Karl Korsch - La guerre et la révolution (2001)

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  • 8/9/2019 Karl Korsch - La guerre et la rvolution (2001)

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    KARL KORSCH

    La guerre etla rvolution

    AB IRATO2001

    abirato.free.fr

    Le texte de cette brochure est extraitdeMarxisme et contre-rvolution

    de Karl Korsch (Seuil, 1975, puis),prsent et traduit en franais par Serge Bricianer.

    Le texte original, War and Revolution , a tpubli en 1941 dansLiving Marxism, VI, 1.

    Nous tenons remercier Claude Orsoni

    et Michel Prat pour leur aide prcieuse.

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    La guerre et la rvolution

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    Sommaire

    Relire Korsch, collectif Ab Irato, p. 3

    Karl Korsch, Paul Mattick, p. 5

    La Guerre et la Rvolution, Karl Korsch, p. 7

    Korsch et les anarchistes, Paul Mattick, p. 25

    Repres Biographiques (1886-1961), p. 27

    Bibliographie de Karl Korsch

    Marxisme et Philosophie, traductionpar Claude Orsoni, Minuit, 1964.

    Karl Marx, traduction parSerge Bricianer, Champ Libre, 1971.

    L'anti-Kautsky, ou la conception matrialistede l'histoire, traduction par Alph Marchadier,Champ Libre, 1973.

    Marxisme et contre-rvolution, traduction

    et prsentation de S. Bricianer, Seuil, 1975.

    Dans la Critique sociale: Lenine : sur le matrialismehistorique (n7, janvier 1933) ; Le marxisme enFrance de 1871 1905 , (n7) ; Biographie de Karl

    Marx , (n8, avril 1933). In La Critique sociale, rim-pression complte, ditions de la Diffrence, 1983.

    en allemand :

    Gesamtausgabe, uvres compltes en cours de publi-

    cation, d. par M. Buckmiller, Amsterdam, IISG,4 vol. parus.

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    FIDLE sa conception de la spcificit historique ,Karl Korsch traite de la guerre en la situant histori-

    quement, cest--dire quil replace les conflits dans leur poque.Il distingue ainsi deux grandes priodes : lpoque moderne,laquelle stend de lessor du capitalisme, la Renaissance,

    jusquau dbut du XXme sicle, poque du dveloppementprogressiste de la bourgeoisie progressiste au sens oelle est encore en lutte avec la socit fodale , et lpoquecontemporaine dbutant avec la Premire guerre mondiale.

    Serge Bricianer 1, prsentant en 1975 les textes de Korschdans Marxisme et contre-rvolution, rappelait que les guerres delpoque moderne sont marques, pour Korsch, par une intimeliaison entre la guerre totale et le mouvement rvolutionnairede lessor de la bourgeoisie : la premire unifiant et exaltantles forces de ce dveloppement. Korsch stend longuement surcette liaison entre la guerre et le dveloppement historique ducapitalisme lpoque moderne. Durant toute cette priode,la guerre a t un lment constitutif du dveloppement ducapitalisme, un moyen de dpasser ses conditions fodalesdexistence et les rapports sociaux anciens qui leur taient lis.

    Les guerres contemporaines, quinaugure la Premire guerre

    mondiale, apparaissent dans un tout autre contexte, elles nontplus le caractre rvolutionnaire bourgeois quelles avaientprcdemment. Ce premier conflit mondial du XXme sicleclt pour Korsch la longue priode des guerres comme momentsprogressistes du dveloppement capitaliste. Avec la Deuximeguerre dont le texte propos ici est une analyse chauddatant de 1941 il ny a plus pour Korsch de caractre

    progressiste des guerres capitalistes ni de possibilit de leurtransformation en rvolution sociale. Comme le prcise SergeBricianer, llment imprialiste a dsormais pris le dessus surllment progressiste . Les guerres deviennent essentiellementdes luttes intestines aux classes dirigeantes et non plus desmoments constitutifs du dveloppement capitaliste ; elle vontde pair, entre autre, avec lintgration dmocratique ou

    autoritaire du mouvement ouvrier dans lappareil dEtat (NewDeal amricain, Fronts populaires, fascismes et rsistancesdmocratiques antifascistes). La guerre sest modifie mesureque se transformait la socit capitaliste.

    La Premire guerre mondiale voit le triomphe du dfaitismecomme mot dordre rvolutionnaire, la fin de la barbarie

    guerrire ouvrant sur la rvolution, en Russie et en Allemagne.Dans le contexte nouveau des guerres contemporaines, le motdordre de dfaitisme rvolutionnaire a perdu tout le sens quilavait lpoque prcdente. Tout dabord, remarque K. Korsch,au moment de la Deuxime guerre mondiale, il est mmedevenu le mot dordre de la bourgeoisie franaise pour conserverson pouvoir conomique et social : Plutt Hitler que le Frontpopulaire . Plus lourd de consquences, la transformation de laguerre signifie lentre en scne des corps militaires spcialiss, lapopulation est maintenue dans une attitude passive, par la peur,et devient la principale victime des guerres. Ces changementssont perceptibles dans le langage militaire rcent, o les pertesciviles deviennent des dommages collatraux , prvisibles et

    inscrits dans le cahier des charges.La Deuxime guerre sinscrit, en effet, comme le fascisme,dans une perspective de contre-rvolution et dpoque nouvelle,

    Relire Korsch

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    marque par un capitalisme monopoliste tatique plutt que

    concurrentiel et priv. Le fascisme allemand navait pas seule-ment pour tche de briser la rsistance ouvrire lexploitationaccrue, mais aussi, dans le contexte historique de la priodedagitation rvolutionnaire 1917-1936, de supprimer pourlongtemps tout mouvement indpendant de la classe ouvrireeuropenne. La leon de 1917 a t retenue, il sagit dviterpour les classes dirigeantes, que se reproduise le cauchemar russe

    et allemand de 1917-18 : des Etats en crise face a une armede conscription emporte par lagitation rvolutionnaire. Avanttout, il sagit dviter que la dsintgration de lEtat capitaliste,du fait de la guerre ne cre un vide politique qui favorise unesubversion sociale de lordre capitaliste et nouvre la voie une rorganisation non capitaliste de la socit. Le pouvoir delEtat capitaliste, mme en pays vaincu, doit demeurer intact.

    Ce sera, lors de la Deuxime guerre mondiale, le principalsouci de la classe dirigeante des pays vainqueurs dans les paysvaincus (Allemagne, Japon). De plus, plusieurs exemples, depuisla Deuxime guerre mondiale, montrent la fragilit dune armede conscription, ds lors quelle est engage dans un conflitde longue dure 2.

    La validit de cette analyse fut confirme, nouveau, lors desguerres rcentes o les pouvoirs occidentaux ont tout fait pourlaisser intacts les appareils dEtat dits ennemis. En effet, le soucisdurant la guerre du Golfe fut de ne pas laisser lEtat irakienen totale perdition ; ou durant la guerre de lOTAN contre laSerbie doccuper, au Kosovo, le terrain abandonn par larme

    serbe, en crant rapidement un protectorat sur la rgion. Ainsiles analyses de Karl Korsch, faites pendant la deuxime guerremondiale dgageaient et mettaient en vidence les principalestendances des guerres venir dans la nouvelle priode capitaliste.Dans la prsentation dj cite, Serge Bricianer soulignaittoutefois que Korsch avait pass sous silence la guerre departisans ; la disparition de la horde arme , caractrisant

    la guerre totale, devant tre ainsi relativise par lapparition,dans laprs-guerre, de mouvements de gurilla nationalistesmobilisant des populations, dans le but de lmancipationnationale ce qui implique la cration de rapports salariauxmodernes. On peut remarquer que mme ces luttes tendent se soumettre cette spcialisation militaire dont parlait Korsch.Ce fut, en particulier, le cas au Kosovo et dernirement en

    Tchtchnie, o les rsistances armes nationalistes se sontconstitues sous la forme de corps spcialiss, les populationstant moins leur base logistique que les victimes et les enjeuxdes affrontements 3.

    Aujourdhui, les armes dintervention imprialiste des Etatspoursuivent leur transformation et leur spcialisation. Dans

    un contexte de restructuration des conomies fonde surune prcarisation croissante du march du travail et unemarginalisation massive de la surpopulation proltaire, et deconflits sociaux prvisibles, larme doit protger galementlEtat contre les nouvelles classes dangereuses. Encore plus quepar le pass, larme doit tre prte assumer un rle de policeinterne. Pour mieux comprendre ces dveloppements, il nestpas inutile de relire Karl Korsch.

    1. Pour une courte biographie de Serge Bricianer on se reportera autexte de Charles Reeve, Serge Bricianer, des nuances du noir et durouge vif , Oiseau-tempte, n 2, automne 1997, Paris.2. Ce fut le cas de larme portugaise enlise, de 1961 1974, dans

    une guerre coloniale en Afrique, et avec des consquences diffrentescelui de larme amricaine au Vietnam, de 1965 1973.3. Par opposition, la lutte de lEZLN au Chiapas correspond davantage une forme classique de guerilla.

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    dsignaient pour ce rle particulier bien qu'il et prfr tre

    au cur des choses , c'est--dire ml aux luttes relles pourle bien-tre et l'mancipation de la classe ouvrire, laquelle ils'identifiait. Son intelligence, son intgrit morale le mettaient part, lui interdisaient de participer la cure qui taitune des caractristiques saillantes et du monde acadmiqueet du mouvement ouvrier officiel. Le fait que sa mort soitpasse peu prs inaperue semble confirmer la conviction,

    nourrie par Korsch, que le marxisme rvolutionnaire ne peutexister qu'en liaison avec un mouvement rvolutionnaire dela population laborieuse.

