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Jus Politicum Revue de droit politique Institut Villey pour la culture juridique et la philosophie du droit René Capitant (1901–1970) À l’occasion du 50 e anniversaire de sa mort Numéro 26 – 2021

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Jus PoliticumRevue de droit politique

Institut Villeypour la culture juridique et la philosophie du droit

René Capitant (1901–1970)À l’occasion du 50e anniversaire de sa mort

Numéro 26 – 2021

D

Denis Baranger (Université Panthéon-Assas) Olivier Beaud (Université Panthéon-Assas)

D

Denis Baranger (Université Panthéon-Assas)

F

Denis Baranger (Université Panthéon-Assas), Armel Le Divellec (Université Panthéon-Assas),

Carlos-Miguel Pimentel (Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines)

C

Manon Altwegg-Boussac (Université Paris-Est Créteil), Denis Baranger (Université Panthéon-Assas), Cécile Guérin-Bargues (Université Panthéon-Assas), Renaud Baumert (Université de Cergy-Pontoise), Olivier Beaud (Université Panthéon-Assas), Bruno Daugeron (Université

Paris-Descartes), Quentin Epron (Université Panthéon-Assas), Thibault Guilluy (Université de Lorraine), Jacky Hummel (Université de Rennes 1), Olivier Jouanjan (Université Panthéon-

Assas), Philippe Lauvaux (Université Panthéon-Assas), Elina Lemaire (Université de Bourgogne), Carlos-Miguel Pimentel (Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines),

Céline Roynier (Université de Cergy-Pontoise), Christoph Schönberger (Universität Konstanz), Adam Tomkins (University of Glasgow), Patrick Wachsmann (Université de Strasbourg)

C

Klaus von Beyme (Universität Heidelberg), Dominique Chagnollaud (Université Panthéon-Assas), Jean-Claude Colliard † (Université Panthéon-Sorbonne), Vlad Constantinesco

(Université Robert-Schuman, Strasbourg), Jean-Marie Denquin (Université Paris Nanterre), Christoph Gusy (Universität Bielefeld), Ran Halévi (CNRS), Josef Isensee (Universität Bonn),

Lucien Jaume (CNRS), Olivier Jouanjan (Université Panthéon-Assas), Claude Klein (University of Jerusalem), Franck Lessay (Université Sorbonne Nouvelle), Corinne Leveleux-Teixeira

(Université d’Orléans), Martin Loughlin (London School of Economics), Ulrich K. Preuß (Freie Universität Berlin), Philippe Raynaud (Université Panthéon-Assas), Pierre Rosanvallon

(Collège de France), François Saint-Bonnet (Université Panthéon-Assas), Cheryl Saunders (University of Melbourne), Michel Troper (Université Paris Nanterre),

Neil Walker (University of Edinburgh)

S

Thibault Desmoulins (Université Panthéon-Assas)

A ’

Martin Hullebroeck (Université Panthéon-Sorbonne et Université libre de Bruxelles)

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Samuel Marlot

Les lois révolutionnaires La systématisation de la Terreur (1793–1794)*

ystème versus systématisation. Système de la Terreur versus systématisa-tion des lois révolutionnaires. La Terreur ne fut pas un système politique, il n’en demeure pas moins que les compilations de lois révolutionnaires

offrent un exemple de systématisation juridique.

« Jusqu’à l’été 1794, la Terreur n’est apparue ni comme un système, ni comme un moyen de gouvernement1 » affirme Jean-Clément Martin. Michel Biard détaille cette assertion : « les contradictions, les conflits de pouvoirs et d’intérêts, les heurts des légitimités, n’ont pas vraiment cessé, de même que, au sommet, dans la capitale, jamais les rivalités internes à la Convention et aux Comités n’ont disparu2 ». Ti-mothy Tackett, dans son étude sur « le paysage mental de la Terreur3 », reprend l’idée :

ce fut dans cette atmosphère faite de passions et de méfiance, et alors qu’ils ten-taient de répondre aux dangers qu’ils affrontaient, que les députés forgèrent presque toutes les mesures fondamentales de la Terreur. Il n’y eut jamais de plan systématique. Les députés improvisèrent au fil des mois […]4.

Puisque la Terreur ne fut pas un « système » politique, Michel Biard appelle à étudier ce « moment révolutionnaire […] comme phénomène complexe5 », à ne pas décontextualiser. Mais dans les mêmes pages introductives des Politiques de la Ter-reur, il note que « l’ensemble du système des lois révolutionnaires6 » est distingué des lois ordinaires par le décret du 14 frimaire an II (4 décembre 1793), qui organise les pouvoirs publics en l’absence de constitution. Les lois révolutionnaires appa-

* L’auteur tient à remercier le secrétariat de rédaction de la revue et M. Martin Hullebroeck pour le travail éditorial réalisé sur cette contribution. 1 J.-C. MARTIN, La Terreur, vérités et légendes, Paris, Perrin, 2017, p. 15. 2 M. BIARD, Introduction à la « Première Partie. Les rouages de la Terreur », in M. BIARD (dir.), Les politiques de la Terreur, Rennes, PUR, Société des études robespierristes, 2008, p. 34. 3 T. TACKETT, Anatomie de la Terreur, Paris, Seuil, 2018, p. 19. L’historien américain rappelle que « dans les périodes de grande inquiétude, les émotions sont souvent très changeantes, parmi les élites comme parmi les masses, et on assiste à une succession rapide de joie et d’angoisse, d’em-pathie et de haine. […]. Ainsi, la peur, le soupçon et la colère des masses ont pu avoir une in-fluence considérable sur le comportement de l’élite révolutionnaire ». 4 Ibid., p. 298. 5 M. BIARD (dir.), Les politiques de la Terreur, op. cit., p. 14. 6 Ibid., p. 27.

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raissent en effet suffisamment particulières aux yeux des conventionnels pour com-poser un ensemble distinct de normes appelées à être rassemblées dans des compi-lations. Le juriste y voit la tentative de « systématisation » juridique.

La singularité des décrets de la Terreur a souvent été relevée. Jules Michelet ouvre son Histoire de la Révolution française par une ode au patrimoine juridique révolutionnaire. « Je définis la Révolution, l’avènement du Droit, la réaction de la Justice7. » La Révolution n’est en effet « autre chose que la réaction tardive de la Justice contre le gouvernement de la faveur8 ». Le proscrit du Collège de France remarque bien que certains textes, comme « la loi des suspects », divergent de cette épiphanie juridique et que « le premier article du code de la Terreur9 » est la loi sur l’émigration mais celui-ci n’est pas aussi nuisible que le droit d’Ancien Régime : « la Terreur révolutionnaire se garde bien […] d’avoir, dans ses deux ou trois ans, rendu au système ce qu’il nous fit six cents ans10 ». Quelques années plus tard, Edgar Quinet compare également l’Ancien Régime et la Terreur, qu’il rapproche en particulier de l’absolutisme11. Mais l’exilé de Bruxelles assimile aussi le « sys-tème de Robespierre » au régime des germains, à peine tempéré par les Lumières : « il avait pris le droit public des temps barbares. Mais ce droit-là était perpétuelle-ment contrarié chez lui et ruiné par les idées philanthropiques du XVIIIe siècle. La vieille arme barbare, rouillée du sang barbare, se brisait entre ses mains12 ». La qualification de la Terreur comme « système de Robespierre » a suscité la réaction de Louis Blanc : « Non, non, quoiqu’en dise M. Quinet, la Terreur ne fut pas un système ; elle fut, ce qui est bien différent, un immense malheur, né de périls pro-digieux13 ». La Terreur est le produit des circonstances et n’est pas un système po-litique. Le droit ne la régit pas mais s’adapte aux périls.

Au début de la IIIe République, Hippolyte Taine s’interroge sur la légalité de ces textes dérogatoires mis en œuvre « à l’Hôtel de ville, dans les tribunaux, à la garde nationale, aux sections, dans les administrations ». Il y perçoit l’agissement d’une minorité.

Que la Convention, si elle veut, s’installe pompeusement en souveraine et fasse tourner la machine à décrets ; peu importe : régulier ou irrégulier, le gouverne-ment marchera toujours sous la main qui tient le sabre. Par la terreur improvisée, les Jacobins ont maintenu leur autorité illégale ; par la terreur prolongée, ils vont établir leur autorité légale14.

7 J. MICHELET, Histoire de la Révolution française, t. 1, Paris, Chamerot, 1847, p. 23. 8 Ibid., p. 40. 9 Ibid., t. 2, p. 425. 10 Ibid., t. 1, p. 48. 11 « Les hommes de la Révolution pratiquent l’Ancien Régime. Ils en prennent les armes, les moyens, la méthode de gouvernement ; novateurs en théorie, qui, le plus souvent, dans l’appli-cation, restent les hommes du passé » (E. QUINET, La Révolution, 3e éd., t. 2, Paris, Librairie In-ternationale, 1865, p. 238). 12 Ibid., p. 225. 13 L. BLANC, « Lettre sur la Terreur », Le Temps, 22 février 1866 (rééd. L. BLANC, Lettre sur la Ter-reur, Paris, Éd. Manucius, 2010). 14 H. TAINE, Les origines de la France contemporaine, vol. 3, 15e éd., Paris, Hachette, 1890 [1875], p. 311.

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Alphonse Aulard s’insurgera contre cette idée d’une Terreur organisée par le droit. Le gouvernement révolutionnaire n’est qu’un « expédient de guerre15 » et « il n’y eut rien de systématique dans la création du gouvernement révolutionnaire […] il se forma empiriquement, au jour le jour, d’éléments imposés par les nécessités suc-cessives de la défense nationale ». Le premier titulaire de la chaire d’histoire de la Révolution en Sorbonne conclut par conséquent, comme Louis Blanc, que

s’il n’y eut pas un système de terreur, il y eut bien réellement un régime de terreur [quand] la Révolution, suspendit les principes de 1789, et tourna contre ses en-nemis les moyens violents d’ancien régime qu’ils employaient contre elle. Cette suspension des principes de 1789, c’est bien en cela que consiste la Terreur […] en août et en septembre 179316.

La controverse Quinet-Blanc, reprise et prolongée par Taine17 et Aulard, se poursuit à propos des textes de la Convention. Patrice Gueniffey constate que « l’insurrection du 10 août [1792] substitue le règne de la force à celui de la loi et la dictature des minorités au gouvernement par la majorité18 » et considère donc « la Terreur comme système de pouvoir19 », dans lequel « la validité des lois, des dé-crets et des arrêtés ne dépend plus [que] de la seule légitimité de l’autorité qui produit ces textes ». Attaquée de toutes parts, cette autorité se défend par le droit d’exception : « la loi des suspects du 17 septembre 1793, tout comme la loi du 10 juin 1794, plonge ainsi des racines profondes dans la mentalité révolution-naire20 ».

Jean-Clément Martin relève pareillement le basculement qui s’opère à la fin de 1793 dans la conduite de la Révolution. […] Les sociétés populaires et les comités de surveillance passent sous le contrôle de la Convention et de ses envoyés. Un catalogue des « lois révolutionnaires » est projeté pour organiser l’arsenal législatif21.

Mais selon l’historien « il faut résister à penser que la Terreur a bien eu une réalité politique, qu’elle fut un régime, un moment précis ou une doctrine22 » car « la “Terreur” n’avait pas eu de place dans la loi avant août 179423 ».

Nous tenterons ici de montrer que ce « catalogue de lois révolutionnaires » est en réalité une tentative de systématisation juridique inaboutie. S’il est possible de

15 A. AULARD, Histoire politique de la Révolution française. Origines et développement de la démo-cratie et de la République (1789–1804), Paris, Armand Colin, 1901, p. 358. 16 Ibid. (emphase d’origine). 17 Sa pensée est résumée par le publiciste Charles-Gustave Amiot : « Taine, a-t-on dit, raconte la Terreur, moins la guerre. C’est une soustraction impossible, car la guerre, la tension guerrière, a produit la Terreur ; ce que Taine considère comme une fièvre idéologique est une fièvre obsidio-nale ; il analyse un phénomène inexistant, son travail porte à faux » (Ch.-G. AMIOT, « La vrai figure de Taine », La Revue hebdomadaire, vol. 37, nos 5-6, p. 16). 18 P. GUENIFFEY, La politique de la Terreur, Paris, Gallimard, 2003 [2000], p. 244. 19 Ibid., p. 15. 20 Ibid., p. 295. 21 J.-C. MARTIN, La Terreur, op. cit., p. 40. 22 J.-C. MARTIN, Les échos de la Terreur. Vérités d’un mensonge d’État, Paris, Belin, 2019, p. 101. 23 Ibid., p. 34. L’auteur met le mot Terreur entre guillemets et signale ainsi que le terme ne figure dans aucune loi avant le décret du 5 août 1794 qui met en accusation Joseph Lebon.

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la quantifier en rassemblant a posteriori les textes de loi qui la composent, elle est difficile à définir juridiquement car les acteurs n’ont pas explicité la théorie sous-tendant cette systématisation. En effet les conventionnels, s’ils utilisent fréquem-ment les termes lois révolutionnaires, parfois ceux de mesures de salut public ou de décrets de sûreté générale, ne prennent jamais la peine de les définir. Néanmoins ces qualificatifs ne sont employés qu’à propos de certains textes, de nature pénale. Par ailleurs les rares mentions des termes « lois révolutionnaires » dans les décrets de la Convention impliquent un mode d’exécution spécifique.

Cette étude tente donc de repérer les invariants dans le corpus des lois dites révolutionnaires. Si ces dernières n’émanent pas d’un pouvoir constant et déter-miné, elles présentent à la lecture certaines récurrences qui rendent possible une taxinomie. Parce qu’elles peuvent être listées, ces lois forment le système de la Ter-reur au sens juridique du terme. Elles ont été compilées, après le décret du 14 fri-maire, dans trois recueils qu’il convient d’abord de présenter (I). Ces décrets sélec-tionnés à l’époque par des compilateurs24 qu’on évoquera brièvement doivent en-suite être classés selon des critères de distinctions définis et appliqués par nous (II). C’est au prix de cette double opération, mobilisant des catégories d’époque et fai-sant appel à des critères contemporains pour palier l’inachèvement d’alors, que surgit le système juridique de la Terreur dont on se propose ici d’examiner les fon-dations dans le droit de la Révolution.

I. LE CORPUS DES LOIS RÉVOLUTIONNAIRES : UNE SYSTÉMATISATION INACHE-

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Clairement distinguées, dans le décret du 14 frimaire, des lois ordinaires, les lois dites révolutionnaires ont été rassemblées dans des recueils intitulés « codes », qui ne sont en fait que des compilations25. Cette systématisation permet d’inventorier un corpus d’environ cinq cents textes.

1. Le code des comités de surveillance

Le premier travail de compilation de lois révolutionnaires est rendu nécessaire par le décret du 14 frimaire (4 décembre 1793), la « constitution provisoire26 » du Gouvernement révolutionnaire. Il proclame que « l’application des lois révolution-naires et des mesures de sûreté générale et de salut public est confiée aux munici-palités et aux comités de surveillance ou révolutionnaires ». Seule institution élue du décret du 14 frimaire, née à l’occasion de la première loi sur les étrangers le 21 mars 1793, les comités de surveillance sont peu à peu dotés de compétences

24 « Le compilateur délimite un corpus au sein duquel il extrait des données diverses et hétéro-gènes afin de leur conférer, par le truchement d’un rassemblement documentaire qui lui est propre, une nouvelle unité de matière et de sens. Compiler consiste donc à produire de manière raisonnée une unité documentaire nouvelle à partir de documents antérieurs » (J. PETITJEAN, « Compiler. Formes, usages et pratiques », Hypothèses, no 13, 2001, p. 15-25). 25 G. BRAIBANT, « Codification », Encyclopédie Universalis, Corpus 6, p. 288-291. On parle de « compilation » quand le gouvernement décide de regrouper tous les textes antérieurs sans les modifier ni les ordonner. 26 A. LE PILLOUER, Les pouvoirs non constituants des assemblées constituantes. Essai sur le pouvoir instituant, Paris, Dalloz, 2005, p. 12.

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nouvelles. Ils connaissent ainsi une clarification de leurs missions : l’application des lois révolutionnaires. Ce même décret du 14 frimaire rationalise l’expédition des textes votés par la Convention en créant la commission de l’envoi des lois. C’est donc cette dernière qui est chargée de rassembler les décrets et accole à ce regrou-pement le nom de « code » : le Code des comités de surveillance et révolutionnaire.

