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JOSEPH CALMETTE

NAPOLEON

Napoléon aimait à dire : " Charlemagne, notre illustre prédécesseur...

Le livre qui paraît aujourd'hui renouvelle complètement l'histoire de Napoléon, grâce à la comparaison constante avec l'histoire du IX siècle. Les réussites obtenues et les fautes commises prennent, de ce fait, la plénitude de leur sens. C'est que ces " deux géants de l'histoire " ont accompli, au fond, œuvre identique: conquêtes de vastes espaces, organisation intérieure, élan donné à une civilisation. Mais il y a plus.

de l'œuvre napoléonienne — comme celle de l'œuvre carolingienne — est saisissante. De quoi s'agit-il, au fond, en effet? Il y a plus de mille ans, il y a cent cinquante ans, aujourd'hui encore, sous le couvert de modalités différentes, le problème fondamental est substantiellement identique :

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Joseph Calmette de l'Institut

N A P O L É O N

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N A P O L É O N I

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OUVRAGES DU MÊME AUTEUR

LA SOCIÉTÉ FÉODALE, Paris, A. Colin. FRANÇOIS RUDE, Paris, Floury. LE GRAND RÈGNE DE LOUIS XI, Paris, Hachette. LES DERNIÈRES ÉTAPES DU MOYEN AGE FRANÇAIS, Paris, Hachette. CHUTE ET RELÈVEMENT DE LA FRANCE SOUS CHARLES VI ET CHAR-

LES VII, Paris, Hachette. CHARLEMAGNE, SA VIE ET SON ŒUVRE, Paris, Albin Michel. L'EFFONDREMENT D'UN EMPIRE ET LA NAISSANCE D'UNE EUROPE,

Paris, F. Aubier. CHARLES V, Paris, Fayard. JEANNE D'ARC, Paris, Presses Universitaires. LA FORMATION DE L'UNITÉ ESPAGNOLE, Paris, Flammarion. LES ROIS DE FRANCE, Paris, Stock. L'EUROPE ET LE PÉRIL ALLEMAND, 843-1945, Paris, F. Aubier. ÉTUDES MÉDIÉVALES, Toulouse, Privat. AUTOUR DE LOUIS XI, Éditions de Fontenelle. HISTOIRE DE L'ESPAGNE, Paris, Flammarion. LE RÉVEIL CAPÉTIEN, Paris, Hachette. LE REICH ALLEMAND AU MOYEN AGE, Paris, Payot. LES GRANDS DUCS DE BOURGOGNE, Paris, Albin Michel. LA TRILOGIE DE L'HISTOIRE DE FRANCE, I. LE MOYEN AGE ;

II. L'ÈRE CLASSIQUE ; III. LEs RÉVOLUTIONS, Paris, Fayard.

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JOSEPH CALMETTE de l'Institut

N A P O L É O N I

ÉDITIONS DE PARIS 20, AVENUE RAPP

PARIS - VII

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Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays.

COPYRIGHT BY LES ÉDITIONS DE PARIS, 1952.

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CHAPITRE PREMIER

L'ILE NATALE

Dans le vieux quartier d'Ajaccio, derrière une petite place qu'ombragent des acacias, circule une étroite ruelle qui, malgré sa modestie, attire invinci- blement le visiteur : ce visiteur eût-il passé la mer par unique souci touristique, fût-il médiocrement sensi- ble aux évocations du passé, fût-il préoccupé surtout de découvrir, à son tour, les splendeurs si légitime- ment vantées de « l'Ile de Beauté ».

Dans cette humble ruelle, il n'est Français ou étranger qui ne se recueille un instant et qui ne mé- dite devant la casa Bonaparte.

C'est une demeure aux lignes sévères, aux vastes pièces, — sans grand caractère, d'ailleurs — mais qu'une naissance illustre entre toutes suffit à mettre hors de pair.

Le grand événement qui s'est accompli derrière ces murailles est signalé à l'attention du passant par une plaque de marbre sur laquelle se lit cette brève inscription, singulièrement éloquente en sa simpli- cité :

NAPOLÉON EST NÉ DANS CETTE MAISON

LE XV AOUT MDCCLXIX

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Ce fut, en effet, par une matinée de fête mariale que, se hâtant au sortir de la grand-messe, la mère de celui qui devait régner sur la France mit au monde l'enfant prédestiné. Il naquit sur le canapé vert que l'on montre aux curieux dans le salon de la casa, et non, comme l'a prétendu une légende tendancieuse et fantaisiste, sur un tapis où étaient figurés les com- bats de la Guerre de Troie.

Quinze mois, jour pour jour, s'étaient à peine écou- lés depuis que la Corse était devenue officiellement terre française.

L'île avait été annexée, à la vérité, sans son aveu ni son assentiment.

Un traité franco-gênois, signé en bonne et due for- me à Versailles, le 15 mai 1768, avait consacré un ac- cord passé entre le Roi Très Chrétien et la Républi- que de Gênes qui s'était octroyé jadis et détenait en droit la suzeraineté sur cette île traditionnellement réfractaire à toute intrusion du dehors. Le traité de Versailles avait donné une conclusion laborieuse à des pourparlers amorcés déjà par le cardinal de Fleu- ry, le plus remarquable des ministres de Louis XV ; il avait été mené à bien par le dernier des grands mi- nistres du règne, le duc de Choiseul : les deux hommes d'État à qui nous devons aussi la Lorraine.

