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8/16/2019 Joseph Moreau - Homère Poète Moderne
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Bulletin de l'AssociationGuillaume Budé
Homère, poète moderneJoseph Moreau
Citer ce document Cite this document :
Moreau Joseph. Homère, poète moderne. In: Bulletin de l'Association Guillaume Budé, n°3, octobre 1962. pp. 298-316 ;
doi : 10.3406/bude.1962.4001
http://www.persee.fr/doc/bude_0004-5527_1962_num_1_3_4001
Document généré le 30/05/2016
http://www.persee.fr/collection/budehttp://www.persee.fr/collection/budehttp://www.persee.fr/doc/bude_0004-5527_1962_num_1_3_4001http://www.persee.fr/author/auteur_bude_25http://dx.doi.org/10.3406/bude.1962.4001http://www.persee.fr/doc/bude_0004-5527_1962_num_1_3_4001http://www.persee.fr/doc/bude_0004-5527_1962_num_1_3_4001http://dx.doi.org/10.3406/bude.1962.4001http://www.persee.fr/author/auteur_bude_25http://www.persee.fr/doc/bude_0004-5527_1962_num_1_3_4001http://www.persee.fr/collection/budehttp://www.persee.fr/collection/budehttp://www.persee.fr/
8/16/2019 Joseph Moreau - Homère Poète Moderne
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Homère,
poète
moderne
*
Qu'on ne
se laisse pas abuser par le titre de cette causerie :
mon intention n'est pas d'étonner par un paradoxe, mais au
contraire de
témoigner en faveur
de
la tradition et
de
l'humanisme classique. Qu'est-ce, en effet, qu'un humaniste ? C'est
celui qui
croit
qu'il y
a
dans les
ouvrages de
l'esprit
humain des
valeurs indépendantes des temps
et
des
lieux, —
celui
qui,
sans
être
étranger
à
son pays
et
à
son
temps,
à
cette
portion
d humanité
dans laquelle il
doit vivre
et
agir, est ouvert par
la
pensée
à
tout ce
qui pense ou a pensé
en
notre
monde
: non pour orner
son esprit d'une bigarrure voyante,
d'une
teinte de
toutes
les
civilisations les plus diverses, mais pour découvrir au contraire
ce qui fait l'unité
de
la nature humaine, ce qu'il y
a
en
l'homme
de plus
profond et d'universel. L'humaniste est affranchi
de
toute étroitesse locale ;
il
est «
concitoyen
de toute
âme
qui
pense » ;
il
est affranchi surtout
de
la superstition
de l'actualité.
Il sait
que
si c'est dans l'actualité
que
s'imposent à nous nos
tâches,
que
se
posent nos problèmes,
toute
pensée
qui
ne
s'élève
pas, pour
les résoudre,
au-dessus
des
événements
quotidiens
et
des
commentaires
de
la
presse,
au-dessus
des conceptions ou
des
théories
momentanément
en
vogue, dans le
monde
de
la
littérature ou
de
la politique, est une pensée superficielle,
indigente
et
débile ; pour comprendre
son
temps,
il
est nécessaire
de
le
dominer
:
et
l'on
n'y parvient pas si
l'on
est
obsédé
par les
idoles
du
jour, ou
si
l'on s'en remet aveuglément à
tel
ou
tel
système
de
philosophie
de l'histoire, prétendue clef
pour
l'explication
du
passé
et
les anticipations d'avenir.
L'humaniste
est
celui
qui
cherche,
sous les événements
qui
agitent
ou
ont
agité
la scène du
monde,
et qui
sont,
dit
Unamuno
1,
comme les
tempêtes qui soulèvent les vagues
de
la
mer,
ce qu'il y a dans la nature
humaine
de
profond et d'immuable, —
qui
demande à l'histoire
de lui révéler, sous les vicissitudes
du
développement
et la
diversité des
apparences
humaines,
la
substance permanente de
l'homme,
sa vérité éternelle.
L'écrivain
qui exprime
cette
nature
humaine permanente
est
un
classique. Ses œuvres
ont
vu
le
jour en un pays
et
en
un
temps,
mais
elles
valent
pour
tous les
pays
et pour tous les temps
;
*
Conférence
prononcée
à
Bordeaux,
sous
le
patronage de
l'Association GuiU
laume Budé, le 3
mars
1956.
1. M. de Unamuno, En torno al casticismo,
I
: La tradition eterna, § 3.
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—
299
—
et
l'humaniste, le connaisseur
d'
œuvres
classiques, est
celui
qui
saisit
ces
valeurs
intemporelles,
qui
apprécie les ouvrages
de
l'esprit,
quel
que
soit le lieu
et
le temps
de
leur apparition.
Pour
lui,
la
querelle
des
Anciens
et
des
Modernes
est
dénuée
de
sens.
On sait ce que
fut cette
querelle, qui agita le
monde
des lettres,
en France, à
la
fin
du
XVIIe
siècle.
Un groupe
de
beaux-esprits
(le
plus
illustre était Fontenelle),
excédés de
la vénération qui
s'attachait
traditionnellement
à
l'Antiquité,
osèrent prétendre
que
les Anciens,
que
l'on proposait à l'imitation comme des modèles
inégalés,
avaient été
largement dépassés par les
Modernes,
non seulement dans les
sciences,
mais aussi dans les arts
et
dans
les lettres, et que
le siècle de
Louis
XIV n'avait
rien
à envier
aux
siècles d'Auguste
ou de Périclès. Par
une étrange
ironie,
la défense
des
Anciens
était
représentée
par
les
grands
classiques,
c'est-à-dire par ceux-là mêmes
que
les admirateurs des Modernes
opposaient aux
Anciens. Rien
ne décèle aussi bien l'inanité
de
cette
querelle : ceux qui s'étaient montrés
capables
de
rivaliser
avec les Anciens,
qui
s'étaient, disait-on, élevés à leur
niveau,
en
demeuraient les admirateurs ; les détracteurs des
Anciens,
ceux
qui
exaltaient le
mérite,
la
supériorité des
Modernes,
avaient
pour contradicteurs ceux-là mêmes
qu'ils
préféraient aux Anciens.
Ce
qui
avait fait la
grandeur
des classiques, d'un Racine par
exemple,
c'est que leur attachement
aux
modèles
antiques
n'était
pas une
servitude, mais la
marque
qu'ils
savaient
découvrir,
sous le visage antique, l'homme éternel.
Les
Modernes, je veux
dire les
partisans
des Modernes, en réservant leur admiration
aux auteurs de leur
siècie,
dénotaient seulement ieur propre
incapacité à saisir
les valeurs intemporelles. Celui qui,
de
nos jours,
prétendrait admirer Proust, Valéry, Pirandello,
et dédaignerait
Balzac, Voltaire ou Shakespeare,
révélerait
par
là même que
son
admiration résulte du prestige
de
la mode ou d'une séduction
superficielle, mais non
d'une
intelligence profonde des valeurs
du
roman, de
l'essai ou du drame.
