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RENÉ PICARD L’ART ENGAGÉ ? DÉPASSÉ, Sherbrooke samedi 5 mars 2011 • 102 e année nº12 LEADER DE L’INFORMATION RÉGIONALE 1,85 $ taxes en sus latribune.cyberpresse.ca L’art engagé aurait-il retrouvé ses lettres de noblesse? Alors que certains avaient annoncé la mort du phénomène, le gaz de schiste, le séisme en Haïti ou même le lock-out au Journal de Montréal ont semblé faire renaître la flamme de l’engagement chez les artistes du Québec. Voyons-nous éclore une nouvelle génération de Léveillée, Vigneault, Ferland, Vigneault et autres Charlebois, ou s’agit-il d’une simple parenthèse à un désillusionnement généralisé? Regards sur l’art engagé, version 2011.

Journal d'Écriture journalistique

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Textes des délégués de l'épreuve d'Écriture journalistique aux Jeux de la communication Infopresse

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RENÉ PICARD

L’ART ENGAGÉ ?DÉPASSÉ,

Sherbrooke samedi 5 mars 2011 • 102e année nº12 • LEADER DE L’INFORMATION RÉGIONALE • 1,85 $ taxes en sus • latribune.cyberpresse.ca

L’art engagé aurait-il retrouvé ses lettres de noblesse? Alors que certains avaient annoncé la mort du phénomène, le gaz de schiste, le séisme en Haïti ou même le lock-out au Journal de Montréal ont semblé faire renaître la flamme de l’engagement chez les artistes du Québec. Voyons-nous éclore une nouvelle génération de Léveillée, Vigneault, Ferland, Vigneault et autres Charlebois, ou s’agit-il d’une simple parenthèse à un désillusionnement généralisé? Regards sur l’art engagé, version 2011.

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SIMON-OLIVIER LORANGEJEUX DE LA COMMUNICATION INFOPRESSE

SHERBROOKE — Essoufflé, l’art engagé? Peut-être. Mort? Certainement pas!

En ces pages, neuf jeunes journalistes se penchent en 1000 mots sur la question de l’implication citoyenne au sein de la communauté artistique francophone québécoise et canadienne. Chacun à leur manière, ces reporters ont tenté de déve-lopper un filon de ce thème plutôt complexe.

Mais malgré neuf repor-tages bien distincts, une ligne directrice semble se dessiner : les artistes ont vu dans les années 2000, sinon dans la décennie précé-dente, un ralentissement dans la prise de parole, de position.

Or, malgré ce constat, il ressort également qu’un vent nouveau semble souf-fler sur un phénomène qui, il y a 30, 40 ans, mobilisait tant de gens.

* * *Défi lancé, défi relevé.

Emprisonnés très tôt jeudi dernier dans un « bureau » pour un rallye de recherche et de rédaction de 9 heures, chacun des participants de l’épreuve d’écriture journa-listique aura su mener à bien son reportage. Ont alors été

interviewés une multitude d’intervenants, avec au premier chef Biz, rappeur du groupe Loco Locass, et Christian Vanasse, comédien et humoriste notamment connu pour son implication au sein du groupe Les Zapartistes.

Par leur générosité, tous deux apportent à la réflexion un éclairage qui enrichit les textes produits. Difficile, donc, de ne pas les remer-cier pour le temps qu’ils ont accordé à nos scribes.

En outre, qui dit épreuve dit nécessairement juges. Sonia Bolduc, Mario Clou-tier, Simon Kretz et Odile Tremblay ont donc aima-blement accepté d’évaluer le travail des délégués.

Sonia Bolduc est jour-naliste au quotidien sher-brookois La Tribune depuis 1998. Pendant 9 ans, cette diplômée en rédaction et communication de l’Uni-versité de Sherbrooke s’est consacrée à la couverture de l’actualité sportive, étant même pendant 4 années l’une des rares femmes dans la province à occuper le poste de chef de ces pages reconnues plutôt machos. Elle fait aujourd’hui des reportages dans une pers-pective plus généraliste, et ce, dans toutes les sections du journal.

Mario Cloutier est chef de division, arts et cinéma, au quotidien La Presse. Détenteur d’un baccalau-réat en cinéma de l’Uni-versité Concordia et d’un autre plus généraliste avec mineure en journalisme à l’Université Laval, il a fait ses débuts dans la presse quotidienne comme pigiste avant d’entrer pour de bon au Devoir. Il y travaillera comme journaliste artis-tique puis comme corres-pondant parlementaire, rôle qu’il poursuivra ensuite à La Presse, avant de joindre en 2006 l’équipe des arts.

Chef de pupitre et adjoint au directeur de l’informa-tion à La Presse, Simon Kretz a lui aussi fait un détour par le monde des sports avant de revenir vers les nouvelles géné-rales. Rédacteur en chef du magazine Géo Plein Air de 1994 à 2000, ce diplômé de l’Université de Montréal en histoire et sciences poli-tiques fera par la suite ses débuts au pupitre de La Presse et deviendra chef de pupitre en 2004, poste qu’il occupe toujours.

Odile Tremblay est quant à elle critique, jour-naliste et chroniqueuse au quotidien Le Devoir depuis 20 ans. Détentrice d’un baccalauréat en ethnologie

Nous serions bien ingrats de ne pas saluer le dévoue-ment et la générosité de l’équipe du pupitre de La Tribune, qui a donné de son temps tard jeudi soir pour mettre en page les fruits du travail des parti-cipants.

Pensons ici à Marie-Ève Girard, graphiste, qui a adapté la maquette du journal pour le format réduit des Jeux de la communication et qui a conçu la une.

Merci également à Josiane Guay, Jonathan Custeau, Bernard Custeau, Mélanie Noël et Cynthia Beaulne pour leurs talents de pupitreurs et leur colla-boration spontanée au projet.

Ceci n’aurait par ailleurs jamais été possible sans la bénédiction de Maurice Cloutier, rédacteur en chef, qui a gracieusement accepté de prêter les instal-lations de La Tribune pour le montage du journal.

Pas fort, mais pas mort

Merci à La Tribune

de l’Université Laval, elle avait auparavant travaillé pendant 10 ans comme pigiste.

Enfin, comme un bon texte n’est rien s’il ne fait pas preuve d’une qualité de la langue irréprochable, mentionnons la collabora-tion de Joanie Dubé à titre de réviseure. Fraîchement diplômée de l’Université de Sherbrooke en communi-cation, rédaction et multi-média, elle a créé l’année dernière sa propre entre-prise, Oil Communication, spécialisée en révision linguistique et rédaction stratégique.

* * *Notre but étant de lancer

un défi à la fois stimulant et amusant aux partici-pants de l’épreuve d’écri-ture journalistique, nous espérons que tous les jour-nalistes d’un jour ont trouvé leur compte dans la formule que nous leur proposions cette année.

Dans tous les cas, spéci-fions que le réflexe de remettre son texte à quel-ques secondes de l’heure de tombée est déjà acquis par plusieurs d’entre eux, signe que de grandes carrières sont ici à prévoir...

Bonne lecture!

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GABRIELLE LEFORTUNIVERSITÉ CONCORDIA

SHERBROOKE — Quand on parle de musique engagée, un nom éclipse souvent les autres : Loco Locass. Depuis plus de 16 ans, le groupe défend fièrement la franco-phonie, l’indépendance du Québec, et les mouvements sociaux. Avec des paroles comme « J’te l’dis carré, catégorique / Jean Charest, Mike Harris : même combat, même charisme / Même kermesse des biens et services publics / Câlisse faut que ça finisse » (Libérez-nous des libéraux) et une maîtrise inégalée de la langue française, c’est difficile de passer inaperçu.

