cf.Aïon pour des développements que nous ne pouvons donner dans le cadre de cetravail. Que le lecteur sache que la Réponse à Job a suivi de peu celle decertains chapitres des plus importants d'Aïon, écrit en peu de temps au cours

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d'une maladie en 1953]. Ceci pour dire que nous rejoignons la quaternitéau travers d'une apparente trinité et que le diabolus y est la figurecentrale et comme le LA du diapason [harmonia mundi].

emblème IV

Griffon : liaison entre le lion et l'aigle, on nous le présente ici dans lesentrailles de la terre. Il s'agit d'une indication sur un sel double,possédant une partie fixe et l'autre volatile. À gauche, l'Artiste est

représenté à la poursuite de la matière et avec le 1er agent en main : c'est cet agent qui va assurer la séparation initiale. Le but de cetteséparation est d'obtenir la matière première du Lion vert, ou Mercurecommun, qui va permettre d'obtenir la purification et le blanchiementdu « laiton », purification exprimée par le prêtre, à droite. Evidemment,les textes sont muets dès lors qu'il s'agit de mettre un nom vulgairesous le griffon. Tout dépend aussi de la voie employée. Il semble quela voie humide soit davantage employée que la voie sèche, mais elleest aussi plus longue. La nature a choisi d'utiliser la voie humide [1, 2Nous tenons là l'image de la prima materia telle qu'elle apparaît dansson gîte minier. C'est ce spiritus corruptus qu'elle tient captif, partie laplus corrompue de la matière, mais tout autant, partie la plusmalléable et susceptible d'amélioration. Van Lennep voit un dragonigné dans cette chimère : cette interprétation est possible. Elle conduitdirectement au dragon babylonien qui erre, de l'avis des Artistes, dansles montagnes et dans les vallées encaissées : c'est là que leV.I.T.R.I.O.L. des Sages sera trouvé. Tripied en a parlé savammentdans son Vitriol Philosophique. Cyliani fait de même :

« Avant de te quitter je veux encore t'observer que tu ne peux combattre le dragon qui défendintérieurement l'entrée de ce temple qu'avec cette lance qu'il faut que tu fasses rougir à l'aidedu feu vulgaire afin de percer le corps du monstre que tu dois combattre, et pénétrer jusqu'àson coeur: dragon qui a été bien décrit par les anciens et duquel ils ont tant parlé. » [HermèsDévoilé, ca. 1831]

Ce temple est l'un des piliers symboliques de l'oeuvre. Là encore, commesouvent, il prend un sens protéiforme que l'on retrouve dans les écrits des vieuxalchimistes. En effet, le mot templum - dans sa première acception - est l'espaceque la vue embrasse [voir Dupuis, Origine de tous les Cultes ou Religion universelleBabeuf, 1822], c'est-à-dire le ciel étoilé où l'Artiste, de son bâton, trace la pisteconstellée de son . Le temple fut aussi, chez les Anciens, l'abri où l'on se

préservait de la chaleur, et le lieu de réunion à l'ombre des bois consacrés [voyezDodonne : le bâteau Argo était fait du bois des chênes consacrés à l'oracle] ; de même onse réunissait jadis dans des grottes ou des cavernes sacrées. Telle est lacaverne hermétique, le gîte où se terre la prima materia que l'Artiste a à coeur dedénicher et de capturer encore toute vivante « ès cavernes de la terre », comme se

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plaisent à l'écrire tant d'Adeptes. Dupuis écrit :

« L'oeil des adorateurs du ciel, du soleil et des astres, circonscrit dans l'étroite et obscureenceinte d'un temple, redemandait ses Dieux et regretait le spectacle brillant du premiertemple de la Divinité, et du seul qui fût digne d'elle, celui de la Nature. » [Origine de tous lesCultes, etc. l. I, c. III, p. 108]

Comparez avec ce qu'écrit Bernard Le Trévisan et même Zosime, lorsqu'ilsprofessent que « Nature se joint par nature; nature contient nature; nature s'éjouit ennature; nature amende nature; nature aime nature; nature surmonte nature; nature retientnature, etc. » façon d'affirmer haut et clair que l'on ne saurait outrepasser lesbornes imposées par la nature ; concluez : la transmutation métallique estimpossible. Certes, les physiciens du noyau savent pratiquer certaines formes detransmutation mais pour des quantités et surtout des types d'éléments qui n'ontrien à voir avec ceux que les vieux alchimistes avaient à l'esprit. Du temple, nouspassons à l'enceinte [le zodiaque n'est, après tout, qu'un templum mundi que l'on désignemieux comme un espace azuré, celui de l'agriculture céleste où l'instrument aratoire - -passe et repasse inlassablement]. De là, nous parvenons au templa mentis, sanctuairedu mercurius , pour qui possède les clefs de l'oeuvre. Zosime, dans ses Visions

[cf. Racines de la Conscience] écrit :

« Construis, mon ami, un temple monolithe, semblable à la céruse, à l'albâtre, un temple quin'ait ni commencement ni fin, dans l'intérieur duquel se trouve une source de l'eau la plus pure,brillante comme le soleil. C'est l'épée à la main qu'il faut chercher à y pénétrer, car l'entrée estétroite. Elle est gardée par un dragon qu'on doit tuer et écorcher... » [Berthelot, Coll. des alchimistes grecs]

Nous sommes revenus plusieurs fois sur ce passage clef qui va rester intact, ensubstance, dans les siècles qui suivront. Ιερον, Ιον, tel est le nom du prêtreévoqué par Zosime. C'est la source, l'origine de la figure emblématique del'évêque qui perdurera dans l'imagerie alchimique. Mais revenons un instant surle temple monolithe : c'est l'assise de l'oeuvre, le fondement [ιδρυµα] qui rappelle singulièrement par homonymie l'ιδρωµα [sueur] tant évoquée dans lestextes et certains détails iconographiques.

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Lambsprinck, De Lapide Philosophorum, Decimaquarta figura, Musaeum Hermeticum, p. 369

Par là est évoqué [ιδρως] ce « travail pénible », cette « tâche difficile »dont parle Philalèthe dans l'Introïtus, VIII. Cette sueur sacrée n'estautre que l'humeur ou liqueur sécrétée par un arbre [chêne] ou une plante [salicornia] qui permettent de préparer l'alkali fixe. La sueurdésigne également l'esprit du métal :

« Or les lampes ordinaires ont leur vaisseau de verre que l'on met dans uneécuelle d'argile faite de cendre et de sable; ainsi cette lampe rend de soi unesueur parfois, dans laquelle sueur quelques-uns pensent que le métal reçoit soncorps ou bien qu'un métal reçoit le corps d'un autre métal. Je laisse là cettetransmutation à part et ne la puis louer. » [Basile Valentin, le Dernier Testament, cap. xlvii, du feu de lampe]

Basile Valentin entend parler ici de la dissolution ou liquéfaction de lacendre, prélude à la confection du Sel des philosophes :

« ARNAUD : Cette cendre manque de fusion : mais pour qu’elle entre afin deteindre, on lui rend assurément la liquéfaction ou sueur suivant le procédétransmis par les philosophes. Quel est donc ce procédé ? Est-ce la solution dansl’eau ? Non, à coup sûr, car les philosophes n’ont que faire des eaux qui adhèrentà ce qui les touche et des humidités de ce genre. » [Rosarium philosophorum, DuSel des philosophes]

Une fois de plus, nous touchons au concept d'humide radical, c'est-à-dire non pas, comme l'affirme Arnaud à une « solution dans l'eau » quiest en somme l'équivalent de l'or en suspension [cf. voie humide] mais àune véritable dissolution aurique. L'une des acceptions de ιδρως, sueur, est résine ou gomme : on est fondé à y trouver - par cabale - leSel ou résine de l'or.

Atalanta XXVIII

L'emblème XXVIII de l'Atalanta fugiens montre un roi enclos dans unfour à réverbère dans lequel est disposée une lampe à huile : n'est-cepas là une indication superposable à ce que dit Basile dans son Dernier Testament ? Ainsi, le fondement de l'Art passe par la résolution de la materia prima, symbole du Roi et, avant tout, du Mercurius senex.

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Emblème V

Cette figure présente de grandes analogies avec la Clef XII de Basile Valentin. Le tonneau [allusion au sel de tartre qui est l'un des composants du feu secret] est remplacé par un fourneau plus conventionnel ; on voittoujours le soleil et la lune ; le fait nouveau est la présence del'appariteur, du médiateur salin [qui ressemble d'ailleurs au spiritus sanctusdu De Lapide Philosophorum de Lambsprinck, cf. Musaeum Hermeticum].Mais on pouvait remarquer son équivalent, qui est le symbole duMercure, à la Clef XII, au-dessus du pot de fleur. Le pot à deux fleurset à pointe se voit sur la table ; d'ailleurs ce pot évoque plutôt un petitcreuset. Le lion, dont on devine qu'il dévore la queue d'un serpent, estidentique dans les deux emblèmes. Les fleurs expriment le résultat àattendre de la coction à grand feu, ainsi qu'en témoigne la chaleurblanche dégagée par le fourneau. Les Philosophes Spagyriques, ditPernety, se servent quelquefois indifféremment des termes decalcination, corruption, et putréfaction, pour signifier la même chose. Ily a encore une autre calcination proprement dite, et telle qu’onl’entend communément, qui est requise dans la préparation de lamatiere : C’est une purification ou mondification de cette mêmematiere, que quelques-uns appellent rectification, d’autres ablution,d’autres séparation.

Emblème VI

La gravure est tout à fait semblable à la Clef V de Basile Valentin. On y trouve pourtant des différences éloquentes. Le personnage de droite,dont on devine le caractère ardent, qui correspond au Mercure, n'estpas le même que celui de la Clef V, qui tient un soufflet à vent, signede l'augmentation de température. On observe un gros récipient[singulièrement disposé chez Basile et que l'on prendrait volontiers pour un sacplein de vent] qui semble davantage rempli ici et dans lequel,manifestement, on recueille un produit distillé qui peut correspondre àl'opération de l'eau-forte. Le personnage féminin semble correspondreà Diane mais on ne voit pas les cornes lunaires qui ornaient sa têtechez Basile. En revanche, elle tient le même arbre à sept fleurs, quicorrespond à l'arbre de vie, symbole des radicaux des sept métaux [cf. humide radical]. Il est probable que la fleur solitaire, en haut, représentel'or. Mais alors qu'un coeur, chez Basile, laisse aisément deviner sanature soufrée, on ne voit ici qu'un simple pot ; c'est peut-être mieuxvu parce qu'ainsi, il donne le nom vulgaire de la matière qui sert àpréparer le vase de nature. Chez Basile, enfin, un tireur à l'arc,symbole d'Apollon, a disparu chez Mylius. Le lion est identique maischez Mylius, il a perdu sa couronne. Par contre, il garde son symbolesolaire, qui le signale comme le Lion rouge. En définitive, nous avons à

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droite la figuration de Saturne et à gauche, l'opération de la dissolutiondu Soufre, que le Lion s'apprête à dévorer, cf. emblème XVIII.

Emblème VII

il se rapproche beaucoup de la Clef II de Basile, mais son appareilsymbolique est simplifié. Trois personnages se font face. Ils n'ont pasl'attitude hostile qu'adoptent ceux de Basile. On reconnait au centre leMercurius, avec le caducée aux double serpent. À ses pieds, des ailesgîsent, dont on ne sait si on les a coupées, ce que semblerait indiquerla légende « separatio ». Chez Basile, l'homme situé à la gauche porteune épée avec un serpent enroulé [le signe du vitriol] tandis que chez Mylius, c'est l'aspect du chevalier qu'il revêt [il s'agit d'Arès]. Quant au personnage de droite, c'est une femme [Vénus - Aphrodite] chez Mylius,qui porte un aigle tandis que chez Basile, c'est un homme qui porte unbourdon sur lequel est posé un oiseau. L'ensemble tient de l'allégoriedu fixe et du volatil mais l'arcane est difficile à traduire en termesclairs. On dirait que deux principes affrontent le double Mercure[version des Douze Clefs] alors que chez Mylius, les acteurs de la piècenous sont présentés, indifférents et amorphes [la scène est allégorique :on nous présente et qui participent de la préparation du mercurius]. Quoi

qu'il en soit, la « separatio » intervient à un stade précoce de l'oeuvre eton est conduit à penser que cette scène s'inscrit dans la préparation duMercurius. Notez les symboles du soleil et de la lune, de part et d'autredu Mercurius. Il est possible, enfin, que le double Mercure soit forméde l'union des deux sujets : à ce titre, il faudrait considérer que leMercure commun est symbolisé par la femme qui tient l'aigle, et lesoufre rouge par l'homme qui tient un glaive. Voir là-dessus Aurora consurgens, I et Douze Clefs. Vénus portant l'aigle veut dire que se

transforme en . La logique voudrait que Arès portant le glaive

signifie que se transforme en . On peut, à la limite, trouver dans

le Lion vert maîtrisé cette image de la transformation : c'est le Lionrouge ou Mercure philosophique.

Emblème VIII

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Là encore, il est facile de rapprocher cette planche de la Clef VI de Basile. Les époux royaux [soleil et Lune] sont unis par le Mercure ouappariteur, qui est le personnage central ; chez Basile il apparaîtcomme un évêque. On remarque que cette « conjunctio » se réalisepar mauvaix temps. Voyez ce qu'on en dit dans la section CosmopoliteÀ gauche, on remarque un fourneau où cuit l'homme double igné. Desrécipients sont adaptés à la bouche de chaque tête, ce qui signalequ'une distillation doit être effectuée. Rapprochez cette vision desopérations qui sont réalisées à la planche 5 et 6 du Mutus Liber. A droite, on voit Neptune. Chez Basile, des détails supplémentairesinsistent sur l'importance de recueillir le produit d'une distillation.Cette scène indique que la conjonction se réalise après la dissolutiontotale. Notez encore que chez Basile, il semble que l'on admette deuxvoies pour réaliser l'opération : à gauche, il s'agirait de la voie sèche ;à droite, de la voie humide. Mais cette particularité manque chezMylius où seule la voie sèche est représentée. Enfin, il manque lepélican qui apparaît à gauche et en haut de la Clef VI [symbole mercuriel].

