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Jusqu’à toi – Tome 3 – Aimée (J'ai lu Passion intense ...ekladata.com/.../Jusqua-toi-Tome-3-Aimee-J-J.pdf · J.L. MAC Aimée Jusqu’à toi – 3 Collection : Passion intense

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J.L.MAC

JUSQU’ÀTOI–3

Aimée

Traduitdel’anglais(États-Unis)parAnaïsGoacolou

J.L.MAC

Aimée

Jusqu’àtoi–3

Collection:PassionintenseMaisond’édition:J’ailu

Traduitdel’anglais(États-Unis)parAnaïsGoacolou

©J.L.Mac,2014Pourlatraductionfrançaise©ÉditionsJ’ailu,2016Dépôtlégal:décembre2015

ISBNnumérique:9782290085714ISBNdupdfweb:9782290085721

Lelivreaétéimprimésouslesréférences:ISBN:9782290087701

CompositionnumériqueréaliséeparFacompo

Présentationdel’éditeur:Pourlapremièrefoisdesavie,Joatoutpourêtreheureuse:ellepossèdesaproprelibrairie,elleafaitlapaixavecsonpasséetelleatrouvél’amour.Cetteréussite,elleladoitàl’énigmatiqueDamon,l’hommequiluiaappriscequ’étaitledésiretqu’elles’apprêted’ailleursàépouser.Pourtant,l’avenirdesoncoupleresteterriblementfragile.Eneffet, lorsqueJodécouvrelavéritésurlafamilledeDamon,quelui-mêmeignore,elleestterriblementbouleversée.Alorsqu’ellefrôleunbonheurtantespéré,est-elleprêteàtoutperdre,voireàbriserpourtoujoursceluiqu’elleaime?

Biographiedel’auteur:OriginaireduTexas,oùelleréside,J.L.Macestl’auteurderomancescontemporainesetérotiquesàlafoisgravesetsensuelles.LasérieJusqu’àtoienestleparfaitexemple.

Couverture:VictoriaDavies©TrevillionImages

©J.L.Mac,2014

Pourlatraductionfrançaise©ÉditionsJ’ailu,2016

DumêmeauteurauxÉditionsJ’ailu

JUSQU’ÀTOI

1–AltéréeN°109942–DélivréeN°11168

PourJoetDamon.Pourcequ’ilsreprésentent.

Pourcedontnousrêvonstous.

Sommaire

TitreCopyright

Biographiedel’auteur

DumêmeauteurauxÉditionsJ’ailu

Remerciements

PrologueBeverlyWynonaDavis,diteNoni17janvier1979

Chapitre1Jo–ReconstructionOctobre2012

Chapitre2Plénitude

Chapitre3Unpoidspartagé

Chapitre4Refuge

Chapitre5Réuniondefamille

Chapitre6Petitedouleur

Chapitre7L’heuredevérité

Chapitre8J’essaierai

Chapitre9Unbâtimentenfeu

Chapitre10Çaroule!

Chapitre11Encoreenmiettes

Chapitre12Couleurmorve

Chapitre13Urgence

Chapitre14Bébéland

Chapitre15Envies

Chapitre16Cauchemar

Chapitre17Libre

ÉpilogueTroismoisplustard

Remerciements

Paroùcommencer?Jepeineàcroirequ’ilyamoinsdedeuxansl’histoiredeJoetDamonsoitnéependantlesencombrementsdelacirculationenhautesaison.Enl’espaced’unan,jesuisdevenueuneauteurebest-seller,jemesuisfaitdesamisetj’enaiperduquelques-uns,j’aidivorcéetretrouvél’amour,j’aidéménagé,j’airi,j’ai–beaucoup–pleuré,maisjen’aijamaisétélivréeàmoi-mêmependanttoutecettepériode.

Tantdemembresdemafamille,amis,blogueursetlecteursontpartagécevoyagedefolieavecmoi.Jenepourraijamaisvousexprimerassezmagratitudepourvotresoutien,votrehonnêteté,votreenthousiasmeetvoscoupsdepiedauxfessesdetempsentemps–j’enavaisbesoin.

Avanttout,jedoisremerciermonéditricefree-lance,ErinRoth.Lavoixdelaraisonquandj’étaisirrationnelle.Mercid’avoirautanttravaillé,denerienavoirlâché,den’avoiracceptéquelemeilleurdemoi.Mercipourtescapacitésextraordinaires.Tuesunatoutinestimablepourmeslivres.Sanstoi,jeseraisperdue.

Jedoischanter les louangesdemonamieetgraphisteultra-douée,RobinHarper.Tontalent, tavisionettongoûtconcernantlescouverturesdemeslivressontsanspareils.Jenepeuxteremercierassezpourtontravailettesmotsgentils.J’aitoujoursuneaffectiontouteparticulièrepourtoi.

À Christine Estevez, reine des tournées des blogs et des cover reveals, tu es un modèled’efficacité. Je t’envie. Merci de t’être autant acharnée et montrée aussi volontaire pour chaquecouvertureàdévoileretchaquetournéedesblogs.Jemettraitoujoursmeslivresentretesmainspourlapromotion,entouteconfiance.Aunomdetouslesauteurspourquitutravailles,merci.

HeatherHalloran!Machèreamieetblogueuse,tum’enapprendschaquejourunpeuplussurlarésilience.Tuasunœilexceptionnelpourrepérerunehistoirequitientlaroute,ainsiquelecrandedire quand c’estmauvais.Merci d’être toi,merci pour les insultes régulières quime font sourire,mêmequandjen’enaipasenvie.Jet’adore.

AngelaMcLaurin,monamieduSud,maquettiste talentueuse!Merciderendremeslivresaussijolis!Tueslaseulemaquettisteàquijepuisseconfiermesœuvres.Unevraiefée.Jesaisqu’avectoidansmonarsenaldeprofessionnelsdel’édition,jesuisentredebonnesmains.

Jedois remerciermonagent,MarisaCorvisiero,pour son instinct exceptionnel.Mercid’avoircruenmeslivres.Taténacitéettonambitionferaientdesenvieux.Mercid’avoirtravaillépourquelemondepuisseavoirl’occasiondecroisermestextes.

Si étrange que cela puisse paraître, je dois remercier la vie d’être tellement imprévisible etcomplètement impossible. Ce n’est que par l’échec que j’apprends à apprécier la vraie saveur dusuccès.

Mes remerciementsvont aussi àmesenfants, àma famille et àmonmari.Vous supportezmesfoliesauquotidien,cequeriennepeutexpliquer,àpartvotreamourpourmoi.

Enfin, je veux remerciermes lecteurs de s’intéresser auxhistoires que j’invente.C’est grâce àvousquemespersonnagesprennentvie.

Prologue

BeverlyWynonaDavis,diteNoni17janvier1979

J’aiessayé.J’aivraimentessayé.Jecroyaisqu’ilmedistrairaitdemavieetj’espéraisluisuffire,maisjemetrompais.J’étaisnaïve.Jedoisl’êtreencore,d’ailleurs.

Mesparentsmetueraients’ilssavaientcequejesuisdevenueàLasVegas.Quandjeleuraiditquejerêvaisd’êtreshowgirl,ilsm’ontfaittaireetn’ontpasvouluenentendreparler.Pourunefamilledelacampagne,trèsattachéeàlareligion,mesaspirationsétaientimpensables.Aprèstoutescesannéesdecoursdedanse,jecomptaismedéhancheràdeminue,alorsquej’étaiscapabled’ouvrirmonécoleet d’enseigner cette discipline à des enfants de cinq ans à Pétaouchnok, au fin fond du Kansas ?Ridicule,àleursyeux.Pourtant,cen’étaitpascequejedésirais.Chezcesshowgirls,dansleurdansesensuelle,jenepercevaisquel’aspectglamour.Jevoyaisdesfemmesquiirradiaientd’assurance.Jevoulaisdevenirl’uned’elles.Leurexpérience,leurvie,toutmefascinaitchezelles.Resteràlaferme,ç’auraitétélemoyenleplussûrdemeretrouverl’époused’unquelconqueagriculteuretdemeneruneexistenced’unennuiabsolu.J’auraisprobablementeuquelquesenfantsetrienàraconter.Aucuneaventureàrevivre.Àquatre-vingtsans,assisedansunfauteuilsurmaterrasse,jemeseraisdemandépourquoijen’avaispastentéletoutpourletout.Jenevoulaispasavoirderegrets.Jesavaisquejedevaistâcherderéalisermonrêve,mêmesijerisquaisd’ylaisserdesplumes.

Je n’avais rien prévu pour l’avenir. J’avais des objectifs. Je ne m’attendais pas à Edward, etcertainementpasàDamon.Jen’auraisjamaiscrudevoirprendrecegenrededécision.

Je l’aime, malgré tout. Je l’ai aimé depuis le moment où la sage-femmeme l’a tendu : monmagnifiquegarçon…Maisl’obscuritéqu’ilmerappelleestinsupportable.Jesuistrèssoulagéequ’ilressembleàmonpère,parcequesisestraitsétaientceuxd’Edward,jelemépriserais,j’enaipeur.Jemedétestedepenserça,maisjenesuispasprêteàaffrontercequis’estpassé.Jenepeuxpasassumercesresponsabilités.Pasencore.Peut-êtrejamais.C’estl’unedesraisonspourlesquellesjesaisquejedoisfaireça.Jedoisluidonnerunechance.

Lamèred’Edwardmesembleêtreunedametrèsgentille.Bernice,elles’appelle.Mêmesijenesaispasgrand-chosed’elle,elles’estmontréed’unsoutiensansfaille.Elles’estassuréequej’avaisleporte-monnaieetl’estomacremplis,etelleatrouvéunmédecinpourm’accoucher.Jen’aijamaiseul’impressionqu’ellemejugeait.Ellen’aposéaucunequestion,etjeneluiairienexpliqué.Elleétaitdisposéeà s’occuperdemoi ; je suis sûrequ’elle seraprêteàprendreenchargemon fils. Je suiscertainequ’ellel’aimera.Inutilequ’ellesachelepourquoiducomment.Ilfautjustequ’elleveillesurlui,qu’elleleprotègedumondeetleregardedevenirunhommebon.Attentionné.Unhommecommemonpère.J’espèrequ’ilnemedétesterapasdel’avoirabandonné.Sijelegarde,iln’aaucunechancedes’ensortirdanslavie.JesuisjusteunepauvrefilleduKansas,bêteetfoutue.Jesuishorsservice.

Jen’ai rienàoffrir àmonbébé.Damonabesoindemieuxquemoi.Çamebrisera le cœur,maisj’acceptelesremords,àpartirdumomentoùilatoutcequejenepeuxluidonner.

Jecontemplel’angeauxcheveuxbrunsdansmesbras,meslarmesmouillantsagrenouillèreencoton.Ilserresaminusculemainautourdemondoigt,etc’estpresquecommes’ilmeconsolait.Celanefaitqueredoublermessanglots.

—Jesuisvraimentdésolée.Aprèscegeignement,jelesoulèvepourdéposerunbaisersursonfront.Ilestpossiblequ’ilne

comprennejamais,maisjecroiselesdoigtspourqu’ilacceptecequejedoisfaire.Peut-êtrequ’unjour,moiaussi,j’accepterai.

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Jo–ReconstructionOctobre2012

Ilyadesmois,le8juin,jeregardaismonrefletdanslemiroirdelasalledebains,enmedisantquecettejournéeallaitêtrehorrible.Merendreaucimetièrepourl’anniversairedelamortdemesparents, c’était commeme traîner à l’abattoir tous les ans. Si j’avais su que c’était le jour où jerencontreraisl’amourdemavie–pourladeuxièmefois–j’auraiscourupourmerendreautravailenavanceetj’auraispeut-êtreconsacréunpeuplusdetempsàmecoifferetmemaquiller.

Ilaenvahimonexistencecommelerayondesoleilquil’asuividanslalibrairiecematin-là,etdepuiscejour,jesuisàlui.Jelesuisdepuistoujours,enfait,commesij’yétaisprédestinée.Commesijenedisposaismêmepasdemoipourmedonneràquelqu’und’autre.

AvecDamon, je ne suis pas tombée amoureuse. Je n’ai été ni éblouie ni persuadée de l’aimer.Non,ilasimplementdébarquédansmavie,m’aprislamainetjemesuisimprégnéedelui.Notreamourinconditionneln’estqu’uneffetsecondairedenotrelienextrêmementfort.C’estinvolontaire.Je n’ai pas eu besoin d’essayer ou de m’imaginer avec lui pour le restant de mes jours. Dès lemomentoùilaeffleurémesdoigts,c’estdevenuclair.Unseulregarddanssesyeuxd’ambreasuffipour que je sache à quoi j’étais destinée. Dès ce moment, j’ai été sienne. Être à Damon, ça nereprésentaitpasunenouvelleaventureouundevoir.C’étaitcommerentrerchezmoi,dansunendroitdontjen’avaisjamaissuqu’ilm’attendait.Jedécouvraisnotrelien,quiachangémavie.

Jenesuispasdugenreàcroireauxcontesdeféesàlanoix,maisj’aifoiencequiesttangible.CequejevisavecmonGrandMec,c’estduréel.C’estbrut,etsipuissantquej’enaiétésecouéedelatêteauxpieds,laisséetoutenueetprêteàmereconstruire.Ilyaquatremois,ilestentrédansmavieetjenesavaispasdutoutcequel’avenirmeréservait.AvantDamon,j’étaisseule,danstouslessensdu terme.Nousavons tous lesdeuxacceptédeprendredes risquespourdonnerunechanceàcetterelation.Pourmoi,déjà,lecoupleétaitunterritoireinexploré,maisj’étaisprêteàleparcouriravecDamon.J’étaispeut-êtreamochéeparlavie,maisçavalaitlecoup.Étantdonnénospassésrespectifs,emplis de deuils et de déceptions, cette tentative s’est révélée encore plus difficile que je nel’imaginais.

MonGrandMeca tant subide lapartd’unpèrequiétalait augrand jour sonméprispour sonproprefils…EdwardatoutfaitpourpunirDamonàlamoindreoccasion.Illuiafaitentrertellementd’insultesdanslecrânequesonpauvrefilsenvenaitàsecroireresponsabledufaitquesamèrel’aitabandonné,d’unaccidentdevoiturequin’étaitpassafauteetdemonadolescencepasséedanslarue.Mon amour a une façon de se focaliser sur les aspects négatifs de notre passé. Pour ma part, jesouhaiteraisqu’ilpuissecomprendreàquelpointilestprécieuxpourmoi,etqu’ilm’asauvée.

C’estDamonquiadétectél’importancequ’avaitàmesyeuxlalibrairiequim’apermisdesortirde la rue ilyaseptans,etqui l’a rachetéepour luiéviter la faillite. Ilétait làquand j’ai trouvé leCapitaineparterrechezlui.Ilétaitprésentàl’hôpitalquandj’aiditadieuàl’hommequifutunsecondpèrepourmoi.LeCapitaineétaitunvieuxgrincheux,maisc’étaitmonvieuxgrincheuxàmoi,etlevoirpartirsurcelitmédicalisém’abrisélecœurquejenepensaispasposséder.Damonaprissoinde moi pendant mon deuil. La brûlure initiale s’est estompée, mais c’est toujours douloureux depenseràmonancienpatron,etDamonm’aideàtraversertoutça,commeill’atoujoursfait.

Découvrir que Damon a porté ce fardeau de culpabilité pendant toutes ces années n’a faitqu’adoucirmon cœur de pierre. Je ne crois pas un homme qui a tant accompli pourmoi et pourGramzresponsabledel’accidentdevoiturequiatuédeuxpersonnesetbousillélaviededeuxautres.Ilm’aimeetm’apaise,réfléchitsérieusementàcequ’ilyademieuxpourmoietmonavenir–autantde preuves qu’il n’est pas capable deme faire dumal. Je l’ai presque perdu à cause d’un tissu demensongesetdereproches,maisjerefusequ’ilsoitleseulàsepréoccuperdesautres.Ilm’asortiedelavoitureenmiettes,maisjel’aitirédesonpropreabîmedeculpabilité.Edwards’esttrompé.Iln’auraitjamaisdûfaireporterlechapeauàsonfils.J’aieutortaussi.Jen’auraisjamaisdûlequitterquandj’aicomprisquec’étaientnoshistoiresmêléesquimedonnaientcesentimentdel’avoirdéjàrencontré.J’auraisdûlelaissers’expliquer.Enguisedepunition,j’aibienfaillileperdre.SubirdessemainesencompagniedeDamonversionzombie,ç’aétédifficile.J’aieuenvied’abandonnerdesmilliersdefois,maisjamaisjen’aipum’yrésoudre.Jemesuisraccrochéeàmonentêtement,cettebouéedesauvetage,etçaapayé.Jel’airamenédecetteprisondeculpabilitéoùils’étaitenfermé.

Nousavonsparcouruuncheminextraordinaireentrèspeudetemps,maisjenemesuisjamaissentieaussisûredequelquechose.Jen’aijamaisétésiheureusequ’ilyatroissemaines,lejouroùilm’afaitvisiterlamaisonqu’ilcomptepartageravecmoi.Là,dansnotrenouveauchez-nous,ilm’ademandéde l’épouser.D’être sa femme!Pour toujours !L’inscriptionà l’intérieurde labaguedefiançaillesm’aconquise :Moncœurestavec toi1.Unepartiedecequepapaavait faitgraverpourmaman,dansunebelleécritureélégante,qui symbolise tantdepromessespournosannéesàvenirensemble.Damon savait combien l’inscription signifierait pourmoi. Ilm’accepte telle que je suis.Avecmesdéfauts, tout ceque je lui rappellededouloureux…Sa simpleprésencemedonneenvied’êtremeilleure. Jen’ai jamaisautantvoulum’améliorer. Jen’avais jamaischerchéà luttercontremonpassé,quiestaussi lesien,autantquemaintenant.Mamotivationestgrande,belle,meurtrieetelleoccupemoncœur.Quelquesélémentsmineurssedressententrenousetnotreparfaitevieabîmée,maisjesuistoutàfaitprêteàaffronterlesdéfisquinousattendent,parceque,pourmoi,iln’yapasd’autrespossibilités.ToutserésumeàDamon.

Letéléphonesurl’oreille,jemediriged’unpasdécidéverslamaisonderetraitequi,bientôt,neserapluscelledeGramz.C’estaujourd’huiqu’elledéménageetjenesaispaslaquelledenousdeuxestlaplusenjoie.Ilm’afalluplusieursjourspourlalibérerdesonlogementettoutpréparerpourl’accueillir dans l’appartement indépendant qu’elle occupera sur notre terrain – je n’en revienstoujourspas!Ducoup,àlalibrairie,j’aitoutdéléguéàNoni.Elleparaîtimpatientedeplongerdanslamontagnedetravailquiseprésente,maisjesuisencoreunpeuinquièteàcesujet.Enentrantdanslebâtimentàlahâte,jedemandedanslecombiné:

—Tuessûrequetoutestenplace,avecl’artisan?—Oui,net’enfaispas.Jeprendraidesnotes,meprometNoni.—D’accord,mercidemeremplacer.—Pasdesouci.Onsevoitdemain?—Oui,jeviendrai.Et…aufait…

JefaissigneàLindaàl’accueil,enattendantqueNoniréagisse.Ellesaitcequejevaisdire.—Oui,Jo?—Onpourraparler,situveux,dis-je.Jefaisdemonmieuxpourl’encouragerdanslaperspectivedeladiscussionquinousattend.Ça

nem’enchantepas,alorsjemedoutebienque,desoncôté,ellenefrétillepasd’impatienceàl’idéequ’onévoquesonpassé.

—D’accord,marmonne-t-elle.C’est clairement difficile pour elle, et je n’imagine même pas comme ça doit être dur

d’abandonnersonpropreenfant,maisnousavonsquandmêmebesoindeparler.Revivrecetépisodevaexigerbeaucoupdecourage.Visiblement,elleestterroriséeetelleestbienendroitdel’être.Toutnous est tombé dessus très vite. Je devrais être habituée, remarquez : avec Damon, la réalité serappelletrèsrapidementànotrebonsouvenir.

D’ungestedupouce,jemetsfinàl’appeletjelâcheletéléphonedansmonsac,oùilatterritaufond,sansdouteentremontubedeglossetlalaissed’Hemingway.

SurmoncourttrajetverslachambredeGramz,jeregardelenouvelornementàmondoigt.C’estlamillièmefoisdepuislademandedeDamon,ilyaunesemaine,etjenem’enlassepas.Monœilestattirépar le scintillementdugrosdiamant et c’est commesi jene l’avais jamaisvuauparavant. Jesourisetmoncœursemetàbattreàunrythmejoyeux.C’estunedistractionbienvenueparrapportàl’autrenouveautédansmavie.

Nonietmoin’avonstoujourspaseul’occasiondeparlerducoupdefilquiatoutchangé,mêmesi nous sommes conscientes que c’est unenécessité.C’est encore difficile pourmoi de croire queNoni,monamie,estcellequiamisaumondemonGrandMec.Letravailetledéménagementonteulaprioritésurcetteconversationgênante,cequinousaarrangéestouteslesdeux.Jelaredouteet,aufonddemoi, j’ai l’impressionque si je repousse suffisamment cette révélation, ellevadisparaîtrecomme par magie. C’est du déni, ou de la bêtise, ou ce que vous voudrez, mais j’ai peur d’enapprendredavantagesurlepassésordidedeDamon.Peurdemesentirencorepluscoupabledeluiavoircachémarecherchedesamèrebiologique,quicomportedesérieuxrisques.MonGrandMecestencoursdeguérisonémotionnelleetmentaleàlasuitedudésastreprovoquéparnotrerupture.Encemoment,ilestencorefragile.Jeneveuxpasmettresoncœuràl’épreuve.L’idéequ’ilmedétesteparcequejemesuismêléedesesaffairesmedonnelanausée.Pourl’instant,jerestemuettecommeunecarpe.Maisçanedurerapas.LedocteurVersanvapouvoirs’éclateraveccettehistoire.Jen’aipashâtedevoirarrivercetteséance.

J’avancesivite,obnubiléeparmafollevie,que jemanquepresqueremarquer l’hommequisetrouve à quelquesmètres demoi, dans le couloir.Edward.La dernière personne que j’ai envie decroiseraujourd’hui.Savuemerendàlafoismaladeetencolère.Lapartieenrageaenviedesejetersurluidepleinfouet,équipéed’unearmemédiévale,etdeviserlatête.Avecunemasse,peut-être.Ouunebonnehache.Cen’estpasunerêverietrèsattirante,maisc’estmonressenti.

Jeralentislepasenapercevantundeuxièmevisagefamilier.Andy-les-doigts-d’or?QuiparleàEdward?Jenedevraissansdoutepas,maisjefoncedroitsureux.Andydirigesonregardversmoipar-dessus l’épaule deMonsieur SaleConnard et ilm’adresse ce sourire dragueur que je connaisbienmaintenant…etdont jenetiensaucuncompte.Edwardterminecequ’ilestentraindeluidiresansfairecasdemaprésence.Damonabiensignifiéàsonpèrequ’ilnedevaitcommuniqueravecmoisousaucunprétexte.Àcequejevois,iln’essaiepasdeprovoquerDamon.Sagedécision.Moinonplus,jenevoudraispassubirlecourrouxdemonGrandMec.Encoreuneraisonpourlaquellejecommenceàregretterdesavoircequejesais.

—Jem’ensuisdéjàoccupé,monsieurCole,déclareAndy.Surun signede tête àAndy,Edward sedétournepourpartir. Jepensaisqu’il allait écouter les

recommandationsappuyéesdeDamon,maisquandilcroisebrièvementmonregard,illanced’untoncalme:

—Bonjour,Joséphine.Iln’apasl’airprêtàseruersurmoi,maisunelueurdanssesyeuxmedégoûte.Jedevraismeretenir,maislaJoquimanielamassed’armeschargesansréfléchir:—Bonjour,monsieurConnard,dis-je,d’untontoutaussifroidquelesien.Jenepeuxm’empêcherdemeréjouirunpeuintérieurement.Malgrésamesquinerie,cetteinsulte

fait quandmême du bien. C’est tout ce qu’il mérite, ce salopard. À Andy-les-doigts-d’or, qui medévisage,mi-amusé,mi-choqué,jelance:

—Croyez-moi, il lemérite. (Avec un haussement d’épaules, j’oriente la conversation vers undomainemoins énervant.) Et voilà, vous n’aurez plus de réparations à faire chezGramz, à partird’aujourd’hui.

—Oui,ilparaît,répondAndy.Cesvisitesmemanqueront.Elleest…intéressante.Nous rions tous lesdeuxà cettedescriptionbienvaguedeGramz. Intéressante, c’estpeude le

dire!Commesionvenaitdel’appeler,Gramzarrive,véritablebouéedesauvetagedanslamersombre

quis’agitedansmatête.Ellearboresatenuefavorite:unjoggingbleuroietdestennisauxcouleursvives.Cen’estfranchementpasadapté,auvudesonactivitésportive,maisc’esttoutàfaitassortiàsonespriténergiqueetbrillant.J’adorecettevieillefolleetjenem’encachepas.Damonsaitcommenous sommes devenues proches depuis que je la connais. Qu’elle vienne s’installer chez nousreprésente beaucoup pour moi. Je suis ravie d’avoir à nouveau une vraie famille. Finis lesinnombrablesdéplacements à lamaisonde retraite.L’avoir toutprèsdenousnouspermettrade lasavoir en sécurité, et ce sont les deux personnes qui l’aiment le plus qui s’occuperont d’elle. Etsurtout,elleneseraplusencontactavecunpersonnelquines’intéressepasàsonbonheurouàsonbien-être.Lesemployésmerappellentceuxdel’orphelinat:ilsfontleurboulot,maisàpartça,ilsnesepréoccupentpasdesrésidents.

—Salut,laplusbelle!dis-jeenentrantdanssachambre.Ellese tourneversmoi,unsourireà l’imagedumien.Lajoiesursonvisagefaitgonflermon

cœuraupointqu’ilenéclateraitpresque.—Salut!Tuviensmedélivrer?—Exactement.Vousêtesprête,jevois.Des cartons bien empilés attendent d’être emportés par les déménageurs engagés par Brian,

l’assistantdeDamon.—Andyvousaaidéeunpetitpeu,ondirait?dis-jeavecunsouriresuggestif.—Alors,là,tunesaurasrien!répond-elleenagitantledoigt.Jenesuispasdugenreàfairedes

commentairessurmesgalants.Nousrionstouteslesdeuxdenotrejacassagehabituel.Encoreunechosedontjenemelasserai

jamais.DèsmapremièrerencontreavecGramz, j’aisuque je l’aimeraiset,heureusement,çaadûêtre réciproque, parce que notre lien a été instantané. Aussi immédiat qu’avec son petit-fils. Lapremière fois que j’ai croisé son regard bleu, j’ai compris que je pourrais trouver refuge auprèsd’elle.Pleinedevieetd’esprit,elleétaittoutcequ’ilmefallait.EncoreplusàprésentqueleCapitainen’estpluslà.

—QuefaitEdwardici?

Jejetteunœildanslecouloirpourguetters’ilrôdeencoredanslesparages.—Eddienem’apas renduvisitedepuisque tum’asmise au courantdu contenudes journaux

intimesdeDamon.Jen’aipasnonpluspuluiparlerdesfauxchèques.J’espèrequ’iln’avaitrienàvoiraveccetteaffaire,maisquisait?

L’humeurdeGramzs’assombrit,etnousbaissonstouteslesdeuxlesyeuxennoussouvenantdescahiers d’écolier qui ont révélé les années demaltraitance hideuse endurée parDamon en silence.Ellenem’ajamaisditsielleenaparléàEdward,maisapparemment,c’estlecas.Jenel’imaginepasgarderlesilenceaprèscequ’elleadécouvert,etellen’estvraimentpasdustyleàtournersalanguesept fois dans sa bouche. Encore un trait de personnalité qui nous rapproche. Quant aux chèquesfalsifiés, je suppose qu’elle reste sur lamême idée quemoi :Damon s’en occupe, point. Au fondd’elle-même,elledoitsavoirqu’Edwardestsansdouteaucœurduproblèmedel’argentvolé,maisc’est son fils, et malgré son tempérament destructeur, elle espère sans doute qu’il n’est pas leresponsable.

Damonne sait toujourspasque j’aidévoilé sonpassédouloureuxà sa sœurÉliseet àGramz.Nousavonsparlédesesjournauxentrenous,maisjem’ensuistenuelà.J’aiessayédetrouverlebonmomentpour luiexpliquer,mais ilnes’estpasprésenté.Cesderniersmois,Damonadégustéet jerefusedeluienfairesubirdavantage.Pastoutdesuite.Heureusement,ÉliseetGramzontbienvoulugarderlesilenceenattendantquej’arrangetoutçaaveclui.Lessecretsnedonnentriendebondansnotrerelationetpourtant, j’encachedeuxsusceptiblesdefaire tombermonGrandMecde toutesahauteur. Jene suispasbête, je saisqu’il semettra encolère en les apprenant. J’espère simplementqu’ilneserapasaussifâchéquejelecrains.

—Ah,soufflé-jedoucementenluitapotantlamain.Jeviensdelecroiserdanslecouloir.Jel’aitraitédeMonsieurConnard,alorsils’estpeut-êtreravisédevenir.

Jesourisdemaréactivité,maisçan’amusepasGramz.—Jo,neleprovoquepas,c’estcompris?Jesaisdepuislongtempsqu’Eddieestunmonstre,mais

jesuissamèreetj’essaiedevoircequ’ilyademieuxchezlui.Neréveillepaslechatquidort,tuvoiscequejeveuxdire?

Ellesecouelatête,laminedéfaite.Jemecontented’acquiescer.Laissonslesaloparddecôté.Onnepeutpasrevenirsurlepasséet

Damonetmoinousconstruisonsunevieoùiln’yapasdeplacepourcepoivrot.Gramzcontournelecartonàsespiedsetmefaitsignedelasuivredanslapartiesalon,oùnous

avons passé tant d’heures ensemble. Je la suis sans discuter et je vois une expression sérieuses’emparerdesonvisage,phénomèneaussirarequ’uneéclipsetotale.

— Jo, je veux que tu sois franche avecmoi. On ne rigole pas, décrète-t-elle en ponctuant cetavertissementd’undoigtlevé.

Aïe,jem’attendsaupire.EllenepeutpassavoirpourNoni.Personnen’estaucourant.Saufsielleatoujourssu?Non,c’estimpossible.Oualors…?

—Jesaisquetuasditmillefoisquetuvoulaisquejeviennevivrechezvous,maisilnefautpasquetutesentesobligée.

Jepousseunsoupirdesoulagementinaudible.Ouf,aucunrapport.Maparanoïanes’arrangepas.Jecommenceàsecouerlatêtepourprotestermais,quandj’ouvrelabouche,ellem’interrompt:

—Mapetite,jesuisvieilleetcroulante.JeneveuxpasreprésenterunfardeaupourtoietDamon.Jepeuxresterici.

—Gramz,vousn’êtespassiâgée!Vousêteslaplusjeunedesdamesauxcheveuxbleutésquejeconnaisse!

Jefaismined’ébouriffersachevelureargentée.Ellem’administreunetapesurlamainetplisselesyeux.

—Disdonc!Jen’aipaslaisséunélèvedel’écoledecoiffureneserait-cequ’effleurermoncrânedepuiscettehistoire.Etc’esttrèsbienparti,marmonne-t-elleentapotantsescourtesboucles.Jesuissérieuse,Jo.JesuisvieillecommeHérode.Jepeuxtrèsbienresterici.

— Si vous êtes vieille comme Hérode maintenant, vous vous comparerez à qui l’annéeprochaine?

Jem’efforced’expédiercetteconversationinutile.Elles’installeavecnous,onnereviendrapaslà-dessus.

—Ehbien,commeMathusalem,tiens!Etl’annéed’après,jeseraivieillecommelemonde.Sonsourirenousfaitéclaterderiretouteslesdeux,commed’habitude.—Allez,venez.C’estlemomentdevoirvotrenouvellemaison.JemerelèvepouremmenerGramzdanslefoyerquinousattendtouteslesdeux.Mapremièremaisondepuislamortdemesparents.LamaisonofferteparDamon.

1.Enfrançaisdansletexte.(N.d.T.)

2

PlénitudeToutlecheminjusqu’àlanouvellemaisonestuneépreuvepourmesnerfs.J’aienviequeGramz

aimeautantquemoicettenouvelledemeure.N’importequellepersonnedotéed’uncerveautrouveraitlapropriétéspectaculaire,maiscelan’empêcheenrienmonanxiété.Lamaisonenelle-mêmen’apasdevaleursiGramznes’ysentpasbien.

Je lui lance des coups d’œil depuis le volant de l’onéreuse camionnette que Damon a tenu àacheter.Depuis ledébutdu trajet,Gramzregarde lepaysagedéfilersansdireunmot,cequine luiressemblepas.Sonsilencenefaitqu’accroîtremoninquiétude,déjàpresqueàsonsummum.Jemegareendouceurdansl’alléeetcoupelecontact,avantdedemanderd’untonmalassuré:

—Prête?—Jenel’aijamaisautantété,répond-elledutacautac.J’attrape son déambulateur à l’arrière et je vais l’aider à descendre de voiture. Quand elle

commence à se déplacer, un grand sourire éclaire son visage. Je n’ai jamais été aussi contented’apercevoirsonhorribledentiergéantàdécouvert!Ellel’aime!Purée,lesoulagement!Jefondsd’extaseaussitôt.

—Sympa,lesquat!lance-t-elle,tranquille.Jehausselessourcilsàentendresonvocabulaire.Elleesttrop,cettegrand-mère.—Squat?—Jemetiensaucourantdulangagedesjeunesgénérations.Jen’endoutepas.Latélé,ç’aétésafenêtresurlemondedepuislamaisonderetraite.Sesyeux

s’illuminentsubitement,et jemeretournepourvérifiercequej’aidéjàcomprisdans lesouriredeGramz,celuiqu’elleréserveàuneseulepersonneaumonde.

—Damon,tuesvraimentfou.Elleme contourne pour se diriger versmonGrandMec, qui se tient sous l’auvent de l’entrée

principale,telundieugrec.Jen’aijamaisvuunhommeaussimagnifique.Quandjel’aperçois,quecesoitlapremièreoula

millième fois de la journée, c’est comme si je le découvrais. Des frissons parcourentmon corpstandisquejedétaillechacundesesatouts.Sataille.Sastature,sesmusclesdéliés.Sescheveuxbruns.Samâchoiredécidée,ombréed’unebarbedetroisjoursquej’adore.Lesmanchesdesabellechemiserelevées pour exposer des avant-bras vigoureux. Tout chez Damon Cole me laisse horsd’haleine,maislapalmerevientàsesyeux.«Persuasifs»seraitunadjectifbienfaiblepourdécriresesirisdorés.Ilssontcaptivants.Monregardrencontrelesienetjesensuneforcegravitationnellesiintensequ’elleestimpossibleàignorer.Mêmesijecherchaisàlacombattre,çaneserviraitàrien,

carcetteattractionquim’entraînedansl’orbitedeDamonannihiletoutdésirdesolitudequej’aipunourrirauparavant.Etpuisilyacesouriresubtil,quisuggèredavantage,quelquechosedesauvage,qui nous consume tous les deux. Un regard vers ces yeux, un coup d’œil à ce sourire, et je saisparfaitementauprèsdequiestmaplace.