Si
j ai
évoqué la
querelle des
Anciens
et
des Modernes,
c'est
non seulement pour préciser
en
quoi consiste
la
pérennité des
classiques,
c'est aussi parce
que
l'un des Anciens qui y a
été
le
plus
malmené est
précisément le poète
dont je vais vous parler
;
et
c'est au cours
de cette querelle
qu'a
été
pour la première fois
soulevée
la
question :
Homère
a-t-il existé ?
Il
est
remarquable,
en effet,
que
si
la
tradition attribue à
Homère la
paternité de
Y Iliade
et
de
Y
Odyssée, les deux
grandes
épopées
de
la Grèce,
nous ne savons rien
de
certain
sur
sa vie
et
sa personne ; sa
figure
ne nous
apparaît
que dans
des
récits légendaires, qui nous
le
représentent
comme
un chanteur
itinérant,
un
aède aveugle
;
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—
3oo
—
et sept villes
de
l'Hellade se
disputaient
la gloire
de
lui avoir
donné le jour. Mais
cette
ignorance même où nous sommes au
sujet de l'homme
qu'on appelle Homère
donne à
la question
de
son
existence
un
sens
très
particulier.
Car,
enfin,
Y
Iliade
et
Y
Odyssée
existent ; elle sont traduites dans
toutes
les langues
d'Europe
;
chacun de nous peut les lire ;
et les
hellénistes
les
lisent même
dans le texte grec, un grec
qui
n'est pas
celui de
Platon ou
de
Démosthène, mais une langue archaïque,
un
dialecte ionien
;
et
ces poèmes,
apparemment, ne
se
sont
pas faits tout seuls.
Ceux-
là
donc qui, à
la
suite
de
l'abbé d'Aubignac x,
qui
le premier à
soulevé
la
question, ont nié l'existence
d'Homère,
ont voulu
dire
seulement
que
les
ouvrages
qu'on lui attribue ne sont pas
l'œuvre d'un auteur unique. Ces
plus
anciens
poèmes de
la
Grèce
seraient,
d'après
eux,
des rhapsodies, des
collections de
chants ou
d'épisodes
distincts, dus à des auteurs divers
et
anonymes,
et
réunis
seulement
à un âge
postérieur. Peut-être
même
ne
faudrait-il
pas parler
d'auteurs, mais
d'une
foule anonyme,
d'une succession
de
générations
se transmettant oralement,
avant l'invention
de l'écriture, un
vieux
fonds de
récits
folkloriques,
et
les amenant peu à peu à
la
forme
poétique.
Telle est
la
théorie
que
devait
développer
l'érudit
allemand
Frédéric-
Auguste Wolf,
dans
ses
Prolégomènes sur Homère, en 1795
:
théorie
admise d'enthousiasme par les générations romantiques,
qui
y
voyaient
l'attestation
d'un
art
spontané, expression de
l'âme populaire,
et appliquée
aussitôt à
la
genèse des grandes
épopées médiévales, les Nibelungen germaniques ou la Chanson
de
Roland.
La théorie de
Wolf
a
conquis
progressivement
les Universités,
où
elle régnait
souverainement
à
la
fin
du
xixe siècle ;
mais, depuis
lors, une réaction s'est
produite.
Les
découvertes des
archéologues,
nous
révélant les civilisations préhelléniques,
deMycènes
ou de
la
Crète, nous ont
détourné
de
regarder
les poèmes
homériques
comme
la
manifestation
d'un
génie
impersonnel
et
primitif ;
et
les
efforts
des
philologues,
appliqués
à
l'étude
critique du
texte
homérique, de ses
remaniements et
de ses
altérations
au
cours d'une longue tradition,
ont
abouti à le nettoyer, à le
restituer,
à en mettre en relief le caractère artistique. Nous avons
assisté à ce qu'on a appelé « la résurrection d'Homère » 2.
N entendons point par
là que
les connaisseurs
soient
disposés
aujourd'hui
à restituer au poète aveugle les deux grandes
épopées
; déjà,
des
critiques
de l'Antiquité séparaient
les
deux poèmes
et
leurs
1.
Conjectures homériques ou Dissertation sur l'Iliade, Paris, 1715.
2.
Cf.
Victor
Bérard,
Introduction
à
l'Odyssée,
3
vol.,
Paris, 1924-1925,
notamment le t. III,
p. 167-400,
et
aussi,
du
même auteur, La
résurrection
d'Homère,
2 vol., Paris, 1930.
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—
301
—
auteurs.
Pour nous en tenir seulement à l'Odyssée, nous allons
voir qu'on y
peut
distinguer
trois
poèmes artificiellement réunis,
et d'époque
vraisemblablement différente ; mais chacun d'eux
est
une
composition, un ouvrage
véritable,
réalisé
par
un auteur
inconnu certes,
mais qui
était cependant un individu, un poète.
Il
sera pour
nous sans inconvénient
de désigner sous le nom
d'Homère l'auteur du plus achevé
et du
plus ancien de ces
poèmes, celui
qui
constitue la partie centrale
et
la plus brillante
de
V Odyssée.
On
sait comment s'ouvre le
poème
de V Odyssée : le poète
invoque
la Muse
et
la
prie de
lui
conter
les aventures
de
«
l'homme
aux
mille
tours »,
de
l'ingénieux
Ulysse,
...
qui
sur
les
mers
tant
erra
quand
de
Troade
il eut
pillé la
ville
sainte,
celui
qui
visita les
cités
de
tant
d'hommes
et
connut
leur
esprit, celui qui
sur
les mers
passa
par tant d'angoisses avant
de
rentrer
enfin,
seul,
dans
sa patrie, ayant perdu, par
la
colère
de
Poséidon,
tous ses
hommes d'équipage 1.
Et aussitôt après
cette
invocation nous sommes transportés à
l'Assemblée
des dieux,
qui va délibérer et
statuer sur le cas
d'Ulysse, qui
nous est
brièvement
exposé. Je lis Y Odyssée dans
l'admirable traduction
de
Victor Bérard
2,
me réservant
toutefois d'y apporter de temps en temps une modification, je
n osera is
dire
une
correction
:
Ils
étaient
au logis, tous les autres
héros,
tous ceux
qui
de
la mort
avaient
sauvé ï
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en
vacances au pays des Éthiopiens, dont le nom signifie en grec
« visages brûlés » (les Éthiopiens étaient les seuls représentants
du
monde noir que
connût l'Antiquité,
car ils
n'étaient
pas isolés
des bords méditerranéens par
l'étendue
infranchissable du
désert,
mais
ils descendaient vers l'Egypte par
la
vallée
du
Nil),
Athèna
profite
de
son absence pour
soumettre
à Zeus une requête en
faveur
d'Ulysse,
... pour ce
sage,
accablé du
sort,
qui, loin des
siens,
continue
de
souffrir dans une île aux deux rives. Sur ce
nombril
des mers,
en
cette
terre
aux arbres, habite une déesse, une fille d'Atlas, ce génie
redoutable
qui connaît de la
mer entière
les
abîmes, et qui
veille,
à
lui seul,
sur les hautes colonnes qui
tiennent
écarté
de
la
terre le
ciel.
Sa fille
tient captif
le malheureux
qui pleure. Sans cesse en
litanies de
douceur
amoureuse,
elle veut lui verser
l'oubli
de
son
Ithaque.
