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Jean-Marie Charon Journalisme, le défi de l'autorégulation In: Réseaux, 2000, volume 18 n°100. pp. 385-401. Résumé La dernière décennie a vu se rouvrir le débat sur la déontologie des journalistes. Celui-ci pour être compris appelle un retour sur l'histoire de la profession. Cette dernière par le passé a finalement repoussé toutes les formes ď autorégulation contraignantes. La question est d'autant plus complexe que les journalistes se posent comme contre-pouvoir. Face aux solutions qu'avance la société, quelles sont les voies que sont prêts à réellement prospecter les journalistes ? Et, quand bien même en auraient-ils les moyens sachant qu'il s'agit de salariés. Autorégulation des journaliste ou autorégulation des entreprises de médias. Abstract Debate on journalistic deontology was reopened in the last decade. In order to understand it we need to consider the history of this profession which previously rejected all restrictive forms of self-regulation. The question is particularly complex because journalists assume the position of a counter-power. Faced with the solutions put forward by society, what possibilities are journalists really prepared to explore, and when will they have the means to do so, given their status as employees? Is the issue about the self-regulation of journalists or of media companies? Citer ce document / Cite this document : Charon Jean-Marie. Journalisme, le défi de l'autorégulation. In: Réseaux, 2000, volume 18 n°100. pp. 385-401. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reso_0751-7971_2000_num_18_100_2230

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Jean-Marie Charon

Journalisme, le défi de l'autorégulationIn: Réseaux, 2000, volume 18 n°100. pp. 385-401.

RésuméLa dernière décennie a vu se rouvrir le débat sur la déontologie des journalistes. Celui-ci pour être compris appelle un retour surl'histoire de la profession. Cette dernière par le passé a finalement repoussé toutes les formes ď autorégulation contraignantes.La question est d'autant plus complexe que les journalistes se posent comme contre-pouvoir. Face aux solutions qu'avance lasociété, quelles sont les voies que sont prêts à réellement prospecter les journalistes ? Et, quand bien même en auraient-ils lesmoyens sachant qu'il s'agit de salariés. Autorégulation des journaliste ou autorégulation des entreprises de médias.

AbstractDebate on journalistic deontology was reopened in the last decade. In order to understand it we need to consider the history ofthis profession which previously rejected all restrictive forms of self-regulation. The question is particularly complex becausejournalists assume the position of a counter-power. Faced with the solutions put forward by society, what possibilities arejournalists really prepared to explore, and when will they have the means to do so, given their status as employees? Is the issueabout the self-regulation of journalists or of media companies?

Citer ce document / Cite this document :

Charon Jean-Marie. Journalisme, le défi de l'autorégulation. In: Réseaux, 2000, volume 18 n°100. pp. 385-401.

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reso_0751-7971_2000_num_18_100_2230

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JOURNALISME,

LE DEFI DE L' AUTOREGULATION

Jean-Marie CHARON

Réseaux n° 100 - CNET/Hermès Science Publications - 2000

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La décennie qui s'était ouverte sur le double signe du faux charnier de Timisoara et la déroute de l'information lors de la guerre du Golfe va se clore sur la multitude des questions posées par la couverture

du conflit Kosovar. Le débat ne s'est jamais vraiment éteint au sein des rédactions, sans cesse relancé par le traitement des « affaires », les circonstances de la mort d'un ancien premier ministre, des « bidonnages », etc. En même temps ses termes évoluent peu. A l'extérieur de celles-ci, des sondages réguliers semblent indiquer que la confiance du public s 'érode inexorablement1, alors que des personnalités, des instances ou des secteurs entiers de la société ont entrepris un véritable procès des médias2. Et comme si le domaine mouvementé des médias traditionnels ne suffisait pas, les années quatre-vingt-dix sont également celles de l'essor de nouveaux supports de communication, au premier rang desquels figure désormais Internet, dans lequel se trouve posé avec force la question d'un mode de régulation interne, à l'ensemble des acteurs et singulièrement à ceux qui prétendent faire œuvre d'information. Jamais semble-t-il la question de la régulation des moyens d'information ne se sera posé avec autant de force, à l'échelle nationale, mais aussi mondiale.