Ce volume n’est, en réalité, qu’un « corpus » : les lois révolutionnaires choisies ne sont pas réécrites27. Il s’agit néanmoins du premier code révolutionnaire, qui ex-plique l’accord au singulier du second adjectif du titre : le Code des comités de sur-veillance et révolutionnaire. Il s’agit d’un code révolutionnaire pour les comités de surveillance28 : une compilation de lois que les comités de surveillance doivent ap-pliquer et qui, de ce fait, deviennent lois révolutionnaires. Il a été réalisé peu après le décret du 14 frimaire car le plus ancien texte de ce travail très complet est le décret du 20 nivôse (9 janvier 1794) sur le bris de scellés posés par un comité de surveillance ou une municipalité29. Il s’agit d’une collection méthodique de cent-six décrets30, présentés par chapitre et par section. Elle contient une table des ma-tières (intitulée pourtant « table chronologique », sans doute en raison de l’inscrip-tion de la date des décrets en marge) en début de volume et un index (intitulé « table des matières ») très fourni sur les dix dernières pages. Le modèle est celui de la collection Baudouin31.

27 Les textes sont insérés les uns à la suite des autres sans suppression des caducités ou des incohérences (la reproduction du décret du 11 août 1792, la première loi révolutionnaire selon Gérard Sautel, parle de la haute Cour nationale, supprimée le 25 septembre 1792). Les seules mo-difications effectuées concernent le titre des décrets, qui est modifié lorsqu’une partie seulement du texte est recopiée, généralement celle qui déclare suspects certains individus. Le long décret sur la vente des biens confisqués est ainsi intitulé « Décret qui déclare suspects les détenteurs des biens des condamnés, qui ne feraient pas de déclarations exactes » dans le Code de comités de surveillance car il ne reprend que l’article 8. Pareillement, le seul alinéa relatif aux créanciers de l’État figure sous le titre du « Décret qui déclare suspects les possesseurs de dîmes et autres créances qui n’auront pas remis leurs titres dans les délais fixés par la loi ». 28 Code des comités de surveillance et révolutionnaire, Imprimerie du dépôt des lois, an II (BNF, Département droit, économie, politique, F.18423). 29 Décret du 20 nivôse an II (10 janvier 1794) contenant des dispositions relatives aux gardiens des scellés (Collection générale des décrets rendus par l’Assemblée nationale, t. 45, Paris, Impr. Baudouin, p. 177-178 ; Collection complète des Lois, Décrets, Ordonnances, Réglemens, Avis du Con-seil d’État, éd. J.B. Duvergier, 2e éd., t. 6, Paris, A. Guyot et Scribe, 1825, p. 388 ; Code des comités de surveillance et révolutionnaire, p. 44-45). Grâce à la numérisation de la collection Baudouin, l’accès aux textes est aisé et le renvoi aux recueils Baudouin (ci-après Baudouin) sera donc sys-tématique pour chaque citation de décrets. La référence dans la collection Duvergier (ci-après Duvergier, qui fait référence à la 2e édition) n’est mentionnée que si le décret est reproduit in ex-tenso, ce qui n’est le cas que pour les textes les plus importants. Est ensuite indiquée la ou les compilations de lois révolutionnaires qui contiennent le décret. Voir la présentation du projet ANR RevLoi : Site Décrets et Lois 1789–1795 : Collection Baudouin [http://archives-web.univ-pa-ris1.fr/collection-baudouin/index.html]. 30 C’est le nombre maximum si l’on compte tous les textes votés. Mais le décret du 12 août 1793 et du 17 septembre 1793 sont présentés ensemble ainsi que les trois décrets des 7, 13 et 14 sep-tembre sur l’arrestation des anglais et des espagnols. 31 Pour une présentation de cette collection et la notion de loi exécutive, voir A. SIMONIN, « L’im-pression de la loi dans la Collection Baudouin. L’invention de la loi législative », Clio@Themis. Revue électronique d’histoire du droit, no 6, 2013 [https://www.cliothemis.com/L-impression-de-la-loi-dans-la].

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Un « supplément par ordre chronologique32 » est annoncé en fin de volume. Il sera finalement intitulé Premier supplément au code des comités de surveillance et révolutionnaires33. Ce sera le seul car il a probablement été imprimé en messidor ou thermidor, après la loi du 22 prairial (10 juin 1794) qu’il contient et avant la dispa-rition, progressive, des comités de surveillance. Son caractère précipité est assez marqué, ne serait-ce que par l’erreur grammaticale du titre34. Deux décrets, déjà insérés dans le premier code, sont répétés (les décrets du 25 brumaire et du 2 fri-maire). Il ne contient ni index ni table des matières mais une simple table chrono-logique recensant ses cent-dix-neuf décrets35. En revanche, le sous-titre de ce Sup-plément achève d’établir l’équivalence entre les lois révolutionnaires, les mesures de salut public et les mesures de sûreté générale, dont l’emploi indifférencié par les conventionnels brouillait souvent la compréhension.

2. Le Projet de code révolutionnaire

Le second travail de compilation des lois révolutionnaires est un pan du vaste projet de codification entrepris par la Convention jacobine. Le 3 floréal an II (22 avril 1794), après un rapport de Couthon sur la nécessité de classer et publier les lois pour leur meilleure application36, la Convention « nomme les représentants Cambacérès, Merlin de Douai et Couthon pour composer la commission37 » char-gée de classer les lois. Couthon intervient de nouveau à la Convention le 11 prairial (30 mai 1794) pour un bilan de travail rappelant que les lois révolutionnaires feront l’objet d’un code spécifique : « les dispositions qui organisent le gouvernement or-dinaire sont en entier dans la constitution ; celles qui organisent le gouvernement

32 Code des comités de surveillance et révolutionnaire, p. VII. 33 Premier supplément au code des comités de surveillance et révolutionnaires ou Recueil de décrets de la Convention nationale sur la police et sûreté générale, les détenus, les étrangers, les personnes suspectes, et autres décrets relatifs au gouvernement révolutionnaire, Imprimerie du dépôt des lois, an II (BNF : F.18 423). 34 L’ajout d’un « s » à l’adjectif « révolutionnaires » du titre change le sens de ce dernier : ce n’est plus le Code révolutionnaire des comités de surveillance mais le Code des comités de surveil-lance et des comités révolutionnaires. Or les deux décrets, pourtant joints au premier code, du 26 mai 1793 qui proscrivait le qualificatif de « comités révolutionnaires » et du 25 septembre qui généralisait l’usage du terme « comités de surveillance », rendaient caduque l’appellation « comités révolutionnaires ». Les compilateurs du Supplément n’ont donc pas repris la subtilité grammaticale de leurs prédécesseurs du premier code. 35 C’est le nombre maximum si l’on compte tous les textes votés. Le Supplément distingue ainsi clairement le décret du 22 ventôse sur la confiscation des biens des ecclésiastiques et sa modifi-cation lors de la même séance ainsi que les deux décrets du 27 germinal sur la répression des conspirateurs. 36 A. GUERMAZI, J.-L. LE QUANG, V. MARTIN (dir.), Exécuter la loi (1789–1804), préf. P. Serna, Paris, Éd. de la Sorbonne, 2018. Le « reflux de l’Exécutif » depuis 1791 est souvent corrélé en histoire constitutionnel avec l’« atonie de l’exécution » de la loi, comme le résume Virginie Martin (p. 19). Dans sa préface, Pierre Serna retrace le « problème de l’application de la loi » qui culmine sous la Convention jacobine. 37 Archives parlementaires de 1787 à 1860, 1re série, t. LXXXIX, p. 169 (ci-après Archives parlemen-taires). Voir A. JOURDAN, « La Convention ou l’empire des lois. Le comité de législation et la commission de classification des lois », La Révolution française, no 3, 2012, § 19 [https://doi.org/10.4000/lrf.730] (consulté le 22/04/2020).

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révolutionnaire peuvent être facilement réunies dans un même code38 ». Après ce rapport, Couthon n’intervient plus à la Convention au nom de la commission, cen-sée néanmoins étroitement collaborer avec le Comité de salut public39. Il se charge de réorganiser le tribunal révolutionnaire, en préparant la future loi de prairial (10 juin 1794). Le plan général de classification des lois, le 27 messidor an II (15 juil-let 1794), est donc défendu par Cambacérès, selon lequel cette loi de prairial cons-titue l’un des quatre exemples de lois du « code du gouvernement révolution-naire ». Cambacérès annonce en effet « qu’incessamment la commission vous pré-sentera, par l’organe de Couthon, le code du gouvernement révolutionnaire, et que bientôt après, le comité de législation, de concert avec la commission, vous sou-mettra le code civil et le code criminel40 ». Ce code révolutionnaire ne sera jamais publié mais il a été confectionné, plus tôt, au Dépôt des lois41 par Rondonneau, ancien garde des archives du Sceau42, et est conservé aux archives nationales43, à l’état manuscrit avec le (premier) Projet de code civil44, du Projet de code criminel45, ou du Code des secours publics46… Rondonneau correspondait avec le Comité de salut public47 par le truchement de Billaud-Varenne, qu’il tenait informé de l’avan-cée de ses travaux au Dépôt des lois48. Les lettres de Rondonneau témoignent du rôle majeur qu’il a joué49. Ses difficultés de tri transparaissent dans le titre de ses

38 Ibid. 39 « Pour que le même esprit qui dirige le gouvernement se trouve dans la législation, [la com-mission de classification des lois] se concertera avec le Comité de salut public dans la rédaction et la présentation de ses travaux » (ibid.). 40 Rapport et projet de décret sur le plan général de la classification des lois et de la communi-cation du recensement et de la rédaction complète des lois par Cambacérès (BNF, F 8-LE38-857). 41 C’est une entreprise créée par Louis Rondonneau, qui a démissionné du ministère de la justice en mars 1793, et par Étienne-Alexandre Anisson-Duperron, directeur de l’imprimerie nationale (Notice d’autorité, « Louis Rondonneau (1759-1834) », BNF [https://data.bnf.fr/ark:/12148/cb12297356s]). 42 N. CHOUBLIER-GRIMBERT, « Les collections de Louis Rondonneau. Formation et destin des col-lections juridiques au tournant des XVIIIe et XIXe siècles », Bibliothèque de l’École des Chartes, vol. 166, no 1, 2008, p.199. L’article occulte le travail de rédacteur du Projet de code révolutionnaire de Rondonneau, se contentant de préciser que « Rondonneau semble avoir traversé la Terreur sans encombre » (p. 201) et que « de 1794 à 1796, il fût chargé de classer les lois et décrets de la commission du classement formée par Cambacérès » (p. 199). 43 Archives nationales, Sous-série D/XXXIX « Commission de la classification des lois », 9. 44 AN, D/XXXIX/6-7. 45 AN, D/XXXIX/8. 46 AN, D/XXXIX/11. 47 La mise en place de la commission de classification des lois, dont Rondonneau sera le secré-taire général, n’est décidée que le 27 germinal (16 avril) par la Convention : article 25 du décret sur la répression des conspirateurs et l’éloignement des ex-nobles, des étrangers et la police générale de la République (Baudouin, t. 48, p. 205). Auparavant c’est Billaud-Varenne qui, au Comité de salut public, porte le projet de rationalisation de la législation. 48 Les sous-chemises de rangement de Rondonneau et ses papiers à entête du « dépôt des loix », envoyés à la « commission des lois » de la Convention, sont rangés aux archives nationales dans les cartons du « comité » de classification des lois. 49 Les éléments sur le rôle de l’éditeur sous la Terreur sont malaisés à réunir. Il n’y a pas de notice dans la Biographie universelle de M. Michaud. La courte notice du tome 18 de la Biographie

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chemises de classement des décrets aux archives nationales : « code criminel », « code criminel révolutionnaire », « code révolutionnaire ». En l’absence de défi-nition des lois révolutionnaires, la sélection des textes à insérer était délicate.

3. Le code des émigrés, condamnés et déportés

Cette dernière compilation, la plus petite des trois, achève de répertorier les lois révolutionnaires. Elle rassemble les décrets contre les émigrés et les prêtres réfrac-taires qui sont les premiers ennemis de la révolution, tant du point de vue chrono-logique que statistique. Chronologiquement la répression de l’émigration inaugure, voire prélude, les lois révolutionnaires50. Le décret du 26 août 1792, proche de celui du 27 mai qui avait subi le veto du roi, est probablement la première loi révolution-naire pénale : tous les prêtres réfractaires doivent être déportés sans que les muni-cipalités n’aient à prouver la commission d’un acte répréhensible. Statistiquement, ensuite, les prêtres réfractaires et surtout les émigrés sont les catégories d’ennemis suscitant le plus grand nombre de lois révolutionnaires : cent vingt textes en s’en tenant au seul Code des émigrés, condamnés et déportés imprimé par la Convention51 et à son premier supplément. Un troisième tome était en effet en préparation au comité de classification des lois mais ses « matériaux52 », très parcellaires aux ar-chives, ne permettent pas de l’utiliser pour répertorier les lois révolutionnaires. Cambacérès avait annoncé le 27 messidor que « la matière des émigrés tient au gouvernement révolutionnaire ; mais comme elle est très étendue, il est nécessaire de la renfermer dans un code particulier, qui fera suite au [code révolution-naire]53 ».

4. Les compilations partielles

D’autres documents rassemblent les décrets mais ne peuvent accéder au statut de compilation de lois révolutionnaires. La circulaire Paré du 29 septembre 1793, qui applique le décret du 13 septembre 1793 prescrivant l’« envoi des lois relatives

nouvelle est centrée sur ses activités commerciales. La source la plus utilisée est celle de l’Alma-nach du Commerce, publié avant sa faillite, que la plupart des notices reproduisent. Voir « Ron-donneau (Louis) », in A.V. ARNAULT et al., Biographie nouvelle des contemporains, t. 18, Paris, Impr. Plassan, 1825, p. 213-214 ; « Rondonneau, Louis (1789–1815) », CERL Thesaurus, 5 mai 2019 [http://thesaurus.cerl.org/record/cni00082332]. 50 Cinq décrets antérieurs au Dix août sont joints à ce code et peuvent donc être considérés, d’un point de vue formel, comme des lois révolutionnaires. 51 Code des émigrés, condamnés et déportés, ou recueil des décrets rendus par les Assemblées Cons-tituante, Législative et Conventionnelle concernant la poursuite et le jugement des émigrés, con-damnés et déportés, le séquestre, la vente et l’administration de leurs biens, Paris, Impr. Du Dépôt des lois, an II [1793] (BNF, F-18425 et F-18426 ; ci-après Code des émigrés, condamnés et déportés). 52 AN, D/XXXIX/10. Ce carton contient les documents rassemblés par le comité de classification des lois, postérieurement à l'envoi du Projet de code révolutionnaire au Comité de salut public. Les feuillets recensant ces décrets relatifs aux sociétés populaires sont les derniers de la liasse intitulée « Code révolutionnaire. Minutes », juste avant la liasse intitulée « Code révolution-naire. Matériaux ». 53 Rapport et projet de décret sur le plan général de la classification des lois et de la communi-cation du recensement et de la rédaction complète des lois par Cambacérès, op. cit.

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à la sûreté générale, et dont l’exécution est confiée aux comités révolutionnaires54 » est, chronologiquement, la première tentative de systématisation de lois révolu-tionnaires. Le ministre de l’Intérieur explique qu’il fait réimprimer ces trente-trois décrets jusqu’à celui du 13 septembre « pour que la collection soit la même dans toute la République55 » et les adresse aux comités de surveillance via les directoires de département. Mais Paré liste des textes qui ne seront pas retenus dans les codi-fications ultérieures (Projet de code révolutionnaire et Code des comités de surveil-lance et révolutionnaire) et qui n’appartiennent vraisemblablement pas au domaine de la loi révolutionnaire comme la suppression des sociétés d’actions au porteur56 ou le financement du ministère de la guerre57 . En outre, sa circulaire contient quelques erreurs, comme le décret du 21 mars 1793 établissant un comité de surveil-lance dans chaque commune qui est confondu avec celui du 18 mars 1793 ordon-nant la création d’un comité de salut public départemental. Il s’agit donc d’une collection sommaire, plutôt précoce (la sûreté générale ne sera officiellement attri-buée aux comités révolutionnaires que le 8 janvier 179458) et inaboutie. Mais elle annonce évidemment le Code des comités de surveillance et révolutionnaire.

