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JO’(HANNES)BURG Maboneng, revitalisation urbaine post-apartheid

Jo'(hannes)burg - Maboneng, revitalisation urbaine post-apartheid

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JO’(HANNES)BURGMaboneng, revitalisation urbaine post-apartheid

Je tiens avant tout à remercier les gens qui m’ont aidés tout au long de cet exercice :

Chou, pour sa patience légendaire, son sourire, et ses nombreuses relecturesYvon, pour sa bonne humeur, sa compréhension et ses assiettes norvégiennesEnora, pour ses critiques constructives Ma maman, pour ses encouragements quotidiens

Danielle, pour avoir toléré mes nombreux retards à la bibliothèque Amélie Nicolas, pour ses conseils précieux et ses confidences

Merci

Adopté en 1886, le nom d’origine Afrikaans Johannesburg, que l’on peut traduire par « La ville de Johannes », fait référence à Johannes Rissik, officier à l’origine de la découverte de la ville et de sa mine d’or. Inscrit dans les esprits comme un produit de l’apartheid, le gouvernement décide de changer l’image de la ville, et ainsi modifier son nom. Le mot d’origine Isizoulou « Igoli » qui signifie « ville de l’or » est proposé comme un hommage aux populations noires tourmentées pendant de nombreuses années. Mais c’est « Jo’burg » qui est finalement choisi, simple contraction du nom originel de la ville (BOND, 2009).

Ce débat autour du nouveau surnom de Johannesburg est représentatif de l’état de tiraillement dans lequel se trouve la ville aujourd’hui. Si cette ancienne « apartheid city » rêve d’atteindre le rang des villes mondiales, elle reste néanmoins prisonnière d’un urbanisme ségrégationniste mis en place durant sa colonisation1 qui diffuse quotidiennement les souvenirs d’un passé douloureux : « The root of racial segregation can be tracked back to the nineteenth century and the structures that colonial society imposed upon southern Africa’s urban areas »2.

L’histoire et l’évolution de l’espace du centre-ville de Johannesburg sont représentatives de la transition dans laquelle le pays tout entier se trouve à l’heure actuelle. Longtemps considéré comme un terrain de jeu privilégié des populations blanches les plus riches, il est devenu une aire fertile pour la pauvreté et la criminalité3. Ancré dans les esprits comme un espace largement ségrégué et parmi les plus dangereux du monde, le centre-ville de Johannesburg commence à faire peau neuve et affiche un visage inédit qui mêle cultures traditionnelle et contemporaine. Depuis 2013, de nombreux articles de presse et reportages s’intéressent à cette métamorphose et usent de qualificatifs nouveaux qui contribuent au changement d’image de l’ancienne cité minière : « Johannesburg, capitale du cool » ou encore « Maboneng, le nouveau centre de Johannesburg » titre, par exemple, le Courrier International du 17 et 18 octobre 2013 dans un dossier spécial consacré à la capitale sud-africaine.

Récemment entraîné dans les mécanismes de la mondialisation, le centre-ville

Introduction

1 Voir encadré : Urbanisation de l’Afrique du Sud (p.8)

2 The spatil geography of urban apartheid – The Johannesburg case study [en ligne], Franco Frescura. Disponible sur http://www.francofrescura.co.za/urban-issues-spatial-geography.html

3 Voir encadré : Naissance et déclin du centre-ville (p.40)

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de Johannesburg est devenu la scène d’une totale transformation. Là où, il y’a encore moins de dix ans, personne n’envisageait de mettre les pieds, le récent quartier de Maboneng est devenu aujourd’hui le nouveau visage de Joburg, comme l’appellent la nouvelle génération, celle qui n’a pas connu Nelson Mandela emprisonné. Situé au nord-est du centre-ville, Maboneng prend place dans le district de Marshaltown, ancienne zone industrielle de la ville. Directement inspirées du modèle européen, les rues de Maboneng sont maintenant jonchées de restaurants, boutiques à la mode, galeries d’arts, et les immigrés squattant les anciens bâtiments industriels ont laissé place à une population jeune, riche et branchée. La réhabilitation d’anciennes usines en lofts haut de gamme, la mise au premier plan d’une scène culturelle éclectique, fréquentation d’artistes, d’intellectuels et de businessmen issus d’une classe moyenne supérieure, sont autant de marqueurs du processus de gentrification qui est en train de modifier le centre-ville de Johannesburg.

Derrière la figure idéalisée d’une gentrification apportant la solution aux problèmes urbains et sociaux de la ville, il y a l’envers du décor : seulement 100 mètres séparent ce nouveau quartier branché de la pauvreté de la population présente dans le centre-ville. Cette situation plus qu’habituelle sur un territoire où les inégalités sont reines nous amène à nous poser la question de l’avenir de Maboneng et de la gentrification de Johannesburg comme nouvel enjeu social, politique, économique et culturel.

Le travail engagé autour de cette problématique se base sur un corpus de sources hétéroclites allant du site internet à la vidéo auxquels s’ajoutent des ouvrages théoriques ainsi que mon expérience personnelle d’un an en Afrique du Sud. Pendant cette période, j’ai traversé la ville de Johannesburg à plusieurs reprises. S’appuyant sur une démarche comparative juxtaposant simples confrontations de faits et études de cas prospectives, la monographie du quartier de Maboneng qui découle de ces recherches se développe selon trois axes d’étude : celle des acteurs, celle de la revitalisation urbaine et enfin celle de la ville. Aujourd’hui, comment le centre-ville de Johannesburg devient un enjeu identitaire pour une classe sociale moyenne émergente ? La transformation de l’ancienne zone industrielle en quartier gentrifié se fait-elle de manière singulière ou est-elle dictée par des codes mondiaux ? Ce projet annonce t-il la position prise par les organes publics quant au développement de la ville?

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IntroductionEncadré : Urbanisation de l’Afrique du Sud

Jeu d’acteurs sur fond de gentrification

1 - Une initiative privée A - Jonathan Liebmann, entrepreneur ambitieux

B - Propertuity, machine à gentrifier

Encadré : La néolibéralisation de Johannesburg 2 - La formation d’une communauté urbaine

3 - Une ségrégation sociale masquée

La création d’un quartier « à la mode » 1 - Un terrain prédisposé à la gentrification

Encadré : Naissance et déclin du centre-ville2 - La figure du loft

3 - L’émergence d’une nouvelle centralité A - L’économie créative comme axe de développement

B - L’atout culturel et touristique

Encadré : Sandton, centre-ville artificiel

Vers une gentrification generalisée (?)Encadré : La gentrification selon Neil Smith

1 - L’exemple de Palermo Viejo à Buenos Aires2 - L’apparition de nouveaux projet phares

Encadré : L’échec du développement de NewtonEncadré : Urban renewal tax incentive

ConclusionBibliographie

Table des illustrations

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L’urbanisation de l’Afrique du Sud est ponctuée de nombreux faits historiques et politiques qui lui sont singuliers. En l’an 1497, à la découverte de la région du Natal par Vasco de Gama, le pays subit une importante colonisation sur plusieurs siècles, dont les conséquences se font encore largement ressentir notamment lorsque nous abordons la question du territoire, de sa transformation, de son développement et de sa gestion.

Marquée essentiellement par la volonté d’une domination raciale, cette période de transformation du pays voit naître la création de nombreux outils largement utilisés par le gouvernement et d’autres acteurs, institutionnels ou non, dans le but très précis de séparer géographiquement, économiquement et socialement les populations blanches des populations noires.

Suivant cette démarche, un urbanisme très spécifique que l’on nommera plus tard « urbanisme ségrégationniste » est créé. Si aujourd’hui il est possible de mettre un nom et des caractéristiques sur ce dernier, il reste néanmoins difficile d’en retracer l’histoire. En effet, faisant parti d’un processus mené sur le long terme par de nombreux acteurs indépendants, il résulte d’actions disparates qui donnent au fur et à mesure une nouvelle identité spatiale au pays.

Il faut remonter jusqu’aux premières colonisations britanniques pour comprendre la naissance de la ségrégation spatiale. Colonisées respectivement en 1820 et 1836, les villes de Port Elizabeth et East London, situées au sud du pays, sont perçues comme étant les lieux qui voient se développer les premières formes de ségrégation raciale dans les politiques urbaines. Les britanniques, faisant de la planification urbaine leur domaine de prédilection, ont peur de perdre le contrôle de villes où des flux de populations différentes se croisent, et créent par conséquent les premières colonies noires. À défaut de s’inscrire dans une logique politique à l’échelle de la nation, ces deux cas d’études répondent plus à une philosophie militaire qui, à l’époque, organise et modèle la ville selon des critères raciaux, afin d’exercer son pouvoir plus facilement.

Les raisons pour lesquelles le territoire est découpé spatialement selon les races vont au-delà des politiques mises en place et se rapportent également à de nombreux faits sociaux, psychologiques, économiques et matériels.

En effet, les concepts de maladie infectieuse et de santé publique, qui sont utilisés plus ou moins comme des métaphores, ont une influence

Urbanisation de l’Afrique du Sud

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importante sur la mise en place de cet urbanisme ségrégationniste. C’est ce qui est appelé par la suite le « sanitation syndrome ». Entre 1900 et 1904, la peste menace d’envahir la majeure partie des centre-villes. Les blancs considérant les populations noires comme étant sources de maladie, une panique morale commence à s’établir dans le pays. Pour contrer cela, des lois de santé publique sont mises en place forçant les populations noires à s’installer dans les « locations » loin des centre-villes où ils ne pourraient pas transmettre de maladie.

1 Pancarte indiquant une zone destinée aux populations blanches ©keystone

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Cette ségrégation spatiale apparaît donc également comme une demande de la part des populations blanches, touchée par une hystérie raciale, qui considère cette séparation comme une protection de leur « peuple ».

Cette hypothèse se confirme lorsque l’on comprend que la demande de ségrégation spatiale vient aussi des propriétaires immobiliers blancs. A l’époque, ces derniers sont considérés comme contribuables et font parti du conseil municipal. Leur but est de protéger leurs propriétés en reléguant les populations noires aux abords de la ville.

Centre-ville blanc

Zones blanches BidonvillesZones Indienneset noires

Axes majeurs Zone tampon Industries

2 Carte concept des villes d’apartheid ©Davies

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Enfin, la ségrégation spatiale est aussi un excellent moyen pour les populations blanches de contrôler et de gérer le capital, premièrement en facilitant la gestion de la main d’œuvre, et deuxièmement pour rendre accessible certains sites industriels.

Ces différents faits témoignent de l’influence que les populations blanches colonisatrices ont sur la mise en place d’un urbanisme ségrégationniste, outil de protection et de contrôle du territoire qui s’installe petit à petit de manière non officielle.

Sous le gouvernement de Paul Kruger (Cinquième président d’Afrique du Sud entre 1883 et 1900), des premiers principes d’urbanisme ségrégationniste sont mis en place à l’échelle de deux régions, celle du Transvaal et celle du Orange Free State. Ainsi, à Johannesburg, des terres restent vierges intentionnellement dans le but de séparer les « locations » Africaines et Malay. Au même moment, les villes de la région du Free State sont habilitées à établir de façon officielle des « locations » ségrégationnistes.

Les années suivantes, la ségrégation spatiale s’amplifie, impulsée et encadrée par quelques lois appliquées à l’échelle nationale comme « the housing act » en 1920, donnant accès à des fonds pour construire des maisons pour les populations pauvres sous réserve de respecter certaines conditions : les terrains doivent êtres séparés selon les races, avec des espaces tampons entre chaque, et des accès différents, ou encore « The Natives Urban Areas Act » en 1923 qui rend toutes les zones urbanisées propriété des populations blanches, et oblige tous les hommes africains noirs à avoir un « pass » si ils veulent accéder à ces zones.

C’est en 1948 que le phénomène prend une réelle ampleur à l’échelle nationale avec le passage au pouvoir du Parti National. Ce dernier instaure un programme d’apartheid légalisant la ségrégation raciale politiquement et socialement en maintenant le contrôle économique du pays par la minorité blanche. Cela s’accompagne de l’institutionnalisation de la suprématie blanche (croyance en la supériorité des blancs par rapport aux autres races humaines), ainsi que de nombreuses lois dites d’apartheid interdisant la mixité selon plusieurs critères. Celle qui a le plus d’impact sur le territoire est la « Group Areas Act », mise en place en 1950, qui oblige les différentes populations à habiter dans des zones résidentielles prédéfinies. Les centre-villes, zones les mieux équipées à l’époque, sont interdits d’accès aux populations non-blanches. Cette loi définit trois types de zones : les zones contrôlées, les zones séparées et les zones réservées.

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Jeu d’acteurs sur fond de gentrification* La transformation urbaine qui est en train de prendre place dans le centre-ville de Johannesburg est le résultat de l’interaction entre de nombreux intervenants, chacun d’entre-eux y trouvant des intérêts qui leur sont propres. Qu’il s’agisse d’un investisseur privé cherchant une source de capital, d’un habitant en quête d’une nouvelle expérience urbaine ou d’un jeune entrepreneur désireux d’un espace propice au développement de son activité, tous se battent pour intégrer le lieu élitiste, et participent ainsi au dessin d’une nouvelle identité de la ville.

* SCHWARTZMANN, S. « Transformations urbaines à Palermo Viejo, Buenos Aires : Jeu d’acteurs sur fond de gentrification ». Espaces et sociétés, 2009/3 n° 138, p.145

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1 Centre-ville

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Sandton

2 Soweto (bidonville)5

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1 Centre-ville

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immobilière, concentre essentiellement son activité sur la transformation de quartiers à travers la rénovation d’anciens bâtiments industriels et la mise en place de nouvelles stratégies urbaines, dans le but de créer un environnement plus adéquat à un mode de vie contemporain.

Né en 1986 à Johannesburg, Jonathan Liebmann déménage très rapidement avec sa famille à Durban, troisième plus grande ville d’Afrique du Sud située sur la côte est du pays. Ce n’est qu’à l’âge de 15 ans qu’il retourne vivre à Johannesburg pour y poursuivre son cursus scolaire. Sa mère possède alors son propre commerce de vêtements et son père, grand avocat, entame alors une carrière dans le secteur bancaire. Il y fera fortune.

À 17 ans, Jonathan Liebmann exprime des désirs d’ailleurs, considérant la ville de Johannesburg et le pays en général comme un frein au lancement de sa carrière professionnelle. Il concrétise donc son envie en partant à Londres avec quelques amis. Alors sans qualification particulière, il travaille d’abord comme vendeur par téléphone et s’avère être très efficace, tellement efficace qu’il devient très rapidement le meilleur vendeur de la compagnie qui l’emploie. Ceci étant, et même si il en garde un bon souvenir et en retient un apprentissage fertile des lois du commerce, Jonathan Liebmann ne se passionne pas pour ce métier. En parallèle, grâce à ses économies, il acquiert sa première maison à l’âge de 18 ans, là où la majorité des jeunes du même âge peinent à subvenir à leurs besoins et payer un loyer. Suite à cette expérience, Jonathan Liebmann décide très rapidement de « mettre les mains dans la crasse » et commence à étudier le domaine de la construction en travaillant comme ouvrier sur des chantiers.

La gentrification est un processus complexe qui a pour source un système d’acteurs propre au contexte dans lequel elle prend place. À Londres, par exemple, le réinvestissement des quartiers de Notting Hill et de Islington s’est fait de façons ponctuelles, par un petit groupe d’acteurs sociaux privés, qualifiés à l’époque de bohèmes, composé principalement de gays, lesbiennes et artistes. Cette nouvelle classe moyenne, assez aisée pour investir dans l’immobilier sans l’aide des banques à l’époque trop frileuses à l’idée d’investir dans ces zones en complète dégradation, a su redonner de la valeur à un habitat bourgeois dégradé tout en rapprochant leur chambre à coucher des lieux de consommation, des lieux historiques, et des lieux culturels. À l’inverse, à São Paulo, c’est l’administration de la nouvelle maire Marta Supply, élue en 2001, qui va mettre en place un plan de requalification du centre-ville à la suite de nombreux débats publics. Si ces deux cas sont représentatifs de la majorité des systèmes moteurs des processus de gentrification dans la ville, à Johannesburg, la création du quartier de Maboneng est à l’initiative d’un acteur privé, Jonathan Liebmann, qui profite du développement néolibéral de la ville1 pour créer en 2009 Propertuity, une société de promotion immobilière spécialisée dans la revitalisation urbaine.

A - Jonathan Liebmann, entrepreneur ambitieux

Acteur principal de la régénération du centre-ville de Johannesburg, Jonathan Liebmann est aujourd’hui un des plus talentueux jeunes entrepreneurs d’Afrique du Sud. Propertuity, sa société de promotion

1 - Une initiative privée

1 Voir encadré : La néolibéralisation de Johannesburg (p.18)

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plus intégrée. À l’époque, Jonathan Liebmann est seulement âgé de 23 ans.

Cette expérience personnelle insuffle à au jeune entrepreneur suffisamment d’énergie pour entreprendre ce grand projet de régénération urbaine du centre-ville de Johannesburg qu’il s’imagine réaliser depuis son retour en Afrique du Sud. C’est en 2008 que le jeune homme lance Propertuity, sa compagnie de promotion immobilière. L’approche développée dans l’agence est en totale rupture avec les actions immobilières engagées depuis la fin de l’apartheid dans la ville de Johannesburg. Là, le jeune entrepreneur va tenter de mettre en place ce qu’il a pu voir et comprendre des centre villes gentrifiés d’Europe et des États-Unis, le but de Propertuity étant de créer des lieux dynamiques qui offrent des modes de vie alternatifs pour une population qui tend à vivre, travailler et se divertir dans un seul et unique environnement urbain.

B - Propertuity, machine à gentrifier

Dès sa création, Jonathan Liebmann ne fait pas de Propertuity un simple promoteur immobilier privé, mais développe une approche spécifique qui a pour but d’enclencher de manière accélérée un processus de gentrification, là ou d’autres villes comme New-York ou Berlin ont vu évoluer le phénomène sur plusieurs années. Le projet se base donc sur deux aspects majeurs qui ont déjà fait leurs preuves dans d’autres villes d’autres pays : la restructuration et la rénovation d’anciens bâtiments industriels qui offrent des logements et des espaces de travail alternatifs en complète adéquation avec un mode de vie contemporain et urbain, et la mise en lumière d’une classe moyenne créative, qui, de par son aspect précurseur, est capable d’activer un retour en ville des populations et d’ouvrir Johannesburg à l’international.

Une somme suffisante en poche, il quitte Londres et entame un long voyage d’un an à travers le monde, en passant par l’Europe, le Moyen Orient et les Etats-Unis. Pendant ce périple, le jeune homme dit avoir porté une attention particulière aux espaces fortement urbanisés des pays les plus riches du monde. Après avoir analysé ces lieux, il dit avoir compris qu’il devait introduire ce mode de vie occidental très urbain dans son pays d’origine. Il rentre donc en Afrique du Sud avec l’obsession de la réalisation de ce projet d’envergure.

Après avoir étudié le business et la comptabilité à l’université Monash, il tente de s’insérer professionnellement avec un business de lavomatique à Johannesburg. Il en possède originellement un seul, puis, très rapidement, fait l’acquisition de 16 autres. Cette courte période de sa vie professionnelle lui permet de mettre en place une stratégie commerciale basée sur l’observation de l’environnement et de la population pour saisir les opportunités. Au même moment, il a la chance d’être introduit par sa femme actrice à une communauté de « créatifs » qui vivent dans d’anciennes usines réhabilitées. Cette gentrification à petite échelle séduit énormément le jeune homme. Il décide alors d’emménager dans cet espace quelques temps. Grâce à cette opportunité, il comprend deux choses qui sont essentielles dans son travail par la suite : le potentiel architectural de ces anciens bâtiments industriels ainsi que l’importance de la classe créative dans le développement d’une nouvelle vision de la ville. Il se construit alors une nouvelle image des immeubles vides des villes africaines qu’il considère désormais comme des opportunités parfaites pour le développement d’une nouvelle communauté basée sur une économie

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Parti politique emblématique depuis la fin de l’apartheid en Afrique du Sud, l’ANC (African National Congress), longtemps dirigé par le célèbre Nelson Mandela, a été fondé en 1912 pour défendre les droits des populations noires face à la minorité blanche. Longtemps considéré comme hors-la-loi pendant l’apartheid, il refait surface en 1990 et prend le pouvoir du pays en 1994 avec la promesse de mettre en place un socialisme progressif dans le but d’atténuer les inégalités.

Mais l’ANC a en réalité l’ambition de voir un jour Johannesburg atteindre le rang de ville d’envergure mondiale et développe une toute nouvelle image de la ville : « le nouveau logo vise à rassembler les citoyens de Johannesburg derrière un projet commun, à savoir la création d’une ville Africaine d’envergure mondiale, c’est à dire jeune, ambitieuse, prospère […] Des villes comme Singapour et New York nous ont démontré qu’une marque est l’un des atouts les plus précieux pour une ville […] C’est une question de valeur, de prestige »1. C’est donc un chemin complètement inverse que prend le parti politique en installant un néolibéralisme progressif qui ne fait qu’accentuer les inégalités déjà ancrées dans le territoire. Johannesburg devient certes la capitale du luxe, mais également celle d’une grande pauvreté urbaine associée à la plus grosse crise du logement du pays.

Cette économie libérale entache très vite « Blue IQ », le programme d’investissement de la province du Gauteng dont Johannesburg est la ville principale. Initiative d’origine publique, « Blue IQ » est spécialisée dans le développement des transports, du secteur touristique et des technologies de pointe. Face à cette montée en puissance de l’économie libérale dans le pays, le programme d’investissement décide de privilégier les investisseurs étrangers ainsi que les riches entrepreneurs sud-africains, qui, ayant main mise sur le territoire, décident de développer des projets tels que des centres-commerciaux en faveur des populations aisées, au détriment des populations résidant les bidonvilles.

Cette nouvelle stratégie face au territoire conduit à un redéveloppement rapide de l’industrie du bâtiment à travers, par exemple, un projet comme le Gautrain, train reliant l’aéroport de Johannesburg au centre-commercial Sandton City, puis au centre-ville, construit expressément pour la coupe du monde de football en 2010, et qui s’accompagne de la construction de gares et d’infrastructures permettant son passage.

La néolibéralisation de Johannesburg

1 ROBINSSON, J. cité dans, BOND, P. 2009. « Johannesburg », in, Paradis Infernaux : les villes hallucinées du néo-capitalisme, sous la dir. de Mike Davis et Daniel Bertrand Monk, Paris, Les prairies Ordinaires, p.169

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Les tarifs pratiqués par sa société d’exploitation sont beaucoup trop élevés pour qu’il soit utilisé par la totalité de la population.

Toujours motivé par des considérations économiques, le gouvernement privatise des grands groupes de biens publics tels que les fournisseurs d’eau et d’électricité. Cette privatisation à outrance du attire de nombreux investisseurs privés de tous horizons pour qui Johannesburg apparaît comme un formidable terrain de jeu sans contrainte. (BOND, 2009)

3 La station de Gautrain à l’aéroport de Johannesburg ©Lee Pyne

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africain William Kentbridge, notamment connu pour ses films d’animation et ses dessins exposés en 2011 au MOMA de New-York, qui s’engage à occuper un espace dans ce nouveau bâtiment. Lorsque d’un côté l’artiste découvre le potentiel d’un tel espace pour la progression son travail -« I was specifically looking for a larger space, I needed something that had a good height, and this is the place I found. So this wasn’t a decision saying […] I’m gonna be part of reviving this part of town, it’s purely saying I need a studio space at a certain scale »1- le promoteur, quant à lui, offre une plus grande visibilité à son projet. La présence de William Kentbridge permet d’attirer des artistes de tout le pays comme le photographe Mikhael Subotsky ou encore la plasticienne Kim Lieberman, au grand bonheur du jeune entrepreneur. L’époque est encore jugée « suicidaire » par les financeurs privés, et Jonathan Liebmann continue d’investir personnellement dans ce projet, utilisant les économies engrangées grâce à son business précédent. Pourtant, cette première étape est une réelle réussite.

Seulement un an après, Propertuity fait l’acquisition d’un deuxième bâtiment dans le même secteur grâce aux recettes réalisées avec le premier projet et lance une nouvelle opération appelée Main Street Life. Cette nouvelle rénovation est composée de 194 logements, des commerces, et un hôtel, ce dernier ayant pour vocation de donner une envergure internationale à l’ensemble. Le processus s’accélère et Jonathan Liebmann parie sur le retour en centre-ville de la population, mais cette fois–ci en tant que résidents. Une nouvelle fois, il s’engage personnellement et s’installe avec sa femme dans ce bâtiment alors que les travaux ne sont pas encore finis. Il y organise

Un début difficile mais prometteur

Les débuts de Propertuity en 2008 sont quelque peu difficile : le promoteur immobilier essaie de mettre en place un projet de grande envergure en activant le retour en ville de la population jobourgeoise, défi de taille lorsqu’on sait que la majeure partie de cette dernière n’y a pas mis les pieds depuis plus de 25 ans. Fort taux de criminalité, insalubrité, pauvreté, tout est réuni pour repousser les investisseurs extérieurs. Par ailleurs, au lancement de l’opération, la barrière entre l’individu qu’il est et l’agence de promotion immobilière qu’il dirige est très floue. En effet, il est à l’époque l’unique visage derrière le nom Propertuity, et endosse par conséquent tous les rôles, que ce soit chargé de communication, chef de chantier, responsable marketing, ou encore comptable. Adoptant la figure de l’homme « seul contre tous », Jonathan Liebmann va mettre en place un marketing urbain alternatif basé sur la médiatisation et l’évènementiel. Il persiste à voir un espace au potentiel suffisamment démesuré pour incarner le « Jo’burg » de demain.

Juste après sa création, l’agence Propertuity fait l’acquisition de son premier bâtiment dans une ancienne zone industrielle située au nord est de la ville. Avec la collaboration de l’architecte Enrico Daffonchio, il développe le projet Arts on Main, sorte de résidence créative regroupant atelier d’artistes et espaces d’expositions. Le jeune promoteur immobilier est très ambitieux et son audace provoque le succès de son projet. Il contacte le célèbre artiste sud-

1 Bram Janssen. (2013). Place of Light. [Vidéo en ligne]. Repéré à http://vimeo.com/71325191 - Traduction : Je recherchai un espace plus grand, j’avais besoin de quelque chose de haut sous plafond, et c’est l’endroit que j’ai trouvé. Ce n’était pas une décision disant […] je vais être impliqué dans la revitalisation de cette partie de la ville, mais simplement le besoin d’un espace d’une certaine échelle (LEFRANCOIS, Jean).

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l’échelle sociale. L’approche urbaine, menée de front par Thiresh Govender, urbaniste en chef du projet, traite essentiellement du statut de la rue. Très différentes de celles que l’on peut parcourir dans les villes d’Europe, les rues du centre-ville de Johannesburg et d’Afrique du Sud en général sont souvent vécues et vues comme des lieux dangereux et insalubres, l’espace saturés par la voiture et l’air pollué par les gaz d’échappement associés. Cependant, le projet Maboneng a impulsé très rapidement un retour à la rue des piétons comme en témoigne Thiresh Govender : « The project started around a few specific buildings, it became so succesful that the consequences went beyond itself. It started to infiltrated the streets and there were tonnes of people all over the place, and that thing needed to be considered »2. Enfin, Propertuity a également pour objectif de créer une véritable communauté au sein de Maboneng. Pour ce faire, une large partie du travail engagé se traduit par l’organisation de nombreux événements tels que des marchés, de jour comme de nuit, des cours de skateboard pour les jeunes ainsi que des festivals en tous genres (cinéma, art, musique, mode), dans le but de rassembler et créer des liens autour de lieux communs et d’activités collectives telles que la culture et le sport.

Cette pluridisciplinarité d’actions a logiquement provoqué un agrandissement de la structure Propertuity, qui d’un unique représentant en 2008, est passée à 19 employés en 2012, élevant ainsi le créateur Jonathan Liebmann au rang de chef de la direction. Conformément à l’imaginaire entrepreneurial de son créateur, Propertuity n’agit pas comme un simple promoteur immobilier privé, mais davantage comme une grande entreprise au sein de

des « networking parties » afin de montrer à des investisseurs potentiels qu’il est possible aujourd’hui de miser sur le centre-ville de Johannesburg et que l’avenir de la ville se trouve à cet endroit. En parallèle, il organise des événements autour de l’art et la musique destinée à une population apte à percevoir le potentiel existant de ce centre-ville encore en ruines. Une nouvelle fois, le pari est gagné puisqu’une partie des logements est vendue alors que le projet est encore en construction. Considérant ces deux succès consécutifs, Jonathan Liebmann décide de développer rapidement son concept à une plus grande échelle : c’est la naissance du quartier de Maboneng.

L’ancrage d’une méthode

En 2011, tout s’accélère. Ce n’est plus un, mais trois projets que l’agence Propertuity lance dans le but d’agrandir le quartier de Maboneng : The main change, immeuble à vocation tertiaire regroupant espaces de travail à louer ainsi que des locaux commerciaux, Revolution house, un bâtiment résidentiel, et Fox street studio, mélange de logements, commerces et bureaux.

L’action de Propertuity ne se résume alors plus à quelques actions ponctuelles mais à une démarche totale englobant tout un quartier. Face à ce changement d’envergure, Propertuity met en place trois échelles d’interventions : l’échelle architecturale, qui suit les démarches de réhabilitation des deux premiers bâtiments, l’échelle urbaine, et enfin

2 CNBCAfrica. (2012, 16 Novembre). Urban Renewal: Maboneng Precinct - Part 1. [Video en ligne]. Repéré à http://www.youtube.com/watch?v=biXV7X1LjHE - Traduction : Le projet a commencé par quelques bâtiments qui ont connu un succès complète-ment inattendu. Ca s’est répercuté sur les rues qui sont devenues de plus en plus fréquentées, on devait donc les reconsidérer (LEFRANCOIS, Jean)

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il endosse également le rôle d’office du tourisme et d’agence immobilière nouvelle génération. Ainsi, toute une partie du site est consacrée à la vente et à la locations des biens créés par le promoteur immobilier. L’internaute n’a plus qu’à définir ses critères de recherche et à naviguer entre les offres, comme il pourrait le faire sur un site d’agence immobilière classique. Il peut également visionner les plans de chaque bâtiment et sélectionner l’appartement, le bureau ou le local commercial qui le séduit le plus. Ce site internet permet également à une personne lambda d’accéder à une liste complète des activités du secteurs, allant des menus des différents restaurant jusqu’aux tarifs des massages proposés par le centre de méditation du quartier.