En vertu du contrat de 1768, notre vieille monar- chie, à son déclin, s'enrichissait donc de cette nou- velle « province », que lui cèdait la « Cité de Marbre », moyennant, il convient de l'ajouter, d'assez lourds sacrifices financiers consentis par un Trésor royal déjà fort obéré.

Un achat, en somme, tout simplement, et que jus- tifiait principalement, aux yeux de notre gouverne-

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ment, l'avantage de faire échec à une Angleterre toujours jalouse et hostile, en lui interdisant une po- sition stratégique de choix en Méditerranée.

Le marchandage, de toutes façons, était patent. Comment n'eût-il pas indigné la fierté proverbiale des Corses ? Comment leur attachement passionné à leur sol ne se fût-il pas rebiffé devant cette manière indiscrète de disposer de leur sol et de leurs person- nes comme s'il se fût agi de biens sans âme, de choses qui se troquent à volonté et qui changent de proprié- taire au gré des combinaisons ténébreuses de la di- plomatie ou des sordides calculs de l'intérêt ?

Les Corses du XVIII siècle ne pouvaient avoir la prescience de l'avenir. Ils ne pouvaient se douter qu'après tant de siècles écoulés, après tant de péri- péties dramatiques au cours desquelles leur pays s'était débattu sans arrêt, passant d'une domination à une autre sans trouver chez aucun de ses tyrans successifs un foyer habitable, voici qu'une piace définitive venait de leur être assignée, et, justement dans le cadre d'une Nation puissante, vivante, à la veille d'une profonde rénovation ; dans une France dont la carte, œuvre des siècles, avait l'aspect d'une riche mosaïque aux nuances complémentaires, où chaque pièce, loyalement respectée, était pieusement maintenue en sa plus intime originalité et gardait ses caractères ancestraux sans compromettre si peu que ce fût la solidité de l'ensemble : cette France, résultante historique unique au monde, réussite sans précédent et sans analogue, où l'unité de la grande patrie trouve son prestige rayonnant et sa résistance infrangible, même aux jours les plus sombres, dans la diversité des petites patries. Pour celle qui vient

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de rejoindre involontairement ses sœurs, une fermeté à la fois souple et compacte assurera, quoiqu'il ad- vienne par la suite, la force, la noblesse et la sécurité de tous.

Or, si Gênes avait fini par consentir à vendre la Corse, c'est uniquement parce que ses dirigeants avaient constaté, par expérience, l'impossibilité radi- cale de retenir l'île dans leur obédience. De fait, terre et habitants leur avaient échappé. Les patriotes soulevés avaient pratiquement érigé leur pays en État séparé, grâce surtout au superbe allant et aux qualités manœuvrières du « général » des insurgés : Pascal Paoli.

Paoli a été, comme l'avait été Vercingétorix dans la vieille Gaule face à César, comme le sera Abd el- Kader en Algérie face à la monarchie de juillet, l'in- carnation d'un grand espoir. Comme ses émules, il s'est couvert de gloire ; mais, à tout prendre, il a, comme eux aussi, desservi ceux-là mêmes qu'il croyait servir. Comme la romanisation de la Gaule a contribué efficacement à « faire » la France, comme la colonisation a valu sa fortune et son lustre à la terre algérienne, le rattachement de la Corse à la France a ouvert à ses fils les voies de leur destin.

Le mérite personnel de ces champions malchan- ceux n'en saurait être diminué. Paoli, en particulier, a été non seulement un étonnant meneur d'hommes, d'une vaillance égale à sa loyauté, d'une activité omniprésente et entraînante, d'une attirance presque magnétique, mais encore ce soldat dans l'âme s'était révélé homme d'État, esquissant pour la Corse arra- chée aux Gênois un régime sui generis, dont il était la tête, et où l'on découvre à la fois certaines antici-

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pations libérales de la proche Révolution française et certaines anticipations autoritaires, de celles qui conduisent au gouvernement personnel.

Une si audacieuse construction politique n'avait guère de chances de durée au XVIII siècle. Paoli avait pu se donner les loisirs de l'édifier en évinçant les Gênois. Mais, après le traité de 1768, il ne lui était pas possible de jeter à la mer les troupes du Roi Très Chrétien. Les offres faites par Versailles au « Général » en vue de liquider l'aventure à l'amiable se heur- tèrent de sa part à un farouche et intransigeant nationalisme ; mais le dénouement était inévitable : la France ne pouvait qu'avoir le dernier mot. En bref, le gouvernement royal pacifia sa nouvelle possession par la force. Paoli se vit finalement obligé à chercher un refuge à Londres : il n'abdiquait rien, pour autant, de ses convictions ; il gardait, dans l'exil, l'espoir tenace qu'une nouvelle tentative pourrait, quelque jour, à la faveur de quelque conjoncture propice, mettre un terme à cette mainmise française dont il ne voulait voir que le blessant arbitraire initial et dont il méconnaissait les fécondes pro- messes.