Les Archives nationales conservent également le manuscrit d’une collection de lois relatives aux sociétés populaires 59 datant vraisemblablement du prin-temps 1794 : le texte référencé le plus tardif est celui du 27 germinal an II (16 avril 1794) sur l’exclusion des nobles et des étrangers de ces clubs. Le texte le plus ancien est, logiquement, celui du 12 mars 1793 qui prescrit l’envoi des décrets de la Convention aux clubs patriotiques locaux. Cette loi, qui n’est pas retenue dans les codifications ultérieures, est la première à intégrer un organe révolutionnaire au réseau de distribution des lois60. Mais cette compilation est succincte (dix-sept textes, dont l’extrait de la Déclaration des droits de 1793 relatif au droit d’associa-tion). Elle n’est pas systématique (la numérotation des articles s’arrête soudaine-ment après le sixième) ni chronologique, très brouillonne (voire illisible : on ne peut que supputer que le décret du 13 pluviôse retenu est la réforme de l’attribution des certificats de civisme).

54 Décret du 13 septembre 1793 qui ordonne l’envoi aux comités de surveillance des lois dont l’exécution leur est confiée (Baudouin, t. 34, p. 157 ; Code des comités de surveillance et révolution-naire, p. 18-19). 55 Circulaire du ministre de l’intérieur aux citoyens administrateurs des directoires de départe-ments, 29 septembre 1793, Archives départementales de Seine Maritime, L 220. 56 Décret du 24 août 1793 qui supprime la caisse d’escompte, et différentes autres associations (Baudouin, t. 40, p. 226 ; Duvergier, t. 6, p. 131) 57 Décret du 5 septembre 1793 qui alloue 100 millions pour fabrication d’armes (Baudouin, t. 34, p. 32). 58 Décret du 18 nivôse an II (8 janvier 1794) portant que les municipalités demeurent spéciale-ment chargées, concurremment avec les comités de surveillance ou révolutionnaires, des fonc-tions de police de sûreté générale, pour la recherche des crimes attentatoires à la liberté, à l’éga-lité, à l’unité et à l’indivisibilité de la République (Baudouin, t. 45, p. 162-164 ; Duvergier, t. 6, p. 386 ; Code des comités de surveillance et révolutionnaire, p. 20-28). 59 AN, D/XXXIX/13. 60 Le ministère de l’Intérieur doit dorénavant rajouter deux exemplaires du Bulletin de la Con-vention, adressé journellement aux directoires de district, destinés aux « sociétés patriotiques » afin que « les ordres de la Convention s’exécutent » (Archives parlementaires, t. LX, p. 118).

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5. Le corpus des lois révolutionnaires et ce qui les distingue des lois ordinaires

Puisque ces compilations partielles ne peuvent pas servir pour répertorier les lois révolutionnaires, celles-ci se chiffrent donc à 475 textes contenus (avec des ré-pétitions) dans le Code des comités de surveillance et révolutionnaire (221 décrets), dans le Projet de code révolutionnaire (228 décrets) et dans le Code des émigrés, condamnés et déportés (120 textes)61. Nous postulons que les lois révolutionnaires composent ce corpus. La définition, à ce stade de la démonstration, encore appro-chée ou imparfaite, de ce qu’est une loi révolutionnaire pourrait se formuler ainsi : une loi révolutionnaire, telle que qualifiée par le décret du 14 frimaire, est une loi votée par la Législative puis la Convention entre le 11 août 1792 et le 22 prairial an II (10 juin 1794) qui se trouve dans l’un des trois recueils composés entre janvier et juin 1794. La première loi révolutionnaire stricto sensu est, pour rejoindre Gérard Sautel62, la loi sur les municipalités du 11 août 179263 et la dernière est la loi qui mo-difie la procédure devant le tribunal révolutionnaire le 22 prairial an II (10 juin 1794).

La présentation de ce corpus doit s’achever par un constat de carence : si les lois révolutionnaires sont numériquement circonscrites par ce travail de systématisa-tion post-14 frimaire, elles ne sont jamais définies juridiquement. Aucune de ces compilations ni aucune de leurs normes ne dit ce qu’est une loi révolutionnaire. On en est réduit à tenter de cerner la notion en se penchant sur la procédure adoptée pour leur exécution d’une part et sur quelques écrits des contemporains d’autre part.

En répertoriant les occurrences des mots « lois révolutionnaires » dans les dé-crets eux-mêmes on constate qu’elles doivent être appliquées par les organes révo-lutionnaires, nés après le 10 août 1792 et qui fonctionnent parallèlement aux insti-tutions de la constitution de 1792. Certains les appellent « pouvoirs parallèles ou organisations qui concurrençaient les structures officielles64 », d’autres y voient des « parastructures révolutionnaires65 ». Il s’agit d’organes ad hoc, composés de

61 Le recensement exhaustif, chronologique et synoptique de ces décrets des trois compilations a été établi dans l’annexe 1, « tableau des lois révolutionnaires », de notre thèse, avec le renvoi à la section concernée du Projet de code révolutionnaire ainsi que les références dans les Collec-tions Baudouin ou Duvergier : S. MARLOT, Les lois révolutionnaires, la codification du salut public, thèse en histoire du droit, Université Panthéon-Assas, 2009, p. 337 à 373. 62 Gérard Sautel considère que la loi du 11 août 1792 sur les municipalités est la première loi ré-volutionnaire (G. SAUTEL, « Police de sûreté générale et municipalités, en 1792 : genèse d’une loi révolutionnaire », in G. AUBIN (dir.), Liber amicorum : études offertes à Pierre Jaubert, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 1992, p. 647). 63 Pour être exact, les compilations révolutionnaires introduisent dans le corpus quatre décrets antérieurs, tous relatifs aux émigrés, ainsi que la section du Code pénal de 1791 relative aux crimes contre la sûreté extérieure. 64 T. TACKETT, Anatomie de la Terreur, Paris, Seuil, 2018, p. 96 et 102. 65 G. SAUTEL et J.-L. HAROUEL, Histoire des institutions publiques depuis la Révolution, 8e éd., Paris, Dalloz, 1997, p. 104-105 et 109.

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militants patriotes, à qui la Convention confie une mission que ne sauraient assu-mer efficacement les « autorités constituées66 ». Le lien entre organes révolution-naires et lois révolutionnaires est formalisé le 5 septembre 1793 par la création de l’armée révolutionnaire et confirmé le 14 frimaire par la description des missions des comités de surveillance. Ce lien fonde le critère organique de la loi révolution-naire : celle qui est appliquée par les institutions révolutionnaires, composées de partisans de la révolution. Mais ce lien est tardif et des lois antérieures, reproduites dans la systématisation examinée, sont dénuées de référence aux organes révolu-tionnaires. Un autre critère de distinction doit être avancé. On peut pour cela dé-laisser momentanément ces compilations pour se pencher sur les rares écrits des conventionnels relatifs aux lois révolutionnaires.

Condorcet rédige dans le premier numéro du Journal d’instruction sociale du 1er juin 179367 les plus amples développements. « Une loi révolutionnaire est une loi qui a pour objet de maintenir cette révolution, et d’en accélérer ou régler la marche68 », en se défendant des « individus qui veulent dissoudre [le] pacte so-cial ». Le girondin, plutôt martial, classe ces individus en catégories d’ennemis, ob-jets de la loi révolutionnaire. Il évoque les « partisans de la royauté » qui « obligent à prendre des moyens rigoureux que les circonstances rendent nécessaires69 ». Puis il parle des « lois sur les passeports, sur les émigrés » que la « conservation de la société » a rendues nécessaires et condamne enfin les prêtres, « des gens qui ven-dent des prophéties, inventent des miracles, volent des Biens de la terre en promet-tant le ciel, et assassinent au nom de Dieu70 ». Il lie les lois révolutionnaires à la lutte transitoire de la Révolution contre ses ennemis : « on imagina le mot de loi de circonstance, qui, devenant bientôt ridicule, fut remplacé par celui de loi révolution-naire71 ». Mais ce lien qu’il tisse entre lois révolutionnaires et circonstances ré-sonne étrangement au regard de la date de parution de l’article : ce 1er juin 1793 les Girondins disparaissent comme force constituée à la Convention et sont mis en état d’arrestation le lendemain. Comment le Législateur révolutionnaire pourrait-il faire usage d’une catégorie pensée par un homme qui est désormais un ennemi politique ?

66 Cette notion est généralement employée pour distinguer les pouvoirs publics institués par la constitution de 1791 des organes révolutionnaires. Pourtant lors du processus constituant, les députés, parlaient plutôt de « pouvoirs » constitués, à propos desquels ils s’interrogeaient, à la suite de Montesquieu et Sieyès, sur leur respect de la constitution. Jean Rosseto se sert des débats constitutionnels de l’été 1791 pour expliquer « la fiction juridique de la supériorité juridique de l’ordre constitutionnel » : le fondement de cet ordre étant la souveraineté nationale, les « pou-voirs constitués » sont seuls maîtres de l’application de la constitution (J. ROSSETTO, Recherche sur la notion de Constitution et l’évolution des régimes constitutionnels, Bayonnes, Institut Fran-cophone pour la Justice et la Démocratie, 2019, p. 80-105). 67 Les six numéros, du 1er juin au 6 juillet 1793, ont été rassemblés en un volume : Journal d’ins-truction sociale, par les citoyens Condorcet, Sieyès et Duhamel, Paris, Imprimerie des sourds-muets, 1793 (repro. fac-similé : Paris, EDHIS, 1981). 68 A. CONDORCET O’CONNOR et F. ARAGO (dir.), Œuvres de Condorcet, t. 12, Paris, Firmin Didot frères, 1847–1849, p. 615. 69 Ibid., p. 618. 70 Ibid., p. 621. 71 Ibid., p. 618 (emphase d’origine).

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Un second commentaire des lois révolutionnaires se trouve dans les Mémoires de Bertrand Barère (1755–1843)72. Le conventionnel, qui fut le rapporteur du Comité de salut public sous la Terreur, proscrit en l’an III, revient sur l’altercation qui l’a opposé au « triumvirat73 » du Grand Comité. Saint-Just lui reprochait d’avoir aidé la fille parisienne d’un ami toulousain émigré74. L’ancien avocat au Parlement de Toulouse se défend contre ses collègues en estimant la jeune femme « digne de compassion » et victime du caractère trop général des lois sur les émigrés : « c’est le vice inhérent aux mauvaises lois et surtout aux lois pénales dénuées de motifs et atteignant un grand nombre d’individus non coupables, de frapper de nullité leurs propres dispositions75 ». Barère aborde également les lois révolutionnaires par leur aspect répressif mais en pointant leur trait saillant : l’incrimination décrite réprime moins la commission d’un acte, ici en négligeant les « motifs » de l’infraction, que l’appartenance à une catégorie de la population.

Ces deux écrits de conventionnels permettent d’expliquer la présence d’un autre ensemble de textes dans les compilations citées : les lois pénales visant une catégo-rie d’ennemis. Émerge ainsi, à côté du critère organique, un critère matériel per-mettant d’affiner la définition a posteriori de ce qu’est une loi révolutionnaire.

Muni de ces deux critères de distinction, la sélection des décrets opérée par les compilateurs pour constituer les codes s’éclaire d’un jour nouveau.

II. LES CRITÈRES DE DISTINCTION DES LOIS RÉVOLUTIONNAIRES

En l’absence de définition de la loi révolutionnaire, on doit mener la critique interne de cette systématisation (l’intentio operis, pour appliquer le programme éta-bli par Laurent Kondratuk76) en décrivant ce qui la distingue de la loi ordinaire. Certains décrets répriment l’appartenance à une catégorie d’ennemis (1), d’autres accordent des pouvoirs aux organes révolutionnaires (2). Ces deux critères de dis-tinction sont fondus en un seul en septembre 1793 (3).

72 Ces Mémoires ayant été publiées en 1842, après sa mort, un doute existe sur le caractère apo-cryphe de certains passages. 73 B. BARÈRE, Mémoires, t. 2, Meline, Cans et Cie, 1842, p. 180. 74 Cette aide de Barère n’est pas sans rappeler les interventions de Merlin de Douai « en faveur de parents ou d’amis qui se trouvaient victimes [de l’arbitraire de la loi des suspects qu’il avait rédigée] comme l’ancien constituant Simon de Maibelle, le conventionnel Fockedey, l’impri-meur douaisien Lagarde ou encore son parent Warenghien de Flory, ancien commissaire du roi au Tribunal criminel du Nord » (H. LEUWERS, Un juriste en politique. Merlin de Douai (1754-1838) [En ligne], Arras, Artois presses Université, 1996, Chap. 3, « Une Terreur nécessaire », § 25 [https://books.openedition.org/apu/1192]). 75 B. BARÈRE, Mémoires, op. cit., p. 179. 76 Pour reprendre un terme issu de l’herméneutique, on pourrait dire qu’il s’agit d’étudier l’in-tentio operis du compilateur (L. KONDRATUK, « La réception d’un texte en histoire du droit : théo-rie littéraire et systématisations juridiques », Revue historique de droit français et étranger, t. 89, no 1, janvier–mars 2011, p. 1-16).

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1. L’incrimination catégorielle : le critère matériel de la loi révolu-tionnaire

Un premier ensemble de lois révolutionnaires est constitué de mesures pénales. Une approche courante consiste à les décrire par leur dérogation à la norme en vigueur, comme la violation du « principe de personnalisation des peines77 » par la consignation des familles d’émigrés dans le décret du 15 août 1792 ou l’atteinte à la liberté d’expression par le décret antiroyalistes du 4 décembre 179278. Mais ce re-censement des dérogations serait fastidieux et ne constituerait qu’une définition négative du phénomène (ce que la loi révolutionnaire n’est pas). Un trait commun peut être dégagé : les lois révolutionnaires pénales incriminent une catégorie d’en-nemis. Le Législateur n’érige pas une infraction fondée sur un comportement (ou une abstention) mais sur l’appartenance à une catégorie d’ennemis. On peut parler d’incrimination catégorielle, en se fondant sur des termes utilisés au cours des dé-bats des assemblées révolutionnaires : « loi répressive générale79 », « loi générale de proscription80 », « mesure générale81 », « délits nationaux82 »… Il est délicat de lister les ennemis visés, d’autant que certaines catégories sont équivoques, comme l’aristocrate, le conspirateur ou le traître83. Mais c’est justement l’indétermination de la catégorie, à l’appellation vague ou aux contours flous, qui donne un sens à cette législation.

Il s’agit d’abord, chronologiquement des prêtres réfractaires, première catégorie d’individus déclarés « suspects 84 » le 29 novembre 1791 et « déportés »

77 M. BIARD et M. LINTON, Terreur ! La Révolution française face à ses démons, Paris, Armand Co-lin, 2020, p. 82. 78 Anne Simonin relève que « jusqu’alors, aucun texte de nature pénale n’incriminait la liberté d’expression régie par l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » (A. SI-

MONIN, « Les acquittés de la Grande Terreur », in M. BIARD (dir.), Les politiques de la Terreur, op. cit., p. 195). 79 Archives parlementaires, t. XXXIV, p. 117. Le moniteur parle de « la question de l’émission d’une loi répressive générale contre les prêtres perturbateurs » (Moniteur, t. 10, p. 176). 80 Archives parlementaires, t. XXXIV, p. 330. 81 C’est le terme employé par Tallien le 29 germinal pour refuser des exceptions à l’expulsion des nobles décidée le 27 germinal, en particulier de « la femme roturière qui a épousé un noble […] La Convention nationale passe à l’ordre du jour, motivé sur ce que les femmes suivent le sort de leur mari. » (Deuxième) décret du 27 germinal an II (16 avril 1794) concernant la répres-sion des conspirateurs, l’éloignement des nobles et la police générale de la République (Bau-douin, t. 49, p. 206 ; séance du 29 germinal an II à la Convention, Archives parlementaires, t. LXXXXIX, p. 28). 82 Archives parlementaires, t. LX, p. 698. 83 Anne Simonin voit dans cette catégorie d’ennemis l’invention du collaborateur (A. SIMONIN, Le déshonneur dans la République. Une histoire de l’indignité, 1791-1958, Paris, Grasset, 2008, p. 328-337). 84 La notion de suspect avait été employée une première fois dans la loi du 19–22 juillet 1791 sur la police municipale et correctionnelle, dans le cadre restreint de la prévention des désordres. Elle désignait des marginaux, associés aux « gens sans aveu » et aux « gens malintentionnés », qui subissaient une sorte de circonstance aggravante dans certaines infractions du code. L’usage de la notion change dans ce décret du 29 novembre 1791 : les ecclésiastiques sont suspectés de révolte, non par leur refus de prêter serment, mais par la réunion de fidèles.

