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K’nard de Promo n° 18
Juillet 2018
Parcours de gadzarts
de la Cluny 57
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Présentation
Au bout d'une période un peu longue, marquée par plusieurs relances, nous
avons recueilli 47 parcours. Plus de 60% d'entre nous ont répondu à l'appel !
Je remercie tous ceux qui ont accepté de participer à cet exercice, et plus
particulièrement Jimmy qui a repris tous les textes édités sous les formats les plus
divers (du manuscrit au PDF) pour donner une présentation homogène.
Je remercie aussi doublement Toux et Mickey qui, chacun avec son talent, ont
enrichi ma présentation un peu austère par un texte et des dessins.
Ces parcours proviennent de plusieurs sources : 41 ont été rédigés par celui qui
l'a vécu, 2 ont été rédigés par la veuve de notre ami concerné, 1 a été extrait du
K'nard XVI publié en 2007 et 3 viennent des rubriques "In memoriam" de la revue de
la Soce.
Après réflexion nous avons décidé de ne pas donner de contrainte, ni sur le
détail du contenu, ni sur le volume du document personnel. Vous constaterez que le
résultat est une très grande diversité des contenus, chacun ayant choisi le niveau de
détail qui le décrit le mieux. Le texte le plus court fait à peine une demi-page, le plus
long dix pages bien remplies !
Faire une synthèse de tout ce matériau est complexe. Il convient d'en faire au
préalable une analyse pertinente, elle même contestable, car établie à partir des
connaissances et de l'expérience que j'ai acquises en tant que consultant. J'ajoute que
cette analyse est strictement faite à partir des 47 documents que nous avons recueillis.
J'ai étudié successivement les aspects suivants :
- formations complémentaires
- domaines d'activité
- postes et fonctions
- engagement associatif et/ou politique
- géographie
J'ai enfin, en interrogeant internet grâce à Google, recherché ce qu'il reste de
notre passage dans la vie active. L'analyse des informations que j'ai faite n'est bien
sûr pas dénuée d'omissions et d'erreurs d'interprétation, ce qui ne change pas la vision
globale.
Formations complémentaires
Après l'obtention de notre diplôme de gadzarts nous étions armés pour entrer,
après le service national obligatoire, directement dans la vie professionnelle.
Cependant 21 d'entre nous ont choisi une formation complémentaire. Ensuite, après
quelques années de travail, deux autres ont acquis des titres universitaires, enfin
quatre, vers la quarantaine, ont acquis une formation complémentaire en gestion.
Le résultat est impressionnant : sept docteurs d'État et d'Université, deux
professeurs agrégés.
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Domaines d'activité
On peut identifier plus de 70 domaines d'activité, principalement dans les
domaines industriels.
Tous les domaines de la métallurgie sont présents, les productions de tous types
de produits, mais aussi les machines de production, l'industrie électrique et
électronique. Curieusement l'industrie automobile est très peu présente !
Quatre d'entre-nous ont fait le principal de leur carrière dans l'enseignement
supérieur, trois dans l'industrie aérospatiale, trois à EDF, deux au CEA, un à la
SNCF, un à l'observatoire de Paris-Meudon.
Un seul a exercé la fonction de consultant pendant la moitié de sa carrière.
Si l'on joue au jeu des extrêmes on va par exemple de la micro-électronique à
l'astronomie, de la production de graines potagères à l'étude des fusées.
Par ailleurs une petite moitié d'entre-nous est restée dans le même domaine
d'activité, avec bien sûr des responsabilités en progression, alors que quelques autres
ont changé quatre ou cinq fois de domaine.
Quatorze d'entre-nous ont fait la totalité ou le principal de leur carrière dans la
fonction publique ou dans une entreprise ou un organisme du domaine para-public.
Enfin, l'un d'entre-nous, après avoir été haut fonctionnaire dans son pays natal, a
été expert international auprès d'organismes de l'ONU.
Postes et fonctions
Tous les postes et les fonctions que l'on trouve dans l'industrie manufacturière
sont présents à un ou plusieurs exemplaires dans les parcours décrits : conception et
études, méthodes, fabrication, achats, qualité mais aussi gestion des ressources
humaines, ainsi que tous les niveaux de responsabilité, de l'ingénieur de base au
président directeur général, en passant par chef de service, chef de département,
directeur de production ou d'usine, directeur général ou de division.
Plusieurs d'entre-nous ont été chef d'entreprise, soit en prenant la succession de
l'entreprise familiale, soit en reprenant une entreprise existante. Cinq ont créé et
animé leur propre entreprise
Engagement associatif et/ou politique
Douze d'entre-nous ont eu, ou ont encore, un engagement associatif important,
dont dix au sein de la Soce comme membres du Comité ou président de groupe
régional.
Trois ont eu un engagement «politique» en temps que membres de conseil
municipal. Un fut en plus vice-président du Conseil régional de Bourgogne en
parallèle avec sa vie professionnelle.
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Géographie
Neuf d'entre-nous ont effectué une partie significative de leur carrière à
l'étranger ou en dehors de la métropole.
Douze d'entre-nous ont effectué tout ou une partie importante de leur carrière en
région parisienne. Plusieurs, après l'escapade d'un an à Paris, sont restés dans leur
région d'origine
Internet en 2018
Après une recherche pas très approfondie en utilisant Google comme moteur de
recherche et les nom, prénom et dernière entreprise comme clés d'entrée, j'ai trouvé
des traces de seize d'entre-nous : trois ont une reconnaissance internationale, dix
autres ont laissé au moins une marque de leur passage professionnel, deux
apparaissent pour leur action politique ou associative et le dernier pour son passage
dans un jeu télévisé national !
Autres informations
Au moins trois d'entre-nous ont écrit et publié un ou plusieurs livres.
Plusieurs ont reçu des décorations nationales : Palmes académiques, Ordre
national du mérite et Légion d'honneur.
Enfin l'un d'entre-nous fait partie de la liste des Gadzarts notoires qui regroupe
tous ceux qui, depuis la création de l'École en 1780, se sont distingués par leurs
réalisations ou par la fonction qu'ils ont exercée. La liste complète commence en
1793 et comprend 560 noms !
En conclusion, à partir du même point de départ, 47 parcours très différents (je
n'en vois que deux qui se ressemblent) et souvent très riches.
Ce résultat est sans contestation dû à la rigueur de la sélection au concours
d'entrée, au programme d'ingénieur généraliste à dominante mécanique que nos
professeurs nous ont enseigné, sans oublier la part de ce que les trad's nous ont fait
acquérir, en développant l'entraide, la considération de l'autre, l'esprit d'équipe, la
capacité à travailler en groupe…
J'ajoute que, étant diplômé d'une autre grande école où j'ai aussi suivi le cursus
complet, je peux témoigner de la différence de résultat en termes de diversité et de
richesse des carrières et de vie de la promotion.
Maintenant le gadzarts est un ingénieur technologue et les trad's sont
transmission des valeurs.
Gageons que, avec ce nouveau vocabulaire et dans un environnement très
différent, nos jeunes successeurs auront l'opportunité de vivre des parcours aussi
diversifiés !
Gilbert GAILLOT, Tésis, délégué de promo
Juillet 2018
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Participants
Michel BALLET Zabroom’s
Moheddine BECHRAOUI Bech-Bech
Jacques BENEY Cythé
André BESSON Niem
Jean Michel BLOUZARD Bamboul’s
Guy BONDIVENNE Pachy
Henry BONTOUX Toux
Jean-Pierre CHAMPAGNON Zamik
Georges CHATRAS Totor
Michel CHEVRETON Mich’l
Claude CHEVRIER Kak’s
Jacques CLUZEL Roméo
Maurice DESLOIRE Pilon
Gérard DUMONT Duo
Serge DUPARC Pakou
Michel DUPUY Gros Belou
Guy DUVERNE K’bri
Alain FEUGIER P’cass
Gilbert GAILLOT Tésis
Jacques GIELLY Jacky
Marc GINET Mickey
Bernard GIRAUD Jimmy
Georges GIRAUD Digor
Yves GROS Clergy
André HIRACLIDES Day Day
Daniel JACOBZONE Job
Henri JUNALIK Yun’s
Michel LABOURBE Kim
Jean LAMBERT Django
Jean LAVERGNAT Hans
Jean-Paul LEQUIN Yann
Jean Claude LOISEAU Tramp
André MARION Pap’s
Gérard MICHAUD Tater
Robert MOURIER Moss
Maurice NIVON Sinus
Gérard PÉRIER Zimir
Pierre PÉRILHON Kiro
André PINTO Nané
Jean POILLOT Tristan
Jean POLLARD Zadig
Jean POUZADOUX Popof
Robert RABILLOUD Robin
Pierre RAVET Chabichou
Michel ROCHE Rexy
Serge SCAVARDA Charpy
André VIDAL Pomp’s
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Quels parcours ? !
La promotion nous offre une belle palette de parcours. Elle exalte la toujours
difficile et délicate synergie de l’individuel et du collectif. Une promotion est plus,
est autre que la somme des camarades. Les couleurs de la palette jouent dans la
gamme des ce que chacun aurait aimé faire, ce que chacun a réellement fait et,
magie du parcours, révèlent une image discrète de ce que chacun est.
Un parcours n’est pas un bilan statique mais une trajectoire où fusionnent au
Tabagn’s cinématique et dynamique et dans notre vie mouvement et action.
Écrire un parcours peut être dangereux : c’est mettre en perspective les grands
et les moins glorieux événements, les heureux et douloureux moments de vie, les
élévations et les régressions, les ombres et les lumières. Le stylo posé, le clavier
éteint, on se relit et on s’exclame : « C’est ça mon parcours ! ». C’est là que
l’aphorisme de Malraux explose : « Une vie ne vaut rien, mais rien ne vaut une vie. »
Il faut lire tous les parcours, les surprises sont immenses. Comment ? Tous les
acteurs de ces parcours ont vécu en communauté pendant quatre ans, ont fait les
mêmes études ? Ce n’est pas possible, ces parcours diffèrent beaucoup trop dans leur
ambition, leur déroulement, leur fécondité ! Ces films ne sortent pas de la même
société de production !
La variété des parcours a une double explication : contrairement à ce qui a été
dit et qui a nuit à notre image de marque, l’École ne fabriquait pas un produit
« ingénieur » mais formait des ingénieurs, ce qui n’est pas la même chose. L’École ne
fabrique pas des trajectoires mais forme des metteurs en scène. Tous les gadzarts
utilisent avec art – élégance du métier – la devise de Jean Cocteau : « Tout est
possible, si on organise bien sa mise en scène. » Le gadzarts ne se contente pas de la
mise en scène : après avoir convaincu de la pertinence de son projet il prend
volontiers la baguette du chef d’orchestre. Salut l’artiste !
La deuxième explication : chaque camarade a sa personnalité qu’il construit
toute sa vie. Aux Arts, on nous a appris à inventer mais aussi à nous inventer. C’est
une dimension de la transmission des valeurs : nous inventer pour entreprendre avec
notre style.
Nous avons été la génération du Concorde, des centrales nucléaires, du TGV, de
la fusée Ariane, de l’informatique, de la robotique etc. Nous avons débuté dans les
Trente Glorieuses (1945 – 1973), des entreprises nous recrutaient avant d’obtenir le
diplôme, l’ascenseur social fonctionnait.
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Mais, tout est transformation pour le meilleur et pour le pire.
Des camarades et des entreprises ont souffert du glissement tectonique de la
gestion industrielle à la gestion financière. Dans sa permanence de député, j’ai
entendu Raymond Barre s’inquiéter de l’évolution des dysfonctionnements de la
triade : politiques, financiers, industriels. La classe politique a rejeté ses analyses et
préconisations.
La désindustrialisation, la recomposition des grands groupes, l’obsolescence de
l’ascenseur social etc. ont altéré nos fins de carrières.
La génération actuelle explore le numérique, l’intelligence artificielle, les
implants de puces dans le cerveau, les connexions du cerveau aux ordinateurs pour
créer un homme augmenté par la machine etc.
Au cours de notre finitude (cf. mon article dans le 17ème
K’nard – 2014), nous
sommes à l’affût du posthumanisme annoncé par la nouvelle génération. Mais
certains se vantent de dépasser le posthumanisme. C’est le transhumanisme : accroître
les capacités humaines pour accomplir des performances et créer une nouvelle élite.
Aurons-nous le temps d’admirer et/ou d’être horrifié par les effets du
transhumanisme des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), de la Silicon Valley
et autres apprentis sorciers en quête de pouvoir et de fortune ?
Mes chers Camarades, je préfère être un homme style le duc de La
Rochefoucauld-Liancourt, plutôt qu’une intelligence dite supérieure robotisée.
Nos pensées s’inclinent vers Kim qui a donné vie à la promotion et l’a animée
de nombreuses années. L’idée de Tésis prolonge l’œuvre de Kim. Jimmy pérennise la
mémoire de la promo.
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Écrire notre parcours, c’était nous mettre en perspective ; écrit, le parcours
devient trace, ce qui reste quand les feux des projecteurs de l’actualité s’éteignent. Ce
livret est l’empreinte des traces des camarades et de la trace de notre promotion.
À l’exception de six, nous ne lirons pas les parcours des camarades qui nous
ont quittés. Quittés… mais quelle est cette indicible présence qui mystérieusement
nous pénètre à chacune de nos évocations ? Leurs sourires, leurs gestes familiers,
leurs convictions, leurs idéaux toujours nous émeuvent intensément. Leurs traces ne
sont pas sur ces pages, elles sont dans nos cœurs, dans nos intelligences… ne
percevez-vous pas avec émotion leur fidèle et prégnante fraternité ?
Dans le ciel de Cluny monte le chant de Djin : Il y eut un soir, il y eut un matin…
…Silence…
Je lève mon verre au chant, à la poésie, à l’amitié, à l’amour,
À tout ce qui donne le sentiment d’être !
Toux
Henry Bontoux
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Zabroom’s Michel BALLET
Première étape : DOLE (Jura). 1963-1966 : Ets MAGYAR.
Service militaire terminé fin avril 1963, embauche en juin dans une petite
entreprise de 30 personnes pour l’étude, la fabrication et la mise au point de camions
citernes de ramassage de lait : il fallait tout découvrir ! J’allais dire tout apprendre !
Je suis donc embauché comme ingénieur d’études, le seul, et personne pour me
mettre au courant.
À mon arrivée, je trouve une note sur mon bureau : faire un devis pour une
citerne de 10.000 litres pour France-Lait… imaginez ma surprise pour un démarrage
sans visibilité !
Un petit mot sur le contexte : en 1963, le lait se ramasse en bidons de 20 l posés
le long de la route, au soleil, à la poussière, à la pluie… ! Le camion doit être
autonome pour transférer le contenu des bidons dans la citerne tout au long de la
tournée. Ce procédé doit remplacer les camions chargés de bidons qui sont vidés à la
laiterie et qui repartent nettoyés chez le producteur de lait, rappelez-vous, vous avez
dû en rencontrer un jour sur la route, ça faisait grand bruit. La capacité la plus
fréquente oscillait entre 4000 l et 5000 l, avec quelque fois un petit compartiment de
1000 l pour isoler les laits de moins bonne qualité.
Je suis resté 3 ans dans cette entreprise où j’ai mis au point un groupe de
pompage avec une motorisation mixte électrique et hydraulique, premier brevet de
mon activité qui a dû en compter une dizaine, dont un européen. Ce groupe a permis
une grande simplification de la fabrication par la préfabrication d’éléments :
réduction des délais et des prix : classique !
Quand j’ai quitté cette entreprise, la production avait été multipliée par quatre et
l’on commençait à voir la capacité des citernes augmenter avec l’apparition des tanks
réfrigérés à la ferme. De nos jours, la capacité actuelle dépasse les 10000 litres,
quelquefois suivie d’une remorque de même capacité. Bien entendu, les bidons ont
disparu.
J’y ai découvert le travail de l’inox et aussi du cuivre : fabrication de cuves pour
les fruitières du Jura, cuves d’environ 1000 l. Une particularité régionale : le lait était
payé au poids et non au volume. J’ai participé aussi aux tournées de ramassage : ça
commençait souvent vers 5 h du matin. Je me souviens particulièrement d’un petit
déjeuner roboratif pris aux aurores dans une fruitière, tout le personnel de la
fromagerie rassemblé dans une grande salle avec un énorme poêle c’était très
sympathique. D’autant que la tournée terminée, je recevais un morceau de comté de
la meule personnelle du fromager. Le travail avait une dimension humaine qui s’est
perdue. Quelquefois, les producteurs de lait me prenaient pour un contrôleur, ça
m’amusait ! À titre indicatif, certains constructeurs à la place du pompage faisaient le
vide dans la citerne, ça marchait bien, mais il y a eu des aplatissements qui
réduisaient considérablement le volume !
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Cette entreprise avait été fondée par Mr MAGYAR et sa femme. Il avait une
quinzaine d’années de plus que moi et était d’une grande exigence. Il était aussi
sympathique que ses colères étaient subites, sincères ou simulées, j’avais appris à
décoder. L’un de ses fils a d’ailleurs été diplômé ingénieur AM. Il est toujours resté
en contact avec moi dans l’espoir de me voir revenir travailler avec lui, mais la vie en
a décidé autrement. Ça a été une grande expérience sur le plan humain. Son entreprise
est maintenant l’un des premiers fabricants français de citernes (siège social à Dijon,
cinq usines en France et une en Allemagne) et je pense avoir facilité son
développement au départ.
Au bout de trois ans, j’ai voulu passer à autre chose.
Deuxième étape : GENELARD (c’est en Saône et Loire, au bord du canal du Centre)
1966-1969 : Société FOURNIER et MOUILLON. Embauché comme ingénieur
d’études.
Cette entreprise de 200 personnes était le prototype absolu pour lequel notre
formation de gadzarts de l’époque nous avait formaté : un BE, un atelier d’usinage,
une chaudronnerie, une fonderie, un atelier de modelage, et des bâtiments à
l’avenant : le sol de l’atelier de mécanique était pavé en bois « de bout » comme celui
du montage pour ne pas blesser les pièces qui pouvaient tomber par terre. Mais ce
qu’on y faisait était plus moderne que l’image des bâtiments. L’entreprise était
spécialisée dans le matériel de mines, de sidérurgie, et machines spéciales.
J’ai fait connaissance avec les machines d’extraction, l’armement des puits de
mines (rappelez-vous de la silhouette des chevalements), les treuils divers (plus de
10000 treuils fabriqués avec des câbles d’un diamètre allant de 10mm à plus de
40mm). Pour la sidérurgie, nombre de convoyeurs à rouleaux de tous diamètres,
machines à démouler les lingots après coulée, éléments de coulée continue… J’ai
surtout œuvré dans l’étude et la mise en route des machines spéciales où toutes les
techniques pouvaient avoir leur part : pneumatique, hydraulique, automatisme.
Deux exemples :
- pour Péchiney qui utilisait des électrodes en graphite pour
l’électrométallurgie de l’aluminium, j’ai transpiré (au propre dans la
poussière de carbone… et au figuré) sur une machine à brosser les
électrodes en graphite cylindriques d’un poids d’une dizaine de kilos à 5 t.
L’objectif étant de les débarrasser de leur gangue de charbon après cuisson
pour graphitation (temps de cuisson trois semaines). La machine pesait une
dizaine de tonnes, et les armoires électriques étaient dans un local séparé à
cause du risque de coup de poussier dû à la poussière de graphite. Cette
poussière était très fine et l’on mouchait bien noir après quelques heures, ça
traversait même les vêtements.
- Pour le CEA un treuil très spécial permettant de retenir le ballon auquel
était suspendue notre bombe quand elle explosait dans l’atmosphère à
Mururoa.
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Ce qui m’avait effrayé, c’était le coefficient de sécurité spécifié par le donneur
d’ordre qui était de l’ordre de deux, si ma mémoire ne me trahit pas, le câble avait un
diamètre de 10 mm pour un effort de 10 t. Ce coefficient n’avait rien à voir avec celui
utilisé pour le matériel de mines ! Si le câble avait cassé suite à un mauvais coup de
vent, qui aurait récupéré la bombe ? Ce treuil était une espèce de monstre muni d’un
moteur diesel de 100 CV à embarquer sur une barge pour l’utiliser. Il avait fallu
démonter les portes de l’atelier pourtant habituées à voir passer des équipements plus
ou moins extraordinaires. La réception de cette machine avait eu lieu dans un atelier
de l’École, boulevard de l’Hôpital. Cette machine à usage unique n’a jamais été
utilisée puisque les explosions atmosphériques ont été abandonnées, à juste titre, pour
les raisons que l’on sait. Un bon exemple d’utilisation de nos deniers par manque
d’anticipation. Je voudrais dire au passage tout le plaisir que j’ai eu à travailler avec
le frère de Yun’s, un projeteur de grande qualité humaine et professionnelle. Cette
entreprise formait aussi des apprentis (on y revient !) avec comme professeur de
technologie et autres matières le frère de Yun’s.
Troisième étape : PARIS. Société CORBLIN devenue BURTON-CORBLIN en
cours de route.1969-1987.
Au bout de trois ans et riche de l’expérience acquise, j’ai voulu de nouveau voir
autre chose, et ça été PARIS. Je m’étais pourtant juré ne jamais venir à la capitale car
je n’avais pas gardé un très bon souvenir de notre séjour en 4° année.
Un patron gadzarts cherchait un autre gadzarts comme chef de BE pour les deux
départements de l’entreprise : compresseurs et agroalimentaire. Rapidement, je me
suis plus intéressé au département agroalimentaire qui travaillait principalement avec
l’industrie laitière, et majoritairement avec l’industrie fromagère. À mon arrivée, il
s’agissait principalement d’éléments séparés comme des échangeurs à plaques ou
tubulaires, de cuves de caillage, de pompes et raccords, de machines à laver les
moules à fromages et des convoyeurs dont la conception datait d’une dizaine
d’années. Oui, mais quel genre de fromagerie ? Dans ma première expérience, j’ai
connu la fabrication des pâtes cuites : comté, emmental… maintenant il s’agissait de
pâtes molles : fromage type « camembert ». Comment fait-on un « camembert » ?
Un fromage de 250 g nécessite 2 l de lait. Les phases principales de fabrication se
divisent en quatre parties bien distinctes :
- Le traitement du lait : réception, pasteurisation, standardisation en matière
grasse, stockage, maturation.
- Le caillage : le lait est envoyé soit en cuves (à l’époque 1000 l), soit en
bassines (généralement 100 l), soit en caillage continu, un procédé
développé par les Allemands. (imaginez un convoyeur à bande semi-
circulaire de 1 m de rayon, de 40 m de long, contenant jusqu’à 40000 l de
lait). Un procédé par ultrafiltration du lait consistant à obtenir un pré-
fromage liquide (suppression de la phase égouttage), testé avec l’INRA, n’a
pas réussi à produire un fromage ayant les mêmes spécificités que les
fromages classiques et a dû être abandonné.
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- Le moulage : transfert du caillé dans les moules et les manutentions qui
s’ensuivent, lavage du matériel. À titre indicatif vers 1980, les débits étaient
de l’ordre de 10000 fromages/heure, soit 20000 l de lait/heure. Les débits
ont dû monter par la suite à 25000 l/heure.
- Le conditionnement : mise en boite.
Je vais donner un zoom sur la partie moulage puisque c’est là que s’est située la
nécessité d’automatiser : augmentation des débits, gain de main d’œuvre… c’est
classique.
Le caillé est déversé dans des bloc-moules de 20 à 25 fromages (fin des moules
individuels) positionnés dans des plateaux. Les plateaux circulent sur des convoyeurs
pendant que les fromages s’égouttent. Ils se présentent ensuite à différents postes :
retournement, gerbage des plateaux sur 10 généralement, envoi en salle d’égouttage
où ils subissent un second retournement précédé d’un dégerbage et suivi d’un
regerbage, avant de passer au démoulage, mise sur claies et salage soit au sel, soit en
saumure. Ces opérations étant faites en général dans les 24 h, les fromages sur claies
vont ensuite aux hâloirs (les salles d’affinage). Ce sont dans ces salles que vont
s’affiner les fromages par la pousse du pénicillium candidum la croûte blanche du
fromage.
Ma contribution a consisté à concevoir ex nihilo les équipements capables de
transporter, retourner, empiler, dépiler, démouler automatiquement les opérations
décrites plus haut, les charges transportées allant jusqu’à une dizaine de tonnes sur 30
à 40 m de long, ainsi que les machine-tunnels pour laver bloc-moules, plateaux et
claies. Pour que ça puisse fonctionner automatiquement, le principal souci a été de
trouver des capteurs capables de résister aux conditions sévères décrites plus bas et au
lavage au jet puis à haute pression. Les automatismes à relais du début ont été
rapidement remplacés par les automates programmables dès qu’ils sont apparus
malgré leur faible capacité mémoire. Autre souci, livrer des équipements que
beaucoup de services maintenance n’étaient pas préparés à recevoir. Ces opérations
se faisaient précédemment à la main dans une ambiance à 90% d’humidité et une
température de l’ordre de 32°C : imaginez les conditions de travail des opérateurs
avec tablier et bottes empilant, dépilant, retournant pendant 8 h !
J’aurais aussi aimé vous parler d’une cuve à fromage très particulière pour la
fabrication des « bleus » (pas ceux de l’équipe de France) objet d’un brevet européen,
mais j’en ai déjà assez dit.
À l’export nous avons installé des ateliers de fabrication en Pologne, en
Yougoslavie, en Suisse, en Nouvelle-Zélande.
J’ai donc commencé comme chef de BE et terminé comme directeur technique
et peut-être que les soucis que j’ai pu rencontrer dans mon travail y ont été pour
quelque chose puisque j’ai eu une grave maladie des yeux qui a fait faire bien des
soucis à ma famille ; ça m’a valu quelques années de cortisone à haute dose… et
probablement été pour quelque chose lorsque mon patron a vendu le département
dans lequel je travaillais et que je me suis retrouvé au chômage après 19 ans de bons
et loyaux services ! ( accessoirement une dizaine de brevets et enveloppes Soleau et
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un brevet européen). Il a même fallu aller aux Prud’hommes pour que mon
indemnité conventionnelle me soit versée convenablement, mon patron
gadzarts ayant couvert les agissements du directeur que j’appelais « directeur des
relations asociales et inhumaines » !
Quatrième étape : Laiterie de VILLECOMTAL sur ARROS, dans le Gers, Groupe
DANONE 1988 – 1997-Résidence à TARBES Hautes Pyrénées-Directeur d’usine.
Un an au chômage, c’est long, malgré l’énergie que l’on dépense à rédiger,
envoyer les CV dans l’attente d’une convocation à un entretien. Le comble, c’est que
lorsque l’on a retrouvé du travail, on devient la cible de « chasseurs ». Pourtant c’est
le même bonhomme que celui d’avant, pourquoi Einstein n’a-t-il pas pensé à cette
relativité ?
Un jour, je reçois un appel téléphonique d’un ancien collègue qui me dit
d’appeler « Untel ». « Untel » avait conservé une bonne image de moi, bien qu’il ait
quitté l’entreprise une dizaine d’années auparavant après avoir pris la direction d’une
grosse fromagerie qui se construisait. Il était l’ami d’un patron d’entreprise qui
cherchait un directeur de site. Une fois le contact établi, j’ai été embauché dans la
semaine qui a suivi, le temps de faire plus ample connaissance et de visiter l’usine
située à Villecomtal-sur-Arros dans le Gers. Cette usine de plus de 200 personnes
d’un statut bien particulier fabriquait en sous-traitance exclusive 10% du tonnage
produit frais de Danone, à ce moment-là 55.000 t/an. Nous produisions des yaourts
fermes, nature et aromatisés, des yaourts brassés (au lait entier et à 0%) nature et
aromatisés et des liégeois (lait gélifié aromatisé + chantilly).
Mon expérience précédente intéressait mon patron – Normand d’origine – qui
avait fondé cette entreprise une vingtaine d’années auparavant et fédéré autour de
cette usine la majorité des producteurs de lait de la région, ça allait jusqu’au Pays
Basque. Bien qu’ayant une usine de produits frais, il était resté marqué par l’industrie
laitière normande… celle du « camembert » ! Bref, l’expérience que j’avais acquise
au cours des différentes mises en route que j’avais pu faire était nécessaire mais pas
suffisante pour ce poste car il y avait toute la partie management pour laquelle je
n’étais pas préparé : mon nouveau patron, bien que très exigeant, avait de grandes
qualités humaines. Il m’a beaucoup aidé et soutenu pour que je puisse remplir mes
fonctions. Passer brutalement d’une entreprise de 50 personnes, après un an de
chômage, à une autre de plus de 200 personnes avec CE, DP, CHSCT, est un exercice
compliqué quand on est plongé brusquement dans ce système sans préparation, face à
des délégués expérimentés ! Même s’il y avait un DRH, j’ai dû me mettre au Code du
travail avec lequel j’avais fait connaissance lors de mon passage aux Prud’hommes.
J’ai donc découvert un nouveau métier où, du pratiquement tout faire, je suis passé au
tout faire faire. Comme je l’ai dit plus haut, l’usine fabriquait des yaourts fermes, des
yaourts brassés et des liégeois. Quelle est la différence ?
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Le lait du yaourt ferme est versé individuellement dans le pot avec sa dose de
ferment. Le caillage se fait donc directement dans le pot après passage en chambre
chaude et refroidissement en tunnel avant mise en chambre froide puis expédition.
Les pots sont fabriqués par la machine à partir d’une grosse bobine de plastique
chauffée, thermoformés, pose du banderollage à partir d’une grosse bobine refendue
en bandelettes découpées longueur à la dimension du pot et collées au cours du
thermoformage. Après remplissage, les pots sont operculés, datés, et découpés au
format commercial (par 4, 6, ou 8) la machine la plus performante que nous avions
produisait 36.000 pots à l’heure.
Le lait des yaourts brassés caille en cuve. On obtient un gros yaourt (à l’époque
10.000 l) qui passe ensuite dans une pompe spéciale qui effectue le « brassage » et lui
donne la structure que vous lui connaissez. Pour les yaourts aux fruits, la préparation
de fruits est incorporée au moment du conditionnement. À l’époque, les pots destinés
à ce produit préformés unitairement étaient fabriqués à l’extérieur. Après
remplissage, suivait l’operculage et le datage, et l’envoi en chambre froide avant
expédition.
Le liégeois est un produit fabriqué en cuve stérile avec du lait additionné soit
de vanille soit de chocolat, et un gélifiant. Au moment de la mise en pot la
préparation est recouverte d’une dose de chantilly avant operculage et datage. (à titre
indicatif, l’usine a produit 21 tonnes de chantilly la plus grosse semaine que j’aie
connue !).
Tous ces produits passent ensuite au suremballage, mise en cartons, palettisés,
stockés en chambre froide avant expédition.
L’hygiène est la préoccupation principale et de tous les instants (souvenir de
l’armée !), que ce soit celle de l’atmosphère de l’atelier de conditionnement qui
fonctionnai sous air filtré, et certaines machines sous flux laminaire en particulier
pour les liégeois. Le labo contrôlait en permanence l’ambiance et les hottes à flux
laminaire par des prélèvements et comptage de particules. Il vérifiait quand c’était
nécessaire le sens de l’écoulement de l’air avec des poires à fumée. L’atelier était en
surpression pour éviter les contaminations aéroportées venant de l’extérieur. Bien
entendu, il y avait un plan de prélèvement pour tous les produits fabriqués pour
vérifier la conformité des produits tant sur le plan bactériologique que sur sa
composition (matière grasse…), et ses propriétés physiques viscosité en particulier.
Des échantillons étaient conservés jusqu’à la date de péremption des produits. La
traçabilité était draconienne : je me souviens d’un contrôle de la direction des
Services vétérinaires (DSV) à qui nous avons pu fournir le contenu d’un lot de la
fabrication datant de plus d’un an. En plus de la DSV, la Caisse Régionale
d’Assurance Maladie, l’Inspection de travail, éventuellement la Répression de
fraudes nous rendaient souvent visite ; c’était la plus grosse usine du département.
Cette usine, comme toute laiterie possédait son générateur de vapeur, ses
compresseurs d’air comprimé, son bac à eau glacée (100 t de glace si ma mémoire ne
me fait pas défaut). Particularités : nous potabilisions l’eau utilisée par l’usine en
pompant l’eau de la rivière, nous assurions la surveillance du fonctionnement de la
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station d’épuration. Deux groupes électrogènes de 1500 kW prenaient la relève du
secteur en cas de coupure de courant.
Je n’ai plus en tête le nombre de cuves - de 100.000 à 150.000 l à la réception
du lait – à 3000 l pour les plus petites, et l’ordre de grandeur du nombre de vannes
automatiques et de pompes était largement supérieur à 1500. Au cours de mon séjour,
l’usine a eu un développement important puisqu’en 9 ans, avec le tonnage qui nous
était affecté, nous sommes passés de 55.000 t/an à 110.000 t/an, sans que la
production ne soit arrêtée. Un chiffre anecdotique : la plus grosse journée de
production que j’ai connue : 750 t, soit un peu plus de 6 millions de pots qui mis bout
à bout faisaient un aller et retour de l’usine à Toulouse ! Autre chiffre anecdotique
l’unité de livraison était la semi-remorque qui livraient les centres d’éclatement dont
la fonction était de fournir les supermarchés ou autres points de vente au public.
Dernier mot sur la traçabilité : les lots étaient suivis jusqu’au point de vente, ce qui
aurait permis de les retirer si nécessaire avant qu’ils ne soient vendus. Il fallait
impérativement éviter que l’on lance une opération de rappel aux caisses des
supermarchés… ! Le développement de l’usine s’est fait en même temps que des
progrès importants : de 9 l d’eau consommés au litre de lait, on est passé à moins de
3, la station d’épuration est restée la même par la réduction des pertes matière, même
s’il a fallu l’aider un peu par un dopage à l’ozone. Enfin le personnel est resté
constant ! En 1997, mon patron a dû se retirer et céder toutes ses parts au groupe
Danone qui a mis en place progressivement son encadrement. Si bien que vu mon âge
(!) il m’a proposé une préretraite progressive qui s’est faite dans de bonnes conditions
et je le remercie encore ici.
Nous sommes donc revenus à Paris, où j’ai accompli une année de « chargé de
mission » dans une entreprise du groupe qui fabriquait des machines de
conditionnement, avant de cesser toute activité.
Et les gadzarts ?
J’ai été Président de groupe dans les Hautes-Pyrénées, puis à Paris-Sud,
totalisant plusieurs mandats.
L’animation des groupes avec Françoise nous a procuré bien des joies. En 2005
au Congrès de Paris, j’ai eu à prendre en charge la partie logistique : hôtellerie,
restauration des congressistes à l’École, boulevard de l’Hôpital, et soirée à la
Fratern’s (450 personnes), repas et orchestre.
J’ajoute aussi quelques années (à temps partiel) de bénévolat à la Fondation.
Et maintenant ?
Pour le moment, c’est l’hiver à Paris, l’été dans le Morvan, nous migrons
comme les hirondelles !
Sans oublier les réun’s de promo.
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Bech Bech Moheddine BECHRAOUI
À peine sorti de l'École, étant exonéré du service militaire en tant que diplômé
de l'enseignement supérieur (en vertu d'une décision de Bourguiba pour affronter la
guerre économique), j'ai été mobilisé le 15 juillet 1962 pour organiser et mettre en
place une chaîne de montage de camions Saviem, en collaboration avec Saviem
Renault. J'ai fait l'homme à tout faire... Cette expérience fut courte (trois mois) mais
très intéressante.
Puis j'ai été appelé par Tunis Air, à l'époque filiale d'Air France avec 49% du
capital, dirigée par des gadzarts (Directeur général et Chef de service technique), pour
seconder le Chef de service technique partant et le remplacer par la suite. Cette
période correspond à l'introduction du jet dans la flotte de la compagnie, un avion
Caravelle. En m’inspirant de l'expérience de Finnair, j’ai mis en place une méthode
d'entretien progressive, permettant à l'avion de voler 7 jours sur 7, la maintenance se
faisant la nuit.
En neuf ans j’ai gravi les échelons de Chef de service, Directeur technique,
Directeur général adjoint, jusqu'au poste de Président directeur général (poste
précaire et révocable, en un mot : un "siège éjectable" !).
Parallèlement à mon activité aéronautique (technique, exploitation,
commercial), je me suis occupé d'autres activités annexes telles que la création du
magasin sous douane (Free Shop), la création avec Air France d'une société de
coopération et promotion commerciale et touristique.
Le "siège éjectable" a fonctionné et je me suis retrouvé dans l'Administration,
au ministère de l'Économie. Pour mon intégration dans la fonction publique, il a fallu
procéder à la reconstitution de ma carrière avec le grade d'ingénieur en Chef. Ceci a
entraîné le reclassement de l'École des Arts et Métiers comme grande École au même
titre que Polytechnique et l'École Centrale !
Je me suis ainsi trouvé de 1971 à 1975 à la tête de Centre National d'Études
Industrielles, bureau d'études du ministère de l'Économie nationale. Ce Centre a été
créé en collaboration avec l'ONUDI dont le siège se trouve à Vienne, Autriche. Cela
m'a valu de nombreux voyages à Vienne !
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Secondé par 84 cadres de formation universitaire supérieure, d'ingénieurs,
d'économistes, de juristes, etc, Nous avons eu la charge d'élaborer la faisabilité, de
faire les études de marché, de faire réaliser des projets divers allant de l'industrie
alimentaire au plastique, en passant par la mécanique, etc. En plus de la direction du
Centre on m'a adjoint pendant deux ans la direction de l'Industrie au ministère de
l'Économie.
Dans le cadre de la coopération entre la Tunisie et l'Algérie j'ai été l'initiateur
d'un document d'identification de projets à réaliser en commun. À ce titre j'ai été
chargé du projet de construction à la frontière algéro-tunisienne d'une cimenterie un
d’un million de tonnes par an. Je suis ainsi devenu cimentier malgré moi. Pendant
trois ans, jusqu'à mi 1977, j'ai conduit les études d'implantation et de réalisation.
De la fabrication du ciment à son utilisation, me voila à la tête durant trois ans
de deux anciennes unités de fabrication de tuyaux en béton (ancien SOCEA et
BONNA). Parmi les réalisations j'ai lancé une chaîne de fabrication de tuyaux de 1,80
m avec âme en tôle, pour le renforcement du réseau d’assainissement des eaux usées
du grand Tunis. Avec la collaboration d'un jeune gadzarts nous avons réalisé, en
partenariat avec BONNA France, une unité de fabrication de tuyaux d'assainissement
"Rocla".
En 1980 je suis revenu au ministère du Transport pour coiffer la direction
générale du transport maritime et aérien groupant la marine marchande et l'aviation
civile. Pendant dix ans j'ai eu à organiser deux secteurs importants, négocier de
nombreux accords dans les domaines maritime et aérien, assurer la tutelle des
entreprises du secteur et nouer de nombreuses relations internationales.
Enfin, en 1990, j'ai pris ma retraite anticipée de l'Administration pour me lancer
dans la coopération internationale. Puis pendant deux ans j'ai été expert international
auprès d'organismes des Nations Unies : OMI, Organisation Maritime Internationale
dont le siège est à Londres, OACI, Organisation de l'Aviation Civile dont le siège est
à Montréal, avec plusieurs missions particulières en Afrique subsaharienne.
Début 1992 j'ai créé une société familiale de représentation des ascenseurs
OTIS : vente, montage et maintenance de tout appareil élévateur. Cette société existe
toujours.
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Cythé Jacques BENEY
Après un service militaire de vingt-sept mois effectué dans la « Royale » à Brest
comme officier mécanicien d’une division de dragueurs, je suis rentré à la Société de
Forgeage de Rive-de-Gier comme adjoint au chef de fabrication. Cette société,
aujourd’hui disparue, avait trois secteurs : le forgeage de bouteilles de gaz sous
pression, des activités diverses d’emboutissage dont la principale concernait la
production d’éviers en acier inox, enfin une activité d’usinage à façon. Je me suis
principalement occupé de l’activité d’emboutissage.
En 1969 j’ai rejoint la Compagnie des Textiles Artificiels (CTA) pour prendre
des fonctions d’ingénieur d’organisation. Après un stage de formation de six mois j’ai
été nommé responsable du service organisation de l’usine de Givet qui fabriquait du
fil viscose puis ensuite de la fibre nylon.
En 1973 j‘ai été muté à l’usine de Besançon (Rhône Poulenc Textile) comme
adjoint au chef du service organisation. Changement de dimension en passant d’une
usine d’environ 500 personnes à une de 2500. Les productions étaient du fil nylon, du
fil et de la fibre polyester. Un an après je prenais la responsabilité du service et en
1977 je devenais responsable du personnel. Quelques mois après, Rhône Poulenc
annonçait son « plan textile » qui conduisait à la fermeture programmée de plusieurs
usines dont celle de Besançon.
Jusqu’à mon départ de cette usine en 1981 je me suis donc consacré au plan
social de reclassement du personnel puisque nous avions annoncé que « personne ne
serait laissé seul au bord de la route ». Période passionnante et parfois mouvementée
(dans une ville qui avait vécu « l’affaire Lip » à laquelle j’avais été mêlé de près
comme membre de la commission paritaire ASSEDIC), ponctuée de mouvements
sociaux parfois violents.
Parmi les mesures annoncées par l’entreprise pour le reclassement du personnel
figurait l’implantation sur Besançon d’une activité nouvelle de Rhône Poulenc. Ce fut
la création d’une usine de finissage de fil d’acier tréfilé pour le renforcement des
pneumatiques. J’en ai été désigné responsable et je me suis consacré à la construction
de l’usine, au recrutement du personnel qui devait obligatoirement être du personnel
reclassé de l’usine de Besançon… jusqu’à ce que la direction générale décide, pour
cause de bouleversements dans l’industrie mondiale du pneumatique, que cette usine
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ne démarrerait pas. Cruelle expérience pour tous ceux qui avec une lettre d’embauche
avaient repris espoir et accessoirement pour moi qui dus renier ma signature.
Plus d’emploi sur Besançon, j’en retrouve un à Lyon, en 1981, dans la division
Agrochimie de Rhône Poulenc pour un poste de directeur de l’établissement de La
Dargoire où je vais rester 5 ans.
De là encore 5 ans au Centre de recherches des Carrières à Saint-Fons comme
responsable des fonctions support (ressources humaines, entretien, travaux neufs,
comptabilité, achats,…)
Retour en usine pour 5 ans encore, toujours à Saint-Fons dans ce que l’on
nommait le « vaisseau amiral » de la chimie de Rhône Poulenc, dans des fonctions
équivalentes à celles que j’avais au centre de recherches, mais cette fois dans un
contexte syndical plus « vigoureux » qui m’a laissé de « bons » souvenirs de
négociations au cours de grèves.
Je finirai mon parcours professionnel comme responsable de la gestion des
risques et auditeur sécurité de la chimie de Rhône Poulenc avant d’être licencié, en
1996, dans le cadre d’un plan social (très social car convention FNE). Un peu
l’arroseur arrosé, moi qui avais mis en place de nombreux plans sociaux dans mes
différents postes !
Était donc arrivée l’heure de la retraite, mais pas de l’activité, puisque je me
suis engagé alors dans différentes associations jusqu’à ce que la maladie de Martine
m’oblige à les cesser pour l’accompagner jusqu’à sa mort en 2000.
Trois ans plus tard je me suis remarié avec Gertrud, une Allemande de la
Rhénanie du Nord-Wesphalie et depuis nous partageons notre vie entre la France et
l’Allemagne et cela tant que ma santé le permettra. Cela m’a fait découvrir une
culture plus différente de la nôtre que de prime abord je le pensais, et un très beau
pays que peu de Français visitent et c’est dommage. Enfin cela permet de relativiser
le discours « encenseur » de certains de nos hommes politiques sur ce pays !
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Niem André BESSON
Fils d'un petit paysan du Mâconnais j'ai eu trois vocations et je me demande
encore aujourd'hui si j'ai choisi la bonne. Depuis la toute petite enfance je suis
passionné par la mécanique. Mon père disait de moi que j'avais un sens inné de la
mécanique, et que j'étais venu au monde avec une clé à molette dans une main et un
tournevis dans l'autre. Dès l'âge de deux ans et demi, si j'en crois ce qui m'a été
raconté, je me suis attaqué au réveil de mes parents que j'ai démonté, et que personne
n'a pu remonter. Par la suite je me suis intéressé de près au fonctionnement du
matériel agricole, au moteur à explosion de mon père, que j'ai entrepris de démonter,
lui aussi. On m'a arrêté à temps. J'étais en extase devant un tracteur, une voiture. Mon
père avait une moto, une grosse, c'était courant à l'époque. Je l'accompagnais
quelquefois chez le garagiste qui entretenait sa moto, et là, j'étais aux anges. À dix
ans je rêvais de devenir garagiste, et j'avais de la suite dans les idées. Ce garagiste
avait une fille de mon âge. J'étais prêt à épouser la fille pour avoir le garage. Voilà ma
première vocation.
Ma passion pour la mécanique n'a pas échappé à mon instituteur qui m'a orienté
vers le lycée technique de Cluny, la Prat's. Là, j'ai appris et découvert beaucoup
d'autres choses passionnantes et j'avais une grande soif de savoir, surtout les sciences,
les maths, la technologie, et bien d'autres choses. J'y ai entendu parler d'une autre
école, pas loin du lycée, les Arts et Métiers. En fait j'en avais entendu parler avant.
J'avais deux cousins de la génération de mon père qui étaient ingénieurs Arts et
Métiers, dont un que je voyais assez souvent. En plus, mon père avait fait réaliser une
pièce en fonte à l'École pour réparer son pressoir à vendanges. Cette École, elle était
là, pas loin, et à la Prat's on en parlait beaucoup. Comme au lycée ça se passait bien
pour moi, à la fin de la cinquième j'avais un objectif simple et ambitieux, entrer aux
Arts et Métiers. Je savais que ce serait dur et qu'il faudrait beaucoup travailler mais
cela ne m'effrayait pas. C'était ma deuxième vocation : ingénieur. Et j'avais déjà deux
projets : faire évoluer le moteur à explosion parce que le système bielle-manivelle
avec ses temps morts ne me paraissait pas bon, et construire des maisons en métal
pour qu'elles résistent mieux à la rigueur du temps, aux incendies et aux
tremblements de terre.
Au lycée j'ai découvert les sciences, les maths et la technologie, mais pas
seulement. Je me suis trouvé une troisième vocation : le théâtre. J'aimais déclamer du
Corneille. On m'a fait jouer du Molière. On m'a dit que j'étais bon. De temps en
temps j'allais au cinéma voir Gabin, Ventura, Eddie Constantine. J'allais au théâtre
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voir jouer certains de mes profs, et les Gars des Arts. J'avais envie de faire du théâtre,
envie d'être acteur, mais à condition d'avoir du talent, je pensais en avoir. Ainsi donc
j'avais trois vocations, mais laquelle choisir ? J'avais avant tout une motivation :
entrer aux Arts et Métiers, après on verrait bien.
J'ai tenu mon objectif. Je suis entré aux Arts et Métiers, au deuxième essai.
Ma deuxième vocation était en train de devenir une réalité, sans pour autant que
j'oublie les deux autres. J'ai laissé la première en veilleuse mais elle me paraissait
compatible avec la deuxième. Un ingénieur peut être garagiste. Pour ce qui est du
théâtre, j'ai eu la possibilité de m'essayer sur les planches dans une petite pièce, à
l'occasion de notre baptême, je n'ai pas été bon. Déception. J'ai découvert que ce
n'était pas facile d'être acteur dans une pièce de théâtre, et que j'avais beaucoup de
progrès à faire pour devenir bon. Alors j'ai levé le pied. J'ai eu l'occasion de remonter
sur scène par la suite, mais pas pour jouer dans une pièce de théâtre. Je me suis
concentré sur le métier d'ingénieur avec un nouvel objectif, étudier et construire des
moteurs d'avions. À P4 j'ai choisi l'option moteur thermique et thermodynamique
avec l'ambition d'entrer à l'École supérieure des moteurs, mais je n'ai pas été assez
bon pour y entrer.
Sans l'École des moteurs, pas question de rentrer chez un constructeur de
moteurs d'avions. À défaut je suis rentré chez un constructeur d'automobiles, après un
court séjour dans l'industrie chimique. Chez Peugeot, sans l'École des moteurs, il ne
m'était pas possible d'être à la conception des moteurs, alors j'ai fait autre chose :
beaucoup de mécanique, et beaucoup d'autres choses intéressantes, mais en gardant
toujours le contact avec la conception et l'étude des organes automobiles, même
quand je suis venu à Dijon. J'avais donc toutes les raisons de me sentir comblé.
Pourtant, je me suis toujours demandé si j'avais fait le bon choix parmi mes trois
vocations, et le destin malicieux m'a souvent rappelé les deux autres, dès ma sortie de
l'École.
J'ai fait mon service militaire dans le service du matériel, spécialités
automobiles et véhicules blindés, en quelque sorte garagiste pour l'armée. Du
bonheur. J'y ai appris beaucoup. Ça m'a été très utile par la suite. J'aurais pu faire
carrière dans l'armée, mais j'eus l'occasion souvent de faire de la mécanique
automobile dans la vie civile. Je ne vous raconte pas tout, ce serait trop long,
seulement quelques exemples. Notre première voiture était une vieille 4 CV Renault,
avec en prime quelques soucis mécaniques. Par la suite nous avons eu, en deuxième
voiture, une Vespa 400, petite voiture de la taille de la Fiat 500, pas très fiable. Avec
des voitures comme ça il fallait aimer la mécanique. J'ai dû assez souvent mettre le
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nez sous le capot et retrousser mes manches. Tout à fait banal me direz-vous, ça vous
est arrivé aussi, oui mais, ce qui l'était moins c'est que, malgré la contrariété, je l'ai
toujours fait avec une sorte de plaisir masochiste.