Parmi les nombreuses maisons d'Ajaccio où l'on avait suivi de près les hauts et les bas de la carrière de Pascal Paoli figurait la casa Bonaparte.

Les Bonaparte (Buonaparte en dialecte corse, mais la forme légèrement francisée du nom est trop univer- sellement consacrée pour ne pas prévaloir de façon exclusive) étaient issus d'une noble lignée dont les généalogistes suivent les degrés descendants sans

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lacunes depuis un François de Bonaparte, qui fut un notable estimé du XVI siècle. L'écu traditionnel dont il avait le légitime orgueil portait de belles armes : un écusson de gueules à deux fasces et deux étoiles d'argent.

Le père de Napoléon, Charles-Marie Bonaparte, avait été fidèle à Paoli dans sa lutte contre Gênes ; depuis la fuite du héros, il s'était rallié à la France et il était revenu habiter de façon permanente la casa d'Ajaccio.

Charles Bonaparte était homme de robe, non d'épée. Il était avocat. Bien doué pour sa profession, il était plutôt modeste et dépourvu d'ambitions. Marié à Marie-Letizia Ramolino depuis le 1 juin 1764, jour où le mariage des deux époux avait été béni en la cathédrale d'Ajaccio, il avait eu d'elle, après trois premiers enfants morts en bas-âge, un fils, Joseph, qui avait reçu le nom de son grand-père paternel. Napoléon avait suivi, et bien d'autres après eux. Le tableau généalogique dont s'accompagne obligatoirement le présent chapitre résume les pré- cisions indispensables à cet égard. Il fait ressortir notamment que Joseph Bonaparte, le grand-père, était lui-même neveu d'un Napoléon Bonaparte, auquel le futur empereur est redevable de son pré- nom, et neveu aussi d'un Lucien Bonaparte qu 'on appelait « Monseigneur » car il était entré dans les ordres et il était bénéficiaire d 'un archidiaconat.

Letizia, elle, avait un tout autre tempérament que son mari. Tandis que Charles laissait volontiers aller les choses, peu soucieux de ses intérêts pourvu qu'il parvînt à nouer plus ou moins difficilement les bouts, la mère de Napoléon était, au sens le plus large et

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le plus honorable du terme, une maîtresse-femme. « Ma mère était belle comme les amours », a dit

Napoléon lui-même. Cette mère si tendrement aimée avait, en effet, toutes les qualités physiques et aussi toutes les vertus morales qui retiennent l'attention. Les représentations que nous avons de Marie- Letizia Ramolino, par le ciseau, le pinceau ou le crayon, justifient l'appréciation flatteuse du plus illustre de ses nombreux enfants. Çhaudet en a fait le buste. Il a finement traduit les traits de sa dix- huitième année. Posé sur un cou délicat, le visage, qui est d'un ovale très pur, se fait tout d'abord re- marquer par le front haut et droit, celui des modèles classiques ; la bouche est parfaitement dessinée, le nez a le type aquilin, et, si la douceur se révèle dans l'eurythmie de ces lignes, le menton saillant apporte la preuve d'une tenace énergie. Un bon dessin de Deveria, aux Estampes de la Bibliothèque Nationale, respire surtout l'intelligence. La grande qualité de cette femme d'élite, qui fut charmante en la pleine fleur de sa beauté, a été un admirable, un impertur- bable bon sens ; et, à côté de ce bon sens qui, à ce degré éminent, éclaire la parole et qui guide l'action, s'affirme cette dignité sans affectation qui, d'emblée, en impose. Peu instruite, ne sachant du français que quelques mots que lui avait appris son beau-père Fesch, le second mari de sa mère, Letizia patoisait et elle ignorait les livres ; mais son intuition était vrai- ment surprenante. Par-dessus tout, elle était d'un jugement très sûr. Tout conspire pour nous donner l'impression que cette mère de famille a vu clair tout au long de la prodigieuse aventure de son fils préféré. Aussi Napoléon a-t-il pu dire d'elle sans

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tomber dans la complaisance : « Ma mère est capable de gouverner un royaume. » Il a dit encore : « C'est à ma mère que je dois ma fortune. » Michelet ne s'est pas trompé et ce n'est pas sans raison valable que le grand historien a prononcé sur l'Empereur ce verdict qui porte loin : « Corse, l'image de sa mère, il eut toujours pour fond du fond Madame Letizia. »

Ce n'est pas à dire cependant que le grand homme ne doive rien à son ascendance paternelle. Certaines qualités viriles, particulièrement le goût ardent de l'action, lui viennent apparemment, sinon de Charles Bonaparte lui-même, du moins, à travers lui, de la souche des Bonaparte.