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le 26 août 179285, sans circonstance atténuante ni exception : « tous les ecclésias-tiques non sermentés » sont astreints à ce départ. Les lois révolutionnaires ne par-lent pas de « catégorie d’ennemis » à propos du clergé réfractaire mais de « classe qui [doit] être déportée86 », étendue en février 1793 à « tous les ecclésiastiques, sé-culiers, réguliers, frères convers et lais87 » insermentés et aux prêtres jureurs s’ils sont « dénoncés, pour cause d’incivisme, par six citoyens dans le canton ». L’accu-sation d’incivisme à l’encontre des prêtres constitutionnels annonce la rhétorique floue de la loi des suspects88 : ils peuvent être déportés sans qu’un acte matériel n’ait à être relevé, de toute façon jamais contrôlé par un juge. Toutes ces disposi-tions sont résumées dans le décret du 30 vendémiaire (21 octobre 1793) qui inau-gure la section IV sur les « ecclésiastiques et le culte religieux » du Code des comi-tés de surveillance et révolutionnaire. Les compilateurs sont donc allés au plus simple : ils ont placé ce texte en tête de la section afin de s’épargner l’ajout des décrets précédents. Une partie du décret concerne la possibilité donnée à un prêtre jureur – arrêté hors cas de flagrance (armé ou « munis de quelques signes contre-révolutionnaire ») ou accusé d’incivisme – et qui a donc droit à un jugement cri-minel, d’exciper de sa prestation de serment pour éviter la peine de mort. Mais, si le juge lui en accorde le temps (art. 7), la charge de la preuve est inversée (art. 9). Cette présomption de culpabilité, est une mise en forme juridictionnelle de l’incri-mination catégorielle : la loi révolutionnaire privilégie l’élimination (ici, la dépor-tation ou la mort) de l’ensemble de la catégorie plutôt que la protection des reli-gieux loyalistes.

Les émigrés constituent la seconde catégorie d’ennemis que les lois révolution-naires cherchent à éliminer, en réprimant l’appartenance à cette catégorie plutôt que la commission d’une infraction. Jean d’Andlau a résumé les traits de cette légi-slation : définition très floue de l’émigration (l’« absence » du domicile puis le dé-part) et approche « holistique » (le refus d’accepter des exceptions) de l’émigra-tion : « cette incrimination catégorielle devient un moyen d’accentuer la répres-sion89 ». On pourrait rajouter le caractère collectif de la sanction (la confiscation des biens) et l’inversion de la charge de la preuve, puisque c’est au justiciable me-nacé de confiscation qu’il appartient de prouver qu’il n’a pas émigré. Les conven-tionnels cherchent à punir l’ensemble de la catégorie d’ennemis, plutôt que l’auteur d’une infraction. Le refus de prendre en compte les intentions ou les actes du jus-

85 Décret du 26 août 1792 relatif à la déportation des prêtres insermentés (Archives parlemen-taires, t. XLIX, p. 8-9 ; Baudouin, t. 32, p. 437-440 ; Duvergier, t. 4, p. 361). 86 Décret du 14 février 1793 qui accorde cent livres de récompense à ceux qui découvriront ou feront arrêter une personne rangée par la loi dans la classe des émigrés ou dans celle des prêtres qui doivent être déportés (Baudouin, t. 35, p. 210 ; Duvergier, t. 5, p. 154 ; Code des émigrés, con-damnés et déportés, p. 39). 87 Ibid., art. 1. 88 L’incivisme est déjà un motif de déportation prononcée par le tribunal révolutionnaire, dans son décret originaire du 11 mars 1793, s’il est un « sujet de trouble public et d’agitation » (Décret du 11 mars 1793 portant établissement du tribunal criminel extraordinaire, titre 2, art. 3 ; Ar-chives parlementaires, t. LX, p. 95-96 ; Baudouin, t. 35, p. 390-392 ; Duvergier, t. 5, p. 190-191 ; Pro-jet de code révolutionnaire, chap. 1, sect. 17 ; Code des émigrés, condamnés et déportés, p. 41). 89 J.-L. D’ANDLAU, « Penser la loi et en débattre sous la Convention : le travail du comité de légi-slation et la loi sur les émigrés du 28 mars 1793 », Annales historiques de la révolution française, no 396, 2019, p. 12.

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ticiable est « le caractère qui peut seul la faire connaître comme une loi révolution-naire, préparée et faite par des hommes, contre la classe d’hommes que l’on regarde comme ennemis de la patrie90 », admet le rapporteur Osselin. Les lois révolution-naires réprimant l’émigration sont compilées dans le Code des émigrés, condamnés et déportés. Le Projet de code révolutionnaire se contente de reproduire les grandes synthèses législatives (décret du 28 mars 1793 qui résume toute la législation anté-rieure, du 12 juillet sur la vente des biens et du 17 septembre sur la fusion des légi-slations de l’émigration et de la déportation). Rondonneau informe d’ailleurs le Co-mité de salut public : « je ne rappelle que les trois principales lois : si le citoyen Billaud-Varenne désire avoir la collection complète des lois des émigrés, je la lui remettrai91 ».

Les royalistes sont la troisième catégorie d’ennemis visée par les lois révolu-tionnaires. La répression commence pendant le procès de Louis XVI92 avec le décret antiroyaliste du 4 décembre 179293 qui punit de mort non un agissement mais une simple « déclaration verbale94 ». Le texte, proposé par Buzot, ne prend pas en compte les circonstances de l’infraction puisque « quiconque » propose de rétablir la royauté encourt la peine de mort, en précisant « sous quelque dénomination que ce soit95 », Basire ayant suggéré de ne pas sanctionner les propos librement échan-gés dans les assemblées primaires96. La criminalisation des propos royalistes est ensuite renforcée le 29 mars 1793 après la découverte de livres appelant à la libéra-tion du jeune Louis XVII : les vendeurs et colporteurs d’écrits royalistes (bien que Lecointe-Puyraveau ait fait remarquer que ces derniers ne savaient bien souvent pas lire) sont punis de détention et les auteurs relèvent désormais du tribunal ré-volutionnaire crée le 10 mars précédent. La distinction opérée par les convention-nels entre les lois révolutionnaires et les lois ordinaires au cours de la discussion est particulièrement heuristique. Marie-Joseph Chénier avait émis la possibilité d’étendre le domaine de cette répression à « tout provocateur au meurtre, car la loi sur la presse n’a jamais permis de s’en servir pour commettre un délit » et « pro-pose donc que l’on décrète formellement la peine de mort contre ceux qui provo-quent au meurtre et à la violation des propriétés97 ». Avec un tel amendement, la répression dérive vers une mise à l’index générale des textes subversifs et perd son

90 Rapport d’Osselin, lu à la Convention le 28 février 1793, Archives parlementaires, t. LIX, p. 343. 91 Projet de code révolutionnaire, chap. 5, sect. 3. 92 Certains ressorts de l’incrimination catégorielle sont présents dans le procès de Louis XVI, comme le remarque Jean Raynal qui établit le lien entre salut public, loi révolutionnaire et insi-gnifiance des faits matériels : « Peu importe que Louis XVI ait ou non commis des fautes. Une mesure de sûreté pourra le frapper même s’il n’a manqué à aucune loi, s’il n’a commis aucune infraction qui soit réprimée par le code pénal ou la constitution, il suffit que la liberté soit seu-lement indésirable ou dangereuse pour le salut de la Nation pour qu’il soit l’objet d’une mesure d’élimination provisoire ou définitive » (J. RAYNAL, Des aspects juridiques du procès de Louis XVI, thèse droit, Université de Caen, 1954, p. 308). 93 Décret du 4 décembre 1792 portant que quiconque proposerait ou tenterait d’établir en France la royauté, ou tout autre pouvoir attentatoire à la volonté du peuple, sera puni de mort (Bau-douin, t. 35, p. 15 ; Duvergier, t. 5, p. 70 ; Projet de code révolutionnaire, chap. 5, sect. 1). 94 Cité par A. SIMONIN, « Les acquittés de la Grande Terreur », art. cité, p. 195. 95 Ibid., p. 349. 96 Basire, le 4 décembre 1792, Archives parlementaires, t. LIV, p. 350. 97 Ibid., p. 699.

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aspect catégoriel. Marat, qui se sent directement visé, cherche à réorienter la dis-cussion : « ce sont les contre-révolutionnaires seuls que nous voulons atteindre ; ce sont eux seuls qui cherchent à perdre la liberté, ce sont eux seuls que doit frapper la loi98 ». Duhem rappelle l’historique de la proposition : « il s’agit d’une loi révo-lutionnaire, elle ne doit atteindre que les royalistes ». Pour lui, les incriminations que propose Marie-Joseph Chénier créent des infractions précises, qui entraînent une sanction individuelle : ces « délits sont particuliers, vous ne pouvez les com-prendre dans une loi révolutionnaire ». Barbaroux esquisse ensuite un partage de compétence juridictionnelle :

Il est parfaitement possible de faire de la proposition de Chénier une loi distincte du projet que vous venez d’adopter : en ce sens que par l’un vous renvoyiez les délits nationaux (le cas par exemple, où l’on provoquerait au rétablissement de la royauté), au tribunal révolutionnaire, et que, par l’autre, vous renvoyiez les délits particuliers aux tribunaux ordinaires.

Duhem est entendu par la Convention qui vote d’abord la loi révolutionnaire ré-primant les écrits royalistes99, puis érige dans un second décret une infraction pé-nale contre les auteurs d’écrits appelant au meurtre ou à la violation des proprié-tés100. La première infraction est automatiquement punie de mort, car « la guillo-tine met en acte la loi révolutionnaire101 », la seconde infraction est punie de six années de fer (de mort lorsque « le délit aura suivi la provocation ») car la loi pénale vise à punir l’auteur d’une infraction plus ou moins sévèrement selon la gravité du fait matériel. Il s’agit pourtant du même acte : la composition d’écrits interdits. Mais dans le premier cas, le rédacteur est un royaliste, c’est-à-dire un ennemi à éliminer. Dans le second cas, l’auteur est appréhendé par la loi selon la dangerosité de son acte et la peine varie en fonction de l’élément matériel.

« L’anglais est le quatrième idéal-type d’ennemi invoqué pour expliquer les échecs de la politique et pour unifier les forces révolutionnaires102 » remarque Jean-Clément Martin. Pour répertorier les lois révolutionnaires pénales, il est plus syn-thétique de retenir les étrangers comme la quatrième catégorie d’ennemis. Il s’agit plus précisément, en août et septembre 1793 (périodes d’adoption de la plupart des décrets contre les étrangers) des ressortissants des pays avec lesquels la France est en guerre, c’est-à-dire l’ensemble de ses voisins103. Comme les prêtres réfractaires

98 Ibid., p. 699 99 Baudouin, t. 29, p. 543. 100 Baudouin, t. 29, p. 542. Le recueil Baudouin inverse l’ordre d’adoption des deux textes tel qu’il est décrit dans les Archives parlementaires, t. LX, p. 700. 101 D. ARASSE, La guillotine et l’imaginaire de la Terreur, Paris, Flammarion, 1993 [1987], p. 97. Cette formule de Daniel Arasse s’applique aux royalistes mais ne fonctionne pas pour les lois révolutionnaires contre les prêtres réfractaires, qui sont déportés, ni contre les émigrés, qui sont bannis, ni contre les rebelles pris les armes à la main qui sont majoritairement fusillés, ni contre les fonctionnaires qui sont destitués. La loi révolutionnaire cherche à « éliminer » les ennemis, quelle que soit la peine employée et non à « punir » un criminel. 102 J.-C. MARTIN, La Vendée et la révolution, Paris, Perrin, 2007, p. 49. 103 La Première coalition rassemble la Grande-Bretagne, les Provinces-unies, l’Autriche, la Prusse (et certains États allemands : Saxe, Hanovre, Hesse), le Piémont et l’Espagne.

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ou les « rebelles » (appréhendés sans arme), ils sont décrétés d’arrestation sans ju-gement le 6 septembre 1793104. Barère les a en effet déclarés « ennemis de la cons-titution » lors du débat du 1er août dans lequel il proclame : « chassons-les au-jourd’hui mais arrêtons les suspects et punissons les coupables : les étrangers vio-lant les droits de l’hospitalité sont entrés dans le terrible domaine de la loi révolu-tionnaire105 ». La présomption de dangerosité conduit à arrêter l’ensemble de la catégorie suspecte car elle délie l’arrestation d’un acte déclencheur commis par l’intéressé. Selon Sophie Wahnich « on crée ainsi une nouvelle catégorie d’ennemis dangereux, et, dans la mesure où la loi révolutionnaire les accule à perdre la liberté, c’est-à-dire la valeur révolutionnaire par excellence, elle les rend potentiellement hostiles à une révolution qu’ils avaient pu aimer106 ». L’étranger devance ainsi en rétention les suspects nationaux du 17 septembre. Cette internationalisation de la figure de l’ennemi n’en obéit pas moins au processus d’élimination habituel des lois révolutionnaires puisque leurs biens sont ensuite confisqués107. Après les pos-sessions des émigrés, des prêtres réfractaires et des rebelles, les biens des étrangers sont transférés à l’État et deviennent à leur tour des biens nationaux de seconde origine. La réciprocité qui règle les relations interétatiques ne résiste pas à la lutte contre les ennemis comme l’explique Duhem à la Convention : « ce n’est point par des mesures diplomatiques que vous écraserez les tyrans, c’est par des mesures révolutionnaires et vigoureuses. Il faut décrétez la confiscation des biens de tous les étrangers des pays avec lesquels nous sommes en guerre108 ».

Le cinquième groupe d’ennemis – les rebelles – est moins homogène mais per-met de rassembler sous une même appellation les différents contestataires de la République, que les lois révolutionnaires qualifient de « brigands », d’« émeu-tiers109 », de « fédéralistes » ou encore de « traîtres ». C’est la catégorie d’ennemis la plus redoutée de la Convention, pour laquelle elle élabore des statuts juridiques

104 Décret du 6 septembre 1793 relatif aux mesures de sûreté relatives aux étrangers qui se trou-vent en France, art. 16 (Baudouin, t. 41, p. 41-43 ; Duvergier, t. 6, p. 148-149 ; Code des comités de surveillance et révolutionnaire, p. 60-62 ; Code des émigrés, condamnés et déportés, p. 99). 105 Barère à la Convention, le 1er août, Archives parlementaires, t. LXX, p. 102. 106 S. WAHNICH, L’impossible citoyen : l’étranger sous la révolution française, Paris, Albin Michel, 1997, p. 38-39. 107Le Code des comités de surveillance et révolutionnaire et le Projet de code révolutionnaire ras-semble les décrets du 16 août et du 26 août 1793 sur les biens des espagnols, du 7 septembre et du 19 vendémiaire (10 octobre 1793) sur les biens des anglais. 108 Duhem à la Convention, le 16 août 1793 (Archives parlementaires, t. LXXII, p. 250). 109 Décret du 17 mars 1793 concernant les individus qui seront prévenus d’avoir empêché le re-crutement de l’armée (Baudouin, t. 28, p. 428-429 ; Projet de code révolutionnaire, chap. 4, sect. 7). Ce décret illustre les atermoiements de la Convention face aux émeutes contre le recrutement : le décret du 12 mars confère la compétence du jugement des séditieux de Cholet au tribunal du district d’Angers (Archives parlementaires, t. LX ; p. 135 ; Baudouin, t. 35, p. 406 ; Duvergier, t. 5, p. 201) ; par ce décret du 17 mars la Convention tente, provisoirement, de confier cette compé-tence au tribunal criminel extraordinaire ; enfin, devant la multiplication des émeutes, le décret du 19 mars redéploie le contentieux vers les commissions militaires et les tribunaux criminels de département. Décret du 19 mars 1793 concernant la punition de ceux qui sont ou seront prévenus d’avoir pris parti à des révoltes ou émeutes contre-révolutionnaires, qui ont eu ou auraient lieu à l’époque du recrutement (Archives parlementaires, t. LX, p. 347-348 ; Baudouin, t. 35, p. 447-448 ; Duvergier, t. 5, p. 202-203 ; Projet de code révolutionnaire, chap. 1, sect. 19).