Emblème IX

La gravure reproduit le squelette que Basile a fait peindre sur sa Clef IVMylius a enrichi les symboles : le squelette porte un corbeau et ilrepose sur un sol niger [nigredo], qui correspond à la grande éclipse desoleil et de lune de Lulle. Par la voie sèche, la « putrefactio » estbeaucoup plus facile à comprendre que par la voie humide. Les Soufresse dissolvent dans le fondant qu'est le Mercure. Cette couleur noires'adresse donc à l'entendement et non à la vue. Tel ne semble pas êtrele cas de la voie humide où les alchimistes nous assurent que lacouleur noire est celle qui doit être vue en premier. Mais à quellematière se rapporte-t-elle ? Dans quelle partie de l'oeuvre ? On saitque, dans la purification du salpêtre, une boue noire apparaît à lasurface de la matière ; Est-ce la préparation du vinaigre distillé qui estainsi masquée ? Ou bien encore la préparation de stannates ? Lesquelette garde son secret ! Retenons l'allusion au corbeau, qu'on a vulié au Soufre rouge sur l'emblème III. Il doit y avoir là une indication.Reproduit dans Jung, p. 117 : « Le noir (nigredo) debout sur le rond(rotundum), c'est-à-dire sur le soleil noir (sol niger) ». Remarquez à droite letronc de l'arbre coupé et scié d'où émerge un nouveau rameau, signede la future résurrection. Les anges représentent la rosée de mai.

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Emblème X

C'est à une Tourbe que nous avons affaire. En haut, une sorte d'arc-en-ciel céleste où sont disposés les signes du zodiaque. Quatre matrassont disposés au-dessus et crachent des flammes. Sur la table, sontposées les distinctions qui signalent à l'Artiste les matières dont il aurabesoin. De gauche à droite, on distingue un bélier, une écrevisse, unebalance et ce qui doit être un capricorne mais ressemble étrangementà un lièvre [quaternité]. La légende indique « gradus » ce qui est enrapport avec le réglage de la température mais qui n'explique pas tout.Le capricorne, en grec αιγοκερως, peut être décomposé en αιξ,chèvre, et κερων, corne. Voyez d'un côté ce que nous avons dit sur lesymbolisme de la licorne dans la section de Fontenay. De l'autre côté,voyez ce que nous avons dit touchant aux symboles zodiacaux et àl'Élément auquel chacun renvoie [prima materia - humide radical]. Vous observerez que les quatre signes zodiacaux disposés sur la tablecorrespondent, selon notre système aux Quatre Éléments : au Bélierest associé le Feu ; à l'Écrevisse [Cancer], l'Air ; à la Balance, l'Eau etenfin, au Capricorne, la Terre. Notez aussi que l'Écrevisse [καρκινος]désigne aussi une pince pour saisir au feu... Le Bélier [exaltation du ]et la Balance [exaltation de ] sont donc les signes du Mercure, en tant

qu'ils associent et [eau ignée ou feu aqueux]. Ces deux signes, par

leur exaltation, portent la marque du Lion vert qui dévore le Soleil. LeCancer [exaltation de ] et le Capricorne [exaltation de ] sont les

signes de la sublimation et associent et . Le sens à donner à

l'allégorie est plus complexe, cf. Douze Clefs sur la généalogie d'Arès.C'est l'alliance du glaive et de l'aigle qui rappelle l'emblème VII.

Emblème XI

Ici, nous voyons la préparation de la Grande coction. Le roi, désignépar sa couronne, représente le Mercure commun [Mercurius senex] qui, le moment venu, devra laisser place à plus jeune que lui, le dauphinou fève hermétique : c'est son fils que l'on voit à sa droite. Au centrele symbole du médiateur [double Mercure]. À droite, Saturne s'affaireaux préparatifs de la coction. Notez qu'il s'agit de la voie humide. À

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l'extrème droite, l'Écrevisse. Cette trinité rappelle beaucoup le thèmechoisi par Lambsprinck dans le De Lapide Philosophorum. Quant à lacongélation, c'est l'opération qui consiste à obtenir la liaison entre lesdeux Soufres via le Mercure. Elle ne diffère donc guère de la conjonction, à celaprès qu'elle fait intervenir le Mercure. De Cyrano Bergerac a sans doutedéveloppé dans son Histoire comique, contenant les Estats et empires du soleil(Paris, Charles de Sercy, 1662 ; titre repris dans la collection Bouquins) la meilleureallégorie sur la question de la congélation. Notons un détail de pratique chimique: le matras à long col évoque l'autruche, selon une gravure d'un ouvrage dePorta.

G. Della Porta, De distillationibus, Rome, 1608

L'autruche est un symbole classique de justice, rappelant Thémis et sa Balance.Revoyez l'emblème X. L'estomac de Saturne est encore appelé estomac del'autruche et l'on trouve une référence particulièrement remarquable dansl'emblème VII de l'Atalanta fugiens, avec une allusion à l'Aurore [il s'agitprobablement de l'Aurora consurgens. En effet, Maier cite immédiatement après Senior dontle texte figure dans le même recueil : Artis Auriferae, etc. Cf. Aurora consurgens, I] :

« J’ai contemplé un oiseau vénéré des Sages, qui vole, tandis qu’il est dans le Bélier, le Cancer, la Balance et le Capricorne ; et tu en feras l’acquisition pour toujours à partir desvraies minières et des montagnes pierreuses. »

Nous voici ramenés à l'emblème X... L'autruche désigne aussi, ce qui est plusapproprié dans notre contexte, le corps purifié [Paracelse, cité in Huginus à Barmadont l'Artiste a besoin pour féconder sa terre.

« Après que la main de l'habile Artiste aura ainsi purifié chacun de ces deux principes,prenez-les chacun à part, & disposez-les à la propagation de leur espèce. Pour cet effet,dissolvez heureusement le mâle dans l'estomac de l'Autruche [ στρουθο−καµελος : autruche, mais par assonance phonétique, herbe à foulon, coing et coq ; la portée hermétique de l'autruche permet, ici, de faire référence à la terre à foulon,c'est-à-dire à la creta fullona ] naissante en terre, fortifié par la vertu âcre & pénétrante del'Aigle, & lorsque la solution lui aura fait rendre ses fleurs, n'oubliez pas de le délivrer del'acrimonie qu'il a contractée dans sa jonction avec l'Aigle, & des impuretés qu'il contient... »[chap. XXIX]

Il est bien sûr question de la préparation du sulphur dans cette opération.

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Ajoutons que d'après le Livre des morts Egyptiens, on imaginait la pesée desâmes, c'est-à-dire, pour notre sujet, des Soufres. D'un côté, on mettait le vase[signifiant le coeur du mort] et de l'autre côté, une plume d'autruche, le symbolismeétant axé sur l'irruption de la lumière [cf. Lux Obnubilata d'Antonio Crasselame].

Emblème XII

La forme de l'emblème [l'Eau] rappelle la Clef X de Basile. La légende «cibatio », indique que le temps de la nourriture est venue. Nous avonsfranchi le régime de Jupiter. Nous voyons en bas la Vierge en situationde Virga paritura, de Vierge-mère et Vierge-Terre [cette Vierge rappellel'une des gravures du Symbola Aurae Mensae de Maier]. L'opération parlaquelle on nourrit l'embryon hermétique est indiquée par letournoiement du dragon. Cette opération, qui résume la sublimationphilosophique, doit être réitérée trois fois, comme l'indique le nombredes aigles royaux. Vous noterez l'aspect chimérique du Mercure dontune partie est manifestement fixe, l'autre étant volatile. Voyez l'articleAigle du dictionnaire de Pernety dans la section Matière. Voyez en quoila sublimation [υψελος] se rapproche de l'élévation et vous aurez laclef du Mercure commun : sa haute condition pourrait faire évoquerquelque Fable de la Fontaine... Un dernier mot : sublimation etconjonction forment, avec la dissolution, une trinité. Sur la cibatio, cf.1, 2, 3, 4, 5, 6, 7.

Emblème XIII

Cette figure est identique à la Clef I de Basile. Même creuset à gauche ;même loup ; l'image de Saturne est mieux définie. Les trois symbolesdisposés à droite de l'athanor se comprennent aisément : l'étoiledésigne le même symbole que celui dont on a parlé dans lecommentaire du Mutus Liber. les symboles lunaire et solaire se passentd'explication et l'exotérisme est ici plus accusé que la simple plante àtrois fleurs que tient le principe féminin chez Basile [d'ailleurs cetteplante est toujours présente, à la droite de l'athanor : les fleurs y sont remplacéespar l'étoile, le soleil et la lune]. Ce qui est nouveau chez Mylius, c'estl'arbre de vie [voir Fontenay] où l'on ne voit que cinq représentants duprincipe Soufre, « l'Or et l'Argent » philosophiques sont désignés surl'arbrisseau situé près de l'athanor. Le couple alchimique présente desnouveautés par rapport à la version de Basile. Le Roi porte le phénixde sa main droite [cf. poème du phénix] et le bourdon de sa main

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gauche. La Reine porte l'attribut mercuriel : un cygne [κυκνος] ; notez qu'un aigle blanc se dit κυκνιας et que ces deux oiseaux sont, par cabale, des cousins proches. Considérez aussi que Κυκνος, fils dePoséidon, est tué au combat par Achille, l'Achéen céleste. Et que l'onconnait un autre Κυκνος, fils d'Arès, tué au combat par notre Artiste,Hercule. Dans les deux cas, c'est du principe mercuriel qu'il s'agit. Lalégende « sublimatio » évoque la conjonction des principes. Mais nousne dirons plus, comme indiqué par erreur au commentaire de Basile,qu'il s'agit de la préparation de la stibine. il faut ici user de cabale etmettre d'un côté de la balance, λυκος [le loup] et de l'autre, la lumière[λυκη]. N'oublions pas que la chèvre de M. Seguin résista au loupjusqu'au point du jour [Aurora consurgens], αµϕιλυκε ou λυκοϕως.Considérez aussi pourquoi le tueur de loup [λυκο−ϕουτης] était l'autrenom du Troyen et vous aurez avancé dans la connaissance de notremateria prima. Méditez aussi ces paroles de Basile :

"Si donc tu veux opérer en nos matières, prends un loup affamé et ravissant,sujet à cause de l'étymologie de son nom au guerrier Mars, mais de race tenant de Saturne, comme étant son fils." [Douze Clefs]

Ce loup ravissant est en rapport avec la lumière λυκη, et l'aurore. ilcontracte un rapport de cabale avec Mars par αρης, à cause de saproximité à αρην, qui désigne l'agneau, le mouton. Or, c'est bienconnu, le loup est l'ami de l'agneau... Reproduit dans Jung, p. 469 : «L'aigle et le cygne, symboles du spiritus sublimé. Au premier plan, Saturne »[Psychologie et alchimie, op. cit.]. Il est malaisé de savoir si l'artiste adessiné un aigle ou un phénix...

Emblème XIV

Très proche de la Clef VIII de Basile, la gravure montre les corps mortsdu soleil et de la lune. L'ange, à droite, sonne de la trompette à l'instarde ceux qui ornent le frontispice du Mutus Liber, prêts à animer leMercure endormi. C'est la même image. Voyez une autre version del'ange au commentaire du Triomphe hermétique de Limojon. A droite,Saturne, pris dans son acception primitive, dieu grégaire, sème l'Or. Lalégende, « Fermentatio » résume bien cette planche, simplifiée parrapport à la Clef de Basile.

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Emblème XV

C'est le couple alchimique en gloire que montre Mylius. Au bas del'escalier, les deux lions à une tête désignent le Lion rouge etexpriment le sens de la légende « Exaltatio ». On peut rapprocher decette planche la quinzième figure du De Lapide Philosophorum de Lambsprinck. L'appariteur est remplacé par l'arbre aux luminaires quel'on aperçoit entre nos deux principes. L'exaltation est cette opérationde l'animation du Mercure qui le transforme en Mercure philosophiquequi contient le Rebis, en voie de réincrudation. On trouve dans l'Alchymia de Libavius une gravure qui ressemble beaucoup à cetemblème.

Alchymia, Commentarium, deuxième partie, p. 56, Francoforti, 1606 [cliquez pouragrandir]

Ce lion monocéphale (A) est le symbole de la materia prima ou minièrede la pierre des philoosphes ; on l'obtient du double mercure et la têtedu lion vomit de l'eau verte : vocatur alias Leo viridis. En haut de lapyramide des philosophes [où l'on aura reconnu l'étoile de Salomon si l'on

veut bien voir qu'elle a six paliers], trône le couple royal ; au faîte, l'Arbor

vitae ou arbor solari dont on peut cueillir les pommes d'or [µηλον] aprèsqu'elles auront crû et multiplié.

Emblème XVI

Cette figure fait l'objet d'un jeu de mots qui est masqué par le puitsque l'on devine à droite et d'où l'on tire de l'eau. Ce puits, ϕρεαρ,

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pourrait être en effet ici, un objet de perplexité. Mais si l'on prendgarde que tirer de l'eau hors d'un puits s'énonce ϕρε−αντλης, jeu demot sur Κλεανθης, on peut dire ceci : ανθος désigne lesefflorescences salines, et tout spécialement le sel nitre. De là à penserque notre sel [ανθος] est de ceux qui ouvrent [κλεις] les prisons oùgît le Soufre des métaux, il n'y a qu'un pas... Diane apparaîtchevauchant un Lion qui allaite ses petits. Elle tient un globe où l'onaperçoit le pélican, autre emblème du Mercure puisque cet animal offreses propres plumes à sa progéniture et donne, en outre l'idée d'unecirculation dans le récipient qui porte son nom. Mais le pélican,πελεκαν, est aussi proche de πελεκαω, qui signifie travailler avec lahache. Or, la hache [voir figure XXV de l'Aurora consurgens] est l'un dessymboles les plus réservés de l'oeuvre, de celui dont on use pourfoudroyer avec de l'eau, ce qui, en terme hermétique, s'appellefertiliser. La hache, instrument qu'on appelle encore pierre de foudre,est aussi celui avec lequel on ouvre la Terre : elle figure alors sonunion avec le Ciel en exprimant exactement ce que dit Basile : « rompsl'écorce et prend le noyau » [qu'on traduit improprement par « brûle teslivres...»] par une confusion sur libros. Bref, c'est un symbole qui fendl'écorce de l'arbre et un symbole de pénétration spirituelle qui a despoints communs avec le Sagittaire. Mais c'est aussi un instrument dedélivrance. En somme, la multiplication [multiplex], l'accroissement, vaaboutir à l'accrétion des Soufres, à l'arrivée sur la terre promise, Délos,là où Latone accouche d'Apollon et d'Artémis, ses enfants pétrés.