Mais dans quels termes peut être posée cette régulation ? Doit-elle conduire à une révision, une adaptation des législations en vigueur ? Nombre d'hommes politiques, d'avocats, de magistrats, de personnalités le pensent appelant, pour la France, à une révision de la loi sur la presse de 18813, ainsi que de nombre de textes concernant l'information proprement dite (présomption d'innocence, secret de l'instruction, protection de la vie privée, etc.). Doit-elle donner naissance à des structures nouvelles, sur le mode

1. Voir principalement le sondage sur « la confiance des français dans leurs médias » réalisé par la SOFRES, chaque année depuis 1997, pour le compte de La Croix et Médiaspouvoirs, puis La Croix et Télérama. 2. Faute de pouvoir les citer de façon exhaustive, il faut au moins se remémorer les rappels à l'ordre répétés des églises et tout particulièrement de Jean-Marie Lustiger et surtout les discussions très sévères au sein de la Commission consultative des droits de l'homme en 1995, ainsi qu'au sein du Conseil Economique et Social en 1999. 3. A titre d'exemple on pourra se reporter à l'article de KIEJMAN, 1990, p. 131-137. ,

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d'autorités (sur le modèle du CSA par exemple), de structures corporatives (un « Ordre », nouvelles attributions de la Commission de la carte4, etc.) ou encore d'instances ad hoc (Conseil de presse, etc.) ? Faut-il s'en remettre, comme le suggèrent une fois de plus d'une même voix éditeurs et journalistes, à Г autorégulation du secteur ? П faut par ailleurs préciser à qui doit s'appliquer en premier chef cette régulation : les propriétaires des médias comme l'institue la loi sur la presse ? Les journalistes qui produisent concrètement l'information ? Les hiérarchies rédactionnelles, qu'ignorent la loi, mais responsables devant les dirigeants et propriétaires des médias ?

Est-il possible d'affirmer que jamais cette question de la régulation ne s'est posée avec autant d'acuité, sans interroger l'histoire des médias et singulièrement l'histoire du journalisme ? Les récents travaux d'historiens5 de la profession, rappellent opportunément que la question de Г autorégulation de la presse et du journalisme se pose, en fait, dans des termes assez proches depuis l'apparition d'une information libre et de masse, dans les deux dernières décennies du XIXe siècle. Dès l'origine se trouve posé le problème de l'ambiguïté de la relation entre les éditeurs et les journalistes, d'une régulation sectorielle, de la presse, ou d'une régulation corporative, des journalistes. De même que s'impose la question de la place que doivent y jouer la loi, les règles professionnelles (la déontologie) et la morale (l'éthique journalistique).

RETOUR HISTORIQUE

La loi sur la liberté de la presse de 1881, constitue à la fois un moment clé et la mise en place d'un pivot du dispositif de régulation de l'information. Il institue largement la confusion éditeur et journaliste en partageant la responsabilité des fautes entre l'auteur principal, le directeur de la publication et son « complice », le journaliste auteur de l'article. Le texte permet aux individus, institutions et autorités qui auraient pâti d'excès de la presse (diffamation, injure, fausses nouvelles, etc.) d'obtenir condamnation ou/et réparation. Le fait qu'à l'origine, au moins, ces faits relèvent de la

4. Comme le demandait la recommandation de la Commission consultative des droits de l'homme, déjà évoquée. 5. Sans méconnaître l'apport inestimable de sommes comme L'Histoire générale de la presse française, sous la direction de Claude BELLANGER, d'historiens des médias tels que Pierre Albert ou Marc Martin, nous faisons référence aux publications de DELPORTE, 1999, et de RUELLAN, 1993 et 1997.

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Cour d'assise, marque la volonté de voir la société, au travers du jury, juger de la réalité et de la gravité des fautes commises6.

Si la loi de 1881 marque sur le plan législatif la spécificité de la presse, elle laisse entières les dispositions qui marqueraient les particularités et les caractéristiques de la profession de journaliste, sous la forme de la reconnaissance d'un statut particulier. Ce que fera, un demi-siècle plus tard la loi de 1935 (Brachard). Entre ces deux dates un long processus de maturation va permettre à la profession de se structurer et d'engager toute une série de réflexions sur ce que sont les conditions de son exercice, ses règles professionnelles et sa morale. Cette construction de l'identité professionnelle va se faire largement en se démarquant d'un côté de l'éditeur et de l'autre des différents métiers intervenant dans la fabrication, principalement, les ouvriers du Livre. Au risque de schématiser, il est possible d'affirmer que la création du premier syndicat des journalistes en 1918, constitue une étape essentielle et le cadre privilégié du déroulement de la réflexion, des discussions et de la conduite des actions en faveur d'une affirmation des intérêts spécifiques de la corporation. Il se posera de ce point de vue comme le principal acteur de la revendication de Г autorégulation de la profession et le cadre au sein duquel celle-ci pouvait s'opérer.