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nouveaux (mis hors de la loi110 et suspect). Le décret du 30 août 1792 inaugure cette législation contre les rebelles mais il a été oublié par les compilateurs des lois révo-lutionnaires en 1794. Pourtant il aurait dû éveiller leur sens de l’archivage par le raccourci historique qu’il proposait : une émeute contre l’enrôlement, à Châtillon-sur-Sèvre, qui nécessite l’intervention de la Garde nationale de Cholet et la création d’une peine spéciale par la Convention pour les vingt-quatre émeutiers – la confis-cation des biens – qui frappe le rebelle et ses ayants-droits. C’est une peine collec-tive que l’Assemblée constituante avait retirée de l’arsenal répressif « en affirma-tion du principe de la personnalité des peines111 ». Cette cinquième catégorie d’en-nemis est ensuite visée par le décret du 19 mars 1793, dit de la mise hors de la loi, qui impose la mise à mort (des rebelles arrêtés armés) dans les vingt-quatre heures, prononcée par une commission militaire après un simple examen des faits. Les commissions militaires ont été créées par le décret du 9 octobre 1792 pour juger les émigrés pris les armes à la main et sont régies par un chapitre entier du Projet de code révolutionnaire. L’élément moral de l’infraction n’est plus apprécié car le dé-cret du 19 mars vise à éliminer rapidement les rebelles. Les émeutiers (sans armes) sont, eux, jugés par le tribunal criminel sans le jury de citoyens qui « exprimait une certaine vision de l’équité judiciaire » notamment « en invoquant la question de l’intention112 ». La rigueur de la mise hors de la loi est néanmoins atténuée le 10 mai puisque « les chefs et instigateurs des révoltés seront seuls sujets à la peine portée par le décret du 19 mars dernier contre les rebelles ». Ils deviennent des auteurs d’émeutes qui ont « commencé ou propagé la révolte » et ont entraîné des suiveurs « qui ne sont qu’égarés ou contraints » dont il faut cerner le degré d’implication. Ce décret ne porte donc plus une incrimination catégorielle mais érige une infrac-tion. La catégorie d’ennemis « rebelles » disparaît pour un temps des lois révolu-tionnaires. Mais elle réintègre le champ des lois révolutionnaires, à l’occasion de la révolte de Lozère, par le décret du 2 juin qui punit pareillement « les auteurs, com-plices et adhérents » d’une émeute et instaure également un emprisonnement des suspects indépendamment d’une infraction (annonçant donc la déclaration du 12 août 1793, adoptée après le discours de Danton, qui fonde le statut de suspect).

2. Le critère organique : les lois révolutionnaires administratives

Ce critère classe les lois révolutionnaires qui doivent être appliquées par les organes révolutionnaires. Ces institutions ont trois caractéristiques : elles sont, par définition, créées après le 10 août puisqu’auparavant la Constitution de 1791 s’ap-plique ; leur composition est juridiquement ou politiquement orientée : elles sont composées de patriotes impliqués dans la révolution ; enfin elles sont dotées de fonctions nouvelles nées de l’avancée de la révolution. La Convention a créé une succession d’organes révolutionnaires dont la composition ou les missions sont dé-crites dans les lois révolutionnaires.

110 E. DE MARI, La mise hors de la loi sous la révolution française (19 mars 1793–an III). Une étude juridictionnelle et institutionnelle, Paris, LGDJ, 2015. 111 A. LAINGUI, Histoire du droit pénal, 2e éd., Paris, PUF, 1993, p. 117. 112 R. ALLEN, Les tribunaux criminels sous la révolution et l’empire. 1792-1811, Rennes, PUR, 2005, p. 191.

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La première d’entre elles, destinatrice d’une des trois compilations de lois révo-lutionnaires a déjà été présentée : les comités de surveillance. Apparaissant en fili-grane dans la loi du 11 août 1792 sur les municipalités 113 , qui suscite dans les grandes villes la création des premiers comités (titulaires tacites, selon l’article 4, du droit d’émettre un mandat d’arrêt), ils sont officialisés le 21 mars 1793114 et char-gés, progressivement, de nombreuses compétences décrites dans le Code des comi-tés de surveillance et révolutionnaire : enregistrement des étrangers, délivrance des certificats de résidence et des certificats de civisme et, après une plaidoirie de Ro-bespierre en leur faveur le 8 juin, de l’encadrement du « vandalisme » révolution-naire115. Les comités de surveillance sont l’institution révolutionnaire la plus ré-pandue (un par commune) et sont perçus dès le mois de juin à la Convention (après l’exclusion des Girondins) par Barère comme des relais de confiance qui appliquent les mesures de salut public116. Il faut dire que leur « composition spécifique, nette-ment populaire117 » a été pensée pour rassembler les citoyens les plus patriotes : les ecclésiastiques (même insermentés), les nobles, les seigneurs de l’endroit ainsi que leurs employés en sont exclus118.

La seconde institution révolutionnaire, née comme les comités de surveillance en mars 1793, est la plus mémorable : le tribunal révolutionnaire. Même si le décret du 11 mars ne parle que du « tribunal criminel extraordinaire », il est aussitôt qua-lifié de « révolutionnaire » par les décrets connexes119 et les députés. À la question

113 J. GODECHOT, Les institutions de la France sous la révolutions et l’empire, 4e éd., Paris, PUF, 1989, p. 327. 114 Serge Aberdam explique que deux versions de ce décret ont circulé jusqu’en mai 1793, avant que le Comité de salut public ne cherche à réduire les compétences des comités de surveillance à la seule police des étrangers (S. ABERDAM, « Les deux versions de la loi de mars 1793 sur les comités de surveillance et l’enquête de janvier 1794 », in D. PINGUÉ et J.-P. ROTHIOT (dir.), Les comités de surveillance. D’une création citoyenne à une institution révolutionnaire, Paris, Société des études robespierristes, 2012, p. 14-18). 115 Code des comités de surveillance et révolutionnaire, chap. IV « Armoiries, signes de royauté et de féodalité, brevets et décorations », p. 67 à 75. Les codifications ne contiennent pas les décrets qui empêchent les déprédations (décret du 13 avril 1793 punissant les individus qui portent at-teinte aux statues ; décrets des 27 août et 18 décembre 1793 qui organisent la protection des œuvres ; décret du 21 nivôse an II–10 janvier 1794 sur la préservation des inscriptions). Sur l’uti-lisation du néologisme « vandalisme » de l’abbé Grégoire pour décrire les missions des comités de surveillance retracées dans leur code, voir S. MARLOT, Les lois révolutionnaires, la codification du salut public, op. cit., p. 110-122. 116 Archives parlementaires, t. LXVI, p. 110. 117 S. ABERDAM, « Comités révolutionnaires, comités de surveillance et comités de salut public. Notes pour un projet de Guide de recherche », in Comités de surveillance et pouvoirs révolution-naires, Actes du colloque d’Aix-en-Provence, Rives nord-méditerranéennes, no 18, 2004, p. 19. 118 Décret du 21 mars 1793 portant établissement, dans chaque commune, d’un comité chargé de recevoir les déclarations des étrangers qui y résident ou qui pourront y arriver, art. 2 (Baudouin, t. 35, p. 465 & 466 ; Duvergier, t. 5, p. 206 ; Code des comités de surveillance et révolutionnaire, p. 14-15 ; Projet de code révolutionnaire, chap. 1, sect. 17). 119 Les auteurs d’écrits royalistes sont traduits devant le « tribunal extraordinaire ». Décret du 29 mars 1793 relatif aux écrits tendant à la dissolution de la représentation nationale ou au rétablissement de la royauté (Baudouin, t. 28, p. 543 ; Projet de code révolutionnaire, chap. 5, sect. 1). Le décret du 7 avril 1793 accorde la franchise du port des lettres adressées à l’accusateur public du « tribunal criminel extraordinaire et révolutionnaire » (Baudouin, t. 29, p. 48). Les re-présentants en mission sont autorisés le 30 avril à traduire les généraux devant le « tribunal révolutionnaire », Décret du 30 avril 1793 relatif aux représentants du peuple envoyés en tant

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de Le Carpentier le 9 mars : « Je demande ce qu’on entend par tribunal révolution-naire ? », Julien (de Toulouse) répond : « révolutionnaire, sans appel et sans re-cours au tribunal de cassation ». L’organe révolutionnaire hérite ainsi de l’inter-diction du pourvoi érigée pour le tribunal du 17 août et comme celui-ci, c’est sa composition qui est l’objet de la principale rivalité à la Convention. Robespierre entend le 9 mars qu’il ne soit composé que de patriotes : « il importe de nous défier de tout ce qui ne porte pas un patriotisme marqué120 ». Comme le 15 août 1792 à la Législative, il met l’accent sur le personnel qui doit garnir ce tribunal d’exception. Le Comité de Législation, à majorité girondine, délègue Lesage qui présente un projet moins parisien : les juges sont élus par la Convention, parmi les juges des tribunaux criminels des départements et les jurés sont nommés par les départe-ments. Dans la nuit du 10 au 11 mars, Robespierre discrédite violemment les admi-nistrations de département et ainsi la proposition girondine. Le projet de l’Assem-blée serait violé « si les juges de ce tribunal n’étaient choisis, n’étaient composés de ces vrais amis du peuple ! […] Qui le fait révolutionnaire ? C’est le caractère des hommes choisis121 ». Les jurés, eux, seraient choisis par la Convention et devraient voter « publiquement à haute voix122 ». Le girondin Guadet insiste sur la dissem-blance avec les tribunaux criminels de département : « l’égalité est violée par l’ins-titution d’un jury qui ne reposera pas sur les mêmes bases que celui des autres jurys123 ». Prieur de la Marne explique cette dérogation par une justification lexi-cale :

la loi que nous organisons est une loi révolutionnaire, dirigée contre les ennemis de la patrie. Dans cette circonstance où les contre-révolutionnaires se coalisent pour renverser la République, il faut prendre des mesures extraordinaires pour les arrêter dans leurs coupables entreprises124.

Le tribunal est donc surtout révolutionnaire par sa composition. Le contentieux qui lui est attribué est limité par les Girondins, auxquels s’est ralliée la Plaine, à des agissements bien réels. Ainsi seuls les royalistes qui fomenterait un « complot ten-dant à rétablir la royauté » peuvent être déférés. Et ni les émigrés rentrés, ni les prêtres réfractaires ne sont visés. Les Jacobins auraient souhaité, par la bouche de Lindet et Robespierre125 , rajouter des incriminations aussi vastes qu’indéfinies. Mais la Convention ne les suit pas et limite la compétence du tribunal révolution-naire à des infractions précises. La composition du tribunal criminel extraordinaire, et en particulier « le recrutement très politique des jurés126 », peut ainsi offrir une

que commissaires de la Convention, (Baudouin, t. 29, p. 79-81 ; Projet de code révolutionnaire, chap. 1, sect. 3 et chap. 4, sect. 3). 120 Archives parlementaires, t. LX, p. 55. 121 Ibid., p. 62-64. 122 Décret du 10 mars 1793 relatif à la formation du tribunal criminel extraordinaire, titre 1, art. 12 (Archives parlementaires, t. LX, p. 95-96 ; Baudouin, t. 35, p. 390- 392 ; Duvergier, t. 5, p. 190-191 ; Projet de code révolutionnaire, chap. 1, sect. 17 ; Code des émigrés, condamnés et déportés, p. 41). 123 Archives parlementaires, t. LX, p. 94. 124 Ibid., p. 95. 125 P. LASCOUMES, P. PONCELA et P. LENOËL, Au nom de l’ordre, une histoire politique du code pénal, Paris, Hachette, 1989, p. 157. 126 J.-C. MARTIN, La Terreur, op. cit., p. 136.

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grille d’analyse des lois révolutionnaires encadrant le tribunal et notamment la der-nière du corpus, le décret du 22 prairial (10 juin 1794), dont l’article 16 prévoit des « jurés patriotes ».

Une section du Projet de code révolutionnaire compose le statut d’une troisième institution révolutionnaire : les représentants en mission. Ces députés envoyés dans les départements ont porté différents noms sous la Convention. D’abord ap-pelés commissaires de la Convention127, puis représentants de la Nation à partir du décret du 4 avril 1793128 , ils sont appelés représentants du peuple dans le décret du 14 frimaire129. Si les commissaires sont aussi anciens que la Convention130 ils se généralisent peu après la levée des 300 000 hommes du 24 février 1793131. Le Projet de code révolutionnaire les aborde dans sa section « représentants du peuple dans les départements et auprès des armées », dont les douze décrets en composent le statut exhaustif. Le texte le plus ancien de la section date du 26 janvier 1793 et a été retenu pour son apport à la détermination de la force normative des actes des re-présentants en mission, qu’on se contera d’aborder ici. La valeur de leurs décisions est souvent mesurée à l’aune des « pouvoirs illimités » que Robespierre voulait voir reconnus aux représentants en mission : « ils auraient même le droit de poignarder le général pour sauver la liberté. Il est donc évident que les pouvoirs de vos com-missaires doivent être illimités et que vouloir les restreindre, ce serait se jeter dans des exceptions interminables132 ». C’est la conséquence de l’élection du commis-saire au suffrage universel : même sorti de l’enceinte législative, il conserve son pouvoir d’édicter la norme supérieure. Cette formule de « pouvoirs illimités » est reprise dans le décret du 9 avril 1793 mais le Projet de code révolutionnaire date de 1794, quand la Convention cherche à mieux contrôler les représentants en mis-sion133. Les autres textes retenus restreignent sensiblement cette prérogative. Déjà, le décret du 26 janvier 1793 considérait comme infra-législatifs les actes des repré-sentants en mission134. Leurs décisions ne sont pas des lois car la Convention ne

127 Décret du 24 septembre 1792 relatif aux pouvoirs des commissaires envoyés dans les Pyré-nées (Archives parlementaires, t. LII, p. 82 ; Baudouin, t. 25, p. 11). Décret du 26 janvier 1793 rela-tifs aux pouvoirs des commissaires de la Convention nationale (Archives parlementaires, t. LVII, p. 690 ; Baudouin, t. 27, p. 113 ; Projet de code révolutionnaire, chap. 1, sect. 13). 128 Décret du 4 avril 1793 relatif à la levée d’une armée de quarante mille hommes, art. 9 (Ar-chives parlementaires, t. LXI, p. 306 ; Baudouin, t. 29, p. 22-23). 129 Décret du 14 frimaire an II (4 décembre 1793) sur le mode de gouvernement provisoire et ré-volutionnaire, sect. 3, art. 2, 17, 18 et sect. 4, art. 4 (Archives parlementaires, t. LXXX, p. 629-635 ; Baudouin, t. 44, p. 141-150 ; Duvergier, t. 6, p. 317-322). 130 Décrets des 22 et 24 septembre 1792 (Baudouin, t. 25, p. 7 et p. 11). 131 H. WALLON, Les représentants du peuple en mission et la justice révolutionnaire dans les dépar-tements en l’an II (1793-1794), Paris, Hachette, 1889, p. 17 ; J. BOUDON, Les Jacobins, op. cit., p. 413. 132 Convention, 9 avril 1793 (Archives parlementaires, t. LXI, p. 479). 133 M. BIARD, Missionnaires de la République : les représentants du peuple en mission, 1793–1795, Paris, CTHS, 2002, p. 208-213 : « L’heure est à la centralisation des pouvoirs, ce qui ne peut à terme qu’entraîner un recul de l’autonomie que certains conventionnels avaient su conquérir lors de leurs séjours dans les départements ou auprès des armées » (p. 213). 134 « La Convention nationale autorise tous ses commissaires à prendre toutes les mesures, même celles de sûreté générale, que les circonstances rendront nécessaires ; elle décrète que leurs arrêtés ou leur délibération, pris ou à prendre, seront exécutés provisoirement, à la charge des dits commissaires d’envoyer dans les vingt-quatre heures, copie des arrêtés ou délibérations