Tandis que la casa est de plus en plus bourdonnante d'enfants, le père de famille devient, d'avocat, greffier. Sa paresseuse nonchalance, son aspiration à la vie facile, trouvent satisfaction à ce rôle qui n'est certes pas une sinécure, mais qui n'exige pas une constante dépense d'initiative et de personnalité. Seulement, les profits sont restreints. La gestion des biens patrimoniaux est, d'autre part, plus molle, sans doute, qu'il ne conviendrait pour les faire valoir, en dépit du mal que se donne Letizia pour seconder son mari ou suppléer à sa carence. La vie, à la casa, devient pénible. De surcroît, Napoléon est peu facile à mener. Son enfance rappelle, par bien des traits, celle d'un autre de nos grands hommes de guerre, le Breton Bertrand Duguesclin, gloire militaire de notre XVI siècle. Peut-être le second fils de Charles Bona- parte a-t-il été un peu trop élevé dans la rue ? La discipline d'un père sévère, en tout cas, a fait défaut, malgré le correctif que s'efforçait d'apporter une mère trop absorbée par les soins du ménage pour

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faire de près l'éducation de cette trolée d'enfants. L'expression est du père en personne. Le futur conquérant a dit lui-même : « J'étais querelleur, lutin ; je ne craignais personne, je battais l'un, j'égra- tignais l'autre. » Le placide Joseph, son aîné, était son souffre-douleur le plus habituel.

Charles Bonaparte se contentait de travestir plai- samment la forme abrégée du nom de l'espiègle, Nabulio en dialecte corse, et d'y substituer Rabulio. Cependant, si rageur ou si insoumis qu'il fût, Rabulio avait bon cœur, et non seulement pour les membres de sa famille, qu'il devait si généreusement combler plus tard, mais aussi pour sa nourrice, dont il con- vient que l'histoire ne laisse pas perdre le nom : Camilla Hilari.

Cependant, l'heure est venue de songer aux études. La combativité de Napoléon ne laisse point de choix. La carrière des armes s'impose pour lui. Sa vocation, au surplus, s'affirme à toute occasion.

Malgré la lourdeur du sacrifice, il faut pousser cette instruction qui s'annonce brillante : l'enfant a de bonne heure révélé des dons exceptionnels. Sa vive intelligence ne saurait se satisfaire que dans des éta- blissements dignes de lui. Il est, pour son début, envoyé en pension chez les Pères d'Autun. Ses quar- tiers de noblesse authentiquement prouvés lui assurent ensuite une place au collège militaire de Brienne. Sous Louis XV et Louis XVI, de bons ministres de la guerre ont réorganisé les centres d'enseignement militaire de la monarchie : le comte d'Argenson, le comte de Saint-Germain et aussi le

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grand technicien de l'artillerie, Gribeauval. Déjà Napoléon a commencé à étonner ses maîtres. On a souvent répété le mot prophétique de l'un d'eux : « Il ira loin si les circonstances le favorisent. » On a moins fréquemment cité cette appréciation d'un autre de ses professeurs jugeant son style : « du granit chauffé au volcan ». Seul, le professeur d'allemand donne une note discordante et ne voit en lui qu'une « bête ». Napoléon, à la vérité, n'aura jamais aucun goût pour les langues et ne parlera passablement aucun idiome étranger. Il négligera non moins obsti- nément son écriture, qui restera détestable, malgré les efforts du consciencieux et bienveillant maître qui a tout tenté pour le convertir à la calligraphie.

A quinze ans, le jeune Corse entre comme cadet- gentilhomme à l'École militaire du Champ-de-Mars, à Paris. La façade, très dix-huitième de l'édifice garde encore dans ses lignes évocatrices les caractères majestueux du milieu du siècle et la marque per- sonnelle du grand architecte Gabriel.

Pesante charge, pour la casa Bonaparte que celle d'entretenir Rabulio en un tel milieu ; poids d'autant plus difficile à équilibrer que Joseph est devenu étu- diant à l'Université de Pise, tandis que leur sœur Marie-Élisa commence ses classes au pensionnat de jeunes filles de Saint-Cyr. Des traces de demandes de secours, formulées par Charles Bonaparte, ont été retrouvées dans les archives. Il ne semble pas que la famille ait été efficacement aidée. Napoléon se voit réduit à observer une parcimonie étroite, à ménager au maximum les rares écus paternels. Il souffre de cette disette : sa pauvreté lui paraît d'autant plus humiliante qu'elle est éclaboussée par l'opulence de

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trop de fils de courtisans, ses condisciples. Ce con- traste entre ce qu'il peut et ce que se permettent les autres assombrit le jeune homme. En revanche, ses réflexions moroses fouettent son ardeur. Il se réfugie dans l'étude. Il comble par des lectures, par des recours aux textes antiques ou modernes, les lacunes d'un programme qu'il juge avec raison trop peu historique. Le jeune Corse est un travailleur acharné. Le vœu secret de parvenir quoiqu'il advienne le talonne sans cesse.

Les anecdotes abondent sur la vie scolaire de Napoléon à ses stades successifs. Camarades et juges s'émerveillent de ses réussites éclatantes, surtout en mathématiques, de ses répliques vigoureuses, de la pénétration de son esprit, du don qu'il possède de trouver des formules à l'emporte-pièce pour l'ex- pression de sa pensée. Au demeurant, Rabulio est toujours peu malléable. Les punitions qu'il encourt le mettent hors de lui. On cite la riposte qu'il a lancée à onze ans à un des maîtres qui, devant l'obstination de sa dignité offensée, lui disait, de guerre lasse, « qui êtes-vous donc ? » Et le Corse de répliquer : « Un homme !... »

La mort de son père survient le 24 février 1785 ; Charles Bonaparte, inquiet sur sa santé, s 'était rendu à Montpellier pour recevoir les soins de cette Faculté célèbre. Il succomba néanmoins à son mal sur le continent : un squirre de l'estomac, semble-t-il. Il fut inhumé à Saint-Leu-la-Forêt. Les cendres ne devaient être ramenées à Ajaccio qu'en 1951, au cours de solennelles et émouvantes cérémonies.