Iln’amêmepasbesoindeparler.Safaçondem’observerm’entraînevers luiet j’atterrisdroitdanssesbras.

—Tuespartietroplongtemps,mesouffle-t-il.Jel’enlaceetposela jouecontresontorse.Gramzadmirelafaçadedelamaisonet jenepeux

m’empêcherdemetournerverselle,amusée.—Jecroispouvoiraffirmerqueçaluiplaît,dis-jeàDamon.Ildéposeuntendrebaiseràlaracinedemescheveux.—Jecroisquetuasraison.Allez,lerepasvousattend.Sontéléphonevibredanssapocheetillesortpouryrépondre.JemeretourneversGramz,qui

examinetoutendétailenmarmonnantdescommentairessurlacouleurdelapeintureetsurlesvolets.—Mike,j’espèrequetuasdebonnesnouvelles,lanceDamonavantdedisparaîtreàl’intérieurde

lamaison.C’est qui, ceMike ? Je n’en ai jamais entendu parler,mais ça n’a rien d’étonnant queDamon

travailleavecdesgensquejen’aijamaisvus.Ilintervientdansdenombreuxsecteurs,cequisignifiequ’ilfaitaffaireavecnombredepersonnes.C’estsûrementennuyeuxcommelapluie.JelelaisseàsesoccupationsetnetardepasplusàinstallerGramzdanssontoutnouveau«squat».

Quatreheuresplustard,aprèsundéjeunerdélicieux,unemillièmerediffusiondesCraquantesetunsachetentierdecacahuètesenrobéesdesucre,Gramzestchezelle.Prévenant,monGrandMecafacilitél’emménagementenfaisantentièrementmeublersonappartement,avecdesétagèresmuralesenmerisierpourcasertouslesbibelots,babiolesetautresbidules.Ilamêmefaitfairesonlit,avecdes draps au motif floral vieillot. Brian est parvenu à déposer tous les cartons pendant qu’onmangeait,melaissantainsitrèspeudebesogne.Ilyasimplementeuàdisposertouslespetitsobjetssur les planchettes et à ranger les vêtements. Les deux tiers du temps de déballage ont en fait étéconsacrésàbavarderetplaisanter.Gramzm’atoutracontéausujetdesonamourdejeunesseainsiqu’à propos de toute une série d’infractions que j’ai dû jurer de ne jamais révéler.Apparemment,c’étaitunsacrénuméro.Riendenouveau.C’estcequimeplaîtchezelle.

Lerestedemajournéeafiléàlavitessedel’éclair.AprèsavoiraidéGramzàs’installer,jel’ailaisséefaireconnaissanceavecsonnouvelenvironnementpendantquejepeaufinaisdesprojetspourlalibrairie.C’estbienaprèsledînerquejepasseluisouhaiterunebonnenuit.Jeregarderapidementsonagencement,puismetraîne,fatiguée,dansl’escalierpourretrouvernotresuitemaritaleàDamonetmoi.Lui,déjàdouchéethabillépourlanuit,ou,devrais-jedire,déshabillépourlanuit,estallongésurnotregigantesquelit.Ilneporteriend’autrequesonboxeralléchant,quimouledélicieusementchaque courbe de ses… atouts. Même quand il est détendu, la bosse formée par ses dimensionsconsidérablesestmanifeste, et jem’humecte les lèvres.Le tissuélastique lemet siparfaitementenvaleurquej’enaileboutdesdoigtsquimedémange.L’eaumevientàlaboucheàl’idéedesentirlegoûtveloutéetsalédemonhommesurmalangue.

Jem’arrêteàlaporteetprendsunmomentpourprofiterdelavue.Ilmeregardel’admireretlatensions’épaissitentrenous.

—Viensparlà.J’aibesoind’êtredansmafuturefemme,demande-t-ild’unevoixposée,garanteduplaisiràvenir.

Sansprononcerunmot, jeparcoursl’espacequinoussépare.Damonseredresseetramènelesjambescontreleborddulit,m’invitantàmetenirentresescuissesnuesetimposantes.Jem’exécuteensilence.Ilenroulelesdoigtsautourdesmienssurmeshanches,puislesglisselentementlelongdemesbras,pourarriveràmoncou.L’unedesesmainssecourbesurmanuquetandisquel’autremeprendlementon.Jesuisattiréeverslui,nosvisagesàquelquesmillimètresd’écart.Ilfermesesyeuxlourdsdedésir.Clairement,monGrandMecal’intentiondesavourerchaqueinstant.Demesavourer,moi.Ilprendsontempsparceque,commesouvent,c’estàcerythme-làqu’ilpréfèreprocéder.Meslèvressonttoutesprochesdessiennes,aupointquec’estdifficilederésister.J’aisentidescentainesdefoissabouchefermesurlamienne,maisjenem’enlasseraijamais.Sapoignesurmanuqueseresserreunpeu,pourm’empêcherdebouger.Celameprivedecequimefaitenvie,dansleseulbutd’attiser encore mon appétit de lui. Il me souhaite aussi pantelante que possible. Damon estcalculateur.Pourchaquechose,ilaunobjectifetunemanièredel’atteindre.Mêmeaulit.Samainsurmoiestunefaçonsubtiledemediriger.J’accepteavecbonheursoncontrôlesurmoncorps.

—Ilvavraimentfalloirquetuplanifiescemariage,mesouffle-t-ild’unevoixrauque.Jenesaispascombiendetempsjevaispouvoirteniravantquetusoismafemme.

Pasle tempsderépondreàcetaveu: jesuissoulevéeparsesbraspuissants.Enunmouvementfluide,jemeretrouvesurledos,toujoursvêtue,àl’exceptiondemespiedsnus.Damons’agenouilleentremesjambeslargementécartées.Ildéboutonnemonshort,endescendlabraguette,puisjerelèvelesfessesetilmelibèredemonshortetdemaculotteenunmêmegeste.Ensuite,ilpasseàmonpetithaut aux manches chauve-souris. Il relève le tissu doux, dévoilant un soutien-gorge de dentellecouleurchair.Unefoispassépar-dessusmatête,levêtementestjetéàterresansplusdeprécautions.En une fraction de seconde, Damon ôte également le soutien-gorge. Il se penche en avant, semaintenantenéquilibredupied.Ilpasseunemainderrièremongenouetsoulèveunejambeverssahanche.Unefoisqu’ilm’adisposéecommeillesouhaiteetquejesuisnueetprêteàlerecevoir,ilm’observe avec soin. Un non-dit brille dans ses yeux d’ambre. Ce n’est pas habituel, et cela medéstabiliseaussitôt. Ilaquelquechoseàmedire,maisaucunmotnefranchitses lèvres.Damon,cen’estpas legenred’hommeque l’onpeut forcer, fairechanter,pousserou inciterpar lamenaceàfairequoiquecesoit.Jemeretiensdeluiposerdesquestions,souhaitantqu’ilmeparlesansquej’aieàjouerlescurieuses.

Aprèsunlongmomentlesyeuxdanslesyeux,ilfinitpardemander:—Tusaisàquelpointjet’aime?J’opineduchef,serreplusétroitementmajambeautourdesahancheetespèrequ’ils’apprêteà

merévélercequiletracasse.—Et tusaisquejene laisserai jamaisrien t’arriver?enchaîne-t-ilavecdouceuretconviction,

sansmequitterduregard.Que,quoiqu’ilarrive,jeferain’importequoipourquetusoisheureuseethorsdedanger?

J’acquiesce encore, prenant soin de ne pas montrer ma confusion.Pourquoi me dit-il tout çamaintenant?Ilyaquelquechosequejenesaispas?

—Dis-le,Jo,mepresse-t-il.—Jelesais.—Parfait,chuchote-t-il,leslèvresdansmoncou.Jefermelespaupières,demanièreautomatique.Jemecambrevers luiafinquemesmamelons

érigéstouchentsontorsesculptural.Cedébutdecontactestloindemesatisfaireetmefaitdéborderde désir pour lui. J’utilise le peu demarge demanœuvre dont je dispose pour l’attirer àmoi. Jeresserreencorelajambeautourdeluipourqu’ildescendeversmoi.Jesensunsouriresurseslèvres

expertes.Jelaisseéchapperungémissementempresséet,avecl’aisancequedonnelapratique,ilôtesonboxer sanspeine. Il va céder àma supplique. Je suis des yeux samain jusqu’à son instrumentimpressionnant, qu’il caresse d’un long geste vers le bas, puis vers le haut.Le cœur battant à toutrompredansmapoitrine, j’entendsmarespirationdevenirdeplusenplussaccadée.Damondirigel’extrémitégonfléedesonpénisversmonclitorispalpitant.Lefrôlementlepluslégerquisoitmefaitvibrerd’envie.Jeleveux.J’aibesoinqu’ilm’emplisse.Ilmeregardeencoreunefois,puispositionnesonlargeglandsurmonouvertureluisante.Jem’immobiliseetmeprépareàlerecevoir.Celasuffitàmedistrairedusérieuxdelaconversationquejedoisavoirdemain.Sesyeuxplongentdanslesmiensaumomentoùils’enfonceprofondémentenmoi,cequimecoupelesouffle,leremplaçantparunesensationqueseulDamonColeestcapabledesusciterchezmoi.Laplénitude.

3

UnpoidspartagéLajournées’estécouléed’unefaçonétrangementmonotone;onseseraitcrudansEt l’homme

créalafemme.Nonis’estoccupéeennettoyant,rangeantetréorganisant,pendantquej’utilisaistousles prétextes possibles pourm’attarder dansmon bureau avecHemingway pour seule compagnie.Elle a pris des notes très précises pendantmon absence d’hier, et chaquePost-It détaillant tous lescoups de téléphone et les livraisons est collé à mon bureau. Je sais qu’elle est efficace, mais jejureraisquesoncompterenduécritminutieuxestliéàsonenviedem’éviter.Cettesituationdoitluipeserautantqu’àmoi,etçamedésolededevoirmeforcerpourluiparler.Jesuisrestéeterréedansmonantrepresquetoutelajournée,etj’aipasséunbonmomentàfeuilleterunmagazinedemariageachetéenfaisantmescourses.Unechoseestsûre,toutcequiestgrandtralalaettraditionnel,cen’estvraimentpasmontruc…Aïe,noussommesfiancésdepuistroissemainesseulement,etjesuisdéjàperduedanslemondedesrobesblanches!Jedevraisplutôtmeconcentrersurlalibrairie.Aucoursdumois dernier, un certain nombre d’artisans et de représentants sont venus et revenus, et il y acertainsjoursoùçasuffitàmefairetournerlatête.Unavantageàm’êtreplanquéeaujourd’hui,c’estquej’aipuabattreunebonnedosedeboulotadministratif.

Je n’ai jamais été aussimal à l’aise qu’en cemoment, avecNoni. J’essaie demarcher sur desœufsavecelle,maisj’aipeurdeprendrel’initiative.Etsijeproféraisunemaladresse,ouuneinsulteinvolontaire,etqu’elledémissionne? Ilnemeresteraitplusqu’àexpliqueràDamonpourquoimasuper employée a jeté l’éponge. J’aime beaucoupNoni – j’ai l’impression de la connaître depuistoujours–alorscetteinformationnouvellemefaitflipperàmort.D’autantplusquejedoislagarderpourmoi.

De temps en temps, je me retourne vers elle pour voir si elle paraît prête à dialoguer, maisjusqu’ici, riendutout.Zéro.Nada.Quedalle.Qu’est-cequejevaisfaire?Ilnefautpas lapousserdanssesretranchements.Pasvrai?Jeneveuxpas.Telleuneabeilleouvrière,elles’activesanscesse.Entouteautrecirconstance,jen’auraispasàmeplaindredesonzèle,maislà,unvéritablemalaises’installeentrenous.Jesuisconscientequ’ellem’éviteetellesedouteforcémentquejefaisdemême.

Encoreincréduledevantlapanadedanslaquellejemesuisfourrée,jem’écartedubureau.Déjàlesoir ! Est-ce qu’on va parler aujourd’hui ? Et si on ne le fait pas, toutes les journées vont-elless’écouler de lamême façon ? Si c’est ce quim’attend, je ne pense pas pouvoir le supporter trèslongtemps.Ilvafalloirquel’unedenousselance.Jenepeuxpascontinueràvivreaveclepoidsdecequej’aiappris,alorsqueNonifaitcommesijen’étaisaucourantderien.Ilnousfautdiscuter,etvite.

Allez,Jo,remue-toiunpeu!Jem’encouragetoutenallantfermerlaported’entréedumagasin.Au moment où je retourne le panneau, j’aperçois la clochette familière à la porte. Je souris ausouvenirdesjourssimplesoùiln’yavaitqueleCapitaineetmoiaugouvernaildubateauentraindecoulerqu’étaitnotrePresse-Livres.C’étaientdes joursnoirs, etpourtant, çamemanqueunpeu.Àl’époque,lavieétaitprévisible.Maintenant,toutestmagnifiqueetterrible.

J’aiunamourdansmavie,maisc’estaussilefilsdel’hommequiatuémesparents.J’aiLePresse-Livres,maisplusdeCapitaineavecquicommanderdesplatsàemporteràbasprix.J’aiNoni,quiréaliseunsuperbetravaildanslapartiecafédelalibrairie,maisunobstacleentre

nouspourraitbiengâchernotrebonneentente.SileCapitaineétaitencorelà,ilprendraitl’affaireenmain.Jel’imaginemeregarderavecune

moueincrédule,etm’ordonner:«Endurcis-toi,missAmerica.Grandisunpeuetagiscommetuledois.»Aprèsquoiilpartiraitsansdoutedansunediatribesurnotregénération,composéeavanttoutdepetitesnaturesquinesaventpascequec’estquedebosserdur.

Cequ’ilmemanque…Perduedansmespensées,j’évitedepeuunecollisionavecNonienretournantàmonbureau.—Tiens,salut,dis-je,soudainpeubavarde.Nonimelanceunsourirecontraint,puisbaisselesyeuxsurletorchonqu’elleaenmain.Ellefait

passerletissuentresesdoigts,hésitantvisiblementàrépondre.Çafaitpeineàvoir.«Allez,missAmerica,arrêteunpeudereculer!»J’entendslesparolesmoqueusesduCapitaine

dansmatête,etjesuisbiend’accordaveclui.Faisantungesteversmonantre,jepropose:—Tuveuxvenir?Noniacquiesceetmesuitversmacachette.JetirelevieuxfauteuildebureauduCapitainepour

m’asseoirplusprèsdeNoni,quiaprisplacesurleseulautresiègedecetespaceconfiné,faceàuneétagèrequej’utilisecommefourre-toutsurlaquellesetrouventmonsac,lalaisseduchien,leslivres,lecourrier,toutyatterritàunmomentouàunautredelajournée.

Je prends une profonde inspiration. C’est toujours préférable d’aller vite. Voilà ma règle deconduite,valablepourtout.Plusons’ymetrapidement,mieuxc’est.Unpansement?Fautl’arracher.Une vilaine plaie ? On y tamponne du désinfectant sans attendre. Une conversation qui me metatrocementmalàl’aiseavecuneemployée?Tantpis,onfonce!

Décidée,jem’installeetmelance:—Tuesprêteàparler?J’essaied’adopteruntondoux,parcequ’ellesembleréellementgênée.Effrayée,même.Nonihochelatêteetinspirelonguement.Pendantuninstant,ellefermesesyeuxbrunsinquiets,

puislesrouvreavec,cettefois,unelueurnouvelleàl’intérieur.Celleducourage.—J’aiessayépendant tantd’annéesd’oublier,dit-elledoucement,mais jenepeuxpas.Jecrois

quecessouvenirsnedisparaîtrontjamais.Niavecletemps,niavecl’alcool,niavecleshommes,niavecladrogue.Crois-moi,j’aitouttesté.Etpourtant,c’estaussifraisdansmonespritquequandEdm’alaisséemeviderdemonsang.

Elledétournelesyeuxvers l’étagèrecroulantsousles lettres, lesreçuset les livresquinesontpasencorecatalogués.Elleestcomplètementailleurs.

Jemepréparementalementpourcequivasuivre.Nousnoussommeséloignéestoutàcoupdutrain-train quotidien, pour atterrir dans un monde où tout est intense et menaçant. Je connais ceregard.Noniseremémorequelquechosededouloureux.JenesaispassijedevraisenentendreplusausujetdupassédeDamon,maisjenecomptepasl’arrêter.Sielleasurassemblertoutsoncouragepourenparler,sansdoutepourlapremièrefois,alorsjevaisl’écouter.Jepartagerailefardeaude

ses souvenirs, parce que c’est comme ça que ça marche. Les épisodes traumatisants de notre viedoiventêtrepartagés.Ilsdoiventêtrecombattusaveclesproches.Ensemble.Parfois,nousavonstousbesoindequelqu’unpourvenirànotrerescousse.Entoutcas,c’estcequeprétendledocteurVersan.Pourmapart, jemets encore sa théorie à l’épreuve. Je supposequepour lamettre enpratique, cemomentn’estpasplusmalchoisiqu’unautre.

Nonirespireprofondémentetselance.—Quandj’ypense,commence-t-elle,j’aidenouveaudix-septansetjem’yretrouve.Savoixresteforte,maissesyeuxsontdanslevague,visantl’étagèresanslavoir.Jecomprendsquesonespritn’estplusavecmoi.Quandellevapoursuivre,ellevarevivreson

histoire.Etmoiaussi…

Leréveilsur la tabledenuitdumotelaffiche21h17.Cettechambreressembleàun taudis.Jedétesteêtrelà.Jesuisvraimentimpatiented’avoirassezd’argentpourprendreunbelappartement.Un vrai, àmoi.Ça coûtera cher,mais je suis sûre que Jackie serait d’accordpour une colocation.C’est lapremièreamieque jeme suis faitedepuisque j’ai emménagé ici.Endivisant les fraispardeux, j’espèreavoirmonstudioauplusvite.J’aiditàShellyque je luienverraisdesphotos.Deuxmois sont passés depuis mon arrivée à Vegas et je n’ai toujours rien à lui poster. Shelly était mameilleurecopinequandj’habitaisencoredans leKansas,etellemetrouvait folledemelancerà lapoursuite de mon rêve. Selon elle, je pouvais le réaliser, mais elle me rappelait que ma famille,membredelaConventionbaptisteduSudettrèspratiquante,désapprouveraitmaconduite.Elleavaitraison.Monpèrem’aquasimentdéshéritéeetmamèremeparleau téléphone tous lesdimanchesà21h30,unefoisqu’ilestcouché.Cen’estpasidéal,maisunefoisquej’auraifaitmaplaceici,jesaisqu’ilschangerontd’avis.Jelesrendraifiersdemoi.Jeseraidanseuseetilsverrontquecen’estpasunpéchéatroced’avoirpourfilleuneshowgirldeLasVegas.Pourréussirdanscedomaine,ilfautdutalent!J’aibeaucoupd’espoirspourl’auditionquejepassedemainàmidi.SiEdveutqu’onsevoiece soir, il vadevoir sedépêcher. Jedois appelermamère, et jamais je ne lui avouerai que j’ai uncopain.Enfin, plusoumoins.Bon,d’accord, cen’est pas vraimentmonpetit ami, oudumoinspasencore.Etceque je faisavec lui feraitdresser lescheveuxsur la têtedemesparents.Onestallésassez loin ensemble, mais jusqu’ici, j’ai réussi à repousser l’échéance. Je sais qu’il s’impatiente,malgrétout.Jesuisencoreviergeetlesexe,çamefaitunpeupeur.Pasl’acteenlui-même,maislerésultat.Unefoismavirginitéperdue,onnepourraplusrevenirenarrière.Jenesuispasvraimentprête.Edestplusâgéquemoietilestmarié,maisseulementsurlepapier.Ilestséparédesafemmeetils vont demander le divorce. Ils ont une petite fille, donc je comprends qu’il veuille garder notrerelationsecrète.C’estplussimplecommeça.

—Bev!ditEd,quifrappeenfinàlaportedemachambre.Jeregardeencoreunefoisleréveilpourévaluerdecombiendetempsjedisposeavantdedevoirle

mettre à la porte quelques minutes pour téléphoner à ma mère en toute tranquillité. Ed ne medénonceraitpasexprèsàelle,biensûr,maisilaimeboireunpetitverredetempsentemps,etçalerendquelquepeuviolentetbavard.

—J’arrive!Jeme lève et lissema robedevant le grandmiroir fendu sur laporteduplacard.Mes cheveux

brunssontretenusd’uncôtéàl’aided’unepinceécaille-de-tortue.—Allez,dépêche!lanceEd.Cen’estpasbonsigne.Jedéverrouillelaporteetl’entrebâille,jusqu’àcequelachaînebloque.

Eds’apprêteàlapousser,maisserendvitecomptequejen’aipasencoreouvert.

—Qu’est-cequiteprend,bordel?Messoupçonssevoientconfirmés.Ilestsaoul.—Ouvre-moi,putain!crie-t-ild’unevoixmalassuréeentitubantlégèrement.—Ed,tuesivre!Tusaisquejedoisappelermamère.Tunepeuxpasfairedubruitderrièremoi,

ellet’entendrait!Edpassesamainlibredanssescheveuxenbatailleetgrogne.—Nejouepaslespetitesidiotes!Ouvre.Tucroisquej’aienviequeçasesache?Ilpointeledoigtsurmoi,commesij’étaisuninsectebonàécraser.Maisçaluiarriveparfois,et

jesaisquecen’estpasméchant.Pasvraiment.Quandilingurgiteduwhiskycommedel’eau,iln’estplusvraimentlui-même,etjen’aipasenviedelefâcher,voilàtout.Jeveuxqu’ilm’apprécie,etjesuisimpatientedepouvoirtoutraconteràShellysurmonamoureuxdevingt-cinqans.Ellenevapasenrevenir!

Je pousse un grand soupir et je ferme pour défaire la chaîne.Une fois qu’elle pend,Ed donnebrutalementuncoupdepieddanslaportedebois,etmanquedemel’envoyerdanslafigure.

—Hé,attention!—Oh,arrêtedeteplaindre!Jen’arrivepasàcroirequ’ilm’aitpresquedonnéuncoupdeportedanslatête.Iljouedéjà les

ivrognesinsupportables,etmaintenant,jevaisdevoirleconvaincrederentrerchezlui.S’ilcroitquejevaisfairequelquechoseavecluicesoir,ilsetrompe.

—Siturentraischeztoi,Ed?Je pose l’un demes poings surma hanche, dans l’espoir de paraître assez autoritaire pour le

mettre dehors à temps et téléphoner à maman. Si je ne l’appelle pas à l’heure, elle contacterasûrementlapolicepourmefaireretrouver.

Edplisselevisagecommesijevenaisdeluiprésenterdescrottesdechiensouslenez.— Tu veux que je parte ? Tu me fais venir ce soir, en me faisant miroiter un bonmoment, et

ensuite,tumejettes?Ilpointeledoigtsurmoi,puissurluietànouveausurmoi,etavanced’unpasmenaçant.Jereculejusqu’àcequemesjambestouchentlematelasderrièremoi.Ilmerendnerveuse,etce

n’estpascommeçaquejevaislefairepartir.—Écoute,onn’aqu’àseretrouverdemain,plutôt.Jedoisappelermamèreetonestdéjàentrain

desedisputer.Lasoiréeestfichue.Je regardeEdpour savoir s’il vaabandonneret, àmon soulagement, il a l’air très ivre et très

fatigué.Beaucouptroppoursedisputeravecmoi,oupour…faired’autreschoses.—C’estbon.Jevaispisseruncoupetjemebarre,marmonne-t-ilensedirigeantverslasallede

bains.Dèsqu’ilfermelaporte,jerespireetm’assiedssurlelit.Jesaisquejenedevraismêmepasle

fréquenter.Ilesttoujoursofficiellementmariépourlemoment,etdetoutefaçon,ilesttropâgépourmoi.Sansparlerdufaitqu’ilboitbeaucouptrop.Sisonbarpréférén’étaitpassituéjusteàcôtédumotel,jecroisquejenel’auraisjamaisrencontré.

Lachassed’eauretentit,Edouvrelaportemaisrestedansl’encadrement.Ilalesyeuxvitreuxetsonexpressionmemetimmédiatementsurmesgardes.Aïe,ilavraimentuncomportementbizarre,etcelam’inquiète.Ilfautquejelefassesortird’ici.

—Trèsbien,onsevoittoutàl’heure,alors.Jedoisappelermamère.Jem’avanceverslatabledenuit,oùleréveilàcôtédutéléphoneannoncequ’ilestmaintenant

21h28.

Edwardme regarde, immobile si ce n’est un léger balancement d’ivrogne. Il se contente demeregarder,lesbrasballants.Jedécouvremonseulgantdetoilettetrempédanssamain.Fantastique.Onnemefournitqu’ungantàlafois,etilvientdel’utiliser.Jeneseraispassurprisedetrouverl’uniqueserviettesaleaussi.

Jesoupire.Mieuxvautsansdouteéviterlesreproches.Jeneveuxplusmedisputeravecluicesoir.Ilfautqu’ilpartecuversonwhisky,etnousparleronsplustard.

—Bon…Jelèvelessourcilsetesquisseungesteverslaporte,espérantqu’ilquitteramachambresansplus

d’histoires.—Tuasvouluquejeviennecesoir,bredouille-t-il.Tum’asditdevenir.(Ilavanced’unpasvers

moi.)Tutel’escherché.Ils’approche,suffisammentpourquejeperçoiveunenouvellelueureffrayantedanssesyeux.Une

indifférenceglacée.Unevoixenmoimehurledem’enfuir.L’adrénaline se répanddansmesveinesenunéclair et,

sansmeposerdequestions,jesuismoninstinctanimaletjecoursverslaporte.D’unbras,Edmerattrape facilement. Je suis soulevéeet jetée sur le litavecune forcequime

coupelesouffle.Avantquejepuisseréagir,ilm’assèneuncoupdepoingdansleflanc,sifortquej’ailasensationqu’ilauraitpume transpercer lapeauet lesos.Jen’ai jamaisété frappéedemanièreaussipuissantedemavie.Jenepenseplus.Nerespireplus.Jenesuisquedouleur.Jen’arriveàrienfaired’autrequeressentir.Comme jesuisamorphe,Edmontesurmoiet,dechaquegenou,pèsedetout son poids surmes bras. J’aimal jusqu’à l’intérieur desmembres, et j’ai peur quemes os necassentsouslapression.Malgrélasouffrancequiirradiedansmescôtesetmesbras,jemedébats.Lapremièrevraie inspirationque j’arriveà reprendreestunpréludeaucri.C’estàcemomentque legantatterritdansmaboucheouverte.

—Ausecours,àl’aide!jecriederrièreletissu-épongemouillé.Jesuisimmobiliséeetjen’arrivepasàfairebeaucoupdebruit.Avecunpetitrire,Edm’arrache

une tennis et je le regarde avec horreur sortir le lacet de son logement. Il soulève un genou pourlibérermon coude et forcemon bras à se baisser. La puissance de sesmouvementsme retourne leventre.J’entrevoisunemicrosecondepourlutter,etjelametsàprofit.Jetire,jedonnedescoupsdepied,jebatsdesbrasetjepousse,maisenvain.Edaledessussurtouslesfronts.Ilarassemblémesbrasdansmondos,et jesensle lacetseresserrerautourdemespoignets.Jehurle,si fortquej’enperdslepeudesoufflequej’avaisretrouvé.Edestmaintenantàcalifourchonsurmondos,etiln’yaaucundoutesurcequivasuivre.Monoccasiondem’échapperm’estpasséesouslenez.Toutcequimeresteàfaire,c’estsurvivre.Grâceaupoidsdesoncorpssurmatailleetaulienquiretientmesmains,Edpeututiliserlessiennesetnes’enprivepas.Unepaumetranspirantemefrappesuruncôtéde la tête et un éclairdedouleur traversemoncrâne. Il tiremes cheveux enarrière, si fort que jecrainsqu’ilnemebriselanuque.Etpourtant,jenesensrien.L’adrénalinequiparcourtmesveinesesttroppuissante.Jeneressensquelapanique.

—Tuvoulaisquejevienne,gronde-t-ilàmonoreille.Tum’asfaitcroirequetuvoulaiscoucher,alorstuvascoucher,salepetiteallumeuse!

Son haleine putride sent le whisky et le tabac. C’est peut-être mon angoisse, son odeur oul’associationdesdeux,maismonestomactressauteenréaction.J’aideshaut-le-cœurrépétés,maisjecombatsmonréflexedevomissement.J’enétoufferais,etceseraitlamort.«Survis,Noni!Survis!»jemescandeintérieurementtandisqueleslarmescoulentlelongdemesjoues.J’aitroppeur.Jeveux

voirmesparents.JeveuxretournerauKansas.«Reviensàlamaison,Noni!»mesupplieunevoix,profondémentenfouieenmoi.

Alorsc’estcequejefais.Jerentrechezmoi.Seulementdansmatête.Je serremes paupières closes et repense à la ferme.Pendant ce temps, on relèvema robe sans

ménagement. Les champs s’étendent à perte de vue.Çamemanque. Je suis traînée au bord du lit.J’essaie deme souvenir le plus intensément possible de l’odeur de la campagne aumoment où lesgermes de blé et de maïs pointent leur nez. Des pousses de blé vert tendre émergent du sol ets’élancentversleciel.Lasenteurestunique.Celledudurlabeur,delapersévéranceetdelaterre,toutenun.Chezmoi.

La terreurgrandit enmoi. Je sais cequi sepasse,mais celanemeprépare en rien.Moncœurs’affoledansmapoitrineetjefaisdeseffortspourcalmermarespiration.D’uncoupsec,maculotteestdéchirée.Ungémissements’échappedemagorge,derrièrelegant.Jemerappellemonanxiétélapremièrefoisquejemesuistrouvéeseuleauvolantdutracteur.J’avaislatrouilledemetromper,maispapam’aditdemedétendreetdemelancer.Unefoisquec’estfait,c’estfait.Parlasuite,jen’auraijamaisplusàconduireuntracteurpourlapremièrefois.Onn’aqu’uneoccasionpournotrepremièrefois,etcedanstouslesdomaines.Onensavourecertaines,ondoitjusteattendrequeçapassepourd’autres.«C’est lavie,machérie»,m’avaitditmonpèreenm’aidantàmonterdans lacabinedel’intimidantemachine,unmonstrequejel’avaisvumanœuvreravecuneaisanceenviabledesmilliersdefois.

Jehurlederrièremonbâillondèsquejesensquelquechosededurdansmondos.J’essaie,avectoute lavolontéquimereste,dem’accrocheràmonrefugemental. Je suisauKansas.Pas ici.Pasdanscetaffreuxmotel,entraindemefaireviolerparcemonstre.Jesuischezmoi.Ensûreté.Aveccequimefaitl’effetd’uncoupdepoignard,Edapriscequineluirevenaitpas.J’écarquillelesyeux.Marespiration s’arrête.Sous lechoc, je suisdéstabiliséepar lemal. Ilneperdpasde tempspouratteindre sonbut.Encoreuncoupdepoignardatroce.Encoreun.Encoreun, etpuis je supporte ladouleur qu’on m’inflige. Je cesse de lutter. Je garde les yeux grands ouverts, sans ciller. La têtetournéedecôté,jerelâchemonpauvrecorpsenvahi,prisd’assaut,immobilisé.Lajouepresséecontrelecouvre-litquigratte,jemeraccrocheàmaseulerouedesecours:monesprit.Mêmesimoncorpsacédé,monespritcombatencore.Monesprit,c’esttoutcequ’ilmereste.Ildemeureintact,Ednepeutpasl’atteindre.

Jeregardeletéléphonebeigeàcadransurlatabledenuit.Jedevraisêtreentraind’appelermamère,encemoment,medis-jetandisqu’ilsemetàsonner.J’espèrequ’ellenes’inquiètepasetqu’ellenesaurajamaiscequim’estarrivé.Quesuis-jedevenue?Denouvelleslarmesjaillissentdemesyeuxgonflésàl’idéequemafamillenes’enremettraitpas.MesgrandsfrèresvoudraienttuerEdetjenelesarrêteraispas,sijepensaisqu’ilspourraientnepasêtreinquiétés.Mamèreauraitlecœurbriséetquantàmonpère…Jenesaispascommentilréagirait,maisjeneveuxpasqu’ill’apprenne.Jamais.

Edrespireplusfortmaintenantqu’ilaralentisesgestes.Jesouhaitequ’ils’arrête.Pourvuqu’ils’arrête.Pourvuqu’ils’arrête.Pourvuqu’ils’arrête…Jeprieinlassablementdansmatête.Vivementqueçacesse,pourquejepuisseallermedoucher.Jeveuxmelaver.Laverlestracesqu’ilalaisséessurmoi.Laverlesouvenirdecesoir.Ilserelèveet,dansunedéchargededouleurinimaginable,ilseretiredemoi.Jerefermelesyeux.Jenesaispastroppourquoi.Lapeur,lesoulagement?Peuimporte.

—Tuvoiscequiarriveauxpetitessalopesquiveulentjoueravecdeshommescommemoi?mecrache-t-il,àquelquescentimètresdemonvisage.

Sonhaleinechargéedetabacetd’alcools’attardesurmapeau,cequidéclenchedesremousdansmon estomac.Mon haut-le-cœur est si fort quemon flancmalmené craque en réponse. Il a dûme

casserunecôte.Mesyeuxs’agrandissent.Unesonnetted’alarmerésonnedansmatête.Cettefois,jenevaispaspouvoirmeretenir.Jevaisvomiraveccegantenfoncédansmabouche.Uneappréhensionnouvelleplaneau-dessusdemoi.Monestomacsesoulèveviolemment.Concentréesurmoneffortpournepasm’étouffer,jevoisEdgrimacerdansunbrouillardalcoolisé.Ilnefaitrien.Ilrepartcommeilestvenu.Ilm’alaisséeattachée,violentée,prêteàmourir.Maiscen’estpasgrave.Ilestparti.

Jenesaispasquoidire.Pendantcequimesembledurerdesminutesentières, je regardeNonisanspouvoirréagir.

—Troissemainesplustard,j’aidécouvertquej’étaisenceintedeDamon,medit-elle,justeassezfortpourque je l’entende.Ensortantde laconsultationmédicale, jemesuisarrêtéeauPetit Restopour dépenser mes derniers dollars dans un repas. La serveuse s’appelait Joanne Bynum. Je merappellel’avoirobservéeetavoireupitiéd’elle.Elleétaitentredeuxâges,etelletravaillaitlà,debouttoutelajournée.Jemesouviensdem’êtreditquejenevoulaissurtoutpasterminercommeelle,àmedécarcasserpourgagnerquelquesmalheureuxdollarsdansunboui-boui.(Elles’arrêteetsecouelatêteavecunemoueamusée.)Etpuisilm’amanquéundollarvingt-septpourréglerl’addition.Joannem’a regardée avecunegrande compassion, et ellem’adit que, si j’étais employée ici, je pourraismangergratuitement.Jen’avaisaucuneautrepiste.Pasd’autrechoix.Alorsj’aiacceptésonoffre,etjenesuisjamaispartie.Jesuisdevenuelafemmeentredeuxâgesquiseplieenhuitpournetoucherpresque rien. Ils m’ont engagée alors que j’étais meurtrie et sans domicile. Je leur en ai étéreconnaissante.

4

RefugeLerécitdeNonimelaissesansvoix,levisagetrempédelarmesquejenemesuismêmepassenti

verser.Ellearacontésonhistoirecommesiellerevivaittoutelascène.Commesielleyétaitencore.Commesiellen’avaitjamaiséchappéàcettesoiréedansunechambreglauquedemotel.Sesyeuxsesontposéssurunmomentdesonpassé,etelles’estretiréeduprésent.Jeconçoistoutàfaitcequ’elleressent.

Jenesaispasquoifaire.J’aienviedesanglotersansretenue.Delaprendredansmesbras.Demebattre.DeretrouverEdwardetdeluiarracherlesyeuxpourcequ’ilafaitsubiràNonietàDamon.

J’avalelesilenceentrenousetrapprochemachaise.Nousnousretrouvonscuissecontrecuisse,Nonisilencieuse, lesmainssursesgenoux.Ellea toujours le regardrivésur lemêmeendroitquedepuisledébutdesonrécit.Jeplacemamainsurlasienneetnelabougeplus.C’estunpetitgeste,maisjel’espèresymbolique.Jeveuxqu’ellesachequejesuislà,qu’ellecomprennequejevaisportercepoidsavecelle.Jereçoisunepartiedecequ’ellesupportedepuissilongtemps,etjel’acceptetellequ’elleest.Monamiesigentilleméritetellementmieuxquecequ’elleareçu.

Enfin,Nonidétourne levisage.Ses irisbruns torturésplongentdans lesmienset il estévidentqu’elle est aupointde rupture.Ses lèvres tremblent, sesyeux sontprêts à laisser échapperplusdetrenteansdelarmes.Enunéclair,elletendlesbrasettombe,s’effondre,sedésintègre.Satêteatterritlourdementsurmonépaule,et soncorpsest secouédeviolents sanglots.Sesépaules, sesbras, sesjambes, je sens tout son corps flageoler.D’ungeste automatique, je l’enlace et fais demonmieuxpourlagardercontremoi.Sic’estcedontelleabesoin,jeseraisonpointd’appui.

J’aimeàmecroireplutôtdureàcuire,maisencetinstant,cen’estpaslecas.ÊtreamoureusedeDamonaadoucimoncœurplusquejeneveuxbienlereconnaître,etavecmonamiequin’enpeutplus, tout effort pour gardermon calme semble futile. Je croasse un : «Oh,Noni » en la serrantcontremoi,commeunemèreavecsonenfant,etjepleureavecelle.

—Jesuisvraimentdésolée.L’excusequej’aitoujourstantdétestéefranchitmeslèvresmalgrémoi.J’aitoujourseuhorreur

derecevoircesmarquesdecompassion.Jelesaitellemententenduesdansmavie,sansjamaisavoirl’impressionqu’ellessoienthonnêtes.Personnenepourraitvraiment,sincèrementressentirduregretou de la tristesse pour quelqu’un d’autre. En tout cas, c’était mon opinion. Jusqu’à Noni. Jusqu’àmaintenant.Luipassantlamaindansledossansrelâche,jerépète:

—Çavaaller,çavaaller.Auboutdecequisembleêtredesheures,maisn’adûreprésenterenréalitéquequelquesminutes,

ellecessedefrissonneretsespleurss’atténuent.Jerelâchemonétreinte,ellerenifleplusieursfoiset

seredressedanssonsiègeàcôtédemoi.Letorchonqu’elleatransbahutéavecelletoutelajournéeestrestésursesgenoux.Elleporteàsesyeuxfatiguésledouxcotonetessuielerestantdeseslarmes.

C’estlàquej’ypense:àunmomentouàunautre,Damonl’apprendraetilseradévastéparcetteinformation.Jesaisqu’ilserasurprisquesamèresoitNoni,mécontentquej’aieagidanssondos,etjemeprépareàceretourdebâton.Maislecœurduproblème,lefaitquesonexistencesoitlerésultatduviold’uneadolescente…celavatuermonGrandMec.Cetteprisedeconscienceinquiétantemetenroutemonimagination,etj’échafaudeplusieursscénariospourluiannoncerlanouvelle,dontaucunn’estidéal.

—EtDamon?Nonimelanceunregardméfiant,commesijelamenaçaisd’unearme.—Je…jenesaispassijesuisprête,Jo.Je…il…—Onn’aqu’àenparleràGramz.Ellesauraquoifaire.Ellesaittout.—Jo,jenesuispassûredepouvoir…J’attrapeNoniparlesépaulesetlaregardebienenface.—Écoute-moi.Gramzestvraimentlapersonneàquis’adresserenpremier.Ilfautqu’ellesoitde

notrecôtéaucasoùDamonl’apprendrait.Ouplutôt,quandDamonlesaura.ImpossibledecacherquoiquecesoitàDamon.Enfin,paslongtemps.Ilvaledécouvrir,etcesera

essentield’avoirGramzpournoussoutenir.Nonicourbeunpeuledosetvientdéposersatêteaucreuxdesesmains.—Berniceestquelqu’undebien,maisj’aipeur,reconnaît-elled’unevoixfaible.—Moiaussi,reconnais-je.Toutetentativedeparaîtreforteseraitcomplètementtransparente.N’importequiàmaplaceaurait

latrouille,etjenediffèrepasdesautres.

C’estétrange,lestress.Monexpériencedel’anxiétéestlimitée.Jen’enaipaseuleluxejusqu’àrécemment,enfait.Dansmavie,ilavaittoujoursfalluagirouaccepterdemourir,cequinelaissaitaucuneplaceàl’hésitation.Tergiverser,c’étaitlameilleurefaçondesefaireprendrepourcibleparunepersonnemalintentionnée.L’incertitudeauraitimpliquédememontrertropfaiblepourprendrecedontj’avaisbesoinquandçaseprésentait.J’aiapprisàêtreculottée,etengénéral,c’estletraitdecaractèrequejepréfèrechezmoi.Mais,àl’heureactuelle,jepaieraistrèscherpourtrouverlabonnemanièred’abordercedésastre.Monanxiéténouvelledoitmevenirdel’amourquej’airecommencéàéprouverpourcertainespersonnes.Àprésent,jesuissusceptiblededécevoir.Commentl’annonceràDamon?Devrais-jeluienparler?Commentréagirait-il?Queferait-ilàNoni?ÀEdward?

Quandj’empruntel’alléemenantànotrenouvellemaison,j’aiencorel’espritquitourneàmilleàl’heureàcausedecequem’a révéléNoni. Jamais jen’auraispuêtreprêteàentendreça.Noniestfragileencemoment,maisunecuriositémorbidemepousseàmedemandercommentelleapuvivresagrossesse,sachantquesonenfantétaitissud’unviol.

AvantdemeremettreàverserdeslarmessurlaconceptiondeDamondanslaviolence,j’étouffetoute pensée à ce propos.Avec une profonde inspiration libératrice, je coupe lemoteur, je prendsHemingwaydansmesbrasetouvrelaportière.LacamionnettedeDamonestgaréedevantcheznous,donc,àmoinsqu’iln’aitprislaBMW,ilestrentréavantmoi.Unepetitepartiedemoiespèrequ’iln’estpasarrivé.Sachantcequejesais,jenesuispasvraimentprêteàl’affronter.

Unefoisàl’intérieur,jetraverselamaisonpouremprunterlaportedederrière.Celle-cidonnesur une courte allée en pas japonais qui mène à l’appartement de Gramz. Son espace personnelressembleàuneversionminiaturedelamaisonprincipale,ycomprislapeintureextérieure.Jepose

lesyeuxsurlapetiteterrassededevantetmedépêchedel’atteindre.Ilfautquejelavoie.Jesonneàlaporteetmesouviensavecaffectionqu’elleétait toutémoustilléed’avoirunesonnetteàelle.Quellevieillefolle,celle-là!

—Entrez!dit-elled’unevoixchantante.J’ouvre etm’immobilise en apercevantGramz assise dans son fauteuil inclinable,munie d’un

grosrouleaud’adhésif,d’unelampedepocheetdesondéambulateur.Elleases lunettesde lectureperchéesauboutdesonnez.

—Maisqu’est-cequevousfabriquez?Jeneparvienspasàmasquerl’amusementdansmavoix.—J’aibesoindelumièrelà-dessus,répond-elleenmeregardantpar-dessussesverres.Tuveux

bienm’attraperdesciseaux?Je m’empresse de me rendre à la cuisine, où je trouve la cisaille à volaille dans le casier à

ustensilesàcôtédufour.—Tenez.Ellegardedefaçonplusoumoinsassuréel’adhésifetlalampedansunemaintoutenessayantde

passersesdoigtsridésdanslesanneauxdesciseaux.—Attendez,jevaislefaire.Je renverse ledéambulateursur lamoquetteetm’agenouillepour l’aider.Toutenarrachantun

boutdecollant,jedemande:—Pourquoiinstallerunelampesurvotreengin,aufait?—L’alléeestsombrependantlanuit.Ilmefautdel’éclairagepoursavoiroùjevais.C’estuneexplicationsimple,quej’accepted’unhaussementd’épaules.Jedoisreconnaîtrequ’on

nepeutpasavoirl’espritpluspratiquequecettevieilledame.—Bonneidée,maisjecroisqueDamoncomptefaireborderl’alléedelampadaires.—Çamarcheratrèsbiencommeça,pourquoigaspillerdel’argent?—Alorslà,jevouslaisseendiscuteravecleGrandMec.DamonvabienrireendécouvrantladernièrelubiedeGramz.—C’estcequejevaisfaire,m’assure-t-elle.Etsimoninventionmarchebien, jevaispeut-être

déposerunbrevet.Commetum’asaidéeàlaréalisation,jepourrait’octroyerunpourcentage.Onfrappedoucementàlaporte.Tiens,c’estjustementDamon,quiaviselebric-à-bracétalépar

terre,puisnousdeux,etsecouelatête.—Puis-jesavoircequevousmanigancez?—OnfaitunpeudetuningsurledéambulateurdeGramz.Maréponseestaussinettequel’explicationquem’adonnéesagrand-mère.—Jevois.Avecunhochementdetête,ilréprimeunsourireetenfoncesesgrandesmainsdanssespoches.

Bonsang,cequ’ilestbeau!C’estunparadoxeincroyabledeleregarder.Néd’unactedeméchancetépure,ilestpourtantmagnifiquesurtouslesplans,charmant,résoluetgénéreux.

Jechassevitecespensées.L’œilsur le rubanadhésif, je l’enrouleavecprécautionautourde lalampetorche.Aprèsl’avoirfixéàl’avantdudéambulateur,jerentretouteslespartiescollantes.Plusquedeuxtoursetc’estfini.

—Etvoilà,dis-jeensouriantàGramzavantderedresserl’appareildevantelle.Vousavezvotrephare.

—Superbe!clameGramz.Jevaisl’appelerlaBêteàl’œilunique.—Oh,non,jevousenprie,jerépondsaussitôtenétouffantunrire.

Avec un sourire entendu, Gramz se renfonce dans son siège, sûrement pour réfléchir à demeilleurs noms. Jeme tourne versDamon, qui s’appuie contre lemur dans une pose typique.Lesmanches relevées et la cravate dénouée, il a deux boutons défaits à sa chemise, ce qui expose ladélectable naissance de son cou.Un pantalon grismétallique épouse de façon très intéressante seshanchesautourdesquellesjepassesisouventlesjambes.

—C’estastucieux,commebricolage,maisl’intendantvainstallerl’éclairagedansl’alléebientôt,déclare-t-il.

—Bah,quelleidée!serécrieGramz.C’estdugaspillage.MonCyclopesuffiraamplement.—Cyclope?Ceseraitunnomparfait,situavaispenséàutiliserunelampefrontaleplutôtque…

cetassemblage,répondDamon,quiscrutenotreinventiond’unairsceptique.—Pourmedécoifferchaquefois?Alorslà,jamais!soutientGramz,avecungestedelamain

quiappuiesonrejetdelaproposition.Damonsemetàpouffer,etc’estunmomentmagique.J’adorelevoirinsouciantetlibre.Celame

rappellequ’ilméritederire,etd’êtreheureux.Ildevraitrecevoirbeaucoup,etj’ailafermeintentionqu’ilobtiennetoutlebonheurquiluirevient.

Ilesquissequelquespasversmoietm’attireàlui,tandisquesonhilaritédécroît.—Merci pour ton aide sur tous les fronts. (Son souffle est aussi légerqu’uneplume surmon

oreille, et je suis parcourue de frissons. Je ferme les yeux et j’inspire son odeur divine, tellementsingulière.)Jet’aime,machérie.

—Moiaussi.Jemesensrougiretsuisunpeumoinsstablesurmespieds.Danssapoche,sontéléphonesonne,cequiinterromptmonétatdetranseadmirative.Ilconsulte

l’écranetmemurmure:—Désolé,jedoisrépondre.Aprèsavoirtouchél’écrandesonindexpourprendrelacommunication,ils’éloigne.—Mike,tuasdunouveau?demande-t-ilenrefermantlaportedel’appartementdeGramz.—QuiestMike?medemandeGramz,faisantéchoàlaquestionquejemesuisposée.Jehausselesépaules,bienenpeinederépondre,etjevaism’affalersurlecanapétoutneuf.C’est

lemomentdeparler.Jelesais,maisj’aidumalàtrouverlesmotsjustes.—Gramz,j’aiunequestion.—Etmoi,j’aiuneréponse,lance-t-elledutacautac,etmettantCyclopesurlecôté.Allez,accouche!jemetanceintérieurement.Jedoisenfinir.—Etsijevousdisaisquej’airetrouvélamèredeDamon,commentréagiriez-vous?J’aiproférécettequestiond’unepetitevoix.Bienplusdiscrètequejenelecomptais.Jerelèvedes

yeuxanxieuxversceux,d’unbleucristallin,deGramz,ettoutsensdelarepartieincisivel’aquittée.—Quoi?chuchote-t-elle.C’estraredelavoiraussisérieuse,maislescirconstancess’yprêtent.Jemerecroquevilleunpeu

danslesofa.—Tul’astrouvée?J’arrivesimplementàhocherlatête.—Ettul’asrencontrée?demandeGramz,toujoursàvoixbasse.—C’est…làqueçasecomplique.Àcemoment-là,j’aienviederevenirenarrière,d’oublierd’avoirtrouvécetactedenaissance.

Maismêmesi je lepouvais,celanechangerait rienau faitque jeconnaisNonidepuisdesannées.

Nousserionstousliés,d’unefaçontortueuseoud’uneautre,quejesacheounonlavérité.Laviepeutêtrevraimentvacheetsinueuse.

—Explique-moi,Jo,medemandeGramzd’untonsévèreentapantdupiedparterre.Elleesttendueetjenepeuxluienvouloir.C’estavanttoutellequiaélevéDamonetc’estàelle

qu’ilaincombédeleprotéger.Etmoi,jeprendsl’initiativedecherchersavraiemère…J’inspireungrandcoupetmeprépareaurécitdifficilequim’attend,maisavantquejenepuisse

poursuivre,Gramzselèvedesonfauteuiletsetraînejusqu’àlaporte,qu’elleentrouvrepourjeterunœildanslejardin.

— Il doit être rentré dans la maison, mais s’il effleure la poignée de la porte, c’est motus.Compris?Jeneplaisantepas,Jo.Ilnedoitpasenentendreparler,iln’estpasprêt.

Jehochelatête.Elleretourneàsonsiège,puismeregarde.C’estparti.—Jelaconnais,j’admets,lesyeuxfixéssurmesmains.Depuisdesannées,enfait.Gramzm’examineavecattention,etmefaitsignedepoursuivre.—C’estNoni,l’amiequej’aiengagéeàlalibrairie.Envoyantl’actedenaissancedeDamon,je

m’étaisditque la retrouveréclairciraitcertainspoints,mais il s’avèreque je laconnaissaisdepuistoutcetemps.EllearencontréDamonilyaquelquesmoisetelleatoutdesuitecomprisquec’étaitlui.Jen’ensavaisrienavantlejouroùvotrepetit-filsm’ademandéeenmariage.Sonvrainom,c’estBeverlyDav…

—Tais-toi!m’ordonneGramz.Jerefermelabouched’uncoupetluirenvoieunregardchoquéparsontonàmonégard.—Jesaisdequiils’agit,Jo.Jel’aitoujourssu.Jemerenseignesurelledepuisqu’elleestvenue

taperàmaporte,enceintedeDamon.BeverlyWinonaDavis.Jenesavaispasquetulaconnaissais,maisjesuisaucourantdureste.Jesuisvieille,pasidiote.

Pourladeuxièmefoisdelajournée,jedemeuresansvoix.Elle…savait?—Vousm’aviezditquevousneconnaissiezquesonprénom.—J’aimenti,souffleGramz.PourprotégerDamon,çam’estsouventarrivé.Uneexpressiondedétressesepeintsursonvisageridéetjesuisanéantieparcequejevaisdevoir

luirévéler.— Quand un petit garçon te demande pourquoi son papa le déteste, c’est facile d’inventer

n’importequoiplutôtquel’horriblevérité.(LevisagedeGramzestéclatantdesincérité.Jenepeuxqu’imaginersonembarrasàêtreécarteléeentresonpetit-filsinnocentetsonfilsagressiftoutescesannées.)Eddienepeutpaslesentir,depuislejouroùBeverlymel’aamené,explique-t-elle,secouantlatêteaveclassitude.Cecharmantbébéestlagouttequiafaitdéborderlevasedesonmariageraté,etc’estenpartiepourcetteraisonqu’EddieenveutàDamon.Pourtant,jen’aijamaiscomprispourquoiillehaïssaitautant.Pourmoi,c’étaitincompréhensible.(Elleclaquelalangueetsecoueencoreunefois la tête.)Cen’estpas la fautedecetenfantsiEddiea trompésafemmeetengrosséunepauvrefille.LepetitDamonétaitblanccommeneige.Lesenfantsnedoiventpasêtrepunispourlesfautesdeleursparents.

—Ilyaquelquechosequevousnesavezpas,Gramz.Lepoidsdelavéritéestlourdàporter.DevoirêtrecellequilaraconteàGramzestinsoutenable.—Évidemment,fait-elle,exaspérée.Ilyatoujoursquelquechosequ’onnesaitpas.—JevoudraisquevousveniezparleràNonidemain,maispasavantd’entendrecequ’ellem’a

raconté.—D’accord,hésiteGramz,dansl’attentedelasuite.

—Cen’étaitpassafauteàelle…Noni…elle…n’apaseulechoix.Edwardacommisunacteimpensable,Gramz.Il…ill’a…

Jeneparvienspasàprononcerlesmots,maisjevoislacompréhensionseprécisersursestraits.Elleportesesmainsflétriesàsabouche,abasourdieparcequejeviensdeluidévoiler.

—Non,iln’apasfaitça…marmotte-t-ellederrièresesdoigts.—Si.—Oh,monDieu.Tuessûre?Commentlesais-tu?—Gramz,ellem’atoutraconté.Danstouslesdétails.C’étaithorrible.Etsivousl’aviezvue…Si

vousaviezentendu…cequ’illuiafait…(Jem’interrompspourrepousserlabouledansmagorge,réprimermonenviedepleurer.)C’estlaraisonprincipalequil’apousséeàabandonnerDamon.Ellen’étaitpascapabledes’enoccuper,d’unpointdevuephysiqueouémotionnel.

—Oh,monDieu,répèteGramz,encoresouslechoc.Jet’accompagneraidemainàlalibrairie.Ilfautquejelarevoie.Cettepauvrepetite…

Gramzbaisselesyeuxetjevoisseslarmescouler.J’approuve sa décision d’un signe de tête. Je savais qu’elle voudrait parler avecNoni. Elle va

vouloirrétablirleschosesetrectifierleserreursd’Edward,commeellel’atoujoursfait.—Jeluiaiditquec’étaitàvousqu’ilvalaitmieuxparlerd’abord,alorsallez-ydoucementavec

elle.Elleest…fragile.Elleneconnaîtpasnonplusl’enfancedeDamon,etjenesaispascommentluienparler.Nisijelepourraiunjour.

J’aiété tellementobnubiléepar le faitdegarderson identitésecrètevis-à-visdeDamonque jen’ai pas réfléchi à ce qu’il faudrait lui cacher, à elle. Si elle apprend ce qu’a pu subirDamondesmains d’Edward, elle sera effondrée. Elle se sentira encore plus coupable et s’imaginera être lemonstreplutôtquelavictime,etpourtant,Nonin’ariend’unmonstre.

JemerelèvepourallerembrasserGramz.—Bonnenuit.—Jeregrettedenepasenavoirfaitpluspourelle,chuchoteGramzsansreleverlatête.Jenesaispascommentréagiràcesdires.Ledois-je?—Vous avez fait ce que vous avez pu, je réponds avec douceur. Vous avez été présente pour

Damon.Elle fait un signededénégation, pensant sansdoute à cequenous avons apprisdes cahiersde

Damon.—Onvadirequeça faitpartiedupassé, soupire-t-elleenme tapotant lamain.Tuesune fille

bien,Jo.(Enfin,ellerelèvelatêteetmesourit.)Bonnenuit.Jequittesonappartementpourregagnerlamaison.Jemeursd’enviedevoirDamonet,enmême

temps,jem’eninquiète.Nonisesentcoupable,Gramz,honteuse,etmoi,tellementeffrayéepartoutçaquejenesaispasparoùcommencer.Sijemetslespiedsdansleplat,commejel’aifaitjusqu’ici,toutçavaforcémentmeretomberdessus.Cequimedéstabiliseleplus,c’estquejen’aiaucunmoyendesavoircommentvasedéroulerlasuite.JeprotégeraimonGrandMecàtoutprix.Mêmesijedoismentirquelquetemps,jepréserveraisoncœur.Detoutefaçon,NonietGramzdoiventseparleravantqu’onnerévèlequoiquecesoitàDamon.

Ledîner tout simple se déroule dans le calme.Comme toujours,Damondévore rapidement lanourritureetpasselerestedurepasàm’observer,d’encoreplusprèsqued’habitude.Ilneprononcepas unmot,mais n’en a jamais vraiment besoin. Celam’inquiète qu’il décèlemonmalaise. Si jesimulais labonnehumeur, jeseraisrepéréeimmédiatement.Damonsaitquandjemesensvraimentbien;inutiledefeindrequecequejeviensd’apprendren’apasaffectématêteetmoncœur.

Enfaisantlavaisselle,jeréfléchisàlasituationetdécidedeluifourniruneexplicationcrédibleet, en fin de compte, vraie. Il nem’a pas encore posé la question, car il attend sans doute que jem’ouvreàlui,maisaumoins,jesuisprête.Jepatienteraiaussi,ets’ilmedemandequelquechose,jeluidiraiquej’aieuunesalejournéeauboulot,cequiestloind’êtreunmensonge.

Préparéeàsesinterrogations,jemonted’unpaslourdl’escaliermenantànotrechambreetjeletrouvedanslasalledebains,occupéàbrossersesdentsparfaitesetvêtud’unesimpleserviette.Enunregard,jetrouvelemédicamentidéalpouroublieruntantsoitpeulesrévélationscauchemardesquesquim’ontétéfaites.

Son regardchaleureux rencontre lemiendans lemiroir,et je suisaspiréeparce tourbillondesensualitéquereprésenteDamon.Chaquepartiedemoncorpsm’exhorteàm’approcherdelui,peaucontre peau, yeux dans les yeux. Il luit encore de l’eau de la douche, ses cheveux sont humides etébouriffés,etsursonmenton,ilyajusteassezdebarbepourmechatouillerlajoue.Ilestparfait.

Jem’avanceverslui,prèsdulavabo,etpasselesbrasautourdesataillepourmepressercontrelui.Lajouecontresondosbiendessiné,jem’autoriseàfermerlespaupièreslorsdecemomentderépit.Lesimplefaitd’êtreavecluimedistraitdemaréalitéchaotique.

—Tuvasm’expliquercequinevapas,oufaut-ilquejetel’arracheparmescharmes?Jeparsèmesondosdepetitsbaisersetrépondsàmi-course:—Çaajusteétéunerudejournée,maisjechoisisdetoutefaçonl’optionB.JesenslecorpsdeDamonvibrercontremoilorsqu’ilsemetàrire.—Tun’auraspasàmelediredeuxfois.Aulit,ordonne-t-ilcommeunvraimacho.Ilseretournesurplaceetsoulèvelaserviette,révélantunetrèsbelleérection.Quelbonheurdele

voirnu!C’estunethérapiepar leregardet jemedélectedesaplastiquesuperbe,assezlongtempspour qu’il finisse par m’attraper et m’emporter sur son épaule. Je pousse un cri de demoiselleeffarouchéependantqu’ilmemènedroitaulit.Avantdemefairejetersurlematelas,jetendslebraspourpincerunefessemusclée.

Damonrampesurledrappourmecelerdansuneprisondechairdurecommeleroc.C’estavecplaisirquejepurgeraimapeine…etquej’oublierail’entrevueàvenirdemain.

5

RéuniondefamilleSiGramzestanxieuse,ellenelemontrepas.Jel’airegardéeencoinunedizainedefoissurle

chemindelalibrairiecematin,etchaquefois,elleregardaitlepaysageenfredonnantl’airquipassaitàlaradio.

—Vousn’êtespasstressée?jefinisparluidemander.—Oh,non!fait-elleavecassurance.Lestress,c’estpourlesjeunes.Ettoi,çava?— Eh bienmoi, j’ai le trac ! J’ai promis à Noni que ce serait la façon la moins violente de

commencer.Jenevoudraispasluiavoirmenti.Il s’agità la foisd’unesupplicationetd’unavertissement. Je faisconfianceàGramz,biensûr,

maiscettesituationnem’inspireriendebon.—Toutvabiensepasser,Jo,jetelepromets,affirme-t-elleavecladouceurd’unemère.Cesparolesparviennentàmecalmeretnousparcouronslerestedelarouteensilence.JerespireprofondémentenfaisantletourdelacamionnettepouraiderGramzàendescendre.Je

déplie sondéambulateur trafiqué, sansoublier d’enclencher la sécurité.Avecun sourire, la grand-mèresortdelaVolvo.

—Aprèsvous,Gramz,dis-jeenluifaisantsigned’avancer.Elles’extasiesurlarénovationdumagasinetjeluifaisletourdupropriétaireleplusrapidedu

monde avant de l’introduire dans le bureau, où je la laisse avecHemingway et desmagazines demariage.Jeveuxqu’ellerestehorsdevueavantquej’aiepuannoncersaprésenceàNoni.

Celle-ci arrive en retard, ce qui n’est pas habituel. Un instant, j’ai eu peur qu’elle ne se fasseporter pâle. Lorsque j’aperçois enfin ses cheveux châtains semés de gris, je pousse un soupir desoulagement.

—Salut,Noni,dis-jed’untonhésitant,dansl’espoirdetestersonhumeur.—Bonjour,Jo.Ellefaitpreuvederésilience.Voilàcequimevientàl’esprit,etj’admirelafemmequim’adonné

lemeilleurcadeauquej’aie jamaisreçu:Damon.Néde laviolenceetduchagrin,maisnémalgrétout.Jesuisépoustoufléeparlecouragequ’elleaeudemeneràtermecettegrossesse,carjenesaispas si, à sa place, j’aurais pu garder un enfant qui provient d’une telle scène d’atrocité. Avecbienveillance,jedemandeàNoni:

—Tutesensmieux?Elledéglutitetm’adresseunpetitsourire,encourageantmalgrétout.

—Oui,jecrois.Tueslapremièreàsavoircequis’estpassé,etc’estvraimentétrange,maisjesuissoulagée.J’yairéfléchihiersoir:j’aisansdoutegardécesecretsilongtempsquejenemesuispasrenducompteàquelpointilm’isolait.Merci,ajoute-t-elleenmeprenantdanssesbras.

Je ferme les yeux, m’efforce de contrôler mes émotions. Tout cet épisode a fait renaître desémotionsenmoiqui étaient éteintesdepuis lamortdemesparents. Je les avais étoufféesparpurenécessité.Jemedevaisd’êtreforte,etmelaisserallerà touscessentimentsnefaisaitpaspartiedel’équation.Encemoment,jen’aienviequed’unechose:fondreenlarmes.

Noni agrippemes épaules etme serre contre elle, un sourire attendri aux lèvres.Cela suffit àanéantir labarricadeque j’aiérigée ilya tantd’années.Stupidement,dessanglotsseformentdansmesyeuxetj’ail’impressiond’êtreunepauvreidiote.

—Nefaispasattentionàmoi,jesuisbête,dis-jeenm’essuyantlesjoues.—Oh,mapuce.Nonimereprenddanssesbraspourunesecondeétreintequifaitunbienfouàmespauvresnerfs

malmenés,aupointquejen’aipasenviedelalaissers’écarter.Àmi-voix,jecommente:— Je suis à fleur de peau, c’est lamentable. Entre le mariage, la nouvelle maison,

l’emménagement de Gramz, et puis toi… (Je secoue la tête avec résignation et sèche une larmeégaréesurmonmentonenregardantNonipourfaireattentionqu’ellenepaniquepas.)EnparlantdeGramz,elleestici.Danslebureau.

Noniécarquillelesyeuxetportelamainàsoncœur.Ellegardelesilencemalgrésonaireffaré.— Elle est au courant, je poursuis. Je lui ai expliqué hier soir et elle tient à te voir. (Je

m’interrompssanstropsavoirsijedevraisattendreuneréponse.)Tuveuxallerlavoir?Je préfère proposer plutôt qu’insister. La réaction de Noni n’est pas très expansive, son

hochementde tête est en effet à peineperceptible,mais il existe tout demême.NouspartonsdoncrejoindreGramz.

Jemarche devantmon amie d’un pas décidé et ouvre la porte pour révélerGramz.Une petiteexclamationluiéchappequandellerevoitNonipourlapremièrefoisdepuistrenteans.

—Incroyable,murmurelagrand-mèredeDamon,quiselèveetrepousseledéambulateurdontjesuispersuadéequ’ellen’apasbesoin.Machère,chèreenfant,dit-elleenouvrantgrandlesbraspouryaccueillirNoni.

Sanshésiter,NoniaccourtdanslegirondeGramz.Etvlan,nousnousretrouvonsàpleurertoutesles trois ! Elles s’étreignent longuement, se chuchotent à l’oreille des choses que je n’entends pasdepuislaporte.

Enfin,Gramzs’écarteettapotelesjouesdeNoni.Monregardoscilledel’uneàl’autre.Ellesontbesoinderesterseuleset,demoncôté,jedoisarrêterdem’effondrerenlarmespourm’avancerunpeucôté librairie.LeCapitainenem’autoriseraitpasdedébordementsaussi féminins. Ilseraitsansdouteentraindemarmonneruneinsanitécomplètementsexistesurleshormonesdesfemmesquilesrendentdangereuses.Iln’estjamaistrèséloignédemespensées,surtoutcesderniersjours,etilmemanque toujours davantage à mesure que le temps passe. Avant de me laisser encore une foisentraînerparmesémotions,jecoupecourt.

—Jevaistravaillerunpeu.Vousn’avezqu’àdiscuterunmoment.Sivousavezbesoindemoi,jesuisjustelà.

Aprèsungesteendirectiondemonbureau,jefile.Ellesontbeaucoupàsedireetjedoispréparerla grande réouverture de mon magasin. La montagne de boulot qui m’attend est une coupurebienvenueparrapportàl’instantprésentetj’yplongetêtelapremière.

Jeregardeparlesvastesfenêtresdenotrenouvellechambreetlaissemoncerveautourbillonnerenéchafaudantunscénariocompliqué,maismagnifique.

J’ai de la chance d’avoir Damon. Je le sais mieux que personne et je n’ai jamais voulucompromettremarelationaveclui.Malheureusement,jecrainsd’avoircommisexactementl’erreurquejesouhaitaiséviteràtoutprix.Jen’avaisrienfaitpourrecevoirsonaidesuiteàmonaccidentilyatoutescesannéesetjen’aipasl’impressiond’avoirfaitquoiquecesoitpourleméritermaintenant.Envérité,jen’airienfaitd’autrequedevenirvictimelorsdecemalheur,etc’estcequiaprovoquélarencontredenosdeuxmondes;siçanerelevaitpasd’unchoix,celam’atoutdemêmeliéeàlui.Del’extérieur,notrerelationesttrèsjolie,maisnoussavonstouslesdeuxqu’avoirunpsychologuesousle coude est un signe sans appel que nous avons beaucoup à travailler sur nous. Nous paraissonsheureux.Nousressemblonsàuncoupleamoureuxquiconstruitunavenirensemble,maisenmêmetemps, nous nous efforçons de dégager le tissu cicatriciel de nos vies simplement pourmaintenircettefaçade.C’estdifficileàadmettremais,encomparantnosenfancesdemerde,jemedisquemondeuilétaitpréférableàsondestinàlui.Aumoins,jen’aiquedessouvenirsemplisd’affectionpourmesparents.Jamaisjenemesuisditqu’ilsnem’aimaientpasounevoulaientpasdemoi.Damon,lui,a passé les trente-trois années de sa vie en sachant que samère l’a abandonné et que son père ledéteste.Jen’imaginemêmepascombiencetteréalitél’aendommagé.Jesouffrepourluiencoreplusqu’àcausedemestragédiespersonnelles.

Etvoilàqu’àpartird’unesituationensoichaotique,j’aijetédel’huilesurlefeuenfouillantdanslepassédeDamon.J’aicherchél’identitédesamèreetmaintenantquej’aiobtenulesrenseignementssouhaités,jenesuisplusconvaincuedelesvouloir.Plusdutout.Jesuismortedetrouilleàl’idéequeDamondécouvremesagissements.Unpressentimentétouffémehurledepuisunmomentd’arrêterdementir et de simplement prier pour que mon Grand Mec accepte les faits. L’image d’un Damonfurieux, effrayé et encore plus traumatisé me tourmente depuis des semaines. La seule chose quim’effraieraitdavantageseraitlavisiond’unDamonrenfermé,refusantdes’intéresseràquoiquecesoit. J’aicombattuceDamondéjàune fois. J’ai remporté labataille,mais jenesuispas toutà faitcertained’avoirgagnélaguerre.Cetteexpressiondefroideindifférencesursonbeauvisage, jeneveux plus jamais la revoir. La dernière fois, cela a failli me détruire, et revivre ces instants medépouilleraitdemarésolution.

Les retrouvailles de Gramz avec Noni ont bien failli avoir raison de moi et je ne suis paspersuadéedepouvoirallerplusloin.Disons-le,jenesuispassûredeledevoir.Commentpourrais-jegarderlesilence?Ellesontparlé,parlé…toutelajournée.Nousavonsdéjeunétouteslestrois,maisjelesailaisséesensembleàpeinemonsandwichenglouti,etjenesuispasvraimentintervenuedansleur conversation. Quand je suis repartie travailler, aucune des deux ne l’a remarqué. Elles ontcontinuédediscuterjusqu’àl’heuredefermeturedelalibrairieetj’aifaitabstractiondelasensationdenauséeengendréeparlaparanoïa.