    Paul Mattick

    Ce texte , ainsi que celui publi en fin de brochure, consti-tuent respectivement les chapitres I et III d'un essai de

    Mattick sur la pense politique de Karl Korsch, publi auxtats-Unis l'occasion de la disparition de celui-ci. Les titressont de la responsabilit d'Ab irato. La traduction franaise, Karl Korsch , fut publie dans tudes de marxologie,n7, aot 1963, (sous la direction de Maximilien Rubel).

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    ERAPPORT de la guerre la rvolutionest devenu lun des problmes centrauxde ce temps. En outre, il est devenu

    lun des plus dconcertants dune poque au cours delaquelle on a vu des anti-interventionistes rclamer cor et cri lintervention 2, des pacifistes la guerre etdes nationaux-socialistes la paix, tandis que les aptres

    communistes de la classe rvolutionnaire renonaienthumblement tout recours la violence commeinstrument politique nationale et internationale. Alors quil serait parfaitement absurde de vouloirtraiter des questions de la guerre et de la paix engnral, une tude historique approfondie rvle quela guerre, telle que nous la connaissons aujourdhui, at implicite au sein de la socit bourgeoise moderneds lorigine, aux XVe et XVIe sicles, et que, plusparticulirement, tous les progrs majeurs de cettesocit ont t raliss sinon grce la guerre, du

    moins grce une chane dvnements violents dontla guerre constituait une part essentielle. Cela nerevient certes pas dire que la guerre, et dautresformes de violence collective, ne saurait tre graduel-lement rgle et, en fin de compte, totalementlimine de la vie sociale. Mais on ne sintressera pasici ces dveloppements long terme. Les pages quisuivent seront uniquement consacres au rapport qunotre poque la guerre entretient avec la rvolution,et aux conflits et tendances complmentaires quonpeut dceler dans les phases antrieures de son

    dveloppement historique.Si la plupart des historiens admettent volontiers quily eut, pendant presque toutes les phases des quatrecents dernires annes, une relation troite entre desformes de guerre bien dtermines et le changementsocial, deux priodes au moins font exception

    la rgle. Ces deux priodes sont aussi le terraindlection de toutes sortes dauteurs qui se plaisent traiter de la guerre non sur une base strictement empi-rique (sous un angle stratgique, social, politique,conomique, historique), mais dun point de vue plus

    large, esthtique, philosophique, religieux, moral ou

    La guerre et la rvolution1

    1. K. Korsch, War and Revolution , Living Marxism, VI,1, fin 1941, p.1-14. Comme il la fait plus dune fois, Korschremploie dans cette tude de fond certains matriauxrassembls loccasion dun compte rendu de lecture, enloccurrence The Armed Horde, 1793-1939 (New York, 1940)de Hoffman Nickerson ; cf. Studies of Philosophy and Social

    Science, (New York), VIII, 2, p. 358-361.2. Il sagit, bien entendu de lintervention amricaine dans laguerre mondiale (NdT).

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    humanitaire. Cest cette catgorie quappartient la

    clbre description que Jacob Burckhardt, lhistorienallemand de la Renaissance italienne, a donn de laguerre (et de ltat) considre comme une uvredart . Un autre exemple en est la frquente glorifica-tion des guerres du XVIIIe sicle prrvolutionnaire,poses en summum de civilisation. Malgr son visibleparti pris contre-rvolutionnaire, cette catgorie delittrature a, pour notre propos, lavantage dtrerelativement exempte des superstitions particuliresaux XIXe et XXe sicles. Il se trouve donc que cefurent justement les auteurs de cette catgorie-l

    une singulire espce d historiens rebours quise rvlrent capables de porter au grand jour uncertain nombre de phnomnes qui, pour ngligsquils soient par ailleurs, revtent une importancecapitale pour ltude de la guerre et de la rvolution.

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    LAPREMIREDESDEUX exceptions apparentes la thse soutenue dans ces pages se situe vers le milieude la Renaissance italienne, priode que vinrent

    clore, partir de la dernire dcennie du XVe sicle,les invasions franaises, espagnoles et germaniques,lesquelles devaient mettre un terme, pour plus detrois sicles, au dveloppement politique autonomede lItalie. premire vue, il nexiste gure duniten effet entre les mille et une petites guerres quese faisaient les chefs darmes bien quipes et bienpayes, au service des princes, des rpubliques et despapes, et les troubles qui sans cesse se rallumaientau sein de chaque communaut de ce microcosmepolitique.

    Loin de pouvoir relever un fil directeur trs net,nous nous trouvons en occurrence devant une multi-tude dconcertante de connexions superficielles. Onrecourait alors frquemment la guerre pour viderdes querelles dordre intrieur autant quextrieur,et le sort des luttes civiles se dcidait souvent surles champs de bataille dune guerre mene contreun ennemi du dehors. Pourtant, cette imbricationde la guerre et de la discorde civile tait de naturetoute fortuite et momentane ; ni les mercenaires,qui livraient les combats extrmement meurtriers de

    cette poque, ni les sujets des parties aux prises, nenavaient cure. Une ville peut se rvolter dix et vingtfois, notait alors un observateur, on ne la dtruit jamais. Les citadins conservent lintgralit de leursbiens ; tout ce quils ont craindre, cest davoir payer un tribut. Nanmoins le grand hommedtat Nicolas Machiavel avait su, grce son gniepolitique, lever lunit conceptuelle lensemblede ces lments disparates. Machiavel se pencha sur

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    les dissensions politiques et les conflits belligrants

    de son temps, comme Platon et Aristote staientpenchs sur lexprience tout aussi restreinte du leuren la matire. Il tait convaincu quune conspirationrvolutionnaire den bas, ou, en cas dchec, uneintervention rvolutionnaire den haut, du prince ,unifierait de force la nation italienne, dans le cadredun rgime soit rpublicain, soit monarchique, maisbourgeois en tout tat de cause 3. Ce noble rveperdit tout fondement et fut balay comme le fut, notre poque, le projet rvolutionnaire plus grandioseencore conu par un autre gnie politique , faute

    de conditions extrieures propices et par suite ducours absolument inattendu pris par les vnements.En effet, le thtre de la grande action historiquepassa du monde mditerranen de Machiavel, et deses tats-villes, aux grandes monarchies riverainesde lAtlantique, de la manire mme dont il passeaujourdhui de lEurope divise en nations du XIXesicle au gigantesque champ de bataille dune guerreaux dimensions mondiales. Quoi quil en soit, leraisonnement de Machiavel reste valide au regarddes faits historiques sur lesquels il se fondait. Un

    penseur plus raliste, qui nadmettrait pas que lesrapports chaotiques et fragmentaires de la guerreet de la guerre civile, dans lItalie du XVe sicle,eussent prsent une base suffisante pour justifierles vastes spculations politiques de Machiavel, pour-rait nanmoins dceler en elles, un tat encoreembryonnaire, cette unit de la guerre et de larvolution qui, sous des formes plus acheves, devaitcaractriser les phases subsquentes de la socitbourgeoise moderne.

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    ILNENDEMEUREPASMOINS que le dveloppementgnral, dans ses songes visionnaires comme dansses ralisations modestes, se trouva interrompu, nonseulement en Italie, mais aussi dans lensemble de lasocit europenne, par linauguration violente dunepriode nouvelle. On vit au cours de cette priodelintensit de la guerre, autant que son intime liaisonavec les vnements que nous savons aujourdhuiavoir t le prlude historique des rvolutions du

    XVIIe et du XVIIIe sicle, atteindre un comble restinsurpass depuis, mme par les guerres du XXesicle, lors des guerres de Religion qui souvrirentavec la Rforme et dont le summum fut marqu parla guerre de Trente Ans et lextermination du tiers

    3. Cette alternative est expose, avec une totale impartialit,dans les deux grands ouvrages de Machiavel : Discours sur lapremire Dcade de Tite-Live et Le Prince.4. Bacon, De lunit religieuse , Essais, III.

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    des peuples de langue allemande, soit sept millions

    dhommes et demi sur vingt et un. En vrit, ilsagissait de la premire apparition dans lhistoire desatrocits inhrentes aux guerres idologiques denotre temps. Raison pour laquelle elle fut dnonce,ds lorigine, par les Thomas More et les Erasmeavec une vhmence pareille celle que les pacifistesdaujourdhui mettent dnoncer les abominationsde la guerre totale . Ainsi, Franois Bacon se disaithorrifi par les effets que la propension placerle glaive dans les mains du peuple , pour trancherles questions de religion, ne manquerait pas davoir

    sur la stabilit politique et culturelle de son temps.Ctait l une chose monstrueuse , quil adjuraitde laisser aux anabaptistes et autres furies 4 .On retrouve toutes les poques rvolutionnairescette rvolte dune partie des intellectuels contreles aspects violents et plbiens dun mouvementfondamentalement progressiste. Qui dira combiendesprits humanitaires, dcouvrant non sans retardque la lutte rvolutionnaire, comme ses rpercussionscontre-rvolutionnaires, ne vont pas sans la violence,se sont dtourns ces temps-ci dun but progressiste

    qui ne peut visiblement tre rempli qu un prixaussi effroyable ?

    3

    ONAFAITUNEFOULE de conjectures superficiellessur les raisons pour lesquelles cette premire phasecatastrophique de dveloppement de la guerre ido-logique moderne trouva une fin si rapide, alorsmme quelle semblait atteindre son intensit maxi-male. Cest mysticisme pur, assurment, que de

    supposer que les hommes, dans des moments aussiextrmes que ceux auxquels taient parvenues lasocit romaine au sicle qui prcda le sicledAuguste, ou la socit europenne la fin dela guerre de Trente ans, en 1648, russirent enquelque sorte se rtablir sur le bord de labme5 Aucune preuve historique non plus ne vientconfirmer la thse plus intressante selon laquelle, dater de la mi-XVIIIe sicle, le dchanementde passion religieuse cda graduellement la place une attitude plus tolrante envers les diffrences

    de religion. Il vaut mieux suivre ce proposlhomme de grand savoir qui a dit quen cettepriode nouvelle le dmon du fanatisme sectairefut exorcis , non par la grce dune connaissance

    5. H. Nickerson, op. cit., p.35.6. A.J.Toynbee, A Study of History, t.4, Londres, 1939, p.

    139. Lauteur du prsent article doit aux six volumes deM. Toynbee parus ce jour nombre dinformations et didesprcieuses.

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    7. Selon Toynbee, le mal de la guerre se trouva au

    XVIIIe sicle rduit un minimum qui, ni avant ni aprs,na jamais t approch en aucun autre chapitre de lhistoirede lOccident .

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    plus intime de la religion , mais, au contraire,

    dans un esprit de cynisme dsabus 6 .Malgr les progrs indniables raliss au XVIIIe

    sicle, la trs sensible diminution des maux de laguerre dont lpoque prcdente avait t accable7, seuls de fieffs ractionnaires font aujourdhui desguerres du XVIIIe sicle des temps de flicit sansnuages, des jours vraiment alcyoniens , lunique intervalle lucide que la sombre histoire de lafolie humaine ait connu 8. Intervalle lucide ,oui, mais pour autant quil sagissait des horreursimmdiates de la guerre. Dun point de vue plus

    gnral, toutefois, ce bref intermde entre deuxpoques dynamiques eut une vertu de caractresurtout ngatif : la modration apparente de la guerreprenait son origine dans le fait que, tout en ayantcess dtre un instrument de politique religieuse,la guerre ntait pas encore devenue un instrumentde politique nationale. Pendant plus dun sicle,aux temps gnralement dits des Lumires , ellese trouva donc transforme en une vritable institu-tion, on ne peut mieux adapte aux exigences despuissances qui, lpoque, taient seules capables

    den faire usage. Du point de vue du socialisme,maintenant presque partout adopt en la matire, ilserait inconcevable de souscrire si peu que ce soit auxvibrants loges quon a prodigus rcemment encore lpoque o la guerre tait cense tre le sportdes rois . En vrit, celle-ci ne faisait que manifesterun tat darriration semblable celui que prsentaitalors, dans des conditions de maturit insuffisante,nimporte quel autre genre dopration capitaliste.De nos jours, l intrt personnel bien compris desproducteurs indpendants de marchandises a cess

    de se voir considr, mme dans le domaine cono-mique, comme un moyen satisfaisant de supplerun certain contrle social de production. Ds lors,comment poser en modle de perfection une priodeau cours de laquelle on appliquait encore navementce mme esprit de l intrt personnel bien compris tous les champs de la vie politique et sociale ?Il suffit de regarder de plus prs les descriptionsenchanteresses que des enthousiastes attards vien-nent aujourdhui, en ces temps sans enthousiasme ,nous faire des guerres civilises du XVIIIe sicle,

    pour dcouvrir la vrit prosaque que toutes cesbelles mtaphores potiques recouvrent. Ne sagissait-il pas dune poque o le petit nombre, la misreet les lois de lhonneur avaient encore pour effetde freiner les affaires autant que la guerre ? La survie

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    de ces lois de lhonneur tait assure, dans la

    sphre des affaires, par ce qui subsistait des rglesdu compagnonnage mdival, et, dans la sphrede la guerre, par une sorte de code de chevalerie,artificiellement ressuscit mais charg cependant duncontenu nouveau et bourgeois en tous points. Voici,bross par lun de ses plus fervents admirateursmodernes, un tableau de ce sport des rois : Une guerre est une partie qui a ses rgles et sesgageures : un territoire, une succession, un trne, untrait ; celui qui perd la partie paye ; mais on se souciede maintenir toujours la proportion entre la valeur

    de lenjeu et le risque de la partie ; et on se tient engarde contre lenttement qui aveugle le joueur. Onveut rester matre du jeu et savoir sarrter temps.Cest pour cette raison que les grands thoriciensde la guerre du XVIIIe sicle recommandent de ne jamais mler la guerre ni la justice ni le droit niaucune des grandes passions populaires. Malheureuxles belligrants qui prennent les armes convaincusde se battre pour la justice et le droit ! Persuadstous les deux davoir raison, ils se battront jusqulpuisement ; et la guerre deviendra interminable. Il

    faut aller la guerre en admettant que la cause deson adversaire est aussi juste que la sienne ; il fautprendre garde de rien faire, mme pour vaincre, quipuisse exasprer ladversaire, ou fermer son esprit la voix de la raison, son cur au dsir de paix ; ilfaut sabstenir des procds perfides et cruels. Riennexaspre davantage les belligrants 9. La voil bien, lessence de la philosophie bourgeoise son entre dans le monde : Libert, galit, Proprit,et Bentham 10. Des lignes qui lvent les idesdu boutiquier des premiers temps du capitalisme

    la dignit de lois universelles et les appliquent toutes les institutions comme toutes les aires dudveloppement humain ! Ne voit-on pas y poindrequelque chose de lesprit paradoxal de ce bon vieuxMandeville ? Vices privs, profits publics , nonaitMandeville en 1706. La guerre shumanise paravarice et calcul , lui fait cho en 1933 le clbrehistorien bourgeois.Mme en ce que concerne cette poque, o lampleuret lintensit des oprations militaires tombrent leur niveau le plus bas, la relation entre la guerre

    et la rvolution ne laisse pas de subsister. Certes,8. H. Nickerson, op. cit., p.63.9. Les termes cits entre guillemets sont ceux que lhistorienitalien Guglielmo Ferrero utilise pour dpeindre la guerre duXVIIIe sicle in Peace and War, Londres, 1933, p.7-8. Citdaprs la version franaise antrieure, lgrement diffrente :G. Ferrero, La fin des aventures. Guerre et Paix, Paris, 1931,

    p.20-21 (NdT)10. On a reconnu les termes par lesquels Karl Marx dfinissait ce qui rgne dans la sphre de la circulation des marchandi-ses (le Capital, livre I, chap.6, in fine). (NdT)

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    il sagit dun temps o les vestiges des processus

    rvolutionnaires ont t jusquau dernier balays dela surface de la socit, dun temps o le dclinrelatif de la guerre sassortit dun gal dclin relatifdu processus rvolutionnaire. Mais les vnements delpoque subsquente prouvent lvidence que ceXVIIIe sicle, lair si pacifique et si stable, constituatrs prcisment une phase dincubation et pour laguerre et pour la rvolution. Des rvolutions et desguerres dune tout autre ampleur, appeles claterbientt en Europe et en Amrique, taient dj engestation sous le couvert de cet quilibre apparent

    des forces politiques et sociales. si on se place dupoint de vue de la psychologie, de la psychanalyseet de ce quil est convenu appeler psychologiedes masses , il parat curieux de voir historiens etsociologues persister tenir pour quantit ngligeableles formes et les phases des forces motrices dunepoque donne, forces qui ne se manifestent certespas la surface, mais sont refoules dans linconscientou canalises dans dautres directions par le biais dunprocessus de sublimation sociale 11 . Toutes cesformes, portes au pinacle, dans lesquelles le Sicle

    des Lumires tenta de restreindre et de civiliserla guerre, ntaient en ralit quautant de formes lintrieur desquelles mijotait ce dchanement sansprcdent des forces motrices, lentement accumules,de la guerre moderne parfaitement dveloppe destyle bourgeois, dont le point dexplosion ne fut autreque les guerres de la Rvolution franaise.Il est donc patent quau cours des trois sicles ayantprcd la venue majorit complte de la guerrebourgeoise moderne, il ny eut jamais un instant derupture dans lunit essentielle de la guerre et de

    la rvolution. Plus particulirement, on ne sauraitregarder le sicle si hautement pris des Lumirescomme un intervalle pendant lequel le sens moralet la raison auraient vritablement russi, grce un effort suprme, calmer et matriser lespassions rvolutionnaires des guerres de Religion. Envrit, ces passions navaient essuy quune dfaiteprovisoire, par suite de lincapacit de lun commede lautre parti de prendre le dessus. Chez les gensinfluents, on sapercevait de plus en plus quil valaitmieux opter pour les nouveaux modes dacquisition

    des richesses matrielles que de continuer sacrifierson confort personnel au triomphe de la foi la plusvraie. Les grandes forces motrices rvolutionnaires11. Pour une critique de cette attitude critique asseznigmatique dans la forme mais judicieuse dans le fond ,cf. Denis de Rougement, LAmour et lOccident, Paris, 1933

    (d. amricaine : New York, 1940), livre V, Lamour et laguerre , P.239 sqq. ; et lessai du mme auteur : Passionand the Origin of Hitlerism , Review of Politics, III, 1, Janv.1941.