Il est tout a fait significatif que dès les prémices de sa création7, le syndicat des journalistes conduise à rechercher une définition de la profession, une défense de celui-ci en tant que « travailleur », ainsi qu'à proposer un « code d'honneur », connu et reconnu encore aujourd'hui après une révision en 1938, comme «charte de 1918 »8. Au sein de celui-ci cohabitent quelques principes professionnels, ainsi que des principes moraux, que sont principalement : la responsabilité, la probité, la loyauté vis-à-vis des confrères. Largement diffusé et promu dès cette époque, et depuis lors, ce code introduit à une série de questions ou de démarches qui ne seront jamais tranchées. Il est possible de les résumer en deux volets complémentaires, celui d'un engagement minimum pris par chaque journaliste professionnel (équivalent du serment d'Hypocrate pour les médecins), celui d'un texte de

6. Se reporter sur ce point à DELPORTE, 1999, p. 18-42. 7. DELPORTE, id., rappelle que la publication ce « code d'honneur » intervient en juillet 1918, la première réunion conduisant à la fondation d'un syndicat avait eu lieu en janvier 1918, la création proprement dite intervenant le 10 mars 1918. 8. Elle comporte depuis cette révision, treize points. Voir CFPJ - ESJ, 1995.

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référence à partir duquel aurait pu statuer un éventuel organe disciplinaire de la profession.

Dans quel cadre pouvait intervenir l'un et l'autre de ces volets ? Selon les périodes et les points de vues défendus, deux lieux s'imposeront à la discussion. Le premier fut le syndicat lui-même, organe unique de la profession. L'adhésion à celui-ci aurait impliqué le respect du code d'honneur. Le conseil de discipline du syndicat se serait alors instauré comme seule autorité reconnue par les journalistes en matière de morale professionnelle. Un article du code stipule en effet qu'« un journaliste digne de ce nom... ne reconnaît que la juridiction de ses pairs, souveraine en matière d'honneur professionnel ». Cette première option poursuivie des années par le syndicat disparaîtra de fait face à l'éclatement et à la véritable atomisation du mouvement syndical des journalistes après la seconde guerre mondiale9. Faute de parvenir à la reconnaissance du syndicat proprement dit, la syndicat des journalistes avancera l'idée d'un « Conseil de l'Ordre », l'ordre des avocats pouvant alors faire référence. Denis Ruellan rappelle qu'au lendemain du vote de la loi de 1935, Le journaliste, organe du SNJ, titrait significativement : « L'ordre des journalistes est créé10 ».

La question de l'ordre

La loi de 1935 ne créait pas d'ordre, mais reconnaissait bien un statut particulier pour les journalistes, qui comportait des dispositions dérogatoires du droit commun, afin de garantir, au moins partiellement, leur indépendance face à l'éditeur. Elle créait une carte professionnelle, définissant quelques règles minimum d'accès à la profession (stage, fourniture du casier judiciaire). Il revenait à la Commission de la carte d'identité professionnelle des journalistes (CCIPJ) de définir une jurisprudence, plus ou moins ambitieuse, quant aux critères d'accès ou de renouvellement de la carte, notamment sur le plan moral. L'analyse des procès verbaux des années d'installation de cette commission faite par Denis Ruellan montre qu'il n'en fut rien. Il est vrai que la cette dernière ne pouvait se voir reconnue comme instance ď autorégulation par les journalistes, puisqu'elle est paritaire, mêlant représentants des journalistes et

9. L'intersyndicale des journalistes regroupe aujourd'hui : le SNJ, la CGT, la CFDT, la CGC, la CFTC, et deux syndicats FO, soit pas moins de sept organisations concurrentes. 10. RUELLAN, 1993.

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représentants des éditeurs. Il n'est pas certain que ne comportant que des journalistes elle ait été acceptée comme lieu d'évaluation du comportement moral des journalistes.

Assez logiquement, les initiatives en faveur de la création d'un ordre des journalistes devaient culminer sous Vichy, mais sans aboutir. La question fut l'objet d'un éclatement du mouvement syndical puisque face au SNJ qui soutenait la création d'un ordre s 'intégrant dans le dispositif corporatif voulu par Vichy devait se créer le CDJ (Comité de défense des journalistes) à l'automne 1940. Cela n'empêchera pas le même CDJ de se rallier, en 1942, à cette idée d'ordre face à la menace de voir les journalistes être noyés parmi les autres professions et les éditeurs, dans une organisation corporative de la presse, alors à l'ordre du jour. Un projet de loi fut alors déposé en mars 1942, dans lequel la carte de presse délivrée par l'ordre devenait obligatoire. Celui-ci ne regroupait que les journalistes professionnels. Les journaux devaient être dirigés par des journalistes. La participation des amateurs au contenu était strictement contingentée. Le projet de loi qui ne sera finalement jamais voté, après le retour de Laval, était en retrait vis-à-vis du projet défendu par le CDJ qui envisageait un contrôle de connaissances à l'entrée, voire un diplôme, soutenait l'idée d'un double niveau (journalistes de fond, de reportage, d'éditorial, etc. ; et journalistes subalternes de faits divers, de local...).