Moins banal, il m'est arrivé, alors que j'étais en poste à Dijon, de travailler
comme mécano dans un garage automobile pendant les vacances, à l'occasion de nos
vacances à l'île d'Oléron. Là, je suis tombé en panne de boîte de vitesse avec notre
305. Le garagiste, un jeune, après quelques tests sans succès, a conclu qu'il fallait
démonter. Comme c'était quelqu'un de sérieux et consciencieux, et que ma voiture
était sous garantie, il ne voulait pas me laisser repartir sans réparer (il me restait tout
de même trois vitesses). Je lui ai donc laissé la voiture. Oui mais, il était seul, pas
d'employés.
Il avait un poste d'essence, habituellement tenu par sa femme mais sa femme
rentrait de maternité, alors il servait l'essence lui-même, et je n'étais pas le seul client.
Bref, ma voiture était immobilisée et rien ne bougeait, alors je lui ai dit qui j'étais et je
lui ai fait une proposition. Je lui ai proposé de me prendre comme mécano pour
réparer ma voiture dans un délai raisonnable. Passé l'effet de surprise il m'a dit
« d'accord ». Il m'a prêté un vêtement de travail et on a commencé. Je l'ai aidé à
débrancher et à déposer les accessoires qui gênaient l'accès à la boîte, et à déposer la
boîte. Quand la boîte a été posée sur l'établi j'ai commencé à l'ouvrir pour voir ce qui
était cassé, puis on a regardé ensemble. Aucune trace de casse à première vue. Là, ma
connaissance du produit m'a permis de trouver rapidement ce qui n'allait pas. Je lui ai
expliqué comment étaient fabriqués les arbres de boîte, où l'arbre était cassé,
pourquoi il était cassé et pourquoi on ne voyait pas qu'il était cassé. Il fallait donc
changer la pièce, et d'abord en commander une, ce qu'il a pu faire immédiatement
malgré l'heure tardive. Quand le nouvel arbre a été reçu j'ai réparé ma boîte en tenant
le garagiste au courant étape par étape, car c'était sous sa responsabilité. Quand j'ai eu
fini on a reposé la boîte de vitesse sur le moteur, remis en place et rebranché les
accessoires qu'il avait fallu enlever, et on est partis faire l'essai sur route, moi au
volant lui à côté. Il était environ 21 heures. Je suis rentré à l'hôtel avec ma voiture.
Tout ça nous a gâché une partie de nos vacances, surtout Janine, qui a été clouée
à l'hôtel pendant toute la durée de la réparation. Pour mes déplacements, n'ayant pas
trouvé de vélos à louer, j'ai loué un tandem. J'ai fait du tandem avec mon fils. Malgré
le désagrément j'étais personnellement heureux, j'avais trouvé du plaisir à faire de la
mécanique. Il y avait un autre heureux, le garagiste. Il m'a dit qu'il venait de vivre un
moment rare dans sa carrière de garagiste. Un ingénieur du constructeur, qui retrousse
ses manches et plonge les mains dans la mécanique pour réparer lui-même sa propre
voiture, chez le garagiste, plutôt que de gueuler parce que ça n'avançait pas, il ne
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croyait pas que c'était possible, et en plus il avait appris quelque chose sur la
fabrication des boîtes de vitesse. Cette année-là, nos vacances étaient placées sous le
signe des problèmes de voiture. Au retour j'ai eu une crevaison rapide, même très
rapide, à l'avant, sur l'autoroute, alors que je roulais et que je doublais un camion pied
au plancher. Il n'y a pas eu de drame mais ça m'a coûté un pneu et une chambre à air.
À la reprise du travail j'ai appelé le service qualité concerné pour le mettre au courant
de mes problèmes. Cette année-là, n'en déplaise à Janine et à notre fils, j'étais content
de mes vacances. Pendant quelques jours j'avais flirté avec ma première vocation. Ça
aurait pu être le déclic pour changer de métier, reprendre le garage de quelqu'un qui
aurait voulu passer la main. Il n'en a rien été. J'avais tellement d'autres soucis que, par
sécurité, je suis resté là où j'étais.
J'ai eu l'occasion de renouer avec la comédie pendant mon service militaire, à
Fontainebleau, à l'école d'officiers de réserve. Je faisais partie des anciens, et les
nouveaux allaient arriver. Comme partout dans ce cas là il y a des cérémonies
d'accueil, que certains appellent vulgairement le bizutage. Celui de mes camarades
qui était chargé d'organiser l'accueil m'a expliqué qu'il voulait faire quelque chose
d'original. On lui avait dit que j'avais fait du théâtre, ça lui a donné l'idée de monter
un grand show : on ferait croire aux arrivants, sans brutalité physique, pendant trois
ou quatre jours, qu'ils allaient vivre l'enfer pendant toute la durée de leur formation. Il
me demandait si j'étais d'accord pour l'aider à organiser ça. Je me suis demandé qui
avait bien pu lui raconter que j'avais fait du théâtre, mais je lui ai donné mon accord.
On a défini ce que l'on allait faire, on l'a expliqué à tout le monde, on a cherché les
acteurs, définit les rôles. Mon rôle à moi était d'écrire le scénario, de préparer la mise
en scène, avec la complicité et l'encadrement de la compagnie, et bien sûr de jouer. Je
me suis régalé, les copains se sont régalés, nos chefs se sont régalés, au point de
donner à toute la compagnie un jour de perm accolé au week-end. Tout le monde a
bien joué son rôle. Quant aux arrivants, ils ont été globalement surpris par un accueil
auquel ils ne s'attendaient pas. Certains se sont posé des questions sur le niveau
d'abrutissement de l'encadrement dans l'armée française. Ça a été le soulagement
quand ils ont compris que c'était du cinéma. Burus en était, peut-être qu'il s'en
souvient. Pour moi, c'était la dernière fois où j'ai eu le plaisir de jouer la comédie.
La dernière fois peut-être pas. Souvent, comme monsieur Jourdain, on fait de la
prose sans le savoir. Un jour, vers la fin de ma carrière, à l'occasion d'un pot auquel
participait mon chef, mes collègues et mon personnel, la conversation a porté un
moment donné sur la vocation. J'ai expliqué que moi, j'étais toujours passionné par la
mécanique et la technique, ce qui m'avait conduit à faire des études d'ingénieur, mais
que j'aimais aussi beaucoup le théâtre. Je leur ai dit « aujourd'hui je fais un métier
d'ingénieur, et parfois je regrette de ne pas avoir choisi le théâtre, mais
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probablement que si j'avais choisi d'être comédien je regretterai aujourd'hui de ne
pas avoir choisi la technique ». Alors la surprise. Un de mes collaborateurs m'a dit
« mais chef, il ne faut pas avoir de regrets, nous ici on voit bien que vous faites les
deux ; d'accord vous faites votre boulot d'ingénieur, mais on peut dire qu'avec nous
vous êtes un sacré comédien ». Ah bon ! Merci les gars. Je n’aurais pas cru. Je n'ai
pas su si c'était flatteur ou si c'était de l'humour un peu caustique, j'ai eu la faiblesse
de penser que c'était plutôt flatteur, mais je me suis dit que dans notre boulot
d'animation d'une équipe on est tous, à un moment ou à un autre, un peu comédien.
Je vous ai raconté tout cela avec un brin de nostalgie. J'espère ne pas vous avoir
trop ennuyés, mais il n'en est pas moins vrai qu'aujourd'hui encore, à la veille de
quitter la scène du Grand Théâtre de la vie, je me pose encore la question. Je pense
avoir fait le bon choix mais je n'en suis pas totalement sûr.
Vous connaissez le dicton « quand on court trois lièvres à la fois on finit par
n'en attraper aucun ». J'en ai tout de même attrapé un, qui a bien voulu se laisser
prendre. J'avais trois vocations, j'en ai réalisé une, j'ai rêvé des deux autres.
M'installer comme garagiste aurait été plaisant, mais risqué. L'occasion ne s'est pas
présentée de reprendre un garage, mais si elle s'était présentée je ne suis pas sûr que
j'aurais osé. Pourtant, si mon instituteur n'avait pas perturbé mes projets du moment,
je serais certainement allé en apprentissage chez le garagiste et j'aurais certainement
fait la cour à sa fille. Si elle avait voulu de moi, et que je sois un bon mécano, je
pouvais devenir garagiste à Tramayes et vivre au pays. J'aurais pu faire du théâtre
amateur, pour le plaisir, dans le cadre de la vie associative, mais ça ne m'intéressait
pas. Quant à en faire un métier, en étant près du haut de l'affiche, ça aurait nécessité
une rupture totale, sans certitude de réussite. Pourtant, si au Tabagn's je ne m'étais
pas découragé un peu trop vite du théâtre, si j'avais persévéré, je pouvais très bien,
une fois le diplôme en poche, changer d'orientation, changer d'école pour apprendre
le théâtre, faire le métier d'acteur et par la suite, pourquoi pas, de réalisateur, comme
notre illustre ancien Henri Verneuil. On a le droit de rêver. Mais j'étais sur les rails
pour être ingénieur et j'y suis resté jusqu'à la gare terminus. Ça s'est pas mal passé,
mais en restant tout de même sur ma faim, très loin de ma passion et de mon ambition
d'origine, avec un gros regret, ne pas avoir pu entrer à l'École des moteurs.
En résumé, pendant toute ma vie professionnelle, j'ai été un peu comme un mec
qui est amoureux de trois filles sans savoir laquelle choisir, qui finit par épouser une
des trois, et passe le reste de sa vie à penser aux deux autres…
*********************** rédigé en 2014
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Bamboul’s Jean Michel BLOUZARD
À l’entrée aux Arts on nous appelait les « spéciaux » et en effet nous l’étions un
peu : j’étais parmi les soixante-cinq lauréats d’un concours parallèle organisé parmi
les Math-Sup et notre première année a eu lieu à Lille pour nous apprendre un
minimum de technique, loin de ma ville de Lyon. Alors que j’entrais en seconde
année à Cluny, mon père est brusquement décédé d’où ma faible participation aux
Traditions à Cluny et une intégration moins aisée.
Après un Service militaire à l’ESTA puis en Algérie où je me suis retrouvé avec
de nombreux camarades, j’ai décidé de faire mieux connaissance avec le continent où
j’avais décidé de vivre depuis ma tendre enfance : l’Afrique. N’ayant pas réussi à
convaincre des camarades pressés de débuter dans leur vie professionnelle à
m’accompagner, je suis parti avec un inconnu, un commercial parlant anglais et qui
s’est révélé bon camarade et meilleur mécanicien que moi pour entretenir notre 2 CV
dans un périple de quinze mois et 100 000 km faisant le tour quasi complet de
l’Afrique. Nous avons étudié l’importance de l’immigration indienne en Afrique.
Marié au retour avec une patiente martiniquaise noire ce qui n’était pas courant
à cette époque, j’ai vite réalisé que le bureau d’études de Travaux publics où je
débutais chez Dumez ne me passionnait guère et, contrairement aux avis du Service
de l’emploi de l’époque qui conseillait de faire d’abord plusieurs années à Paris avant
de partir pour l’étranger, j’ai opté pour un deuxième job au Gabon comme ingénieur
du matériel de travaux publics chez Razel. De fait j’étais en avance sur la tendance
actuelle qui consiste à changer d’employeur et même de branche avec une formation
adéquate. J’ai eu ainsi dix employeurs dans sept pays différents sans parler de la
petite affaire d’exportation reprise à Paris et la société tchadienne que j’ai créée à
Ndjamena. Les sociétés que j’ai dirigées étaient dans l’agro-alimentaire (manioc et
tapioca au Togo, sisal à Madagascar), l’exploitation forestière au Congo, la
conserverie de langoustes aux Bahamas, la plasturgie encore au Togo et
particulièrement l’industrie textile cotonnière au Niger et surtout au Tchad. Entre
deux jobs j’ai suivi une formation de gestion d’entreprise qui manquait à mon cursus.
C’est là que l’on voit la notoriété des gadzarts chez les employeurs : comme
j’avais une bonne connaissance de l’Afrique et de ses chausse-trapes et les techniques
utilisées en Afrique étant souvent faciles à s’approprier par un stage adéquat, les
employeurs faisaient tout de suite confiance à un ingénieur des Arts et Métiers. J’ai
également servi mon pays en tant qu’Agent consulaire dans le sud du Tchad et j’ai
sorti d’affaire de nombreux Français qui, par leur méconnaissance du pays, s’étaient
32
mis en difficulté ce qui ne m’a pas empêché d’être expulsé trois fois. J’ai collaboré à
l’administration de ma ville de Sarh, l’ancienne Fort-Archambault, pendant les
guerres du Tchad. J’ai acheté un Cessna pour l’utiliser dans les périodes où nous
étions isolés du reste du monde et, comme au Congo, j’ai piloté l’avion de la Société
allemande pour visiter les chantiers forestiers.
J’ai fait également un peu moins d’un an dans l’humanitaire en Yougoslavie
durant la reconquête des territoires croates peuplés de Serbes : j’étais responsable à
Zagreb du bon acheminement des aides européennes dans les différents camps de
réfugiés au sein de l’ECTF (European Community Task Force) dirigée par un général
basque espagnol.
La réadaptation en France a été difficile mais, par chance, mes enfants se sont
vite habitués à leur nouvel environnement ce qui n’est pas toujours le cas des enfants
d’expatriés, du moins ceux en Afrique. Une longue retraite m’a permis de visiter le
reste du monde ce qui n’est pas sans intérêt. Nous avons eu quelques facilités car
nous avons profité de nos enfants qui ont beaucoup travaillé à l’étranger : Singapour,
Tokyo, Chicago, Madrid, Barcelone et même Londres.
Malgré un Alzheimer déclaré, diminuant lentement les facultés mentale et
physique de mon épouse, nous avons fait ensemble et sans accompagnement deux
tours du monde différents dont l’un passait par l’Inde et l’autre par la Birmanie mais
chaque fois l’Australie, la Nouvelle Zélande et la Polynésie ainsi que l’Amérique,
centrale d’abord, puis du Sud ensuite. Maintenant nous visitons surtout la France et
les pays proches.
Je poursuis des études de théologie à l'Institut Supérieur de Théologie de
Sophia-Antipolis qui dépend de l'Université Catholique de Lyon. Je suis actuellement
en cinquième année et j'étudie diverses matières comme la philosophie, l'exégèse, le
droit canon, la théologie proprement dite, l'histoire de l'église. Je suis devenu
également assez bon en islamologie, sujet d'actualité.
******************
33
Pachy Guy BONDIVENNE
Éducation
Après la préparation à Roanne dans la Loire puis à Grenoble, je suis entré à
Cluny en octobre 57 pour les quatre années habituelles de la formation A et M.
Pendant l’été 61, j’ai effectué un stage chez EDF dans la centrale thermique
d’Artix. J’intégrais en octobre 61 l’ENSHEET de Toulouse, inscrit en section
spéciale électrotechnique et en servomécanismes et régulation. Nous fûmes quatre
gadzarts à l’ENSHEET venant de Cluny : Toto, Snep et moi, et de Chalons : Titus.
Après avoir présenté nos respects au Zident du groupe A et M de Toulouse, nous
fûmes happés par un tourbillon : admission es-qualité au groupe, invitations diverses,
propositions de travail à mi-temps, sorties du groupe, bref nous étions très sollicités.
L’année scolaire se termine cependant avec tous les diplômes complémentaires
en poche.
Service militaire
Pendant l’été 62, j’ai fait un stage en présituation à Schneider- Westinghouse,
usine de Puteaux et travaillé à la mise au point de la commande d’une monstrueuse
raboteuse LINE utilisant amplis magnétiques et premiers thyristors de puissance.
En novembre, je suis incorporé dans la Marine, au centre d’Hourtin, suit un
passage à Toulon sur le Jean Bart, pour la formation d’électricien d’armes. Embarqué
sur l’escorteur d’escadre Kersaint, me voilà à la mer, marin chargé de l’entretien
journalier de dix mètres carrés de coursive et poste de combat, soit au PC des canons
de 47mm, soit à ceux de 100 mm, fonction captivante, surtout en exercice par très
gros temps !
Les permissions à Toulouse étant limitées, je pose donc une requête pour faire
les EOR Marine session de printemps ; ma demande est acceptée et me voilà en avril
63 à Rochefort à l’école des EOR Aéronautique navale. Le commandant de l’école
est un gadzarts, tout comme le staff chargé de nous enseigner les disciplines
aéronautiques. Nous sommes 24 en formation dont 22 gadzarts. La formation est
intensive : piloter planeurs et avions à hélice est presque obligatoire et je m’y adonne.
Je reste à Rochefort, affecté à l’école qui doit assurer la formation du personnel
Marine sur un avion embarqué, le Crusader. Ma fonction est de créer un cours sur les
asservissements de l’avion.
À l’occasion du bal annuel du groupe A et M de Toulouse, Escola, gadzarts et
Chef du bureau d’études Concorde me propose d’intégrer Sud-Aviation pour
travailler sur cet avion en développement à Sud Aviation Toulouse et BAC à Filton.
Le poste se précise au sein de l’équipe du simulateur de vol à Toulouse. Banco !
Marié en uniforme le 2 mai 1964, je termine en septembre le service militaire et
regagne Toulouse avec Joëlle pour une première aventure.
34
Concorde
Cet avion de transport supersonique était complètement nouveau. L’idée d’un
simulateur de vol conçu à un moment où cet avion n’existait que sur plan était
inconcevable ! Quels étaient les objectifs de ce simulateur ? Apprendre à un équipage
à maitriser un avion dont la forme d’aile en delta était particulière, la dimension sans
équivalent, la motorisation importante et les systèmes innombrables.
L’équipe du simulateur était chargée de l’analyse de tous les systèmes,
concrétisée par la définition de modèles mathématiques représentatifs. Chaque
modèle était ensuite mis en œuvre sur un ensemble de calculateurs comprenant une
unité analogique et une unité numérique formant le plus puissant calculateur hybride
en place en Europe dans les années 60/70.
Le travail commence dans une atmosphère bizarre, d’un coté le poids d’un
règlement intérieur, de relations inter-services concurrents et de l’autre la découverte
de l’avion : rien ne nous échappe, tous les plans sont à disposition, idem pour la
documentation issue de Filton.
Nous sommes au fait de l’aérodynamique problématique à basse vitesse, de la
propulsion insuffisante, du bilan de masse inacceptable, du centrage délicat, des
tracasseries de l’administration US. Mais nous travaillons ferme pour qu’aboutisse ce
projet ; quand la lassitude gagne, nous allons dans le hall où Concorde 001 prend
forme, et nous rentrons regonflés pour gratter nos modèles.
Les voyages à Filton/ Bristol se multiplient ; je rencontre Zamick qui travaille à
la SNECMA sur la réchauffe du moteur Olympus.
Personnellement, je participe au sein de l’équipe à l’étude des systèmes
électrique, hydraulique et carburant ; j’assure seul les modèles suivants : dynamique
du roulage au sol, conditionnement d’air, navigation et surtout propulsion,
régulations et post-combustion. Enfin, je jette les bases pour la simulation des entrées
d’air supersoniques.
Courant 67, le simulateur tourne ! Assis pour une fois à la place du mécanicien
navigant, c’est un plaisir de démarrer les moteurs et de voir les aiguilles s’agiter sur
les cadrans.
Il reste encore la simulation des entrés d’air à mettre en place. Ce sera un très
gros problème : non linéaire, configurations multiples, courbes chahutées. À la
lumière des infos recueillies à Filton, j’ai jeté les bases de l’extension, il faudra du
monde et des moyens ; il est clair que je ne les aurai pas.
Ces trois ans et demi d’un travail passionnant m’ont appris qu’en simulation, la
rigueur de l’analyse était primordiale et la curiosité nécessaire.
35
L’établissement des constructions et armes navales de Ruelle
La Marine nationale développe à l’ECAN Ruelle des missiles dont le Masurca
qui équipera les escorteurs d’escadre.
Le même jour en juin 67, huit ingénieurs civils et moi-même, recrutés par la
SOPEMEA, intègrent l’ECAN. Je suis nommé responsable de la partie hybride du
centre de calcul avec un bon salaire et une promotion en position 3a, c’est inespéré !
Au centre de calcul, trône une unité analogique Beckman plus puissante que celle
en place à Sud-Aviation pour Concorde. La partie digitale est obsolète mais
fonctionnelle et doit être remplacée à terme par un calculateur CII type10070.
Question simulateur, rien à changer sur la partie digitale qui traite les
mouvements des centres de gravité. Sur la partie analogique, qui traite la dynamique
de l’autodirecteur, le mouvement autour du centre de gravité, et tous les systèmes :
tout est à faire. Le panneau de câblage du Beckman fait 1,5 m2, s’y entasse une forêt
de câbles pesant 35 kg disposés sans ordre ni méthode, en absence de toute gestion de
configuration.
Je m’attelle à la définition modulaire d’un modèle de référence avec tests de
contrôle incorporés en plateforme, les techniciens s’épuisent à sortir trois trajectoires
par semaine. Durieux, mon commandant, constate l’implication de l’équipe mais rage
au vu des résultats limités.
Cette définition acquise, je lui propose une solution radicale : recâbler le panneau,
il accepte. Les techniciens du Beckman se ruent sur la bête pour la dépecer. Puis
commence la reconstruction et rapidement il devient possible de faire la première
trajectoire. Pari gagné ! J’impose une gestion de configuration rigoureuse. La
production de trajectoires est dopée. On peut donc sortir à temps les programmes de
vol des deux prochains tirs d’évaluation du Masurca.
Au dépouillement des tirs, un constat s’impose : en vol, l’engin est stable en
roulis, ce n’est pas le cas en simulation où la stabilité est marginale. Très vite, je
suspecte la représentation aérodynamique du roulis. Une erreur a été faite par le
bureau d’études dans le dépouillement des essais de soufflerie ; rectification faite, la
reproduction du vol devient parfaite.
On prépare alors les tirs réels autoguidés sur cible, normalement la probabilité
d’un impact franc semble importante mais la réalité est différente car le missile passe
en dessous et en arrière, ce n’est pas normal. La simulation va apporter la réponse. La
diminution d’un seul paramètre de gain dans l’autodirecteur simulé permet une
reproduction exacte du vol. Sur le missile tiré, ce gain n’a pas la valeur nominale
suite à une modification intempestive de l’électronique de vol. L’analyse fait du bruit
mais Durieux appuie et force la rectification.
Le tir suivant donne lieu à un impact franc. Je suis invité au BE pour
l’arrosage ; il n’y a qu’un mécontent, le responsable du CT20 ; il hurle car a perdu sa
cible !
Tout va bien ; le BE nous demande de déterminer le volume d’un accumulateur
destiné à épauler la génération hydraulique limite en fin de vol. Belle étude avec
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introduction du bruit de transmission. Le volume minimal est déterminé et
accessoirement, on rédige une recommandation pour le contrôle de la stabilité des
servo-commandes livrées à l’intégration.
Durieux me demande de participer à l’implantation du futur calculateur 10070
mais cette implantation attendue ne se fera pas. En juin 68, sur ordre du ministère de
la Marine, la SOPEMEA licencie le personnel en place à Ruelle. Personne ici dans
l’administration n’est au courant. L’ECAN va bien s’efforcer de ré-embaucher le
personnel sur des contrats locaux à conditions identiques sauf pour la retraite. Suit la
décision de ne pas implanter le 10070 à Ruelle !
La perspective d’un centre de calcul moderne vient de s’écrouler. C’est la
débâcle !
Centre national d’études spatial : CNES
Depuis 1969, le CNES recrute à tour de bras pour ses centres parisiens,
Brétigny et CST à Toulouse ; cette option m’intéresse et j’y succombe.
Épisode fusées-sondes : cette division cherche son responsable pour
l’industrialisation des fusées sondes à poudre. Le programme initial des tirs est
incroyable, il sera ramené à quarante tirs pendant cinq ans : je prends !
En fait il s’agit d’un « meccano » conçu par Sud-Aviation Courbevoie à partir
duquel par assemblage, on constitue cinq fusées différentes mono ou bi-étage.
L’industrialisation ne pose pas de problèmes sauf que la direction nationale des
Poudres impose un changement de poudre. En conséquence, il faut requalifier les
fusées.
La fabrication en série est lancée, les tirs se succèdent sans échec. Je découvre la
Guyane à l’occasion d’une mission, c’est un choc. J’y retourne plusieurs fois et à
l’occasion d’un tir de Centaure pour les Indiens de l’ISRO, ces derniers me sollicitent
pour résoudre un problème sur leur charge utile (voir la suite à la fin de mon
parcours).
Le CNES utilisait aussi une fusée à liquide, Véronique, extrapolée du V2
allemand. Pour raisons politiques, il fallait favoriser cette branche liquide. Au terme
d’une comparaison faussée, Véronique remportait la joute et la commande des
fusées à poudre en fut réduite.
Je devais chercher un autre point de chute.
Épisode matériaux mécanismes : ingénieur d’étude dans ce département, je vais
m’initier à la conception de la lubrification sèche des mécanismes spatiaux. Cette
technique acquise, j’ai traité plusieurs applications pour différents projets.
Le satellite D5a, emporte le premier moteur à hydrazine et son réservoir en
développement à la SEP de Bordeaux. Le chef de division me demande d’intervenir
sur un problème préoccupant : une soudure défectueuse sur le réservoir en titane. La
question résolue, apparaît un problème de filtration pendant le remplissage du
réservoir avec l’hydrazine. La cause est identifiée au microscope électronique et je
termine ma prestation à Kourou en tant que responsable du remplissage.
Au retour, je suis désigné pour participer à un groupe de travail comprenant
BNAE, CNES et quelques industriels du spatial. Ce groupe est chargé de la rédaction
37
du premier document français sur la gestion de la qualité. On travaille six mois pour
sortir un document fortement inspiré de l’original américain, NHB5300B, c’est un
succès auprès des industriels et pour moi, une implication définitive aux principes de
la qualité.
Projet Météosat : sur une idée du CNES, l’Agence spatiale européenne a mis
en place à Toulouse, une équipe européenne pour la réalisation d’un
satellite météorologique, Météosat.
En 72, je rejoins l’équipe en tant que responsable structure, mécanisme et
thermique du radiomètre, ce télescope qui prend les photos de la Terre. Il y a dans ce
radiomètre des mécanismes ultra précis assurant le balayage et focalisation, une
structure rigide quasi indéformable, un radiateur passif destiné à refroidir les
détecteurs à la température de l’azote liquide. Matra est maître d’ouvrage et j’y
retrouve un gadzarts, P. Amadieu ; les difficultés ne manquent pas !
- Pour mesurer la précision du balayage, seule la méthode par interférométrie laser
est compatible, elle montre que les premières vis du balayage sont hors tolérances ;
les suivantes seront fabriquées sur une machine à pointer, neuve, dédiée.
- Les Américains lancent plusieurs satellites d’observation comportant un radiateur
passif conçu par AD Little ; après un temps en orbite, le radiateur passif ne refroidit
plus. Le constructeur invité à Toulouse donne la raison : la pollution du radiateur par
le dégazage du satellite est responsable de la perte de la fonction. Le projet introduit
un programme de propreté draconien auquel je suis associé.
- J’interviens chez RMB en Suisse pour la mise au point d’une procédure de dépôt
de carbure de titane sur billes et bagues de roulement miniature.
- Le mécanisme de balayage est classiquement lubrifié à l’huile, il doit donc être
parfaitement étanche et cette obligation implique des développements spécifiques :
soufflets à ondes rapportées en inox, incrustations alu/inox, procédure de
remplissage, contrôles à l’hélium…
- Le radiateur passif développé chez Bertin doit positionner exactement les
détecteurs au foyer du télescope et de les refroidir à 77°K. Pour cela, une surface liée
aux détecteurs, et fortement émissive, rayonne vers l’espace, on restreint tout apport
d’énergie extérieure. On se casse les dents sur les suspensions en fils de verre où
convergent des contraintes parfaitement opposées. Mais les essais thermiques à la
faculté de Liège sont concluants ; la température descend en dessous de la
spécification, il faudra prévoir un réchauffage en vol !
Tous problèmes résolus, le prototype du radiomètre est soumis aux épreuves de
qualification qu’il franchit avec succès. La fabrication des deux modèles de vol
commence, ils sont montés sur les satellites MV1 et MV2 et je termine ma prestation.
Météosat MV1 sera lancé avec succès ; son service sera parfait, de même pour
MV2. Une série de cinq autres exemplaires sera construite à l’identique et exploitée
pendant dix-huit ans. L’image de la Terre et de sa couverture nuageuse est rentrée
dans les chaumières !
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Département électromécanique à Kourou : me voilà à la tête d’un des plus
gros départements du CSG avec quatre-vingt personnes en trois sections. Le
département est chargé de l’entretien du parc roulant, de la climatisation, du système
électrique, de la mécanique, etc. De plus, il faut assurer les recettes des installations
que termine la division EIS de Toulouse pour l’arrivée prochaine d’Ariane 1. Tout
roule tranquille, mais le directeur me propulse brutalement à la tête du département
étude et travaux neufs !
Département études et travaux neufs : ce département traite les travaux locaux
en climatisation, hydraulique, électricité, communications filaires, infrastructure,
topographie. En fait, on peut travailler en complète autarcie depuis l’implantation
d’un bâtiment, jusqu’à sa recette. Il y a du boulot mais ça reste classique.
Sur l’ex pas de tir Europa, les détachés de la division EIS du CST, mené par
M.Mignot, Cl 61, terminent les transformations nécessaires au lanceur Ariane 1.
Mignot doit regagner Toulouse pour le projet Ariane 4 ; il me charge des dernières
finitions. Les tâches se multiplient et deviennent plus complexes.
Impliqué maintenant sur les réseaux fluides d’Ariane, je découvre un état de
pollution inacceptable et organise le grand nettoyage. Il manquait des filtres classe
1 micron en 125 mm de diamètre ; ils furent trouvés chez le ferrailleur de Kourou qui
avait acheté les installations de l’ex fusée Europa. Reconditionnés, ils étaient
parfaits. Mais sans traçabilité, j’ai dû convaincre pour la qualité !
Un bâtiment charge utile avait été construit à l’époque de Diamant ; il doit être
mis à niveau pour Ariane et EIS nous sous-traite le suivi. Le jour de la recette, arrive
l’ordre d’arrêter car le premier client d’Ariane, Intelsat, a besoin de plus de hauteur
dans la salle d’intégration. On repart pour des travaux d’ampleur.
Le jour du tir approche, le matériel est prêt, Arianespace maitrise les opérations,
au CSG les hommes s’entrainent en répétition, je suis adjoint logistique en salle de
contrôle. La première tentative de lancement est avortée, mais Ariane décolle le 24
décembre 1979 pour un vol nominal.
Ce succès entraine l’effervescence au CSG car il faut envisager des tirs
commerciaux rapprochés et faire les travaux dans l’inter-campagne. Le département
est fortement sollicité : container de transfert des charges utiles, création d’une zone
propre dans la tour Ariane, transformation du bas de la tour pour Ariane II et
Ariane III, mise en place d’une ceinture de sécurité autour des zones sensibles, le mât
Ariane est re-profilé pour éviter une collision au décollage avec le lanceur.
Mon département évolue et gagne la section charges utiles qui fournit
l’assistance aux clients. Trois nouveaux bâtiments S1 bis, S2 et S3 destinés aux
charges utiles sont conçus par EIS ; sur place, il faut dévier la route nationale,
préparer les implantations et le suivi des travaux nous incombe.
Le tir suivant est un échec ! Le moteur défaillant tombé en mer doit être récupéré
pour expertise ; avec d’autres bateaux réquisitionnés, je participe aux recherches avec
le mien et suis sur place pour filmer l’opération quand le chalutier sort le moteur de
l’eau.
39
J’assisterai à trois autres tirs. La charge de travail au CSG augmente sans que
suivent les effectifs ; il devient difficile d’organiser le travail du département avec
congés, récupération, vacances. L’aspect formalisme s’implante et on est loin de
l’époque pionnier où tout était à inventer.
Les enfants grandissent et ont d’autres besoins ; le retour à Toulouse s’impose
après cinq ans et demi, on est en décembre 82.
Centre spatial de Toulouse, département Intégration Lancement : l’Agence
spatiale européenne sous-traite au CST la préparation d’une partie de la charge utile
d’Ariane 401 qui comprend un assemblage de trois satellites : Meteosat P2 et deux
satellites de télécom amateur. Je suis chargé d’encapsuler ces derniers dans une
structure porteuse conçue avec Latécoère et Dassault. La qualification en vibration
donne lieu à une première, elle est acquise par calcul Nastran à partir de modèles
individuels recalés en essais. À Kourou, je conduis les opérations de la structure
porteuse et suis la dernière personne à voir Météosat P2 avant que ne se referme la
coiffe.
La NASA et le CNES décident de s’associer pour le projet Topex Poséidon dont
la finalité est la mesure de la hauteur de la mer par rapport à un référentiel identifié.
La NASA fera le satellite et le CNES fournira, outre le service de lancement par
Ariane 4, des équipements redondants. Une équipe CST est formée ; j’y ai ma place
comme chargé des interfaces satellite-lanceur. Les équipes NASA et CNES se
retrouvent à Pasadenna ou à Toulouse. À la première réunion, il m’appartient de
présenter Ariane 4 et les installations du CSG à un auditoire US septique, pour le
moins.
Question interfaces avec le lanceur, j’ai ordre de tout faire pour qu’il n’y ait
aucun problème et à ce titre, j’ai porte ouverte à la division lanceur d’Evry qui
satisfait toutes les demandes du client.
Dans l’intervalle, j’ai été nommé chef du département IL dont je conduis
maintenant la destinée et les travaux d’assistance aux divers projets du CST. Je quitte
mes fonctions quasiment aspiré par le projet Hermès.
Hermès au CST : en fin d’année 1987 sur proposition de l’ESA, les états
européens décident un programme pharaonique incluant le lanceur Ariane 5, l’avion
spatial Hermès, le laboratoire spatial européen Colombus. Le CNES est maître
d’œuvre pour Ariane 5 et Hermès, ce dernier sera traité à Toulouse. Dans l’équipe
projet dirigée par P. Couillard, je suis responsable des interfaces avec le lanceur et
coté lanceur, Pilon est aussi chargé de suivre l’avion. L’Aérospatiale est maître
d’ouvrage des deux projets.
Le problème n’est pas simple : outre sa masse, l’avion fixé au dessus du lanceur
est déstabilisant : le lanceur a une performance limitée et induit de très fortes
contraintes sur l’avion et la sauvegarde de l’équipage. L’accident de Challenger en
1986 impose un scénario de sauvegarde valable depuis le pas de tir jusqu’à la
séparation de l’avion. Je propose des aménagements aux spécifications d’interfaces
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pour faciliter notre conception mais l’autorité lanceur résiste pour ne pas détériorer la
fonction première d’Ariane. Néanmoins, un compromis permet de présenter une
définition réputée viable du composite lanceur-avion spatial.
Pilon et moi participons à plusieurs groupes de Sauvegarde dont un à très haut
niveau, on y voit même Turcat, l’ex pilote de Concorde ; malgré tout les efforts de
ses membres, le scénario de sauvegarde reste incomplet. Le risque de la foudre sur le
pas de tir est reconnu important. L’ONERA propose des solutions nouvelles pour la
prédiction du risque, l’amélioration des protections sur le pas de tir et la minimisation
des conséquences sur le lanceur et l’avion ; un contrat est passé avec l’ONERA et
j’en suis le correspondant pour Hermès.
Lors de sa rentrée l’avion traverse à grande vitesse et faible pente les couches
denses de l’atmosphère ; l’estimation de la variabilité temporelle et spatiale de la
densité est imprécise, introduisant des incertitudes graves sur les flux thermiques
auxquels va être soumis l’avion. Le scientifique de l’aéronomie, auteur de la
caractérisation des années 60 est contacté : il va, au titre d’un nouveau contrat que je
vais suivre, répondre à notre besoin spécifique.
Hermès à l’Aérospatiale : P. Couillard quitte le CNES en1990, il est nommé à la
direction de la société EuroHermèspace formée par l’Aérospatiale, Alenia, Dassault
et Dasa, laquelle prend la maitrise d’ouvrage d’Hermès.
Je vais le suivre en 91 avec en final la responsabilité des opérations vols
Hermès. Avec les difficultés de conception de l’avion, la masse et le coût
difficilement maitrisés, apparaît un non sens absolu qui consiste à vouloir imposer
dès le premier vol une charge utile scientifique. Définir les opérations en vol de cette
charge n’a aucun sens, je me noie dans la paperasse mais il faut faire semblant vis à
vis de l’ESA !
Le projet tire sa dernière cartouche avec une version d’Hermès entièrement
automatique forcément moins chère : plus de pilotes, de verrières, de charge utile,
objectif limité à la démonstration du vol, de la rentrée et de l’atterrissage
automatique. À cette époque, les Russes, offrent les plus belles pièces de leur
industrie spatiale, fournissent documentation, proposent leur aide… Avec les
collègues de l’Aérospatiale, je lance une pré-étude sur le remplacement des boosters à
poudre d’Ariane 5 par les boosters à liquide de leur fusée Energia ; c’est faisable, les
performances sont maintenues et la propulsion de tous les moteurs peut être stoppée :
le scénario de sauvegarde devient possible et il est complet. Trop tard, parfaitement
hérétique, insuffisant, et sans doute cher.
Le couperet tombe en novembre 92 avec l’arrêt du programme. Les équipes sont
dispersées ; pour moi, c’est le retour au CST après quatre ans fantastiques d’une
implication totale.
Les dernières années au Centre Spatial de Toulouse : je trouve un point de
chute dans une division aux objectifs fumeux et reste incapable de me rappeler
qu’elles y furent mes activités mis à part la présidence d’une commission d’enquête
sur l’échec d’un vol de ballon !
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Division micro satellites : cette activité nouvelle fut envisagée pour compléter
les gros programmes du CNES. Ces petites plateformes étaient réclamées par les
scientifiques pour leurs expériences embarquées. J’accepte un poste dans cette
division qui comprend aussi celle de conseiller technique auprès de la délégation
française à l’ESA.
Pour les microsatellites, je participe à la définition du concept. Il y a un hic :
comment lancer ces charges utiles ? Je suis chargé d’inventorier et d’évaluer les
solutions possibles qui vont d’Ariane 5 jusqu’aux petits lanceurs proposés par les
Russes, les Brésiliens, les Indiens…
Le cas Ariane 5 : ce lanceur propose une plateforme sur laquelle on monte
jusqu’à six micro-satellites qui sont généralement délivrés sur une orbite de transfert,
(apogée à 36000 km), laquelle n’intéresse aucun scientifique. Comment modifier
cette orbite sans dépense d’énergie. Je trouve une solution avec le freinage
aérodynamique. En vue d’une application, la division fait une proposition aux
Brésiliens qui souhaitent réaliser un micro-satellite en collaboration. Je vais donc
plusieurs fois à San José au Brésil, malheureusement sans succès car ils n’ont pas les
moyens financiers.
L’option indienne de L’ISRO : les Indiens développent un lanceur qui en plus de
sa charge utile principale peut accueillir deux micros-satellites, mais la séquence de
séparation associée conduit au télescopage des satellites ! Je prépare une solution et
pars la présenter avec la délégation du CST que l’ISRO a invitée en Inde afin de nous
convaincre de la réalité de leur lanceur. La question de séparation est vite réglée et
nous partons visiter leur centre de lancement : c’est un choc, il est strictement
semblable aux installations Ariane1 à Kourou !
Finalement, nous sommes reçus par le directeur de l’ISRO. Après les échanges
protocolaires et les vœux pour une prochaine collaboration de nos centres, il me
prend à part et me rappelle l’épisode guyanais et l’aide que je lui apportais trente ans
auparavant !
La boucle est fermée, il est directeur, je ne le suis pas… mais j’ai vécu des
expériences inoubliables qui se sont terminées en 2000, année de ma retraite !
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43
Toux Henry BONTOUX
Je n’étais pas programmé pour l’École des Arts et Métiers et encore moins pour
exercer le métier d’ingénieur. Cet handicap explique la singularité de mon parcours.
Adolescent, mes goûts me portaient vers la philosophie et la littérature et de
plus je comptais sur ces deux disciplines pour mieux comprendre l’homme et la vie.
À quinze ans, atterrissage brutal, imposé à l’École pratique de Cluny. Avec une
nostalgie constante pour les lettres, j’ai joué le jeu d’être un acteur compétent des
sciences et de la technologie.
À la retraite, je peux dire qu’il m’a été beaucoup donné. J’ai beaucoup reçu,
c’est la merveille de mes six ans à Cluny. Je n’ai pas exercé les métiers littéraires que
je souhaitais, mais j’ai exercé plusieurs métiers avec mon style, ma personnalité.
Cela, je le dois aux deux écoles de Cluny.
Mon parcours illustre la pertinence de l’institution « école » de l’époque et
l’humanisme des enseignants. La description de mon parcours se veut le témoignage
d’une profonde reconnaissance.
Ce que j’ai reçu.
Tout parcours est le reflet de la dualité « vie et métier (carrière) », toujours, ô
combien, en équilibre instable.
En classe de première, une jeune et belle professeure de littérature m’aida à
entrer dans l’univers de la technique en préservant mes goûts littéraires.
En terminale, le professeur de maths transforma les mathématiques en art.
Chaque cours était un spectacle : il savait lever le rideau. J’étais au théâtre, j’étais
ébloui. Par lui, je découvrais que chacun peut devenir artiste quelle que soit la
discipline, quelle que soit la pièce à jouer.
Aux Arts et Métiers, dès le premier trimestre, une découverte bouleversa ma
manière de percevoir et de penser, je l’exploite encore aujourd’hui. Les technologies
s’enchaînaient, chacune s’étalait sur trois à cinq semaines. L’objectif était d’explorer
le maximum de technologies. C’est à la troisième que le déclic se produisit. Chaque
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technologie utilise son vocabulaire, ses expressions, ses segments récurrents de
raisonnements et de méthodologie. Chaque technologie possède un langage. Nous
avions un professeur pour le cours magistral, un pour le laboratoire et un pour
l’atelier. Les trois spécialistes pratiquaient le même langage mais avec trois niveaux
de discours différents. Dès lors, je prêtais une attention extrême au langage et aux
niveaux de discours de chaque technologie, je m’amusais à les comparer. Je
découvrais le pouvoir des mots, leur pouvoir de jubilation. Cela m’a servi au cours de
toute ma carrière et en particulier pour toutes mes négociations professionnelles.
Langages et niveaux de discours, sans le savoir à l’époque, me convertissaient à la
linguistique (je ne connaissais pas la linguistique en tant que science du langage).
Cette découverte s’enrichit des langages des sciences dures et de la littérature (cours
magistraux sur Duhamel, Gide, Giraudoux, Malraux, Mauriac, Montherlant et Proust,
beau programme de Monsieur Degueurce).
Tout au cours de ma formation et dans mes différents métiers, ma force
instinctive de survie a été de jouer le jeu en y mettant mes tripes, mon cerveau et mon
cœur (volonté, intelligence, générosité).
Et puis, la formation d’ingénieurs est sans doute celle qui ouvre à la plus grande
variété des activités, des métiers. Un don à la fécondité quasiment infinie.
Pourquoi ? La polyvalence des connaissances, l’apprentissage du processus –
conception, organisation, production, commercialisation – le management humain
développent l’esprit d’entreprendre. Le moteur est là : entreprendre. Il fonctionne
pour mettre en œuvre toutes les activités, pour créer, pour oser prendre des risques,
pour affirmer son style.
La formation Arts et Métiers = formation d’ingénieur + culture Arts et Métiers.
La transmission des valeurs humanistes des Arts et Métiers m’a initié à la
double construction du moi propre et de l’être social. Proclamons haut et fort que ces
valeurs font la singularité de l’ingénieur Arts et Métiers.
Cette double initiation m’a aidé dans les épreuves de la dualité « vie et métier ».
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Mes métiers
Directeur d’un service méthode de la Société Berliet, je dirigeais une douzaine
de techniciens supérieurs, nous étions chargés de l’automatisation des machines-
outils. Le point d’orgue a été une mission aux Etats-Unis pour effectuer des audits
technologiques de fabricants de machines-outils, de Ford et de General Motors. Les
Américains m’ont surpris, séduit par leur dynamisme et leur plasticité. Il m’en reste
quelque énergie.
À trente ans, ma dualité « vie et métier » connut une crise existentielle violente.
J’avais fait le tour de l’automatisation et surtout j’aspirais à plus de liberté. J’ai
éprouvé charnellement le constat de George Steiner : « Tout accès à l’existentiel est
linguistique.» J’avais besoin d’un transfert linguistique de la technique à l’existentiel.
J’abandonnais la technologie et les contraintes du privé pour entrer comme professeur
certifié de mathématiques à l’Université Claude Bernard Lyon I. Ne pouvant pas
réussir un concours de lettres, les maths m’offraient leurs langages plus attrayants,
pour moi, que ceux des autres sciences. Mon classement (1er de France) m’a permis
d’être détaché dans l’enseignement supérieur. Mes cours magistraux en
amphithéâtre ? Je ne me suis jamais, jamais, considéré comme professeur, je suis
toujours resté un ingénieur qui se transformait en acteur pour jouer ce que l’on
attendait de lui. La Mathématique, c’est l’artiste de terminale. Je voulais reprendre
des études en lettres.
Mais, un mouvement irrationnel m’a entraîné. Pèle mêle : je gardais des
activités industrielles et inaugurais un cours de Recherche opérationnelle au CESI
(Centre d’études supérieures industrielles) ; j’obtenais un DEA (Modèles
probabilistes et techniques informatiques et statistiques pour l’aide à la décision) ;
sept ans de recherche universitaire sur les mesures d’entropie en théorie de
l’information avec une publication internationale sur la découverte d’une relation
d’ordre entre quatre mesures d’entropie utilisée par France Télécom et les
laboratoires spécialisés en toxicologie. Toutes ces activités purement mathématiques
n’étaient pas celle d’un matheux mais d’un linguiste des mathématiques. Les
chercheurs de mon équipe ont été étonnés de ma découverte (tout le monde s’était
frotté au problème) mais ils l’ont été encore plus quand je leur ai révélé que ma
démarche avait été uniquement linguistique et esthétique : oui, j’ai analysé
l’esthétique de quatre fonctions d’entropie, mon choix esthétique correspondait
exactement à la relation d’ordre. Il me fallut plus de six mois pour faire la
démonstration : passer du langage des mathématiques à leurs outils. Ce fut une
jubilation totale !
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La maudite dualité vie-métier m’a empêché de terminer ma thèse de maths. Il y
a eu une longue période grise : l’enseignement me procurait toujours du plaisir ainsi
que les activités du CESI mais j’abandonnais avec regret la recherche. Dans la
dualité, la vie l’emporte quelquefois sur le professionnel et trop souvent le
professionnel l’emporte sur la vie, au détriment de la famille… regrets, remords.
Le soleil de Liancourt
Dans ces années grises entre 40 et 50 ans, un soleil, tel celui d’Austerlitz,
éclaira ma dualité toujours en équilibre instable. Un descendant du créateur des Arts
et Métiers, artiste extraterrestre, Jean-Dominique de La Rochefoucauld publia en
1980 :
Le duc de La Rochefoucauld-Liancourt
de Louis XV à Charles X, un grand seigneur patriote
et le mouvement populaire
J’entrais en compagnonnage avec le duc de La Rochefoucauld-Liancourt. J’eus
le privilège d’avoir de longues conversations émouvantes avec Jean-Dominique de La
Rochefoucauld alors qu’il était très malade.
La Société a jugé mon livre « De la Révolution à la Modernité : le duc de La
Rochefoucauld-Liancourt » trop didactique. Je le réécris mais chaque phrase est dans
l’incapacité de plaire en même temps à un grand public (vœu de Roland Vardanega)
et aux gadzarts. Accouchement dans la douleur. Le groupe de Lyon a publié mes
quatorze chroniques. J’ai donné plus d’une dizaine de conférences. Mon
compagnonnage continue, je l’accueille comme un don des Arts et Métiers.
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Mon dernier métier professionnel
Ma PME dans l’Université
J’ai la cinquantaine, mon statut est celui de professeur de mathématiques
agrégé. Rares sont les semaines où je ne suis pas dans une entreprise. L’Université
me charge de promouvoir les programmes européens ERASMUS et COMETT. IUT
INTERNATIONNAL m’envoie en Syrie et au Pérou pour vendre le modèle des IUT
français. Je suis chargé de la formation continue d’un IUT et choisis uniquement
l’intra-entreprise ce qui me permet d’intervenir dans leurs projets d’innovation et
leurs plans sociaux.
Si j’avais suivi la formation universitaire des professeurs, je n’aurais jamais pu
m’engager dans toutes ces activités. Dans les Chambres consulaires et les entreprises,
je ne me suis jamais présenté comme professeur mais comme ingénieur des Arts et
Métiers.
Enfin, dernière étape de ma carrière, disons-le tout de suite les dix meilleures
années, un président d’Université me décharge de toutes mes obligations
d’enseignant et m’autorise à créer une PME au sein d’un IUT. Les présidents
successifs acceptèrent tous ce modus vivendi.
Ma PME embauche une assistante (deux maîtrises – droit social et direction des
ressources humaines), une comptable (ex-chef de production de 200 employés, elle a
eu un rôle déterminant, j’allais dire décoiffant, auprès des professeurs trop
fonctionnaires), une secrétaire qui s’est intégrée remarquablement dans les deux
espaces : université-entreprises. Je convaincs une dizaine d’enseignants-chercheurs
d’être chef de projet. Je bénéficiais des compétences des 2000 chercheurs de
l’Université plus ceux des Écoles d’ingénieurs de Lyon (ils m’ont sauvé plusieurs
contrats).
Ma mission première définie par les présidents d’Université : créer des
partenariats avec les Chambres consulaires et les multinationales.
Je ne peux pas dire « j’ai inventé mon métier », non, je me suis retrouvé, sans le
vouloir, naturellement, et cela m’allait comme un gant : consultant universitaire. Ce
métier semblait être fait pour moi. Vous l’avez compris, c’est l’aboutissement de la
culture Arts et Métiers, de l’influence des hommes qui nous ont formés. J’éprouve
une véritable affection pour plusieurs d’entre eux.
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Consultant universitaire, je retrouvais mon métier d’ingénieur, à ma manière. Je
vivais Le mythe de l’éternel retour de Nietzsche.
Bilan :
- Mes partenariats principaux : la Métallurgie (l’UIMM, ce fut prodigieux, des
hommes efficaces et humains), Michelin (les résultats ont été d’une ampleur
inattendue), EDF, France-Télécom, CCIE de Lyon, ADEFIM, AGEFOS-PME,
OPCAREG… je ne peux pas tous les citer. Plusieurs dirigeants sont devenus
des amis.
- Les actions : innovations en entreprises, huit licences professionnelles (les
habilitations ont été obtenues grâce à nos partenaires, ce sont eux qui les ont
présentées au ministère de l’Éducation nationale) enfin l’ITII (Institut des
techniques de l’ingénieur de l’industrie. C’est mon point d’orgue de l’équilibre
université-entreprises).
- Facilitateur : j’étais de plus en plus invité comme facilitateur dans les
négociations de projets qui nécessitaient des partenariats de compétences et
financiers. Je crois que ma culture générale en était la cause.
À la retraite
Mon enseigne : apprendre à lire et à écrire.
Études quasiment quotidiennes : littérature, philosophie, théories de la
complexité et des émergences, neurosciences, linguistique et grammaire (mes deux
maîtres d’armes), et puis j’observe le changement de civilisation en cours.
L’année prochaine j’aurai quatre-vingts ans : je compte m’offrir les trois livres
que j’ai écrits :
- Trajectoires / Contes et récits de notre temps.
- Arts et Métiers / Un grand homme, des ingénieurs (titre provisoire qui
remplacerait De la Révolution à la Modernité).
- La biographie du peintre Robert Di Credico (voir Facebook et Google).
- Le quatrième très avancé a pour titre Bifurcations.
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Préconisation en utopie
J’ai la conviction que la formation d’ingénieurs dans un monde à complexité
croissante et aux émergences imprévisibles est le meilleur moyen de devenir une
honnête femme, un honnête homme du XXIème
siècle. L’expression « formation
d’ingénieurs » est réductrice. Dans ce monde déboussolé, c’est la formation qui
permet d’inventer son métier et son style. « Formation d’inventeur de son métier » est
disgracieux. Je vous donne en héritage cette énigme linguistique !
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Zamik Jean-Pierre CHAMPAGNON
Natif de Cluny, il y fit toute sa scolarité, de l’école primaire jusqu’aux Arts, après
un passage obligé par la Prat’s, le lycée local, gros pourvoyeur d’effectifs pour l’EN-
SAM. Concours réussi à sa première tentative, il concrétisait ainsi son rêve : entrer
dans cette grande École, dont il voyait les bâtiments depuis la fenêtre de sa chambre,
son père instituteur, ayant un logement de fonction dans le parc abbatial voisin.
Actif et très vite impliqué dans la vie de promo, il fut élu au comité de Traditions
et en devint le major (le «MT») ; il eut à cœur de remplir son rôle avec beaucoup
d’intelligence et de conviction, en fervent défenseur de nos valeurs. Il fut aussi – et le
resta par la suite – notre «chef de chœur», doté à la fois d’une voix puissante, donc
très reconnaissable, et d’un répertoire sans égal.
Sa carrière fut remarquable : elle se déroula en totalité à la Snecma, très grande
spécialiste des réacteurs d’avion (groupe Safran). À son arrivée, il fut affecté dans le
service de Pierre Alesi (Ai. 52) et participa à la création et la mise au point du moteur
M56. Par la suite, il intégra le programme du CFM56, fameux moteur conçu en
collaboration avec General Electric et devenu un standard mondial (25000
exemplaires à ce jour) pour différents avionneurs.
Alors, on lui confia la mise en place du réseau de sous-traitants et partenaires
(dont Alstom, représenté par notre camarade de promo Georges Chatras-Totor),
nécessaire pour assurer la production intensive de ce moteur à succès. Nouvelle
mission accomplie – réussite qui le hissa à la stratégique direction des achats et
approvisionnements, comme marque de reconnaissance de ses compétences
techniques et commerciales.
Retraité, il n’eut de cesse de revenir dans son département natal, la Saône-et-
Loire, en acquérant une maison dans ce beau village qu’est Milly-Lamartine, entre
Cluny et Mâcon.
Ce dévoreur de livres put également s’adonner à sa deuxième passion : le travail
du bois. Équipé d’un atelier et d’un matériel quasi professionnel, il réaménagea sa
maison en créant un studio pour chacun de ses deux fils ; il réalisa également quantité
de meubles, dont d’imposantes bibliothèques pour loger ses innombrables livres.
Malheureusement, cette retraite idéale fut endeuillée par la mort de son jeune fils,
Benoît, en 2004 ; il eut beaucoup de mal à s’en remettre, malgré l’amour des siens et
l’amitié de ses camarades de promo.
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Totor Georges CHATRAS
Contrat de travail conclu avec la société Rateau le 27 août 1961 avec comme
condition : Rateau prend en charge le coût de mes études à l’INSTN Saclay-Génie
atomique-branche « thermique et mécanique des réacteurs », en contrepartie d'un
engagement à travailler cinq ans pour cette société.
Je m’engage dans la Marine en octobre 1962 à la sortie du Génie atomique
(après acquisition du diplôme). Durée de l'engagement trois ans, branche recherche
scientifique-arme sous-marins. Je suis accepté et après trois mois d’EOR à Brest sur
le Richelieu je suis affecté le 1er janvier 1963 au CEA Saclay au Département de
propulsion nucléaire qui a charge de réaliser et mettre en service le prototype à terre
des réacteurs de propulsion des sous-marins et des porte-avions nucléaires ; réacteur
qui sera implanté sur le site du CEA à Cadarache.
Travail confié : système des barres de contrôle du réacteur (étude, réalisation,
essais, qualification, mise en place sur le réacteur et suivi du fonctionnement en vraie
grandeur jusqu'à la divergence du réacteur et quelques mois d'exploitation).
Pour ce faire je suis intégré dans une équipe de deux ingénieurs (dont moi-
même) et trois agents techniques.
Les travaux correspondants s'échelonnent entre janvier 1963 et le 15 août 1964
date de la divergence du réacteur.
Du 15 août 1964 au 10 avril 1965 je participe au suivi du fonctionnement du
réacteur, à la qualification du meilleur des deux systèmes de barres de contrôle
essayés sur le réacteur, à la rédaction des spécifications de commande des systèmes
destinés au réacteur de propulsion du premier sous-marin nucléaire français le
Redoutable, aux consultations des fournisseurs potentiels de ces mécanismes, sachant
que nous avions décidé de mixer les deux techniques qualifiées en retenant et mixant
le meilleur de chacune.
Ceci me conduit au 10 avril 1965 date à laquelle je fus rendu à la vie civile, soit
après trente mois de service militaire et non trois ans en raison de la fin de la guerre
d'Algérie et de la réduction qui s'en est suivie de la durée d'incorporation des appelés
du contingent.
À l'annonce de cette nouvelle je décide de me marier ce que j'attendais depuis
plusieurs mois et convole en justes noces le 27 mars 1965.
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Rentrée dans la vie active : à la société Rateau, à La Courneuve mi- avril 1965.
Je suis alors chargé : des compresseurs sur paliers à gaz (1200 compresseurs
d’hexafluorure d’uranium destinés à l'usine très haute de Pierrelatte commandés par
le CEA au GIE Rateau-Alcatel), des compresseurs destinés à l'équipement des
boucles d’essais des combustibles des réacteurs graphite-gaz , ou autres associés à
des réacteurs d’essais (Pégase, César, Rapsodie, Kernreactor, Los Alamos,
Winscale, Wurrenlingen, Mole, Harwell, etc.)
Je suis aussi chargé de certains matériels destinés aux réacteurs graphite–gaz :
G3 du CEA à Marcoule, EDF 1, 2 et 3 à Chinon, EDF à Saint-Laurent des Eaux, et
pour la centrale franco-espagnole de Vandellos. En particulier turbosoufflantes de gaz
carbonique, système de détection des ruptures de gaine, etc.
L'abandon de la filière des réacteurs graphite-gaz en France fait que je me vois
confier l'étude, la vente et la réalisation de composants destinés à économiser
l'énergie dans des usines utilisant de la vapeur : sucreries, papeterie, chimie.
Réalisation à cette fin de turbocompresseurs de vapeur destinés à rehausser la
température de vapeur par compression de cette dernière dans des systèmes
d'évaporation en cascade, en vue d'améliorer aussi le rendement des cycles
thermodynamiques.
Arrive ainsi l'année 1974 où Alsthom acquiert la majorité de la société Rateau
après un bref passage aux mains d'Alcatel. Alsthom décide de me faire suivre une
formation de « gestion des entreprises et de contrôle de gestion ». Cette dernière
s'étale sur 18 mois, à la suite de quoi je suis nommé contrôleur de gestion de la
société Rateau.
Arrive aussi en 1974 la décision de Pierre Messmer de lancer les contrats
programmes de production d'électricité par centrales nucléaires EDF. Je suis alors
conduit à suspendre ma mission de contrôleur de gestion et à prendre en charge les
matériels de la compétence de Rateau destinés aux réacteurs des programmes CP 0,
CP 1 et CP 2 de 900 MW, puis P4 de 1300 MW, puis N4 de 1500 MW, soit au total
pour 58 tranches de production EDF : turbines d'entraînement des pompes
alimentaire, quelques pompes alimentaire, pompes de circulation, de reprise des
purges, de refroidissement du réacteur à l'arrêt, d'injection de secours moyenne
pression, turbines ASG, etc.
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À la fin des années 1970 je participe aussi à la réalisation des motos-
compresseurs destinés à l'usine d'enrichissement de l'uranium de Tricastin en
partenariat avec Snecma, Hispano, (Nuovo Pignone), au travers du GIE Gercos (UFE,
UTG, USG).
En 1981, la situation perturbée de Rateau localisée en Seine-Saint-Denis amène
Alsthom à me nommer directeur du personnel et des relations sociales avec pour
mission de remettre de l'ordre dans la maison sous les ordres du directeur A.Hirtz
(CH 49). Ce fut très difficile et coûteux pour moi, mais réussi.
Une mission industrielle m’a été confiée en 1984 : reprendre la société de
robinetterie CRISS à Armentières (établissement du plan social, négociations avec les
partenaires sociaux et l'inspection du travail, mise en place de ce plan social et
direction de l'entreprise qui en résulte pendant deux ans.
À la suite de ces missions on me confie en 1986 la direction de la division
Turbo-machines de Rateau (turbines industrielles et autres, principalement à grande
vitesse, pompes destinées au nucléaire, compresseurs, ventilateurs). Les marchés
principaux restent le nucléaire français (programme d'EDF) et belge (Electrabel),
l’Afrique du Sud, la Corée du Sud, la Chine, ainsi que les usines pétrochimiques
mondiales (turbocompresseurs).
Mission particulière : gestion du partenariat SNECMA-Alsthom pour la
fabrication des carters des réacteurs d'avion CFM 56, mon correspondant à la
SNECMA étant Jean-Pierre Champagnon - Zamik - de notre promo !
1995 : je suis nommé directeur général adjoint du groupe turbines à vapeur. Je
rejoins le siège-38 avenue Kléber, Paris-16e. Je suis également nommé administrateur
d'Alsthom turbines à vapeur, Alsthom centrales énergétiques, Alsthom turbines à
vapeur Nuremberg et Alsthom Mexique (Morelia).
Alsthom reçoit dans le même temps une lettre du conseil général de Seine-
Saint-Denis lui annonçant que dans les deux à trois ans il ne sera plus possible de
sortir de l'établissement du Bourget les rotors des turbines à vapeur destinés aux
centrales nucléaires en raison de leurs dimensions et de leurs poids. Il est donc
impératif de déménager l'établissement et de reconstruire les ateliers spécifiques
nécessaires à Belfort d’où l’expédition de ces matériels sera possible par voie d'eau.
Je suis chargé en 1996 de fermer l'établissement du Bourget, négocier le plan
social afférent à cette fermeture, l'appliquer, démonter les machines spécifiques de
cette fabrication, les " rétrofiter " et les installer dans un atelier "dédié" à construire à
Belfort, puis mettre en service cet atelier après avoir formé des opérateurs locaux à
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leur usage vu le très faible nombre de spécialistes du Bourget ayant accepté de
rejoindre Belfort. Je m'acquitte de cette mission industrielle en deux ans. Je gère les
fabrications des rotors dans leur intégralité à Belfort à partir de 1998.
Cette même année 1998, Alsthom doit faire face à une difficulté majeure
inédite : rupture des diaphragmes sur les corps moyenne pression des turbines
Arabelle-N4 des centrales nucléaires de Chooz B1 et B2 après quelques mois de
fonctionnement. Cet incident n'a jamais été rencontré dans le passé sur des
composants statiques. La recherche des causes et des solutions de réparation après
modélisation des phénomènes nous fait prendre conscience que nous sommes aux
limites de notre savoir. Je suis nommé chef du projet de remise en état des turbines
Arabelle-N4 avec tous pouvoirs et ceci en pleine période de réorganisation de
l'établissement turbines à vapeur de la Courneuve. Je constitue une équipe de sept
ingénieurs et de collaborateurs dédiés à 100 % à cette remise en état. Cette dernière
est qualifiée en exploitation sur Chooz B1 en 1999 et appliquée sur Chooz B2 et
Civaux 1 et 2.
Je suis confirmé directeur général adjoint du groupe turbines à vapeur Alsthom
et nommé directeur technique de ce même groupe en 1999. J'assume ces fonctions
jusqu'à mon départ en retraite en juin 2000 et les poursuis même à titre bénévole
jusqu'en mars 2003…
Pendant cette dernière période je négocie auprès d'EDF une participation
financière au maintien du "savoir faire" afin de ne pas être trop affecté par le manque
de commandes de sa part et faire en sorte d'être capable de relancer le nucléaire sans
difficulté majeure. Je cautionne l'idée de chercher à fabriquer les rotors d'alternateur
comme ceux des turbines à vapeur, par soudage (facilité d'approvisionnement). Les
essais de réalisation sont concluants et EDF commande à Alsthom un rotor et
l'installe sur une tranche CP2 (à Cruas ?), où jusqu'alors il donne satisfaction.
Ce sera ma dernière action très décriée lors de son lancement.
PS: Entre 1980 et 2003, j'ai également fourni des matériels destinés à la Marine
nationale (porte-avions Charles de Gaulle et sous-marins nucléaires, toutes
fournitures protégées par le secret défense).
Pendant toute ma carrière mon épouse Geneviève est restée sédentaire et point
focal de la famille à Paris. Elle a élevé deux enfants ; j'ai vécu par périodes "la valise
à la main"...
***********************
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Mich’l Michel CHEVRETON
À ma sortie de l’École, j’ai continué mes études à la Fac en suivant un 3° cycle
de physique théorique. En même temps, je travaillais aussi un jour par semaine
comme informaticien à l’EDF. C’était plutôt galère, mais plus tard quand
l’informatique a envahi le monde, j’ai apprécié d’avoir eu ce travail.
J’ai préparé ensuite une thèse de maths en relativité générale que j’ai soutenue
en 1969 et j’ai été embauché comme chercheur au CNRS.
À cette époque, il y avait beaucoup de travaux sur les ondes gravitationnelles,
un chercheur américain avait construit un détecteur et semblait obtenir des résultats.
J’étais intéressé par cette expérience mais je travaillais à l’Institut Henri Poincaré
dans l’ancien labo de Louis de Broglie, et une expérience semblable n’était pas
envisageable dans cet endroit dédié à la pure théorie. L’astrophysique était en plein
développement et il y avait à l’Observatoire de Meudon un nouveau bâtiment en
construction pour regrouper une grande partie de l’astrophysique parisienne.
Finalement nous avons été une demi-douzaine de jeunes chercheurs à proposer la
création d’une nouvelle formation CNRS, le « Groupe d’astrophysique relativiste»,
qui devait intégrer ce nouveau bâtiment pour s’occuper d’astrophysique et de
relativité générale et monter une expérience de détection d’ondes gravitationnelles.
Cette proposition a été acceptée, nous avons obtenu des locaux dans ce bâtiment à
Meudon, des crédits et du personnel technique pour l’expérience de détection. Le
groupe fonctionnait un peu comme une start-up, l’expérience était très artisanale, on
était seulement quatre personnes pour s’en occuper, c’était plutôt sympathique sauf
qu’on n’a pas détecté la moindre onde gravitationnelle.
Je me suis ensuite orienté vers les observations astronomiques. J’étais nul en
astronomie mais c’était un avantage car les méthodes d’observation changeaient
beaucoup. On s’apercevait que le ciel n’était pas un paradis paisible mais qu’il y
avait plein de phénomènes rapides à observer. Il fallait abandonner les plaques photo
pour l’électronique et le traitement de signal. Mon labo était bien outillé pour faire de
la photométrie rapide et j’ai utilisé cette technique pour étudier les oscillations des
étoiles et pour la recherche de planètes extrasolaires. J’ai fait des observations en
Chine régulièrement pendant dix-huit ans, ce qui m’a permis de découvrir ce pays et
d’observer son extraordinaire transformation.
Je ne regrette pas ma formation de gadzarts, qui privilégie le savoir faire. Par
contre j’ai été handicapé par mon anglais minable mais ce n’est pas la faute des Arts
et Métiers et je ne suis pas le seul avec cet handicap. Dans des congrès internationaux
j’ai souvent vu des Français faire de beaux exposés mais se retrouver en grande
difficulté ensuite quand il s’agissait de répondre à un flot de questions en anglais.
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Je pense que l’apprentissage des langues au collège est trop tardif. Avec la
mondialisation les petits Chinois apprennent l’anglais à l’école maternelle et ça
semble efficace.
Pourquoi délocaliser une petite entreprise d’astronomie en Chine alors qu’on peut
trouver les mêmes étoiles en France ?
Pendant longtemps on a dû se contenter de la spectroscopie pour étudier les
étoiles. Dans les années 80 on s’est aperçu qu’en analysant la « musique » produite
par une étoile, on pouvait obtenir des informations sur sa structure interne ; on
appelle cette méthode la sismologie stellaire. En analysant la « musique » d’un
moteur automobile, c'est-à-dire un enregistrement sonore du moteur, un spécialiste
pourra obtenir des informations sur son fonctionnement et ses réglages. Pour une
étoile, l’équivalent est d’analyser ses oscillations qui se traduisent par de petites
fluctuations de luminosité. Comme il y a des fréquences assez basses, il faut
généralement une semaine ou plus pour obtenir le spectre d’oscillation d’une étoile.
On observe les étoiles seulement pendant la nuit, aussi pour obtenir un enregistrement
d’une semaine il faut mettre bout à bout les observations de trois observatoires situés
sur des continents différents. Pour le choix des lieux d’observation, ma préférence
allait à la combinaison « Canaries-Mexique-Chine ». C’est la météo qui pousse à
choisir les Canaries et le Mexique, pour la Chine c’est plus compliqué.
À la fin des années 1930 il y avait un étudiant chinois à l’observatoire de Saint-
Michel-de-Provence près de Manosque. Il a été piégé par la guerre et il a séjourné
longtemps là bas. Plus tard en Chine, il est devenu un membre important du parti
communiste et il a lancé la construction d’un observatoire astronomique national.
Ainsi, à une centaine de kilomètres au nord de Pékin, il y a une construction
totalement surréaliste : la copie très précise de l’observatoire de Saint-Michel, y
compris la forme de la salle du restaurant. En 1990 le plus gros télescope de cet
observatoire était inutilisé faute d’instrumentation moderne, il était aux normes de
1940. Je suis venu accrocher à ce télescope ma petite valise pleine d’électronique et
de détecteurs de photons et ça a très vite marché pour la sismologie stellaire car
j’avais installé les années précédentes la même valise à Ténérife et au Mexique.
J’ai fait de nombreuses missions d’observation dans cet observatoire de Xing-
Long. Il y a les mêmes étoiles qu’en France mais on peut les voir sept heures plus tôt
alors qu’au Mexique on les voit huit heures plus tard ; ainsi on les observe 24 heures
sur 24. Pour Xing-Long, la bonne époque c’est l’hiver quand le vent venu de Sibérie
rend le ciel très clair, mais ce n’est ni la Provence ni le Club-Med !
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Memo sur la vie rêvée des étoiles
Je vais parler de la détection des ondes gravitationnelles, mais avant, il est sans
doute utile de faire un petit memo sur la vie des étoiles en gommant les détails
superflus.
Les étoiles qu’on peut observer à l’œil nu dans le ciel sont toutes des centrales
nucléaires naturelles qui fournissent de la chaleur et de la lumière autour d’elles. Il y
a, au centre de l’étoile, une réaction de fusion nucléaire stabilisée par la gravitation.
En fin de vie, la fusion nucléaire centrale va s’arrêter faute de carburant et le cœur de
l’étoile va s’effondrer pour donner un astre compact qui est le cadavre de l’étoile et
qui ne sera plus visible à l’œil nu, et souvent complètement invisible. Les petites
étoiles comme le soleil ont une vie relativement longue et paisible, la fusion nucléaire
dure plus de dix milliards d’années. Par contre, les étoiles massives (disons de plus de
sept fois la masse du soleil) ont une vie beaucoup plus agitée et surtout plus courte,
moins de 200 millions d’années ; elles laissent donc plus de cadavres derrière elles.
La fin de vie d’une étoile massive donne lieu à un phénomène violent, une « super
nova ». Lors de l’effondrement du cœur d’une étoile massive, les atomes ne résistent
pas à la compression ; les électrons qui tournent normalement autour du noyau vont
s’enfoncer dans celui ci et se combiner aux protons pour former des neutrons. L’astre
compact obtenu, qui a un diamètre de l’ordre de dix kilomètres, est logiquement
appelé « étoile à neutrons ». Enfin pour les étoiles très massives, de plus de vingt-
cinq fois la masse du soleil, l’effondrement se poursuit et l’étoile disparait
complètement : il ne reste plus qu’un puits de potentiel gravitationnel baptisé « trou
noir » par les astrophysiciens anglais qui en ont fait la théorie dans les années 60.
Il y a donc dans le ciel les étoiles qu’on peut voir et des astres compacts
invisibles qui sont les cadavres d’anciennes étoiles, les cadavres préférés des
astronomes étant les étoiles à neutrons. Ce sont des astres inactifs mais il faut
s’intéresser au cas des astres binaires. Beaucoup d’étoiles vivent en couple car elles
se sont formées dans des régions voisines. On peut voir dans le ciel beaucoup
d’étoiles binaires qui gravitent l’une autour de l’autre et il y a évidemment tout autant
d’astres compacts binaires invisibles qui sont les cadavres d’anciennes étoiles
binaires. Le système formé par deux astres gravitant l’un autour de l’autre perd de
l’énergie par rayonnement gravitationnel et les astres se rapprochent petit à petit. Le
rapprochement est inexorable même si ça prend des centaines de millions d’années.
Les astres suivent des spirales infernales de plus en plus rapides et ils vont finir par
fusionner en un astre unique qui sera le plus souvent un trou noir. Cette fusion est
plus violente qu’une super nova. Dans une galaxie comme la nôtre, les fusions de
binaires sont assez rares à l’échelle humaine, peut être une tous les trois ou quatre
60
siècles. Cependant les fusions se produisent dans des milliers de galaxies qui nous
entourent et, si on est capable de les détecter, alors on assiste à un feu d’artifice
permanent.
La détection des ondes gravitationnelles
Dans les années 60 un physicien américain, J. Weber s’était lancé dans la
construction d’un détecteur d’ondes gravitationnelles malgré le scepticisme de la
plupart des scientifiques. Il espérait détecter les ondes générées par des collisions
d’étoiles au centre de notre galaxie. Son détecteur était constitué par une barre
métallique susceptible d’entrer en résonance au passage d’ondes gravitationnelles.
Avec la rotation de la terre, deux fois par jour, l’antenne de Weber se trouvait
orientée en direction du centre galactique et les statistiques semblaient montrer
qu’elle crachouillait un peu plus à ces moments-là. Ainsi tous les grands pays
européens de l’époque, se sont lancés dans la construction de détecteurs analogues
pour confirmer et améliorer les résultats américains. Malheureusement après quelques
années il a fallu se rendre à l’évidence : la sensibilité de ces détecteurs était
insuffisante, il n’y avait pas de détection.
Ces premières tentatives infructueuses ont cependant débouché sur des grands
projets de détecteurs de seconde génération à base d’interféromètres de Michelson
géants avec des bras optiques de plusieurs kilomètres. On avait aussi appris que pour
avoir une détection crédible, il fallait un réseau de plusieurs détecteurs séparés par
des milliers de kilomètres. Un instrument européen « VIRGO » et deux instruments
américains « LIGO » ont ainsi été mis en service au début des années 2000. Entre
temps les astronomes avaient découvert l’existence d’événements très violents dans
les galaxies qui nous entourent et qu’on peut observer sous forme de bouffées de
rayonnement à haute énergie : les « sursauts gamma ». On espérait que ces nouveaux
instruments allaient mettre en évidence les ondes gravitationnelles correspondant à
ces événements violents. Pendant plus de dix ans ces trois instruments n’ont rien
détecté mais des perfectionnements importants ont été imaginés. Finalement les
détecteurs ont été arrêtés et reconfigurés pour améliorer leur sensibilité.
En 2015, alors que le détecteur européen était encore en travaux d’amélioration,
les détecteurs américains améliorés ont été remis en fonctionnement et ils ont réalisé
les premières détections historiques d’ondes gravitationnelles. Ceci a permis aux
deux Américains promoteurs des instruments LIGO de recevoir le prix Nobel de
physique 2017. La source de ces ondes était bien dans des galaxies lointaines mais
aucun sursaut gamma n’accompagnait le phénomène.
61
L’été 2017 a vu VIRGO remis en service et les trois instruments ont détecté
deux nouveaux événements et cette détection a été très intéressante. En effet la
première détection était une onde gravitationnelle sans contrepartie
électromagnétique (comme en 2015), alors que la dernière, plus faible accompagnait
un sursaut gamma.
Les théoriciens avaient imaginé des mécanismes de production des sursauts
gamma à partir de la fusion d’étoiles binaires compactes, mais les observations d’août
2017 ont permis de préciser les choses. La fusion de deux trous noirs binaires conduit
à l’émission d’une onde gravitationnelle sans contrepartie électromagnétique. Par
contre, s’il s’agit de la fusion de deux étoiles à neutrons, l’onde gravitationnelle est
accompagnée d’un sursaut gamma.
J’ai été un peu bavard avec les ondes gravitationnelles, mais la détection d’août
2017 de la fusion de deux étoiles à neutrons méritait quelques échos.
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63
Kak’s Claude CHEVRIER
3 enfants : 2 filles et 1 garçon. Le fils, gadzarts (Cl 87), 9 grands petits- enfants
(5 filles, 4 garçons) de 24 à 14 ans. Un gendre gadzarts (Cl 87).
Doctorat 3ème
cycle Mécanique des sols et hydrodynamique supérieure à
l’Université de Grenoble. Pendant ma thèse prof de maths en classes terminales au
Lycée de La Mure (Isère)
Service militaire au Service des essences aux armées à Chalon-sur-Saône.
Aspirant, sous-lieutenant, commandant 1ère compagnie.
Paris, Ministère des ponts et chaussées. Période de la création de l’Équipement
sous Edgard PISANI (Ponts et chaussées et logement, réunis). Responsable béton et
fondations de l’Ouest parisien (de Cergy-Pontoise à Évry). Formulation béton et
contrôles, fondations ouvrages d’arts et bâtiments de l’État.
Au sein d’une équipe performante : création du déflectographe (camion chargé
à 13 tonnes sur essieu arrière) pour analyser l’évolution des chaussées, prévenir leur
dégradation et intervenir, élimination des points noirs à l’aide de la remorque de
glissance tractée par une Jaguar E, plaque de pesage et comptage sur chaussées au
passage des véhicules, développement des laboratoires régionaux devenus les CETE
de l’Équipement…
Paris, Ed. Lambert et Cie, usine à Maintenon - (associés de Mr Lambert, trois
collègues, le patron de l’usine à Maintenon (Eure) étaient des gadzarts !) - création et
conception des centrales à béton pour chantiers et centrales béton prêt à l’emploi.
Après leur création, missionné pour les vendre avec management du réseau
commercial (12 agents). Exportation 35 %. En plus de mon travail dans le cadre
coopération Industrie / Enseignement, chargé de cours matériels de bétonnage et
engins TP à l’École spéciale des TP (école des TPE), boulevard Saint-Germain à
Paris. Stoppé après une année : trop prenant.
Grenoble : désir de retrouver les montagnes. Études et constructions
mécaniques, patron Arts et Métiers. Conception et vente machines spéciales de
soudage, chaudronnerie lourde, vireurs et positionneurs pour soudage, centrales à
béton mobiles.
64
Fontaine : Précitechnique, filiale Thomson (emboutissage de précision à grande
cadence), en vue du rachat au moment de la période de nationalisation. Échec de la
négociation.
Merlin-Gerin, ensuite Schneider Electric SA :
- Grenoble : département de réalisation d’ensembles. Chargé d’affaires. Distribution
industrielle (cimenteries, aciéries, ….)
- Égypte : Création du bureau de représentation et de liaison au Caire. Création de
l’équipe commerciale. Préparation de la création de la filiale de production.
- Vallée du Rhône : Ceralep. Gérée conjointement par Alsthom et Merlin-Gerin.
Directeur commercial. Conception, fabrication, vente d’isolateurs en céramique
technique (de 6 kV à 800 kV). 35 % en exportation aux concurrents d’Alsthom et
Merlin Gerin !
- Maroc : filiale à Casablanca. Directeur commercial. Usine de production de 550
personnes.
- Grenoble : sous l’autorité du vice-président, pour l’ensemble des entités,
harmonisation des outils commerciaux pour l’obtention des commandes.
Octobre 1998 : retraite, avec la prise en compte de mes jobs avant le service
militaire, totalité des trimestres effectués !
Senior consultant bénévole au sein d’ECTI (aide aux entreprises). Domaine de
compétence : organisation des services commerciaux, aide à l’exportation. Arrêt :
envie de quitter les activités relatives au commerce !
Depuis 1998 : Commissaire enquêteur auprès du Tribunal administratif de
Grenoble. Domaine de compétence : aménagement du territoire (infrastructures,
Plans protection risques inondations et naturels, déplacements (PDU, PLU, captages,
assainissement, …).
Habitant sur les flancs de Belledonne, entretien du jardin, de la maison, photos,
randonnées (pédestres et raquettes), ski, groupe d’amis, participations à la vie de
notre village.
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65
Roméo Jacques CLUZEL
Sorti du Tabagn’s le 30 juin 1961, j’ai intégré les EOR (Écoles d’officiers de
réserve) à Fontainebleau dès le 1er juillet avec un certain nombre de camarades de la
promo et ce, dans le but de faire l’ESTA, (École supérieure des travaux
aéronautiques), cette école avait passé une convention avec l’Armée dans le but de
former les officiers mécaniciens de l’ALAT (Aviation légère de l’armée de terre)
avec diplôme civil et militaire. Les études duraient six mois dans le cadre du service
militaire, mais cette année il avait été décidé d’allonger la durée à neuf mois, en
raison de l’allongement de la durée du service militaire. Elle ne recrutait que des
gadzarts ayant fait la « PMS » (Préparation militaire supérieure).
L’année scolaire en Sorbonne et au fort de Vincennes fut intense : retour
hebdomadaire à Montluçon auprès de ma petite famille, cours dans un lycée pour des
cours du soir pour adultes et reprise d’une petite boite laissée en rade par son créateur
décédé (un gadzarts génie de cinématique) : réalisation de machine à plier le papier
« cul ». A l’issue de la scolarité : affectation pour six mois en Algérie (les accords
d’Évian avaient réduit le service militaire à dix-neuf mois). A la base de Chéragas, en
chambrée avec Zamik, j’ai été affecté à la liaison entre les établissements de
réparation des hélicos, avec recommandation d’effectuer ces déplacements en hélico !
La vie professionnelle
Intégration à EDF (j’avais un contrat de pré-situation) en liaison avec l’ESTA.
Je fus affecté à la Production thermique à Montereau en 1963. Le contexte : la
consommation électrique croissait de 7% par an, il fallait donc doubler les capacités
installées tous les dix ans ; l’hydraulique étant finie, le nucléaire balbutiant, seul le
charbon et un peu le fuel pouvaient faire face. EDF avait donc lancé la construction
en série de centrales thermiques. Le palier 125 MW était terminé, c’est le 250 MW
qui prenait le relais, le 750 MW devant suivre dix ans après. À Montereau j’ai appris
le métier sous la férule d’un gadzarts, Vauluisant, et participé au démarrage des deux
tranches 250 MW.
Affecté en 1965 comme chef de service à Vitry-sur-seine, où quatre tranches
charbon étaient en construction (2 + 2 décalées de deux ans), j’y suis resté neuf ans
pour le démarrage puis la transformation des tranches au fuel (le prix de la calorie
fuel s’était effondré). Période techniquement intéressante mais difficile car la notion
66
de construction en série était toute relative du fait de la politique d’EDF de répartir
les contrats entre les constructeurs, et aggravée par l’individualisme des services EDF
qui construisaient : résultat il n’y avait aucune centrale identique et donc des
difficultés importantes de mise au point. Heureusement ce type d’erreur a servi de
leçon pour le nucléaire.
Changement de décor : en 1973, nommé attaché auprès du directeur régional de
la production thermique de l’Est (un gadzarts : Jacques Kieffer) j’ai sillonné toute la
région pour suivre les différentes centrales, dont Fessenheim en construction, et
propagé la bonne parole, car nous avions l’ambition d’installer trois autres centrales
nucléaires en Alsace !
Comme je commençais à comprendre le nucléaire… en 1976 nomination
comme directeur de l’École des métiers EDF de Gurcy-le-Chatel (77) et aussi
proviseur par l’Éducation nationale (l’École avait aussi le statut de lycée technique).
J’y ai passé quatre années les plus heureuses de ma vie professionnelle. Il y avait 160
adolescents recrutés sur concours pour former des techniciens (conduite de centrales
niveau CAP ou BAC, mais en réalité BAC ou BTS), ambition : former des
« hommes » : vie en internat et sport intensif, en parallèle 200 adultes pour des stages
spécialisés, principalement dans le domaine des centrales. Les enseignants nommés
en partie par l’Éducation nationale, mais principalement choisis par moi et mon
équipe parmi des volontaires d’EDF.
Puis nomination en 1980 comme sous-directeur à la centrale nucléaire de Saint-
Alban (deux tranches de 1300 MW) en cours de construction que j’ai quittée au bout
de trois ans sans l’avoir vue fonctionner.
Après ce passage dans le nucléaire, retour dans le thermique classique comme
directeur de la centrale de Martigues (quatre tranches de 250 MW au fuel) dont on
m’avait dit que, malgré la mise en route du programme nucléaire, elle continuerait à
avoir une activité importante. À ma prise de fonction en septembre 1983 j’ai trouvé
une centrale en arrêt depuis six mois, un personnel complètement déboussolé, mais
dont on avait accru les effectifs pour tenir compte des réductions d’horaire ! J’ai bien
sûr dû adapter l’organisation et les matériels. J’y ai passé neuf ans à me débattre entre
des syndicats très actifs et une direction qui changeait de stratégie tous les ans et
même parfois de mois en mois. Néanmoins j’ai pu faire des choses intéressantes en
recherchant pour le personnel des activités extérieures à la centrale comme par
exemple l’organisation du démarrage de la centrale géothermique de Bouillante en
Guadeloupe.
67
Mais, dans ce contexte, j’ai pu prendre ma retraite (possible contractuellement)
à cinquante-cinq ans, après avoir passé une dernière année à la direction régionale de
Marseille à aider à mettre en place la « nieme
» organisation.
*********
Anecdotes : moi et ma barbe !
Je l’ai fait pousser à l’issue des trad’s.
Aux EOR j’avais fait venir ma petite famille dans un appartement juste en face
de la caserne, naturellement et contrairement au règlement, je la rejoignais tous les
soirs. Au bout de quinze jours le capitaine m’a convoqué pour me dire : « que vous
sortiez tous les soirs je m’en fous, mais un barbu qui franchit la porte tous les soirs
ça se voit ». J’ai bien sûr pu continuer à sortir… mais imberbe !
Comme je la portais à nouveau en arrivant en Algérie le capitaine qui nous a
accueilli m’a regardé et dit : j’ai horreur des « barbouses ». C’était la pleine période
de l’OAS : le lendemain plus de barbe, mais affectation dans un poste très agréable !
Je l’ai fait repousser définitivement en 1965 avec pour mission : « vieillir un
peu » mon apparence vis à vis de mes troupes. Depuis quelques années je la
couperais volontiers pour « rajeunir un peu mon apparence », mais je me heurte à un
veto familial…
****************
68
69
Pilon Maurice DESLOIRE
Je crois que mon parcours doit beaucoup au hasard, à la chance et la sagesse de
mes parents.
Mon père comme mes grands-pères étaient cheminots et plus mécaniciens que
littéraires. J’habitais très près de l’Ecole nationale professionnelle de Chalon-sur-
Saône, bâtiment moderne qui me fascinait ; aussi quand à 11 ans je pouvais entrer en
6ème
au lycée de Chalon-sur-Saône, j’ai préféré rester à l’école primaire. Et l’année
suivante, j’ai tenté et réussi l’examen d’entrée en 4ème
à cette ENP sans bien savoir
quelle serait la suite : brevet industriel ou bac technique/mathématique ; c’est à cette
occasion que j’ai gagné un an dans ma scolarité. Je ne pensais pas aux Arts à cette
époque. Et j’ai eu la chance d’être admis en seconde TM, et surtout d’avoir alors un
professeur de géométrie et mathématiques exceptionnel (M. Labb, infirmier à Verdun
pendant la guerre 14-18) puis de réussir les deux parties du bac « mathématiques et
techniques » et de réussir dans la foulée le concours d’entrée aux Arts-et-Métiers à
Cluny où nous nous sommes tous retrouvés en septembre 1957 et jusqu’à fin juin
1961. Il est évident que ces quatre années avec vous, avec certains professeurs
magistraux (MM. Fontaine, Martin, Cliton, Géminard…) ont contribué à mon
épanouissement, à acquérir de l’assurance et à mon ascension sociale….
En septembre 1961, compte-tenu de mon jeune âge, et pour éviter le long
service militaire en Algérie je me suis inscrit en 3ème
cycle de « métallurgie spéciale »
à l’Université d’Orsay en partenariat avec l’Institut des sciences et techniques
nucléaires de Saclay (INSTN), comme Django, Pollux et Zadig. J’ai obtenu le DEA
correspondant en juin 1962 puis j’ai fait mon travail de thèse de 3ème
cycle au
laboratoire de métallurgie de l’Euratom à Ispra en Italie jusqu’en septembre 1963 où
j’ai bien profité de ma vie de célibataire et des charmes de l’Italie. Mon travail de
thèse de 3ème
cycle a consisté à caractériser le SAP (sintered aluminium powder)
matériau prévu comme enrobage du combustible dans les réacteurs Orgel de
l’Euratom.
J’ai demandé et obtenu de faire mon service militaire comme « scientifique du
contingent » au sein de la Marine nationale, pour un engagement de dix-huit mois,
comme Tésis et le Pilon de la Cl.55. Un mois à Brest sur le Richelieu, deux mois à
Cherbourg sur un dragueur de mines (le Véga), puis quinze mois au CEA/Saclay au
département de propulsion nucléaire où, avec le Pilon de la Cl.55 nous avons travaillé
70
sur le moteur des sous-marins nucléaires. En août 1964, j’ai été envoyé, en mission,
au CEA/Cadarache, où j’ai retrouvé Tésis, pour participer au dépouillement des
mesures de températures lors du premier essai de divergence du « prototype à terre
du moteur du sous-marin nucléaire ». Dans l’espoir d’un détachement aux États-
Unis, début 1965, j’ai été embauché pour trois mois supplémentaires au CEA/
Département de propulsion nucléaire à Saclay
Début juin 1965, ce détachement ne s’étant pas réalisé, j’ai été embauché au
CNES (Centre national d’études spatiales) alors à Brétigny-sur-Orge où j’ai d’abord
travaillé à la section « structure » de la division « satellites », puis à la section
« thermique ». En 1969, il était demandé que presque l’ensemble du CNES se
décentralise à Toulouse et j’ai alors quitté la division « satellites » pour la division
« lanceurs de satellites » qui restait à Brétigny puis Évry. Et je ne regrette pas ce
choix car la division « satellites » était dirigée principalement par des électroniciens
(Supélec) et je ne m’y sentais pas à l’aise, alors que la division « lanceurs de
satellites » était dirigée par des polytechniciens avec centraliens et gadzarts et où j’ai
eu la chance de côtoyer des hommes formidables (MM. Curien, Sillard, d’Allest,
Bigot…)
J’ai alors travaillé en parallèle : sur les améliorations du 2éme
étage du lanceur
Europa 2 –dit Coralie- qui était réalisé et intégré à l’Aérospatiale aux Mureaux et sur
le lanceur français Diamant B-P4 qui était une amélioration du lanceur Diamant B
(2éme
étage P 2,2 P4 tonnes de propergol et coiffe protégeant le satellite offrant un
volume utile plus grand pour celui-ci et provenant du lanceur anglais Black-Arrow
avec quelques adaptations/modifications).
Puis en 1972, étant plus disponible que d’autres collègues (une autre chance) et
avec une petite équipe, j’ai participé très activement à l’étude d’avant-projet d’un
lanceur de substitution à Europa 3, arrêté au niveau européen, d’abord dénommé E3S
(Europa 3 de substitution), puis L3S (lanceur de 3ème
génération de substitution) et
enfin Ariane.
Ce projet a été accepté au niveau européen avec maitrise d’œuvre du CNES en
1973 et j’ai été en charge du développement des structures de ce lanceur ; ces
éléments étaient définis et fabriqués par les différents constructeurs aéronautiques en
Europe et mon travail a principalement consisté à rédiger les règles communes et à
vérifier leur application afin d’assurer l’homogénéité de conception et fabrication des
divers éléments structuraux. En 1978, l’ensemble de ces structures étant alors
qualifiées, je me suis intéressé à l’amélioration du lanceur par adjonction de deux
propulseurs à propergols solides sur le 1er étage et la conception d’un « système de
71
lancement double » (SYLDA) permettant d’emporter deux satellites sous une coiffe
un peu agrandie : j’ai proposé ces améliorations et ceci deviendra le lanceur Ariane 3.
Après le 1er vol réussi du lanceur Ariane 1, le 24 décembre 1979, j’ai été
nommé chef de la division « Études et développements » de la direction des lanceurs
du CNES, division d’une cinquantaine de personnes, principalement ingénieurs,
regroupant toutes les techniques nécessaires à la conception et au dimensionnement
d’un lanceur (optimisation des trajectoires, guidage, pilotage, aérodynamique,
aérothermique, propulsion, électronique embarquée, programme de vol,
dimensionnement structural…) et ainsi avec mon équipe on a participé au
développement des lanceurs Ariane 3 et 4 et à l’étude du projet de lanceur Ariane 5.
(suite au succès du premier lancement d’Ariane, j’ai reçu la médaille de chevalier de
l’Ordre national du mérite des mains d’André Giraud, ministre de l’Industrie).
En 1985, j’ai souhaité travailler sur le projet techniquement très excitant et
complexe de l’avion spatial Hermès : avion avec équipage, qui monté sur Ariane 5
devait rejoindre la station spatiale, y déposer spationautes et fret, puis rentrer sur terre
après un vol hypersonique planant et atterrissage sur une piste. Ce programme était
managé au CNES Toulouse et j’y passais un ou deux jours par semaine. Là, je
retrouvais Guy Bondivenne, Pachy, qui travaillait aussi sur ce programme. Mais ce
programme fut arrêté en 1992 devant la dérive des coûts à achèvement annoncés pour
sa réalisation.
J’ai alors rejoint l’équipe de programme Ariane 5 comme adjoint « Système »
au directeur de programme et ce jusqu’à la fin de ce développement et
l’accomplissement des trois lancements de qualification Ariane5, en 1996 et 1997.
(J’ai reçu alors la médaille de chevalier dans l’ordre de la Légion d’honneur des
mains du Professeur Hubert Curien, ministre de la Recherche).
De 1997 à 2001, j’ai terminé ma carrière au CNES comme directeur technique
de la direction des lanceurs jusqu’à mon départ à la retraite. Au CNES, un accord
syndicat-direction obligeait alors de partir à la retraite dès que le salarié avait soixante
ans et effectué les trimestres requis, ceci pour faire la place aux jeunes.
Comme je me sentais en pleine forme et que ma femme Françoise travaillait
encore, je me suis mis à mon compte en tant qu’expert et j’ai prodigué mes conseils
jusqu’en 2007 :
- à la Société Avio, en Italie près de Rome, pour le développement du petit
lanceur européen Véga,
72
- à Arianespace, à Évry, filiale du CNES pour la production, la
commercialisation et le lancement des lanceurs Ariane de série ; j’étais alors membre
du « Comité technique Ariane », instance d’acceptation pour lancement de chaque
lanceur produit. Notons que le lancement n° 242 vient d’avoir lieu en avril 2018 et
personne n’aurait imaginé en 1973, à l’origine du développement d’Ariane, que l’on
produirait une telle série (le lanceur russe Soyouz a dépassé le cap des 1800
lancements).
Je ne regrette pas cette activité de conseil qui m’a permis de rester en contact
avec le monde aérospatial, de gérer un biseau entre le travail à temps complet et la
retraite à temps complet, et de faire profiter de mon expérience les jeunes
équipes…Et je la conseille fortement .
Pendant ma vie active, j’ai été membre actif du groupe professionnel
« Aéronautique et Espace » de la société des Arts-et-Métiers et depuis ma retraite, j’ai
été membre du Comité de la Soce avec Gérard Périer, Zimir, de 2001 à 2004
(médailles de bronze et médaille d’argent de la société des ingénieurs Arts-et-
Métiers). Puis j’ai œuvré au sein de l’association amicale des Anciens du CNES
comme trésorier, puis président de 2013 à 2016.
Et maintenant promenades, jardinage, voyages et repos…
En conclusion, j’ai eu la chance de travailler au Centre national d’études
spatiales, dans un domaine enthousiasmant, techniquement très motivant et dans une
ambiance très amicale ; j’ai eu des chefs exceptionnels et je suis resté dans leur
sillage, mais je crois que cette chance n’allait pas de soi, j’ai su la saisir.
Je regrette de n’avoir pas postulé pour aller travailler trois ans à Kourou en
Guyane et ainsi vivre la vie opérationnelle des lancements. Et que ma vie
professionnelle ait trop occulté ma vie familiale dans les années 90.
*************************
73
Duo Gérard DUMONT
Sortie de l'École : service militaire quatorze mois en Algérie comme dépanneur
radio, puis quatre mois à l'hôpital de Dijon comme malade-travailleur.
Enfin libre de construire ma vie à partir de mai 1963.
Carrière de juin 1963 à janvier 1995
Deux employeurs :
- juin 1963 à décembre 1969 : CEA, domaine civil, puis domaine militaire.
- décembre 1969 à janvier 1995 : SFICA (Société d’ingénierie du bâtiment et
des infrastructures) - bâtiments tertiaires.
-----------------
Entré au CEA civil dans un service chargé de la conception et de la réalisation
de laboratoires "chauds" en raison des produits radioactifs manipulés. Bâtiments à
l'organisation très spécifique, avec des techniques très adaptées au niveau fluides,
électricité, réseaux d'alarmes et ventilation-filtration. Muté à la Direction des
applications militaires fin 1963 en plein développement de ses centres de recherche,
fabrication, essais : très large variété de problèmes à traiter avec beaucoup d'acquis
techniques. Jusqu'à fin décembre 1967.
Début 68 : cours de formation interne de six mois destiné à une réorientation de
carrière.
De juillet 1968 à décembre 1969 : Direction des fabrications, deux mille
personnes, comme responsable de la préparation et du suivi du budget.
Peu de goût pour le sujet, lassitude et décision de changer d'emploi et de revenir
à une activité opérationnelle.
Je trouve une offre dans « le Monde » le lundi, j’écris, assume deux rendez-vous
et suis embauché dès le jeudi. Je quitte le CEA et ses trente mille employés le
vendredi soir et me lance dans ce nouveau job le lundi matin dans une société
naissante de trente personnes !
C'était çà les Trente Glorieuses, on pouvait choisir son job, se recycler, prendre
des risques…
74
Cette décision a été ma chance professionnelle en entrant dans une petite
structure dont le patron avait du dynamisme, de l'ambition et un talent commercial
exceptionnel. Il faisait confiance et déléguait beaucoup tout en étant intransigeant sur
la qualité du travail et du service et sur la disponibilité.
Je commence par un mouton à cinq pattes : créer un centre informatique dans
un entrepôt. Accumulation des techniques : gros-œuvre, climatisation, électricité,
groupe électrogène, protection incendie et planification par la méthode des graphes
d'une opération à tiroirs, avec quatre cents tâches identifiées.
À partir de là, je n'ai plus aucun doute sur ma vocation : le bâtiment dans ce
qu'il a de plus complexe, le management de projets, la recherche de solutions
techniques, la coordination des intervenants et la direction d'équipes
pluridisciplinaires.
Je pourrai assouvir ma passion sur des projets neufs ou des restructurations
lourdes ou délicates tels que restaurants d'entreprises, extensions de centres
informatiques avec adaptation de tous les supports techniques : poste transfo, groupe
électrogène, onduleur, groupe de froid. Je dirige et développe la partie ingénierie et
maitrise d'œuvre de la société et travaille avec de nombreux architectes et décorateurs
selon les projets.
En 1987 nous figurons au nombre des BET retenus par Disney pour son parc de
Marne-la-Vallée. On nous confie "Main Street" soit l'entrée et toute la rue avec les
commerces, jusqu'au hub de distribution du public vers les différends Lands. Puis
nous décrochons la maitrise d'œuvre de l'hôtel principal, en partage avec un architecte
et un décorateur spécialisés dans l'hôtellerie de luxe. Trois ans de travail intense à
intégrer les exigences de Disney, de ses créatifs et de ses conseils. Recruter une
centaine de spécialistes de tous bords : architectes, gros-œuvre, charpente métallique,
climatisation, électricité, et surtout décorateurs en menuiserie. Ne trouvant pas de
personnel qualifié nous montons un cours de six mois avec l'aide de l'ANPE qui
recrute les profils et de l'école Boule qui forme les candidats retenus. Une expérience
passionnante mais usante.
Je décide d'arrêter de travailler en janvier 1995 et de consacrer mon temps à
mes hobbys en compagnie de mon épouse : sport, marche, course, vélo, chant choral,
lecture et culture personnelle. Création d'un club de scrabble que j'anime et préside
pendant dix ans avec participation régulière aux compétitions locales et nationales.
Passage télé en 2011 sur FR3 « Chiffres et lettres ». Gestion de portefeuilles boursiers
et en particulier pratique régulière des options MONEP. Conseil syndical de la
copropriété de deux cent huit lots pour les aspects travaux et techniques.
*************************
75
Pakou Serge DUPARC
Après la fin de P4, je suis appelé pour vingt-sept mois au service militaire. C'est
la "décantation" de l'esprit, d'abord en France, puis en Algérie, après les "accords
d'Évian".
Libéré en 1962, je m'aventure dans le milieu du travail : une forge. Affublé d'un
pied à coulisse et d'une biaude, je scrute ces zapil's qui font gémir le fer... mais là
n'est pas ma prière. Six mois plus tard, je reprends les études au CHEBAP qui
m'ouvre vers le BTP (bureau de contrôle, entreprises, banques...). Les affaires
tournent, "métro, boulot, dodo". Et puis crise de l'énergie oblige, licenciement
économique : premières Assedic sous Giscard, reprise des études à l'IAE de Paris :
me voici sur les bancs de l'école avec des étudiants de la moitié de mon âge, véritable
remise en cause personnelle.
1978, un choix s'impose : au grand désarroi de mon chasseur de têtes, je rentre
dans l'Éducation nationale à Paris. On me propose de former des élèves en vue de
leur insertion dans les cabinets d'architectes, au programme : architecture, en plus des
secrets de la construction.
L'enseignement ne me lâchera plus puisqu'au-delà de la retraite, je me consacre
actuellement à des actions de soutien scolaire en Haute-Savoie.
*******************
76
77
Pollux – Gros Belou Michel DUPUY
Je n'ai jamais vraiment apprécié l'enseignement du Tabagn's… à part les cours
de Fonfon. Je dois mon amour pour la physique expérimentale depuis la 3ème
grâce à
une prof de physique qui nous enseigna comment Ératosthène (IIIe siècle avant JC)
mesura le diamètre de la Terre avec une précision de 1% à l'aide d'un cadran solaire,
d'une roue de charrette et de quelques dromadaires. Et comment Jean Perrin (début
XXe siècle) détermina le diamètre d'une molécule d'huile avec un compte goutte, une
éprouvette graduée et un double décimètre.
À la sortie de l'École, j'allai à la fac pour passer d'une part le certificat de
métallurgie des matériaux pour le nucléaire (avec Pilon, Zadig et Django d'ailleurs),
et d'autre part un certificat de mécanique quantique.
C'est ainsi qu'en octobre 62, je me suis trouvé en compagnie de deux étudiants
centraliens dans le bureau du chef de la métallurgie du plutonium au CEA-Fontenay-
aux-Roses. Celui-ci disposa sur la table trois sujets de thèse concernant l'étude des
propriétés physiques du combustible des futurs surgénérateurs. Ce combustible
pouvait se présenter sous la forme de trois sortes de mélanges d'uranium et de
plutonium : l'alliage métallique (UPu), le mélange d'oxyde (UO2-PuO2) ou de carbure
(UC-PuC). Il nous a dit "choisissez". Comme aucun d'entre nous n'avait la moindre
idée, on tira au sort et je suis tombé sur le plus mauvais sujet : l'alliage métallique.
Tout le travail se faisait en boîte à gants. Même si l'alliage métallique est le plus
mauvais des candidats pour les surgénérateurs (c'est l'oxyde mixte qui est retenu), je
fus quand même heureux de mettre en évidence un comportement anormal sur le plan
thermodynamique d'une phase du plutonium. Bref, je soutenais ma thèse à Orsay en
juin 68.
Là, je décidai de partir à l'étranger. Et loin ! J'ai trouvé deux labos prêts à
m'accueillir, l'un en Floride, l'autre à l'Université de Melbourne en Australie. Je
choisis ce dernier : contrat de deux ans, voyage aller-retour payé pour moi et ma
famille (Marianne, mon épouse suédoise, et mon fils alors âgé de quatre ans) soit en
avion 2ème
classe, soit en bateau 1ère
classe. En octobre 69, j'embarquai à Gènes sur le
Marconi, un paquebot rempli d'émigrants italiens, pour une traversée d'un mois avec
passage par le cap de Bonne Espérance.
78
L'accueil à l'université fut merveilleux. Piscine à gogo (je nageai un 1500 m
avec des universitaires où je terminai bon dernier), squash, badminton, tournois
d'échecs et… même quelques parties de cricket ! C'est là que l'on réalise qu'il faut
être anglais pour inventer un jeu pareil ! J'avais un statut d'enseignant-chercheur. Mon
rôle était "répétiteur" de cours de métallurgie auprès d'étudiants sympas. Mon sujet de
recherche avait un titre pompeux : "Étude des effets de l'irradiation aux neutrons sur
le phénomène de durcissement structural" !
Nota : le durcissement structural intervient, par exemple, dans l'amélioration
des propriétés mécaniques de l'aluminium par l'ajout de magnésium (duralumin).
Beau sujet. Oui, mais les échantillons n'étaient pas prêts et surtout le réacteur unique
en Australie se trouvait à Sydney soit à mille kilomètres. Pour comble de malchance,
il fut arrêté pendant un an pour améliorer ses performances. Rien ne se passa comme
prévu, mais je m'initiais au maniement d'un microscope électronique, et cela me
servirait par la suite.
En octobre 70 je rentrai, en avion cette fois, mais en faisant des sauts de puce :
Nouvelle Calédonie, trois semaines extraordinaires dans l'ile d'Ouvéa (une des îles de
la Loyauté) dans la tribu des Fayaoués, quelques jours dans les îles Cook, un mois
entre Tahiti (où je rencontrais Moitessier qui arrivait de son 1,5 tour du monde en
solitaire), Moorea et Bora Bora. Et enfin le Mexique (les pyramides Mayas, Acapulco
et ses plongeurs de falaise)… J'arrivai en France en février 1971.
Bien vite, j'eus trois propositions : à Cadarache dans le plutonium, au CNRS à
Meudon et au LETI à Grenoble. Je décidai de changer complètement d'orientation et
intégrai le LETI le 1er avril 1971.
Nota : le LETI (Laboratoire d'électronique et des technologies de l'information
- 700 personnes lors de mon arrivée, 1900 aujourd'hui) dépend du CEA, même s'il a
très peu de rapport avec le nucléaire. Son but est d'être une interface entre la
recherche fondamentale et l'industrie, de réaliser du transfert industriel, puis de
repartir vers de nouveaux sujets innovants pour de nouveaux transferts. Pour chaque
sujet, il doit démontrer une faisabilité par la réalisation d'un démonstrateur et la
réalisation d'une ébauche de production. Ses domaines de prédilection sont très
vastes : la microélectronique tout d'abord, avec la préparation de la prochaine filière
de microprocesseurs ou de mémoires, les capteurs (pression, humidité,
accéléromètre…), les détecteurs (rayons X et surtout infrarouge), lasers solides,
couches minces pour le traitement des optiques… sans compter diverses applications
dans l'instrumentation, la robotique et le spatial… Toute recherche doit se faire en
79
collaboration avec un industriel et l'appui de divers ministères : recherche, industrie,
militaire, santé, sans oublier l'Europe. Par exemple, pour la microélectronique, le
partenaire de choix est ST-Microelectronics.
Dans ce monde de polytechniciens, normaliens, centraliens, supélec,
supoptique… j'étais le seul gadzarts. Mais j'avais une spécificité : je connaissais bien
les matériaux et les techniques d'investigation. Or toutes les technologies sont
concernées par l'élaboration de couches minces que les technologues empilent,
gravent localement, dopent, dans des salles blanches sans poussière. Je développais
donc un service de caractérisation physique de matériaux en couches minces pour
déterminer leurs propriétés physiques, leurs états de surfaces et d'interfaces. La
détection d'impureté à des niveaux parfois bien inférieurs à la ppm (un atome par
million), était un objectif à atteindre. Mon groupe n'a jamais été très nombreux,
quarante personnes tout au plus, mais uniquement des ingénieurs et docteurs ès-
sciences, chacun au top dans son domaine. Chaque technique de caractérisation
possède sa spécificité, avec chaque fois des noms qui ne vont rien dire à la plupart
d'entre vous : TEM, MEB, Auger, ESCA, SIMS, Raman, AFM, Topo X,
réflectométrie RX, ellipsométrie spectroscopique, RBS par Van de Graff,
rayonnement synchrotron…
Pour être efficace, je devais me mettre dans la tête beaucoup de filières
technologiques qui, d'ailleurs, changeaient tout le temps. Je participais à l'élaboration
de beaucoup d'entre elles. En cas de problème, une "analyse de défaillance" était
nécessaire. Parfois, il m'arrivait de faire de l'espionnage. Mais ce mot était banni : je
faisais de "l'analyse de construction". En tant que "secret défense", j'ai connu bien des
dossiers classés dans le domaine des détecteurs infrarouge, des lasers pour guidage de
missile et des fameux circuits électroniques durcis.
Nota : En cas d'attaque thermonucléaire, la microélectronique classique ne
résiste pas au choc électromagnétique. D'où le développement d'une technologie dite
durcie qui, elle, devrait résister. Ainsi, on peut imaginer qu'après une attaque
massive, toute forme de vie disparaisse, mais que des robots subsistent… et
ripostent !
80
Personnellement, j'avais une technique que, contre vents et marées, j'ai continué
d'exercer jusqu'à ma
retraite : la microscopie
électronique en haute
résolution. Plusieurs
fois, je suis allé au Japon
pour tester et acheter des
microscopes. Je présente un
exemple ci- dessous :
L'image représente une interface, vue en coupe, de silicium (en bas) avec son
oxyde thermique (SiO2 - en haut). La maîtrise de cette interface est capitale pour
l'élaboration des transistors MOS de nos microprocesseurs. On distingue
parfaitement les atomes de silicium grâce à l'arrangement périodique de ceux-ci dans
leur structure. Par contre, l'oxyde est amorphe, c'est-à-dire sans arrangement
périodique. A cette interface, on met en évidence une marche atomique. A cette
marche, des liaisons électroniques ne sont pas satisfaites et des électrons se baladent
à l'interface, ce qui est mauvais. A partir de ce genre d'image, on peut proposer aux
technologues une méthode pour résoudre ce problème. Quelques jours avant mon
départ à la retraite, j'ai encore passé une journée entière à "voir des atomes".
81
Au cours de ma carrière au LETI, qui dura vingt-huit ans, j'ai connu pour ce
labo des succès, mais aussi des échecs.
Des échecs tout d'abord. Quelques exemples :
-Le LETI développa une technologie révolutionnaire pour réaliser des têtes de
lecture magnétique de disques durs. Aucun industriel français intéressé. Un ingénieur
créa sa société, SILMAG, près de Grenoble, qui compta bientôt cinq cent cinquante
personnes. Suite au défaut de payement de son principal fournisseur, Samsung pour
ne pas le nommer, elle fut mise en liquidation en 1998.
-La technologie écran plat par LCD fut largement développée au LETI avec la
technique d'affichage dite TFT (Thin film transistors) très en avance pour l'époque.
Elle fut proposée à la Thomson, société française, qui la refusa, préférant sa filière
écran plasma, développée en interne. On connait la suite…
-J'ai aussi été impliqué (de loin), par le développement de l'IRM pour imagerie
médicale. Je m'occupais de la caractérisation des aimants permanents à fort champ
magnétique en fer-néodyme-bore. Un prototype fut réalisé avec la collaboration d'un
neuro-chirurgien grenoblois. Aucun industriel français n'a été intéressé…
Heureusement, il y eut de belles réussites :
-SOITEC fondée par quatre ingénieurs du LETI, elle compte aujourd'hui neuf cents
personnes avec une succursale à Singapour. Elle réalise des substrats de silicium sur
isolant (FD-SOI pour Fully depleted silicon on insulator) utilisés pour la
microélectronique rapide et aussi… durcie (chut !).
-SOFRADIR produit des détecteurs et imageurs infrarouge aussi bien pour les
militaires, le civil et le spatial (cinq cents personnes). Certains de ses imageurs sont
actuellement sur Mars.
Depuis 2000 près de cinquante start-up ont ainsi été créées.
- Et bien sûr : MINATEC, trois mille chercheurs. Je participais à son lancement au
moment de ma retraite en 1988-99. Là on passe d'une technologie à l'échelle du
micron (micro-technologie, microélectronique), à une technologie mille fois plus
petite à l'échelle du nanomètre (nanotechnologie). MINATEC est organisée en
plateformes pouvant accueillir des industriels. Je suis à l'origine de la PFNC (Plate
forme de nano caractérisation). Dans le lien ci-dessous, vous pouvez voir une vidéo.
https://www.minatec.org/fr/recherche/plates-formes-dediees/plate-forme-
nanocaracterisation/
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Au démarrage de MINATEC, juste avant ma retraite, je participais à un
programme complètement fou : la mémoire à un électron. Sa feuille de route
prévoyait une mise sur le marché en 2015. On l'attend toujours !
A mon pot de retraite j'ai, bien sûr, fait un discours.
Mes derniers mots furent ceux-ci :
Pas un matin, en allant au travail, je ne me suis dit : « Qu'est-ce que je vais
m'ennuyer » !
Octobre 1999. La retraite ! Que faire ?
Je commençais par écrire un livre : "L'azur noir". Un roman autobiographique
de trois cent cinquante pages qui fut édité. Il est encore possible de le commander sur
Amazon mais à un prix prohibitif (https://www.amazon.fr/LAzur-noir-Michel-
Dupuy/dp/2748126386) Par la suite, j'ai écrit quelques nouvelles policières. Elles sont
en auto-édition, et l'on peut me passer commande… Plus récemment je me suis
proposé comme régisseur dans des troupes de théâtre amateur. Je m'occupe du son
(bruitage, musique), des décors, réalise les affiches, les flyers, les albums photos… Je
me suis déjà impliqué dans cinq troupes et participé à dix spectacles. Knock de Jules
Romains connut un énorme succès et fut joué quatorze fois. J'ai des projets pour la
saison prochaine.
À la mairie, j'ai lancé avec quatre amis, une action bénévole en informatique.
Nous faisons de la formation avec des cours de différents niveaux. Pour ma part, je
m'occupe principalement du traitement d'images sur Photoshop, et de la sécurité en
informatique. De plus, un matin par semaine, avec un collègue, nous faisons, toujours
à la mairie, des permanences informatiques. Des personnes viennent avec leur
ordinateur portable (pour moi), ou leur tablette (pour mon ami) pour régler leurs
problèmes. Quelques questions récurrentes : mon ordinateur rame, comment ranger
mes photos, faire de la sauvegarde automatique, installer un antivirus gratuit… Nous
avons établi une déontologie pour ne pas faire de la concurrence aux professionnels.
Enfin, j'ai toujours été passionné par l'astrophysique. À Grenoble, nous avons la
chance d'avoir l'UIAD (Université inter-âge du Dauphiné). Là, j'ai donné plusieurs
conférences sur la théorie du Big Bang dans les sections de géologie et des "Amis de
la science". Certains ont pu m'écouter à la Zapatte de Vaison-la-Romaine (2015). Je
fais aussi partie du GAD (Groupe d'astronomie du Dauphiné).
83
Et maintenant, que dire de plus sinon : « Pourvu que ça dure ! »
*******
PS : Pour mon cours de traitement d'images, j'ai réalisé un document. J'ai demandé à
notre ami Mickey de me faire un dessin pour la couverture. Je ne résiste pas au
plaisir de vous le montrer. Le voici :
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K’bri Guy DUVERNE
Dans ce récit qui retrace les grandes étapes de mon parcours, je soulignerai la
manière dont j’ai pu mettre à profit mon bagage de gadzarts et le faire fructifier, ce
qu’il m’a apporté et permis d’entreprendre.
Fort-Trinquet
Après une longue traversée en bateau, de Marseille à Dakar, entrecoupée
d’escales à Palma de Majorque, Alger, Tanger, Casablanca, puis un vol en Nord-Atlas
à partir de Thiès, j’ai atterri comme grenadier voltigeur de 2ème classe dans une
compagnie saharienne en Mauritanie.
Au colonel qui me demandait pourquoi je n’avais pas suivi de peloton, j’ai
répondu que c’était pour venir plus vite ici. Il m’a répondu qu’il s’en souviendrait …
En fait, c’est lui qui s’est souvenu que j’étais ingénieur lorsqu’il m’a chargé d’exercer
les fonctions de responsable du 4ème bureau d’état major chargé des transports. Mes
connaissances en aéronautique m’ont conduit à être prudent car la portance d’un avion
diminue lorsque la température croît.
Je me suis fait des copains chez les aviateurs qui vivaient comme des princes en
comparaison des soldats de l’Infanterie de marine (marsouins).
La chaleur était telle qu’elle soumettait nos cerveaux à rude épreuve et que dans
le mien naquit l’idée un peu folle de construire un réfrigérateur. Le cours de thermo de
Fonfon m’avait marqué et je rêvais de machine à deux sources et du cycle de Carnot.
Grâce aux aviateurs, je pus faire venir un moteur électrique. Mes copains étaient
enthousiastes. Cependant mon projet ne se réalisa pas.
Dakar-Bango
Un télégramme parvint de Dakar demandant la mutation du soldat Duverne à
l’École militaire de Dakar-Bango, à quelques kilomètres de Saint-Louis du Sénégal.
On répondit que c’était impossible ! J’étais devenu indispensable !
Après un échange de télégrammes dont j’étais averti le premier par les gars du
chiffre, mon excellent camarade de Dakar décida que la mutation du soldat Duverne
était un ordre et il le fit signer par le général dont il était le secrétaire. Un groupe très
important de copains accompagna ma jeep jusqu’au terrain d’aviation …
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À Saint-Louis je suis devenu prof de maths jusqu’en première pour des garçons
venus de la quasi totalité des pays africains francophones (certains de mes élèves ont
fait Saint-Cyr). La plupart d’entre eux étaient très bons en sport et j’avais quatre
internationaux en athlétisme ce qui m’a permis d’assister aux jeux de l’Amitié à
Dakar dans des conditions privilégiées. Je suis entré dans le stade dans le car de la
sélection tchadienne non loin d’Eleïndé (2,20m en hauteur avec quelques pas d’élan !)
À l’École, l’ambiance était excellente. Avec mes collègues de la coopération
nous organisions des soirées où les Africains dansaient avec une aisance et une
souplesse étonnantes alors que nous, les Européens, nous hésitions à nous lancer mais
nous étions gentiment invités à nous mêler à la fête. C’était une belle école de
décontraction !
Dans la bibliothèque de l’école j’ai trouvé un livre d’un professeur de
mathématiques à l’université de Louvain : « Les nombres et les espaces ». Le lecteur
y était conduit, dans un langage familier, vers quelques sommets des maths modernes
qui restaient en dehors des programmes habituels. Théorie des nombres, puissances de
l’infini, algèbre très générale, géométrie non-euclidienne, géométrie projective…
J’ai senti alors avec une grande force naître en moi une aspiration vers ces régions
éthérées de l’esprit.
Sainte-Marie de Monceau
Rentré en France, j’ai décidé de m’inscrire à l’École des langues orientales et
d’avoir recours aux maths pour gagner ma vie. D’abord j’ai occupé très brièvement la
fonction de répétiteur pour les pensionnaires de Gerson qui étaient en terminale à
Janson-de-Sailly. Ensuite je suis devenu prof de maths à Sainte-Marie de Monceau.
J’étais tout près de la cathédrale orthodoxe russe de la rue Daru dont le chœur m’avait
ébloui. C’est donc en tremblant un peu que je demandai d’entrer dans la chorale
attenante et l’on m’accepta. Je croyais être au paradis mais il m’a fallu travailler
beaucoup et apprendre par cœur des textes en slavon sans les comprendre. Cela m’a
bien servi en philologie plus tard !
Après mes études à l’École des langues orientales je m’inscrivis en licence de
russe à la Sorbonne tout en prenant des cours particuliers de conversation avec des
Russes pour pouvoir parler. Le certificat de linguistique générale me passionna en
bouleversant mes façons de penser. Plus tard, lorsque je me suis intéressé à la
grammaire générative de Chomsky, ma formation de gadzarts m’a permis de
m’orienter plus facilement dans cet univers proche de la logique.
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En dernière année de licence, j’ai loué une chambre chez les Pères jésuites de
rite oriental de Meudon. J’y ai rencontré des Russes de l’émigration qui avaient
survécu à des épreuves terribles et répétées. L’un d’eux, « oncle Kolia », avait été
l’élève de grands formalistes. Ensuite il fut envoyé au goulag pour trotskisme alors
qu’il préférait Boukharine. Ses récits me donnaient froid dans le dos… Il m’a dit que
ce que décrivait Soljenitsyne dans « Une journée d’Ivan Denissovitch » n’était rien en
comparaison de ce qu’il avait connu. Après le camp, il était resté quelque temps en
résidence surveillée à Tachkent. Rentré en Russie ce fut pour connaître un camp
allemand. Finalement libéré par les Américains, il est venu en France. Il connaissait
admirablement la poésie russe et me récitait de longs poèmes avec parfois des larmes
dans les yeux. Je l’écoutais pendant de longues heures et je rêvais souvent dans un
russe excellent… Je lui dois énormément.
Deux autres personnes m’ont également profondément marqué. Nadièjda
Aleksiéèvna d’abord, une ancienne aristocrate qui avait servi le thé à la tsarine à
l’Institut des jeunes filles nobles de Saint-Pétersbourg. Elle parlait parfaitement cinq
langues. Plus tard, comme Anna Akhmatova, elle avait vécu son propre « Requiem »
et son mari était mort dans le train qui l’emmenait au goulag. Comme si cela ne
suffisait pas, elle était passée dans un camp nazi où elle avait perdu la trace de ses
enfants. Ensuite j’ai éprouvé une affection particulière pour une Arménienne de
culture russe. Elle était passée par Constantinople et Berlin… J’étais son petit-fils.
Après la licence j’ai écrit ma maîtrise sur le personnage du diable dans le
« Maître et Marguerite » de Boulgakov.
À cette époque j’ai eu la chance et le bonheur de faire du théâtre. Nous avions
constitué un groupe autour de Gerry Gischia dont le mari, peintre connu de l’École de
Paris était décorateur de Jean Vilar au TNP. Ils avaient été proches de Gérard Philippe.
Malheureusement j’ai dû abandonner et lâcher mes amis au moment de jouer Médée
d’Euripide pour passer l’agrégation et devenir fonctionnaire ! Ils n’ont pas du tout
compris car ils prétendaient que j’avais du talent…
Après l’agrégation j’ai fait la connaissance de Geneviève à Meudon où elle
perfectionnait son russe. Je partais pour Leningrad avec une bourse des Affaires
étrangères. A l’époque Paris-Moscou par le train durait quarante-huit heures. La Ruhr
m’a impressionné. J’ai reçu une bonne douzaine de coups de tampon en traversant
l’Allemagne de l’Est. À Varsovie j’ai visité la place du Marché reconstruite. À Brest-
Litovsk notre train a stationné deux ou trois heures, le temps d’écarter les essieux pour
les mettre à 1,52 m (au lieu de 1,435). Je suis donc entré en Union Soviétique par une
salle d’attente, en pleine nuit. Ensuite ce fut Victor Hugo : « Après la plaine blanche
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une autre plaine blanche », Tolstoï et Borodino puis la Grande guerre patriotique avec
Mojaïsk et la chaussée de Volokolamsk. Enfin j’ai pu découvrir les clochers du
Kremlin mais ce n’était pas du Mont des Moineaux !
À Leningrad (aujourd’hui Saint-Pétersbourg) j’ai fait de la recherche. J’ai trouvé
aussi une place de figurant à l’opéra Kirov où j’ai tenu ma modeste place dans Boris
Godounov (plusieurs fois), le Prince Igor (cinq fois), Guerre et paix de Prokofiev,
Aïda, etc… Mon goût pour l’opéra l’avait emporté sur d’autres considérations.
Au cours de mon séjour en URSS j’ai eu la chance de pouvoir visiter une partie
de l’Asie centrale et du Caucase. Quels magnifiques souvenirs. Mon retour s’est fait
en avion jusqu’à Odessa et ensuite par bateau avec des escales à Istambul, Athènes,
Naples (Pompeï), Gênes et Marseille. Ainsi se bouclait mon tour d’Europe des
Vikings.
J’ai retrouvé Geneviève qui était interprète chez « Saut du Tarn » près d’Albi.
On y fabriquait des vannes pour les gazoducs de l’Union soviétique.
Nous nous sommes mariés. Elle était prête à me suivre à Saint-Flour mais elle a
dû se contenter d’Orléans où j’étais nommé au lycée de la Source avec une classe
prépa-commerce.
Prof de russe
J’ai toujours enseigné avec plaisir sans trop me soucier des théories
pédagogiques fumeuses et contradictoires (ça n’a pas changé !) que nous aurions dû
appliquer. Les relations avec mes élèves ont toujours été excellentes et je me souviens
de grands moments. Une fois, la veille des vacances de Noël, alors que personne
n’avait envie de travailler, j’ai lu à l’une de mes classes le « Journal d’un fou » de
Gogol. Au début tout le monde riait mais à la fin nombreux étaient ceux qui pleuraient
ou étaient devenus pâles comme des morts…
Avec l’un de mes collègues j’ai beaucoup couru et fait de grandes chevauchées
à bicyclette. Une fois nous avons roulé pendant cinq jours en passant par le rougier de
Camarès, le causse du Larzac, le mont Aigoual, les gorges du Tarn, le Lévézou et
Carmaux.
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Cours au CNRS
Les cours de langue que j’ai donnés au CNRS m’ont beaucoup apporté. J’avais
aussi des élèves du BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières) et de
l’INRA (Institut National de la Recherche Agronomique). Cela m’a amené à traduire
un certain nombre d’articles scientifiques et il m’est arrivé d’être interprète lors de
conférences données dans le cadre de la coopération franco-russe dans les domaines
de l’espace et de la physique de l’environnement. Les liens d’amitié que j’ai noués
avec certains chercheurs restent très vivants.
Temps libre
Disposant de temps libre j’ai pu m’occuper de mes enfants et suivre en
particulier leur formation musicale. Tous les trois ont fait le conservatoire : deux en
piano et une en violon (ma mère était violoniste).
Notre fils Guillaume a intégré la chorale Sainte-Croix pour adultes et enfants. Il
n’avait pas encore neuf ans mais trois mois plus tard il partait pour une tournée en
Norvège dont il nous parle encore. Bientôt je l’ai rejoint à Sainte-Croix. Cela en valait
la peine car nous sommes allés chanter en Roumanie (juste après la mort de
Ceausescu), en Allemagne, en Hollande, au Danemark, en Italie, en Grèce …Je me
suis remis au piano et j’ai suivi des cours.
Strasbourg
Cependant l’enseignement du russe déclinait régulièrement. Je n’avais plus
assez d’élèves et je me suis résolu à accepter le poste que l’on me proposait à l’École
interarmes des langues de Strasbourg. J’y ai donné des cours à des officiers, à des
sous-officiers et à des attachés militaires en stage.
Je me souviens de longues conversations avec un ancien pilote de chasse et avec
un ex-sous-marinier. Nous avons traduit ensemble plusieurs passages d’ « Octobre
Rouge » dont j’avais une traduction en russe. Ces petits jeux de cache-cache sous les
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mers comportent un aspect technique très sophistiqué et la détection la plus rapide
possible de la signature acoustique de l’adversaire y joue un rôle capital.
À Strasbourg j’ai enseigné le russe et l’histoire. Celle des Balkans notamment
m’a passionné mais il faut une bonne dose de patience pour s’y retrouver.
Je me suis aussi beaucoup intéressé aux Khazars qui ont régné sur les steppes
depuis la Caspienne jusqu’à la Crimée du VIème
au Xème
siècle. Ce furent de grands
alliés de Byzance dans sa lutte contre les Arabes. L’un de leurs khans se convertit au
judaïsme.
Le « Dictionnaire khazar» de Milorad Pavic raconte cet épisode de leur histoire
d’après des sources chrétiennes, islamiques et hébraïques. C’est un récit fantastique
qui, d’après ce que prétend son auteur, ravira surtout le lecteur heureux qui pourra le
dévorer en utilisant l’œil droit comme une fourchette, l’œil gauche comme un couteau
et en jetant les os par dessus son épaule. C’est un livre ouvert même quand on le
referme.
Retraite
J’ai pris ma retraite en 2000. Nous avons quitté Orléans où Geneviève refusait
de rester plus longtemps pour nous installer dans son cher Tarn.
Nous sommes aujourd’hui une famille de dix-sept personnes dont neuf petits-
enfants qui font notre bonheur. Pendant les vacances, la maison est pleine de leurs
rires et de leurs chamailleries.
Nous avons une grande maison qui n’aura jamais fini d’être restaurée et nous
occupe beaucoup ainsi que le jardin. Je partage le reste de mon temps entre le chant
dans un chœur baroque à Cordes qui compte plusieurs Britanniques et Hollandais, le
piano et la lecture… Je marche aussi …
Depuis un an Geneviève a peu à peu retrouvé sa vitalité et nous faisons de
nouveau des projets.
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P'cass – le Brésilien Alain FEUGIER
Une vie bien remplie
Ce parcours industriel émane de ses archives informatiques, je vous le livre
puisqu'il nous a quittés en mai 2016.
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Mon aventure industrielle
Pur produit de l’enseignement technique – et fier de l’être – issu, bac
mathématiques et technique en poche, de ce qu’on appelait autrefois dans les
années 50/60 « Collège », devenu aujourd’hui lycée Carnot à Roanne (42), j’intègre
en 1957 l’École nationale supérieure des Arts et Métiers au centre régional de
Cluny (71) avec pour objectif, non pas de « décrocher la Lune », mais un diplôme
d’ingénieur et intégrer, à l’issue de la dernière année d’études accomplie à Paris, la
grande famille des gadzarts.
Ce furent quatre années d’études à la fois exigeantes mais aussi exaltantes,
riches d’expériences multiples et enrichissantes :
- découverte des mille ans d’histoire de l’abbaye de Cluny, des deux cents
ans de vie de la communauté gadzarts,
- apprentissage de la vie et du travail en groupe,
- créations techniques et artistiques,
- maitrise, du moins le croyait-on, de la matière,
- apprentissage de l’effort au travers de la pratique de sports collectifs,
- rencontre d’une élève infirmière,
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En ce temps-là nous ne cherchions pas à « poursuivre » nos études… aussi
endossais-je, dès le 2 février 1962, l’uniforme de l’armée de l’air, inquiet à l’idée de
me retrouver en Algérie où la guerre faisait des ravages. Je fus de la première
promotion d’EOR (École des officiers de réserve) qui échappa à cette corvée et me
retrouvais, pour dix-huit mois, sous-lieutenant affecté au contrôle aérien à la station
radar de Lyon-Satolas, aujourd’hui émigrée au sein du Mont-Verdun, pour faire place
à l’aéroport international de Lyon-Satolas, devenu Saint-Éxupéry.
Cheminement industriel
Septembre 1963 voit mes débuts dans l’industrie. Nous n’avions, à cette
époque, pas de grandes difficultés pour trouver chaussure à notre pied. J’intègre
résolument chez le premier constructeur français de matériels de travaux publics :
la société RICHIER, aujourd’hui disparue.
Trois souvenirs émergent de cette première expérience :
- mai 68, je me retrouve haranguant la foule sur le capot des voitures aux
portes de l’usine RICHIER de Lyon-Gerland. Cinq semaines d’occupation
d’usine vous amènent à vous remettre en cause, à vous poser des questions, à
fonder un syndicat de cadres.
- dans la pagaille quotidienne induite par le mouvement social, un
événement heureux, la naissance d’Olivier. Me voici courant les bistrots du
quartier à la recherche de bouteilles d’eau d’Évian pour ce nouveau
contestataire.
- l’apparition des premiers ordinateurs de gestion de la série IBM 360
nécessitant un local de 100 m² avec air conditionné, qui aujourd’hui en 2011
seraient accueillis sans difficulté dans une poche de veste !
Le réalisme, en relation directe avec l’effondrement de RICHIER, le désir de
découvrir d’autres paysages, font, qu’en septembre 1971, j’entre chez BSN dirigé
par un des grands patrons français, Antoine RIBOUD, au sein de la branche
« Emballage ». Je deviens responsable du service « Organisation-formation » du
département « Bouteilles et pots ».
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Mon champ d’action se compose de sept usines réparties sur le territoire
français, rassemblant environ quatre mille personnes. Me voilà transformé en
véritable pigeon voyageur, allant de trains en aéroports, sillonnant la France du
Nord au Sud et de l’Est en Ouest. De cette époque date ma passion pour la
formation. La loi de juillet 1971 en faisait une obligation pour les entreprises de
plus de cinquante salariés.
Que d’images extraordinaires resurgissent :
- les grands-messes au centre de formation de BSN à Saint-Andéol-le
Château, près de Givors, dans l’ancienne propriété de la famille de Marie
Souchon, tante d’Antoine Riboud, clôturées par Antoine Riboud débarquant
en hélicoptère sur la pelouse du parc !
- la transformation de l’usine de verre plat de Wingles dans le Nord, en
usine de bouteilles dans laquelle nous avons innové en matière
d’organisation, mettant en place des groupes autonomes de production.
- la reconversion du personnel de l’usine de Rive-de-Gier (42) en
transformant une ancienne usine textile – aujourd’hui, occupée pour partie
par le lycée hôtelier de Saint-Chamond (42) – en usine de fabrication de
citernes en stratifié dont j’assure la direction.
- octobre 1978 : le hasard des rencontres dans un avion, m’amène à
répondre favorablement à la sollicitation d’un ancien collègue de BSN-
Gervais-Danone, devenu DRH chez POTAIN, premier constructeur mondial
de grues à tour, qui me propose un poste de direction d’usine.
- retrouver un domaine de compétences ainsi que de nombreux anciens de
chez RICHIER, trouver réponse à mes aspirations personnelles… je fais le
grand saut.
- après une courte période d’adaptation, je suis nommé directeur de la
gestion de production du groupe POTAIN avec pour mission le
développement de celle-ci et l’utilisation de l’outil informatique dans
l’ensemble du Groupe.
- ensuite je deviens directeur de l’usine de La Clayette, fabrication
mécanique générale, de celle à Jassans, fabrication de ponts roulants et
portiques, et gestionnaire du magasin des pièces de rechange à Villeurbanne.
- la crise économique du bâtiment en 1984 me vaut la lourde
responsabilité d’élaborer deux plans successifs de licenciements. Cent soixante
dix noms à trouver… une véritable descente aux enfers ! Pour achever ce
parcours infernal, je suis remercié brutalement un soir de juillet 1987, avec
mon PDG, par le nouveau pouvoir qui contrôle désormais la Société.
94
- être chômeur, se sentir exclu du système social, avoir le sentiment de ne plus
appartenir à la cité, fût un moment très difficile à vivre. Pourtant je n’étais pas sur
la paille, j’avais un pécule de trente-six mois de salaire devant moi.
- j’entamais une véritable course contre la montre. Je refais surface en janvier
1988, en intégrant le service prévention de la CRAM Rhône-Alpes (Caisse
Régionale d’Assurance Maladie) en tant que responsable du département
formation, grâce à mon ami Maurice Nivon - Sinus - de la Cl 57, qui plus est de la
même boquette !
- se battre pour une certaine idée de l’homme au travail, pour la promotion de
la maîtrise des risques dans l’enseignement professionnel, aux cotés de l’Éducation
nationale, dans les lycées professionnels des académies de Lyon, Grenoble, La
Réunion. Action qui me valu la double reconnaissance, d’une part de l’INRS
(Institut National de Recherche et de Sécurité) par l’attribution exceptionnelle de
la médaille de l’institution, d’autre part de l’Éducation nationale par l’attribution
de la croix de Chevalier dans l’ordre national des Palmes académiques, rarement
décerné à une personne ne faisant pas partie de l’institution.
**********
Je crois, malgré tout, que la vie de certains hommes ne se résume pas à leur
vie professionnelle et que selon leur personnalité elle peut s'étendre à une vie
sociale au sein de leur agglomération, ce qui fut le cas d'Alain de façon intense
(voir les K'nards précédents).
Il serait dommage que je ne fasse pas paraitre ici, sa volonté de faire vivre et
actualiser les traditions au sein de la famille 17 qu'il a suivie depuis la sortie de
l'École.
Ainsi son implication dans tous ces domaines dura plus de quarante-cinq ans.
Au soir de sa vie, à l'énoncé de sa profession : ingénieur des Arts et Métiers, il
lui fut répondu de la bouche de ses médecins :
"Les gadzarts, les ingénieurs qui savent tout faire !"
Ce fut un bel hommage.
Claude
********************
95
Tésis Gilbert GAILLOT
Entré à l'ENP de Voiron dès la 4 ème
pour suivre l'enseignement technique, choix
non discutable de mon père Compagnon menuisier du Devoir et "Un des Meilleurs
Ouvriers de France", j'en suis sorti par la porte du haut qui s'ouvrait sur les Arts et
Métiers. Rien de prémédité ni de souhaité !
Trois ans à Cluny où j'ai assez bien réussi et un an de rêve à Paris, enfin la vie
ouverte !
Diplômé à vingt-et-un ans, pas encore tout à fait mûr, je n'étais prêt ni à entrer
dans la vie professionnelle ni à partir "sous les drapeaux".
Mon projet était le MBA d'Harvard mais je n'ai pas trouvé le "sponsor" désireux
de m'offrir les deux ans de Sciences Po imposés par le comité de sélection français.
Par contre Supélec était accessible et j'ai choisi comme "sponsor" TRT,
entreprise du groupe Philips, qui me garantissait un poste d'ingénieur dans le
développement de matériel aéronautique embarqué, consolation pour celui qui,
"passionné" d'aviation, constate qu'il est myope, astigmate et daltonien !
Dès mon deuxième diplôme en poche, un service national de rêve : un mois de
vacances à Brest pour apprendre à faire le marin, deux mois d'embarquement à
Toulon à bord du sous-marin Doris et quinze mois à Cadarache comme ingénieur au
SEPN en charge de l'intégration et de la mise au point des auxiliaires électriques
principaux (pompes primaires et convertisseur réversible continu-alternatif) du PAT
(prototype à terre) pour les futurs sous-marins nucléaires.
C'est aussi l'occasion de prendre mes premières leçons de pilotage d'avion sur le
terrain de Vinon.
Puis entrée dans la vie professionnelle à TRT dans le service « radio-
altimètres » où , en plus du suivi technique des équipements déjà en service dans les
compagnies aériennes et l'armée de l'air, je suis très rapidement chargé de mener
successivement deux projets majeurs : adaptation du modèle courant (AHV3) aux
spécifications ultra-sévères imposées par Sud-Aviation pour le Concorde (AHV4) et
autre adaptation du modèle courant pour répondre aux nouvelles normes
d'encombrement imposées par l'aviation civile internationale (AHV5).
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Dans les deux cas je suis allé de la conception des adaptations à la certification
des prototypes, avec une prédilection pour les vols d'essai effectués en avion et
hélicoptère au CEV de Brétigny, à Toulouse et Marignane (en définitive c'est l'AHV5
qui a équipé tous les Concorde de série français et anglais).
Une telle responsabilité donnée à un ingénieur débutant est aujourd'hui
inconcevable.
Pendant cette période, un voyage en Yougoslavie, Hongrie et Autriche avec
Rexy, Pilon, Djin, Duo et cinq jeunes filles me donne l'opportunité de faire la
connaissance de Nicole qui séduite par le confort de la R16 rouge que je conduis ne
me quitte pas ! Une seule solution, la "marier", ce qui fût fait quelques mois plus
tard !
Puis première rupture, mon grand chef ne tient pas sa promesse d'évolution, je
démissionne, appelé par les sirènes du "Plan Calcul" voulu par le Général.
Un an dans la pétaudière de la CII (Compagnie internationale pour
l'informatique) me calme et je rejoins mon ancien chef direct de TRT chez BENSON,
comme chef du service électronique, rapidement chargé de concevoir et développer
un traceur électronique (dessin informatique projeté sur un film 35mm par un tube
cathodique), premier modèle européen, plus performant que le concurrent américain,
présenté en fonctionnement au Sicob 1969.
Le PDG me surveille avec méfiance, je démissionne et saute dans le vide (pas
très risqué à cette époque) marié et père de deux enfants.
Très rapidement recruté par Philips au sein de la division nouvellement créée
"Data Systems", j'intègre, en tant que responsable HSE "Hardware System
Engineering", l'équipe projet international en charge de concevoir la famille
d'ordinateurs industriels que Philips a décidé de mettre sur le marché mondial.
Rapidement promu chef de service puis chef du département industrialisation
j'ai en charge la conception et les études "matériel (packaging et connectique)", la
réalisation des prototypes, les méthodes de fabrication et de test, la CAO, les prix de
revient et l'organisation industrielle.
Neuf années d'une vie professionnelle riche et intense où j'ai appris et pratiqué
ce qu'est l'organisation au sein d'une multinationale aux méthodes et au savoir-faire
éprouvés.
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Ce passage est aussi marqué par une courte séquence "UNIDATA" lorsque CII,
SIEMENS et PHILIPS ont tenté de s'unir pour créer un groupe informatique
européen. J'y ai laissé des traces sans suites dans la conception du packaging, de la
connectique et de l'esthétique des systèmes !
À près de quarante ans, heureux père de trois enfants, l'air de la région
parisienne commence à nous peser, les retours de la forêt de Fontainebleau à trois
heures de l'après-midi pour passer avant la meute sont lassants, le poste qui décrit
mon profil me passe sous les yeux lors d'un apéritif chez des amis : candidature
immédiate, réponse quasi instantanée et nous voilà partis pour Lyon.
Au sein du groupe suisse BROWN-BOVERI, je prends la direction d'usine et de
production des matériels électroniques de la division industrielle de la CEM. Nous
fabriquons des produits électroniques et assemblons des systèmes d'entraînement
(variateurs de vitesse et moteurs associés) de 1 à 5000 kW pour des applications
variées allant des machines-outils aux laminoirs en passant par les téléphériques et les
remontées mécaniques pour un marché mondial.
L’environnement syndical est fort…
Une dernière réorganisation me propulse comme Directeur de division (deux
cents personnes) en charge de développer, fabriquer et vendre des sous-ensembles
électroniques : variateurs de vitesse pour machine outils et robots, centrales de
régulation pour le chauffage des immeubles, calculateurs embarqués pour la gestion
des véhicules de transport en commun... et de produire les systèmes à dominante
électronique pour les autres divisions.
En 1983, BBC décide d'abandonner CEM que l'organisation de la production
d'équipements électriques pour le nucléaire décidée par Giscard a laissée exsangue
(un seul fournisseur en France : Alsthom). Ma division doit être reprise par Alsthom
qui va la regrouper avec son activité en région parisienne. Veto de la famille et
occasion de faire le point.
Dix-huit ans de carrière dans l'industrie, principalement dans deux
multinationales, des projets passionnants, des responsabilités significatives mais une
prise de conscience : je ne suis pas totalement construit pour être un "patron" : trop
"gentil" !
Au même moment une porte s'ouvre pour intégrer en temps que consultant
senior le cabinet américain leader mondial du domaine Gestion des ressources
humaines "HAY Group -1200 consultants installés dans tous les pays développés".
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Je ne découvre pas le métier de consultant, que mes responsabilités précédentes
m'ont fait apprécier en temps que client, mais rapidement je "m'éclate".
Des clients de toutes tailles (multinationales américaines et européennes,
groupes français présents sur le marché mondial, PME dans presque tous les
domaines d'activité), un savoir-faire et une méthodologie en béton-armé, m'ont
permis de découvrir d'autres mondes que celui de l'électronique, et d'autres métiers
que ceux liés à la technique, avec une totale liberté d'action : trouver des clients et
répondre à leur besoin dans le cadre du savoir-faire de HAY, faire des factures en
respectant les objectifs de rentabilité et s'assurer qu'elles sont payées !
Quatre années d'une vie trépidante, un des tous premiers IBM PC sur mon
bureau dès 1983 (mes premiers "vols" sur Flight Simulator 2 datent de cette époque),
plus un PC portatif Olivetti (8kg) pour travailler directement chez les clients.
Puis HAY est racheté par le Groupe de publicité Saatchi et Saatchi, les objectifs
de chiffre d'affaires et marge déjà très élevés deviennent délirants et dans le cadre
d'une restructuration de l'activité des bureaux régionaux on veut me spécialiser et me
contrôler ! C'est trop !
Il faut repartir rapidement, le patron d'un cabinet lyonnais de « Chasseur de
têtes » ou « Executive Search » me propose d'entrer dans cette voie, fort de mon
expérience chez HAY et de mon carnet d'adresses de clients potentiels, dans des
conditions salariales particulières : salaire intégralement variable en fonction du
chiffre d'affaires facturé et payé.
Des débuts faciles (le premier candidat que j'ai recruté est encore en poste
depuis trente ans dans la même usine qui a changé trois fois de propriétaire !), la suite
plus compliquée et il faut deux ans pour atteindre un régime de croisière.
Il est temps de voir ailleurs et je "passe" au sein du cabinet Alexandre TIC pour
créer à Lyon l'activité « Top Search » exclusivement consacrée à la recherche par
approche directe de cadres supérieurs ou dirigeants.
Tout marche parfaitement bien mais, soucieux de préparer sa retraite, le patron
vend la société au groupe ECCO qui fort de son "expérience" met en place le contrôle
de l'activité des consultants seniors basé sur le modèle de celui des chefs d'agence
d'intérim : insupportable ! Il est temps de prendre ma liberté et avec deux collègues
nous décidons de créer notre propre cabinet de conseil en recrutement « Moving
Conseil ».
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En pleine période de la première guerre du Golfe le décollage est difficile mais
réussi grâce la fidélité des clients qui ont choisi de nous suivre.
Enfin la "vraie vie libre", dans une structure où nous sommes cinq dont mes
deux associées et deux secrétaires, un bureau au bord de la Saône pour voir passer les
trains et les bateaux et une activité régulièrement soutenue, basée sur la qualité de nos
prestations et la fidélité de nos clients dans de nombreux domaines d'activité sur toute
la France.
Octobre 2001, cent soixante trimestres de cotisation, lassitude de rechercher des
nouveaux clients, il est temps de vivre la "retraite" sans pour autant s'arrêter de
"produire".
Je propose mes services au pôle Carrières de la Soce qui me rit au nez : un
provincial, tu plaisantes ! et au groupe de Lyon où pendant huit ans je serai l’un des
animateurs d'Emploi-carrières, mettant en œuvre ma connaissance du marché de
l'emploi en Rhône-Alpes et des réalités du processus de recrutement dans les
entreprises de toutes tailles.
Beaucoup de belles rencontres avec des gadzarts jeunes et plus âgés jusqu'au
constat : mes interlocuteurs m'entendent souvent avec intérêt mais je n'ai plus la
preuve qu'ils m'écoutent.
À soixante-dix ans il est temps de laisser la place aux jeunes.
En parallèle avec la fin de mon activité professionnelle et le début de ma retraite
un engagement associatif bénévole pendant huit ans comme membre du bureau puis
vice-président de Messidor (cinq cents personnes, huit établissements), association
pour l'insertion de travailleurs handicapés mentaux.
Le projet était de prendre à terme la présidence de l'association créée par un
collègue et ami ancien de HAY, mais je n'ai pas poursuivi, n'étant pas, à mon avis,
suffisamment compétent dans le domaine.
À la retraite, l'emploi du temps enfin libéré, il est temps de revenir à mes
ambitions initiales, passer le brevet de pilote d'avion (PPL) pour promener ma petite
famille. Grâce à la compréhension du médecin contrôleur j'obtiens l'accord médical,
prend toutes les leçons qu'il faut pour être "lâché" et obtenir le "Brevet de base".
J'arrête ma carrière de pilote actif le jour même car il n'est pas raisonnable de
continuer avec une vue aussi déficiente.
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Le « Flight Simulator » est ma solution et j'ai maintenant, sur cet outil assez
sophistiqué, plus de deux mille heures de "vol", ayant installé successivement toutes
les versions de 2 à X.
En résumé, un parcours très diversifié et plutôt riche (pas trop en euros !)
marqué par le souci constant de ne jamais se laisser enfermer, de ne pas supporter les
chefs médiocres, et de profiter de toutes les opportunités et rencontres pour
apprendre.
Et, soixante ans après, la fierté d'être gadzarts.
Maintenant, avec une épouse très active, des petits-enfants qui ont grandi, une
responsabilité élargie pour la promo, un réseau d'amis large et solide, un peu de vélo
pour la forme et le plaisir, de nombreuses balades autour de Lyon et dans le Jura, des
sorties pour les spectacles, des voyages jamais assez nombreux, le Flight Simulator
toujours actif, une connaissance assez approfondie des cinq cents réseaux de tramway
de la planète, pas de quoi m'ennuyer !
******************
101
Jacky Jacques GIELLY
L’origine de ma famille est essentiellement Rhône-alpine. Mon père, Robert, né
à Genève, vécut une partie de sa jeunesse à Lucinges (Haute-Savoie), et ma mère
Marguerite naquit et vécut à La Verpillière (Isère). Mes parents se marièrent à Lyon,
j’y naquis en 1939, suivant mon frère Michel, né lui en 1936. Nous habitâmes au pied
de la colline de la Croix-Rousse, non loin de la place des Terreaux, plus précisément
rue Terraille.
Mon père eut pour père Émile, être fantasque que j’ai peu connu. Celui-ci
possédait une petite affaire de mécanique, travaillant en sous-traitance ou à façon,
mais développant et commercialisant aussi quelques inventions issues de son
imagination. Tout naturellement il aiguilla mon père vers des études techniques,
lequel devint breveté à l’ENP de Voiron.
Ma mère eut pour parents Michel, essayeur de véhicules lourds chez Berliet
(que je ne connus pas, car décédé en 1924), et Francine – dite Cocotte – que je ne
connus qu’à La Verpillière, qui nous fournissait en volailles, lapins, et légumes, et
que je vis souvent à l’œuvre dans la réalisation des voilettes en tulle, sur lesquelles
elle déposait des « monches » s’organisant en dessins variés. Marguerite termina ses
études en école supérieure, en secrétariat et comptabilité.
Diplômes en poche, Marguerite entra aux papeteries Navarre où elle resta de
nombreuses années, tandis que Robert travailla pour divers employeurs dans le
secteur de la mécanique de précision ; ayant connu le travail artisanal, il décida de se
« mettre à son compte » et fonda sa petite entreprise, aidé par Marguerite pour les
activités de bureau.
Il commença seul par des activités de reconditionnement de moteurs –
essentiellement de motos – par réalésage des cylindres, poses de chemises, et
réparations de carburateurs. Progressivement son champ d’action augmenta,
nécessitant des embauches de personnel. Vers mes dix-douze ans, il était à la tête
d’une douzaine de compagnons, et d’un parc de machines outils spécifiques à
l’élaboration de dispositifs complexes et de prototypes, pour les industries chimiques
et textiles principalement.
C’est dans ce cadre que je grandis.
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Après des études en maternelle et en primaire à l’école Michel Servet, située à
l’entrée du tunnel de la Croix-Rousse côté Rhône, je ne rêvais que de mécanique.
Mon père visait pour moi l’ENP de Voiron, et ma mère l’ENP de Lyon (La
Martinière). Étant encore jeune, je fis une année dans un cours complémentaire rue
Pierre Corneille, sous la houlette de Monsieur Bornand, et fus admis à… l’ENP de
Voiron.
À 12 ans, je connus l’internat, l’isolement, les balades à N.D. de La Vouise le
dimanche, mais aussi une camaraderie nouvelle, des profs différents pour chaque
matière, et fis deux grandes découvertes : d’abord l’italien que je pris en seconde
langue, et qui me séduisit, et le rugby que je pratiquais le jeudi après-midi.
Hélas, à la suite d’un évènement rocambolesque – que je vous narrerais en
annexe si j’en ai le temps et qui se termina par mon exclusion pour huit jours, je ne
voulus pas reprendre les cours à la rentrée de Noël. Marguerite vola à mon secours, et
contre l’avis de Robert, elle me retira de Voiron. Elle s’arrangea pour que je fusse
repris rue Pierre Corneille. J’y terminais l’année, présentant un dossier pour une
admission en 3éme
à La Martinière, où je fus admis.
J’effectuais cette 3éme
année aux Augustins (Terreaux) découvrant de nouvelles
disciplines comme la chimie et la physique, mais aussi diverses activités d’atelier qui
m’étaient inconnues. Puis j’entrais dans la filière Technique-mathématiques, située
aux Minimes, où je passais quatre ans. Habitant le cœur de Lyon, j’y fus toujours
externe. L’enseignement que nous reçûmes alors, fut de grande qualité dans la
majorité des disciplines, en particulier en math par M. Raudrand, en chimie par M.
Canet, et en français et économie par M. Sansevy.
Durant cette période de l’enfance et de l’adolescence, lors des longues vacances
et outre les périodes consacrées aux loisirs, j’eus l’occasion de découvrir le monde du
travail : à Lucinges, chez les grands-tantes et grand-oncle, les travaux des champs, les
moissons, l’entretien du bétail ou la cueillette des fruits ; à La Verpillière, le jardinage
et les vendanges (eh oui !) ; toutes activités souvent faites en coopération avec les
voisins, auxquels la pareille était rendue. Mais je découvris surtout le monde ouvrier
dans les ateliers successifs de mon père ; j’y ai occupé successivement, durant des
périodes variant de une à quatre semaines, des activités d’arpette pour le nettoyage,
de finisseur pour le polissage ou l’ébavurage des pièces terminées, l’exécution de
séries aux machines outils, (tour, fraiseuse et rectifieuse). Je compris ce qu’était la
dépendance et la hiérarchie, lorsque j’eus besoin d’un outilleur ou d’un régleur pour
préparer le travail. Je fus dès lors admis comme « collègue », et non plus comme
« fils du patron ». Il faut dire qu’à l’époque, un certain paternalisme régnait, et qu’il
n’était pas rare que nous prîmes l’apéritif ensemble, en fin de semaine.
103
Revenons aux études. J’étais un élève sérieux et consciencieux, mais parfois un
peu dilettante. En TM1, je fus vraiment vexé lorsque je dus attendre la session du bac
de septembre, pour l’obtenir ; d’autant que je fus recalé à tous les concours.
Heureusement, en TM2 le contraire se produisit. Je perçus mon admission à Cluny
comme un accomplissement ; enfin, j’atteignais l’objectif que je m’étais fixé. Mon
parcours à Cluny différa assez peu de celui que nous avons tous connu. Cependant je
voudrais insister sur deux points certes accessoires, mais qui eurent leur importance
dans ma formation. Nous, Lugs de « La Martin », étions catalogués d’Antitrad’s ; si
nous fûmes réticents à certains usinages, je dois reconnaître que le brassage des
individus fut profitable, en favorisant les contacts ; le même phénomène se produisit
lorsque des groupes de travail définis de façon aléatoire nous étaient proposés : nous
étions alors contraints de nous entendre. Cela m’arriva en particulier avec Tater et
avec Django : de là date notre solide amitié.
Le choix de mon futur domaine d’exercice se décida lors du dernier mois
d’études en 4° année : M. Géminard nous fit deux ou trois conférences sur la
mécanique des sols qui me captivèrent immédiatement ; déterminer des
comportements mécaniques de matériaux naturels éminemment variables dans leur
constitution, me parut d’un intérêt certain et novateur. Vous verrez par la suite que
cette idée ne m’a jamais quittée.
En juillet 1961, Rirette, que je connaissais depuis plusieurs années, voulut bien
m’épouser ! Elle travaillait déjà comme institutrice à Villeurbanne. Je pensais intégrer
un 3éme
cycle en mécanique des sols à Grenoble, mais une opportunité se présenta
alors. Un emploi d’assistant en génie civil était ouvert à l’INSA de Lyon, où je
pourrais combiner enseignement et recherche ; le fait d’être correctement rémunéré
ne fut pas étranger à mon choix… ainsi je participais aux dépenses du couple… et en
plus, c’était à Villeurbanne !
Le responsable du département de constructions civiles – un chimiste de renom,
spécialiste des problèmes de diffusion gazeuse en milieux perméables ! – me reçut.
Ma mission serait de monter des laboratoires de manipulations d’abord en
mécanique des sols, mais aussi en matériaux de construction et en stabilité des
constructions. On ne pouvait rêver mieux. Le fait d’être gadzarts ne fut pas étranger à
mon embauche.
Je fus le premier enseignant du Supérieur nommé dans ce département. Les
cours principaux étaient assurés par des ingénieurs de l’Équipement (X, Ponts) et des
ingénieurs de bureaux d’études ou d’entreprises, avec qui les rapports furent
exceptionnels. Je complétais avec eux mes connaissances tout en montant des
104
manipulations, et en encadrant des travaux pratiques. C’est alors qu’un nouveau
déclic se produisit : j’éprouvais un véritable plaisir à enseigner, à partager mes
connaissances, à transmettre La Science ! J’y pris goût.
En complément de ce travail d’enseignement, je devais exécuter des travaux de
recherche. L’époque n’était pas au choix personnel de son sujet de thèse ; je négociais
alors avec mon directeur de thèse qui me fixa comme sujet l’étude de la diffusion
gazeuse de vapeur d’eau à travers des argiles naturelles caractéristiques. Le génie
civil entrait par la petite porte de la physico-chimie !
La section génie civil s’étoffa, de nombreux recrutements eurent lieu, et des
labos de recherche naquirent. Enfin je travaillais sur des sujets concrets, en rapport
avec des problèmes réels ; mes domaines de prédilection furent la reconnaissance des
sols in situ par des méthodes non destructives, la stabilité des ouvrages de
soutènement en milieu naturel ou urbain et le renforcement des sols par nappes
continues ou non. Je fis de nombreuses publications dans des revues nationales et
internationales, et participais à de nombreux congrès, mais ma thèse n’avançait pas…
et j’en avais besoin pour aller plus loin ! Pourtant les études étaient terminées ; il ne
manquait que la rédaction dont le plan restait confiné dans une partie obscure de mon
cerveau.
Un nouveau fait intervint en 1971. L’IUT de Lyon, nouvellement créé, ouvrait
un département de génie civil et effectuait un recrutement d’enseignants. Je fus tenté
par ce nouveau challenge, et passais de l’INSA à l’Université Lyon 1. Je reproduisis
un certain nombre d’activités que j’avais eues à l’INSA mais cette fois, avec
beaucoup plus d’assurance.
Je soutins enfin ma thèse en 1972, devant un jury constitué de physico-chimistes,
de géologues et d’un mécanicien. Enfin le travail fondamental était terminé ; je
pourrais désormais m’occuper exclusivement des problèmes de génie civil.
Peu après, je devins chef du département. De nouvelles tâches apparurent. Je
renforçais les relations avec les milieux professionnels, confiant des conférences
d’application à des ingénieurs d’entreprises et organisant des stages professionnels.
En 1983, je fus nommé directeur de l’IUT- A de Lyon. Il y avait alors six
départements, un effectif de 1500 étudiants, 200 enseignants en poste, 300 vacataires,
60 techniciens. Une vraie PME. Je fis de la gestion de personnel, de la gestion
financière, ayant une autonomie suffisante pour traiter avec l’université-mère, le
rectorat et le ministère. Je fus bien aidé dans ces tâches par les chefs de départements,
les enseignants et les personnels administratif et technique que je tiens à remercier.
105
Mon mandat dura seize ans durant lesquels j’ai créé un nouveau département de
génie chimique à Lyon et une antenne à Bourg-en-Bresse comprenant deux
départements : informatique et industries agro-alimentaires.
J’intervins en support pour la formation d’enseignants dans les CEFET
(techniciens supérieurs) composantes des universités brésiliennes ainsi que pour la
création d’un IUT au Liban, à Saïda.
Avec les milieux professionnels, nous créâmes des diplômes d’Université, plus
spécifiquement adaptés à des fonctions précises, qui furent transformés
progressivement en licences professionnelles.
Pendant cette période, je conservais une activité d’enseignement en cours
magistraux de géotechnique, et une activité de recherche en encadrant des thésards,
que je m’astreignis à voir au moins une fois par semaine.
En 1999, je quittais mon emploi d’enseignant-chercheur pour une retraite dont
vous connaissez les diverses activités auxquelles j’aspirais, si vous avez suivi les
infos publiées dans les précédents K’nards de promo.
En complément, je vous donne des nouvelles de nos petits-enfants :
Rémi : 23 ans. A terminé ses études à l’UTC (Compiègne) et travaille actuellement
chez Suez dans le domaine de l’environnement.
Alice : 21 ans. Est encore pour un an à NYU où elle complète sa formation en danse
et chorégraphie par de la sociologie, de la psychologie et de l’histoire de l’art.
Eloïse : 14 ans. Suit ses ainés à la Cité Internationale de Lyon (section anglophone,
classe de 3éme
) en élève très appliquée.
Enfin, suite à la catastrophe qui s’est abattue sur Ri, et dans l’incapacité de faire
le moindre projet, nos activités sont cantonnées à Neyron, car tout déplacement est
problématique.
Je profite de cette tribune pour remercier tous celles et ceux qui nous soutiennent
par leurs visites, leurs courriers, et leurs appels téléphoniques. Sachez que vous serez
tous les bienvenus, si vous voulez nous faire visite.
Rirette et Jacky
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Mickey Marc GINET
Boulevard de l’Hôpital, fin juin 1961 :
Nous sortons juste de notre dernière épreuve d’examen de fin de 4ième
année aux
Arts et Métiers. Dehors, nous commentons le sujet entre nous… puis, nous nous
dispersons.
Il est midi, il fait beau, je prends alors brusquement conscience que ma longue
scolarité s’arrête à cet instant précis.
Une page est tournée !
Aujourd’hui, notre camarade Tésis nous demande d’écrire les suivantes !
Si votre temps est précieux, je résume : randonnée sympathique, moyenne
altitude, temps variable.
Sinon, vous l’aurez voulu, et alors,… je ne vous cacherai rien !...
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La vie professionnelle commence en douceur. J’entame à l’INSA une thèse
d’ingénieur docteur tout en assurant une fonction d’assistant dans leurs laboratoires
d’électricité : expérience de recherche et d’enseignement. À l’usage, ce n’est pas
globalement mon truc et, en septembre 1962, je rejoins la Marine nationale au CFM
de Hourtin où j’apprends surtout… à ramer !
Mes EOR aviation étant inutiles, je m’arrange alors pour être affecté le plus tôt
possible à Paris. Ce sera au ministère de la Marine (service des machines) en tant que
matelot de 2ième
classe : promotion peu glorieuse, mais je vois Evelyne tous les jours
et nous nous marierons en juillet 1963.
La durée du service militaire vient d’être réduite et, rapidos, j’envoie à
plusieurs sociétés mon très court CV. En retour autant d’entretiens et de CDI
correspondants. Heureuse époque !
Je choisis Hy BERGERAT MONNOYEUR SA (2500 personnes)
concessionnaire France de CATERPILLAR où je débute à Paris, en janvier 1964,
comme adjoint du Directeur Technique. Je comprends vite que je n’apporterai rien à
la conception ou fabrication des engins de terrassement, mais dans le domaine de
l’après-vente, il y a largement matière pour un gadzarts. Après plusieurs missions de
toutes sortes, simples ou complexes, classiques ou originales, je prends la direction
du service spécialisé dans la révision générale des moteurs Diesel et transmissions
hydrauliques. Expérience très enrichissante avec 35 personnes (ouvriers,
encadrement, facturation,…) et des horaires dingues… d’ailleurs impossibles
aujourd’hui. Mais on avait la santé et moins de contraintes !
Période durant laquelle nous avons le bonheur de voir naître François (1964)
et Caroline (1967).
Par ailleurs, l’accroissement de l’activité TP et de la concurrence exigent de
nouvelles performances commerciales, entre autres, dans les prix et les délais. La
vente annuelle de plus de 1300 machines de TP (de 10 à 80 t) provenant des
différentes usines Caterpillar (Peoria Illinois, Glasgow, Gosselies, Mitsubishi,
Grenoble,…) avec une large gamme d’équipements proposés implique une gestion
qualitative et quantitative très particulière des approvisionnements (hors pièces
rechange).
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En 1972, je rejoins alors la Direction commerciale pour assurer les
approvisionnements et la gestion des stocks de l’ensemble des matériels représentés
par la Société (matériels de terrassement, équipements, moteurs marins, groupes
électrogènes, chariots élévateurs,…). Drivé par un patron extraordinaire, nouvelle
expérience bien intéressante, apparemment assez loin de notre formation AM ?...
enfin pas totalement car il y a de nombreuses contraintes techniques (préparation,
montage,…) à résoudre. Mais j’ai eu l’opportunité de créer des méthodes et des
formules spécifiques de calcul d’approvisionnement permettant un meilleur
compromis entre les coûts de possession (prix d’achat, termes de paiements, intérêts,
taux de change, aides fiscales,…) et le coût des risques (fiabilité des prévisions de
ventes, grèves des usines, obsolescence, délais d’approvisionnement fluctuants...).
Fonctions finalement plus financières que techniques, mais bien complémentaires et
indispensables.
Pendant ce temps, les enfants grandissant, nous avons alors plus de liberté.
Evelyne peut alors mettre à profit sa très belle culture artistique dans une galerie de
peintures en face de l’Elysée, puis au Louvre des Antiquaires.
Mon implication au sein du commercial me rapproche inéluctablement de la
force de vente (8 filiales, 8 chefs de vente, 120 vendeurs) et de la motivation des
vendeurs. Sous l’impulsion de Caterpillar US qui garde un œil sur sa bonne
représentation France, je réalise une analyse complète de couverture des secteurs de
vente, j’anime plusieurs concours de ventes (mes caricatures, très inattendues, font
passer les messages), je modifie le calcul d’intéressement à la vente,… enfin toute
une batterie de moyens pour atteindre nos objectifs, dans une compétition sans
concession ! Là, je suis très loin de notre vocation initiale, mais tant pis, c’est
passionnant,… surtout quand ça marche ! Progressivement, je suis ainsi passé du
« Technique » au « Marketing » : formation non reçue aux Arts, mais passionnément
acquise sur le tas… avec des gens formidables. Souvent, ces nouvelles fonctions, ne
m’ont pas été proposées, je les ai prises en les créant !
Par ailleurs, le marché de la peinture n’étant plus aussi florissant, Evelyne se
reconvertit et tient avec beaucoup d’élégance une belle boutique de prêt à porter de
Jean Patou à Paris.
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Et tout cela fonctionne très bien, jusqu’au jour où mon patron est nommé
Directeur général adjoint. Ce dernier fait (comme il m’a dit) une « passe latérale » à
son successeur. Malheureusement, quelques mois plus tard, ce dernier est mis au
placard ! Alors, sans exception, tous ses collaborateurs directs (dont moi) sont
« remerciés » !
Nous sommes fin 1983 et le marché de l’emploi n’est pas terrible pour ceux qui
approchent la cinquantaine. Après 20 ans de collaboration, mon ex-société (non
amnésique) m’accorde l’aide d’un cabinet américain de recrutement qui, dans
l’immédiat, ne me trouvera rien mais m’apprendra beaucoup ! Je prends néanmoins,
quelques conseils de recherche d’emplois auprès d’un organisme spécialisé. Par
relations, un mois plus tard, en tant qu’adjoint du directeur commercial (qui va partir
en retraite), je travaille à la société MACHINES DUBUITS (60 personnes) qui
fabrique et commercialise des machines d’imprimerie sérigraphique, des chaines de
conditionnement de cosmétiques et produits alimentaires, des encres,… je découvre
des techniques très nouvelles pour moi et surtout des méthodes de travail adaptées à
des structures plus modestes : expérience également très enrichissante !
Bref passage (3 mois), car un recruteur mandaté (en relation avec mon ex-
cabinet américain) me contacte à nouveau : il ne faut jamais désespérer !
Je suis alors recruté par la société MONOPANEL SA (200 personnes), qui
fabrique et commercialise des profils métalliques et panneaux sandwiches de
couverture et bardage de bâtiments à usage industriel ou commercial. En septembre
1984, au siège de Neuilly/Seine, je prends la direction du Département marketing que
vient de créer son président. Mais, dès mon arrivée, je dois prioritairement plonger à
fond dans le commercial. En effet, les parts de marché sont en baisses ; la force de
vente (20 vendeurs) réagit mal et quelques-uns démissionnent… Comme le
commercial dépend du marketing, je suis responsable ! Je crois en comprendre les
causes. Mais, débarquant récemment, mes premières observations ne trouvent pas un
écho favorable et, un an après, j’ai failli avoir un billet de retour !... Beaucoup plus
tard, j’ai appris que le président et le cabinet recruteur mandaté par lui, ont eu une
longue conversation… et j’ai gardé mon aller simple : ouf ! Mon président me tend
une perche : « il faut créer des produits pour un nouveau marché ». C’est inespéré !...
Je crée et lance donc un nouveau panneau spécifique que j’ai appelé
« FRIGOWALL » (qui existe toujours !) destiné aux chambres froides et entrepôts
frigorifiques et, bien sûr, complété de toute la famille de produits qui va avec.
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Et là, ma casquette AM a été bien utile ; je suis à nouveau sur mes vrais rails.
D’autant plus que j’assume également la direction technique et le RED. Ainsi, dans le
marché spécifique du « froid », en 5 ans nous passons de rien à la première place
en m2 de surfaces réalisées annuellement. Et j’en profite pour mettre en application
l’intéressement de la force de vente, ce qui améliore aussi nos parts de marché de
presque tous les autres produits !
Et en même temps, Evelyne et moi sommes promus « mamie et papy » avec,
chez notre fils, la naissance d’Alexandre (1997).
Belle période au cours de laquelle je m’éclate aussi dans la communication
(documentation, publicité, expositions, formation, exposés…) : Tiens ! Un sujet utile
non abordé aux AM ?...
Début 1997, par le jeu de cessions d’actions entre holdings, la société
MONOPANEL devient propriété de COCKERILL1 (Belgique) qui supprime alors
notre siège social (30 personnes à Neuilly/Seine) !
Pouf, à nouveau dehors ! Mais, en même temps, je viens aussi d’avoir 60 ans :
l’heure de la retraite a doublement sonnée !
La Défense, mars 1998,
Il y a maintenant 6 mois que je suis en retraite.
Au 10ème
étage d’un immeuble de front de Seine, mon ex-Président (également
en retraite, mais infatigable), me reçoit tout souriant dans son nouveau bureau privé :
il n’a plus de responsabilités. Mais il est tellement connu dans la profession que son
téléphone n’arrête pas !
Nos lointains désaccords du début sont totalement oubliés et c’est un vrai
bonheur de reconstruire le monde avec lui, de partager son extraordinaire lucidité et
sa formidable anticipation, tout cela dans un travail quasi permanent… du
zygomatique !
Il me propose d’apporter ma collaboration (en free-lance) à la société
METECNO FRANCE qui vient d’être créée en région parisienne par la holding
1 Avant de disparaitre complètement, cette société belge a heureusement revendu MONOPANEL
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METECNO, ex-demi propriétaire de MONOPANEL. Informatiquement équipé chez
moi, j’accepte de constituer et présenter au CSTB les dossiers de demandes d’avis
techniques de leurs panneaux sandwiches. Cet agrément international du CSTB est un
viatique indispensable pour vendre en France (et même en Europe) un panneau de
bardage ou de couverture de bâtiments industriels. Alors OK pour ce constructeur :
deux ou trois dossiers seulement, pendant un an ou deux,… pas plus. Finalement, il y
a eu 7 constructeurs, une bonne vingtaine d’Avis techniques et ça a duré 11 ans !
Travail sympa, à son rythme, financièrement intéressant et qui maintient les neurones
branchés. Par contre, il faut écrire beaucoup et tenir une comptabilité (j’ai même fait
appel à un comptable).
Belle période, au cours de laquelle nous voyons confirmer notre nouvelle
promotion de « mamie, papy » avec, chez notre fille, la naissance des jumeaux Anouk
et Balthazar (2007).
Fin 2007, je prends ma « deuxième retraite » !
Mais si vous quittez le « Bâtiment », le « Bâtiment » ne vous quitte pas comme
ça ! En effet, début 2011, une société italienne me contacte pour leur apporter une
assistance technique en duo avec un avocat dans le cadre d’une expertise judiciaire
concernant un très grand bâtiment en fin de construction : bof !... je pense que c’est
une affaire de quelques mois ? Pas du tout !... beaucoup de corporations sont
concernées (maître d’ouvrage, maître d’œuvre, fabricants, entreprises de bâtiment,
sous-traitants, bureaux de contrôles,…) et chacun avec son ingénieur conseil et son
avocat. Au total une vingtaine de personnes ! Et puis il y a plusieurs visites du
chantier (déplacements avion et voiture), des tas de réunions de travail généralement
à Paris (15 à 25 personnes concernées), et de nombreux dossiers à créer (photos,
croquis, études techniques, calculs divers,…) et de très importants échanges de
courriers orchestrés par un expert judiciaire. Au final : 5 ans…et le procès gagné !
Longue et dernière expérience de justifications techniques très spécialisées dans un
cadre juridique particulièrement professionnel.
Enfin, je prends vraiment ma « troisième retraite »… et encore, je continue à
dessiner !
Drôle de parcours, peut-être comme pour quelques-uns d’entre vous : un vrai
labyrinthe ! Par le choix des sociétés et par les postes que j’ai occupés, mon trajet
professionnel s’est souvent éloigné de la formation reçue aux AM. Parfois, je le
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regrette un peu ! Mais j’ai aussi découvert des professions que je n’aurais jamais
connues et j’ai pu mettre en œuvre des solutions qu’aucune autre formation ne
m’aurait apportées.
Cette rétrospective m’inspire cette réflexion :
« L’École des Arts et Métiers fait-elle la renommée des gadzarts ou bien l’inverse » ?
Quand je vois mes camarades, je dirais : « les deux ! ». Bien sûr, les Arts et Métiers
ont placé la barre tout en haut, et cela m’a vraiment « crédibilisé » ! En scellant une
très fidèle camaraderie, cette belle histoire d’école a aussi commencé bien avant.
Les bases de ma véritable formation technique remontent à l’ENP de La
Martinière, à Lyon, où, en 7 ans, j’ai reçu une excellente formation, souvent grâce à
de merveilleux professeurs. En réalité, je crois que j’étais aussi « bobiné » pour cette
spécialité !
En effet, me voyant très jeune faire des dessins assez techniques, mon père a eu
l’idée géniale de m’inscrire aux cours du soir de l’UPV2, session « dessin industriel ».
Je m’en souviens comme si c’était hier : mon père m’accompagnait une fois par
semaine et attendait sagement au fond de la classe en lisant son journal. Comme je
venais juste d’avoir 10 ans, le professeur m’avait installé au 1er rang pour que je ne
sois pas gêné par tous les autres « vieux » qui avaient entre 20 et 50 ans ! Équipé de
ma petite planche à dessin toute neuve, du té, des équerres à 45° et 60°, et de mon
triple décimètre en bois, je punaisais ma feuille de papier à dessin pour tracer, au
début uniquement au crayon, un cadre de 210 mm par 297 mm avec un cartouche qui
me semblait inutilement abîmer le dessin que j’allais faire. Mon père m’avait alors
confié sa boîte à compas (en maillechort) qu’il utilisait en 1916 à La Martinière à
Lyon. Boîte de très bonne qualité, gravée « Pracision » et en dessous « F.O. Richten
& Co » (boîte que j’utilise toujours, c’est dire si j’en ai pris soin !).
Depuis mes premiers tracés de constructions de perpendiculaires, de
bissectrices, jusqu’au vues de face, de dessus, de gauche (placée à droite), de droite,
etc… en passant par les perspectives cavalières, je me sentais bien à l’aise pour
affronter en fin de cette première année, le concours final.
2 Université Populaire Villeurbannaise
114
Et je me souviens parfaitement du sujet qui était :
« À partir de la vue de face et de la vue de droite cotées, dessiner à la règle et au
crayon, la vue de dessus cotée, et dessiner à main levée et au crayon, la perspective
cavalière.»
Une semaine plus tard, le paquet des 25 épreuves corrigées en mains, le
professeur annonce que le premier qui a fait un dessin sans faute est « notre
benjamin !».
Ne connaissant pas ce mot, je me suis alors retourné pour voir qui c’était ?...
Là, éclat de rire général, sauf moi qui n’avais encore rien compris !
Mais, comme tous les premiers des autres disciplines, j’avais aussi gagné un
voyage à Genève. En 1948, le chocolat suisse… c’était vachement bon !
*******************
115
Jimmy Bernard GIRAUD
Je suis né en 1939 à Lozanne, près de Lyon, puis j’ai habité à Anse, « porte du
Beaujolais ». Mon père était cheminot, employé SNCF, à cette époque dans de
modestes emplois techniques, mais de ce fait il a échappé au STO. Ma mère était
couturière.
À Anse j’ai traîné mes galoches, enveloppé dans une pèlerine noire, jusqu’à
l’école primaire où j’allais à reculons… surtout les jours où le maître m’avait mis de
« corvée de poêle »… j’ai failli un jour mettre le feu à l’école… involontairement !
Mes résultats scolaires ont dès le début désespéré mon maître et surtout mes
parents. Je me souviens de mon père faisant circuler mon cahier, tout annoté de
rouge, lors d’un repas de vendanges chez nos voisins, pour me faire honte. J’étais
seulement furieux et j’entends encore les rires, les oh, les ah, et les gloussements
stupides de la tablée, à l’exception de la voisine vigneronne, toujours intéressée par
mes questions en rafale aussi intéressantes qu’inattendues. Elle rétorqua haut et fort à
l’assistance moqueuse « Ah, celui-là, vous verrez, si les petits cochons le mangent
pas, on en fera quelque chose ! »
En novembre 1950, mon père m’a sorti de cette école, mettant un terme à ma
carrière de cancre, au chaud près du poêle, et m’a conduit manu militari sur le tansad
de sa 250 Terrot à la pension des frères maristes de l’Arbresle. Début d’une situation
d’interne qui durera jusqu’en 1961 ! J’ai donc été « récupéré » par l’instituteur et le
directeur que mon père avait eus, dans cette même école, vingt cinq ans auparavant.
Merci Papa !
De culture très « mécanique et électrique », mon père m’a orienté vers
l’enseignement professionnel. Je suis donc entré un peu par faveur en 3 ème à l’ENP
de Voiron en 1953… faveur, car je n’avais réussi que le concours d’entrée en 4 ème,
mais comme j’avais réussi le BEPC en septembre… À Voiron j’ai rencontré cette
année-là Gilbert Gaillot qui ne savait pas encore qu’il deviendrait quatre ans plus tard
Tésis…
La suite nous l’avons tous vécue durant quatre ans en promo à Cluny et Paris…
116
1961, une grande année
Le diplôme en juin, une présituation par contrat avec EDF, un stage d'été de
deux mois à Grenoble, et mon mariage en septembre avec Françoise, puis la rentrée
universitaire à Grenoble.
Je me suis inscrit en effet à une spécialisation « automatismes » d’un an à
l'Institut national polytechnique de Grenoble, Françoise est enseignante à la
Tronche… et prépare aussi notre fils.
Service militaire
EOR à Brest sur le Richelieu et la Duchesse Anne, en octobre 1962, en pleine
crise de Cuba ! Puis affectation de deux mois à Lorient sur un aviso-escorteur en
cours d’essais, le Doudard de Lagrée.
Ensuite Toulon sur le Jean Bart : c'est un hôtel flottant, donc avec solde à la
mer ! Je dois vérifier le comportement des calculateurs analogiques de la conduite de
tir des canons de 100 mm. J'ai à ma disposition le calculateur IBM 650 de l'arsenal,
autant d'heures que je le veux. Et mes vérifications par calcul sont réussies et
confirmées lors des réglages de l'artillerie du Foch.
Un vrai plaisir que ce service militaire, en famille, et à Toulon. C'était en 1963.
1964 - La vie professionnelle.
Embauché par EDF, je débute par six mois à la centrale thermique de Chalon-
sur-Saône : deux unités de production de 125 MW chacune. Débuts perturbants…
Brûler le mauvais charbon de Montceau-les-Mines pour faire de l'électricité ! Tout ça
me ramenait à l'amphi 3 où je m'ennuyais à mourir lors des cours de technologie nous
décrivant les différentes sortes de chaudières : à grille, à tubes de fumée…
Ah ! Cette centrale de Chalon-sur-Saône, la « thermique » disaient les
chalonnais. Comme le ramonage des chaudières s'effectuait de nuit, bien sûr, le
lendemain il y avait parfois quelques traces noires en ville… et sur le linge des
étendages…
Ensuite six mois à la centrale de Loire-sur-Rhône près de Lyon, quatre unités de
250 MW chacune en construction. Centrale au charbon de Saint-Étienne.
117
1965 - Je quitte le charbon… pour le nucléaire…
C’est un vrai premier poste d'ingénieur, à la centrale de Marcoule, chargé des
études d'augmentation de puissance. Je retrouve cette fois le nucléaire qui fonctionne,
car j'avais fait un stage à Marcoule à la SACM, en septembre 1958, c'était l'époque de
la fin de construction des réacteurs plutonigènes G2 et G3.
1966 - Je suis mis à disposition du CEA à Cadarache.
À Rapsodie, je participe à la mise en service de ce réacteur expérimental : le
premier réacteur à neutrons rapides français, refroidi au sodium liquide. J'ai la
chance, en 1967, d’être responsable d’essais de montée en puissance et ingénieur de
quart. Naissance de notre fille à Aix-en-Provence.
1968 - Cours du génie atomique à Saclay.
J’en sors major, ayant eu la chance de faire en quelque sorte à Cadarache « les
TP avant le cours ».
1969 – 1971 – Centre d’études et recherches EDF des Renardières, près de
Fontainebleau.
Je suis responsable des essais de mise en service du plus grand circuit de
sodium liquide d'Europe - plus de 100 tonnes - puis, avec ce circuit, responsable des
essais de qualification à leur puissance nominale (50 MW thermiques) de 3 des 36
modules des futurs générateurs de vapeur de la centrale Phénix dont la construction
vient de commencer à Marcoule.
1971 – 1975 - Chef du service conduite de la centrale Phénix à Marcoule.
Phénix, est l’extrapolation d’un coefficient 30, avec production d’électricité, du
réacteur Rapsodie de Cadarache. C’est une « copropriété » CEA-EDF. Essais de
démarrage, montée en puissance à 600 MW thermiques, production de 260 MW
électriques, puis exploitation industrielle de ce prototype reconnu internationalement,
dès ses débuts, comme un succès.
1975 – 1979 - Chef du groupement d'exploitation de la centrale du Tricastin.
Cette centrale alors en construction comporte quatre réacteurs à eau sous
pression de 900 MW électriques. J'organise le recrutement, la formation, et la mise en
place des futures équipes de conduite et du service technique.
118
1979 – 1983 - Chef adjoint de la centrale Phénix.
Je retrouve avec plaisir, quatre ans après, cette centrale et ses équipes. Ce
prototype fonctionne à merveille… mais se met aussi à nous apprendre par quelques
incidents sérieux sur les générateurs de vapeur, que l'expérience d'exploitation est
essentielle… et qu'il est encore temps d'en faire bénéficier le Superphénix de 1200
MW électriques en construction à Creys-Malville dans l'Isère.
1983 – 1991 – Retour à la direction de la centrale du Tricastin.
Je décline une proposition de directeur d'un nouveau site… encore pour cinq
ans en construction… J'ai envie d'une centrale qui tourne. EDF me nomme à la
centrale du Tricastin d'abord comme adjoint, puis directeur du site de 1984 à 1991.
Les quatre réacteurs ont été mis en service juste auparavant entre fin mai 1980 et mi-
juin 1981 !
L'enjeu est maintenant de les faire fonctionner selon les besoins du réseau… Et
compte tenu des chocs pétroliers, c'est-à-dire du prix du fioul des centrales
thermiques classiques, la production nucléaire est hautement prioritaire. Les réacteurs
sont presque toujours à pleine puissance avec une excellente disponibilité, 85 %.
En 1985 Tricastin a produit plus de 25 milliards de kWh, soit presque 8% de la
production nationale.
Directeur d’un site nucléaire de quatre réacteurs, comportant plus de mille
personnes qui travaillent en équipes, est un beau métier. Bien sûr, il y eut parfois de
très vigoureuses turbulences techniques… et sociales… pour ces raisons le travail fut
très prenant et passionnant.
Je quitte ce poste en 1991, juste après la première visite décennale du réacteur
numéro un… Cette centrale en est aujourd'hui à sa quatrième visite décennale… Elle
est certainement capable de fonctionner, en toute sûreté, encore dix ans, vingt ans…et
peut-être plus ?...
1991 - à Lyon.
La structure nationale parisienne d’EDF qui dirige le « parc nucléaire » est fort
occupée par tous les réacteurs à eau sous pression… je suis chargé de mettre en place
à Lyon une structure du « parc nucléaire » dédiée spécifiquement au support du
Superphénix de Creys-Malville. Mon expérience de cette technologie est
« récupérée ».
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Ici à Lyon, et sur le site de la centrale de Creys-Malville, c'est la période de la
résolution des problèmes techniques, des justifications complémentaires de sûreté
auprès de l’Autorité de sûreté, de modifications majeures… mais aussi des problèmes
juridiques ou administratifs : nouvelle enquête publique, nouveau décret, assignation
en Conseil d'État… Mais aussi redémarrage progressif de la centrale.
1995 – Je suis nommé président du Directoire de la société NERSA (Nucléaire,
européenne, rapide, SA) composée de parts : 51 % françaises, 33 % italiennes et 16 %
allemandes. NERSA est la société propriétaire de la centrale de Creys-Malville et à ce
titre « exploitant nucléaire ».
Grâce aux travaux de modifications, aux compétences rassemblées en région
lyonnaise (ingénieries et entreprises) et au retour d'expérience, la centrale réalise en
1996 sa meilleure année de production : elle est connectée 245 jours au réseau. Beau
succès pour un prototype de cette taille industrielle, difficile, insulté de toutes parts en
France, mais admiré et envié alors par nos collègues russes, japonais, américains…
nous en sommes très fiers.
Mais le gouvernement Jospin donne l'ordre, en 1997, d'engager la procédure
d'arrêt définitif et la déconstruction de ce prototype, alors que son combustible n'est
seulement usé qu'à 50 %, qu'un cœur neuf complet est en magasin, et qu'un important
programme de recherche est engagé, notamment pour l'incinération de déchets
nucléaires… Ainsi le « politique » s’est exprimé, contre le bon sens, dans un
immense gâchis économique et de savoir-faire théorique et industriel accumulé en
France depuis plus de trente ans,… les temps ont-ils vraiment changé ?
2000 - Départ en retraite… retour sur moi-même.
Passionné par les questions techniques nouvelles, mais aussi par les réalisations
concrètes, j'ai vécu mon parcours professionnel en « homme de terrain », celui de la
mise au point puis de l'exploitation des machines et de l'animation des hommes.
J'ai appris à l’École, puis par deux années de spécialisation, qu'il est bon d'être
aussi un « généraliste expert » et cela me fut bien utile : rester bien au fait des
questions théoriques et faire le lien pour donner vie aux machines.
J'ai eu la chance probablement unique de travailler à peu près autant d'années
sur deux grandes familles de réacteurs : les réacteurs à eau sous pression de série et
les réacteurs à neutrons rapides en cours de définition.
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Je suis fier d'avoir participé de près au développement des réacteurs à eau sous
pression, c'était le temps des pionniers, nous étions peu nombreux alors avoir « fait
du nucléaire »… il a fallu très vite former et développer le savoir-faire des hommes.
À Tricastin par exemple en 1984, soit quatre ans après le démarrage du premier
réacteur, la moyenne d'âge des mille exploitants du site était seulement de trente-deux
ans !
J'ai eu la chance d'être impliqué au tout début de la technologie des réacteurs à
neutrons rapides refroidis au sodium et d'en être l’un des acteurs de 1966 à 1996…
De Rapsodie 20 MW thermiques, à Phénix 600 MW thermiques-260 MW électriques,
puis Superphénix 3000 MW thermiques -1200 MW électriques.
Les ingénieurs français étaient alors à la pointe de ces développements
technologiques… Ces réacteurs, de par leur polyvalence, sont considérés comme
ceux de « quatrième génération »… et, pour le moment, seuls crédibles en vue d’un
« nucléaire durable » - énergie « décarbonnée » - c’est ce qui leur vaut, en Europe
aujourd’hui, d’être bannis… mais pas en Asie…
Quelle aventure !
En conclusion :
Une pensée à la voisine vigneronne de mes 10 ans…
Je ne sais pas si j’ai fait « quelque chose », mais là où je suis allé j’ai fait le
parcours avec bonheur, celui du travail accompli dans la passion partagée en équipes
animées pour de mêmes projets.
***************
121
Digor Georges GIRAUD
Après un an à Supélec en section spéciale, c’était possible à l’époque, j’ai fait
mon service militaire dans la marine à Brest sur le Richelieu puis à Toulon sur
l’escorteur d’escadre La Galissonnière, avant d’être affecté au champ de tir de
Hammaguir au sud de Colomb-Béchar sur le nouveau radar Aquitaine de
trajectographie.
À mon retour du service militaire je suis rentré chez Thomson (sur le site de
Chatou) où dans un premier temps je me suis occupé de matériel de mesure de
radioactivité pour les essais nucléaires, d’abord au Sahara et sur l’atoll de Mururoa,
puis dans un deuxième temps de spectrométrie de masse.
Toujours chez Thomson (à Chatou) j’ai été affecté à un nouveau service qui
avait pour mission de fabriquer (sous licence de General Electric) et d’installer des
calculateurs industriels qui possédaient des mémoires à tores de ferrite de 16 kmots
(de 24 bits) pour piloter les processus industriels des sites sidérurgiques (hauts-
fourneaux, laminoirs, trains à billettes,...) de Lorraine, de Fos-sur-Mer, et des
raffineries. La programmation de ces calculateurs se faisait en langage machine. Le
département General Electric chargé de cette activité était localisé à Phoenix en
Arizona.
Je n’ai pas suivi les modifications d’organisation chez Thomson, j’ai été engagé
chez Bull qui entre temps avait été repris par General Electric, puis par Honeywell,
qui avait aussi une activité dans le domaine des calculateurs industriels localisée dans
la région de Boston. À cette époque il y avait autour de Boston une myriade de petites
sociétés dans ce domaine, qui avaient tendance à se regrouper. La fusion avec CII,
pour devenir CII Honeywell Bull, a encore modifié le paysage dans ce domaine en
France, avec leur cortège de réorganisations opérationnelles.
À cette période j’ai été affecté à un service chargé d’organiser des actions de
coopérations avec les pays de l’Est, avec la participation de scientifiques en
particulier avec l’INRIA. Pour les réseaux de données, c’est l’époque des batailles
entre les tenants des techniques de commutations de données et les tenants des
techniques de commutation de circuits.
À cette époque j’ai rencontré beaucoup de monde, dont Roland Moreno qui
avait déposé des brevets de ce qui allait devenir la carte à puces, totalement irréaliste
pour un industriel. Mais chez CII Honeywell Bull, à ce moment, on développait la
technique de montage en surface pour réduire la taille des calculateurs...
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Le rapprochement des idées des brevets et cette technique de fabrication
naissante a permis à ces brevets de leur donner un crédit... Après, vous connaissez la
suite, maintenant cette fameuse carte est dans tous les porte-monnaie, souvent sous
plusieurs formes et pour plusieurs usages.
J’ai rejoint une petite structure (Bull Ingénierie) filiale commune à CII
Honeywell Bull et SESA chargée de mettre en œuvre des moyens informatiques
s’appuyant sur des ressources de transmissions (X25, X21 puis TCP/IP). À ce
moment le regroupement des banques françaises a permis la mise en commun des
DAB (distributeurs automatiques de billets), ceci a nécessité de mettre en œuvre des
moyens de sécurisation des transactions au niveau des distributeurs et des serveurs
bancaires. Ainsi on a développé des équipements hautement protégés chargés de
traiter les attributs sécuritaires pour le compte des serveurs bancaires.
Pour d’autres projets nécessitant la protection des données échangées entre
plusieurs sites, nous avons été conduits à développer des équipements performants
de cryptographie pour chiffrer les trames TCP/IP.
Pour le réseau bancaire international SWIFT nous avons développé un
équipement de haute sécurité implanté dans chaque partenaire du réseau SWIFT dans
le monde. A cette occasion j’avais fait appel à la compétence de Jean Pollard, notre
Zadig, pour assurer la protection physique de cet équipement. Naturellement ces
équipements il a fallu les développer, les faire homologuer par des organismes très
compétents, les faire fabriquer, les installer et en assurer la maintenance. Après
diverses modifications d’organisation la filiale Bull Ingénierie a été rattachée à Bull
qui était passé par tous les noms, perdant ainsi notre autonomie créatrice.
J’ai pris ma retraite à soixante-cinq ans, riche de bons souvenirs, ayant vécu une
période d’évolutions techniques fabuleuse allant de la mémoire à tores de ferrite de
16 kmots (maintenus à température) à la mémoire de 32 Go sur clé USB, de
calculateurs de processus industriels nécessitant plusieurs armoires, au calculateur de
bureau actuel.
Et tout cela… sans parler des fusions, des réorganisations, des disparitions de
sociétés…
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Clergy Yves GROS
Service militaire : 1961-1963
EOR (matériel) à Fontainebleau, Boufarik six mois et puis Tours,
… parti pour 28 mois, et terminé en 18 mois…
Mariage avec Birgitta, ma suédoise de la cité universitaire en 1964.
Premier emploi : 1963-1965
Activité tertiaire dans le bâtiment chez Tunzini-chauffage, Paris
Raison du choix : la meilleure rémunération.
Ingénieur d’affaires.
Riche expérience acquise sur le tas : conception et réalisation.
Même domaine, mais au Canada, Toronto : 1966-1967
Déçu par les conditions de travail et professionnelles à cette époque en France.
Ingénieur conseil dans le cabinet d’architecture J B Parkings et Associates.
Découverte des méthodes de travail structurées.
Même domaine mais au Canada, Montréal : 1968-1970
Être à l’exposition universelle de 1967.
Ingénieur chef de produit, y compris la fabrication chez American Air Filter.
Même domaine mais à Téhéran : 1970-1975
Directeur régional Golfe Persique.
Découverte de la région : Iran, Pakistan, Afghanistan, Turquie, Israël
et des compagnies américaines en Europe et aux USA.
Grande liberté d’action… grâce aux difficultés de communication de l’époque.
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Même domaine mais à Beyrouth : 1976-1979
Directeur régional Moyen-Orient.
Découverte d’un pays en guerre civile.
Même domaine mais à Athènes : 1979-1987
Poste régional relocalisé suite à la guerre au Liban.
Découverte de l’explosion du développement des pays du Golfe suite à
l’explosion de leurs revenus.
Opportunité de s’imbiber des cultures riches et variées du Moyen-Orient.
Sans domaine et en recherche d’emploi à Paris : 1988-1989
Décision sage et volontaire de retourner au pays.
« Heureux qui comme Ulysse… »
Deux ans de chômage pour apprendre à vivre…
Même domaine retrouvé, mais à Paris : 1989-1992
Reprise d’une entreprise d’importation exclusive de climatiseurs Hitachi
gamme tertiaire SA DMT.
Découverte des charmes d’être chef d’entreprise.
Découverte de la distribution sur toute la France.
Revente à des Espagnols juste avant la guerre du Golfe.
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Choix de vivre sur la côte, Aix-en Provence : 1992-1998
Création d’une SCI familiale avec réhabilitation de deux immeubles en ruine à
Coudoux et à Ollioules.
Président de INTERECO, une association d’insertion par le travail
(technicien de surface et repassage dans buanderie professionnelle).
Force est de constater que les réponses aux problèmes de l’emploi et de
l’insertion sont très insuffisantes…
Choix de finir à Saint Raphaël : 1998 à nos jours
Confortation des revenus de la SCI.
Restauration de la résidence familiale.
Remariage en 2007 après un divorce apaisé.
Continuation de mes activités de chine dans les domaines d’appareils de
musique automatique et de projecteurs cinématographiques et lanternes
magiques.
Montage de films suite à la fréquence de un à deux voyages internationaux
annuels : le plus récent, la Chine des pandas.
Derniers errements
J’ai intégré dès les premières heures l’équipe du « Monde en marche », pour se
refaire une jeunesse, si possible, et pourquoi pas….
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126
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Day-Day André HIRACLIDES
Né au Maroc en 1937, dans une famille d’origine cypriote, il fit ses études à
Casablanca, où il prépara le concours des Arts et Métiers. Admis à la rentrée 1957 au
Centre de Cluny, il s’intégra parfaitement dans ce qui était pour lui un nouvel univers,
tant par la nature des lieux, que par le climat automnal de la campagne bourguignonne.
Sa gaité naturelle, son entrain communicatif, et ses talents de chanteur lui
permirent de se faire connaitre très rapidement par l’ensemble des trois promotions
présentes sur le site, à l’époque.
Diplôme en poche, il débuta aussitôt sa carrière, dont le fil conducteur fut
l’industrie du métal. D’abord en fonderie, dans une filiale du groupe Pont-à-Mousson à
Fumel, dans le Lot-et-Garonne, où il occupa différents postes durant sept ans. Puis
ensuite aux Forges de Gueugnon, spécialisées dans les aciers inoxydables, en débutant
dans le secteur découpage-emboutissage. Ayant fait ses preuves, il fut par la suite,
appelé à prendre la direction d’une filiale, la Sté Bouillet-Bourdelle, fabrique
d’orfèvrerie et couverts en inox, située à Cusset dans l’Allier ; il y resta sept ans, avant
de revenir à Gueugnon, où on lui confia le poste de responsable qualité totale du site.
Sa réussite dans ce rôle lui valut d’être nommé adjoint au Directeur qualité pour
l’ensemble du groupe (devenu APERAM/MITTAL aujourd’hui), poste basé à la
Défense et nécessitant de nombreux déplacements dans les différentes usines réparties
en France et en Belgique.
Il prit sa retraite définitive en l’année 2000, et vint habiter la maison qu’il avait
fait construire à Pierreclos, village proche de Cluny et pays d’origine de son épouse
disparue.
Gadzarts dans l’âme, il a toujours été très actif dans les groupes territoriaux
auxquels il a appartenu ; il fut notamment président de groupe de Vichy, et y organisa
un congrès Arts et Métiers dans les années 80. Revenu en Bourgogne, il participe
activement aux activités du groupe de Saône-et-Loire Est (Chalon-Mâcon-Cluny), dont
il prendra la présidence à la fin des années 90 ; chacun, dans la région, se rappelle son
implication totale pour la défense du site de Cluny, un moment menacé. Il était titulaire
de la médaille d’argent de la Société des Ingénieurs AM.
Participant fidèle à toutes les sorties, réunions et voyages divers de la Cluny 57
(voire de la Cl58), il en fut un des animateurs zélés, par son entrain, sa gaité
spontanée… et ses talents de chanteur, jamais démentis depuis 1957 ! Co-organisateur
des manifestations destinées à célébrer nos soixante ans d’entrée à l’École, il ne put, à
son très grand regret, y participer, étant hospitalisé à cette époque (septembre 2017).
On ne peut évoquer sa mémoire sans parler du golf, qu’il pratiqua assidument dès
sa retraite prise, notamment dans les épreuves entre gadzarts, le Swing AM, où il était
attendu avec ferveur : aucun témoin ne peut oublier ses interprétations « enflammées »
de la chanson « La Tantina de Burgos », où il mettait tout son cœur, qu’il avait grand !
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Job Daniel JACOBZONE
Après 16 mois d’armée au Matériel à Montluçon, puis à Thouars et
Fontainebleau où j’ai enseigné la technologie aux sous-officiers en formation, j’ai fait
un passage au CERN en Suisse à tester l’étanchéité des chambres à bulles (bulles que
j’ai aussi un peu coincées).
Puis j’ai repris la TPE que mon père avait créée en 1945 (ayant pour fonds de
commerce l’entretien des appareils de mesure de la température dans toutes sortes
d’industries).
De 1965 à 1988, l’entreprise PYRO-CONTRÔLE est passée de trois à quatre-
vingts salariés en fabriquant des capteurs, thermocouples et sondes à résistance de
platine pour toutes sortes d’industries (de l’industrie laitière… aux centrales
nucléaires, du traitement thermique des métaux à la fonderie, et j’en passe).
Pendant toutes ces années, j’ai sillonné la France en explorant son patrimoine
industriel et j’ai mené quelques excursions au-delà des frontières.
Après la cession de PYRO-CONTRÔLE au groupe américain ENGELHARD,
j’ai définitivement quitté la société à l’issue d’une petite année de collaboration.
En 1992, j’ai repris une PME à Saint-Chamond, l’entreprise FREYSSINET,
qualifiée de « Belle Endormie », qui employait une centaine de personnes et
fabriquait des tresses et des câbles spéciaux en cuivre pour toutes sortes
d’application : tresses de masse pour avions, navires, transformateurs,…etc.
Après quatre années laborieuses, les dirigeants de mon principal concurrent
local se sont intéressés à cette entreprise dont le nouvel essor les inquiétait et j’ai
rapidement accepté de la leur céder. J’ai cessé de faire le trajet quotidien Lyon- Saint-
Chamond avec soulagement.
Après plus d’un an de recherches, j’ai repris une entreprise, la société SOFILEC
située à Meyzieu, active dans le cuivre pour l’électrotechnique. À la suite d’un
accident cardiaque début 1998, j’ai recruté un jeune gadzarts pour me suppléer au
poste de directeur. Mais les deux cadres technique et commercial, avec qui j’étais
associé dans cette société, ont souhaité me racheter mes parts afin de confier la
direction à un de leurs amis.
130
Voilà, la fin de la partie est définitivement sifflée en 2001 et la retraite peut
commencer avec multiples distractions actives : randonnées, jardin, voyages, lecture,
cuisine…
Mais ce n’est pas tout à fait la fin de l’aventure industrielle :
Didier Jouve, le jeune gadzarts recruté par les soins de Gilbert Gaillot, Tésis,
pour assurer la direction de SOFILEC, avait été licencié en 2000 lors de la cession
de l’entreprise. Ayant beaucoup apprécié ses qualités en management et sa volonté
entrepreneuriale, j’ai décidé de l’accompagner pour assurer la reprise de l’entreprise
ROUSSON CHAMOUX située à Feurs dans la Loire, en vente suite au décès de son
PDG, notre ami Claude Masclet, le K’nass. L’entreprise est devenue DJ MECA (si
le hasard fait que ce sont les initiales de Daniel Jacobzone, ce sont aussi et surtout
celles de Didier Jouve). Une belle aventure car avec Didier Jouve à la barre,
l’entreprise prospère depuis 2004 et compte actuellement six sites de production en
France. L’entreprise a récemment quitté ses anciens locaux vétustes pour s’installer
sur la zone industrielle de Civens près de Feurs, dans des locaux plus adaptés aux
enjeux économiques modernes et je continue à suivre son évolution.
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Yun’s Henri JUNALIK
Juillet 1961, une semaine après la fin des cours j’ai débuté mon service
militaire par les EOR du matériel à Fontainebleau, cette intégration "rapide"
permettait de faire une année scolaire à l’École spéciale des travaux aéronautiques au
titre du service militaire et de passer le certificat d’aérodynamique appliquée à la
Sorbonne.
Juillet 1962, enfin opérationnel pour les besoins de l’Armée, sorti 1er des EOR
(surtout grâce à mes performances sportives), j’ai donc pu choisir mon affectation,
l’Algérie avait choisi son indépendance et l’OAS sévissait par ses attentats, j’ai choisi
Baden Baden… Sous-lieutenant, officier mécanicien dans l’ALAT (Aviation légère
de l’armée de terre). J’ai fait connaissance avec l’armée des professionnels, les vrais
militaires… un capitaine sympa et intelligent… certains un peu amers d’avoir
"perdu" l’Indochine et l’Algérie.
La menace venait de la Russie communiste et les Alouettes de l’ALAT devaient
tirer sur les chars russes s’ils s’avisaient de nous envahir… c’était aussi la crise de
Cuba… une tension certaine dans les rangs de l’armée…
Fin Janvier 1963, démobilisé, je commençais ma carrière professionnelle à la
SNECMA (réacteurs d’avions) comme ingénieur d’essais à Istres, chargé des essais
sur le prototype Mirage 3T, d’un réacteur Pratt et Whitney double corps simple flux,
une première en France sur lequel la Snecma adaptait une post-combustion…
performances exceptionnelles : 30 000 pieds (environ 10 000 m) atteints deux
minutes après le lâcher des freins ! Des essais avec tous les aléas d’un prototype : une
très bonne coordination entre l’ingénieur et le pilote permet de sauver des situations
difficiles telles qu’atterrissage réacteur éteint… atterrissage réacteur à plein gaz…
En 1966 on me confie la représentation technique auprès de Pratt et Whitney,
nous partons donc aux États-Unis à Hartford (Connecticut) avec Sophie mon épouse
et notre fille Nathalie (trois mois)… Le climat politique n’était pas très favorable, le
général de Gaulle prenait ses distances avec les États-Unis et l’OTAN et défrayait la
chronique avec son discours de Phnom Penh et le "Québec libre"… et de surcroit la
SNECMA travaillait avec ROLLS ROYCE sur la propulsion du Concorde.
132
Nous avons beaucoup visité le pays et apprécié les Américains, leur générosité,
leur hospitalité... certains s’interrogeaient sur la guerre du Vietnam, la radio
annonçait chaque semaine le nombre de GI’s morts…
Après deux ans, retour au pays sur le paquebot France, nous débarquons au
Havre le 1er mai 1968, le réservoir siphonné de notre Ford Mustang dès le début de la
pénurie d’essence ne permettait pas de profiter de ces vacances forcées, nous étions
cloués à Créteil, où des amis nous avaient prêté leur appartement, car nous n’avions
pas de maison à nous.
Juillet 1968, départ pour l’Angleterre pour les essais en vol de Concorde, à
Bristol où les avions anglais étaient construits, puis à Fairford où les essais se
déroulaient a partir d’une piste plus confortable : longueur 5 km.
Prototype Concorde 002 et avion de pré-série Concorde 01
Malgré nos différences de langue, de culture, et même d’unités de mesure ! la
coopération entre les avionneurs SUD-AVIATION et BAC, les motoristes ROLLS
ROYCE et SNECMA se passait bien, le travail passionnant… la technique
aéronautique et la communication, les liaisons avec Villaroche et Toulouse…
Nous habitions un petit village des Cotswolds, région magnifique, Sophie
passait le Cambridge certificate of proficiency in english, Nathalie allait dans une
école anglaise et était alors parfaitement trilingue : français, anglais, et polonais
(notre langue maternelle à Sophie et moi).
Le programme Concorde se poursuivait par des essais de décollage en altitude à
Johannesbourg où nous avons passé un mois : c’était la fin de l’apartheid.
Enfin un voyage pour des vols de démonstration : Athènes, Téhéran, Bombay,
Singapour, Manille, Darwin, Sydney, Melbourne, Darwin, Tokyo, Singapour,
Bombay, Bahrein, Toulouse, Londres.
Au retour à Londres, présentation à la reine Élisabeth II : j’ai eu l’honneur de
lui être présenté avec l’équipe technique et les membres de l’équipage.
Ayant participé à ce programme et volé, avant la certification de l’avion, je suis
un des pionniers de l’aviation civile supersonique.
Après 5 ans passés en Angleterre, je demande mon retour en France : Nathalie a
sept ans et a besoin d’être scolarisée, Sophie institutrice l’avait bien préparée à ce
retour avec des cours du CNTE, sa réadaptation se fera sans difficulté !
133
Mon employeur, la SNECMA, n’a pas bien compris la situation et m’a proposé
de repartir aux USA chez General Electric. C’était le début du programme
CFM56…j’ai refusé l’obstacle et quitté pour compléter mon expérience en études-
essais par une expérience de production.
Je me suis retrouvé directeur de production d’une cartonnerie à Compiègne.
C’est carrément une autre planète, je découvre le monde d’une PME entreprise
familiale… ça ne vole pas à Mach 2 et 50 000 pieds ! là, dans une usine de cent
cinquante personnes on fait de tout… du process de fabrication à la qualité, de
l’entretien aux travaux neufs, au personnel…
Après quelques années dans ce métier je passe aux métiers du plâtre, chez
Plâtres Lafarge, mon expérience du papier carton sera utile car il s’agit de plaques de
plâtre cartonnées, je fais du développement produits et systèmes associés aux plaques
de plâtre avec tous les essais correspondants : mécaniques, acoustiques, thermiques,
résistance incendie.
Parallèlement, j’assure la direction technico-commerciale de Plâtres Lafarge
avec trente cinq techniciens et ingénieurs sur six sites différents, tout en faisant partie
d'un groupe d’experts avec le CSTB pour la délivrance des Avis techniques et d’une
commission de normalisation européenne des produits plâtre.
Nous avons un contrat d’assistance-formation avec une société thaïlandaise ce
qui conduit à des missions dans ce pays.
Nous avons une coopération avec une société américaine ce qui conduit aussi à
des missions dans ce pays, parallèlement nous faisons avec eux des missions au
Japon pour évaluer les techniques et pour comprendre leur méthode qualité...
Mes dernières années d’activité : je suis directeur du développement
technologique et je consacre du temps à l’utilisation des gypses de désulfuration des
centrales thermiques allemandes et à la conduite d’un projet de développement de
plaques fibreuses (sans carton).
134
Quand j’ai intégré Plâtres Lafarge j’étais le seul gadzarts, quand j’en suis parti
nous étions treize ! Je crois avoir ouvert la voie… en étant exemplaire ?
Je crois avoir montré la polyvalence et l’adaptabilité de notre formation, la
maitrise de l’anglais a été importante et m’a ouvert des voies… Bien peu pratiquaient
cette langue de façon courante, même dans les sociétés importantes comme Lafarge.
Je n’ai pas fait ‘’une grande carrière’’, mais j’ai aimé mon métier d’ingénieur, je
l’ai pratiqué avec plaisir !
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Kim Michel LABOURBE
Si vous dites Cluny 57, tous les gadzarts de cette promotion vous répondront :
Kim ! Il en était l’âme, véritablement. Michel avait préparé le concours des Arts et
Métiers à l’École nationale professionnelle de Chalon-sur-Saône (dite «la Prof»), et a
suivi le cursus de l’époque : trois ans à Cluny, suivis d’un an à Paris.
Dès 1961, après notre «délivrance», élu délégué, Michel a été le messager des
nouvelles de notre communauté, sans oublier celles de ses camarades de promo. Par
la suite, au fil des années, il a su créer le désir de retrouvailles. À chacun de ses
appels, nous accourions de plus en plus nombreux, de plus en plus heureux. Ce furent
d’abord les anniversaires tous les cinq ans, puis le rituel fédérateur d’un voyage et
d’une randonnée (la Zapatte) annuels, toujours très prisés par ses camarades.
Débutant sa carrière chez Richier-Nordest, fabricant de matériel TP à Grenoble,
il l’a poursuivie dans la construction métallique aux Établissements Berthier à
Chalon, jusqu’en 1970. C’est alors, à trente deux ans, qu’il est entré dans l’usine de
fabrication de tubes d’éclairage de Philips, à Chalon. Cet établissement a compté
jusqu’à neuf cents personnes et produisait près de quatre-vingts millions de tubes par
an. D’abord au service maintenance, dont il est rapidement devenu responsable, notre
camarade prit ensuite le poste de directeur de la production. Ses idées ont fait de
l’usine de Chalon un site modèle pour le groupe : ses méthodes et procédés ont été
appliqués par la suite dans les autres usines, tant aux États-Unis qu’en Chine, et
même à l’usine mère d’Eindhoven, aux Pays-Bas. C’est dire le professionnalisme et
la compétence de Michel dans cette industrie complexe (verrerie à feu continu et
production fragile à très haute cadence). Son employeur lui a d’ailleurs demandé de
différer son départ en retraite à plusieurs reprises, ce qu’il a accepté par amour de son
métier… mais en fixant une certaine limite !
Ses activités gadzariques s’élargissaient du groupe régional de Chalon-sur-
Saône dont il fut président, au Centre de Cluny et à son musée ; de plus, Michel
s’impliquait dans la Société des amis de l’École de Cluny (SAEC), créée en 1967,
lorsque l’existence même du centre de Cluny fut en jeu. Jamais dans la séduction
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outrancière, Michel dégageait un charme discret et toujours convaincant. Sa
diplomatie bienveillante était empreinte d’un humanisme gadzarique. Ses activités
constantes au sein de la Communauté lui ont valu de recevoir la médaille d’argent de
la Société des ingénieurs Arts et Métiers.
Sa constance, sa force persuasive jamais forcée, sa sérénité souriante ont su
entretenir l’étincelle jaillie à Cluny en 1957. Nous élevant au-dessus de la mêlée
professionnelle, l’art de Kim a été d’organiser, de faire vivre notre fraternité.
Demeurera une trace féconde dans le cœur de tous ceux qui l’ont connu :
Michel Labourbe a été un gadzarts, un authentique gadzarts.
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Django Jean LAMBERT
Après l'obtention de mon Zacul, j'ai eu envie comme beaucoup d'entre nous, de
compléter mes études avec une spécialisation : j'ai ainsi obtenu un certificat de
troisième cycle en métallurgie spéciale à l'INSTN de Saclay. Ce certificat constituait
le point de passage pour aborder une thèse d’ingénieur docteur, ce qui était mon idée
première, mais qui se révélait alors présenter un inconvénient majeur, à savoir la
nécessité d'y consacrer trois ans supplémentaires… or, je me devais de gagner ma
vie ! J'ai donc décidé de chercher du travail, en m'orientant vers l'aéronautique,
secteur d'activité où les matériaux spéciaux représentaient, me semblait-il, un
domaine particulièrement important et donc susceptible d’être intéressé par ma
candidature.
C'est ainsi, chose assez impensable aujourd'hui, qu'un simple contact avec un ex
de mes connaissances, m'a permis de trouver immédiatement un poste en présituation
à Nord-Aviation établissement des Mureaux, au laboratoire de Contrôle qualité.
Après cette période d'intégration très favorable, j'ai effectué mon service militaire
débutant par les EOR dans l'artillerie à Chalons-en-Champagne puis une affectation
en Allemagne à Constanz comme sous-lieutenant. Cette dernière activité, riche en
campagnes diverses dans les célèbres camps militaires français et allemands m'a
permis une première confrontation intéressante avec les problèmes de
commandement.
À mon retour à la vie civile, Nord-Aviation se proposait de me reprendre comme
adjoint au chef du laboratoire, ce que j'acceptais !
Je débutais alors véritablement ce qui fut mon parcours professionnel, réalisé
intégralement dans l’aéronautique mais avec des épisodes très diversifiés et toujours
enrichissants. J'identifie deux grandes périodes apparemment très différentes :
Première période : l'établissement des Mureaux
- dans le domaine technique : la Qualité.
Au départ, cet établissement industriel était essentiellement un centre de
production de série travaillant pour les programmes Petits Engins et Avions de Nord-
Aviation et qui comptait environ quinze cents personnes et seulement cinquante
cadres. Mais peu après mon arrivée, une mutation importante
s'amorce, techniquement très intéressante. Nous sommes alors à l'époque de la fusée
Diamant et de la création de la force de dissuasion française et l’établissement se voit
confier la réalisation de plusieurs corps de propulseurs. Les bureaux d'études de Nord-
Aviation travaillant sur ces programmes sont alors mutés aux Mureaux.
138
Coté fabrication, il s'agit dans un premier temps, de mettre au point et valider les
technologies de soudage de ces corps de propulseurs de grands diamètres et constitués
d'aciers à haute, voire très haute résistance, nécessitant des adaptations de procédés
très spécifiques, compte tenu des exigences qualité associées à ces produits. Cette
activité a été confiée au laboratoire où j'étais affecté ; j'ai donc participé à ces
développements très novateurs et complémentairement à la définition des contrôles
non destructifs des soudures. Mon passage au labo, en dehors de ces travaux
particuliers, m'a permis sur le plan industriel d’acquérir de bonnes connaissances en
matière de traitements thermiques, traitements de surfaces et contrôles non destructifs
en général.
Je suis alors nommé adjoint puis chef du département contrôle qualité. C'est
dans cette période que s'implantent dans l'établissement les activités liées au
programme Ariane : la réalisation du corps du premier étage de la fusée et son
intégration.
Le département contrôle qualité regroupe alors : le laboratoire, le contrôle
fabrication, le contrôle intégration des lanceurs et les méthodes correspondantes ainsi
que le suivi de tous les fournisseurs, équipementiers ou sous-contractants.
Je me consacre à l'animation des équipes et à la formalisation de leurs actions
par des procédures écrites dès lors qu'on parle maintenant de contrôle qualité et non
plus seulement de contrôle.
Je mets en place un système de gestion de la qualité pour le traitement des non
conformités et une sensibilisation aux coûts de la non qualité.
Je participe complémentairement aux premières réflexions menées par nos
grands clients DTEN et CNES sur les démarches qualité à mettre en œuvre pour la
maîtrise de leurs programmes.
- et c'est la création d'Aérospatiale
Fruit du rapprochement de Nord-Aviation, Sud-Aviation et SEREB,
l’établissement des Mureaux voit s'implanter les bureaux d’études et les groupes de
programmes militaires et civils ainsi que la direction de la division des systèmes
balistiques et spatiaux. La population a changé ! On compte alors environ trois mille
personnes dont quinze cents ingénieurs et cadres.
Je suis alors nommé chef du département qualité : regroupant l'activité contrôle
qualité et assurance qualité, c'est alors une équipe d'environ cent cinquante personnes
dont une trentaine d'ingénieurs et cadres qui sont associés à l'ensemble des processus
industriels, depuis les groupes de programmes, en passant par les bureaux d’études et
toutes les activités de production ainsi que la qualité des fournisseurs.
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Pour définir et formaliser les actions et les procédures correspondantes, j'établis
le premier Manuel qualité de l’établissement.
C'est en partant de ce document de référence et de leurs audits de vérification,
que les services officiels ont attribué une des premières certifications Qualité RAQ1
nationales à l’établissement. Complémentairement, j'ai développé une méthodologie
d'aide à la maîtrise de la qualité permettant de définir les actions en diminution de
risques nécessaires pour assurer la qualité d'un produit en maîtrisant l'ensemble de
son processus industriel.
Seconde période : je m’éloigne un peu de la technique
Un collègue des Mureaux qui avait quitté l'activité, revenait à Aérospatiale : la
division Hélicoptères lui proposait de prendre la direction de l’établissement de
Marignane, gros centre industriel de plus de sept mille personnes, en charge des
études et développement, de la réalisation et de l'après-vente des hélicoptères
Aérospatiale, mais qui se trouvait alors en grande difficulté, avec nécessité de mise en
place d'un plan social… Cet ami m'a demandé de l'accompagner et j'ai accepté de le
suivre, intéressé par le changement et le nouveau challenge.
Dans cette situation difficile, l'information et la communication étaient des
domaines importants et ce sont les premiers auxquels je me suis consacré : création
d'un service de communication interne en charge de la réalisation d'un journal
mensuel en collaboration avec des correspondants nommés dans chaque direction,
mise en place de comités de direction hebdomadaires dont j'étais le secrétaire, pour
l'information et le traitement des problèmes généraux, préparation de la
communication directe du directeur à l'ensemble du personnel.
Dans le cadre d'une démarche générale du groupe Aérospatiale, je suis
l'animateur du projet d'entreprise de l’établissement, défini avec la participation de
toutes les directions, chargé ensuite de la coordination et du suivi des plans d'actions.
Complémentairement, m'est rattaché le service des relations publiques chargé de
l’accueil des clients ou associations pour une visite de l'établissement et d'assurer sa
présence dans certaines manifestations régionales. Dans ce contexte, je suis
responsable de l'organisation des grands événements internes : en m'appuyant sur la
structure du projet d'entreprise, j'ai par exemple organisé une opération « portes
ouvertes » à l'occasion des vingt ans d'Aérospatiale qui a accueilli quatre-vingt mille
visiteurs…
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Puis c'est la création d'Eurocopter. Nous devenons alors une entreprise franco-
allemande comprenant deux établissements allemands et deux établissements
français. Marignane est le principal et sera le siège de la Société. Me concernant, en
complément de mes précédentes activités, il s'agit alors d'harmoniser nos démarches
et nos supports de communication en créant un nouveau journal bilingue et un comité
de rédaction mixte.
Dans le domaine des grands événements que j'ai organisés, je citerai
simplement :
- à Aix en Provence, la manifestation pour la création d'Eurocopter où nous
avons invité les personnalités politiques et industrielles régionales.
- à Marignane, la cérémonie du premier vol du NH90, appareil développé en
coopération avec l'Allemagne, l'Italie et la Hollande. Pour l'occasion, ce sont donc
des représentants politiques et industriels des différents pays, soit cinq cents
personnes, qui ont été invitées, transportées et nourries pour assister à la présentation
du nouvel appareil dans le cadre d'une belle manifestation.
D'autre part, j'ai été président du groupe régional de la 3AF, l'Association
d'aéronautique et d'astronautique de France.
Les deux grandes périodes de mon parcours professionnel peuvent paraître très
différentes : pourtant, dans les deux cas, c'est toujours la participation des parties
prenantes que j'ai recherchée pour conduire mes activités. Ce sont ces activités,
finalement très complémentaires, qui m'ont permis de vivre intensément
l'Entreprise, avec des difficultés bien sûr comme partout, mais qui m'ont donné de
grandes joies et satisfactions.
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Hans Jean LAVERGNAT
Mon métier de cheminot a été passionnant presque tout le temps et d'une variété
infinie :
- en moyenne environ trois à quatre ans par poste,
- dix déménagements avec mon épouse entre Paris et Marseille : un kaléidoscope de
mentalités, de comportements individuels et collectifs des plus enrichissants.
- une multitude de professions différentes :
* conduite de trains (vapeur, électrique, diesel, autorail) durant près de neuf
mois (il faut bien connaître le métier de ceux que l'on formera et commandera
ultérieurement).
* entretien courant, périodique et grandes révisions des mêmes matériels,
* organisation des plans de transport (horaires Voyageurs & Marchandises)
* sécurité et qualité de service
* gestion d'unités locales, direction d'établissement, gestion de secteur au niveau
régional, et de l'ensemble de l'activité Transport d'une Région, ou organisation du
travail du personnel roulant sur l'ensemble du secteur Nord-Est de l'entreprise.
* une mention particulière dans ce poste : sous la direction des bureaux d'étude
et du constructeur, avec trois conducteurs sélectionnés et l'ensemble de l'atelier
d'entretien, gestion opérationnelle des deux TGV de pré-séries, dont l'un a réalisé
dans les Landes le record mondial de vitesse sur rails au début des années 70.
Au delà de ce résumé succinct d'une carrière à multiples facettes, le fait
marquant, de mon point de vue, consiste dans l'exceptionnelle richesse des relations
humaines avec ses hauts et ses bas, tant avec la hiérarchie (dans une telle entreprise
tout le monde a un chef), qu'avec ses collaborateurs et personnels, même si trop
souvent je pouvais déplorer des postures collectives quasi constamment
conservatrices faisant fi des effets de la concurrence commerciale en pleine
effervescence (voitures, camions, avions).
Une évidence dans ce parcours, l'âge de la retraite est arrivé presque
inopinément au milieu d'un engouement toujours vif !
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Yann Jean-Paul LEQUIN
Jean-Paul est né le 24 novembre 1937 dans une petite commune voisine du
Creusot à Marmagne.
Après l'école primaire à Marmagne, il intègre en 1948 la fameuse "école
spéciale" de Schneider, école destinée à la formation des personnels de l'usine puis
accède à la classe préparatoire aux Arts et Métiers, alors qu'il aurait aimé être
médecin.
En bon creusotin, il intègre Cluny avec la promotion 1957-1961.
Pendant les quatre années de formation, il fait régulièrement des stages à l'usine
Schneider du Creusot.
Il entre au service de l'aciérie pour quelques mois avant d'effectuer son service
militaire en Algérie.
À son retour, il occupe un poste d'ingénieur à la fonderie d'acier à la SFAC du
Creusot.
Il fut chef d'atelier de 1963 à 1968 puis chef de service de 1969 à 1984.
En 1970, la SFAC devient Creusot-Loire et son unité devient Creusot-Loire-
Industrie, filiale d'USINOR.
En 1984, il est nommé chef des services techniques et commerciaux pour les
fonderies et les forges, ce qui lui valut de parcourir le monde.
Jean-Paul a été président des Fondeurs du Sud-Est de 1986 à 1992 puis
président des Fondeurs de France de 1992 à 1995.
Il fut admis à la retraite en 1999 mais fut rappelé de nombreuses fois pour
négocier les très grosses pièces pour le barrage des Trois-Gorges en Chine.
144
Son activité extra-professionnelle fut aussi très riche.
Il entre dans la vie politique et devient conseiller municipal du Creusot de 1971
à 2001, conseiller communautaire du Creusot et vice-président du Conseil régional de
Bourgogne de 1986 à 1998.
Il était chargé de la recherche, de l'enseignement supérieur et des nouvelles
technologies.
C'est alors qu'il fut président de "Bourgogne technologie" et durant quinze ans,
il réussit à rapprocher l'association de la recherche publique et à développer des
innovations dans les entreprises grâce à la diffusion des résultats de la recherche.
Il eut la grande joie, en avril 2011, de participer à la transformation de cette
unité en société filiale du Grand campus universitaire de Dijon.
Jean-Paul fut membre du conseil d'administration de l'IUT du Creusot depuis
2007 et il a reçu la médaille de l'Université de Bourgogne en mai 2011 pour sa
contribution dans la modernisation des relations de l'Université avec le monde socio-
économique.
Durant sa retraite, il s'est consacré au poste de président du Centre de l'ENSAM
de Cluny où il mit en place, avec l'aide de la Région, l'utilisation du numérique, la
modernisation des installations, la création d'une nouvelle résidence pour les élèves,
puis la préparation d'un nouveau réfectoire.
Il avait accepté au début 2011 une mission de conciliation entre les professeurs
et les élèves du Centre de Cluny.
Il fut Officier des palmes académiques, Chevalier de l'Ordre national du Mérite,
médaille d'Argent de la société des Arts et Métiers et en janvier 2011 il reçut la
médaille d'honneur des écoles d'Arts et Métiers.
À coté de tout cela, il était membre du Lion's Club du Creusot dont il fut
président en 1971 et il prit une part active à l'association "Habitat et Humanisme" de
Saône et Loire.
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Tramp Jean Claude LOISEAU
Formation initiale
Études complètes, du primaire au secondaire, incluant la formation technique,
dans le système scolaire privé de la société Schneider au Creusot. Cursus quasi
obligatoire pour les enfants du personnel de cette société, ne laissant guère de place
aux envies personnelles, mais quel ascenseur social, bien que vilipendé par certains
du fait de son caractère paternaliste !
Déroulement de carrière
Juillet 1961 à Juin 1967
Esso Standard à Port Jérôme, avec enclave de 18 mois lors du service militaire
(effectué dans l’Arme Blindée Cavalerie en grande partie à Saumur) : ingénierie
pétrolière de conception, puis réalisation de divers équipements utilisés en raffinerie
de pétrole.
Juillet 1967 à Août 1969
Une certaine instabilité m’amenant sur ces deux années à tenter ma chance
d’abord comme ingénieur d’entretien-travaux neufs dans une petite usine de
fabrication de charbon actif, située dans un environnement social peu attrayant
(Vierzon en mai 68) puis dans un groupe familial dirigé par des gadzarts où je me
suis occupé d’abord de la production d’ambulances et bétaillères, puis ensuite de
mobilier scolaire et de bureaux. Beaucoup d’intérêt technique mais j’y compris que la
direction de personnel, ainsi que la souplesse nécessaire pour coller aux « désirs » des
commerciaux n’était pas franchement dans mes cordes.
Août 1969 à Août 1976 : SFAC Le Creusot
Retour à la région natale chez Schneider-SFAC puis Creusot Loire. D’abord
comme ingénieur chantier chargé de la mise en place ainsi que de la mise en service
de compresseurs centrifuges : poste particulièrement vivant et enrichissant car il
s’agissait des tous premiers compresseurs de ce genre réalisés par cette société et
nécessitant aussi de nombreux déplacements tant à l’étranger (Algérie et Pologne)
qu’en France.
146
Ensuite comme ingénieur titulaire de fabrication, poste assurant la coordination
des différents acteurs intervenant dans la fabrication des compresseurs centrifuges et
assurant en particulier le respect des délais et des coûts. Pas une sinécure quant le
poste en cause n’a aucune position de commandement sur les divers acteurs (BE,
achats, ateliers divers d’usinage !), que les machines commandées, développées
spécifiquement pour le client ont un très fort caractère prototype voire dépassent les
possibilités techniques des machines de l’atelier, et que celui-ci est essentiellement
dirigé vers les turbines à vapeur ! Bref le poste à piquer très vite dans la déprime (on
ne parlait pas encore de burnout !). J’y ai beaucoup appris techniquement et
humainement, en particulier j’y eu la confirmation que la direction d’un groupe de
personnes n’était pas dans mes cordes.
Août 1976 à Décembre 2000
Changement total de secteur d’activité : ayant constaté dans l’expérience
précédente que les assureurs dits techniques ne connaissaient pas grand-chose aux
matériels qu’ils étaient censés assurer, je profitai d’une offre d’emploi par la filiale
d’un groupe mutualiste industriel américain pour m’orienter dans cette activité.
Le secteur technique de l’assurance industrielle couvre la recherche des
éléments techniques nécessaires au calcul de la tarification, et pas seulement la valeur
financière (quasi uniquement pratiquée alors par les assureurs français). De ces
éléments découlent aussi la connaissance des éléments de sécurité existants dans
l’établissement analysé et par suite des suggestions et conseils pouvant apporter une
amélioration dans ce domaine. Ceci s’applique à tous les domaines de « risques »
d’une activité et d’une société : incendie, bris de machine (mon domaine spécifique),
responsabilité civile, risques environnementaux… Il en résulte une infinie variété de
situations liée à l’infinie variété des situations et des intervenants !
Durant les 24 années de cette activité je restai 5 années dans le groupe
mutualiste américain que je quittai à la suite d’un licenciement économique lié à la
reprise de la société par une autre. Je passai ensuite 2 ans dans une petite société
allemande avant de rejoindre en 1984 le département AGR de GRAS SAVOYE,
second courtier français, département qui fut ensuite filialisé sous le nom de Sageri
puis Sageris.
Cette dernière période d’activité, la plus longue aussi de ma vie professionnelle
fut réellement la plus vivante et la plus enrichissante. Mais je dois souligner qu’elle
ne pouvait se révéler ainsi que parce qu’auparavant j’avais accumulé quelques
expériences techniques très utiles.
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Après la mise en retraite
Je me suis intégré quelque temps à une association de bénévoles nommée
EGEE « Entente des Générations pour l’Entreprise et l’Emploi » dont l’objectif était
d’apporter de l’aide à moindre coût aux TPE et PME dans l’objectif de développer
leur activité en vue de création d’emplois. J’y réalisai quelques analyses de sécurité,
autant dans un objectif d’amélioration de celle-ci que pour répondre à une demande
de mise en conformité règlementaire. Je me rendis compte ensuite que cette
association dérivait de son objectif initial en apportant son aide à des organismes
administratifs et la quittai. Ensuite de gros problèmes de santé me coupèrent de toute
activité.
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Pap’s André MARION
C’est vers 1950 que l’idée puis le désir de faire les Arts et Métiers me vint.
J’étais alors élevé par ma marraine, la sœur de ma mère. Cette dernière n’avait
pas voulu quitter mon père revenu tuberculeux de la désastreuse bataille devant
l’avance allemande de 39-40. Elle l’accompagnera jusqu'à sa stabilisation, puis sa
disparition en 1958.
Pourquoi les Arts ? Bien que mon père fut gadzarts (Aix26), je ne l’ai jamais
côtoyé. Je pense que, étant très attiré par la mécanique, ma marraine me permettant
de lire régulièrement « Science et Vie » et certainement me parlant de ce père lointain
j’ai été influencé par ces faits.
Donc à treize ans, soutenu par mes parents, j’ai abandonné la filière classique
(latin, allemand, grec) pour faire une année en « 3éme
moderne » à La Côte-Saint-
André, présenter le concours d’entrée en seconde à l’ENP de Voiron, et présenter le
concours d’entrée aux Arts. Recalé en 1956 j’ai intégré en 1957 l’école de Cluny.
Je n’ai jamais regretté mon choix sur le plan professionnel et je milite depuis de
nombreuses années en Corrèze pour pousser les jeunes des lycées de la région à
continuer leurs études vers les sections de prépa et présenter les concours des grandes
écoles.
Après ma retraite, en 2001, j’ai repris une activité d’ingénieur indépendant et
actuellement je consacre une grande partie de mon temps à la Croix Rouge de
Corrèze comme membre du bureau local et responsable de l’accueil de jour.
Ma carrière a été mouvementée :
1961-1969-Sidérurgiste
Après les Arts, en juillet 1961, j’ai été tout de suite embauché en présituation
dans la sidérurgie (les sociétés de l’Est venaient nous chercher aux Arts), dans le
service hauts-fourneaux de Sidelor à Homécourt. Revenu en 1963, après mon service
militaire exécuté comme officier chef de section réparation auto-chars en Algérie,
puis instructeur diéséliste à Bourges, j’ai poursuivi mon parcours comme responsable
entretien, puis sous-chef de service du service agglomération.
Nous nous sommes mariés avec Chantal pendant mon service militaire. En
Lorraine nous aurons trois enfants : Fabienne, Philippe et Stéphane, tous les trois nés
à Briey.
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1970-1972 - Responsable bureau d’études-réalisation en mécanique générale
En 1970, mon épouse désirait quitter l’Est pour se rapprocher de ses parents.
Moi-même, secrétaire de la section syndicale CGC d’Homécourt et ayant eu des
« mots » avec le DRH de De Wendel, notre nouvelle direction, j’ai cherché une
nouvelle situation avec l’aide efficace du service « Emplois-Carrières » de la société
des Anciens Elèves. J’ai choisi un poste de directeur adjoint dans le groupe de
M.PETERS, SEMEP, SEREP, BEP à Aix-en Provence.
Prototypes, nucléaire, calcul des matériaux, recherche de produits propres,
prospection de nouveaux clients, catalogue, tout ce qui concerne un bureau d’étude
couplé à un atelier de réalisation : passionnant !
1972-1975 - Création et direction d’un service technique-recherche
En 1972, mon client et voisin, Filclair, en pleine expansion (à cette époque le
film PVC français était leader mondial en longévité et Filclair possédait un brevet sur
un tel matériau adapté à la culture sous serre) me propose de créer la branche
technique et recherche de la société. Ayant accepté, j’installe entièrement une
profileuse à tubes pour fabriquer les tubes en acier galvanisé (quinze tonnes par mois)
qui sont la matière première de l’entreprise, puis crée le service technique, le service
recherche et développement en collaboration avec les INRA d’Aleniya et Montfavet
puis avec le CENG de Grenoble.
Le marché de Filclair ayant subi des revers dus souvent à la conjoncture
internationale, la société se trouve en rupture de fonds propres, les banques ne suivent
plus, et la société change de propiétaire. Le nouvel actionnaire conserve la partie
production qui est saine (la société Filclair existe toujours et se développe encore
actuellement), supprime tous les services annexes hors production et les gros salaires.
En juin 1976 je me retrouve donc au chômage.
Chantal, très dépressive après notre départ de Lorraine, bien que ce fût son
choix, se suicide en 1976.
1976-1977 - Année d’étude, IAE d’Aix en Provence
J’améliore mes connaissances en gestion, marketing, comptabilité à l’université
d’Aix en Provence et surtout acquiers le virus du créateur ou gestionnaire
d’entreprise.
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1977-1984 - Direction technique d’une papeterie-cartonnerie
Ayant repris ma recherche de situation dès janvier, et ne désirant pas forcement
rester dans le Midi, à la fin de mon année scolaire je choisis le poste de directeur
adjoint, chargé de la maintenance et des travaux neufs des Papeteries-Cartonneries
Royères à Uzerche en Corrèze. Après mon passage à l’IAE, mon projet était, après
quelques années de formation en papier-carton, de reprendre la direction de Royères.
Tout se passe bien jusqu’en 1981, mais au départ du directeur que je comptais
remplacer, l’ancien directeur adjoint reprend la direction d’Uzerche. L’entente avec
ce nouveau directeur (gadzarts lui aussi) est désastreuse et je suis licencié.
Nous nous sommes mariés avec Danièle en 1977, juste avant notre départ pour
la Corrèze. Nous aurons deux enfants : Laure et Martin. Le 18 janvier 1983, elle se
tue dans un accident de voiture entre Limoges et Uzerche.
1985-1989 - PDG de la société SA NOSTRON
Mon désir d’avoir ma propre entreprise ne m’avait pas quitté. Ma prime de
licenciement confortable et ma situation financière à ce moment me permet
d’envisager une création ou une reprise. Je reprends en 1986 la «SA du Garage
Nostron», spécialisée dans le matériel forestier, concessionnaire BRIMONT-LATIL
pour les engins, et concessionnaire local pour les grues sur camion. Malheureusement
BRIMONT disparaît en 1989, et avec cette société, le matériel LATIL qui me
fournissait 80% du chiffre en pièces de rechange. Le milieu du « bois » n’est pas
porteur. D’autre part je ne suis pas un commerçant de proximité, je ne suis pas bon en
« négoce-achat-vente de matériel neuf et occasion » de ces produits auprès de la
clientèle, en majorité paysanne, et je dépose le bilan fin 1989. Ce sera une traversée
du désert.
En 1988 j’épouse Yvette. Je l’embauche comme secrétaire pour gérer les
pièces de rechange, notre chiffre principal. Ses ASSEDIC nous permettent de vivre
pendant notre traversée du désert.
152
1991- 2001- Ingénieur maintenance SA DESHORS
En mars 1991 je trouve une place comme ingénieur de maintenance de la
société Deshors, grosse affaire briviste d’usinage à façon pour l’aéronautique, les
moules pour pneumatiques, l’armée, les GIAT, et la grosse mécanique de grande
précision. L’activité de maintenance de Deshors étant externalisée en 2001, le poste
de responsable maintenance disparaît. Après avoir participé aux réunions pour la mise
en place des trente-cinq heures comme délégué cadre CGC, je prends ma retraite en
mars 2001, ayant les conditions requises pour une retraite entière.
2001-2008 - Ingénieur études-réalisations
Mettant en pratique les connaissances en machines-outils de mon dernier
emploi, je m’inscris à l’URSSA, demande une identité INSEE, et me lance dans une
activité d’ingénieur d’études indépendant. Je fais l’acquisition d’un matériel
informatique de dessin industriel et commence une activité de création de machines
portatives, de dessin de pièces de rechange et de rétrofit.
En 2008 je quitte définitivement la vie professionnelle pour me consacrer au
bénévolat à La Croix Rouge de Brive.
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Tater Gérard MICHAUD
Professionnel
-Sortie de l’École : entreprise CITRA, adjoint au responsable digue d’essai du
barrage du Montcenis, puis responsable du matériel au chantier du barrage de
Marckolsheim (Grand canal d’Alsace).
- Service national (dix-huit mois) : EOR puis responsable du matériel du régiment.
- Constructions métalliques BERTHIER :
-Ingénieur chantier, puis direction travaux France entière, charpentes
couvertures et bardages.
- Responsable technico-commercial secteur métallerie et fermetures.
-Entreprise LANGLOIS : aménagements de bâtiments industriels, travaux
d’isolation thermique et traitement acoustique de bâtiments tertiaires (grands
immeubles de la Part-Dieu à Lyon).
- Chef d’agence de Lyon et responsable-adjoint région Rhône-Alpes.
- Entreprise SECI : bureau d’études de conception et réalisation clés en mains de
bâtiments industriels tous usages et d'immeubles de bureaux. Associé.
Direction grands projets, puis directeur technique et directeur général jusqu'en fin
de carrière.
Associatif : principalement au sein des instances de la communauté Arts et Métiers.
- membre du bureau du groupe AM de Saône et Loire depuis 1970 à nos jours,
- adjoint du délégué de la promotion Cluny 57,
- délégué régional et membre du Comité national durant 3 ans,
Sportif : pratique assidue du golf depuis la retraite, avec responsabilité des joueurs
Seniors du club (140 membres) durant 3 ans.
Organisation régulière de compétitions entre élèves et anciens AM.
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154
155
Moss Robert MOURIER
À la sortie des Arts, je m’inscris à ESTP Paris, mais après trois mois de cours
d’un intérêt moyen je rentre à Grenoble, et j’attaque pour neuf mois à l’entreprise de
BTP Truchetet & Tansini (galerie d’amenée du barrage de Saint-Georges–de-
Commiers) jusqu’à fin 1962, pour la période de service militaire, d’abord les classes
au 4ème
Génie à Grenoble puis les EOR à Angers et retour au 4ème
Génie Grenoble de
préférence à l’Algérie encore risquée.
Début 1964, après la libération de l’armée, notre mariage (c’est déjà Michelle !)
nous nous installons à Tallard pour des travaux d’aménagement de la Durance, mais
comme je n’accepte pas de travailler 24h/24 et 7j /7, je me fais remercier au bout des
trois mois d’essais !
Départ pour Paris, ou nous pouvons nous loger et attendre la venue de Nathalie.
Je commence au bureau d’études de Stein & Roubaix où je gratte les plans de
chaudières d’usines thermiques futures, en 1964 et 1965. Ne voyant aucune évolution
possible, je suis embauché chez Nomidi pour commercialiser des matériels de BTP et
divers, et à l’automne 1967, après la naissance de Jérôme et constatant le peu d’avenir
sur le plan commercial et ressentant un appel familial, nous repartons à Grenoble.
Fin 1967, nous voici à Grenoble, et je rejoins mon père au sein de la SARL
Entreprise de TP Mourier & Fils, dont il assume la gérance depuis la mort de son père
en 1935. Je participe concrètement à l’élaboration du projet et au suivi de la
réalisation d’un centre commercial et de bureaux en banlieue de Grenoble. Après
cette réalisation, et les relations père-fils devenant compliquées et ne permettant pas
d’envisager un développement, j’y mets fin.
Juillet 1970, un industriel gadzarts m’embauche comme adjoint responsable de
fabrication. (Études et constructions mécaniques - ECM). C’est une PMI d’une
trentaine de salariés pour réaliser et vendre du matériel (centrales à béton mobiles,
positionneurs et vireurs pour chaudronnerie…). Je participe à la construction d’une
nouvelle usine et au développement de la société, jusqu’à sa cession à un patron plus
jeune avec qui je continue jusqu’à l’année 1986.
156
En 1987 nous rachetons ensemble la société GIMAR spécialisée dans le
transport par câble, dont je vais assumer la direction, et la gestion des chantiers en
cours de réalisation pour EDF sur l’île de la Réunion, ceci jusqu’à la fin de 1988, et la
revente de la société.
Début 1989, départ pour Toulon pour un poste d’assistance technique auprès de
la Direction des constructions navales en tant que responsable du futur moyen
d’essais du système d’éjection du futur missile balistique M51. Après ce poste en
1990, je suis embauché par les CNIM (Constructions industrielles de la Méditerranée)
à la Seyne-sur-Mer. Au sein de cette société, je m’occuperai ensuite de maintenance
de machine de chargement de combustible nucléaire en centrales.
Ensuite en tant qu’adjoint au chef de projet, après trois mois de cours de
portugais, je participe à la réalisation de l’usine de traitement des ordures ménagères
de l’agglomération de Porto, et ce jusqu’à sa mise en service en 2000. Enfin un autre
projet d’usine m’occupera jusqu’à Février 2001, date de ma mise à la retraite.
Retraite partielle, puisque le décès en 2001 de mon père, me permet de prendre
la gérance de la SARL encore propriétaire de locaux dans le Centre commercial et
bureaux construit en 1970.
Retour à Grenoble fin 2004 afin de régler les quelques problèmes de succession
au sein de la SARL.
Nous nous installons à St Martin d’Uriage, puis en 2012 à Grenoble.
****************
157
Sinus Maurice NIVON
À la suite d'un service militaire de dix-neuf mois, j'ai commencé la vie
professionnelle en 1963 et je l'ai terminée en 1999 après avoir exercé plusieurs
métiers et connu une courte période de chômage de trois mois.
Pendant la scolarité j'avais effectué des stages dans le domaine des travaux
publics : aux Ponts et Chaussées, aux Grands travaux de Marseille et chez
Solétanche. J'ai donc naturellement débuté dans les travaux publics dans une
entreprise de terrassement pendant trois ans. Ce métier était intéressant mais imposait
de fréquents déplacements, ce qui m'avait paru incompatible avec la vie familiale.
J'ai donc cherché une situation où mon expérience de chantier serait considérée.
Ainsi, j'ai travaillé pendant huit ans chez RICHIER, constructeur de matériel de TP
aux services Après-vente et Plan du Produit.
RICHIER ayant connu des difficultés en 1974, j'ai changé d'employeur et j'ai
occupé le poste de responsable de fabrication des conteneurs maritimes à la SNAV
pendant quatre ans.
Après une formation complémentaire à l'ICG (Institut de contrôle de gestion),
j'ai été responsable des fabrications des usines françaises d'un constructeur américain
d'équipements d'engins de terrassement et de dragage. En 1984, après six ans de
services, j'ai été licencié, ce qui a mis un terme à mon activité industrielle.
J'ai alors, commencé la deuxième partie de ma vie professionnelle au service de
la Prévention des risques professionnels de la Sécurité Sociale où j'ai exercé pendant
quinze ans la fonction d'ingénieur conseil auprès des entreprises. J'ai ainsi pu
connaitre différents métiers à l'occasion des visites d'usines et en particulier les
métiers de la plasturgie. Mes connaissances des risques liés aux processus et des
dispositifs de sécurité des machines m'ont permis d'être désigné par l'AFNOR comme
expert au Comité Européen des Normes (CEN) pour participer à la rédaction de
normes de sécurité des machines de transformation des plastiques et du caoutchouc.
Ce parcours comprend plusieurs métiers d'ingénieur : travaux, technico-
commercial, fabrication, conseil, dans des domaines aussi différents que les travaux
publics, l'industrie mécanique. Le conseil dans le cadre de mission d'un service au
public a été possible grâce à notre formation qui était bien adaptée aux besoins de
l'économie.
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159
Zimir Gérard PÉRIER
Mon activité professionnelle s’est déroulée en plusieurs étapes, toutes dans le
cadre d’un grand groupe français et ses filiales en France de 1961 à 1998.
0,5 an - Pré-situation dans un important atelier de mécanique.
1,5 ans - Service militaire pour terminer mécanicien réacteur.
14 ans - Gestion progressive d’un atelier de mécanique de six cent cinquante
personnes (1).
10 ans - Directeur d’une usine de construction de machines d’injection plastique
de quatre cents personnes (2).
4 ans - Conseiller technique en PME diverses (3).
9 ans - Directeur d’une usine d’électro-fusion d’oxydes métalliques de deux
mille personnes (4).
3 ans - Retraité en missions occasionnelles de formation de cadres, sur la
sécurité en usine, dans plusieurs pays européens.
Je développerais les phases actives industrielles. Le coté management sera
rapidement abordé en fin de document (5).
(1) Évolution progressive de prise en charge de secteurs d’atelier, jusqu’à la
gestion de l’ensemble :
-traitement thermique de pièces automobiles en fonte dans des fours en continu.
- traitement thermique de tubes en acier centrifugé diamètre 1000 mm, l=6 m.
-usinage intérieur et extérieur de tubes, et rouleaux centrifugés.
-usinage de chemises de moteur de bateaux de diamètre jusqu’à 1 000 mm.
-usinage de chemises et cylindres de moteurs automobiles sur chaines
transferts : 100 000 / mois, Peugeot, Citroën, Volvo….
-usinage de tambours de frein pour poids lourds sur machines spéciales
« maison » : 15 000 / mois, Berliet, Saviem, Volvo…
- fabrication de tours d’outilleurs 60/mois.
- atelier de chromage de cylindres d’avion : Lycoming, marché américain…
-une réalisation remarquable : la fabrication des poteaux de la structure
isostatique du bâtiment Beaubourg à Paris (tubes centrifugés soudés).
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(2) Fabrication de presses à injecter les matières plastiques, leader français,
exportateur dans un marché très concurrentiel.
-une gamme de presses de 50 tonnes à 3000 tonnes de puissance de fermeture
pour la fabrication de pièces automobiles et diverses.
-des réalisations spéciales de presses de 5000 tonnes.
-réalisation de la plus grosse presse au monde de 10 000 tonnes de fermeture.
(3) Analyser l’organisation et l’outil de production de PMI en vue de les
conseiller pour accélérer un développement de nature à créer de l’emploi dans
l’environnement des usines du groupe en France. Visite de l’ordre de 200 PMI.
(4) Gérer une usine spécialisée dans l’électro-fusion d’oxydes métalliques dans
des fours à arcs de grande puissance : silicium, chrome…pour des applications
particulières. Leader mondial.
-blocs réfractaires pour l’intérieur des fours verriers de grande production
jusqu’à 1000 tonnes / jour, fusion entre 1500 et 2500 degrés et mise en forme dans
des moules à base d’oxydes métalliques ou de graphite. Ces blocs jusqu’à deux
tonnes sont ensuite usinés avec des outils en diamants sur des « machines maison »
de grande puissance.
- des billes en céramique obtenues par un procédé de dispersion breveté,
utilisée pour la fracturation des puits de pétrole dans le monde entier.
-des billes céramiques calibrées pour le décapage et le martelage pour obtenir
un écrouissage sur des pièces métalliques.
-des poudres à base d’oxyde de zirconium obtenues par un procédé de
dispersion à haute température et par des traitements chimiques pour obtenir des
puretés variables pouvant servir de matière première pour la fabrication des zircons
artificiels pour la joaillerie et pour la fabrication de peintures de haut de gamme :
automobile, sanitaire,…
161
(5) Toutes ces activités à forte main d’œuvre nécessitent de déployer un
management très actif pour avoir l’adhésion du personnel.
-négociations syndicales pas toujours très faciles : délégués du personnel
comité d’entreprise,…
-prise en compte de la sécurité demandant une attention particulière au niveau
des très hautes températures : radiation, explosions,…
-gestion du personnel : réorganisation, restructuration,…
-gestion des conflits : fermeture d’usine, occupation,…
Sans oublier les contacts avec les commerçants et les clients : clarification des
particularités des commandes, réception…, les centres de recherche et les bureaux
d’étude pour les produits nouveaux et leur mise au point.
Tout cela fait beaucoup de choses, des journées bien remplies, mais nous
faisions, à nos débuts, légalement quarante-huit heures !...
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Kiro Pierre PÉRILHON
1961 : À la sortie de l’ENSAM, j’ai passé trois mois en Haute-Volta
(aujourd’hui Burkina Faso) avec d’autres ingénieurs, médecins, infirmières,
animateurs culturels, dans le cadre d’une action gouvernementale pour aider le pays à
développer son indépendance. J’ai calculé et dessiné un projet de stade, de maison de
jeunes et de salle culturelle, dans la capitale Ouagadougou, que j’ai présenté au
président du pays, M. Maurice Yaméogo.
1962-63 : Service militaire dans l’artillerie anti-aérienne à Valence, dans les
calculateurs de tir.
1963 : Entré au CEA-CENG (Commissariat à l’Énergie Atomique – Centre
d’études nucléaires de Grenoble) en tant qu’ingénieur de sécurité du Centre. Ce
dernier est en pleine construction et met en œuvre des installations de tous types :
laboratoires, pilotes, gros instruments de recherche (réacteurs nucléaires,
accélérateurs de particules), plates-formes d’essais de type industriel (le centre ayant
toujours été ouvert sur l’industrie et l’université) et ceci dans les différents domaines
de la connaissance : nucléaire bien sûr, mais aussi chimie, physique du solide, micro-
électronique, biologie, énergétique,...
Le directeur du Centre (trois mille personnes), le professeur Néel (prix Nobel de
physique en 1970), veut intégrer la maîtrise des risques dans tout ce qui se fait dans
son établissement. Il m’est donc demandé de participer au développement de cette
maîtrise en intégrant a priori cette dernière dès le stade des projets et en convainquant
les chercheurs de le faire.
J’ai mis une dizaine d’années pour faire accepter cette démarche. Au début, je
devais aller à la recherche d’informations. J’ai compris que j’avais réussi quand on
est venu me chercher.
C’est ce travail que j’ai pratiqué sur le terrain jusqu’en 1984, qui m’a amené à
développer une méthode d’analyse de risques que j’ai baptisé MOSAR (Méthode
Organisée et Systémique d’Analyse de Risques), qui inclut la sûreté de
fonctionnement. Elle est le fruit d’une démarche pragmatique de terrain,
d’enseignements pratiqués à partir des années 1970, d’une réflexion avec des
universitaires de Bordeaux (1985), créateurs du premier IUT de sécurité en 1970, et
de mises en œuvre en milieu industriel.
Dans ces activités, ma formation d'ingénieur pluridisciplinaire Arts et Métiers,
intégrant une forte connotation humaine, a été très précieuse et bien adaptée.
164
1970 : En 1970, co-expert dans l’incendie du dancing Le cinq-sept à Saint-
Laurent–du-Pont, cent quarante six morts, des jeunes de quatorze à vingt-cinq ans.
Création au CENG d’un laboratoire d’études de sécurité industrielle et de
protection de l’environnement dont je prends la responsabilité, en plus de ma fonction
d’ingénieur de sécurité, jusqu’en 1977.
Ce laboratoire développe des instruments de mesure de pollution au niveau des
postes de travail et dans l’environnement et réalise des mesures et des contrôles ainsi
que des études de risques sur le terrain pour le compte d’organismes ou d’industriels.
Il fera partie du groupe ECOPOL en 1972, lorsque le CEA créera ce groupe avec le
bureau d’études SERETE.
Participation à la création, à Chambéry (site du Bourget du Lac) de la 1ère
maitrise française en étude d’environnement, dans laquelle je fais un cours sur la
pollution atmosphérique, en m’inspirant de l’œuvre de François Ramade, grand
écologiste scientifique de notre pays, ignoré du public et des médias.
1975 : Début de participation à la formation interne des ingénieurs de sécurité
du CEA.
Début de formalisation de la méthode d’analyse, nécessaire pour l’enseigner.
1977 : Participation à la création du premier certificat, en France, de Maîtrise en
sécurité industrielle à l’Université scientifique et technique de Grenoble (en
association avec l’Université scientifique et médicale de Grenoble) dans lequel
j’enseigne.
Début d’une série de formations à la maîtrise des risques au CERN à Genève.
1979 : Créée à partir de ce certificat, participation à la mise en place de la
première Maîtrise française en sécurité industrielle à l’université de Grenoble dont je
suis désigné comme président du Conseil de perfectionnement.
Responsable du Groupe pédagogique du CEA pour la refonte des formations
des Ingénieurs de sécurité d’installations.
1983 : Première collaboration avec l’équipe enseignante de l’IUT de Bordeaux
(1er IUT en France dans le domaine de la sécurité, développé avec l’aide du CEA (Mr
Bresson) et enseignement dans cette formation.
165
1984 : Nommé adjoint du directeur du CENG en qualité de responsable des
unités santé, sécurité, sûreté, protection, regroupant cent quatre-vingts personnes et
différents services : service de radioprotection, formation locale de sécurité (gardiens
et pompiers), groupe ingénieurs de sécurité, groupe de médecine du travail,
laboratoire d’analyses médicales.
1985 : Travail avec le service d’hygiène industrielle du centre CEA de
Pierrelatte, pour développer un système expert à partir de MOSAR. Ce travail sera à
l’origine du développement de SAGACE (méthode d’analyse systémique de projets,
aujourd’hui industrialisée).
1988 : Création avec l’IUT de sécurité de Bordeaux, d’un groupe de travail
appelé MADS (Méthodologie d’Analyse de Dysfonctionnements des Systèmes) qui
développe les éléments d’une Science du Danger, aujourd’hui publiés et enseignés et
à partir desquels J.L. ERMINE a développé des outils de capitalisation de la
connaissance, qu’il enseigne à Télécoms EM et dont il est expert auprès de l’ONU.
1990 : Participation à la transformation de la maîtrise de Grenoble en 1ère
école
française d’ingénieurs en prévention des risques industriels habilitée par la
Commission des titres d’ingénieurs, dont je reste président du Conseil de
perfectionnement et dans laquelle j’enseigne.
Nommé adjoint technique du directeur central de la sécurité du CEA à Paris,
chargé de mettre en place une équipe de promotion et de coordination de la maîtrise
des risques pour le CEA.
Collaboration avec la multinationale BSN pour des applications de MOSAR en
milieu industriel avec test dans deux usines BSN.
1991 : Nommé adjoint du directeur de l’INSTN (Institut National des Sciences
et Techniques Nucléaires), structure de formation initiale et continue du CEA
habilitée par l’Éducation nationale. Je suis chargé de développer les enseignements de
sécurité-sûreté et de développer l’antenne INSTN de Grenoble dans les domaines de
connaissance du CENG (6 DEA, 2 DESS dans le domaine du risque :
radioprotection et maîtrise et gestion de l’environnement industriel, deux écoles
d’ingénieurs dans le domaine du risque : prévention des risques Industriels et génie
atomique incluant la sûreté, cohabilités entre CEA et l’Université de Grenoble ou
INP.
166
1992 : Travail avec le service de prévention de la Caisse régionale d’assurance
maladie de Lyon pour une application de MOSAR dans une usine métallurgique de
Bourg-en-Bresse, avec Alain Feugier, notre P’Cass, et Maurice Nivon, notre Sinus,
qui font partie de ce service.
Participation au projet européen FORM-OSE pour le développement de
formations européennes dans le domaine du risque.
Membre de l’Institut de sûreté de fonctionnement, chargé du développement des
formations.
1993 : Cocontractant de contrats européens TEMPUS pour l’aide à la mise en
place de formations à la maîtrise des risques dans les pays de l’Est : Bulgarie à Sofia
et Burgas, République tchèque à Ostrava, République slovène à Bratislava, Roumanie
à Bucarest.
1995 : EDF, Direction des études et recherches choisit MOSAR pour l’analyse
de risques des installations de ses trois centres de recherche et d’essais : Chatou, Les
Renardières et Clamart.
Développement de formations pour EDF à partir de l’analyse de cinq de ses
installations.
Réalisation de deux bandes dessinées (commercialisées par la suite) sur la
méthode.
La SNECMA fait la même démarche pour l’analyse de risque de ses bancs
d’essais de moteurs d’avion à Melun-Villaroche, où seront formés une dizaine
d’ingénieurs.
1996 : Commande d’un CD-ROM par l’Institut national de recherche en
sécurité, avec MOSAR comme support, destiné à servir d’aide pédagogique à
l’enseignement de la maîtrise des risques dans les écoles d’ingénieurs, avec
participation d’EDF, de l’INSTN, de l’ENSAM (avec Marc de Fouchecour,
professeur de maths à l’ENSAM Paris) et de plusieurs universités.
Aide à la création d’un DESS à l’Université de Mulhouse et à Niort.
Aide à la création d’une formation en gestion des risques à l’École des mines
d’Albi, à l’École des mines de Saint-Etienne, de Nancy, à l’École de chimie de cette
ville et à l’École centrale de Nantes.
Participation aux enseignements dans ces institutions.
167
1997 : Réalisation de la1ère
version du CD-ROM avec un bureau d’études en e-
learning (FORMEZVOO) et test de celle-ci dans dix écoles d’ingénieurs sous la
supervision de l’École des mines de Saint-Etienne.
Aide à la mise au point d’un projet de Mastère à l’École polytechnique féminine
de Paris.
Encadrement d’une thèse à l’École des mines de Saint-Etienne sur l’application
de MOSAR à une PME.
1er Décembre : départ à la retraite.
Depuis 1998 :
Continuation des enseignements dans différentes structures :
INRS, INSTN
Mastère et Option environnement à l’École des mines d’Alès.
École des mines d’Albi.
Écoles des mines de Saint-Etienne et de Nancy
INPG
DESS de Mulhouse, Grenoble, Niort, Saint-Quentin-en-Yvelines.
IUT sécurité de Bordeaux et Marseille.
ENSAM Paris (conférence et suivi d’un PFE).
Jury d’audit de l’École des mines de Paris.
Suivi de thèses aux Écoles des mines de Saint-Étienne et d’Albi.
Participation au développement d’un CD-ROM sur la sûreté de centrales
nucléaires pour EDF.
Travail avec SCETAUROUTE sur un audit organisation sécurité et sur
l’intégration de la gestion des risques dans les projets internationaux.
168
Suivi de l’application de MOSAR sur des études industrielles et dans les Plans
communaux de gestion des risques, avec plusieurs bureaux d’études (ASPHALEIA à
Grenoble, APSARA à Paris.)
Animation de groupes de recherche sur la méthodologie d’analyse de risques.
Organisation de journées de retour d’expérience de la mise en œuvre de la
méthode MOSAR en milieu industriel et dans l’enseignement, à Grenoble (INPG les
4 et 5 Avril 2002).
Développement d’un site Internet (REZORISQUE) comprenant des modules
e-learning, avec l’ENSAM Paris, l’INRS et FORMEZVOO pour intégrer la maîtrise
des risques dans le cursus de formation des ingénieurs.
Interventions de sensibilisation à l’ENSAM Cluny.
En 2007, je rédige et publie aux Editions Demos, un ouvrage : La Gestion des
Risques : méthode MADS MOSAR II. Manuel de mise en œuvre.
Expert de EGIS-SCETAUROUTE pour un projet d’étude des impacts de
l’évolution climatique sur les infrastructures de transport et plus particulièrement les
autoroutes.
Participation à des appels d’offre pour le stockage souterrain de déchets
nucléaires à Bure (Meuse) et pour la ligne TGV Paris-Strasbourg.
La méthode MOSAR, informatisée par ASPHALEIA est remodelée avec le
Bureau Veritas.
Celui-ci acquiert ASPHALEIA et la méthode.
***************
169
Nané André PINTO
Quand on parle de mobilité, chacun pense à la mobilité géographique !
Et la mobilité de fonctions ?
Voici mon "Parcours" et les différentes fonctions exercées durant une carrière :
- Ingénieur d'études de matériels sous pression pour l’industrie chimique,
- Organisation du travail : circuits administratifs, problèmes de structure…
avec, au passage, l'achat et l'installation de la première machine à commande
numérique,
- Formation du personnel, en particulier celui de maîtrise d'atelier,
- Responsable des investissements et de l’entretien d'une fonderie. Accent
particulier sur la sécurité : réduction de 60% du nombre d'accidents du travail,
- Responsable du personnel : deux mille cinq cents personnes, ce fut
certainement le plus grand virage dans ma carrière,
Points marquants :
- Négociations : salaires, temps de travail,
- Introduction de la modulation du temps de travail (avant les accords UIMM !)
- Plans sociaux : toujours délicats,
- Embauche (eh oui !) jusqu'à deux cent cinquante cadres, BTS-DUT par an,
- Out placement : chercher et trouver des places pour le personnel volontaire au
départ, soit deux cent cinquante personnes en deux ans,
Cela me rappelle une question posée par deux demoiselles lors d’un forum :
— Monsieur, c'est quoi un INGÉNIEUR ?
— Ma réponse : c'est quelqu'un qui a acquis les connaissances pour s'épanouir
dans différents métiers.
**************
170
171
Tristan Jean POILLOT
Je suis né le 18 août 1937, à Cercy-la-Tour dans la Nièvre, où mes parents
venaient visiter régulièrement la famille de mon père. Mes autres frères et sœurs sont
nés à Lyon où mon père Alexandre Poillot (Cluny 12) était directeur général de la
SABLA. Je suis le quatrième de six enfants que ma mère a su élever convenablement
malgré toutes les difficultés de l’époque.
En août 2007, après avoir vendu mon entreprise au groupe VINCI, j’ai décidé,
pour fêter mes soixante-dix ans, de réunir mes copains de la boquette Incognito dans
ma propriété de Marcq (Yvelines), aidé pour l’organisation de cette rencontre par
Marc Ginet, notre Mickey, qui est presque mon jumeau puisqu’il est né le 14 août.
Alors que nous arrosions copieusement ce double anniversaire, j’ai eu la surprise
de voir arriver mon fils Jean-Marc qui – alors qu’il était en vacances chez ses beaux-
parents à Cannes - avait pris le premier TGV du matin pour venir me délivrer, avec
humour, un discours retraçant ma carrière.
Ce discours, le voici dans son intégralité :
« Mon très cher père,
En l'absence de ton grand, exilé sous le soleil d'un lointain paradis fiscal, tu ne
verras pas d'inconvénient à ce que cela soit le petit, celui qui te ressemble le moins, si
ce n'est pour les plaques d'eczéma, qui se charge de te rendre hommage à l'occasion
de ce que, pudiquement, nous appellerons ton changement de dizaine.
Quand je dis que nos points communs se résument à nos ennuis cutanés, bien
sûr, j'exagère.
Il en existe un qui se distingue toutefois d'entre tous, c'est notre goût pour les
bons mots : parfois cruels, souvent caustiques mais toujours bien placés dans une
conversation.
À ce titre, nous cultivons le même goût pour les films dialogués par Michel
Audiard, peut être les seuls que tu aies réussi à regarder jusqu'au bout - en particulier
les Tontons Flingueurs - et dont tu puisses, encore aujourd'hui, te souvenir des
répliques.
172
C'est ainsi qu'il m'est venu une idée saugrenue : et si je contais le film de ta vie
comme s'il avait été dialogué par Audiard ? C'est donc ce défi, chers auditeurs, que je
me propose de relever maintenant.
Chapitre premier : La prime enfance.
Bon, comme tout le monde le sait, tu es né le 18 août 1937, soit un peu après la
création de la Cineccita, récemment partie en fumée et peu de temps avant le
lancement du dirigeable Hindenburg, lui-même parti en flammes. Ces deux
évènements te prédestinaient donc à une carrière flamboyante !
Ta prime enfance fut très vite marquée du sceau de la deuxième guerre
mondiale, les week-ends tragiques, comme la qualifiait Audiard. On peut dire que de
1939 à 1945, tes goûts prononcés pour l'ordre, la discipline et les Mercedes furent
pleinement satisfaits ! Au même moment, ton père se distinguait une nouvelle fois
par ses exploits militaires et ses actions dans la clandestinité lui valant de nouvelles
distinctions après celles de 1914 -1918. Tu aurais ainsi pu dire de lui comme Claude
Rich dans les Tontons Flingueurs : « Mon père a collectionné toutes les décorations
possibles et imaginables, il les a toutes sauf la médaille du sauvetage en mer, la plus
belle selon lui, mais la plus dure à décrocher, surtout quand on n'est pas né marin
breton !».
Je passe rapidement sur tes années d'écoles à Lyon, à écluser une à une les
institutions catholiques dont tu ne retiendras de l'eucharistie que Dieu sous forme
d'hostie c'est comme les M&M, « cela fond dans la bouche pas dans la main».
Venons-en à l'une des plus belles pages de ta vie : tes années d'étude aux Arts
et Métiers. Comme tant d'autres, tu découvres que les amis de promo, c'est un peu la
famille que l'on se choisit et dont les membres sont aujourd'hui fidèlement assis à tes
côtés.
Chapitre II : Tes débuts amoureux et professionnels.
Le petit blondinet aux oreilles de Dumbo l'éléphant a ainsi fait sa chrysalide,
laissant la place à un beau jeune homme, qui le sait d'ailleurs. En bon macho de ton
époque, tu fais craquer toutes les filles. L'un de tes plus beaux faits d'armes c'est cette
jeune Praguoise qui, lors du voyage d'étude de la promo 57, fera même le siège de ta
chambre pour que tu l'emmènes avec toi en France.
173
Cet épisode que tu nous as maintes fois narré, dialogué par Audiard et avec la
voix de Bernard Blier, donnerait quelque chose comme cela :
- Tiens, ça me rappelle ma tchèque. Tu la connais mon histoire avec la tchèque ?
- Oui.
- Bah, toi qui la connais pas tu vas te poiler. Figures-toi qu'un jour en me
baladant à Prague j'tombe sur une belle nana. Une grande blonde avec des yeux
qu'avaient l'air de rêver et puis un sourire d'enfant ; une salope quoi. Moi je repère
ça tout de suite parce que les femmes c'est mon truc !».
Mais notre macho sans cœur sut se faire prince charmant lorsque tu rencontras
la future mère de tes enfants. Qu'avait-elle de plus ou de mieux que les autres ?
mystère de l'amour ! Dans le style Audiard, votre première rencontre aurait à peu près
donné ceci :
«Bonjour Jean, j'ai 18 ans, les yeux noirs et le visage ovale. Je ne suis plus
vierge mais mon casier judiciaire l'est toujours. Pour le commencement, je te renvois
à mon passeport pour le reste, prends moi dans tes bras. C'est simple, non?»
Au même moment tu faisais tes débuts chez EIFFEL, supervisant tes premiers
chantiers et travaillant au quotidien au plus près des ouvriers. De cette solide
expérience de terrain tu t'es forgé une certaine philosophie audiaresque du style :
«Deux intellectuels assis derrière une table à dessin vont moins loin qu'une brute
qui coule du béton».
Ou encore :
«Quand un chef de chantier de 130 kilos parle, un ingénieur de 70 kilos écoute !».
La naissance de Jeff, un petit tour en Libye et te voilà de retour en France avec
comme projet d'acquérir une belle maison. Ce sera Marcq où maman «civette, bain-
marie, ragougnace» bref, donne à la petite famille tout apaisement dans la vie pendant
que tes week-ends, sponsorisés par Black & Decker et les pansements Urgo, sont
consacrés au bricolage de la baraque.
Sur le plan professionnel, c'est le feu d'artifice à Versailles ! Tu cumules les
gros chantiers et les postes de directions au sein du groupe Nord-France, ce qui te
permet de te lancer à la conquête de l'Amérique.
174
Cette phase de ta vie se traduira pour nous par de longues vacances au pays de
Mickey en Floride et la découverte, grâce à toi, des Caraïbes où tu prendras vite le
goût d'un pèlerinage une fois dans l'année, comme d'autres vont à Lourdes ou à
Colombey-les-deux-Églises. Tu prenais soin de choisir les meilleurs hôtels et de nous
prodiguer quelques bons conseils, un peu comme Gabin dans Mélodie en sous-sol :
« Bon, d'après le Michelin local c'est de premier ordre, trois p'tits donjons, un
oiseau de couleur, cinq fourchettes. Vous coltinez pas les valises, c'est le turbin du
bagagiste. Et surtout pas d'étonnement intempestifs, vous extasiez pas sur la mer, elle
a toujours été là !».
Chapitre III : Épreuves scolaires et professionnelles.
Mais la vie est loin d'être un long fleuve tranquille. Deux écueils se profilèrent
bientôt à l'horizon :
- le financement des études capricieuses et contrariantes de tes enfants,
- ton apogée de carrière au sein du groupe Nord-France,
Il faut le dire, le premier domaine te donna bien du fil à retordre.
Jeff, dont le parcours scolaire chaotique n'est pas sans rappeler celui de ta prime
jeunesse à Lyon, Jeff, donc, ayant épuisé toutes les patiences du corps enseignant
français, opta finalement pour un master d'économie aux États-Unis. Comme dans les
Tontons Flingueurs, tu aurais ainsi pu dire de lui en substance ceci :
« Mon aîné, il comprend rien au présent, rien au passé, rien à l'avenir, enfin rien
à la France, rien à l'Europe, enfin rien à rien... mais il comprendrait
l'incompréhensible, dès qu'il s'agit d'argent ».
Ce n'est donc pas un hasard si, quelques années plus tard, il devint le fidèle
trésorier de ta société, la Parisienne du bâtiment et de travaux publics.
Pour ma pomme, ce ne fut guère mieux. Animé d'une solide vocation pour la
politique et l'histoire de France au point - véridique - de chercher ma place dans le
dictionnaire entre Poher et Poincarré, j'optais pour des études de sciences politiques.
175
Bichant pour toi qui a en horreur les politiciens ! Au point que tu aurais pu
déclarer de moi :
«Ah ! le petit dernier c'est un homme qui a la légalité dans le sang. Si les
Chinois débarquaient y se ferait mandarin… si les nègres prenaient le pouvoir, y
s'mettrait un os dans le nez… si les Grecs ..., enfin, passons !».
Au sortir de mes études, je me dirigeais vers la carrière militaire, deuxième
corps de métier le plus honni après les politiciens. De passage à Marcq pour vous
annoncer mon départ pour l'ex-Yougoslavie, nous aurions pu avoir le dialogue
suivant, mi-Tontons Flingueurs, mi-Taxi pour Tobrouk :
Moi :
«T'inquiète papa j'y vais avec la puissance de feu d'un croiseur et des flingues de
concours ! J'vais te les travailler à la Magnum et en férocité ! ».
Toi :
«Je préfère mieux pas te répondre, tiens ! une connerie comme celle-là, ça
devrait relever du conseil de guerre !».
Et de conclure à mon retour des hostilités, un brin rancunier de la bile que tu
t'étais faite pour moi pendant 10 mois :
«Faites pas attention à lui, c'est une brute née de la guerre. En langage clinique
on appelle cela un dangereux schizophrène à tendance paranoïaque, en langage
militaire, un officier !».
Ton parcours professionnel chez Nord-France, aussi fulgurant et exemplaire
soit-il, fut également semé d'embuches, le destin ayant mis sur ton chemin quelques
crétins bien trempés faisant obstacle à tes nobles ambitions pour cette boîte. Le pire
d'entre tous fut probablement le promoteur immobilier Pelège qui procéda au rachat
de Nord-France et s'évertua à te mettre des bâtons dans les roues et à qui tu aurais dû
tenir le langage suivant, inspiré d'un Singe en hiver :
Monsieur Pelège, si la connerie n'est pas remboursée par les assurances
sociales, vous finirez sur la paille ! Car, au final, c'est bien ce qu'il advint de lui !
Confronté à un telle «pointure intellectuelle», tu te décides donc à créer ta propre
entreprise, la Parisienne du bâtiment et de travaux publics, fondée sur de solides
principes capitalistes, inspirés de 100 000 dollars au soleil. : «Ici c'est une grande
famille. Dès qu'il y en a un qui demande une augmentation, je l'écoute et hop, je le
vire !».
176
Blague à part, après quelques années de galères et d'incertitude le succès est
enfin au rendez-vous, au point que VINCI décide de te racheter à la suite de longues
tractations. À la première proposition de rachat je t'imagine rétorquer, façon Blier,
dans Il ne faut pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages :
«Si c'est pas inhumain d'entendre ça ! Mais qu'est-ce que vous voulez que je
fasse avec 500 briques hein ? Surtout de nos jours, le SMIC est en plein chancelique,
la TVA nous suce le sang, la bourse se fait la malle. J'ai calculé j'en aurai à peine
pour 5 piges. J'aurai 75 berges, vous voudriez tout de même pas quej'retourne au
charbon à cet âge-là non ? Vous seriez pas vache avec les vieux des fois ?».
Face à cet argument choc tu obtins gain de cause pour une somme plus
rondelette et la poursuite de ton activité pour au moins encore un an, voire plus si
affinité. Et, dans un ouf de soulagement, de t'esclaffer à la maison, façon Les
barbouzes :
«Dans un an ... au revoir m'sieurs-dames ... j'serai à l'échelon sept, les mômes
sont élevés, j'ai ma cabane dans les Yvelines, la retraite faut la prendre jeune. Faut
surtout la prendre vivant. C'est pas dans les moyens de tout le monde».
Et te voilà, à faire tes premiers pas de pré-retraité, écumant les mots croisés,
apprenant à vivre au quotidien avec maman, lui achetant un tracteur-tondeuse qu'elle
se refuse obstinément d'utiliser, taillant à tout va dans le jardin pour son plus grand
malheur et houspillé à chacune de tes initiatives. Alors, un peu comme Gabin, dans
Un singe en hiver tu pourrais déclarer en guise de mot de la fin :
- Écoute ma bonne Christine, t'es une épouse modèle.
- Oh ...
- Mais si, t'as que des qualités et physiquement, t'es resté comme je pouvais
l'espérer. C'est le bonheur rangé dans une armoire. Et tu vois, même si c'était à
refaire, je crois que je t'épouserais de nouveau. Mais tu m'emmerdes.
- M'enfin, Jean ...
- Tu m'emmerdes gentiment, affectueusement, avec amour mais tu m'emmerdes !
Ambiance assurée à la maison !».
Gabin conclut cette tirade en affirmant qu'il n'a pas eu sa ration d'imprévu et
qu'il en redemande, même si c'est une idée d'un autre âge.
177
Pour ma part, je ne doute pas qu'avec ta vivacité d'esprit, ton sens de l'initiative
et de l'action tu sauras encore nous surprendre pour encore un bon bout de temps.
Mais pour cette nouvelle page de ta vie, je te laisse la primeur d'en écrire les
dialogues ! »
************
Bien sûr cette évocation de carrière vue par mon fils manque un peu de
précisions et il me paraît nécessaire d’y joindre un historique plus précis et d’y
ajouter un panorama de mes activités professionnelles.
Historique
1962 - Service militaire de 18 mois. Classes à la Valbonne, et EOR à Saumur
(cavalerie blindée). Devenu sous-lieutenant, je suis nommé chef de la police militaire
à Marseille !
1963 - J’entre comme ingénieur de travaux à la «Société Eiffel d’Entreprise
Générale», filiale des établissements Eiffel, orientée essentiellement sur les travaux
industriels. Je deviens chef d’agence à Bordeaux puis à Tripoli en Libye.
1969 - Après la liquidation judiciaire des établissements Eiffel, j’entre comme
directeur technique à la société Boutonnat & Charlot, entreprise parisienne
spécialisée dans les travaux de rénovation.
1972 - Boutonnat & Charlot est racheté par le groupe Nord-France et je
participe dans ce groupe à l’acquisition d’autres filiales :
- Rontaix à Paris et Epernay ;
- CEG à Caen ;
- CB Carrelages à Paris ;
- Giraud en Avignon.
1978 - Je suis nommé directeur des filiales du groupe et on me confie en plus
une filiale américaine achetée par Nord-France selon instructions de ses actionnaires
belges : la société Tuttle & White, à Orlando.
1982 - Je suis nommé directeur général adjoint du groupe Nord-France Holding,
plus particulièrement en charge des filiales.
178
1988 - Les actionnaires belges (Six Construct) de Nord-France vendent ce
groupe au promoteur Michel Pelége.
1990 - Après avoir quitté Nord-France pour cause d’incompatibilité d’humeur
avec Pelége, je créé la société Guerra-Tarcy Rénovation au sein du groupe Guerra-
Tarcy entrainant avec moi 250 collaborateurs et ouvriers.
1993 - Suite à des opérations immobilières, pour le moins hasardeuses, le
groupe Guerra-Tarcy dépose le bilan et le syndic procède progressivement à sa
liquidation.
1994 - J’achète une petite société, toujours spécialisée dans les travaux de
rénovation : «La Parisienne du Bâtiment et de Travaux Publics» (LPBTP) dont les
deux propriétaires souhaitaient partir à la retraite.
2007 - Après avoir procédé à son développement je vends LPBTP au groupe
Vinci.
2007-2012 - J’accompagne le groupe Vinci dans diverses démarches
commerciales et contentieuses pour poursuivre le développement de LPBTP.
2012 - Je prends définitivement ma retraite.
Panorama des réalisations les plus significatives
Période Eiffel
Les clients principaux sont :
Le CEA sur divers sites en France
Les Eaux Perrier
La British Titan Company
De nombreux industriels en France
Des écoles en Libye (en particulier l’école dite des « Arts et Métiers » à Tobrouk)
Des réseaux d’assainissement (Misurata – Libye)
179
Période Nord-France et Guerra-Tarcy
Surfaces commerciales et d’activités : C&A, Carrefour, Auchan, La Redoute,
champagnes Moët et Chandon, Mercier, Pommery, Lanson, Ruinart… etc.
Bureaux et sièges sociaux : Axa, GMF, Christian Dior, Elena Rubinstein,
Nouvelles Frontières, BMW, Schlumberger, Kodak, Unibail… etc.
Bâtiments administratifs et culturels : la Bibliothèque Nationale et la Galerie
Vivienne, l’Hôtel Talleyrand pour le compte de l’ambassade des USA, l’ambassade
du Cameroun, l’ambassade du Nigéria, l’ambassade de France à Prague, le
ravalement et la rénovation de l’Arc de Triomphe, la bibliothèque Alliance israélite
universelle, le musée Dom Pérignon en l’abbaye d’Hautvilliers, les Colonnes de
Buren au Palais Royal.
Hôtels : le Ritz, place Vendôme, Aquitaine Loisir à Super Bannière et Soustons,
le Royal Riviera à Beaulieu, le Viking à Morzine, pour le compte de Nouvelles
Frontières, la Belle Créole à Saint-Martin (FWI) pour le compte de Paribas, le Royal
Champagne à Epernay… etc.
Les restaurants : le Laurent, avenue Gabriel à Paris, le Drouant, place Gaillon à
Paris, la Coupole, avenue du Montparnasse à Paris, la Briqueterie à Epernay… etc.
Spectacles et Loisirs : la Gaité Lyrique, le Châtelet, le théâtre d’Issy-les-
Moulineaux, le théâtre de Colombes, le théâtre de Malakoff, le théâtre
d’Aubervilliers, près de 100 salles de cinéma à Paris et en province pour Pathé, UGC,
Gaumont, et d’autres exploitants indépendants.
Hôpitaux : la Pitié-Salpêtrière, Cochin, le Kremlin-Bicêtre, le 15-20, Trousseau,
la clinique Hartmann… etc.
Activités américaines :
Constituées presque exclusivement de travaux neufs. Parmi les plus importants,
on peut citer : des hôtels en Floride, Géorgie, et Caroline du Sud. Des immeubles
résidentiels en Floride. Des écoles en Floride et en Géorgie. Des bâtiments
administratifs en Floride. Des logements militaires en Caroline du Nord (à Fort-
Bragg, la plus grande base militaire US qui s’étend sur 45km2).
180
Période LPBTP
À l’origine LPBTP travaillait presque exclusivement pour les syndics
d’immeubles. J’ai vite abandonné ce type de clientèle peu intéressant pour orienter
l’activité de l’entreprise vers des travaux de rénovations plus conséquents et plus
lucratifs à savoir : les cinémas à Paris et à Tours, les établissements hospitaliers à
Paris et en banlieue, les surfaces commerciales dans toute la région parisienne
(Auchan, Casino, Monoprix, Grand Optical… etc.), les travaux industriels à Paris et
en banlieue (Renault, Volvo), des aménagements de bureaux à Paris (Generali,
Eramet et Royal Air Maroc) et surtout les agrandissements et rénovations de maisons
de retraite (EHPAD en région parisienne et en province). Cette activité fut un peu
notre cheval de bataille et me permit, entre autre, de vendre dans de bonnes
conditions LPBTP au groupe Vinci.
Conclusion
Le métier d’entrepreneur, n’est certes pas un métier facile (pour preuve, les
faillites y sont fréquentes) mais il a l’avantage de permettre la rencontre avec des
clients de toutes professions et de toutes origines. J’ai souvent rencontré des gadzarts
dans l’exercice de ma profession dont deux d’entre eux, de notre promotion : Pierre
Ravet, Chabicchou, alors ingénieur du bureau de contrôle Socotec chargé de
contrôler les travaux que j’exécutais au Pathé-Cinéma, rue de la République à Lyon et
Gérard Dumont, Duo, qui en tant que responsable d’un important bureau d’ingénierie
m’accorda sa confiance, pour la réalisation de bureaux et d’écoles.
Pour en finir, et justement à propos de confiance je voudrais citer deux
personnes qui me l’ont accordée en m’attribuant des marchés de gré à gré, malgré
mon jeune âge : Monsieur Marcel Dassault pour qui j’ai réalisé à deux reprises les
transformations de son cinéma Le Paris sur les Champs-Elysées ainsi que deux
immeubles de grand luxe, Monsieur Pierre Vercel PDG de Pathé Cinéma qui me
confia dans les années 70 les transformations en complexes multisalles de toutes leurs
grandes salles à Paris et en province.
****************
181
Zadig Jean POLLARD
Formations complémentaires
Après les Arts, que faire comme « spécialité » ?
Un peu de science, un peu de physique, dans un domaine en expansion ?
- Choix de rejoindre l’INSTN (Institut national des sciences et techniques
nucléaires) pour y faire un DEA + Thèse de 3e cycle de métallurgie spéciale
sur la métallurgie du zirconium (servant au gainage des barres d’uranium,
combustible dans les centrales nucléaires).
- En 1968, Hélène étant étudiante en 4ème
année de pharmacie, je m’inscris à
l’université (d’Orsay) pour y suivre le DEA de physique des solides (bien
en rapport avec mon travail dans la micro-électronique). Lors de l’examen
oral, Gilles de Gennes (le professeur principal et futur prix Nobel)
m’accorde la « mention passable » avec le message : « insuffisant pour la
recherche, bon pour l’industrie ». J’y étais déjà, ayant intégré la Thomson
CSF depuis 1965 !
- En 1979, après avoir œuvré à France Télécom avec beaucoup d’implication,
mon patron propose de me récompenser en m’offrant un programme
« business » de trois mois à l’Université de Stanford (Stanford executive
programme)…
Une expérience universitaire multinationale extraordinaire : par la qualité
des enseignants et enseignements, et par la diversité culturelle interactive
des « executive students ».
Service National
Marine nationale : chef de quart adjoint sur le porte-avions Foch.
En 1964/1965, une expérience technique et humaine exceptionnelle (en temps
de paix).
182
Activités professionnelles
Après le Service, où commencer à travailler ?
Ayant pressenti des inconvénients probables du nucléaire (sûreté, déchets…), je
regarde du côté de l’espace (Alcatel), mais c’est finalement une relation familiale qui
me permet d’entrer dans le domaine naissant du semi-conducteur (micro-
électronique) au Centre de recherches physico-chimiques de la Thomson-CSF en
région parisienne.
Thomson-CSF : Chef de laboratoire : 1965-1973
Premiers composants microélectroniques MOS français pour lanceurs et
satellites français.
En 1969/1970 : une grande fierté d’avoir relevé ce défi.
Premier composant micro-électronique CMOS européen pour montre à quartz :
Fin 1971 : un mois après le premier mondial (Motorola), un mois avant le
premier japonais (Mitsubishi).
En 1972/1973 cette révolution technologique n’arrive pas à convaincre
l’industrie horlogère française et en particulier LIP, qui aura le destin que l’on sait.
1973 : la fin des Trente Glorieuses approche (1975) ; Thomson-CSF ne
s’oriente pas vers le CMOS (qui quarante ans plus tard couvre encore plus de 90% du
marché de la micro-électronique).
Que faire : aller en Californie pour poursuivre, ou rester en France pour
changer ?
À cette époque, le téléphone français en est encore au « 22 à Asnières »,
derrière le Portugal salazarien.
Mais le changement arrive avec Giscard, qui veut « rattraper » les principaux
pays européens.
183
France Télécom s’ouvre à de nouvelles expertises : j’entre à la direction
générale en 1973, pour être affecté à la direction industrielle et internationale en
1975.
Contributeur à la normalisation européenne de nouveaux services de
télécommunications ; la « CEPT » est le bon endroit pour échanger et progresser avec
les collègues des pays avancés d’Europe.
Responsable « composants électroniques » de la Filière Télécom.
Co-initiateur du laboratoire micro-électronique télécom de Meylan (38) qui
fusionnera une dizaine d’années plus tard avec ST Microélectronics de Crolles.
Initiateur de la joint-venture industrielle CMOS Matra-Harris, qui durera tout de
même 25 ans.
De 1975 à 1980 (7ème
Plan), nous avons construit en six ans : vingt millions de
lignes téléphoniques, soit cinq fois autant que nos prédécesseurs en quatre vingt-dix
ans !
Et nous avons lancé en France les nouvelles technologies « modernes » de
télécommunications : numérisation, satellites, fibres optiques, mais en passant à côté
d’internet (notre culture hexagonale monopolistique étant antinomique de celle de la
coopération mondiale répartie).
1981 : Mitterrand arrive au pouvoir, qui coïncide vraiment avec la fin des
Trente Glorieuses.
Les libertés d’initiatives industrielles s’éteignent.
En tant qu’activiste de l’ancienne équipe de direction (giscardienne), je suis mis
au placard (doré).
De 1981 à 1985, je coopère avec notre camarade Jean-Pierre Lassœur-Pilot-
(A+ Conseil) sur des sujets « technologiques ».
Je « modélise » l’industrie française des télécommunications, qui s’est gonflée
pour répondre aux abondantes commandes du 7ème
Plan. Elle va émettre des
chômeurs en masse, accompagnant en cela la métallurgie en grave crise.
Pour compenser, je propose à mes supérieurs que France-Telecom active la
création de start-ups (sur le modèle de la Silicon Valley entourant Stanford).
En 1986 mes supérieurs me disent : « montre-nous ».
184
Opsis : Fondateur & CEO 1986
Pour en financer le démarrage, France-Télécom passe un contrat de recherche-
développement « écrans plats » à Opsis.
Comme souvent en R&D, on cherche quelque chose et on trouve autre chose.
Le résultat devient :
Premier capteur mondial d’empreintes digitales sur puce électronique. Mais ce
composant naît vingt-cinq ans trop tôt. Les premières applications de masse seront
dans les smartphones (Apple, Samsung,…).
Premier boîtier électronique mondial de haute sécurité pour transactions
interbancaires (SWIFT).
En 1990, les financements de start-ups ne sont pas encore déployés comme à
présent et il faut survivre sans eux.
Notre camarade Georges Giraud -Digor- (directeur technique de Bull-
ingénierie) doit fournir à SWIFT (réseau mondial de transferts électroniques de
fonds) un boîtier électronique de haute sécurité. La version native de ce boîtier n’est
pas acceptée par le laboratoire hollandais TNO (mandaté par SWIFT). Georges
Giraud confie à Opsis le développement d’un boîtier « TNO acceptable » qui en
fabrique mille prototypes agréés par TNO, déployés avec succès par SWIFT sur son
réseau nord-américain. Malheureusement, le DG de Bull-ingénierie ne fait pas
confiance à « la petite Opsis » pour fabriquer les séries mondiales, qu’il confiera à
une multinationale américaine.
Une nouvelle réorientation est donc nécessaire.
Premier micro-écran européen à cristal liquide sur puce pour réalité virtuelle.
En 1995 le Centre européen de recherches (EURATOM-ISPRA) lance un appel
d’offres (européen) pour un micro-écran. Opsis est la seule entreprise européenne à
répondre et emporte le contrat.
En 1998, les prototypes de micro-écran sont réalisés et validés par Ispra.
En 2000, Ispra confie un second contrat à Opsis pour une présérie, mais un
changement du directeur général (devenu anglais) interrompt ce contrat.
185
Ce type de micro-écran est arrivé quinze ans trop tôt.
Après l’échec encore récent des lunettes de Google, les micro-écrans sont
maintenant utilisés dans les masques de réalité virtuelle (Sony, Facebook…).
À partir de 2000, Opsis enchaîne des petits contrats de survie…
En 2003, Opsis « mute » dans une start-up (BioRet) que je créée sur l’idée
(encouragée par Génopole dans lequel Hélène est directrice du département
« Genopole Recherche ») d’une symbiose entre microélectronique et biologie.
Pour concevoir et réaliser des appareils miniaturisés portatifs (BioMatrix) de
diagnostic ultra-rapide (trois minutes), de drogues dans la salive, salmonelles dans le
lait, tuberculose dans le sang…
Après une coopération scientifique exceptionnelle et fructueuse avec deux
laboratoires du CNRS (Biologie végétale et microélectronique), qui apporte une
preuve de concept, je serai cependant dans l’impossibilité de convaincre des
financiers d’investir. Je mets BioRet en sommeil en 2005.
À la retraite depuis 2005 :
Je poursuis néanmoins (avec notre camarade Georges Giraud et mon frère Alain
Pollard (Bo 64) - car je ne sais faire autre chose ! - des démarches « marketing »
d’élaboration de projets « chimériques » :
d’ingénierie micro-électronique appliquée à des transports propres.
d’ingénierie micro-économique appliquée à des productions d’emplois
industriels chimériques, car elles ont pour particularité des approches « systémiques »
combinant plusieurs disciplines, sans rencontrer de clients convaincus…
Maintenant, avec une épouse hyper-active, des petits-enfants qui grandissent,
des séjours en maisons familiales, au Pays basque et en Savoie, et des retours aux
sources gadzarts avec les zapattes et les voyages de promo…
*****************
186
187
Popof 3 Jean POUZADOUX
Longtemps, comme dirait Proust, j’ai eu le nez en l’air, attiré par tout ce qui
vole. Longtemps aussi j’ai voulu escalader les montagnes. Mon rêve, à la suite de P4,
était donc de faire Sup-Aéro.
Dans cette idée, l’été 1960, à la sortie de Cluny, j’avais participé à la
construction du planeur AM56, à la Ferté-Allais, sous les directives de Georges Payre
(Cl 45-48), alors chef du labo d’aérodynamique à P4 et passionné de vol à voile. Ce
planeur, conçu à l’École et servant de sujet d’étude en soufflerie, fut terminé plus tard
et a volé, mais il s’est brisé en vol en 1966 (problème de « buffeting » ?), sans faire
heureusement de victime. Cet épisode est peu connu, y compris dans le milieu
aéronautique. Quant à Georges Payre, dont j’ai gardé la mémoire, il perdra la vie dans
une collision en vol, en 1964, alors que, comme passager, il effectuait des mesures de
calibration.
Mais, étant à P4 en 1961, un certain Daniel Rapenne (Ch 56, qui fut directeur
chez Thomson-CSF et, un temps, président de la Société) est venu présenter une offre
de contrat très alléchante de la CSF (Compagnie générale de télégraphie sans fil) à
ceux qui opteraient pour une spécialisation à Supélec. Sans beaucoup d’hésitation, ce
fut donc Supélec, sur titre avec ma médaille d’argent, en section radioélectricité et
électronique.
Après un modeste service militaire dans les transmissions, marié et une
première naissance, je rentrai donc à la CSF à Levallois-Perret. J’y ai fait finalement
toute ma carrière, même si la société a changé plusieurs fois de nom et de localisation
par suite des nationalisations et reprivatisations successives… et des regroupements
qui s’en sont suivis.
Après divers travaux techniques, j’ai très vite été chargé (1965) d’une étude
tout à fait inédite pour les transmissions destinées à la force océanique stratégique
(SNLE). La question était simple : quelle doit être la puissance rayonnée, à partir
d’un point défini du territoire, dans une certaine gamme de fréquences, pour, en
toutes circonstances (jour, nuit, été, hiver), jusqu’à une certaine distance en milliers
de nautiques (SD : secret défense), dans tous les azimuts, jusqu’à une certaine
profondeur d’immersion (SD), assurer la transmission de messages numériques avec
3 « Popof » était le surnom d’un chef-pilote de chez Dassault, ancien de la France Libre : le colonel
Constantin « Kostia » Rozanoff, mort aux commandes d’un prototype en 1954.
188
un taux d’erreurs garanti (SD) en direction des sous-marins de la force océanique ;
« Vous avez un an ! ». Absolument passionnant, avec à la base une étude de
propagation très complète et inédite (du moins en Europe), et de nombreux
paramètres tels que la salinité des océans, les variations ionosphériques saisonnières,
le champ magnétique terrestre et le bruit atmosphérique. Avec le recul, je reste
admiratif quant à la confiance qu’on pouvait faire à un jeune de vingt-cinq ans ! La
station de Rosnay (Indre) a été réalisée sur la base, notamment, de cette étude. Elle
est toujours opérationnelle aujourd’hui.
Ensuite, ce fut la rénovation de la station d’émission de France-Inter à Allouis
en ondes longues (162 kHz), avec un nouvel émetteur de 600 kW et son couplage
avec succès à l’ancien de 500 kW (station qui vient d’être arrêtée, ce qui ne rajeunit
pas !). Puis la conception et la réalisation d’une autre station d’émission également en
ondes longues (70 kHz) pour la Marine nationale en Bretagne, toujours en service.
En 1969, c’est la fusion de Thomson et de CSF. La division
télécommunications, regroupée à Gennevilliers, remporte un important contrat, face à
Philips, pour la réalisation de tout le réseau de contrôle aérien et de
télécommunications aéronautiques de l’Argentine. J’en serai chargé entièrement à la
tête d’un consortium comprenant d’autres divisions de Th-CSF et des sociétés
argentines et italiennes. Tout était à faire y compris le génie civil. Les matériels
(émetteurs et récepteurs) étaient fabriqués dans notre usine de Cholet. Le système fut
mis en service en 1975, au moment où commençait la dictature militaire en
Argentine. Je crois me souvenir qu’à cette époque, notre très regretté camarade Pierre
Demartini - Djin - s’occupait, lui, du métro de Santiago. J’ai fait de nombreux
voyages en Argentine et j’ai gardé une affection particulière pour ce pays, et la
langue espagnole.
Tout en dirigeant cette affaire, j’ai conduit diverses études pour les
transmissions protégées du plateau d’Albion, elles aussi assez inédites. Je pris ensuite
la direction du service « Projets » de la division et il serait long de relater les
nombreux voyages faits dans ce cadre à l’étranger, y compris en Chine (Th-CSF y a
remporté le contrat du contrôle aérien dans le nord du pays) en 1975 et 1976 où nous
fûmes « consignés » six semaines au moment de la mort de Mao !
Je passe rapidement sur d’autres responsabilités dans le cadre d’affaires
sensibles pour le compte de la Défense nationale, avec plusieurs voyages aux États-
Unis. Sans trahir de secrets, ces échanges avec les Américains ont continué bien après
1981. On apprendra plus tard que la France continuait à leur fournir d’importantes
189
informations sur l’état des forces soviétiques (affaire « Farewell ») par le truchement,
justement, de représentants Th-CSF à Moscou.
En 1981, je rejoins comme cadre supérieur le comité de direction de la division
télécommunications et suis chargé de la politique produit et du plan stratégique. Dans
les cinq années qui suivront, dans une structure que je n’avais pas créée mais qui était
à son apogée, j’ai eu la chance de conduire les études marketing et les spécifications
des produits à mettre à l’étude, avec les budgets R et D correspondants. Période
passionnante et dont je suis particulièrement fier car, grâce aussi à l’excellence de nos
ingénieurs d’étude, la division télécom devint quasiment leader mondial dans le
domaine des radios et systèmes de transmissions militaires, et ceci jusqu’à
aujourd’hui, au point d’absorber nombre de concurrents, notamment britanniques et
continentaux (dans le cadre de Thalés).
En 1985, Daniel Rapenne, nouveau directeur de division, me confie la direction
de plusieurs programmes, dont la définition préliminaire des transmissions du
système Hadès. Ce système de missiles nucléaires tactiques (mobiles) à moyenne
portée, à têtes multiples, fut réalisé mais ne fut jamais mis en service. Le président
Mitterand a finalement été sensible aux arguments allemands, à l’aube de la
réunification, qui appréciaient peu un système dont la portée ne dépassait pas…
l’Allemagne de l’Est.
En 1989, j’ai rejoint ALCATEL Telspace (ancienne division faisceaux hertziens
et liaisons spatiales de Th-CSF), à Levallois puis Nanterre, pour prendre la direction
des services d’études chargés des produits militaires (faisceaux hertziens et stations
terriennes, dont le système SYRACUSE). Pour finir, après les reprivatisations d’après
95, je rejoindrai à nouveau Th-CSF, devenu Thalès, où je traiterai quelques dossiers
sensibles pour la direction. En 2000, ce fut la retraite.
Que dire de plus ? quatre enfants, aujourd’hui dix petits-enfants. Veuf depuis
bientôt trois ans. Pas mal d’alpinisme amateur en famille ou avec des amis, très
souvent en tête de cordée, à Chamonix et dans les Écrins. Des courses magnifiques
avec mon épouse et un guide. Un chalet à Pelvoux depuis trente-cinq ans.
Et aussi, le retour aux rêves de jeunesse : brevet de pilote planeur il y a vingt
ans, d’ULM multiaxes il ya dix ans. Près de six cents heures de vol, dont deux cents
en montagne, ce qui est à la fois beaucoup et peu au regard de certains amateurs. Je
possède depuis peu un moto-planeur ULM biplace, assez original, avec lequel je fais
des vols superbes au-dessus des montagnes que je connais bien… et où mes forces
m’interdisent de grimper. De quoi aussi s’imposer quelques défis et oublier les soucis
de santé…
190
En conclusion ? Une carrière que je crois honorable, avec une assez grande
variété de fonctions et dans une grande entreprise où la concurrence était rude. Mais
surtout une grande fierté d’être gadzarts, d’avoir fait cette école magnifique et de
faire partie de ceux qui se glorifient plus de ce qu’ils font que de ce qu’ils possèdent.
J’ajoute beaucoup de gratitude pour tous ces camarades dont la fréquentation
m’a tant apporté, dans des domaines très divers. Les Pierre, Serge, Guy, Jacques,
Michel, et beaucoup d’autres, se reconnaîtront… peut-être.
***************
191
Robin Robert RABILLOUD
La première fois que j’ai entendu parler des Arts et Métiers, je devais avoir une
dizaine d’années.
Mon père qui était parti de la ferme familiale à l’âge de quatorze ans, sans
aucun bagage, après avoir fait de petits boulots dans les maisons bourgeoises de la
région lyonnaise, avait été incorporé au service du Matériel pour le temps de son
service militaire. C’est là qu’il fut formé en mécanique et électricité, spécialités qui
lui permirent d’être employé, d’abord dans des Régies d’électricité, qui créées dans
les années 1920 / 1930 furent les ancêtres d’EDF.
Puis vint son embauche et son évolution au sein de la Société de constructions
électriques Merlin et Gérin à Grenoble.
Cette Société fondée en 1920 par Paul Louis Merlin et Gaston Gérin, tous deux
ingénieurs Arts et Métiers, était devenue rapidement une des premières sociétés de
matériel électrique moderne et performant.
Ces deux ingénieurs croyaient fermement dans la gestion intelligente du
personnel et c’est ainsi que mon père entré comme simple ouvrier fut propulsé dans
les années 1940 comme chef de service et membre de la Société des ingénieurs civils
de France.
En 1949 il créait sa propre entreprise, on dirait start-up maintenant.
Ces évolutions lui firent percevoir les avantages d’une formation d’ingénieur et
l’exemple de MM. Merlin et Gérin le poussa à me conseiller et de me décider à tout
faire pour suivre cette voie. Une formation au collège technique Vaucanson à
Grenoble semblait la plus évidente pour l’époque.
Le destin ne permit pas à mon père de me voir intégrer Cluny car il nous quittait
en 1953 victime d’une crise cardiaque à l’âge de cinquante ans.
Tout naturellement, après la sortie de l’École et une spécialisation en électricité
à Supélec, je reprenais la direction de la société familiale dans la banlieue de
Grenoble que notre mère avait continuée, et pendant seize ans j’essayais tant bien que
mal de développer l’activité dans les domaines des équipements électriques, de la
tôlerie industrielle et du polyester armé qui devenait indispensable pour toutes les
enveloppes destinées à un usage d’extérieur ou en atmosphères corrosives.
192
L’année 1981 allait sonner pour moi et toute ma famille un virage qui nous paru
dramatique sur le coup. Au retour des vacances d’été l’usine et les bureaux furent
envahis par une horde hurlante, drapeaux de la CGT en tête. Le coup avait été bien
monté et je fus expulsé par la force de l’entreprise, je n’y remis jamais les pieds :
occupation des locaux pendant près de cinq mois, avec bien sûr, menaces et insultes
téléphoniques, ce qui me conduit à déposer le bilan début 1982.
Je me retrouvais après seize années d’activité sans un sou devant moi et au
chômage forcé.
C’est alors que je trouvais toute la force des amitiés gadzarts, car c’est grâce à
l’aide de quelques amis gadzarts que je pus trouver un emploi très rapidement : tout
naturellement, grâce notamment à l’appui de Paul Louis Merlin, j’intégrais la Société
Merlin-Gérin.
C’était l’époque du développement à l’international et je recevais assez
rapidement une offre d’expatriation, le besoin se faisant sentir de créer des filiales
dans divers pays afin de développer des parts locales pour l’appareillage et les
équipements électriques.
Soutenu par Nicole mon épouse qui ne baissa jamais les bras, je partais en août
1984 pour l’Afrique du Sud où sévissait encore l’apartheid, bien que des pourparlers
soient en cours entre le gouvernement et l’ANC.
J’allais développer pendant quatre ans la fabrication locale de cellules moyenne
tension (15 à 20 kilovolts) pour les centrales à charbon, les mines d’or et de platine,
les postes de transformation d’ESKOM, l’EDF local.
La main d’œuvre locale allait se montrer efficace, ingénieurs anglais, sud-
africains, techniciens pour la plupart portugais (venant du Mozambique d’où ils
avaient été chassés par la révolution marxiste), ouvriers zoulous et colored de la
région de Capetown.
Un bel ensemble qu’il fallait manager avec beaucoup de doigté, mais quelle
satisfaction de constater la réussite que nous pouvions en tirer.
Après ces quatre années, retour pour une très courte période à Grenoble, mais
après que Lionel, notre second fils, eut réussi l’entrée à HEC, nous voilà de nouveau
sur le départ, cette fois pour Riyad en Arabie Saoudite.
193
Entre temps la société était passée dans l’univers de Schneider afin de se
développer plus rapidement à l’international sous le nom de Schneider Electric.
Même type de mission mais cette fois pour une filiale de près de trois cent cinquante
personnes avec des fabrications de mini-disjoncteurs basse tension et d’équipements
haute et basse tension.
Cette fois l’éventail des employés allait se développer de façon exponentielle
avec près de 16 nationalités différentes, à titre d’exemple :
- 3 Français
- 1 Belge
- 2 Anglais
- 3 Egyptiens
- 3 Indiens
- 3 Sri Lankais
- 3 Pakistanais
- 2 Libanais
- 2 Soudanais
- etc,…
- Le gros du bataillon constitué par des techniciens et ouvriers philippins
- Et enfin 2 Saoudiens !
Il fallait pas mal de doigté pour faire de cette tour de Babel une équipe
performante.
C’est dans ce pays que j’ai trouvé le plus de plaisir et de motivation malgré les
conditions climatiques difficiles et les contingences religieuses et sociales.
Au bout de sept ans passés à Riyad il avait été prévu que j’aille m’installer à
Tianjin en Chine mais il apparut comme urgent à la direction internationale que je
fasse une dernière mission en Malaisie pour la création d’une filiale de
production : le petit doigt sur la couture du pantalon, en bon petit soldat, nous
voilà partis pour Kuala Lumpur, passant de l’atmosphère chaude et sèche du
désert saoudien, à la chaleur avec 100% d’humidité, de la Malaisie.
J’arrivais là-bas en plein boom économique, difficultés de trouver et garder des
employés performants, impossibilité légale de faire venir du personnel de
194
l’étranger, délais de livraison de plus en plus courts pour satisfaire les besoins des
chantiers poussant comme des champignons, bref un mini cauchemar !
C’était impressionnant de voir les constructions, logements, bureaux, centres
commerciaux, bâtiments administratifs, métro, sortant de terre comme des
champignons.
Un petit exemple parmi d’autres, à notre arrivée à Kuala Lumpur il nous fallait
trouver une voiture pour Nicole, le délai de livraison était de près d’un an et nous
avons dû payer un supplément, soit disant pour une immatriculation spéciale afin
de l’obtenir avec un délai d’un mois.
Puis arrivent l’année 1998 et la crise asiatique : en moins d’un trimestre toute
l’activité commerciale et industrielle s’arrête, plus d’appels d’offres, plus de
commandes, le matériel fabriqué ne peut être livré, les factures émises reviennent
impayées, bref une situation que nous ne pouvons imaginer dans nos vieux pays
européens.
J’arrive à fin 1998 avec la possibilité de prendre ma retraite et suis fort content
de me retrouver dans mes Hautes-Alpes natales.
La carrière c’est terminé, et bien non car je reçois à ce moment-là une offre
d’une entreprise saoudienne cliente de Schneider Electric pour retourner en Arabie
Saoudite pour un contrat de deux ans afin de créer une usine d’équipements et
j’accepte, car le virus de l’activité ne m’avait pas quitté…
Le travail, bien que très prenant dans les différents postes que j’avais occupés
ne m’a jamais empêché d’avoir tout au long de ces quarante années de carrière des
activités surtout sportives.
Natif de Briançon, les activités de montagne sont bien sûr, dès mon plus jeune
âge, à la base de ces activités :
- Ski alpin : nous prenons encore chaque année les forfaits annuels qui sont
gratuits pour les vieilles branches comme nous.
- Ski de randonnée.
- Alpinisme et trek (traversée du glacier du Pelvoux, dôme des Écrins, camp de
base de l’Éverest, tour des Annapurna, Mont Kinabalu sur Bornéo).
- Moto de trial dans le Vercors et les Hautes Alpes.
195
- Moto de route : j’ai encore actuellement une moto Intruder Suzuki de 1500 cc
et nous parcourons Nicole et moi l’arrière-pays provençal et Niçois.
- Golf en Malaisie, une déchirure du tendon m’ayant définitivement coupé de ce
sport.
En somme une vie bien remplie qui a passée trop vite et que malheureusement
nous ne pouvons ralentir.
Le passage par Cluny nous a évidemment permis de goûter à ces joies dont nos
grands-parents et parents n’ont hélas pas pu profiter.
Merci les Arts et Métiers et Nicole.
***************
196
197
Chabichou Pierre RAVET
Il m’arrive parfois de me demander quel fût mon choix dans le déroulement de mes
études et mon parcours professionnel ; le déterminisme ? – né dans les copeaux dans une
famille de menuisiers-charpentiers (grand-père : Compagnon-charpentier)
– les aléas de la vie ? le deuil : le décès de mon père lorsque j’avais 13 ans, me conduit
en pension à La Martinière, puis au Tabagn’s (pour me permettre de faire des études et
entrer à La Martinière j’ai passé un examen qui m’a permis de bénéficier d’une bourse ;
je n’ai jamais oublié ce que je devais à la Société).
– le hasard ? cette petite impulsion qui fait diverger votre trajectoire, probablement
un mélange de tout cela !
Chaque année pendant les vacances d’été, je faisais un stage dans différents
secteurs : la chimie, l’automobile, le BTP… c’est ce dernier qui m’a attiré par la diversité
de ses métiers et le travail en équipe où les relations humaines sont essentielles.
C’est ce choix qui m’a conduit à me spécialiser au CHEBAP dont l’enseignement
remarquable a utilement complété mes maigres connaissances du béton.
Puis c’est le service militaire dans l’armée de l’Air sur la base d’hélicoptères du
Bourget-du-Lac. Aspirant puis sous-lieutenant, je suis affecté aux cours des élèves pilotes
d’hélicoptères : douze heures de cours par semaine sur les moteurs et l’aérodynamique ;
des semi-vacances dans une région agréable avec ski, balades… de quoi rempiler ! En 1964, suite à un stage effectué dans une filiale de GTE (Grands travaux de l’Est), je débute ma carrière professionnelle à Paris au bureau d’études de cette entreprise de gros-œuvre ; je collabore à la construction de nombreux immeubles à Paris et sa banlieue, à une époque de forte croissance du secteur du bâtiment. Le manque de perspective dans cette entreprise m’a très vite conduit à changer de
route et c’est au hasard d’une rencontre inopinée d’un ami à Paris que j’ai décidé de
rejoindre SOCOTEC (contrôle technique) ; six mois aux services centraux à Paris, puis à
l’agence de Lyon dans un groupe de quinze ingénieurs. J’ai eu la chance d’être sous la
responsabilité d’un directeur dynamique, Guy Sanglerat, qui m’a très rapidement
laissé beaucoup d’initiatives et encouragé pour travailler très en amont sur des projets
avec des architectes et des bureaux d’études ; cette méthode permettait de valider les
solutions techniques avant le début des travaux. Il m’a aussi encouragé à enseigner le
béton armé et précontraint au Conservatoire des Arts et Métiers, à l’École centrale
lyonnaise et à l’INSA, et diriger des élèves pour leur thèse de fin d’études. Ce fût pour moi
une période très enrichissante techniquement et humainement qui m’a permis de nouer
des relations de confiance avec les intervenants du bâtiment ; l’enseignement avec des
élèves très motivés m’a apporté beaucoup de satisfaction et une certaine confiance en
moi.
198
En 1972 je suis contacté par Pierre Eugène Pitance, PDG de la première entreprise
régionale lyonnaise de gros-œuvre (environ quatre cents personnes) ; l’envie de bâtir me
décide à accepter cette offre et je travaille aux études techniques des projets et leur
optimisation tout en me familiarisant avec les études de prix.
Je découvre l’organisation de l’entreprise, sa complexité et l’interconnexion des
différents services où les relations humaines sont essentielles au bon fonctionnement. Les
liens tissés précédemment dans le milieu du bâtiment me permettent de développer mes
relations commerciales avec les donneurs d’ordre et quelques années plus tard je gère un
département qui représente environ les deux-tiers du CA de l’entreprise : logements
sociaux et privés, collèges, lycées, bâtiments publics.
J’installe l’informatique dans les études de prix et la gestion des chantiers ; pour cela je
pilote un groupe de travail avec d’autres entreprises de notre taille pour mutualiser nos
moyens et créer des logiciels qui n’existent pas encore sur le marché.
En 1978/79 après deux ans de négociation nous remportons un marché de trois mille
logements en Algérie, et c’est le début d’une aventure dans une région où il faut tout
créer ; la débrouille est permanente et notre personnel sur le chantier excelle dans ce
domaine ; ce fût pour moi une école de patience et de ténacité pour la négociation des
marchés dans les arcanes des différents ministères algériens ; quant aux travaux, ils
nécessitèrent des trésors d’ ingéniosité de notre personnel pour pallier les déficiences dans
les approvisionnements et l’absence de réactivité des administrations ; mais au final les
résultats techniques et financiers furent au rendez-vous, cette opération m’a aussi permis
de découvrir ce pays , mieux connaitre cette civilisation par les liens amicaux noués avec
nos partenaires algériens ; depuis j’ai eu l’occasion de voyager comme touriste dans le
sud-algérien, dans ces magnifiques contrées.
Plus tard l’entreprise acquiert une licence pour injecter des résines époxydes dans
les fissures du béton ou de la pierre et réparer ainsi des structures (ouvrages d’art, bâtiments
industriels, centrale nucléaire, bâtiments historiques, etc.) ; ce marché se développe très
rapidement.
En 1981 l’entreprise GTM (Grands travaux de Marseille) acquière la majorité du
capital de l’entreprise ; le PDG et ses collaborateurs gardent une grande liberté dans le
choix des objectifs et le développement de l’entreprise ce qui est à souligner ; quelques
années plus tard cette situation n’aurait pas été possible, lorsque les financiers ont
remplacé les entrepreneurs à la direction des entreprises.
Je suis nommé représentant de l’ entreprise au comité technique de GTM-bâtiment et
je participe à plusieurs concours initiés par le ministère du Logement pour rationnaliser
la construction et améliorer l’isolation thermique et phonique ; notre usine de
préfabrication est très sollicitée pour ces études et nous remportons plusieurs concours ;
nous développons aussi des techniques nouvelles de préfabrication comme le béton
projeté armé de fibres de verre et fabriquons les voussoirs béton du tunnel du métro
lyonnais.
Je crée aussi un département réhabilitation qui se développe très vite dans le
logement, les collèges et lycées, et les grands bâtiments : (Galeries Lafayette, salles de
spectacles, cinémas, etc.)
199
En 1991 je suis nommé au directoire de l’entreprise Pitance (1) et je renforce mes
contacts avec les donneurs d’ordre dans un marché en crise et en pleine mutation ; je
prends ma retraite en 1997.
J’ai gardé de solides contacts avec mes anciens collaborateurs que j’ai toujours
plaisir à retrouver ainsi que d’autres acteurs du bâtiment dont certains sont devenus des
amis et je revois souvent Pierre Eugène Pitance qui m’a toujours soutenu dans mes
initiatives et avec lequel j’ai eu beaucoup de complicité dans nos relations.
Peut-être aurais-je pu suivre une autre route (une demande de mutation à SOCOTEC
en Nouvelle-Calédonie qui n’a pas aboutie) ou d’autres sollicitations que j’ai refusées,
mais sans un regret.
J’ai toujours cette passion pour l’aviation et je continuerai à piloter et à m’évader dans
les nuages tant que mes capacités me le permettront ; je participe toujours à des
associations et je donne des cours de math à des élèves de mon village en terminale
pour ne pas laisser rouiller les neurones trop vite !
« La grandeur d’un métier est peut-être, avant tout, d’unir les Hommes ; il n’est qu’un luxe
véritable, et c’est celui des relations humaines. »
Antoine de Saint-Exupéry - Terre des Hommes
(1) Quelques références de l’entreprise Pitance à Lyon dans le domaine des bâtiments
publics (réalisations en participation) :
- Bibliothèque municipale de la Part-Dieu.
- Auditorium.
- Eurexpo.
- Hotel de la COURLY.
- Hôpital des Armées.
- Hôpitaux cardiologique, neurologique, Jules Courmont.
**************
200
201
Rexy Michel ROCHE
À la fin du Tabagn’s, après avoir signé un contrat de pré-situation avec EDF,
j’ai décidé de faire un complément de formation en Allemagne à l’Université
technique de Darmstadt près de Francfort. Faible en langue allemande je suis allé
travailler trois mois à Winterthur en Suisse germanique afin de pouvoir réussir
l’examen d’entrée « langue » à Darmstadt. Commentaire de l’examinatrice : « vous
ne mourrez pas de faim !» C’est dire gentiment mon niveau !
Je suis arrivé à l’Université en octobre 1961. Ayant peu de moyens pour me
loger j’ai rejoint un groupe d’étudiants hongrois qui avaient fui leur pays lors de la
révolution réprimée par l’armée soviétique en 1957. Ils logeaient dans un club
hippique avec chambres et cuisine, au-dessus des écuries.
La section automatisme de l’Université pour préparer le doctorat était
composée de 24 étudiants (12 allemands et 12 étrangers) tous ingénieurs de gros
calibre surtout en maths.
On alternait exercices écrits et application sur le terrain dans la grande usine
BASF au nord de Ludwigshafen sur les installations en démarrage, formation
pratique efficace qui m’a beaucoup servi par la suite.
À la fin de l’année 1962, devant faire mon service militaire, je suis rentré en
France. J’ai rejoint la Marine nationale à Brest, à l’école des officiers de réserve sur
le Richelieu. À la fin de la formation j’ai été affecté à Toulon sur l’escorteur rapide
Vendéen comme chef de quart et second de la lutte anti-sous-marine. J’ai appris la
conduite d’un navire, le commandement d’une équipe et la gestion des matériels
affectés aux marins.
Démobilisé au printemps 1964, j’ai rejoint EDF à Paris dans un bureau
d’études s’occupant de la construction de centrales thermiques telles que Montereau,
Nantes-Cheviré, Porcheville, etc. Très vite chargé des chaudières, de leurs matériels
environnants, et des stations de pompage, j’ai saisi l’occasion fin 1965 de devenir
ingénieur de démarrage à la centrale au charbon de Montereau. On m’a confié la
responsabilité des nombreux matériels d’origine allemande, la charge du traitement
des eaux de chaudière et le suivi du montage des extensions de la station de pompage.
J’ai saisi l’opportunité de rejoindre Marseille en 1966. EDF créait un nouveau
bureau d’études où je faisais partie de l’équipe chargée de l’avant-projet de la
centrale de Martigues. Activité complétée par des interventions sur les automatismes
de la centrale de Loire-sur-Rhône.
202
En septembre 1966 j’ai eu une hémorragie interne en rentrant dans mon
appartement. Après avoir repris connaissance j’ai pu contacter mes voisins.
Un médecin m’a fait rentrer à l’hôpital Saint-Joseph. J’ai subi une lourde intervention
à la suite d’un ulcère perforé, donc ablation quasi-totale de l’estomac. Au bout d’une
dizaine de jours où tout semblait aller mieux, des complications surgirent : fièvre
importante et mal au dos. À l’époque il n’y avait pas d’échographie, de scanner, ni
d’IRM. Mon état s’aggravant les chirurgiens décidèrent d’aller voir…
J’étais atteint d’une infection nosocomiale qui entraîna l’ablation de la rate.
Mon état ne s’est pas amélioré pour autant et j’ai vécu pendant plus d’un mois à une
température proche de quarante degrés, saturé d’antibiotiques divers et variés,
prescrits par des spécialistes parisiens appelés au secours. Une nuit alors que j’avais
été placé dans une chambre pour mourants, veillé par mon père, mon gros intestin a
éclaté et l’abcès interne s’est vidé. Mon chirurgien appelé m’a dit : « On sait
maintenant ce que tu as, la remise en état va être longue. » L’intestin étant perforé, et
pour pouvoir travailler dessus, ils ont créé une dérivation, anciennement appelée
« anus artificiel ».
Au total j’ai subi sept lourdes opérations, sur une durée de dix mois, qui m’ont
fait passer de quatre-vingts kilos à cinquante-quatre ! Après une convalescence de
trois mois j’ai pu récupérer à soixante-dix kilos.
J’ai repris mon travail à Marseille fin 1967, avec un rythme adapté à mes
contraintes de sommeil et d’alimentation. Celui-ci consistait à identifier tous les
appareils mesurant les températures, les pressions, les vitesses, les débits, le bruit, etc.
Le document élaboré a eu un gros succès et m’a fait connaître dans tous les bureaux
d’études d’EDF.
Début 1970 j’ai rejoint pour un an le service d’études de la production
thermique et nucléaire basé à Paris. Nous avons élaboré l’avant projet des centrales
de grande puissance de 700 MW au fioul et au charbon, combustibles peu chers à
l’époque.
De retour à Marseille j’ai intégré et piloté le groupe d’ingénieurs chargés des
études et des marchés de la centrale d’Aramon (deux tranches de 700 MW) au fioul.
La concurrence entre mon équipe et celle des futures centrales nucléaires rendait
notre travail peu agréable. C’est pourquoi je suis parti accompagné de ma femme et
de notre jeune fils à la société de production d’électricité de la Martinique, entreprise
d’économie mixte conseillée par EDF qui envoyait de nombreux cadres. J’étais
responsable de la production thermique composée de deux usines à Fort-de-France,
203
l’une classique à vapeur de 5 MW, et l’autre plus moderne équipée de pistons libres
et de diesels pour un total de 35 MW. J’étais à la tête d’environ deux cents personnes.
L’état des usines était lamentable. Le courant de l’île était coupé tous les jours
afin de pouvoir réparer les moteurs. La formation du personnel était inexistante, la
plupart des agents de maîtrise ne savaient pas lire un pied à coulisse, les pièces qui
arrivaient par bateau (deux mois de délai) n’étaient pas gérées. Je devais me dépanner
auprès des chefs mécaniciens des bateaux de commerce qui faisaient escale à Fort-de-
France et à l’atelier de la Marine nationale.
À l’aide de la formation professionnelle locale, nous avons formé nos agents de
maîtrise. Au bout de six mois, le taux de panne a baissé de plus de 50% et nous avons
pu organiser les visites périodiques des moteurs et le réglage de toutes les protections
électriques.
Nous sommes rentrés fin 1976 sur Marseille avec notre fils aîné et deux petites
filles nées aux Antilles. J’ai pris la direction d’un service nucléaire (un comble !)
pendant quatre ans.
En 1981, avec nos quatre enfants, devant la situation catastrophique de la
production d’électricité de la Guadeloupe et des îles du Nord, fort de ma première
expérience positive en Martinique, la direction d’EDF m’a demandé de piloter la
remise à niveau des installations. Cette fois-ci je suis arrivé avec une équipe de
cadres. Nous avons mis six mois pour relancer la Guadeloupe, conduit le projet de
l’agrandissement de la centrale de Saint-Martin et renforcé les moyens de production
de l’île de Saint-Barthélémy.
Au bout de trois ans EDF m’a envoyé en Corse où je suis resté quatre ans.
Basé à Ajaccio j’ai supervisé le fonctionnement des usines thermiques et
hydrauliques de l’île, les lignes de transport, le dispatching, et la mise en place de
l’atelier de traitement informatique.
Ce travail ne fût pas simple. Les relations locales étaient dures et venaient
perturber tout ce que l’on voulait mettre en place ou faire évoluer. Devant les progrès
constatés, j’ai été soutenu par les forces vives de la Corse dont il faut saluer le
courage.
En 1988, j’ai été nommé directeur adjoint du centre EDF de Lyon-Métropole.
Un nouveau challenge s’ouvrait à moi : deux mille quatre cents personnes à gérer.
Les chefs de service de haut niveau m’ont vu arriver avec surprise.
204
Ce ne fut pas simple car les directions d’EDF et de GDF voulaient que je
reprenne le pouvoir face aux syndicats et que j’assainisse la situation financière du
centre. Au bout de deux ans, j’ai été nommé directeur délégué du centre et eu les
moyens de mettre en place des structures réactives, et baisser les charges
d’exploitation en ramenant les effectifs de 2400 à 1900 personnes.
Après six ans passés à Lyon la direction d’EDF m’a proposé de prendre la
direction du centre de Paris intra-muros. En même temps un problème grave de santé
survint chez notre seconde fille. Nous avons privilégié une charge professionnelle
moins lourde. J’ai été nommé directeur d’EDF–GDF-Services-Sarthe, au Mans.
J’ai dirigé ce centre jusqu’en l’an 2000. Ces six dernières années de ma carrière
furent très enrichissantes professionnellement. Notre fille fut très bien soignée et nos
enfants ont pu terminer leurs études avec succès dans ce beau département.
Je suis parti à la retraite en 2000, à l’âge de soixante-deux ans, après une
carrière variée et très intéressante.
LA VIE CONDUIT LA VIE.
Le lourd accident de santé a modifié tous mes projets et j’ai depuis cette
époque choisi ou accepté tous les postes qui m’offraient des espaces de liberté.
****************
205
Charpy Serge SCAVARDA
Texte écrit par Charpy dans le K'nard XVI publié en 2007
Embauché dès juillet 1961 par feu les établissements Kulhman j'ai été incorporé
en septembre 1961. Après six mois d'EOR marine à Brest avec Finch, Cythé, Pléon’s
et de nombreux gadzarts d'Aix. J'ai été embarqué sur le ravitailleur d'escadre La Seine
(avec lequel un soir de printemps 1962 nous avons failli au large de Gibraltar frotter
l'escorteur sur lequel était embarqué Finch).
Ayant dès le début des EOR perdu mes illusions quant à mon aptitude au
service à la mer, j'ai postulé au poste d'enseignant à l'école de maistrance de Saint-
Mandrier, où j'ai passé mes six derniers mois en compagnie d'un gadzarts de la 56 et
d'un centralien de Lyon, encadrés paternellement par un gadzarts de la 46.
Ma courte carrière d'ingénieur chez Kulhman m'a conduit successivement de
Lille à Saint-Clair-du-Rhône. En décembre 1963 est née ma première fille Catherine.
Désireux de trouver un travail plus scientifique j'ai essayé de septembre 1965 à
novembre 1966 Comsip-Automation (actuellement Cegelec) avant de décider sur les
conseils éclairés de Jacky de prendre un poste d'assistant d'automatique au
département génie mécanique de l'INSA de Lyon, non sans avoir envisagé une
carrière d’enseignant à l'ENSAM Paris. Cette orientation a obligé mon épouse Odette
à reprendre son métier d'institutrice, le standing d'un assistant étant fort éloigné de
celui d'un ingénieur.
Depuis cette date je suis resté fidèle à l'INSA. Fusse pour autant un long fleuve
tranquille ? Je ne crois pas. En premier lieu se lancer dans une thèse de doctorat
d’État après cinq années passées hors de l’université n'est toujours pas si simple. Par
ailleurs le passage du statut d'ingénieur à celui d'assistant donnait nettement
l'impression de redescendre l'échelle sociale. Mais tel avait été mon choix. Mon DEA
de chimie appliquée réussi (il serait trop long de vous expliquer le pourquoi de cette
spécialité), je dois dire que je me suis totalement investi dans le volet enseignement
de mon nouveau poste avec deux collègues. Le directeur de notre laboratoire Jean
Tourancheau (celui des ouvrages de technologie) s'étant tué accidentellement en
montagne, nous avons pris en charge la mise en place de l'enseignement de
l'automatique puis de l'ensemble de l'E.E.A avec l'agrément de Jean Bahuaud alors à
la tête du département de mécanique. Nous consacrions le peu de temps disponible à
notre recherche. Contrairement à ce qui se passe actuellement, rien n'obligeait le
directeur de thèse à s'impliquer dans nos sujets. Ainsi en ce qui me concerne, j'ai dû
définir l'orientation à donner à ma thèse d'État. Dans ce contexte et pratiquement sans
moyen financier l'obtention de la thèse d'État m'a conduit jusqu'en1980. Entre-temps
en 1969 est née ma deuxième fille Nathalie. Docteur d'État j'ai pu alors bénéficier
d'une réelle autonomie en recherche c'est-à-dire créer et animer une équipe de
recherche centrée sur la modélisation et la simulation des systèmes avec des
applications dans les domaines de l'hydraulique et de la pneumatique, sans oublier la
recherche de financement.
206
Dès 1985 j'ai pu mener à bien de nombreuses collaborations avec l'industrie,
collaborations auxquelles mon expérience industrielle m'avait bien préparé.
Parallèlement à la reconnaissance progressive de la qualité des travaux de mon
équipe au niveau international j'ai commencé à gravir les échelons de la hiérarchie de
l'enseignement supérieur pour atteindre la position de professeur de 1ére classe en
1993. La reconnaissance internationale m'a valu des invitations d'universités
étrangères et m'a donné l'opportunité de beaucoup voyager à l'étranger en compagnie
d'Odette alors en retraite. En dehors des principaux pays d'Europe et des USA nous
avons séjourné deux fois en Chine et quatre fois au Japon et pu nouer des contacts
humains très enrichissants. J’ai assuré la direction du laboratoire d'automatisme
industriel de 1997 à 2003 et eu la satisfaction de l'amener à un niveau qui a permis
ultérieurement son intégration au CNRS en janvier 2007 dans le cadre d'un nouveau
laboratoire : le laboratoire Ampère. Ce laboratoire résulte de la fusion des
laboratoires appartenant à l'INSA Lyon 1 et à l’École Centrale.
En retraite depuis septembre 2003 je suis actuellement professeur émérite de
l'INSA de Lyon et malgré de gros ennuis de santé je n'ai pas complètement
abandonné la recherche. Je suis en effet très intéressé par l'évolution du dernier thème
que j'ai développé et qui porte sur la conception et la synthèse des systèmes
mécatroniques, thème très porteur tant sur le plan méthodologique qu'au plan logiciel
et qui fait l'objet d'une collaboration avec PSA depuis huit ans.
Texte ajouté en 2018
Serge fût distingué deux fois par la prestigieuse institution IMechE - Institution
of mechanical engineers.
en 2002 - Donald Julius Groen Prize 2002 (avec deux autres chercheurs) :
« Physical model-based inversion in control systems design using bond graph
representation ».
en 2006 - Joseph Bramah Medal : professor Serge Scavarda, INSA Lyon, for his
work in fluid power, particularly his contributions to pneumatics coupled with his
seminal research in Bond Graphs and his work on inverse design.
Médaille "Joseph Bramah" au Professeur Serge SCAVARDA, professeur
émérite au laboratoire Ampère, INSA de Lyon : chaque année, cette médaille
récompense une personnalité dont les travaux ont contribué de façon significative à
l’avancée des connaissances dans le domaine des sciences du génie mécanique et plus
spécifiquement de l’hydraulique. Ce prix récompense l’ensemble des travaux
effectués par Serge Scavarda dans le domaine du Fluid Power.
**************
207
Pomp’s André VIDAL
Voici donc le résultat de quelques réflexions sur une
trajectoire faite de découvertes dans des domaines variés assez loin de ce que j'avais
appris, mais où la fréquentation de milieux professionnels et sociaux différents a été
très instructive.
Première étape
1er juillet 1963 : libéré des obligations militaires je prends mon
poste d'ingénieur d'études dans le bureau correspondant à la SNAV (Société Nouvelle
des Ateliers de Vénissieux). C'est une société de plus de mille personnes qui fabrique
des wagons de marchandises et de transport d'automobiles et qui se lance dans la
construction de pelles hydrauliques, service auquel je suis affecté. Les gadzarts
sont partout, du PDG à moi, et la maison mère est Renault. Mon travail est
intéressant, mon chef gadzarts sympa, mais pour être honnête c'est la montagne qui
me passionne et je rejoins Geo Narbaud, notre Zob, tous les samedis ou presque. Un
petit incident technique en compagnie de Geo, Romanens, notre Machaut, et du Tigre
(Cl 56), ne nous freine même pas. Au bureau l'ambiance de l'équipe est bonne mais la
rivalité avec les wagonneux est palpable, et puis je découvre que les échanges avec
les méthodes et la fabrication ne sont pas toujours au beau fixe. Pour finir les ventes
sont difficiles et mon chef direct doit partir. Il trouve une place chez Richier Weitz
qui fabrique des grues à tour et qui lance un service de matériel de concassage pour
les travaux publics dont il prend la tête. Il m'appelle et m'embauche dans la foulée en
1966. Bis repetita pour lui, mais là on me rebascule du côté des grues à tour où on me
confie le service électrique....
Je ne suis toujours pas passionné et les ascensions se poursuivent avec Geo. Il
y a toutefois un petit souci, je suis marié et il y a déjà un petit garçon qui est né cette
même année.
.
Deuxième étape
Et puis, en 1970, me rendant compte que dans ces milieux
techniques d'ingénieurs j'ai peu de possibilités pour me faire une place, je consulte
donc les annonces. Marie-Claude, mon épouse, voit passer un poste d'ingénieur
entretien dans un obscur labo pharmaceutique à Oullins, Novalis (Codotussyl, Chloranautine, Tyrothricyl, etc.)
208
Elle a travaillé plusieurs années au laboratoire de développement chez
Jacquemaire, sauveur de ces dames. Je réponds donc à l'annonce et je suis embauché
tout d'abord en rencontrant le DG qui m'annonce qu'il est pharmacien et que je lui
rendrai compte, mais aussi le PDG d'allure jeune et sportive, vétérinaire de
formation, qui me demande tout de go si je parle anglais !!!! J'apprends que le labo
vient d'être racheté par un groupe américain, American-Cyanamid, ayant une
branche pharmaceutique, Lederlé Laboratories, qui veut développer ,conditionner et
vendre ses produits en France. Le poste recouvre l'entretien bien sûr mais aussi
l'industrialisation, car les pharmaciens n'y connaissent rien… je serai donc en ligne
directe avec lui.
Je fonce, et je ne le regrette pas. Dans le boulot je m'éclate en dépannant tout le
monde y compris en achetant des lapins de ferme chez les parents de Denise Forestier
(Tornad’s) pour des tests apyrogènes. Finalement j'ai de bons contacts avec les
pharmaciens… sauf avec une… qui me déclare : « vous n'êtes qu'un ingénieur » au
cours d'un accrochage !
Ma première opération de mécanisation construite de mes mains avec du
matériel pneumatique acheté à Bems de la Cl58 est spectaculaire et abouze
les pharmaciens sans trop inquiéter les ouvrières qui me voient les espionner chrono à
la main. Mais les ventes des nouveaux produits (remboursés par la Sécu) Myambutol
(contre la tuberculose) Ledermycine (antibiotique large spectre) marchent bien et les
anciens produits de Novalis connaissent un renouveau avec ce PDG qui ne peut pas
cadrer les pharmaciens. Il faut reconnaitre aussi que mes relations avec le personnel
féminin à tous les niveaux sont excellentes, et comme il y a beaucoup plus de
femmes dans ce labo, je n'ai pas de soucis et surtout pas de syndicat.
Mais bon, le DG fait la gueule, et en 1972 le PDG ajoute à mes fonctions les
achats, la logistique et l'ordonnancement. J'achète des machines à tour de bras, la
productivité augmente, tout baigne. Je participe aux réunions internationales du
groupe des ingénieurs d’entretien et des acheteurs. Puis en 1974 je suis nommé
directeur d'usine avec toutefois le garde-fou du pharmacien responsable pour valider
la qualité des produits .On est toujours dans des locaux minables et on dépense des
sommes folles pour les mettre aux normes du groupe, et bien sûr on pense à
construire une usine neuve dans l'Ouest lyonnais. Mais finalement le Groupe opte
pour la reconstruction de l'usine allemande en priorité.
Côté montagne, coup de frein sérieux car il y a 3 enfants et mes absences d'une
semaine ne sont plus tolérées par la famille…
209
Troisième étape
Quand un chasseur de tête me contacte en 82 pour la direction industrielle des
graines d'Élite Clause, et Lederlé n'ayant pas de projet intéressant, j'accepte le
challenge et part pour Brétigny-sur-Orge en laissant la famille dans notre résidence
secondaire à Chiddes près de Cluny. Je retrouve une usine immense, poussiéreuse,
des machines de tamisage anciennes, des escaliers en bois où les ouvriers montent les
sacs à dos d'homme... et un PDG jeune et hyper doué, bourreau de travail, mais isolé
dans sa tour d'ivoire, incapable de serrer la main d'un ouvrier, et un syndicat CGT
vindicatif et procédurier. Et puis si j'ai les graines potagères et florales à Brétigny, j'ai
la saison des pommes de terre à Dol-de-Bretagne, les rosiers et végétaux à Guilly en
hiver, les oignons de tulipes et autres à Vineuil en automne, et enfin compost et
terreaux à St Escobille (voir les gadoues de Paris). En fait il s'agit d'ateliers
qui fonctionnent avec trois ou quatre permanents et des saisonniers. Le problème
principal est à Brétigny où la mécanisation est faible : manutention, ensachage, tout
est à faire. Il y a tout de même un hic : le nombre de variétés de graines (plus de cinq
mille) et la diversité des paramètres qualitatifs (taille des graines, couleurs,
germination, présentations, destinations, etc.)
Heureusement si je ne connais rien aux graines, les employés aussi bien cadres
qu'ouvriers viennent de la terre et ont un attachement particulier à leurs produits.
Savez-vous qu'il ne faut pas brutaliser une graine, ne jamais la conserver sur un
lamifié, ne jamais la chauffer. Dans tout ça, l'entreprise est cotée en bourse et il faut
que çà crache !... Je m'attaque tout d'abord au conditionnement en achetant des
peseuses automatiques en remplacement de balances de précision, mais on ne peut
guère faire mieux quand vous avez des séries inférieures à mille sachets ; ensuite un
immense magasin robotisé raccordé aux étages des machines de nettoyage simplifie
les manutentions pour les produits palettisables. Pour les graines de bégonias on
en reste au manuel (avec dix grammes vous couvrez un champ d'un hectare). À côté
de çà je regarde de plus près le service entretien qui en est resté à l'époque du Père
Clause, on fait tout nous-mêmes, donc j'externalise et les coûts sont nettement
inférieurs et surtout connus. Pour les établissements extérieurs je vais voir ce qui s'y
passe et cela suffit à améliorer le système.
Après cinq ans de vie partagée entre Brétigny pour le travail et Chiddes pour les
week-end, et sachant que l'entreprise va être reprise par une coopérative agricole avec
certainement une restructuration de l'équipe dirigeante, je décide d'aller voir ailleurs !
210
Quatrième étape
Étant resté en contact avec le PDG des laboratoires Lederlé, à sa demande
d'ailleurs, je l'appelle en 87 pour savoir si de son côté il y a des possibilités.
American-Cyanamid, maison mère de Lederlé, vend des produits phytosanitaires
dans les pays européens et envisage de construire une usine de production. Bien sûr le
PDG français a proposé la France qui est le plus gros consommateur des herbicides et
autres régulateurs de croissance Cyanamid en Europe. Des accords des
Américains, après une évaluation au siège dans le New-Jersey (dont l'un confie
au PDG français que je vaux mieux que ma taille...), je suis embauché pour suivre la
construction de l'usine. Mais, premier couac, le ministre Madelin crée les zones
d'entreprise avec zéro imposition pendant dix ans... et l'usine se construira à
Gravelines ce qui n'enchante pas du tout la famille. Deuxième couac, les Américains
qui ont en charge la conception de la partie technique de fabrication de l'herbicide ont
pris beaucoup de retard. Mais bon, tout arrive après de multiples réunions avec les
autorités locales, les écolos , le Groupe , des voyages avec les notables pour bien leur
prouver que nous sommes sérieux et sans danger pour la faune et la flore, nous
construisons. J'embauche les cadres puis, petit à petit, le personnel. Un détail, on
s'entend avec les édiles locaux pour embaucher un délégué syndical CFDT.
L'usine démarre, et après une période de rodage de trois mois et un audit
complet, nous démarrons la phase industrielle en continu 7 jours sur 7, 365 jours par
an.Tout le monde est content, çà roule... Mon souci principal est la sécurité ; mon
responsable est un ancien gendarme motocycliste et avec lui je suis sûr que les
procédures sont respectées.
Mais le pays est quand même trop plat, et pour trouver une forêt il faut faire
cent kilomètres, on ne peut pas aller tous les week-end à Bruges ou en Hollande, et
les copains, bien qu'ils aient fait l'effort méritoire de venir nous voir, sont loin. Après
cinq ans de platitudes je rappelle mon PDG pour faire autre chose et quelque temps
après...
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Cinquième étape
American-Cyanamid a une filiale qui s'appelle Davis and Geck qui œuvre dans
les produits chirurgicaux et vient de racheter une usine à Grenoble qui fabrique des
aiguilles pour les sutures ; les sutures elles-mêmes étant montées dans une usine à
Bernay en Normandie. À nouveau je repasse les tests d'embauche aux States et je
rejoins l'usine en 1992. C'est encore une vieille usine avec du personnel compétent
qui a la particularité de tourner pour le Groupe mais aussi pour des clients extérieurs
très exotiques, et nous avons un atelier de production à Sarlat. Mon rôle dans cette
affaire est de remplacer le PDG qui a cédé son entreprise, et bien sûr d'assurer la
rentabilité de la société.
J'ai des collaborateurs à la hauteur, une DRH à poigne , mais des ouvriers CGT
hargneux et surtout pas fiables contrairement à ceux du Nord. Je m'aperçois
également que faire du business avec des Malais, Tunisiens, Marocains, Allemands,
Espagnols, Italiens, Indiens, Israéliens, Iraniens (avec autorisation US bien sûr ) n'est
pas trop mon truc. Par chance le moment des trente cinq heures a sonné et j'arrive à
convaincre le Groupe que nous pouvons assurer la production totale des
aiguilles dont ils ont besoin, y compris aux USA, si nous tournons en continu 7 jours
sur 7.
L'accord avec les syndicats est signé avec cinq équipes dont deux pour les
vendredi, samedi et dimanche.
Et puis la roue tourne, American-Cyanamid vend toute son activité médicale à
American Home Products, qui revend Davis and Geck au trust Tyco dans la branche
Kendall... On me demande gentiment, ayant tous mes droits pour prendre ma retraite,
d'aller cultiver mon jardin.
Sixième étape : voyages, voyages…
Depuis le 1er février 1999 je cultive le jardin de Marie-Claude, je désherbe, je
bêche, elle plante. Mais un autre plaisir est de participer aux jeux des petits-enfants,
constructions de cabanes dans les arbres, d'une tyrolienne, et plus récemment retour
au modélisme. Et encore plus récemment je me suis mis à l'initiation au FabLab de
l'ENSAM de Cluny, à l'utilisation d'une imprimante 3D.
L'avenir nous appartient….
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