Vers la fin des années 90, une génération entière d’artistes engagés prenait la parole à travers des textes enflammés. Parmis tant d’autres, les Vulgaires Machins, Mes Aïeux, les Cowboys Fringants et Mononc’Serge se démar-quaient alors par leur plume bien aiguisée et leurs opin-ions tranchées. Depuis, le mouvement s’est considé-rablement estompé. Selon Biz, un des membres de Loco Locass, le ralentisse-ment a commencé en 2005, après les nombreuses grèves étudiantes. « C’est comme si on s’était essoufflés », dit-il.

Le facteur coolFranz Schuller, Président

et Directeur artistique de la maison de disques Indica, a bien du mal à trouver des exemples d’artistes émer-geants engagés à travers leur musique. Il explique ce manque par un phénomène qui sévit depuis quelques années. « C’est dû à une grande avancée de la ...cool-itude..., selon moi. Être cool est devenu beaucoup plus important qu’être engagé ». Il poursuit en disant que cette attitude est perpétuée par les médias, qui pensent que porter attention à de tels groupes leur donne une meilleure réputation.

L’esthétique trendy de

groupes comme Arcade Fire a créé un effet domino, comme l’explique Schuller, qui fait que tous les groupes veulent avoir le même son. Il affirme que ce mouvement est égoïste, introspectif et narcissique, tout comme le mouvement hipster. « Tout le monde veut être grandiose et épique. C’est quoi l’intérêt avec cette scène ? »

Pour sa part, Biz affirme que l’art engagé peut devenir populaire, mais que c’est la popularité d’une chanson qui donne de la puissance au message. « Le rôle premier de l’artiste est de faire de l’art de qualité. Un artiste qui fait de la merde, personne ne l’écoute », explique-t-il. « Quand la forme est poche, ça discré-dite le fond. »

Les paroles s’envolent, les actions restent

Biz fait remarquer qu’il y a une différence entre l’engagement de l’artiste à travers son art, et son engagement en tant que citoyen. Selon lui, les deux approches n’ont pas le même effet. « Grâce à l’art, on peut avoir un impact important. Les gens s’amusent et

pensent en même temps, » explique-t-il.

Même son de cloche du côté d’Audiogram, la maison de disques de Loco Locass. Étienne Roy, du départe-ment de marketing New Web et Radio chez Audio-gram, affirme qu’il y a deux poids deux mesures. Beau-coup d’artistes sont impli-qués en tant que personnes sans pour autant exprimer d’opinions politiques dans leurs chansons.

Les gestes que posent les artistes ne sont pas directe-ment liés aux paroles de leurs chansons, bien que parfois les deux s’entre-croisent. C’est le cas, par exemple, d’Ariane Moffatt, qui a non seulement parti-cipé à la 17e édition de la Semaine de prévention du suicide, mais également écrit la magnifique chanson Jeudi, 17 mai à ce sujet. Roy remarque toutefois lui aussi que c’est assez rare de trouver des artistes engagés à travers leur musique. « Je ne sens pas de mouvement, pas de démarche artistique concentrée là-dessus. »

Pour Schuller, ce n’est pas nécessaire que chaque

artiste soit engagé dans sa musique. Il y a par contre une énorme différence entre un geste honorable et un coup de publicité. « Si tu veux chanter des chansons d’amour et poser des actions engagées, il n’y a pas de problème. Est-ce que c’est honnête? Ça reste à voir », dit Schuller.

Jérôme Dupras, des Cowboys Fringants, ne fait pas la différence. Il affirme que l’action sociale et politique est intégrée à la manière de vivre. Dupras est lui-même instigateur de la Fondation des Cowboys Fringants, une fondation activement impliquée dans la sensibilisation et le finan-cement de projets sur le plan environnemental. « C’était une continuité de la manière de penser, » explique-t-il. « Artistiquement, on peut évoluer autrement. »

L’apathieEn tant que Directeur

artistique et Président d’Indica, Schuller trouve dommage de ne pas rece-voir de démos de groupes qui tentent de raviver la flamme. « Je regrette de

ne pas avoir un groupe comme les Colocs. C’est un manque. »

Schuller affirme que pour catalyser le retour de la chanson engagée, il faut un exemple, un héros qui ait le courage de dire ce qu’il pense. Pour le moment, les groupes populaires et les chansonniers semblent avoir passé le flambeau aux groupes punk et hardcore. Ces derniers ont toujours été très militants, et Schuller, lui-même membre du groupe hyper-engagé GrimSkunk, en connaît un rayon. Il dit que chez les groupes qui s’adressent à un public plus général, « ça dénote un laisser-faire, une certaine apathie sociale et musicale. »

Sans se prononcer sur la scène musicale actuelle, Dupras affirme que la musique engagée néces-site une certaine urgence, une motivation forte de la part des individus, ce qui manque en ce moment. Il explique : « Il y a un vide politique qui se traduit dans la chanson. Mais ce vide ne peut pas durer, il y a un point de bascule. »

La chanson engagée s’essouffleQU’ILS DISENT « WO ! » AUX PROJETS D’EXPLOITATION DE GAZ DE SCHISTE OU QU’ILS APPUIENT LES LOCK-OUTÉS DU

JOURNAL DE MONTRÉAL, LES ARTISTES QUÉBÉCOIS SE FONT DE PLUS EN PLUS REMARQUER POUR LES GESTES QU’ILS

POSENT. TOUTEFOIS, DÈS QU’IL EST QUESTION DE MUSIQUE MILITANTE, LE CONSTAT EST TOUT AUTRE. EN EFFET, SUR CE

PLAN, ON POURRAIT MÊME PARLER D’UN ESSOUFFLEMENT DES ARTISTES QUÉBÉCOIS QUI SONT, SELON CERTAINS, TROP

OCCUPÉS À ÊTRE COOL.

ARCHIVES, LA PRESSE

Jérôme Dupras, des Cowboys Fringants, affirme que l’action sociale et politique est intégrée à la manière de vivre.

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MATHIEU MASSÉ UNIVERSITÉ LAVAL

SHERBROOKE — « C’est un terme avec lequel je suis un peu mal à l’aise, explique Christian Vanasse, membre du groupe humo-ristique Les Zapartistes. C’est associé à tout ce qui est “de gauche”. Les écolo-gistes ou les pacifistes, par exemple, sont considérés comme engagés, mais les autres? » Il parle de tous ceux qui sont délaissés par ce mot. L’humoriste se demande pourquoi donner l’étiquette « engagé » à seulement certains acteurs de la société. « Est-ce qu’un fasciste est moins engagé qu’un écologiste? », demande-il pour semer le doute.

L’art est depuis toujours considéré comme un moyen d’expression par excellence. Cependant, il est important de s’inter-roger à savoir si l’art que l’on perçoit comme engagé prend le dessus sur l’art tout court. Plusieurs se demande si le processus artistique ne serait pas un engagement en tant que tel, transformant auto-matiquement l’artiste en artiste engagé. Alexandre Poulin, un auteur-composi-teur-interprète de la région de Sherbrooke exprime cette pensée d’une manière simple : « Aussitôt que tu donnes ton opinion ou que tu poses des questions, tu deviens engagé. »

Partir de l’an 2000M. Vanasse explique

que la lutte a bien changé depuis le début des années 2000. En effet, le contexte militant n’est plus le même. Il y a environ dix ans, le milieu militant était très actif. « C’était électrique comme atmosphère à ce moment-là, dit-il, citant en exemple le Sommet des Amériques de Québec en 2001. »

Dans la société des années soixantes et soixante-dix, le militan-

tisme dans le domaine de la musique se faisait sentir de manière extrêmement forte avec les Beau Dommage, les Séguins ou les Paul Piché. « Ça nous a mené au réfé-rendum de 1980 et quand on a perdu, il y a eu comme un essoufflement j’ai l’impres-sion », tente d’expliquer Alexandre Poulin.