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les a pas votées. Cependant, émanant d’un de ses membres, elles sont applicables et présumées valables tant que la Convention ne les a pas annulées. La force nor-mative des décisions des représentants en mission est ensuite ajustée par le décret du 16 mai 1793 qui leur reconnaît une valeur supérieure aux actes des autorités constituées135, contrairement à ce que souhaitait le girondin Génissieu : « je pro-pose par amendement que les corps administratifs ou municipaux puissent refuser d’obéir aux arrêtés que les représentants en mission auraient pris en excédant leurs pouvoirs136 ». Le même refus d’obéir avait été envisagé pour les généraux par Lau-rence137 mais rejeté : les arrêtés des représentants en mission sont supérieurs aux décisions des autorités administratives138. Les actes des députés en mission sont ensuite positionnés par rapport aux arrêtés ministériels produits par le Conseil exé-cutif provisoire lors d’un conflit de normes, remonté à la Convention, entre une « délibération139 » du département de la Dordogne et l’arrêté d’un représentant. Les députés tranchent dans le sens indiqué par le décret du 16 mai : la délibération non conforme à l’arrêté est annulée. Mais à cette occasion, les députés précisent que « nulle autre autorité que la Convention ne peut y porter atteinte140 », plaçant les arrêtés des représentants entre la loi votée par la Convention et les actes du Conseil exécutif ou des corps administratifs. Enfin le décret du 5 frimaire dispose que les arrêtés du Comité de salut public141 sont supérieurs aux actes des députés en mission. Selon le Projet de code révolutionnaire les arrêtés des représentants en mission ne sont donc pas des lois, et encore moins des lois révolutionnaires, mais ils sont supérieurs aux actes de l’exécutif.

pour être infirmés ou confirmés par la Convention. » Décret du 26 janvier 1793 relatif aux pou-voirs des commissaires de la Convention nationale (Archives parlementaires, t. LVII, p. 690 ; Bau-douin, t. 27, p. 109). 135 « Les corps administratifs et municipaux seront tenus d’exécuter et faire exécuter provisoi-rement toutes les délibérations prises par les représentants du peuple envoyés par la Convention nationale dans les départements et auprès des armées de la République ». Décret du 16 mai 1793 relatif à l’exécution de toutes les mesures et de toutes les dispositions arrêtées, soit par le Comité de salut public, soit par le Conseil exécutif provisoire (Archives parlementaires, t. LXIV, p. 719 ; Baudouin, t. 30, p. 156 ; Projet de code révolutionnaire, chap. 1, sect. 3). 136 Génissieu à la Convention, le 16 mai 1793, Archives parlementaires, t. LXIV, p. 718. 137 Ibid. 138 Au cours de la crise fédéraliste, une peine est même érigée contre les administrateurs qui suspendent les arrêtés des représentants du peuple. Décret du 16 août 1793 qui casse un arrêté pris le 18 juillet par les administrateurs du département des Hautes-Pyrénées, et porte la peine de dix années de fers contre les administrateurs qui suspendraient des arrêtés des représentants du peuple (Baudouin, t. 40, p. 157 ; Duvergier, t. 6, p. 95 ; Projet de code révolutionnaire, chap. 1, sect. 9). 139 Archives parlementaires, t. LXIX, p. 87. 140 Décret du 17 juillet 1793 qui casse et annule une délibération du département de la Dordogne, et porte que nulle autorité exceptée la Convention, ne peut porter atteinte aux arrêtés des repré-sentants du peuple (Baudouin, t. 32, p. 117 ; Projet de code révolutionnaire, chap. 1, sect. 3). 141 Décret du 5 frimaire an II (25 novembre 1793) portant que les représentants du peuple en-voyés en commission et les généraux seront tenus de se conformer aux arrêtés du Comité de salut public (Baudouin, t. 44, p. 76 ; Projet de code révolutionnaire, chap. 1, sect. 3).

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La dernière institution révolutionnaire née avant septembre 1793 qui figure dans les compilations de lois révolutionnaires est la commission militaire142. Une section du Projet de code révolutionnaire143 lui est consacrée. C’est le procédé juridiction-nel le plus hâtif pour éliminer les ennemis capturés sur les champs de bataille, par-ticulièrement ceux de la Vendée militaire. Les conventionnels voient là le moyen rapide d’endiguer l’insurrection vendéenne qui dépasse largement les capacités des tribunaux criminels de Fontenay-le-Comte, la Rochelle ou encore Angers. C’est à partir du décret du 19 mars 1793144 que cette juridiction se développe145 , avec la création de commissions militaires au Château d’Aux en mars, aux Sables en avril, à Tours en juin, à Angers le 10 juillet146. Pour autant, peut-on dire que « le texte qui préside à la création des commissions militaires est bien évidemment le décret du 19 mars147 » sur la mise hors de la loi des rebelles ? Même si les commissions militaires mises en place précédemment sont rares148, celles-ci sont envisagées dès le décret du 9 octobre 1792 contre les émigrés pris les armes à la main149. Leur com-position (un collège de cinq personnes nommées par l’état-major) et la procédure (la simple constatation du fait incriminé) sont fixées dans ce décret. Le décret de juin 1793 sur les espions150, qui ne sont pas hors de la loi mais sont néanmoins jugés par une commission militaire, renvoie d’ailleurs au décret du 9 octobre pour établir cette dernière. Le corpus étudié dévoile un organe révolutionnaire délié de la mise hors de la loi mais chargé de l’élimination des ennemis, trait dominant de la seconde période des lois révolutionnaires.

142 H.G. BROWN, « Mythes et massacres : reconsidérer la “terreur directoriale” », Annales histo-riques de la Révolution françaises, no 325, 2001. L’article s’intéresse à une répression postérieure à notre période mais décrit la procédure devant les commissions militaires. 143 La section 19 du chapitre 1. 144 Décret du 19 mars 1793 concernant la punition de ceux qui sont ou seront prévenus d’avoir pris parti à des révoltes ou émeutes contre-révolutionnaires, qui ont eu ou auraient lieu à l’époque du recrutement, op. cit. 145 Pour les différentes formes que prirent la commission militaire de l’armée de l’Ouest (com-mission Parein, devenue commission Félix, puis commission Proust), d’abord composée de mi-litants jacobins puis de militaires de l’armée républicaine, voir J. PETIT, La justice révolutionnaire en Maine-et-Loire sous la Convention. 21 septembre–27 juillet 1794, thèse droit, Université de Poi-tiers, 1966, p. 349-363. 146 Son nom officiel est « commission militaire près de l’armée de l’Ouest », créée par les repré-sentants Goupilleau et Richard, envoyés lors de la première mission (A. BLORDIER-LANGLOIS, An-gers et le département de Maine-et-Loire de 1787 à 1830, t. 1, Angers, Impr. Victor Pavie, 1837, p. 318). 147 E. DE MARI, La mise hors de la loi sous la révolution française (19 mars 1793–an III), op. cit., p. 194. 148 La Convention crée le 20 octobre 1792 une commission militaire à Paris, dont les cinq com-missaires sont nommés par l’état-major de la division militaire, pour juger les émigrés capturés par l’Armée du nord (Archives parlementaires, t. LII, p. 584). 149 Baudouin, t. 33, p. 62-63 ; Duvergier, t. 5, p. 16. 150 Décret du 16 juin 1793 relatif aux jugements et punition des français ou étrangers convaincus d’espionnage dans les places de guerre ou dans les armées (Baudouin, t. 38, p. 137 ; Duvergier, t. 5, p. 344 ; Projet de code révolutionnaire, chap. 1, sect. 19).

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3. La fusion des lois répressives et administratives en septembre 1793

Un phénomène est clairement perceptible dans les lois révolutionnaires de sep-tembre 1793 : l’élimination de l’ennemi est confiée aux organes révolutionnaires. Jusqu’ici, les institutions nouvelles avaient été écartées des procédures de répres-sion, hormis le cas résiduel des commissions militaires sur les lignes de front ou de quelques attributions des représentants en mission. En septembre 1793, ce sont les plus anciens groupements révolutionnaires, comme les sociétés populaires, ou les plus répandus localement, comme les comités de surveillance, qui sont associés à la lutte contre les catégories honnies. Cette mutation des lois révolutionnaires est en germe en août et votée à partir du 5 septembre 1793. La Terreur, à défaut d’avoir été décrétée, peut donc être décelée dans les décrets de la Convention : les rouages locaux de la répression, plus ou moins coordonnés par les comités de gouverne-ment, sont associés à l’élimination des ennemis.

La mutation subie par les lois révolutionnaires le 5 septembre est symbolisée par l’armée révolutionnaire dont les compilations de lois révolutionnaires ne re-tiennent que quatre décrets. Deux missions sont confiées à cette armée centrale (ou armée parisienne). La première, le réapprovisionnement des centres urbains, et sur-tout de Paris, est issue d’un compromis aisément obtenu à la Convention. La se-conde mission, consistant en la « répression de tous les ennemis de la liberté151 » pour Bourdon ou à « exterminer les ennemis de la révolution152 » pour Billaud-Varenne, a été passée au filtre lexical du Comité de salut public153. Il s’agit toujours de « comprimer les contre-révolutionnaires154 » mais les rédacteurs du projet de décret ont transcrit cette mission en termes plus formalistes : « exécuter les lois révolutionnaires et les mesures de salut public155 ». La négociation entre le procu-reur de la Commune de Paris Chaumette et les robespierristes a donc débouché sur un texte qui rattache l’armée révolutionnaire au patrimoine juridique de la Con-vention. Chaumette abandonne son « tribunal redoutable » et son « instrument fa-tal » qui devaient accompagner cette troupe de sans-culottes. Mais celle-ci pourra utiliser les moyens répressifs accordés par les mesures de salut public. Celles-ci, assimilées pour la première fois aux lois révolutionnaires, semblent rallier les deux parties (Commune parisienne et députés de la Convention montagnarde).

Ce décret du 5 septembre donne tout son sens à la loi révolutionnaire : les con-ventionnels, et en particulier Robespierre, cèdent aux sections une part de l’élimi-nation des ennemis. Mais l’emploi des termes lois révolutionnaires vise à placer cette répression, vouée à dégénérer en règlements de compte violents, dans un cadre juridique, au formalisme certes vague, mais assumé par les jacobins. Il s’agit d’une tentative un peu désespérée, tant cette dernière « Journée » de la révolution semble porteuse de haine incontrôlable, mais le décret sur l’armée révolutionnaire montre que la Terreur peut être formalisée par les lois révolutionnaires, à défaut d’être

151 Ibid., p. 414. 152 Ibid., p. 413. 153 Décret du 5 septembre 1793 portant création d’une armée révolutionnaire (Baudouin, t. 34, p. 32). La Convention, dans un premier temps, confère au Comité de salut public la mission d’organiser cette armée. 154 Décret du 5 septembre 1793 relatif à la formation d’une armée révolutionnaire, art. 1 (Bau-douin, t. 34, p. 35). 155 Ibid., art. 2.

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repoussée : « la Terreur, terme positif pour Jacques Roux, mais non pour Robes-pierre qui préfère l’expression “mesures de salut public”156 ».

Le Comité de salut public essaiera d’ailleurs de recourir aux constantes de la loi révolutionnaire pour éviter que cette armée de la Commune ne verse trop dans l’hébertisme. La politique de salut public, promue par les Jacobins, soumet des pa-triotes actifs, réunis dans des organes ad hoc, à la loi révolutionnaire ? Le décret du 9 septembre157, préparé par Carnot, s’attache donc à éviter que cette armée de la Commune soit pilotée par des fanatiques incontrôlables158 : le Conseil exécutif pro-visoire désigne les chefs de bataillon et les membres de l’état-major général, mais leurs noms doivent être soumis aux Jacobins et le Comité de salut public doit don-ner son accord. Les sections de Paris ne peuvent plus que désigner les hommes de rang et les sous-officiers. Ensuite le grand Comité rogne les compétences attendues en retirant du décret du 9 septembre le projet de son collègue Hérault de Séchelles qui voulait « établir deux commissions militaires à la suite de cette armée, compo-sée chacune de quatre juges et d’un président, avec deux unités révolution-naires159 ». Ce couplage d’une force armée avec une juridiction révolutionnaire re-nouait avec les ambitions d’Hébert le 4 et de Chaumette le 5 septembre. Les com-missions militaires des décrets du 9 octobre 1792 et du 19 mars 1793, prévues pour juger les émigrés ou les rebelles armées, devaient être formées par l’état-major et composées exclusivement de militaires. Carnot empêche cette immixtion de l’ar-mée révolutionnaire dans le jugement des ennemis et rogne encore un peu plus les prérogatives de cette institution sulfureuse.

Une fois les débordements potentiels partiellement jugulés par ces deux décrets, l’armée de Ronsin aurait pu connaître une postérité comparable aux comités de surveillance, dotés du mandat d’arrêt par la loi des suspects du 17 septembre, ou du tribunal révolutionnaire, réorganisé le 26 septembre 1793. Dans le décret sur le gou-vernement provisoire du 10 octobre 1793, l’armée révolutionnaire est encore char-gée de « comprimer les contre-révolutionnaires160 ». D’où vient alors sa relative-ment courte existence, illustrée par la minceur de la section du Projet de code ré-volutionnaire qui lui est consacrée ? Tout d’abord, ses deux missions se révèlent hors de portée : l’approvisionnement de Paris n’est pas amélioré et l’insurrection fédéraliste est en passe d’être vaincue sans le concours de cette armée de section-naires. Ensuite, cette armée parisienne s’est très vite révélée être dominée par les hébertistes puisque la sélection opérée par le Comité de salut public et les Jacobins

156 J.-L. MATHARAN, Suspects et suspicion à Paris. 10 août 1792–9 thermidor an II, thèse de doctorat, Université Panthéon-Sorbonne, 1985, p. 251. L’auteur fait ce commentaire à propos du discours du 8 août, pendant lequel Robespierre refuse d’employer le mot « Terreur ». 157 Décret du 9 septembre 1793 relatif à la composition de l’armée révolutionnaire (Baudouin, t. 34, p. 102). 158 La même « logique d’euphémisation » est mise en œuvre, au même moment, dans la rédac-tion de la loi des suspects par Merlin de Douai, qui « multiplie les interprétations restrictives » de la loi provisoire de Collot d’Herbois du 12 août (A. SIMONIN, Le déshonneur dans la République, op. cit., p. 344). 159 Cité par R. COBB, Les armées révolutionnaires, instrument de la Terreur dans les départements, avril 1793–floréal an II, t. 1, Paris, La Haye, Mouton, G0, 1961, p. 81. 160 Décret du 19 vendémiaire an II (10 octobre 1793) portant que le gouvernement provisoire de la France est révolutionnaire jusqu’à la paix, art. 12 (Baudouin, t. 42, p. 173-175 ; Duvergier, t. 6, p. 219 ; Code des comités de surveillance et révolutionnaire, p. 3).

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ne parvint pas à la rendre plus modérée. Cette troupe de boutefeux, qui détourne les convois et ravage les églises, s’est comportée comme le redoutait le Comité de salut public. La soumission aux lois révolutionnaires n’a finalement représenté qu’un paravent de papier, dès lors que le personnel de l’institution s’est montré insoumis. La suppression de l’armée révolutionnaire, le 7 germinal an II (27 mars 1794) est trop tardive pour figurer dans le Projet de code révolutionnaire, élaboré au moment où ses jours sont néanmoins comptés.