Mais
lui, qui
ne
voudrait que
voir
monter un jour les fumées de sa
terre, il
appelle la
mort
1.
Nous nous
demanderons tout
à
l'heure
où
est située cette île
de Calypso ; ce sera une
première
façon de faire
rentrer l'Odyssée
dans le monde d'aujourd'hui.
Mais il
nous
faut
observer
d'abord
que
cette
Assemblée
des dieux, dont nous avons la relation au
chant
I,
ne trouve son
dénouement
naturel qu'au chant V, lorsque
Zeus, répondant à
la
prière
d'Athèna,
donne
mission
à Hermès,
le
messager
des dieux, d'aller signifier à
la nymphe Calypso
l'ordre
de
ne
plus
retenir
Ulysse.
C'est
donc seulement
au chant
V,
après
le
prologue
céleste
qui ouvre
le
chant I,
que
commence
l'action principale
de
V Odyssée. Les
quatre
premiers chants, à
l'exception de
ce prologue,
détaché de
l'ouvrage qu'il
introduit,
sont remplis d'un récit
étranger au
plan
initial,
et qu'on
peut
appeler le
Voyage
de Télémaque, le fils
d'Ulysse,
à
la recherche
de
son père. De même, les derniers
chants (XIII-XXIV)
de V Odyssée
constituent une suite au poème central ; elle pourrait s'intituler
la
Vengeance d'
Ulysse. Ulysse,
rentré à Ithaque
sous un
habit
de
mendiant,
se fait
reconnaître par son fils,
puis
par
le
vieux porcher
Eumée,
massacre les prétendants
qui
courtisaient
sa
femme,
la sage Pénélope, et
est
enfin
reconnu par elle. La partie centrale
de Y Odyssée, celle
qu'annonce
l'invocation
initiale et
pour
laquelle est faite le prologue, relate les Navigations d'Ulysse.
Ulysse,
sur un
radeau,
s'éloigne de l'île de
Calypso
; pendant
dix-sept jours et
dix-sept
nuits, il
vogue vers l'est, ayant
la
Grande Ourse à sa gauche ; arrivé
en
vue de l'île des
Phéaciens
(l'île de Corfou), près de
la côte
de l'Épire,
il
est pris dans une
tempête
qui disperse son radeau ;
il
ne doit son
salut
qu'à un
voile magique
que
lui
remet la déesse Ino. La tempête calmée,
il
cherche
à
la nage une
grève
hospitalière
et
y
passe
la
nuit,
tapi
i. Jbid.,
48-59.
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—
303
—
sous
des feuilles d'olivier. Le lendemain,
il
est découvert par
Nausicaa,
la fille du
roi
Alkinoos, venue au lavoir avec ses
servantes.
Elle
le
conduit
à
la maison de
son
père,
qui
l'accueille
royalement et fait
armer
un navire pour
le
reconduire
à
Ithaque,
toute proche. Ainsi devaient se terminer
les navigations d'Ulysse.
Mais avant de quitter le palais de son hôte,
Ulysse,
au cours
d'un festin
organisé
en
son honneur,
raconte
ses aventures depuis
le départ
de
Troie
jusqu'à
son
arrivée dans l'île
de
Calypso. Ce
récit
remplit les
chants
VIII
à
XII
de
l'Odyssée, qui contiennent
les
épisodes
les plus célèbres, celui des
Lotophages, du
Cyclope,
de
Circé, des Sirènes, delà tempête,
enfin,
où périrent les derniers
compagnons
d'Ulysse,
tandis
que
lui, cramponné à une épave
de son
vaisseau,
flotte
dix
jours
à
la
dérive,
avant d'être
rejeté
sur
une île, où la nymphe Calypso le recueille
et
le
traite
en
ami.
Ainsi se ferme le cycle :
les récits
chez Alkinoos ramènent
Ulysse au lieu
même d'où nous l'avons vu
partir.
Quand
s'ouvre
le
poème, par l'Assemblée
des
dieux, il y a sept
ans
qu'Ulysse
est retenu chez Calypso,
et
avant d'y arriver il
avait
erré
plusieurs années
sur
les mers. Pourquoi le poète
fait-il
commencer
à
ce moment sa narration, pour ensuite
revenir
en
arrière
en
donnant
la
parole à Ulysse chez
Alkinoos
?
On
sait
que ce
procédé
qui consiste à prendre l'action épique
en
son milieu, ou même
proche
de
sa
fin, à
jeter
le lecteur
in médias res, est plus
tard
devenu classique, a
été
pris pour règle par les poètes épiques
et
appliqué
JUu'uuimienl
par Virgile en son Enéide. Mais
l'auteur de
l'Odyssée, en
procédant de
la
sorte, n'imitait sans doute pas un
modèle plus ancien ;
il
devait
avoir
un autre motif
pour cela. Il
est probable qu'il voulait frapper aussitôt l'imagination
du
lecteur, ou
de l'auditeur,
par un
tableau d'exotisme.
Vous avez
remarqué sans
doute,
dans la
requête
d'Athèna,
cette
évocation
de
... l'île aux deux rives
: sur
ce
nombril
des mers, en
cette
terre
aux arbres, habite une déesse, une fille
d'Atlas,
ce génie redoutable,
qui
connaît
de
la
mer
entière
les
abîmes,
et
qui
veille,
à
lui seul,
sur
les hautes
colonnes
qui
tiennent
écarté
de
la terre le
ciel.
Il y
a
là une indication précieuse pour la
localisation de
l'île ;
mais écoutez-en d'abord la description
éblouissante.
Hermès, exécutant les instructions de Zeus, chausse ses sandales
ailées, et
il
arrive au bout du monde, en vue
de
l'île où habite la
déesse : alors,
dit
le
poète,
...
il sortit
en marchant
de
la mer violette,
prit
terre, et
s'en
alla
vers la
grande
caverne
dont
la nymphe
aux
cheveux bouclés
avait
fait sa demeure. Il
la
trouva chez elle un grand feu flambait au foyer;
au loin
se
répandait l'odeur de
cèdre pétillant
et
du
thuya,
qui
brûlaient dans son
âtre ;
toute l'île en
était
embaumée. Elle
était
donc
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—
3°4
—
au logis,
chantant
à belle voix, assise à son
métier,
et
tissait
avec une
navette
d'or. A l'entour de
la
grotte, un
bois
avait poussé sa futaie
vigoureuse : aulnes et peupliers, et
cyprès
odorants,
où gîtaient des
oiseaux
aux
larges
ailes, chouettes, éperviers
et
goélands
criards,
qui
sillonnent les
flots et vont
pêcher
au
large.
Au rebord
de
la voûte,
une vigne en pleine force
éployait ses
rameaux, toute fleurie
de
grappes
Près de
là,
quatre sources alignées versaient leurs
ondes
claires ;
puis leurs eaux voisines divergaient, chacune de
son côté, à travers
de
molles prairies jonchées
de violettes
et
de fenouil marin.
Dès
l'abord en
ces
lieux, fût-il
un
immortel, qui
n'aurait
eu les yeux
charmés, l'âme ravie
x ?
Cette
réflexion souligne l'intention du poète : il a voulu
que
dès les premiers vers, nous fussions, nous
aussi,
saisis par la
description
de
ce
site
enchanteur
;
et
ses auditeurs
du
monde
préhellénique
avaient sujet
de
l'être encore
plus
que
nous,
car
ce
paysage
marin,
cette
île
forestière,
sa prairie, ses fontaines, ses fleuves,
ses parfums,
tout
cela compose un
tableau
comme
il
n'est
guère
donné d'en voir dans les régions sèches
de
l'Orient méditerranéen ;
c'est un
paysage
occidental
et,
pour tout
dire,
atlantique.
Calypso
est fille d'Atlas et Atlas, ce géant qui sonde la
mer
et qui porte le
ciel,
est la personnification d'une
montagne
qui garde le détroit
par
où
la
Méditerranée
communique
avec l'Océan,
la
mer
extérieure.
A l'époque homérique, Atlas n'est pas, selon Victor
Bérard, que
nous suivons
en
tout
ceci
2,
la grande échine
qui
traverse
l'Afrique
du Nord, mais
un
mont qui
domine le détroit, de plus
haut
encore
que le rocher de
Gilbraltar,
un mont dont
la
cime, souvent
perdue dans les
nuages,
donne l'impression de porter le ciel. Ce
mont est
situé
dans la
région
de
Ceuta
; tous
ceux
qui
ont
navigué
dans
le
détroit le
connaissent ;
on l'appelle communément la
montagne
de
Ceuta, et plus précisément le Mont aux Singes ;
il
a
environ
850 mètres
d'altitude (fig. 1 et 2).
L'île
de Calypso doit
être
cherchée au voisinage
du mont. Il
n'est pas douteux qu'elle soit située
en
cette région, puis-
qu'
Ulysse,
voguant
sur
son
radeau
vers
Ithaque,
fera
une
traversée
de
près
de vingt
jours en se dirigeant vers l'est, ayant l'Ourse
à
sa gauche. Or, au pied
du
promontoire
que
domine le
Mont
aux
Singes, se trouve un îlot presque invisible aux voyageurs du
détroit
; ses
contours
se confondent, parmi les
anfractuosités
du
rivage,
avec les
contreforts
du mont,
qui
au
contraire
s'impose
aux regards
;
aussi la
passe
qui sépare l'île du rivage
a-t-elle
dû
servir d'abri
et
de
refuge secret aux vaisseaux phéniciens, aux
navigateurs dont les
récits ont inspiré le poète de l'Odyssée.
1.
Ibid.,
V,
55-74.
2.
V.
Bérard, Les
navigations d'Ulysse,
t. III
: Calypso et la
mer
de
l'Atlantide,
Paris,
1929.
8/16/2019 Joseph Moreau - Homère Poète Moderne
9/20
Le
nom de
Calypso signifie en grec « celle qui cache » ; la nymphe
a caché Ulysse pendant sept ans ; mais son île était proprement une
cachette, un refuge secret pour les marins ;
et
c'est à
cette
île,
FlG. I.
tcu
FlG.
2.
peut-être,
que
s'est
appliqué
primitivement le nom d'Ispania, où
une étymologie sémitique
découvre
la
signification
d'île
de
la
cachette. Calypso serait la transcription
grecque
d'Ispania (on
trouve
de
nombreuses
transcriptions
de cette
sorte
dans les noms
8/16/2019 Joseph Moreau - Homère Poète Moderne
10/20
—
300
—
de lieux homériques) ; le nom
sémitique d'un
îlot
du
détroit se
serait
ainsi étendu, par
l'intermédiaire
des Carthaginois, puis
des Romains, à toute
la
péninsule ibérique, pour devenir dans
l'histoire
le
nom
glorieux
d'Espaha.
L'îlot en
question est
appelé aujourd'hui d'un
nom espagnol,
Peregil, l'ile
du
persil.
Elle doit ce
nom à sa végétation,
où
domine
une
plante
appelée
le persil
de
mer,
ou
fenouil
marin,
et
mentionnée
dans
la description
odysséenne. On y trouve aussi une grotte
et
un
peuple d'oiseaux marins
; mais on n'y
trouve
plus
l'abondante forêt, ni surtout
les
quatre sources. Victor
Bérard, qui avec
une science
admirable
et
un zèle infatigable,
pendant
vingt-cinq
ans, rechercha sur les lieux les sites odysséens, ne se
tint
pas
pour
satisfait
tant qu'il n'eût retrouvé les quatre sources. Il y
parvint
seulement
en
août
1912.
Mais
ce
n'est
pas
dans
l'île
de
Peregil qu'il trouva la grotte aux quatre sources
;
il la
découvrit
non
loin
de
là, mais
sur
la
terre ferme, au
voisinage
de
la
rade de
Benzus,
qui s'étend
à
l'est du
promontoire dominé par le
Mont
aux
Singes, et
au pied
duquel
se blottit Peregil. Au
sommet du
promontoire,
il
est encore des vestiges
de
l'antique forêt ; les
grands fûts qui émergent
des
arbustes du maquis sont
souvent
décapités par les tempêtes du large ; ils deviennent ces
troncs
d'arbres morts,
secs
et
bons à flotter, dont
Ulysse,
pour partir,
construisit son radeau. Le royaume de Calypso n'est donc pas
seulement l'île
de
Peregil,
mais la
presqu'île
de
Punta
Leona
à
laquelle
elle
s'adosse
;
ce n'est
pas
une île véritable, entourée
d'eau
de
toutes parts (perirrutos),
mais
une île aux
deux rives
(amphirutos),
dominée par un piton, d'où
lui
vient l'appellation
de
«
nombril des
mers »
x.
Maintenant
que le
site de
Calypso a
été
restitué dans les mers
d'Occident, nous comprenons mieux ce qui en
faisait
la
séduction
pour les
auditeurs
delà poésie homérique
il
avait pour
eux Fat-,
trait de l'exotisme.
Il
devait produire sur leurs imaginations un
effet comparable
à
celui
qu'éprouvaient
les
lecteurs
de
Chateaubriand, transportés par ses
descriptions
du Mississipi ou du
Niagara.
Et de
même que Chateaubriand empruntait à
des récits
d'explorateurs ignorés
la
matière de ses
tableaux
éblouissants,
décrivait des paysages qu'il n'avait pas vus 2, de même le poète
de
F
Odyssée
a dû
tirer des
livres
de
bord
des navigateurs
phéniciens
la
connaissance des rivages fa buleux où
il
conduit le divin
Ulysse. Or
le goût de
l'exotisme est
caractéristique
d'une
mentalité moderne ;
il
apparaît dans la littérature française à la fin du
1. Voir des
images du
pays de Calypso
in
V. Bérard, Dans
le
sillage d'Ulysse.
Album
odysséen,
noa 47-67.
2.
Voir
J.
Bédier,
Études
critiques,
p.
125-294
:
«
Chateaubriand
en
Amérique
Vérité et fiction.
»
8/16/2019 Joseph Moreau - Homère Poète Moderne
11/20
—
307
—
XVIIIe
siècle, avec Bernardin
de
Saint-Pierre, qui
visita l'île de
France,
dans l'Océan
Indien,
et
en rapporta
l'idylle
célèbre de
Paul
et
Virginie. Mais il
ne faudrait
pas croire
que
l'esprit ou
la sensibilité
moderne
est
nécessairement de date récente.
La
notion
de moderne
ou
de
modernité doit être
généralisée ;
elle
désigne un âge
de
la
civilisation
;
et
comme l'histoire nous fait
connaître
une pluralité
des
civilisations diverses, qui
se
sont
développées à des époques
différentes, toutes ne sont
pas parvenues
en
même
temps
à
l'âge
moderne.
Valéry x
a fait observer qu'on
pourrait reconnaître dans le cours
de
l'histoire plusieurs âges
modernes ;
celui de
la civilisation gréco-romaine se placerait vers les
premiers siècles
de
l'ère chrétienne ; je voudrais
vous
montrer
que la poésie
homérique,
longtemps tenue pour la manifestation
d'un
génie
primitif,
accuse
au
contraire
des
traits
qui
révèlent
une mentalité
moderne ; elle avait derrière elle le
moyen
âge
préhellénique.
Ce
qui
caractérise un âge moderne, c'est, dans
le
domaine
de
l'art, une désaffection du goût à
l'égard
des thèmes traditionnels,
ceux où s'exprime la vie
quotidienne, ses travaux
et
ses
joies,
ou les croyances communes ;
et c'est, en
revanche, une curiosité
avide
de
nouveau.
A
ce
besoin répond
la littérature exotique,
la
peinture des pays lointains ou des mœurs étrangères, mais
aussi bien celle
d'un
passé oublié : l'engouement
pour
le moyen-
âge, pour
l'architecture gothique,
va
de
pair
avec
le goût
de
l'exotisme dans
la
littérature
romantique.
Il y
a
donc
dans
l'esprit « moderne » un
affranchissement
à l'égard
de
la tradition
régnante et une ouverture
sur
la
diversité des
cultures
humaines,
qui peut conduire à un sens approfondi de l'universalité. Il
n'est point paradoxal
de dire
que
seul un
esprit « moderne »,
ouvert
aux
influences extérieures,
libéré des étroitesses
locales,
peut
devenir
un
classique. Dans l'histoire
de notre civilisation
occidentale, les temps modernes commencent avec
la
Renaissance,
qui est une période
de
rupture avec
la
tradition
médiévale, alors
exténuée,
un retour à l'Antiquité
hellénique
;
mais celle-ci,
digérée
et
assimilée
par
le
génie
national,
alimentera
au
siècle
suivant la floraison
des
classiques
français.
Il
y a ainsi, à
l'origine
de
tout classicisme,
un ébranlement
caractéristique des
âges
modernes ;
si
un
tel
ébranlement se propage
en une
curiosité
diffuse
et
superficielle, en un
cosmopolitisme banal, il
conduit
à
la décadence
;
s'il
est dominé par une volonté de retrouver sous
les
différences
les valeurs permanentes et universelles,
il
aboutit
à
l'équilibre et
à
la maturité classiques
;
il
est
à
l'origine d'une
tradition
nouvelle,
élargie et
rajeunie.
Ainsi,
la poésie
homérique a beau se situer aux plus hautes
i.
Cf.
Variété,
p.
17-18.
8/16/2019 Joseph Moreau - Homère Poète Moderne
12/20
origines de notre tradition littéraire, elle n'en apporte pas
moins
le
témoignage
d'une mentalité
moderne,
ouverte
sur le
vaste
monde
et
avide
d'exotisme ; elle prend pour héros le navigateur
errant,
«qui
visita
les
cités
de
tant
d'hommes
et
connut
leur
esprit».
Mais
cette
poésie ne répond pas seulement à une curiosité
superficielle,
éprise seulement de
tableaux
pittoresques
et
de
récits
d'aventures : l'action
et
le
décor,
adaptés à un goût
qui
est celui
d'un public « moderne », servent d'expression à un sentiment
plus
profond,
à
une inquiétude
de
l'âme
humaine,
qui est
de
toutes les époques, encore
qu'aux âges modernes
elle
soit
ressentie
avec
une particulière
vivacité.
Voyons,
en
effet,
quels
sont les sentiments d'Ulysse retenu
dans
l'île de Calypso. Sur un aspect du moins, cette captivité
est
une chance. Ulysse,
rejeté
par
la tempête
sur
une
île
inconnue
alors que
tout son
équipage
a péri
dans
les
flots,
est libre de
tous
liens avec avec
son passé,
avec la
société de
ceux qui l'ont
connu. Personne
ne
viendra le
chercher dans
sa
«
cachette
»
;
personne
n'ira
dire
en quels
parages on
l'a
perdu de vue ;
il
pourra demeurer un éternel disparu. La chance qui
lui
est offerte,
c'est celle d'une
vie
nouvelle, d'un
recommencement absolu,
avec
les plus enivrants
espoirs
:
il sera
comblé de
l'amour
d'une
déesse,
qui lui
a promis de le
rendre immortel et
jeune à tout
jamais.
Comment Ulysse
n'aurait-il
pas été séduit ?
Cependant,
il
a
finalement
refusé.
C'est
qu'un
sentiment
plus
fort,
plus
stable surtout, l'a emporté finalement
sur
l'enivrement d'un
jour :
il
veut
revoir
les siens, sa maison
et
ses champs. Deux
sentiments se disputent
son
âme
:
l'appel
de l'inconnu,
du
rêve,
d'un
ravissement
divin,
et
d'autre part l'attachement au
milieu
familial
et
natal, aux réalités terrestres, aux
joies et
aux
tendresses
coutumières.
Devant
l'alternative de
l'évasion et du retour,
sollicitée par des
forces
contraires,
l'âme
d'Ulysse cède au
rappel
nostalgique. Tel est le
conflit
qu'exprime poétiquement l'épisode
de
Calypso, où
l'on
peut reconnaître une inquiétude profonde
de l'âme
moderne.
Nous remarquerons
d'abord que
ce conflit est symbolisé dans
la
topographie même de l'île.
Dans
un univers poétique,
en
effet,
l'espace n'est pas homogène comme
dans la
géométrie ; les
différentes
régions de
l'espace sont
chargées de
valeurs affectives
différentes.
Autour de son
village
d'enfance,
les promenades
du
jeune
Proust
pouvaient
prendre
deux
directions:
« du côté
de chez Swann » ou
du
«
côté
de
Guermantes»; et
ces deux côtés,
auxquels s'attachaient des visions, des rêves
et
des émotions
différentes,
partagèrent
ensuite tout
son
univers. Pareillement,
dans
l'île de Calypso,
il y
a deux
côtés,
le
côté
de
la grotte et
le
côté
des
grèves.
Le
côté de la
grotte,
c'est
celui
qui nous a
été
8/16/2019 Joseph Moreau - Homère Poète Moderne
13/20
3°9
décrit,
le paysage
qui
sert de cadre à l'apparition de
la
nymphe,
celui
d'où vient l'appel à
l'évasion,
aux voluptés
de l'extase,
les
promesses de
jeunesse éternelle
et d'immortalité
; le
côté
des
grèves,
c'est
le côté
nostalgique,
celui
où
se
retire
Ulysse
pour
pleurer. C'est là
que
la nymphe Calypso, résignée à subir l'arrêt
de
Zeus, vient trouver
le
héros pour
lui
annoncer qu'elle ne met
plus d'obstacle à son retour.
Elle le trouva assis
sur un
cap. Jamais
ses
yeux
ne
séchaient
leurs
larmes. Il consumait
la
douceur
de
ses ans à
lamenter
son retour,
car
la nymphe
n'était
plus agréable à son
cur.
Les nuits,
bien
sûr,
il
lui
fallait,
par force, reposer au
creux de
la
grotte
et
demeurer près
d'elle,
quoiqu'il
ne voulût plus : c'est elle qui voulait. Mais le jour,
assis
sur
les
rochers,
parmi les
grèves, le cur
secoué de
sanglots et
de plaintes, promenant ses
regards
sur la
mer
inféconde,
il restait
à
verser
des
pleurs.
x
C'est là que la déesse vient
le
chercher pour
leur
dernière
journée d'amour.
Elle
l'entraîne,
il la
suit ; ils se dirigent
du
côté
de
la
grotte,
la
déesse,
et puis l'homme. Arrivés là,
elle
le
fait asseoir
sur le trône
d'or où s'était reposé
tout
à l'heure
Hermès,
porteur
du message
des dieux
;
puis
elle lui
sert
un
grand
repas, les mets
et
les boissons
dont
se nourrissent les
mortels humains. A son tour elle s'assied,
face
à
face
devant
son
Ulysse divin; mais, à
elle,
ses suivantes servent
l'ambroisie
et
le
nectar
2.
Ainsi, dans
leur tête-à-tête,
la nymphe et son
héros, le
divin
Ulysse,
restent sépares par la différence
de
leur condition, ou
plus exactement
de
leur essence. Ils
n'ont
point les mêmes
nourritures. Calypso est déesse
; le divin Ulysse n'est
qu'un
homme.
Rien
ne
paraît plus enivrant
pour
un
homme que
d'être
promis à l'amour
d'une
déesse ; mais rien, à
l'épreuve,
ne se
révèle aussi décevant. Or, l'aventure d'Ulysse est un symbole de
l'amour-passion. Analysons ce symbolisme. Les vrais amants, pour
s'isoler,
n'ont pas besoin de
fuir en une
île inconnue ; indifférents
au
reste
du
monde,
ils sont
l'un
pour l'autre l'univers
;
même
entourés
des regards d'autrui, ils ont
en eux
leur
secret
; ils
sont
enveloppés d'un
mystère
; leur silence leur est une « cachette ».
Illuminée par leur
joie
intérieure,
la
nature autour d'eux revêt
une séduction inaccoutumée
et
comme une splendeur
d'exotisme.
L'amour-passion [écrit Stendhal] ette aux yeux d'un homme toute
la
nature avec ses
aspects sublimes
comme
une
nouveauté inventée
d'hier. Cet homme s'étonne de
n'avoir
jamais vu ce
spectacle
sin-
i. Odyssée,
V,
151
-158.
2. Ibid., 192-199.
8/16/2019 Joseph Moreau - Homère Poète Moderne
14/20
3io
gulier qui se découvre à son âme. Tout est
neuf,
tout
est vivant,
tout
respire
l'intérêt
le plus
passionné
x.
L'amour-passion,
enfin, transfigure
et
divinise
son objet,
la
femme
ardemment
aimée est toujours une déesse ; son image,
sa présence, remplissent le cur d'un ravissement divin ;
il
y a
dans l'exaltation
de
l'amour comme une attente d'immortalité,
la promesse d'une jeunesse
éternelle.
Ainsi, dans l'amour-passion
sont réunis
tous
les émerveillements qui s offraient à
Ulysse
arrivant chez Calypso ;
et
il
n'est
point d'être
humain si
infortuné
qu'il n'ait
cru voir un jour s'ouvrir devant
lui
une si grande
espérance.
Cependant,
il est
exceptionnel
qu'un tel
espoir
ne
soit point déçu,
que
l'amour ait
jamais
rempli
de
si
hautes
promesses, qu'il
ait comblé
l'âme d'une
félicité
constante, nous
élevant
au-dessus
de
notre
condition
mortelle. Un grand
amour,
a-t-on
pu dire,
est aussi rare
qu'un grand génie. L'homme n'a
pas
d'ordinaire les
ressources intérieures qu'il faudrait pour
alimenter longtemps la
passion, éterniser le charme des
premières rencontres,
égaler le réel à son rêve. L'idéal
lui
échappe,
lui
demeure inaccessible. C'est pourquoi Ulysse se détache de
Calypso ;
il refuse
l'immortalité,
parce qu'il se sent incapable
d'y atteindre.
C'est
ce qui
fait
la
mélancolie
des adieux
de Calypso
et
d'Ulysse :
Ainsi
donc, dit-elle, à
ta
chère maison, au pays de
tes
pères, tu
veux maintenant retourner,
tout
de suite?... Adieu donc, malgré
tout
... Pourtant
si
tu savais,
si ton cur pouvait
voir tous les
maux
que le sort
doit
te
faire
subir,
avant que tu n'arrives au pays de tes
pères, c'est ici que tu
voudrais
rester, habitant avec
moi cette demeure,
et
tu serais
immortel
malgré
tout
ton désir de
revoir
ton
épouse,
vers laquelle tes vux
aspirent
tous les jours.... Pourtant, je
ne
suis
pas moins belle, je
suppose,
de corps ni de
prestance
; car on n'a
jamais vu que les
mortelles,
à
nous déesses, ne le
disputent
pour le
corps ou pour la beauté.
Prenant
la parole
à
son
tour,
voici
ce
que
répond
Ulysse
l'avisé
:
Noble déesse, ne
sois pas
ainsi
courroucée.
Je le
sais,
moi
aussi,
tout cela ... Auprès de toi, la sage Pénélope serait bien
inférieure
en
grandeur et beauté.... Malgré
cela,
le v
de mon
cur, chaque
jour,
c'est
de rentrer là-bas, de voir
en
mon logis
la
journée
du
retour
Quels
que soient les tourments qui m'attendent
en
mer, j'ai le
cur
assez
fort
: je puis les affronter ». Il dit. Le
soleil
qui
plongeait
laissa
descendre l'ombre.
Ils
entrèrent
tous deux sous
la
voûte profonde,
et
trouvèrent la joie
d'un lit
plein de douceur 2.
i.
Stendhal, De
l'amour,
livre
II,
chap.
59.
2.
Odyssée,
V,
204-227.
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15/20
3ii
Ainsi,
auprès de Calypso, Ulysse
trouve encore
la
joie et la
douceur ; mais ce n'est pas cela qui peut le
retenir, qui
peut
lui
faire
oublier
la patrie. Il
faudrait pour cela que se perpétue
l'enchantement
des
premiers
jours,
que
se
réalisent
les
promesses
de
jeunesse éternelle.
Or, elles
ne
se
réalisent pas
;
c'est-à-dire
que
l'exaltation s'éteint,
qui
faisait l'enivrement
de
la passion
naissante ;
l'imagination ne
peut
éterniser son
rêve, l'amant
ébloui conquérir
l'immortalité promise. Il ne peut demeurer
dans le ravissement, dans l'oubli
de
sa condition contingente,
de
ses soucis quotidiens,
de
ses
besoins
temporels.
Il
mange et
boit comme les mortels ;
il
n'est pour
lui
ni d'ambroisie, ni de
nectar.
Voilà
pourquoi Ulysse aspire
à
revoir
Pénélope.
Ce n'est point
tant
par
vertu,
par
fidélité
conjugale.
Il
ne
fuit
point
Calypso
comme
une tentation.
Circé,
la magicienne,
qui avait
transformé les compagnons d'Ulysse
en
pourceaux,
et
les
avait
délivrés
à sa prière, Circé a
pu être
pour lui une tentation. Mais Calypso
n'est pas une tentation ; c'est le tourment
de
l'impossible. Il est
impossible
à
l'homme de
s'installer dans l'exaltation passionnelle,
de s'isoler des
autres
hommes
pour vivre en
un
rêve obstiné,
dans un
ravissement
éternel.
L'évasion
n'est jamais
pour
lui
qu'une fugue temporaire. Infailliblement il
retourne à
la
vie
quotidienne, reprend sa place
parmi
les siens, s'abandonne aux
affections
familières, aux joies habituelles, aux tendresses
périssables.
L'amour
ne peut
se
perpétuer
qu'à
condition d'éteindre
l'ardeur de
la passion,
de
se faire
habitude. Pénélope
symbolise
cet
amour sans
illusion et la joie du retour. C'est
à cet
humble
bonheur, fragile
et humain,
qu'aspire le
cur
d'Ulysse
après
tant d'aventures, après tant d'épreuves,
malgré
de
si
enivrantes
promesses
;
et
c'est
un
bonheur semblable qu'il souhaite à ses
hôtes,
au
roi Alkinoos
et
aux notables
Phéaciens en
terminant
le
récit de ses
aventures :
Puissé-je
au
logis trouver à mon retour mon épouse
et
tous les
miens en
santé
Vous qui
restez ici,
puissiez-vous faire la joie
de
vos
femmes,
les
compagnes
de
votre
jeunesse,
et
celle
de
vos
enfants
Que
les
Dieux
vous accordent
envers
tous
la
vaillance,
et
qu'un
malheur public
ne
vous frappe jamais
Puis se
tournant
vers la
reine, il
lui porte ce
toast :
O
reine,
à ton bonheur
et
qu'il soit sans
relâche,
jusqu'au
temps
où viendront la vieillesse et la mort,
lot de tous les humains Lorsque
je
vais
partir, que la joie reste
en
cette maison Sois heureuse
en
tes
fils,
en
ton peuple,
et en Alkinoos,
ton
roi
1.
Tel est l'idéal paisible d'Ulysse au
terme de
ses voyages. On
i.
Ibid.,
XIII,
42-46, 59-62.
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16/20
312
y
perçoit l'expression de cette sagesse résignée qui sera celle de
l'hellénisme classique, qui
conseille à l'homme de
se garder
d'ambitions
excessives, d'avoir
le sentiment de ses limites, de sa
condition
mortelle, de
s'abstenir de
pensées
et
de
rêves
immortels.
Cet idéal, dont l'horizon
trop
mesuré a soulevé, dans
l hellénisme
même,
de fermes
protestations
1,
est-il également celui
du poète de
l'Odyssée
? Il n'en demeure pas
moins
qu'il
nous
a
montré
Ulysse
sollicité par
l'évasion,
s'il incline
finalement
vers
le
retour, et que dans l'épisode
de
Calypso
il a exprimé
poétiquement
le contraste de
la passion et
de
l'habitude, le conflit
de l'idéal
et du
réel, de l'absolu
et du relatif, qui
tentent dans
l'âme
humaine un
périlleux
accord.
Le poète
n'a
donc pas ignoré
l'inquiétude
sans
fond
ni l'immense
espérance ; il n'est
pas
étranger
à
l'émotion métaphysique,
issue
de la condition
humaine, émotion
qui est
de
toutes les époques, mais qui
s exprime particulièrement
aux
âges que
l'on peut dire
« modernes ».
Mais revenons à Calypso, demeurée dans
son
île, tandis
qu'Ulysse
vogue sur son radeau vers le pays des Phéaciens.
Calypso ne
pouvait se consoler
du
départ
d'Ulysse. Dans
sa
douleur,
elle se
trouvait malheureuse d'être
immortelle.
C'est
ainsi
que Fénelon commence son
récit
des Aventures
de Télémaque,
et
poursuit :
Sa
grotte
ne résonnait
plus
de
son
chant
:
les nymphes
qui
la
servaient n'osaient
lui
parler.
Elle
se
promenait
souvent seule sur les
gazons fleuris
dont
un printemps éternel bordait son île ; mais ces
beaux lieux,
loin de modérer sa
douleur, ne faisaient
que lui
rappeler
le
tristes
ouvenir
d'Ulysse,
qu'elle yavait vu tant
de
fois
auprès d'elle.
Souvent elle demeurait immobile
sur le
rivage de
la mer,
qu'elle
arrosait de ses larmes;
et
elle était sans cesse tournée vers le côté
où le vaisseau d'Ulysse, fendant
les
ondes,
avait
disparu à
ses yeux.
Ainsi,
c'est
la déesse,
cette fois,
qui se retire du côté
des grèves,
du
côté nostalgique,
pour pleurer.
Nous avons
vu
Ulysse
répudier
l'immortalité pour obtenir la
joie
du
retour ;
c'est
la
déesse
maintenant qui se trouve « malheureuse d'être immortelle »
Ce trait n'est point inventé par Fénelon ;
chez
Homère aussi,
Calypso
éprouve
le regret
d'être immortelle,
mais
sous
une
forme plus poignante encore. Dans Témélaque,
elle déplore
que
la
mort
ne
puisse venir mettre fin
à
son désespoir ; dans l'Odyssée,
il n'est
point question de
la douleur
de
la nymphe après
le
départ
d'Ulysse ; mais lorsqu'elle reçoit, de
la
bouche d'Hermès, l'arrêt
de Zeus qui lui enjoint de renvoyer
Ulysse,
elle exhale une
plainte
profondément
émouvante
: elle déplore d'être immortelle,
i.
Aristote,
Éthique
d
Nicomaque,
X
7,
11776
31-34.
8/16/2019 Joseph Moreau - Homère Poète Moderne
17/20
3i3
non parce
qu'elle
entrevoit un désespoir sans
fin,
mais parce
que
son rang
d'immortelle
l'exclut
des joies
permises
aux humains.
Elle
dit
à
l'envoyé
des dieux
:
Que vous
êtes mesquins, vous les
dieux, jaloux
plus que
personne,
qui enviez
aux
déesses
de prendre
dans
leur
lit, sans
détour,
un
homme, quand elles ont de
lui
fait l'ami de leur cur.
Elle évoque
les
redoutables vengeances
jadis
exercées par
Zeus,
chaque
fois
qu'une
déesse a cédé à l'amour
d'un
mortel :
Aujourd'hui [dit-elle]
c'est
mon tour ; vous m'enviez, ô dieux
la présence d'un homme, d'un mortel. Pourtant, c'est
moi
qui l'ai
sauvé,
quand
il
m'arriva seul, cramponné à la quille
de
son navire ;
car Zeus,
d'un éclair
de sa
foudre,
avait frappé
son mât et
disloqué
sa
coque
au milieu des
flots
sombres.
Son équipage
entier
de
braves
était
mort. Mais la vague et
les
vents sur
ces
bords le jetèrent
;
et
moi je l'accueillis, l'entourai de soins tendres,
et
lui
fis
la promesse
de
le
rendre immortel
et
jeune
à tout
jamais
*.
Mais les
dieux
ne
l'entendent pas
ainsi.
Calypso
souffre
d'être
une déesse
; elle envie
les libres amours
des
mortelles
;
son
immortalité a pour prix
son
bonheur. La pitié
dont
elle accueillit
son
naufragé, l'amour
qu'elle
ressent
pour
lui
et
qui rayonne dans
sa solitude,
toutes
les
affections
qui font
la
joie des simples femmes,
sont pour elle
des
sentiments
interdits.
Entre
l'homme
et la déesse,
celle
qui
vit
d'ambroisie
et
celui
qui se
repaît de nourritures
terrestres, il y
a, jusqu'en
leurs plus
intimes tête-à-tête, une
distance infranchissable
;
mais
c'est
pour la
déesse que
la
séparation,
le tourment de l'abîme, est le
plus douloureux.
Ulysse
peut se
consoler s'il renonce
à
son rêve
enchanté, à
un
bonheur
inaccessible; il lui
reste les
joies terrestres et
les tendresses
humaines ; mais pour la déesse, isolée dans sa condition surhumaine,
recluse dans son rang d'immortelle, il n'est
point d'adoucissement
à
sa
désolation, à
sa
solitude
intérieure. C'est
ce qui
fait le
caractère
poignant
de
la plainte
de
Calypso ;
elle
est l'expression
d'un
sentiment
qui
se
traduit
souvent
dans
la
poésie
moderne,
celui de
la
solitude
morale, où sont condamnées les âmes que
leur élévation, ou leur
orgueil, isole
de
la communauté des
hommes,
exclut des joies
et
des
affections
communes.
Toute
supériorité
est un
exil
:
tel
est le thème développé avec emphase
dans
le
Moïse
d'Alfred
de
Vigny.
Ce grand nom [nous dit le poète],
ne
sert que
de
masque à
un
homme de tous
les siècles et plus moderne
qu'antique : l'homme de
génie,
las
de
son
éternel
veuvage et
désespéré de
voir
sa
solitude
plus vaste
et
plus
aride
à mesure
qu'il
grandit
2.
i. Odyssée,
V,
1
18-120,
129-136.
2. A. de Vigny,
Lettre
à Mlle Maunoir,
du
27
décembre 1838.
8/16/2019 Joseph Moreau - Homère Poète Moderne
18/20
8/16/2019 Joseph Moreau - Homère Poète Moderne
19/20
315
C'est
seulement
quand l'émotion s'est
apaisée
que
l'esprit peut
s'emparer d'elle,
la
faire revivre, l'immortaliser
dans
un poème.
Mais la création
poétique
suppose
le détachement à
l'égard
de
la
vie,
une
sorte
d'ascétisme.
Écrire
un roman,
dit
un
personnage
de
Pirandello, est autre chose
que de le
vivre. Il faut
choisir :
« O si scrive, o si vive 1. » Le vivre est une aventure
éphémère
;
l'écrire,
c'est tenter
une
uvre éternelle.
Et celui qui veut accéder
à
cet
enchantement
de se
sentir
éternel doit renoncer
à poursuivre
la joie
présente
et
s'appliquer «
à la
recherche
du
temps perdu ».
L'effort poétique,
s'appliquant
non à jouir
du
présent, mais à
ressusciter lepassé,
réalise le miracle
du « temps retrouvé ».
Tandis
que
celui qui s'abandonne au courant de
la vie,
qui se plonge
dans les joies
du
monde,
n'a
pas le loisir
de
les
goûter
et
ressent
l'angoisse
du temps
qui
fuit,
celui
qui
s'en détache pour
reconquérir
le
passé,
éterniser le souvenir,
celui-là
s'élève
à une
conscience délicieuse et sereine : il a le
sentiment
d'une victoire
sur
le
temps.
Telle est une
solution
possible au
conflit
qui nous a été
représenté dans l'âme
humaine, celle qu'on
pourrait appeler le
salut poétique : solution
déficiente
sans
doute, mais qui
n'en
est
pas
moins
tentée dans les plus grandes créations littéraires de
notre siècle, dans l uvre
de
Proust ou
de
Pirandello ;
et il
n'est
pas
exagéré
de dire
qu'elle nous
est suggérée
par le
poète de
l Odyssée.
La tradition
nous
montre
Homère
sous les
traits d'un aède
aveugle
;
mais
n'oublions pas
que
cette
figure
apparaît
dans
le
poème de l'Odyssée, au festin chez
Alkinoos,
où nous voyons
intervenir
Dèmodokos, le
« divin aède
»,
le charmeur
sans
rival,
« à qui
la Muse
aimante avait
su
partager
et
les biens
et
les maux :
car, privé delà vue,
il
avait reçu d'elle le chant mélodieux ». 2
C'est
parce
que
ses yeux étaient
fermés
au
spectacle
du
monde
qu'il était capable de faire rayonner de divines
images. Séparé du
monde
visible, replié dans
un songe intérieur,
il
avait le don
d enchanter les esprits par des créations immortelles. Si nous nous
représentons de
la
sorte le poète de l'Odyssée,
nous
accusera-
t-on
d'anachronisme
?
Nous
reprochera-t-on
de
projeter
en
lui
les
inquiétudes
et
les aspirations
de l'âme
moderne,
de pécher
contre l'esprit historique,
de
culbuter les siècles. Mais l'esprit
historique est indigne de
ce
nom,
il
n'est
que
curiosité
superficielle, s'il
ne
s'intéresse qu'aux différences des temps, s'il est
inattentif
à l'identité et
à
la
permanence de l'humain. L'historisme,
qui, ne veut connaître
que la
diversité
successive, etl'historicisme,
qui
prétend relier les phases de
la
succession par une dialectique
implacable, sont des maladies
de
l'esprit historique. C'est la
conscience
de
la pérennité
de
la nature humaine à travers les
i.
L.
Pirandello,
Vestire
gli
ignudi,
acte
I,
p.
14
de
a 4e
édition.
2. Odyssée,
VIII,
63-64.
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20/20
316
vicissitudes de
l'histoire qui
fait le véritable esprit
historique,
qui
s'identifie
de
la
sorte avec l'humanisme ;
et
je croirais
avoir
accompli, aujourd'hui,
ma
tâche d'humaniste si
j ai
donné à
quelqu'un
d'entre
vous
le
goût
de
relire,
ou
de
lire
l'Odyssée.
Joseph
Moreau.