La Libération et le processus d'épuration auquel elle devait donner lieu11 fut une nouvelle occasion pour la profession de statuer sur le comportement de ses membres, ce qui sera facilité par la transformation de la Commission de la carte en commission d'épuration en 1945 et 1946. Elle devait ainsi sanctionner un peu plus de 700 de ses membres, d'interdictions d'exercer, en majorité assez limitées dans le temps, tout en rejetant à peu près autant de dossiers pour absence de professionnalisme. Cet épisode d'une justice menée par la profession, certes pour les délits les moins graves, les fautes les plus lourdes relevant de la justice, semble avoir laissé une image assez négative et les références à un ordre qui pourront encore apparaître ici où là se feront de plus en plus timides. La notion d'ordre professionnel se colorant toujours plus d'un relent de vichyisme avec les années.

1 1. Se reporter sur le sujet à LETEINTURIER et DELPORTE, 1995.

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V AUTOREGULATION D'UN CONTRE-POUVOIR

Dans quelle mesure est-il possible de considérer que les termes du débat restent les mêmes ou se sont transformés ? Les journalistes français continuent de se référer à la charte de 1918. Ils accordent une grande importance à la possession de la carte de presse et aux conditions dont celle- ci est délivrée par la CCIPJ. Us se refusent à voir l'Etat ou toute autre instance se poser en autorité ou lieu d'évaluation des pratiques professionnelles. Ils contestent la légitimité du juge correctionnel à sanctionner quelconques fautes ou délits, ce qui ne peut que relever de leurs •pairs. Il n'est plus en revanche imaginable de voir sept syndicats, organisant une faible part de la profession prétendre jouer, à eux seuls, un rôle déterminant dans cette autorégulation, tout comme la simple évocation d'un ordre suffit à discréditer toute volonté de rechercher un mode concret d'exercice de cette autorégulation. La question même de la réponse à apporter aux dérives s'exprime également dans un contexte assez différent : moins porté par un mouvement de construction et de reconnaissance l'identité professionnelle, que fruit de la pression des différents pouvoirs, politiques, économiques, juridiques12, exaspérés par les incidences de certaines pratique dans la conduite de leurs affaires, mais aussi de la société, dont de larges secteurs13 manifestent désormais leur réprobation à l'égard du comportement des journalistes, en général ou dans des circonstances précises.

Le maintien d'une telle prétention à son autorégulation par la profession, alors même que le contexte s'est profondément transformé, quand bien même celle-ci ne peut s'exprimer au travers de procédures ou d'un cadre explicites, s'explique par le fait que Г autorégulation répond à deux logiques distinctes, qui viennent s'épauler intimement : l'une de type corporative, la seconde, structurelle, renvoie au rôle de l'information dans les démocraties.

12. Les deux journalistes qui participaient aux travaux de la Commission Truche, sur la réforme de la justice, disent avoir souvent eu le sentiment d'être aux banc des accusés, dans le cours des débats qui traversèrent celle-ci. 13. Lors des crises qu'ont traversées les établissements scolaires, notamment de banlieue, avec des mouvements suscités par la violence que connaissaient ceux-ci, des débats très vifs ont opposé les enseignants et les journalistes, sur la manière dont ceux-ci traitaient de ces questions, donnant trop facilement la parole, à l'antenne, à des jeunes porteurs de messages déstabilisateurs, voire provocateurs.

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La logique corporative se nourrit de la tension qui fonde le journalisme entre une fonction intellectuelle, nécessairement créative et indépendante et une situation de « travailleur » dont la production s'insère dans une œuvre collective placée sous la direction d'un éditeur et au-delà de propriétaires. Le journaliste se vit ainsi dans une contradiction permanente entre des valeurs et des représentations de profession indépendante, alors même qu'elle s'exerce dans le cadre d'un statut de salarié, ou tout au moins dans le cadre d'un « lien de subordination » à l'égard de son entreprise. L'histoire même du journalisme, en France, pèse lourdement sur cette représentation d'une profession indépendante alors que l'une des voies de recrutement des journalistes fut longtemps celle de la littérature14, sous la forme de contribution d'écrivains nombreux (Balzac, Maupassant, Zola, Kessel, Mauriac, Camus et bien d'autres), mais aussi d'auteurs que l'on pourrait dire manques (Albert Londres, Louis Beraud15, etc.). Dès lors, bien que se situant dans l'univers salarié, le syndicalisme journaliste répugna, à chaque échéance, à se fondre dans le syndicalisme des travailleurs de la presse, aux côtés de leurs « camarades du Livre » notamment, préférant rechercher des liens avec d'autres professions intellectuelles. En 1948, le SNJ éclate ainsi entre une minorité de sections départementales qui optent pour le maintien dans la CGT (le rattachement s'était opéré en 1945), le syndicat redevenu autonome recherchant, de nouveau, des liens avec les syndicats d'enseignants, de chercheurs16, etc.