En septembre 1793, après cette armée révolutionnaire instituée, le tribunal ré-volutionnaire réorganisé, les comités de surveillance dotés du mandat d’arrêt, une quatrième institution révolutionnaire est chargée de la répression par les lois révo-lutionnaires : les sociétés populaires. Resté sur un échec à son projet de leur faire reconnaître un pouvoir de surveillance des fonctionnaires le 29 septembre 1791, Ro-bespierre avait cherché à affermir leur rôle, sitôt la monarchie renversée161. Plus tard la crise fédéraliste rappelait, aux Jacobins, l’intérêt de ces « sociétés populaires, composées de sans-culottes reconnus et éprouvés, qui surveilleront, qui recevront les dénonciations, les discuteront publiquement et décerneront tous les mandats d’amener dans toute l’étendue du territoire de leur commune162 ». La tendance était au renforcement du rôle administratif local des sociétés populaires, dans un pre-mier temps protégées des actions des administrations fédéralistes en plein essor depuis le 2 juin163. Puis des peines particulièrement lourdes sont instaurées en juil-let contre « les fonctionnaires publics indignes164 », notamment les commandants de la force publique, qui empêchent les réunions, dissolvent les sociétés popu-laires 165 , voire prennent part à la rébellion 166 . « La crise du printemps et de l’été 1793 fut à cet égard décisive. C’est en s’appuyant sur le réseau des sociétés populaires, que la Montagne l’emporte et que bientôt est instauré le gouvernement révolutionnaire167. » Finalement, la fonction officielle qui va être reconnue aux so-ciétés populaires est celle dont elles disposaient déjà depuis les envois de représen-tants en mission : la dénonciation des fonctionnaires inciviques. Le 13 sep-tembre 1793, la Convention dote pour la première fois les sociétés populaires d’une parcelle de la puissance publique. Certes, selon ce décret, les clubs politiques locaux

161 La Société des Jacobins. Recueil de documents pour l’histoire du Club des Jacobins de Paris, t. 4, Juin 1792 à janvier 1793, comp. F.-A. Aulard, Paris, Jouaust, Noblet, Quantin, 1892, p. 193. 162 Le 17 juin 1793, François Boissel propose à la Convention de nommer dorénavant les députés « par le peuple dans les sociétés populaires de la République, au prorata de la population des communes » : Entretien du père Gérard sur la constitution politique et le gouvernement révolution-naire du peuple français, chap. 4, titre 2, art. 1er, soumis à la Convention le 17 juin 1793 (Archives parlementaires, t. LXVI, p. 638). 163 Décret du 13 juin 1793 relatif aux comités de salut public et aux sociétés populaires (Baudouin, t. 38, p. 124 ; Duvergier, t. 5, p. 342 ; Projet de code révolutionnaire, chap. 5, sect. 8). 164 A. SIMONIN, Le déshonneur dans la République, op. cit., p. 268 et p. 328-337. 165 Décret du 25 juillet 1793 portant des peines contre ceux qui empêcheraient les sociétés popu-laires de se réunir ou tenteraient de les dissoudre (Baudouin, t. 39, p. 249 ; Duvergier, t. 6, p. 55 ; Projet de code révolutionnaire, chap. 5, sect. 8). 166 Les administrateurs, magistrats et fonctionnaires nommés qui prennent part à la révolte fé-déraliste deviennent « traîtres à la patrie ». Décret et adresse du 26 juin 1793 aux français sur les chefs et instigateurs des troubles, art. 2 (Baudouin, t. 31, p. 234-239 ; Projet de code révolution-naire, chap. 5, sect. 1). 167 A. SOBOUL, « Robespierre et les sociétés populaires », Annales de l’histoire de la Révolution française, no 12, 1958, p. 52.

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n’emprisonnent pas les fonctionnaires, comme le peuvent les comités de surveil-lance. Mais la procédure de dénonciation des « agents infidèles168 » aux représen-tants en mission ou au Comité de salut public les place dans une situation délicate. Les « indemnités et [leurs] places169 » dans l’administration sont menacées. Ces dénonciations enclenchent la procédure d’élimination de la dernière catégorie d’ennemis des lois révolutionnaires.

Tous les fonctionnaires publics doivent redouter l’intervention du Comité qui n’hésitent pas à faire arrêter des administrateurs des monnaies, des agents du Conseil exécutif, des membres de la municipalité de Paris comme Chaumette, des jurés au Tribunal révolutionnaire comme Antonnelle170.

Si le personnel administratif s’était, tant bien que mal, maintenu en place de-puis 1789, la République radicale marque un point de rupture171. Traqués par les militants révolutionnaires locaux, les agents publics sont sous la menace de l’épu-ration sociale pratiquée par les Jacobins. Ils sont soumis à l’inspection d’un orga-nisme tiers – la société populaire – qui relaie le Comité de salut public. Le gouver-nement instaure donc un intermédiaire local, auquel il accorde sa confiance et le dote du pouvoir de dénonciation, car il est composé de patriotes acquis au régime. « Il ne s’agit plus, comme dans les lois de décembre 1789, d’un contrôle de style administratif sur les actes des autorités locales mais d’une vigilance pesant sur les personnes et leur comportement172. »

Les lois révolutionnaires investissent les sociétés populaires, à partir de sep-tembre 1793, d’une mission de surveillance des administrations élues. « Les sociétés populaires sont posées comme des sentinelles auprès des autorités constituées pour les surveiller » proclame le décret du 3 nivôse173. Sans les autoriser à écarter elles-mêmes les administrateurs, dont la destitution incombe aux représentants en mis-sion ou au Comité de salut public, les sociétés populaires complètent néanmoins la liste des organes révolutionnaires dotés de compétences légales. Et peu après une compilation de lois révolutionnaires à leur attention était préparée, comme nous l’avons évoquée précédemment. Les compilateurs prolongeaient ainsi leur travail commencé avec le code des comités de surveillance et révolutionnaire après le 14 frimaire : recenser, pour les organes révolutionnaires, les lois révolutionnaires qui les missionnent pour éliminer les ennemis.

168 Décret du 13 septembre 1793 relatif aux agents infidèles et particulièrement ceux employés à la suite des armées (Baudouin, t. 41, p. 151 ; Duvergier, t. 6, p. 166 ; Supplément au code des comités de surveillance et révolutionnaires, p. 2 ; Projet de code révolutionnaire, chap. 5, sect. 8). 169 Ibid. 170 J. BOUDON, Les Jacobins, op. cit., p. 355. 171 C.H. CHURCH, Revolution and red tape. The french directorial bureaucracy. 1770–1850, Oxford, Clarendon Press, 1981, p. 9. 172 G. SAUTEL, « Centralisation et décentralisation », in L’administration de la France sous la ré-volution, Paris, Droz, 1992, p. 61. 173 Décret du 3 nivôse an II (23 décembre 1793) concernant les membres des comités de surveil-lance, relativement aux certificats de civisme (Baudouin, t. 38, p. 26 ; Supplément au code des co-mités de surveillance et révolutionnaires, p. 30).

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CONCLUSION

Les compilations post-14 frimaire permettent d’inventorier les lois révolution-naires et les critères de distinction permettent de circonscrire les sous-ensembles de ce vaste corpus. Mais on n’a toujours pas de définition juridique de ce dernier. Tentons, pour terminer, de rattacher ces 475 textes à un objet du droit.

Julien Boudon y a vu un ordre juridique, qu’il perçoit dès le 27 mars 1793 lorsque Robespierre distingue les lois révolutionnaires des lois ordinaires, et qui est installé formellement par le décret du 10 octobre déclarant le gouvernement révolution-naire174. Cet ordre juridique se caractérise par un gouvernement délié des règles constitutionnelles, une administration transformée puisque « tous les fonction-naires sont placés sous les ordres du Comité de salut public » et une organisation judiciaire qui met en œuvre la Terreur175 . Cet ordre révolutionnaire remplace « l’ordre constitutionnel ou civil176 » et « apparaît comme le dépôt temporaire et exceptionnel de la souveraineté confié à une Convention177 ». Ce caractère tempo-raire de l’ordre révolutionnaire l’assimile finalement, dans cette proposition de Ju-lien Boudon, au gouvernement révolutionnaire et l’éloigne de la conception de Hans Kelsen. Le juriste autrichien définissait par le truchement de l’ordre révolu-tionnaire une révolution, perçue comme un phénomène mettant en cause « l’exis-tence globale de l’ordre juridique […] annulé et remplacé par un nouvel ordre de façon illégitime178 ». Les lois révolutionnaires, appliquées par un gouvernement temporaire, ne fondent pas un « nouvel ordre ». La définition de l’ordre juridique de Santi Romano, qui repose plus sur l’institution que sur les normes qui en éma-nent, correspondrait mieux aux lois révolutionnaires. L’ordre juridique du juriste italien rassemble « les mécanismes et engrenages multiples, les rapports d’autorité et de force qui créent, modifient, appliquent, font respecter les normes juridiques sans s’identifier à celles-ci179 ». On peut aisément rattacher les Comités de salut public et de sûreté générale, voire les représentants en mission, plus ou moins sou-mis à la Convention, à cette notion d’institution. Le concept de relevance juridique, qui permet de penser les rapports d’un ordre à un autre ordre180, semble pareille-ment séduisant pour analyser la coexistence des deux légalités du décret du 14 fri-maire. Mais Santi Romano considérait la Révolution française comme l’origine de l’« organisation étatique181 » et le patient travail de la Convention pour situer les

174 J. BOUDON, Les Jacobins, op. cit., p. 205. 175 Ibid., p. 208. 176 Ibid., p. 206. 177 Ibid., p. 209. 178 H. KELSEN, Théorie générale du droit et de l’État, trad. fr. B. Laroche et V. Faure, Paris, LGDJ, 1997, p. 171. 179 S. ROMANO, L’ordre juridique, trad. L. François et P. Gothot, Paris, Dalloz, 1975, p. 10. 180 On cite souvent les rapports entre l’ordre juridique interne et l’ordre juridique international. Mais le courant pluraliste invite à penser aussi les rapports (ou la coexistence) entre l’ordre juridique étatique et les autres organisations sociales produisant des normes : les provinces, les églises, les instances sportives, etc. 181 « L’État révolutionnaire [a poussé] à son paroxysme le principe fondateur de l’idée étatique, c’est-à-dire l’unicité et la personnification abstraite du pouvoir public » (D. SOLDINI, « Santi Ro-mano, penseur pluraliste et étatiste », Jus Politicum, no 14, juin 2015 [http://juspoliticum.com/ar-ticle/Santi-Romano-penseur-pluraliste-et-etatiste-933.html]).

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actes des représentants en mission, organe révolutionnaire-type, dans la hiérarchie des normes182, conduit à voir les conventionnels plutôt comme des monistes con-vaincus. Ces théories de l’ordre révolutionnaire semblent peu applicables à notre cas.

Plus modestement peut-on suggérer l’existence d’un ordre juridictionnel révo-lutionnaire ? Les décrets des 27 germinal183 et 19 floréal184 , qui centralisent la ré-pression au tribunal révolutionnaire, tous deux joints aux compilations révolution-naires, seraient l’équivalent de la loi des 16 et 24 août 1790. Les lois révolution-naires mettraient peu à peu en place un droit, des institutions et une juridiction suprême couvrant l’ensemble du territoire, comme le remarque Jean-Louis Halpé-rin :

il se créait ainsi une seconde justice, fondée sur la Terreur et d’où était exclu le tribunal de cassation : au sommet de cette justice extraordinaire, le tribunal ré-volutionnaire de Paris, étendant sa compétence sur l’ensemble du territoire na-tional, méritait autant, sinon plus, que le tribunal de cassation, le titre de premier tribunal de la République185.

C’est ainsi, on l’a vu, que le conventionnel Duhem décrivait la loi révolutionnaire : celle qui est interprétée par le tribunal révolutionnaire186 et appliquée par les or-ganes révolutionnaires. Certes, le décret du 14 frimaire n’institue aucune juridic-tion suprême au sommet de la pyramide révolutionnaire mais aucun tribunal n’est cité dans cette constitution provisoire. On peut donc voir deux ordres juridiction-nels dans cette « double circulation de la loi187 » : comités de gouvernement – dis-trict – comités de surveillance (et municipalités) pour la justice révolutionnaire ; conseil exécutif provisoire – départements – districts pour les lois ordinaires inter-prétées par les tribunaux communs. On relèvera la dualité juridictionnelle des di-rectoires de district, qui ne ruine pas l’interprétation : les forces de police contem-poraines relèvent ainsi alternativement de l’ordre juridictionnel administratif lorsqu’elles assurent l’ordre public et des juridictions judiciaires lorsqu’elles assu-rent la répression d’une infraction188. Mais la séparation ordre juridictionnel révo-lutionnaire–ordre juridictionnel ordinaire n’est pas aussi nette que celle des 16 et 24 août. En effet, une partie du contentieux révolutionnaire reste jugée par les

182 Voir, supra, les décrets relatifs aux représentants en mission retenus par le Projet de code révolutionnaire. 183 Deux décrets sont votés le 27 germinal (16 avril 1794) à propos de la « répression des conspi-rateurs, l’éloignement des nobles et la police générale de la République » mais c’est le premier qui exige de traduire « de tous les points de la République, au tribunal révolutionnaire » les contre-révolutionnaires (Baudouin t. 49, p. 203-206 ; Duvergier, t. 7, p. 142-143 ; Supplément au code des comités de surveillance et révolutionnaires, p. 71-72). 184 Décret du 19 floréal an II (8 mai 1794) qui règle la compétence du tribunal révolutionnaire de Paris et des tribunaux criminels de département (Baudouin, t. 49., p. 122-123 ; Duvergier, t. 7, p. 159-160 ; Supplément au code des comités de surveillance et révolutionnaires, p. 83-84). 185 J.-L. HALPÉRIN, Le tribunal de cassation et les pouvoirs sous la révolution (1790–1799), Paris, LGDJ, 1987, p. 143. 186 Voir, supra, les décrets contre les royalistes. 187 M. BIARD et M. LINTON, Terreur !, op.cit., p. 96. 188 C.E., sect., 11 mai 1951, Consorts Baud ; T.C., 7 juin 1951, Dame Noualek.

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tribunaux criminels de département, comme la collaboration avec l’ennemi (con-duisant à la mise hors de la loi) ou l’émigration (rentrée)189. Et, évidemment, aucun degré de juridiction ne hiérarchise la procédure révolutionnaire, comme le défen-dait le député Julien de Toulouse190.

Un troisième objet du droit, l’état d’exception, est un outil habituel du juriste qui se penche sur les crises mais le corpus des lois révolutionnaires n’obéit à aucun de ses aspects connus. La législation d’exception pourrait a priori correspondre : un « droit spécial permanent pour les temps extraordinaires191 » pour Pierre-Clément Frier, « une légalité des périodes exceptionnelles [à côté] d’autres règles : deux dis-positifs de même valeur juridique coexistent192 » selon François Saint-Bonnet. Mais la législation d’exception est une anticipation, par le constituant (qui rédige en 1958 l’article 16) ou le législateur (qui organise en 1849 l’état de siège), d’une crise à venir qui nécessitera de malmener la légalité normale. Or, si les conventionnels ne ces-sent d’invoquer les circonstances pour justifier le vote des lois révolutionnaires, c’est pour précipiter leur application. Ce corpus n’a rien de préparatoire. Et ces lois ne sont jamais rattachées à la constitution en préparation mais sont, au contraire, encadrées par le décret du 14 frimaire qui pérennise la situation de crise. C’est pourquoi Robespierre, dans son discours explicatif du 5 décembre 1793, cherche à « exposer en quoi consiste l’ordre nouveau, pour que les illégalités apparentes soient vues comme des légalités révolutionnaires193 ». François Saint-Bonnet a bien décrit le détournement de l’état d’exception par les conventionnels : il ne sert plus à sauvegarder l’État en cas de crise mais à créer un régime nouveau en éliminant ses ennemis. L’auteur estime par conséquent qu’il vaut mieux appréhender les jus-tifications jacobines par la dictature souveraine de Carl Schmitt194 : la Convention exerce un pouvoir constituant en cumulant les pouvoirs du dictateur (qui dispose, depuis la République romaine, des moyens exceptionnels) et du législateur rous-seauiste (qui entend fonder un ordre nouveau). Michel Biard relit également Carl Schmitt pour se demander si cette dictature souveraine ne s’incarne pas dans les deux comités de gouvernement et les représentants en mission195. Il répond par la négative, « puisque lois “ordinaires” et “révolutionnaires” coexistent » et que cette coexistence est même cristallisée dans le décret du 14 frimaire. Les mesures ex-traordinaires ne sont pas votées pour remplacer un régime précédent196. La coexis-tence de deux blocs législatifs ne se subsume pas sous l’état d’exception.

Enfin la codification, catégorie bien connue des juristes, ne trouve pas dans les lois révolutionnaires son meilleur exemple. Certes, il s’agit d’un corpus cohérent

189 Décret du 19 floréal an II (8 mai 1794) qui règle la compétence du tribunal révolutionnaire de Paris et des tribunaux criminels de département, op. cit., art. 4 et 5. 190 Voir supra les lois révolutionnaires administratives. Julien de Toulouse rappelait, lors du dé-bat relatif au tribunal criminel extraordinaire, la procédure devant le tribunal du 17 août. 191 P.-C. FRIER, « Les législations d’exception », Pouvoirs, no 10, Les pouvoirs de crise, sept. 1979, p. 21. 192 F. SAINT-BONNET, L’état d’exception, Paris, PUF, 2001, p. 25. 193 Ibid., p. 305. 194 Ibid., p. 311. 195 M. BIARD et M. LINTON, Terreur !, op.cit., p. 97. 196 Ibid., p. 96 (emphase d’origine).