Letizia, devenue veuve, avait rappelé Napoléon pour l'aider à débrouiller la succession paternelle,

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fort confuse. Il fit de son mieux ; mais ses études l'obligeaient à réduire au minimum son séjour à Ajaccio. La situation aggravée de la famille ne saurait rendre que plus lancinante la hantise de réussir au plus vite. Napoléon, de retour à Paris, habite, trois mois durant, le minable Hôtel de Cher- bourg. Puis, frais émoulu de l'École, il va prendre possession de son premier grade : une phase nouvelle de la vie du futur empereur est commencée : il sera décidément au service du Roi.

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CHAPITRE II

AU SERVICE DU ROI

Les exceptionnelles qualités de mathématicien dont le jeune Bonaparte avait fourni tant de preuves et l'extraordinaire vivacité de son esprit l'avaient tout de suite désigné pour être classé dans l'artillerie. Aussi, au mois d'octobre 1785, au sortir de l'École du Champ-de-Mars, avait-il été affecté au Régiment d 'artillerie de la Fère. Sa première garnison, qui fut Valence sur le Rhône, fut brève, et, seize mois plus tard, au retour d'une permission, il rejoignait une deuxième garnison, qui fut Auxonne, en attendant de revenir une seconde fois à Valence, en 1791.

L'artillerie était réputée l'arme savante par excel- lence parmi les corps dont se composaient les forces militaires de notre Ancien Régime. Nous avons eu déjà l'occasion de relever le nom de Gribeauval. A dire vrai, Jean-Baptiste Vaquette de Gribeauval avait accompli une œuvre de primordiale importance, sous les auspices du ministre Choiseul : connaisseur des armes étrangères, ayant étudié à fond les instru- ments de guerre de l'Autriche et de la Prusse, il avait été, dans toute la force du terme, le rénovateur de notre canon. L'admiration qu'avait suscitée l'outil perfectionné dont il avait su doter notre pays fut telle que ni les dernières années du XVIII siècle ni les

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premières années du siècle suivant ne songèrent à en modifier les données. Auxonne, sur la Saône, appartenait au « duché » de

Bourgogne, mais faisait sentinelle à la lisière de la Franche-Comté qui avait longtemps fait partie des « terres d'Empire ». La modeste place où Napoléon venait servir le Roi était la capitale d'un « pays d'États », c'est-à-dire d'un de ces centres provinciaux où se concrétisait le mieux le patriotisme local. Ces « pays » particuliers de la vieille France gardaient avec amour leurs institutions propres. Ceux qui pouvaient parler de leurs « États » étaient, entre tous, les plus fiers : car les Assemblées qu'on dési- gnait de ce nom ne laissaient rien prescrire, ni de leurs rites impressionnants aux grands jours des réunions solennelles, ni de leurs multiples et minutieuses pré- rogatives.

Ceux d'Auxonne se prévalaient en outre d'un sou- venir hautement mémorable.

Comment aurait-on pu oublier sur la Saône une page glorieuse entre toutes de l'histoire locale au XVI siècle ? En ce coin de terre qui avait été si long- temps une marche, l'assaut lancé par les Comtois, vassaux de Charles-Quint, avait été arrêté net au lendemain de la rupture du traité de Madrid de 1525.

De tels épisodes, jalousement commémorés dans les Annales de la petite ville, lui conféraient une dignité singulière et l'atmosphère n'en est pas même aujourd'hui entièrement évaporée. Bonaparte, qui avait noué des relations avec plusieurs familles notables de la place, ne paraît pas avoir été sensible à ce charme discret, bien qu'encore perceptible, de la modeste ville où s'était située sa seconde garnison.

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Ce n'est pas qu'il fût sourd aux résonances des temps abolis. Bien au contraire. Les siècles écoulés l'attiraient. Mais, s'il s'était lancé, comme il l'a dit lui-même, « à la conquête de l'histoire », il voyait celle-ci sous l'angle de l'avenir plutôt que sous l'angle du passé. Il y cherchait non des vibrations sentimen- tales à savourer ou des gloires à couvrir de fleurs, mais des leçons positives à appliquer, des maximes à incorporer à l'expérience quotidienne.

Il était un acharné liseur, à Auxonne, comme à Valence. Mais il lisait pour s'instruire, il lisait pour former et meubler son esprit.