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    de la classe bourgeoise qui, aprs stre manifestes

    pour la premire fois dans la fureur des guerres deReligion, devaient faire leur rapparition lors des vio-lentes batailles politiques et sociales de la Rvolutionfranaise, ne furent nullement dtruites, ou affaiblies,durant lpoque intermdiaire des Lumires .Simplement refoules ce moment-l, elles acquirentpar la suite une puissance extraordinaire en raisonjustement de ce refoulement quelles avaient subi.

    4

    IL NEST GURE NCESSAIRE dexaminer fond lesphases de dveloppement de la guerre et de larvolution qui se sont succdes de 1789 1914. Sansdoute assne-t-on un rude coup aux dmocrates nafsdEurope et des tats-Unis qui, hier encore, croyaientde bonne foi la thse contraire de la propagandenazie, quand on leur rappelle ce fait historique quela guerre totale moderne, loin dtre lune desinventions diaboliques de la rvolution nazie, estbel et bien, dans tous ses aspects sans excepter lelangage , le produit indiscutable de la dmocratie

    elle-mme et, plus particulirement, le fruit de laguerre de lIndpendance amricaine et de la grandeRvolution franaise. Mais il sagit en loccurrencedun fait dhistoire contemporaine si vident, et sisouvent expos en termes dpourvus dambigut partous les experts en matire dhistoire et dart militaire12, que la ngligence absolue dont il est lobjet de lapart de lopinion publique, dans les pays totalitairescomme dans les pays dmocratiques, ne laisse pas elle seule de poser un problme. Le secret quina jamais cess ce jour denvelopper tout ce qui

    se rattache la guerre semble tre une conditionintrinsque et ncessaire lexistence de la socitactuelle. Nous ignorons tout de la guerre , voilqui signifie, entre autres choses, que nous navonsaucun pouvoir sur ce que nous ignorons. Si noussavions, nous nous refuserions vivre dans le cadredune socit reposant sur la concurrence capitaliste,et mme dans une socit fonde sur des formesimparfaites et fragmentaires de planification quirestent compatibles avec le maintien de la propritet du travail salari. Une connaissance complte de

    la guerre, et lemprise des hommes sur ses conditionsqui sensuivrait, prsuppose la socit de producteurs12. On trouvera lexpos le plus jour, et riche de faits, de lamonte graduelle, de la survivance et de lhypothtique dclindes armes de masse et autres facteurs de la guerre modernedans louvrage susmentionn de Hoffman Nickerson. Pourun traitement magistral de ce mme sujet, sous une forme

    condense, cf. le chapitre concernant les rpercussions dela dmocratie et de lindustrialisation sur la guerre , au tome4 de louvrage de Toynbee (p. 141-151)

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    librement associs qui sortira dune authentique

    rvolution sociale. Sur cette base, la guerre deviendrainutile. On saperoit donc que ltonnant degrdignorance en la matire comme le manque nonmoins surprenant de prparation rflchir sur laguerre avec rigueur, clart et ralisme ne dcoulentpas dune insuffisance quelconque de notre ducationpolitique gnrale. Ce sont l traits caractristiquesdune socit prsocialiste et lis lessence mmede la guerre.

    5

    AUCOURSDESCENTCINQUANTE dernires annes,la thorie et la pratique de la guerre bourgeoise ontt dans lensemble domines par lide de guerretotale . Conue une chelle gigantesque et faitepour la premire fois cette mme chelle par lesquatorze armes de citoyens organises et mises encampagne aux heures les plus sombres de la nouvellerpublique franaise, laguerre totalevisait dfendrela rvolution contre une nue dennemis du dehorset du dedans. Tel fut le sens de la fameuse leve

    en masse dcrte par la loi du 23 aot 1793 qui,fait sans prcdent, plaa toutes les ressources dunenation belligrante soldats, denres alimentaires,fabriques, travailleurs, tout le gnie et toute lapassion dun peuple transport denthousiasme au service de la guerre rvolutionnaire. En fait, etdans les limites imposs par le niveau de dveloppe-ment technique et industriel, il sagissait l dune conscription universelle , dune vritable guerretotale . Abstraction faite un instant dune infiniediffrence de langage entre une priode o la

    classe bourgeoise tait anime dun authentique etfervent esprit rvolutionnaire et la phase actuelleo son dclin samorce , le texte des discoursprononcs la Convention nationale comme celuidu dcret lui-mme auraient pu tre rdigs hier : Les jeunes gens iront au combat ; les hommesmaris forgeront les armes et transporteront lessubsistances ; les femmes feront des tentes, deshabits, et serviront dans les hpitaux ; les enfantsmettront le vieux linge en charpie ; les vieillards seferont porter sur les places publiques pour exciter

    le courage des guerriers, prcher la haine des rois etlunit de la Rpublique. Les maison nationales seront convertie en caserneset les places publiques en ateliers darmes ; le sol descaves sera lessiv pour en extraire le salptre. Les armes de calibre seront exclusivement remises ceux qui marcheront lennemi ; le service delintrieur se fera avec des fusils de chasse et larmeblanche.

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    Les chevaux de selle seront requis pour complter

    les corps de cavalerie ; les chevaux de trait autres queceux employs lagriculture conduiront lartillerieet les vivres 13. Mme cela pourtant, ce point le plus lev jamaisatteint dans lhistoire de la guerre bourgeoise, laguerre rvolutionnaire totale, portait la marquefatidique dune ambigut intrinsque. Cette guerrepour dfendre la rvolution et dlivrer tous les peu-ples opprims ne pouvait tre conue et poursuivieque sous la forme dune guerre nationale du peuplefranais contre les pays ennemis. Guerre de dfense

    lorigine, elle ne tarda pas se transformer enune guerre de conqute ; lmancipation promiseaux peuples opprims fut ravale au thme depropagande destin faciliter lannexion de leursterritoires, et la guerre rvolutionnaire frappa indis-tinctement tous les pays, libres ou non, qui neprenaient pas parti pour la Rpublique franaisedans la lutte mort quelle livrait aux coalitionsde ses ennemis. Fait caractristique, les premiresmesures allant dans le sens de la guerre dexpan-sion rvolutionnaire , cest dire visant lemploi

    de mots dordre rvolutionnaires des fins depolitique extrieure, furent prises non par les extr-mistes jacobins, mais par les modrs girondins,lesquels aspiraient dj, en secret, mettre unterme au processus rvolutionnaire, non lenten-dre et lintensifier. Mais ce furent ensuite les Jacobins rvolutionnaires qui poursuivirent, avecleur extraordinaire nergie, la nouvelle politiquede guerre et de conqute quils navaient adoptqu contrecur comme un instrument de politi-que intrieure. Semblable dveloppement devait

    se reproduire, aprs un long intervalle mais dansdes conditions singulirement analogues, dans lapolitique intrieure et extrieure de la rvolutionrusse de 1917. prsent, le vieux slogan girondinde la guerre rvolutionnaire est devenu une desprincipales armes idologiques de la propagandenational-socialiste, malgr la rcente conversion dela guerre nazie en une attaque sans discriminationet contre les dmocraties capitalistes dcadentes dOccident, et contre le nouveau rgime totalitairede lUnion sovitique.

    Ce dveloppement, dernier en date, eut pour pr-lude la dissolution progressive, pendant tout le XIXesicle, du contenu de la guerre totale bourgeoise etlaffaiblissement correspondant de cette formidableforce de frappe qui stait manifeste entre 1792et 1815, lpoque des guerres rvolutionnaires et

    13. Cit daprs le Moniteur universeldu 25 aot 1793, (NdT).14. F. Foch, Les Principes de la guerre (1903), cit par D. de

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    napoloniennes. Selon le marchal Foch, la longue

    priode de dsagrgation et de dclin graduels desguerres dites nationales, que connut lEurope duXIXe sicle, a compt trois phases successives : La guerre fut nationale au dbut pour conquriret garantir lindpendance des peuples : Franaisde 1792-1793, Espagnols de 1804-1814, Russesde 1812, Allemands de 1813, Europe de 1814,et comporta alors ces manifestations glorieuseset puissantes de la passion des peuples qui sappellent :Valmy, Saragosse, Tarancon, Moscou, Leipzig, etc.Elle fut nationale par la suite pour conqurir lunit

    des races, la nationalit. Cest la thse des Italiens etdes Prussiens de 1866, 1870. Ce sera la thse aunom de laquelle le roi de Prusse devenu empereurdAllemagne revendiquera les provinces allemandesde lAutriche. Mais nous la voyons maintenantencore nationale, et cela pour conqurir des avantagescommerciaux, des traits de commerce avantageux. Aprs avoir t le moyen violent que les peuplesemployaient pour se faire une place dans le mondeen tant que nations, elle devient le moyen quilspratiquent encore pour senrichir 14

    Incontestablement, cest l une description brillantedes diverses phases que la guerre bourgeoise duttraverser tour tour, en mme temps que lestendances et les accomplissements rvolutionnairesde la classe bourgeoise dominante connaissaientun dclin similaire. Et, une fois de plus, forceest de relever lerreur du commun des pacifistesconfondant les priodes de paix relative avec lesphases vritablement progressistes du dveloppementhumain. Comme Rougement le note, la dernirepriode de paix dont lEurope put jouir de 1879

    1914 fut bel et bien une priode dabsolu dclinculturel. La guerre sembourgeoisait. Le sang secommercialisait. () La guerre coloniale nest ensomme que la continuation de la concurrence capita-liste par des moyens plus onreux pour le pays, sinonpour les grandes compagnies. Cet tat de choses eut pour consquence la plusimpressionnante lcroulement dfinitif des concep-tions stratgiques rvolutionnaires napolonienneset clausewitziennes, lies au capitalisme de la con-currence et au nationalisme bourgeois, lors de la