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d’un point de vue normatif (elle ne comprend que des décrets votés par la repré-sentation nationale197), à droit constant198 et officiel (Rondonneau a, certes, démis-sionné du Ministère de la justice en mars 1793199 mais il agit pour le compte de la commission de classification des lois de la Convention200). Cependant la distribu-tion des lois révolutionnaires dans trois compilations les empêche de bénéficier du principal apport du code : l’unification d’une matière juridique dans un seul recueil. Cette unification est en effet, selon Remy Cabrillac, l’explication de la « réappari-tion du terme de code201 » au XVIe siècle : « les auteurs aspirent à une seule loi, une seule compilation, une seule coutume, un seul volume202 ». Or ce droit dérogatoire est éparpillé dans trois compilations thématiques, conçues pour des usages diffé-rents. On pourra objecter que l’exemple-type du codex du droit romain, le corpus juris civilis de Justinien de 528 était également un regroupement de quatre ouvrages à visées différentes. Mais on ne pourra nier que la seule façon de répertorier au-jourd’hui les lois révolutionnaires est de commencer par reconstituer le puzzle. Le « mode opératoire » habituel de confection d’un code, rappelé par Laurent Kon-dratuk203 (qui préfère appeler ce dernier « systématisation juridique », terme plus approprié pour les codifications révolutionnaires), est par conséquent différent. « L’anonymisation auctoriale et normative204 » du Projet de code révolutionnaire cache un « signataire », qui aurait été la Convention si elle avait suivi le pro-gramme de Cambacérès, un « censeur », qui a été la commission de classification des lois, et un « rédacteur », ici Louis Rondonneau, assisté de « collaborateurs », en l’occurrence ses agents du Dépôt des lois. Ce mode opératoire est différent du Code des comités de surveillance, confectionné initialement au ministère de l’inté-rieur puis repris par la Commission de l’envoi des lois205 et de celui du Code des émigrés, « seul code en matière de législation civile qui ait jamais vu le jour sous la Convention206 » qui regroupe les décrets de la Législative et de la Convention.

Cet ensemble de décrets étant, par certains aspects, assez disparate et, on l’a vu, difficilement interprétable en droit, on peut donc se demander s’il y a bien une unité derrière cette diversité. La question, qu’on abordera pour conclure cette pré-

197 Il faut néanmoins relever l’exception constituée par les 22 arrêtés du Comité de salut public, adoptés entre le 27 germinal et le 8 floréal an II, insérés ensemble dans le Supplément au code des comités de surveillance et révolutionnaires pour l’application des deux décrets des 27 et 28 germi-nal sur l’expulsion des « ex-nobles » qui posa aussitôt de très grandes difficultés d’application, narrées par Couthon à la Convention. Séance du 29 germinal an II (Archives parlementaires, t. LXXXIX, p. 28 ; Supplément au code des comités de surveillance et révolutionnaires, p. 75). 198 Les très rares distorsions d’avec le texte voté sont en fait des erreurs : erreur de date le plus souvent, erreur lexicale parfois dans le Projet de code révolutionnaire, resté à l’état manuscrit. 199 Notice d’autorité, « Louis Rondonneau (1759-1834) », art. cité. 200 Voir A. JOURDAN, « La Convention ou l’empire des lois », art. cité, § 23. 201 R. CABRILLAC, Les codifications, Paris, PUF, p. 2019 [2002], p. 57. 202 Ibid., p. 58. 203 L. KONDRATUK, « La réception d’un texte en histoire du droit : théorie littéraire et systémati-sations juridiques », art. cité. 204 Ibid., p. 6. 205 Voir supra la confection du Code des comités de surveillance et révolutionnaire (début de la première partie). 206 A. SIMONIN, Le déshonneur dans la République, op. cit., p. 316.

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sentation, est donc celle de la cohérence. Qu’est ce qui fait l’unité des lois révolu-tionnaires ? La réponse est probablement celle qui a introduit notre étude : la Ter-reur. La préhension des lois révolutionnaires dépend de l’image qu’on se fait de la Terreur. Celle-ci étant le sujet de controverses historiographiques, les lois révolu-tionnaires sont subséquemment vues comme un ensemble cohérent ou une succes-sion de textes hétéroclites. Pourtant il semble qu’elles peuvent s’articuler avec les différentes lectures de la Terreur existantes.

Si on retient l’interprétation la plus élémentaire, celle d’une période de la Révo-lution française, on remarque que le corpus des lois révolutionnaires s’ajuste aux jalons souvent plantés. Gérard Sautel considère que la première loi révolutionnaire est celle des municipalités du 11 août 1792 qui étend, en ce lendemain de la journée du 10 août, les pouvoirs de rétention administrative et suscite la création, par les communes ou les sociétés populaires, des premiers comités de surveillance207. Et le dernier décret des compilations révolutionnaires est la loi de Prairial qui achève la réorganisation de la justice révolutionnaire entreprise par les décrets de Ventôse et qui sera la première à être rapportée, le 14 thermidor (1er août)208 . 11 août 1792–22 prairial an II : le segment temporel des lois révolutionnaires s’insère bien dans le bornage historique de la Terreur généralement posé.

Si on lit la Terreur comme un régime répressif, les lois révolutionnaires corres-pondent à ce niveau de lecture. Elles égrènent pendant un an les désignations suc-cessives d’ennemis, objets d’un premier ensemble de textes, pendant qu’elles essai-ment des institutions révolutionnaires, destinatrices d’un second ensemble de dé-crets. Et en septembre 1793, mois généralement retenu comme début de la Terreur judiciaire, les lois révolutionnaires confient à ces organes révolutionnaires la ré-pression dont ils étaient (en partie) exclus : les comités de surveillance reçoivent le mandat d’arrêt, le tribunal révolutionnaire est renforcé, les sociétés populaires dé-noncent les fonctionnaires et l’armée révolutionnaire poursuit les contre-révolu-tionnaires. Cette fusion des deux critères des lois révolutionnaires en un seul critère discriminant offre une définition juridique de la Terreur judiciaire : des lois pénales qui ne répriment pas une infraction mais l’appartenance à une catégorie d’ennemis et qui sont appliquées par des institutions composées de militants révolutionnaires.

Enfin la Terreur peut être considérée comme un « régime politique209 », termes utilisés ici dans le sens d’organisation des pouvoirs (sens plus restreint que celui de « système210 », mot que Saint-Just et Robespierre veillèrent à ne pas utiliser sauf

207 G. SAUTEL, « Police de sûreté générale et municipalités, en 1792 : genèse d’une loi révolution-naire », art. cité, p. 647. 208 Sur l’abolition de la loi de Prairial et l’exigence d’une intention criminelle dans la volonté thermidorienne de mieux définir « la place de l’élément moral dans la poursuite du crime poli-tique de contre-révolution », voir L. CHAVANETTE, Quatre-vingt-quinze. La Terreur en procès, Pa-ris, Éd. CNRS, 2020, p. 58-67. 209 C’est le terme retenu par Alphonse Aulard pour qualifier la Terreur et rejeter le « système » proposé par Taine. C’est aussi le terme qu’emploie Julien Boudon pour expliquer le refus, par Couthon le 14 frimaire, de « la nomination par le peuple » des administrateurs destitués. « Comme Robespierre, Couthon établit qu’il n’y a pas de moyen terme entre le régime consti-tutionnel et le régime révolutionnaire » (J. BOUDON, Les Jacobins, op. cit., p. 208). 210 Bronislaw Baczko rappelle que « l’expression système de la Terreur a été utilisée par Barère le lendemain de l’exécution de Robespierre » et qu’elle a suscité dans les jours suivants un débat que l’historiographie (présentée dans notre introduction) poursuit aujourd’hui : la Terreur comme « accident de parcours » dû aux circonstances ou comme « système de pouvoir ». Le

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pour discréditer leurs adversaires afin de ne pas prêter le flanc aux reproches de dictature et de despotisme211). On l’a vu, Aulard préférait le terme « régime » à celui de « système » employé par Taine212. Les lois révolutionnaires peuvent cor-respondre à cette analyse, la plus controversée de l’historiographie, mais à la con-dition de leur donner une valeur juridique supérieure à celle d’actes du Législatif, déjà hégémoniques en régime d’assemblée. Anne Simonin les rehausse ainsi au rang de « loi pénale-morale » dont les victimes, les « mauvais citoyens […], sont exclus de la communauté politique213 ». Elle remarque, à propos de la Première Terreur (qu’elle appelle la phase éthocratique de la Terreur, de mars 1793 aux dé-crets de Ventôse) que « cette emprise continue de la loi pénale est, dans l’imagi-naire politique révolutionnaire, absolument essentielle ». Elle cite Michael Jeis-mann : « la criminalisation de l’adversaire joue un rôle fondamental », confortant « l’image que les révolutionnaires avaient d’eux-mêmes, image qui soulignait tou-jours non seulement la légitimité mais aussi la légalité de la révolution214 ». L’his-torienne américaine Carla Hesse perçoit même la loi révolutionnaire comme un substitut à la constitution215 , cette fois à propos des décrets de septembre 1793. Alors

que l’effort pour instaurer un nouveau régime constitutionnel était repoussé vers un avenir indéterminé, il sembla aux députés de la Convention qu’il était de plus en plus nécessaire […] de réprimer ses ennemis […]. Les lois révolutionnaires contre la trahison et la conspiration cherchaient donc aussi à protéger les valeurs du nouveau peuple souverain, avant même d’avoir déterminé les institutions spé-cifiques dans lesquelles serait concrétisé ce « Souverain »216.

Ce régime politique de substitution confie à des institutions spécifiques – les or-ganes révolutionnaires animés par des patriotes purs – l’élimination des ennemis

rapport de Robert Lindet, présenté le jour de la quatrième sans-culottide (20 septembre 1794), rattache aux circonstances les erreurs commises : « Les mesures de sûreté générale avaient pris un caractère de force et de sévérité qui portait l’effroi dans l’âme des citoyens et qui privait la France de bras et de ressources ; les traîtres [les robespierristes] que vous avez punis en avaient changé l’objet et la direction ». Le 11 fructidor (28 août 1794) Baczko explique que « le discours de Tallien se présente comme l’amorce d’une réflexion sur la Terreur en tant que système de pouvoir, de ses mécanismes politiques […] : aucune référence aux événements précis de la Révo-lution qui expliqueraient l’avènement de la Terreur » (B. BACZKO, Comment sortir de la Terreur ? Thermidor et la Révolution, Paris, Gallimard, 1989, p. 70, 75 & 78, emphase d’origine). 211 H. LEUWERS, « Le gouvernement révolutionnaire est-il un despotisme ? Un débat politique en l’an II », in L’exception politique en révolution. Pensées et pratiques (1789–1917), Mont-Saint-Ai-gnan, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2019, p. 49. 212 Julien Boudon oppose pareillement le « régime » constitutionnel au « régime » révolution-naire lorsqu’il décrit l’ordre révolutionnaire (J. BOUDON, Les Jacobins, op. cit., p. 208). 213 A. SIMONIN, Le déshonneur dans la République, op. cit., p. 314. 214 Ibid. 215 « La loi révolutionnaire se présentait donc comme un ensemble de textes promulgués […] tandis que la forme constitutionnelle de la République restait à définir. Ceci donna lieu à un combat à la fois sémantique et militaire pour supprimer les ennemis d’un souverain encore in-déterminé » (C. HESSE, « La logique culturelle de la loi révolutionnaire », Annales. Histoire, Sciences sociales, 2002, no 4, § 15 [https://www.cairn.info/revue-annales-2002-4-page-915.htm]). 216 Ibid.

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et ainsi choisit qui est français. Il revient en effet « à cette minorité avancée pré-sente dans le peuple217 » d’appliquer ces « valeurs du nouveau peuple souverain » proclamées à la Convention.

« Criminalisation de l’adversaire », « répression des ennemis » : peut-on penser qu’en l’absence de constitution, les lois révolutionnaires établissent le régime poli-tique de la Terreur, formalisant l’élimination des contre-révolutionnaires218 dili-gentée par les comités de gouvernement ? L’introduction de Rondonneau219 à son Projet de code révolutionnaire suggère qu’il conférait à son travail une portée plus grande qu’une simple compilation juridique : « Le Code révolutionnaire est la direc-tion organisée de la foudre du peuple. Au moment de l’explosion il se sert de sa force et de son bras pour briser les trônes et renverser les tyrans. Cette victoire obtenue, il en cimente le succès par des lois pénales contre les ennemis de la liberté et par le supplice des conspirateurs220. » Le code révolutionnaire devait rassembler les lois contre les ennemis d’un peuple qui a renversé la monarchie mais qui n’a pas encore de régime politique stable. L’intention affichée excède la simple volonté codificatrice.

217 « Il y a donc une “phalange des Jacobins” qui, du sein du peuple, agit comme un corps orga-nisé, comme des “soldats” de la Vérité : comme une armée du peuple. À cette minorité avancée présente dans le peuple, correspond la minorité saine au sein de la Convention » (L. JAUME, Le discours jacobin et la démocratie, Paris, Fayard, 1989, p. 107). 218 « La Convention nationale […] fera triompher la République démocratique, et punira sans pitié tous ses ennemis. » (Décret du 1er floréal an II (20 avril 1794) ; Baudouin, t. 49, p. 9 ; Supplé-ment au code des comités de surveillance, p. 78). 219 A. Jourdan émet l’hypothèse que ce passage ait été rédigé par Billaud-Varenne (A. JOURDAN, « La Convention ou l’empire des lois », art. cité, § 26). 220 AN, D/XXXIX/9.

Jus Politicum no 26 (juillet 2021)

René Capitant (1901–1970) : À l’occasion du 50e anniversaire de sa mort

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Journée d’étude : René Capitant (1901–1970)

Olivier Beaud : Avant-propos Olivier Beaud : Hommage à une grande figure de la République et de l’Université Yōichi Higuchi : La théorie constitutionnelle du professeur René Capitant Benjamin Fargeaud : René Capitant, un intransigeant face à l’élaboration de la Constitution de 1946 Jean-Félix de Bujadoux : René Capitant, théoricien constitutionnel du Rassemblement du Peuple Français Nobuyuki Takahashi : René Capitant au Japon. Itinéraire d’un légiste de la Ve République au pays du Soleil

Levant Jean-Marie Denquin : L’interprétation de la Constitution de la Ve République par René Capitant Alain Laquièze : René Capitant, gaulliste de gauche Clément Gaubard : René Capitant et la participation : L’échec d’une ambition sociale

Varia

Camille Aynès : Le vote du « fou ». Citoyenneté et capacité à la lumière de la réforme du 23 mars 2019 Olivier Beaud : Préhistoire législative du délit d’offense en France. De l’offense au Roi à l’offense au président

de la République (1819–1875) Éric Buge, Mathieu Mugnier : Le rapporteur, clef de voûte de la délibération parlementaire Samuel Marlot : Les lois révolutionnaires. La systématisation de la Terreur (1793–1794) Richard Martial Mvogo Belibi : Covid-19 et décision publique en situation d’incertitude. Illustrations et

illusion de l’état d’exception en Afrique subsaharienne Suzie Navot : L’affaire Netanyahou. Un Premier Ministre accusé et plusieurs dilemmes constitutionnels non

résolus

Recensions

Manon Altwegg-Boussac : Un appel à la science face aux transformations politiques et sociales de son temps. G. Jellinek, Révision et mutation constitutionnelles (2018)

Renaud Baumert : B. Fargeaud, La doctrine constitutionnelle sous la Quatrième République (2020) Jean-Félix de Bujadoux : A. Le Divellec (dir.), La notion de constitution dans la doctrine constitutionnelle

de la Troisième République (2020) Jean-Marie Denquin : L. Morel, La question du référendum (2020) Jacky Hummel : O. Ferreira, Le constitutionnalisme octroyé. Itinéraire d’un inter-constitutionnalisme au

XIXe siècle (France, Portugal, Brésil) (2019)

Mémoires

Louis Chadefaux : La déchéance de nationalité : idéologie et droit Hippolyte Fierobe : La séparation des pouvoirs dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel