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Kate B. Jacobson

Mon Inconnu, mon mariage et moi

Intégrale

Résumé : Grace est à Las Vegas pourassister à un mariage. Après une soiréebien arrosée, elle se retrouve au matinmariée à Caleb, un homme rencontré laveille, sans avoir aucun souvenir de lacérémonie.

Il est charmant, ce Caleb, il est mêmecarrément canon, et en plus il est trèsriche, mais se marier, ce n’était pas dutout dans les projets de Grace. Sa

liberté, elle y tient. Le hic, c’est que soncher époux, dont elle ne sait rien, nesemble pas décidé à accepterl’annulation de leur mariage…

1. Vive la mariée !

Ça a intérêt à être important !

Sans même ouvrir les yeux, encore àmoitié endormie, je marmonne, tâtonneet m’empare de mon téléphone portabledont la sonnerie me vrille la tête.

J’ai sans doute trop bu hier soir, etj’ai atrocement mal au crâne. Je n’aiaucune idée de l’heure, mais tout moncorps me dit que je n’ai pas assez dormi.

– Félicitations chérie !– Théo ? grogné-je en reconnaissant

la voix de mon meilleur ami. De quoi tuparles ?

– Pour ton mariage, félicitations.

Mon mariage ? Quel mariage ?

Je hausse un sourcil et j’ouvre enfinun œil.

– C’est quoi encore cette histoire,Théo ?

– Grace, t’as oublié que tu m’asenvoyé un MMS avec ta photo demariage ? Je suis content pour toi, tonmari est très mignon, mais je t’en veux àmort : tu aurais pu me prévenir avant !

Hagarde, je me redresse et je regardeautour de moi. La chambre est dans unesemi-pénombre mais d’après ce que jepeux en juger, ce n’est pas celle danslaquelle j’ai posé ma valise hier ; celle-ci est immense et bien plus luxueuse.

Mon cœur s’arrête quand j’aperçoisdes vêtements d’homme posés pêle-mêlesur un fauteuil.

Je ne suis pas seule !

Tout à coup, je me sens dégrisée.Mon cœur est reparti, et cette fois, il batla chamade ! Paniquée, je me retourne etheureusement, je constate qu’il n’y apersonne dans le lit. Mais il me semble

entendre du bruit dans ce qui doit être lasalle de bains.

– Oh mon Dieu, Théo, parviens-je àarticuler, je crois que j’ai fait une grossebêtise.

– Qu’est-ce qui se passe, Grace ? merépond Théo, dont la voix a subitementperdu tout entrain.

Je comprends que lui aussi est entrain de flipper, et je ne suis vraimentpas en état de m’occuper de lui pourl’instant.

– Rien, dis-je en essayant de gardermon calme. Écoute, je n’ai pas le temps,là, je te rappelle plus tard, OK ?

Je raccroche sans lui laisser le tempsde me répondre.

Il faut que je me tire d’ici, et VITE !

Je me penche pour ramasser ma robeque j’aperçois sur la moquette quand unbruit derrière moi interrompt mon geste.Je reste saisie, le bras en l’air, à demiredressée sous le drap. C’est alors quej’entends sa voix :

– Bonjour mon amour. Tu as biendormi ?

Mon amour ? ? ?

Je mets quelques instants avant de

trouver le courage de me retourner.Quand je le fais enfin, je découvre unhomme qui me dévisage, un petit sourireaux lèvres. Même si je suis au bord dela panique, je ne peux m’empêcher deremarquer qu’il est… carrément canon.Grand, brun, les cheveux courts, desyeux d’un bleu dévastateur et un corpsfin et musclé de dieu grec dont laserviette qu’il a nouée autour de la taillene cache pas grand-chose (sinonl’essentiel, diraient certaines).

J’apprécierais sans doute davantagele spectacle si la situation étaitdifférente. Mais très vite, la paniquereprend le dessus. Je suis quand mêmedans une chambre avec un inconnu à

moitié nu qui m’appelle « mon amour » !

Enfin, inconnu… ces beaux traitsréguliers me disent vaguement quelquechose, mais j’avoue que j’ai l’esprit etsurtout la mémoire encore très perturbéspar les brumes de l’alcool dont j’ai, çane fait plus de doute maintenant,sérieusement abusé la nuit dernière.

– Je… euh…, dis-je, absolumentincapable de faire une phrase, les yeuxvissés à ceux du ténébreux étranger quime sourit et vient tranquillements’asseoir près de moi, au bord du lit,sans me lâcher de son regard brûlant.

– Alors ? reprend-il de sa voixchaude. Ça te fait quoi d’être une femme

mariée ?

Dites-moi que je rêve ! Je vais meréveiller là, tout de suite… Non ?

Cet homme qui, si j’ai bien compris,est le mari dont me parlait Théo, a posésa main sur mon bras. Et vu comme mapeau, mon corps ont réagi à ce contactintime, il a l’air bel et bien réel. Je leregarde, interloquée, sans savoir quoirépondre, un sourire stupide figé sur meslèvres.

Qu’est-ce que je peux lui répondre ?Désolée cher monsieur, mais je n’ai pasla moindre idée de qui vous êtes ?

Je m’enfonce dans le lit, horriblementgênée. Je me rends compte que je neporte que ma petite culotte et je serrecompulsivement le drap autour de moi.

Mon « mari » éclate de rire.

– Tu es bien pudique, ce matin. Tul’étais moins hier soir, ajoute-t-il avecun sourire suggestif.

Je sens mes joues devenir brûlantessous l’allusion. Manifestement, lemariage a été consommé… et je n’en aipas le moindre souvenir.

– C’était une nuit magnifique.J’espère qu’elle l’a été pour toi comme

pour moi, dit-il d’une voix langoureuse,en se rapprochant dangereusement demoi.

Bon, je dis quoi moi maintenant ?Très contente que vous ayez pris votrepied mais moi, je ne me souviens derien ?

Je me racle la gorge, en essayant detrouver les mots, le drap serré contre mapoitrine. J’ai des douleurs lancinantes àla tête et je crois bien que j’ai un peumal au cœur.

L’inconnu pose une main sur monépaule nue, et se penche vers moi, l’airinquiet.

– Grace chérie ? Tu vas bien ? Je saisqu’on a un peu bu hier soir…

Un PEU ? Parle pour toi,« chéri »…

– … mais quand même. Tu ne peuxpas avoir oublié ce qui s’est passé entrenous, c’était tellement fort, intense… Tum’as rendu tellement heureux…

Son visage est à quelques centimètresdu mien. Ses yeux sont plongés dans lesmiens et il a ce sourire magnétique…

Oh mon Dieu ! Cette voix… Cettebouche… Ce regard… Je me souviens !

2. Comment ça acommencé

– Je te préviens, Maman, jen’apparaîtrai pas une seconde dans cettefoutue téléréalité, dis-je après avoirembrassé ma mère qui est venuem’accueillir dans le hall de l’hôtel.

Je déteste Las Vegas. Et je déteste lesmariages. Et me voilà à Sin City pourassister aux noces de Nikki. Et tout ça,sous le regard des caméras !

Nikki, ma presque demi-sœur, la fillede mon beau-père, est la vedette d’unreality show qui réunit chaque semainedepuis quatre ans un nombreimpressionnant – et incompréhensiblepour moi – de fidèles devant la télé.Toute sa vie, depuis que sa sex tape a étébalancée sur Internet, se passe sous lesobjectifs, et elle adore ça. Mais moi, pasdu tout !

Du jour au lendemain, celle que jeconsidérais comme ma sœur depuis quej’étais venue vivre chez son père à LosAngeles est devenue une étrangère pourmoi. Elle avait 19 ans, et moi 16.L’adolescente intelligente, drôle etdouce que j’admirais depuis mon

arrivée en Californie était devenue unejeune femme bling bling, obnubilée parson image et prête à tous les scandalespour être sous les feux des projecteurs.Je n’ai pas supporté sa transformation,ni les paparazzis qui lui collaient auxbasques chaque fois qu’on sortait ouqu’elle venait à la maison, les soi-disantamis du lycée qui me fréquentaient dansl’espoir de l’approcher, sans parler desjournalistes qui tentaient de m’arracherdes scoops à son sujet jusque devantmon lycée. J’ai convaincu ma mère deme laisser aller retrouver mon père àParis où j’ai terminé ma scolarité.

Mon père, Alan Peters, est unAméricain installé à Paris depuis trente

ans. C’est là qu’il a connu ma mère,Michelle, américaine comme lui,mannequin venu dans la capitalefrançaise faire un shooting pour unmagazine de mode. Et c’est à Paris quej’ai grandi jusqu’à mes 10 ans, dans lequartier de Saint-Germain-des-Prés oùmon père possédait (et possèdetoujours) une librairie. Quand mesparents se sont séparés, ma mère m’aemmenée à Los Angeles où elle aépousé John Bolnick, le père de Nikki.Mon père est resté en France, et j’allaisle voir aussi souvent que possible, pasassez à mon goût, ni au sien d’ailleurs.

Je ne me suis jamais faite à la vie deLos Angeles, une ville où on doit

prendre la voiture même pour alleracheter du pain ; j’aime tellementmarcher dans les rues de Paris. Mamère, elle, adore la vie qu’elle mène enCalifornie, dans sa splendide villa avecpiscine et court de tennis, son cours deyoga à 6 heures du matin, ses séances despa et ses cours de Pilates, de jardinage,d’aquarelle, de japonais ou mêmed’ikebana et l’organisation de grandsdîners pour son producteur de mari.

Je ne déteste pas John, mon beau-père, il a toujours été gentil avec moi…quand il était là. C’est un hommecomplètement accaparé par sessuperproductions, très absent, et si pourmoi ça n’était pas un problème, j’ai

toujours senti que c’en était un pourNikki, dont il partageait la garde avec samère. À vrai dire, Nikki passaitbeaucoup plus de temps chez nous quene le prévoyait l’arrangement initial ; samère, une actrice ratée à la beauté fanéepar les diverses substances illicites dontelle abusait, enchaînait les rehabs.

Quand ma mère a épousé John, elle aessayé de combler les manques affectifsde Nikki en lui donnant toute l’attentiondont elle manquait de la part de sesparents. Nikki lui est aujourd’hui encoretrès attachée, et Maman l’adore. Ellen’approuve pas ses choix de vie, maisquand je m’en agace, elle la défendtoujours. Et c’est Maman qui m’a

convaincue de venir assister aux noces.

– Grace chérie, dit ma mère en mecaressant la joue, ignorant monmouvement d’humeur, Nikki va être sicontente de te voir ; cette journée est trèsimportante pour elle, tu sais.

Je regarde ma mère, qui tient mesmains dans les siennes et me sourit avecamour. Je suis aussi heureuse qu’elle dela retrouver, ça fait plusieurs mois queje ne l’ai pas vue, et je m’en veux un peud’avoir eu cet accès d’humeur à peinedébarquée.

À 46 ans, ma mère est toujours aussibelle. Longue, fine, sa longue et épaisse

chevelure châtain clair retombantlibrement sur les épaules jusqu’auxhanches, elle est maquillée commetoujours de manière savante maisdiscrète. Elle a vécu assez longtemps àParis pour avoir une sainte horreur de lachirurgie esthétique, et son visage n’arien des horreurs retouchées à grandsfrais que l’on croise à L.A. Même sonlook n’a rien de la côte Ouest, elle esttoujours très élégante, avec sesvêtements bien coupés dans des matièresnobles, mais jamais rien de clinquant oude vulgaire. Elle a une faiblesse pour lesbijoux, mais pas les gros cailloux demémères fortunées, non, pour les finsbracelets que j’ai toujours entendu

souligner d’un tintement joyeux lemoindre de ses mouvements, et delongues boucles d’oreilles qui seperdent dans ses superbes cheveux.

– Tu crois que ça va lui faire plaisir ?Elle ne m’a même pas appelée pourm’inviter, dis-je avec une petite moue.Si tu n’avais pas insisté autant, je ne suispas sûre que j’aurais fait le voyage.

La distance géographique, commeavant ça sa téléréalité, nous a beaucoupéloignées, Nikki et moi. Je ne l’ai pasvue (sauf sur Internet et en une demagazines de mauvais goût) depuis trèslongtemps, et on ne s’appelle plusdepuis des lustres.

– Mais elle tenait absolument à ceque tu sois là, insiste ma mère que jesoupçonne d’exagérer un peu pourm’attendrir, c’est moi qui lui ai dit queje m’occupais de te convaincre. Elle saitque tu n’aimes pas l’agitation quil’entoure, elle avait peur que tu nerefuses. Allez viens, je t’accompagne àta chambre, me dit-elle en m’entourantles épaules de ses bras.

Elle voit que je regarde autour demoi, inquiète.

– Ne cherche pas ton bagage, je l’aidéjà fait monter. Tu as fait bon voyage ?Il ne fait pas trop froid à New York ?

J’ai quitté Paris et mon père il y aquelques semaines pour m’installer dansla Grosse Pomme. J’ai suivi Théo, monmeilleur ami, que j’ai connu à l’école dephotographie dont j’ai suivi les cours enmême temps que ceux de la fac debiologie. J’ai deux passions : la photo,et les animaux. Et en ce qui concerne macarrière, je n’ai pas encore réussi àchoisir entre les deux.

J’ai 21 ans, et je sais bien qu’il vame falloir trouver ma voie. J’ai décidéde le faire après avoir réalisé un vieuxrêve : un safari-photo de six mois quim’emmènera aux quatre coins du mondepour découvrir et photographier lesfaunes exceptionnelles. Le genre de

projet qui demande une disponibilité queje n’aurai plus dans ma vie, une fois quej’aurai un métier. Mais qui demandeaussi un sacré budget, et je n’ai pasl’intention de mettre mes parents àcontribution.

C’est pour ça que, ma licence debiologie et mon diplôme photo en poche,j’ai accepté immédiatement laproposition de Théo de venir vivre aveclui à New York. Il a réussi à échangerl’appartement à Paris de sa tante, partieun an en Australie, contre unebrownstone de Brooklyn. Il veut êtrephotographe de mode, et il rêvait deNew York depuis toujours. Moi, j’aisauté sur l’occasion de réellement

commencer ma vie d’adulte, de gagnermon indépendance.

À Brooklyn, je n’ai aucun loyer àpayer, et j’ai trouvé un travail qui mepermet de mettre de l’argent de côtépour mon voyage tout en le préparant : jesuis serveuse trois jours par semaine auDancing Crane Cafe, le resto du zoo deCentral Park. J’adore ce zoo, ma mèrem’y a conduite plusieurs fois quandj’étais petite, quand elle m’emmenait àune séance photo à New York. Quandmon service est terminé, je passe pasmal de temps avec le personnel,notamment les soigneurs des animaux etles photographes qui viennent dispenserdes cours de photographie animalière.

J’adore cet environnement et toutel’équipe.

Maman et moi traversons le couloirde l’hôtel pour rejoindre l’ascenseur. Jejette un œil autour de moi, amusée par lechic clinquant de cet hôtel de luxe avecœuvres d’art aux murs et fontaine demarbre au milieu du couloir.

– Alors, c’est l’hôtel du fiancé deNikki ? dis-je tandis que les portes del’ascenseur se referment sur nous.

Nous sommes toutes les deux seules,et nous pouvons parler librement. Je nesuis pas sûre que l’occasion seprésentera de sitôt avec toute l’agitation

qui nous attend.

– En fait, dit Maman, il appartient aupère de Chris.

– Il doit être content du mariage deson fils, ça va faire une publicité d’enferpour son établissement.

Ma mère se rembrunit. Elle a l’airsoucieuse tout à coup.

– Tu l’as rencontré, ce Chris,Maman ? Tu en penses quoi ? demandé-je, intriguée.

– Je ne l’ai vu qu’une fois. Ça a été sisoudain. Ils se sont rencontrés il y aseulement trois mois, tu sais…

– J’ai bien l’impression que tu

n’approuves guère ce mariage.– Je le trouve précipité, dit-elle en

faisant une petite grimace. J’ai essayé defaire entendre raison à Nikki, mais tusais que quand elle a décidé quelquechose, elle va jusqu’au bout…

Les portes de l’ascenseur s’ouvrentdevant nous, révélant l’agitation duseptième étage, et mettantmomentanément fin à notre conversation.

– Ma chérie, j’ai insisté pour que tusois à cet étage, dit ma mère en meconduisant jusqu’à une porte, loin decelui où dort Nikki et surtout sonentourage que tu exècres…

– … et que tu n’adores pas vraiment

non plus, avoue, dis-je en la suivantdans la chambre où ma valise m’aprécédée comme par magie.

Ma mère soupire et s’assied sur le lit,en faisant tinter ses bracelets.

– Nikki a 24 ans, elle est majeure etvaccinée, dit-elle posément. Elle a faitun choix de vie que je n’apprécie pasmais que je respecte. J’essaie de l’aiderautant que possible. Je ne veux pas mefâcher avec elle, et la laisser seule avectoute cette bande de gens plus ou moinsbien intentionnés qui l’entourent.

– Tu n’es pas sa mère.

Ça m’a échappé, et je regrette

immédiatement d’avoir dit cela. Mamère me regarde, étonnée et perplexe.Puis elle se redresse et vient vers moi.

– Grace chérie, dit-elle en me prenantla main, tu n’es pas jalouse de Nikki ?Tu sais bien que John est accaparé parson travail et quant à la mère de Nikki…tu sais ce qu’il en est, ajoute-t-elle avecun soupir. Elle n’a même pas jugé utilede venir au mariage, elle est je ne saisoù au Brésil avec son nouveau gigolo…Il faut bien que quelqu’un veille surelle…

– Je sais, Maman, je comprends et jene suis pas jalouse du tout. Je suis mêmetrès heureuse que Nikki ait au moinsquelqu’un de sensé et de bienveillant

pour s’occuper d’elle.

Je suis absolument sincère, même sije pense que Nikki n’est pas aussiinfluençable et fragile que ma mèresouhaite le penser. C’est loin d’être uneoie blanche et à mon avis, elle a toujoursfait ses choix en toute connaissance decause. Mais je n’ai aucune envie d’avoirce genre de discussion désagréable avecma mère alors qu’on vient à peine de seretrouver.

– Vous êtes à quel étage, vous ?m’enquiers-je pour changer de sujet deconversation.

– Nous sommes au neuvième, avec lafamille de John. Il n’arrive que demain,

il avait une réunion très importanteaujourd’hui au studio. Nikki est audouzième étage, avec le staff del’émission. Tu la verras ce soir, commeje te l’ai dit au téléphone, il y a une sorted’enterrement de vie de jeune filleorganisé.

– Tu y seras ?– Non, je vous laisse faire la fête

entre jeunes, je dînerai avec la tante etl’oncle de John qui sont déjà arrivés deHouston.

Je fais la grimace.

– Ça va être super. Je vais passer lasoirée seule avec cette bande demannequins anorexiques, de « filles de »

arrogantes, et de pseudo-chanteuses dontNikki adore s’entourer.

– Mais non, tu verras, dit Maman, çapeut être très amusant. Et puis il y auraDavid… Il va passer vous faire un petitcoucou.

– David est déjà là ?

David ! Je l’adore. C’est un cousinde Nikki, elle le considérait comme sonfrère, ils ont grandi ensemble. Lui et moinous sommes un peu perdus de vuedepuis que je suis partie pour Paris(même si je l’y ai vu l’hiver dernier),mais je le considère toujours comme unami.

Quand je l’ai connu, j’avais 10 ans,

et lui 15 ans. Il venait souvent chez sononcle, il s’entendait à merveille avecNikki. C’était un garçon adorable, drôle,vif, curieux de tout, et à 13 ou 14 ans,quand j’ai commencé à m’intéresser àl’autre sexe, j’avais un petit faible pourlui. Il m’épatait et il ne me tenait jamaisà l’écart malgré notre différence d’âge ;il était aussi très protecteur envers moi.

En grandissant, on a noué une vraierelation amicale, il m’a fait découvrirdes trésors de la littérature, des vieuxfilms… Après des études à Harvard, ilest devenu journaliste, et il travailleaujourd’hui au service politique du LosAngeles Times. On ne se voit plusbeaucoup, mais on s’est croisés à Noël à

Paris.

La perspective de le revoir me remetimmédiatement l’humeur au beau fixe.Ce qui n’a pas échappé à ma mère, quisourit, soulagée de me voir dans demeilleures dispositions.

– David arrive dans la soirée. C’estle seul homme invité à la soirée defilles. Bon, chérie, on aura plus de tempspour discuter demain. Tu me gardes tondéjeuner surtout ? Je dois encorem’occuper de mille choses avant ce soir.

– Tu sais que je repars après-demainsoir ?

– Tant que tu es là le matin pour lacérémonie… Tu feras la fête ce soir,

plutôt qu’après-demain. Tu sais, si jepouvais esquiver, j’en ferais autant, çarisque d’être un sacré cirque, avec leshappy few et les caméras et autrespaparazzis qui ne voudront pas enmanquer une miette. Mais pour Nikki etJohn, je suis obligée d’être là…, dit-elleen soupirant.

Puis, avisant une enveloppe sur lebureau :

– Tiens, il y a un programme desfestivités là, sur le meuble. Tu asrendez-vous dans une heure au bar duseizième étage. Rassure-toi, toute lapremière partie de la soirée ne sera pasfilmée. Les caméras arrivent vers

23 heures, tu pourras fuir si tu veux. Tudevrais prendre une douche pour terafraîchir avant d’y aller ; tu n’es pasfatiguée après ce voyage ? ajoute-t-elleavec un petit regard inquiet.

– Cinq heures de vol, et trois heuresde décalage horaire, c’est gérable. Cequi l’est moins, c’est la différence detempérature ; il faisait un froid de canardà New York quand je suis partie, ici, ildoit faire quinze degrés de plus ! C’estmême plus le printemps qui est enavance, c’est carrément l’été. Ça fait unchoc. Heureusement que j’ai misquelques tee-shirts dans mon sac. Je n’aipas apporté grand-chose d’ailleurs, jen’ai pas eu le temps de faire les

boutiques. Ni l’envie. Tu me connais…

Maman sourit : elle sait que j’aihorreur de ça. Elle me taquine toujoursun peu sur mon côté garçon manqué. Dece côté-là (et de beaucoup d’autres) onne se ressemble pas du tout. Ma mère esttrès féminine, et de sa carrière demannequin, elle a gardé un goût pour lesjolies tenues et la mode en général. Moi,pas. Enfin, ce n’est pas tout à fait vrai.Ma mère m’a ouvert les yeux sur biendes choses, et bien sûr, je sais distinguerdes vêtements de belle qualité dechiffons. Et je préfère porter lespremiers que les seconds ; mais mapenderie en a une quantité très limitéepour une fille de mon âge. Ou même une

retraitée. Ce qui fait beaucoup rire Théo,qui est arrivé à New York avec bienplus de bagages que moi.

Je porte des basiques, faciles àassocier, des slims, des tee-shirts ou desdébardeurs blancs, gris ou noirs en été,des sweats ou des pulls simples enhiver. Et jamais, au grand jamais, detalons. Ma mère a beau avoir dixcentimètres de plus que moi, ça nel’effraie pas d’en porter de vertigineux.Moi, je suis à l’aise dans mes baskets oumes boots plates. Et je ne me maquillequasiment jamais. Dois-je préciser queje ne porte pas de bijou ?

Ma mère me caresse tendrement les

cheveux.

– Je vois que pas plus que moi, tonami Théo ne t’a transmis le virus de lamode.

– Tu espérais que quelques semainesà New York allaient me transformer enfashion victime ?

– Je n’espérais rien du tout machérie, se récrie ma mère, je te trouveparfaite comme tu es. Tu es magnifique.

– Tu parles, dis-je avec unhaussement d’épaules. Toi, tu essuperbe. Moi…

– Tu n’as pas besoin de te maquillerou d’enfiler des robes pour être uneravissante jeune femme, ma chérie. Tu esjolie comme un cœur, même en jean et

baskets, avec ton teint de porcelaine ettes yeux de chat verts. Tu es parfaitecomme tu es. Et je ne dis pas ça parceque je suis ta mère. C’est vrai, jepensais avec le temps que tu deviendraisplus féminine, plus coquette, mais je saistrès bien que ce n’est pas un aspect detoi que tu as envie de mettre en avant.Ou du moins, pas encore…, dit-elle,pensive. Je ne te le reproche pas, pas dutout, mais je ne veux pas non plus que taféminité te fasse peur.

OK. Je suis pas dans le mood pource genre de conversation.

– Bon, Maman, tu as dit que tut’occupais de mes tenues, lancé-je pour

changer de sujet. Tu as eu le temps ?J’espère que tu n’as rien pris de tropdécolleté ou moulant. Je veux bien faireun effort pour le mariage de Nikki, maisil y a des limites.

– Nikki a voulu s’en chargerpersonnellement, dit Maman en meregardant d’un air gêné.

– Nikki ?– Grace, il faut que j’y aille, dit

Maman en se dirigeant vers l’entrée.– Maman ? dis-je alarmée. Tu as

laissé Nikki choisir mes tenues ?– C’est son mariage, Grace. Et elle y

tenait, elle m’a dit qu’elle voulait tefaire ce cadeau. Tu trouveras tout dansla penderie. Chérie, je te laisse, on se

voit tout à l’heure, je ferai un saut audébut de la soirée, dit Maman ens’éclipsant avant que je puisse la retenir.

L’empressement qu’elle a eu à quitterla pièce me fait soupçonner le pire. Jeme précipite pour ouvrir la penderie. Jereste bouche bée devant ce que jedécouvre.

Oh mon Dieu. Je ne vais pas mettreça ?

Je reste figée devant des vêtementsaussi vulgaires que hors de prix (si j’encrois les étiquettes). Une robe noire audécolleté extravagant devant ETderrière, et une autre, d’un rouge

éclatant, tout en dentelles ettransparences. Elles sont accompagnéesde deux paires de Louboutin aux talonsdémesurés et fins, des sandales doréesdécorées de cristaux, et des escarpinsvernis noirs aux brides argent.

Mais à quoi pensait Nikki ? Elle meconnaît pourtant. Elle l’a fait exprès,c’est pas possible !

Je vais jeter un œil à ma petitevalise, pour constater ce que je savaisdéjà. Je n’ai strictement rien à memettre. J’ai fait mon bagage en dixminutes, j’y ai jeté deux pulls bieninutiles avec cette chaleur quasiestivale, deux tee-shirts élimés et un

slim noir. Et pour chaussures, je n’ai quela paire de baskets que j’ai aux pieds.

Mais quelle idiote je suis !

Il est absolument hors de questionque je porte cette horrible robe. J’iraifaire les magasins avec ma mère demain– elle me doit bien ça –, je suis sûrequ’elle saura me trouver une tenueélégante mais mettable pour le mariageaprès-demain. Mais pour la soirée, quidébute dans… ouh la la, une heure, c’esttrop tard.

Contrariée, je vais m’installer dans lepetit fauteuil à côté du minibar.Distraitement, j’ouvre le réfrigérateur, et

je vois qu’il est bien pourvu. Je suisfatiguée, j’ai travaillé aujourd’hui, je mesuis couchée tard hier soir, et puisl’avion…

Je prends la mini bouteille dechampagne et j’attrape un verre. Il va mefalloir ça pour pouvoir supporter cettesoirée.

Je réfléchis en sirotant ma boissonpétillante. Soit j’y vais en jean etbaskets, avec mon tee-shirt gris, soit jejoue le jeu de Nikki. Je sais qu’elleadore ce genre de vêtements, elle doitsans doute les trouver très appropriés,mais je la soupçonne tout de mêmed’avoir voulu me jouer un tour. Elle sait

très bien que ces fringues n’ont rien àvoir avec moi. Qu’à cela ne tienne, jevais lui montrer que j’ai aussi le sens del’humour…

***

J’ai pris une douche… et unedeuxième coupe de champagne. Je meregarde dans le grand miroir.

De quoi j’ai l’air ? D’une escort girl.Mais débutante, l’escort.

J’ai essayé de me maquiller– je nesais si c’est Maman ou Nikki qui aveillé à ce que la salle de bains soitpourvue de maquillage de marque –

mais le résultat n’est pas très…professionnel. J’ai forcé sur le fard àpaupières et le mascara, et j’ai habilléma bouche d’un rouge provocant, ce quin’a pas été une sinécure. Je m’y suisreprise à trois fois pour avoir un résultatcorrect, ça débordait de partout,heureusement que la bonne fée dumaquillage avait pensé au démaquillant.

J’ai fini par me rappeler que Mamanmettait toujours un trait de crayon sur lecontour des lèvres avant d’appliquer lerouge, et grâce à ça, j’ai pu corriger letir. Ce n’est pas parfait, mais ça passera.Mais comment font les femmes qui semaquillent tous les jours ? Elles selèvent à quelle heure ? Parce que moi,

ça m’a pris quasiment une heure, et jesuis épuisée, j’ai l’impression d’avoirfait un marathon.

J’ai laissé libres mes cheveux mi-longs châtains, je crois que j’en ai assezfait comme ça. J’ai envie de rire devantla glace. Que dirait Théo s’il me voyaitainsi, avec cette robe noire au décolletéplongeant jusqu’au nombril, attachéeautour du cou pour laisser (aussi) mondos nu ? Je n’ai pas une très grossepoitrine, mais ce décolleté ne permetpas de porter de soutien-gorge (en toutcas, aucun des miens) et même s’il meparaît bien conçu, j’ai peur que messeins n’en jaillissent à un moment ou àun autre. Je suis de taille moyenne, mais

le bas de ma robe atteint péniblement lebas de mes fesses.

Je fais quelques pas prudents dans lachambre sur les Louboutin noir et argent.Comment vais-je pouvoir passer lasoirée sur ces échasses ? Un moment,j’envisage de mettre mes Adidas, maisun petit coup d’œil à la glacem’encourage à aller jusqu’au bout. Je risrien que d’imaginer la tête de ma mère,de Nikki et de David quand ils vont mevoir.

Après une dernière gorgée dechampagne pour me donner du courage,je sors de la chambre. Ouf, il n’y apersonne dans le couloir. Je me sens

d’humeur moins aventureuse hors de lachambre.

Je me dirige vers l’ascenseur,vacillant un peu sur mes stilettos. Je suisen train de vérifier la sûreté de mondécolleté en agitant ma poitrine, quandles portes s’ouvrent. Je redresse la tête,gênée d’être surprise dans cette position,le buste en avant et les mains sur moncorsage, et je croise le regard del’unique personne qui se trouve dansl’ascenseur. Pas une vieille dame et sonchien, pas une petite fille avec sa mère,non bien sûr, un homme, qui plus estjeune, et indéniablement séduisant. Sesyeux bleus se posent sur mon décolletépuis viennent rencontrer les miens. Son

regard est à la fois appréciateur etmoqueur ; ma confusion ne lui a paséchappé et manifestement, ça le fait rire.

Il me fait un petit signe de tête pourme saluer et je réponds d’un vaguemouvement du menton. Je baisse la têtevers mes chaussures, surveillant du coinde l’œil l’ouverture béante de mondécolleté. Même si je sais que c’estvain, je ne peux m’empêcher de tirer surla robe vraiment très courte. Je lève latête à ce moment et je recroise le regardde mon compagnon d’ascenseur, quipétille de malice. Il n’a rien manqué demon geste.

– J’ai bien peur qu’elle ne soit pas

très élastique, dit-il avec un sourirenarquois. Vous allez au treizième, jesuppose ? dit-il en mettant la main sur lebouton correspondant.

– Je… Non, pourquoi ?

Il paraît légèrement décontenancé.

– Je... Hum… Vous n’allez pas àl’enterrement de vie de garçon organiséau treizième ?

Il a déplacé sa main sur un autrebouton qui permet de bloquerl’ascenseur à l’étage.

– Mais… Qu’est-ce qui vous faitcroire… ?

– Ne vous inquiétez pas pour votretenue, je suis sûr qu’ils vont adorer !ajoute-t-il d’un air entendu.

C’est alors que je vois mon refletdans le miroir de l’ascenseur. Jecomprends sa méprise ; il m’a prisepour une strip-teaseuse. Le rouge memonte aux joues, pas de honte cette fois,mais de colère. Cela n’échappe pas àl’inconnu qui comprend son erreur et jele vois joindre ses mains en gested’excuse.

– Je suis désolé, mademoiselle, je nevoulais pas… Votre tenue est très… Çavous va…

– Je vais me passer de vos excuses

comme de vos appréciations, merci, lecoupé-je d’un ton cinglant avantd’appuyer sur le bouton du seizièmeétage.

– Vraiment, je ne voulais pas vousvexer…

– Ce n’est pas le cas, dis-je sur unton qui dit exactement le contraire. Jeporte ce que je veux, et je me fouscomplètement de ce que les genspensent, et encore plus des gens que jene connais pas.

– Mais…

Il s’interrompt lorsque les portes del’ascenseur s’ouvrent sur le dixièmeétage, laissant le passage à trois jeuneshommes manifestement déjà un peu

éméchés. Ils me regardent avecinsistance et j’en vois deux échanger descoups de coude. Je prends un air dégagé,et plutôt que de baisser la tête, je lève lementon comme si j’étais très à l’aisedans cette maudite tenue. Je croise leregard du ténébreux inconnu qui, d’unemimique, semble m’implorer del’excuser, mais je l’ignore superbement.

Je suis atrocement vexée qu’il m’aitprise pour une strip-teaseuse. Mais passeulement… Je suis aussi en colère del’avoir rencontré dans une tenue aussiridicule et outrancière, qui ne meressemble absolument pas. Ce n’estquand même pas tous les jours que jecroise un homme aussi séduisant ! Et il

est d’une élégance folle dans soncostume noir un peu cintré. S’il saitdésormais que je ne me déshabille paspour de l’argent, il doit néanmoins meprendre pour une pauvre cruchetotalement vulgaire. Le genre de fillequ’il ne doit jamais fréquenter. Et ça, çame fait enrager.

Je bous intérieurement tandis que laporte s’ouvre sur le treizième, laissantsortir les invités à l’enterrement de viede garçon, tandis qu’un couple entre. Jesuis heureuse de ne pas me retrouverseule avec l’inconnu, je ne supporteraispas une autre remarque. Heureusement,le prochain arrêt est le mien : jedescends sans un regard pour le malotru,

l’air le plus digne possible. J’aurais faitune belle sortie si je n’avais pastrébuché sur mes hauts talons. Mortifiée,je jette un coup d’œil rapide derrièremon épaule, juste à temps pour voir lesportes se refermer sur le sourire amuséde mon compagnon de voyage vertical.Et c’est fulminant de rage que je vaisrejoindre la fête donnée en l’honneur deNikki.

***

Installée devant un Martini, seule àune table dans le bar où les festivitésvont bon train, je ne peux m’empêcherde repenser à l’homme que j’ai

rencontré dans l’ascenseur. Jecommence à regretter ma réaction. MonDieu, que j’ai été stupide ! Au lieu dem’emporter, j’aurais dû rire avec lui dela situation, lui expliquer le pourquoi dema tenue… J’ai agi comme une idiote.Je sais bien qu’il y a peu de chances queje le recroise un jour, mais pourtant, çan’arrête pas de me turlupiner, je ne saispas pourquoi.

Je regarde autour de moi. Je n’aivraiment rien à faire ici. Nikki estaccaparée par ses invitées, des fillesavec qui je n’ai manifestement aucunpoint commun, sans compter toutes sesfans qui ont réussi à pénétrer dans lapartie du bar réservée aux invitées

(uniquement des filles). Car bien sûr,Nikki a eu la bonne idée de signaler sapetite fiesta sur les réseaux sociaux.Confidentialité garantie.

– Alors Grace, comment va la vie àParis ?

Nikki est venue s’installer à ma table.Elle est époustouflante, dans le genretape-à-l’œil. Même si je n’aime pas sonstyle, je ne peux m’empêcher del’admirer, avec sa crinière platine etbouclée qui tranche avec ses yeux debraise et ses sourcils noirs qui trahissentses origines latino-américaines (du côtéde sa mère). C’est une vraie beauté, etqui l’assume, mettant tous ses charmes

en avant dans sa courte robe léopard.

– Nikki, dis-je un peu exaspérée, jevis à New York depuis trois mois.

– Ah oui c’est vrai, pardon j’avaisoublié, dit-elle manifestement pas lemoins du monde embarrassée par sabévue. Alors, ça va ?

– Ça va bien, merci. Je…

Je n’ai pas le temps de finir maphrase que deux nénettes surexcitéessautent sur Nikki qui les embrasse toutsourire, avant de les congédier, telle unereine.

– Tu disais ? me dit-elle en setournant de nouveau vers moi.

– Rien. Alors, heureuse de temarier ?

– Absolument. Ma productrice ditqu’avec cet épisode, on va certainementréaliser la meilleure audience depuis lelancement de l’émission, me dit-elle,très excitée.

Je la regarde, éberluée.

– La meilleure audience ? Tu temaries pour l’audience ? Et ton fiancé,tu l’aimes au moins ?

– Oh oui, Chris est cool, répond-elleavec un geste de la main, comme si pourelle le sujet n’avait strictement aucuneimportance. Alors, dit-elle d’un tontaquin et en montrant ma robe, tu as

apprécié mon cadeau ?– Comme tu vois…, fais-je avec une

petite moue.

Nikki éclate de rire.

– Ça te va très bien. Tu es bombesquecomme ça.

– Ridicule, tu veux dire, dis-je enmaugréant, même si le compliment deNikki me fait étrangement plaisir.

– Petite Grace, tu es toujours si sage.

Son ton un peu apitoyé m’agace.

– Peut-être pas tant que ça, réponds-je.

– Ah bon ? dit-elle d’un air dubitatif.

Tu as changé alors.– Ce n’est pas parce que je ne filme

pas mes ébats sexuels, que je n’exposepas à tout va mes seins refaits, que je necouche pas avec le plus de célébritéspossible que je suis ennuyeuse, ne puis-je m’empêcher de lancer, vexée.

Je regrette immédiatement mesparoles acides, mais cela n’a pas eul’air de perturber Nikki qui continue deme sourire.

– Désolée Nikki, je ne voulais pas…,commencé-je.

– Ne t’excuse pas, Grace, me coupe-t-elle. Si tu crois que ça peut me vexer !Avec tout ce qui circule sur moi

quotidiennement dans les journaux ousur Internet, j’ai l’habitude. Je t’assurequ’ils sont des milliers à avoir tous lesjours la dent plus dure que toi. Mais çafait partie du jeu. Si je devaism’offusquer pour si peu, ça feraitlongtemps que j’aurais abandonné lapartie. Tu vois, moi, tout ça m’amuse,ajoute-t-elle avec un sourire radieux.

Elle me fait signe de trinquer avecelle. Je lève mon verre, et bois unegorgée de Martini. Je bois un peu trop cesoir, je me sens déjà un peu paf, mais çan’est pas désagréable.

– Au moins, tu bois maintenant, metaquine Nikki.

– Et je ne fais pas que ça, dis-je,piquée par son ton de nouveau ironique.

À vrai dire, je bois assez peusouvent, et l’alcool me monte vite à latête. Mais ça commence à m’agacer depasser pour la bonne petite fille. Nikkim’a déjà présentée à tout le mondecomme sa demi-sœur irréprochable, lemouton blanc de la famille, qui a fait desétudes, qui n’a jamais été arrêtée par lapolice… Comme si c’était une rareté.C’est vrai qu’à cette soirée,apparemment, c’est le contraire qui estla norme. La tête des copines de Nikki !Manifestement, elles ont toutesdavantage fréquenté les commissariatsque les universités.

Je ne sais pas si c’est ma tenue de cesoir, ou l’alcool, mais j’ai envie de leurmontrer à toutes, à commencer parNikki, un autre aspect de moi. Moi aussi,je peux être wild, grimper sur les tablesà moitié nue et vomir sur les pieds desserveurs ! C’est quand même plus facileque d’avoir une licence de biologie,non ?

J’en suis là dans mes réflexionsquand je remarque que Nikki meregarde, intriguée par mon sous-entendu,et attend une réponse.

– Ah bon, qu’est-ce que tu fais de sifou, petite sœur ? insiste-t-elle.

– Des tas de choses…, fais-je en

cherchant désespérément des anecdotespiquantes à raconter.

C’est alors que je le vois. L’inconnude l’ascenseur. Il est de l’autre côté del’établissement, celui qui n’est pasprivatisé. Il est assis seul à une tabledevant un verre.

– Tu vois le type là-bas ? dis-je àNikki en le montrant du doigt.

– Le beau brun sexy qui a l’air d’unhomme d’affaires qui n’est pas venu àLas Vegas pour s’amuser ?

– Ouaip. Eh bien, je vais aller leséduire de ce pas. Et je finis la nuit aveclui. Tu vois, je fais ce genre de choses.

– Hum… Ça m’étonnerait que tu sois

son genre, dit Nikki avec une mouedubitative, après l’avoir observéquelques instants. Enfin, pas habilléecomme ça, ajoute-t-elle. Moi je te trouvesuper sexy, mais ce genre de mec, passûr qu’il apprécie. Et je n’ai pas du toutl’impression qu’il soit là pour draguer.Il est concentré sur son téléphone, il estencore en train de travailler, et il n’a pasjeté un œil à la magnifique blonde quilui tourne autour. Et à mon avis, c’estune professionnelle. Vu sa tête, elle n’apas l’habitude de faire aussi peu d’effet.Tiens regarde, elle lui parle etmanifestement, il vient de l’éconduire. Ilne veut pas d’elle à sa table. Qu’est-ceque je te disais, elle s’éloigne. Tu n’as

aucune chance, petite Grace.– Ah ouais ? Tu vas voir, lancé-je en

me levant.

Une fois debout, je vacille, mais jerassure d’un clin d’œil Nikki, qui meregarde d’un œil inquiet, et je m’éloigneà petits pas vers le comptoir. En chemin,je ne peux m’empêcher de tirer encoresur ma robe, même si l’inconnu araison : elle n’est absolument pasélastique.

L’alcool m’a donné le courage (lafolie ?) qui m’aurait fait défaut en tempsnormal.

– Hello étranger, dis-je en posant une

main sur l’épaule de l’inconnu, sous leregard goguenard de l’entreprenanteblonde qui s’est posée non loin.

L’homme se tourne vers moi, etsemble surpris de me découvrir. Je meplace de façon à être dos à Nikki, quidoit observer la scène de loin.

– Je vous en prie, laissez-moi parler,dis-je très vite. Si vous voulez vousfaire pardonner pour tout à l’heure,invitez-moi à m’asseoir, je vousexpliquerai tout. Mais attention, on nousobserve, faites comme si vous étiez ravide ma présence.

Il me regarde un instant de ses yeux

bleus un brin railleurs, et sourit enm’offrant le siège en face de lui.

– Mais je suis ravi de vous revoir,dit-il d’un ton qui me paraît étrangementsincère. J’ai été très maladroit tout àl’heure, je m’en excuse encore.

– Vous aviez raison, j’ai l’air d’uneescort avec cette robe ; une blague dema demi-sœur, qui célèbre ce soir sonenterrement de vie de jeune fille. Cen’est pas du tout mon genre. Ça ne l’estpas non plus d’aborder des inconnusmais…

– Vous avez fait ce pari, me dit-il enriant.

– Voilà.– Je sais ce que c’est. J’en ai fait

dans ma jeunesse, et de plusembarrassants.

– Vous croyez ? Parce que là, je suisvraiment pas super à l’aise. J’ai dit quej’allais finir la nuit avec vous, avoué-jeembarrassée.

Il se penche vers moi, un sourcil enaccent circonflexe.

– J’ai connu pire programme…, meglisse-t-il.

J’en reste toute troublée. J’ail’impression que la température estmontée de plusieurs degrés d’un coup.

– On peut peut-être se présenter

avant, ajoute-t-il de sa voix chaude ettroublante. Je m’appelle Caleb. Etvous ?

– Grace.– Enchanté, Grace.– Euh… Si vous le voulez bien, on

pourrait se lever et partir. Évidemment,on se sépare dès que l’on est sorti dubar.

– Ah bon ? dit-il d’un air déçu, avantd’éclater de rire.

Il regarde sa montre et me fait signe.

– Mon ami est très en retard, j’ai bienpeur qu’il ne vienne plus. Partons d’ici.Votre demi-sœur, c’est Nikki Bolnick ?

Même lui la connaît !

J’acquiesce.

– Parce qu’elle et ses copines ont lesyeux fixés sur nous. On va leur endonner pour leur argent.

Il me tend la main pour m’aider à merelever. Le contact de ses doigts sur lesmiens me fait frémir. Je jette un coupd’œil par-dessus mon épaule, et à magrande satisfaction, je croise le regardsidéré de Nikki. C’est alors que je sensla main de Caleb se poser sur ma taille,ses doigts frôlant la peau nue de mondos. C’est à peine si mes jambes metiennent tandis que nous sortons du bar

ainsi enlacés, et cette fois, ce n’est dû nià l’alcool ni aux talons !

Je suis troublée par cette proximité,et à peine sommes-nous sortis du champde vision de Nikki que je m’écarte delui.

– Merci, merci beaucoup…– Grace ? Caleb ?

Je me retourne en direction de lavoix. David se tient devant moi. Il nousregarde, Caleb et moi, stupéfait.

– Je ne savais pas que vous vousconnaissiez, dit-il, les yeux ronds.

– Tu connais cet… euh… Caleb ?

dis-je, aussi étonnée que lui.– C’est un vieil ami de Harvard.

Nous avions rendez-vous ce soir. Maisje vois qu’il a trouvé mieux à faire quede m’attendre, dit-il avant de me faire unclin d’œil.

– Hello David. Ravi de te voir, ditCaleb en lui tendant la main.Effectivement, je ne t’attendais plus.

– Mais tu n’as pas perdu ton temps,dit David en me montrant.

– Mais non, ce n’est pas ce que tucrois, je vais t’expliquer…, dis-jegênée. Mais si tu me disais bonjourd’abord ?

Je saute dans ses bras, heureuse de leretrouver.

Mais David recule et me regardeavec un drôle d’air.

– Dis donc… t’as changé de looknon ?

J’éclate de rire. J’avais oublié cettesatanée tenue.

– Un cadeau empoisonné de Nikki, tuimagines bien. Toi par contre, tu es égalà toi-même ; tu n’as même pas faitl’effort de mettre un costume.

David est en effet resté fidèle à sestee-shirts colorés d’étudiant, et mêmes’il m’a confié la dernière fois que jel’ai vu que désormais il enfilait un

blazer par-dessus pour ses interviewsd’hommes politiques, il restedéfinitivement allergique aux cravates etaux chemises.

– Si on allait boire un verre ailleurstous les trois ? propose Caleb.

– Tu ne restes pas à la soirée deNikki ? me demande David.

– Non merci, j’ai eu ma dose.– Bon d’accord, allons-y, dit David,

mais je reviens ensuite, sinon Nikki vam’arracher les yeux.

– Attendez-moi en bas, dis-je, jepasse récupérer une veste dans machambre, et passer quelque chose deplus confortable.

– Mais non, garde cette robe, que je

profite un peu du spectacle, ricaneDavid. Je ne t’ai jamais vue comme ça.

– Oui, Grace, vous êtes ravissante,glisse Caleb avec un regard appuyé et unsourire entendu.

– Oui, c’est pas mal pour une strip-teaseuse, lui réponds-je du tac au tac enlui rendant son regard. Bon, OK, puisquevous avez envie de rire…

Nous prenons l’ascenseur et je fais unarrêt au septième étage. Heureusement, àNew York, j’avais glissé un blazer noirsous mon manteau, qui sera biensuffisant par ces températures douces.J’attrape mon sac à main et avant desortir de la chambre, je jette un dernierregard à mon image dans le miroir. Je

me reconnais à peine, et la Grace que jecontemple se sent prête à toutes lesfolies. Je revois le visage de Caleb, moninconnu de l’ascenseur, son sourirecharmeur. Le reste de la nuit prometd’être excitant…

3. On fait comment,maintenant ?

Je l’ai épousé ! J’ai épousé Caleb,le copain de David !

Si le reste de la soirée reste confus,je me souviens que j’ai bu beaucoupdans ce bar où nous sommes allés tousles trois, et où Caleb et moi noussommes attardés après le départ deDavid. Et même j’ai bu beaucoup trop,puisque je me suis mariée. Et avec un

homme dont je ne connais même pas lenom de famille !

Je lève les yeux sur l’homme qui ditêtre mon époux, qui continue à meregarder en souriant, assis au bord dumatelas.

– Je… pardon, je dois aller dans lasalle de bains, dis-je avant de sortir dulit à toute vitesse et d’aller m’enfermeren courant, les bras croisés sur mapoitrine.

Une fois la porte refermée, je me ruepour ouvrir le robinet de la douchecomme si le son de l’eau devait couvrirle bruit des pensées qui m’agitent.

Qu’est-ce que je dois faire ?J’aimerais appeler David pour luidemander de me sortir de ce mauvaispas. Mais mon téléphone est resté prèsdu lit.

Bon, il faut que je parle à ce Caleb.Il a l’air d’avoir pris ce mariage trèsau sérieux, et je ne voudrais pas levexer. Mais c’est un ami de David, unancien de Harvard, ce n’est sûrementpas un psychopathe, il peut comprendreque j’avais trop bu pour avoirpleinement conscience de mes actes.

Je referme le robinet et enfile unpeignoir de bain. Je m’avancetimidement dans la chambre ; la porte

d’entrée en est ouverte et donne sur unsalon, pourvu d’une immense baievitrée, au milieu duquel trône un grandcanapé sur lequel m’attend sereinementmon « mari ». Il a Dieu merci enfilé unpantalon et une chemise blanche, celle-ci restant ouverte sur son torse musclé etglabre.

– Caleb… Je voudrais vous parler…– Chérie, tu me vouvoies ?– Ah oui, pardon. Je n’ai pas

l’habitude.– Viens t’asseoir près de moi, dit-il

en tapotant le canapé.

Mais je préfère prendre place sur lefauteuil en face. Je resserre le peignoir

autour de moi, et tente de soutenir sonregard bleu qui m’observe avecattention.

– Écoute, j’avais beaucoup bu hiersoir…

– C’est vrai, me répond-ilbenoîtement, je n’étais pas très sobrenon plus.

– Oui, mais moi… Je ne me souvienspas du tout de ce mariage.

– C’est vrai ? demande-t-il, étonné.

Il saisit son portable posé sur la tablebasse devant lui, et le manipule avant deme le tendre. Je le prends en tremblant.Sur l’écran, je vois une photo de moi.De nous. Dans une chapelle,

manifestement. On se tient enlacésdevant une personne qui semble être unpasteur, et on sourit à l’objectif.

Mon Dieu, non seulement je me suismariée, mais je me suis mariée danscette robe atroce ! Quasiment à poilquoi…

C’est sans doute ce genre de photoque j’ai dû envoyer à Théo. J’imagine sasurprise. Moi-même, j’en ai le soufflecoupé.

– On fait un beau couple, non ? me ditCaleb.

– Je… euh… oui, dis-je en regardantde nouveau la photo.

Mis à part cette robe…C’est vraiqu’on est pas mal…

– Mais le problème n’est pas là,Caleb, dis-je en le regardant. On ne seconnaît pas, on ne peut pas restermariés…

– Et pourquoi pas ? Je crois que tu esla femme de ma vie. Et on a toute la viepour apprendre à se connaître, dit-il leplus tranquillement du monde.

C’est quoi ce délire ? ! Je me suistrompée. Ce type EST un psychopathe !

Je commence à paniquer, mais je medis que je ne dois surtout pas le montrer.Il ne faudrait pas qu’il s’énerve non

plus.

– Écoute, Caleb, tu es charmant, dis-je en essayant de sourire, vraiment, tume plais beaucoup, mais je n’aiabsolument pas l’intention de me marier.

– Tu l’es déjà, souligne placidementCaleb.

Oh mon Dieu, c’est effrayant commeil semble impassible. Et son souriremaintenant me fait froid dans le dos.

– Enfin je voulais dire que je n’avaispas, avant hier, dis-je en articulant bienchaque mot, l’intention de me marier. Tucomprends, j’ai beaucoup de projets, jesuis jeune, je viens à peine de quitter le

cocon familial, j’ai besoin d’êtreindépendante.

– Mais mon amour, je saurai te rendreheureuse, tu auras tout ce que tu voudras,dit-il en se levant du canapé pour venirvers moi.

Alors là, je flippe carrément. Je melève d’un bond, juste au moment où l’onsonne à la porte. Sans réfléchir, enpeignoir de bain, je cours ouvrir. Pourme retrouver face à David, qui éclate derire en me voyant.

Je le regarde, stupéfaite, necomprenant pas la cause de son hilarité.

– C’est bon mec, t’as gagné, dit-il en

regardant derrière moi.

Je me retourne et m’aperçois queCaleb se tient maintenant juste derrièremoi, un sourire goguenard aux lèvres.

– Il a gagné quoi ? dis-je en meretournant vers David. Qu’est-ce quevous avez manigancé tous les deux ?

Sans me répondre, David entre dansla suite et referme la porte derrière lui.Il me prend par le coude et m’emmène,une peu hébétée, jusqu’au canapé où ilme fait asseoir.

– Caleb, me dit-il en s’asseyant àcôté de moi, me devait un gage depuis

Harvard. Je l’avais précieusement gardéde côté, jusqu’à hier soir.

Je le regarde un instant sanscomprendre, puis je sens le soulagementm’envahir.

– C’était une blague ? Il devait passerla nuit avec moi et me faire croire qu’ilétait fou de moi et qu’on était mariés ?Ah ben merci, c’est sympa pour moi,vous m’avez foutu une de ces peurs…

J’ai envie de les engueuler tous lesdeux, mais je ne peux m’empêcher desourire en pensant que j’ai évité le pire.Et moi qui croyais être mariée ! Et avecun psychopathe en plus…

Mais mon soulagement ne dure pas.Je les regarde tour à tour et je vois bienque leurs sourires ont laissé place à unpetit air coupable.

– Qu’est-ce qu’il y a ?– Euh…, commence David. C’était

pas ça le pari.

Un frisson me parcourt l’échine.

– Mais… c’était quoi ?

Caleb et David échangent un brefregard.

– Vas-y, Dave, à toi l’honneur, c’étaitton idée, dit Caleb.

David me regarde sans mot dire.

Alors là, je craque :

– David tu vas parlerMAINTENANT, où je vais t’arracherles yeux !

– Son gage… c’était de t’épouser.

J’en reste bouche bée.

– Quoi ? La photo… c’est pour devrai alors, parviens-je à articuler malgréla boule dans ma gorge.

David a l’air gêné même si j’ai ladésagréable impression qu’il retient unfou rire. Caleb s’éloigne pour revenir

avec des papiers. Un acte de mariage.Signé de mon nom.

Je prends mon visage entre mesmains.

– Oh mon Dieu… Mais comment as-tu pu me faire ça, David ? crié-je,sentant la colère me gagner. C’est quoicette idée débile ?

Cette fois, David a l’air vraimentdésolé.

– Caleb et moi faisions pas mal deparis, et j’avoue qu’il en a remporté destas. Et il m’a fait faire n’importe quoi àl’époque. Mais j’ai gagné le dernier. Je

gardais son gage au chaud depuis desannées, j’attendais qu’on se retrouve.J’en voulais un vraiment spécial. Etquand je vous ai vus là, tous les deux…je n’ai pas résisté.

Je me redresse comme une furie.

– Mais tu te rends compte un peu dece que tu as fait ?

– Mais je pensais pas qu’il allaitaccepter le gage, et encore moins leréussir, dit David d’un air penaud. Jevoulais lui prouver qu’il n’est pas aussiirrésistible qu’il le pense, dit-il enfaisant une grimace vers Caleb, qui luifait un clin d’œil en retour.

Son sourire s’efface immédiatementquand il s’aperçoit que je n’ai rienperdu de leur manège.

Non mais il est content de lui enplus !

– Mais enfin, toi, dit David en setournant vers moi, tu as toujours dit quetu ne te marierais jamais ; tu me l’asrépété quand je suis venu à Paris à Noël.Jamais je n’aurais imaginé que tu allaisdire oui !

– Mais tu sais bien que je ne tiens pasl’alcool ! dis-je, pas du tout convaincuepar ses explications et agacée par leurdésinvolture.

Caleb, qui était resté un peu à l’écart,se rapproche de nous.

– Je suis désolé, Grace, je n’auraispas dû accepter ce stupide gage. Maisrassurez-vous, on est à Las Vegas ici, onannule les mariages aussi vite qu’on lescélèbre. Je n’aurais jamais fait ça s’il enétait autrement, et David ne l’aurait pasproposé non plus d’ailleurs.

Je le regarde, consternée.

– Vous êtes vraiment deux gamins,dis-je, excédée.

C’est alors que mon téléphone se metà sonner. Encore énervée, je m’en vais

le chercher dans la chambre, surtoutpour m’éloigner de ces deux crétins quirient sous cape en pensant que je nem’en aperçois pas.

C’est ma mère. Je décroche.

– Oui, Maman ?– Ça va, ma chérie ? Tu as une drôle

de voix…– Oui Maman, ça va, dis-je

rapidement. Qu’est-ce qu’il y a ?– Il faut que je te voie, c’est très

important, et urgent. Il s’est passéquelque chose, je peux venir dans tachambre, tu es levée ?

Au ton de sa voix, je comprends que

l’heure est grave.

– Euh… Non, je viens de meréveiller, dis-je. Je prends une douche,je m’habille et je te rejoins dans latienne.