La camionnette de Damon qui s’arrête dans l’allée me tire de mon désarroi familier etembrouillé. J’admire sa grande silhouette bien droite qui s’extrait de l’habitacle avec aisance etavance à grands pas vers la porte d’entrée. Juste avant d’arriver sous l’auvent, il lève ses yeuxdebraise,commes’ilmesentaitl’observer,toutcommejeperçoisquandilmeregarde.Àl’expressionduredesonvisage,jedevinequ’ilvafoncerdroitversmoi.Difficilededéterminersiletremblementqui commence à m’agiter est dû au ravissement dans l’attente de ce que signifient ses yeux ou àl’angoisseconstantequelavéritén’éclate.

Àpeinetrentesecondesplustard,Damonapparaîtdansl’embrasuredelaportedenotrechambre.Ses larges épaules occupent tout l’espace que l’entrée peut lui offrir. Jeme tourne vers lui et, par

choixoupar réflexe, jegarde lesilence. Il reste là, lescheveuxenbataille, l’air rageur,maissansparler.

Merde.Prise de panique, je sens mon cœur s’accélérer. Il faut que je dise quelque chose, mais mon

cerveau a pris des vacances, remplacé par une peur panique. Damon lève lamain, un doigt, puiss’éloigne à grands pas décidés vers la salle de bains. Il ferme la porte derrière lui, me laissantdésarçonnée.Qu’est-cequiluiprend?

Quandilreparaîtquelquesinstantsplustard,ilest…exquis.Ils’estdébarrassédesachemiseetneportequesonpantalon.Àvoirsafaçondes’appuyernégligemmentcontrel’encadrementdelaportetout en séchant avec soin ses grandesmains, je suis à la fois apeurée et alléchée commeun chienaffamé.Cequ’ilestbeau!Direqu’ilestàmoi.Àmoi!

—Je…—Chut,exige-t-il.Ilseredresseetfondsurmoiàtoutevitesse.Moncorpsvibred’uneenviegrandissanteàmesure

qu’il avance. Une envie de chaque parcelle de son corps. Une envie de le goûter. De noyer mesinquiétudesdansunocéandeluxureetdechaleur.Demesentirmieux.Dèsqu’ilsetrouvecontremoi,jesuisenvahieparsonodeurquimetransporteversunétatdefrénésiedésespérée.Jecommenceàlesupplier:

—Jeveux…Ilmeprendparlesépaulesetmedétournedeluipourregarderparlafenêtre.Ilseplacesiprès

demon dos qu’involontairement jeme cambre contre lui, désireuse de le toucher.D’unemain, iltrouvemonventre,qu’ilcouvrepresqueentièrementdesapaume.Jesensseslèvrescontrelelobedemonoreille,dansuneffleurementsi ténuqu’ilenestdouloureux,qu’ildiffusedesfrissonsenmoipartout,commedesondessurl’eau.

—Ondiraitbienquejenesuispasleseulàsavoirgarderdessecrets,chuchote-t-ilàmonoreille.Sonsoufflesurmapeauestléger,encontradictioncomplèteaveclaboulequivientdeseformer

dans ma gorge. J’ai l’impression que mon cœur s’arrête et l’angoisse éteint le feu si facilementembraséparDamon.

Ilestaucourant.Jemefigesurplace.Jenereprésenteplusqu’uneimmensepeur.Mespiedssontcommecoulés

dans du béton. Quant à mon ventre… il s’apprête à restituer le sandwich que j’ai avalé siprécipitammentpourledéjeuner.

Damonglisseunpapierdansmamain.Jelerelèvepourexaminercequ’ilapudécouvrir.Unerevuedemariage.Sérieusement,unerevuedemariage?Jeretourneverslui,l’incrédulitéinscritesurmonvisage.L’airinterrogateur,jeluidemanded’un

airaussiinnocentquepossible:—Benquoi?Damonreprendlemagazineet,legestetranquille,l’ouvreàunepagecornée,verslemilieu.—Dans le top dix des destinations pour une lune demiel, tu as entouré Paris. Tu nem’avais

jamaisditquetuvoulaisallerenFrance.Pourquoi?Non,maisc’estuneblague?Jepousseunsoupir,commesiquelqu’unvenaitdedesserrerl’étausurmesnerfsetjemerelâche.

Monanxiétéredescendàunniveaugérableetmonestomac,quoiqueencorebarbouillé,nemenaceplusdem’envoyerencourantauxtoilettes.Attendrie,j’enlacemonGrandMec.

—J’aidûoublierdet’enparler.Onn’estpasobligésd’yaller.C’estjuste…mafoi…çam’atapédansl’œil,sachantquec’estlàquej’aiétéconçue.

—C’estlàquetuveuxpassernotrelunedemiel?—Monchéri,jemefichebiend’oùonira,dumomentquejesuistafemme.—C’esttrèsagréableàentendre,reconnaîtDamon.Sesmainssefontaffaméesetsemettentàexplorermesfesses.Jegémisetposelefrontcontre

sonsternum.CetencouragementsuffitlargementàDamon.Desdeuxmains,ilempoignel’arrièredemescuissesetmesoulèved’uncoup.Jenouelesjambesautourdesatailleetilmeporteverslelit.

Damonneperdpasdetemps.D’ungestevif,ilretirelepantalondeyogaquej’utilisepourtraînerdanslamaison.Illaisseenplacemonstringendentellebleumarine,maisôtemondébardeuretmonsoutien-gorge.Jesuisallongéedevantlui,vêtuedelaplussimpledentelle,dévergondéeetenattente.L’humidité entre mes cuisses le réclame. Son propre pantalon tombe à terre, vite rejoint par soncaleçon.Jem’agiteenlevoyantsedévoileràmoi.Sonmembreengorgéfaitunpetitbondenavant,prêt à l’action. Je parcours des yeux chaque veine palpitante, chaque creux ainsi que l’extrémitéveloutéede l’objetdemondésir.Malgrémoi,ma langue jaillit pourhumectermes lèvres.Damoncomprendcequejeveux.

D’undoigtrecourbé,jeluifaissignedemerejoindre.—Monchéri,jeveuxteprendredansmabouche.Il monte sur le lit et s’incline en arrière, amenant son lourd pénis frémissant contre mon

abdomen. Je m’agenouille entre ses jambes et me penche pour engloutir son sexe dans toute salongueur,aussiprofondémentquepossibledansmabouche.L’extrémitésoyeusedesonmembrebutecontremagorge,mais je continue, encore plus loin.Quand je relève les yeux,Damon a les siensbrillantsdeplaisirrivéssurmoietlamâchoireserrée.

De lamain, j’opère de lents va-et-vient sur lui avec fermeté. Puis j’enroule et glisse la langueautourdelalargeextrémitédesaverge,luiarrachantunsoupirrauquevenudesabyssesdesontorse.

—Ohputain,machérie,halète-t-il.Sousletraitementquil’approchesanscessedeladélivrance,seshanchesdonnentdesà-coups.Il

passel’unedesesgrandesmainsdansmachevelurepourmeguider,dehautenbas.Soudain,iltireencoreplussurmescheveuxetm’immobilise.—Surledos,gronde-t-il.Sans hésiter, je m’exécute et ouvre largement les cuisses pour recevoir mon Grand Mec. Il

accrochesesdoigtsàmonstringtrempé,enfoncelepoucedansletissudélicat,etenunriendetemps,la jonction entremes jambes est tout à lui. Il dirige les lèvres vers la partie la plus doucedemescuissesetyplantedelongsbaiserschauds,s’approchantpeuàpeudemaféminitémoite.

Jeremuelebassin,mecambre,rêvedeleressentirentièrementenmoi.Jefermelesyeuxet labouche talentueuse de Damon règne sur les endroits les plus sensibles de mon corps. Avec uneadresseprouvant sonexpérienceen lamatière, il lapemonclitorispalpitant. Je laisse échapperunpuissantgémissementquirésonneautourdenousetnefaitquel’encourager.Deseslèvresfermes,ils’emparedemonclitoriset jem’arc-boutecontre lui,moncorpsen joie. Il alterneentre lespetitscoupsdelangueetdespressionsplusfermes.Jesuisparcouruedebrèvesdéchargesélectriques,mesjambes tressautant en harmonie avec chaque passage de sa langue. Je trouve ses cheveux couleurchocolatnoiretemmêlelesdoigtsdanssesmèchesenbataille.

—Tuasungoûtparfait,machérie,dit-ild’unevoixgravequivibrecontremachair,mefaisanttrembler.Tuesdélicieuse.

Àl’approchedel’extase,marespirationsefaitdeplusenplussaccadée.

—Ah,Damon,jesouffle.—C’estça,monamour,mepresse-t-il.Jerejettelatêtecontrel’oreiller.Lesyeuxexorbitésetlaboucheouverte,jemecambrepourvoir

aumieuxlasiennesidélicieuse.Uncourantdeplaisirfuseenmoidanstouslessenseteffacetoutesmespenséesconscientes.

Ilvientdemebaiseràm’enfaireperdre la raison…sansmêmeavoir réellementaccomplicetacte.Ce paradoxe n’échappe pas àmon cerveau saturé d’endorphines. Seulmondieu du sexe zéléexistantdanslavraieviepouvaitopérerunetellemagie.Jesuissaplusferventeadepte.

LecorpssculpturaldeDamonglissesurlemienets’installeentremescuissestremblantes.Mesmamelonsdurcissupplientqu’ons’occuped’euxetmonGrandMecsesoumetdebonnegrâceàsesobligations.Ilprendbrièvementl’undemestétonsenbouche,qu’ilsuceavecénergie.Illemordille,m’infligeantlaquantitéparfaitededouleur,puisrépètel’opérationdel’autrecôté.

Ilagrippesoninstrumentérigé,oùj’aperçoisunegouttebrillantequiperle.Illeplacedoucementsurmonclitorissensible,pourydéposercetémoignagedeplaisir.Oh,bordel,quec’estsexy.

Sansm’enrendrecompte,jesoulèveleshanches,carmondésirdel’attirerenmoiestauplusvif.Ses yeux de miel brûlent les miens quand il s’élance jusqu’à la garde. Il s’est introduit aussiprofondémentqu’illepouvaitetcetteplénitudeestexquise.NossoupirsrespectifsrésonnentdanslapièceetDamonserapprochepourm’emprisonnerdanssesbras.Relevésurlescoudes,iltaquinemapoitrineàchaquepassagedesontorseciselé,exaltantmasatisfaction.

Avecchaqueà-coupintense,Damonnousamènetouslesdeuxauborddel’orgasme.Jesuisàsamerci,souslui.J’enfoncelesonglesdanssapeauetl’enserredemesjambes.Sonsoufflesefaitdeplusenpluscourt,deplusenplusprononcé.Ilaccélèrelerythmeetl’airnepénètreplusdansmespoumons.Jerecroquevillelesorteilsaupointd’enavoirmal.Jejouedemesmusclesintimesautourdelavergedemonamour,tirantchaqueoncedebien-êtrequ’ilaàmedonner.Ilmepilonneencoreunefois,deuxfois…puisilfrissonneetsedéverseenmoi.

Jel’enlacetendrementtandisqu’ilestencorevigoureusementenfouietjeleserrefort.Jedéposeunbaisersurlaveinequibougedanssoncouetnousnousrepaissonsdelafélicitéd’êtreensemble.

Bientôt,Damon respiredenouveaudemanière apaiséeet sedétendcontremoi avantque j’aiel’occasiondeluidemanderpourquoiilavaitl’airencolère.Detoutefaçon,ilauraitétéétonnantqu’ilm’expliquelesraisonsdesonirritation.Celaneluiarrivejamais.Pourvuquejen’aierienàvoirlà-dedans,etNoniouEdwardnonplus.

Malgrémoninquiétudetoujoursgalopante,lesommeilvientfacilement.J’espèreseulementquesi jamais Damon découvre le pot aux roses, il ne repoussera pas les gens qu’il aime. Moi enparticulier.

6

PetitedouleurAprèsavoirpréparélepetitdéjeunerpourGramz,Damonetmoi,jerassemblemesaffairespour

letravailetlesfourredansmabesace.J’aitouteunelistedechosesàaccompliraujourd’huietj’oseespérerquecelasuffiraàmedistrairedemespensées.

—Coucou,dis-jeenattrapantDamonparsacravateetenl’attirantversmoiquandilpassedanslevestibule.Tuvasbien?Tuavaisl’airfuraxquandtuesrentréhier.

—Versan,explique-t-ilenhaussantlesépaules.Ilcroittoutsavoir,cecharlatan.Riendeplus.C’estvrai!Sonrendez-vous.J’avaiscomplètementoubliéqu’hieronétaitmercredietqueDamonallaitchezlepsy.—Tuveuxenparler?Jevaisprobablementessuyerunrefus,maisj’essaiemalgrétout.—Est-cequejevaisdevoirtepayer?semoque-t-ilavecunclind’œil.—Évidemment,dis-jed’untonfaussementoffensé.—Tonprixseralemien.—Hmm…j’aiuneidée!Je l’attire encore plus près de moi en saisissant sa cravate de soie. Ses lèvres effleurent les

miennes et, en un éclair, je n’appartiens qu’à Damon Cole. Ne serait-ce que pour une seconde,j’oublielerestedumondeettouteslespersonnesquil’habitent.Encetinstant, iln’yaqueDamon,moietcelienquinousunit.

—Allons,unpeudetenue!s’exclameGramz,quifaitmined’êtrechoquée.Ellevientd’entrerdanslevestibuleavecsondéambulateurornédescotch,unsacàdossurune

épauleetseslunettesdelecturesuspenduesàsoncou.LeriregravedeDamonrésonnecontremabouche,puis ilsedétachedemoipouradresserun

largesourireàlafemmequil’aélevé.Encoreunregardversmoietilm’administreunchastebaiser.—Fautque j’yaille,machérie. Je t’appelle.À toutà l’heure,Gramz, lance-t-ilensedirigeant

verslaporte.—Çamarche,dis-je.Jet’aime!—Moiaussi!crie-t-ilenretour.Une fois la porte d’entrée refermée, je me retourne vers Gramz et ne peux m’empêcher de

pouffer.—Unsacàdos?Vousretournezàl’école?—Inutiledefairel’impertinente,jeunefille.J’aidesphotosetd’autreschosesàmontreràNoni.—C’estsûrqu’elledoitavoirbeaucoupdechosesetdetempsàrattraper,jereconnais.

Cen’estquemaintenantquejecomprends:Noniamanquépresquetrente-troisansdelaviedesonfils.Ellearenoncéàtantdejoies.Àleregardergrandiretapprendre,àaiderunbébéàdevenirun enfant, puis un homme. Si un jour j’ai un enfant, je ne peux pas imaginermanquer toutes cesétapes.Lasimplepenséedenepasvoirunbébéquej’auraisconçuavecDamonsuffitàengendrerunepetitedouleurdansmapoitrine.Cettepenséenemeplaîtpas.Pasdutout.

Cematin,Noni est arrivée au travail avant nous et la librairie commence à ressembler àmesprojets.Biensouvent,àl’exceptiond’hier,j’arriveautravailpourtrouverNoniquiattendquejelafasseentrer.Elleestcomplètementfiable.Ellealamêmetêtetouslesjours:sescheveuxbrunsbienlissésetretenusenarrièreparunpetitpeigne.Sesvêtementssontd’occasion,maistoujourspropres,bienrepassésetprofessionnels.Ellesentlalavande,porteunmaquillagelégerautourdesyeuxetn’apasbesoindedavantaged’artifices.Malgrécequ’elleatraversé,elleresteunetrèsbellefemme.Sij’avais regardédeplusprèsavant, j’auraissansdoutedétectédes traitsde ressemblanceentremonGrandMecetNoni.Ilalesmêmeslongscils,lesmêmescheveuxchâtainfoncéetyeuxbruns,mêmesilessienssontd’unecouleurplusclairequeceuxdesamère,quirappellentlechocolat.

JedevraisdonneràNoniunecléplutôtquedelalaisserattendretouslesjoursdevantlaporte,avecsonpanier-repas,sonsacàmainetsonmugisotherme…Jelasalueentirantlesclésdemonsac.

Gramz se déplace à petits pas jusqu’à elle et l’embrasse comme une mère. C’est une étreinteindescriptible, longue, douce, et emplie de chuchotements à l’oreille. Après un moment passé àadmirercesdeuxfemmes,laclédistraitementintroduitedanslaserrure,jetournejusqu’àentendreleverrou s’ouvrir. Je n’ai peut-être plus ma mère, mais j’ai ajouté à ma vie deux femmesextraordinaires que n’importe qui serait fier d’appelermaman. Elles sont de parfaits exemples defemmesfortes.Jelesidolâtretouteslesdeux.

Nonimedécochesonhabituelsouriredoux.—Bonjour,Jo.Gramzentrelapremièredanslalibrairie,suivieparmachèreemployée,pendantquejeleurtiens

laportedupied.—Jet’aiapportélesphotosdontjeteparlais,confieGramzàNonid’unairentendu,lamainsur

lecœur.Jesuiscontenteàl’idéedelesrevoir,çafaisaitunmoment.Jesuggère:—Vousn’avezqu’àallerdansmonbureau.J’airendez-vousavecunartisanpourlestablesàdix

heures.Je consultemamontre,quin’estplus celledemaman. Je suis encore en traindem’yhabituer.

C’estunesolutioncoûteusederemplacement:uneRolexneuveassortieàcelledeDamon…enfinjenesaispastrop,maisc’estlamêmemarqueetelledonnel’heureaussi.Elleesttrèsbelle,enorroseincrustédediamants.Elleestsimplemaisélégante,et jedoisreconnaîtrequeje l’adore.J’aivoulurefuser,maismonGrandMecainsistépourquejelagardejusqu’àcequ’ilparvienneàfaireréparercelledemamèreaprèssonplongeonmalencontreuxdanslebain.Jenesaispaspourquoij’aiprislapeined’essayerde résister,carDamonnesupportepasqu’on luidisenon.Jamais. Il faudraque jepenseàluidemanderoùensontlesréparationssurlamontredemamère,toutàl’heure.

GramzetNoniseretirentavecplaisirdansmonbureau,cequimepermetdecommenceràétablirlesprojetspourlavenuedel’artisan.Ilseralàdansuneheureetsachantquec’estDamonquiaprislerendez-vous, inutile de refuser. Selon lui, les meubles sur mesure fabriqués par cette entrepriseseraient parfaits pour mettre la librairie au goût du jour, grâce à un environnement « jeune et

dynamique».Legarss’appelleJonathanGreenetapparemmentilfabrique,pourlesgares,destablesde bistrot qui reçoivent chacune trois clients et permettent la recharge des liseuses, ordinateursportables, tablettes et téléphones. On peut même relever les cloisons pour s’isoler, ce qui faitressemblerlestablesàdespartsdetartes.Ilabaptisésonentreprise«PassezauGreen»,unnomquimesemblesipompeuxquejefroncelenez.

À neuf heures quarante-cinq, Brian arrive avec une grande blonde aux longues jambes,accompagnée d’un garçon qui doit être son fils.C’est sûrement sa sœur car ils se ressemblent defaçonfrappante.

—Jo,mapuce,jeteprésentemasœuraînée,Lindsay.Sœurette,voiciJo.Etcebeaugosse,c’estmonneveu,Trey.

—Effectivement,c’estunbeaugosse,jefaisavecunclind’œilpourleravissantpetitgarçon.Pour la deuxième fois de la journée, j’imagine à quoi mes enfants avec Damon pourraient

correspondre:descheveuxbrunsduveteux,desyeuxdemieletdegrosseslèvresboudeusesdebébé.Unaspecttrèsféminindemoiseréveilleetjesuissciéeparlesenviesdematernitéquimeprennent.Maisqu’est-cequisepasse,Jo?JemedébarrassedecettevisionetmeconcentresurBrian,quitapedupiedavecimpatience.

—Brian,enquoipuis-jet’aider?—J’aiamenéLindsayavecmoiparcequenouscherchonsduboulotpourelleaujourd’hui,mais

M.lebossm’aditdevenirprendredesnoteslorsdetonrendez-vousavec«PassezauGreen».—Autrementdit,espionner.—Pasdutout!Ils’agitplusdemicro-management,objecteBrianavecunhaussementd’épaules.Ildégagedeson frontunemècheblondfoncé ; ildoitêtreàcourtdegel,degominaoude la

substancequ’ilutilised’habitudepourdomptersescheveuxetleurdonnerl’apparenced’uncasquedeferforgé.

—Et tu fais du baby-sitting, dis-je par-dessusmon épaule enme retirant derrière le bar pourprendreunetassedecaféchaud.Trey,tuveuxquelquechoseàboire?

—Jeveuxbien,madame,répondpolimentlepetitgarçonauxyeuxverts.Est-cequevousauriezdesbriquesdelaitchocolaté?

—Çam’étonneraitmais, par contre, dis-je enmepenchant comme si je lui confiais un secretdiplomatique,ilyaquelqu’uniciquipeutteconcocterunchocolatchauddivin.Çatedit?

LegrandsouriredeTreyestuneréponsesuffisante.Jelanceenmedirigeantverslebureau:—Jerevienstoutdesuite.Brian,servez-voustouslesdeux.Une fois que j’ai arrachéNoni aux griffes deGramz et que je suis revenue dans lemagasin,

Jonathan Green s’est joint à notre petite assemblée. Brian se tient prêt avec sa tablette, et Trey adisparuaurayonenfant.LindsayestplongéedanslemenuétabliparNonietM.Green,quim’attendavecBrian,mesalue.

—Enchantée.JoGéroux,dis-jeenluitendantlamain.M.«PassezauGreen»m’adresseunsourireprétentieuxetintérieurementjemefélicited’avoir

prédit qu’il serait imbu de lui-même. Sinon, pourquoi baptiser son entreprise ainsi ? « Passez auGreen»,tuparles!Ilauraitaussibienpul’appeler«Regardez-moi».

—C’estunplaisirdevousrencontrer,Jo.JesuisJonathanGreen.Iltientmamainjusteunpeutroplongtempsdanslasienne,cequicréeinstantanémentunmalaise

dansnotrerendez-vous.—Euh,bon…venons-enaufait.

Jefrappedansmesmains,et,aprèsuneheureetdemiedeprésentationdesapart, j’inventeuneraisondemeretireraubureauetlaisseBrianprendredesnotes.J’enaimaclaquedecevantardquilaisseentendrequ’ilconnaîttoutlemondeetsevantedetout.Quandjerefaissurface,M.Moiaquittélemagasinetapparemment,lasœuretleneveudeBrianaussi.

—Oùestpartietasœur?—Jenesaispas,maisellea filécommesi la librairievenaitdeprendrefeu.Elleaditqu’elle

revenait, répondBrian, pas lemoins dumonde inquiet, avec un geste vague vers la porte. Je t’aienvoyémesnotesparmail,ainsiqu’àDamon.Jedoisyaller,parcequeM.lebossm’adéjàenvoyédeuxmessagespourquejeprenneundossierchezMike.

Dansuneattituderésignée,ilrangesatablettedanssabesaceetjedemande:—C’estqui,ça?—MikePassarelli,sonespionperso,répondBriansansdifficulté.Sansmasquermaperplexité,jedemande:—C’est-à-dire?—Mikesetientaucourantunpeupartoutdesinformationsutilespourlesaffairesprivéesetpour

letravail.Commentçasefaitquetunesoispasaucourant?s’étonneBrian.Jemurmure:—Bonnequestion.Pourquoineconnaissais-jepasl’existencedecemec?Etquiemploiequelqu’unpourfarfouiller

àsaplace?Quelqu’unquiadesintérêtsàprotéger.— Ouais, Mike, il ressemble à Bruce Willis, période Piège de cristal. Plutôt sexy, alors ne

m’attirepasd’ennuis,poulette,m’avertitBrianenpointantundoigtmanucuréversmoi.—Jamais,jeprometsenlevantlesmainscommepourmerendre.—OK.Àplus,mapuce,chantonne-t-ilensedirigeantverslasortie.—Àplustard,Balthazar.Unespion?Genre,undétective?Cesoir,ilvafalloirquejeparleàDamond’autrechosequede

lamontre.

7

L’heuredevéritéAumoment où notremaison se dresse devantmoi, j’aperçois la camionnette deDamongarée

devant.Tiens,c’estinhabituelqu’ilrentrelepremier.—Jo,jevaisfaireunepetitesieste,meprévientGramzquandjel’aideàsortirdelavoiture.Je

revienstoutàl’heure.—Çamarche,Gramz.Reposez-vousbien.Jel’accompagneàsonappartement,puis,avecunsourire,fermelaporte.Arrivéeàlamaison,je

suisimpatientedemedébarrasserdemesvêtementsdetravailetdevoircequefaitDamon.J’aienviede tout savoir à propos de ce fameux espion.Mike aurait-il enquêté sur moi lorsque nous avonscommencéànousvoir?C’estcequim’intrigueleplus.

—Damon?J’attendsuninstant,maisn’obtienspasderéponse.Jemedirigeverssonbureau,certainequeje

trouveraimonGrandMec. Après un léger coup à la porte, j’ouvre comme àmon habitude, sansattendred’yêtreinvitée.

—Coucou,jet’aiappelé.Qu’est-cequetufais?Àsonbureau,Damonconsulteungrosdossier,l’expressionindéchiffrable.Jepasseaussitôten

mode«alertemaximale».Quelquechosecloche.Ilselèvesansunmotetcontournesonbureaupoursedirigerverslaporte,qu’ilferme.

—Ettoi,qu’est-cequetuasfait?demande-t-ild’untonégal.Aussitôt,moncœursemetàbattreàunrythmeeffréné,carjesaiscequivasuivre.Jeledevine

danslesyeuxdeDamon.Ilestaucourantetjenesuispasprête.—Qu’est-cequetuasfait?répète-t-ild’unevoixaucalmedéstabilisant.Pourseuleréaction,jeparviensàsecouerplusieursfoislatête.—Neniepas,Joséphine.Jet’aivuavecGramzluiparleràlalibrairie.—Dequoi?—Lescaméras,Joséphine.Ellesontétéinstalléeshiersoir.—Ettulesutilisespourm’espionner?—Aucunrapport.—Si, justement.Qu’est-ceque tuespionnesd’autredepuis ledébut?Mike t’adonnédes infos

juteuses?Jemedirigeverssonbureauaupasdechargeetouvred’uncoupsecledossier.

Objet:EdwardCole

Conclusions:dettesubstantielleenversplusieursorganismesdeprêtprivéetleursfiliales.Aucunpseudonymeconnu.Pasdecomptenidepropriétéàl’étranger.Deuxnumérosdetéléphoneportableenregistrésaunomd’EdwardCole.Surveillanceàpoursuivrecommeprévuprécédemment.

Objet:PhilippeGéroux,ColetteGéroux,JoséphineGérouxConclusions:PhilippeGéroux:décédé.ColetteGéroux:décédée.Parentsconnus:JoséphineGéroux…

QuandDamon le saisit et le repose sur le bureau, j’ai eu le temps de déchiffrer les premières

lignes.Jem’exclame:—Rends-moiça!Çameconcerne!—Non.Quandest-cequetuassu?faitDamond’unevoixrauque,lamâchoireserrée.Enunéclair, toutéchappeàmoncontrôle.Desmotsflottentdansmatête,maisilsmesemblent

tousinappropriés.—Quand?répète-t-il.Àmi-voix,j’avoue:—Aumomentoùj’aitrouvétesjournauxintimes,ilyavaittonactedenaissancededansetj’ai

commencé à la rechercher. J’ai envoyé une lettre à la personne citée dessus. Je ne savais pas quec’étaitelle.

Damonfermelesyeuxetbaisselatête.Ilpasselesmainsdanssescheveuxdéjàdécoiffés.—Etalors?—Ellem’aappeléelejouroùtum’asdemandéenmariage,pourm’avouerqu’elleétaittamère.—Joséphine…Difficiledesavoirs’ils’agitd’unesuppliqueoud’unreproche.J’avanced’unpasversluipour

luitendrelamain.Jevoudraissimplementaméliorerleschoses,nepasfairedemalàDamon.Jenesouhaitaispasqu’illesache,maisc’estarrivé.Saquestionsuivante,jelaconnaisavantmêmequ’ilnel’aitformulée.

—Ellet’aexpliqué?Sonregardtourmentévientà larencontredumien,melaissant incertaineeteffrayée.Avecune

grandeinspiration,jerassemblelepeudecouragequimeresteetm’apprêteàavouerl’épouvantablevérité.Jesaisquejevaisbrisersoncœurdéjàfragileetpulvérisersonesprit.

—Ellem’atoutexpliqué.Cettepetitephraselourdedesens,jelamarmonne.Elleestempreintedupoidsdelatragédie,du

viol, de la violence et desmensonges perpétrés surDamon par tout lemonde autour de lui,moicomprise.Çapourraitdifficilementêtrepire.

—Dis-m’enplus,Joséphine.Jedétestequ’ilutilisemonprénomentiersurce ton.C’estunsignecertainqu’ilestonnepeut

plussérieux.Ilnemeresteplusqu’àluiexposerlavéritéetprierpourqu’ilnes’effondrepassouslefardeaudecequ’ellereprésente.«Cequelesyeuxnevoientpasnefaitpasmalaucœur».Encoreunesaletédeproverbe,etcelui-cinepourraitêtreplusvraiquemaintenant.

—Damon,monamour…—Non!Tun’aspasintérêtàymettrelesformesmaintenant.Tumedistout,ettoutdesuite!Ledoigtlevéversmoi,ilbeuglesifortquemesoreillessifflent.

Des larmes me piquent les yeux et la boule dans ma gorge pourrait bien m’étouffer. Je suisacculéeparmonGrandMectourmenté,etjen’ainullepartoùaller.Jefinisparchuchoter:

—Damon,c’étaitunviol.Cet aveu me paraît si lointain. On ne dirait même pas ma voix. Peut-être parce que je tiens

tellementlaréalitéenhorreur,oualorsparcequec’estlapremièrefoisquejel’énonceàvoixhaute.Sous mes yeux attentifs, Damon plisse le front et baisse la tête. Je le vois répéter les motsintérieurement.

—C’estpasvrai…(Ilsecouvrelevisagedesesgrandesmainsetsedétournedemoi.)Putaindebordel,c’estpasvrai!

Il donnedeviolents coupsdepoingdans la porte.Sous la forcede l’impact, le bois craque ets’enfonce ; je sursaute instinctivement. Je l’aidéjàvuencolère,mais jamaisàcepoint.Cette fois,c’estbienplusquede l’irritationquipassedanssesyeux. Ilestblessé,atterré.Passeulementparcequ’on lui a menti pendant des années, mais aussi parce qu’il a perdu sa mère à cause du crimeinnommable commis par son père. Damon sait ce que c’est d’avoir dix-sept ans et d’avoirl’impressionquesavieestfinieavantmêmedel’avoircommencée.Nonietluiontétéprivésd’uneexistencenormale par lemêmehomme.Cepoint commun les aidera, j’espère, à établir le contactmalgréleurpassésordide.

—Va-t’en,Jo,chuchote-t-ilsansunregard.Jetedonneraitoutl’argentdonttuasbesoin.Tupeuxallerauloftpourl’instant.Jevaisfaireensortequ’ons’occupedetoi,maistudoispartird’ici.

Ilsecouelatêteàintervallesréguliersd’unairdéterminé,leslèvrespincées.Alorslà,çan’augureriendebon.Sansplusfaireattentionàmoi,ilattrapesavestesurlachaisedebureauetl’enfiledugestehabile

quepermetl’habitude.—Commentça?Pourquoi?Jenevaisnullepart!Toutetristesseestévaporée.Jesuisàlafoisperplexeetfâchée.Non,cen’estpasassezfort:mon

niveaudefrustrationvientd’exploserpoursesituerquelquepartentreundébordementderageetunbouillonnement d’indignation.L’hommeque je suis censée épouser voudrait que j’obtempère sansbroncheretquejefilesurcommande?Ildevraitsavoirquejenesuispascommeça.

—Tunepeuxpasresterdanscettehistoire,Jo.Jeneveuxpastefaireprendrederisquesetjenepourraipastesurveillerenpermanence.

Ilpasseàcôtédemoietcontournesonbureau.—Danscettehistoire,c’est-à-dire?Il a intérêtàme répondre. Jeneveuxpasqu’il fassequelquechosed’irréfléchi,dedangereux,

voired’illégal.Jenelelaisseraipasprendredetelsrisques.—Aucuneimportance.Tunepeuxpasrester,c’esttout.—N’importequoi!Lesmainssurleshanches,jesenslerougeafflueràmesjoues.—Çanetesuffitpas?Tun’enaspasvuassezpourcomprendrequelachoselaplusintelligenteà

faire,c’estdet’enfuirencourant?(Unemainsursonbureaupoursesoutenir,Damoncrie.Sonautremainlevéedésignesaporteendommagée.)Jen’aijamaisrienvoulud’autrequecequ’ilyademieuxpourtoi.Jen’avaisjamaisautantessayédereprésenterquelquechosepourquelqu’un.Maistoi,Jo…fait-ilenpointantundoigtaccusateursurmoi,putaindemerde!Pourtoi,jeferaitout,àpartrisquerqu’ontefassedumal.Etc’estexactementcequivaseproduiresiturestes.(Cetond’hommevaincuquiavouelavéritémeserrelecœur.)Jesuisunrappelconstantdetoutcequiexistedenégatif.

Damonselaissetomberdanslefauteuildecuirets’affaisse.ÇametordlestripesdevoirmonGrandMechantéparunpasséqu’iln’apasenvied’affronter.Iln’apasàl’accepter,pasmaintenant,peut-être jamais.Mais j’aibesoinqu’ilm’accepte,moi.Monaide,monépaule,macompréhension,monamour…toutcequej’aiàluioffrir.

—Tuesunrappelconstant,dis-jeencontournantsonbureaupourposerlesmainssursabarbedetroisjours.Touslesjours,tumerappellespourquoij’aiditoui.Tafaçondemeregarder…(Jemeglisse dans l’espace entre lui et son bureau pour me placer entre ses jambes.) Ta façon de meprotéger…(Jedéposeunlégerbaisersursonfront.)Depenserd’abordàmoiavanttoi-même…

Damondétournelatête,cequimepermetdel’attirercontremapoitrine.Parréflexe,ilnouelesbras autour dema taille, ce quime semble bon signe pour une victoire à venir.Avec un nouveaubaiser,j’ajoute:

—Tafaçondemepréserverdemoi-même…Tafaçondemeregarder…(Jeprendssonvisageentremesmainsetlereculejusteassezpourpouvoirl’embrassersurl’arêtedunez.)Tafaçondemetoucher…

Ilfermelesyeux,etj’enprofitepourpenchersatêteetembrassersamâchoirebiendessinée.Ilpousseunsoupiretjesaisqu’ilestentraindemerevenir.

—Tafaçondem’aimer,jeconclusdansunsouffle.Lesnarinespalpitantes, il prenduneprofonde inspirationet resserre lamâchoire. J’entendsun

grondement émaner de l’intérieur de son torse, et enmême temps, il agrippemes hanches d’unepoignedeferetmesoulève.