Par la diversité d’action de Propertuity, Jonathan Liebmann s’assure un total contrôle de l’évolution de la zone et laisse très peu de place aux alternatives. Forte du succès de Maboneng, l’entreprise s’est lancée très récemment dans la recherche de quartiers similaires à celui de Maboneng tel qu’il existait avant l’opération, dans les villes de Berlin, Durban en Afrique du Sud, et Accra au Ghana. Serait-ce le début du développement mondial de Propertuity?

laquelle sont regroupés différents corps de métiers, capable de gérer du début à la fin un projet de revitalisation urbaine tel que celui de Maboneng. Ce qui était au début considérée comme une petite initiative privé est devenu ainsi une véritable « machine à gentrifier » capable de gérer la totalité des interventions en interne, de la définition d’un budget accordé à un projet de réhabilitation jusqu’au design de la chaise de bureau destinée à compléter la nouvelle décoration d’une chambre d’hôtel. C’est ainsi que les bureaux de Propertuity sont désormais composés entre autre d’un directeur commercial, d’un directeur financier, d’un directeur de marque, de deux économistes du bâtiment, d’une urbaniste, mais également d’un responsable des locations. En parallèle de cet accroissement de personnel, Propertuity a également développé de nouvelles associations. Si les premiers projets étaient exclusivement traités en collaboration avec l’architecte sud-africain Enrico Daffonchio, elle fait désormais appel des personnalités d’horizons différents comme l’artiste et architecte Stephen Hobbs, qui a réalisé une façade pour la transformation d’un ancien hangar en immeuble de logements.

Cette mainmise de Propertuity sur le développement du quartier apparaît également sur le site internet qui se consacre entièrement à cette revitalisation architecturale, urbaine et sociale. Tout est réuni pour séduire l’oeil de l’internaute à la recherche d’une information sur le nouveau quartier à la mode : un visuel très contemporain, des couleurs vives, un compte tweeter, une page facebook. Si le site web exerce sa fonction de base de communication en affichant les derniers évènements à venir comme une nouvelle exposition ou un nouveau festival musical,

4 Le site internet de Maboneng

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correspond à des actions très éparses et isolées, issues exclusivement d’initiatives sociales privées dans des quartiers tels que Soho, Upper West Side ou Brooklyn Heights : « Il s’agit de l’arrivée […] d’artistes et d’intellectuelles, et de toute une mouvance contre-culturelle qui réhabilitèrent progressivement un certains nombre de bâtiments »3.

Le centre-ville de Johannesburg n’a pas connu cette première étape de gentrification décrite par Neil Smith. À l’inverse de New-York, ce n’est pas l’artiste qui est venu le modifier spontanément en fonction de ses besoins, mais c’est Propertuity qui est a façonné la ville pour cette nouvelle classe moyenne supérieure en y regroupant toutes les caractéristiques recherchées comme la centralité, la densité ou la mobilité.

Rouge à lèvre bleu pastel, short en cuir noir, coupe de cheveux futuriste, la danseuse sud-africaine Manthe Ribane, notamment connue pour ses collaborations avec le groupe de hip-hop Die Antwoord, considère Maboneng comme un lieu d’expression et de liberté unique dans le pays : « You know Main street life, we’ll have to move in, then we moved in and it was amazing »4. Pour Russel Grants et Darryl Els, gérants d’un cinema d’arts et essais dans la zone, Maboneng est une formidable opportunité de développer leur projet : « When we first started in the neighborhood, many times of the week we were the only place open at night. And it’s a

Devant la caméra de Bram Janssen, Jonathan Liebmann décrit Maboneng comme étant un « urban neighborhood, it’s a community of like-minded people, artists, entreprenieurs, bankers, lawyers, people from all works of life that have comme together with a common interest in engaging with urban Johannesburg »1. Cette image de « communauté urbaine » comme la façonne propertuity et la décrit son créateur fait référence à l’émergence d’une classe sociale moyenne supérieure au sein de la ville de Johannesburg.

Souvent représentée par des artistes ou des intellectuels, cette classe sociale moyenne était à l’origine formée de petits groupes privés qui ont enclenché des processus de gentrification dans des villes comme New-York ou Londres au début des années soixante. Très enthousiasmés par les opportunités apportées par le centre-ville, ces artistes utilisent leurs compétences manuelles pour recréer un environnement convivial comme l’explique Elsa Vivant : « Bricolant, rénovant, décorant leurs logements et les façades, les artistes améliorent l’état général du bâti et embellissent le paysage urbain »2. Cette classe sociale est également introduite dans la théorie sur la gentrification du géographe néo-marxiste Neil Smith (1999). Il explique que la première phase du processus de gentrification qu’il nomme « sporadique »,

2 - La formation d’une communauté urbaine

1 Bram Janssen. op.cit. - Traduction : un quartier urbain, une communauté de personnes partageant les mêmes points du vue, d’artistes, d’entrepreneurs, de banquiers, d’avocats, des gens venant de différents horizons qui se sont regroupés avec le même intérêt pour le centre-ville de Johannesburg (LEFRANCOIS, Jean).

2 Vivant, E. (2009). Qu’est-ce que la ville créative?. Paris, France : Presses universitaires de France.

3 Bidou-Zachariasen, C (dir.). (2003). Retours en ville: des processus de “gentrification” urbaine aux politiques de “revitalisation” des centres. Paris, France : Descartes & Cie.

4 Bram Janssen. op.cit. - Traduction : Tu sais Main street life, il faut qu’on emménage là-bas, du coup on a déménagé et c’était incroyable (LEFRANCOIS, Jean).

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économiques spécifiques basées sur la culture et l’innovation. Il poursuit sa théorie et affirme que le développement économique des villes du XXIème siècle dépend entièrement de leurs facultés à développer une offre complète nécessaire à l’attraction de cette nouvelle classe sociale. David Harvey lui, tempère le discours très positif de Richard Florida en indiquant que l’émergence de cette nouvelle classe moyenne supérieure n’est qu’une conséquence logique de l’apparition d’une économie mondiale basée sur l’accumulation (BIDOU-ZACHARIASEN, 2003). Ces acteurs, pour la plupart issus de l’industrie des médias et de la culture tels que, par exemple, l’édition et le design, doivent constamment innover, se démarquer et s’investir personnellement. Ce haut lieu de consommation qu’est la ville représente pour eux une formidable concentration d’offres culturelle, d’emplois et de produits qui correspond à leur style de vie spécifique.

C’est un jeu d’allers-retours entre ces acteurs qui enracine le processus de gentrification à l’origine du nouveau quartier de Maboneng. Forte de l’expérience de son créateur Jonathan Liebmann, Propertuity a su reprendre l’archétype des villes prospères comme Londres ou Berlin, créant un espace urbain répondant parfaitement aux demandes particulières de cette classe moyenne supérieure, laissant de côté les besoins du reste de la population. En contrepartie, cette classe sociale, forte d’un pouvoir d’achat élevé, vient consommer et apporter une dynamique aux lieux créés par Propertuity, redant ainsi viable l’investissement économique du promoteur immobilier.

very different place now, so it’s amazing »5.Ces deux acteurs de la revitalisation du centre-ville de Johannesburg symbolisent cette nouvelle classe moyenne supérieure en pleine émergence dans le pays. Ce qu’on pourrait ici et aujourd’hui appeler des travailleurs créatifs se sont substitués à l’image romantique de l’artiste new-yorkais des années soixante décrite par Neil Smith. Architectes, plasticiens ou encore journalistes, ces nouveaux acteurs des villes sont des Yuppies6 (young urban professionnal) , des étudiants, ou encore des jeunes actifs récemment insérés sur le marché du travail. Affichant pour la majeure partie une soif de culture et de vie sociale, ils ont un esprit très communautaire et sont à la recherche d’un espace de vie urbain mélangeant mondanités et souci de l’environnement comme le décrit Elsa Vivant : « Ils travaillent dans le secteur tertiaire, sont diplômés du supérieur, disposent d’un certain capital culturel et social […] Ils participent à la vie de quartier, se montrent sensibles […] à la qualité de vie »7. Le géographe et professeur d’urbanisme nord américain Richard Florida explique dans son livre The rise of the creative class (2002) que l’adoption d’un modèle « ville-créative » qui se définit par la valorisation de la centralité urbaine est un moyen de régénérer les villes en déclin qui sont menacées tant par la désindustrialisation que par la concurrence grandissante qu’impose la mondialisation. A Johannesburg notamment, le souhait est d’être compétitif sur la scène internationale par le développement d’activités

5 Bram Janssen. op.cit. - Traduction : A nos débuts, il est arrivé plusieurs fois en semaine qu’on soit le seul endroit ouvert le soir. Maintenant c’est complètement différent, c’est vraiment incroyable.

6 Terme créé dans les années 1980 et utilisé pour définir des jeunes cadres dynamiques, évoluant dans le milieu de la haute finance et habitant le centre-ville des grandes capitales.

3 Vivant, Elsa. op.cit., p.43

5 Les visiteurs de Maboneng au Market On Main ©anilegna

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et moyennes supérieures »3 , aire métropolitaine ultra-sécurisée, où les commerçants de proximité sont remplacés par des épiceries fines et des commerces de luxe. (DONZELOT, 2009).

Si le quartier de Maboneng prône la fin d’une ségrégation raciale, il introduit de façon implicite une forte ségrégation sociale. La hausse du prix du foncier participe également à la mutation de la zone, comme en témoigne l’évolution du bâtiment résidentiel Main Street Life. Rachetée en 2009 par Propertuity, cette ancienne usine est sous-estimée, notamment à cause de l’image négative du centre-ville de Johannesburg de cette époque, dans lequel elle se situe. En la transformant en complexe de lofts haut de gamme, le promoteur immobilier a donné une forte valeur ajoutée au bâtiment qui a vu ses prix s’envoler en très peu de temps. Hayleigh Evans, directrice de marque chez Propertuity, nous indique dans son interview à la Smart Monkey TV, webtélé sud-africaine consacrée aux nouvelles cultures, que le prix d’un loft de 33m2 dans Main Street Life est passé de 290 000 Rand (20.300€) en 2010 à 380 000 Rand (26.600€) en 2013, sois une augmentation de 74% du prix du mètre carré en à peine 3 ans. Avec un taux de chômage de 26,4% en 2014 et un salaire minimum de 2 159 Rand (151€)4 pour les plus chanceux, ces nouveaux appartements du centre-ville apparaissent comme difficilement accessible pour les classes défavorisées. Cette évolution du prix du foncier s’est logiquement répercutée sur l’offre commerciale de la zone. Là ou il y’a

Définie pour la première fois par la sociologue britannique Ruth Glass comme étant « le processus à travers lequel des ménages de classe moyenne avaient peuplé d’anciens quartiers dévalorisés du centre de Londres, plutôt que d’aller résider en banlieues résidentielles selon le modèle dominant jusqu’alors pour ces couchent sociale »1 , la gentrification est aujourd’hui la principale cause d’une importante ségrégation sociale de centres-villes. La classe moyenne supérieure qui pose ses bagages dans le cœur historique des villes aujourd’hui ne correspond plus en rien à la population initiale, laquelle ne craignait pas de se mélanger avec les couches populaires présentes en ces lieux. En effet, désormais, la gentrification produit un « entre-soi sélectif »2 naturel. Longtemps rejetée par cette population de professions intellectuelles supérieures, les centres-villes ont fait peau neuve pour se rendre attractifs en gommant ou estompant leurs caractéristiques négatives telles que pollution et une circulation automobile trop importantes, mais aussi la présence de populations précaires résidentes des lieux. Ce changement radical que l’on peut qualifier de grand nettoyage engendre logiquement une hausse des prix du foncier que seul les ménages les plus riches peuvent supporter, repoussant ainsi les populations les plus pauvres en dehors de ce périmètre. Les centres-villes sont désormais des « paysages urbains que peuvent consommer les classes moyennes

3 - Une ségrégation sociale masquée

1 BIDOU-ZACHARIASEN, C. op.cit., p.10

2 DONZELOT, J. 2009. La ville à trois vitesses et autres essais, Paris, Ed de la Villette, p.32

3 SMITH, N. La gentrification généralisée : d’une anomalie locale à la régénération urbaine comme stratégie globale, dans, BIDOU-ZACHARIASEN, C. op.cit., p.58

4 Afrique du Sud – Législation du travail [en ligne], Le moniteur du commerce international. Mai 2014. Disponible sur http://www.lemoci.com/Afrique-du-Sud/Legislation-du-travail/011-47163-Afrique-du-Sud.html [consulté le 28 Mai 2014]

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processus, ancré profondément dans nos villes, ignore les besoins et demandes de populations les plus pauvres, questionnant ainsi la notion de droit à la ville. Idée largement développée par le philosophe marxiste français Henri Lefebvre, le droit à ville est « un droit à nous changer nous-mêmes en changeant la ville de façon à la rendre plus conforme à notre désir le plus cher »6. Il incarne donc le pouvoir, accordé à tous, d’influencer les transformations d’un territoire, alors que depuis toujours, l’urbanisation des villes est le fruit d’un petit nombre d’acteurs qui voient en la ville une formidable source de capitale (HARVEY, 2011).

Le quartier de Maboneng ne fait pas l’unanimité dans la population jobourgeoise dont une large partie, animée par cette idée de droit universel à fabriquer la ville, exprime son mécontentement quant à la production de Propertuity. Si ce type de revendications avait déjà vu le jour dans les années 1980 lors de nombreuses manifestations publiques7, cette population s’exprime aujourd’hui de façon plus indirecte, notamment sur Facebook, réseau social le plus populaire de ce début de XXIème siècle.

Comme toute entreprise soucieuse d’étendre sa visibilité au plus grand nombre aujourd’hui, Propertuity y possède une page officielle, vitrine et outil de communication de toutes les nouveautés se rapportant au développement du quartier de Maboneng. Nouvelle location,

encore 5 ans se côtoyaient quincailleries, garagistes et supermarchés discounts se trouvent désormais un groupement de commerces prestigieux composés de magasins de design, boutiques de vêtements à la mode, galeries d’art et bar branchés qui affiche des prix prohibitifs : « Ya, I could afford it, but now I can’t afford it, it’s not easy to stay here »5. Cette île créative au milieu de la jungle urbaine jobourgeoise est surveillée 24/24 par une compagnie de sécurité qui place des gardes à chaque entrée du quartier afin d’intervenir en cas de problème ou de mauvaise rencontre.

Maboneng apparaît comme un ghetto doré en plein cœur de la capitale sud-africaine, et renvoie à l’image des gatted communities qui ponctuent le paysage des périphéries de la ville. Si physiquement, la zone ne présente pas les mêmes caractéristiques (non présence de murs hauts et de portails électrifiés), ses répercussions sociales sont néanmoins similaires, comme notamment l’éviction d’une certaine catégorie sociale.

Les programmes de régénérations urbaines des villes comme celui qui est en train de prendre place à Johannesburg produisent ainsi des villes socialement inégalitaires à la tête desquelles se trouve une élite riche incarnée par les nouvelles classes moyennes et moyennes supérieures. Ce

5 Bram Janssen. op.cit. - Traduction : Avant j’avais les moyens, mais plus maintenant, ce n’est pas facile d’habiter ici (LEFRANCOIS, Jean).

6 HARVEY, D. 2011. Le capitalisme contre le droit à la ville, Paris, Éditions Amsterdam, p.8

7 Durant l’apartheid, la ville de Johannesburg est découpée en 11 municipalités. Lorsque d’un côté nous avons les quatre puissantes municipalités blanches de Johannesburg, comprenant le centre historique de la ville représentant une grande puissance administrative, Sandton et Randburg, les nouveaux centres économiques émergents à l’époque, et enfin Roodeport, riche banlieue blanche, nous avons d’un autre côté les 7 municipalités noires qui représentent en réalité les 7 townships de la ville à l’époque, dont l’emblématique Soweto. L’inégalité est d’autant plus forte sachant les municipalités noires qui regroupent la majeure partie de la population, sont de tailles minus-cules face aux grandes municipalités blanches, ou la population est moindre et l’étalement urbain très important. Face à cette situation particulière, la ville a vu naître dans les années 1980 des mouvements locaux de revendication contre ce système avec pour revendication la mise en place d’un gouvernement global avec une taxe fiscale pour toute la ville. Ces mouvements ont aboutis à la création de la délé-gation du peuple de Soweto en 1990 (BENIT, 2000).