Je rassemble mes affaires et, toujoursen peignoir de bain, je me dirige vers laporte d’entrée. Je m’arrête devant lesdeux garçons qui me regardent d’un aircontrit.

– Je dois partir, il y a urgence. Tousles deux, vous allez réparer vosconneries. Débrouillez-vous pourobtenir les papiers d’annulation qu’onen termine avec cette blague au plus

vite. Prévenez-moi quand tout est prêt…

Et je sors sans écouter leurs excuses,en claquant la porte derrière moi. Unefemme de chambre me regarde d’un airétonné, tandis que je me dirige enpeignoir et pieds nus vers l’ascenseur.

Je fulmine jusqu’à ma chambre. Je nesais pas à qui j’en veux le plus : à Davidet sa blague stupide, à ce Caleb qui aprofité de mon ébriété pour épater sonpote, ou… à moi, qui épouse n’importequi avec un verre dans le nez !

C’est alors que je réalise que je suismariée avec un type dont je ne saisstrictement rien, si ce n’est que c’est un

ami de David. Ni son métier, ni son âge,ni son nom… je ne sais même pas lenom que je porte !

4. Ça reste dans lafamille

– Ah, Grace, viens vite ma chérie, ditMaman en me faisant entrer dans sachambre.

À voir son visage bouleversé, j’enoublie mes soucis « conjugaux ».

– Qu’est-ce qui se passe ? C’estJohn ?

– Non, Nikki.

– Qu’est-ce qu’elle a fait encore ?

Ça m’a échappé, et je baisse la têtedevant le regard réprobateur de Maman.

– Nikki n’a rien fait. C’est son fiancé.– Quoi, son fiancé ?

Elle me tend un magazine peopleavec, en une, une photo de Nikki qui faitla grimace, et à côté une autre photo,celle d’un homme dans une positionéquivoque avec un travesti. Le titre :

« Nikki trompée à la veille de sonmariage. »

Et juste en dessous :

« Son fiancé aime aussi leshommes. »

– Ne me dis pas que…– Si, c’est Chris.

Je la regarde, consternée.

– Ouais, mais tu sais comment çamarche. Une photo, c’est trompeur…

– Il y en a de beaucoup plusexplicites à l’intérieur. Et lecommentaire du… de la dame.

– Ça date peut-être de…– La semaine dernière, aucun doute

possible.

Maman me regarde d’un air navré.

Je suis aussi triste pour Nikki, maissans doute pas autant que je le devrais etje m’en veux. Cependant, hier soir, ellea parlé de son fiancé avec tellement dedésinvolture, que j’ai du mal à croirequ’elle soit folle amoureuse de lui. Maisje peux me tromper…

– Nikki est au courant ?– Toute l’Amérique l’est. Quant à

Nikki, son attachée de presse lui esttombée dessus à l’aube. Depuis, c’est lebranle-bas de combat. Ce n’est pasencore officiel, mais le mariage estannulé.

– Comment elle le prend ?

Maman soupire.

– Pas très bien, tu imagines. Elle esthumiliée devant la terre entière.

– Je m’inquiétais pour ses sentiments,si elle l’aime, elle devrait plutôt souffrird’être trompée…

Maman me regarde avec reproche.

– Grace ma chérie, ne sois pas sidure avec Nikki.

– Mais quoi ? Son fiancé la trompe,peu importe que ce soit avec un travestiou une femme d’ailleurs, et elle pense àson image ? Ça en dit long sur lessentiments qu’elle avait pour lui. Si elles’est servie de ce mariage et de ce typepour faire parler d’elle, elle a lamonnaie de sa pièce.

Le regard de ma mère se trouble.

– Tu n’as vraiment plus aucuneaffection pour Nikki ? Je croyais que tul’aimais comme une sœur…

– Mais c’est le cas ! C’est parce queje l’aime que je ne supporte pas cequ’elle est devenue ces dernièresannées, cette personne prête à tout pourfaire parler d’elle, qui change toutes lessemaines de couleur de cheveux pourfaire le buzz, qui vit sur Instagram, quichoisit ses amies et ses amants à leurpopularité, qui n’aime plus personne àpart elle-même, qui ne pense qu’à sonapparence, qui vend son corps auxmagazines…

Ma mère reste un instant sans parler,faisant juste tinter ses bracelets d’ungeste nerveux.

– Je n’apprécie pas non plus le choixde vie de Nikki, finit-elle par dire, maiscomme je te l’ai déjà dit, ce n’est plusune enfant, sa vie lui appartient. Et quisuis-je pour la juger ? Moi j’ai vécutoute la vie grâce à mon physique, c’estavec mon visage, mon corps que j’aigagné ma vie. Tu me méprises aussi pourcela ?

– Mais non Maman, ce n’est paspareil…, dis-je un peu gênée. Ce n’estpas comparable.

– Et en quoi ? Chacun fait ce qu’ilpeut avec ce qu’il a, dit Maman les

sourcils froncés. Je suis très heureuseque toi, tu aies choisi de faire desétudes, j’en suis même très fière, maisNikki n’était pas portée sur ça, sascolarité a été pour le moins chaotique.Tu sais aussi bien que moi ce qu’elle avécu avec sa mère, qui pouvaitl’abandonner des jours pour partir avecun amant, la drogue qui circulait à lamaison… Et Nikki a toujours protégé samère, si elle avait parlé, nous ne luiaurions jamais laissé la garde. C’estlourd à porter pour un enfant. Quant àson père, il l’aime mais je dois bienreconnaître qu’il n’a pas été très présent.Je suppose que Nikki en a eu marred’être « transparente ». Aujourd’hui,

elle a des milliers de fans qui lui disentqu’ils l’adorent, des millions defollowers…

– Mais tu sais bien que ça n’a rien àvoir avec l’amour…

– Et je ne crois pas qu’elle soitdupe ! Mais c’est une sorte de substitutqui lui convient pour l’instant. Elle estjeune, elle s’amuse, et c’est sa façon àelle de profiter de la vie. Tu sais, Nikkiest intelligente, très dans le seconddegré, et toi, ma chérie, tu en manquesparfois…

– Ah ouais, c’est super le seconddegré, tu épouses quelqu’un juste pourune émission de télé, réponds-je, vexée.

– Ah maintenant tu défends

l’institution du mariage ? dit Mamanavec un demi-sourire. Toi qui as juré dene jamais te marier.

– Ce n’est pas parce que je veuxgarder mon indépendance que je méprisele mariage. Au contraire, j’en ai unehaute idée, je le prends très au sérieux.On ne s’engage pas à la légère, ni pourobtenir un train de vie luxueux, en sejouant des sentiments de l’autre…

Je m’interromps brusquement, en mesouvenant que je me suis précisémentmariée la veille avec un parfait inconnu.Ce n’est pas ce qu’on appelle « prendrele mariage au sérieux ».

Ma mère me regarde, bouleversée ;

j’ai l’impression, vite confirmée, qu’ellea mal jugé la raison de mon trouble.

– C’est ce que tu penses de monmariage avec John ? Que je l’ai épousépour avoir un train de vie plus luxueuxque celui que j’avais avec ton père ?

– Mais non… Maman, ce n’est pas dutout…

– Tu veux encore revenir sur cettevieille histoire ? Tu me reprochesencore de ne pas l’avoir quitté quand ila eu cette aventure avec cette actrice ?

Oh non, je ne pensais pas du tout àça.

Je m’approche de ma mère et la

prends dans mes bras.

– Absolument pas Maman, je te jureque je ne faisais aucune allusion à ça.

Ma mère me repousse doucementmais avec fermeté.

– Pour ta gouverne, je suis restéeavec John parce que je l’aime, et que jecrois que c’est réciproque ; tout lemonde a le droit de faire des erreurs,Grace. Tu n’en as jamais fait ?

Pas plus tard que la nuit dernière !Et je n’en suis pas fière. Quand jepense que je dégomme Nikki et sa vietrash, alors que la veille, j’ai bu au

point de me faire passer la bague audoigt par un mec que j’avais draguédans un bar… Si Maman savait ça !

– Maman, je te demande pardon si jet’ai blessée. Ce n’était pas dans monintention. Je ne parlais pas de cettevieille histoire sans importance, àl’époque, j’étais jeune, entière, je neconnaissais rien à la vie, et je ne voulaisqu’une chose, comme tous les enfantsavec leurs parents : que tu retournesavec Papa. Je sais combien vous êtesattachés l’un à l’autre John et toi. Et toi,tu sais que je t’aime, et que je t’admire,non, ma petite Maman ? Tu as raison, jen’ai aucun droit de juger qui que ce soit.Viens, on va aller retrouver Nikki, et

voir ce qu’on peut faire pour l’aideravec toute cette histoire. Je t’en prie, nem’en veux pas.

Ma mère sourit et me serre très fortdans ses bras.

– Je ne t’en voudrai jamais Grace. Tues ma fille, et je t’aime plus que tout,n’oublie jamais ça.

5. Le mari idéal

Qu’est-ce que je vais faire de cettefichue robe ?

Je regarde le bout de chiffon noir quim’a servi de robe de mariée. Peut-êtredevrais-je la garder, en souvenir de cettenuit d’ivresse ? Si la migraine m’a enfinquittée, je n’ai que des réminiscencesextrêmement floues de la soirée etsurtout de cette cérémonie ; cette robedevrait me rappeler que l’alcool est

dangereux, et pas que pour la santé.Quant à l’autre robe dans la penderie…Nikki m’a dit que tout était à moi, maisje ne vois absolument pas dans quellesituation je pourrais la mettre.Apparemment, elle a un certain prix, jevais voir si je peux la mettre dans undépôt-vente. Si ça peut aider à financermon safari-photo…Je veux bien garderles Louboutin, au cas où.

Je fais un peu le ménage dans machambre, même si je ne repars quedemain. J’ai appelé Théo, qui a saturémon téléphone de messages depuis cematin. Je lui ai expliqué cette histoire demariage, et bien sûr, ça l’a fait beaucouprire. Je ne peux pas l’en blâmer,

maintenant que le choc est passé, etqu’on a convenu de faire annuler lemariage, je réalise que ça n’est pas sigrave que ça.

On frappe à ma porte. Je vais ouvriret me retrouve face à David.

– Tu me laisses entrer ? me demande-t-il avec une moue suppliante.

Je fais une petite grimace, avant dem’effacer pour le laisser passer. Je nedis pas que je lui pardonne sa blague,mais j’ai retrouvé mon calme. J’ai passéune partie de la journée avec Maman etNikki qui nous a fait une belle crise denerfs à cause de son mariage tombé à

l’eau. Toutes les deux sont déjà repartiespour Los Angeles, et la clique del’émission a suivi. Nikki m’a fait de lapeine : je ne suis pas sûre qu’ellepensait que Chris était réellementl’homme de sa vie, mais elle lui étaitquand même assez attachée. Et puis safierté en a effectivement pris un sacrécoup.

David s’est allongé sur mon lit. Ilpasse une main dans sa chevelureépaisse et blonde comme les blés qui lefait ressembler à un membre de lafamille Kennedy. Je lui ai plusieurs foisdit pour le taquiner qu’avec une crinièrepareille et ses dents blanches, il devaitse lancer en politique. Il a choisi plutôt

d’en étudier la faune.

Je ne l’avais pas remarqué ce matin,mais il a l’air très fatigué, avecd’énormes poches sous les yeux. La nuita dû être courte pour lui aussi.

– Tu es resté tard à la soirée deNikki ? lui dis-je.

– En fait non. Mais j’aurais peut-êtremieux fait, me répond-il d’un air las.Après vous avoir quitté Caleb et toi, j’ysuis repassé une heure, mais je n’ai passupporté l’ambiance hystérique. Je suisdescendu au casino. Et j’ai perdu.

– Beaucoup ? dis-je, interpellée parson air soucieux.

Il reste muet un instant, évitant monregard.

– Trop en tout cas, répond-il enfin ensoupirant. J’ai une belle ardoise.

– David…, commencé-je mais ilm’interrompt.

– S’il te plaît Grace, ne me sermonnepas, c’est assez dur comme ça, j’assumemes conneries.

Je considère un instant sa minedéfaite.

– Je vais d’autant moins te sermonnerque des conneries, j’en ai fait une bellerécemment, lui dis-je, en m’asseyantprès de lui et en posant une main

compatissante sur son genou. Tu vasdemander à John de t’aider ?

– Je préfère pas, j’ai déjà pas maltapé mon oncle ces derniers temps. Maisne t’inquiète pas, je gère, ajoute-t-ilavec un sourire.

– Très bien, je te fais confiance.

David se redresse et s’assoit au borddu lit.

– Ce n’est pas pour me plaindre queje suis venu. Tu m’en veux encore ?

– Un peu, mais bon… T’as apprispour Nikki ?

– Ouais, je l’ai eue au téléphone. Elleétait hystérique, mais je l’ai calmée enlui disant qu’avec ce rebondissement,

elle fera peut-être encore une meilleureaudience qu’avec ce mariage – que toutle monde d’ailleurs savait voué àl’échec.

– C’est vrai ? C’est ce que tupensais ?

– Et je n’étais pas le seul. J’ai déjàrencontré Chris, il est sympa, mais c’estun peu le pendant masculin de Nikki : ilétait déjà riche à millions, il voulait êtreconnu. Mais sans doute pas de cettefaçon, dit-il en éclatant de rire.

Je ne peux m’empêcher de rire aussi.

– Au moins, il n’aura pas à faire soncoming out ! ajoute-t-il. Ça, c’est fait.

– Ça, j’imagine que le pauvre garçon

aurait préféré une sortie du placardmoins tonitruante. Mais quand je pense àla pauvre Nikki…

– Ne t’en fais pas pour elle, elle s’enremettra, va, dit-il. Bon, revenons à toi.Tu repars tout de suite ?

– Non. Mon billet n’est pasremboursable. Maman m’a proposé dem’en offrir un autre mais j’ai refusé. Jepars demain soir.

– Ah, je vois que tu es toujours danston trip « je ne veux rien devoir àpersonne », comme quand tu étais ado.C’est bien, je suis fier de toi, dit-il ensouriant.

Puis, après un petit silence et sur unton plus sérieux :

– Je suis désolé pour ma petiteblague, sur le moment ça m’a semblé unebonne idée ; ce n’est pas toi que jevoulais piéger, c’était Caleb. Jen’imaginais pas du tout que tu allais direoui, toi la pasionaria du célibat…

– C’est bon, j’ai compris, tu me l’asdéjà dit. De toute façon, c’est ma faute.Quand je pense que j’ai épousé un mecen étant bourrée…

Je glousse :

– Tu sais que je ne sais même pas sonnom de famille ? Ni même son métier.

David me regarde, étonné.

– Mais qu’est-ce que vous avez faittoute la soirée tous les deux ? En toutcas, vous n’avez pas parlé.

Je rougis en réalisant que je me suisréveillée en sous-vêtements dans le litde Caleb.

Je n’ai pas eu le temps d’y penser,mais est-ce que ça veut dire que… on avraiment… ?

David me regardant avec un airmoqueur, je n’ai pas envie d’aller pourl’instant plus loin dans mes réflexions.

– Bon, alors laisse-moi teprésenter… ton mari, dit-il en me

prenant les mains. Caleb a deux ans deplus que moi, donc 28. Et son nom defamille c’est Montgomery.

– Pas mal, dis-je en souriant.– N’est-ce pas, madame

Montgomery ? me dit-il en souriant.Figure-toi que c’est le fils du sénateurde l’Illinois Montgomery, actuellementen course pour les primaires du partidémocrate.

– Non ? C’est pas vrai ? dis-je,éberluée.

– Si, et il est même fort bien placé.Peut-être sera-t-il le prochain candidatdu parti à la présidentielle.

J’en suis soufflée. Je regarde Davidavec de grands yeux ; mon ami semble

se délecter.

– Quant au beau Caleb, que j’aiconnu donc à Harvard, il est avocat, agrandi à Chicago et vit à New York. Ducôté de sa mère, ils sont très riches,mais il a créé sa propre fortune. Justeaprès Harvard, il a été recruté par unprestigieux cabinet d’avocats, je ne saispas si tu en as entendu parler, De Vitto,Sachs & Petrossian.

– Ça ne me dit rien…– Mais si, ils ont défendu le rappeur

GK qui était accusé du meurtre de sapetite amie…

– Ah oui. Ils ont réussi à le fairelibérer, alors que tout le monde sait quec’est lui. S’il n’avait pas eu tout cet

argent pour payer cette arméed’avocats…

– Dont Caleb, qui a en fait trouvé unvice de procédure qui l’a fait libérer.

– Et donc permis que l’on fasse sortirun meurtrier de prison, me récrié-je,scandalisée.

– C’était son client, ma chère Grace.Et puis Caleb s’est aussi fait remarquerlors du procès des laboratoiresMyzrack.

– Ne me dis pas que c’est lui qui ablanchi cette firme pharmaceutique quivendait cet horrible coupe-faim qui arendu stériles des dizaines de jeunesfemmes ? Une pure honte cette histoire,dis-je, outrée.

– Mais il a aussi aidé des jeunesinformaticiens qui s’étaient fait volerleur logiciel par une énorme boîte, dittranquillement David. Il leur a faitgagner des millions, et en a pris sa part.Je peux te dire qu’il a été tellementbrillant sur ces procès que tous lescabinets se battaient pour le débaucher.Mais lui est parti l’année dernière de DeVitto, Sachs & Petrossian pour fonder lesien. Et bon nombre de clients puissantsl’ont suivi, ce qui ne lui a pas valu quedes amis. C’est aujourd’hui un desavocats les plus cotés et les plus richesde New York.

– Ah ben je vois que j’ai épousé unbeau parti, dis-je, ironique. De quoi je

me plains, hein ?– On se le demande ! dit David en

éclatant de rire. Caleb est même dans letop 10 des célibataires les plusconvoités de Manhattan. Enfin, « était »je voulais dire, corrige-t-il en me faisantun clin d’œil.

– Ha, ha, très drôle, David. Bon,justement, c’est réglé cette histoire ? Tum’as apporté le dossier d’annulation ?

– Caleb s’en occupe. Il devait passerretirer le dossier aujourd’hui, il ne t’apas appelée ?

– Non, je ne crois pas. Tu lui asdonné mon numéro de portable ? dis-jeen regardant mon iPhone.

– Oui. Mais ne t’inquiète pas, il avait

des rendez-vous de travail aujourd’hui,c’est pour ça qu’il est à Las Vegasd’ailleurs, a priori, il n’était pas venupour se mettre la corde au cou.

Je saisis un coussin sur le fauteuilderrière moi et le lance à la tête deDavid qui s’esclaffe.

– C’est lui qui l’a mise au mien, tuveux dire !

– Si tu préfères. Mais tu es sûre devouloir annuler cette union ? continue-t-il d’un ton railleur. Vraiment, avecCaleb, tu as décroché le gros lot. Et enplus, il est beau gosse. Il a toujours pluaux filles. Fallait le voir à Harvard,avec sa cour d’admiratrices…

– C’est vrai qu’il est plutôt séduisant,je te le concède, dis-je avec un sourire.