—T’aimer,c’esttoutcequej’aitoujoursvoulu,Jo.Moncœurfaitunbonddansmapoitrineàcedouxaveu.D’ungesteassuré,Damonfaitcoulisser

laceinturedemonpeignoirdanssespassants.Lasoieglissesurmesépaules,etjesuisrévéléeàlui.Ilneseprivepasdemecontempler,et rienn’achangé.Depuis lapremière foisqu’ilm’aprise, ilcommenceparapprécierchacunedemescourbesetserégalerduregard,sansfaussehonte.

Il poseundélicieuxbaiser, très tendre, au creuxdemes seins, l’air si vaincuque je donneraisn’importequoipourqu’ilaillemieux.Jem’apprêteàlissersesmèchesdecheveuxendésordre,maisilattrapemonpoignetàmi-course.

Brusquement, ilserelèveetm’écrase labouched’unbaiserpassionnéquimecoupelesouffle.Ma langues’engagedansuncombatde territoirecontre la sienne,mais ilm’est impossibledememainteniraurythmedeDamon.Çal’atoujoursété.Aussisoudainementquelebaiseracommencé,ils’interrompt.Damonsedétachedemoi,lesyeuxglacés.Moncœurs’arrêtedebattre.Oh,non.

—Va-t’en,ordonne-t-ild’untonsidéfinitifquej’aiunmouvementderecul.—Qu’est-ceque…—Pars.Iln’yaplusuneoncedetendresseenluietjesensmoncorpsdénudéserecroqueviller.Pourla

premièrefois,jesuisvulnérableetpudiquedevantlui.J’enfilelepeignoirtombéàterreetreprends:—Jenecomprendspasceque…—C’est trèssimple,Joséphine.Prendstesaffairesetpars.Jeréglerai tout lereste.Tuaurasde

quoisubsister.Briant’appellerademainpourmettreaupointlesdétails.Je me retrouve complètement prise de court. Moi qui m’apprêtais à faire l’amour avec mon

fiancé,jesuismaintenantrepoussée,jetéedehors…abandonnée,quoi!Jesuissûrequemaperplexitéselitsurmonvisage.D’untonhésitant,effrayéedeprononcerlesmots,jecommence:

—Tuveuxdire…—Quec’estfini?Oui.

Enun claquement de doigts,Damonversion zombie, froid et indifférent, est de retour et je ledéteste.Avecconviction,jesecouelatête.

—Non.Tunepeuxpasmefaireça.Jesuisdésolée.S’ilteplaît,nenousinfligepasça.Leslarmesfinissentpararriveretroulentsurmesjoues.—C’estpourtantcequejeviensdefaire.Damonm’écartedesonpassageetsortcalmementdesonbureau,melaissantderrièrelui.Sans

doutepourtoujours.

8

J’essaieraiJen’aipasditaurevoiràGramzet,quandjesuismiseàlarecherchedeDamon,ilavaitdisparu.

J’aiôtélediamantdemondoigtetjel’aiposésursatabledenuit.Nageantenpleinbrouillard,j’aiemportéquelquesaffaireset,ensilence,j’aiprislavoiturepourretournerauloft.Jen’arrivaispasàpleurer,pasplusqu’àréfléchir.JenepouvaisquemerépéterinlassablementlesmotsprononcésparDamon.Ilaquittélamaisonavantmoietilestsansdouteentraindem’oublierencompagnied’unefemmeoudeux.

DesimagesdeCarriel’orangegivrée,cettenunuchededécoratriced’intérieur,ainsiqued’autrespoupées gonflables qui essaient par tous les moyens de s’emparer d’un M. Cole nouvellementcélibataires’imposent,etc’enesttroppourmoncœurenmiettes.Unpetitverreneseraitpasderefus.Oudeux…Oudix, tantqu’àfaire.Mais iln’yapasd’alcooldans l’ancienappartementdeDamon,alors je farfouilledans le congélateur,dont j’extraisungrospotdeglaceauxéclatsdecookiesetpépitesdechocolat:lemeilleurmoyendenoyermonchagrin.

—Jo?Mapuce?C’estlavoixdeBrian.Sansprendreletempsd’avalermacuilleréedeglace,jeluiindiquequeje

suislà.Ilentredanslasalledebains,dégoulinantdecompassionetdecondoléances.Génial.—Oh,mapauvrepuce,selamente-t-il,lalèvreinférieureavancéepoursimulerledésarroi.—Non.Jepeuxpas.Putain!Ilm’estàpeuprèsimpossibledecontenirl’émotiondansmavoix.PlutôtquefairefaceàBrian,

jem’enfonce sous lamoussedubainque jemesuis fait couler.Quand je refais surface, je trouveBrianassissurlecouvercledestoilettesdevantmoi.

—Pourquoi tu es là ? demande-t-il en regardant dans la salle de bains consacrée aux amis depassage.

—Parcequelà,jen’aipastoutàfaitenviedemourir.Cetteréponsesimplenepourraitêtreplusvraie.Lachambreprincipaleavecsasalledebainsest

pleinedesouvenirsquejenesupportepasderevoirpourl’instant,surtoutàlaperspectivequecesoittoutcequimerestedeDamon.

—Oh,fait-ilavecl’airdecomprendre.Ilregardesesmainssagementcroiséespendantquej’agitelamousseavecmesdoigtsdepied,les

yeuxfixésdroitdevantmoi.—Allez,sorsdecettebaignoire.Tunepeuxpasresterlàindéfiniment.Brianm’aideàmereleveretmepassedeuxpetitesserviettespliées.

—Ilyaunpeignoirjustelà,mapuce.Jet’attendsdansleséjour.Aprèsm’être essuyée et enveloppéedupeignoir laisséparBrian, jem’aventuredans le séjour

pourletrouverautéléphone,dosàmoi.—Elleestensaleétat,boss,mais jevais resteravecellecesoir.OK, je faisça.Àdemain,dit

Brianavantderaccrocheretdemesurprendreàl’écouter.Lesimple faitdesavoirqu’ildiscutaitavec l’hommedont jesuis irrémédiablementamoureuse

faitredoublerladouleurdansmapoitrine.Jesuisonnepeutplusjalouseetj’aienvied’entendresavoix, de savoir ce qu’il fait, où il est, avec qui… Ce qu’il pense… Je veux être avec lui, toutsimplement.

—Désolé,mapuce.Ilm’afaitpromettredeluidonnerdesnouvellesunefoisquejet’auraisvue.—Parcequ’ilenaquelquechoseàfairedemoi?—Mais bien sûr, Jo. C’est pour ça qu’il te repousse, c’est samanière étrange de te protéger,

m’expliqueBrianavecunhaussementd’épaulesavantdetapoterlaplaceàcôtédeluisurlecanapé.Jepensequeçavasetasser.Donne-luiunpeudetemps.Jeneconnaispastouslesdétails,maisjesuiscertainqueDamont’aime,sansdouteencoreplusquetunelepenses.

Àcesparoles,jericane.OnnemeferapascroirequeDamonm’aime,neserait-cequ’undixièmede ce que moi, je l’aime. Si c’était le cas, il ne m’aurait pas envoyée faire mes bagages sipromptement.Jeluiaiditquej’étaisdésolée.Jepensaisagirdanssonintérêt.Jeveuxqu’ilarrêtedevivredanslepasséetqu’ilregardeversl’avenir,celuiquenousvoulionsensemble,oudemoinslecroyais-je.Malgrémoi,jemedisaisquetrouversamèrebiologiquel’aideraitàavancer.Maintenant,jesaisquej’aitort:jeneconnaissaispasassezl’hommequej’aimepourprendrecetteinitiative.

—Jenepeuxpasm’accrocheràcetespoir, jerépondsavectristesse.Çamefaitmaldepenserquejepourraisespérerqu’ilchanged’avis,pourfinalementêtredéçuequ’ilnem’appellepas.

—Jem’endoute,soupireBrian.Cesmecs,alors.Allez,sionregardaitunfilm?—Jen’enaipastrèsenvie.Jecroisquejevaisjustealleraulit.—Tuessûre?—Oui,j’aisommeil.Jemesensextrêmementfatiguée.—Bon,d’accord.Tuveuxquejerestecettenuit?—Maisnon,rentrecheztoi.Onsevoitdemain?—Quellequestion,biensûr!lance-t-il,d’unemanièrethéâtralequinepeutquemefairesourire

venantdeceluiquiestmaintenantmonamileplusproche.Surtout,tum’appellesencasdebesoinetj’arriveraitoutdesuite,promet-ilavantderamassersabesacepourrepartir.

Après avoirmarmonné«d’accord» et «bonnenuit », je refusede le laisserme regardermevautrerdansmonmal-être,et jeneseraipasdecellesqui forcent leursmeilleursamisà subirdesheuresdelamentationsausujetd’unerupture.

—Bonnenuit,poupée,merépondBrian.Monaptitudeàl’autodestructionmeconduitàlabibliothèque,ledomainedeDamon.Nousavons

laissé le loftmeublé,sachantqueDamonaachetédumobilieretde ladécorationpour lanouvellemaison.Lesétagèresde labibliothèquesontencore rempliesdesmeilleurs livresquiexistent ; lescanapésetlesfauteuilsoùmonhommem’aprisetantdefoissontrestésenplace.Jemedirigeversl’accoudoir de l’énorme fauteuil sur lequel Damon m’a fait l’amour, porteur d’innombrablessouvenirs.Là,jelaissecourirlesdoigtssurletissuetmeremémoresasensationcontremoncorpsnu,celled’êtreremplieparDamon.Jem’assiedsetserrelescuisses,fort,dansl’espoirderéprimerledésirgrandissantdansmonbas-ventre.Jecrèved’enviedelesentirprèsdemoi,enmoi,àcôtédemoi.

Rappeléeà la réalité, jesuisprisedesanglotsdéchirants.JeviensdeperdremonGrandMecàcaused’unpasséquirefusedes’éloigner.Ilyestrestébloqué,etmoi,jesuiscoincéeici,incapabledelui épargner l’obscurité qui l’engloutit, et donc de sauver notre couple. Il ne s’agit pas d’uneégratignure sur laquelle je peux faire un bisou pour qu’il se sente mieux. Et pourtant, s’il m’yautorisait,j’essaierais.

Damonempoignemonmentonentresonpouceetsonindex,etpasselepouceavecunelenteurinsupportablelelongdemalèvreinférieure.Jefermedoucementlesyeux,medélectantdudésirqu’ilfaitenflerenmoi.Auplusprofonddemoi,quelquechosecriepourlui.Ildoitentendremasuppliquesilencieuse,carilmesaisitparlanuquepourpossédermabouchedelasienne.Desalanguechaude,il caressemes lèvres ouvertes puis plongedansmabouchepour effleurerma langue à un rythmeexaspérant.Ilrouledeshanchescontremoi,m’arrachantungémissement.Jeleveux.Jen’aijamaisvoulu quelqu’un avec autant de force. Ni eu besoin de quelqu’un à ce point. Damon met fin auxbaisersetfaitreposersonfrontcontrelemien.Noussommestouslesdeuxessoufflésetexcités.Lerenflementrigidedesonpantalonsepressecontremonabdomenpourtenterdavantage.J’introduislesdoigtsdanslespassantsdesaceintureetl’attireencoreplusprès.

—Jet’aime,avoue-t-ilcommesicelaluiétaitdouloureux.Commes’ilm’aimaitaupointd’enavoirmal.Jesaiscequeçafait.—Moi aussi, je t’aime. (Dansmonchuchotement, j’effleuredes lèvres lespoilsde son torse.)

Tellement…Damonprenduneprofondeinspiration,puiss’emparedenouveaudemeslèvres.Sonodeurest

divine. Gel douche, parfum, lessive… des larmes se forment dans mes yeux, sans que je sachevraimentpourquoi. Je saisqu’il est avecmoi. Je levois, je le sens, j’ai songoûtdansmabouche,maisquelquechosesemblebriséàl’intérieurdemoi.Commesic’étaitladernièrefois.Jecroisquejepourraism’allongeretmourirsurplace.Jemedétacheetlesupplie:

—Nemequittepas.Damonneditrien.Sesyeuxlumineuxmetranspercent.—Damon?Jem’écartedeluietilneréagittoujourspas.—Damon!Jevoudraisl’entendredirequ’ilnemelaisserajamaisseule.Jeme réveille en sursautpourme retrouverencoreen robedechambre,dans le fauteuilde la

bibliothèque. Les larmes coulent le long demes joues. J’essaie de retrouver mes repères dans lapièce.Monrêveétait si réel. Jesentais sapeau, sachaleur.Sonodeurétaitdans lapièceavecmoi.Soudain,jecomprends.Jemelèved’unbondetjedescendsencourant.Jem’arrêtenetentrouvantunmotsurl’îlotcentraldelacuisine:

Jesuisdésolé.Jenesouhaitaispastefairemal.J’espèrequetumepardonnerasunjour.D.

Trois fois de suite, je parcours ces quelques lignes. Il est venu ici. Il est venu ! J’ai perçu sonodeur,jelaperçoisencore.Jepresselepapiersurmoncœuretm’effondresurlesoldelacuisine,adosséeaucomptoir.

C’estvraimentfini.Jen’aijamaiseulecœurbrisédelasorte.

9

UnbâtimentenfeuLenombrede choses qui peut se passer endeux semaines est tout simplement incroyable. J’ai

mangéunequantitéastronomiquede trucsgrasetsalés.Jen’ai jamaisautantdormidemavie.J’aienchaîné les films à l’eau de rose, même si ça n’a fait qu’empirer mon état. Et voilà, encore unexempledemapropensionàmedétruiretouteseule.

J’aipeuvuGramz.J’aidiscutédeuxfoisautéléphoneavecelle,maischaquefois,j’aiécourtélaconversationparmanquedecourage.N’importequelprétexteaétébon,parcequecelafaisait tropmaldeluiparler.

Iln’yaqu’Hemingwayquisupportedemevoirmetraînerlamentablement.Brianl’adéposélelendemaindusoiroùjemesuisfaitvirerparDamon,etlui,ilesttoutbonnementcontentquejesoispresquetoujoursaveclui.Jemerendsàlalibrairieauxmomentsoùonnepeutabsolumentpasfairesansmoi,maislerestedutempsj’évitedem’ytrouver.Mêmeêtrelà-bas,c’estdouloureux,sachantquec’est l’endroitoù j’ai rencontréDamonpour ladeuxièmefois.Yentrer,c’estcommepénétrerdansunbâtimentenfeu.Jeprendsmonsouffle,jefaiscequej’aiàfaireleplusrapidementpossibleetjem’échappeavantd’êtreconsuméeparlesflammes.

Maprésenceparintermittencen’apasl’airdedérangerNoni.Ellen’apasditgrand-chose,àpartunoudeux:«Jesuislàsituasbesoindeparler.»Parailleurs,ellesedécarcassedefaçonadmirableafinquetoutsoitprêtpourlagranderéouverture,àlaquellejepréféreraisnepasêtreprésente.Ellemériteraituneaugmentation.Lamoindredeschosesquejepouvaisfaire,c’étaitdeluiconfierlesclésdelamaisonduCapitaine.Elleainsistépourpayerunloyer,maisjeluiaiexpliquéque,tantqu’ellerègle taxes et factures et s’occupe de l’entretien, elle peut rester gracieusement. Elle a fini paraccepteret,lelendemain,ellearésiliélebaildesonvieilappartementdansunepartiemalfaméedelaville,enmepromettantqu’elles’arrangeraitpourm’acheterlamaisonunjour.Jeluiaiditqu’ellemerendaitserviceenyemménageant,maisellemecroittoujourstropgénéreuse.N’importequoi.

Mavie sociale s’est résuméeà consommerdeshamburgers avecBrianet à échangerquelquesparolesavecHoward,l’agentdesécurité,quandjesorspromenerHemingway.J’airencontréAndy-les-doigts-d’orpresque tous les jours,et jecommenceàmedirequ’ilnes’agitpasd’unhasard. Ils’estmontréaimableetcompréhensifdevantledésastrequejesuisencemoment,etsonflirthabituelestrestétrèsléger.Ouf!Desoncôté,ilpromènesonlabradornoir,quej’aibaptiséChaucer.Nousnouscroisonsàpeuprèsaumêmeendroit tous lessoirs,etparfoisnous laissons leschienscourirsanslaissedansleparcprévuàceteffet.Çam’offreunedistractionplutôtsympa.

Je n’ai pas eu de nouvelles deDamon depuis lemot qu’il a laissé dans la cuisine il y a deuxsemaines.IlmefaitpasserdesmessagesparBrian,etils’entientlà.Niappel,niSMS,nimail.Rien.

Ilm’aachetélalibrairie,laVolvo,Hemingway,etmelaisseutiliserleloftaussilongtempsquejelesouhaiterai.J’aiditàBrianqueDamonpouvaitremballersonarrangement.Jeneveuxpasdesonargent,putain!C’estluiquejeveux.Jeveuxquenousvivionsensemble.C’estçaqu’ilm’aretiréetc’est pourtant la chose la plus précieuse àmes yeux.Me jeter son argent à la figure, ce n’est querajouterl’insulteàlablessure.Brianprétendquesonpatroncherchesimplementàm’aider,maisjenesuisvraimentpasd’humeuràsupportersamagnanimité.

Àcôtédemoi,Hemingwaygrognesurlecanapépourattirermonattention.Jereposemonlivrepourexaminerlepetitmonstre.

—Qu’est-cequisepasse,monchou?Desbesoinsàfaire?Son jappement sonore correspond àunoui fermeen schnauzérien. Jem’y connais, je parle la

languedesschnauzersnainscourammentgrâceàuncoursintensifdedeuxsemainesenimmersiontotale,mercilarupture.

Àlaplacedemonshortdepyjama,j’enfileunpantacourtenjeandevenuunpeuplusmoulantdufait de mon orgie récente de malbouffe. Pfff, je vois vraiment le mauvais côté des choses en cemoment.Malgré la fraîcheur qui retombe avec le soleil déclinant, je nemets que des tongs et jeprends Hemingway dans mes bras. La météo de Las Vegas est très clémente, et c’est vraimentpratique.Magarde-robenechangepastropmalgrélessaisonsquidéfilent.Danslajournée,iln’yaguèrequ’enjanvierquejenepeuxpassortirennu-pieds.

—Bonsoir,Howard,dis-jeenpassantlalogedesécurité.—Bonsoir,mademoiselleJoséphine.—Vousallezarriveràm’appelerJo,unjour?—Sansdoutepas.Un petit sourire perce sous son masque habituel, et je suis abasourdie. Évidemment, je le lui

rends.—Toutvabienpourvous?—Àpeuprès,répondHoward,dontl’instantdegaietés’estviteévanoui.Ildétourneleregardet,mêmesicen’estpasforcémentbienvenu,jeluiproposedel’écouter.—Quelquechosenevapas?—Cen’estrien,mademoiselleJoséphine.—Vousêtessûr?Onpeutparlerunpetitpeu,çanemedérangepas.Jem’approcheetm’appuiesurlecomptoir.—J’aieuunemauvaisenouvelleaujourd’hui.MonpèreestatteintdelamaladiedeParkinsonet

lesmédicamentsnefontpluseffet.Onpourraitluiendonnerd’autres,maisilssonttropcoûteuxpourmonfrèreetmoi.

—Jesuisnavréepourvous,Howard.Sivoustenezdevotrepapa,jesuissûrequec’estquelqu’undetrèsgentilquineméritepasdutoutça.

L’agent hoche la tête etm’adresse un sourire poli signifiant que le sujet est clos. Ce doit êtreterriblepour luidenepaspouvoiraidersonpère.Si j’étaisenmesuredelefaire, je luidonneraisl’argentdontilabesoin.

—Bon, j’espère que çava s’arranger.Si vous avezbesoindequelque chose, n’hésitez pas. Jerevienstoutàl’heure.

Je sors dans la brise fraîche du soir, rétablis Hemingway sur ses petites pattes ébouriffées etj’entame notre itinéraire habituel, où nous nous arrêtons à chacun de ses endroits préférés, là oùl’herbeluttepourpousserdansledésert.Commed’habitude,AndyetChaucerapparaissentaudétour

du chemin. Nous marchons l’un vers l’autre, nos chiens respectifs devant nous. Tout excitéd’apercevoirsonpartenairedejeu,Hemingwaysetrémousse.

—Bonsoir,Jo,mesalueAndyavecsonsourire,toutendentsblanchesetfossettes.—Salut,beaugosse!jem’exclameendétaillantd’unregardapprobateurlafaçondontilportele

costume.Çateprendsouventdebaladertonchienencostard?—Ah, disons que j’espérais qu’une promenade puisse temettre de bonne humeur avant,mais

puisque tu le demandes…En fait, j’ai une réservation au restaurant,mais jeme suis fait poser unlapin,alorsj’espérais…

Ilmeregarded’unairprudent.—Euh,bof,jesaispastrop,Andy,jerépondsaussitôt.Jenesuispashabillée,etjen’aipasenviedemangerunvrairepas.—Allez,ceseraitentouteamitié,justepourprofiterd’unebonnetablequiaunelisted’attentede

folie.Tuveuxbien?Lesmains jointesdevant lui, il faitminedemesupplieretavancemême la lèvre inférieure. Je

réfléchisauxeffortsqu’ilmefaudraitfournirpourmerendreprésentableetfaireminedenepasêtreenguerrecontreuncœurbrisé.

—Oh,allez,pourquoipas?Jemerésigneettendslamain.Quelmalçapeutfaire?Jedoisbienrecommenceràvivreàun

momentouunautre.Alorsautantm’ymettretoutdesuite.D’untonsévère,jereprends:—Onestbiend’accord,c’estundînerplatoniqueentreamis.—Toutà fait,confirme-t-ilenm’adressantencoreundecessouriresà faire fondren’importe

quelleminettemaisqui,moi,mefaitleverlesyeuxauciel.Jeviendraitechercheràdix-neufheures.Laréservationestpourdix-neufheurestrente.

—Çamarche.Demandeà l’agentdesécurité,Howard,demepréveniret je teretrouvedanslehalld’entrée.

—Trèsbien,àtoutàl’heure.—C’estça.

J’aiprisunedoucheetséchémesboucleschâtainsenuntempsrecord.Jen’aipasprislapeinede

m’épiler, mais il n’a pas été aussi simple de trouver quoi mettre. Deux tenues paraissaientfranchement trop suggestives pour un dîner entre amis, une autre était devenue trop serrée,mais,enfin,j’aifiniparendénicherunequiconvenait.

Je contemplemon reflet dans lemiroir en pied etm’adresse un geste d’encouragement. Cetterobe longue griseme va très bien, pas trop sexy et suffisamment ample, sans être pour autant unpyjama.Vendu !Assortiedepetits escarpinsencuirverni couleurchairquine sontmêmepasdesJimmyChoo,çadonneunlookparfait.

Jeme hâte dememaquiller les yeux et les joues, j’ajoute un nuage de parfum autour demesvêtements,etmevoilàdehors.Dansl’ascenseur,jefaisjouermesbouclessurmesépaulesetmesensànouveauuntoutpetitpeuhumaineetféminine.

Arrivéeenbas,jetrouveAndyentraindebavarderavecHowardàlaloge,tandisquecederniermeregardecommesij’étaisl’ennemipublicnuméroun.Jenetienspascomptedesadésapprobationévidente.Évidemment,ilestloyalàDamon,maisc’estmalvenu.Cen’estpasmoiquiaimisuntermeànotrerelation,etdetoutefaçon,jesorsdîneravecunami.Iln’ariendedifférentdeBrian.Enfin,sil’onexceptequ’ilestclairementhétérosexueletd’apparencephysiquetrèsdifférente.

—Etlavoilà.Ç’aétéunplaisir,lanceAndyaprèsavoirserrélamaindeHoward.

Nousquittonslebâtimentetilmefaitsignedeluiprendrelebras.J’hésite.—Euh,onprendmavoitureoulatienne?Lemalaisedansmavoixestperceptible.—Nil’unenil’autre.Lerestaurantestjustelà-bas,répond-ilenmedésignantleboutdelarue.—Ahbon,d’accord.—Allez,viens.(Encoreunefois,ilmefaitsignedeluiprendrelebrasetjerestedeboutcomme

uneidiote,sanssavoircommentréagir.Monexpériencedessortiesplatoniquesavecdeshommestrèsbiendeleurpersonneayantdesvuessurmoiestabsolumentnulle.)Cen’estriendutout,Jo.Jetelepromets.

Avecungrandsoupir,jecèdeetnouspartons.Lerestaurant,appeléGaTan,estunendroittrèschic.Jel’aidéjàvuenpassant,maisjen’yétais

jamaisentrée.Ilsertdelacuisinefranco-vietnamiennesurdejoliestablesauxnappesbienrepasséesetdécoréesdebouquetsdisposésdansdesvasesencristaletemploiedesserveursexpérimentés.

Ons’occupedenoustoutdesuiteetnousnousretrouvonsdevantlemenulimitéquinefaitmêmepasfigurerlesprix.Cetélémentlaissetoutdesuitepenserqu’onsetrouvedansunendroitchic.

—Qu’est-cequetuveuxboire?medemandeAndy.—Euh…pourl’instant,del’eau.Unpetitverreneseraitpaspourmedéplaire,maiscen’estsansdoutepas indiqué.Si j’imbibe

moncerveaud’alcool,jerisquefortdeterminerdanslelitdel’hommeenfacedemoi.Unrespectableserveurennœudpapillonapparaît,aussitôtappeléparAndy.—Jeprendraiunwhiskyavecdesglaçonsetmademoisellevoudraitdel’eau,s’ilvousplaît.Avecunhochementdetête,leserveurs’éloigneaussitôt.— Elle devait être sacrément intéressante, la fille avec qui tu avais rendez-vous, pour que tu

réservesici.J’aichuchotépournepastroublerl’atmosphèreintime.Unpeucrispé,Andysecouelatête.—Benquoi?jedemande,plusdiscrètement.—C’estpourtoiquej’airéservé.Avecunepetitegrimace,Andyattendmaréaction. Ila raisonde l’appréhender,parcequemon

premierinstinctmesouffledeleplantersurplace,maiscommentluienvouloir?Jeluiplaisetilnelecachepas.Depuisnotrerencontreàlamaisonderetraite,ilmontresonintérêtetflirtesansarrêtavec moi. Je ne peux donc pas être complètement surprise qu’il aille jusqu’à mentir pour quej’acceptedesortiraveclui.

Toutenretournantlesdonnéesdansmatêteembrumée,jeleregardesansunmot.—S’ilteplaît,netefâchepas.Commentpeux-tumereprocherdevouloirtentermachanceavec

toi?Sonairdechienbattuestplutôtmignon.—Jenesuispasfâchée,c’estjuste…jenesaispas.—Écoute, pasdepression.Onvamangernotre repas et ça en restera là. Jen’essaiepasde te

forcerlamain,Jo.—D’accord.Que dire d’autre ?Andy, je suis très flattée que tu ailles jusqu’à faire des entourloupes pour

pouvoir dîner avecmoi, mais bien que tu sois plus que baisable, tu ne suffiras jamais car je suistoujours désespérément amoureuse d’un homme qui ne veut pas de moi. Cette réponse ne figurevraimentpassurmalistedechosesàénonceràvoixhaute.Elleestmêmeàéviterabsolument.

Le choix des plats s’avère une roulette russe quime réussit. Je n’ai aucune idée de ce que jecommande,parcequelemenuestdansunsabirfranco-vietnamien,etsachantquemessouvenirsdefrançais sont lointains et ceux de vietnamien inexistants, j’ai choisi au hasard. Le résultat estmerveilleux. C’est le premier vrai repas que je fais depuis deux semaines et j’en savoure chaquebouchée.

—Ohpurée,c’étaitsuper-bon.Jemeredressedans l’espoirdesoulagermonventrebienrempli.Andybaisse lesyeuxsurma

poitrine,puisplantedenouveauson regarddroitdans lemienetuneproposition tacite flottedansl’air. Il enveutdavantage.Touteautre femmeau sangchaudn’y réfléchirait pas àdeux fois. Il estgrand, beau,musclé, doté d’un super-sourire et de beauxyeuxbleus. Il n’est pas au chômage et ilpossèdemêmeunlabradorretriever!

J’attends un instant pour vérifier si la partie bestiale enmoi est prête à accepter sa suggestionsilencieuse, mais rien ne vient. Apparemment, à ce niveau-là aussi, je suis toujours accrochée àDamon.

—Jevaisfaireuntourauxtoilettes,dis-je,soudainanxieuse.Jerevienstoutdesuite.Jem’échappeavantqu’ilnepuisserépondreetsenssonregardmesuivrependantquejecours

plusoumoinsjusqu’auxlieuxd’aisances.Unefoisàl’intérieurd’unecabine,jefermelaporte.Jen’aipasbesoindemesoulager,maisde

respirer.Lapaumeappuyéesurlaporte,jefermelesyeuxetm’efforcedemecalmer.Qu’est-cequimeprend? Jenepeuxpas réagir commeçachaque foisqu’unhommequin’estpasDamonColes’emploieàmeséduire.Sic’estcequim’attendpourlerestantdemesjours,alorsjefaislesermentdeneplus jamaisfréquenterquelqu’undefaçonsérieuse.Jesuiscomplètementmystifiéeetencoresouslechoc.

Aprèscepetitrépit,jelissemarobeetsorsdemoncauchemaractuelpourentrerdansunautre.Quisetrouveaulavabo?Carriel’orange,quisebadigeonneleslèvresd’unrosehideux.Aumomentoùjemelavelesmains,ellesurprendmonregardnoirdanslemiroiretmanquede

s’étouffer.Cetteréactionmeplaît:unpointpourmoi.—Bonjour,Carrie,jefaisd’untonsec.Elleparvientàse ressaisiret se retourneversmoipourébaucherunsourire,exercicedifficile

pourquelqu’undontlevisageaétébotoxé.—J’aiapprislamauvaisenouvelle,dit-elleavecunecompassionfeinte.—Çanem’étonnepas,toutlemondeestaucourant.Avecunhaussementd’épaules, je faiscommesi jen’étaispasen traindemourird’unchagrin

d’amour.—Oui,Damonm’enaparlé,ajoute-t-elle,cequiconstitueuncoupdepoingenpleinestomac.Ah, la vache ! J’attrape l’une des petites serviettes individuelles moelleuses obligeamment

empiléesàl’intentiondesclientset,pendantcetemps,jemevisualiseentraindenouercetteservietteautourdesoncoudécharnéetdeserrer jusqu’àcequesa tête sedétachedesoncorps,comme lesrobots jouets transformables. C’est une comparaison adaptée, si l’on considère la proportion deplastiquesurchacun.Ellecompteàpeuprèslamêmequantitédetissusnaturelsenellequ’unrobot.Touslesdeuxsontcomplètementfabriquésenusine.Elleadefauxseins,unfauxbronzage,defauxcheveux, de faux ongles, de faux bijoux, de faux vêtements de créateurs, de fausses dents… jeparieraisquemêmesonnomn’estpaslesien!

Monimaginationm’aideàm’ensortir,carjefinisparsourire,exposantmespropresdents.—C’étaitsympadeterevoir,Carrie.Sionremettaitça,genre…jamais?

Surcetteréponse,jeluijetteleboutdetissuàlatêteetpasseàcôtéd’elle.Jem’attardeencoreunesecondeàsavourerlescontorsionsopéréesparsonvisagepouressayer

d’affichersacolère.

10

Çaroule!Enretournantverslatable,jesensqu’onmedévisage;ilnepeuts’agird’Andy,cariln’estmême

pas encore dansmon champde vision. Jem’arrête net enm’apercevant que la seule personne quim’ait jamais fait percevoir ainsi son regard est un certain homme, grand, beau et ténébreux, dotéd’uneprédispositionpourbriserlescœurs.

Jemeretourneetplongelesyeuxdanslessiens,magnifiquesetinsoutenables.Aussitôt,unebouleseformedansmagorge,etmêmesimoncerveaumehurledepartir, j’ensuis incapable.Jesuisàguèreplusd’unmètredesatable,perduedanssonregarddemielfondu.Jeneparviensàarticulerque:

—Bonsoir.—Joséphine,lanceDamon,plussecquejamais.Jenediscernepaslamoindreémotionenlui,etc’estcommeuncoupdepoignardenpleincœur.Jemets fin ànotre concoursde« àquidétournera lesyeux lepremier» etmeprésente à son

compagnondetable.—Enchantée,jesuisJo.Etjesuisbloquéesurlemode«débile».L’hommechauvemetendlamain.—Mike,dit-ild’untonchaleureux.Enchanté.LadescriptiondeMikePassarelliparBrianmerevientenmémoireetjefaislelien:BruceWillis

dansPiège de cristal. Je dois le reconnaître,mon pote a bienmis le doigt dessus…Enfin, sur labonnedescription,pas sur lemec.Alorscommeça, il s’agitde l’espionpersonneldeDamon.Surleurtable,unobjetattiremonregard,dernièregouttequifaitdéborderlevase.

Comme un grand doigt d’honneur, un verre à vin taché de rouge à lèvres de teinte hideuse.Carrie.

JepourraistuerDamonlà,toutdesuite.L’étrangleràmainsnues.Commentose-t-il?Carrie!Detouteslesgreluchesquiarpententlaville,c’estellequ’ildoitchoisirpourprendremasuccession?Écumante de rage, j’attarde les yeux sur le verre avant deme tourner de nouveauversDamon. Jem’efforcedemonmieuxdeparaîtreindifférente,maisc’estinutile.C’estlaharpiequisommeilleenmoiquiagagné,jeu,setetmatch.Jem’approchedangereusementdelui, leslèvresàuncheveudesonoreilleetjelâche:

—Vatefairefoutre.J’ai susurré comme s’il s’agissait d’une proposition indécente plutôt que d’une insulte, mais

Damonatrèsbiencompris.Chaquesyllabeestrenforcéeparleveninpuraccumulélorsdesjournéesmornes et des nuits solitaires. J’espère que cesmots vont l’affecter profondément,mais c’est peu

probable. Jeme redresse, tourne les talons et repars droit versAndy, avec le regard pénétrant deDamonquimebrûleledosjusqu’àcequejesoishorsdesavue.Commeuncriminelenfuite,j’exigeaussitôt:

—Allons-y.—Commentça?s’étonnelepauvreAndy.—Jeveuxpartird’ici.Toutdesuite.Jereprendsmonsacàmainsurlachaiseetlepasseàmonépaule.Andyatoutintérêtàbouger,

sinon je le laissesurplace. Jenepeuxpas resterdansce lieu.Àcetteminute, le simple faitdemetrouverdanslamêmepiècequeDamonm’anéantit.

—Euh…d’accord.Toutvabien?demande-t-il,nerveux,enlaissantdel’argentsurlatable.—Ouais,çaroule.Ondégage.Je quitte le restaurant devant lui et inspire profondément l’air de la nuit pour en emplir mes

poumons.Àcôtédemoi,Andymène lagardeetm’accordeunmomentpourmeremettredecetéchange

désagréable.ImaginerCarriel’orangegivréequitripoteDamondepartoutavecsesmainspleinesdedoigts, celamedonneenviedevomir.Decasserquelquechose.D’arracher lesyeuxdeCarrie,debalanceruncoupdepiedbienplacéàDamon,puisd’engloutirdescochonneriescommeunbaumepourapaisermesplaies.