Sarah Boucher, conser-vatrice du musée des beaux-arts de Sherbrooke, va dans le même sens que M. Poulin en disant au sujet des arts visuels, que l’en-gagement était beaucoup plus présent dans le passé. « C’était plus dans les années cinquante, soixante qu’on pouvait sentir ça », dit-elle en parlant de l’am-biance engagé de l’art.

De nos jours, les thèmes ont bien changé en arts visuel. Mme boucher constate qu’on parle beau-coup plus d’écologie et que l’engagement par rapport à l’art lui-même est très présent. Les artistes remet-tent en question leur statut

d’artistes. Alexandre Poulin

continu en disant que depuis une dizaine d’année, les artistes de la relève tentent de reprendre le flambeau en allant aussi bien dans le gros militan-tisme, faisant référence aux Cowboys Fringants, que dans la subtilité, en pensant entre autres à Karkwa.

Christian Vanasse explique que les gens, à force de toujours mani-fester, se sont rendu compte que ce n’était peut-être pas la meilleure manière de s’opposer au système. « Parce qu’à force de violence, ça finit par dégé-nérer. Un jour la police lance du gaz lacrymogène, mais un autre ce sera de vrais balles et c’est là qu’il faut se demander si on a les gosses pour prendre notre fusil, nous aussi, pour affronter la police. Sinon on doit trouver une autre manière de faire les choses », raisonne-t-il.

Une nouvelle décennie artistique

En 2011, on voit une nouvelle classe artistique, certainement pas moins engagée, selon lui, mais plus mature. On commence à délaisser les manifes-tations pour se tourner vers les mouvements poli-tiques. « On verse main-tenant plus dans l’action que dans la réaction. La manifestation c’était la réaction, le discours poli-tique c’est l’action », de dire celui qui s’est présenté aux élections fédérales de 2007 dans la circonscription de St-Hyacinthe–Bagot pour le parti néorhino.ca.

« J’étais vraiment cave pendant ces élections-là. Vraiment cave! », dit-il en riant. Cependant, il rit jaune, car selon lui il y a un gros problème : plus de 600 personnes ont voté pour lui. « Il y a vraiment quelque chose d’épouvan-table dans le fait d’aller voter pour un parti poli-tique aux promesses

farfelues plutôt que, à la limite, de s’abstenir. » Cela démontre selon lui une expression de ras-le-bol et de dégoût de la classe politique.

La politique dans l’hu-mour est présente depuis déjà bien longtemps, mais l’humour dans la politique fait son apparition depuis quelque temps seulement, probablement issue du cynisme ambiant. On peut voir les Zapartistes avec Christian Vanasse, mais aussi Les Parlementeries un spectacle critique de la politique de l’année courante.

Quand on lui demande ce qui l’a poussé, lui et ses camarades, vers l’humour intelligent, il rétorque que son humour n’est pas plus « intelligent » qu’un autre. C’est aussi un terme avec lequel il n’est pas à l’aise. « De l’humour c’est une question de degrés, pas d’intelligence, parce que pour imaginer une blague, même la plus conne, il faut avoir l’intelligence de lier les éléments ensemble et de se dire : tiens, c’est drôle ça! », illustre l’hu-moriste.

C’est donc dire que pour être engagé, on n’a pas besoin d’être un manifes-tant avec un masque à gaz et un bâton dans les mains. Pas besoin non plus d’être acide et gratuit dans ses propos. Il dresse par là un portrait grossier de la personne « engagée », mais le membre des Zapartistes veut amener le point que le besoin de tout donner au public tout cuit dans la bouche n’existe pas. « On peut faire le départ, mais il faut leur faire faire leur bout de chemin aussi », continue-t-il. C’est le pouvoir du non-dit, un peu comme le hors-champ au cinéma.

« Aujourd’hui, il faut dire, sans nécessaire-ment tout dire. C’est un peu le travail des artistes du moment », termine Alexandre Poulin.

Être engagé, un choix ?SITUATION DE L’ART ENGAGÉ EN 2011

QU’EST-CE QU’ÊTRE ENGAGÉ? MAIS SURTOUT, QU’EST-CE QUE CELA VEUT DIRE? DANS LE DOMAINE DE L’ART, L’ENGAGE-

MENT EST SOUVENT PERÇU COMME UNE PREUVE DE MILITANTISME, MAIS LA QUESTION RESTE ENCORE : PEUT-ON POSER

UN ACTE, PEU IMPORTE LEQUEL, SANS ÊTRE ENGAGÉ? UN REGARD EST POSÉ SUR CET ENGAGEMENT ARTISTIQUE QUI A

BIEN ÉVOLUÉ DEPUIS LE DÉBUT DES ANNÉES 2000.

PHOTO TIRÉE D’INTERNET

«Aussitôt que tu donnes ton opinion ou que tu poses des questions, tu deviens engagé», dé-plore Alexandre Poulin.

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CAROLE-ANNE CORMIERUNIVERSITÉ DE MONCTON

SHERBROOKE — Depuis quel-ques années, des artistes de partout au Québec et d’ailleurs dans la franco-phonie canadienne semblent porter un intérêt plus prononcé aux différentes causes et débats que notre société connait. Ils sont de plus en plus nombreux à tendre la main ou à faire entendre leur voix, et multi-plient non seulement les occasions de faire preuve d’engagement, mais les manières de le faire aussi.

Que ce soit pour sensi-biliser les gens à diverses causes environnementales, offrir du soutien à ceux dans le besoin ou dénoncer les agissements politiques du gouvernement, ces person-nalités artistiques font preuve d’initiative et d’ori-ginalité pour faire passer leurs messages à travers leur art.

« Les artistes sont le reflet de la société dans laquelle ils vivent. Les gens leur donnent un aura qui doit se mettre au service des causes », explique Christian Vanasse d’un ton empreint de certitude.

Humoriste, improvisa-

teur et auteur, Vanasse en est un de ceux qui n’a pas peur de l’engagement. Pour dénoncer les injustices dont il est témoin, et parfois victime, il a recours à un outil qui est loin de lui être étranger : l’humour.

En effet, c’est entre autre au sein du groupe d’humour politique les Zapartistes que l’élu municipal de Saint-Jude expose publiquement son opinion sur les enjeux qui entourent la politique québécoise.

« Tout ce qu’on veut faire, c’est parler de politique, affirme-t-il. On veut mettre de l’humour dans le militan-tisme et non du militantisme dans l’humour. »

Récemment, les inquié-tudes entourant l’explora-tion du gaz de schiste près de la résidence de l’ar-tiste furent l’objet de son humour parfois cynique. Malgré le fait que ce dossier le concerne et l’inquiète particulièrement, Vanasse fut en mesure de trouver des éléments risibles pour l’humoriste en lui.

Selon David Lonergan, auteur et journaliste œuvrant dans le domaine artistique depuis plus de quarante ans, cet exemple reflète parfaitement la

tendance actuelle qui s’est installée chez la plupart des artistes qui démontrent leur engagement envers des causes quelconques.

« De nos jours, l’enga-gement des artistes est un combat beaucoup plus indi-viduel que sociétal. Jadis, ils s’engageaient dans des débats d’ordre plus global comme les droits de la femme, par exemple, pour changer le monde. Aujourd’hui, c’est différent ; ils portent maintenant beau-coup plus d’importance à des causes qui correspondent plus précisément à leurs valeurs et à ce en quoi ils croient », avance-t-il.

À entendre ses propos, voilà pourquoi ils seraient de plus en plus nombreux à vouloir se faire entendre, par exemple par l’entremise de l’humour, comme c’est le cas pour Vanasse.

« L’humour a une fonction de critique sociale puisque le rire permet de faire avaler des affaires qui auraient de la misère à passer autre-ment. C’est une façon effi-cace de faire voir au monde les travers de la société et de partager ses opinions », poursuit Lonergan.

De toute évidence, c’est une formule qui semble être

gagnante pour Vanasse et sa troupe indépendantiste. Grâce à leur satyre, ils sont en mesure de faire passer leur message tout en diver-tissant leur public qui ne fait que rassembler davan-tage de gens à chaque repré-sentation.

La portée universelle de l’humour

L’efficacité de cet outil qui fait rire est bien loin de se limiter au Québec. Au Nouveau-Brunswick aussi, des artistes francophones démontrent leur engage-ment politique et citoyen grâce à l’humour.

Selon André Roy, comé-dien et humoriste acadien, l’humour a une portée universelle qui va chercher tout le monde et qui facilite la transmission de diverses opinions.

« Quand ce n’est pas comique, les gens pensent et analyse chaque mot que tu dis pour en trouver le sens alors que lorsqu’ils rient ils ne réalisent pas toujours ce qu’ils viennent d’entendre sur-le-champ. C’est beau-coup moins lourd lorsque c’est traité avec humour. Ils peuvent plus se reconnaître comme ça », explique-t-il.

Le mois dernier, Roy et sa

troupe ont fait une tournée provinciale avec La Revue Acadienne. Ce spectacle humoristique revoit les événements marquants de l’année à travers des sketchs, des imitations et des chansons d’une manière pouvant rappeler à plusieurs le célèbre Bye Bye. Les sujets qu’ils abordent ne se limitent pas à la politique comme les Zapartistes, mais passent des arts, aux sports en abor-dant même la religion.

« Notre principal objectif est de faire bouger les choses. Les journalistes n’ont pas le choix de demeurer neutres. Nous, on peut y mettre notre opinion. On peut montrer notre penchant pour faire réfléchir les gens », pour-suit-il.

Ce désir de changer les choses est donc répandu. L’engagement de ces artistes n’est en rien discret et reflète très bien le dynamisme qui habite les gens du milieu artistique dernièrement.

« Nous faisons face à un phénomène différent de l’effort militant qui régnait dans les années soixante-dix, conclue Lonergan, mais les changements qui en découlent peuvent être tout aussi positifs. Ce n’est que la portée qui diffère. »

L’engagement : l’art-illerie des artistes

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

Humoriste, improvisateur et auteur, Vanasse en est de ceux qui n’ont pas peur de l’engagement.

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ANTHONY CÔTÉ LEDUC UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL

SHERBROOKE — Juste avant d’être nommé comme Patriote de l’année 2008 par la Société Saint-Jean Baptiste, Biz, un des trois membres du groupe de hip-hop québécois Loco Locass, y allait d’un sombre pronostic. Il annonçait la mort éventuelle de la langue française. En 2011, le rappeur n’a pas encore changé son fusil d’épaule mais n’est pas cynique pour autant.

« Toutes les langues du monde, aussi omnipotentes soient-elles, meurent un jour. Le latin a disparu et l’anglais disparaîtra à un moment donné», constate le rappeur. «Pour ce qui est du français, je veux tout faire en mon pouvoir pour retarder sa mort. Je ne veux pas la voir disparaître de mon vivant », rajoute-t-il avec passion.

Sébastien Fréchette, de son vrai nom, est aussi persuadé que le hip-hop est un médium idéal pour transmettre des messages forts et pour témoigner de son engagement envers une cause.

« “Le médium, c’est le message”, disait MacLuhan. Si tu fais un beau petit discours de poli-ticien en cravate, personne ne vas t’écouter. La forme n’est pas attirante. C’est pourquoi le rap, grâce à sa musicalité et son côté festif, est un véhicule parfait pour défendre ses idées », analyse le rappeur.

Biz explique aussi que Loco Locass n’est pas néces-sairement le seul modèle de hip-hop engagé que l’on peut retrouver dans la Belle Province. « Le simple fait de faire du rap en français, même s’il n’est pas parfait ou politiquement teinté comme le nôtre, constitue aussi une forme d’engage-ment envers la langue », raconte-t-il.

De l’anglais au françaisLe rappeur trentenaire

explique aussi qu’il est de plus en plus fréquent de voir

L’ART ENGAGÉ EN 2011

Le hip-hop québécois défend sa langue« QUELQU’UN A DÉJÀ DIT QUE LA LANGUE N’EST PAS UN DROIT INDIVIDUEL MAIS COLLECTIF. JE VEUX AVOIR DES GENS AVEC

QUI PARLER FRANÇAIS ET C’EST POURQUOI JE DÉFEND CE DROIT AVEC MA MUSIQUE », AFFIRME SIMPLEMENT BIZ, CHANTEUR

DU GROUPE LOCO LOCASS. PORTRAIT D’UN MILIEU MUSICAL QUI FAIT DES PIEDS ET DES MAINS POUR PROTÉGER SA LANGUE.

des artistes hip-hop décider de passer de l’anglais au français pour rapper. Il croit que ce virage linguis-tique s’observe surtout chez les plus jeunes. « Ils aiment la richesse de la langue et le seul fait de l’utiliser pour rapper témoigne d’un enga-gement intrinsèque envers elle. Ça la fait rayonner », poursuit-il.

Une réalité qui n’a pas échappée à Samuel Daigle-Garneau, éditoria-liste pour le site internet hiphopfranco.com, une réfé-rence dans le domaine.

« Au début des années 90, tout le monde au Québec rappait en anglais. Depuis 1995, de plus en plus de gars ont fait un choix différent. Celui de faire de la musique francophone. C’est une prise de position claire », explique-t-il.

Une prise de position linguistique qui quitte

parfois même les cercles de la musique. Samuel Daigle-Garneau explique que certains acteurs bien connus du milieu, dont le rappeur Webster et le collectif 13e étage, font maintenant des tournées dans les écoles du Québec pour faire la promotion de la langue de Molière.

Il estime toutefois que même si le français est de plus en plus utilisé, il n’est pas nécessairement pour autant bien maîtrisé. « C’est bien beau de s’engager pour la cause du français, mais il y a encore une majorité de rappeurs qui font des fautes d’orthographe à la tonne lorsqu’ils écrivent. Des fois, ça fait un peu pitié à voir », rajoute le critique musical. Il considère d’autant plus que le hip-hop est aussi le style musical qui fait l’usage le plus abusif des anglicismes.

Marc-Antoine Arbour, administrateur du site internet de critiques musicales Monjukebox.ca, est également lui aussi à l’affut de ce qui se fait dans le milieu. Il remarque aussi cette tendance des rappeurs québécois à utiliser, ce qu’on appelle dans le jargon, du « fran-glais ».

« Le hip-hop vient des États-Unis et c’est normal que plusieurs individus et groupes emploient du slang [argot] anglophone dans leurs compositions. Je dirais même que ça empire un peu depuis quelques années », explique-t-il.