Et même mieux que ça…

– Mais d’abord, sérieusement, je n’aiaucune envie de me marier, et surtoutpas maintenant. Outre le fait que je ne leconnais pas, ce qui me paraît lameilleure raison pour ne pas restermariée avec lui, et que lui n’acertainement pas envie de continuer lamascarade, j’ai plein de projets, j’aibesoin de rester libre, de garder monindépendance. Je viens à peine de partirde chez mon père ! Et puis, franchement,il est mignon, mais il m’a l’air d’un vrairequin, c’est pas mon genre les avocats

aux dents longues prêts à défendren’importe quelle cause, même abjecte.Je crois qu’on n’a strictement rien encommun.

– Tu sais, dit David sur un tonsoudain sérieux, Caleb est un mec bien.Et en plus, il a le sens de l’humour. Jet’assure, il gagne vraiment à être connu.

Je fais une petite moue. C’est à cemoment que mon téléphone sonne.

– Numéro inconnu, dis-je enregardant l’écran de mon iPhone. Çadoit être lui.

– Grace, susurre une voix grave àmon oreille, c’est Caleb. Votre mari,ajoute-t-il, pince-sans-rire.

– Plus pour longtemps j’espère, dis-je faussement fâchée.

– Vraiment, je suis désolé pour toutça, reprend Caleb d’une voix si douceque je me sens devenir toute chose. J’aiagi de manière stupide. J’aurais voulume faire pardonner. Je peux vous inviterà dîner ce soir ? Vous m’avez dit quevous ne repartiez que demain soir.

Sa proposition me prend de court.

– Je… C’est-à-dire… ce n’est pasnécessaire…

– S’il vous plaît, Grace…

Cette voix…

– Eh bien… C’est d’accord. Versquelle heure ?

Je croise le regard de David, et medétourne pour échapper à son sourireironique.

– Il est déjà 18 h 30. Retrouvons-nous vers 19 h 30, si ça vous convient.Je peux faire servir à dîner dans masuite.

Il m’invite à dîner dans sachambre ?

Je reste silencieuse quelques instants,indécise.

– Mais si vous préférez, nous allonsdîner dehors bien sûr, dit très viteCaleb, qui semble avoir compris lacause de mon embarras. Ce sera mêmemieux sans doute. Je pensais juste qu’onserait plus à l’aise, et que ce serait plusdiscret, pour remplir la demanded’annulation.

Je me sens un peu bête de faire labégueule, alors que j’ai quand mêmepartagé son lit cette nuit.

– Mais non ça ira très bien commeça, réponds-je. Je vous rejoins doncvers 19 h 30. Mais…

Je me racle la gorge.

– Je ne connais pas le numéro de lachambre, dis-je, gênée.

Caleb éclate de rire.

– C’est vrai, vous êtes sortie un peuvite ce matin, plaisante-t-il. Et hiersoir…

Charitablement, il ne finit pas saphrase.

– C’est la suite Diamond, au dernierétage.

– Diamond, très bien. À tout àl’heure.

Je raccroche et reste pensive. Une

petite tape sur l’épaule me ramène à laréalité.

– Alors, madame Montgomery, onretrouve son mari sur le lieu du crime cesoir ?

– Tu es bête David, dis-je enm’efforçant de rire, il faut bien que je levoie pour retrouver ma liberté.

– Méfie-toi, il t’a déjà séduite unefois…

– Pas de danger que ça se reproduise.Je ne boirai pas une goutte d’alcool cesoir !

6. Juste une fois

– Puis-je vous offrir un verre,Grace ?

– Je… Oui, merci Caleb, je prendraisbien un… jus de fruit.

Caleb hausse un sourcil surpris, puisse dirige vers le bar – non, non, pas unminibar, sa suite est carrément pourvued’un bar fort bien pourvu,indéniablement – sur lequel trône unecorbeille de fruits.

– Je vous fais un cocktail. Sansalcool rassurez-vous, dit-il taquin. Quelsfruits vous feraient plaisir ?

– Vous avez quoi ?– Fraises, bananes, kiwis, oranges,

ananas… Il y a de la menthe fraîche, jepeux vous faire un ananas-menthe à lamode brésilienne si vous voulez ? Vousaimez ?

– Je n’ai jamais goûté, mais je suissûre que ça ira très bien, dis-je avec unsourire un peu forcé.

Mal à l’aise, je reste assise dans monfauteuil en cuir, et regarde tout autour demoi pendant que Caleb s’occupe de moncocktail de fruits. Je n’ai pas eu le tempsce matin de regarder le décor de ma nuit

de noces – il faut dire que je n’étais pasd’humeur non plus – mais j’ai tout leloisir maintenant d’en apprécier le luxepour le moins… ébouriffant. Tout estdans les tons marron, crème et dorés, etdans un style Art déco. La grande baievitrée du séjour donne sur le Strip, surlequel se concentrent les casinos et leshôtels les plus flamboyants, dont leslumières clignotent alors que le soleilvient de se coucher.

Sur la table basse sont déposés unseau à champagne garni d’une bouteille,deux flûtes et des amuse-bouchescolorés et sophistiqués.

– Servez-vous Grace, dit Caleb qui a

surpris mon regard.

J’ai un peu l’estomac noué mais pourme donner une contenance, je m’empared’une sorte de petit éclair vert salé quifond sous ma langue. C’est délicieux…

Caleb a fini de s’affairer derrière sonmixeur et vient déposer devant moi unverre d’un joli liquide vert jaune.

– Si vous le permettez, je vaisprendre quelque chose d’un peu plus…fort, annonce-t-il.

J’acquiesce, tandis qu’il va chercherde la tequila et en verse une grosserasade dans son verre à moitié rempli du

breuvage qu’il a préparé.

– Vous n’avez pas trop faim ? J’aidemandé à David de m’éclairer sur vosgoûts. Le repas ne devrait pas tarder àêtre servi.

Cette attention me fait fondre. Autantque sa voix chaude et son sourireirrésistible.

– Ne vous inquiétez pas, dis-je, jen’ai pas très faim. Et ces amuse-bouchessont un régal.

– Grace, dit Caleb en venants’asseoir en face de moi, si on setutoyait ? Nous sommes mariés quandmême, ajoute-t-il avec une petite

mimique.– Oui, bien sûr…, dis-je en riant.

Maintenant que j’ai vu le dossierd’annulation, je peux plaisanter sur lesujet. Je suis beaucoup plus à l’aise quece matin, c’est sûr. D’abord, je ne suispas à moitié nue, mais en slim noir, tee-shirt et baskets, et ça fait toute ladifférence pour moi. Pour être honnête,j’ai un peu regretté de n’avoir rien deplus habillé (et même de sexy, d’accord,j’avoue) dans ma valise en me préparantpour ce rendez-vous. D’un autre côté, jen’étais pas mécontente que Caleb mevoie telle que je suis habituellement,sans fard, et à plat.

Autant cette nuit, j’étais à l’aise aveclui – en tout cas lors de la partie dont jeme souviens – autant là, je me sensintimidée. Il faut dire que je n’ai rien bu,alors que quand je me suis jetée sur luidans ce bar, j’étais déjà un peu éméchée,et bien désinhibée. Je le regarde ensouriant gauchement, buvant quelquesgorgées avec un air que j’espère dégagé.Les yeux rieurs de Caleb sur moi merendent fébrile et je cherchedésespérément un sujet de conversation.Heureusement, il prend la parole.

– Alors, Grace, est-ce que tuapprécies la vie à New York ?

– Comment tu… ? Ah oui, David.

Ce cher David a dû faire un portraitde moi à son ami, mais je ne peux paslui en vouloir, il en a fait de même en meretraçant la vie de Caleb. Je medemande bien ce qu’il lui a raconté surmoi…

Caleb a manifestement suivi le coursde mes pensées.

– N’en veux pas à Dave, c’est moiqui l’ai harcelé de questions. Je voulaisen savoir plus sur la fille que j’avaisépousée.

– T’aurais pu t’en inquiéter AVANTde l’épouser, dis-je en riant.

– Oh, ce que j’avais vu de toi m’avaitsuffisamment plu, dit-il avec un sourire

moqueur.

Je rougis en pensant à la robe que jeportais la veille.

– Je vois que tu as changé de style,depuis hier, me lance Caleb.

Mais il lit dans mes pensées ouquoi ?

– Effectivement, dis-je en regardantson costume gris impeccable et sessouliers italiens, c’est peut-être même unpeu casual pour un dîner mais…

– Mais pas du tout, je te trouveravissante comme ça. J’aime beaucoupton allure, je sature un peu de toutes ces

success women en tailleur.

Cette remarque qui se voulaitaimable pour moi contrarie mon côtéféministe.

– Peut-être que ces femmes cesserontde se croire obligées de porter cestenues de guerrières des affaires quandvous les hommes arrêterez de croirequ’une cravate et des chaussuresimpeccablement cirées sontindispensables pour que l’on vousprenne au sérieux, dis-je d’un ton sec.

Caleb en reste sans voix. Il meregarde, un sourcil arqué… puis éclatede rire.

– Tu as absolument raison. On portetous des uniformes.

– Je… je suis désolée, je ne voulaispas t’agresser, me reprends-je. Mêmemoi, j’ai un uniforme, qui dit « je neveux pas porter d’uniforme ». Tu sais,ma mère était mannequin, ellem’emmenait petite sur des séancesphoto, et en fait, contrairement à ce quetout le monde pense, ça ne m’a jamaisfascinée. La prise de vue, oui, mais toutela mascarade de la mode…Esthétiquement, c’est très beau, maisquand tu vois ce qui se cache parfoissous tous ces beaux vêtements… Lavanité, la perfidie…

– C’est pour ça que tu vas plutôt

photographier des animaux ?– Oh, dis-je surprise, David t’a dit ça

aussi… Mais alors, tu sais tout de moi.– Pas du tout, se récrie Caleb. Pas

assez non. En fait, ce n’est pas Davidqui m’en a parlé, c’est toi hier soir. Tune m’as pas dit grand-chose d’autre. Jene sais pas si tu t’en souviens, même sion a beaucoup ri, on a peu parlé de nous.Mais nous avons la soirée devant nouspour faire vraiment connaissance…, dit-il avec un sourire plein de promesses.

On frappe à la porte. Pendant queCaleb va ouvrir, je me lève etm’approche d’un miroir, jetant un œil àmon reflet. Tout va bien : je n’ai pas demèche déplacée ni d’aliments entre les

dents. Aussitôt, je m’en veux, et je mesermonne :

Je ne suis pas à un rendez-vousamoureux, je suis en train de mettre finà mon mariage !

Pendant que le serveur installe lesmets sur la table, je me lève pouradmirer la vue de la baie vitrée. Ah, LasVegas…

J’étais assez agacée de devoir passerdeux jours dans cette ville avec cesdécors de carton-pâte, un vrai monumentau kitsch, pour assister en plus aumariage bling bling de Nikki, mais jecommence à apprécier mon séjour.

Après le réveil un peu brutal de cematin, et le fiasco du mariage de Nikki,je suis enfin en train de me détendre. Etde goûter au plaisir d’une soirée dansune suite grand luxe avec vueimprenable sur les lumières de LasVegas, en compagnie d’un hommeabsolument charmant. Franchement, endébarquant au Nevada, je n’en espéraispas tant. Certes, cet homme est monmari, un mari que je n’ai pas choisi,mais ce petit souci devrait n’être trèsvite qu’un lointain souvenir.

Je tressaille en sentant une main seposer sur mon épaule. Je me retourne,pour découvrir Caleb qui me sourit. Jen’ai pas entendu le serveur repartir.

Nous sommes seuls tous les deux et saproximité me trouble plus que je ne levoudrais.

– Et si nous passions à table ? dit-ilen m’invitant à le suivre.

Je m’approche de la table et soulèveles cloches avec gourmandise, pourdécouvrir un véritable menugastronomique, avec crevettes, noix deSaint-Jacques et flans d’asperges. Et toutun assortiment de mignardisessophistiquées en dessert.

– David me connaît vraiment bien,dis-je, ravie. Tu sais, je crois que jevais prendre un peu de champagne, pour

accompagner ce repas.– Tu es sûr ? demande Caleb, surpris.

Peut-être que tu ne devrais…– Ne t’en fais pas, je boirai une

coupe, et pas plus.

Il me sert, l’air pas très convaincu.

– Hier, j’ai vraiment abusé, dis-jepour m’expliquer, cette soirée medéprimait tellement, j’étais angoisséeavant d’y aller, j’ai bu pour me donnerdu courage. Et ensuite, j’étais très mal àl’aise, j’ai continué. Et puis rebeloteavec toi et David… Je n’ai pas vraimentl’habitude de boire, ça m’a secouée.

– Si j’avais su que tu avaiscommencé si tôt, je t’aurais empêchée

de commander à boire ; je me disaisaussi que tu avais une belle descente.

Quel tableau j’ai dû offrir !

Caleb a remarqué mon embarras.

– Ne t’en fais pas, tu donnais bien lechange. Enfin… jusqu’à un certain point.Quand tu as accepté ma demande et quetu m’as suivi à la chapelle, je savaisbien que tu n’avais pas les idées claires.Mais j’avais bu aussi, et j’avais en têtele pari avec Dave. Je suisimpardonnable, dit-il d’un air contrit.

– Non, tu es prêt à tout pour lavictoire, ça, je l’ai bien compris. Maisje te pardonne, dis-je en levant mon

verre, ça me fera une bonne leçon.J’aurais pu tomber sur quelqu’un quin’aurait jamais accepté l’annulation.J’étais bonne pour un divorce en bonneet due forme. J’aurais aussi pu épouserun psychopathe… Tu n’es paspsychopathe ? demandé-je en fronçantles sourcils.

– Pas que je sache non, sourit-il.– Parce que tu m’as bien foutu la

trouille ce matin, quand même, avec tes« ma chérie » et tes « mon amour ».

On éclate de rire dans un belensemble.

L’atmosphère est vraiment détenduemaintenant, et bientôt, nous n’arrêtons

pas de parler. Caleb veut tout savoir demoi, et je lui parle de mes études, de mavie à Paris, ville qu’il connaîtmanifestement bien. Je découvre qu’ilest plein d’humour et d’excellentecompagnie… Je le redécouvre plutôt,car cette sensation de bien-être quim’envahit en discutant avec lui, je mesouviens de l’avoir éprouvée hier soir.Mais aujourd’hui, c’est bien plus fort,mes sensations ne sont pas noyées sousdes flots d’alcool.

Ses yeux bleus toujours rieurs mefascinent, quant à son sourire, ilm’envoûte. Je commence presque àcomprendre pourquoi hier soir, je l’aisuivi dans cette chapelle, pour unir ma

vie à la sienne. Il a cette façon de meregarder, de m’écouter… Comme si àcet instant, c’est tout ce qui comptaitpour lui. Je n’arrive à esquiver aucunede ses questions, je me livre même avecune liberté, une confiance qui m’ontsouvent fait défaut.

Je suis cependant un peu gênée de sacuriosité pour ma petite personne, etj’essaie de temps à autre de le faireparler de lui. Mais je m’aperçois que simoi, orientée par ses questions adroites,j’ai raconté des choses très intimes – ladéchirure du divorce de mes parents, mavie à Los Angeles quand Nikki estdevenue une bimbo célèbre – lui n’estpas quelqu’un qui se livre si facilement.

Sur le plan privé, il reste assezhermétique. En revanche, il ne rechignepas trop à parler des dossiers surlesquels il a travaillé. Et ça ne medéplaît pas de le tarabuster un peu.

– Alors c’est toi qui as permis à cettefirme pharmaceutique de s’en tirer aprèstout le mal qu’elle a fait ?

– Je suis payé pour, oui, répond-iltranquillement. C’est mon métier tu sais,je suis avocat, je défends les gens, lesentreprises. Et mes clients ne sont pastoujours irréprochables.

– Et ça ne te pose pas de problème deconscience ? dis-je d’un ton plus acideque je n’aurais voulu.

Il me dévisage longuement. Je memords les lèvres.

Qu’est-ce qui me prend del’agresser comme ça ? Il a été sicharmant toute la soirée.

Mais Caleb reste impassible, et ilcontinue même de me sourire.

– Tout le monde a le droit d’êtredéfendu. Pas seulement les innocents. Ouceux que tout le monde estime innocents.

Il a raison. Je me conduis vraimentcomme une gamine.

– Moi je ne pourrais pas faire ce

métier. Je ne pourrais pas vivre enpensant que j’ai fait libérer quelqu’unqui ne le méritait pas, ne puis-jem’empêcher d’ajouter, en buvant ladernière gorgée de champagne que jegardais pour la fin du repas.

– C’est pour ça qu’il y a des genscomme moi pour faire le sale boulot,dit-il sur un ton ironique.

C’est bizarre, cette sensation, j’aienvie de le gifler et de l’embrasser à lafois.

Je me lève de table pour empêchertout geste impulsif (le baiser ou la gifle,je ne sais pas ce qui serait pire). Unmacaron à la main, je m’approche de la

baie vitrée. J’entends sa chaise qu’iléloigne de la table, et je vacille un peuen entendant ses pas dans mon dos. Ileffleure mon bras et une déchargeélectrique me parcourt.

– Grace, ne nous disputons pas. Nousavons passé une si belle soirée. Enfin, jecrois, non ?

Je me retourne pour lui faire face. Ilest tout proche de moi, et je sens l’odeurmâle de sa peau et celle de son eau detoilette mêlées, et la tête me tourne unpeu.

– C’est vrai. Pardon Caleb. Jen’aurais pas dû aborder ce sujet. C’était

stupide.– Mais non, je comprends très bien

ton point de vue. Mais nous sommes trèsdifférents Grace, nous ne vivons pasdans les mêmes mondes, nous n’avonspas la même façon de voir les choses…

Je perçois son hésitation, avant qu’ildécide de terminer sa phrase :

– … ce qui ne change rien au fait quetu me plaises beaucoup.

Il caresse mes cheveux, et je me senschavirer. Je baisse la tête et sa paumeeffleure ma joue, mon cou.

– Je n’ai jamais rencontré quelqu’un

comme toi, dit-il pensivement.

Je redresse la tête et trouve lecourage de croiser ses yeux. Son regardse trouble, et il baisse son visage vers lemien. Je le regarde, le souffle court, labouche à demi ouverte, déjà consentante.Mais au moment où je crois que seslèvres vont se poser sur les miennes, ilrecule.

– Pardon, Grace, j’ai déjà profité dela situation une fois, dit-il avec un petitrire gêné…

Il va se servir une autre flûte dechampagne, retire sa veste de costume ets’installe dans un fauteuil, me laissant

quelque peu frustrée et décontenancéedevant la baie vitrée. Malgré moi, je luien veux d’avoir battu en retraite.

Sur la petite table devant laquelleCaleb s’est assis sont déposés le dossierd’annulation ainsi que la licence demariage.

– Bien, dit-il d’un ton presqueprofessionnel, alors nous devions nousoccuper de ces papiers. J’ai contacté unavocat local de ma connaissance, il iraprésenter le dossier devant la cour, nousn’aurons pas besoin d’être présents. Ilplaidera « l’intoxication à l’alcool », cequi est un motif d’annulation assezfréquent dans cette ville. Tu n’es pas la

seule, rassure-toi. Les gens s’amusent,boivent un peu plus que de raison, etalors se marier à Las Vegas leur apparaîtcomme LA chose à faire, comme jouerau casino. Dans cette ville, même si lemariage est tout à fait légal, on al’impression que ça ne prête pas àconséquence, c’est si rapide, il n’y a pasà réfléchir, à organiser de banquet. Uncoup dans le nez et tout le monde est prêtà se passer la corde au cou. Tous lesjours ici on annule des mariages pourcette raison. Bref, sois tranquille, dansquelques jours, tu recevras le certificatd’annulation.