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sein de Maboneng. Un des commentaires est le suivant :

« More accomodation coupled with ‘convenient stores’ to accomodate the accomodation » Johnny Bamberger (14 aout 2012)

Cet internaute souligne ici l’unicité du type d’habitat proposé dans le quartier de Maboneng, ainsi que les prix trop élevés qu’affichent les commerces. Vivre dans un loft meublé par des designers ne parait pas être a la portée de tout type de ménage.

Il en est de même lorsqu’est posté une photo des nouveaux appartements du complexe Arts On Main, où l’on peut voir un vaste volume blanc sur parquet avec une cuisine au look minimaliste :

« Glad I don’t have to furnish that. Looks like an empty hall with small windows » Anton Francois Comrie (10 avril 2013)

Si ce commentaire n’exprime qu’une incompatibilité de goût, il accentue le fait que le loft, ne convient pas à tout le monde. Le projet développé par Propertuity n’est donc pas apprécié, et encore moins appréciable par tous. Mais le promoteur immobilier est-il vraiment seul responsable de ces inégalités sur le territoire ? La réelle faiblesse aujourd’hui semble être l’absence de partenariat entre le secteur public et le secteur privé. En effet, si vaste qu’il puisse être, le centre-ville de Johannesburg ne compte pas assez de logements pour les populations précaires, laissant ainsi une grande partie de celle-ci vivre illégalement dans de très mauvaises conditions. Lorsque d’un côté, Propertuity rachète ces bâtiments, évacuant ainsi cette population illégale et précaire pour générer tout un programme culturel nécessaire à la ville pour relancer son économie, la ville elle-même ne répond pas en développant un parc de logements sociaux à loyer bas afin de loger ces classes défavorisées.

nouveau concert, nouvelle exposition, tout est publié dans le but de rendre compte en temps réel de l’avancée du projet et du dynamisme de son animation choisie. Ceci étant, peu de temps a suffi aux internautes pour utiliser les 3w de la page comme support de leurs revendications. De manière générale, les plaintes concernent le prix trop élevé des logements. Lorsque Propertuity publie un récapitulatif des prix des logements de l’opération Artisan Lofts le 30 mai 2013, les réactions hostiles fusent :

« Haha. Hipsters quickly drive the prices up. Nice places but costly for the square metre. One parking and location don’t justify the cost for an investment » Philip Joubert (30 mai 2013)

Le prix des appartements proposé ici, qui s’élève à 8500 Rand (600€) du mètre carré semble se justifier pour ces internautes par le seul fait qu’ils sont situés dans le nouveau quartier branché de Johannesburg. Les réactions du public sont similaires lorsqu’est publié le 14 et 17 juin 2014 l’affiche annonçant la mise a disposition de nouveaux logements étudiants au cœur de la ville pour la somme de 2 750 Rand (194€) :

« It sure looks like a nice room, but its just way too expensive for a one room » TK Drumz (14 janvier 2014)

Même si le loyer inclut le transport vers l’université ainsi que l’accès à internet, cette nouvelle résidence semble afficher des prix trop élevés pour ces étudiants désireux d’investir le centre-ville. Ces commentaires laissent paraître une forte envie d’intégrer le quartier mais des moyens financiers trop faibles pour le faire. D’autres expriment des insatisfactions quant aux prestations offertes par Propertuity. C’est par exemple le cas lorsqu’est publié un statut demandant aux internautes ce qu’ils aimeraient voir arriver prochainement au

6 Les commentaires des internautes sur les réseaux sociaux

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La création d’un quartier« à la mode » Illustré ci-dessus par le cas Maboneng, la gentrification convoque un mouvement des populations aisées des périphéries vers le centre, mais c’est également un « processus de production d’un espace aisé et homogène à partir d’une espace urbain dégradé au préalable qui, des lors, voit son aspect extérieur se transformer par des rénovations du bâti existant »1. Quel est le statut du centre-ville de Johannesburg par rapport à cette deuxième caractéristique? De quelle nature sont ces réhabilitations et quels types d’espaces génèrent-elles?

1 VAN CRIEKINGEN, M. (2003). La ville revit ! Formes, politiques et impacts de la revitalisation résidentielle à Bruxelles . Dans BIDOU-ZACHARIASEN, C. op.cit., p.83

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d’importantes mesures de réhabilitation, voire la démolition pure et simple du bâti »2. De la même façon que les deux capitales précédentes, la périurbanisation de la ville de Bruxelles a engendré une dégradation très importante de l’ensemble du bâti et un changement de caractère du paysage social du centre-ville comme en témoigne Mathieu van Criekingen : « les quartiers anciens du centre-ville s’enfoncent dans la dégradation et l’appauvrissement. Seules y restent les populations les moins mobiles, pauvres et/ou âgées, alors que, souvent, ceux qui sont partis sont remplacés par des populations originaires d’Europe méditerranéenne d’abord puis d’Afrique du Nord et de Turquie après les années soixante »3.

Ces descriptions ante-gentrification de trois villes à l’histoire et aux contextes foncièrement différents nous indiquent malgré tout que la théorie d’un modèle de l’espace gentrifiable est facilement envisageable. Localisés dans le coeur historique des villes, ces espaces étaient tous à une période l’image d’une société prospère. Au fil des années, la désindustrialisation et la néolibéralisation des villes ont vidé ces lieux de leur substance. Complètement abandonnés, présentant un paysage urbain fortement dégradé et un stock de bâtiments vacants en ruines, une population illégale y a alors trouvé refuge. Mais le différentiel de loyer4, le caractère transformable du bâti ainsi que la forte présence d’une « âme de quartier » poussent à un moment donné les investisseurs à réintégrer ces centres villes, formidables générateurs de cash ou opportunités de développer un

Bruxelles, Berlin, Sao Paulo, toutes ces capitales ont vu s’installer un processus de gentrification malgré des formes urbaines très distinctes. Pourtant, qu’ils soient bâtis de maisons mitoyennes et d’anciennes structures industrielles à Londres, de « casernes locatives » à Berlin, ou d’immeubles bourgeois du 20ème siècle à Sao Paulo, ces centres-villes désormais gentrifiés sont tous passés par un stade commun, duquel Hélène Rivière d’Arc nous décrit l’ambiance à travers le quartier de la Praça da República à Sao Paulo : « L’image du centre de São Paulo diffusée et perçue aujourd’hui est celle d’un espace dégradé, mal entretenu et pollué, comptant de nombreux immeubles complètement abandonnés, d’autres squattés… et un espace public (la rue) transformé en immense shopping-center bas de gamme, à ciel ouvert, par des milliers de commerçants ambulants et un refuge de SDF qui s’abritent sous les voies de circulation rapide. Le tout dans une ambiance d’insécurité »1. C’est un constat similaire que font Alexis Lebreton et Grégory Mougel quand à la partie est du centre-ville de Berlin : « Privés quasiment de tout investissement durant plus de quarante ans, les quartiers de Mietskasernen se distinguaient au tournant des années 1990 par l’état de délabrement avancé du bâti et le niveau d’équipement sommaire des logements […]. Près de la moitié des édifices présentaient de fortes dégradations nécessitant d’urgence

1 - Un terrain prédisposé à la gentrification

1 RIVIERE D’ARC, H. (2003). Requalifier le XXe : projet pour le centre de São Paulo. dans BIDOU-ZACHARIASEN, C. op.cit., p.246

2 Lebreton Alexis et Mougel Gregory. La gentrification comme articulation entre forme urbaine et globalisation : approche com-parative Londres/Berlin. Espaces et sociétés, 2008/1 n° 132-133, p. 66

3 VAN CRIEKINGEN, M. op.cit, dans BIDOU-ZACHARIASEN, C. op.cit., p.76

4 Théorie mise en place par Neil Smith (1987) qui décrit la marge entre la valeur foncière d’un terrain à l’état actuel, et sa valeur si on en fait un meilleur usage.

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de drogue ou encore les bandes d’enfants drogués, armés et totalement laissés à la dérive »6. Cette ambiance représente le quotidien des populations pauvres et/ou âgées qui n’ont pas eu la chance d’échapper à ce déclin, comme John Mallis, propriétaire d’une quincaillerie dans la zone depuis 1991 : « There was a period of lawlessness in this area […] during that period I lost seven vehicles in three years […] many of my neighbors who were less fortunated were robded »7. Comme le détaille Philippe Guillaume, Propertuity est en train de transformer des immeubles délabrés et occupés illégalement, mais aussi des espaces publics occupés en permanence par des âmes errantes, empreints de la forte présence d’un commerce informel, et où de nombreux sex-shop et tatoueurs remplacent des magasins plus classiques. L’agence de promotion immobilière à l’origine de Maboneng était consciente de l’état de la situation comme en témoigne Hayleigh Evans, directrice de marque chez Propertuity : « Basically, from the seventies […] Johannesburg’s inner city had a very little residential in, and a lot of the buildings then got hijacked by people, that means that people are living there illegaly […] there would be no reason for me to come here »8. Affichant de nombreuses similitudes avec les anciens quartiers centraux des capitales mondiales, Propertuity a su voir en ce qui constitue désormais le quartier de Maboneng un terrain propice à la mise en place d’un processus de revitalisation.

nouveau mode de vie contemporain.

Fraîchement ancré dans un processus de gentrification, le centre-ville de la capitale sud-africaine présente lui aussi une forme urbaine non comparable à ses homologues européens et sud-américains. N’ayant pas connu le phénomène au même moment, l’espace concerné par cette revitalisation urbaine apparait comme appartenir à la famille des quartiers délaissés en devenir, comme l’était Soho à New York, Saint Gilles à Bruxelles, ou Palermo Viejo à Buenos Aires.

Situé au nord-est du coeur symbolique de la ville, le projet Maboneng se développe dans un des plus vieux quartiers industriels de la ville, Marshaltown. Créé en 1886 à la demande du bandit Henry Brown Marshall, cette partie de la ville s’est développée en même temps que le découverte de la mine d’or qui a fait la fortune de la capitale par la suite, en permanente construction jusqu’au début des années 1950. Des sommes considérables ont été investies dans la production de bâtiment d’une grande qualité architecturale, imaginés pour durer sur le long terme. Cette zone, aujourd’hui très dévalorisée5, a longtemps été associée à des représentions repoussantes pour la population : « Tous ces quartiers […] souffrent d’une image fortement négative […] tels que la prostitution, les revendeurs

5 Voir encadré : Naissance et déclin du centre-ville (p.40)

6 Guillaume, Philippe. (2001). Johannesburg: géographies de l’exclusion. Paris, France : KARTHALA Editions, p.

7 Bram Janssen. op.cit. - Traduction : Il y’a eu une grande période anarchique ici […] durant cette période j’ai perdu sept véhicules en trois ans […] beaucoup de mes voisins qui étaient moins aisés se sont fait cambrioler (LEFRANCOIS, Jean).

8 SmartMonkeyTV. (2010). Hayleigh Evans on Johannesburg’s urban regeneration project Maboneng. [Video en ligne]. Repéré à http://www.youtube.com/watch?v=V29-1PXXCCE&feature=youtu.be - Traduction : En gros, depuis les années 70 […] le cen-tre-ville de Johannesburg est très peu habité et une grande partie des bâtiments ont été détournés, ce qui veut dire que des gens vivent là-bas illégalement […] il n’y avait aucune raison pour moi de venir ici (LEFRANCOIS, Jean).

7 Le quartier de Maboneng aujourd’hui ©Es Capital Partners

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Le centre-ville de Johannesburg, à l’image de l’Afrique du Sud toute entière, est un territoire de l’extrême, en termes d’argent, mais également en termes de paysage urbain. Dans ce cœur historique et commercial de la ville se côtoient riches hommes d’affaires et refugiés sans-abris, mais aussi vielles maisons victoriennes et gratte-ciel de verre. Construite en 1886 grâce a la découverte d’une mine d’or, la ville est bâtie en à peine quelques semaines, à l’endroit de l’actuel centre-ville.

Lieu de prospérassions économiques et de résidence pour les populations blanches, le centre-ville de Johannesburg connaît un énorme déclin à la fin de l’apartheid. En effet, les lois ségrégationnistes comme la « Group Area Act. » imposent alors aux populations noires de posséder un « pass » si ils veulent accéder au centre-ville. A la fin de l’apartheid, cette loi est supprimée, un gros manque de logements dans les bidonvilles périphériques forcent les populations noires à migrer vers le CBD, lesquelles souhaitent à l’époque se rapprocher de leur lieu de travail. Les populations blanches, très incommodées par une cohabitation raciale, commencent alors à migrer vers les périphéries, aspirant également a un autre mode de vie. Le changement démographique est flagrant : « En moins de 20 ans nous sommes passés d’une aire majoritairement ‘blanche’ et désignée comme tel par le GAA, à un espace de peuplement mixte, désigné comme étant une aire ‘grise’ »1.

Le centre-ville de Johannesburg se transforme rapidement en ghetto urbain mêlant pauvreté, violence, délinquance et criminalité au plus grand dépourvu des couches aisées résidant désormais les banlieues : « selon la perception populaire, la déségrégation raciale des districts à haute densité du centre de Johannesburg s’est accompagné d’un déclin général des standards de la civilité »2. Faisant face à des loyers peu ou non payés, les propriétaires des logements situés dans cette zone laissent dépérir ces immeubles devenus surpeuplés. Sans électricité et sans eau courante pour certains, les bâtiments du centre-ville se retrouvent squattés d’immigrants venus des pays voisins, voyant en Johannesburg une source de travail et d’argent, ou par des natifs sud-africains étant dans l’impossibilité de trouver un logement. Face à cette perte totale de contrôle, la ville décide d’arrêter d’investir dans le centre-ville pendant de nombreuses années. Ce n’est véritablement que dans les années 2000 que les investisseurs privés réapparaissent, aspirant à donner une nouvelle image à Johannesburg.

Naissance et déclin du centre-ville

1 GUILLAUME, P. 2001. Johannesburg, géographie de l’exclusion, Paris, Karthala, p.271

2 CRANKSHAW, O. et WHITE, C. cité dans, GUILLAUME, P. op.cit., p.275

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8 Un bâtiment abandonné dans les rues du centre-ville de Johannesburg ©vokuro627

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à des enjeux esthétiques, économiques, sociaux et professionnels. Vedette de nombreuses revues consacrées à l’art de la décoration, le loft représente aujourd’hui un espace domestique en vogue, plébiscité majoritairement par des ménages issus de classe moyenne supérieure. Travaillant dans le secteur de l’art, de la communication, de la santé ou encore de l’enseignement, cette population aperçoit en ce type d’habitat un moyen physique de se distinguer du reste des habitants, et d’exprimer ses goûts, son mode de vie, ainsi que son appartenance sociale (COLLET, 2012).

La communauté jobourgeoise présente dans le quartier de Maboneng s’apparente à cette deuxième génération de « lofteurs » décrite par Anais Collet. Soucieuse de l’image qu’elle renvoie, elle prône un type d’habitat urbain et original en rupture avec le modèle traditionnel qu’ils ont pu expérimenter dans les périphéries comme en témoigne Russel Grant, premier résident du quartier : « Already it’s safe to say that my world is completely different. I’m more part of the city now […] and my all lifestyle is now different »1. L’unique, mais néanmoins non négligeable différence se trouve dans le statut de cette population par rapport aux logements. Ils sont locataires, propriétaires, mais non créateurs comme ont pu l’être les résidents des anciens entrepôts du Bas-Montreuil à Paris. Encore une fois, c’est le promoteur immobilier Propertuity qui est à l’origine de cet habitat, s’inspirant fortement du « modèle SoHo »2 pour créer des espaces types lofts, originaux et idéaux pour cette nouvelle classe moyenne si précieuse au développement du quartier.

Le quartier de Maboneng présente à ce jour

Forme d’habitat privilégié de la gentrification, le loft est aujourd’hui choisi de façon unanime par les classes moyennes et moyennes supérieures. Situés dans une ancienne zone industrielle comme expliqué précédemment, les bâtiments qui composent le quartier de Maboneng offrent de vastes espaces propices à la création d’un tel type d’habitat, le seul qui soit d’ailleurs proposé dans la zone actuellement.

Souvent comparé au processus de création de l’artiste franco-américain Marcel Duchamp qui consiste à transformer un objet du quotidien en œuvre d’art unique présentant une esthétique très singulière, le loft est un type de logement à l’initiative d’artistes transformant de manière artisanale d’anciennes usines en lieux uniques. Conséquence directe de la désindustrialisation et la démocratisation de l’accès à la culture dans nos sociétés, le loft est porteur de nouvelles pratiques résidentielles et de nouveaux usages en accord avec un mode de vie plus authentique recherché par cette population. Vastes volumes, décloisonnement et matériaux brut qualifient ce nouvel esthétisme urbain. Fuit durant de nombreuses années par les classes moyennes car associées à l’image du travail, les usines sont désormais des lieux recherchés pour leurs aspects atypiques (VIVANT, 2009).

Mais le caractère contestataire qui se cache derrière les premières productions de ce type d’habitat innovant a perdu de sa signification, laissant place au fil des années

2 - La figure du loft

1 Bram Janssen. op.cit. - Traduction : Je peux déjà dire que mon univers est complètement diffèrent. Je fais plus parti de la ville maintenant […] et mon style de vie est désormais diffèrent (LEFRANCOIS, Jean).

2 COLLET, A. « Le loft: habitat atypique et innovation sociale pour deux générations de ‘nouvelles classes moyennes’ ». Espace et sociétés, 2012/1, p.38

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projets précédents ce bâtiment à l’esthétique plus austère se démarque néanmoins par ses prestations plus luxueuses. Oscillants entre des surfaces au sol allant de 60m² à 90m², les lofts offerts par ce projet ne sont plus du tout cloisonnés. Avec presque 5m de hauteur sous plafond, l’unique pièce de l’appartement regroupe donc les éléments d’un appartement classique, à savoir une cuisine, une salle de bain, un salon/salle à manger et une chambre. De la même façon que pour les appartements de Revolution House, la pièce de vie débouche sur un balcon offrant une incroyable vue sur la capitale sud-africaine. Un parquet en chêne massif, et des céramiques aux motifs graphiques finissent de dessiner, de façon « arty », l’image de ces appartements où s’entremêlent deux esthétiques, une très contemporaine en adéquation avec les goûts d’une population à la recherche d’originalité, et une plus industrielle qui temoigne des anciens usages du lieu.

Malgré la grande attractivité du produit fini offert par Propertuity où seuls les placards et étagères restent à remplir, l’originalité et la singularité qui faisaient au début la particularité de cet habitat « artisanal » laissent place à une production massive de lofts, tous produits selon le même modèle. Les trois bâtiments résidentiels de Maboneng, tous composés d’appartements que l’on peut qualifier de T1/T1 bis haut de gamme, s’adressent à une population très ciblée, à savoir les « Yuppies » (Young urban professionals) ou les « Dinkies » (Double rent no kids), autrement dit le noyau dur des nouvelles classes moyennes supérieures ayant un fort pouvoir d’achat. C’est donc de façon réfléchie que le promoteur immobilier engage ses projets résidentiels, ciblant de façon précise la population qu’il désire attirer grâce à l’unique typologie d’habitat qu’il produit.

trois grandes opérations de logements, toutes issues de réhabilitations d’anciens bâtiments industriels. Conçu par l’architecte sud-africain Enrico Daffonchio en 2009, le bâtiment Main Street Life présente une architecture très contemporaine faite de béton et de verre. Les 194 appartements offerts par ce projet, chacun d’une surface d’environ 33m², sont tous dessinés selon les archétypes du loft. La pièce principale est composée d’une cuisine, d’un salon et d’un coin chambre. Seule la salle de bain reste cloisonnée. Afin de compléter l’offre, chaque appartement est entièrement meublé avec des créations des designers jobourgeois Dokter and Misses, réputés pour leurs lignes modernes et leurs motifs contemporains.

Création du même architecte, Revolution House est également un bâtiment résidentiel conçu en 2011. Son architecture Art Déco, ses briquettes rouges et sa structure métallique lui donne une esthétique très urbaine rappelant les ambiances de quartiers tels que Soho à New-York. Composé de seulement 33 appartements de 60m², ses prestations sont similaires à son prédécesseur. L’espace de vie, d’une hauteur de 4,5m sous plafond, est composé d’une cuisine, un salon et une chambre, le tout relié à un balcon par une large baie vitrée. De la même façon que pour les appartements de Main Street Life, la salle de bain est la seule pièce fermée de l’appartement. Cette esthétique se prolonge dans les finitions en béton ciré du sol, le marbre noir de la cuisine, et le cuir vieilli du mobilier.

Réhabilité en 2013, Artisan Loft est le dernier projet de logements du promoteur immobilier Propertuity. Surfant sur la vague du « loft living » engagée par les deux

9 L’intérieur des appartements de Revolution house ©daffonchio

10 L’extérieur des appartements de Revolution house ©daffonchion

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et ainsi le coût du produit fini (VIVANT, 2009). Mais l’industrie créative se distingue également par son organisation de production dont seule la ville peut en être le support : « Le territoire métropolitain se substitue à l’entreprise comme support de l’organisation de la production, favorisant l’articulation du travail des différents acteurs de la filières, donneurs d’ordre et fournisseurs »_. Co-traitances, sous-traitances et formations d’équipes temporaires rythmes la production des ces activités artistiques comme l’architecture, exemple représentatif de ce type d’organisation : afin de répondre à un appel d’offre, l’architecte doit s’entourer d’une équipe de professionnels regroupant des ingénieurs spécialisés, comme des acousticiens, des économistes ou encore du personnel administratif, avec laquelle il forme un dossier pour candidater.

Ce processus qui s’établit toujours de façon très rapide se retrouve aussi dans notre cas d’étude avec le promoteur immobilier Propertuity. Comme expliqué précédemment, cette agence regroupe en son sein de nombreuses professions afin de gérer le plus possibles les actions sur le quartier en interne. Cela nécessite néanmoins l’aide d’acteurs extérieures, comme celle de l’architecte Enrico Daffonchio, ou des designers Dokter and Misses pour la réalisation de certains projets. La localisation géographique de ces trois acteurs au sein du quartier de Maboneng, que parfois seul un escalier sépare, rend les interactions plus faciles, plus rapides et plus nombreuses.

Si l’activité de Propertuity, de par ses actions et son fonctionnement, peut être considérée comme une activité artistique selon la théorie de Richard Florida, c’est, de manière générale, tout le quartier de Maboneng qui se développe autour de cette économie créative et de son

Pour faire face à l’attractivité économique et commerciale de Sandton city, centre-ville factice situé dans la périphérie nord de Johannesburg1, Propertuity a du faire appel à des concepts innovants pour la ville.

A - L’économie créative comme axe de développement

Allant de la publicité à la promotion immobilière en passant par le design, le terme d’activité créative développée par le professeur d’urbanisme nord-américain Richard Florida regroupe un vaste champ de professions et repose sur deux moyens de productions qui s’opposent : d’un coté la production créative qui renvoi à l’unicité et la singularité d’un objet, et de l’autre, la production industrielle qui correspond à la reproduction en masse de cet objet pour amortir le coût de production. Caractérisée essentiellement par la mise à disposition d’une capacité technique ou intellectuelle, l’activité créative se distingue des activités traditionnelles pour différentes raisons. Elle nécessite tout d’abord un large panel d’acteurs tels qu’une importante main d’œuvre qualifiée, flexible géographiquement et dotée de savoir-faire précis, des centres de recherches ,et des capitaux, capables de se mettre en situation de face à face physique pour produire ensemble et manière efficace des projets innovants. La ville, pour nombreuses opportunités qu’elle offre, se place comme le territoire le plus propice a la production de cette activité artistique. Sa forme urbaine dense permet une proximité entre les différents acteurs du processus qui engendre une réduction des coûts de transports et de transactions,

3 - L’émergence d’une nouvelle centralité

1 Voir encadré : Sandton, nouveau centre-ville artificiel (p.48)

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sont souvent à l’origine de projets innovants.

En favorisant le développement d’une économie créative, Propertuity s’inspire de ce qui fait le réussite d’autres villes comme Montréal, encourage un réinvestissement du centre-ville et assure un avenir prospère au quartier de Maboneng, figure de proue de la ville récemment rentrée dans la concurrence des villes mondes. La réduction du temps et du coût des transports ainsi que la densité sont des atouts qui joue en faveur de la ville, nouveau terrain d’expression de la diversité et de la créativité.

B - L’atout culturel et touristique

Outil de marketing territorial, de développement économique et d’aménagement du territoire, la culture est devenue aujourd’hui l’élément clé dans la régénération urbaine post industrielle des villes. Nouveaux points forts de l’attractivité des villes, l’offre et la vie culturelle sont désormais des indicateurs de qualité de vie qui attire les entreprises et les ménages. Face au succès du modèle Guggenheim de Bilbao, l’implantation d’équipements culturels d’envergure au sein d’un quartier apparait comme un gage de réussite pour les villes en développement. Lancé dans les années 1990, le projet urbain qui y est mené porte sur la reconquête des friches industrielles. D’ancienne ville industrielle en déclin, Bilbao est devenue une destination prisée accueillant chaque année 700 000 visiteurs, notamment grâce à l’influence du musée signé Frank Gehry (VIVANT, 2007).

Longtemps rejeté, le tissu urbain historique des villes est aujourd’hui la scène d’une véritable patrimonialisation qui vise à redonner du sens et une valeur symbolique à ces lieux (GRAVARI-BARBAS, 2013). Le premier objectif de Propertuity a été logiquement de conserver et mettre en valeur le rare patrimoine

fonctionnement, de façon plus ou moins naturelle. Market On Main, marché organisé par Propertuity dans la galerie d’art Arts On Main tous les dimanches matins et jeudis soirs en est un exemple. Ambiance conviviale, musique live, ce marché bourgeois-bohème est devenu le repère des jobourgeois branchés, résidents ou non du quartier qui l’accueille. On y vient pour goûter du vin, manger éthiopien, ou encore acquérir la dernière paire de lunette de soleil à la mode. Mais ce marché est avant tout un moyen de communication très efficace pour le promoteur immobilier, qui voit en chaque visiteur un potentiel futur résident du quartier. Ainsi, les différents stands présents sont tenus exclusivement par les commerçants du quartier, mais qui le temps de quelques heures, et ce deux fois par semaine, sont sollicités par Propertuity pour parfaire la réputation de Maboneng.

Si Propertuity réunit ici différents acteurs autour de l’organisation d’un événement, le promoteur immobilier s’est aussi engagé dans la construction d’espaces favorisant ce type d’échange à travers le projet The Main Change. Adossé à l’opération résidentielle Main Street Life, ce premier bâtiment à vocation tertiaire du quartier offre plusieurs espaces de travail allant de 30m² a 140m², tous destinés à des petites et moyennes entreprises. Mais la véritable particularité du projet se trouve au troisième étage du bâtiment où a pris place Open, un espace de co-working pour les start-ups et les free-lancers. Cette société, à l’initiative de jeunes entrepreneurs sud-africain, met a dispositions des espaces de travail et de réunions louable à l’heure, à la journée, à le semaine ou au mois. Ces espaces favorisent le développement de petites structures donc, mais également les rencontres et les collaborations, qui

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Avec respectivement 104 000m2 et 17 000m2 d’espaces de ventes repartis sur trois niveaux, Sandton City et Sandton Square représentent à eux deux le plus grand centre commercial d’Afrique du Sud. Construit en 1973, il est situé au nord de la ville de Johannesburg, dans la municipalité de Sandton.

Véritable ville dans la ville, le centre commercial est le produit de la néolibéralisation de Johannesburg, laquelle a vu ses périphéries s’étendre de façon exponentielle depuis les années 70. Si au début, Sandton city n’est qu’un lieu de vente, on assiste aujourd’hui « à un renforcement de la dimension économique et professionnelle de ces espaces ; cela va de pair avec les évolutions de la structure économique internationale et la primauté donnée à la tertiarisation »1. En se rapprochant de leur main d’œuvre, ces entreprises accélèrent la désertification du centre-ville, faisant ainsi de Sandton le nouveau centre économique de la ville.

Amputé de son cœur historique, la ville de Johannesburg essaie de recréer à travers Sandton un véritable centre-ville qui se traduit par l’accueil de bâtiments publics tels que la bibliothèque municipale, mais aussi de nombreux cafés, restaurants, librairies. L’espace public est également traité de façon à donner l’illusion d’un véritable centre-ville : fontaines, place centrale, rangées d’arbres, tout est réuni pour faire oublier que ce centre commercial n’est qu’une centralité artificielle :

« Certes, le principe de base – la proximité par la profusion de magasins – est le même. Mais dès que l’on arrive au parking souterrain, la différence est perceptible. Ici, personne ne pousse de gros Caddies lourds. Et si la boulangerie, l’opticien et la pharmacie jouxtent bien un supermarché, les kilomètres de galeries marbrées sur plusieurs niveaux recréent une cite en miniature. Tout incite à y rester : la cour intérieure aménagée en jardin public, des théâtres, des clubs, et même les librairies aux cafétérias intégrées où l’on peut bouquiner pendant des heures devant un jus de goyave ou un muesli. L’idéal étant de dormir sur place, des hôtels communiquent souvent de plain-pied avec un centre commercial. C’est le cas du Michelangelo, l’hôtel le plus cossu de Johannesburg, qui s’élève tel un donjon sur Sandton City, un château fort de luxe. En multipliant fronton scalène, pilastres et lions de pierre comme bouches de fontaine, la transition est assurée entre la chambre à coucher style Renaissance et les boutiques vendant les griffes les plus mondaines. Des agences de voyages et des magasins de cadeaux et de souvenirs complètent le circuit touristique fermé »2

Sandton, nouveau centre-ville artificiel

1 GUILLAUME, P. Op.cit., p.328

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Le centre commercial de Sandton donne aujourd’hui de Johannesburg la vision d’une ville mondiale aseptisée, répondant aux normes sociales imposées aujourd’hui, au détriment de la richesse de sa culture locale et nationale.

2 SMITH, S. cité dans, GUILLAUME, P. Op.cit., p.332

11 Place publique au coeur de Sandton ©Franck Haymann

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s’impose aujourd’hui comme l’atout majeur pour créer de l’attractivité et développer le caractère touristique d’une ville (GRAVARI-BARBAS, 2013).

Si il n’a pas la prétention d’égaler la réputation du nouveau Louvre d’Abu Dhabi dessiné par l’archi-star français Jean Nouvel, le MOAD (Museum of African Design) endosse néanmoins le rôle de projet phare au cœur de la transformation du quartier de Maboneng. Premier musée du continent destiné au design africain, le MOAD est issu uniquement des investissements du promoteur immobilier privé Propertuity qui croit fortement en son potentiel d’attraction. Ici, pas d’architecture iconique, pas d’architecte de renom, seulement la réhabilitation d’une ancienne usine de carrosserie qui confère au lieu à la fois un caractère singulier et un ancrage incontestable dans son contexte. Ouvert en octobre 2013, ce musée s’apparente plus à une plateforme créative dédiée à l’évolution de la culture africaine. Regroupant différents espaces d’expositions et de conférences, il a déjà accueilli de nombreux événements qui ont connu un grand succès comme la présentation annuelle de la fondation Southern Guild qui expose le travail de jeunes designers, sculpteurs et architectes sud-africains en devenir.

Cette concentration d’équipements culturels a comme va de pair avec le développement touristique de la zone. Précédemment défini par la visite de lieux historiques sélectionnés et valorisés par la ville, le tourisme fait face aujourd’hui à un changement de ce modèle classique vers un modèle plus alternatif. Face à la mise en place d’une culture mondiale, le touriste recherche désormais une expérience insolite, authentique et marginale loin des lieux dit touristiques. C’est ainsi que les villes aujourd’hui vont mettre en place tout une

industriel de Johannesburg, témoin de son époque minière. Le promoteur immobilier se consacre donc uniquement à la réhabilitation de ces anciens entrepôts, changeant complètement leurs usages, mais en conservant le plus possible leur esthétique. Une partie de ces réhabilitations est destinée à la mise à disposition d’équipements culturels dont certains sont déjà bien ancrés dans les usages du quartier.

Arts On Main, le premier projet conduit par le promoteur immobilier s’inscrit dans ce développement culturel. Achevé en 2009, ce pôle créatif regroupe des studios d’artistes, une galerie d’art, des restaurants et des commerces. En plus d’accueillir le désormais connu Market On Main, cet espace héberge également de nombreux événements comme la Fashion Week sud-africaine en 2012. Combiné à la présence d’artistes reconnus dans les studios, cet espace draine beaucoup de visiteurs et est un pole d’attraction majeure du quartier. Il est accompagné du Bioscope, cinéma d’art et essai se trouvant au coeur du quartier qui se consacre a la projection de films sud-africains. Mais Propertuity ne s’est pas arrêté la et a travailler au développement d’un musée inédit pouvant prendre la place d’icône dans le quartier de Maboneng.

Figure historique et emblématique de l’offre culturelle d’une ville, l’équipement muséal change de face depuis quelques années pour devenir le véritable moteur d’une transformation urbaine. Souvent très médiatisée, la création d’un tel équipement engendre souvent un engouement locale, national et parfois international. Devenu la pièce centrale d’un projet, le musée

1 GRAVARI-BARBAS, M. 2013. Aménager la ville par la culture et le tourisme, Paris, Moniteur, p.27

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lieu de visite mais plutôt un point de chute dans la ville pour les touristes, le promoteur immobilier a également développé différents lieux d’accueils, mais toujours dans cet esprit alternatif tel qu’un backpacker et un art-hôtel sur le toit du bâtiment résidentiel Main Street Life, qui offre 12 chambres doubles, toutes imaginées par des artistes sud-africain.

En reprenant à la lettre les codes des quartiers branchés tels que Kreuzberg à Berlin ou Harlem à New-York, Maboneng adopte la figure du nouveau cluster créatif de la ville de Johannesburg. La politique touristique « en dehors des sentiers battus »3, basée sur une importe offre culturelle adoptée par Propertuity s’avère aujourd’hui plus que déjà vue, mais elle participe néanmoins à la régénération urbaine du quartier en lui donnant une envergure nationale et internationale.

palette d’activités « post-touristiques »1, qui peuvent prendre la forme de visites d’anciens lieux industriels transformés en plateforme culturelles, comme par exemple le Tate Modern à Londres (GRAVARI-BARBAS, 2013).

Le touriste du 21ème siècle est désormais a la recherche de lieux mélangeant exotisme et quotidien comme le décrit l’économiste urbaine anglo-saxon Robert Maitland : « Les espaces touristiques hétérogènes sont des scènes sur lesquelles les identités transitionnelles font leurs performance à coté des pratiques quotidiennes des résidents, des passants et des travailleurs »2. Ce portrait des nouveaux espaces touristiques alternatifs en vogue correspond à l’image du quartier de Maboneng. En visite dans le quartier, le visiteur peut apprécier la nouvelle exposition du MOAD consacrée au travail de l’artiste Niall Bingham, acheter des vêtements de jeunes créateurs sud-africain, contempler le paysage urbain de Johannesburg sur le toit du bâtiment The Main Change, suivre un cour de méditation et finir la soirée au bar avec les habitués du quartier. Afin de compléter cette expérience du quotidien, Propertuity organise également des visites du centre-ville de Johannesburg, environnement hostile où il est risqué de s’aventurer seul. Animées par le jeune jobourgeois Bheki Dube, ces visites permettent aux touristes d’arpenter les rues bruyantes et polluées du cœur de la capitale où prend place un commerce informel surprenant.

Mais Propertuity va plus loin. Pour que Maboneng ne reste pas qu’un simple

2 Maitland, R. Tourists, the creative class and distinctive areas in major cities : The roles of visitors and residents in developing new tourism areas; cite dans GRAVARI-BARBAS, M. op.cit., p.28

3 GRAVARI-BARBAS, M. op.cit., p.29

12 L’interieur du MOAD ©South African Tourism

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Vers unegentrificationgeneralisée (?) Comme l’a théorisé le géographe néo-marxiste Neil Smith à travers l’exemple de la ville de New-York, le processus de gentrification évolue en trois temps1. Même si, comme il l’indique, il serait erroné de considérer ce modèle « comme une sorte de paradigme et de mesurer les progrès de la gentrification dans les autres villes à l’aune des stades de la gentrification qui ont pu y être identifié »2, nous pouvons néanmoins retrouver différentes formes de similitudes avec d’autres villes dans les trois stades qu’il décline. Johannesburg suit-elle ce modèle ? Est-elle en passe de devenir une de ces villes ou la gentrification devient l’unique politique de développement urbain et économique ?

1 Voir encadré : La gentrification selon Neil Smith (p.56)

2 SMITH, N. op.cit., dans, BIDOU-ZACHARIASEN, C. op.cit., p.59

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1 Siege social d’Absa

Johannesburgcentre-ville

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Tour Ponte

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1 Siege social d’Absa

Johannesburgcentre-ville

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C’est le géographe néo-marxiste Neil Smith qui théorise la notion de gentrification en 1999. Selon ce dernier, le processus de gentrification peut se découper en trois phases distinctes qu’il détermine selon le cas de la ville de New-York. La première phase, dite « sporadique », correspond à une gentrification très éparse et isolée, issue exclusivement d’initiatives sociales privées. Elle apparaît entre les années cinquante et soixante-dix et se traduit sur le terrain par de nombreuses réhabilitations dans le sud de Manhattan, au niveau de Greenwich village, puis dans d’autres quartiers tels que Soho, Upper West Side ou Brooklyn Heights. Les initiateurs de cette nouvelle mouvance, tous faisant partie de classes moyennes et moyennes supérieures, sont pour le plupart des artistes ou des intellectuels. Ce développement se faisant à une échelle restreinte, les instituons financières privées ne se montrent pas intéressés par ces zones encore perçues comme pauvres et sans potentiel, alors que le marché de l’habitat individuel en périphérie est encore très prospère.

La deuxième phase correspond à l’ancrage de la gentrification. Ce tournant dans le processus de gentrification trouve naissance dans la crise fiscale qui touche la ville dans les années soixante-dix et la crise économique mondiale qui l’accompagne. Le 20ème siècle est la scène d’un désinvestissement complet du centre ville de New-York, au profit d’un puissant investissement dans la périphérie. En conséquent, cette nouvelle crise économique ne fait qu’accroître la baisse du prix du foncier dans le centre, et les propriétaires privés commencent à vendre des parcelles entières à des promoteurs immobilier à des prix dérisoirement bas. À partir de ce moment, la municipalité, associée à des banques, commence à mettre en place des programmes de réhabilitations de logements, donnant au processus de gentrification une tout autre envergure. En conséquence, ce phénomène s’étend de plus en plus géographiquement et s’installe au fur et à mesure comme la politique du logement de la ville, laissant derrière elle les quartiers « arty » mis en place par les premiers investisseurs, devenant la scène de la néolibéralisation de la ville et de la globalisation du capital.

Enfin la troisième et dernière phase correspond à la généralisation de la gentrification. Un nouveau crash boursier fin des années quatre-vingt ralentit le processus dans certaines zones de la ville, mais ce de façon très courte. En effet, dans les années quatre-vingt-dix, tous les quartiers sont désormais concernés par cette gentrification. Les zones touchées depuis le début se densifient tandis que les autres entament de façon accélérée leur transformation. Naturellement, la valeur du foncier augmente de plus en plus, chassant parfois les pionniers à la base de ce phénomène. Mais ce qui généralise vraiment le phénomène selon

La gentrification selon Neil Smith

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Neil Smith, est le fait que la gentrification est devenue une véritable « stratégie urbaine concertée et globale », transformant également les commerces, le secteur tertiaire, les musées, les restaurants, offrant un environnement urbain intégré et démocratisé qui s’adresse directement aux classes moyennes et moyennes supérieures.

13 Les rues de SoHo à New-York aujourd’hui ©Noel Y.C.

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qui induit également toutes les nuances qu’un tel procédé peu comporter selon les différents contextes et acteurs. (BIDOU-ZACHARIASEN, 2003)

« Cette réorganisation économique de la société en fonction d’un nouveau régime d’accumulation entraîne l’émergence d’un nouveau mode de vie urbain, d’une nouvelle image urbaine et de nouveaux types de consommation. Cette nouvelle idéologie s’exprime dans l’individualisation de la vie sociale et culturelle, mais aussi dans une restructuration du cadre bâti. En gros, elle met en valeur l’héritage historique porté par le cadre bâti des centres urbains, mais celui-ci est aménagé pour être occupé par une nouvelle classe moyenne de résidents »1

En effet, les villes concernées par ce phénomène se sont toutes insérées dans un système économique mondial qui induit la création de nouvelles spatialités, de nouvelles formes urbaines, de nouvelles fonctions et de nouvelles activités. En intégrant ce réseau, elles se confrontent à une redoutable compétitivité face à laquelle il devient nécessaire de sans cesse innover, trouver de nouveaux travailleurs, de nouveaux moyens de production et de nouvelles ressources comme le décrit le géographe et anthropologue David Harvey : « Les lois de la concurrence obligent les capitalistes à constamment développer de nouvelles technologies et de nouvelles formes d’organisation, car plus la production sera élevée, et plus il leur sera possible d’éliminer les concurrents qui emploient des méthodes moins efficaces »2.

La ville de Johannesburg est donc loin d’être la seule ville qui doit faire face aux mutations urbaines, économiques et sociales qu’engendre la mondialisation. L’Argentine, où l’exportation de matières premières a permis le développement fulgurant de son économie, a vu sa capitale,

Comme l’a théorisé le géographe néo-marxiste Neil Smith à travers l’exemple de la ville de New-York, le processus de gentrification évolue en trois temps . Même si, comme il l’indique, il serait erroné de considérer ce modèle « comme une sorte de paradigme et de mesurer les progrès de la gentrification dans les autres villes à l’aune des stades de la gentrification qui ont pu y être identifié » , nous pouvons néanmoins retrouver différentes formes de similitudes avec d’autres villes dans les trois stades qu’il décline. Johannesburg suit-elle ce modèle ? Est-elle en passe de devenir une de ces villes ou la gentrification devient l’unique politique de développement urbain et économique ?

La ville de Johannesburg n’a connu ni la première phase, ni la deuxième. Ni vraiment marginal, ni vraiment intégré par les politiques urbaines de la ville, le développement du quartier de Maboneng se situe quelque part entre ces deux étapes. Mais il semble qu’aujourd’hui, l’évolution du centre-ville de la capitale sud-africaine tende vers une généralisation de la gentrification comme le décrit Neil Smith dans la troisième phase. En effet, le processus de gentrification tend aujourd’hui à évoluer dans le sens de l’économie mondiale pour devenir un véritable outil de la globalisation, se rapprochant de la définition donnée par la professeur de sociologie urbaine Tim Butler, qui le décrit comme une métaphore pour designer les changements récents des villes, de leurs économies, de leurs classes sociales et de leurs sociétés capitalistes. Une définition plus globale certes, mais

L’exemple de Palermo Viejo à Buenos Aires

1 SWYNGEDOUW, E. et KESTELOOT, C., cité dans, BIDOU-ZACHARIASEN, C. op.cit., p.12-13

2 HARVEY, D. op.cit., p.11

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Palermo Viejo est à l’origine une zone agricole située en proche périphérie de la ville. L’acquisition de Buenos Aires du rang de capitale argentine a engendré une forte croissance de la population, l’expansion notable du bâti associée ayant comme conséquence le rattachement de cette zone au centre-ville à la fin des années 1890. Pendant de nombreuses années, jusqu’en 1970, ce quartier incarne l’image d’un oasis dans la ville. Principalement résidentiel, Palermo Viejo se distingue par son patrimoine architectural rare composé de « casas chorizo », maisons longues à patio inspirées des villas romaines. On y trouve néanmoins quelques commerces de quartiers et des petites entreprises qui animent le lieu tel un petit bourg indépendant. Attirées par la centralité du quartier et la végétation abondante qui s’y trouve, des ménages d’horizons sociaux différents, s’y installent.

Cet idéal de vie urbaine est arrêté brutalement dans les années 1970 lorsqu’un processus de désindustrialisation s’amorce et appauvrit la ville de manière considérable. Le quartier de Palermo Viejo, malgré sa faible industrialisation, est fortement touché, et devient très rapidement en quartier malfamé ponctué de squats et bidonvilles, au plus grand bonheur d’un petit groupe de jeunes architectes, écrivains ou encore journalistes argentins qui, charmés par le paysage urbain, réinvestissent cet espace, rappelant de façon similaire la première phase de la gentrification new-yorkaise décrite par Neil Smith . Très peu de temps suffit pour voir émerger une vie culturelle et alternative, représentant ainsi un grand intérêt pour le reste de la ville. L’action publique, jusqu’ici absente du développement du quartier de Palermo Viejo, entre alors en jeu. Le président Carlos Menem, élu en 1989,

Buenos Aires, se transformer radicalement en l’espace d’une dizaine d’année. Palermo Viejo, quartier emblématique du centre-ville, apparaît comme un cas prospectif dans notre étude. Situé au nord-ouest du centre-ville de Buenos Aires, Palermo Viejo s’étend sur une surface d’environ 18km2 contenue dans le « barrio » de Palermo. Considéré aujourd’hui comme le quartier « branché » de la ville, le paysage urbain de Palermo Viejo s’imprègne d’une culture internationale représentée par de nombreuses tours de verre dans lesquelles des entreprises nationales et internationales ont pris place, et d’une culture locale représentée par l’habitat typique très coloré du quartier qui attire un flux massif de touristes. Les rues, saturées en espaces de ventes, sont ponctuées de restaurants ethniques, de boutiques d’ameublement design, ainsi que de magasins de marques internationales comme Nike et Adidas.

Le caractère hybride de Palermo Viejo lui a donné le statut de première place du « circuit commercial, récréatif et touristique de la ville-centre »3, et de vitrine de la ville sur la scène mondiale. Pourtant, le développement de ce quartier n’a pas toujours été animé par la production de capital comme il l’est aujourd’hui. Palermo Viejo a été pendant longtemps la scène d’une culture alternative argentine où la solidarité et le dynamisme de sa population en étaient les atouts majeurs, et où l’activité sociale primait. La régénération urbaine qui a pris place dans le quartier dans les années 2000 a gommé cette forte identité au fil du temps, valorisant ainsi un développement économique ignorant totalement les modes d’habiter précédents.

3 SCHWARTZMANN, S. « Transformations urbaines à Palermo Viejo, Buenos Aires : Jeu d’acteurs sur fond de gentrification ». Espaces et sociétés, 2009/3 n° 138, p.145

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celle de Maboneng à Johannesburg. Si les deux quartiers ne sont pas rendus au même stade de développement à l’heure actuelle, l’histoire de Palermo Viejo nous donne de nombreux indices, si négatifs soient-ils, quant au futur visage du centre-ville de la capitale sud-africaine. Les différents stades de l’évolution de Palermo Viejo ont changé un lieu chargé d’histoire au patrimoine architectural et culturel important en un un pâle quartier d’affaire standardisé, où l’absence de tout ancrage local amène à le confondre avec des quartiers d’autres villes produits par la mondialisation.

Johannesburg, capitale de la nation arc-en-ciel si particulière pour son melting-pot culturel, est-elle aussi en passe de devenir une ville mondiale privée d’identité ? Si la régénération du quartier de Maboneng aujourd’hui est composée uniquement de réhabilitations, conservant ainsi le patrimoine architectural de la ville, elle s’inspire très largement des modèle de développement des villes européenne en proposant un mode de vie complètement étranger au contexte de la ville, et révéle ainsi « un manque d’imagination de la part des décideurs qui, comme dans d’autres grandes villes d’ambition mondiale […] mettent en œuvres des stratégies de « world-class-city-isation » s’inspirant des politiques développées depuis longtemps dans les villes occidentales, sans prendre suffisamment en compte les spécificités locales »2.

Nous pouvons facilement voir à travers le cas de Palermo Viejo les possibles dérives d’un processus de régénération urbaine déconnectée de la complexité d’une ville et des attentes de sa population. Si Johannesburg semble malheureusement prendre les mêmes

applique une politique de désengagement de l’Etat et de privatisation, qui va avoir une forte influence sur l’évolution du quartier. Ainsi, de nombreuses entreprises de type tertiaires mettant « en avant le côté exclusif, l’originalité et valorisant un certain type de comportement culturel, de style de vie, et de mode de consommation basé sur les contacts directs et l’esthétisation de la consommation »1, commencent à envahir le quartier, influençant directement l’implantation de nouveaux commerces, restaurants et cafés afin de répondre aux besoins de ce type d’entreprises.

Si la privatisation de la ville de Buenos Aires a considérablement changé le profil économique et social du quartier, ce n’est qu’en 2000 que le paysage urbain de Palermo Viejo se transforme à nouveau. Le quartier commençant à être saturé par l’arrivée toujours plus massive de commerces et entreprises en tous genres, et devant faire face à un afflux massif des demandes d’implantation, la municipalité met en place un nouveau CPU (Plan d’occupation des sols argentin) , qui autorise la construction d’édifices de grande hauteur sur certaines parcelles, notamment le long des axes routiers majeurs. Ces changements attirent logiquement de nouveaux investisseurs, et contribuent à l’augmentation des prix de l’immobilier, devenus inabordables pour les résidents originaux, chassant par la même l’âme du quartier qui faisait autrefois son charme et sa popularité.

L’évolution de Palermo Viejo à Buenos Aires présente de nombreuses similarités avec

1 SCHWARTZMANN, S. op.cit., p.142

2 LIPIETZ, B., cité dans, VIVANT, E. « L’instrumentalisation de la culture dans les politiques urbaines : un modèle d’action transpos-able ? ». Espaces et sociétés, 2007/4 n° 131, p.54

directions que la ville de Buenos Aires, il reste néanmoins une composante capable de renverser la situation : l’action publique. Si dans la capitale argentine, cette dernière s’est rangée du coté du secteur privé, lui créant ainsi un terrain propice pour se développer, qu’en est-il pour la capitale sud-africaine ?

14 Les maisons typiques du quartier ©Pedro Leiria

15 Le quartier de Palermi Viejo aujourd’hui ©Chark

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chacun de leur coté différents petits projets, qui un jour, selon Jonathan Liebmann, formeront une globalité et donneront un nouveau visage à la capitale sud-africaine : « As the individual precinct and neigborhood grow, they’ll start coming closer together and eventually I think we’ll have a fully upgraded city »5. Mais quelle est la nature de ces nouveaux projets ? Sont-ils, de la même façon que le quartier de Maboneng, destinés à une certaine catégorie sociale, ou élargissent-ils l’offre du centre-ville ?

A - La tour Ponte

Construite en 1975 par l’architecte Manfred Hermer, la tour Ponte est, avec ses 54 étages de logements, la plus haute du continent africain. Située dans le quartier d’Hillbrow au nord du centre-ville de Johannesburg, elle représente à elle seule toute l’histoire de la capitale. Objet marquant du paysage urbain de la capitale, Ponte présente une forme architecturale circulaire creusée en son cœur d’un gigantesque patio sur ses 173m de hauteur. Aujourd’hui, nouveau symbole de la ville, cette tour est le support d’une enseigne lumineuse rouge faisant la promotion de l’opérateur téléphonique sud-africain Vodacom.

Lieu de résidence de la haute bourgeoisie jobourgeoise, la tour Ponte est, à l’origine,

Symbole du nouveau Johannesburg, Maboneng influence directement les autres transformations du centre de la ville. La grande médiatisation autour du projet a accru de façon exponentielle la fréquentation des rues et ruelles qui la traversent, changeant ainsi la vision négative des jobourgeois comme nous le fait remarquer Hayleigh Evans : « In Jo’Burg people talk, so the more people live here, the more people are visiting, the more people are actually coming down physically to see it »1. Ce véritable « knock’on effect »2 a pour conséquence l’arrivée de nombreux investisseurs privés qui, pris d’un regain d’intérêt soudain pour le centre-ville de Johannesburg, souhaitent, comme Propertuity, investir dans le Johannesburg de demain tant qu’il est encore possible d’en tirer un profit financier. Les grands absents de la zone restent les acteurs publics qui, depuis l’échec du développement du quartier de Newton3, ne se manifeste que par la construction d’un nouveau réseau de transport en commun voué à relier les différentes parties de la ville, ainsi que la mise en application de lois favorisant le développement des constructions privées4. Aujourd’hui, plus de 20 promoteurs immobiliers privés se partagent différents morceaux de la ville, en développant

2 - Retour en ville imminent : l’apparition de nouveaux projet phares

1 CNBCAfrica. 2012. op.cit. - Traduction : Les gens à Johannesburg parlent, donc le plus de gens habitent ici, le plus de gens visi-tent, le plus de gens viennent physiquement voir les lieux (LEFRANCOIS, Jean).

2 Terme anglo-saxon désignant les effets secondaires indirects d’une action

3 Voir encadré : L’échec du nouveau quartier de Newton (p.64)

4 Voir encadré : Urban renewal tax incentive (p.65)

5 Johnnesburg’s crime hotspot transformed to hipster hangout [en ligne], CNN. Novembre 2013. Disponible sur http://edition.cnn.com/2013/11/04/business/johannesburgs-crime-hotspot-transformed/ [consulté le 31 Mai 2014] - Traduction : Étant donné que chaque arrondissement grandit, ils commencent à se rapprocher et formeront peut-être un jour une ville entièrement rénovée (LEFRANCOIS, Jean).

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le bâtiment dans l’espoir de revendre les appartements qui le composent à une population bourgeoise noire, métisse et blanche. Pour ce faire, les promoteurs commencent par mettre en place une procédure d’expulsion de tous les résidents illégaux de la tour, puis ils développent toute une campagne publicitaire basée sur le slogan « Live Your Life », dans le but de rendre positive l’image de ce bâtiment dans l’esprit de la population jobourgeoise. Toute la ville est alors placardée d’affiches mettant en scène un couple gay en train d’aménager dans la tour ou un couple d’origine indienne surprenant leur fille dans son lit avec un homme à la peau blanche, renvoyant ainsi l’image d’une nouvelle Afrique du Sud, ouverte à tous. Mais en 2008, la crise financière qui s’abat sur le pays empêche ces deux investisseurs de mener leur projet jusqu’au bout. La tour Ponte est une nouvelle fois abandonnée.

Ce n’est que très récemment que la tour est rachetée par Kempston, un groupe privé sud-africain spécialisé dans l’immobilier et le transport. Porté par la nouvelle dynamique du centre-ville impulsée par des projets tels que Maboneng, le promoteur immobilier décide de rénover la tour afin d’offrir un bâtiment résidentiel simple et fonctionnel, loin de l’image luxueuse de ses débuts. La tour Ponte reste néanmoins une formidable affaire économique pour le promoteur immobilier comme le témoigne Edward Cotterell, représentant du groupe Kempston : « If we look at we were

uniquement réservée à une population blanche. Des triplex avec piscine, un centre commercial, une galerie, un pressing, et d’autres commodités satisfont les besoins des riches entrepreneurs, avocats ou encore médecins qui s’y installent. Mais de la même façon que le reste du centre-ville, la tour Ponte s’est vidée de ses occupants à la fin de l’apartheid6.

Le quartier d’Hillbrow situé au pied de la tour devient alors l’un des plus dangereux et criminel et la ville et du pays, et la tour elle même, ignorée par tous les investisseurs, devient le lieu le plus malfamé de la ville : « Everything bad that you can imagine, it was at Ponte »7. Alors sans surveillance, elle est investie par une population d’immigrés venue d’Afrique subsaharienne, constituée à 90% de nigériens, ces derniers ayant rejoint Johannesburg dans l’espoir d’y trouver un travail et une qualité de vie que leur pays d’origine ne leur offre pas. Toute une économie illégale basée sur la prostitution et la drogue se développe dans ce bidonville vertical, qui devient également célèbre pour les nombreux suicides qui s’y déroulent, les gens se jetant dans le creux de la tour depuis le dernier étage.

La tour Ponte reste dans ce stade végétatif jusqu’en 2007, année ou deux promoteurs immobiliers privés tentent de réinvestir

6 Voir encadré : Le déclin du centre ville de Johannesburg (p.40)

7 Vocativ. 2014. South Africa’s tower of trouble. [Vidéo en ligne]. Repéré à https://www.youtube.com/watch?v=3EIKmmSifqw - Traduction : Les pires choses que tu peux imaginer se passaient à Ponte (LEFRANCOIS, Jean).

8 Johnnesburg’s crime hotspot transformed to hipster hangout [en ligne], CNN. Novembre 2013. Disponible sur http://edition.cnn.com/2013/11/04/business/johannesburgs-crime-hotspot-transformed/ [consulté le 31 Mai 2014] - Traduction : Si on regarde ce qu’on payait avant pour une bien immobilier dans le centre-ville de Jo’Burg […] la plus part des bâtiments étaient condamnés et occupés de façon illégale […] par conséquent, les gens n’investissaient pas dans cette zone, ce qui a fait baisser les prix du marché de l’immobilier. Mais depuis peu, la valeur des biens a augmentée de manière exponentielle, et c’est le cas pour ce bâti-ment (LEFRANCOIS, Jean).

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Situé à l’ouest du centre-ville historique de Johannesburg, Newton est un des plus anciens quartiers de la capitale. Détruit en 1905 suite à une épidémie de peste puis reconstruit 5 ans plus tard, il est défini à l’époque comme garde-manger de la ville. Une central électrique, un abattoir ou encore une halle de marché marquent le paysage urbain de ce quartier, qui comme la totalité du centre-ville, connaît un fort déclin à la fin de l’apartheid. De la même façon que pour les anciennes usines du quartier de Maboneng, les bâtiments qui le composent sont squattés de nombreuses années et largement dégradés.

Ce n’est que dans les années 2000 que la ville de Johannesburg regagne de l’intérêt pour ce quartier qui présente un emplacement stratégique dans le centre-ville, entre Forsburg, quartier commerçant indien, et Braamfontein, quartier universitaire et administratif. La JDA (Johannesburg Development Agency), agence municipale en charge de mettre en œuvre les projets urbains de la ville, met en place un projet de revitalisation de quartier qui, tout comme Maboneng, se base sur la réhabilitation du patrimoine industriel du lieu et le développement d’une importante offre culturelle. Le nouveau Newton ne connait cependant pas le même succès. La JDA a pourtant utilisé les mêmes codes que Propertuity. L’implantation du musée de L’Afrique comme grand équipement public culturel a pour but d’activer l’attractivité du lieu. L’implantation de nombreuses entreprises créatives tels que des cabinets d’architectes et des agences de publicité dessine une nouvelle centralité dans le quartier. Enfin, l’ouverture de cafés et de restaurants, couplée à la rénovation des espaces publics, redonne l’image de centre-ville à Newton. Si en plan, le projet semble marcher, la réalité exprime tout autre chose. L’absence de logements dans le programme de réhabilitation est un énorme frein au développement de la nouvelle image de Newton. Le bouche à oreille ne se fait pas et les rues du quartier ont du mal à se remplir : « En termes de fréquentation, hormis les groupes scolaires, les passants sont rares. L’axe le plus fréquenté est celui qui relie le Métro Taxi Rank et le centre commercial Oriental Plaza. Cette rue devient une rue de transit, et ses usagers ne s’arrêtent pas dans Newtown, où ils n’ont rien à faire »1.

La régénération urbaine mise en place dans le quartier de Newton s’est attardée sur la mise en place d’un schéma « ville centre » copié des modèles européens sans prendre en compte les modes de vies les réels besoins de la population jobourgeoise.

L’échec du développement de Newton

1 VIVANT, E. « L’instrumentalisation de la culture dans les politiques urbaines : un modèle d’ac-tion transposable ? ». Espaces et sociétés, 2007/4 n° 131, p.59

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Face au fort déclin économique et urbain que connaissent les centres de nombreuses villes sud-africaines, ainsi qu’à la vue de l’échec probant du développement de nouveaux quartiers centraux tels que Newton à Johannesburg, le gouvernement décide de surfer sur les tendances économiques mondiales en introduisant une réforme économique basée sur la défiscalisation, comme l’ont fait de nombreux pays précédemment. Mise en place en 2004 par le ministère des finances, cette « Urban Renewal Tax Incentive » a pour but d’encourager les groupes privés à réinvestir dans le centre des grandes villes d’Afrique du Sud.

Cette loi s’applique dans 16 aires urbaines d’Afrique du Sud, dont le centre-ville de Johannesburg où se trouve le quartier de Maboneng. Tout propriétaire d’un bâtiment commercial, industriel ou résidentiel dans ces zones est en droit de recevoir cette aide de l’Etat qui se décompose en deux parties :

- Tout propriétaire qui réhabilite un bâtiment situé dans l’aire urbaine prédéfinie un an après son achat se voit être remboursé de 20% du montant des travaux par l’Etat.

- Toutes les rentes (loyers commerciaux, loyers résidentiels) issus de bâtiment réhabilités dans l’aire urbaine prédéfinie ne sont pas imposables.

Cette loi favorise donc l’investissement de groupes comme Propertuity ou Kempston qui, en plus de faire une formidable affaire immobilière, sont aidés par l’Etat, au détriment d’autres zones de la ville beaucoup plus pauvres.