Nous l'avons déjà fait observer, l'une des lacunes les plus certaines des écoles militaires réorganisées sous Louis XV était de n'accorder à l'histoire qu'une portion congrue. On n'y étudiait pas, notamment, d'une façon assez approfondie et assez méthodique les campagnes des grands capitaines d'autrefois. Bonaparte eut à cœur de suppléer, pour sa part, à ces insuffisances. Autant que les documents qui lui furent accessibles le lui permirent, il fit, à son propre usage, cette analyse à fond qu'on exige aujourd'hui de tous les spécialistes du commandement. Il s'efforça de reconstituer ce qu'avaient été, sur le terrain, les opérations des grands hommes de guerre de tous les temps, anciens ou modernes. Et certes, il est aisé de comprendre — sinon de mesurer au juste, faute de précisions suffisantes — à quel point une telle étude, tendue, tenace, éclaircie des incomparables res- sources d'un esprit tel que le sien, a contribué à mûrir celui qui s'apprête à devenir le maître de la science stratégique.

En dehors de l'histoire militaire, qu'on peut dire

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pour lui discipline professionnelle, Napoléon, sans rien négliger, oriente de préférence ses lectures dans le sens politique et social. Il s'assimile les anciens ; il s'informe des antiquités grecques et romaines ; il se renseigne sur l'Orient, sur l'Égypte ; son éclectisme fait son profit de tout, sans exception, mais il se plaît particulièrement aux Vies de Plutarque, il admire les leçons d'héroïsme de Corneille, il goûte la logique entraînante de Montesquieu, et surtout, il se passionne pour les écrits de ceux que le XVIII siècle appelle « les philosophes », ceux qui ont préparé l'éclosion de ce renouveau qui s'annonce, qu'on sent monter de jour en jour et qui est à la veille d'éclater en effet sous la forme dramatique de la Révolution. Il n'est pas sans intérêt de remarquer au passage que, parmi les auteurs favoris du lieutenant d'Auxonne, Raynal semble avoir eu une place considérable, égale peut-être à celle de Rousseau ou à celle de Vol- taire. L'abbé Raynal, qui a fait plus que tout autre de ses émules appel à l'histoire, et qui a été, de beaucoup, le plus lu de nos « philosophes » dans l'Amérique du Sud — au point que ses œuvres com- pactes et vigoureuses ont, pour ainsi dire, présidé à l'émancipation des colonies espagnoles — a exercé, sur la génération à laquelle appartient le futur empe- reur, une action puissante, et qu'on n'a pas mise toujours à son rang.

Entre temps, Napoléon garde le contact avec la famille. Plusieurs voyages en Corse coupent ses pre- mières garnisons. Le lieutenant d'artillerie, certes, n'est plus à charge à sa mère ; mais il souffre de ne pouvoir lui venir en aide comme il le voudrait. La maigre solde qu'il touche — 800 livres annuelles au

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point de départ et 120 d'indemnités — l'oblige à une attention de tous les instants pour faire face aux dépenses indispensables.

Le plus grave, c'est que les perspectives d'avenir sont des plus restreintes. Suppléer aux études offi- cielles par un labeur acharné ne suffira sans doute pas, le jour venu, à faire tomber les barrières que les préjugés dressent sur le chemin d'un officier sans fortune. Les quartiers de noblesse qui ont ouvert au fils du greffier d'Ajaccio les portes de l'École mili- taire ne lui assureront pas l'accès des hauts grades de la hiérarchie que les habitudes de la cour réservent ostensiblement et de plus en plus exclusivement, semble-t-il, à une aristocratie très fermée.

En vérité, la « douceur de vivre » dont parlera un jour ce Talleyrand, qui après avoir été un des prota- gonistes de la Révolution deviendra un ministre de l'Empire, n'est plus, aux abords de 1789, que l'apa- nage d'une infime minorité : le privilège des grands favoris, des grands seigneurs, celui des habitués de Versailles ou de Trianon. Compagnies et régiments vont au clan de ces profiteurs sans vergogne qui se font un jeu de puiser dans la caisse des pensions, cette caisse dont le roi dispose sans contrôle et dont l'hémorragie ne fait que s'accélérer quelle que soit par ailleurs la détresse des finances publiques.

Napoléon s'attriste des obstacles auxquels il va bientôt se heurter. Il ne pressent que trop bien les difficultés avec lesquelles les conditions matérielles où se débat sa famille le mettront fatalement aux prises. Comment, dès lors, ne serait-il pas de plus en plus

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séduit par certaines de ses lectures ? Comment ne serait-il pas attiré par les penseurs hardis qui re- jettent les préjugés et préconisent l'abolition de tous les privilèges ? Comment les prodromes de cette

« révolution », que l'on pressent, ne feraient-ils pas tressaillir le cœur ardent de celui qui est et demeure

toujours Rabulio ? Déjà des troubles, causés par la situation écono- mique de jour en jour plus troublante — notamment en raison de la pénurie des grains — ont éclaté ; des émeutes sanglantes ont eu lieu sur plusieurs points du royaume. La Bourgogne n'a pas été épargnée et les contrecoups des désordres, si vite qu'ils aient été réprimés, se sont fait sentir, forcément, à Auxonne.