Et jusque-là, je suis sa femme ?

Je m’approche de lui, hésitante.

– Caleb, je dois te demander quelquechose, dis-je en m’asseyant en face delui.

Il fronce les sourcils, intrigué.

– Bien sûr, Grace, qu’est-ce que… ?

Il s’interrompt. Je crois qu’il acompris où je voulais en venir, mais ilme laisse aborder le sujet la première.

– Cette nuit, que… Tu as dit que tuavais « profité de moi ». On a couchéensemble ? Parce que, je ne m’ensouviens vraiment plus, je suis désolée,

dis-je terriblement embarrassée.

D’un bond, Caleb s’est levé de sonsiège pour venir se mettre à genouxdevant moi. Il m’a pris la main, et d’undoigt, redresse mon menton pour que jele regarde dans les yeux :

– Tu crois vraiment que j’aurais pufaire ça ? Que j’aurais profité de tonébriété, ou de celle d’une autre femmed’ailleurs, pour assouvir mes plus basinstincts ?

– Mais non, pas du tout, me récrié-je,ce n’est pas ce que je voulais dire. Onétait tous les deux éméchés, on auraittrès bien pu coucher ensemble sans quecela soit un viol. Le truc, juste, c’est que

je ne m’en souviens plus.

Il me regarde un instant, hésitant, puisse lance :

– J’avoue une chose : je t’ai aidée àretirer ta robe, tu voulais absolumentt’en débarrasser mais tu n’étais pas enétat de trouver l’agrafe et tu tiraisdessus. Et je t’ai mise au lit.

Je rougis en pensant qu’il m’a quandmême vue seins nus et en culotte.

– Mais je ne t’ai pas touchée Grace,reprend Caleb. Et j’ai passé la nuit surle canapé du salon. Quand je parlais de« profiter de toi », je faisais allusion au

mariage. Crois-moi, Grace, si nousavions couché ensemble, tu t’ensouviendrais.

Je le regarde, interloquée. Je ne saispas s’il plaisante ou s’il est vraimentaussi sûr de lui et de ses qualitésd’amant.

Il approche un peu plus son visage dumien, et j’ai comme une bouffée dechaleur.

– Tu sais, Grace, si nous devionscoucher ensemble, j’aimerais que tu soisen pleine possession de tes moyens. Jene voudrais pas penser que tessensations soient le fruit d’autre chose

que mes caresses ou mes baisers.

J’ai la bouche sèche. Et une terribleenvie de jouer avec le feu.

– Ah bon… Et tu es certain quej’apprécierais ? dis-je ne prenant un airinnocent.

Il me regarde, pensif, avant deremettre une mèche de mes cheveuxderrière mon oreille, un attouchementfurtif qui m’embrase.

– Oh oui, Grace, dit-il lentement, jepense que tu aimerais, autant que moid’ailleurs.

– Alors, qu’est-ce qui nous empêche

de vérifier ? dis-je d’un ton provocant.

Il se rejette légèrement en arrière, etme fixe intensément.

– Grace… C’est ce que tu veux ?

Qu’est-ce qui m’a pris de dire ça ? !

J’ai dit ça sans réfléchir et je ne saispas comment faire marche arrière.

– Pas si tu n’en as pas envie, dis-je,les joues en feu.

– J’en crève d’envie, répond-il avecun sourire carnassier. Mais je ne saispas si c’est une très bonne idée. Je terappelle que nous sommes là pour

annuler notre mariage. Pas pour leconsommer.

– Je, oui… tu as raison… jeplaisantais, dis-je en essayant de merelever, mais il me retient par lespoignets.

– Crois-moi, Grace, ce n’est pas queje n’ai pas envie de toi, bien aucontraire. Tu m’as plu tout de suite,même dans l’ascenseur avec ta roberidiculement sexy. Tu avais un airgodiche attendrissant, on voyait que tun’avais pas l’habitude de porter ce genrede tenue. Et quand tu es venue metrouver au bar… j’étais vraiment contentde te retrouver, je pensais à toi, à tonapparition fracassante devant les portes

de cet ascenseur.– C’est vrai ? demandé-je, émue.– Oui, c’est vrai. Mais maintenant, je

me sens mal après ce que j’ai fait hier,de t’avoir entraînée dans cette histoire.Ça me semblait une plaisanterieinnocente, je voulais ma victoire surDavid et je n’ai pas pensé à ce que tuallais ressentir, toi.

Je le regarde, attendrie.

– Caleb, je te pardonne. Ce n’est pasgrave. On n’est pas mariés pour la vie,non ? On signe ces papiers, et on estlibres comme l’air, comme si rien nes’était jamais passé. Je ne t’en veux pas,je t’assure, lui dis-je en caressant sa

joue.

Il me sourit avec reconnaissance.

– Alors…, commence-t-il. Puisque tune m’en veux pas… Peut-être que l’onpeut profiter de cette soirée comme deuxcélibataires qui viennent de serencontrer, qui se sont plu, sans que çaprête à conséquence ?

Je suis maintenant amusée et troublée,je lui lance :

– Il n’y a pas une sorte de dicton quidit : « ce qui se passe à Las Vegas resteà Las Vegas » ?

– Absolument.

– Alors appliquons-le. Nousn’aurions pas dû nous rencontrer, nousn’avons rien en commun, mais ce soirnous sommes tous les deux dans cettesuite, et nous sommes bien ensemble.Enfin, je crois, non ? demandé-jetimidement.

Caleb ne dit rien mais son regardbrûlant répond à sa place.

– À quoi pensais-tu, quand tu parlaisde « profiter de cette soirée comme deuxcélibataires qui viennent de serencontrer » ? dis-je, mutine.

Caleb sourit et blottit sa tête dansmon cou. Ses lèvres effleurent ma peau,

juste sous l’oreille, et un frisson meparcourt l’échine. Il est toujours àgenoux devant mon fauteuil. Je pose lesmains sur son épaule. C’est tout ce quemon audace me permet, pour l’instant.

Je laisse Caleb prendre l’initiative.Ses lèvres remontent le long de ma joue,effleurent ma bouche, qui s’entrouvre.Ses bras se referment sur moi, puissants,je sens sa peau fiévreuse à travers le fincoton de sa chemise, et il me donne leplus doux et le plus intense des baisers.

Je me sens totalement fondre, envahiepar une vague de bien-être incroyable.Je ne m’appartiens plus, je suisincapable de réfléchir, je n’ai qu’une

seule chose en tête : que ce momentdure, dure…

Caleb recule un instant pour mieuxregarder, je ne sais ce qu’il lit dans mesyeux mais il revient m’embrasser avecfougue, nos langues se cherchent, setrouvent, et s’emmêlent. Je suis toute àlui, j’ai envie d’être à lui.

Ce baiser a fait basculer la dernièrebarrière entre nous. Je m’accroche à soncou ; ses mains s’égarent sous mon tee-shirt tandis que ses lèvres sont soudéesaux miennes. À bout de souffle, on finitde s’éloigner l’un de l’autre. Je voisdans ses yeux la fièvre qui a gagné soncorps, et le mien.

– Et si on allait dans la chambre ?propose-t-il d’une voix basse et pleinede désir.

Mon corps ne veut pas autre chose, etma tête est aux abonnés absents : j’ail’impression de sauter dans le vide,main dans la main avec un inconnu.

J’acquiesce d’un sourire un peutremblant et d’un signe de tête.

Alors, il se redresse, m’emportantdans le même mouvement. Je noue mesjambes autour de sa taille et pose la têtesur son épaule, tandis qu’il m’emmènevers le lit.

La chambre est plongée dans unesemi-pénombre : les rideaux sont tirés etelle est seulement éclairée de deuxveilleuses Art déco. Au milieu de lapièce trône l’immense lit king size oùj’ai passé la nuit. Caleb me déposedélicatement sur le couvre-lit immaculé.Il détache doucement mes mains de soncou et les porte l’une après l’autre à seslèvres. J’ai les yeux rivés sur Caleb, quime regarde avec intensité.

Il est debout devant moi, les cheveuxdécoiffés, la cravate de travers. Ilentreprend de la retirer et dedéboutonner sa chemise. Il fait chaquechose avec lenteur, ne me quittant pas duregard, comme s’il s’attendait que je

l’interrompe. Il a sans doute peur que jene change d’avis. Mais je n’en ai aucuneenvie.

Mon bas-ventre s’enflamme tandisque je regarde son torse désormaisdénudé, glabre, ses épaules plus carréesque ne le laissaient deviner ses completssur mesure. Pieds nus, il se tientimmobile sur l’épaisse moquette beige,comme s’il attendait un signal de mapart. D’un geste, je l’invite à merejoindre. Il se penche vers moi, soulèvedélicatement mon tee-shirt et pose unbaiser sur mon ventre. C’est comme unebrûlure, qui se propage à tout moncorps. Ses lèvres remontent, laissant unsillon ardent jusqu’à l’orée de mon

soutien-gorge. Je vois qu’il hésite.

Mais moi, je n’en peux plusd’attendre.

Je suis tellement impatiente que d’ungeste rapide, je fais basculer mon hautpar-dessus ma tête et dégrafe mon sous-vêtement. Avidement, Caleb pose sesmains sur mes seins, me baise les lèvresavant de poser sa bouche sur mespointes en feu. Je me laisse envahir parun plaisir lancinant qui se propage danstout mon corps. Je perds mes mains dansses cheveux, pressant sa tête contre mapoitrine. Au bout de quelques instants dece délice, je le sens glisser plus bas,vers mon nombril et puis… encore plus

bas. Ses mains se posent sur la fermeturede mon pantalon. Caleb me lance unregard interrogateur, et j’acquiesce enme mordant les lèvres.

J’ai le cœur qui bat tandis qu’il défaitla fermeture et fait glisser le pantalonserré le long de mes hanches, et seredresse pour le retirer tout à fait. Il medébarrasse aussi de mes baskets et demes chaussettes. Je suis presque nue, lesjoues brûlantes d’émotion. Sansattendre, il revient me saisir par lataille, et pose sa bouche sur mon sexe,l’embrassant à travers ma culotte.Merveilleuse brûlure… Il glisse undoigt sous le fin tissu, vient effleurermon sillon. Je suis au supplice. Mais

quel supplice…

Caleb fait enfin glisser ma culotte etje me retrouve allongée face à lui ettotalement nue. Je soutiens son regardfiévreux qui parcourt mon corps commeune caresse, même si je ressens encoreun reste d’embarras.

– Que tu es belle, Grace. Tu as uncorps parfait, si délicat…, me dit Calebà voix basse, sans me quitter des yeux.

Je rougis sous le compliment. Dansun coin de ma tête, je suis spectatrice dece qui se passe, et je n’en reviens pasd’être sur le point de faire l’amour avecun quasi étranger… même si c’est mon

mari. Mais cette petite voix dans ma têtequi me dit « attention danger » estrecouverte par l’immense désir quej’éprouve pour l’homme qui se tientdevant moi.

– Déshabille-toi, lui dis-je d’unevoix sourde.

Lentement, Caleb défait sa ceinture etfait tomber son pantalon et son caleçonau sol. Je ne peux m’empêcher de fixerson sexe majestueusement dressé entreses cuisses fines et musclées. Ils’éloigne comme à regret du lit pourentrer dans la salle de bains, dont ilressort bientôt, le sexe enveloppé decaoutchouc. Je lui tends les bras et il

vient enfin s’allonger sur moi.

Je savoure le poids de son corps surle mien, la chaleur et la douceur de sapeau. Je laisse mes mains le parcourir,de ses épaules à ses fesses que je sensrondes et dures… Lui me dévore debaisers jusqu’à me faire perdre la tête. Ils’arrête un instant pour me demander, lesyeux plantés dans les miens.

– Tu veux vraiment… ?– Viens, je t’en prie…

Il sourit, visiblement satisfait de voirque je le désire à ce point. Il entre sansdifficulté dans mon intimité humide dedésir. Mon corps l’accueille avec

reconnaissance, je croise mes jambessur ses reins pour le retenir tout contremoi. Caleb prend sauvagement mabouche, tandis qu’il va et vient en moi.Je m’accroche à ses épaules, m’arc-boute contre lui. Son sexe s’enfonce deplus en plus profondément en moi. Jesens déjà monter le plaisir comme unelame de fond. Ses yeux sont plongésdans les miens, comme s’il voulait s’yperdre. Nos rythmes s’accordent commesi nous étions programmés l’un pourl’autre, je sens se propager en lui lamême flamme qui me dévore et quisoudain nous submerge. Je ne peuxretenir un cri. J’ai l’impression que nousrestons suspendus un instant, accrochés

l’un à l’autre au sommet d’une vague,qui finit par décroître, lentement,laissant derrière elle un sentiment debien-être profond.

Nous restons ainsi blottis l’un contrel’autre, en sueur. Des mèches de cheveuxhumides collent à mon front, mes joues.J’entends nos respirations mêlées quipeu à peu retrouvent leur calme. Unemain posée sur mon sein, Caleb caressemon dos de l’autre. Une caressedélicieuse…

– Ça va ? me demande Caleb.– Très bien. Je crois même que je

n’ai jamais été mieux.

Je me mords aussitôt la lèvre. Jem’en veux d’avoir fait cette confidence,ça risque de lui faire peur. Je jette unœil à Caleb, qui sourit tendrement. C’estvrai que je me sens merveilleusementbien.

Je reprends lentement mes esprits. Jen’avais pas prévu une telle issue à notresoirée, mais je ne regrette rien. Jen’avais jamais eu autant envie d’unhomme de ma vie. Et cela ne relevaitpas que d’une attirance sexuelle : malgrétoutes nos différences, malgré tout ce quime hérisse chez lui, Caleb me plaît etm’intrigue, comme nul autre avant lui. Etsi je dois ne jamais le revoir, je suisheureuse d’avoir partagé ces instants

avec lui. Mon esprit vagabonde. Je melaisse aller au bien-être que je ressensdans tout mon corps, et je m’assoupistout contre lui…

***

Lorsque je me réveille, Caleb estendormi, toujours contre moi. Je tente deme dégager de ses bras mais il seréveille, et me retient avec un longbaiser :

– Où vas-tu ?– Je vais prendre une douche. Je

reviens, lui réponds-je en lui rendant sonbaiser.

Je sors du lieu de nos ébats pour filerdans la salle de bains, dont je laisse laporte ouverte, comme une invitation.C’est là que je me suis réfugiée ce matinmême, quand j’ai découvert que j’avaisépousé un inconnu. Ça me semble si loinmaintenant…

J’étais tellement paniquée, que je nel’ai pas vraiment regardée, cette salle debains. Elle est à la mesure du reste de lasuite, tout en luxe et démesure. Outre ladouche à l’italienne, elle comporte enson centre une énorme vasque de granitblanc, qui se détache sur le sol demarbre nervuré. Cette baignoire pouvantfacilement accueillir deux personnes faitface à une baie vitrée, qui est tel un

écran dans lequel scintillent toutes leslumières de la ville.

Le spectacle est trop tentant, etj’abandonne mon idée de douche. Jetourne les robinets dorés de la vasquepour en faire jaillir l’eau. Je regardeautour de moi. Dans les étagères, parmiles serviettes blanches et moelleuses etautres produits de spa, je découvre unechaîne hi-fi dernier cri. Je l’allume etune douce musique lounge se déploiedans la pièce. Je verse quelques gouttesde bain moussant, et c’est bientôt prêt.Je me glisse dans l’eau agréablementchaude, face à l’étonnant spectacle duStrip.

Quel drôle de séjour. Et quelle drôlede nuit.

Je clos à demi les yeux, laissant mesmuscles un peu meurtris par le corps-à-corps se détendre dans ces eauxbienfaisantes. Je sais que ce n’est qu’unequestion de minutes avant que Calebvienne me rejoindre. J’ai déjà faim delui, de son corps. Je n’en reviens pas demon « appétit », j’ai du mal à mereconnaître. Mais il a éveillé mes senscomme jamais.

– Je peux entrer ?

Caleb se tient nu dans l’encadrementde la porte, le seau à champagne et deux

flûtes à la main.

– J’ai pensé que tu n’avais plus rien àcraindre, maintenant, dit-il d’un tongentiment moqueur, en me tendant unverre plein. Je t’ai déjà fait subir lesderniers outrages.

Je le prends bien volontiers.

Manifestement, je n’ai pas besoind’alcool pour succomber au charme deCaleb.

– Les derniers outrages ? dis-je d’unton provocant. J’espérais que tu avaisd’autres facettes de ton talent à memontrer.

Caleb éclate de rire, et après avoirdéposé le seau au sol, entre dansl’accueillante baignoire, son verre à lamain.

– Mais rassure-toi, Grace, je n’ai pasdit mon dernier mot. C’était juste unemise en bouche. Ton délicieux corps,même s’il est présentement caché parcette mousse pudique, m’inspireterriblement.

Il dit ça d’une telle façon que je mesens toute confuse. Flattée, mais confuse.

– Tu as vu, dis-je pour changer desujet, on pourrait se croire à Paris, il y aune tour Eiffel, dis-je en montrant le

monument que l’on aperçoit par la baievitrée.

– Elle appartient à l’hôtel et casinoParis Las Vegas.

– Elle n’est pas aussi grande quel’originale, non ? J’ai du mal à jugerd’ici.

– Non, elle ne fait que la moitié.– C’est tellement kitsch Las Vegas,

dis-je en riant. Mais je crois que jecommence vraiment à apprécier.

– Ah bon, et pour quelle raison ? dit-il d’un ton plein de sous-entendus.

Il sait très bien pourquoi, mais je n’aipas envie (encore) de lui donnersatisfaction.

– Eh bien, les salles de bains sontconfortables. Et je trouve qu’on y sert untrès bon champagne, dis-je avant deporter mon verre à mes lèvres.

Caleb me fait une petite grimace pourme dire qu’il n’est pas dupe. Il est assisen face de moi, sur le petit rebord quifait le tour de la vasque. Sous les bulles,son pied vient chatouiller le mien, puisremonte lentement le long de monmollet. D’un geste que j’espère naturel,je me suis un peu redressée, de façonque les pointes de mes seins affleurent àla surface, et je vois que les yeux deCaleb sont irrésistiblement attirés verseux.

Le désir est là, il frappe de plus enplus fort à la porte et je m’enhardis. Dubout des orteils, je viens caresser lesexe de Caleb, qui durcit à ce contact. Jesurveille du coin de l’œil son visage :ses yeux se troublent de nouveau. Il estterriblement beau, ses cheveux brunshumides collés à ses tempes comme depetits serpents noirs. À son air, je voisqu’il apprécie mes caresses, maissoudain, il attrape ma cheville :

– Ça suffit comme ça, jeune fille, dit-il d’une voix rauque, avant de m’attirervers lui.

J’ai juste le temps de poser ma flûtesur le bord que je suis comme aspirée de

l’autre côté de la baignoire, où ilm’attrape à bras-le-corps et m’embrassegoulûment. Il me serre contre lui, seslèvres s’emparent de mes seins sousl’eau, ses mains s’accrochent à mesfesses et je me laisse faire. Je suis denouveau dans ses bras, et j’exulte. Calebse détache de moi brusquement et d’unmouvement vif il jaillit hors de l’eau,saute hors de la baignoire. Il me tend lamain :

– Tu viens ?– Parce que tu crois que je vais rester

seule dans cette baignoire ? dis-je enprenant sa main, ce qui le fait rire.

