20
Le bulletin de la société savante de l’Aéronautique et de l’Espace LETTRE 3AF Association Aéronautique Astronautique de France NUMÉRO 26 JUILLET - AOÛT 2017 WWW.3AF.FR NUMÉRO SPÉCIAL LE 22 JUIN 2017 AU SALON DU BOURGET LANCEMENT PAR LE CNES DU PROJET FEDERATION LE PRÉSIDENT JEAN-YVES LE GALL LORS DE SON DISCOURS D’INAUGURATION

JUILLET - AOÛT 2017 LETTRE 3AF · 2017. 9. 18. · astronomie amateur – radio amateur. Considérant FEDERATION comme un projet enthousiasmant, il espère y jouer un rôle d’animateur,

  • Upload
    others

  • View
    1

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: JUILLET - AOÛT 2017 LETTRE 3AF · 2017. 9. 18. · astronomie amateur – radio amateur. Considérant FEDERATION comme un projet enthousiasmant, il espère y jouer un rôle d’animateur,

Le bulletin de la société savante de l’Aéronautique et de l’Espace

LETTRE 3AFAssociation Aéronautique Astronautique de France

NUMÉRO 26JUILLET - AOÛT 2017

WWW.3AF.FR

NUMÉRO SPÉCIAL

LE 22 JUIN 2017 AU SALON DU BOURGET

LANCEMENT PAR LE CNES DU PROJET FEDERATION LE PRÉSIDENT JEAN-YVES LE GALL LORS DE SON DISCOURS D’INAUGURATION

Page 2: JUILLET - AOÛT 2017 LETTRE 3AF · 2017. 9. 18. · astronomie amateur – radio amateur. Considérant FEDERATION comme un projet enthousiasmant, il espère y jouer un rôle d’animateur,

4 EDITORIALBruno Chanetz, Rédacteur en Chef 5 MESSAGE DU PRESIDENT

DE LA 3AFMichel Scheller

6 DISCOURS INAUGURAL Jean-Yves Le Gall, Président du CNES

7 ALLOCUTION DU PROFESSEUR JACQUES BLAMONTDe l’Académie des Sciences, Conseiller du Président du CNES

Apparaissent aujourd’hui des modes de communica-tion qui permettent à des personnes isolées d’entrer en contact avec d’innombrables « amis » et de participer, virtuellement ou réellement, à des activités de groupe à travers le monde entier.L’initiative FEDERATION a pour but d’introduire dans le milieu très restreint du spatial, jusqu’ici réservé à des privilégiés, des acteurs extérieurs, réalisant ainsi le mariage de la démarche « top-down » - celle des agences spatiales – et la démarche « bottom-up » des acteurs extérieurs.FEDERATION sera une première composante européenne du New Space et de l’ Open Space.

8 PRESENTATION GENERALE DU PROJET FEDERATIONFabio Mainolfi, Chef du Projet FEDERATION au CNES

FEDERATION vise à ouvrir le monde du spatial au plus grand nombre en mettant à profit la puissance de l’intelligence collective et le souci de chaque citoyen d’ancrer son action dans une démarche de création d’un monde futur.Le concept le plus prometteur est celui d’une Association FEDERATION dans la société civile par des porteurs externes au CNES en vue de fédérer l’ensemble des composantes de la société autour du spatial et de favoriser l’adhésion au concept. Le processus de co-création de FEDERATION avec les acteurs de la société civile est d’ores et déjà engagé, il culminera à l’automne avec le lancement des premiers projets.

ÉDITEUR

Association Aéronautique

et Astronautique de France

6, rue Galilée, 75116 Paris

Tél. : 01 56 64 12 30

[email protected]

DIRECTEUR DE LA

PUBLICATION

Michel Scheller

CONSEILLER ÉDITORIAL

Jean-Pierre Sanfourche

RÉDACTEUR EN CHEF

Bruno Chanetz

COMITÉ DE RÉDACTION

Pierre-Guy Amand

Pierre Bescond

Elisabeth Dallo

Jean Délery

Pierre Froment

Jean-Yves Guédou

Paul Kuentzmann

Jean Tensi

Anne Venables

Bernard Vivier

CONCEPTION GRAPHIQUE

ICI LA LUNE

www.icilalune.com

Droit de reproduction, textes

et illustrations réservés pour

tous pays.

LETTRE 3AF NUMÉRO 26 / JUILLET - AOÛT 2017

NUMÉRO 26JUILLET - AOÛT 2017

TABLE DES MATIÈRES

2

Page 3: JUILLET - AOÛT 2017 LETTRE 3AF · 2017. 9. 18. · astronomie amateur – radio amateur. Considérant FEDERATION comme un projet enthousiasmant, il espère y jouer un rôle d’animateur,

10 INTERVIEW DE LOUIS-DAVID BENYAYER, ESCP EUROPEPar Jean-Pierre Sanfourche

Louis-David Benyayer est spécialiste des domaines ouverts et collaboratifs. Il voit dans FEDERATION une aventure de construction d’une dynamique de management à la pointe du progrès, fondée sur le numérique, en échangeant avec la société civile et les entreprises innovantes de tous secteurs, puis en faisant entrer dans la « sphère Espace » de nouveaux entrants qui feront émerger des idées nouvelles de recherche spatiale et aussi des idées nouvelles en matière d’utilisation des moyens spatiaux. Les idées novatrices vont naître de l’interaction entre la dynamique « top-down » des acteurs traditionnels de l’Espace et la dynamique « bottom-up » des participants extérieurs.

12 INTERVIEW DE JEAN-SEBASTIEN STEYER, PALEONTOLOGUEPar Jean-Pierre Sanfourche

Jean-Sébastien Steyer est paléontologue au CNRS et au Muséum National d’Histoire Naturelle. Il est spécialement intéressé par le projet FEDERATION parce qu’il souhaite encourager une discipline émergente : l’exopaléontologie, qui s’occupe de la recherche de potentielles vies fossiles ailleurs que sur Terre. L’exopaléontologie est aux formes extrater-restres fossiles ce que l’exobiologie est aux formes vivantes. Elle va offrir des perspectives fantastiques pour la recherche scientifique.

16 INTERVIEW DE GAËL MUSQUET, HACKERPar Bruno Chanetz

En tant que hacker, Gaël Musquet est passionné par les systèmes d’infor-mations et notamment par l’ « open innovation » : OpenData, OpenSource, OpenStandards, OpenHardware.Il est impliqué dans de multiples activités : sécurisation des véhicules - aide à la supervision du trafic aérien, maritime et satellitaire – cartographie – astronomie amateur – radio amateur. Considérant FEDERATION comme un projet enthousiasmant, il espère y jouer un rôle d’animateur, de catalyseur, mettant en relation des projets, des associations, des femmes et des hommes d’horizons divers.

19 POUR ENTRER EN CONTACT AVEC FEDERATION 20 PARMI LES PROCHAINS

ÉVÉNEMENTS 3AF

14 INTERVIEW DE DANIEL KUNTH, ASTROPHYSICIENPar Bruno Chanetz

Daniel Kunth voit dans FEDERATION un puissant moyen pour tisser des liens avec des personnes d’origines professionnelles et de compétences différentes. L’astronomie est parmi les disciplines scientifiques, celle qui réunit la plus grande communauté de passionnés. Le monde des astronomes amateurs et celui des astronomes professionnels ne sont pas disjoints, ne s’ignorent pas. L’astronomie a besoin des amateurs pour progresser et Daniel Kunth voit deux pistes : (i) favoriser la transversalité et fédérer autour de projets spatiaux des savoir-faire multiples ; (ii) l’éducation. Outre l’astronomie, le spatial a bien sûr d’innombrables autres applications pour lesquelles FEDERATION fera naître quantité d’idées nouvelles.

LETTRE 3AF NUMÉRO 26 / JUILLET - AOÛT 20173

Page 4: JUILLET - AOÛT 2017 LETTRE 3AF · 2017. 9. 18. · astronomie amateur – radio amateur. Considérant FEDERATION comme un projet enthousiasmant, il espère y jouer un rôle d’animateur,

Cette Lettre est entièrement consacrée au projet FEDERATION du CNES. La décision de réaliser un numéro spécial chaque été est née de la volonté

d’ouvrir plus largement nos colonnes aux membres insti-tutionnels qui contribuent au rayonnement de la 3AF. Ainsi, dans le même esprit, la Lettre de l’été 2018 sera dédiée à un autre partenaire historique : l’ONERA. Ces deux institutions ont été distinguées en novembre dernier : Bruno Sainjon, Président de l’ONERA s’est vu remettre le Grand Prix spécial 3AF « Aéronautique » et Jean-Yves Le Gall, Président du CNES a reçu le Grand Prix spécial 3AF « Espace ».

De plus, le projet FEDERATION nous a paru très enrichis-sant pour les adhérents individuels de notre association. En effet « FEDERATION » vise à tirer profit de l’intelli-gence collective pour le futur des systèmes spatiaux. Or la 3AF constitue un vivier de compétences multiples : depuis les jeunes ingénieurs, experts dans les nouvelles technologies, jusqu’aux retraités de l’aéronautique et de l’espace aux expériences variées, que de talents à mettre en réseau! Car il s’agit bien de fédérer des actions visant à construire l’espace de demain au profit de l’homme et de son environnement.

Le 22 juin dernier, sur le stand CNES au salon du Bourget, le projet FEDERATION a fait l’objet d’une présentation par le Président Le Gall, puis d’un exposé du Professeur Blamont, suivi d’une table ronde animée par Fabio Mainolfi, maître d’œuvre de ce projet conduit par la direction de l’innova-tion des applications et de la science du CNES. Les deux premiers articles de la présente Lettre reprennent les discours prononcés, puis Fabio Mainolfi définit le cadre de FEDERATION. Suivent des interviews des participants à la table ronde. La diversité de ces personnalités montre bien le côté inédit de cette initiative.

Pour autant le concept d’intelligence collective ne date pas d’aujourd’hui. Ce qui est nouveau, ce sont les moyens mis en œuvre pour favoriser la connexion des intelli-gences, le messager Internet offrant à tous les services qu’Hermès réservaient jadis aux seuls dieux de l’Olympe. Les philosophes de l’antiquité avaient bien compris tout l’intérêt de la mise en commun du savoir, concept très sobrement exprimé par Euripide : « Aucun de nous ne sait ce que nous savons tous ensemble ». Pendant la longue nuit du moyen-âge, le savoir antique s’était réfugié dans les monastères. Non seulement les moines avaient sauvegardé cet héritage, mais aussi la concentration

dans un même lieu des hommes les mieux instruits et les plus éclairés de leur temps, avait permis l’éclosion de techniques industrielles, de pratiques agraires et de recettes médicinales. Les monastères ne furent pas seulement des temples pour la prière, mais aussi des lieux de travail, de réflexion, de partage et de création artistique. Le concept moderne de « co-working » n’est pas si éloigné de cette expérience du passé. Cependant les membres de ces communautés, en raison de leur nombre restreint et de la clôture de leur existence, ne portaient plus guère de fruits, lorsqu’à la Renaissance, l’ouverture des portes du savoir à l’ensemble des élites européennes, fit fructifier ce capital accumulé par eux au cours des siècles.

Cette fertilisation des connaissances par l’échange n’est bien sûr pas l’apanage de la seule Europe. Un proverbe africain exprime bien cette notion : « si tu veux aller vite, fais le seul, si tu veux aller loin fais-le avec les autres ». Et on trouve en Chine un adage équivalent : « Lorsque les hommes travaillent ensemble, les montagnes se changent en or ». De fait les chinois ne persécutèrent les mission-naires jésuites qu’après avoir suffisamment vécu à leur contact et assimilé une grande partie des connaissances occidentales.

C’est encore à un jésuite, le père Teillhard de Chardin, que revient le mérite d’avoir inventé en 1922 le mot « noosphère », pour désigner la sphère de la pensée humaine. Il y a une vingtaine d’année, les théoriciens d’Internet ont redécouvert ses écrits et ont fait de lui, leur « saint patron », selon la philosophe américaine Joan Houston, récemment décédée.

L’intelligence collective et le credo connexionniste sont au cœur du projet « FEDERATION ». La 3AF, société savante de l’aéronautique et de l’espace, s’associe sans réserve à ce programme original, au développement duquel elle contribuera par l’intermédiaire de ceux de ses membres, qui s’impliqueront avec enthousiasme dans cette aventure. ■

Bruno ChanetzRédacteur en Chef

ÉDITORIAL

LETTRE 3AF NUMÉRO 26 / JUILLET - AOÛT 20174

Page 5: JUILLET - AOÛT 2017 LETTRE 3AF · 2017. 9. 18. · astronomie amateur – radio amateur. Considérant FEDERATION comme un projet enthousiasmant, il espère y jouer un rôle d’animateur,

LE MESSAGE DU PRÉSIDENT

Vous me permettrez, avant de regarder les lumières qui scintillent à l’aube de la rentrée, de faire un bref bilan des semaines qui ont précédé.

C’est toujours un challenge pour la 3AF que le Salon du Bourget. Ce challenge ne se mesure pas à l’aune de contrats comme c’est le cas pour nos industriels mais à celle de nos visiteurs, de leur appétit et de l’intérêt qu’ils manifestent pour notre activité. À ce titre le salon 2017 fut un bon cru pour notre association puisque notre stand a été très visité par des jeunes… et des moins jeunes, et a permis aux membres de la 3AF venus des différentes régions de faire connaître à nos visiteurs l’ensemble de nos activités, au sein des groupes régionaux et des commissions techniques.

Je souhaite, ici, remercier très chaleureusement tous les membres, bénévoles, qui ont donné de leur temps pour animer et tenir ce stand, et faire de cette opération un succès.

Pour en venir maintenant aux lumières de la rentrée, elles scintillent de toutes parts car l’activité reprend très vite en ce mois de septembre. Après le succès indiscu-table du colloque IAMD (Integrated Air and Missile Defence) qui a rassemblé, à Stockholm, 230 experts de 16 pays autour de 113 présentations, la 3AF organise une Journée Aviation Légère (JAL) destinée aux pilotes privés d’Ile-de-France et prépare le 3e colloque «Propriété intellectuelle et Innovation qui se tiendra à Strasbourg les 11 et 12 octobre».

Nous venons aussi d’ouvrir l’appel à propositions pour décerner les Palmes 2017 et préparons la manifestation du 7 novembre au cours de laquelle la 3AF remettra les Palmes 2016 et les Grades 2017. En effet, nos membres, tous bénévoles, se voient demander d’agir toujours plus et mieux au bénéfice de notre association, et ils le font avec passion. Il nous revient de reconnaitre leurs mérites et de les honorer au niveau de leur engagement.

À ce titre, je souhaite, au nom de tous, remercier l’une de nos membres, et non des moindres, Fanny Boucher. Membre de la 3AF, avec la plus grande fidélité, depuis 18 ans, elle ne ménage pas ses efforts comme membre actif de la commission Stratégie et Affaires Internationales et trésorière du groupe Ile de France. Mais, surtout, Fanny est celle qui, depuis des années, est l’artisan, le mot est justement choisi, de notre annuaire. C’est un travail délicat, parfois fastidieux, mais tellement nécessaire. Elle l’a accompli discrètement mais magistralement, vous venez encore de le constater en recevant l’édition 2016-2017. Fanny a décidé, malgré notre insistance, de se retirer de cette activité. Merci Fanny, vous êtes et resterez ce point scintillant de la rentrée 2017.

Je vous laisse maintenant découvrir ce nouveau numéro, consacré et dédié au CNES, membre de droit de la 3AF. Je remercie tout particulièrement son président, Jean-Yves Le Gall, et ses équipes, pour le temps qu’ils y ont consacré à l’élaboration d’un numéro exceptionnel. J’invite les membres de la 3AF à participer très activement à ce projet collaboratif de FEDERATION qui doit permettre comme l’a dit Jean-Yves le Gall, lors du lancement au salon du Bourget, de « construire les fondations de l’espace de demain ». ■

Michel Scheller,Président de la 3AF

LETTRE 3AF NUMÉRO 26 / JUILLET - AOÛT 20175

Page 6: JUILLET - AOÛT 2017 LETTRE 3AF · 2017. 9. 18. · astronomie amateur – radio amateur. Considérant FEDERATION comme un projet enthousiasmant, il espère y jouer un rôle d’animateur,

Cela a été un long chemin pour aboutir à ce moment et je suis d’autant plus content d’avoir pu être disponible pour faire cette introduction.

Un long chemin parce qu’il a fallu faire la conquête de l’espace et cela a pris 50 ans d’efforts collectifs au niveau mondial pour aboutir à la situation actuelle où les techno-logies et le savoir-faire sont suffisamment rodés pour que de nouveaux entrants puissent s’en emparer et amplifier le mouvement en introduisant de nouvelles méthodes issues de l’économie numérique.

Un long chemin aussi parce qu’il a fallu que les efforts de recherche technologique en électronique soutiennent la loi de Moore et qu’enfin il soit possible d’intégrer dans de très faibles volumes des fonctions extrêmement complexes et ainsi permettre d’envisager des satellites de quelques litres (ou dizaines de litres) arborant des performances opérationnelles tout à fait honorables.

Un long chemin enfin pour qu’il soit possible que le secteur spatial bénéficie à son tour de l’effet d’accéléra-tion résultant de l’ouverture au grand public à l’instar de ce qui s’est passé pour le télégraphe au XIXème siècle (et plus largement pour tout le secteur des télécom-munications dans un passé récent).

Pour cela, il fallait :• une technologie performante à un prix accessible, c’est désormais le cas;• des citoyens qui souhaitent investir leur énergie dans une démarche d’exploration des possibles, que ce soit par goût de la technique, par rêve d’aventure ou par volonté entrepreneuriale ; je suis confiant dans le fait que la France soit un terreau fertile pour cela. Votre présence nombreuse dans un salon professionnel alors que vous venez de tous horizons en est la preuve. Mais j’ai aussi entendu dire que le nombre de fablabs et hackerspaces se compte en centaines sur le territoire national;• une dynamique collective enfin, que ce soit pour relever les défis sociétaux ou donner forme à nos rêves. Le milieu associatif français me semble extrêmement vigoureux et de

nouvelles formes de travail émergent.

Alors, voilà, nous y sommes. Il ne reste plus qu’à rassembler nos efforts et explorer ensemble les chemins de ce nouveau secteur spatial qui s’offre à nous, plein de partage, de plaisir retrouvé dans le faire et d’ouverture.

J’espère sincèrement que les réflexions de la table ronde d’aujourd’hui vont permettre de générer une impulsion, que cette étincelle va prendre de l’ampleur grâce aux initiatives que chacun d’entre vous ne manquera pas de lancer au sein de son propre réseau et que tel un feu novateur nous verrons dans les mois qui viennent se construire les fondations de l’espace de demain. ■

LETTRE 3AF NUMÉRO 26 / JUILLET - AOÛT 2017

DISCOURS INAUGURAL PRONONCÉ LE 22 JUIN 2017 AU SALON DU BOURGET PAR JEAN-YVES LE GALL, PRÉSIDENT DU CNES

6

Page 7: JUILLET - AOÛT 2017 LETTRE 3AF · 2017. 9. 18. · astronomie amateur – radio amateur. Considérant FEDERATION comme un projet enthousiasmant, il espère y jouer un rôle d’animateur,

LETTRE 3AF NUMÉRO 26 / JUILLET - AOÛT 20177

Jacques BlamontMembre de l’Académie des SciencesConseiller du Président du CNES

La loi de Moore, moteur de l’histoire depuis cinquante ans, transforme maintenant la vie sociale. Apparaissent des modes de communication qui

permettent à des personnes isolées d’entrer en contact avec d’innombrables « amis » et de participer virtuellement ou réellement à des activités de groupe à travers le monde entier, de Shen Zhen à San Francisco. D’une part des talents peuvent émerger et se faire employer dans des entreprises structurées qui en tireront profit. D’autre part ces talents, même et surtout s’ils sont modestes, peuvent permettre à leurs possesseurs de grimper dans l’ascenseur social.

Nous voyons se développer une situation inédite qui offre un potentiel inestimable en même temps aux individus et aux organismes industriels ou étatiques sur lesquels repose le système global économique et politique. Le CNES, agence dont l’activité exige l’innovation, ne peut l’ignorer.

Il propose donc le lancement de l’initiative FEDERATION, qui devrait unir la carpe et le lapin : d’une part, le bouillonne-ment horizontal d’individus avides de réalisations concrètes, jouissant d’une culture dont l’espace est un mythe privilégié, et d’autre part la rigueur d’une Agence hiérarchisée, intran-sigeante sur sa pratique et ses méthodes. Cette structure a pour but d’introduire la multitude des bonnes volontés dans le monde raréfié de l’espace, jusqu’ici réservé à des privilé-giés. L’Agence apportera sa culture de projet et son excel-lence technique. La communauté apportera sa créativité et son enthousiasme. Ce sera le mariage encore jamais vu du top down et du bottom up, il faudra inventer le mode de fonctionnement et le mode de comportement des différents partenaires.

« Je rêve de voir l’humanité toute entière, impliquée dans l’exploration planétaire »

La fédération que nous vous proposons de créer fédérera des groupes qui resteront indépendants malgré une animation centrale que nous construirons ensemble, je dis animation et non direction, car, à l’exemple du Net, elle n’aura pas de direction. FEDERATION sera un vecteur de communica-tion, d’apprentissage par pairs, de conception ouverte et de fabrication distribuée faisant circuler des propositions de projets auxquels pourront adhérer les uns ou les autres. Naîtront donc venant du bottom, des projets divers dont le large spectre pourra comprendre aussi bien la fabrication d’équipements spatiaux à mettre en orbite que la mise au point de logiciels, la participation à des opérations comme le dépouillement de données et même, qui sait, le développe-ment de lanceurs, avec des règles différentes pour chacun. La fédération sera une composante originale, une première composante européenne du New Space et de l’Open Space. Je donne comme exemple la participation au village robotique lunaire, qui a été conçu par l’International Lunar Explora-tion Working Group (ILEWG) soutenu par toutes les Agences spatiales. FEDERATION pourrait l’adopter comme l’un de ses projets. Je rêve de voir l’humanité toute entière impliquée dans l’exploration planétaire et non plus seulement la petite communauté de spécialistes, l’humanité désormais non plus spectatrice mais actrice de son destin.

L’impact d’une telle entreprise dépasserait ses objectifs propres pour offrir au monde la vision d’une action collec-tive menée par la fraternité des peuples dans la concorde et le dépassement des rivalités. ■

ALLOCUTION PRONONCÉE PAR LE PROFESSEUR JACQUES BLAMONT

Page 8: JUILLET - AOÛT 2017 LETTRE 3AF · 2017. 9. 18. · astronomie amateur – radio amateur. Considérant FEDERATION comme un projet enthousiasmant, il espère y jouer un rôle d’animateur,

LETTRE 3AF NUMÉRO 26 / JUILLET - AOÛT 20178

Fabio Mainolfi, Chef du projet FEDERATION au CNES©Photo L. Honnorat

FEDERATION vise à ouvrir le monde du spatial au plus grand nombre en mettant à profit la puissance de l’intelligence collective et le souci de chaque citoyen

d’ancrer son action dans une démarche de création d’un monde futur.

L’initiative devrait permettre le développement d’open hardware au niveau national et l’émergence de nouveaux concepts spatiaux susceptibles d’être développés de manière collaborative. FEDERATION vise à mettre en place et animer un écosystème spatial de rupture en fédérant différentes composantes de la société civile et en parti-culier les communautés existant déjà dans le monde des hackers, des makers et des réseaux de l’« économie colla-borative ».

Sa spécificité sera d’ouvrir le monde de l’infrastructure spatiale à ces acteurs en leur offrant un cadre dans lequel les acteurs traditionnels du spatial (agences, laboratoires et industrie) puissent dialoguer et coopérer en réseau avec tous les nouveaux entrants motivés.

Depuis 2016 nous avons mené beaucoup de réflexions pour passer de cette vision à une mission bien définie.L’originalité de FEDERATION amène à un grand champ des possibles et à un niveau important de complexité de mise en œuvre.

LES « COMMUNAUTÉS OUVERTES » : DES MODÈLES POUR S’INSPIRER

La première étape a été de comprendre l’environnement sous-jacent et les caractéristiques structurantes des initiatives collaboratives. Au début du projet nous avons

été accompagnés par OuiShare et nous sommes allés à la rencontre d’une partie de « l’écosystème collaboratif » français. Ce processus d’acculturation est très important pour comprendre le fonctionnement et les motivations des initiatives ouvertes.

Leur hétérogénéité rend difficile une définition simple, néanmoins le dénominateur commun de ces formes est leur organisation horizontale et leur socle basés sur des communautés amenant à des nouveaux modes d’usage, d’échange et de travail. Les initiatives portées par les communautés se structurent autour d’un projet commun ou d’un bien commun que peut produire le groupe.

Il s’agit de communautés à la croisée des réseaux sociaux et des lieux physiques. On constate une transposition des organisations issues de la culture Internet (non hiérar-chiques, horizontales, évolutives), dans des espaces physiques avec une importance accrue de la rencontre et du partage.

Les modèles d’animation présentent une forte interaction entre les activités en ligne (réseaux sociaux, technolo-gies numériques) et l’ancrage local ( fablabs, makerspaces, hackerspaces, lieux de co-working).

Indépendamment de leurs motivations (économiques, écologiques ou sociales), les communautés ouvertes adhèrent pour la plupart aux mêmes valeurs de liberté, ouverture, solidarité, transparence et responsabilité. Ces acteurs se positionnent comme des acteurs clés de la chaîne de production de la valeur. La gouvernance horizontale, l’apprentissage par pair, la connaissance partagée, la conception ouverte et la fabrication distri-buée représentent des caractéristiques centrales.Nous avons adopté ces valeurs, caractéristiques et modes de fonctionnement en tant que modèles pour l’initiative FEDERATION.

UNE ASSOCIATION FEDERATION DANS LA SOCIÉTÉ CIVILE

Nous nous sommes posé la question de comment construire et animer une communauté FEDERATION. Le premier réflexe a été de regarder ce qui est fait ailleurs. Nous avons conduit une étude cartographique des initia-tives collaboratives qui existent dans divers secteurs industriels.

Il a été mis en évidence que lorsqu’elles sont engagées par des acteurs établis traditionnels (industrie, insti-tutions), il s’agit plutôt de démarches d’open innovation semi-fermées ou discrètes pouvant s’adresser à un public expert ou au grand public (hackatons, challenges, intra-prenariat).

EXPOSÉ INTRODUCTIF PAR FABIO MAINOLFI

Page 9: JUILLET - AOÛT 2017 LETTRE 3AF · 2017. 9. 18. · astronomie amateur – radio amateur. Considérant FEDERATION comme un projet enthousiasmant, il espère y jouer un rôle d’animateur,

LETTRE 3AF NUMÉRO 26 / JUILLET - AOÛT 2017

Ces formes correspondent à des approches top-down et ne semblent pas pouvoir conduire à l’émergence d’un écosys-tème de rupture inspiré par la culture hacker, maker et plus en général Do it Yourself. Ce n’est pas ce que nous recherchions pour FEDERATION.

Au contraire les initiatives portées par des communautés ouvertes se structurent autour d’un projet commun ou d’un bien commun que peut produire le groupe. Il s’agit d’approches bottom-up. La question s’est posée tout natu-rellement: comment un acteur institutionnel peut-il impulser une dynamique ouverte de type bottom-up épousant toutes les valeurs et les modes de fonctionne-ment des « communautés ouvertes » ?

Nous avons mené un trade-off sur le rôle du CNES dans FEDERATION. Plusieurs concepts ont été considérés. Les risques et les opportunités liés à l’open source/hardware et en particulier les facteurs pouvant conduire au rejet de FEDERATION en phase d’exploitation ont été pris en compte.

Les analyses ont montré que le concept le plus prometteur est celui d’une association FEDERATION dans la société civile par des porteurs externes au CNES. Ce concept permet de créer le cadre et définir les règles du disposi-tif avec les intéressés (propriété intellectuelle, règles de participation, interactions avec l’écosystème existant). La création d’une association permet de fédérer l’ensemble des composantes de la société autour du spatial et de favoriser l’adhésion à FEDERATION tout en gardant une horizontalité organisationnelle.

L’idée est que FEDERATION s’appuie sur une plateforme Web permettant la formation, les échanges et la mise en projet et sur un réseau de lieux déjà existants ( fablabs, hackerspaces, makerspaces).

Le CNES jouera un rôle de partenaire et de sponsor au niveau de l’association et aura un rôle informel dans l’animation et la participation à la communauté à travers l’intervention des ingénieurs, la proposition de projets à la communauté et l’apport de formation sous forme de MOOC. FEDERATION, pourra nouer des partenariats avec toute entité (industrie, secteur public ou associatif) qui souhaite participer à l’aventure et adhère aux valeurs et aux règles du projet. Par ailleurs la 3AF, Planète Sciences, OuiShare et Electrolab soutiennent déjà l’initiative.

Ce choix représente un point de départ car la forme de FEDERATION devra être consolidée et co-construite avec les parties prenantes dans la société civile.

DÉPLOIEMENT

Le lancement qui a eu lieu au Salon du Bourget représente une première communication officielle vers l’écosys-tème spatial existant et l’officialisation du processus de co-création de FEDERATION avec les acteurs de la société civile. Néanmoins, Il ne suffit pas d’ouvrir un actif ou de mettre en ligne une plateforme pour qu’une communauté de contributeurs s’en empare. La création d’un réseau, le démarrage de projets concrets et la mise en place des partenariats sont essentiels à la création de la commu-nauté.

Dans les premiers pas de FEDERATION, nous essayons de susciter l’intérêt, provoquer la pollinisation et motiver. De nombreux contacts et rencontres ont déjà eu lieu avec des « communautés ouvertes ». L’identification d’un noyau dur de l’association permettra de passer de l’idée à la réalisation. Nous serons force de proposition pour la construction d’un dispositif viable et pérenne.

Cette dynamique se poursuit au quotidien et culminera à l’automne avec des « ateliers FEDERATION » dans diffé-rentes villes de France. À cette occasion les premiers projets devraient être lancés.

Il est possible d’entrer en contact avec le projet FEDERA-TION ou de s’inscrire à la newsletter à travers le site web : www.federation-openspacemakers.com

Ces initiatives s’accompagnent d’une dynamique interne au CNES. Nous nous engageons dans une dynamique d’ouverture amenant les ingénieurs du CNES à participer à la communauté externe dans un processus d’échange de pair à pair. Pour cela, nous allons lancer un trophée interne collaboratif impliquant toutes les directions du CNES et faisant intervenir toutes les compétences sur des thèmes à la croisée des objectifs technologiques sociétaux et économiques. Cette initiative devrait permettre de créer et animer une communauté FEDERATION interne pour pérenniser la démarche et préparer les échanges avec la société civile. Nous aimerions que les ingénieurs puissent dédier une partie de leur temps à FEDERATION. Nous pensons que l’articulation interne/externe est une clé de la réussite du projet.

Nous espérons qu’une telle démarche attirera vers le secteur spatial un nombre toujours plus grand de contri-buteurs et que les rêves se transformeront en une réalité sous l’effet de l’effort collectif. ■

9

Page 10: JUILLET - AOÛT 2017 LETTRE 3AF · 2017. 9. 18. · astronomie amateur – radio amateur. Considérant FEDERATION comme un projet enthousiasmant, il espère y jouer un rôle d’animateur,

LETTRE 3AF NUMÉRO 26 / JUILLET - AOÛT 201710

Louis-David Benyayer ©Photo L. Honnorat

Diplômé de l’ESCP Europe et docteur en sciences de gestion, Louis-David Benyayer est chercheur et professeur affilié à l’ESCP Europe. Cofondateur

de Without Model, think tank sur l’innovation de modèle économique, il a coordonné l’ouvrage Open Models, les business models de l’économie ouverte.

Jean-Pierre Sanfourche : Comment le CNES est-il entré en relation avec vous et quelles sont les raisons qui vous ont conduit à adhérer à la démarche FEDERATION du CNES ?

Louis-Daniel Benyayer : Les responsables du projet FEDERATION avaient pris connaissance de mon ouvrage « Open Models – Les business models de l’économie ouverte » et observant que mes travaux relatifs aux modèles ouverts correspondaient très précisément à la démarche « FEDERATION » qu’ils veulent conduire, ils ont pris contact avec moi. Étant spécialiste des domaines ouverts et collaboratifs, c’est tout naturellement avec grand intérêt et enthousiasme que j’ai souhaité apporter ma contribution à la mise en place de FEDERATION.

J.-P. S. : Pourquoi la philosophie des open models est-elle bien adaptée à la démarche FEDERATION ?

L.-D. B. : Traditionnellement les organisations considé-raient qu’elles avaient intérêt à maîtriser en interne la totalité de la chaîne de valeur. Le numérique a permis aux organisations de s’ouvrir plus facilement vers l’extérieur et de mobiliser des parties prenantes externes : clients, individus, partenaires. Dans les modèles ouverts la valeur de l’organisation est construite par ces parties prenantes externes. Ils ont émergé dans le logiciel avec les logiciels libres et open source et on les a vu se développer dans la fabrication industrielle, la culture, la science, l’enseigne-ment, les données, etc. FEDERATION va consister à faire interagir, à faire « frictionner » deux dynamiques : d’une part la dynamique top-down des acteurs traditionnels de l’Espace (CNES, industriels du secteur aérospatial) et d’autre part la dynamique bottom-up qui sera celle des participants extérieurs aux professionnels de l’Espace (laboratoires de recherche non spatiaux, industriels de secteurs non spatiaux, étudiants, amateurs aérospatiaux « éclairés », et même grand public).

J.-P. S. : Quel regard portez-vous, personnellement, sur ce projet FEDERATION ?

L.-D. B. : Je vois ce projet comme une aventure de construc-tion d’une dynamique de management à la pointe du progrès, répondant parfaitement à cet objectif ambitieux : « Inventer l’Espace de demain » en échangeant avec la société civile et les entreprises innovantes de tous secteurs puis en faisant arriver dans la sphère « Espace » de nouveaux entrants qui ne manqueront pas de faire émerger des idées nouvelles de recherche spatiale et des idées nouvelles d’utilisation des moyens spatiaux.Il ne faut pas voir FEDERATION comme une simple « boîte à idées », c’est bien plus que cela !

J.-P. S. : Pour obtenir de nouveaux entrants, il va falloir susciter des vocations, et donc susciter un vif intérêt pour la démarche. Quels intérêts doit-on faire miroiter selon vous ?

L.-D. B. : Les contributions se suscitent, elles ne s’ordonnent pas. Et l’art de susciter des contributions est difficile. Même si les ressorts sont souvent différents, en analysant les mécanismes de contribution des grandes plateformes contributives comme Wikipedia on comprend mieux ce qui explique que des individus s’engagent. Certaines motivations sont intrinsèques : apprendre, se valoriser auprès de leur communauté, interagir avec d’autres. Mais les moteurs les plus puissants dépassent un intérêt individuel : participer à une cause qui a un impact.

INTERVIEW DE LOUIS-DAVID BENYAYER, ESCP EUROPEPar Jean-Pierre Sanfourche, Chargé de Mission à l’Association Aéronautique et Astronautique de France (3AF)

Page 11: JUILLET - AOÛT 2017 LETTRE 3AF · 2017. 9. 18. · astronomie amateur – radio amateur. Considérant FEDERATION comme un projet enthousiasmant, il espère y jouer un rôle d’animateur,

LETTRE 3AF NUMÉRO 26 / JUILLET - AOÛT 201711

Également, on peut identifier des pratiques qui permettent de susciter la contribution. La transparence des règles, ou des modes de fonctionnement, et la facilité de la contribu-tion en sont deux importantes.

J.-P. S. : Voyez-vous les start-up comme une composante majoritaire dans les nouveaux entrants ? Et pensez-vous que les propositions novatrices vont émaner essentielle-ment des jeunes ingénieurs et chercheurs ?

L.-D. B. : Les start-up vont bien sûr constituer l’une des composantes du vivier mais il y en aura bien d’autres. Les idées ou propositions novatrices vont naître de la friction entre ces contributeurs aux motivations différentes, c’est l’hypothèse sur laquelle se fonde FEDERATION. Également, c’est grâce à la mobilisation de générations différentes d’ingénieurs que pourront émerger des idées nouvelles. L’enjeu est de mobiliser une communauté de passionnés.

Louis-David Benyayer ©Photo O. Brunet

J.-P. S. : Prévoyez-vous de faire participer à FEDERATION vos élèves et enseignants de l’ESCP ?

L.-D. B. : Bien évidemment.

J.-P. S. : Je crains personnellement que l’afflux massif de propositions ne conduise à une situation de chaos. Comment sélectionner, comment maîtriser le processus ?

L.-D. B. : FEDERATION vient s’ajouter à d’autres initiatives, pas s’y substituer. L’objectif principal est de permettre l’émergence d’idées et de prototypes nouveaux en permettant à tous de participer à construire l’espace de demain. Les phénomènes d’émergence sont chaotiques, et l’absence de maîtrise n’est pas un problème, bien au contraire. Certaines propositions n’aboutiront pas. D’autres vont s’incarner dans des prototypes, qui eux-mêmes ouvriront d’autres voies. ■

Logiciel, éducation, conception industrielle, données, science, art et culture, les open models sont partout. Les acteurs qui utilisent ces approches ouvertes remettent en cause les positions établies par les acteurs traditionnels. Souvent, des communautés s’organisent pour résoudre collectivement des problèmes sur lesquels buttent les organisations centralisées. Tabby, la voiture en kit open source, Protei, le drone marin open source, Open street map, en sont quelques exemples. Que nous apprennent ces open models ? À quelles conditions peuvent-ils développer leur impact ? Quel dialogue et interactions possibles avec les acteurs traditionnels ? Ils sont chercheurs, entrepre-neurs, managers de grands groupes, designers, experts, écrivains et philosophes, et vous apportent leurs réponses dans open models, les business models de l’économie ouverte.

Page 12: JUILLET - AOÛT 2017 LETTRE 3AF · 2017. 9. 18. · astronomie amateur – radio amateur. Considérant FEDERATION comme un projet enthousiasmant, il espère y jouer un rôle d’animateur,

LETTRE 3AF NUMÉRO 26 / JUILLET - AOÛT 201712

INTERVIEW DE JEAN-SÉBASTIEN STEYER, PALÉONTOLOGUEPar Jean-Pierre Sanfourche, Chargé de Mission à l’Association Aéronautique et Astronautique de France (3AF)

Jean-Sébastien Steyer ©Photo L. Honnorat

Paléontologue au CNRS et au Muséum National d’Histoire Naturelle (MNHN), Jean-Sébastien Steyer est l’auteur d’une soixantaine d’articles scientifiques

et de cinq ouvrages grand public (ex. « La Terre avant les dinosaures » Editions Belin, Paris). Entre deux expéditions à la recherche de fossiles, ce passionné de vulgarisation est aussi chroniqueur pour les prestigieuses revues Pour la Science, Espèces ou encore Bifrost.

Jean-Pierre Sanfourche : Quelles sont les raisons qui vous font adhérer à FEDERATION ?

Jean-Sébastien Steyer : FEDERATION a été créé par le CNES pour « ouvrir l’espace » dans tous les sens du terme : en plus de projets comme la mise en réseaux ou l’ouverture au domaine public, le citoyen et chercheur que je suis a particulièrement été sensible aux notions de pluri-, de trans- et de multi-disciplinarités clairement affichées ici. Le CNES propose en effet un outil concret d’émergence d’idées. De plus, le leitmotiv de FEDERATION, « inventer l’espace de demain », fait clairement référence au temps (« demain ») : temps de l’Univers, temps de la Terre, temps de la vie… Je souhaite encourager les réflexions sur cette importante notion de temps et d’évolution des espèces, aussi bien sur Terre mais aussi ailleurs… Mon but est double :- en tant qu’expert en biologie spéculative [1], je souhaite encourager les interactions entre sciences et arts afin d’imaginer d’autres formes de vie possibles;- en tant que paléontologue, je souhaite encourager une discipline émergente, l’exo-paléontologie.

J.-P. S. : Mais qu’est-ce que l’exo-paléontologie ? Et en quoi la paléontologie peut-elle interagir avec le domaine spatial ?

J.-S. S. : Il est vrai que les liens entre paléontologie et espace ne sont a priori pas évidents. L’exopaléontologie existe pourtant ; il s’agit d’une discipline scientifique qui s’occupe de la recherche d’une vie fossile ailleurs que sur Terre. L’exopaléontologie est donc aux formes extraterrestres

fossiles ce que l’exobiologie est aux formes vivantes. Cette discipline est apparue concrètement dans les années 90, lors de la préparation de la mission Mars Pathfinder, mais certains concepts exopaléontologiques remontent aux années 60 [2]. Aujourd’hui l’exopaléontologie se penche sur la recherche de microorganismes fossiles sur Mars, mais j’aimerais ouvrir la réflexion aux autres planètes « habitables » [3] de notre Système Solaire et peut-être aussi aux exoplanètes. Aujourd’hui, nous braquons en effet notre objectif et - nos espoirs - sur la recherche d’extraterrestres vivants, c’est-à-dire synchrones avec notre espèce pensante. Cela est nécessaire mais pas suffisant : nous devons aussi garder à l’esprit que notre planète est habitée depuis près de 4 milliards d’années et qu’elle regorge de bien plus d’espèces fossiles que d’espèces vivantes connues. C’est sans doute aussi le cas des autres planètes « habitables ». Certes les fossiles sont a priori plus difficiles à dénicher que les espèces vivantes car ils sont prisonniers des strates géologiques et ne présentent pas (ou plus) les signatures atmosphériques d’une exo-vie actuellement traquée par nos instruments. De plus, il est encore difficile d’imaginer aujourd’hui des paléontolo-gues en combinaison débarquant sur Mars… mais nous devons prendre de l’avance et adapter nos sondes et nos « rovers ». D’autant plus que les chances de découvrir des « exo-fossiles » augmentent drastiquement si l’on considère que :1) les acides animés nécessaires à la vie telle que nous la connaissons sur Terre sont présents partout dans l’Univers (la glace entourant les comètes, les nuages interstellaires, etc.) ; 2) la vie sur Terre est apparue très rapidement (environ 600 millions d’années) après la formation de la planète ; 3) l’âge moyen des planètes « habitables » est suffisam-ment avancé pour permettre la découverte éventuelle de fossiles ; 4) les espèces se sont succédé rapidement sur Terre (leur durée de vie est de l’ordre de quelques milliers ou millions d’années). Au final, nous avons théoriquement beaucoup plus de chances de découvrir un extraterrestre fossile qu’un extraterrestre vivant : cela ouvre des perspectives fantas-tiques en matière de recherche scientifique !

J.-P. S. : De nombreuses expériences scientifiques de sciences de la vie sont conduites à bord de la station spatiale internationale (ISS: International Space Station): croissance des plantes en microgravité (quasi-absence de pesanteur), par exemple: verriez-vous des expériences directement liées à la paléontologie, qui seraient susceptibles d’utiliser ce moyen spatial ? Ou d’autres moyens spatiaux ?

Page 13: JUILLET - AOÛT 2017 LETTRE 3AF · 2017. 9. 18. · astronomie amateur – radio amateur. Considérant FEDERATION comme un projet enthousiasmant, il espère y jouer un rôle d’animateur,

LETTRE 3AF NUMÉRO 26 / JUILLET - AOÛT 201713

J.-S. S. : J’allais justement y venir. Comment encourager concrètement les recherches en exopaléontologie ?C’est ici que FEDERATION prend toute son ampleur, notamment par sa mise en relation de disciplines aussi variées que la paléontologie, l’exobiologie, la sédimen-tologie, la planétologie et l’exploration spatiale bien sûr. Pour trouver des fossiles extraterrestres, il faut d’abord comprendre comment se forment les fossiles sur Terre : ils sont piégés dans une matrice sédimentaire et/ou glacée, et ont été préalablement lessivés par un solvant (l’eau liquide chez nous). Beaucoup de planètes de notre système ou d’ailleurs présentent - ou ont présenté – de telles conditions, la première étant Mars : l’exploration récente de son sous-sol est un réel espoir de découverte du premier extraterrestre fossile ! D’autant plus qu’il y a 4 milliards d’années environ, Mars présentait de l’eau liquide en surface. À cette époque, les océans sur Terre étaient habités de nombreux microorganismes extrêmo-philes (dits « chimioautotrophes ») voire de stromatolithes (empilements de sédiments, d’algues et/ou de cyanobac-téries, dont les plus anciens connus datent d’environ 3,8 milliards d’années). Ces stromatolithes (ou « biolamina-tions ») arborent des formes variées selon leurs conditions de formation et font déjà l’objet d’espoirs de découvertes sur Mars [4]. Il faut donc multiplier nos efforts d’explora-tion paléontologique du sous-sol martien d’autant plus que le rover Curiosity est équipé pour détecter du carbone organique, mais pas directement de la vie [5]. En parallèle, il conviendrait aussi de développer des études expérimen-tales sur la fossilisation de microorganismes en milieu extraterrestre, c’est-à-dire dans des conditions différentes de celles connues sur Terre en termes de gravité, de composition atmosphérique, sédimentologique, etc. Avec FEDERATION, cela me semble possible d’autant plus que sur l’ISS, des expériences sont déjà réalisées sur la formation de microbes en microgravité par exemple [6]. J’espère bien proposer une série d’expérimentations complémentaires sur la sédimentation et la fossilisation de tels microor-ganismes car la faible gravité est aussi le quotidien sur Mars !

J.-P. S. : Prévoyez-vous d’impliquer largement le CNRS et le MNHN - chercheurs et étudiants - dans le projet FEDERATION? Et si oui, suivant quelle méthodologie?

J.-S. S. : Oui bien sûr. Ces études seront effectuées conjoin-tement avec les organismes intéressés et implique-ront tous les corps de métiers : techniciens, chercheurs, enseignants-chercheurs, ingénieurs et étudiants. Une première étape serait de proposer une bourse de doctorat pour concevoir de telles expériences. Mais un travail de communication est nécessaire au préalable car l’exopa-léontologie est malheureusement encore mésestimée, y compris par certains collègues qui me regardent en souriant lorsque je leur parle d’extraterrestres martiens… J’ai cependant bon espoir dans l’évolution des mentalités : l’exobiologie était considérée hier comme de la pure science-fiction alors qu’aujourd’hui, c’est une discipline

scientifique à part entière !

Jean-Sébastien Steyer ©Photo L. Honnorat

Notes et références[1] La biologie spéculative (ou creature design) est une branche de la science-fiction (dite « hard-science-fiction ») consistant à imaginer des formes de vie plausibles. J.-S. Steyer a co-signé deux ouvrages sur le sujet :- Boulay M. & Steyer J.S. 2015. Demain les animaux du futur. Eds Belin, 144 pages.- Bordage P., Demoule J.-P., Lehoucq R. & Steyer J.S. 2014. Exquise Planète. Eds Odile Jacob, 190 pages.[2] Le terme « exopaleontology » apparaît pour la première fois dans la littérature scientifique en 1994 ; plus précisément dans un résumé de congrès de l’Association Géologique Américaine (GSA) : Farmer J.D. & Desmarais D.J. 1994. GSA Abstracts with Program (pour plus de détails bibliogra-phiques, voir aussi Farmer & Desmarais, 1994. Exopaleon-tology and the search for fossil record on Mars. Lunar and Planetary Science 25, p. 367-368). Certaines notions d’exo-paléontologie avant l’heure apparaissent cependant d’une manière plus littéraire dans les écrits du paléontologue russe et auteur de science-fiction Ivan Efremov : Efremov, I. 1967. Espace et paléontologie. Enigmes des îles stellaires, 1987 (version abrégée), p. 170-184 (en Russe).[3] Une planète « habitable » ne se situe pas forcément dans la zone d’habitabilité par rapport à son étoile : sont considérées aussi comme « habitables » les autres planètes telluriques présentant de l’eau liquide en surface ou en profondeur (comme c’est le cas d’Europe, satellite de Jupiter) et dont les effets mutagènes ou létaux des radiations cosmiques sont limités par un bouclier magnétique (comme la magnétos-phère sur Terre) ou éventuellement une croûte de glace (c’est encore une fois le cas d’Europe).[4] Petruny L.M. 2010. Life on Mars – A terrestrial analogue for Martian intertidal stromatolites? Abstract of the 41st Lunar and Planetary Science Conference, LPI Contribution 1533, p. 1410.[5] Grotzinger J.P. 2014. Habitability, Taphonomy, and the Search for Organic Carbon on Mars (introduction to special issue). Science 343 (6169), p. 386-387.[6] Expérience nommée « Biokin4 » et intitulée « Microbial Growth Kinetics Under Conditions of Microgravity ». ■

Page 14: JUILLET - AOÛT 2017 LETTRE 3AF · 2017. 9. 18. · astronomie amateur – radio amateur. Considérant FEDERATION comme un projet enthousiasmant, il espère y jouer un rôle d’animateur,

LETTRE 3AF NUMÉRO 26 / JUILLET - AOÛT 201714

Daniel Kunth ©Photo L. Honnorat

Daniel Kunth est directeur de recherche émérite à l’Institut d’Astrophysique de Paris (IAP). Après l’obtention de son doctorat de 3e cycle, il débute

sa carrière d’astrophysicien en 1973 à l’observatoire européen austral (ESO - European Southern Observatory) du Chili dans le cadre de son service militaire en qualité de coopérant. L’ESO, officiellement « l’Organisation européenne pour des observations astronomiques dans l’hémisphère austral », est une organisation intergouvernementale pour l’astronomie fondée en 1962 par cinq pays européens, dont la France qui contribue à l’époque pour 30 % au budget. Son service achevé, il rejoint l’observatoire de Meudon puis en Californie, le CALTECH, pour y effectuer son doctorat d’état. Il revient à l’ESO en 1978 mais au quartier général scientifique à Genève, où il participe à la conception des instruments nécessaires aux observations. En 1980, à la demande de Jean Audouze, qui dirige alors l’IAP, il rejoint cet organisme, qu’il ne quittera désormais plus, à l’exception des deux ans (1990-1992) passés au ministère de la Recherche et de la Technologie, appelé par le ministre Hubert Curien. En 1991, il est à l’initiative de la « Nuit des étoiles », manifes-tation qui s’est durablement inscrite dans le temps.

Bruno Chanetz : Pourquoi le CNES a-t-il requis votre concours dans le cadre du projet Fédération ?

Daniel Kunth : Professionnellement j’ai toujours été très proche du CNES. Je connais depuis longtemps l’actuel Président, Jean-Yves Le Gall, qui m’avait accompagné dans

une mission scientifique au Chili, alors qu’il préparait sa thèse de doctorat. En 2009, pour l’année mondiale de l’astronomie, j’étais au CNES à Kourou pour la nuit des étoiles organisée pour la Guyane.

Par ailleurs, mon rôle au ministère était d’assurer le partage des connaissances et leur diffusion. Il me semblait important de passer d’une connaissance technique indivi-duelle à une connaissance partagée. J’avais également l’objectif de croiser d’autres regards, d’établir des liens avec d’autres disciplines, de mêler par exemple la science avec la musique ou les arts plastiques. Cette approche multi-disciplinaire, qui permet d’autres postures, est féconde, elle inscrit la science là où elle doit se trouver : la culture. Ce mode de fonctionnement est assez proche de la manière dont je conçois le projet FEDERATION. Il faut tisser des liens avec des personnes d’origines différentes afin de faire fructifier nos savoirs respectifs et susciter de nouvelles vocations. À l’ESO, comme au sein de tout organisme international, je devais déjà aller vers des personnes, avec qui je ne partageais ni la même culture, ni la même langue, ni des techniques de travail similaires. C’est une excellente formation pour aller vers les autres.

B.C. : Parlez-moi du monde de l’astronomie, de sa manière de fonctionner, du modèle qu’il représente ?

D.K. : L’astronomie est parmi les disciplines scientifiques, celle qui réunit la plus grande communauté de passionnés. Les mondes des professionnels et des amateurs n’y sont pas disjoints. Ils ne s’ignorent pas. Actuellement il y a en France plus de 40 projets qui associent des professionnels et des amateurs.Quand j’ai mis sur pied « la Nuit des étoiles filantes » en 1991, je me suis appuyé sur les réseaux très denses des clubs d’astronomie et des associations. L’astronomie est un domaine où les amateurs apportent beaucoup aux professionnels dans la mesure où ils observent la totalité du ciel d’une manière régulière. Tout événement nouveau ne passe pas inaperçu !J’ai coutume de rappeler ce proverbe africain « Si tu veux aller vite, fais le seul, Si tu veux aller loin, fais-le avec les autres ». Il illustre parfaitement l’état d’esprit dans lequel nous travaillons au sein de cette communauté.

Dans le cadre du programme SETI (Search for Extra-Terres-trial Intelligence), à l’initiative du grand astronome Carl Sagan, des radioastronomes amateurs sont allés jusqu’à monter chez eux leurs propres radiotélescopes SETI. Pour cela, ils utilisaient des récepteurs radio très sensibles,

INTERVIEW DE DANIEL KUNTH, DIRECTEUR DE RECHERCHE ÉMÉRITE À L’INSTITUT D’ASTROPHYSIQUE DE PARIS (IAP)par Bruno Chanetz, Rédacteur en Chef

Page 15: JUILLET - AOÛT 2017 LETTRE 3AF · 2017. 9. 18. · astronomie amateur – radio amateur. Considérant FEDERATION comme un projet enthousiasmant, il espère y jouer un rôle d’animateur,

LETTRE 3AF NUMÉRO 26 / JUILLET - AOÛT 2017

permettant de surveiller la fréquence de l’hydrogène neutre dans les fréquences 1 420 MHz, ainsi que de petites paraboles de 3 à 5 mètres de diamètre comme antennes. Ils ont également prêté du temps calcul sur leurs ordinateurs personnels. Il est vrai que l’enjeu « chercher à capter des signaux d’une intelligence extra-terrestre » reste motivant !

Nous avons besoin des amateurs pour progresser. Ils ont certes des moyens d’observation moins performants que les nôtres, mais ils sont nombreux et patients. Il est difficile pour un chercheur de mobiliser les moyens collectifs sur un temps long. En revanche les amateurs disposent de moyens plus modestes, mais peuvent les mobiliser des mois durant, ce qui leur permet de suivre une seule étoile jusqu’à sa disparition du ciel. En 1987, un astronome professionnel avait découvert à l’œil nu une étoile qui venait d’exploser, une supernova ! Les amateurs découvrent des novae, des astéroïdes et de nouvelles comètes très régulièrement.

Plus près de nous en 2016, dans le cadre du projet Vigie-Ciel et du réseau FRIPON, un intéressant projet de science participative, porté par le Muséum national d’histoire naturelle a été monté. Des équipes ont été formées et une centaine de caméras fish-eye placées sur des écoles afin d’observer les météores la nuit.

Récemment le projet Galaxy zoo, a permis la découverte d’une nouvelle classe de galaxies passée inaperçue précé-demment. Ce résultat fut le fruit d’une collaboration très serrée entre amateurs et professionnels. Ces derniers ne pouvant visualiser les millions de galaxies qu’ils avaient découverts, ils établirent un protocole qui fut suivi par des centaines d’astronomes amateurs et le résultat dépassa toutes les espérances !

B.C. : Ce sont là des observations traditionnelles, mais est-ce que l’espace représente pour la société un fort enjeu au-delà de cette activité millénaire, qui consiste à scruter les astres ?

D.K. : Le spatial a des incidences quotidiennes sur notre société. L’irruption d’internet conduit à devoir augmenter le débit de circulation des énormes flux de données de manière exponentielle. Les sociétés du GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) se tournent vers le spatial privé afin de mettre en place des constellations de satellites comprenant jusqu’à 3000 éléments.

Le spatial a un impact pour la recherche de nuisances environnementales, pour les agriculteurs, le recensement des ressources planétaires. La SNCF utilise les satellites pour surveiller la déformation des rails de TGV. Etc…

B.C. : Peut-on véritablement s’attendre à ce que des amateurs réussissent à concevoir des systèmes plus performants que les organismes institutionnels ?

D.K. : Ce n’est pas impossible mais là n’est pas le but recherché. Pourtant, un jeune indien de 18 ans a bien conçu et réalisé le plus petit satellite connu de 62 g ! D’autre part la transversalité est un aspect important. On peut également imaginer pouvoir utiliser des concepts qui viennent d’autres communautés et les appliquer à l’espace. Je me souviens m’être servi avec succès d’un logiciel d’assurance-vie, pour la détermination statistique de nuages invisibles qui absorbaient la lumière des galaxies lointaines, en utilisant l’analogie « On ne meurt qu’une fois ».

B.C. : La communauté de l’espace est réceptive au concept de l’intelligence collective. Elle pratique depuis longtemps un partage des tâches entre les profession-nels et les amateurs. Pensez-vous pouvoir agréger à cette communauté traditionnelle d’autres forces et comment envisagez-vous votre rôle au sein d’une communauté ainsi élargie ? Vous voyez-vous déjà agissant comme au sein d’un comité scientifique, jouant un rôle d’éva-luateur des propositions ? Où est-ce que votre rôle se définira au fil du temps, tant tout est nouveau dans cette manière de fonctionner ?

D.K. : Je ne sais pas comment les initiateurs de FEDERATION vont organiser les évènements qui réaliseront cette hybridation nécessaire entre toutes les communautés, que ce soient les amateurs, les professionnels et le public. Comment faire remonter des initiatives multiples et qui s’épaulent étroitement ? Comment tirer parti de ce potentiel de merveilleux et d’aventure que l’espace recèle ? Pour ma part, je tenterai d’agir au sein d’un comité s’il s’en crée un mais j’opterai pour favoriser la transversa-lité et fédérer autour de projets spatiaux des savoir-faire multiples et a priori disparates, voire parfois déconnectés. Une autre piste me semble être l’éducation. Le CNES a déjà une longue tradition dans ce domaine, ayant mis en place les clubs « CNES jeunes » il y a de nombreuses années. Au lieu de brider l’envie des jeunes d’envoyer des fusées dans l’espace à l’aide de boites métalliques peu fiables le CNES avait préféré confier à une association (ANSTJ) le soin d’organiser des stages « minifusées », etc. Au niveau des scolaires, il y aurait beaucoup à faire (conférences, projets, visites de sites etc.). En 2004, j’ai eu le bonheur de coordonner pour la France un projet international de l’ESO visant à mesurer la distance Terre soleil lors du transit de Vénus devant le Soleil. Des millions de partici-pants de par le monde ont contribué à donner une valeur de cette distance conforme à celle que nous connaissons. Mais l’essentiel est que chacun avait le sentiment d’avoir participé à ce projet. Il y eu aussi un concours de films vidéo pour couvrir l’événement, réalisé par des scolaires, avec prix à la clé (visite de l’observatoire de l’ESO au Chili, excusez du peu !). Tout ceci n’a de sens qu’en gardant à l’esprit que les projets du spatial s’échafaudent au long terme et qu’il est nécessaire de mobiliser les futures générations très en amont. ■

15

Page 16: JUILLET - AOÛT 2017 LETTRE 3AF · 2017. 9. 18. · astronomie amateur – radio amateur. Considérant FEDERATION comme un projet enthousiasmant, il espère y jouer un rôle d’animateur,

LETTRE 3AF NUMÉRO 26 / JUILLET - AOÛT 201716

INTERVIEW DE GAËL MUSQUET, HACKERpar Bruno Chanetz, Rédacteur en Chef

Gaël Musquet ©Photo L. Honnorat

Gaël Musquet a suivi une formation de météorologue - filière instrument, mais n’a pu aller jusqu’au bout de son cursus d’ingénieur faute de moyens finan-

ciers. En revanche il a toujours été soutenu par des entre-prises pragmatiques à la recherche de compétences et non de titres. En 17 ans de carrière, il a travaillé dans 9 entre-prises dont 6 ans pour l’État en tant que fonctionnaire. Il a quitté ses différents emplois en fin de mission ou quand il estimait manquer de moyens pour l’accomplir ou lorsqu’il ressentait un manque de reconnaissance. Il est mainte-nant chef d’entreprise après 4 ans passés dans une agence numérique parapublique.

Bruno Chanetz : Gaël Musquet, vous avez été présenté comme un hacker, mais de votre côté comment vous définissez-vous ?

Gaël Musquet : Je suis effectivement un hacker, je veux comprendre comment fonctionnent les systèmes d’infor-mation pour les optimiser, les réparer ou les détourner de leur usage premier. Je cherche des solutions aux problèmes avec pour priorité l’utilisation des logiciels, données, matériels et standards libres. ODOSOSOH sont les piliers de l’OpenInnovation : OpenData, OpenSource, OpenStandards, OpenHardware.

BC : Pouvez-vous nous décrire les multiples activités que vous avez à l’heure actuelle ?

GM : Je travaille à la sécurisation des véhicules (automo-biles, bateaux, trains, avions, hélicoptères). Je supervise

les liaisons satellite et réseau interne de l’Aquarius, bateau de sauvetage de SOS Méditerranée / MSF Sea. Je suis hébergé sur la Base Aérienne 105 à Evreux au sein de l’Escadre Aérienne de Commandement et Conduite Projetable - EAC2P. J’accompagne les militaires dans la supervision du trafic aérien, maritime et satellitaire grâce à la radio logiciel. J’apprends de ces militaires la conduite d’opération et la projection, pour l’association que je préside HAND - Hackers Against Natural Disasters. Sa vocation est de préparer les populations à la gestion de crises numériques face aux catastrophes naturelles auxquelles elles sont exposées.

Je suis porte-parole d’OpenStreetMap France, chapitre français du projet international de cartographie collabo-rative. Et enfin je suis astronome et radioamateur actif sur les indicatifs français et américain F4HXS et N6HXS.

BC : Le monde des hackers et des fablab et le modèle qu’ils représentent est-il bien accepté des chefs d’entre-prises traditionnels ?

GM : Ce sont justement des chefs d’entreprises au sein de la Chambre de Commerce et d’Industrie des Portes de Normandie et l’État-Major de l’Armée de l’air qui ont créé la pépinière dans laquelle je suis installé. Il y a une vraie prise de conscience des décideurs de la nécessité de changer les pratiques d’innovations. Au-delà de cette pépinière nous créons une vraie communauté d’intérêt et d’échange scientifique et technique.

Rien de nouveau pourtant ! Des ateliers mécaniques et électroniques existaient déjà au sein des forces armées permettant de réaliser de petites séries. Nos activités communautaires permettent à nouveau d’officialiser des travaux de militaires ou de salariés jusque-là réalisés en cachette. Ce ne sont pas uniquement des technologies mises bout à bout mais une vraie implication humaine de personnes passionnées et curieuses.

BC : Comment vivez-vous cette expérience avec le monde militaire ? GM : J’ai été objecteur de conscience et m’installer sur une base militaire n’a pas été évident. Mais j’ai découvert une vraie famille, des hommes et des femmes impliquées au quotidien à notre sécurité. Même si mes nombreux déplacements m’éloignent régulièrement de la Base, c’est toujours un plaisir d’y retourner pour échanger avec ces femmes et ces hommes sur leur quotidien. Ce sont leurs problèmes, besoins, méthodes et rigueur qui m’aident à progresser.

BC : Qu’apportez-vous à l’armée ?

Page 17: JUILLET - AOÛT 2017 LETTRE 3AF · 2017. 9. 18. · astronomie amateur – radio amateur. Considérant FEDERATION comme un projet enthousiasmant, il espère y jouer un rôle d’animateur,

LETTRE 3AF NUMÉRO 26 / JUILLET - AOÛT 201717

GM : L’agilité de nos communautés. Nous remettons sans cesse en question la manière dont fonctionnent les systèmes. Nous collaborons en permanence avec nos homologues internationaux en tenant compte dans nos logiciels, données, standards des spécificités locales. Cette souplesse permet aux Forces d’être plus réactives et moins dépendantes de systèmes opaques et fermés sur le théâtre d’opérations.

BC : La démarche du CNES, en lançant le projet FEDERA-TION est très novatrice. Pouvez-vous définir ce que votre communauté peut apporter à un organisme étatique tel que le CNES ?

GM : Nous pouvons réinjecter ce qui a été l’essence origi-nelle de ces organismes : l’expérimentation, le droit à l’échec. J’ai eu la chance d’être compagnonné au Ministère de l’Écologie par des femmes et des hommes habités par leur métier. Ils m’ont transmis cet esprit expérimental, la curiosité. Ce n’était pas une question d’âge mais d’échange de bonnes pratiques. Ils ont eu la chance de vivre toute leur vie de leurs passions. Je retiens ce bonheur au travail qui s’est dégradé au gré des restrictions et de la rigidité hiérarchique. Les communautés de passionnés réintro-duisent ces notions de partage, de transversalité et de convivialité.

BC : Et selon vous quelles sont les qualités que le CNES recherche en faisant appel à vous ?

GM : L’animation communautaire et la bienveillance. Il ne faut jamais oublier que derrière ces démarches d’innova-tion et derrière ces technologies il y a des personnes. Il faut à la fois les écouter et les soutenir dans leurs travaux et leurs passions.

BC : Peut-on véritablement s’attendre à ce que des amateurs réussissent à concevoir des systèmes aérospa-tiaux plus performants que les organismes institution-nels ?

GM : Je pense qu’il y a une véritable complémentarité. Dans tous les domaines où j’interviens les professionnels font appel à nous, amateurs, car nous disposons de plus de temps, de ressources humaines et parfois de plus de matériel !

Les réductions budgétaires et de personnels ont affaibli des services de l’État. Nous nous retrouvons donc, souvent, nous citoyens, par nos associations, acteurs, de facto, de l’action publique.

D’OpenStreetMap pour la cartographie de zones sinistrées à partir d’images satellites, aux radioamateurs fédérés au sein de l’AMSAT en passant par les astronomes amateurs et leurs multiples instruments nous prouvons au quotidien que l’innovation passe aussi par ces citoyens passionnés.

BC : Concrètement quel rôle pensez-vous pouvoir jouer au sein de FEDERATION ?

GM : Je pense y jouer un rôle d’animateur, de catalyseur en mettant en relation des projets, des associations, des femmes, des hommes. Les communautés auxquelles je contribue sont de vrais nids de veille car nous sommes des milliers de paires d’yeux à l’affût des dernières activités, nouveautés de nos homologues. Nous mettons en œuvre au quotidien dans nos maisons, entreprises, ateliers, les expérimentations qui susciteront de futures innovations et vocations. Je veux à travers ce projet que mes enfants et bien d’autres soient inspirés par nos passions. Nous, communautés de citoyens, sommes aujourd’hui en train d’acheter le Domaine de l’Hermitage [https://www.hermi-tage-lelab.com/] à Autrêches en Picardie. Ce lieu avec ses 30 hectares de bois, champs, prairies et ses 21 bâtiments sera un véritable centre d’expérimentation à ciel ouvert où nous inviterons FEDERATION.

BC : Et quels sont les moyens que vous jugez nécessaires pour mettre en oeuvre ce projet ambitieux, où beaucoup reste encore à définir ?

GM : Il faut des gens passionnés, curieux, volontaires. Un lieu, même symbolique, pour se réunir et échanger. Un peu de moyens financiers pour s’équiper en machine, antennes et outils. Des partenaires, associations scien-tifiques et techniques, des fablabs, des hackerspaces, des radioclubs, et des astroclubs …

Enfin une gouvernance pour renforcer l’identité du projet et le vivre ensemble. ■

Gaël Musquet ©Photo O. Brunet

Page 18: JUILLET - AOÛT 2017 LETTRE 3AF · 2017. 9. 18. · astronomie amateur – radio amateur. Considérant FEDERATION comme un projet enthousiasmant, il espère y jouer un rôle d’animateur,

LETTRE 3AF NUMÉRO 26 / JUILLET - AOÛT 201718

La séance inaugurale du projetFEDERATION au pavillon du CNES lors duSalon du Bourget, le 22 juin 2017

Le Président du CNES Jean-Yves Le Gall lors de son discours d’ouverture. ©Photo O. Brunet

Le débat fit animé par Arthur de Grave (debout à gauche), co-fondateur du collectif OuiShare. ©Photo O. Brunet

Après les discours du président Jean-Yves Le Gall et du professeur Jacques Blamont suivit un débat qui fit intervenir (de gauche à droite sur la photo) : Fabio Mainolfi, chef du projet FEDERATION au CNES ; Louis-David Benyayer, ESCP Europe ; Jean-Sébastien Steyer, paléontologue, CNRS et MNHN ; Daniel Kunth, directeur de recherche émérite à l’IAP ; Gaël Musquet, hacker. ©Photo L. Honnorat

Page 19: JUILLET - AOÛT 2017 LETTRE 3AF · 2017. 9. 18. · astronomie amateur – radio amateur. Considérant FEDERATION comme un projet enthousiasmant, il espère y jouer un rôle d’animateur,

DES RENCONTRESDANS DIFFÉRENTES VILLES DE FRANCE

À PARTIR DE NOVEMBRE 2017

Pour rester informés souscrivez à la newsletter surwww.federation-openspacemakers.com

Pour nous [email protected]

19

Page 20: JUILLET - AOÛT 2017 LETTRE 3AF · 2017. 9. 18. · astronomie amateur – radio amateur. Considérant FEDERATION comme un projet enthousiasmant, il espère y jouer un rôle d’animateur,

PARMI LES PROCHAINS ÉVÉNEMENTS 3AF

P2I201711 ET 12 OCTOBRE 2017, STRASBOURGwww.p2i2017.com

CÉRÉMONIE DE REMISE DES GRADES & PALMES 3AFMARDI 7 NOVEMBRE 2017SALONS DE L’AÉROCLUB DE FRANCE - PARIS

ERTS201831 JANVIER AU 02 FÉVRIER 2018, TOULOUSEwww.erts2018.org

OPTRO201806 AU 08 FÉVRIER 2018, PARISwww.optro2018.com

AER0201826 AU 28 MARS 2018, SALON DE PROVENCEwww.3af-aerodynamics2018.com

SP201814 AU 18 MAI 2018, SÉVILLEwww.spacepropulsion2018.com

20