L'évolution des structures de production, principalement dans la presse magazine, mais aussi dans l'audiovisuel qui tend à multiplier le nombre de journalistes travaillant comme pigistes ou au sein d'entités très légères, telles que les multiples « agences », sous-traitantes des grands médias, ne peut que donner un nouvel élan à cette représentation d'indépendant. Le phénomène prend une nouvelle dimension alors qu'au moins un journaliste sur quatre17 connaît cette situation. Quelle que soit la nature de la responsabilité

14. Se reporter à ce sujet à FERENCZI, 1993. 15. Voir, par exemple, ASSOULINE, 1989. 16. Voir DELPORTE, 1999. 17. Sur la base des statistiques de la Commission de la carte. Ceux-ci minorent la part réelle des pigistes, puisqu'un certain nombre d'entre eux ne peuvent accéder à cette carte, faute de revenus suffisants issus de médias reconnus. Or, nombre de pigistes aujourd'hui assurent leurs revenus par une proportion substantielle de collaboration avec des médias institutionnels (collectivités locales ou territoriales) ou d'entreprise, sans parler des travaux de pure communication (dossiers et communiqués de presse, etc. Se reporter sur ce sujet au rapport de VISTEL, 1993.

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éditoriale, chaque journaliste pigiste a le sentiment de devoir assumer d'abord une responsabilité sociale forte, individuellement, au même titre que le médecin, l'avocat, l'architecte, etc. Ce sentiment ne peut d'ailleurs que se trouver aiguillonné par l'attitude d'éditeurs qui désormais cherchent à se dégager de leur responsabilité juridique en cas de faute, comme le montre par exemple l'attitude de la direction du Progrès de Lyon, dans une affaire de diffamation concernant un journaliste pigiste durant le printemps 1999. Plus signifîcativement encore, les groupes de presse magazine et leur syndicat le SPMI multiplient les initiatives visant à relativiser la responsabilité juridique du directeur de la publication, manager dirigeant des dizaines de titres, parfois, pour voir davantage affirmer la responsabilité des journalistes eux-mêmes18.

Le rôle de l'information en démocratie, au moins tel qu'il est vécu par les journalistes eux-mêmes, est celui d'un contre-pouvoir, qui s'exerce tant vis- à-vis du pouvoir politique que des pouvoirs économiques, culturels, sociaux, etc. Ce rôle de contre-pouvoir pour s'exercer pleinement ne peut que s'affranchir des différentes tutelles et ne reconnaître comme autorité que la collectivité des pairs, voire la conscience et la responsabilité individuelle de chaque journaliste. Bien sûr, le journaliste peut être amené à rendre compte de ses actes devant la justice. Il n'empêche que bien souvent, condamné par le juge, il considérera que ses actes se justifiaient d'un point de vue supérieur, celui de l'information, de la nécessité d'exercer sa fonction critique, la seule référence valable étant celle de l'intérêt général. L'exercice du rôle de contre-pouvoir peut même conduire à s'affranchir des règles professionnelles édictées par les pairs. Cyril Lemieux19 prend ainsi pour exemple le cas des journalistes qui tels Gunter Walraff20 ou Anne Tristan21, ont fait le choix de cacher leur identité pour enquêter sur le sort de la communauté turque en Allemagne, sur les pratiques du Front National ou le traitement des demandeurs d'asile en France, permettant de dénoncer des actes et des situations auxquels ils n'auraient pu accéder sans cette dérogation à la règle professionnelle. La charte de 1918 est en effet très explicite sur ce point: «Un journaliste digne de ce nom... s'interdit d'invoquer un titre ou une qualité imaginaire, d'user de moyens déloyaux pour obtenir une information, ou surprendre la bonne foi de quiconque. » Le

18. Voir sur ce sujet, CHARON, 1999. 19. LEMIEUX, 1992. 20. WALRAF, 1986. 21. TRISTAN, 1987 et 1993.

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Presskodex allemand stipule : « Les méthodes déloyales sont proscrites dans la recherche de nouvelles, de matériaux informatif et d'images. » Seule la référence à un intérêt général supérieur peut justifier une telle dérogation à une disposition qui pour la profession est essentielle dans son respect des sources22.