    Premire Guerre mondiale de 1914-18. Prparede longue date, cette guerre, qui mit le comble lre du nationalisme, opposa non point desnations particulires, mais des groupes de nationsextrmement htrognes. Elle prouva que lancienneforme concurrentielle de la guerre totale outrance

    Rougemont, op. cit. 263-264.15. K. Korsch, The Fight for Britain, the Fight for Democracy,and the War Aims of the Working Class Living Marxism, V,

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    se trouvait dans lincapacit absolue soit de procurer

    la victoire, soit de permettre la conclusion dunepaix relle aprs la fin des hostilits. Il nest pas jusquaux rpercussions rvolutionnaires de leffon-drement militaire, et aux impossibilits subsquentesde la paix dans les pays dEurope centrale, qui nesemblent avoir ajout, et non port atteinte, autableau gnral dcroulement et de dcompositionirrmdiables prsent par la structure traditionnelleglobale de la socit capitaliste dOccident.Quand au rapport de la guerre la rvolution, ilne connut pas plus une nouvelle phase positive au

    cours de laprs-guerre. Dun point de vue purementformaliste il est permis de dire que limportancervolutionnaire de la guerre sest accrue pendant ledernier quart de sicle, en ce sens que la sparationtranche qui subsistait nagure entre la guerre et laguerre civile sest faite de plus en plus fluide, avantde disparatre compltement. Alors que, pendant laPremire Guerre mondiale, le projet de transformerla guerre capitaliste en guerre civile tait encoreregard comme un mot dordre sans la moindreporte pratique par la majorit des ouvriers socialistes

    eux-mmes 15, on vit, vingt ans aprs, la guerredEspagne tirer son origine dune guerre civile et,dans la suite de son processus, se mtamorphoseren rptition gnrale de lactuelle guerre entre paystotalitaires et pays dmocratiques. Celle-ci a portla confusion un degr plus lev encore. Ds lepremier jour, et tous ses moments critiques, cetteguerre a revtu une caractre idologique et politique , cest dire de lutte mettant aux prisesles diverses fractions dune guerre civile, bien plusque dune guerre lancienne entre un pays et un

    autre.Le dveloppement retrac dans cette tude paratdonc avoir boucl le cercle. Ne serait-on pas revenutout droit aux guerre idologiques des XVIe etXVIIe sicles ? y regarder de plus prs, ce regainde vigueur, que marque premire vue lintimeliaison de la guerre et de la rvolution, semble trecependant affaire dapparence, et loin davoir uneporte historique relle. Pour rendre compte ducours effectif des choses, il vaut mieux recourir la formule paradoxale selon laquelle non seulement

    la guerre, mais encore la guerre civile, a perdu lpoque actuelle son caractre rvolutionnairedautrefois. Guerre civile et rvolution ont cess dtresynonymes.En outre, il nest pas du tout certain que ce nouveau

    4, printemps 1941, p. 2-4. (NdT).16. C. von Clausewitz, De la guerre, livre II, chap. 3, section3.17. Cf. Clement Greenberg et Dwight MacDonald, Ten

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    caractre pseudo-rvolutionnaire de la guerre en

    cours, qui a pour effet de dchaner de si vivespassions dans le monde entier, soit appel perdurer.Lventualit contraire reste tout aussi possible, etcette possibilit se trouve mme accrue depuis larcente extension de la guerre la Russie. Il se peutque le rgime nazi soit amen rompre avec satendance actuelle qui consiste raffermir sa positionrelativement faible dans le champ de la concurrencecapitaliste en reconstruisant le systme social sur unebase totalitaire, sans relcher pour autant son effort deguerre. Ds lors, le conflit marquerait un retour aux

    formes de la guerre capitaliste traditionnelle, menede part et dautre en vue dacqurir lextrieur unsurcrot de puissance nationale. Mais rien ninterditde penser que la continuation de la guerre, revenueainsi lancien style bourgeois, ne puisse en dfinitifaboutir elle aussi un changement par lintrieur dela structure donne de socit. Dans cette hypothse,les rpercussions internes de la guerre ne sensuivrontnullement cependant de laction consciente daucunedes parties belligrantes, quels que soient les buts dont leur propagande fait tat. Le cas chant, elles

    dcouleront de la force de circonstances imprvues,elles que lintervention dune nouvelle classe rvolu-tionnaire qui ntait pas reprsente dans les conseilsde cette guerre. Elles se feront jour en dehors desintentions communes aux deux camps belligrants, et lencontre de ces intentions mmes. Quant savoirsi lon peut sattendre pareil dveloppement de lacrise actuelle, nous reviendrons sur cette questiondans la section finale de la prsente tude.

    6

    LES NAZISAUTANT QUE LEURSADVERSAIRES dmo-crates attribuent volontiers les diffrences que laguerre totalitaire actuelle prsente avec ses formespasses au fait que la socit bourgeoise aborderaitaujourdhui une phase nouvelle de son essor rvolu-tionnaire. Si cette assertion relve clairement de lapropagande, il nen demeure pas moins que cesdiffrences sont lexpression dun changement bienrel survenu dans la structure et le dveloppementsconomiques objectifs de cette socit-l. De tout

    temps, rptons-le, la guerre a constitu en socitcapitaliste un complment indispensable la con-duite normale des affaires. Le gnral Carl vonClausewitz, le grand thoricien de lart de la guerre auXIXe sicle, assortissait dj sa clbre dfinition dela guerre continuation de la politique par dautresmoyens , de cette remarque que la guerre, plus

    Propositions on the war , Partisan Review, vol. VII, aot 1941,

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    encore qu lart, ressemble au commerce, qui se

    prsente lui aussi comme un conflit dintrts etdactivits humaines, et que la politique elle-mmedevrait son tour tre considre comme une sortede commerce grande chelle16 . Il disait encore dela guerre de la premire moiti du XIXe sicle quelletenait beaucoup de la concurrence commercialepousse ses ultimes consquences et soumise nulle autre loi que celle du moment . Telle est lamanire dont on veillait sur les grands intrts dela nation , en dautres termes, lintrt gnral de laclasse capitaliste et, plus spcialement, de ses milieux

    dirigeants, en un temps o le production capitaliste setrouvait encore rgle dune faon prdominante parla concurrence que des producteurs apparemmentindpendantes de marchandises si livraient. De lamme manire encore, les toutes dernires mthodesde lart de la guerre, telles que les deux campsaujourdhui aux prises les mettent plus au moinsparfaitement en pratique, ressortissent une formede gestion plus rcente et bien plus labore que celledes vieilles affaires capitalistes. Les formes nouvellesde la production matrielle, soulignait Marx, se

    dveloppent par la guerre avant de se dvelopperdans la production du temps de paix. Ainsi donc,la guerre totalitaire actuelle prfigure les formes co-nomiques nouvelles que viendra parachever ensuitele passage de tous les pays du monde un mode deproduction capitaliste planifi plutt que dterminpar le march, et un capitalisme monopoliste ettatique plutt que concurrentiel et priv. Cestavant tout pour cette raison que la guerre actuelle,loin dtre une rptition pure et simple dela prcdente, ne laisse pas de prsenter avec cette

    dernire une diffrence essentielle 17 .Cette diffrence se lit notamment dans la baissedimportance de la horde arme . Suivant unesource en gnral bien informe, le tiers seulement delarme allemande appartient, mme nominalement, linfanterie, dont beaucoup de tches, voire laplupart, reviennent par ailleurs aux militaires decarrire de larme blinde et de laviation 18. Jusqula campagne de Russie, presque toutes les oprationsp. 271. Ces deux auteurs divergent dopinions sur le caractrede cette diffrence effective. (Selon lun deux, la guerreen cours se caractrise par le fait quun type nouveau desocit existe dores et dj en Allemagne.) Mais, sanschercher approfondir cette question, ils e perdent ensuitedans une discussion de ce que le fascisme peut avoir deplus ou moins dsirable et autres questions en grandepartie subjectives. Cette tendance diminue dans une certainemesure lintrt, par ailleurs considrable, de cet essai dediscuter srieusement lun des principaux problmes de notretemps.18. H. Nickerson, op. cit., p. 397.19. Lironie du sort a voulu que ni la Russie sovitique ni

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    de la Wehrmacht ont t accomplie par des troupes

    de choc tries sur le volet, et dont leffectif,tonnamment rduit, na prouv que des pertesrelativement lgres.Un autre trait distinctif du caractre propre laguerre totalitaire daujourdhui, trait li cette fois audclin universel que connat lesprit de concurrence outrance durant la phase actuelle de capitalismemonopoliste, nest autre que lamoindrissement dela vague denthousiasme gnral quengendrrent lesguerres nationales du XIXe sicle, et qui atteignitson ampleur maximale au dbut de la guerre de

    1914-1918. Malgr lnorme surcrot defforts fournipar les services de propagande spcialiss, rien danslattitude de lopinion publique envers la guerreactuelle ne rappelle en quelque faon cette intoxica-tion idologique massive de nations entires qui fut sicaractristique des guerres de lpoque prcdente.Enfin, bien que toutes les guerres du sicle dernier,puis chaque anne de guerre de 1914 1918, aientvu le principe de la planification se trouver tendu,au-del des limites traditionnelles du domaine mili-taire, des sphres toujours plus nombreuses, ce

    principe est maintenant appliqu systmatiquementpour la premire fois la mobilisation complte desressources en matriaux et en hommes dune socitqui, par suite de son dveloppement technique etindustriel, se situe un niveau incomparablementplus lev que ceux du pass. Ce qui est nouveauen occurrence, ce nest pas lide de conscriptionuniverselle per se, mais le fait que ni linitiativeindividuelle ni lempoignade concurrentielle nontplus la moindre part sa mise en uvre. Autrenouveaut encore : les principes de l conomie de

    guerre furent cette fois appliqu ds le temps depaix. Le systme industriel de pays tels que lAllema-gne et la Russie a t dans son ensemble conform lavance, mthodiquement, aux exigences duneguerre qui ne devait souvrir que bien des annes plustard 19. Et, depuis le dclenchement de la guerreactuelle, les barrires sparant traditionnellementproduction de guerre et production de paix ontpartout vol en clats. Les ressources de tous lespays ont t mises en commun dans le cadre duneconomie de guerre lchelle mondiale.

    La guerre totale nazie diffre, sous tous ceslAllemagne ne furent les premires, dans lEurope de laprs-guerre, donner une conscration formelle au principe dela guerre totale . En effet, ce fut en France que, le 3mars 1927, la Chambre des dputs adopta une majoritcrasante, les communistes tant seuls voter contre, une

    proposition de loi qui, dfendue par le leader socialiste Paul-Boncour, prvoyait la mobilisation de toutes les forces etressources du pays en vue de la guerre totale .

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    rapports, des anciennes formes de guerre totale

    dans lesquelles lesprit dun capitalisme dominanteconcurrentielle venait se rpercuter. La guerre totaledaujourdhui se rvle donc une forme nouvellede guerre totale : guerre totale du capitalisme desmonopoles et du capitalisme dtat, par oppositionaux guerres totales lies au systme de la concurrencequi furent le propre dune priode conomiquervolue.

    7

    LES DVELOPPEMENTS CONOMIQUES mmes quidtruisent graduellement la fonction positive dela guerre en tant quinstrument de la rvolutionbourgeoise ont cr les prmisses objectives dunnouveau mouvement rvolutionnaire. Lessor dumouvement indpendant de la classe ouvrire aeu pour effet de donner un aspect nouveau auproblme de la guerre et de la rvolution. Face cettemenace, la classe bourgeoise dirigeante doit assumeraujourdhui une fonction rpressive. De nos jours, vule changement des conditions historiques, il devient

    de plus en plus ardu de juger si une forme donnede guerre, voire la guerre elle-mme, conserve encoreune valeur positive quelconque pour la rvolutiondu XXe sicle.En premier lieu, force est de noter, propos desdiverses occasions o, au cours des vingt ou trentedernires annes, la classe proltarienne sest lancedans une lutte pour ses buts propres, que la rvolutionsociale des travailleurs na tir aucun avantage desfonctions positives quune guerre rvolutionnaire estcense remplir en ce qui concerne lmancipation

    dune classe opprime. Cest un chapitre parti-culirement sombre de lhistoire de la rvolutionbolchevique en Russie que celui de ses guerresrvolutionnaires . Et ce chapitre eut pour conclusiontragique le message radiodiffus du 3 juillet 1941,dans lequel Staline sabstenait de toute rfrence ausocialisme et la classe ouvrire. Au lieu de quoi, ilexhortait les peuples de lURSS dfendre lexistencede leur tat national, dans le cadre de lEmpirerusse, et faire montre des qualits inhrentes notre peuple . Depuis lors, les forces prodigieuses,

    auxquelles la rvolution de 1917 donna libre essor,ont t utilises comme des instruments pour ladfense du statu quo capitaliste en Europe et auxtats-Unis contre les innovations non moins ambi-gus qui sensuivraient de la dfaite des puissances dmocratiques occidentales lissue du conflitqui les oppose aux forces totalitaires du fascismenazi.En quel sens faut-il entendre la thse paradoxale

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    selon laquelle la guerre, ce puissant instrument de la

    rvolution bourgeoise du pass, aurait perdu touteimportance positive pour la rvolution socialiste delpoque actuelle ? Car, enfin, le mouvement histori-que du XXe sicle nest pas spar de ses devancierspar une muraille de Chine. Et, sil tait exact quela guerre ait rempli hier une fonction absolumentpositive dans la transformation rvolutionnaire de lasocit, on aurait du mal comprendre comment ilse fait quelle ait perdu aujourdhui cette fonctionprogressiste.Cest dans les ambiguts, ci-dessus retraces, qui, ds

    lorigine, furent inhrentes la guerre bourgeoise,et dans les ambiguts caches de la rvolutionbourgeoise elle-mme, quon trouvera rponse cettequestion. Il ne fait aucun doute que les guerresrvolutionnaires et nationalistes des XVIIIe et XIXesicles constiturent des tapes ncessaires du proces-sus qui aboutit ltablissement de la socit capita-liste actuelle et de sa classe bourgeoise dirigeante.Pourtant, malgr toute la passion dont taient animsles soldats-citoyens appels vaincre ou mourir,la fonction relle de ces guerres avait voir bien

    moins avec llment authentiquement mancipateuret dmocratique de la rvolution quavec les effetssimultanment rpressifs de celle-ci. Prsenter laguerre de masse moderne comme le produit de laRvolution franaise en gnral, cest se livrer unegnralisation historique abusive. Un examen plusattentif rvle, en effet, quelle fut lie une phaseparticulire de cette rvolution. De fait, son originese situe au moment critique o le soulvement dela Vende et lagression trangre imposrent leremplacement des principes bien plus dmocratiques

    de la premire phase de la rvolution par les mesuresautoritaires et violentes de la dictature rvolutionnairedes Jacobins.En second lieu, le dveloppement de la conscriptionuniverselle et de tous les autres traits de la guerretotale fut poursuivi au XIXe sicle moins par laFrance que par ltat antidmocratique de Prusse.Mais il ne sagissait nullement dune simple ironiedu sort, comme on la parfois soutenu. la basede ce phnomne se trouve le fait que lusageeffrn de la force convenait mieux encore aux vises

    des gouvernements ractionnaires dEurope centrale,lesquels entendaient borner la guerre de libration au rtablissement de lindpendance nationale deleurs tats, assujettis lEmpire franais, tout enrefusant en mme temps doctroyer leur sujets desinstitutions vritablement dmocratiques. en outre,bien plus que la dmocratie, ce fut le nationalismebourgeois, et le plus cocardier, que ces guerrestoujours plus violentes et sanguinaires eurent pour

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    effet dimplanter au centre de lEurope pendant

    les dcennies suivantes, tandis que la guerre deScession amricaine et les trois guerres bismarckien-nes dagrandissement de la Prusse faisaient progresserencore la forme nouvelle de la guerre de masse.Dornavant, et jusqu 1914, toutes les guerrescapitalistes et imprialistes devaient se heurter lopposition plus ou moins rsolue des divers courantscomposant le mouvement international de la classeouvrire. Ce fut seulement sous leffet de chocprovoqu par la guerre mondiale et la crise politiqueet conomique subsquente que les deux minorits

    du socialisme allemand redcouvrirent la valeur positive de la guerre pour la rvolution socialiste.Lune de ces minorits dirigea la rvolution avortedes ouvriers allemands, pour se rfugier ensuite dansles activits pro russes du parti communiste. Quand lautre, elle consentit la guerre elle-mme comme un accomplissement indiscutable des aspirationssociales des travailleurs, et, par l, anticipa la guerre rvolutionnaire que les forces contre-rvolution-naires du national-socialisme font aujourdhui la Russie sovitique, de mme quau capitalisme

    dmocratique. lheure actuelle, lindcision la plus absolue conti-nue de rgner en ce qui concerne la porte de laguerre pour le futur mouvement rvolutionnaire dela classe ouvrire. Quelles que soient les consquencesde la guerre totale en cours pour les fractionsrivales de la classe dirigeante internationale, une choseest certaine : pour les ouvriers, cette guerre censetre rvolutionnaire ne constitue jamais quuneautre forme, et une forme aggrave, de leur conditionnormale doppression et dexploitation. En dpit de

    tout ce qui se dit et se vocifre, cette lutte intestine la classe dirigeante capitaliste nest nullement comme tel fut le cas des anciennes guerres capitalistes une forme ncessaire et une partie intgrantedu progrs historique. Elle a mme pour effet dednaturer jusqu ces changements mineurs de lastructure conomique et politique actuelle que lemaintien de lancien systme exige. La guerre capita-liste a puis toutes ses potentialits rvolutionnaires.Cest ailleurs que sur les champs de bataille de la guer-re capi- taliste que

    se passe la lutte pourle nouvel ordre desoc i t . L ac t iondcis ive des tra-vailleurs commen-ce l o la g u e r r ecapitaliste finit.

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    La Deuxime Internationale n'avait pu russir trans-former le mouvement ouvrier en organisation con-

    trlant les travailleurs ; la Troisime Internationale y parvint.Dsormais, l'autodtermination ouvrire devrait s'affirmercontre toutes les organisations ouvrires existantes, fussent-elles politiques ou conomiques. Le parti traditionnel dela bourgeoisie et, avec lui, le syndicat, soit sous sa formeartisanale, soit sous sa forme industrielle, se rvlaient des ins-truments de manuvre aux mains des colossales bureaucratiesdu travail. Celles-ci identifiaient leurs propres intrts aumaintien du statu quo social, ou bien devenaient franchementdes institutions de contrle dpendant des gouvernements.Il tait clair que les formes organisationnelles dans lesquellesMarx et Engels avaient mis, dans des circonstances toutes dif-frentes, leurs espoirs pour un dveloppement de la conscience

    de classe proltarienne, ne pouvaient plus tre considrescomme des forces d'mancipation. Bien plus, elles apparais-sent bientt comme les nouvelles formes d'asservissement duproltariat. Bien qu' contre-cur vu l'inexistence d'uneforme nouvelle et mieux adapte d'organisation de la lutte declasse proltarienne Korsch en vint reconnatre que la findu capitalisme prsuppose et comporte la fin des organisationsouvrires traditionnelles. C'est prcisment au soutien que lesouvriers apportent ces organisations que se mesure l'absencede la conscience de classe.Cependant, bien que passagres et localises au dbut, desmanifestations d'indpendance proltarienne se font jour dansdes actions directes tendant des objectifs de classe ; Korsch

    les considrait comme autant de signes d'une renaissance dela conscience de classe proltarienne au sein d'une expansiontotalitaire des contrles autoritaires sur des sphres de plusen plus tendues de la vie sociale. L o on pouvait trouverde telles actions indpendantes de la classe ouvrire, lemarxisme rvolutionnaire n'tait pas mort. Et le point crucialde la renaissance d'un mouvement rvolutionnaire ne se

    dterminait pas par l'adhsion idologique la doctrinemarxiste, mais dans l'action de la classe ouvrire pour sonpropre compte. Jusqu' un certain point, ce genre d'actiontait encore pratiqu par le mouvement anarcho-syndicaliste ;Korsch se tourna vers les anarchistes, sans pour autantabandonner ses conceptions marxistes. Il se tournait non vers

    les anarchistes petits-bourgeois, idologues du laissez-faire, mais vers les travailleurs anarchistes et les paysans pauvresd'Espagne, qui n'avaient pas encore succomb sous les coupsde la contre-rvolution internationale ; laquelle avait fait, dunom mme de Marx, l'un de ses symboles.On a souvent prtendu que la doctrine marxiste ne s'taitintresse l'anarchisme que pour remettre leur place les

    lments anarchistes qui jourent un rle dans la formation dela Premire Internationale. Les anarchistes mettaient l'accentsur la libert et la spontanit, sur l'autodtermination etpar consquent sur la dcentralisation, sur l'action pluttque sur l'idologie, sur la solidarit plutt que sur lesintrts conomiques. C'taient prcisment ces qualits qui

    faisaient dfaut un mouvement socialiste, qui aspirait l'influence politique et au pouvoir, dans des nations o lecapital tait en expansion. Korsch se souciait peu de savoirsi cette interprtation, marque d'anarchisme, du marxisme

    Korsch et les anarchistes

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    rvolutionnaire tait fidle Marx ou non. L'important, dans

    les conditions du capital au XXe sicle, tait de retrouverces attitudes anarchistes pour ressusciter un mouvementouvrier. Korsch soulignait que le totalitarisme russe tait trstroitement li la conviction de Lnine que l'on devaitcraindre, plutt que stimuler, la spontanit de la classeouvrire et que certaines couches non-proltariennes de lasocit l'intelligentsia avaient pour fonction d'apporter aux

    masses la conscience rvolutionnaire, celles-ci tant incapablesd'acqurir par elles-mmes leur propre conscience de classe.Lnine ne fit que dgager, et adapter aux conditions russes,ce qui, silencieusement sans doute, avait depuis longtempspris place dans le mouvement socialiste, savoir : le rgne del'organisation sur les organiss, le contrle de l'organisation

    par la hirarchie des dirigeants

    Paul Mattick

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    REPERES BIOGRAPHIQUES

    (1886-1961)

    1886 N Tostedt, le 15 aot 1886.

    1909-11 tudes de droit l'universit d'Ina. Rejoint lasocial-dmocratie. Ses tudes finies, il part travailler Londreso il prend contact avec la socit des Fabiens.

    1914 Mobilis. Le lieutenant Korsch commande unecompagnie de canonniers Douaumont, il est bless deuxfois.

    1918 Pendant la rvolution allemande Korsch participe lafondation d'un conseil d'ouvriers et de soldats.

    1919 Korsch s'loigne de la social-dmocratie lors des dbatssur la socialisation de l'conomie, il prend position pour une

    socialisation dcentralise de l'conomie base de conseils,en opposition l'ide dominante d'tatisation centralise. Ils'oppose une premire fois Kautsky le grand leader dela social-dmocratie allemande pour qui le socialiste nepouvait faire de propositions que pour la socit actuelle .Pour Korsch, seule l'imagination cratrice du rvolutionnaireayant accompli au pralable par la pense, en fonction dela situation conomique et psychologique globale, le passagedu vieux monde au monde nouveau1 permettait d'anticiperl'avenir. Il adhre au parti socialiste de gauche (USPD),lequel se situe entre le jeune parti communiste et la social-dmocratie.

    1920 Suite la grve gnrale contre le putsch de Kapp,Korsch se rallie aux thses bolcheviques et dfend l'adhsionde l'USPD au parti communiste pro-Moscou (KPD) et laTroisime Internationale. Il est alors critique des positionsdu parti communiste ouvrier (KAPD) qui oppose la reprsen-tation et gestion directe sur la base de conseils au mode dereprsentation de la dmocratie bourgeoise. Korsch critique

    Kautsky et les partisans des thses dterministes qui voyaientdans le dclin du capitalisme et l'avnement de la socitsocialiste la consquence d' une ncessit conomique"s'accomplissant de soi-mme", tt ou tard, avec la fatalitd'une loi de la nature 2 .

    1921 Les tensions sociales (insurrection en Allemagnecentrale, dite action de mars 1921 ) s'accompagnent de lamonte du nationalisme et du renforcement du mouvementnational-socialiste. Les gouvernements socialistes de Saxe etde Thuringe, confient des portefeuilles des communistes,dont celui de la Justice, en Thuringe, Korsch. Quelques

    jours aprs, l'arme intervient et destitue ces gouvernements,

    premires expriences de front populaire. cette priode, lapolitique du parti communiste pro-Moscou soumet le soutienaux soulvements rvolutionnaires la tactique d'alliance avecla social-dmocratie.

    1923 Korsch publie Marxisme et philosophie, dans lequel il

    1. Schriften zur Sozialisierung, p.72-73, Frankfort, 1969.2. Marxisme et Philosophie, p. 1643. Discours au 6e plnum de lInternationale communiste,

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    critique l'orthodoxie marxiste social-dmocrate qui prsente

    la conception matrialiste de l'histoire comme une science spare de la lutte rvolutionnaire. Contre cette conception,qui transforme le marxisme en une idologie, Korsch reven-dique un marxisme rvolutionnaire, activit essentiellementcritique. Marxisme et philosophieest qualifi d' hrsie par les bolcheviques et par les idologues de la IIImeInternationale, tandis que le leader de la social-dmocratie,

    Kautsky, le traite d' activiste . Au mme moment GeorgLukacs publie Histoire et conscience de classe. Les deux ouvragesmettent l'accent sur le rle de la conscience dans l'activitrvolutionnaire, contre le dterminisme et le fatalisme histo-rique. Plus que Korsch, Lukacs insiste sur le rle du partilniniste dans la formation de cette conscience.

    1924 lu dput au Reichstag, Korsch est nomm rdacteuren chef de la revue thorique du KPD, Die Internationale.C'est sa priode de grande fidlit au lninisme, un lninismequ'il concevait comme une politique rvolutionnaire , antifront populaire.

    1925-26 La bolchvisation du KPD et l'alliance defront uni avec la social-dmocratie sont insparables durapprochement entre l'tat russe et le capitalisme allemandsous la rpublique de Weimar. Le trait commercial germano-russe (qui prcda celui entre Hitler et Staline, en 1939),comporte des clauses permettant l'entranement de l'arme

    allemande en Russie. Lors de la ratification du trait auReichstag, en juin 1926, Korsch sera un des trois seuls dputs voter contre. Il rappela au Parlement les craintes de RosaLuxembourg exprimes dj en 1917 : Un socialisme russeappuy sur les ractionnaires baonnettes prussiennes serait lapire chose qui pourrait encore arriver au mouvement ouvrierrvolutionnaire.

    partir de l, Korsch s'affirme comme oppositionnel la ligne officielle du KPD et rejoint une tendanceau sein du mme KPD. Ce groupe est en contact avecquelques petits syndicats communistes dissidents qui formentune organisation syndicaliste rvolutionnaire (Associationsd'industrie). Il s'oppose au projet de reconqute des vieuxappareils, propose la cration de rseaux autonomes de comitsd'entreprises et de conseils de chmeurs. En 1926, Korsch etses camarades seront exclus pour dviation d'ultra-gauche .Boukharine, dirigeant russe de l'Internationale, dfinira ainsice terme alors nouveau : Incomprhension du problme dela conqute des masses et des objectifs tactiques, c'est--diredu front unique et de l'action nergique dans les syndicats 3 .

    Devant l'impuissance de la politique de l'Internationale face la monte du national-socialisme, on assiste la prolifrationdes mini-groupuscules communistes d'opposition. Korschcontinue mener un travail d'agitation en direction de lagauche du KPD.

    1927 Pour les courants oppositionnels il devient videntqu'un front anticommuniste allant de la droite ractionnaire la gauche rformiste prend forme contre l'mergenced'une solution rvolutionnaire la crise capitaliste et que cefront trouve un alli dans le pouvoir bolchevique en Russie.Ds 1925, Korsch dnonce la nature capitaliste du rgimesovitique, issu du dveloppement simultan d'une rvolution

    17-3-26.4. Thses sur le concept fasciste de ltat , 1932.5. The fascist counter-revolution, Living Marxism, V, 2,

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    proltarienne et d'une rvolution bourgeoise, et parle d'un

    imprialisme rouge . Pour lui, comme pour d'autres gauchistes de l'poque, l'appareil du KPD se mettait auservice du capitalisme d'tat russe qui subordonnait le mou-vement communiste international ses intrts nationaux.Pour les groupes de la gauche communiste allemande et mmerusses (dont le plus connu fut alors celui du Centralismedmocratique de Sapronov), il ne s'agit plus de rformer

    la Troisime internationale, ni de faire de l'entrisme dansles organisations bolcheviques. Il faut uvrer dsormais l'apparition d'une nouvelle opposition la nouvelle formetatique de production de capital, en dehors des partiscommunistes existants.

    1928 Fin du mandat de parlementaire de Korsch. Certainsmembres de sa tendance se dispersent, d'autres retournentdans la gauche de la social-dmocratie ou militent dansle KAPD et dans les organisations syndicales radicales (lesUnions). Politiquement isol Korsch vit Berlin. Il frquenteBertolt Brecht, avec qui il est li d'amiti, reprend l'tude deMarx et le travail thorique.

    1931 Korsch assiste, en tant qu'observateur dlgu par lessyndicalistes rvolutionnaires allemands, au Congrs de l'AIT, Madrid. Il ne cache pas ses sympathies pour ce courant etpour la CNT espagnole, attachs l'ide d'auto-mancipationsociale et d'action collective autonome.

    1932 Premires rflexions sur le fascisme, que Korschvoit non comme un simple mouvement ractionnaire li augrand capital, mais comme un phnomne de rupture contre-rvolutionnaire, puisant ses forces dans le dsabusementenvers les idaux politiques du libralisme et du socialisme4 , en reprenant son compte des critiques du marxisme

    et du syndicalisme rvolutionnaire contre les institutions.L'dification du nouvel tat fasciste devait rpondre auxnouveaux besoins de la classe bourgeoise, tout en sauvegardantles rapports sociaux d'exploitation existants.

    1933-36 Aprs avoir pass quelque temps dans la clandesti-nit participant la construction de rseaux rvolutionnairesanti-nazis, Korsch quitte l'Allemagne pour le Danemark, o ilest l'invit de Brecht. Il se fixe ensuite Londres o il rdigeKarl Marxpour un diteur anglais.

    1936 Korsch migre aux tats-Unis. Sa femme Hedda,spcialiste de pdagogie d'avant-garde, obtient un poste d'en-

    seignement. Korsch effectue quelques travaux de recherchepour l'Institut de Francfort repli New York, avec lequelil a des relations tendues.

    1938-43 Il crit pour les revues communistes de conseils,Living Marxism et New Essays, animes par Paul Mattick, avecqui il a une forte relation d'amiti et de complicit politique,malgr des divergences. Sur la question du volontarismervolutionnaire, en particulier, Korsch restait moins critiquede l'action de Lnine pendant la rvolution russe. Il poursuitses tudes sur deux axes essentiels : la critique du marxismeen tant qu'idologie et la critique de la contre-rvolutiontotalitaire, le rle de l'tat. Korsch remarque que si l'tat fut

    au centre de la question rvolutionnaire dans les conceptions

    1940, Marxisme et contre-rvolution, p.191.6. Lettre Roman Rosdolsky, 1951.(cit par Bricianer, op.cit.

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    classique du socialisme (social-dmocratie et bolchevisme), il

    est dsormais au centre de la question de la contre-rvolution.Le fascisme doit tre compris non comme une perturbationanormale et provisoire mais comme un dveloppement normalde la socit bourgeoise moderne. La loi de la contre-rvolution fasciste pleinement dveloppe de notre tempspeut s'noncer comme suit : aprs la dfaite complte desforces rvolutionnaires, la contre-rvolution fasciste essaie

    d'accomplir l'aide de nouvelles mthodes rvolutionnaires,et sous une forme grandement diffrente, les tches socialeset politiques que les partis et les syndicats rformistes avaientpromis d'excuter sans pouvoir y parvenir dans les conditionshistoriques donnes.5

    1939 Poursuivant sa critique marxiste du marxisme, Korschmet en valeur l'influence du principe jacobin bourgeois dansles conceptions marxistes de l'tat et de la rvolution ets'intresse, plus particulirement, Bakounine cette penseen action , disait-il. Il considre l'uvre de Bakounine surl'tat de grande actualit, et le texte L'tat et l'Anarchie comme faisant partie des prmisses d'une thorie moderne

    de la rvolution , car celui-ci aurait prvu plus clairementque Marx les principaux dveloppements survenus dans lesrvolutions contemporaines.6. De mme, il voit dans lesides fdralistes, une alternative au centralisme tatique.

    1941 Korsch continue analyser le fascisme et les implica-

    tions du combat politique. Dans les pays o le fascisme taitla forme nouvelle du pouvoir capitaliste la lutte anticapitalistetait invitablement une lutte antifasciste. Korsch mettait,par contre, en garde contre l'illusion de l'anti-fascisme lo le pouvoir capitaliste avait gard sa forme dmocratique.Soulignant le fait que les dmocrates se montraient admiratifsdes russites du fascisme dans le domaine social et conomi-

    que, il y voyait la manifestation de l'volution autoritairedes dmocraties librales. Sur fond de concentration dupouvoir conomique et politique, c'tait tout le capitalismequi prsentait des aspects fascistes : l'ennemi le pire et aussile plus intime de la dmocratie est () la "dmocratie" elle-mme, voici le "secret" que dissimulent les batailles verbalesentre le "totalitarisme" et l'"antitotalitarisme" 7 . C'estpourquoi, et contre ce que proposent les forces de la gaucheclassique, on ne peut lutter contre le fascisme l'aide deses propres mthodes. C'est pourquoi il est impossible de participer au "combat de la dmocratie contre le fascisme"pour la simple et bonne raison que ce combat n'existe pas.8.Mettant en garde contre les objectifs de remplacement

    (sauver une dmocratie qui s'est elle-mme suicide),Korsch affirmait la ncessit, au contraire, de lutter contrela branche dmocratique du fascisme. Se dmarquant despositions qui passaient vite sur la spcificit du fascismecomme contre-rvolution politique, Korsch voyait l lesbases d'un programme positif . Dans tous les cas,pour lui, seule la lutte de la classe ouvrire pouvait battre

    p.54)7. Workers fight against Fascism , Living Marxism,V,3,1941. On trouvera la version franaise de ce texte, ainsi quecelui cit note 5, enMarxisme et contre-rvolution, Seuil, 1975,p. 200-201.

    8. Ibid. , p.203.9. Ibid., p. 209.10. in Marxisme et Philosophie, p. 185-187.

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    vritablement le fascisme. Le seul antifascisme consquent

    tait l'anticapitalisme. Faute de quoi, le prix payer seraitla consolidation des traits fascistes (l'autoritarisme) par lessocits dmocratiques. Pour reprendre la formule de SergeBricianer dans l'introduction aux textes de Korsch : lefascisme vaincu [aurait] conquis ses vainqueurs 9

    1950 Dans les Dix thses sur le marxisme aujourd'hui

    crites pour une confrence Zurich lors d'un voyageen Europe Korsch discute le changement de fonctiondu marxisme. Il dfend la ncessit de rompre avec cemarxisme qui prtend monopoliser l'initiative rvolutionnaireet la direction thorique et pratique , qui a surestim l'tatcomme instrument dcisif de la rvolution sociale10 et qui

    a ftichis la croissance conomique.

    1961 Gravement malade depuis 1956, Korsch meurt le 21octobre 1961 Belmont (Massachusetts, USA).

    Sources utilises : Karl Korsch de Paul Mattick, et Karl Korsch, un itinraire marxiste , introduction de SergeBricianer au choix de textes publis sous le titre Marxisme etcontre-rvolution, Seuil, 1975. ce dernier texte nous avonsemprunt de nombreux passages et citations.

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    EPUIS 1994, le collectif Abirato publie des textes de criti-que sociale. Une quipe prend

    en charge l'ensemble des tches, du choix et prparationdes textes la ralisation matrielle et sa diffusion.La ralisation matrielle et la diffusion sont le fruitdune activit collective. Vous pouvez nous soutenir,commander nos publications ou nous demander notrecatalogue.

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    Ab irato

    Titres publis :

    Malcom X Hollywood. Charles Reeve, 1994. 15 F.Au del des passe-montagnes

    du sud-est mexicain. Charles Reeve, Sylvie Deneuve,

    Marc Geoffroy, 1996. 20 F. Portrait de Phillippe Sollers. Arthur Cravan, 1996 rd. 1999.

    10F Un art dconomie mixte. Barthlemy Schwartz, 1997. 20 F. Contrle urbain, lcologie

    de la peur. Mike Davis, 1998. 20 F.

    De la pauvret et de la natureftichiste de lconomie.

    Paul Mattick, 1998. 20F. Dune guerre lautre parole

    sur lAlgrie. Entretien anonyme, 1999. 10 F.

    La plupart de nos titres sont disponibles sur :

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    Ab IratoBP 328 75525 Paris cedex 11 France

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