Nousnousdonnonslebraspourretournerauloftensilence.Andynedemandepasd’explicationssupplémentaires.Àl’arrivée,cependant,ilm’arrêtesurletrottoir.

—Dis-moicequinevapas.Jebaisselatêteetrépondssimplementethonnêtement:—Damonétaitlà,avecunebêtassecouleurorangequejenepeuxpasblairer.Andym’attrapelementonpourm’inciteràleregarder.Jenesuispasauborddeslarmes,jesuis

tropfatiguéepourcela.Jesuisau-delàdespleursetenpleindésarroi.— Tu es une femme volontaire, incroyablement belle et intelligente, qui pourrait choisir

n’importequelhommedeLasVegas.Nepermetspasàunseuldecompromettretouslesautresàtesyeux.

—Merci,Andy.Ilaraison.Jelesais,maisc’estbeaucoupplusfacileàdirequ’àfairequandl’hommeenquestion

setrouveêtrel’amourdevotrevie.Andy s’intéresse àmes lèvres, puis revient àmes yeux pour demander la permission. Je n’ai

aucune raison de ne pas l’embrasser. Il est adorable, séduisant et je lui plais. Il s’est comporté engentlemantoutelasoirée.SiDamonpeutdéjàpasseràautrechose,alorsmoiaussi!Justeunbaiser.Pasdesexe,pasderelation.Justeunbaiser,jemerépètecommesic’étaitmonnouveaumantra.Justeunbaiser.

Labouched’Andyarrivesurlamienneetilm’embrassedoucement,sensuellement.Jeluirendssonbaiserenespérantquecelaéveilleraquelquechoseenmoi.Quelquepart,j’espèrequ’embrasserun autre homme me débarrassera de mon besoin de Damon. Andy plonge les doigts dans machevelure,m’attireàlui,intensifiesesgestes.Samainchaudem’immobiliseetilmecoupelesouffle.Iln’yvapasavecledosdelacuillère.Ilpousseungémissementappréciateur,puiscaressemeslèvresdesalanguepours’immiscerdansmabouche.

Il embrasse très bien, mais ce n’est pas le bon. Une vision d’un Damon furieux envahit mespensées et je me détache d’Andy. C’est complètement ridicule, mais j’ai l’impression de trahir

Damon.Commesijedonnaisquelquechosequinem’appartientpas,quiétaitàlui.Jem’essuieleslèvresdureversdelamainetmarmonne:

—Jesuisdésolée.Enfait…jenepeuxpas.Andyfermelesyeuxetsoupire,déçu,cequejenepourraisluireprocher.Pourmoiaussi,c’estla

déconvenue.JepréféreraisqueDamonnedominepaschaqueaspectdemoi,mais jen’ypeuxrien.Pourl’instant,entoutcas.

—Jevaisrentrermecoucher.Jeteremerciepourledîner,jeconclusd’untoncordialenagitantlamaindevantmoisanssavoirquefaired’autre.

—Mercidenepast’êtreenfuiequandtuasdécouvertquej’avaisrusépourtefairevenir,meditAndy avec un sourire charmant, tout en replaçant unemèche de cheveux derrièremon oreille. Tuveuxquejeteraccompagneenhaut?propose-t-ilendésignantladirectionduloft.

—Merci,çaira.Onsevoitdemain?Andyconfirmed’unsignedetêteetajoute:—Tusaisoùmetrouver.Iltourneseslargesépaulesets’éloigne,melaissantseule.Surletrottoir,jemesensdenouveau

commeuneSDF,sansressourcesphysiquesouémotionnelles.Monappartementn’estpasvraimentàmoi, c’est celuideDamon.Quantàmoncœur, c’est lamêmechose.Luiaussi appartientàDamonCole.

11

EncoreenmiettesJepasseàcôtédelalogedugardien,puisprendsl’ascenseur.Àpeinelaported’entréefranchie,

jemedébarrassedemestalonsd’uncoupdepiedénergique.Ilsvalsentàterrel’unaprèsl’autreetjelancemonsacpourl’accrocheràlarampedel’escalier.Enmontant,jedébouclemaminceceinture,quejetirepourlasortirdespassants.Elletombesurlesmarches.Unefoissurlamezzanine,jedéfaislafermetureéclairdemarobefourreauetlalaissetomberàterre.J’aitoutabandonnén’importeoù,nesongeantqu’àmeplongerdansunbainchaud.Jerangeraiplustardmais,pourl’instant,jeveuxavanttoutnoyermarencontreavecDamon.

L’eaufaitdubienàmonvisage.Jemedémaquilleetexaminemonrefletdanslemiroirdelasalledebainsd’ami.Jesuispitoyable : lesyeuxfatigués, lesépaulesaffaissées, lesmuscles fondus…jesuisl’imagemêmedeladépression.

Je sursaute en entendant un grand bruit venant d’en bas et je tends l’oreille. Il est pourtantimpossibled’entrerpar effraction ici.Onne faitpasplus sûr, commeendroit. Jem’efforcedemesouvenirsij’aipenséàenclencherl’alarmeenentrant.Putaindemerde!

Jecoursversledressingpourcherchern’importequelobjetpouvanttenirlieud’armeavantdedescendre.Mêmes’ilyenavaitunedanscefatras,jedoutedepouvoirlatrouverentrelesvêtements,les chaussures et toutes les affaires éparpillées partout, le ménage n’ayant pas fait partie de mesprioritéscesdernierstemps.

Enplus,monportableest restédansmonsac,aubasde l’escalier.Toujoursdans leplacardenculotteetsoutien-gorge,jeréfléchisuncourtinstantauxdifférentessolutionsquis’offrentàmoi.

Le mieux serait d’arriver jusqu’à mon téléphone pour appeler la sécurité de l’immeuble. Lapersonnedegardecesoirpourramontervérifierqu’iln’yapasd’intrusouappelerlapolice,cequiseraleplusurgentdesdeux.

Depuismacachette,jejetteunœildehorspourm’assurerquejepeuxsortir,puisjem’éloignedelachambred’amisurlapointedespieds.Jenerepèreaucunélémentsuspectdanslecouloirsombre,alorsjem’aventurejusqu’àl’escalier.

—Putain,maisc’estpasvrai!JemanquedefaireunbondsurplaceenapercevantDamonquimontel’escalieravecmonsac,

meschaussuresetmaceintureàlamain.Jereprendsavecvéhémence:—Maisqu’est-cequetufous?Tum’asfaitmourirdetrouille!Sous l’effet de la pousséehallucinante d’adrénalinedansmesveines,mesoreilles semettent à

siffler,lesangmemonteàlatêteetjedevienstouterouge.—Oùest-il?grondeDamonenregardantderrièremoi.—Maisdequituparles?

—Ilestlà,Joséphine?Jevaisletuer,marmonne-t-ilenmedéplaçant.Jelesuisencriant:—Disdonc!Tutecroisoù?—Andy.Oùest-il?répète-t-ild’unevoixrauque.Sa mâchoire est crispée et un muscle de sa joue est pris de spasmes. C’est une bombe à

retardementdetestostérone.Laissanttransparaîtrel’incrédulitédansmavoix,jeréplique:—Tuplaisantes?EtCarrie,elleestoù?Jem’élancedevantlui.—Nejouepasavecmoi,Joséphine.— Je ne joue pas, je suis sérieuse. Qu’est-ce qui te donne le droit de débarquer ici, en me

flanquantunefroussebleue, jeprécise,pouressayerdemedicterqui j’ai ledroitdefréquenterounon?

J’aiexagérépourplusd’effet,car jene«fréquente»absolumentpasAndy.C’estunami,et jen’aipasl’intentionqueçaailleau-delà.

—C’estchezmoi,ici,répondsimplementDamonendétaillantmoncorpsbienpeuvêtu.Cettefaçondes’exprimermepousseàmedemanders’ilparledemoi,duloftoudesdeux.Une grosse veine palpite dans son cou, trahissant son énervement. Il y a quelque chose chez

Damon,lorsqu’ilestencolère,quimefaitvibrer,commetoujours.Jem’intimeavecforced’arrêteret tourne les talonspourpartird’unpas rageurvers lachambred’ami. J’aivraimentbesoind’êtreseuleetdem’habiller.

Sansperdreun instant,Damonm’emboîte le pas.Cemec est impossible.D’un tongrinçant, jelancepar-dessusmonépaule:

—L’intimité,çateditquelquechose?—Joséphine,j’aivutoncorpsdesmilliersdefois.Nefaispasl’enfant.—L’enfant?Quiestl’enfantquiagitcommesilemondeentierluiappartenait?Genre,lesgens

devraientpeut-êtrefaireattention,s’ilsneveulentpasêtreécraséssoustesOxfordbiencirées?Apparemmentatteintparmoninsulte,Damonécarquillelesyeux.—Pars,s’ilteplaît.Jecherchedésespérémentquelquechosequiressembleàunpyjama.Unerobedechambre.Une

serviette.Mêmeuneécharpeseraitpréférableàmessous-vêtements.—Tutelefais?Jesuisestomaquéequ’ilsoitaussidirect.Jesecouelatêtedelevoiraussitêtuetaffirme:—Çaneteregardepas.Jeprendsmonpeignoirparterre,l’enfileetmeretourneverslui.—Biensûrquesi!rugit-il.—Ehbiennon,jerétorquecalmement.Ledétailcomique,quandonarrachelecœurdequelqu’un

etqu’onlelaissetomber,c’estqu’ensuite,onn’aplusledroitderegardsurcequefaitcettepersonne.Jem’adresseàluicommes’ilétaitungaminennouspointanttouràtour.—Jo,souffle-t-ilenpassantsesgrandespaluchesdanssescheveuxsombres.—Cen’estqu’unami,Damon,etc’estclairqu’iln’estpaslà,jefinisparreconnaîtrefaiblement.D’uncôté,j’aienviedelelaissermijoterdanssonjusàsedemandersijesuisavecAndy,maisde

l’autre,jesuistoujourstotalementamoureusedeluietcelamedésoledelevoirbouleversé.Quecesoitirrationneloupas,dansmonforintérieur,ilesttoujoursàmoietjesuistoujoursàlui.

—Jo,je…

Visiblement,Damonadumalàs’exprimer.Moncœurbonditdansmapoitrinedansl’espoirqu’ilait changéd’avis, qu’il ait peut-être comprisque tout ceque j’ai pu faire était lié àmonamour siintensepourlui.Jeleregardedeprèstandisquesesyeuxauxaboisreflètentsesefforts.

Riennevient.Toutmonêtresebrisedenouveau.Lementontremblant,jechuchote:—Tunepeuxpasmefaireça.Tun’aspasledroitd’empirerleschoses.Unerupturenette,cesera

maseulefaçondesurmonterça.Laseulefaçondontjepourraissurvivreaprèst’avoirperdu.Jeneprendspaslapeinedecacherleslarmesnéesdansmesyeuxfatigués.Damon ferme doucement les paupières, enfonce ses immenses mains dans ses poches à sa

manièrehabituelle,puissedétourne.Etlà,jesuisdenouveauenmiettes.C’estladeuxièmefoisquejeleperdsendeuxsemaines.

12

CouleurmorveAprèsunenuitpasséeàmetourneretmeretournerdansmonlit,jepénètredanslalibrairied’un

pastitubant.Lorsdupeudesommeilquej’airéussiàgrappiller,j’airêvédeDamonetdelaviequenousnepartageronspasensemble.Venir travailleraujourd’hui,c’estquandmêmebeaucoupmieuxqueresterauloftàdéprimer.

Environuneheureaprèsmoi,Brianarriveen sautillant littéralement. Il estd’humeur tellementjoyeusequ’elledoitêtrecauséeparunenuitdeprouessessexuelles.

— Salut, ma puce, lance-t-il d’une voix chantante se situant entre une comédie musicale àBroadwayetunépisodedeWilletGrace.

Jeluirépondsparunborborygme,avanttoutparjalousie.C’estàpeuprèsinsupportabledevoirdespersonnesheureusesencemoment.Tandisquej’ouvrelescartonsdelivraisonlesunsaprèslesautresavecl’impressiondemereleverd’uncercueil,BriansemblesortirdroitdeMaryPoppins. Jegémis:

—Qu’est-cequ’ilyadesigénial,cematin?Brians’arrêtenet,commes’ilavaitrencontréunfilinvisible.—Beurk,lamorvenetevapasdutout,commecouleur.Enpleinsyndromeprémenstruel?Presqueaussitôt,jemesenscoupable,carilneméritepasmonattitude.Jemens:—Désolée,Brian.Jesuisfatiguée,c’esttout.—C’estbon,jetepardonne,répond-ilenmegratifiantd’unsourireetd’unclind’œil.—Qu’est-cequetuviensfaireici?—Bon,net’enprendspasàmoi,maisc’estDamonquim’envoie.—Pourquoi?Brianme fait signe qu’il préférerait parler dans le bureau et je l’y emmène.Une fois là, il va

caresserHemingway,quidortsousmatabledetravail,commed’habitude.Illuiébouriffelespoils,puismetendlesmains.

—Tuasdugelantibactérien?—C’estunchien,Brian.Pasuncadavre.—Bonnetblanc,blancbonnet. Ilyaautantdemicrobes,déclare-t-ilavecunfrissondedégoût

théâtral.—Ont’adéjàditquetuétaisridicule?—Bienentendu,lance-t-ilavecungrandsourire.Ilestfieretbiendanssapeau.Jel’envie!Ilfouilledanssabesacepourensortirsatablette,que

j’ensuisvenueàconsidérercommeunorganesupplémentairedemonami.—Damonvoudraitdiscuterdecertaineschosesavectoi.

Jemarmonneun«OK»enm’installantdanslevieuxfauteuilduCapitaine.—Alors,Damonadécidédefaireunversementdecinqcentmilledollarssurtoncompteetde

fairepasserleloftàtonnom.IlveutaussiréglertesconsultationsavecledocteurVersanpendanttoutletempsquetuvoudrasyaller.

Briantouchesonécrantactiledupouce,sansdoutepourpasseràsapagedenotessuivante.Lesoufflecoupé,j’ouvredegrandsyeux.Qu’est-cequ’ilvientdemedire?

—Ilt’aaussidésignéecommehéritières’ilvenaitàmourir.ÀlasimpleévocationdelamortdeDamon,monestomacmenacedefaireremonter leburrito

quej’aimangéaupetitdéjeuner.—Non.Arrête,jet’ensupplie.Préoccupé,Brianmedemande:—Tutesensbien,mapuce?Jet’approcheunecorbeilleàpapiers?—Nonmerci.Valuidirequejerefusetoutça,dis-jedoucement.C’estimpossible.Jeneveuxpas

desonargent.C’estluiquejeveux.Sonfricnem’ajamaisintéressée.—Jesais,mapuce. Il fait seulementcequ’ilestime juste.Tusaisbienquec’estunhommede

Cro-Magnon.Devant l’air dépité de Brian, je me dis qu’il comprend exactement ce que je ressens : j’ai

l’impressiond’êtreuneaffaireàtraiter.Unavoiràliquideràcausedeproblèmesliésàlademandeetnonàl’offre.

—Levirementestdéjàeffectué,Jo.Incapabledeparler,jelaissetombermatêtesurlebureau.Peut-êtrequelaraisonprincipalepour

laquellejerefusetoutça,c’estqueçasignifieclairementquec’estlafindenotrehistoire.—C’esttellementdéfinitif,jegémis.Brians’approche,memasseledosetposelatêtesurmonépaule.—Çavaaller,mapuce.Jesuislà,Noniaussi.TuastoujoursGramz.Andyal’airdequelqu’unde

sympa.Etrésolumentséduisant,enplus!(Ilmeplanteundoigtdanslescôtesetjemetortille.)J’aiuneréuniondansvingtminutes.Çavaaller?

Ilremetsatablettedanssonsacetjeregardelespilesdepapiersàtrier.—Oui,t’inquiète.J’aibeaucoupdeboulotpourm’occuper.Aufait,Lindsaycherchetoujoursdu

travail?—Oui,ellen’arientrouvépourl’instant.—Tucroisqu’ellevoudraitd’unposteici?J’auraisbesoindequelqu’unpourm’aideràpasser

lescommandes,gérerlestock,etfairel’inventaire.Enplus,lemagasinvabienfinirparouvriretjenepeuxpastenirlacaissetoutletemps,alorsilfaudraitquelqu’unpourçaaussi.

—Oh,Jo,ceseraitgénial!s’exclameBrian,radieux.Tul’embaucherais?—Oui.Bon,ceneserapasunsalaireastronomique,maisceseramieuxquerien.—Jet’aidéjàditquejet’aimais?fait-ilenm’embrassantaveceffusion.Tuesunamour.Sijete

l’envoiedemainmatin,çateva?—Impeccable.—Etjeteferaisuivrelesrenseignementsparmailsouspeu.Allez,arrêtedebroyerdunoir.Jene

plaisantaispasendisantquelamorvenet’allaitpas.Menevado,ciao-ciao!Aprèsavoirdéposéunbaisersurmajoue,ilsortdubureauavecungestedelamain.—Qu’est-cequisepasse,tuesitalienmaintenant?—Non,maisjecomptem’enenvoyeruntoutàl’heure.—Oh,épargne-moilesdétails!

Avecungrognement,jereposelatêtesurlatable,épuisée.Jecommenceàmesentirtrèscoupabledemesréactionssèchesavecmonfidèleami.Jeluidoistant!Jedoisapprendreàmeretenir.C’estsimplementqu’ilm’estdifficiled’éviteràl’infectiondemoncœurbrisédes’étendreàtoutmonêtre.Jesuisgrognon,trèsfatiguéeetplusquetriste.ÇapourraitêtrelaraisonsuggéréeparBrian,maissijedevaism’exprimerenpourcentage,90%seraientattribuésà larupturecontreseulement10%àl’arrivéedemesrègles.

Mesrègles?Jerelèved’unseulcouplatêteetmecreuselacervelle.Voyons…Jefourrageàlarechercheducalendrierenfouisousuntasdepapiers.Unefoisàladatedujour,jefaislecalcul.Jeretourneaumoisdernier,puisaumoisprécédent…Oh,putain,non!

J’attrapeHemingwaydanssonpanieretbondisdemonsiègecommes’ilavaitprisfeu.J’émergedubureaupourtrouverNoniàlacaisse,entrainderévisertouteslesfonctions,cequ’elleadéjàfaithier.Bientôt,c’estellequivadevoirmemontrercommentm’enservir.

—Jedoisyaller.Jerevienstoutdesuite!Etjesorsdumagasinencourant.

13

UrgenceMasalle de bains se trouvedans lemêmeétat déplorable quemonbureau, et y retrouvermes

plaquettesdepilulesserévèleunetâcheherculéenne.Jedoislescompteraveclesjourspouressayerderetrouverladatedemesdernièresrègles,cequireprésenteuneffortmonumental.J’ailesmainsquitremblent.Lecœurquis’affole.Latêtequitourne.Ilmefautdel’aide.

Monestomacinstablesemetenhyperactivité:ilyaunepossibilitéquejesois…enceinte.Putaindebordeldemerde.D’instinct,j’attrapemontéléphone.Jeledéverrouilleetparcoursmescontacts.

La liste étant très courte, ça ne prend pas beaucoup de temps, et j’arrive en bas, puis la refaisdéfilerenmurmurant«Damon…»Maseuleenvie, c’estde l’appelerpour luidemanderdevenir,maisc’estimpensable.Mafiertéetmadignitésontencoreàpeuprèsintacteset,encemoment,c’esttoutcequimereste.Avecuncopainamateurdejeansskinny.JedéplacerapidementlecurseurversBrianetlancel’appel,puisattendsimpatiemment.

—Salut,labelle,chantonne-t-ilautéléphone.—Urgence!Ramènetesfesses,etvite.Passeàlapharmaciem’achetertouteslesmarquesdetest

degrossessequetutrouveras.Utilisel’argentdeDamonetnedispasunmot.—Attends…commentça?Tuplaisantes?réplique-t-il,pince-sans-rire.—Absolumentpas,brillantBrian.—Jo,jenepeuxpas.Jesuisaveclebossencemoment.Enréunion.Qu’est-cequejepourraislui

dire?demande-t-ilàvoixbasse,touthumourenvolé.—Dis-luiquec’estuneurgencefamiliale,putain!J’aiparlécommeuneenfantcapricieuse.—OK,nebougepas.Jesuislàdansvingtminutes.Aprèsavoirraccroché,jeresteassisesurlelitdelachambred’ami,sonnée,pendantcequime

sembleuneéternité.Çanepeutpasêtrevrai. Jenesuispasenceinte.C’est impossible.Jeprends lapiluletouslesjourssansjamaisl’oublier.

Jememetsàexaminer lesdeuxdernièresplaquettespourvoirsi jepeuxêtrecoupabled’oublidanslaprisedespetitscachetsmagiques.L’unesetrouveaubasdusacquej’aiutilisélemoisdernier,etl’autresetrouvaitdansletiroirdematabledenuitsousmonexemplaireusédeL’attrape-cœursdeSalinger.Déjà,çasignifiequej’auraispuêtreplussérieusepourlaprendreàlamêmeheuretouslesjours.Ilm’estarrivédelaprendreavecunpeuderetarduneoudeuxfois,maisjen’aijamaislaissépassertouteunejournée.Plusieursheures,oui,maislajournéeentière?Non.Jepourraismedonnerdesgifles. Je suisdébile. J’ai jouéavec le feuen termesdecontraception sansmêmem’en rendrecompte. J’étais tellement obnubilée par Damon, la librairie, la nouvelle maison et les projets de

mariagedésormaisvidesdesens.Jemeprendslatêtedanslesmainsetfaisdemonmieuxpourfairetairematêtequitourneetmonestomaccapricieux.

—Jo,mapuce,oùes-tu?appelleBrian.Depuismon perchoir, je lui indique où je suis. Il arrive bientôt dans la chambre d’ami, ouvre

grandlaporte,munidedeuxsacsenplastiqueenprovenancedelapharmacieducoindelarue.—Bon,pasdepanique!Jesuislà.Toutvabiensepasser.Situesencloque,tuesencloque.Rien

degrave.Çaarrivetouslesjours.PeuimportesitoietleGrandMec,vousn’êtespasmariésousitudoisêtremèrecélibataire…

— Brian, arrête ! Je ne suis pas forcément enceinte. C’est peut-être juste une petite frayeur.Commetul’asdit,syndromeprémenstruel.

Jetendslamain,ilposelesansesdessacssurmonpoignetetsemetàfouillerdanssabesace.Jelargue l’attirail sur le lit et commence à déchirer les emballages de tests. Je ne sais même pascommentons’yprend.Çanem’estjamaisarrivéauparavantd’avoirduretard.Jemepenchesurlemonceaudebandelettes,pipettes,gobeletsenplastiqueetnotices,puisgémis:

—Ondiraituneboîtedechimiepourenfants.—Donne,proposeBrian,quidéplielanoticeetsemetàlire.Alors,ilyadeuxméthodespour

faireletestdefaçoncorrecte.(Ilparcourtlesinstructionsenmarmonnantetjesensmatempératuremonter, ainsi que la bile dans ma gorge.) Soit tu pisses dessus, explique-t-il avec à l’appui unedémonstrationvisuellecrue,jambesécartéesetpliées,soittuletrempesdedans.

Ilrejettelepapier,saisitlegobeletetfaitunenouvelledémonstration.—Brian,n’importequoi.TuesstewardsurlevolTestdegrossesse747àdestinationdudésastre,

ouquoi?— Où est le problème ? fait-il avec un haussement d’épaules nonchalant. Je pensais que ça

pourraitaider.—Rends-moiça.Jeluiarrachelebâtonnetdetestdanssonemballagemétalliséetmedirigeverslasalledebains.—Faispipidessus,puisreviensdanstroisminutes,lance-t-ilderrièremoi.Etn’oubliepasdete

laverlesmains!Jeprendsuninstantpourmecontemplerdanslemiroir,espérantquecen’estqu’unrêve,outout

aumoinsunefaussealerte.Lestresspeutbienaffecterlescycles,non?Peut-êtres’agit-ilsimplementd’uneffetsecondaire.Avecuneprofondeinspiration,jem’emparedubâtonnetdeplastiqueinaniméqui,enfait,nel’estpasdutout.Jevousjure,cetrucmeritaunez!

Jesuisleprotocole,metsdecôtél’attirailetmelavelesmains.Quandjesorspourtuerlestroisminutesd’attente,jetrouveBrianletéléphoneàl’oreilleetlesmainssursatablette.

—Non…elleajuste…bafouille-t-il.Cen’estrienquimettesavieendanger.Enfin,ellen’estpasentraindeseviderdesonsang,maisilyaquandmêmeunimprévu…

—Hem!Lesmainssurleshanches,jedévisagemonamid’unregardperçant.—Jedoisyaller,boss.Ilraccrochevitefait.Detoutefaçon,jedoutequeDamonaitcomprisunmot.—Jepeuxsavoirpourquoituétaisentraindeparleraveclui?—Jo,ilamenacédemevirersijen’expliquaispasmon«urgence».Soupçonneuse,jeluidemande:—Tun’espasallétoutluiraconter?

—Non,jeluiaiplusoumoinsraccrochéaunez.Ilgrimace,sachanttrèsbienqueDamonluidemanderadescomptestoutàl’heure.Jepousseun

soupirrésignéetm’effondresurlecanapédestyleXVIIesiècleàcôtédeluietHemingway.—Quels sont tes symptômes ? poursuit-il d’un ton badin. D’après les instructions, on a trois

minutespourbavarderetj’aifaitdesrecherchessurGooglependantquetuétaisoccupée.—Évidemment,jegrommelleentriturantlespoilsdesoreillesd’Hemingway.— C’est parti pour le top dix des symptômes de grossesse, commence-t-il en me regardant.

Retardderègles,c’estfait.Mictionsfréquentes?—Mouais…—Seinstendusoudouloureux?Commentsonttesnénés?Briantendlebrasetmepinceunsein.—Aïe!Jeluidonneunetapesurlamain.—OK,malauxseins,aussi.Encequiconcerne…—Alorsl’urgence,c’étaitdepelotermonex-fiancée?LavoixgraveetveloutéedeDamonnousfaitsursautertouslesdeux.Soussonregardnoir,nous

nousimmobilisons.Pourmapart,c’estparcequ’ilestlà,plusbeauquejamais,maisaussiparcequ’ilvadécouvrirmonsecret.Merde!Merdedemerde!

—Non,jenejouepasdanscettecour,reconnaîtBrianavechonnêteté.Merci,monpote.Damonfourrelesmainsdanssespochesetgardelesyeuxsurnousenentrant

danslapièce.Arrivéauborddulit,ilinventorielefouillisd’emballages,noticesetautrematériel.Ilsoulèveuneboîteetsesyeuxmetranspercent.J’aienviedemourir.

—C’estça,l’urgence?Savoixestd’uncalmeperturbant.Pourmapart,jesuisloind’êtresereine.Sansrépondre,jemelèveetreparsàlasalledebains.Je

referme la porte derrièremoi etm’y adosse. Je ferme les yeux pourme préparer au verdict.Unelongueinspiration,unelongueexpiration,puisjevaisaulavaboregarderlesrésultats.

Letestàlamain,jereparais,prêteàfairefaceàDamon.Jeparcourslachambred’amiduregard,àlarecherchedesaprésenceimposante,maisiln’estpluslà.

—Ilestparti,m’expliqueBriandefaçonfortsuperflue.Etunegrandeclaquedanslafigure,sansménagementpourmoi.—Deuxlignes?demande-t-ilenmerejoignant.Jeneparvienspasàhocherlatête.J’attendsunbébédeDamon.Dansd’autrescirconstances, je

pensequej’auraisétéplutôtcontente.Maislà,çan’ariendebon.Deslarmesdébordantdemesyeux,jeperçoisleregardemplidecompassiondemonami,quimeprenddanssesbraspourmeconsoler.

—Oh, ne pleure pas,ma puce. Ce n’est pas la fin dumonde. Regarde Lindsay. Elle estmèrecélibataireetelles’ensorttrèsbien.

—Jen’enveuxpas.Cesparolesquittentmabouchesansquejesoissûredelespenser.Aussitôt,jemesenscoupable.

Unsanglots’échappedemagorgeetjem’effondresurl’épauledeBrian.—Qu’est-cequejevaisfaire?Iln’estmêmepasrestépoursavoir!jemelamenteenpleurant.Monétatexpliquenombredebizarreries.Letrop-pleind’émotions,l’estomacenvrac,lesseins

lourdsetdouloureux,lafatigueetmesrepartiescinglantes.Touts’éclaire.Putaindemerde.—Ilm’aditdeleteniraucourant.

—Jem’enfous,jerépondsenreniflant.Tun’aurasqu’àluidire.Visiblement,cen’estpasdemabouchequ’ilveutl’entendre.

14

BébélandApparemment,dujouroùunefemmeapprendqu’elleestenceinte,lemondeentiersetransforme

enBébéland.Touteslespubsquipassentàlatélésontliéesàdesaccessoirespourbébés,despetitspots ou des couches, et lamoitié des gens qu’on croise dans la rue sont des femmes enceintes ouportantunenfantdanslesbras.

Preuveenest,jesuissortiedeuxfoisduloftpourallerpromenerHemingwayet,soitjen’avaisrien remarqué avant, soit il y a une convention poussette en ville, parce que j’ai vu bien trop demamansentraindepousserdesenfantsdansdesvéhiculesquiressemblentàdesattelagesintimidantsdestinésàembrouillerlesadultes:pratiquementdesRubik’sCubessurroulettes.Rienquecematin,j’aiaperçupasmoinsdesixfemmesenceintes.

J’aipassélesvingt-quatredernièresheuresenferméesdansleloft,àtrébuchersurdesmontagnesdebazar et à transporterdemultiplesbâtonnetsdeplastiquequi annonçaient tous«positif»d’unefaçon ou d’une autre : lemot, deux lignes, un +, une émoticône… J’ai fait tous les tests quem’aapportésBrian,etchacunm’aconfirmélachose.

Jen’aieuaucunéchodeDamon,cequinefaitqu’accentuermondésespoir.Brianluiaapprislanouvelle,depuisletemps.N’a-t-ildoncrienàdire?Est-ilfurieux?Bouleversé?Indifférent?Peuimporte,parcequejenecomptepassurunegrossessenonplanifiéepourluipasserlacordeaucou.Jenepeuxpasimaginerscénarioplustristepourmoi.

Brianareprogrammémonrendez-vousavecLindsay.Jem’envoulaisdenepasêtrelàcematin,alorsj’aipromisdevenircetaprès-midi.Jeregardel’heureàl’horlogedufouretlanceencoreuncrackeraubeurredecacahuètedansmabouche.Sijedoismedoucher,m’habilleretêtreaumagasinàtempspourl’entretienavecLindsay,ilvafalloirquejemebouge.J’engloutislederniercrackeretterminemabouteilled’eauàgrandesgoulées.

Hemingwayattendpatiemmentàlaportedepouvoirsortir.—Allez,c’estbon.Onyva,monbeau.Malgrémonapparencepeusoignée,jesorsetclignedesyeuxfaceàlaclartédusoleil.Avecmon

chien,jeprendslecheminhabitueletlelaisses’arrêteràsesendroitspréférés.Àmagrandesurprise,jerepèreAndyetChaucerensensinverse,quiavancentàgrandspasversnous.C’esttôtpoureux.Jesaluel’hommed’entretien,quirépond,essoufflécommes’ilvenaitdecourir.

—Qu’est-cequetufaislàsitôt?—Pasdetravailaujourd’hui,explique-t-il.—Ahbon.—Jo,tuasmauvaisemine,medit-ilenmetouchantlecoude.Quelquechosenevapas?

Je suisprised’un rire inextinguible, tellement fortque je suispliéeendeux.Lasituationest sitordueque jenepeuxplusqu’englousser.Jesuishystérique.Andysourit, intrigué,maisamuséenmêmetemps.Entredeuxhoquets,jebredouille:

—Jesuisvraimentensaleétat.(Jemeredresseetrespireungrandcoup,puissoupire.)Jesuisenceinte.

—Comment?s’exclameAndy,quiéclatederire,puisserenfrogneencomprenantquejesuissérieuse.Oh,çaalors.

—Jem’ensuisaperçuehier.C’estfou,hein?—Oui. Ben dis donc. Euh, ton ex est au courant ? demande Andy, le sourcil formant un arc

parfait.—Oui,jerépondsavecunhaussementd’épaules.Jedoispasserautravail.Onsevoitplustard?—Çamarche.Àplustard.Nouspartonsdansdesdirectionsopposéesetjemeretournepourleregarder.Andys’éloigne,le

téléphonemaintenantàl’oreilleetChaucerquitrottederrièrelui.Ilappellesansdouteuneautrefille.Unequin’estpasenceinte.

Unedouchechaudepeutavoirdeseffetsmiraculeux.J’épongemescheveuxetétaledufonddeteintsurmonvisage.Cependant,m’habillerserévèledéjàdifficile.Aidéparmonorgiedemalbouffe,moncorpsdefemmeenceinteestplusdoduqued’habitude.J’aidégotéunhautflottantpourcouvrirlesbourreletsquidébordentdemonshort.Jemesensénorme.

J’ai réussiàestimermagrossesseàsixousept semaines. Ilm’a fallupasmaldedécomptedepilules, de jours sur le calendrier et de souvenirs douloureux, mais j’y suis arrivée. Au moins,Damonetmoiavonsconçucebébéquandnousétionsheureux.C’estleseulboncôtéquej’arriveàdistinguerdanscettesituation.

D’un pas pressé, j’avance vers le magasin avec Hemingway à ma suite. Je suis en retard.Décidément…

—Excusez-moi.NonietLindsaym’attendaient,maiscettedernièremesouritetmerassure:—Pasdeproblème.—Commentçava,Noni?—Jemaîtriselasituation.Ellesouritetdésignedesdeuxmainssesprogrèsaumagasin.J’examinelesétagèrespleines,le

coincaféentièrementprêtetl’ensembleremarquablementpropreetbienrangé.C’estunemerveille.—Waouh.Eneffet.Noniestréjouie,visiblementfièredesontravail.Jesuisvraimentcontentequ’ellesoitlà.Sicela

rendsavieplussatisfaisanteque travaillerauPetitResto, alors toutauravalu lecoupàmesyeux.Nonimériteplusquecequ’ellea reçu.Lavoirheureusemedonne l’espoirqu’un jour, jepourrail’êtreànouveau.

—Trèsbien,Lindsay,allonsdiscuter.Noni,viensaussi.Jeleurfaissigneàtoutesdeuxdemesuivre.QuandNonis’étonne,jeluiaffirme:—Oui,toiaussi.Onestuneéquipe,tusais.Noninerépliquepasetnousemboîtelepas.Surlechemin,j’attrapeletabouretderrièrelacaisse

etletraînedanslapetitepièce.—Alors,Noni,commetuesladirectricedumagasin,jevaisavoirbesoindetonavis.Ellesecouvrelabouched’unemainetécartelesyeux.

—Directrice?fait-elledoucement.—C’estça.Directrice.Lindsayadresseungentil sourireàNoni,et jenepeuxm’empêcherde l’imiter.Nonise relève

d’unbondetmeprenddanssesbras.Aveccessatanéeshormones,jedoisluttercontrel’émotion.Çametouchequ’ellesoitàcepointraviedesontitre.