Napoléon est très vivement impressionné par ces signes avant-coureurs. Aussi les conséquences immé- diates de la convocation des États-Généraux lui ouvrent-ils des horizons que sa clairvoyance ne sau- rait sous-estimer. Il dit à son chef, le major La Bar- rière, dès 1789 : « Les Révolutions sont un bon temps pour les militaires qui ont de l'esprit et du courage. » Voilà une formule qui va loin. Celui qui, selon sa manière, a su la frapper en médaille ne manquera pas d'en faire, le jour venu, l'application à son profit.

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CHAPITRE III

DANS L'AMBIANCE RÉVOLUTIONNAIRE

Plus encore que le stratège et le conquérant qui a promené le drapeau tricolore et frappé les coups fulgurants de sa science militaire d'une extrémité à l'autre de l'Europe, Napoléon, grâce d'ailleurs à ses victoires, s'est fait le propagateur des principes fon- damentaux de cette Révolution dont — nous venons de le voir — il avait salué l'éclosion dès son aurore. Il en a semé partout sur son passage les idées direc- trices, les idées d'avenir. Il en a complété, il en a discipliné les institutions. Alors même qu'à certains égards il a semblé réagir contre les hommes de la Révolution, il en a recueilli les institutions maîtresses; il les a fait pénétrer en profondeur, et non seulement' chez nous, mais au-delà de nos frontières, jusque dans les pays les plus réfractaires à notre esprit, jusque dans les pays demeurés ou redevenus nos ennemis, et il leur a inculqué le meilleur des nouveautés qui font, malgré bien des fautes commises, l'impérissable gloire de ceux que leurs admirateurs aiment à nommer « les grands Ancêtres ».

C'est pourquoi l'on ne saurait se dérober à la néces- sité de retracer ici, en raccourci, les lignes maîtresses de la tourmente révolutionnaire vue sous l'angle de ce qui doit assurer sa survie. L'intelligence de l'œuvre

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napoléonienne, considérée dans son ensemble, l'exige inéluctablement. Aussi bien ne pourrait-on nier que le Consulat et l'Empire, en dépit de certaines apparences contraires, ont continué, en réalité les phases mouve- mentées de la période précédente : les maillons s'ajoutent aux maillons pour composer la chaîne de nos destins, cette chaîne dont les anneaux, si différents d'aspect qu'ils soient à première vue, s'harmonisent et se soudent entre eux avec la cohérence qui fait la continuité impressionnante de notre histoire natio- nale, la plus rectiligne, la plus homogène, la plus lo- gique de toutes les histoires. Napoléon a dit un jour : « Depuis Clovis jusqu'au Comité de Salut Public, je me tiens solidaire de tout. » On ne saurait mieux exprimer une vérité première, une des vérités les plus éclairantes de notre passé. La France, « cette personne », comme disait Michelet, a subi, de même que les individus au cours de leurs vies, des vicissi- tudes fort diverses ; elle est restée cependant constante et fidèle à elle-même. Elle n'a eu, quelles qu'aient été les péripéties successives de ses annales, qu'une conscience : tout justement le reflet de sa personnalité profonde forgée par les siècles.

Disons-le donc sans ambages : c'est surtout pour avoir été au moment de cette conscience nationale que Napoléon a été et reste grand.

Tel, avant lui, Charlemagne, dont nous le verrons se réclamer. Comme le grand Carolingien, la faillite d'un empire si retentissante soit-elle ne doit pas faire illusion. Dans les deux cas, malgré l'écroulement de certaines frontières, l'action impériale a laissé des traces ineffaçables. Mieux encore, contrairement à ce que donnerait à penser une vue superficielle des

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choses, les conséquences de la forte empreinte mise sur les événements de leur temps par ces géants de l'histoire ne sont pas encore épuisées et ne sont pas près de l'être (1).

La Révolution a changé profondément, nous l'avons déjà dit, le climat de notre histoire et de l'his- toire du monde. La France a fait la Révolution non pour elle seule mais pour l'Humanité. Elle a déclaré les Droits de l'Homme. Elle a proclamé le droit des Nations à choisir leur mode de gouvernement. Elle a substitué à la Monarchie absolue de la tradition un régime constitutionnel, où le roi, au lieu d'être un potentat aux possibilités illimitées, n'a été qu'un mandataire chargé de l'exécutif, la loi étant faite par les représentants du peuple.

Lorsque Louis XVI avait convoqué les États-Géné- raux, il avait cru trouver en eux, comme jadis ses prédécesseurs, de dociles comparses, fournisseurs plus ou moins empressés de subsides plus ou moins géné- reux, propres à sauver les finances royales en péril. Les députés eurent, cette fois, une tout autre con- ception de leur rôle. Ils se jugèrent investis, par le suffrage des électeurs, du droit de réformer l'État. Ils firent la Constitution de 1791, la première en date de notre histoire.

La royauté, fermant les yeux aux réalités, était (1) Bien que l'alourdissement des références soit épargné aux lec-

teurs de ce livre, il me sera permis de rappeler ici que j'ai consacré à Charlemagne deux de mes ouvrages précédents : Charlemagne, sa vie et son œuvre, Paris, Albin Michel, et Charlemagne, coll. Que sais-je ? Paris, Presses Universitaires. On trouvera dans ces ouvrages la justifi- cation de ce qui est dit ici au sujet du grand Carolingien.