Caleb saisit un épais drap de bain

dans lequel il m’enveloppe et entreprendde me sécher, par de voluptueusescaresses. Ses mains s’attardent le longde mes cuisses, mes fesses, dans monentrejambe. Tout mon corps est en émoi.Soudain, il laisse tomber la serviette ets’agenouille devant moi. Je tremble, etce n’est pas de froid. Ses lèvresbrûlantes baisent mes cuisses avant dese poser sur mon sexe. Je dois m’asseoirsur le bord de la baignoire pourretrouver un peu d’équilibre. Il écartealors doucement mes jambes, et salangue fait son chemin dans ma fente. Ilcommence à laper doucement, et je croismourir de honte mais aussi de plaisir.

– Tu aimes ? demande-t-il

doucement, en relevant la tête.

Comme si ça ne se voyait pas… Jesuis à deux doigts de l’orgasme.

Mes dernières inhibitions tombent, etde moi-même j’écarte davantage lescuisses et le saisissant par les cheveux,presse sa tête contre mon sexe gonflé detension. Il le lèche, le mordille, lesuçote, et tout mon corps irradie debonheur. La musique ne couvre plus meshalètements qui s’accentuent au fur et àmesure que sa langue se fait plusinsistante et rapide. La tête renversée enarrière, je jouis comme je n’ai jamaisjoui. L’orgasme a été fort, mais je sensque mon désir n’est pas encore apaisé.

Je croise le regard de Caleb, dans lequelje lis une immense satisfaction, maisaussi un désir exacerbé.

– Je reviens tout de suite, me susurre-t-il et il s’éloigne tandis que je reprendsmon souffle.

Il est allé mettre un préservatif. Sonsexe dressé me donne une envie intensede l’avoir de nouveau en moi. Alorsqu’il s’approche, je me lève, jem’agenouille devant la baignoire, surlaquelle je prends appui des deux mains,la croupe cambrée. Il pose un baiser surmes fesses, et s’agenouille derrière moi.J’aime sentir son corps dans mon dos. Jevais me laisser prendre par un quasi

inconnu, sans le regarder dans les yeux,et cette pensée accroît mon excitation.Son sexe ganté se promène le long de mafente, chaud et dur, avant de s’introduiredans mon vagin. Il a posé une main surmon sein, l’autre sur mon clitoris qui seréveille à une rapidité qui me stupéfie.Je m’arc-boute contre lui, qui se pressede plus en plus fort et de plus en plusvite. Je tourne la tête vers Caleb et noslangues se rencontrent. Sa verge medonne un plaisir que ses mains expertesdécuplent. Je n’ai plus aucune pudeur, jeme livre à lui comme jamais, corps etâme.

– Grace…

Il murmure mon nom à l’oreille,comme une litanie sensuelle. Je sais queje ne pourrai me retenir plus longtemps.Quand ses gémissements se font plusrauques, je m’abandonne au plaisir. Puisnous roulons enlacés et comblés sur lecarrelage.

7. Ça reste à LasVegas, non ?

Mon portable sonne, m’obligeant àémerger d’un profond sommeil. J’ouvreun œil, et j’ai la curieuse impressiond’un déjà-vu. Mais cette fois, lesvapeurs de l’alcool n’obscurcissent pasmon esprit et je sais exactement où jesuis. ET AVEC QUI. Je saisis monportable et rejette l’appel aussitôt.C’était ma mère. Je jette un œil derrièremoi : Caleb est bien là, il dort encore, la

sonnerie ne l’a pas réveillé. La lumièredu jour perce un peu à travers le store, etje peux voir nos vêtements éparpillés ausol. Le dessus-de-lit a glissé sur lamoquette, le lit est un vrai chantier,résultat de nos ébats nocturnes.

Je me blottis contre Caleb, le nezcontre son torse, à humer l’odeur de sapeau.

Cette nuit a été une révélation. Jamaisje ne me suis sentie plus femme, jamaisje n’ai désiré un homme à ce point, niressenti autant de plaisir. Certes, je n’aipas énormément d’expérience, maisfaire l’amour avec Caleb a bouleversétous mes repères, tous mes a priori. Je

n’ai jamais été portée sur les « coupsd’un soir », et jamais je n’aurais penséque je pouvais m’abandonner ainsi à unétranger. Mais c’était presque comme sije l’avais toujours connu, même sil’excitation de l’inconnu était là aussi,bien présente, exacerbant messensations.

Je veux savourer autant que je peuxces derniers instants d’intimité. Caleb neva pas tarder à se réveiller, et nousallons devoir remplir ces fameuxpapiers avant qu’il ne les confie à sonavocat. J’ai un petit pincement au cœuren pensant que bientôt, nous ne seronsplus mari et femme.

C’est ridicule, hein ?

Alors, entendons-nous bien : ce n’estpas que j’ai envie d’être mariée, etencore moins à quelqu’un que je connaisdepuis vingt-quatre heures, mais aprèscette folle nuit, nous allons bientôtredevenir des étrangers l’un pourl’autre, chacun repartira vers sa vie. Onse l’est bien dit : « Ce qui se passe à LasVegas reste à Las Vegas. » Mais là, mapeau contre la sienne, je me demande sic’est bien de ça que j’ai envie… Si j’aienvie de tourner la page, définitivement.

– Bonjour, toi…

Pendant que mes pensées divaguaient,

je ne me suis pas aperçue que Calebs’était réveillé.

– Bonjour.

Caleb me sourit avec tendresse. Il seredresse, pose un baiser léger sur meslèvres, et sort prestement du lit. Je restesurprise, et un peu déçue ;manifestement, l’heure des câlins estterminée.

– Mon téléphone a sonné ? dit-il ense précipitant vers la machine à café eten y injectant une capsule.

– Non, c’était le mien.

Il me sourit :

– Tu en veux un ? dit-il en memontrant une capsule de café.

– Non merci.

Il jette un œil à l’horloge.

– Je suis un peu pressé ce matin. Jevais commander le petit déjeuner. Maisj’ai besoin de ça tout de suite pour meremettre les idées en place. Choisis ceque tu veux, il y a un menu là, je vaisprendre une douche.

Et il court s’enfermer dans la salle debains.

C’est sûr, c’est beaucoup moinsromantique et sensuel qu’hier soir. Ça

ne doit pas être facile d’être l’épouse(la vraie) d’un grand avocat, il ne doitpas être très disponible… Mieux vautêtre l’aventure d’un soir, avant que lamagie ne s’évapore…

Je me sens seule tout à coup dans celit immense. Je plonge la tête dans lesdraps, j’enfouis mon nez dans sonoreiller, à la recherche des dernières« miettes » de son parfum.

Ce soir, je repars pour New York, etcette nuit restera un beau souvenir…

J’entends mon téléphone biper.

Maman. J’ai oublié d’écouter son

message.

« Grace, c’est Maman. Tu dorsencore ? J’espère que tu ne t’ennuies pastrop toute seule. Je sais que David estresté aussi, j’imagine que vous avezpassé la soirée ensemble. Bon, enfinj’appelle pour te dire que ça va, Nikkiest venue s’installer à la maisonquelques jours, en attendant que lesmédias se calment. Appelle-moi quandtu peux. Et bon retour à New York,j’espère venir te voir bientôt. Baisers,chérie. »

J’entends la douche qui s’arrête. Jeme précipite hors du lit pour enfiler maculotte et mon tee-shirt qui gisent sur la

moquette. Aussi impudique que j’ai pul’être hier soir, je ne me sens pasd’affronter Caleb toute nue ce matin.

Lui n’a manifestement pas ceproblème. Il sort de la salle de bains,ses cheveux bruns encore dégoulinant,mais sans la moindre serviette sur lui.Mon cœur bat un peu plus fort tandis quemes yeux ne peuvent s’empêcher de fixerson torse musclé, ses longues jambes…Je revois nos étreintes nocturnes…

– Grace ?

Oups.

Je chasse bien vite mes idées

coquines et prends un air des plusinnocents même si je sais que montrouble n’a pas échappé à Caleb.

– Je ne voudrais pas te presser,reprend-il, mais si on veut avoir letemps de petit déjeuner, il fautcommander tout de suite. J’ai un rendez-vous à 10 h 30, et nous devons remplirles papiers avant. Tu veux prendre unedouche ?

– Non, je n’ai rien pour me changer,je ferai ça dans ma chambre. Tu prendsquoi, toi ?

– D’habitude, pas grand-chose, maisce matin, j’ai une faim de loup, vasavoir pourquoi, dit-il en me faisant unsourire plein de sous-entendus. Je vais

prendre des pancakes, des œufsbrouillés avec du bacon, et une saladede fruits. Et du café bien sûr.

– Je prends la même chose que toi.Mais avec du chocolat chaud.

Je me détourne pour le laissers’habiller, même si ma présence n’aabsolument pas l’air de le gêner.

Il est vrai que je l’ai vu sous toutesles coutures cette nuit…

Je ramasse mon téléphone et vaism’installer dans le salon en attendant.J’ai plusieurs messages de Théo, qui aappris (comme tout le reste des États-Unis, et même du monde) que le mariage

de Nikki est annulé. Je me contente d’unSMS :

[Je rentre ce soir, je te raconterai.]

Je sais qu’il a une séance photoaujourd’hui, ça va être difficile de lejoindre, je préfère attendre de le voir enchair et en os pour discuter de ma follenuit.

Caleb vient me rejoindre. Il a enfiléson bas de costume noir et une chemiseblanche, ses cheveux courts sont encoreun peu en bataille.

– Bien, alors, tout est là, me dit-il enme montrant le dossier d’annulation sur

la table.

D’un ton très professionnel, ilm’explique les clauses et me montre oùje dois signer. Ce que je fais, et il suitmon exemple, l’air enjoué.

– Soulagée, hein ? me demande-t-ilen souriant.

J’acquiesce, mais à vrai dire… messentiments sont un peu mélangés.Soulagée, je le suis, c’est sûr, mais enmême temps, par cette signature, j’ail’impression de mettre une croix surnotre passé, de rayer ce que l’on apartagé, Caleb et moi.

Le service d’étage vient nous livrernotre petit déjeuner, et on s’installeautour de la table.

– Ça ne t’embête pas si je mets latélé ? propose Caleb. Mon père est àLos Angeles en ce moment, il participe àune émission matinale, j’aimeraisregarder…

– Non, bien sûr, dis-je en attaquantmon pancake.

Caleb zappe un peu avant de trouverla bonne chaîne. Je découvre alors lepère de Caleb. Un type apparemmentgrand au sourire avenant, une statureimposante, la crinière déjà blanche, desyeux très bleus, mais pas le même bleu

que son fils. Les siens, derrière leslunettes aux fines montures métalliques,sont très clairs, acier, tandis que ceux deCaleb sont d’un bleu profond, presquegris.

– Il a l’air sympa, beau-papa, dis-jeavant d’avaler une gorgée de chocolat.

Caleb se retourne vers moi avec unsourire énigmatique. Il ne commente pasma plaisanterie, mais essuie d’un doigtl’écume que le chocolat a sans doutelaissé sur mes lèvres avant de le porter àsa bouche.

Il reprend l’écoute attentive del’interview, tout en grignotant un bout de

bacon. Elle va pour se terminer, quandla journaliste déclare :

– Merci beaucoup, monsieur lesénateur. J’en profite pour vous adressertoutes mes sincères félicitations pour lemariage de votre fils…

Caleb s’est figé, les yeux fixés surl’écran géant.

Je balbutie :

– Tu… tu as un frère ?

Si je me souviens bien, il m’a dithier être fils unique.

– Chut…, me lance Caleb, sans seretourner.

Je regarde l’écran. Le sénateur nesemble pas du tout surpris parl’information, son sourire s’est mêmeagrandi.

– Eh bien, je vous remercie.– Pour ceux de nos téléspectateurs

qui ne le savent pas, vous êtes le père deCaleb Montgomery, une étoile montantedu barreau de New York, qui a beaucoupfait parler de lui, notamment lors duprocès du rappeur GK. Selon nosinformations, il vient de se marier à LasVegas ; ce n’est pas très loin de LosAngeles, vous étiez au mariage ?

– Eh non malheureusement, je viensseulement d’arriver à Los Angeles, voussavez que je suis en campagne et jusqu’àhier soir, j’étais en Floride.

– Si vous n’y étiez pas, il y avaitpourtant du beau monde. D’autreshommes politiques très célèbres…, ditla journaliste, avec l’air de quelqu’unqui va jouer un mauvais tour.

Et sur l’écran s’affiche alors unephoto de Caleb et de moi, à peinehabillée de cette fichue robe noire etmaquillée comme une voiture volée,entourés d’un sosie de Barack Obama etun autre de Bill Clinton. On distingue enarrière-plan un Michael Jacksonpapotant avec un Elvis Presley.

Je manque m’étrangler. Le sénateuréclate de rire.

– Oui, Caleb a toujours eu un grandsens de l’humour. Je trouve qu’ils ontparfaitement choisi leurs témoins, pasvous Samantha ? répond le sénateur quidécidément, ne se laisse pas démonter.Ce sont deux grands présidents, ajoute-t-il en éclatant d’un bon rire.

J’ose à peine regarder Caleb, qui estdéfait et a toujours les yeux rivés auposte.

– Ce n’est donc pas une surprise pourvous, ce mariage nocturne à Sin City ?reprend la langue de vipère, en prenant

un air innocent.– Absolument pas. Caleb adore

Grace, une fille tout à fait charmante etdélicieuse, comme vous pouvez leconstater, dit-il en montrant l’écranderrière lui où s’affiche la photo.

Je suis absolument morte de honte.

L’Amérique est en train de découvrirmon existence, et j’ai l’air d’une dragqueen.

– … Caleb nous avait prévenus qu’ilsne voulaient pas d’un grand mariage,continue le sénateur. Il craignait lebattage médiatique, avec macampagne… Lui et sa fiancée tenaient à

une petite cérémonie discrète, sanspersonne. Mais avec les téléphonesportables, Twitter, Facebook… et vousma chère Samantha, dit-il en riant à lajournaliste, qui glousse comme unepintade en secouant son brushing.Désolé, fils, reprend-il en se tournantvers la caméra, comme s’il s’adressait àCaleb. Encore tous mes vœux à toi et àGrace, je vous embrasse, et on se voitvite.

Caleb et moi restons quelquesinstants immobiles, à regarder défiler legénérique de l’émission. Puis Calebbondit hors de son siège.

– Mais je ne comprends pas

comment… Merde, j’avais éteint montéléphone ! éructe-t-il avant de courirdans la chambre.

Il en revient, son téléphone collé àl’oreille :

– Putain, j’ai vingt-deux messages.

Je le regarde les écouter l’un aprèsl’autre, l’air très concentré. Je restedésemparée devant mon assiette d’œufsbrouillés refroidis. Je ne comprends rienà ce qui se passe.

Caleb a fini d’écouter sa messagerie.Il me regarde fixement, sans bouger.

– Caleb, tu peux m’expliquer ce quivient de se passer ? Comment ton pèreconnaît-il mon nom ? Pourquoi on s’estretrouvés à la télé ?

– Quelqu’un a fait fuiter des photosdu mariage, dit-il, l’air grave. Mon pèreest quelqu’un d’important, je te rappellequ’il est un candidat potentiel à laprésidence. Pour l’instant, il se bat pourobtenir l’investiture de son parti. Il adonc plus d’un rival, pour ne pas dire« ennemi ». Je suppose que l’un d’entreeux a eu vent de ce mariage ridicule ets’est dit qu’il pouvait en profiter d’unemanière ou d’une autre.

Il s’emporte soudain :

– Être le père d’un abrutiinconséquent qui épouse une inconnuepeu vêtue après une nuit alcoolisée à LasVegas, c’est sûr que ça ne fait pas lemeilleur effet lorsqu’on prétendgouverner la première puissancemondiale.

J’ai pris le « mariage ridicule » enpleine figure, comme une baffe.

– En tout cas, ton père a gardé sonsang-froid… On aurait dit qu’il savait.

– Il savait, depuis hier soir. Il m’atéléphoné plusieurs fois mais… jel’avais éteint, dit-il en faisant un gestede rage avec son téléphone.

Je me souviens qu’hier soir, quand jesuis arrivée, Caleb a appelé la réceptionpour demander à n’être dérangé sousaucun prétexte. Ça m’avait paru uneexcellente idée, à l’époque…

– Noah, son directeur de campagne, aeu vent de la rumeur, explique Caleb,puis s’est procuré les photos et leregistre des mariages, avec ton nom. Il adû briefer mon père pour l’interview. Ilne pouvait pas passer pour un imbécile,celui qui n’est même pas au courant dumariage de son fils, il fallait qu’il jouela carte de la complicité. Il n’avait pasle choix.

J’essaie d’assimiler les informations,

mais je suis encore perturbée par ce queje viens de voir.

Après un instant de réflexion, jelance, d’une voix hésitante :

– Mais qu’est-ce qu’il va dire alors,quand les gens sauront pourl’annulation ?

Caleb s’approche et, prenant appuisur la table, se penche vers moi. Il a unregard dur que je ne lui connais pas, quime tétanise. C’est alors qu’il déclare,très froidement, en détachant bienchaque syllabe :

– Mais il n’est plus question

d’annulation, Grace. Nous devons restermariés.

8. La gueule de bois

« Nous devons rester mariés. »

Je me répète plusieurs fois les motsque vient de prononcer Caleb avant d’encomprendre pleinement le sens.

Sérieusement ? Il veut qu’on restemariés ? Lui et moi, mari et femme,pour de vrai ? Il délire…

– Mais enfin… l’annulation…,parviens-je à balbutier en montrant lespapiers que nous venons de signer.

Caleb soupire avec exaspération,avant de commencer à m’expliquer enarticulant comme si j’étais une triplebuse :

– Grace. Mon père a toutes les cartesen main pour devenir le prochainprésident des États-Unis. C’est trèssérieux. On parle ici de l’avenir dupays. Pour l’instant, mon père est en tête,mais à cause de cette histoire ridicule, ilrisque de perdre beaucoup decrédibilité. Tu ne te rends pas compte :il a été contraint de dire qu’il teconnaissait, de nous féliciterpubliquement pour notre mariage, on nepeut pas maintenant déclarer que c’étaitune blague ou qu’on était ivres morts !

Je veux qu’il soit choisi comme candidatdu parti. Non pas parce que c’est monpère, mais parce que c’est un hommebien, avec de grandes idées, et qu’il estpour moi le meilleur candidat àl’intérieur de son parti. Et qu’il seraensuite le meilleur candidat à laprésidence. Je pense de tout mon cœurqu’il sera un atout pour le pays, c’est àl’avenir de millions de personnes que jepense, Grace. Alors si pour ça, je doisrester marié avec une fille que j’airéussi à épouser en cinq minutes parcequ’elle était bourrée…

Je me lève de table, le rouge auxjoues, faisant valdinguer les restes desœufs brouillés.

– Dis donc, si tu t’en prenais à toi-même ?dis-je, vexée et en colère. Tun’avais qu’à pas accepter ce gagestupide ! Personne ne t’a obligé àm’épouser ! Mais non, il fallait que tumontres à David que c’était toi le plusfort… c’est uniquement ta faute !