Poursuivre la lutteMalgré toutes ces contin-

gences, Biz persiste et signe. Le rappeur estime que l’en-gagement du hip-hop envers la langue devrait se faire naturellement.

« Nous avons une respon-sabilité avec le français. C’est notre matériau de base. C’est comme si un menuisier refusait de défendre le reboisement des forêts », dit-il.

Il ne compte d’ailleurs pas cesser de se battre pour les idéaux auxquels il croit.

« Dans la pièce de théâtre d’Edmond Rostand, le personnage de Cyrano de Bergerac disait “On ne se bat pas dans l’espoir de succès! Non, c’est bien plus beau lorsque c’est inutile! ”. Je n’arrêterai pas. Le fran-çais fait partie de moi. Il est dans mon sang », assure-t-il.

Avec ses vers, sa musique et ses amis, Biz compte lutter encore longtemps pour la langue qu’il aime et souhaite ardemment que le reste de la communauté du hip-hop au Québec fasse de même.

ARCHIVES LA PRESSE

Certains acteurs bien connus du milieu, dont le rappeur Webster et le collectif 13e étage (notre photo), font maintenant des tournées dans les écoles du Québec pour faire la promotion de la langue de Molière.

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RENDALL SYLVAIN-HERNANDEZUNIVERISTÉ D’OTTAWA

SHERBROOKE — Les passions engendrées par la vidéo de Roy Dupuis et sa bande contre l’exploration du gaz de schiste confirme que l’engagement des artistes connait une vogue crois-sante au Québec. Au nom du nationalisme, de l’envi-ronnement ou de tout autre thème au goût du jour, le jet set québécois décrie de plus en plus à l’unisson certains gestes ou projets gouverne-mentaux répréhensibles à ses yeux.

Depuis que la Révolu-tion tranquille a accouché de l’art engagé, plusieurs comédiens, chanteurs, scénaristes et réalisateurs en assurent la viabilité. Cette approche s’appuie sur des piliers du monde artistique, bien qu’elle ait réellement pris son envol depuis les années 2000.

Par contre, comme le souligne Pascale Lévesque de RueFrontenac.com, l’engagement des artistes varie selon leurs intentions. « Prenons le cas du vidéo du gaz de schiste. Je crois Roy Dupuis sur parole lorsqu’il traite du dossier, car il l’a certainement examiné préalablement. Pouvons-nous dire la même chose de sa bande ? Nul doute que plusieurs d’entre eux ont suivi la parade pour une question d’apparence et se servent de leur poids médiatique pour influencer l’opinion publique. »

Même si elle évoque un certain effet pervers, Mme Lévesque réitère l’impor-tance de l’art engagé au Québec. « Ceux qui suivent les traces de Pierre Fala-radeau et de Paul Piché au Québec traduisent la réalité et ils la vulgarisent. J’ad-mire les artistes qui s’im-pliquent dans des causes nobles afin de démontrer que la réalité a parfois d’autres facettes. Avec la conjoncture économique, le fait de jumeler engagement social et emploi devient extrêmement compliqué. »

La langue de MolièreDu coup, l’ex-lockoutée

s’empresse de vanter les mérites du groupe Loco Locass. Il va sans dire, le trio a su profiter de cette approche artistique pour gravir les échelons de la

musique d’ici, et surtout, pour gagner le cœur de nombreux Québécois.

Or, le groupe ne fait pas l’unanimité. Son message nationaliste et la façon dont il l’aborde froissent quelques francophones ailleurs au Canada. « Je me souviens, à mes premiers Jeux de la Communication, Loco Locass s’était produit et Biz (du groupe Loco Locass) y était allé d’un discours où il blâmait les francophones de Moncton. En fait, il se demandait pourquoi ces derniers avaient l’esprit libre, car le nom de leur ville tire ses origines d’un général les ayant déportés », raconte Karine Godin, anima-trice à la station CFBO à Moncton.

Biz s’en souvient. Il s’en souvient très bien même. Encore aujourd’hui, sans aucune animosité, il réaf-firme sa position. « Moncton est un exemple parmi tant d’autres. À Québec, une statue du Général anglais Wolfe y est érigée. Pour nous remémorer l’histoire? Nous avons passé à autre chose, nous sommes maintenant un peuple distinct des anglo-

phones, avec nos qualités, nos défauts, mais surtout, nos différences. Avec nos chansons, nous voulons rendre les gens heureux et fiers d’être francophones, que ce soit à Winnipeg, à Moncton ou au Québec »

Il soutient que le succès de Loco Locass provient de la popularité des chan-sons phares du groupe. « L’hymne à Québec, Le But et Libérez-nous des Libéraux s’inscrivent dans la culture québécoise, grâce à nos positions, mais également à l’aide de la mélodie. Nous pouvons vivre de la chanson et avoir un maximum d’audi-teurs parce que la forme du message transporte le fond. »

Ironiquement, les chan-sons à saveur séparatiste de Loco Locass se hissent souvent au sommet des diffé-rents palmarès en Acadie. « Le monde en demande et en redemande. Tout comme les chansons des Cowboys Fringants. Un hit, c’est un hit. En tant qu’animatrice, je m’en réjouis. Ces acteurs de la de la société québécoise nous donnent le pouls de la culture voisine, mais d’une langue semblable », ajoute

Mme Godin.

Choc générationnelEn outre, Biz ne tarit pas

d’éloges envers une de ses inspirations, Paul Piché. Ce dernier, à l’inverse, n’est pas strictement associé à ses engagements politiques et environnementaux. « La raison est simple : lorsque je commence à écrire, je me laisse porter par mes émotions qui reviennent de façon cyclique. Parfois, c’est l’amour, d’autres fois, le nationalisme. Je peux commencer à écrire une chanson d’amour et finir avec une œuvre qui traite de séparation », dit le chan-sonnier.

Il explique qu’il existe deux Paul Piché, l’auteur-compositeur-interprète et Paul l’engagé socialement. « Lorsque je m’engage dans une cause, je réfléchis, j’ai une démarche personnelle. Tandis que lorsque j’écris, je compose ou je chante, je laisse tout simplement aller mes émotions et mon humeur. J’étais comme ça dès le jour un. Or, avant, personne ne voulait s’en-gager avec moi dans le mode artistique ; les gens voyaient

davantage l’artiste. Avec l’avènement de l’art engagé, les Québécois rencontrent souvent mes deux côtés. »

Dans la même veine, Kevin Tierney, produc-teur et scénariste de Bon Cop, Bad Cop et de French Immersion (juillet 2011), a confié que « jamais je n’aurais osé transposer mes idées actuelles au petit écran dans les années 80 »,

M. Tierney amène à l’avant-plan les quelques différences stéréotypées entre les francophones et anglophones dans Bon Cop, Bad Cop. Toutefois, il se considère différent des revendicateurs artistiques tels Paul Piché, Loco Locass et autres.

« J’apprécie ce que font les artistes lorsqu’ils passent des messages à la société. Par contre, je n’abonde pas dans le même sens, même si plusieurs le pensent. Je fais des films pour divertir, tout simplement. Sauf que, dans le cas French Immersion, avec le débat sur la loi 101 catalysé par le député conservateur Maxime Bernier, je sens que mon film aura une conno-tation politique », ajoute-t-il avec un brin d’humour.

S’engager, en ré majeur

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«Lorsque je m’engage dans une cause, je réfléchis, j’ai une démarche personnelle. Tandis que lorsque j’écris, je compose ou je chante, je laisse tout simplement aller mes émotions et mon humeur», raconte Paul Piché.