—Merci,Jo,medit-elleaveceffusion.—Nemeremerciepas,tuasbiengagnétonposte.Sanstoi,jeseraisdanslamouise.Jeladétachedemoietessuieunelarmetraîtressesursajoue.Jecommence:—Allez,halteauxdébordements.J’observelesdeuxfemmesenfacedemoietremarquequ’ellesaffichentunairentendu.—Putain,maisBriannesaitpassetaire!Jem’assoisaubureauduCapitaineetenfouismonvisagedansmesmains, tropgênéepourles

regarderetcertainequejevaismemettreàpleurer.—Allez,Jo,meditLindsay.Toutvabiensepasser.Unbébé,c’estl’unedesmeilleureschosesau

monde.—Jeteprometsquecen’estpassihorrible,Jo,ajouteNoni.Jerelèvelatête.Toutcommemoi,ellesonttouteslesdeuxreçudemauvaisescartes,maiselles

semblent s’en être sorties. Noni est pratiquement une nouvelle femme ces jours-ci et Lindsayreprésentel’imagemêmedelarésiliencefaceàl’adversité.Elleaperdusontravailetélèveunbeaupetitgarçon.Pouraucunedesdeux,iln’yad’hommedansletableau.

—Jenesaispassijepeuxlegarder,jereconnaisenmecouvrantdenouveaulesyeux.Nonipince les lèvres aveccompassionetdétourne le regard.Lindsay se contentedehocher la

tête.BrianadûleurraconterlavenuedeDamonauloftettoutlereste.—Sacheque,quellequesoittadécision,jetesoutiendrai,commenceNoni.Nelaissepaslapeur

parlerpourtoi.Iln’yaqu’avectatêteettoncœurquetupeuxfairelemeilleurchoix.Tucomprendscequejeveuxdire?

Jepousseunsoupir.NoniestcommeGramz,excellentepourdonnerdesconseils.C’estainsiquej’aitoujoursimaginéquemamèremeparleraitsielleétaitencoreenvie.Oh,monDieu.Gramzest-elleaucourant,elleaussi?

—Tumeressemblestellement,Jo,poursuitNonienmeprenantlamain.Jemesouviensquandjet’aivuentrerauPetitResto lapremièrefois : j’aicruquequelqu’unmefaisaitunesaleblague.Tun’avaispasd’argentenpoche,tuparaissaismalheureuse,sansdomicileetseule,exactementcommemoi dans ma jeunesse. Et maintenant, regarde-toi. (Elle me désigne tout entière.) Tu es une chefd’entreprise,belle,forteetmotivéequiattendpeut-êtresonpremierbébé.SientreDamonettoi,çanemarchepas,celanechangepasqui tues,ni lecheminquetuasparcouru.(Elles’interromptetmepresselamain.)Mêmesitunefaispluspartiedelui,turestestoi-même.

Son allusion àma relation ratée et à la grossesse non programméemanque dem’achever. Jerespireprofondémentetm’évente,m’efforçantderepousser les larmes.C’est ridicule, jenepleurejamaisautant.NonietLindsays’esclaffenttouteslesdeux,sachanttrèsbiencequejetraverse.

—Jedétestequandleshormonestravaillent,jedisengémissant.Celanefaitqueredoublerleriredecesdeuxfemmesquisontdesmodèlespourmoi.SiGramz

pouvait être làaussi…Malgrémoi, jeme suisdemandé siDamonouBrian allait l’emmenervoirNoni.Cen’était pasmoiqui allais le faire, sachant queDamonvoulaitm’éloigner de lui,mais ceseraitbiend’elledesefaireconduireparquelqu’und’autre.

—Revenonsànosmoutons,dis-je soudainen tapantdesmainsetme tournantversLindsay. Ilt’intéresse,ceboulot?Ilnousfaudraitquelqu’unpourtenirlacaisse,recevoirlesclientsets’occuperdetoutcequipourraitsurgircommeproblèmesinattendus.Commecommanderdequoimangerlemidi.

Jemefendsd’ungrandsourireenespérantavoirallégél’ambiance.Lindsayestunpeuétonnéeparmonattitudesansdétour,maiselleconfirmeavecenthousiasme:

—Absolument.—Noni,onl’embauche?Noninousregardetouràtour.—Biensûr,conclut-elle.—Alors c’est réglé.Vous n’avez plus qu’à vous ymettre. Lindsay,Noni va te faire visiter la

librairieett’expliquernosprojets.Situasbesoindequelquechose,viensmevoir.Elles partent sur-le-champ dans la librairie s’atteler aux tâches que Noni aura prévues pour

aujourd’hui.Connaissantmacollègue,jesuissûrequelecaféetlesviennoiseriesfigurerontentêtedeliste.Àsesyeux, lanourritureéquivautà l’amouretelleest toujoursprêteàenbombarder toutnotrepetitcercleétrange.C’esttoutcequ’elleconnaît.Labonnenourritureetlessuper-conseils.Jel’adore.

L’espritpréoccupé,j’ouvrelemoteurderecherchedansmonordinateur.Jedoisdéciderquelestlemeilleurchoixpourmoietme lancer.Cela faitmaldem’imaginerdansdixoudouzeans, sansDamonetavecunpréadoquiluiressembleratraitpourtrait.

Jenepensepaspouvoirendurercettevieseule.Monexistenceestundésastreetyfaireentrerunenfantneseraitvraimentpasjustepourlui.Queldroitaurais-jedebousillerlaviedecegosseavantmêmequ’ilnepoussesonpremiercri?Jedoisexplorermesdifférentesoptionsetconsidérerquelanuitporteconseil.Avorter?Lefaireadopter?Legarder?Jenesaispaspourquoi,jepenseàcebébécommeàungarçon.BébéDamonCole.

15

EnviesDesmillionsderésultatss’affichentquandjetapelestermesclésgrossesse,IVGetadoption.Je

mesenscomplètementdépasséepar lamerd’informationsqu’on trouve,et j’essaie simplementderesteràflot.

L’adoption sembleêtreunebonne idée,mais jenepeuxm’empêcherdemedemander si ceneseraitpastropdifficiled’abandonnerunbébéquej’auraisporténeufmois.J’aipeurdecréerunlienavecluiquiseraittropfortpourquej’envisaged’allerjusqu’aubout.Etsijepassetoutelagrossesseàmepréparerà leconfieràdesparentsadoptifsdéterminés,pourreculerensuite?Jemesentiraistrèsmald’avoirfaitçaàdesgensquiméritentsûrementd’avoirunenfant.Maisunautreproblèmequi se pose, c’est qu’il courrait le risque d’être adopté par unmonstre. Je sais que les conditionsd’adoption sont très strictes,mais on ne sait jamais.Et si jeme retrouvais dans le cauchemar queNonivitmaintenant?Découvrirqu’àunmomentdonné,quelqu’unafaitdumalàl’enfantsansêtreenmesurederectifierlasituation?Ilyatropdepossibilités.

Sij’optaispourl’adoption,jemedemanderaistoujoursoùestmonbébé,avecquiilestets’ilestheureuxetenbonnesanté.Cechoixmeterrifieetmeserrelecœur.

L’interruptiondegrossessenemeparaîtpasmieux.Enfaitellemeparaîtpire.D’instinct,jeportelesmainsàmonventre,prêteàprotégerceminusculeêtrehumaincontre tout.Mais…sic’étaitdemoiqu’ildevaitêtreprotégé?Sij’étaiscondamnéeàbousillertoutcequejetouche,ycomprisunenfantinnocent?Cetteperspectiverendl’avortementmoinseffrayant.Ilvafalloirquejemepenchedavantagesurcettesolution.Commentçasepasse,d’abord?

Sur un bout de papier, je note les coordonnées d’une agence d’adoption et d’une clinique quieffectuelesIVG.Jeprendraimadécisiondemain.J’espère.

Jefermelenavigateuretm’enfoncedansmonsiège.Jemesensépuisée.

Je suis presque arrivée àma voiture quand la BMW de Damon arrive à toute vitesse dans leparkingdelaclinique.Ils’arrêtedansungrandcouinementdefreinsetsautedesonvéhiculeavantmêmequ’ilnesoitcomplètementarrêté.

Lesyeuxfous,larespirationsaccadée,ilmedemanded’untonpaniqué:—Qu’est-cequetuasfait?Est-ce qu’il surveille mon ordinateur ? Est-ce qu’il y a une puce dans ma voiture ? Sinon,

commentaurait-ilpusavoiroù jesuis?Jene l’ai jamaisvucommeçaet jenesaispasquoidire.Incapabledetrouvermesmots,jeregardeverslaclinique,puisverslui.J’aiaussitôthontequ’ilm’aitvueicietsachequej’aienvisagécetteoptionpournotrebébéetmoi.

—Je…

J’aiplusdemalqued’habitudeàformulermespensées.—Oh,monDieu.Merde!crie-t-il.Joséphine,tun’avaispasledroit!(Jemecrispeenentendant

letonqu’ilemploieetregardeautourdenouss’ilyadumondepourvoircespectacleembarrassant.)C’estnotrebébé.C’estànousdeuxdeprendreladécision.Pasàtoitouteseule!

Sontimbresecmehérisseet,ledoigtpointésurluicommeunpistoletchargé,jegrince:— Parce que ça t’intéresse ? Commentm’as-tu trouvée ? Retourne à ta pouffiasse du jour et

laisse-moitranquille.C’estmoncorpsetdoncmadécision.—C’estBrianquim’aditquetuparlaisdeça…Commentas-tupuvenirlàtouteseule?Toutecolèreévaporée,ilparaîtdéfaitetauborddeslarmes.—Évidemment,c’estBrian!Ilestincapabledegarderquelquechosepourlui.Jen’airienfait,

d’accord?Jevenaisjustemerenseigner,jereconnaisavecfaiblesse.LaprochainefoisquejevoisBrian,jel’étrangle.Jen’aijamaisvuquelqu’und’aussicancanier.JevoisDamonpousserungrandsoupir–desoulagement?Ils’avanceversmoietmeprendpar

lebraspourm’amenerducôtépassagerdesavoiture.Aussitôt,jecrie:—Qu’est-cequetufais?—Ilfautqu’onparle.Damonregardeautourde luicommepours’assurerquepersonnenenousavus,cequinefait

quem’irriterencoreplus.—TuaspeurqueCarrienousaitvus?L’amertumedansmavoixestrévélatrice.Sansrépondre,Damonfermemaportièreet,d’unpas

décidé, contourne le véhicule. Il s’installe au volant et tourne la clé pour faire rugir lemoteur. Ils’insèredanslacirculation,versunedestinationinconnue.

—Onvaoù?—Dansunendroitoùonpeutdiscuter,répond-ilsansmêmemeregarder.—Euh,d’accord,Damon,jeveuxbienveniravectoi.C’esttropgentild’avoirproposé.Unquartd’heureplustard,Damonarrêtesavoituredevantlamaisonquiauraitaussidûêtrela

mienne.C’estdouloureuxderevenirici.Lapremièrefoisquejesuisvenue,c’est lejouroùilm’ademandéeenmariage.Jen’avaisjamaisétéaussiheureusedemavie.

Damon saute de son siège et contourne l’automobile pourm’ouvrir la portière. Ilme tend sagrandemain,quej’attrape;c’estcommemeretrouverchezmoi.Uneangoissepurenaîtaucreuxdemonestomac.Celafaisaitmald’êtreloindelui,maisêtreaussiprès,letoucher,c’estinsupportable.

Dès que je suis rétablie sur mes pieds, il relâche ma main. À cet instant, je me consume del’intérieur. Encore une fois. Je le suis dans lamaison, il m’emmène au salon et me fait signe dem’asseoir.

Jem’installedanslecanapéetleregarde.— Écoute-moi, ordonne-t-il d’une voix calme. Quoi qu’il arrive, ne va pas penser que je ne

veuillepasdenotreenfant.Peuimportecequisepasseentretoietmoi,c’estmonenfantaussi,fait-ilendésignantmonventre,commesij’étaissousunprojecteur.Tunepeuxpasprendredesdécisionsleconcernantsansmoi,fait-ild’untondésapprobateur.Cen’estpasnormal,Joséphine.

—Maisjepensais…tuasfaitcommesitun’enavaisrienàfaire,nidemoi,nidemagrossesse.Tu es parti alors que tu savais que je venais de faire un test ! Et quand je t’ai vu auGa Tan avecCarrie…

—Jen’étaispasvenueavecelle.Elledéjeunaitavecunclient,etmoi,jeretrouvaisMike.Ellem’aalpaguéetm’ademandéoùtuétais.Jeluiaiditquenousavionsrompu…

—Non.C’esttoiquiasrompuavecmoi,jeterappelle.Iln’yapaseudenous.

Damonfrottel’arêtedesonnezparfait,l’airfrustré.—Bref,jeluiaiexpliquéqu’onn’étaitplusensembleetelles’estimposéeànotretablejusqu’àce

quejeluidisedepartir.—Tul’aschassée?—Toutàfait.Ilfallaitquejem’assurequ’Andyn’étaitpasentraindecoucheravectoidansmon

loft.Oucoucheravectoitoutcourt.Il marmonne cette dernière partie, surtout pour lui-même, mais je me demande si c’est une

questiondeterritoireousi,quelquepart,ilmeconsidèretoujourscommesienne.Écartercettepetitelueurd’espoirestlaseulechoselogiqueàfaire.L’espoiralechicpourmedévaster.Jenecomptepasmelepermettreànouveau.

—Andynevapascoucheravecmoidutout.Jamais.Jeluiaiparlédemagrossesse.—Àquid’autrel’as-tudit?—Personneàpartlui.Parcontre,BrianestalléleraconteràLindsay,etaussiàNoni.—Oh,fait-il,malàl’aiseàlamentiondesamère.Prenantgardedenepasallertroploin,jeluidemande:—Tuluiasparlé?—Ouais,avoue-t-il,l’airsipleinderegretsquejenepeuxquemesentirdésoléepourlui.Certes,nousnesommesplusensembleetilm’afaitsouffrir,maiscelanechangerienaufaitque

jel’aime.Celan’étouffepasautomatiquementmondésirdelevoirheureux.Etjedétestetoujourssonpèredenousavoirfaitsubirçaàtous.Jeprécise:

—J’aidiscutéavecellecematin.Jeprendsnoted’arrêterd’êtreaussiégocentriqueetdedemanderàNonicommentças’estpassé,

pourluioffrirmonépaulesielleenabesoin.Ilfaitunsignedetêteetregardeparterre.—Bien.Cette conversation n’a pas mis longtemps à tourner court. Comme ce n’est pas moi qui l’ai

entamée,jenesaispasquoidire.—Jo,promets-moiquetuvasfaireattentionetprendresoindetoietdenotrebébé.Damons’approcheencoreetposelamainsurmonbras.Soncontactestcommejel’aitoujours

connu,douxetchaleureux,maisferme.Jehausselesépaules.— Il va sans doute falloir que je prenne rendez-vous pour une consultationmédicale,mais en

dehorsdeça,jepensefairetoutcequ’ilfaut.Damonmerelâcheet,aussitôt,jecrèved’enviequ’ilmetoucheencore.—JevaisdireàBriandeteprendrerendez-vouschezunbonpraticien,m’assure-t-il.Jeréglerai

lesfrais,bienentendu.—D’accord.Bon,ilfaudraitmerameneràmavoiture.Jedoispartird’ici.Monpremierinstinctestdenepasapprécierceréflexedevouloirtoutpayer,

mais jesaisqueDamonestcommeçaet je suisunpeu tropdépasséepar lesévénementspourmemettre en colère. Je suis très fatiguée et je dois retourner aux toilettes. Ah oui, et au fait, je suisenceinte.Pourtant,monhumeurnechangepasl’impactqu’ilasurmoi.Çan’ajamaisjoué.Devoirm’asseoiràcôtédelui,c’estcommesij’étaisuneanciennealcooliqueàquionagitaitunepintedebièresouslenez.

Damonestmadrogueetilmemanque,toutcommelefaitdeplaneraveclui.Êtreaussiprochedela faiblesseque j’aime tant,c’estdangereux. Ilmecausedessymptômesdemanque trop intensesàgérer.Sonodeur envahitmes sens, s’insinuedansmesveines etme laisse avec l’envie irrésistible

d’en avoir davantage. Je crois que, quelque part dans mon cœur brisé, j’espère encore qu’il meprendra dans ses bras comme une demoiselle en détresse etme suppliera de revenir à lamaison.Cependantlapartieraisonnabledemoncerveaumesoufflequ’ilvautmieuxnepastropespérer.Sijeveuxavoirdeschancesdeguérir,jedoismeteniràl’écartautantquepossible.Jenepeuxpascroiserles doigts desmains et des pieds pour que nous arrivions à régler les choses.Damon n’aime pasbeaucoupparlerdetoutefaçon,surtoutencequiconcernesonpasséetsafamille.Notrerelations’esttoujoursdérouléecommeil lesouhaitait.Celanechangerapas.DamonColeestainsiet jenepeuxpasmelaisserembarquerpardesfantasmes.

16

CauchemarJefrappetroisfoisà laporte.Cen’estquemadeuxièmevenuesur les lieuxdepuisqueNonia

commencéàlouerlamaisonduCapitaine.C’est toujoursdifficilepourmoidevoirsesaffairesaulieudecellesdemonregrettépatron,saviemisedecôtécommes’iln’avaitpasexisté,maisNonis’est toujours montrée extrêmement délicate sur le fait que le fourbi du Capitaine soit stocké ici.EncorequelquechosequimerappellequeNoniauncœurd’oretqueleCapitainen’estpluslà.

J’attends à la porte, mais elle ne répond pas. Qu’est-ce qui se passe, Noni ? J’extirpe montéléphone de la poche arrière de mon pantalon et vérifie que je n’ai pas manqué d’appels ou demessagesdesapart,maisrien.Ellem’apourtantdemandédepasserpourdiscuter,alorsmevoilà.Laconnaissant,elleestsansdouteàlacuisineentraindepréparerduboncaféetunefournéedecookies,commesi j’étaisuneinvitéed’honneur.Noniest toujourspleined’attentions.Sanstropréfléchir, jetournelebouton:laported’entrées’ouvresansrésistance.

—Noni!Jesuislà!Jemedirigeverslasalleàmanger,oùj’entendsungémissementassourdisuivid’unerespiration

nasalelaborieuse.CelamerappelleaussitôtdessouvenirsdouloureuxdelamortduCapitaine.—Noni!J’entredanslasalleàmangerquihantemesrêves,maintenantplusquejamais.Lavisiondevantmoisortdroitd’unfilmd’horreurdesérieBetàpeineai-jeavancéd’unpasque

jem’immobilise.Nonisedébatsurl’unedeschaises,oùelleestattachéeavecdugrosscotchsolide.Bouchebée, j’agrandis lesyeuxetmes larmes jaillissent.Noni s’agite surplaceet criederrière lebâillonenfoncédanssabouche.Avantquemoncerveaun’aitletempsdeproduireuneréaction,jemesensattaquée,par-derrièreousurlecôté,jenesaispas,maisavecuneforcebrutale.J’ail’impressionque desmains et des bras arrivent de partout pour me tirer dans tous les sens, se posent sur maboucheetparviennentàétouffermescris.Jeluttepourmedégagerdemonagresseur,maisd’autresmainsretiennentmesbrasdansmondos.Lesonreconnaissabled’adhésifqu’onarrachedurouleauemplitl’airautourdemoi.Moncœurmanquedes’échapperdemapoitrine.Ons’approchedemonoreilleet,malgrémaluttefutile,jesensl’haleinequiagressemapeauavecchaquesyllabequemonagresseurprononce:

—Pasderésistance.Ilestlà!Monsangseglace.C’estlui,etdepuisl’accident,c’estlapremièrefoisquejemesens

complètementàlamercidecemonstrequiafaitvolermonmondeenéclats.Jesuisvulnérable,toutcommemonbébé.

Lescotchestrouléserréetmesdoigtsgorgésdesangsontviteprisdepicotements.Jegardeleslèvres pincées, mais on ouvre mes mâchoires et on y insère un tissu couvert de poussière. Avec

frénésie, je regardeautourdemoi, sansparveniràapercevoirqui se trouvedansmondos. Je saisqu’Edwardestlà,maislechocmeparalyse.OnmeretourneetonmetraînesurunechaiseàcôtédeNoni.

Howard.Andy.Alorscommeça,cebanditvolaitleschèquesdeGramzdanslamaisonderetraite.Voilà pourquoi il était toujours prêt à lui réparer une chose ou une autre et se montrait toujourssympaavecnous!C’estpourcetteseuleraisonqu’ilacherchéàmeséduire.Lesalopard!

Enrevanche,jesuissurprisedevoirHowardmêléàtoutça.Luiquiestlechefdelasécuritédel’immeubleetfaitpartieducercledeDamon…Ilavaitnotreconfiance.

Derrièremonbâillon,jefulmine.—Saleordure!Edward fait signe àHoward de venir à son côté et celui-ci se précipite comme un chien bien

dressé.Illuiordonnedem’attacher,etHowards’agenouilleàcôtédemoi,cordedenylonenmain.— Je suis désolé, mademoiselle Joséphine. Je n’avais pas le choix. J’ai besoin de l’argent,

s’excuse-t-ilcommeunanimalapeuré.Jegronde:—Vatefairefoutre!Jesuiscertainequemêmeaveclechiffondanslabouche,mesparolessontaudibles.Jem’élance

versluiet,surpris,iltombesursonderrière.C’estunepetitevictoire.Àcemoment,uncouppuissantexplosesurmajoue,sifortquejevoisdesteintesfluorescentes

de jaune, de vert et de rose. Pendant un long moment, ma vision reste brouillée. Ma tête lourdeballottesuruncôté.Jesensdelachaleursurmajoue,probablementdusangprovenantd’uneentaille.J’entendslespetitscrisdeNonietj’essaiedemonmieuxdenepaspleurer.Saletéd’hormonesetdedouleur.

Ungoûtmétallique, facileà reconnaître, inondemabouche.Avecma langue, jeparviensàmerendrecomptequetoutesmesdentssonttoujoursenplace,maisquemesmolairesduhautontinfligéunecoupureassezprofondeàl’intérieurdemajoue.Jesenslapartiegauchedemonvisagepalpiterau rythme demon cœur, avec une force impressionnante, ce qui le fait encore plus gonfler et segorgerdesang.Jen’aid’autrechoixqued’avalerlesangdansmabouche,sinonjevaism’étrangler.Jemeconcentredonc sur le fait dedéglutir et denepasvomir tantqu’il coule.Avecma jouequienfle,mapeautiredeplusenplus.

Pendantletempsqu’ilmefautpourrassemblermespensées,Howardm’aattachélesjambesàlachaiseetAndy-les-doigts-d’oraencoreunefoisprouvésadextéritéenmeliantlesbrasaudossier.Tournant la tête, je constate que Noni est exactement dans la même position que moi. Attachée,bâillonnéeetensang.Noussommescommedesjumelles,àpartpourundétail : levisagedouxdeNoniexprimeunepeursansnomtandisquemoi,jesuisfurieuse.

Jesuisenrageetjen’aiqu’uneenvie:corrigercesdeuxsalopards,dansn’importequelordre!L’instinct de lutte que j’ai cultivé quand j’étais enfant prend le dessus et je le suis. Je tuerai cesmonstressij’enail’occasion.Jelescouperaiendeux,destesticulesàlatête.Commepossédée,jelesdévisage chacun à leur tour, sans avoir peur des violences physiques qu’ils vont m’infliger avecsatisfaction.Jetiendrailecoup.J’encaisseraitout,parcequelacolèremepermettradesurvivre,delamêmefaçonqu’ellem’apermisdetraversertoutescesannéessansmesparents.Laragemeguidera,mesauvera,etsauverapeut-êtreaussiNoni.Ilestpossiblequ’onm’enterredansledésertsouspeu,mais,putaindemerde,jelutteraichaquesecondetantquej’enseraicapable.

— Sympa, la maison que t’a laissée ce vieux connard, Joséphine, me provoque Edward, quis’assoitfaceàNonietàmoi.

Ilsetrouveàmoinsd’unmètre,pratiquepourl’atteindre.Avecunsursaut,jetiresurlesliensquimeretiennentenespérantqu’aumoinsl’undecespauvresratésnesaitpasfairelesnœuds.Edward,àmoitiésaoul,s’esclaffecommelevraiminablequ’ilest.

—Vatefairefoutre!Ilestclairqu’ilm’aentendueàtraversmonbâillon,carilbonditsursespieds,prendsonélanet

melancesonpoingenpleinefigure.Difficiledesavoiroùilm’atapée,cartoutematêtetourne.Ladouleurinsoutenableseréverbèrepartoutenmoi.Lesangmemonteàlabouche,etvite,jeleravale.Lesnarinesgonflées,j’essaiedereprendremonsouffle.C’estvraimentinconfortablederespirerlabouchecouverte.Onnes’enrendjamaiscompteavantd’yêtreobligé.

Pendantquejetented’étoufferladouleur,j’entendslescrisdésespérésetdeplusenplusfortsdeNoni. Savoir qu’ils sont causés par l’hommequi l’a tant fait souffrirme donne envie d’avoir uneforcesurhumaineafindepouvoirl’arracheràsachaiseetdelasortird’ici.Jevoudraislaprotégerde cette abominable créature en face de nous. Ses hurlements effrayés ne font qu’augmenter marésolutiondenousdégagerdecettehorreur.

—Vas-y,salope!Redisunpeuça!mecracheEdwardàquelquescentimètresdemonvisage.Les effluves de l’alcool et du tabac ajoutés à sa mauvaise haleine suffiraient à faire vomir

n’importe qui.Avec un gémissement, je détourne la tête pour éviter cette puanteur. Ses yeuxbleusinjectésdesangsontlesplussombresquej’aiejamaisvus.Ilyaquelquechosedemauvaisdanscethommeetjesuissûrequec’estinné.Ilestimpossiblequel’éducationdeGramzensoitresponsable.Ellen’auraitpaspuletransformerenuntelmonstre.

—Tusais,Jo,tuseraissurprisedesavoirtoutcequejeconnaissurtoi,déclare-t-ilenpointantundoigtsalesurmonfront,sabedainetremblantdeboncœursoussonrire.Çat’intéresse?

Jecommenceàfairenondelatête,maisjemeravisedèsquelemouvementlarendencoreplusdouloureuse.Aulieuderéagir,jeregardeversNoni.Jemeconcentresurelleetpriepourqu’unpland’évasionbrillantseformedansmoncerveauembrumé.

—Jesaisquitues,chuchote-t-ild’untoncomplice.Jesaisquetuétaiscomplètementàsecavantdedevenircommeculetchemiseavecmondébiledefilsetmaséniledemère.Maintenant,tuesunesalepetiteprofiteuse.Tuasmêmemontémapropremèrecontremoi!(Ilbeuglecettephraseenmepostillonnantàlafigure,etsavoixquirésonnerendmonmaldetêteencoreplusatroce.)Etpuisilyaça,ajoute-t-ilendésignantNoni.C’estmerveilleux.Tun’imaginespasmonenthousiasmequandj’aicomprisquetuavaisretrouvécettesalepute.

Nonigrimaceàsoninsulte.Cequej’auraispréféréqu’illuifichelapaix…Jenesouhaitaispasqu’elle se retrouvemêlée à ces horreurs. Je ne sais pas ce qui fait imaginer à Edward, dans soncerveaudébile,quejesuisresponsabledesesmalheurs.Enfait,jesuissûrequ’ils’estenfoncétoutseul et ne trouve pas d’échappatoire.C’est un ivrogne sans logique, très doué pour reprocher auxautressavieratée.

—Jet’airacontédeux-troistrucs,alorstoi,qu’est-cequetuasàmedire?D’ungestevif, ilaarraché lechiffon.Jem’humecte les lèvreset l’intérieurde labouche,puis

d’unevoixrauque,jeparviensàarticuler:—Qu’est-cequetuveuxsavoir?—Oùestlefric?—Quoi?Quelargent?—Lefricdemamère!—Je…j’ensaisrien.Jen’airienàvoirlà-dedans.

Monesprittournesivitequej’aidumalàyvoirclair.Jenesaispasdequelargentilparle.Lesangquicoulaitquelquepartau-dessusdemonsourcilaséchésurmonœil.Quandjebatsdescils,çacolle, ce quime distrait. Je neme rappelle pas que Damon et Gramzm’aient reparlé de l’argentmanquant ou de ce qu’elle allait en faire. Damon devait s’en occuper, et j’en suis restée là. AvecDamon,ilestinutiledecauseraffaires.Iln’aimepasbeaucoupcommuniqueràcesujet,etunefoisqu’ilaprisleschosesenmain,leschèquesfalsifiéssontclairementrentrésdanscettecatégorie.

—Nememenspas!Jesaisquet’esaucourant!—Stop!Laisse-moiréfléchir,bordel!J’essaiedegagnerdu tempspourcomprendredequoi ilparle.L’argentdeGramz, l’argentde

Gramz…Oùest-il?— La dernière fois que j’en ai entendu parler, Damon s’occupait des comptes après avoir

découvertquedel’argentmanquait.Lacompréhensionilluminemoncerveauencompote.Andy!Sans prendre le temps de réfléchir, je cherche des yeuxAndy, qui est adossé aumur derrière

Edward,seservantdansuneboîtedefruitssecscommes’ilétaitdansunbarentraindedraguer.Lesalopard.

—Toi!Ilhausselesépaulesd’unairtranquilleetm’adresseunclind’œil.—Moi,confirme-t-il.— Tu faisais mine d’êtremon ami ! Tu as essayé de… tu voulais me baiser, espèce de… de

salaud!L’insulteestbienfaible,maisc’estcellequidominemespensées.Ausouvenirdesabouchesurla

miennedevantleloftaprèslerestaurant,j’ailanausée.AndyricaneetfourredanssabouchedeconnardunenouvellepoignéedesprovisionsdeNoni.

Dégoûtée,jelance:—Ilvatousvoustuer.Enentendantmonavertissement,Howard,assisàcôtédesfenêtresdelafaçade,sansdoutepour

monterlagarde,seretourneversmoi.L’inquiétudedanssesyeuxmeconfirmequ’ilsaitqueDamonn’étaitpasunhommedontonpeutsemoquer.Puisilrencontreleregardinflexibled’Edwardetseremetàsurveillerlesabordsdelamaison.

—Howard, c’est sans doute vous qu’il tuera en premier, simplement parce qu’il vous faisaitconfiance,jelepréviens.

Jemeretourneversl’avant,justeàtempspourvoirEdwardfairesigneàAndy,etjecomprendsquejeviensdem’attirerencoreunepluiedecoups.Andy-les-doigts-d’orabandonnesonen-cassurlapetitetableduCapitaineetaccourt,commelebonpetittravailleurqu’ilest.Quandilportelamainàmamâchoire, jene résistepas. Je le laissem’ouvrir labouche tandisqu’Edwardavaleencoreunelonguegorgée de liquide couleur ambre, puis fourre le satané chiffon entremes dents. Il émet unsouriresatisfaitetdéclare:

—Damonneferarienàpersonne.Qu’est-cequeçaveutdire?OùestDamon?Quevont-ilsluifaire?LepetitcrideNoniattiremonattentionsurelleet,aussitôt,j’ail’impressiond’êtrelaseuleàne

passavoirquelquechosed’important.MonGrandMecenvahitmespenséesetaveclui,lebébéquejeporte.L’enfantdeDamon.

Andymepassel’indexsurlamâchoire,meforçantàreculeràcecontactdéplaisant.Jerelèvedesyeuxhargneuxverslui,espérantqu’ilcomprendlemessagequejeluienvoie.

—Disdonc,tuesmignonneaveclaboucheouverte,Jo.J’aimeraisbientestercequ’ilyasoustesvêtements,susurre-t-il,d’unevoixignoblementsincère.

—Andy,ondoitparler.Edward l’emmènedans lacuisine, laissantàHoward lesoindenoussurveiller toutes lesdeux.

Dès qu’ils ont quitté la pièce, je me tourne vers l’agent de sécurité et lui envoie une requêtesilencieuse.Ilnousévite,commes’ilétaittropdifficiledecontemplerlascènedevantlui.

—Howard,dis-jed’unevoixétouffée.Aidez-nous.(J’espèrequ’ilpeutcomprendremasuppliquetrèssimple.)Nefaitespasça.

Ilfermefortlesyeuxetbaisselatête.Ilsedouteque,quelquesoitlemontantqu’ilreçoive,celanecompenserapascequeDamonleurferaàtouslestrois.

—Pardon,marmonne-t-ilfaiblementavantdesedétournerverslesstorespourregarderdehors.Lapartierationnelledemoncerveausaitqu’ilveutacheterletraitementnécessairepoursauversonpère,maisl’autre,énervée,aenviedeluiflanquerunedérouilléed’êtreuntraîtreetunvendu.

Edwardrevientdanslapièce,suivid’Andy,etfaitcraquersesdoigtscommeungrandchien.—Voilàcommentonvaprocéder,petitesalope,grondeEdwardenm’arrachantlebâillon.Ilme

fautduflouze.J’endoisunpaquetàdesgensdangereux,t’entrouveraismêmepasdanstesbouquins,descommeça.J’allaisleurpayermadettequand,d’uncoup,l’accèsaublém’aétécoupé.Maintenantjevaisdevoirl’obtenirdemoncouillondefilspourfinancermavieauMexique.Laseulechosequitedonnedelavaleur,c’estton«état».Ilt’apeut-êtrelarguée,maisparchance,t’asunpolichinelledansletiroir,cequiterendtrèsprécieuseauxyeuxdemonfils.Çaatoujoursétéunemauviette.

Lesyeuxécarquillés,jecomprends.C’estAndyquil’amisaucourant.Jecommenceàcalculeroùçanousemmène,etc’estlepirescénario.Ilsveulentdel’argent,destas,etilsvontm’utiliserpourfairechanterDamon.Commenta-t-onpuenarriverlà?Cegenredeconneriesn’arrivequedanslesfilms.Dans lavraievie,personnenesefaitkidnapperpourunerançon.Lesmalfaiteurs tuent leursvictimes, puis essaient de leurmieuxd’échapper à la police.Edwardne va pas nous laisser partir.Sinon, il ne me donnerait pas les détails de son plan. Nos ravisseurs n’ont pas fait d’effort pourmasquer leur identitéoudéguiser leurvoix. Ilsn’ontpas l’intentiondenous laisservivre :pas detémoins.Lavoixrageuse,jeréponds:

—Allezaudiable!Puisjeluicracheauvisage.Sij’avaisréfléchi,j’auraisévitédem’attirerencoredescoups,qui

vontmettre en dangermon bébé. Je ne peux plusme permettre d’agir impulsivement quand monenfantestenjeu.

Edwardtireunmouchoirdesapocheets’essuielevisage.—Tuvasmelepayertrèsbientôt,m’avertit-ild’unevoixquim’apprendqu’ilestsincère.Donc,

poursuit-ilenmetirantparlescheveuxpourquejeleregarde,voilàleplan:tuvasappelerDamonetlefairevenir, toutcommeelle t’afaitvenir,dit-ilendésignantNonid’unregardécœurant. Inventequelquechose,maisamène-leici.

—D’accord.J’ail’espritquitourneàtouteallure.Ilfautquejeluifassecomprendrequequelquechosecloche.