LES MODALITES DE L' AUTOREGULATION

Par quelles modalités ou procédures spécifiques la profession des journalistes entend-elle concrétiser sa prétention à Г autorégulation ? Il faut bien admettre qu'en l'absence d'un cadre syndical unifié et suffisamment représentatif ou encore d'un ordre, celles-ci sont peu nombreuses et restent largement sujet de discussions.

Chartes et codes

Au premier rang des modalités ď autorégulation figurent l'élaboration et l'actualisation d'une charte ou d'un code des «droits et devoirs professionnels ». Chaque période de contestation des comportements professionnels, chaque crise ou dérapage majeur, conduit à voir resurgir ce thème. Tel fut bien, d'ailleurs, le cadre initial de la démarche du Syndicat des journalistes, dès sa création en 1918. Le même phénomène se retrouve dans la plupart des pays démocratiques. La Fédération internationale des journalistes devait adopter le même point de vue, en s' accordant sur une charte commune, dite «Charte de Munich» en 1971. Au risque de schématiser la comparaison des principaux textes adoptés dans les pays occidentaux font apparaître un architecture commune23 : l'affirmation de principes généraux (la liberté de l'information et la justice), un ensemble de règles visant à garantir le respect du public, des règles garantissant le respect des sources et enfin des règles relatives au respect des pairs et de la profession. Il est possible de remarquer que la charte française, contrairement aux chartes anglo-saxonnes ou aux chartes internationales, ne

22. Tout aussi significativement, avant même l'adoption de chartes professionnelles, puis dans l'ensemble de celles-ci, les journalistes entendent « garder le secret professionnel ». Pourtant dans nombre de pays, dont la France, un tel secret ne leur est nullement reconnu par la loi. 23. Pour un développement plus approfondi de cette synthèse on pourra se reporter à notre rapport à la ministre de la Culture et de la communication : CHARON, 1999b.

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fait aucune référence au public, de même qu'elle n'exprime que des règles négatives, restant muette sur ce que doit faire le journaliste pour s'acquitter de sa mission.

Mais, si de tels textes existent, quel est l'objet de la relance régulière de cet appel à voir les journalistes entreprendre l'élaboration d'une charte ? Faut-il en moderniser les termes en les adaptant aux conditions nouvelles du traitement de l'information et aux exigences de la société ? Doit-on s'acheminer vers la mise au point de chartes sectorielles ? Faut-il traduire les préoccupations générales au contexte de chaque entreprise ? L'urgence porte-t-elle sur la reconnaissance d'un tel texte par les employeurs eux- mêmes ? L'enjeu est-il de ramener les différents syndicats sur une démarche intersyndicale dans ce domaine, comme ils ont su le faire pour la défense d'intérêts matériels (l'abattement fiscal de 30 %, le droit d'auteur sur le multimédia, etc.) ?

Incontestablement la société est demandeur d'une telle démarche, du moins si l'on se réfère aux travaux menés par des instances telles que le Conseil économique et social ou la Commission consultative des droits de l'homme. Cette dernière, dans son avis de 1995, demandait « que soit établi à l'initiative des organisations représentatives des journalistes, un code déontologique de la profession, s 'inspirant notamment de la charte française des devoirs professionnels adoptée en 1918 et révisée en 1938 et de la charte dite de 'Munich' adoptée en 1971 ». Certains syndicats de journalistes pourraient en prendre l'initiative, à l'image de la CFDT qui s'y déclare favorable dans une « Motion déontologie » adoptée au printemps 1999. Elle recueillerait alors sans aucun doute l'accord du SNJ et de la CGC, voire même de FO. Elle se heurtera toutefois à l'hostilité résolue de la CGT, qui voit dans la charte une manière de faire peser la responsabilité des dérives sur les seuls journalistes, individuellement, là où se trouve en fait à l'œuvre des rapports sociaux, un système hiérarchique, les conséquences de choix patronaux.

Le mouvement amorcé récemment conduisant à l'adoption de chartes sectorielles (par les syndicats d'éditeurs) ou de chartes d'entreprises ne peut qu'exacerber ce clivage dans la mesure où ces chartes émanent de structures représentant les entreprises ou les hiérarchies de celles-ci pour s'appliquer aux journalistes eux-mêmes. Dans ce cadre la CGT, mais pas seulement elle, redoute que la charte se transforme en un outil de contrôle disciplinaire des

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journalistes entre les mains des seuls dirigeants, les exemptant, de fait, d'assumer leurs propres choix qu'ils concernent les effectifs rédactionnels, les moyens et conditions de travail, les choix éditoriaux.

Face à ce débat, chacun campe aujourd'hui sur ses positions, sachant qu'il n'existe apparemment pas de volonté des protagonistes de le trancher. Il en résulte une tendance à privilégier une forme de statu quo, dans lequel la référence à la charte joue un rôle essentiellement symbolique, d'autant qu'il n'existe aucune instance pouvant évaluer ou sanctionner les manquements aux règles contenu dans la charte. Cela permet également d'occulter la question de la pertinence de règles communes pour une profession désormais largement éclatée entre des univers professionnels de plus en plus distincts : information politique et générale, audiovisuel, spécialisé, local24.

Formation

En l'absence d'une autorité qui pourrait faire connaître à tout nouveau journaliste ce que sont les règles déontologiques de la profession, il est imaginable que celles-ci soient diffusées dans le cadre de la formation. C'est d'ailleurs dans un même mouvement que le syndicalisme porteur d'un projet et d'une revendication de professionnalisme définira son code d'honneur et engagera la réflexion sur la formation. Denis Ruellan25 montre que le syndicat des journalistes sera traversé de conceptions différentes quant à cette formation. Face à une approche visant à privilégier la technicité (comme à l'ESJ de Lille26), Georges Bourdon27, le leader du syndicat, appuiera à titre personnel une approche relevant de la critique de l'information et de ses conditions de production (l'Institut du journalisme28). Et, de fait, en 1935, lors de la discussion de la loi sur le statut des journalistes, l'option visant à exiger une formation ou un diplôme ne s'imposera pas.

24. CHARON, 1993. Nous avions abordé ce thème d'une approche différenciée de la déontologie selon ces univers professionnels, dans : « La place du débat sur la déontologie des journalistes dans les représentations de leur identité professionnelle », in L'identité professionnelle des journalistes, id. 25. RUELLAN, 1993. 26. Créée en 1924, dans le cadre de l'Université catholique. 27. RUELLAN, 1993, rappelle qu'en 1931, Georges Bourdon, dans un de ses écrits, avait exprimé son scepticisme à l'égard de formations professionnelles au journalisme comme il en existait alors aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne. 28. Dont est issu l'Institut français de presse.

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II fallut, en fait, attendre la Libération pour que l'idée de la formation revienne avec force, portée principalement par Philippe Viannay qui en 1946 crée le Centre de formation des journalistes. L'approche est alors largement issue des discussions qui ont eu lieu dans la clandestinité. Il s'agit d'un côté de professionnaliser ceux qui sont venus à la presse et au journalisme dans les combats de la Résistance et de l'autre d'assurer le renouveau des élites et de l'encadrement de la presse elle-même et de la profession de journaliste. L'approche initiale est peu formalisée, se situant dans une démarche de formation permanente, faite de cycles de conférences théoriques et d'exercices pratiques pour des journalistes travaillant déjà dans leurs rédactions. Il s'agit d'affirmer les valeurs professionnelles, le sens de la responsabilité, la morale29... En 1949, le CFJ adoptera toutefois une structure d'école. Il s'attachera toutefois à préserver un mode de direction et de gestion paritaire, jusqu'au dénouement de sa dernière crise en 1999.

Cette notion de paritarisme qui va se retrouver à des degrés divers dans les trois écoles privées, dites « de la profession » (l'ESJ de Lille, le CFPJ et l'IPJ) exprime cette volonté, maintenue, de la part des syndicats de journalistes d'être totalement partie prenante quant au type de formation qui va être proposé au sein de celles-ci. D'une certaine façon, par le biais de la « reconnaissance par la profession », par le même système du paritarisme (dans le cadre de la convention collective), il est possible d'avancer que les mêmes représentants syndicaux des journalistes interviennent dans la validation des programmes des institutions de formation publiques, cursus universitaires classiques ou IUT (le CUEJ de Strasbourg, Paris IV, les ШТ de Bordeaux, Tours et Marseille).

L'étude de ces formations, ainsi que des appréciations des journalistes en activité sur celles-ci30, montre qu'une conception se dégage clairement quant à la manière dont les écoles de journalisme doivent jouer leur rôle du point de vue de la formation à la déontologie et de l'engagement d'un réflexion éthique : il ne saurait être question de privilégier des enseignements théoriques ou magistraux, dans ces domaines, seule leur implication dans la pratique prend sens et se trouve adaptée aux exigences professionnelles. Il y a là une certaine continuité entre cette approche de la formation et le tutorat dont doit bénéficier le jeune journaliste au cours de son stage.

29. Voir à ce sujet DELPORTE, 1999, p. 417. 30. CHARON, 1997.

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П restera bien sûr à démontrer que cette imprégnation initiale, lors de l'apprentissage du « tour de main » professionnel, puis l'influence du tuteur, lors du stage seront un bagage suffisant pour faire face aux défis, aux chausse- trappes, aux risques de dérives de toute une vie. Il faut surtout, là encore, rappeler la distance entre la valeur symbolique de la référence à la formation de la profession et sa réalité : il n'y avait, en effet, au début des années quatre- vingt-dix que 13,4% des journalistes31 qui avaient suivi une école de journalisme ! Ce chiffre était d'ailleurs en recul puisque vingt ans plutôt il était de 20 %. Et que dire du rôle des tuteurs de stages, alors que ceux-ci ont, de fait, quasiment disparu, surtout pour tous ceux qui ne connaîtront durant toute la durée du stage que le statut de pigiste, totalement livré à lui-même. . . ?

Médiations et instances critiques

Faute de textes, de formations ou d'organes de régulation de l'ensemble de la profession, peut-être faut-il se tourner vers des démarches plus sectorielles, locales, intellectuelles, voire militantes. C'est ce que suggère l'exemple des Journalism review nord-américaines. L'idée est ici de stimuler la réflexion déontologique par des publications critiques qui passent au crible la production des principaux médias. Force est de constater toutefois que de telles revues critiques n'existent pas vraiment en France, même si les démarches du Monde diplomatique ou de Arrêt sur image, manifestent une évolution certaine. Il s'agit en l'occurrence de démarches éditoriales tournées avant tout vers le grand public et non de démarches militantes, impliquant de nombreux journalistes, comme le sont les Journalism Review.

Face à l'éclatement syndical, des associations, des mouvements spécifiques de journalistes peuvent se fixer pour objectif l'animation du débat déontologique, la recherche d'approches conformes à l'éthique de la profession, ainsi que l'ouverture sur la société. C'est d'une certaine manière la voie sur laquelle s'est engagée l'association Reporters sans frontières, au début des années quatre-vingt-dix, avec l'organisation de débats tels que : « Roumanie, qui a menti ? », « Les mensonges du Golfe », « La presse en état de guerre », « Les journalistes sont-ils crédibles ? », etc32. L'association dut toutefois mettre quelque peu en sommeil cette démarche, tant elle

31. Selon les chiffres de l'étude de l'IFP, 1991. 32. Qui donnèrent lieu à autant de publications, d'ouvrages, de rapports, de chroniques dans La lettre de Reporters sans frontières.

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risquait de paralyser sa mission première, celle du parrainage de journalistes emprisonnés, à travers le monde. Or, les parrains sont souvent des vedettes de la profession, appuyés par leurs entreprises, peu enclins à supporter les critiques au nom de la déontologie ou de la morale.

Les dernières années ont vu également le mouvement des sociétés de rédacteurs se tourner vers l'approche déontologique. Tout se passe comme si faute d'avoir pu prendre une place significative au sein du capital (hormis le cas du Monde), faute d'avoir pu obtenir une reconnaissance par voie législative dans la direction éditoriale, ces sociétés de rédacteurs investissaient progressivement, souvent au coup par coup, le terrain de la déontologie, face à une logique des directions, ou des propriétaires dénoncée comme essentiellement gestionnaire ou mercantile. Tel est en tout cas le tour pris par l'action des sociétés de rédacteurs dans l'audiovisuel public (France 2, Radio France, etc.). Le phénomène pourrait bien être symptomatique, marquant l'inscription de l'approche déontologique et éthique dans le cadre des entreprises.

AUTOREGULATION PAR LA PROFESSION OU PAR LES ENTREPRISES ?

Il est possible sous forme de question et en guise de conclusion - provisoire - de s'interroger sur ce qui pourrait bien se lire comme l'échec de la prétention de la profession à affirmer sa capacité à s'autoréguler : absence de charte réellement reconnue par tous, absence d'autorité de la profession, de « bidule » comme le disait Roland Cayrol, dans un débat récent33, retrait progressif des instances d'une formation qui concerne une minorité de journalistes, stagnation des démarches critiques... Et si ce mouvement ď autorégulation était en train de s'affirmer dans le cadre des entreprises : multiplication des chartes, création de comités de rédaction, mise en place de médiateurs, évocation d'une instance de recours par l'association Presse- Liberté34. Face à l'impuissance de la profession s'affirmerait désormais la vieille prétention des entreprises, de leurs dirigeants, des organisations de branches à prendre en main leur autorégulation, ayant compris qu'il y va de leur crédibilité face au public dans un contexte devenu extrêmement concurrentiel.

33. Les rencontres de Pétrarque, organisées par France Culture et Le Monde, du 15 au 18 juillet 1999. 34. Evoquée lors du colloque du 15 avril, de cette association, largement sous-tendue par la presse magazine et singulièrement le groupe Hachette.

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