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FRANCIS A-TRUDELUNIVERSITÉ DE SHERBROOKE

SHERBROOKE — Pour les artistes, l’exercice est périlleux : marcher sur le fil ténu de la crédibilité et de la notoriété en portant une cause noble mais lourde à bout de bras.

Biz en sait quelque chose. Le chanteur du groupe Loco Locass a multiplié les engagements sociaux au cours des dernières années : la souveraineté, la réconciliation avec les premières nations, le suicide, et, finalement, le gaz de schiste. Le rappeur figurait dans la produc-tion virale dirigée par le metteur en scène Dominic Champagne.

« La définition d’un artiste va de pair avec l’en-gagement, affirme-t-il. C’est ce qui le distingue de la vedette, qui est un amuseur, un fou du roi. Pour les gaz de schiste, mon propos n’était pas véhiculé par mon rap ou par mon écriture, mais ça restait de l’art, mû par une intention. »

Un art, certes, mais cari-caturé à maintes reprises. L’artiste qui grimpe sur sa fragile tribune, posée en équilibre sur sa vacillante popularité, ne s’expose-t-il pas inutilement à une chute fatale chaque fois qu’il prend la parole sur un sujet politique?

« Il y a toujours un risque à se prononcer sur tout et sur rien, avoue Biz, mais je ne le fais pas aveuglément. Je me documente avant d’endosser une cause, c’est certain. Il faut aussi choisir la bonne, parce qu’on se délaye et qu’on se dilue au fil des engage-ments. À un moment donné, les gens sont vaccinés à ta présence et n’écoutent plus ce que tu dis. »

« Moi-même, parfois, à force de me voir à la télé ou de m’entendre à la radio, il m’arrive d’être écœuré de moi. »

Reste alors à se taire. À disparaître.

Provisoirement, du moins, le temps d’être rattrapé par la variante

MULTIPLES PARODIES. RÉACTIONS ACERBES. COMMENTAIRES FIELLEUX. À PEINE MISE EN LIGNE, LA VIDÉO DANS

LAQUELLE ROY DUPUIS ET SA BANDE EXIGENT UN MORATOIRE SUR LES GAZ DE SCHISTE A FRAPPÉ UN MUR COMPACT

D’IRONIE ET DE SARCASME. MAIS POURQUOI CETTE APPRÉHENSION LORSQUE LES ARTISTES S’ENGAGENT HORS DE LEUR

ART? WO! UN INSTANT. ARRÊT SUR L’IMAGE ET ZOOM SUR LES CRAQUELURES D’UN MALAISE SOCIAL.

Engagez-vous, qu’ils disaient...

d’un célèbre postulat de communication : on ne peut pas ne pas s’engager.

« Quand on traite abon-damment d’un sujet, il vient un moment où les médias nous appellent parce qu’on a sûrement quelque chose à dire là-dessus. Notre silence est alors interprété comme une complicité tacite. Ça fait partie de la game. Il faut assumer que nous prenons beaucoup de place dans les débats publics, que nos propos sont relayés par les journalistes chaque fois que nous le dési-rons, mais que nous avons le luxe de réfléchir avant d’écrire ou de parler. »

Problèmes d’identité« De mon côté, au nom de

tous les artistes qui se font la voix des citoyens, je vous

promets que nous y serons, car je demeure votre tout dévoué. »

C’est ainsi que Dominic Champagne a conclu sa lettre adressée au ministre de l’Environ-nement, Pierre Arcand. La formule, quelque peu pompeuse, illustre bien le phénomène qui cause des grincements de dents à certains lorsqu’un artiste leur prête sa voix vibrante et bien modulée.

Quelle identité revêt-il, au juste?

« L’artiste joue le rôle d’un porte-parole dans une pub et permet ce que j’appelle un raccourci entre l’individu et le sujet : une personne appréciée qui semble suffisam-ment crédible pour faire rejaillir cette crédibilité

sur la cause », explique Francine Charest, profes-seure en relations publi-ques à l’Université Laval et directrice de l’Observa-toire des médias sociaux en relations publiques.

« Sauf que l’inverse est aussi vrai. Quelqu’un qui n’aime pas tel artiste pourrait se dire : “De quoi se mêle-t-il encore? “ Mais bien souvent, ceux qui ne l’aiment pas n’aiment pas plus la cause. C’est une question de cohérence. Il faut bien choisir le porte-parole en fonction de la cible que l’on vise. »

À cette identité floue s’ajoute une ambigüité qui entache la mission première de l’artiste : celui de créer.

« Il y a une double conta-mination lorsque l’artiste

cherche à produire une œuvre reconnue comme de l’art et qu’il tente parallèle-ment de livrer un message politique, énonce Dany Baillargeon, qui enseigne la publicité à l’Université de Sherbrooke. Son statut devient double, et il prête le flanc à la critique. »

« Au Québec, il règne encore un esprit de clocher, une proximité avec les artistes qui n’existe pas dans beaucoup de pays. Comme nous n’avons pas une culture de contesta-tion, nous préférons voir nos artistes dans le confort de leurs rôles. Certains ont de la difficulté à départager la part de l’artiste et la part du citoyen. La confusion entraîne un désintéresse-ment envers la cause et, parfois, du mépris. »

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«Au nom de tous les artistes qui se font la voix des citoyens, je vous promets que nous y serons, car je demeure votre tout dé-voué», a écrit Dominic Champagne au ministre de l’Environnement, Pierre Arcand.

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OLIVIER MORNEAUUNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL

SHERBROOKE — Chaque année, l’Action terroriste socialement acceptable (ATSA) organise l’État d’urgence, une exposi-tion d’art visuel en plein cœur de Montréal. Ce qui distingue cette galerie d’art à ciel ouvert de votre musé favori est son carac-tère engagé, puisque vête-ments et nourriture sont distribués aux sans-abris amassés tout près. Si Loco Locass, Richard Desjardins et les autres figures popu-laires sont souvent perçues comme le fer de lance de l’engagement artistique, d’autres groupes travaillent à faire de même.

« Tout d’abord, on est des artistes. Avec la montée de la pauvreté, on essaie de lancer un cri d’alarme », explique la co-fondatrice, Annie Roy. Les quatre journées que constitue l’État d’urgence permet-tent, selon elle, de bâtir un pont entre l’action directe et l’art, qu’elle qualifie de « geste intime ». « Grâce à l’art, l’impact de nos gestes peut être décuplé. »

Selon Ève Lamoureux, professeur d’histoire de l’art à l’Université du Québec à Montréal et auteure de l’essai Art

et politique, « beaucoup d’artistes font passer leur message à travers l’art visuel ». Il y a, par exemple, le collectif BGL. Constitué de sculpteurs, celui-ci n’uti-lise que des matériaux recy-clés lors de la fabrication de ses oeuvres. Ou encore Armand Vaillancourt, que Mme Lamoureux compare à Gilles Vigneault au niveau de son implication politique. « La façon de fabriquer une œuvre vaut autant que l’œuvre elle-même », conclut-elle.

Le hip-hop demeure un style musical apprécié par les musiciens engagés. Muzion et Sans Pression, deux collectifs de hip-hop québécois, en sont l’exemple. Ils ont lancé, au début du millénaire, des albums avec des textes tran-chants bourrés de revendi-cations sociales. Si l’album La réplique aux offusqués de Sans Pression s’est écoulé à plusieurs milliers d’exemplaires, ceux de ses confrères n’ont pas connu le même engouement.

Certains utilisent l’art souterrain pour exprimer leurs revendications. Le graffiti, moyen d’expres-sion très présent en milieu urbain, constitue, pour une partie d’entre eux, un cri du cœur. Manu Mili-tari, rappeur montréalais

très proche de ce milieu, est d’avis que plusieurs l’utilisent toutefois pour simplement causer des dégâts. « Je connais aussi des graffeurs qui font cela sans vouloir passer le moindre message », spécifie-t-il.

Un choix personnelÊtre porte-étendard d’un

message relève d’un choix personnel, selon la co-fondatrice de l’ATSA. Pour Manu Militari, revendiquer haut et fort lorsque l’on a un micro dans les mains n’est pas une obligation. « Moi, mon but, c’est de faire de la musique », explique-t-il. Bien que son objectif ne soit pas de prendre position, ses textes demeurent remplis de questionnements et de réflexions. « Je lance un sujet et j’essaie de le traiter sous différents angles. »

Rappeur et membre du groupe Loco Locass, Biz croit que les artistes ont une certaine responsabi-lité sociale. « Ils doivent être conscients qu’ils possèdent un privilège que le citoyen moyen n’a pas. Il faut en faire plus quand on a un micro planté devant soi. » Il nuance toutefois son propos. « On demande aux musiciens de faire d’abord de la musique. Pierre Lapointe, Tricot Machine,

Méconnus mais engagés PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

Pour Manu Militari, revendiquer haut et fort lorsque l’on a un micro dans les mains n’est pas une obligation.

« On risque de se faire sauvagement rentrer dedans. » C’est de cette façon que Biz, rappeur du groupe Loco Locass, présente les difficultés auxquelles font face les artistes engagés. Pour la co-fondatrice de l’ATSA, il y a toujours un danger lors-qu’un musicien, un cinéaste ou un peintre tente de changer les choses. « Dans les médias, on dirait qu’on veut réduire la valeur des opinions des artistes, juste parce qu’il ne s’agit pas de spécialistes », croit-elle.

De retour d’Égypte, où il a pu observer la révo-lution qui a expulsé le président Mohammed Hosni Moubarak du pouvoir, Manu Militari établit un parallèle entre les artistes égyptiens et québécois. « Beaucoup d’artistes et d’acteurs égyptiens ont été associés au pouvoir. Alors, lorsque ceux-ci ont demandé à la population de se calmer et de vider les rues, ils ont eu des problèmes. C’est à chacun de prendre, ou non, ce risque. »

Annie Roy est d’avis que si l’engagement peut freiner certaines carrières, l’inverse est aussi possible. « Il ne faut pas qu’un artiste décide de reven-diquer pour faire mousser ses ambitions. Sinon, ça sert à rien de prendre position », estime-t-elle. Ironie du sort? Organisé par l’ATSA, l’État d’urgence crie famine. Des difficultés financières risquent de faire couler le navire qu’a construit l’organisme au cours des dix dernières années.

Malajube, ce sont des bons groupes. Mais la tendance n’est pas à l’engagement manifeste », dit-il, avec un soupçon de déception dans la voix.

Diffusée un peu partout sur le web et les médias sociaux, la capsule vidéo intitulée Gaz de schiste : Wo! implique un arsenal

d’importantes vedettes québécoises. Roy Dupuis, Mes Aïeux et leurs compères somment le gouvernement d’adopter un moratoire sur l’exploitation de cette ressource. « Si les gens décident d’emboîter le pas, ça va fonctionner et faire reculer le gouverne-ment », croit Mme Roy.

Les risques du métier

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JOSIANE HARDYUNIVERSITÉ DU QUÉBEC EN OUTAOUAIS

SHERBROOKE — Associer son nom à une cause est depuis quelques mois rede-venu une action perpétrée par de nombreux artistes. Après une vague plus politique au courant des années 1990, l’engagement des artistes s’est quelque peu éteint pour revenir en force dans toutes les sphères de la société qu’elle soit humanitaire, sociale ou encore politique. Mais qu’en est-il lorsqu’un artiste mili-tant s’avère avoir un double rôle en endossant celui de conseiller municipal? Une mixité peut-elle exister dans le chemin que semble avoir pris l’art engagé en 2011?

L’artiste et son mandatAucune définition n’est

assez précise pour déter-miner ce qu’est un artiste tellement l’éventail de possi-bilité est large. Pour tous les intervenants rencontrés, les artistes sont la cour-roie de transmission pour la population. Profitant d’une certaine notoriété, certains l’utilisent à bon essor pour faire circuler des messages de la part de gens tout aussi important, mais qui demeu-rent dans l’ombre.

« Les artistes sont là pour brasser la cage et ainsi éveiller les cons-ciences des gens. Des gens sérieux tirent la sonnette d’alarme et les artistes sont là pour passer le message. Un ingénieur ne sera pas écouté par la population, mais Roy Dupuis arrive et on s’énerve. C’est normal, mais c’est un peu regret-table. Il y a un capital de sympathie énorme qu’on donne aux artistes, mais pourquoi on ne donne pas autant aux médecins? » Se demande Christian Vanasse, membre des Zapartistes et élu muni-cipal à Ste-Jude.

Patrice Martin est conseiller municipal à Gatineau depuis 2005. « Comme politicien, je suis engagé dans la commu-nauté pour des causes spécifiques ». Mais comme artiste, l’auteur n’utilise pas sa plume de romancier pour passer des messages. Selon lui, certains le font très bien alors que d’autre le font d’une manière plus médiocre. Il faut savoir jauger quels artistes maîtrisent ses dossiers et

qui se basent seulement sur l’émotion. « Sur le fond, les gens doivent apporter une connaissance, des expé-riences. Pour que leur contribution soit perti-nente, elle doit être fondée sur quelque chose d’autres que l’émotion » soutient le conseiller municipal.

Pour Stefan Psenak, conseiller municipal à Gatineau, les artistes sont la voix de la population. La population se reconnaît dans ces derniers et s’iden-tifient à eux. « C’est un espèce de tremplin et une incidence à la participa-tion citoyenne. Les artistes jouent un rôle de catalyseur de l’opinion publique ce qui amène une part de respon-sabilité pour ces derniers. Nous sommes précurseurs des nouveaux mouvements» affirme le conseiller qui est également écrivain.

Pourquoi la politique ?Les trois intervenants

artistiques ont un point en commun, soit la politique municipale. Pourquoi avoir choisi de se tourner vers la main qui change les lois et contre qui de nombreuses manifestations ont été orga-nisées?

« Pour ma part, c’est un peu par accident que je suis devenu conseiller. Mais je parlais du nous et du

collectif, de la collectivité, c’était le temps de le démon-trer» affirmait M Vanasse.

Pour lui, en plus d’ob-tenir une meilleure compréhension du monde politique, son emploi de conseiller lui permet d’ali-menter ses sketchs dans les spectacles.

« Ca m’apporte une meilleure compréhension des rouages du pouvoir. Le pouvoir est bien plus près du citoyen que l’on pense. Il suffit qu’on se lève et qu’on le prenne » soutient le poli-ticien.

Pour Stefan Psenak, l’im-pression d’être en mesure de faire une différence dans son milieu immédiat et non seulement dans le milieu artistique lui a fait faire le saut en politique municipal.

Mandat du conseillerChaque conseiller

prône son propre cheval de bataille durant son mandat municipal. Pour le conseiller Psenak, étant artiste, il défend ardem-ment les dossiers liés à son engagement politique comme la Commission des arts, de la culture, des lettres et du patrimoine dont il est le président.

« Il faut cependant bien choisir ses batailles soit sur des terrains ou les

choses n’ont pas encore été décidées ou encore dans une bataille ou l’impact peut se ressentir » affirme l’écrivain.

De nombreuses sorties médiatiques sont au curri-culum vitae de M. Va-nasse depuis le début de sa carrière, mais plus particu-lièrement depuis quelques temps sur le dossier du gaz de schistes. Il endosse le dossier non pas seule-ment en tant qu’artiste, mais également en tant que conseiller municipal de Sainte-Jude.

« J’assiste au vol du siècle présentement. C’est une catastrophe épouvantable. Je ne défends pas juste un environnement. Je ne défends pas juste un tissu social. Je défends aussi une économie qui vit en région » défend avec ferveur M. Va-nasse.

Ils sont et seront toujours engagés

Pour Christian Vanasse, les artistes n’ont jamais baissé les bras pour embrasser des causes de société, même en ayant une attitude différente de leurs confrères qui ont milités avant eux. « Le «lead» artistique a milité pendant une vingtaine d’années, un moment donné, ils ont peut-être eu

le goût de passer à autre chose. Mais je n’ai jamais vu les artistes baisser pavillon, mais parfois, c’est des artistes de la relève qui continuaient à fouetter les troupes. Nous étions dans une branche d’artistes revendicateurs avec des gens moins connus qui partageaient et portaient le message » explique M. Vanasse.

Que sera l’art engagé en 2011

Les trois hommes n’en dérogent pas, l’art engagé doit demeurer en place et toujours évoluer.

L’art peut revêtir plusieurs styles; les auteurs, sculpteurs, pein-tres ont tous leurs propres signatures.

« Oui, il y a de la place pour l’art engagé et il peut prendre plusieurs niveaux. Des gens peuvent mettre leur art au service d’une cause et en écrivant que sur le sujet, par exemple l’homosexualité » explique M. Psenak.

« C’est de l’oxygène, s’il y en a plus, on étouffe. L’art peut paraître inutile ou un luxe, mais c’est néces-saire. C’est de l’oxygène du cerveau, une fonction du rire, une manière de montrer les dents » termine M. Vanasse.

Politique et artistique peuvent-ils cohabiter ?

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Le conseiller municipal Patrice Martin affirme ne pas utiliser pas sa plume de romancier pour passer des messages.

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ÉMILIE JOANNIE LÉVESQUE LEFEBVREUNIVERSITÉ DU QUÉBEC À TROIS-RIVIÈRES

SHERBROOKE — En 2011, les artistes québécois semblent de nouveau impliqués au sein de l’engagement poli-tique et humanitaire. Au Québec, l’art engagé, phéno-mène autrefois marginal, prône la liberté d’expres-sion socio-politique à l’instar d’une démarche artistique.

Démocratie collective et liberté individuelle

Actuellement, au Québec, la communauté artistique prend d’avantage d’ampleur et ses membres s’avèrent ressentir le besoin justifiable d’ex-primer leurs positions face aux nombreuses règles qui régissent la société. Ces artistes, à travers leurs œuvres, exposent souvent une nouvelle manière de penser. Tous – d’abord citoyens – détiennent des opinions, mais la majo-rité d’entre eux les préser-vent encore aujourd’hui. «Lorsque la parole diffuse le message, les gens ne font qu’écouter les textes, postule Biz, chanteur du groupe Loco Locass. Il faut avoir l’ambition de faire une différence dans la société québécoise. » Il explique que ses collè-gues et lui ont composé la chanson Hymne à Québec afin de rendre les habi-tants fiers de leur capitale et les québécois fiers de leur province. D’ailleurs, la plupart de leurs créations musicales sont axées sur la fierté d’être québécois. Le rappeur ajoute que dans un registre plus ludique, la chanson Le but, célébrant les Canadiens de Montréal, véhicule un message de victoire collective et de fierté de gagner. «Il faut galvaniser collectivement, poursuit l’acolyte des Loco Locass. La différence est bénéfique à l’ensemble de l’humanité.» Biz souhaite que les fervents admira-teurs du légendaire groupe reconnu pour sa défense de la langue française, retien-nent le message suivant : « L’idée que le parcours et le projet de la société ne sont pas banals et vaillent la peine d’être poursuivis en français. » Il exprime que cette pratique légitime qu’est l’art engagé est syno-

nyme de fierté et de dignité, ces éléments formant la seule posture afin d’entrer en contact avec autrui. Un individu ne peut construire de relation stable s’il n’est pas fier de lui-même.

Diplomatie ou censure ?La communauté artis-

tique dite « consciente » intervient directement dans l’espace collectif en entreprenant des démar-ches créatives et expres-sives visant à réaliser un quelconque change-ment dans notre société. Le constat est tel que la présence actuelle et crois-sante d’artistes « engagés » au sein de notre province est évidente. «C’est une mode au Québec, autant dans le domaine des arts visuels que de la chanson. », affirme Cynthia Dubé, journaliste à la rubrique Arts et spec-tacles du Journal de Sher-brooke. Il n’est cependant

pas à exclure l’hypothèse que les artistes dévoilent aux citoyens, par le biais de leurs créations, ce que ces derniers ont tendance à omettre et/ou dissimuler. L’auteure souligne qu’il semble évident que tout le monde ne peut assumer ce rôle. « C’est un choix et cela peut être dangereux, puisque c’est une opinion portée », termine-t-elle. Partager ouvertement et collectivement une prise de position sociale ou politique, par n’importe quel moyen d’expression artistique, est une action plus complexe qu’elle n’y paraît. L’expression en elle-même comporte-t-elle, en 2011, plus d’avan-tages ou d’inconvénients ? Enfin, il est à se demander si l’art engagé est subversif. Comme l’a été mentionné dans la conférence Parlez d’Art autrement, « soit l’art se conforme aux lois de la diffusion publique,

soit il utilise la censure comme une stratégie de communication efficace. » Est-il réellement possible de concilier art et socio-politique au Québec et ce, sans que cette cohésion ne déplaise à l’ensemble des citoyens ? Peut-être est-ce un brin utopique. Quoiqu’il en soit, les artistes québé-cois sont libres de faire part de leurs opinions au grand public concernant leur environnement.

Art de réflexion et de divertissement

Bien que l’émergence de cette notion plutôt complexe ait atteint son paroxysme durant les années 1960, elle fait aujourd’hui l’objet d’un regard inédit sur la société québécoise. En effet, l’art engagé semble caractériser la création contemporaine. Ce type d’art se définit par une approche artistique et réflexive. Il pourrait être qualifié d’art social

et politique. Si s’engager tend à prendre position quant à une problématique socio-politique, les auteurs-compositeurs-interprètes, à titre d’exemple, expriment alors avec éloquence leurs opinions dans leurs créa-tions musicales. « C’est un art issu d’une réflexion, d’une démarche qui n’a pas de prétention commer-ciale au départ et qui a une certaine gratuité », explique le rappeur. Il appuie ses dires en émet-tant la comparaison entre la vedette, désirant plutôt bien paraître et amuser la galerie, et l’artiste, qui aspire à beaucoup plus que cette prétention de divertis-sement.

Après Dérives, le rappeur Biz publiera prochaine-ment un deuxième roman intitulé La chute de Sparte. Il est également à noter que le groupe Loco Locass lancera en septembre un nouvel album.

2011 : Portrait québécois

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

«Lorsque la parole diffuse le message, les gens ne font qu’écouter les textes, postule Biz, chanteur du groupe Loco Locass. Il faut avoir l’ambition de faire une différence dans la société québécoise.»

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