Réfléchis,Jo.Réfléchis!EdwardfaitunsigneàAndy,quitrouvemonportableenquelquessecondesetlancel’appel.Ilme

tientletéléphonedefaçonquejepuisselemaintenirentrematêtemalmenéeetmonépaule.Damonnerépondqu’àlatroisièmesonnerie.—Allô?J’entamelaconversationdelavoixlaplusfermepossible:

—Salut.—Joséphine?L’entendrediremonnommefaitmal.Leterritoiredemoncœurestfragile.Savoirquejevais

l’attirerdansceguêpierm’arrête.Jeneveuxpasqu’ilsoitblessé,oupire.Peut-êtreneveut-ilplusdemoi,maismoi,jel’aimeencore,peut-êtreplusquejamais.Jedoisleprotéger.Jepoursuis:

—Dis,jemedemandaisquelquechose.—Oui?Ilparaîtintrigué,maisj’espèreéclaircirleschoses.—Tuterappellescequetum’avaispromis,l’autrenuit,aulit?Justeaprèsl’emménagementde

Gramz?Ilpousseunsoupir,carilsesouvientdecemomentpartagé.—Oui.—J’auraisbesoinquetutiennescettepromesse.JesuiscoincéeàlamaisonduCapitaine.J’aima

voiturequifaituntrucbizarre.Tupourraislaréparer?—Qu’est-cequisepasse?m’interroge-t-il,lavoixplusgrave.J’entendsremueràl’autreboutdelaligne.Ilsepréparedéjààpartir.— Euh, je ne sais pas trop.Mais je ne peux pas arranger ça toute seule, donc viens avec du

matériel,d’accord?—Sic’estquelquechosedegrave,disn’importequoid’autrequenon.—Oui,oui,Noniestlà,jerépondsd’untoncalme.—C’estlui,c’estça?J’entends un grand boum, sans doute dû au contact du poing deDamon avec unemalheureuse

porteouunbureau.—C’estça.OK,àtoutàl’heure,dis-jeenfeignantlatranquillité.Andymetfinàl’appelavantquejepuissedireautrechoseetmebâillonnedenouveau.Ilrange

mon portable dans sa poche et me passe le dos de la main sur le visage avec un « tss, tss »condescendantquandsesdoigtsarriventàl’entaillesurmonfront.

Maintenant qu’Edward sait Damon en route, il est très affairé, ce quime rend encore plus encolèreetmefaitatteindrelessommetsdel’anxiété.

—Howard,assure-toidenepaspouvoirêtrevudepuislafenêtre,aboie-t-il.Andy,poste-toidansl’entréepourêtrecachéparlaportequandilarrive.Commeça,tuserasderrièrelui.Moi,jerestelà.Unefoisqu’ilseraàterre,ilfaudranousdépêcher.C’estcompris?

Les deux acolytes acquiescent, mais je reste figée. Qu’entend-il par « une fois qu’il sera àterre»?Jesensmonventresenouerdouloureusementàl’idéequeDamonvientpourtomberdansune embuscade tendue par ces enfoirés. Il semet en danger pourmoi,Noni et notre enfant. Je nesupportepasl’idéequ’illuiarrivequelquechose.Siunmalheurdevaitseproduire,jenepourraispasmeregarderenface.

Auboutdecequisembleêtreuneéternité,onfrappeàlaporte.Nonipousseungémissementetleslarmescoulentsursesjoues.Elleaaussipeurquemoi.J’entendslaportes’ouvrir,puisdespasrésonneretj’attendsledésastre.

—Jo,mapuce,oùes-tu?appelleBrian,quin’apassavoixhabituelle.Ilestaucourant.Damonadûluidirequ’ilsepassaitquelquechose.Quelcourageamoncherami

devenirici!Selonmoi,ilvientd’entrerdansuncauchemar.—Damonm’aenvoyéicipourfaireremorquertavoiture,crie-t-il,toujoursàlaporte.Tuasdéjà

appelél’assurance?

OùestDamon?Oh,monDieu,Damon.Oùes-tu?Soudain, la porte claque et nous entendons dumouvement, puis un coup sourd. À travers cet

horriblebâillon,jecrielenomdeBrian,NonipleuredeplusenplusetjelavoisfixerEdward.Ilasortiunearmeàfeu,qu’ilpointeversl’entréedusalon.

—Tagueule,pouffiasse!gronde-t-ilenagitantsonarme.Il lui donneungrandcoupde crosse sur la tête et, aussitôt, elle s’affaisse.Andyapparaît dans

l’entréevoûtéedusalonavecBrian,quiestaffaiblimaisluttetoujourscontrelui.—Iln’yaquelui,grogne-t-il.—Merde!crieEdward.—Qu’est-cequ’onfait?demandeAndy,quiretientBriandansungenredeprisedejudo.Celui-cialesdeuxbrasprisdansceuxd’Andyetremontés,cequiforcesesépaulesàrestervers

le bas. Dans cette position inconfortable, le pauvre Brian, qui n’est pas très musclé, est aussiimmobiliséquemoisurmachaise.

Ilaunœilensanglanté,maism’aperçoit. Ilsedébatpourtenterd’échapperàAndy.Àvoirmesamisbattusetcouvertsdesang,jemelaisseemporterparl’émotionetmemetsfinalementàpleurer.Mes sanglots rendent la respiration par le nez d’autant plus difficile et j’ai la tête qui tourne denouveau.Jetiresurmesliens.Ilfautquejemedélivre.JedoisaiderBrian.

Jecroisesonregardetilm’adresseunsouriredécidé.Puisillanceunpiedenarrièreet,detoutesses forces, l’envoie dans le genou d’Andy. Celui-ci pousse un cri d’animal blessé et lâchesuffisammentmonamipourqu’illibèreundesesbras.Aprèsunaffrontement,Briansedirigeverslaporte d’entrée, suivi par l’homme d’entretien. Une détonation assourdissante retentit, rendant mesoreillesinopérantes.D’instinct,mesyeuxseferment.Jen’entendsqu’unsifflementcontinu.JerouvrelespaupièrespourvoirBriangigoteràterre.Ilaététouché.Lesangs’échappedesajambe,peut-êtredesonventre.Difficileàdire.Jemedébatssurmachaiseetcrieaussifortquepossible,maisc’estinutile.Jen’aiaucunmoyendel’aider.Surleventre,Brianrampeversl’entréeavecdesgrognementsgutturaux. Il n’arrive à bouger qu’un côté de son corps et même s’il semble irréalisable qu’ilparvienneàfranchirlaporte,moncœurseserreenespérantqu’ilsedébrouillerapouryparvenir.

Lasituationestdevenueincontrôlableàunevitessefolle.JeregardeEdward,quipoursuitBrian.Andy,quis’estbaisséaumomentducoupdefeu,se redresseetattrapeunedeschevillesdeBrian.Edward prend l’autre et, ensemble, ils le traînent malgré ses gémissements de douleur et sesmoulinetsdebras.

—Lâchez-le!Jemedemandesimesoreillesm’onttrahieousijecommenceàdélirer,maismesyeuxtrouvent

Damondanslasalleàmangeradjacente,unearmepointéeversEdward.Ilnedétachepasleregarddeson père etAndy.Ce salopard d’alcoolique se redresse et se tourne versDamon avec son proprepistolet.Howardresteàlafenêtre,lesmainslevéespourserendre.

—Écarte-toidelui,exigeDamon.—Vatefairefoutre,petitcon!cracheEdward.Touts’estpassésivite…Jesuisterrifiée.J’aidumalàcroirequeDamonsoitvraimentlà.Avec

unearme.Ilestvenunoussauver.Difficiledegarderlecontactaveclaréalité.J’aienviedefermerlesyeuxetdetoutrepousserleplusloinpossible.

—Jeveuxmonfric,lanceEdward,quiagiteunpeusonpistolet.—Lapoliceestdéjàenroute,ditDamon,quiregardeHoward,puisAndy,lavoixposée.Allez.

Fuyezviteetloin,parcequejevaisvousretrouver,etàcemoment-là,jevoustuerai.

Howardnedemandepassonreste.IlregardeunefoisEdward,puisAndy,puisfileverslaported’entrée. Andy fait signe à Edward et le suit, courant comme s’il avait le diable à ses trousses.J’espère qu’ils n’iront pas loin. Les policiers vont forcément les retrouver. Ils devraient déjà êtrearrivés.Quefont-ils?

—Reveneztoutdesuite!tonneEdward.Iln’yaplusqueluietmonGrandMecmaintenant.Impuissante,jeregardeEdwardbraquerson

pistoletsurlatêtedeDamon.Ilvatuersonproprefils.—Dufric!Tupassesuncoupdefiltoutdesuiteettufaisvirerdeuxcentcinquantemilledollars

surmoncompte!Jeveuxrecevoircequ’onmedoit.—Tun’enaspasassezpris?répondDamon.JeperçoisledoublesensdelaquestiondeDamon,etilestonnepeutplusdanslevrai.Edwarda

faitdumalàtoutlemondedanscettepièce.Ilavolél’innocencedeNonietsesrêves.Ilavolétoutel’adolescencedeDamon.Ilm’avolémafamille.Encomparaison,l’argentdesamèren’estrien.

Auloin,dessirènesretentissent,quiserapprochentàchaqueseconde.Edwardsembledésespéréetsesmainscommencentàtremblersurlacrossedesonarme.Iln’aplusdesolution.Riennes’estdéroulé comme il l’avait prévu et il a tout perdu. Il est impossible queDamon lui livre un paquetd’argentmaintenant,même s’il en avait envie.Edward a échoué et il le sait.Lamain demoins enmoinsassuréeàmesurequelesvoituresdepolices’avancent,iléructe:

—T’astoujoursétéunpetitmoins-que-rien.J’ai l’impression que la scène se déroule sousmes yeux au ralenti. Je suis obligée de voir le

poingd’EdwardseresserrersursonarmeetilvisedenouveauDamonavecassurance.Jefermelesyeux et me prépare au pire. Une nouvelle déflagration assourdissante résonne dans la maison.L’odeurâcredelapoudreimprègnemessinus,cequim’aideàassimilercequivientdesepasser.

Jenedevraispas,etcedoitêtremonpouvoird’autodestructionquiparle,maisj’ouvrelesyeux,persuadéequejevaisdécouvrirDamonallongésurlesol.

Enfait,ilestdebout.Ilestrestédanslamêmeposition,lepistolettoujourspointé.Ilregardeenbaspourvérifierqu’il

n’apasdeblessure,maisilnesaignepas.Ilestlà,sainetsauf,etjenepourraispasêtreplussoulagée.Edwardestsurledosàl’endroitoùilsetrouvait,uneflaquedesanggrandissantautourdelatête.

Il est mort. Damon a tué son propre père. Le monstre qui le tourmente depuis la naissance estmaintenantsansvieàterre.

Lesondessirènes,despneusquicrissent,suivid’aumoinsvingtpoliciersquientrentencourantdanslamaisonattirentmonattentionversl’entrée.

—Lâchezvotrearme!demandentplusieursd’entreeux.Damonsebaisselentementetposesonpistoletsurlecarrelage.Lesagentsdepolicesedéplacent

àtoutevitesse,certainsversBrian,d’autresversEdward,d’autresencoreversNoni.Ildoityenavoirprèsdemoi,maistoutcequejevois,cesontlesdeuxquiforcentmonGrandMecàs’allongerparterre.

Damonneluttepas.Lajoueausol,lesyeuxbraquéssurmoi,ilselaissefaire.J’aipeurquesonregardvidenesignifiequecetépisodevientdeledétruireàjamais.

17

LibreJe crois que, dans toute cette histoire, le pire est le sentiment d’être volée. Pendant toutes ces

années, j’aieu la librairie,quiaconstituémabase,monroc.Mêmesans leCapitaine, jem’ensuistiréeparcequecemagasinétaitcequimerattachaitàunmondeprêtàm’engloutirsijeluienlaissaisla possibilité.Maintenant, je dois accepter de m’en défaire, tout comme j’ai laissé partir Damon.L’idéede lesabandonner tous lesdeuxestuncoupdévastateurpourmoncœurdéjàsoumisà rudeépreuve.

Il y adouze jours, j’ai regardédepuismacivièreDamonqui se faisaitmenotter et entraîner àl’arrièred’une fourgonnettedepolice.Lapresse localeenparle sanscesse.Aucuneplainten’aétédéposée contre Damon, mais il reste sous surveillance rapprochée des forces de l’ordre et desreportersinsistants.

Brianaétéemmenéà l’hôpital,où ilasubiune interventionpourretirer laballe logéedans lehautdesacuisse.D’aprèslesmédecins,iladelachancedel’avoirreçuelàetnoncinqcentimètresplusàgauche,sansquoiilauraitfaitunehémorragie.Ilgardesabonnehumeur.Treytrouve«cool»quesononclesoitunhéros.Lindsay,elle,s’estfaitbeaucoupdesoucipoursonfrèreetelleestrestéeà son chevet en permanence. Pour ma part, je ne lui ai rendu visite qu’une fois, car le revoirdavantage rendrait mon projet encore plus difficile à accomplir. Il m’a fait tout un cinéma pourm’expliquerque sonmecdumoment apprécierait la cicatrice. Je crois qu’il en a encorepourunesemaineavantd’êtreautoriséàsortir.

Noni a subi une commotion cérébrale après le coupde crossedu semi-automatiqued’Edward,maiselleseremetbienavecl’aidedeGramz.Celle-ciainsistépourqueNonis’installechezelleetdorme sur son canapé pendant sa convalescence. Je comprends son besoin de prendre soin de lafemmequiluiadonnéDamonilyatrente-troisans.

Quand les infirmiersontcommencéàm’ausculter, la réalitém’a frappéedeplein fouet. Jemesuis inquiétée pour le bébé. J’ai eu peur de le perdre et cette idée était horrible pour moi.L’échographiem’arévélésesbattementsdecœurfortsetréguliers,bienauchauddansmonventre.Ilétait là, comme une minuscule personne, esquissant de petits mouvements que je ne sentais pas,complètementdétachéduchaosextérieur.Quand lesmédecinsm’ont rassuréesur l’étatdubébé, jecroisquej’airespiréprofondémentpourlapremièrefoisdepuisdessemaines.Voirmonpetitangesurl’écranarendumadécisionclaire.J’aisuàcemomentquejeneferaisaucunedémarchepourmedébarrasserdelui.Jelegarderaiàl’abridetoutdanger.Jem’éloigneraimêmedelaseulevillequej’aie jamaisconnue.J’aiquitté l’hôpitalquelquesheuresaprès,unplanentête.Jesuisretournéeauloftetjel’aimisàexécution.

J’ailecœursilourdquejetrouveparfoisdifficilederespirer.Lanuit,jesomnoleausondemesproprespleurs,maisriendecettesouffrancenechangelerésultat : jedoisquitterLasVegas.Ilmefaut instaurer une nouvelle vie pour le bébé et moi, sans personne d’autre. Maintenant, je saiscommentadûsesentirNoniàdix-septans,seulefaceaumondeavecunenfantàvenir.Aumoins,jesuisadulteavecquelquescompétences…Celadit,jenesuispassûrequelirebeaucoupetavoirdelarepartiem’apporteénormémentd’ouverturespourtrouverdutravail.

J’imaginequemesparentsontdûêtreterrifiésdetoutrecommencerdansunnouveaupays,avecunelangueétrangèreettoutcequis’ensuit.Ilssontdesmodèlespourmoi.Ilsmemontrentquejesuiscapable d’en faire autant. Je peux être forte et courageuse ; si ce n’est pourmoi, c’est pourmonenfant.C’estincroyablequ’unêtreaussipetit,quin’estmêmepasencoredanscemonde,détiennelepouvoirdemodifiermavieaussiradicalement.

Pourêtrehonnête,jesavaisdepuisledépartqu’unevieavecDamonétaitvouéeàl’échec,maiscelanefaitpasmoinsmalpourautant.J’aiperduleCapitaine,abandonnélalibrairie,faitunecroixsurDamonettiréuntraitsurl’avenirquej’imaginaispourmoiaveclui.JemesuisrésolueàvivreloindeGramz,deNonietdeBrian.Sij’yréfléchisbien,touslestroissontliésàDamon,etplutôtquede lesobliger à choisir leur camp, je les lui laisse. Il abesoinde leur soutienet,pourmapart, jepréfère ne pas m’attacher. Comme une lâche, j’ai changé de numéro de portable pour éviter lesconversationsdouloureuses.Unecoupurenetteestpréférable,non?

Pourtant,ilyaunepartdebeautédansmasituation.Jesuislibre.Libéréed’unpasséquiaétéunadversaireimmensependantbientroplongtemps.Libéréedesrappelsconstantsquifontremonterdessouvenirstropaffreuxàendurer.LibéréedelacouverturemédiatiqueconcernantDamon.Libéréedesjournalistescurieux.Libéréedelaviequej’aiconnueici.Vegasaétéuneaventuretumultueuse,etjesuisprêteàdescendredevoiture.

Plusqu’un arrêt avant deprendre la route.Le cimetière apparaît dansmonchampdevision etj’attendsquemonteenmoilesentimentdecraintequiaccompagnechaquevisite.Jecoupelemoteurdemavoiture, puismedirigevers les tombesdemesparents et duCapitaine. Jegarde lesyeuxàterre.C’estencoretellementdifficiledevoircespierrestombalesensachantcequ’ellesreprésentent,lavieetlamortdetroispersonnesquionttantcomptépourmoi.

Jem’agenouille,lesorteilssurlesol.—Bonjour.C’estleseulmotquimevient,alorsquej’aitantàdire,àavouer,àpromettre.Jem’éclaircis la

gorgeenessayantderassemblermespensées.—Jedoisvousdireaurevoirpourunboutdetemps,jeparviensàarticuler.J’essaie de gardermes émotions sous contrôle. Ils sont peut-être partis,mais j’ai l’impression

qu’ilssonticiavecmoi.J’espèrequ’ilslesont.— Je… en fait, je vais déménager à Salt LakeCity.Ça ne fera pas trop loin, alors je pourrai

passer vous voir plusieurs fois par an. Damon sera en contact avec son enfant. Je sais ce que tupenses,Capitaine.Cen’estpasvraimentmongenredeville,maisjevaismedébrouiller.Jeledois,aveclebébéquiarrive,toutça.(Jeposelamainsurmonpetitventreetsouris.)Çaseraparfaitpourprendreunnouveaudépartànousdeux.(Jeregarded’unepierreàl’autre.)Jevoulaisjustevousdirequejevousaime.Tous.(Unsanglotentamemapiètrerésolution.)Etvousmemanquezénormément.Jevoudraisquevoussoyezlà.J’aipeurd’élevercebébétouteseule…

—Ettun’auraspasàlefaire.Jebondisetmanquedetomber.Damons’élanceversmoipourmeretenir.Sesmainssontchaudes

et réconfortantes sur mes bras. J’essuie les larmes sur mes joues et mon menton et, aplatissant

nerveusementl’ourletdemontee-shirt,jedemande:—Qu’est-cequetufaislà?Damonme prend par le coude etme ramène àmaVolvo. Je ne vois pas sa camionnette ni sa

voiture.—Commentes-tuvenu?—Mikem’adéposéauportail.Tuveuxbient’arrêterpourm’écouterjusteuneminute?S’ilte

plaît.Donne-moiletempsdem’expliquer,Jo.Sesyeuxchaleureuxetsuppliantsm’atteignentetjecroiselesbras,prêteàl’écoutermalgrétout.—Tun’aspasbesoindepartir.Jeneveuxpasquetupartes.—C’est déjà fait,Damon, dis-je doucement. J’ai un appartement quim’attend.Tunem’as pas

appelée,onnes’estpasrevus…Rienn’achangé.—Alors,annulelebail.—Tunem’aspasécoutée?Cen’estpasjustel’appartement.Pourquoitunecomprendspas?Lesondemavoixestexaspéré,carc’estcequejesuis.Jenepeuxpastraverserçadenouveau.

Medonnerencoreune foisde fauxespoirs. Jenesuispascapablede surmontercelaunenouvellefois.Notrerelationnefonctionnerajamaiset jem’efforcedel’accepter.Moncœurn’accepterapasplusd’agressions.

—Jevaisarrangertoutça,meditDamonenposantlamainsurmajoued’ungestetendrequimefait fondre un tout petit peu. Permets-moi d’arranger ça,ma chérie,me demande-t-il. S’il te plaît,revienscheznous.

Jeplongemonregarddanssesyeuxchaleureuxquimemettententransedepuislapremièrefoisquejel’aivu.Seslarmesbrillentausoleiletc’estdifficiledelevoircommeça.

—Damon…—S’ilteplaît,mesupplie-t-ilenavançantd’unpasversmoi.—J’aipeur.— Tu n’as pas à avoir peur. Je n’ai jamais cherché à te fairemal. Je t’aime. J’essayais de te

protéger,etlasituationaéchappéàmoncontrôle.Jen’aijamaisvouluteperdre,nitoi,nilebébé.Ilposemaintenantlamainsurlepetitrenflementdemonventre.—Maistu…— Je sais. (Il regarde ses pieds, la culpabilité visible dans l’affaissement de ses épaules, puis

relèvelesyeuxsurmoiavecunsoupir.)Lejouroùjet’aiditdepartir,c’estparcequeMikevenaitdemefairesonrapport.MonpèrecommençaitàdésespéreretMikeavait l’impressionqu’ilpréparaitun mauvais coup. Simplement, on n’arrivait pas à savoir quoi. Il m’a conseillé de te mettre ensécurité,Joséphine.Celam’apresquetuédetevoirlecœurbriséàcaused’unmensonge,maisjen’aipaseulechoix.Ilfallaitquejeletienneéloignédetoietjemesuisditquesitunefaisaispluspartiedemavie,iltelaisseraittranquille.

—Tuauraisdûmeledire!jem’écrieenserrantlespoingspourdonnerdescoupssursontorsemusclé.

—Jenepouvaispasprendre le risque. Je sais comme tues têtue, et je tentais réellementde teprotéger.(Ilattrapemonpoignetetleserredanssamain.)Jeteconnais,monamour.Tun’auraispaslâchél’affaire.Tuneseraispaspartieàmoinsd’êtreconvaincuequejenevoulaisplusdetoi.J’auraisaiméattendrequelapressesecalmeàmonsujetavantdeterembarquerdanstoutecettehistoire,maisjenepouvaisplusattendre.Jenepouvaispastelaisserpartir.

—Mais…lebébé!Tuasfaitcommesitut’enfichaisroyalement,j’objecte,leslarmesauxyeux.

—Maisc’estfaux.Biensûrquec’estfaux.As-tuidéedeladifficultéquej’aieueàquitterleloftlejouroùtuassoupçonnétagrossesse?(Seslarmescommencentàtomberetilnelesessuiepas.)J’avaistellementenviederesterauprèsdetoi!Defêterça!JesuispartienespérantauplusprofonddemoiqueBrianm’appelleraitpourmedirequeletestétaitpositif.Quandill’afait,j’aisuquejedevais en terminer avec ça. Tu vas avoir notre enfant, Jo.Mon bébé. Je devais le protéger demafamille.

Bouchebée,jesuisembrouillée,soulagéeetencolèreàlafois.—Fairedesenfantsavectoi,c’estcequejedésireleplusaumonde.Plein,situveux.Jeveuxque

tum’épouses.Jeveuxpassermavieavectoiàmoncôté,Jo.Jevoulaisquecesoitpositifparcequejesavaisquesituétaisdéjàenceinte,j’auraisunemeilleurechancedetereconquérir,d’inversertoutça.

J’enfouismon visage dansmesmains, car cette fois, je pleure à gros sanglots.Mon cœur nepourra pas en supporter davantage.Moi qui étais venuedire au revoir, je suis là, dans les bras deDamon,entraind’apprendrequec’étaituncoupmonté.

Quetoutétaitfaux.Ilnes’agissaitqued’unemascaradepourattraperEdward.—Nepleurepas,machérie,mesouffleDamonenmepressantcontresontorseetendéposant

unepluiedetendresbaiserssurlelobedemonoreille.Jet’enprie,nepleurepas.Toujoursdanssesbras,jem’indigne:—Tu…tum’asarrachélecœur!—Jesais. Jesuisvraimentdésolée, tun’imaginesmêmepasàquelpoint.Laisse-moimefaire

pardonner,Jo.(Damonm’attrapeparlesépaulesetmetientdevantlui.Ilplongeseslongsdoigtsdanssa poche de chemise et en ressortma bague de fiançailles, étincelante au soleil. Il lèvemamain.)Reviensàlamaison,jet’ensupplie,complète-t-ilenmepassantlabagueaudoigt.

Sansmotdire,jeleregardemettreungenouàterre.Levantversmoidesyeuxtimides,ilpasseunemainsousmonhautpourlaposersurmonventreàpeinegonflé.Ilfermelesyeuxetposelatêtedessus.

Ilessaiedeseracheteretilmedittoutelavérité.Clairement,ilveutnotrebébéautantquemoi.Etilm’aimetoujours.

Jesenssonpouceimprimerdepetitescaressessurmonabdomen.Levoirainsi,aussitendre,mefaitfondrecomplètement.Celamebriselecœurdesavoirqu’ilaélaborétoussesmensongesetceplanparcequ’ilm’aimeetqu’ilaimeautantnotrebébé.Ilapristantderisquespourmemettrehorsdedanger.Ilétaitprêtàmeperdresicelasignifiaitquej’étaisensûreté.Celamerappellelesoirdel’emménagement de Gramz chez nous. Il m’a fait l’amour et m’a demandé si je savais qu’il megarderaithorsdedanger,quoiqu’ilarrive.Jelesavaisalorscommejelesaismaintenant.Jeluitiresurlesbraspourqu’ilserelève.

—Jo,machérie,dis-moiquetuvasreveniràlamaison.Dis-moiquetuveuxencoretemarieravecmoi.

Sesyeuxsontemplisdesouffranceetsonvisageestunmasqued’inquiétude.Jenepeuxpas lelaisserunesecondedepluscommeça.

—Ouietoui.(Maréponseestsimple,maislourdedelapromessed’unedeuxièmechance.)Àunecondition.Nonidoitfairepartiedelaviedenotrebébé.Jel’adoreetjesaisquetoiaussitul’aimes,quelquepartlà-dedans,dis-jeenposantlapaumesursoncœur.Tuassouffert,maisc’estlemomentderattraperletempsperdu.

—Jesais.C’estceque jevais faire,promet-ilencouvrantmonvisagedebaisers. Jene luienveux pas. Ce n’était pas sa faute. C’est ma mère et nous allons devoir beaucoup dialoguer avant

d’avoirunevéritablerelationmère-fils,maisnousyparviendrons.Jeferaitoutcequetuvoudras.Jet’aimeettuviensdemerendreheureuxcommejamais.

En un geste, je suis de nouveau dans les bras demonGrandMec et je me complais dans cesentimentdepaix.Jemesenschezmoietc’estunvraibonheur.

Épilogue

TroismoisplustardUnefoisdeplus,j’examinemonrefletdanslemiroir.Niveaumaquillage,jenepourraispasfaire

mieux.Jemesuispassédel’eye-linernoirfuméeetmescilsn’ontjamaisétéaussilongsetfournis,grâce aux hormones que j’ai tant détestées en début de grossesse. Mes lèvres bien pleines sontcouvertesdeglossd’uneteintenaturellerosefoncé.Lesperlesquem’adonnéesGramzsontenplaceautour demon cou et demon poignet.Commeobjet ancien à porter surmoi, ainsi que le veut latradition, je ne pouvais pas rêver mieux. Noni m’a proposé de s’occuper de ma coiffure et jecommenceàpenserqu’ellesaittoutfaire.Mescheveuxmetombentdansledosengrandsrouleauxdestyleannées1920,trèsglamour.Ellearetenuquelquesbouclesàl’aidedesonpeigneargentéfavori,ce qui fait office d’objet emprunté.Quand j’ai dit à Brian que nous allions nousmarier de façontypiquementLasVegas, dans une des chapelles qui font les cérémonies à la chaîne, il a bien faillis’évanouir.Jesaisqu’ilétaitimpatientdes’occuperdetouslespetitsdétailsàrégler,etj’aisansdoutedéçusonâmedefashionista,maisgardernotreunionintimeétaitlaseulefaçonpournousdenepasêtre poursuivis par les médias. La frénésie médiatique concernant la séquestration et la mortd’Edwardquienadécoulés’estlégèrementcalmée,maisilyaencoredesreportersquineratentpaslamoindreoccasiondenousposerdesquestions.

Le rapport deMike s’est révélé incroyablement précis. Edward avait de grosses ardoises chezdifférentsbookmakersdeluxedelaville.Ilétaitauxaboisetsenoyaitdansl’alcoolismeetlesdettes.AndyetHowardontétéretrouvésdanslesquelquesjoursquiontsuivil’incidentetsonttouslesdeuxdansl’attented’unprocèsavecunelistedechefsd’accusationlonguecommelebras.C’estHowardquiadonnéleplusderenseignements,etilaacceptédetémoignerausujetdel’implicationd’Andydans toute l’affaire. Effectivement Edward avait prévu de soutirer à Damon une somme d’argentsubstantielleavantdefuirlepays,maisnouslesavionsdéjà.

Gramzatrèsmalvéculamortdesonfils.C’étaitunconnarddepervers,maisçarestaitsonfils.Laplusgrossepartiedesondeuil,jetrouve,estconstituéeduregretdenepasavoirpuleconvaincrededevenirl’hommequ’elleauraitvouluqu’ilsoit.Jerespectesatristesseetjemesenstrèsmalpourelle.Elleesttoutautantunevictimedecedésastrequenousautres.Parailleurs,elleaplusoumoinsadoptéNoni,quiaemménagédanssonappartement.Elles travaillentcôteàcôte tous les joursà lalibrairie,oùGramztientcompagnieàNonietdivertitlesjeunesclientsducaféavecseshistoiresetsesbouffonneries.Loindemoil’idéedereprocheràNonidenepasvouloirretourneràlamaisonduCapitaine.Moinonplus,jeneveuxpas.Jem’yaccrochaisparcequej’avaispeurd’oubliermonami,maisledocteurVersanm’aaidéeàcomprendrequelessouvenirsduCapitaineresterontaussivivacesquejelesouhaiterai.Jen’aipasbesoindegardercettemaisonpourleconserverdansmamémoire.La maison est maintenant en vente depuis deux mois, mais les acheteurs potentiels ne sont pas

encouragésparsonhistoire.Bienentendu,Éliseaétéchoquéeetaffligéedesavoirquesonpèreavaitététuéparsonfrère.Cependant,elleneluienapasvoulu.Malgrésapeine,elleétaitsoulagéequepersonned’autren’ait subi deblessure fatale.Toutde suite après avoir appris la nouvelle, elle estvenuevoirDamonetnousa toussoutenus.Évidemment,sonfrèren’apasditgrand-chose,mais jesais qu’il était content qu’Élise ne le fasse pas culpabiliser. Elle s’est chargée de tout pourl’enterrementd’Edwardetadéménagépresquetoutessesaffairesdanssongarage,del’autrecôtédelaville,pourqueniGramzniDamonn’aientàlespasserenrevue.

—Tuesprête?C’estBrian,quivientpasserlatêtedanslevestiaire.—Oui,jecrois.J’approuve en silence mon reflet. À mon côté, Noni et Gramz, les deux femmes les plus

importantesdemavie,sourientetdonnentleurapprobation.—Damonvoulaitquejetedonneça,poursuitBrian,quimetendunpetitécrindevelours.Jesourislargement.Ah,monGrandMec,cequ’ilpeutêtremignon!Quandlaboîtes’ouvreavec

ungrincement,jepousseuneexclamationdesurprise.Lamontredemaman.Elleestdenouveauenmapossession,sontic-tacrevenu,fortetrégulier.Je

ladétacheetlaretourne.Là,jeregardel’inscriptionenfrançais:Colette,moncœurestavectoipourtoujours.Jerépètecesmotsenanglaisdansunmurmure.IlyaquelquechosedanscetobjetquiévoquemarelationavecDamon.Elleaattendu.Elleaété

uséeetendommagée.Pendantunmoment,ellen’aplusfonctionné,maisgrâceàdessoinsexpertselletournedenouveaucommesiellenes’étaitjamaisarrêtée.Etsouscebeauvernis,c’estcequiimporte.Encoreunefois,incapablederetenirmeslarmes,jerépètecesmotsd’unevoixéraillée:

—Moncœurestavectoipourtoujours…—Allons,mapuce,nepleurepas,grondegentimentBrian.—Jenepeuxpasm’enempêcher.Elleestparfaite.Ilestparfait.—Ça,c’estunpeuexagéré,mapuce,plaisanteBrian,quim’attachelamontreaupoignetetme

prendlamain.Allez,varejoindretonfuturmari.Jesourisàmonmeilleuramietprendsconscienceque je suis sur lepointd’épouser l’homme

pourqui j’aiété faite.La tragédieapeut-êtreentourénotreexistencependant longtemps,maisellenousarapprochés.Nepasoubliercettevéritérendl’acceptationdecesmomentsdifficilesbienplusfacile.

Nous nous apprêtons à quitter le vestiaire avec Gramz et Noni, mais je m’arrête pour allercherchersurlacoiffeusemon«objetnouveau»,quiferaégalementofficed’«objetbleu»:unetoutepetite chaussette de bébé. Je prends mon bouquet d’arums des mains de Brian et,précautionneusement, je place laminuscule chaussette au centre du bouquet, sous les fleurs.Notreadorable petit garçon sera là dans quatre petits mois, et c’est une manière pour moi de le faireparticiperànotremariage.

—C’estbon,dis-jeavecconfiance.Maintenant,jesuisprête.Avec un sourire, je regardeBrian rejoindre son poste de témoin à côté deDamon et deMike

Passarelli.DamonaégalementdemandéàMiked’êtresontémoin,sachantquenousluidevonstant.C’estgrâceàluiqueDamonapuprendrelesmesuresnécessairespournousprotéger,notreenfantànaîtreetmoi.Ilamontélagarde,observélesmoindresfaitsetgestesd’Edward,pourêtreprêtàagirlemomentvenu.MikeainsistépourfinirparconvaincreDamonquelameilleurechoseàfaireétaitde simuler une rupture, afin que je ne sois plus une cible aussi évidente. Damon ne pouvait pas

prévoirquemagrossessemeferaitnonseulementrevenirdans leviseurdesonpère,maisqu’ellefaisaitdemoilavictimeidéale.EdwardsedoutaitqueDamonferaitn’importequoipoursonenfant,ceenquoiilavaitvujuste.

Etvoilàoùnousensommes.J’esquisse mon premier pas dans l’allée et prends une profonde inspiration pour essayer de

calmerlespapillonsquivolettentdansmonestomac.Damonest…sublime.Toujoursaussibeauqued’habitude,devantl’autel,encostume.Ilcroisemonregardetunmessagetacitepasse.Jelerejoinsauboutdel’allée,conscientequejeviensdefairelepremierpasversunenouvellevieavecDamonàmoncôtéentantquemari.

Damonm’a dit que tout lemonde avait besoin de quelqu’un qui soit là pour veiller sur nousquandlavienousjouedestours.Dansmoncas,c’estlui.Jesaismaintenant,plusquejamais,queçaatoujoursétélui.