Emblème XVII

Le soufre et le mercure sont représentés de part et d'autre d'unenymphe où l'on verrait volontiers Aphrodite sortant des eaux, ced'autant plus que les trois personnages semblent marcher sur l'eau.Au-dessus de la nymphe [ou de la déesse], on voit cinq étoiles quidésignent sans doute les cinq métaux vulgaires, l'or et l'argent étanthors d'oeuvre. Aux coins de la gravure, les vents de l'oeuvre [voir Atalanta fugiens]. Un mot sur l'aspect de la surface de l'eau : il s'agitde toute évidence d'une eau qui n'a pas la consistence de « l'eauvulgaire » ; c'est d'une eau salée qu'il s'agit, l'aqua permanens.

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Emblème XVIII

Les sept métaux sont représentés dans les cavernes de la terre etchacun se voit affublé d'un symbole. On reconnait très bien au premierplan, la lune et l'Écrevisse, au centre le Soleil jouant de la lyre [Orphée,avec allusion à Apollon] et derrière lui le lion. À droite, une nymphetenant une flèche. L'animal placé derrière semble être une chèvre,emblème du Mercure ; il est possible que le signe des Gémeaux soit iciindiqué. Au second plan, on reconnait au centre Saturne et lecapricorne ; à droite, les Poissons et le dauphin. À gauche, Arès et lebélier. À l'extrême gauche, un personnage couronné avec un symboledifficile à déchiffrer. Il semble s'agir d'un tireur à l'arc. Si l'on procèdepar élimination, on trouve la liste suivante : - Bélier = fer - Cancer = argent - Lion = or - Gémeaux = mercure [àprendre pour argent-vif et non pour vif-argent] - Capricorne = plomb -Sagittaire = étain. Restent à caser le cuivre et l'antimoine. Mais celafait huit. Si l'on exclut l'antimoine, des parties de Saturne, il ne resteplus que le cuivre. Le cuivre renvoie soit à la Balance, soit au Taureau[Vénus]. Il est possible que l'animal placé derrière la nymphe soit nonpas un capridé mais un bovin. Pourquoi a-t-il une tête atypique ? Ontrouve une gravure qui se rapproche un peu de celle-ci dans leMusaeum Hermeticum [Francfort, 1627], que nous reproduisons ci-dessous. Le symbolisme de la

FIGURE II gravure du Museum Hermeticum

gravure est très clair. Au premier plan, le puits, dont nous connaissonsà présent la signification ; au second plan, dans une caverne de laTerre, les septs représentants métalliques ; au-dessus, les symbolesdu Feu, de l'Eau et, au centre, de la Pierre. À gauche, en haut, la

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salamandre qui indique la nature du sel fixe, incombustible dont nousavons parlé déjà tant de fois... À droite, les vents cardinaux del'Oeuvre, Borée, Zéphyre et Aquilon. La Pierre philosophale n'est-ellepas, d'ailleurs, la Rose des vents ? Et le vent, par son inconstance, savanité, ne traduit-il pas les caractères de notre Mercure volage ?L'emblème XVIII est reproduit dans Jung, p. 89 : « les sept dieux desplanètes en enfer » [Psychologie et Alchimie]. Il est possible que le cuivren'est pas éét représenté, car il s'agit de l'aes, symbole du laiton ou del'airain, auquel cas il renvoie à l'hermaphrodite.

Emblème XIX

La gravure nous montre une image spirituelle de la Pierre philosophale.Le dessin du cercle, inscrit dans un carré, lui-même inscrit dans untriangle donne des indications sur les trois stades de l'oeuvre, les troisprincipes et les Quatre Eléments. Voyez ce que nous en disons dans lesDouze Portes de Ripley. Retenons ici que la pierre est triangulaire danssa forme, quadrangulaire dans son état et circulaire dans son origine.Par triangulaire, nous voulons dire, de vertu triangulaire, car destriangles peuvent s'associer pour former des hexaèdres, desicosaèdres, etc. Elle trouve son origine dans le Mercure, dont lesymbole est un serpent qui se mord la queue ou d'une surfacecirculaire [ellipse, tronc de cône, cercle] ; son état s'équilibre par l'effetconjugué, à la fois synergique et successif, de l'application contrôlée etpesée des Quatre Eléments : le travail commence par la Terre, sepoursuit par l'Eau, se déplace dans l'Air des Sages sous l'influence duFeu élémentaire puis finit dans la Terre, réincrudée et ennoblie. Cettefigure a été traitée par Michel Maier dans son Atalanta fugiens, emblèmeXXI. Il s'agit de l'imago mundi qui décrit l'anima consurgens. Une imagesemblable peut être retrouvée dans l'arbre du Mercurius Redivivus, cf. Aurora consurgens, I. Notez encore l'ombre [umbra] portée du globe surle et la . Cette ombre a une importance, en cabale, à ne pasnégliger. Selon ce qu'en dit Jung :

« Au cours du traitement psychologique, la relation dialectique acheminelogiquement le patient vers une confrontation avec son ombre, cette moitiéobscure de l'âme dont on s'est depuis toujours débarassé au moyen deprojections... » [Psychologie et alchimie, §36, p. 42]

Il est aisé de transcrire ces paroles dans l'Art sacré : le côté obscur del'âme représente ce spiritus corruptus qui est évoqué dans l'une desgravures du Rosarium philosophorum [voir Aurora consurgens II] : c'estcette dissolution initiale ou sol niger qui signale à l'Artiste qu'il est, audébut de son travail, sur le bon chemin. Quant à la projection,

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suffisamment de contre-sens ont été formulés pour qu'il soit utile derevenir une dernière fois là-dessus : les alchimistes ont raconté, depuisl'époque médiévale, qu'ils réalisaient la transmutation métallique grâceà leur poudre de projection. Ils ennoblissent les métaux vils en argentou en or. Naturellement, on comprendra que cette métamorphose nepeut se comprendre que par l'esprit : Jung a étudié de façonapprofondie ces arcanes à partir de 1930 pour ne plus ensuite seséparer vraiment de la littérature alchimique, dont il avait uneconnaissance extraordinaire, aidé d'ailleurs en cela par Marie Louisevon Franz. Cette projection est tout intérieure et correspond,idéalement, au phénomène d'individuation par lequel le MOI aquiertson élongation maximale vis-à-vis du SOI, son aphélie en quelquesorte. De là, les transitions alchimiques de l'obscurité à la lumière, iln'y a qu'un pas facile à franchir. Mais c'est sans doute à HerbertSilberer que nous devons d'avoir posé les fondements de cette pierremonolithe sur laquelle Jung s'est appuyée pour bâtir son propre temple[Bollingen].

Emblème XX

L'appariteur, médiateur du Soufre et du Mercure, sanctifie, oint, l'unionsacrée des deux natures, sous l'effet du Feu. Voilà encore un symboledu spiritus sanctus qui rappelle celui du traité de Lambsprinck. cf.emblème VIII.

Emblème XXI

Une nymphe effrayée par un animal monstrueux, dont le mufleprésente quelques traits de ressemblance avec le Mercure de l'emblèmeXII. À gauche, le médiateur. S'agirait-il d'une allégorie concernant lafable de Latone poursuivie par Typhon ?

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Emblème XXII

Les laveures de Nicolas Flamel. La phase de « nigredo » est achevée.Le Rebis doit être lavé avec la lessive ou le savon des philosophes. LeRebis passe par plusieurs phases dans son développement : c'estd'abord l'Airain avant qu'il ne devienne le laiton, termes que les Latinsont désigné par le mot aes. L'opération consiste à nettoyer l'aes ustum[airain brûlé, cf. Berthelot, Chimie des Anciens, VII]. Ces laveures nécessitentun savon spécial qui est le dissolvant universel dont Kunckel niaitl'existence [cf. Fulcanelli, DM, II]. On trouve semblable image dans leSplendor solis, figure XX.

vingtième image de la Toyson d'or, de Salomon Trismosin, Andre le Sage [cliquezpour une autre version en couleurs]

Voici un extrait de la Toyson d'or de Salomon Trismosin (pseudo) qui en dit longsur ce sujet des laveures :

Au quatrième la chaleur purifie chassant de son foyer le moindre objet de quelqueimpureté. Calid, à ce sujet, dit qu'il faut laver la matière par un feu chaud, pour faire une apparente mutation : aussi faut-il savoir que les minéraux assortis et alliés ensembledéchoient promptement de leurs premières habitudes par la communication réciproquede chacune de leur propre influence en l'infusion également dispersée par la totalemasse de leur communauté, se dépouillant d'un vêtement particulier pour en faire puisaprès une proportion égale et mesurée à tout le gros de la minière, et quittant lesmauvaises senteurs de leur infection par le moyen de notre Elixir renouvelé, duqueltraite fort à propos Hermès, quand il dit qu'il est très nécessaire de séparer le gros dusubtil, la terre du feu et le rare de l'épais. Il me vient à propos de rapporter ici lesconceptions du traité d'Alphidius qui ne contredit en rien ce que nous en disons. Vousconnaîtrez, par la lecture exacte de ses doctes écrits, le même avis qu'il en a du tout,semblable à tant de bons et renommés auteurs, qui nous ont tous laissés hésitants aumême chemin.

QUEL EST LE PROPRE DE LA NATURE PAR LEQUEL ELLE PREND SONOPÉRATION traité quatrième

Il s'agit d'éliminer les parties adustibles en conservant le Sel fixe central qui est la

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magnésie des philosophes, autrement nommée SEL [il ne s'agit pas du Salniter de

Jacob Boehme, cf. Aurora consurgens II]. Toutefois, ces parties solubles dans le feuont une grande importance, quand on sait que les alchimistes, dans ce métier detissage que constitue leur Mercure, y trouvent les fils de leur Or qui est le vrai des disciples d'Hermès. Alphidius est un des plus vieux philosophes de l'Artsacré, avec Artephius et Senior. Le traité dont il est question est traduit dans leThesaurinella Olympica Aurea Tripartita : Kurtzer Bericht und Parabolisch Tractätleinp. 66-69 [Benedictus Figulus, Hamburg, 1682].

Emblème XXIII

Combat du Lion vert, fixe, et du Lion rouge de caractère plus volatil.Rappelons que le Lion vert est le Mercure commun qui porte en lui unepartie de l'Esprit du Mercure et le Sel ou Corps de la Pierre. Le lion vertse transforme en lion rouge lorsque le Soufre rouge s'y est sublimé, cequi explique les ailes. Notez au pied du lion rouge un écu, signe duSoufre solaire. Au loin et à droite, un navire qui ressemble au bâteauArgo, allusion à la combinaison de et .

Emblème XXIV

Cette scène, évoquant la putréfaction, rappelle l'emblème XIII. Notez laprésence, à gauche, du tronc de chêne mort, d'où émerge unbourgeon. La reine porte un rameau, signe de la régénération et de lamultplication tandis que le roi porte le bourdon qui équivaut à la flèche[sulphur ] du Sagittaire.

Emblème XXV

L'Artiste, las, se demande bien comment il fera pour faire

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communiquer les deux extrémités du vaisseau de nature. Peut-être lasolution se trouve-t-elle sous son pied gauche [pierre cubique] ;peut-être se trouve-t-elle au loin, sur le bateau Argos ? Notez le blocde pierre sur lequel il s'adosse : il n'est pas étranger à notre propos d'yvoir du marbre veiné. Enfin, le vase où l'on retrouve l'idéogramme

aes ustum [airain brûlé]. L'allégorie est claire : les oiseaux sont Gabriciuset Beja. Au centre, il existe une terre ou plutôt un résidu [faeces, τρυξqui empêche aux extrémités du vaisseau de nature de se conjuguer.Cet excès de terre doit être enlevé par de la pierre calcaire. Voyezailleurs ce que nous disons du foie de soufre terreux : vous ytrouverez, non loin, l'υδορ θειον de Zosime : c'est l'eau qui permet delaver le laiton et qui dissout entièrement l'Or alchimique [cf. Livre deCrates et Berthelot, Chimie des Anciens]. Jean Baptiste Porta se faisaitencore l'écho de ce que l'on pouvait augmenter le poids de l'or parl'emploi combiné du mercure et de la calca viva [Magiae naturalis, Lugduni, 1644].

Emblème XXVI

À gauche, le Mercure, avec son caducée qui est aussi une image desGémeaux. Au centre, l'athanor avec trois matras au long col quisignalent peut-être les trois sublimations qu'il faut, par tradition,pratiquer. À droite, le Lion vert. Nous sommes au début de la Grandecoction. Selon Van Lennep [Alchimie, p. 209], les matras indiqueraientque la partie fixe doit être trois fois plus importante que la partievolatile. Or, nous savons qu'il n'en est rien : tout au contraire, c'estd'une trace seulement de Soufre [teinture] que l'Artiste a besoin pourprojeter, en masse, sur son Sel.

Emblème XXVII

Image de la moisson. À droite, la Vierge allaitant l'enfant hermétique.À gauche, Arès. Ce symbole est-il une indication sur la nature duSoufre rouge ? Notez la pierre cubique, en bas, identique à celle del'emblème XXV. Les enfants de part et d'autre représentent les principes

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de l'oeuvre [ , ] et celui que tient Cérès - Déméter estl'hermaphrodite qui doit être nourri : il s'agit donc de la cibatio.

Emblème XXVIII

Cette gravure ne semble pas posséder de caractère hermétique. On yvoit une reine donnant à trois sujets leur obole. Est-ce une indicationsur le poids de nature ? Ne serait-ce pas plutôt une indication sur letiers d'une obole, puisqu'on aperçoit trois sujets ? Si l'on se reporte àla Chimie des Anciens de Berthelot, on remarque que le terme κερατιον signifie carat, tiers d'obole. Ce mot a encore pour acceptionla corne et peut désigner les extrémités recourbées de la matrice. Onpeut dès lors se poser la question de savoir si cet emblème nedissimulerait pas une allégorie sur le Taureau... Si nous relisons àprésent le chapitre que Jung consacre à la Licorne dans l'allégoriqueecclésiastique, nous trouvons :

« C'est sur ces métaphores que Tertullien base son allusion au Christ : Sa beautéest d'un taureau, et ses cornes des cornes de licorne (Liber adversus Judaeos in Jacques Paul Migne, Dictionnaire des sciences occultes, Paris, 1846-1848, Patrologiae cursus completus, Series latina, chap. X) ... Ainsi, dit Tertullien, leChrist fut nommé le taureau à cause de deux qualités : il est d'une part dur ...comme un juge, et d'autre part bienveillant ... comme un sauveur. »[Psychologie et Alchimie, § 520- 521, trad. Buchet Chastel, pp. 552-553]

Sur la parabole de la drachme perdue, cf. Douze Clefs de philosophieLe lecteur appréciera de savoir si Mylius n'a pas voulu terminer cepremier volet de sa triade avec - par cabale - le mot AMEN.

II. Gravures reproduisant les allégories du RosariumPhiloosphorum [de 1 à 20]

Nous allons à présent aborder la série des gravures où Mylius areproduit les allégories du Rosaire des Philosophes. Dans son AlchimieVan Lennep précise que Mylius a dû aussi s'inspirer du traité de JanusLacinius, Pretiosa Margarita, publié en 1546.

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Emblème I

V.I.T.R.I.O.L.U.M. : : Visitare Interiora Terrae Rectificando Invenies OccultumLapidem. Ce qui signifie : « Explore le tréfonds de la Terre ; en purifiant tutrouveras la Pierre cachée ». Voilà qu'elle doit être l'étrange occupationdes mineurs qu'on aperçoit, affairés autour de trois cuviers et quiscrutent l'intérieur d'un vase, à la recherche de quelque or, peut-être.Mais on n'a pas pris garde que cette acronyme n'était qu'une allégoriedu travail hermétique. Il ne faut pas que l'étudiant s'imagine que c'esten explorant des cavernes qu'il trouvera ce qu'il cherche. Non. C'est àla fois plus simple et plus astucieux. Il doit d'abord séparer lasubstance qui constitue la Terre, puis, en purifiant la dissolution, iltrouvera l'arcanum, c'est-à-dire la pierre cachée. Quoi qu'il en soit,cette emblème se rapproche du n° LX de l'Atalanta fugiens. Toutefois,l'obélisque a été enlevée et remplacée par une autre fontaine ; demême la maison de verre a disparu. C'est dommage car l'obélisqueavait la valeur du Soufre solaire ou . A ce propos, nous pouvons citer

Dupuis :

Quant aux pyramides et aux obélisques, rien de plus connu que la raison quiles fit consacrer dans la religion égyptienne, et que le rapport qui les lie à laNature. C'est même comme monuments religieux qu'ils ont existé en Égypteen aussi grand nombre ; et c'est la superstition seule qui les y a si fortmultipliés ; car tel est le sort de notre triste humanité, de n'élever presquejamais de grands monuments, que pour perpétuer ou des malheurs ou des sottises, tels que des combats ou des erreurs religieuses. Pline, dans sonHistoire naturelle (l. 36, c. 8 et 11), s'explique de la façon la plus claire surle choix qu'on fit de l'obélisque et de la pyramide, de préférence aux autresfigures qu'on eût pu donner aux colonnes sacrées élevées au Soleil, « C'étaitautant de monuments, dit Pline, consacrés à la divinité du Soleil. Leur figuremême est une image des rayons de cet astre, et le nom qu'elles portent acette signification en égyptien, Le savant Jablonski retrouve cetteétymologie encore dans la langue cophte. Il observe (Panth. Aegypt.

prolog., p. 82) que le mot (πιρη) Pyré, qui entre dans la composition dunom de la pyramide, est encore aujourd'hui celui du Soleil en langue cophte,ou dans l'ancienne langue égyptienne dont les Cophtes ont conservé lesrestes. Pyr est aussi le nom du feu chez les Grecs (Isidore, Orig., l. 3, c. 3,de Geom); le feu et le Soleil ont une analogie trop naturelle entre eux, pourque les noms du Soleil et du feu n'aient pas eu quelque ressemblance chezdeux peuples, dont l'un était en partie une colonie de l'autre. Jablonskitrouve l'autre partie du mot pyramide dans muë, qui, dans la même langue,signifie éclat et rayon. Quoi qu'il en soit de l'étymologie, il est certain que lapyramide, comme l'obélisque, était consacrée au Dieu soleil, d'après desraisons d'analogie entre la figure pyramidale et celle sous laquelle le rayonsolaire se propage et la flamme s'élève.

Origine de tous les Cultes ou Religion universelle, Paris, Babeuf, 1822

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Emblème II

Plus conventionnelle à l'art hermétique, cette allégorie concerne latransformation du Mercure commun en double Mercure, où, si l'onpréfère, la mutation du lion vert en lion rouge. On peut noter que cettegravure a de grandes similitudes avec celle du Rosaire où l'on aperçoitle roi et la reine à la première phase de la conjonction. Elle n'est pasnon plus sans rappeler l'emblème XIII et surtout XXIV du premiervolet. Mais dans le premier cas, l'athanor est remplacé par le Liondouble ; et dans le second, les deux corbeaux sont emplacés par lafigure de l'aigle. Remarquez à droite la forêt d'où provient la Reine [le Sel caché dans la materia prima] qui contraste avec l'arbre bourgeonnantprès du Roi [le Soufre est singulier, disent les textes, mais le mercure estpluriel].

FIGURE III Rosaire des Philosophes : première phase de conjonction

Le soleil et la lune sont remplacés par les lions et la colombe, parl'aigle. Ce sera l'occasion de commenter ici ce que dit Pernety du Lion :"

Lion. Les Philosophes Chymistes emploient souvent ce terme dans leursouvrages, pour signifier une des matières qui entrent dans la composition dumagistere. En général c’est ce qu’ils appellent leur Mâle ou leur Soleil, tant avantqu’après la confection de leur mercure animé. Avant la confection, c’est la partiefixe, ou matière capable de résister à l’action du feu. Après la confection, c’estencore la matière fixe qu’il faut employer, mais plus parfaite qu’elle n’était avantAu commencement c’était le Lion vert, elle devient Lion rouge par la préparation.C’est avec le premier qu’on fait le mercure, et avec le second qu’on fait la pierreou l’élixir. Lorsqu’on trouve dans les écrits des Philosophes le terme de Lionemployé sans addition, il signifie le soufre des Sages, soit blanc, qu’ils appellentaussi Or blanc, soit rouge, qu’ils nomment simplement Or. Quelquefois ils donnentle nom de Lion à la poudre de projection, parce qu’elle est or parfait, plus pur quel’or même des mines, et qu’elle transforme les métaux imparfaits en sa propresubstance, c’est-à-dire en or, comme le Lion dévore les autres animaux, et les

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tourne en sa substance, parce qu’il s’en nourrit. Lorsqu’ils se servent du terme deLion pour signifier leur mercure, ils y ajoutent l’épithète qualificative de vert, pourle distinguer du mercure digéré et fait soufre. C'est dans ce sens qu’il fautentendre ces expressions de Morien : " Prenez la fumée blanche, et le Lion vert,et l’Almagra rouge,et l’immondice." Le même Auteur, quelques pages après,explique ce qu’il entend par Lion Vert .

LION. (le vieil) Partie fixe de la pierre, appelée vieille, parce qu’elle est le principede tout.

Lion VERT. (SC. Herm.) Matiere que les Philosophes Chymiques emploient pourfaire le magistere des Sages; cette matière est certainement minérale, et prise durègne minéral. Elle est la base de tous les menstrues dont les Philosophes ontparlé. C’est de cette matière qu’ils ont composé leur dissolvant universel, qu’ilsont ensuite acué avec les essences des végétaux, pour faire le menstrue végétal;avec les essences des animaux, pour le menstrue animal; et avec les essencesdes minéraux, pour le menstrue minéral. Ils ont donné le nom de Lion vert à cettematière pour plusieurs raisons, dit Riplée :

- 1°. parce que c’est par lui que tout reverdit et croît dans la nature. - 2°. Parce que c’est une matière encore acide et non mûre, bien éloignée de laperfection de l’or vulgaire; mais qui, par le secours de l’art, devient infinimentau-dessus de ce Roi des métaux : c’est un or vert, un or vif, encore imparfait, etqui, par cette raison, a la faculté de réduire tous les métaux en leur Premièrematière, et de volatiliser les plus fixes. - 3°. Parce que le mercure qu’on extrait de cette matière rend semblable àlui-même, et détruit tous les autres corps, comme le Lion fait des autres animaux.

- 4°. Enfin, parce qu’il donne une dissolution verte.

On doit aussi faire attention, dit Jean Seger Weidenfeld (de Secretis Adeptorum),que les Philosophes distinguent plusieurs sortes de Lions verts. Par le premier, ilsentendent le soleil ou l’astre qui nous éclaire, et qui fait tout végéter dans lemonde. Par le second, le mercure, non le vulgaire, mais celui qui est commun àtous les individus, et par conséquent plus commun que l’argent-vif ou mercurecommun; œ qui a fait dire aux Philosophes, que leur mercure se trouve partout etdans tout. Par le troisième, ils entendent la dissolution même de leur matière,qu’ils appellent aussi Adrop. Par le quatrième, c’est cet Adrop ou vitriol Azoquée,appelé Plomb des Sages. Par le cinquieme, c’est leur menstrue puant, que RipléeRaymond Lulle, Geber et tant d’autres nomment Esprit puant, Spiritus fœtens, ouSang du Lion vert. Par le sixième, ils entendent le vitriol commun, qu’ils nommentLion vert des fous, quelquefois le vert-de-gris. Le septième, est le mercurevulgaire sublimé avec le sel et le vitriol, mais qui n’est point la vraie matière desSages. Riplée appelle quelquefois ce Lion vert Sericon. On en tire deux espritsvisqueux; le premier blanc, opaque, ressemblant à du lait, ce qui lui a fait donnerle nom de Lait de la vierge, et par Paracelse, Colle de l’aigle, Gluten Aquilœ. Lesecond esprit est de couleur rouge, très-puant, appelé communément Sang duLion vert. Ce sont ces esprits que les Philosophes, à l’imitation de Raymond Lulle,ont appelé Vin blanc et Vin rouge, ce qu’il ne faut point entendre du vin blanc ouvin rouge communs. [A propos de Weidenfeld, ces notes de John Ferguson inBibliotheca Chemica, II, p. 538 : This book was first printed at London, 1684, 4°, quoted byJöcher, and then at Hamburg, 1685, 12°, quoted by Zedler. An English translation waspublished at London, 1685, 4°. There is so little known about him that Marchand would almostconsider his name pseudonymous, were it not that It is not mentioned in the lists ofpseudonymous writers. ]

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Rosarium Philosophorum, gravure 19

LION ROUGE. Les Philosophes Spagyriques appellent ainsi la matière terrestre etminérale qui demeure au fond du vase après la sublimation des esprits qui en sontsortis, et qu’ils appellent Aigles. Ce Lion rouge est aussi ce qu’ils nomment Laton.

LION VOLANT, LION RAVISSANT. V. MERCURE DES SAGES. Il est appelévolant, parce qu’il est volatil; et ravissant, parce que c’est le dissolvant universelde la Nature.

LION NÉMÉEN. Animal fabuleux descendu de l’orbe de la Lune, et envoyé parDiane pour ravager la forêt de Némée. Hercule entreprit de le prendre, et de lemener à Eurysthée. Il y réussit, comme on le voit dans le chap. 2 du liv. 5 desFables Egypt. et Greq. dévoilées." [Dictionnaire] La définition que donne

Pernety du lion n'est pas satisfaisante. Le lion vert représente le 1er

état du Mercure : c'est le Mercure commun, voilé par la fable de ladécapitation de Méduse. De son sang naissent Pégase et Chrysaor.Voilà le Mercure commun. L'infusion du soufre rouge ou principe deteinture va déterminer l'animation du Mercure et le transformer en Lionrouge. Pernety n'a donc pas tout à fait tort, quand il dit que le lionressorit du principe fixe ; mais toute l'opération du Mercure va être derésoudre ce principe en humide radical. La suite du texte de Pernetyn'est pas non plus compréhensible. Certes le lion dévore tous lesanimaux ; à ce titre, il peut « dévorer » les métaux mais il ne lestransforme pas vraiment en un principe de sa nature. Il permet leurrésolution qui est le gage d'une réincrudation particulière dont nousavons parlé dans la section correspondante et dont nous avons étendules réflexions qui s'y amorçaient dans nos commentaires de l'Aurora consurgens. Des quatre définitions que donne Pernety du Lion vert,

seule la 3ème nous paraît correspondre à ce qui doit se passer dans laréalité du fourneau. La couleur verte est là, semble-t-il, pour signaler

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la crudité du Mercure. Il est peu probable qu'il s'agisse à proprementparler d'une couleur ; sinon, on connaît le vitriol vert [sulfate de fer], les sels de cuivre, les sels d'or et le chrome qui peuvent prendre unecoloration verte. La troisème partie du texte de Pernety parle del'Adrop : c'est une référence explicite au Mercure des sages pendant laphase de dissolution radicale [putréfaction, autre nom de l'azoth]. Quant auvitriol commun, il n'a rien de commun avec l'acétate de cuivre[vert-de-gris]. Le Lait de la Vierge est un autre nom du Mercure, aprèsla dissolution [voir cette expression en recherche, nous l'avons souventévoquée à propos d'Artephius]. Quant au sang du Lion vert, ce n'est rien d'autre que le Soufre sublimé qui attend l'action catalytique duSagittaire pour se coaguler progressivement avec la toyson d'or ou Chrysaor [l'autre partie du Mercure commun]. Pernety fait ensuite uneconfusion entre le lion rouge et le laiton [laton] parce qu'il confond lavoie humide et la voie sèche. Pour l'allégorie du lion de Némée, voyezle Ier travail d'Hercule, section Fontenay. Au-dessus des deux lions quisont en train de se métamorphoser en un seul, nous voyons les deuxprincipes mâle et femelle. La femme tient une plante à trois fleurs [il sepourrait qu'il s'agisse du lis] ; l'homme tient un bourdon. En haut, entreles deux personnages, un aigle avec l'emblème d'une fleur en formed'étoile, atteste de la nécessité des sublimations réitérées pour réaliserle Mysterium conjunctionis. On peut citer, sur le lion, cette curieusefigure de la Pandora, datant de 1588, où on lui coupe les pattes et l'onconnaît encore des représentations où le lion, à l'instar du dragon, sedévore lui-même [cf. Jung, Racines de la Conscience, trad. Buchet Chastel,Pochothèque, p. 272].

Emblème III

C'est une version très simplifiée de la Clef XII de philosophie de BasileValentin. L'officiant surveille un feu de bois dans une cheminée ; lerésidu, formé de cendres végétales, va former l'alkali fixe qui servira àla préparation du bain pour les principes que l'Artiste nous désigne dudoigt. Comme on le voit, et sont presque totalement dévétus.Bernard de Trévise [Verbum dimissum] dit que les époux doivent sedépouiller de leurs vêtements avant d'entrer dans le bain nuptial[comprenez : les substances à employer doivent être dans un grand état depureté avant de pouvoir être utilisées dans la grande coction]. Là encore, onpeut comparer cette gravure à celle

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FIGURE IV Rosarium : deuxième phase de conjonction

qui figure sur le Rosaire et qui montre le roi et la reine à la deuxièmephase de la conjonction, pareillement dévêtus. Voici ce que dit lepseudo-Aristote :

"Tout d'abord on a la vraie matière dans le lion vert, de la couleur qui est lasienne. Et on l'appelle Adrop, Azoth ou Duenech vert [cf. Emblème II]. Audeuxième degré on a la même chose, et au troisième les corps se dissolvent dansl'argent-vif des philosophes, c'est-à-dire dans l'eau de notre Mercure, et il se faitun corps nouveau." [Rosaire des Philosophes]

Ici, nous sommes manifestement au deuxième degré : les corps nesont pas encore dissous.

Emblème IV

Voila qui est réalisé sur cette gravure qui ne représente qu'unevariation de l'emblème II. L'aqua permanens a simplement remplacéles lions. On remarque que les fleurs entre-croisées sont identiques àcelles du Rosaire des Philosophes, de même que l'aigle, situé

FIGURE V

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Rosaire : troisième phase de conjonction

au-dessus. C'est la 3ème phase de la conjonction. Hermès dit :

"Là s'effectue la conjonction des deux corps, et elle est indispensable dans notremagistère. Et si l'un de ces deux corps seulement manquait à notre pierre, elle nefournirait de teinture en aucune manière. C'est pourquoi un philosophes dit : levent l'a porté dans son ventre. Il est donc clair que le vent est l'air, et l'air est la vie, et la vie est l'âme, c'est-à-dire l'huile et l'eau." [Rosaire]

L'huile désigne l'Âme ou teinture [Soufre rouge] ; l'Eau est le Mercure.Voyez Ripley là-dessus. A gauche, en haut, l'arbre solaire ; à droite, envis-à-vis, l'arbre lunaire qui porte les pommes d'or [ou les brebis, le mot

grec est le même : µηλον] du Jardin des Hespérides. Le bain des astresest l'une des grandes inconnues X de l'oeuvre. Certains auteurs ont ditqu'il pouvait être de la nature de la chaux : c'est à la fois envieux etcharitable. Car si le bain tient en dissolution des chaux métalliques,lui-même est d'une autre nature. Elle nous est indiquée par saponticité. La parabole sur le vent est l'air peut s'expliquer aisément : levent, symboliquement, désigne le principe qui va assurer la purificationde la matière. Voyez ici ce que nous disons au chapitre I de l'Atalantafugiens, où nous montrons que Zéthès et Calaïs, fils de Borée, formentles vents soufflant du Sud qui s'opposent à Borée [équivalent de Cronoset qui chassent les Harpies [symbolisant les souillures de la matière] ; lamatière dans cette allégorie est le devin Phinée. Enfin, remarquons lesarbres solaire et lunaire.

Emblème V

C'est la mise au tombeau. Le voile va s'étendre sur la dissolution desprincipes. La présence des deux corbeaux est univoque à cet égard :

"Corbeau. En termes de Science Hermétique, signifie la matiere au noir dans letemps de la putréfaction. Alors ils l’appellent aussi la Tête du corbeau, qui estlépreuse, qu’il faut blanchir, en la lavant sept fois dans les eaux du Jourdain,comme Nahaman. Ce sont les imbibitions, sublimations, cohobations, etc. de lamatiere, qui se font d’elles-mêmes dans le vase par le seul régime dufeu."[Pernety, Dictionnaire]

Mais de quelle voie parle Pernety ? Mystère. Est-ce la voie humide ?Alors il y a quelque chance que ces cohobations correspondent à uneréalité de ce qui se passe réellement dans le matras. Est-ce la voiesèche ? Alors tout doit se comprendre par l'entendement. Et le vase,dans ces conditions, c'est le vase de nature. Cette mise au tombeauest inséparable de la conjonction du roi et de la reine, dont c'est la

4ème phase que nous voyons ici. Voici ce qu'en dit Arislée, dans leRosaire :

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Rosarium Philosophorum, figure 6 [cliquez pour agrandir]

"...Unis donc ton fils Gabricius qui t'est plus cher que tous tes autres fils, avec sasoeur Beya qui est une enfant radieuse, douce et tendre [...] Unis donc notreesclave à sa soeur parfumée, et ils engendreront tous deux un fils qui ne sera pascomparable à ses parents. Et bien que Gabricius soit plus cher que Beya, lagénération ne se fait pas sans Gabricius..." [Rosaire]

Il y a des variantes nombreuses de ce passage. Ainsi, Basile Valentinconseille-t-il d'unir un vieillard vigoureux [le Mercure] avec une jeunefille... Van Lennep ajoute qu'il s'agit d'une

« ... évocation pudique du coït tel qu'il avait été montré sans détours dans leRosarium. Stolcius ne manqua pas, lorsqu'il commenta cette illustration, de faireallusion à Gabricius et Beya, "qui retient son amant prisonnier dans son ventre -En sorte que de deux, ils ne font plus qu'un seul corps". » [Alchimie, p. 210]

On trouve une image semblable dans l'Aurora consurgens, figure XI et XVII.

Emblème VI

Putréfaction complète. Cette planche complète la Clef IV de BasileValentin. On peut aussi la comparer à celle qui figure au chapitre

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Conception ou Putréfaction du Rosaire. Le vieillard à la jambe de bois n'estautre que Vulcain, symbole du feu dissolvant [il apparaît déjà la Clef I

de Basile, à droite et muni d'une faux, ce qui l'assimile aussi à Cronos]. On lit dans le Rosaire :

"Morien : Cette terre se putréfie et est purifiée au moyen de son eau. Lorsqu'elleaura été purifiée, toute l'oeuvre sera dirigée moyennant l'aide de Dieu. - Lephilosophe Parménide : si le corps n'est pas détruit, brisé, s'il ne pourrit et n'estconverti en une substance substancielle [déliquescente ?], cette vertu cachée nepeut être extraite et se mélanger au corps."

Rosarium Philosophorum, figure 7 [cliquez pour agrandir]

Soit dit en passant, tous les noms de « philosophes » cités, sontévidemment apocryphes... Seuls, et encore avec des réserves, peuventêtre retenus pour assurés les noms d'Adeptes dûment répertoriés,comme Morien [Entretiens de Morien au roi Calid], Arnaud et d'autresencore. Ce qui est intéressant dans cette phase de dissolution, c'estque des chaux métalliques sont tenues en état de liquéfaction et que lacoagulation ne peut s'opérer que par la volatilisation très lente duMercure, c'est-à-dire du fondant alcalin. Selon Van Lennep :

« Cette scène ... n'a pas la simplicité du Rosarium... Vulcain à la jambe de boisapparaît comme le symbole de la régénérescence. »

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Emblème VII

Les corps morts reposent sur un tombeau. Deux âmes s'élèvent,représentant les natures métalliques [voir Aurora consurgens, II pour un commentaire de ce qu'en dit Jung dans sa Psychologie du Transfert, à proposdu spiritus corruptus]. C'est la même image que l'on retrouve dans lechapitre L'Extraction de l'Âme ou Imprégnation, dans le Rosaire. Quereprésentent ces corps et que représente l'Âme ? Voilà des questionsqui n'ont reçu aucune réponse claire des alchimistes. C'est le genre degravure qui a été responsable d'une interprétation de l'alchimie àconnotation religieuse ou psychanalytique. Beaucoup de critiques etd'historiens n'ont vu dans ces images que des transcriptionsd'allégories véhiculées par la pensée religieuse dominante, lechristianisme, et ils ont écarté a priori - c'est le cas de Jung - toutetentative d'interprétation rationnelle, persuadés qu'ils étaient quel'alchimie « opératoire » n'avait jamais existé que dans l'imaginationdes Artistes. Le texte du Rosaire, assez abscons de façon générale, vapourtant nous permettre d'en savoir davantage :

"La conception et les épousailles ont lieu au fond du vase et la génération desenfants aura lieu dans l'air, c'est-à-dire dans la tête du vase, de l'alambic. Lecorps ne fait rien s'il ne se putréfie, et il ne peut se putréfier si ce n'est à l'aide dumercure. Il semble que pour une partie du corps il faille prendre en vue de laputréfaction, trente-six parties d'eau. La putréfaction doit être opérée à un feutrès lent né d'un fumier chaud et humide, et aucun autre, de manière que rien nemonte, car si quelque chose venait à monter, il se ferait une séparation desparties, ce qui ne doit pas se produire jusqu'à ce que le mâle et la femelle soientparfaitement unis, et que l'un reçoive l'autre, ce dont le signe se voit à la surface,grâce à la propriété de la solution parfaite. L'Azoth apparaît blanc dans le premiermélange ou première conjonction, parce que la femme l'emporte par sa couleur.Toutefois tous deux noircissent dans la putréfaction par le bienfait du feu, et lenoir se putréfie par le feu qui augmente la chaleur dans l'humide. Ce noir est la teinture, et il faut donc le conserver." [Arnaud, le Rosaire]

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Rosarium Philosophorum, figure 8

Il faut bien comprendre que presque tous les termes employés ici nedésignent pas les objets qui sont cités. Ainsi, la tête du vase, c'est leciel firmamental, le lieu de conjonction des deux principes qui s'opère,nous disent les textes, au sommet des montagnes, là où la terre rejointle ciel. C'est pourquoi l'on aperçoit une fleur au sommet d'une collinesur l'une des gravures du livre fabuleux d'Abraham Juif, que citeNicolas Flamel, dans ses Figures Hiéroglyphiques. La première couleurcitée, le blanc, ne correspond pas à l'ordre traditionnel des couleurs. Ilfaut prendre garde, par contre, à ce qu'Arnaud nous dit à la fin dutexte : « ce noir est la teinture ». Là gît sans doute le grand secret dontaucun auteur n'a voulu parler, ni en terme clair, ni en terme déguisé.Ce noir est-il réel ? Nous avons déjà dit qu'il sous-entendait alorsl'usage exclusif de la voie humide. Par voie sèche, au creuset, nullecouleur n'est visible... Le mystère demeure. Mais si l'on fait l'hypothèsequ'un spiritus corruptus s'échappe du corps dissous des matières, ilsemble que l'on soit sur le bon chemin.

Emblème VIII

Sans regarder attentivement cette gravure, d'instinct, nous savonsqu'y est scellé, là encore, un grand secret. Prenez garde qu'il n'y a plusici qu'un seul corps : on aperçoit les têtes de la reine et du roi, mais iln'y a plus qu'un corps, contrairement à l'emblème VII où les deux corps

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étaient bien visibles, et disposés tête-bêche. C'est la même gravurequi est reproduite sur le Rosaire, au chapitre

Rosarium Philosophorum, figure 9 [cliquez pour agrandir]

L'Ablution des philosophes ou Purification, avec cette légende :

« le ciel fait ici pleuvoir sa rosée : du corps noir au tombeau l'ordure en est lavée».

Voici le texte qui se rapporte à la légende :

"Senior dans l'épître du soleil et de la lune. L'eau que j'ai mentionnée est unechose qui descend du ciel ; la terre avec son humidité la reçoit et l'eau du ciel estretenue par l'eau de la terre, et l'eau de la terre la retient grâce à sa soumissionet à son sable et l'eau retiendra l'eau et albira sera blanchi par astuma. [...] RasisLorsque l'eau est mélangée à l'airain, elle le blanchit à l'intérieur. Ceblanchissement est appelé par certains imprégnation, car la terre est blanchie. Eneffet lorsque l'eau domine, la terre croît et se multiplie et de là est engendréel'augmentation que constitue un enfant nouveau." [Rosaire]

Cette imprégnation, Flamel en parle dans son Désir désiré :

« notre Pierre est la Confection ou Composition de notre Secret, et il estsemblable en ordre à la Création de l'Homme. Car, 1° se fait la Conjonction, 2° laCorruption, 3° l'Imprégnation, 4" l'Enfantement, 5° le Nutriment. »

et cette opération a bien lieu après la corruption ; elle précèdel'enfantement, c'est-à-dire le début de la coagulation du Soufre.Pernety s'est exprimé sur cette imprégnation :

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"Il n’y aura point d’imprégnation, s’il n’y a point de conjonction, dit Morien,c’est-à-dire, que si l’on ne fait pas le mariage du mâle et la femelle, ou ce qui estla même chose, du fixe et du volatil, ils ne pourront agir l’un sur l’autre, etproduire un troisième corps qui participera des deux. Cette imprégnation se faitdans le temps que le volatil et le fixe sont dans une dissolution entière, parcequ’alors ils se pénètrent per minima, et se confondent, pour ainsi dire, l’un dansl’autre, de manière qu’après avoir circulé, ils deviennent inséparables. On dit aussiimprégnation en Chymie, pour signifier la communication des propriétés d’unmixte faite à un autre de quelque maniere qu’on la fasse. Par exemple, quand ondonne au tartre la vertu émétique de l’antimoine; ce qui le fait appeler Tartrestibié." [Dictionnaire]

Ce n'est pas la référence au tartre stibié qui nous intéresse ici, maisceci : de la nécessité d'une dissolution radicale dont procède l'unionnon moins radicale, par voie de réincrudation, des éléments del'androgyne hermétique. Nous avons eu ailleurs l'occasion de décrire larosée de mai, l'une des figurations du Lait de Vierge [analogue par cabaleà l'urine des anges, d'où l'allusion incessante dans les vieux textes au selAmmoniac ou Harmoniac]. Dans une représentation qui évoque les stadesdu processus alchimique, Libavius a fait gravé un emblème quiconstitue un véritable vademecum cabalistique de l'oeuvre, où la roséeest évoquée. Comme cette rosée figure au même titre que tous lesarcanes principaux de l'oeuvre, il est plus aisé de se faire une idée desa présence symbolique dans les écrits des alchimistes.

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Alchymia, Commentarium, deuxième partie, p. 55, Francoforti, 1606 [cliquez pouragrandir]

Cette rosée entre en jeu dans cette phase où l'on voit une montagnesortir des flots (M), encadrée par des têtes de corbeaux noirs (N). Elle est surmontée de nuages (P) desquels tombent notre rosée (O) ou pluie d'υδορ θειον qui est la véritable liquor cibationis. Au sein de lamasse nuageuse, la forme d'un dragon (Q) se devine, qui dévore sapropre queue [Ouroboros] ; Libavius dit qu'il est l'image de la secondecoagulation. Cette pluie (O) d'argent [les pluies d'or seront pour après]tombent des nuages sur le sommet de la montagne là où prédomine lacouleur violet [ιον] qui signale à l'Artiste la conjonction des principes.Cette opération nécessite le concours des vents (I) [Notus, Vulturnus,

Zephyrus] qui émettent des strideurs [ιων] particulières en cetteépoque du travail. Cette montagne est aussi une île où l'on reconnaîtDélos, terre d'asile et de parturition pour Latone, poursuivie parTyphon [Python]. Ce Typhon n'est autre que ce fleuve (L) d'eau noire,comme dans le chaos, qui représente la nigredo ou putrefactio. De

lui s'élève cette montagne [surrection de Délos] qui est noire au pied et blanche au sommet, de telle façon qu'une source d'argent s'écoule du

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sommet [qui représente la naissance de Diane]. Libavius en fait l'image de la première dissolution et coagulation, en même temps que de laseconde dissolution qui en résulte. Aussi bien la rosée représente-t-elleaussi l'arcane purificateur de Latone, nommé Azoth ou Azoch [où l'on

reconnaît une forme arabisante et déformée de θειος] ; Libavius y voit laseconde dissolution par laquelle l'élément est extrait de la et de

. Le lecteur trouvera dans un extrait de Dorneus d'autres réflexions

sur la rosée [Aurora consurgens I]. Jung écrit par ailleurs :

« Dorn présente dans sa Philosophia speculativa une interprétation aussiintéressante que complète de cette épée : c'est le gladius irae (le glaive de lacolère) qui, en tant que Christ-Logos (Verbum Dei), fut suspendu à l'arbre de vie.De cette transformation provient, selon dorn, la rosée qui se répand sur le mondeentier comme aqua gratiae. » [les Visions de Zosime, in Racines de la Conscience, trad. Buchet Chastel, pochothèque, p. 194]

Voilà qui invite à un décryptage sommaire : l'épée dont il est question,nous en parlons dans l'AC, I. Le Christ-Logos signifie la figurearchétypale du Christ en tant que forme de rédemption et desauvegarde de la psyché ; vêtue des atours de la cabale hermétique,nous y voyons l'artifice permettant :

1)- la captation par le mercurius du spiritus corruptus provenant de la

dissolution initiale du corps mort des métaux ; 2)- la purification par le feu [πυρινος, expliquant au passage ces détails

de gravure où abondent blé et froment - πυρος] ; 3)- la nutrition ou cibatio du spiritus; entièrement amorphe lors de ladissolution, l'ιος va lentement se métamorphoser en une forme

cristalline [χρυσταλλος qu'il faut, par cabale, rapprocher de χριστος : oint,graissé, c'est-à-dire que cette substance reçoit au sens propre du terme l'Oint duSeigneur au sens où le Christ-Logos dans la conception de Jung est assimilé àl'esprit mercurius, cf. Essais sur la symbolique de l'Esprit, trad. Albin Michel

1980. De même, avec χρυσος ou asèm, or blanc que Berthelot a étudié dans sa

Chimie des Anciens ; enfin de χριω, germe générique pour signifierl'imprégnation ou onction] ;4)- la descente du spiritus sanctus dans le corps [anima consurgens :

l'incarnation de l'âme ou réincrudation ; équivalent jungien de l'individuation].

Nous comprenons mieux, muni de ces informations, que Jung ajouteplus loin :

En tant qu'« humide radical », la prima materia n'est pas sans rapport avecl'anima, car celle-ci possède aussi une certaine humidité (par exemplecomme rosée). Ainsi le symbole du vase est également transféré sur l'âme.Un exemple frappant nous en est offert par César von Heisterbach(Dialogus Miraculorum, Dist. IV, chap. XXXIV : l'âme est une substancespirituelle de nature sphérique, comme le globe lunaire, ou comme un vasede verre qui est « muni d'yeux devant et derrière » et « voit l'univers

entier», comme le dragon alchimique παντοϕθαλµος (tout yeux) ou

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comme le serpent de saint Ignace de Loyola. Dans ce contexte, la remarquede Mylius (Phil. Reformata, 1622, 33) suivant laquelle « c'est au moyen duvase que le firmament tout entier tourne sur son axe » est d'un intérêtparticulier, car le ciel étoilé et la multiplicité d'yeux coïncidentsymboliquement.

in Racines de la Conscience, Visions de Zosime, p. 198

Ces yeux multiples sont ceux de la queue de paon qui sont le symboledes irisations qui se manifestent lors du passage de régime de à

celui de qui signe l'albification. Le symbole de la rosée ne se laissepourtant pas cerné si facilement que cela. Plus loin, Jung écrit encore :

« C'est de nouveau la mort et la naissance, l'ascension de l'âme hors du corpsmortifié et la descente qui fait revivre, la chute de la rosée qui appartient authèmes favoris des alchimistes. » [idem, pp. 224-225]

Il faudrait donc imaginer que, tandis que notre spiritus corruptus montedans le nuage de Jupiter , descende une substance capable de

dépurer le corps mort, dans le tombeau . On comprendra que tout

cela ne doit s'entendre qu'avec un grain de sel... Il y a là tout unschème constellé où la médiation s'effectue par Héphaistos -

Vulcain. Signalons à l'étudiant, ici, que l'origine du est tandis que

celle du sulphur est . La flèche de permet la liaison entre la

nigredo , la trinité et la quaternité .

eine der einfachsten Profilkonstruktionen, wie sie im Orgelbau tausendfach verwendet werden- klar und deutlich erkennbar der Kreis, welches das Quadrat umschießt und eine Erklärung,

wie das Ganze konstruiert wird.

Il semble que l'on puisse rapprocher ce qu'écrit Marie Louise von Franzde la surrection de Délos et de la source d'argent qui sourd du sommetde la montagne dans l'emblème de Libavius :

« La citation d'Hermès sur "l'ensemencement de l'or dans la terre blanche feuillée(= terre d'argent) est une maxime répandue qui se trouve entre autres chezSenior (i.e. Mohammed Ben Umail At-Tamini : De chemia, pp. 34 et sq. in Artis

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Auriferae, Basel, 1552). » [Aurora consurgens, introduction, trad. Fontaine de Pierre, p. 29]

La rosée serait-elle le moyen de transformer l'eau d'argent en terred'argent, préludant en sa métamorphose ultime en terre d'or ? Il estpermis de rêver... C'est, en tout cas, d'un principe minéral ou plusexactement de minéralisation dont nous avons besoin. Dans lecommentaire de la Septième Parabole de l'Aurora consurgens, M.-L. von Franz définit parfaitement la fonction de l'eau étoilée et métalliquedans laquelle baignent les principes :

« Cette eau germinative est en quelque sorte la quinta essentia dont l'Expositio Epistulae Alexandri Regis (Artis Auriferae, t. I, p. 247) déclare qu'elle estl'esprit qui anime toute chose et transforme et fait pointer chaque germe etallume toute lumière et fait pousser tous les fruits. (l'eau germinative est l'aquadivina qui contient l'esprit de Dieu. Cf. Psychologie et Religion, pp. 192 et sq.Sur le sens alchimique de la pluie de printemps, voir Carmina Heliodori, p. 37,Carmen II, vers 93-97 : "Il pleut et les fruits sont produits sur toute la terre... leprintemps pénètre dans la terre chaude et humide, et la terre fait germer toutessortes de fleurs. » [idem, p. 395]

Rappelons l'homonymie entre πυρος [blé] et πυροω [être affecté par lefeu, en parlant de l'or]. Voyons maintenant de quelle nature est cettemanne céleste. Dans de nombreuses sections, on a été amené àévoquer plusieurs fois le Tartare et son feu éternel, l'antre infernal oùfurent plongés et ensevelis les Titans. Eh bien, nous trouvons desemblables réflexions chez Jung :

« Chez Kunrath le sal tartari mundi majoris (le sel de tartre du monde majeur) est identique au Sal Saturni et au Sal Veneris (Von Hylealischen Chaos, 1597, p. 263 et sq.). Il contient la scintilla Animae Mundi (étincelle de l'âme du monde)ou il est même cette âme. Le tartarus est le sal sapientiae. » [Mysterium conjunctionis t. II, la Conjonction - I,a signification psychologique du processus§ 363, trad. Albin Michel, 1982]

Saturne et Vénus sont liées [cf. Aurora consurgens I et II]; quant au sel desapience, il est ici clairement assimilé au sel de la rosée de mai et Jungen parle un peu plus loin comme de la substantia caelestis. Dans les Papyry Graeci Mag., Isis incarne la rosée, δροσος [gelée blanche, eau demer, huile, miel mais aussi écume] ; on peut aussi mentionner l'assonanceentre δροσος et δρυς [chêne dont l'importance est considérable dans lesymbolisme alchimique, cf. par exemple symboles et Introïtus, VI]. Pensonsau serpent d'Abraham Juif cloué à la croix de chêne... On peut encoreciter cet extrait du Rosarium :

« C'est pourquoi, une fois cela achevé [la confection de l'Ouroboros ou Mercuresache que tu possèdes un corps qui perce les corps, une nature qui contient lanature, une nature qui se réjouit de la nature (repris du pseudo Démocrite), qui est appelée à coup sûr tyriaque (thériaque) des philosophes [il s'agit de l'arcanesuprême ou alexipharmakon] et vipère, car, comme la vipère, lorsqu'elle conçoit,elle coupe la tête du mâle dans l'ardeur de son plaisir, meurt en enfantant et setrouve coupée par le milieu. Ainsi l'humidité lunaire (la lune envoie la rosée),concevant la lumière solaire qui lui convient, tue le soleil et meurt elle-même

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pareillement en enfantant la progéniture des philosophes; et les deux parents, enmourant, transmettent leur âme à leur fils, meurent et périssent. Et les parentssont la nourriture du fils. » [Consilium Conjugii, in Mysterium conjunctionis, I - Les composants de la conjonction, L'orphelin et la veuve, § 21, trad. AlbinMichel, 1980]

Le Consilium conjugii, seu de massa Solis & Lunæ libri tres est un important traité pour la compréhension de la phénoménologiealchimique. On le trouve dans le vol. V du Theatrum Chemicum, pp.429-507 et dans le vol. II de la Bibliotheca Chemica curiosa de Manget,pp. 235-266 et enfin dans le recueil Ars Chemica, Studium Consiliiconjugii, pp. 48-263 [cf. bibliographie]. Voici ce qu'en pense JohnFerguson :

The tract was first published at Strasburg in 1567, 8°, and afterwards atFrankfurt in 1605, 4°. It is greatly praised by Borrichius, who says that partsi. and iii. are excellent, but if the reader does not understand part ii. he mustbe stupid or else fate stands in the way of his succeeding. According toSchmieder the anonymous author was possibly an Arabian alchemist, whoflourished in the thirteenth century. He, however, brings no proof in supportof this statement and Schmieder's dicta are to be accepted with caution.Maier styles him ' verus artifex.'

Bibliotheca Chemica, I, p. 176

Le point important à noter est que la rosée est issue de l'humiditélunaire, autrement dit, qu'elle est l'expression du suc de la Lunaire etde l'umbra solis,[cf. supra]. Il semblerait donc que la rosée soit enrapport avec ce que nous appelons le corps du lapis ou Sel. Mais, làencore, rien n'est simple ; en effet, no trouve ce passage dans un vieilauteur, bien souvent rencontré, Senior :

« On prend alors le corps très parfait et on le place au feu des philosophes...alors... ce corps devient humide et il émet une certaine sueur de sang après laputréfaction et la mortification : je l'appelle Rosée Céleste, et c'est bien cetteRosée qui est appelée Mercure des Philosophes ou Eau permanente. » [De Chemia, p. 79]

Le De Chemia, ouvrage majeur de la littérature alchimique, appartientà la Bibliotheca chemica curiosa, vol. II, pp. 198-235. Il est souvent citépar Jung et M.-L. von Franz. De cet extrait, deux choses méritentcommentaire : la rosée est assimilée à la sueur de sang, c'est-à-direau sulphur [Soufre rouge, teinture] et non pas à la . Toutefois, ce

serait sans compter sur ce fait, capital, que la Lune est un symbolepluriel : nous savons que cet idéogramme a valeur de Sel, au lieu que l'autre désigne le Mercure. L'attention semble donc attirée par lefait que la rosée ressortit du Soufre dépuré, après que le Mercure aitrempli son office de blanchiment [cf. supra, Lambsprinck]. Nous citeronspour finir sur ce point un autre traité, Rosinus ad Sarratantam, quisemble aussi important que le De chemia. Jung en parle dans son Mysterium conjunctionis :

« Suivant la tradition ancienne, la lune est la dispensatrice de l'humidité et la

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souveraine du Cancer, signe d'eau... Selon Aurora consurgens (Art. Aurif., I, p. 191), elle est l'eau elle-même, la roris nutrix larga (nourrice généreuse derosée)... L'étude de Rahner sur le Mysterium Lunae (Zeitschrift für katholischeTheologie LIX, Innsbruck, 1939, 311-349, 428-442: LXIV, 1940, 61-80, 121-131)montre en détail le large emploi que les Pères de l'Eglise font de l'image de larosée lunaire pour illustrer les effets de la grâce opérés par les sacrements. » [I, Les personnifications des opposés, Luna, p. 176]

Nous soulignons encore le caractère dual de la Lune ; la grâce équivautà tout ce qui est de l'ordre du corps glorieux [en alchimie le sulphur ou

teinture sublimée dans le mercurius] et le sacrement n'est autre quel'onction du Seigneur ou action du secret. C'est ainsi que la lumière

jaillit de l'obscurité, comme par soi-même pour reprendre le titre de laLux Obnubilata... de Crasselame, à l'instar de Pallas surgissant toutarmée de l'esprit de : la rosée est alors assimilée à un baume

supracéleste [cf. Maier, Circulus quadratus, 1616 cité in Jung, Mysteriumconjunctionis, I, § 40, p. 81].

À partir de l'emblème IX, on assiste à une redondance des gravures. Ilsemble qu'il s'agisse d'une autre version. Ainsi, l'emblème IX est lemême que l'emblème V ; la seule différence réside dans la dispositiondes corbeaux, qui reprend celle du Rosarium : voyez à droite que l'undes corbeaux est dans l'aqua permanens [cf. la gravure de Libavius, supra

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Rosarium philosophorum, figure 10

Pour une analyse de cette image, reportez-vous à l'Aurora consurgens IIIl s'agit d'une phase intermédiaire entre la nigredo et l'albedo,annonçant les irisations de la queue de paon.

l'emblème X représente le Rebis que l'on voit, juché sur le Mercure,représenté par le croissant de lune. À droite l'arbre lunaire. Cettegravure reproduit celle du Rosaire dans le chapitre intitulé le Feu degenévrier. Dans cette planche, le corbeau est à terre et l'androgynetient un serpent ; c'est de la main droite qu'il tient la coupe quicontient l'hydre tricéphale [voir emblème III, série 1]. On constate autrechose : le sommet de l'arbre

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FIGURE VII Rosaire : la pierre au blanc et l'arbre des lunes

lunaire est représenté par le symbole de la lune dans la version duRosaire, alors qu'elle est représentée par le symbole solaire dans laversion de Mylius, détruisant par là le symbolisme original voulu parl'Anonyme à qui l'on doit le Rosarium Philosophorum. Ce symbolismeest dédié à la reine qui n'est autre que la Sagesse ou Sapientia :

"De ma terre jaillit une source et seul peut le faire qui se connaît lui-même, et ils'en écoule deux fleuves : l'un prend son cours vers l'orient et l'autre versl'occident [Hypérion]. Deux aigles s'en envolent et brûlent leur plumage pourretomber simplement sur la terre. Ils reçoivent là des plumes nouvelles : le soleilet la lune sont alors sous eux..." [Rosaire]

À noter que l'on trouve un texte semblable dans l'une des Paraboles de l'Aurora consurgens [cf. M.-L. von Franz, op. cit.] Dans la version Mylius,Un corbeau est posé sur la main droite de l'androgyne hermétique ; samain gauche tient une coupe d'où sortent les têtes de l'hydre. Làencore, ce sont des symboles de putréfaction qui sont présentés. Onpeut rattacher à cette expression celle que l'on trouve dans la figure Ide l'Aurora consurgens. Cet emblème X a une importance historiquenon négligeable ; on le trouve repris plusieurs fois et il sert notammentde frontispice au De Alchimia opucula complura [Francorforti, 1550].

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frontispice du De Alchimia opuscula, 1550

On peut voir que les symboles diffèrent parfois notablement : c'est unpélican qui remplace le corbeau ; il nourrit sa progéniture de sa propresubstance et sa présence, au stade de Rebis, est nettement pluslogique que le corbeau. En effet, l'apparition du Rebis témoigne d'unevictoire sur le Mercurius senex que l'on voit ici sur le point dedisparaître [la lune mercurielle tient lieu du serpent chez Mylius et le corbeautient lieu de serpent ce qui est plus logique que dans la gravure du Rosarium]. Observez encore que notre Rebis bicolore est affublé d'ailes dechauve-souris, ce qui renforce la proximité stylistique avec la figure I[voir commentaire] de l'Aurora consurgens.

L'emblème XI exprime la même allégorie que l'emblème XIV de lapremière série. C'est le temps des semailles et la matière apparaîtvolatile à cette époque. C'est le temps où Saturne dispense la pluied'argent : la naissance du Rebis est proche. Cet emblème est fort beauet exprime la dualité - .

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L'emblème XII est plus intéressant : il rappelle le frontispice du Traité desChoses Naturelles et Supernaturelles de Basile Valentin. On voit le symbole du Soufre rouge, ailé, qui sort d'un puits ; Diane s'apprête à le fixeravec une flèche qu'elle décoche de son arc. Voyez supra ce que nous avons dit touchant au symbolisme du puits. On trouve dans le chapitre

FIGURE VIII Rosaire : Soufre rouge

L'Illumination du Rosaire une image analogue, de même que sur l'unedes planches de l'Atalanta fugiens. La légende indique : « le soleil denouveau ici s'est enfoncé, il s'est noyé dans le mercure des philosophes ». Onpeut citer cet extrait :

"Ecoute Hermès disant : son père [...] est le soleil. Sa mère est la lune. Le pèreest chaud et sec [Feu et Air], il produit la teinture. La mère est froide et humide[Eau et Terre], elle nourrit l'enfant. [...] Mais notre ultime secret est d'avoir lamédecine qui s'écoule avant la fuite du Mercure. La conjonction des deux chosesest donc nécessaire dans notre oeuvre." [Rosaire]

L'un des secrets de l'oeuvre est d'obtenir la conjonction du et de avant que le principe vivifiant du mercurius ne se dissipe, chose qui

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peut arriver dans trois circonstances : manque de [qui n'est pas

rédhibitoire], excès de [ce qui s'appelle brûler les fleurs et fait périr l'oeuvre

sans espoir de retour des cendres], mauvaise conception du luduspuerorum [perte du Mercure exponentielle, due à un temps de coction tropprolongé : l'aqua permanens ne l'est que jusqu'à un certain terme !...]

Les emblèmes XIII et XIV sont couplés : dans l'un, on voit le Rebisdans l'ombre [voir supra] du , personnifié ici par Apollon [on peut y voir

aussi Hermès] ; il faut également dire un mot du jardin en forme decarré qui s'étend au-delà du spectacle, car il est semblable au jardinfleuri que décrit Nicolas Flamel dans l'une des figures du Livred'Abraham Juif.

septième figure du Livre d'Abraham Juif in Denis Molinier, l'alchimie de NicolasFlamel

Ainsi, nous retrouvons l'arbre décrit comme un chêne sur la figure aupied duquel jaillit une source d'eau vive que les disciples d'Hermèsconnaissent bien. Cette ombre portée est le signe de l'emprise del'humidité lunaire sur la siccité du Soufre. Dans l'emblème XIV, leRebis est exposé à l'ardeur des rayons solaires : il est en pleinelumière et Diane ailée, telle Jean le Baptiste pour le Christ, le montre.Un aigle royal s'apprête à retrouver son nid où un billet a été déposé.Tout ici dénote l'anima consurgens , annonce de la prochaine

réincrudation.

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L'emblème XV est semblable à l'emblème VIII de la première série [cf. Clef VI de Basile].

L'emblème XVI nous montre la sortie d'un puits [figurant le tombeau] et l'image d'un pélican qui nourrit ses petits de son propre corps. Pernety,dans son Dictionnaire mytho-hermétique, à l'article oiseau, ne s'attardeguère sur le pélican :

"Les Philosophes ont pris assez ordinairement les oiseaux pour symbole desparties volatiles de la matière du grand œuvre, et ont donné divers nomsd'oiseaux à leur mercure : tantôt c'est une aigle, tantôt un oison, un corbeau, un cygne, un paon, un phénix, un pélican; et tous ces noms conviennent à la matièrede l'Art [...]"

Et quand il affirme que tous ces noms conviennent à la matière del'Art, nous ne pouvons pas être d'accord. L'aigle n'est pas une matièremais une opération. Celle qui voile les sublimations philosophiques,c'est-à-dire cette période où le Soufre disparaît dans le Mercure.L'oison est un petit oiseau, que les Artistes ont encore appelé faysan,en particulier Philalèthe. Le corbeau est une autre opération parlaquelle on vise à la séparation d'une substance [par exemple, ladécapitation de Méduse donne naissance à Pégase et à Chrysaor]. Pour lecygne, voir supra. Le paon est l'oiseau consacré à Junon. C'est unsymbole fort complexe que nous avons traité dans de nombreusessections [voir en recherche]. Le phénix voile l'opération de laréincrudation. Quant au pélican, ce n'est évidemment pas au vasedistillatoire qu'il faut penser, mais au symbolisme d'une matière qui seconsume elle-même, à l'instar de l'eau qui s'évapore. Mais le Mercureest autre chose que de l'eau. Redisons-le une nouvelle fois : c'est à lafois un feu aqueux, une eau ignée, qui résout les métaux en leurhumide radical et qui les dissout sans être ni de l'eau régale, ni del'esprit de nitre ni de l'huile de vitriol. Il paraît que ce dissolvantspécial serait de la nature de la chaux et aurait quelque rapport avecl'antimoine saturnin d'Artéphius, autrement appelé albâtre des Sages.Aussi ne faut-il pas s'étonner de ce que le pélican soit présent dans unemblème où le sulphur et la terre des Sages , transfigurés,

renaissent de leurs cendres.

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L'emblème XVII est en tout point semblable à l'emblème X. L'hydretricéphale est déposée, agonisante, sur la terre ; l'arbre solaire est àgauche. L'androgyne hermétique a des formes plus féminines que celuireprésenté sur l'emblème X et le vase qui contient l'hydre est remplacépar un lion tenu en laisse, ce qu'il faut exactement réaliser avec leMercure : le serrer de près, lui faire mordre littéralement la poussière depeur qu'il ne s'échappe prématurément : c'est la transformation duLion vert en Lion rouge. Notez que l'androgyne est juché sur unmonticule. Tous les achimistes vous diront que la conjonction s'opèreau sommet des

FIGURE IX Rosaire : la pierre au rouge et l'arbre solaire [cliquez pour agrandir]

montagnes, là où la lumière est d'un violet noir. On trouve une autreversion de cette gravure dans le Rosarium, figure 18, avec la légende :« Icy est né l'empereur glorieux ». La gravure donne à voir l'arbre solaire ;le Rebis est représenté ailé, avec des ailes de chauve-souris et il portetoujours le vase aux serpents de la main droite et de la gauche, unserpent ailé [cf. supra, frontispice de l'Opuscula]. Au second plan, onaperçoit un lion et un pélican. Le lion est caché [il est tenu en laisse, ce qui signe son état de Lion rouge] ; au premier plan, un chaos de serpenttricéphale. Le texte ressemble ici à bien d'autres que nous avonsexaminé dans d'autres sections :

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"Il donne à l'homme tout ce qu'il désire : la santé, la vigueur de la vie, l'or,l'argent, les pierres précieuses, une jeunesse forte, belle et joyeuse..." [Rosaire

On trouve dans le Livre de la Sainte-Trinité [Cgm. 598, fol. 105 v.] lareprésentation de l'hermaphrodite comme symbole de l'union descontraires. Cette version diffère en plusieurs points de celle qui estprésentée à la figure IX.

A droite, on voit l'arbre lunaire ; le serpent est tenu totalement enrouléde la main droite. L'une des racines de l'arbre solaire est mordue par leserpent écailleux qui apparaît dans une forme plus élaborée que celleque nous voyons et qui prend les traits d'Echidna, monstre à troistêtes. Rappelons que le symbolisme hermétique de l'hydre se rapporteau choix du Soufre rouge. L'hydre de Lerne, né de Typhon et d'Echidnaavait un corps de chien et neuf têtes (d'autres disent trois oucinquante). C'est à l'Artiste d'élire celle qui est immortelle, c'est-à-direde la trancher à cette matière répugnante pour s'en servir commeSoufre dans l'oeuvre. Le Livre de la Sainte-Trinité est l'un des premiers grands traités enlangue allemande, et en même temps le plus représentatif et le pluscaractéristique de l'alchimie du Moyen Âge déclinant. On ne sait aujuste par qui il a été rédigé. L'auteur ne donne pas son nom, si cen'est, comme souvent, par une périphrase : « Celui qui est selon la vierge ». Plusieurs copies de son manuscrit et une série de traités ultérieursqui le mentionnent le nomment Ulmannus. Il était franciscain et, ainsiqu'en témoignent de nombreux indices, il écrivit son traité au coursdes années 1412-1416. Mais, cet ouvrage ne fut pas imprimé. Aucunéditeur n'en eut sans doute le courage; en effet, les correspondancesqu'il établit entre le processus alchimique et

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FIGURE X Livre de la Sainte-Trinité, Cgm. 598, fol. 105 v.

l'Immaculée-Conception, la passion du Christ et la Trinité, lesexemples iconographiques qu'il en donne frôlent l'hérésie. L'ouvrageconnut cependant un grand succès. Il fut sans cesse recopié jusqu'au

XVIIIe siècle; on en connaît jusqu'à présent quinze copies manuscrites,complètes ou à peu près, sept fragments et une traduction française -également manuscrite. Nous savons que les alchimistes LéonardThunneisser, Herbrandt Jamsthaler, Johann Conrad Creiling enpossédaient une copie, comme sans doute aussi Antoine Fugger. Par lasuite, il devait influencer nombre d'auteurs, et jusqu'à Jacob Boehme.A quoi cet ouvrage doit-il son succès et sa grande diffusion? Sansdoute à trois facteurs différents. Le Livre de la Sainte-Trinité contient des représentations d'appareils distillatoires et de fourneaux; il exposetoute une série d'intéressantes recettes qui témoignent en faveur desconnaissances chimiques très exceptionnelles de leur auteur; enfin,son moindre attrait n'est pas celui d'une illustration mystique, trèsoriginale, des principaux symboles de la foi qu'Ulmannus prétendinterpréter alchimiquement: crucifixion, symboles des évangélistes,Adam et Ève, couronnement de Marie. Comme on vient de le voir,quelques-unes de ses images ont passé en d'autres traitésalchimiques, dont le Rosaire et le traité de Mylius.

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L'emblème XVIII est fort original. Mais il représente la copie de l'un desemblèmes de Maier. Quoi qu'il en soit, il montre un lion [probablementde couleur verte, le Mercure commun] dévorant le soleil [le Soufre] ; la Lune hermétique est à demi plongée dans la mer hermétique [double Mercure]. Sept étoiles, représentant les sept planètes, apparaissent auflanc du lion. De ces sept étoiles, quelle est celle que l'Artiste doit élire? Cette question attend sa réponse depuis des siècles... D'aucunspensent que le métal en question était connu du temps de Tibère. C'estdu moins ce qu'affirme Batsdorff :

"L'Elixir rend le verre malléable, susceptible de toutes couleurs, et capabled'extension comme le métal, lui ôtant sa frangibilité : ce qui le rend plus précieuxsans comparaison que l'or même, qui n'est pas diaphane comme le verre. Secret qui a été perdu du temps de Tibère, par la mort de celui qui lui présenta unvaisseau de cette espèce de verre, dont il fit l'épreuve en sa présence avec sonmarteau et une petite Enclume qu'il avait porté exprès." [Filet d'Ariadne]

Le problème est que cet épisode s'est bien passé du temps de Tibère,mais ne concernait nullement le verre. il semble que cet épisode serapporte en fait à la préparation de l'aluminium à l'état de pureté [voir ce qu'en dit Sainte Claire Deville, in commentaire de l'Atalanta fugiens] ; Tibèreaurait été tellement surpris par les qualités du vase qu'on lui présentaitqu'il aurait décidé, pour éviter la ruine du pays, par dépréciation del'or, d'éliminer toute trace de l'Adepte qui avait réussi, par hasard, cetour de force... Si cet épisode est véridique, c'est au plan historique, untémoignage pratiquement irrécusable du bien-fondé de l'hypothèse quenous défendons quant au but particulier que poursuivaient lesalchimistes...

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FIGURE XI Rosaire : le lion vert

Ce lion, on le retrouve dans le Rosaire, en train de dévorer le soleil.C'est dans le chapitre De notre Mercure qui est le lion vert dévorant lesoleil, que l'on peut lire cette légende : « Je suis véritablement le lion vertet doré : En moi est enfermé tout le secret de l'art ». Pour une fois, le textequi accompagne la légende est moins abscons que d'habitude et nousne pouvons qu'y souscrire :

"C'est le mercure. Sache qu'il est froid et humide et que dieu a créé tous les minerais à partir de lui et par lui. Car c'est un élément aérien, fuyant le feu.Quand une partie de lui est fixée, il accomplit une oeuvre sublime et c'est unesprit volatil [...] C'est l'eau permanente, l'eau de vie et de mort, le lait de viergel'herbe d'ablution, la fontaine animée qui fait que celui qui en boit ne meurt pas. Ilreçoit la couleur, il est la médecine et fait acquérir les couleurs. [...] C'est lui, ledragon qui s'épouse lui-même, se féconde lui-même et engendre en son jour, et iltue à l'aide de son venin tous les animaux. Le feu le perd en peu de temps àcause de l'argen-vif, car il n'a aucun pouvoir sur lui, et il ne le dévore pas, maisfuit loin de lui." [Rosaire]

On ne saurait mieux définir les qualités du Mercure. Le point essentielest de lui faire acquérir de la fixité puis d'abaisser trèsprogressivement la température. D'autres artistes conseillent de passerpar des alternances lentes et répétées de chauffage et derefroidissement : voilà qui peut expliquer l'allégorie des sublimations

répétées. Rappelons que ces expériences ont été réalisées au XIXe

siècle, par des chimistes comme Edmond Frémy, Paul de Hautefeuille,Gabriel Daubrée, Henri de Sénarmont, etc. [cf. section minéralogistes et

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Mercure]. Le plus grand d'entre eux - qui n'était pas académicien - estmort prématurément : Jacques Joseph Ebelmen, élève de PierreBerthier et directeur de la manufacture de porcelaine, à Sèvres.

Emblème XIX

Les parents et le fils, le βαλισευς de l'oeuvre. La reine tient un fruit :est-ce une pomme, une grenade ? C'est un fruit qui, n'en doutons pas,est tiré d'un arbre du jardin des Hespérides... Le roi tient le sceptre,symbole du sel de patience. Le jugement des Adeptes n'est pasunivoque sur l'enfant. Voici ce qu'en dit Pernety :

"Enfant. Les Chymistes Hermétiques donnent assez souvent ce nom à leur soufreet quelquefois à leur mercure. Les quatre enfants de la Nature sont les quatreéléments, desquels elle se sert pour former tous les êtres sublunaires. LesAlchymistes disent que deux de ces éléments sont mâles et deux femelles, deuxpesants et deux légers. Les Philosophes chymistes trouvent cet enfant formé parla Nature, et tout leur secret consiste à le tirer de sa matrice ou minière; ils lenourrissent ensuite d’un lait qui lui est propre, le même que Thétis donnait àAchille, et ils en forment leur soufre. Cet enfant est, selon eux, plus noble et plusparfait que ses père et mere, quoiqu’il soit fils du Soleil et de la Lune, et que laTerre ait été sa Première nourrice." [Dictionnaire]

Cet article est difficile à interpréter. S'il s'agit de l'embryonhermétique, c'est-à-dire du Rebis réincrudé, il n'est pas possible quenotre vision du βασιλευϖ soit correcte. Sauf à penser que les Adeptesintroduisent un germe autour duquel s'élabore la pierre, techniqueemployée par les spagyristes modernes qui le font dans un butmercantil. Si nous prenons l'enfant au sens de sulphur , cela nous

convient davantage mais nous ne voyons pas que cet enfant ait étéformé dans la nature et que l'Artiste le reçoive dans une forme déjàavancée. Mais si l'on substitue au terme soufre, celui de Rebis, oncomprend mieux qu'il faille le nourrir du Lait de Vierge. Thétis est lamère du grand Achille dont nous parlons en commentaire de l'Atalantafugiens.

"Reine. Eau mercurielle des Philosophes, qu'ils ont ainsi nommée, parce qu'ils ontappelé Roi leur soufre, qui doit être marié avec cette eau, son épouse naturelle, etsa mère. Basile Valentin [1, 2, 3,] et Trévisan [1, 2] sont les deux qui ontemployé plus particulièrement ce terme de Reine.

Roi. Ce nom a deux sens différens chez les Philosophes. Il s'entend plusordinairement du soufre des Sages, ou l'or philosophique, par allusion à l'orvulgaire, appelé Roi des métaux. Mais quelquefois ils entendent par le nom de Roila matière qui doit entrer d'abord dans la confection du mercure, et qui est son premier feu, ce grain fixe qui doit surmonter la froideur et la volatilité de cemercure. Basile Valentin semble l'entendre dans ces deux sens aucommencement de ses Douze Clefs. Dans la suite il donne le nom de Roi au soufre

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parfait, et même à la poudre de projection. On ne saurait, dit-il, remporter lavictoire, si le Roi n'a empreint sa force et sa vertu à son eau, et s'il ne lui a donnéune clef de sa livrée ou couleur royale, pour être dissous par elle, et renduinvisible. Leur Roi est aussi le même que leur Lion. Quand ils en parlent commepoudre de projection, ils disent que c'est un Roi qui aime tellement ses frères,qu'il leur donne sa propre chair à manger, et les rend ainsi tous Rois comme lui,c'est-à-dire Or." [Dictionnaire]

Le roi ne sauraît être que le sulphur qui doit être dissous, c'est-à-diresublimé dans le Mercure. C'est l'une des énigmes majeures de l'Art.Redisons que le Mercure commun est sans doute un mélange deMercure et de Soufre blanc. L'adjonction de Soufre rouge forme leMercure philosophique, qui est dit animé. Cette allégorie a dérouté denombreux étudiants qui ont pensé que ce Mercure devait recéler unpotentiel vital authentique. Au vrai, le Mercure n'est que de l'eau deroche. Le secret est de savoir tenir cette eau au feu en lui faisantmordre la poussière [cf. blasons alchimiques].

Emblème XX

Résurrection. C'est la phase de réincrudation où la matière réapparatdans un nouvel état corporel. D'amorphe, elle est devenue cristallineet, en forcant le feu, on voit ce cristal animé de reflets rouge rubis.C'est ce que dit Fulcanelli au tome II des Demeures philosophales, p.100 [cf. section Fontenay]. Ce thème a été tellement utilisé qu'onperdrait son temps à vouloir rassembler toutes les versions de cetterenaissance. Remarquons seulement que ce thème fait l'objet del'allégorie du phénix [cf. poème du phénix] et que Jung en a fait la clef devoûte de son système : l'individuation [cf. Aurora consurgens]. Dans la section du Mercure de nature, nous avons montré dans quelle optiquedevait être comprise cette résurrection du métal et du minéral. Carl'alchimiste ne fait rien d'autre que de travailler avec des matièresdécomposées, résultant de l'altération des roches. Rien d'étonnantalors, que le coït minéral résultant de la réincrudation du minéral,conduisant à l'escarboucle des Sages, ait inspiré les Adeptes qui ontdirigé les plumes, les ciseaux et les burins des graveurs. Le granit,roche paraissant si compacte, si solide, s'altère pourtant sousl'influence des agents dépendant de la volonté de . On a remarqué

que le granit qui contenait en proportion la matière du Mercures'altérait plus rapidement que celui contenant du feldspath magnésienou calcaire. Le produit de décomposition est le Soufre blanc. Parailleurs, lorsque le feldspath compact commence à s'altérer, l'alkali fixeest mis en liberté par l'affinité qu'exerce sur lui l'aigle de ; cette

opération permet au lien du Mercure d'apparaître, indirectement, endissolution dans les eaux mercurielles, mais où la quantité d'alkali fixeet la température ne peuvent permettre aucune réaction à ce stade.

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Toutefois, ce lien est déjà si vivace, qu'il peut donner naissance à descristaux de quartz hyalin, à des agates, des opales, des concrétions decalcédoine. On ne saurait toutefois oublier que dans certainescirconstances, l'eau mercurielle, même dans des conditionsdéfavorables, peut exercer le fameux effet dissolvant, si bien

Rosarium philosophorum, figure 21

tenu secrètement par tous les alchimistes. Antoine-César et EdmondBecquerel rapportent que dans un des filons de Pontgibaud, uneexplosion de poudre fit sortir un jet d'eau très violent. Il paraît quel'eau, dans les premiers moments, était surchargée d'une matièreblanche, tenue en suspension, qui ne pouvait être que l'hydrargyre[υδραργυρος] dont parle Fulcanelli. Cette eau avait traversé unemasse d'un corps pesant [βαρυς], analogue à un sel de chaux, quiétait altérée à un tel point que la forme cristalline de ce corps pesantétait mise à nu comme dans le moiré métallique. Ces mêmes eauxmercurielles avaient attaqué des fragments de schistes empâtés dansle feldspath. L'altération était si complète qu'il ne restait plus que desgrains quartzeux et des lamelles talqueuses. On voit que ces eaux, touten n'étant pas vitrioliques, peuvent aussi donner naissance - et parvoie humide - à des sels doubles formés d'hydrargyre et de selharmoniac [cf. section des blasons alchimiques]. Nous n'avons voulu ici querésumer à grands traits des faits qui suffisent - en liaison avec lasection du Mercure de nature - à comprendre en quoi et pourquoi lesalchimistes se servent de déchets, de rebus de la nature, qui sont poureux des trésors et qui sont, pour les impétrants, autant de rébus àdéchiffrer.

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III. Gravures de l'Arbre philosophique - les douze derniersemblèmes

Emblème I

Emblème II

Variation sur le thème de l'imago mundi avec rappels d'éléments del'emblème II de l'Atalanta fugiens. Cf. aussi emblème I, série 1 de Mylius.Au centre, le Père dans la bulle germinative ; à droite un soldattricéphale rappelant Hermès Trismégiste et à gauche l'homunculus.

Emblème III

Image de la mort et de la renaissance, rappelant la figure XIV du De Lapide Philosophorum. Voir l'emblème XLVIII de l'Atalanta. On peut enrapprocher l'une des figures [fig. 8] de l'Azoth.

Emblème IV

Le roi entouré de sa cour et des prétendants ; image superposable à la figure 1de la Pretiosa Margarita Novella, cf. bibliographie. Symbole du Mercurius senex quidoit laisser place à plus jeune que lui. A rapprocher de la fig. 9 de l'Azoth.

Emblème V

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La reine élit le Soufre. En liaison avec l'emblème précédent, c'est le thème del'aimant et des Noces chymiques qui est à évoquer.

A suivre