Urban renewal tax incentive

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naturellement dans la tour selon des critères sociaux et raciaux. Pendant qu’une population blanche et riche occupe les derniers étages, les populations noires moins aisées occupent les étages les plus bas : « Population is black. Only a few guys are white. I have seen maybe six and they live upon the last floor 52 »2. C’est donc un résultat mitigé qu’affiche la réhabilitation de la tour Ponte, dont les prix augmentent de façon fulgurante, se transformant ainsi petit à petit en un espace dédié aux plus aisés : « If they keep on increase rent, I’m going to move out »3.

B - Le siège social d’ABSA

Ouvert en 2013, le nouveau siège social de la puissante banque national Absa prend place au nord du centre-ville de Johannesburg, non loin du quartier de Maboneng. Interloquée par le grandissant retour en ville de la population, cette banque issue du groupe Barclays, décide d’y implanter son nouveau bâtiment phare. Affichant une architecture très moderne, l’intérieur de ce bâtiment se compose essentiellement de grands open-spaces vitrés. Dans le but de s’insérer dans la nouvelle mouvance culturelle qui s’empare du centre-ville de la capitale, Absa décide de développer un concept autour de ce projet mélangeant travail, art, et développement durable.

A l’image du « 1% artistique » français qui impose aux maitres d’ouvrages à investir 1 pourcent du coût d’une commande publique dans la réalisation d’une œuvre d’art spécifique au bâtiment, la conception du siège social de la banque est issue d’une collaboration entre architectes et artistes, les architectes dessinant

paying for property in the inner city Jo’Burg […] most of property were condemned, many of the properties were illegally occupied […] so people were not investing into the area, so obviously the capital and requirement for investment was much lower. Since then though, the properties have grown exponentially with the value, so is our building here »8.

C’est donc une tout autre image que la tour Ponte affiche aujourd’hui. Le nouveau système de sécurité installé à l’entrée du bâtiment fait le bonheur de ses nouveaux résidents : « I love Ponte because of it’s security »1.Inaccessible pendant des années, le bâtiment devient une attraction touristique, surtout pour une population sud-africaine très curieuse de mettre les pieds dans l’ancienne « tour de l’enfer ». Après avoir signé à l’entrée et passé le tourniquet, les visiteurs accèdent à un appartement témoin au dernier étage de la tour duquel ils peuvent jouir d’une magnifique vue sur la capitale. Cette visite est ponctuée d’histoires sombres qui ont marqué l’histoire de Ponte, contées par un guide touristique.

Malgré ses faibles prétentions, la réhabilitation de la tour Ponte s’inscrit tout de même dans un processus de gentrification qui fait ressortir les inégalités qui ont tant marqué le pays durant l’apartheid. Le bâtiment est certes caractérisé aujourd’hui par la multiethnicité de ses résidents, mais ceux-ci se repartissent

1 Vocativ. 2014. op.cit. - Traduction : J’aime Ponte car c’est sécurisé (LEFRANCOIS, Jean).

2 Philip Bloom. 2013. Ponte Tower. [Vidéo en ligne]. Repéré à http://vimeo.com/51295174 - Traduction : Les gens ici sont noirs. Seulement quelques gars sont blancs. J’en ai déjà vu six, et ils vivent au niveau de l’étage 52 (LEFRANCOIS, Jean).

3 Philip Bloom. Op.cit. - Traduction : Si ils continuent d’augmenter le loyer, je vais devoir déménager (LEFRANCOIS, Jean).

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des espaces propices à l’exposition des œuvres d’art produites par les artistes.

C’est ainsi que nous retrouvons dans l’atrium du bâtiment un tapi d’une hauteur de 7 étages réalisé par l’artiste Norman Catherine, une sculpture composée de chaises typiques d’Afrique du Sud atteignant une hauteur de 11 mètres réalisée par le célèbre plasticien sud-africain Walter Oltman, ou encore un mobile géant représentant le vieux Johannesburg créé par Paul Cawood et Susan Woolf. Pour compléter l’offre culturelle proposée par Absa, son siège social reçoit également un musée de la banque, unique en son genre, consacrée à l’histoire de l’argent et de la banque, ainsi que l’organisation de nombreuses expositions d’art contemporain tous les moins.

Véritable ville dans la ville, le nouveau siège social de la banque se compose de nombreux bureaux qui reçoivent tous les jours plus de 3000 employés, mais également des restaurants à chaque étage, un centre de fitness et une salle de gym dans un soucis de procurer du bien-être a ses occupants. Dans un souci de protection de l’environnement, le bâtiment est doté de plusieurs systèmes tel que la récupération des eaux pluies.

L’implantation d’une telle institution financière nous indique ici que le processus de réinvestissement du centre-ville de Johannesburg est en action. En effet, si les banques misent sur le potentiel de cette zone, elles n’hésiteront pas à financer tout particulier qui souhaite investir cette zone également. Cependant les déviances artistiques du siège social d’Absa confirme les hypothèses émises par l’analyse du quartier de Maboneng et de la tour Pont : si retour en ville il y’a, alors il sera entièrement destiné aux classes moyennes et moyennes supérieures.

16 La tour Ponte ©South Africa Travel Online

17 L’intérieur de la tour Ponte ©fanwood2joburg

Depuis sa création en 1886, la ville de Johannesburg a toujours présenté une triste singularité urbaine et sociale dont elle a encore du mal à se détacher :« La ville d’apartheid était un modèle singulier d’organisation de l’espace ; la ville post apartheid calque sur ce modèle des logiques d’exclusions et d’auto-exclusion connues dans d’autres situations et dans d’autres pays »1. Néanmoins, la société sud-africaine reste très ambitieuse quant à son avenir et espère voir un jour sa capitale se placer au rang des puissantes villes mondiales.

Pour atteindre ce niveau, la ville de Johannesburg cherche à faire oublier son image très négative faite de ségrégation raciale, de violence, de criminalité et de pauvreté. A l’instar de nombreuses villes en transition, c’est sur son centre-ville abandonné qu’elle se tourne aujourd’hui, animée par des questions de densité, de mobilité et d’urbanité. Si elle ne s’implique que très peu directement dans les transformations de cette zone, elle met en place différentes lois qui incitent les groupes privés à réinvestir dans le cœur de Johannesburg. C’est dans ce cadre que Jonathan Liebmann et sa société de promotion immobilière Propertuity ont créé Maboneng. Désormais considéré comme la locomotive de Johannesburg, ce quartier est pourtant le produit d’un véritable processus de gentrification qui tend à rouvrir certaines cicatrices de l’apartheid. Serait-ce le prix à payer pour relancer l’économie du pays ?

Véritable produit de la mondialisation, Maboneng est en train de se développer selon un modèle de cluster créatif au sein duquel l’offre culturelle apparaît comme la clé de voûte d’un bon fonctionnement économique. Dans la course à l’attractivité dans laquelle Johannesburg s’est récemment lancée, la capitale sud-africaine semble ainsi jouer les mêmes cartes que toutes les autres en produisant un paysage urbain calqué sur ceux de New-York, Londres ou encore Berlin. Cette homogénéisation passe également par un « mode de consommation urbain cosmopolite global »2 et des références esthétiques mondiales qui nous permettent difficilement de distinguer les différents quartiers gentrifiés ou en cours de gentrification (VIVANT, 2009).

L’action publique encore très frileuse, la transformation de la ville est quasi-exclusivement le produit d’acteurs privés qui privilégient l’aspect spéculatif à la

Conclusion

1 GUILLAUME, P. op.cit., p.367

2 VIVANT, op.cit., p.77

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conservation du caractère particulier de son centre : les marchés informels des rues sont remplacés progressivement par des boutiques de luxe et les appartements familiaux sont transformés en open-spaces dédiés aux couples sans enfant.

S’il est indéniable que ces récents changements permettent à la ville de se créer une nouvelle identité, ce processus de transformation est-il néanmoins dérivable? Aujourd’hui, la grande hétérogénéité des populations représente l’atout majeur du pays et de sa capitale face à ses concurrentes occidentales. Un plus important investissement de l’action publique ne serait-il pas nécessaire à la production d’une ville pour tous, représentative de cette population ? Récemment réélu en mai 2014, l’ANC va-t-il prolonger sa politique de privatisation de la ville ou bien va-t-il changer de cap dans le but de produire une ville moins inégale ?

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Sources primairesOuvrages

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GRAVARI-BARBAS, M. 2013. Aménager la ville par la culture et le tourisme, Paris, Moniteur.

GUILLAUME, P. 2001. Johannesburg, géographie de l’exclusion, Paris, Karthala.

HARVEY, D. 2011. Le capitalisme contre le droit à la ville, Paris, Éditions Amsterdam.

VIVANT, E. 2009. Qu’est ce que la ville créative, Paris, Presses Universitaires de France.

Chapitres d’ouvrages

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Articles

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COLLET, A. « Le loft: habitat atypique et innovation sociale pour deux générations de ‘nou-velles classes moyennes’ ». Espace et sociétés, 2012/1, p.37-52

SCHWARTZMANN, S. « Transformations urbaines à Palermo Viejo, Buenos Aires : Jeu d’acteurs sur fond de gentrification ». Espaces et sociétés, 2009/3 n° 138, p.135-152

VIVANT, E. « L’instrumentalisation de la culture dans les politiques urbaines : un modèle d’ac-tion transposable ? ». Espaces et sociétés, 2007/4 n° 131, p.49-66

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Sources secondairesVidéos

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CNBCAfrica. 2012. Urban Renewal : Maboneng precinct – part 1. [Video en ligne]. Repéré à https://www.youtube.com/watch?v=biXV7X1LjHE

CNBCAfrica. 2012. Urban Renewal : Maboneng precinct – part 2. [Video en ligne]. Repéré à https://www.youtube.com/watch?v=xylTZgn8ItY

CNBCAfrica. 2012. Jonathan Liebmann – Founder of Propertuity – Part 1. [Video en ligne]. Repéré à https://www.youtube.com/watch?v=WekW680Tojg

CNBCAfrica. 2012. Jonathan Liebmann – Founder of Propertuity – Part 2. [Video en ligne]. Repéré à https://www.youtube.com/watch?v=VqLHNNUOI88

Gaîté Lyrique. 2013. Jobourgeois Bohèmes : la gentrification du centre-ville de Johannesburg. [Vidéo en ligne]. Repéré à http://www.dailymotion.com/video/x16thuj_jobourgeois-bo-hemes-la-gentrification-du-centre-ville-de-johannesburg_creation#from=embediframe

Philip Bloom. 2013. Ponte Tower. [Vidéo en ligne]. Repéré à http://vimeo.com/51295174

Vocativ. 2014. South Africa’s tower of trouble. [Vidéo en ligne]. Repéré à https://www.youtube.com/watch?v=3EIKmmSifqw

Smart Monkey TV. 2010. Hayleigh Evans on Johannesburg’s urban regeneration project Ma-boneng. [Video en ligne]. Repéré à http://www.youtube.com/watch?v=V29-1PXXCCE&fea-ture=youtu.be

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Table des illustrations1 Keystone/Getty Images. An apartheid notice on a beach near Capetown, denoting the area for whites only [en ligne] http://www.huffingtonpost.com/2013/12/05/apartheid-history-time-line-nelson-mandela-death-dies-dead_n_3424291.html (image consultée le 08 juin 2014)

2 Davies. 1981. The model Apartheid city, showing residential and industrial areas and central district (CBD) [en ligne] http://www.uwec.edu/geography/Ivogeler/Travel/Southern%20Africa/apartheid-models.htm (image consultée le 08 juin 2014) redessinée par Jean Lefrancois

3 Lee Pyne. Airport station, Gautrain, Johannesburg [en ligne] https://farm5.staticflickr.com/4138/4827140647_478cdf61b3_m.jpg (image consultée le 11 juin 2014)

4 Extraits du site internet de Maboneng [en ligne] http://www.mabonengprecinct.com/

5 Anilegna. 30 mars 2014. Maboneng Joburg [en ligne] https://farm8.staticflickr.com/7206/13523009435_d30276f296_o.jpg (image consultée le 08 juin 2014)

6 Extraits des internautes sur les réseaux sociaux [en ligne] https://www.facebook.com/TheMa-bonengPrecinct

7 Es Capital Partners. 20 mai 2014. The district [en ligne] https://farm3.staticflickr.com/2920/14230291645_b2d47b3bc6_o.jpg (image consultée le 11 juin 2014)

8 Vokuro627. 2 septembre 2008. Abandonned building in johannesburg [en ligne] https://farm4.staticflickr.com/3047/2939192354_a050a0518c_o.jpg (image consultée le 11 juin 2014)

9 daffonchio and associates. Revolution house [en ligne] http://www.daffonchio.co.za/pro-jectmenu/maboneng/revolutionhouse.aspx (image consultée le 08 juin 2014)

10 daffonchio and associates. Revolution house [en ligne] http://www.daffonchio.co.za/pro-jectmenu/maboneng/revolutionhouse.aspx (image consultée le 08 juin 2014)

11Franck Haymann. 22 juillet 2007. Mandela square - Sandton - Johannesburg [en ligne] https://farm2.staticflickr.com/1279/868719328_7df68d0b6c_o.jpg (image consultée le 11 juin 2014)

12 South African Tourism. 24 octobre 2013. Museum of African Design in Maboneng Precinct, Johannesburg [en ligne] https://farm8.staticflickr.com/7391/10471099314_67e6af123d_o.jpg (image consultée le 11 juin 2014)

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13 Noel Y.C. 2 mai 2009. Mercer street, SOHO, New York City [en ligne] https://farm4.staticflickr.com/3042/3557616443_f5ea3012d1_o.jpg (image consultée le 08 juin 2014)

14 Pedro Leiria. 1 octobre 2012. Palermo Viejo (Palermo Soho) [en ligne] https://farm9.static-flickr.com/8316/8061760703_6551853b68_o.jpg (image consultée le 11 juin 2014)

15 chark. 22 mars 2008. Palermo Viejo [en ligne] https://www.flickr.com/photos/charck/2371241121/sizes/m/in/photolist-4BxenB-4BBv1s-7JC9nJ-57BMh1-4YwynV-fdWuaT-4Wqkbp-dhoCoa-dhoChX-dhoDgC-dhoCwR-dhoC8D-dhoBLD-dhoCtc-dhoD3G-dhoCTh-dhoDk7-dhoCfT-dhoCCa-dhoCVs-dhoDeG-dhoDof-4W7MEz-4W7MNx-PZty-pSq34-4Z5xHQ-4b52iQ-4b52nE-dhoD21-dhoCAc-4BBoxQ-6SWhYh-6SWhYm-6SWkNh-6SWkNm-6ufSLq-4ZTgJv-26y3vE-4qQ2Sf-6Z3Mmz-6wckD9-pExU2-5EufLz-rqaRm-bmMgM-a3V9NG-4b51ME-4MwyC7-u3zzR/ (image consultée le 08 juin 2014)

16 South Africa Travel Online. Hilbrow Johannesburg [en ligne] http://www.southafrica.to/provinces/Gauteng/towns/Johannesburg/suburbs/Hillbrow/images/201304/web/Ponte-Hill-brow-LARGE.JPG (image consultée le 08 juin 2014)

17 Spach Los. 12 novembre 2011. Ponte Tower [en ligne] https://farm8.staticflickr.com/7347/9034863455_2c264205a9_o.jpg (image consultée le 11 juin 2014)

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Jean Lefrancois - UE 84 - DE1 Mémoire des villes, récit de ville - Amélie Nicolas - Ensa Nantes 2014