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allée, tête baissée, au devant d'un changement com- plet du droit public.

Certes, une révolution était nécessaire, en ce sens que l'Ancien Régime ne pouvait subsister tel quel. Les conditions économiques et morales s'étaient à ce point modifiées depuis Richelieu et Louis XIV que le statu quo eût été un non-sens. Mais il faut bien s'entendre sur le mot révolution. Lorsqu'ils envisa- geaient ce qu'ils appelaient ainsi, les contemporains visaient non un bouleversement sanglant mais un redressement accompli par le roi, d'accord avec les délégués de la Nation. L'élite française — bourgeois, mais aussi nobles et clercs cultivés — pénétrée des idées dites « philosophiques », concevait la substitu- tion d'un nouveau régime à l'ancien et la prévoyait s'accomplissant sans douleur. Quelques historiens ont parlé d'une « révolution royale ». Un grand roi ou un grand ministre aurait pu, en effet, mener l'opéra- tion en douceur. La monarchie absolue n'avait-elle pas remplacé la monarchie féodale sans crise violente ? Rien n'empêchait le roi tout-puissant d'octroyer des droits à ses sujets et de passer ainsi de l'autocratie monarchique à la monarchie constitutionnelle. Un régime analogue à celui de 1814-1815 pouvait éclore dès 1789. Qui ne voit toutefois qu'une pareille solu- tion du problème eût été plutôt évolutive que révo- lutionnaire ?

Louis XVI a méconnu cet appel du destin. Il n'a pas compris la nécessité de toucher à la structure de l'État. Pis encore. Il a solidarisé son pouvoir royal avec les restes surannés et indéfendables du vieux droit féodal. Il a lié la couronne au privilège. C'est pour s'être mis en travers des événements, au lieu de

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les diriger, qu'il a obligé les adversaires d'un absolu- tisme périmé à briser les résistances. Autrement dit c'est pour avoir méconnu la portée véritable du drame qui se jouait autour de son trône que le dernier de nos rois à l'ancienne mode a sacrifié non seulement le droit royal en son essence mais encore sa liberté et sa vie.

Sans étudier ici par le menu les relations de Louis XVI avec les États-Généraux — ce qui serait hors de saison — il convient de souligner cette vérité essentielle : Louis n'a jamais admis de renoncer à l'absolutisme. Il est resté fidèle au concept de Louis XIV. Il n'a accepté d'agir en vertu de la Cons- titution de 1791 que contraint et forcé. Il l'a écrit en propres termes à Charles IV d'Espagne, assurant ce prince qu'il se réservait en son for intérieur de re- prendre l'exercice de son pouvoir entier et sans limite dès que par quelque moyen que ce fût, y compris l'intervention armée de l'étranger, il aurait été débar- rassé de ces gêneurs que, dans un autre document, — l'Appel aux Français — il appelait avec dédain « les factieux ».

Mais les Révolutionnaires ont ajouté leur part de responsabilité à celle dont on ne peut innocenter le petit-fils de Louis XV. Les auteurs de la Constitution de 1791 sont malheureusement aussi les auteurs de la Constitution civile du clergé. Ils ont cru pouvoir légi- férer sur le terrain religieux aussi librement que sur le terrain politique, ignorant le pape et les exigences de la foi. Ils ont voulu faire élire les curés comme tous les fonctionnaires par les citoyens — non catho- liques compris — et disposer des biens ecclésiastiques sous le couvert d'une nationalisation autoritaire. Ce

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fut surtout cette erreur qui entraîna le schisme et la persécution religieuse. Une intransigeance réciproque aggrava cette situation qui mit en péril la paix inté- rieure de la France.

Or Louis XVI était et restait pour sa propre conscience « le Roi Très Chrétien ». Peut-être eût-il fini par devenir, fût-ce à contre-cœur, un roi consti- tutionnel, si sa Foi n'eût pas été en cause. Il ne put s'y résoudre à raison de la Constitution civile, faute capitale de la Révolution comme la Révocation de l'Édit de Nantes avait été la faute capitale du Grand Roi, et c'est sur cet écueil que buta le dernier espoir d'un accommodement possible. La constitution civile interdit à celui que le sacre avait lié à l'Église toute collaboration sincère avec la Révolution. La fuite à Varennes, le procès, l'exécution de Louis XVI sont les suites logiques de l'erreur des Constituants. La Révolution assimila les prêtres dits « réfractaires »

aux nobles accusés de complot permanent. Les guerres de Vendée, les troubles du Midi, la Terreur furent les contre-coups de ces méconnaissances tra- giques, d'où résulte finalement le grand drame inté- rieur et extérieur qui ensanglante notre pays de 1792 à 1794.

De surcroît, une violente crise économique se déchaîne. La vente des Biens Nationaux ne soulage pas le Trésor et ne profite qu'aux spéculateurs. La monnaie-papier des assignats, qu'on gage sur les Biens, fait une chute verticale. Le cycle de la vie chère et de l'inflation développe ses conséquences : cartes d'alimentation, maximum, dirigisme des prix et de la production, stockage et marché noir.

La vie, pénible pour tous, est périlleuse pour ceux

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