Mon éclat semble avoir soudaincalmé l’accès d’humeur de Caleb, qui seressaisit.

– Tu as parfaitement raison, Grace,dit-il avec gravité, après un instant desilence. Tout est ma faute. Je te pried’accepter mes excuses. J’ai mal agi, etje dois en payer les frais. Et je suisnavré si tu dois les payer aussi.

Il me prend par la main et m’emmènevers le canapé.

– Assieds-toi, je t’en prie, me dit-ild’une voix soudain neutre. Nous devonsdiscuter sérieusement.

Je le regarde, soupçonneuse.

Qu’est-ce qu’il mijote ?

Le Caleb que j’ai devant les yeux n’arien à voir avec l’amant ardent de cettenuit, ni avec l’homme léger et drôleauprès duquel je me suis enivrée lapremière nuit, et à côté duquel je me suisréveillée ce matin.

Je crois que je suis sur le point derencontrer Caleb Montgomery, l’avocatredoutable, prêt à tout pour arriver à sesfins.

– Grace, je le reconnais, j’ai fait unestupide erreur, j’ai profité de tavulnérabilité pour t’épouser, tout ça pourflatter mon ego, dit-il. Mais à madécharge, j’ai pensé que ce serait uneblague innocente, que personne n’enpâtirait puisque ce serait effacé lelendemain. Mais voilà, j’ai fait une autreerreur, j’ai oublié de qui j’étais le fils.Mon père est candidat à un poste trèsconvoité, chacun de ses faits et gestesest surveillé par ses rivaux qui profitentde la moindre faille. Et notamment celui

qui est aussi bien placé dans la course àl’investiture, le gouverneur de Floride,Charles Lewis. Un sale type, quij’espère ne sera jamais désignécandidat, précise-t-il en faisant lagrimace. Mon père n’a pas le droit aumoindre faux pas, et malheureusement,dans ce monde surmédiatisé, ses proches– et notamment moi, son fils unique –non plus. Je pensais qu’ici à Las Vegas,je n’avais pas à être sur mes gardes, jeme suis lourdement trompé. J’ai pourtantété élevé dans le milieu de la politique,j’aurais dû prendre conscience avant deséventuelles conséquences de mes actes,ajoute-t-il avec un soupir.

Il passe la main sur son front et

reprend :

– Aujourd’hui, je suis face à mesresponsabilités. Je vais dire à mon pèreque je t’ai épousée par amour ; si jamaisil apprend que ce mariage est une farce,il voudra que je l’annule, sans penseraux conséquences pour lui. Et il seraridiculisé, après ce qu’il a dit à la télé.Si je ne veux pas saboter la carrière demon père, ce pour quoi il a fait tant desacrifices, je dois rester marié, même sije n’en ai aucune envie.

Je me relève, comme piquée par uneguêpe :

– TU n’en as aucune envie ? TU dois

rester marié ? Mais si TU dois restermarié, JE le dois aussi, ça t’a effleuré,ça ? Et sache que moi non plus, je n’enai aucune envie ! Non seulement, jen’avais pas du tout le projet de memarier, mais en aucun cas je n’auraischoisi quelqu’un comme toi, arrogant etégoïste !

Le visage de Caleb se durcit et jevois qu’il fait des efforts pour ne pasperdre son calme. Il se lève à son tour.

– Grace, j’ai été maladroit, dit-il ens’efforçant de ne pas hausser le ton. Jeme rends parfaitement compte de ce quecela implique pour toi et je ne pourraijamais m’excuser assez. Mais je te

demande, s’il te plaît, de comprendre lasituation. Je te demande juste de m’aiderà sauver les apparences. Nous resteronsmariés seulement jusqu’à la conventiondu parti, pendant laquelle aura lieul’investiture.

– Ah c’est tout…, dis-je avec unsourire ironique. Et ce sera quand ?

– En juillet.– En juillet ? Mais tu es fou ! Nous

sommes en mars. On ne va pas jouer aucouple pendant tout ce temps !

– Mais nous ne serons pas obligésd’être tout le temps ensemble, dit-il d’unair suppliant. Je te demande seulementd’être avec moi pour les sortiesofficielles, de te montrer à quelques

occasions. On verra lesquelles, ons’arrangera… Nous pourrons ensuitedivorcer.

Il fait une pause avant d’ajouter :

– Je t’indemniserai bien sûr pour tousles inconvénients. Je prépareimmédiatement un contrat qui stipule toutça. Crois-moi, je serai généreux. Tuauras largement de quoi financer tonsafari-photo. Tu pourras même leprolonger d’un an !

Je le regarde, suffoquée par sonoutrecuidance.

Dire que j’ai couché avec ce type !

– Je n’en ai rien à foutre de tonargent, m’emporté-je. Si tu crois que tupeux tout acheter, tu te trompes. Je n’aipas accepté l’argent de mes parents, jene vais pas accepter le tien. Je neresterai pas mariée avec toi, je ne meprêterai pas à cette mascarade, un pointc’est tout. Je suis désolée pour ton père,mais je n’ai aucune envie de passerdavantage de temps avec son fils.

Mue par une idée soudaine, je metourne vers la table sur laquelle est restéle dossier d’annulation. Je fais un paspour m’en saisir mais Caleb a été plusprompt que moi et il s’en empare avantque je puisse le faire. Il le met derrièreson dos, pour le tenir hors de ma portée.

Son geste me rend folle de rage.

– Tu es vraiment un sale type, hurlé-je. Dire que je te trouvais… si…

Les mots me manquent.

Je ne vais quand même pas lui diremaintenant que je craquais pour lui !

– Grace, je t’en prie…, commence-t-il d’un ton conciliant, mais je m’emporteencore plus.

– Tu peux garder tes putains depapiers, je me débrouillerai seule. Jeferai tout pour faire annuler, ou pourdivorcer si ça se révèle nécessaire, tu nepeux pas me contraindre à faire ce dont

je n’ai pas envie. Je ne te dois rien, tu nem’es rien ! Si un jour, j’épousequelqu’un pour de vrai, crois-moi, cesera un mariage d’amour. Or toi, je tedéteste ! dis-je en repoussant la mainqu’il me tend.

Caleb me lance un regard dur etlâche, goguenard :

– Si tu veux faire un mariaged’amour, un conseil, arrête de boire, melance-t-il, sarcastique.

Je le regarde, les larmes aux yeux,blessée par l’attaque, et je le vois semordre la lèvre, comme s’il regrettaitses paroles.

Je fais volte-face et cours dans lachambre pour mettre mon jean et enfilermes baskets. Caleb m’a suivie et tentede m’amadouer :

– Grace, pardon, c’était uneplaisanterie idiote.

Je fais comme si je ne l’entendais paset je cours vers la porte. Il me suit, medépasse et m’attrape par les poignets,me forçant à m’immobiliser :

– Grace, je t’en prie, ne fais pasl’enfant, me dit-il en me regardantfixement. Je comprends, tu dois digérertout ça. Je te demande de prendrequelques heures pour réfléchir. Ta

décision aura des répercussions qui tedépassent. C’est l’avenir d’un pays quiest en jeu plus que la carrière de monpère. Je te promets que ce mariage auraun impact minime sur ta vie de tous lesjours. Et je te dédommagerai comme ilse doit. Pense à tout ça, et je terecontacte en fin d’après-midi, OK ?

D’un coup sec, je libère mes poignetset sors de la chambre sans me retourner.

Si seulement il n’avait pas reparléd’argent, j’aurais peut-être cédé…

***

– Mais enfin, Grace, calme-toi…

Je regarde David, courroucée. Aprèsavoir piqué une crise toute seule dansma chambre, j’ai téléphoné à David,pour lui demander de convaincre Caleb.Pendant qu’il s’exécutait, j’ai pris unedouche pour me calmer, puis je suisallée rejoindre David dans sa chambre.

Il est assis sur le lit, me regardantd’un air embarrassé tandis que je faisles cent pas.

– Me calmer ? dis-je, furieuse. Facileà dire pour toi ! Mais comment veux-tuque je me calme ? Je me retrouve mariéeà un type que je ne connais même pas, etpar ta faute, je te rappelle. Tu lui asparlé ?

– Non, je n’ai pas réussi à le joindre,me dit David avec une mine dépitée.

C’est vrai, Caleb m’a dit qu’il avaitdes rendez-vous de travail importantsce matin…

– Écoute, vraiment, je suis désolé, medit David, je ne pensais pas que tu teretrouverais dans cette situation.Sinon…, dit-il, l’air contrit, avant des’interrompre.

Je le regarde, exaspérée.

– Franchement, je ne voyais pas lemal à ce pari, reprend-il, en passant unemain lasse dans son épaisse chevelure

blonde. Pour tout te dire, je n’ai paspensé un instant que Caleb réussirait. Tuas toujours été allergique au mariage !Qui aurait cru que quelques verres dansle nez t’auraient fait changer d’avis ?C’est à se demander…, commence-t-ilavant de s’interrompre, l’air gêné.

J’arrête aussi sec de labourer lamoquette.

– C’est à se demander QUOI ? dis-jeen le défiant du regard. Qu’est-ce que tuveux insinuer ?

– Je ne sais pas… Mais quand mêmec’est bizarre, dit-il de plus en plusembarrassé. Je crois que t’as quandmême craqué pour lui, pour sauter le pas

comme ça, finit-il par lâcher.

Je suis exaspérée par cette remarque.Je me jette sur ma veste et mon sac et merue vers la porte, sans écouter lesexcuses et les explications de David.

***

J’ai essayé d’aller marcher dans lesrues de Las Vegas pour me calmer, maisla vue des touristes en short courant d’uncasino à l’autre et de tous ces décors decarton-pâte n’a fait que me déprimerdavantage. Ni Maman ni personned’autre ne m’a encore appelée au sujetde mon « mariage », et je suis soulagée.Ma mère ne regarde pas la télé, ne

s’intéresse guère à la politique, etapparemment, la nouvelle de cette unionavec Caleb ne fait pas la une desjournaux. Il faut dire que Caleb, même sison père risque de devenir président desÉtats-Unis, est bien moins célèbre queNikki. Pour l’instant, c’est son mariageraté et le scandale qui l’entoure quioccupent une grande partie des espritsaméricains.

J’ai fini par trouver refuge sur laterrasse du bar en bord de piscine del’hôtel, où je regarde d’un œil distraitles rares clients qui ont le courage de sebaigner. J’ai testé du bout de l’orteil, sile soleil est bien présent, l’eau estencore fraîche à cette époque de l’année.

De toute façon, je n’ai pas apporté demaillot, et qui plus est je ne suis pasd’humeur à faire trempette.

J’ai fini par réaliser que j’avais faim,et je me suis fait servir un burger.

Manger calme mon estomac, mais pasma colère. Je n’en reviens pas d’êtreembarquée dans une histoire pareille,tout ça à cause de David ! OK, jen’aurais pas dû boire autant. Je veuxbien prendre ma part de responsabilité,mais Caleb a quand même abusé de monétat de faiblesse. Et maintenant, il veutm’obliger à rester mariée avec lui ?Pourtant, hier soir, il était si tendre, sigentil… et si bon amant.

Le souvenir de nos ébats me revienttout à coup, et je me sens rougir. Cettenuit était magique. Dire que ce matin,j’avais un pincement au cœur à l’idée dene plus le revoir.

Mais de là à accepter de restermariée avec lui, faut pas exagérer ! Enplus, il me propose de l’argent, comme,comme si j’étais… une pute ! Ce qu’ilne sait pas, c’est que plus on cherche àme contraindre, plus je me cabre.

– Mademoiselle Grace Peters ?

Je lève la tête de mon plat etdécouvre un homme d’une éléganceextrême, les cheveux noirs piqués de fils

argent plaqués en arrière, qui meregarde en souriant aimablement.

– Oui ? dis-je en fronçant lessourcils.

Comment ce type que je n’ai jamaisvu de ma vie peut-il connaître monnom ?

– Vous permettez que je m’asseye ?demande-t-il avant de joindre le geste àla parole, sans attendre ma réponse. J’aià vous parler de choses d’une extrêmeimportance.

Je le regarde, confuse. Dans lebrouillard, je crois entrevoir une piste.

– Vous êtes l’ex-futur beau-père deNikki ?

Cette fois, c’est à lui de me regarder,intrigué.

– Vous n’êtes pas le propriétaire del’hôtel ? insisté-je.

– Non, mademoiselle Peters, merépond l’homme avec un sourire encoreplus large, permettez-moi de meprésenter : je suis Noah Grumberg,directeur de campagne du sénateurMontgomery.

Oh mon Dieu !

J’en laisse tomber ma fourchette, que

Noah Grumberg s’empresse deramasser. Il hèle une serveuse quipassait et lui demande avec l’autorité dequelqu’un qui a l’habitude de se faireobéir que le couvert soit remplacé, cequi est aussitôt fait. Saisie, je n’ai pasbougé, et je continue de le fixer avec desyeux ronds.

– Je suis désolé de vous tomberdessus comme cela, sans préavis,s’excuse l’homme. Mais vouscomprenez que j’agis dans l’urgence.

– Comment m’avez-vous trouvée ?dis-je d’un ton méfiant. C’est Caleb quivous envoie ?

– Caleb Montgomery n’est pas aucourant de ma démarche, je suis ici de

ma propre initiative, dit-il d’un tonléger. Trouver votre lieu de résidence aété facile, et pour vous localiser, j’aisimplement demandé à la réception devotre hôtel, où l’on m’a confirmé quevous étiez toujours dans l’établissement,mais pas dans votre chambre. J’ai fait unpetit tour des espaces communs, et…voilà, ajoute-t-il avec un sourire. Je n’aipas eu beaucoup de mal à vousreconnaître, bien que vous soyez un peuplus vêtue aujourd’hui que sur la photopar laquelle j’ai appris votre existence,mais cela vous va bien aussi, lance-t-ilavec un air goguenard.

Mais il se fout de moi ! C’est qui cetype ?

– Vous voulez quoi, monsieurGrumberg, exactement ? dis-je, irritéepar ses sarcasmes.

– Je voulais savoir si vous aviezl’intention de rester mariée…

– En quoi ça vous regarde ? dis-je,outrée par son indiscrétion.

Il plisse les yeux et sourit,manifestement amusé :

– Mademoiselle, ou plutôt madame,vous êtes entrée dans la familleMontgomery, sachez que tout ce qui vousconcerne me regarde désormais.

Je suis suffoquée :

– Mais je ne fais pas partie de cettefamille, c’était une farce, ce mariage !J’étais ivre. Et Caleb avait fait un pari.

–C’est bien ce que je pensais, dit-ilavec une petite moue, c’est pourquoi jesuis ici. Le problème est que la licenceest bien réelle, j’ai vérifié.

– Il était prévu que l’on annule dès lelendemain.

– Vous l’avez fait ? dit-il l’airsoudain inquiet.

– On n’a pas eu le temps hier, dis-jeen essayant de cacher ma gêne.

Hier, on était trop occupés àbatifoler !

– Mais j’ai bien l’intention de

demander l’annulation, dis-je d’un tonferme.

– Caleb est d’accord ?– Euh… Non, avoué-je à contrecœur.

Il refuse de déposer le dossier qu’onavait préparé.

– C’est bien ce que je pensais aussi,dit Grumberg d’un air satisfait. Il connaîtles enjeux.

– Mais il ne peut pas me contraindreà rester mariée avec lui, réponds-jefermement.

– Mais moi, si, lance placidementmon interlocuteur.

Je le regarde, sidérée.

– Quoi ? Qu’est-ce que vous dites ?

Il jette un regard autour de lui et medit, sans se départir de son sourire :

– Je vous demanderai de baisser d’unton. Je pense qu’il vaut mieux ne pasattirer l’attention des voisins.

Quel culot !

Il se penche vers moi.

– Écoutez, Grace, l’heure est grave.Le sénateur est en tête de course pourl’investiture. Le moindre scandalepourrait le stopper net. Je le regrettepour vous, le timing était mauvais. S’iln’y avait pas eu cette fichue interview, etcette fuite malencontreuse, vous auriez

pu effacer cette péripétie de votre vie enun coup de stylo. Mais vous comprenezqu’il est difficile maintenant pour lesénateur de faire machine arrière.

– Le sénateur, le sénateur… Maisqu’est-ce que vous avez tous avec lui !Et moi alors ? Vous avez pensé à moi ?Je ne compte pas ?

Grumberg reste muet, me regardantavec un sourire poli, sans même prendrela peine de nier. Puis il se recule un peusur son siège et lance, en plissant lesyeux :

– Vous l’aimez beaucoup votre amiThéo, non ?

Théo ? Mais qu’est-ce qu’il vientfaire là-dedans ?

Je le regarde, bouche bée.

– Mais… je…– Vous savez qu’il n’a pas de permis

de travail, votre ami français ? Etpourtant, il vient de réaliser une série dephotos pour un magazine de mode, sur lesol américain. Ce n’est pas très avisé ça,n’est-ce pas ? Du travail illégal. Je n’aiqu’un mot à dire, et il sera arrêté,interrogé, et expulsé du territoire. Etinterdit de séjour pour quelques années.Voire à vie.

Théo ! Il est venu aux États-Unis sans

visa, pour trois mois. Il voulaitdécouvrir le milieu de la mode new-yorkais, se faire des relations. Ilcomptait repartir bientôt en France et delà-bas faire une demande de visa detravail. Quand ce magazine lui a proposéune série, il n’a pas voulu refuser unetelle occasion. Il pensait ne pas se faireprendre. C’est réussi !

Je me rejette en arrière sur ma chaise,accablée.

– Mais comment savez-vous tout ça ?– Ma chère Grace, en épousant

Caleb, vous avez mis un pied dans lemonde de la politique. Votre beau-pèreest un homme puissant, JE suis un

homme puissant, dit-il avec une petitemoue comme si c’était indépendant de savolonté. Dès que l’information sur votremariage a fuité, j’ai mis en branle monréseau pour en savoir plus sur lanouvelle Montgomery. J’ai des relationset de l’influence, c’est même maprincipale qualité.

Je suis agacée par son ton suffisant :

– Et sans doute la seule, lui lancé-jesur un ton sarcastique. Vous êtes unepourriture : vous vous rendez compteque vous me faites chanter ?

Il prend un air triste (totalement toc)et soupire :

– Hélas ! Mais je n’ai pas le choix,Grace. Je dois penser avant tout à moncandidat. Vous êtes un peu énervée, maisvous verrez bientôt les bons côtés denotre arrangement. Il n’est pas si simpled’obtenir un visa de travail chez nous. Sivous acceptez notre accord, votre amifrançais obtiendra une Green Card derésident permanent.

Je me prends la tête entre les mains.

Je n’ai pas le choix. Théo ne peutpas être arrêté et expulsé des États-Unis par ma faute.

Je me redresse sur mon siège etregarde Noah Grumberg, qui me

dévisage sans laisser percevoir lamoindre inquiétude. Manifestement, iln’a aucun doute sur ma décision. Je luimettrais bien ma main sur la figure, neserait-ce que pour effacer ce souriremielleux qu’il semble arborer enpermanence.

– Très bien. J’accepte, dis-je avec unsoupir.

– Merci Grace, dit-il avec un sourireencore plus large. Mais une dernièrechose…

Je m’emporte :

– Quoi encore ? Vous ne m’en avezpas assez demandé ?

– Je vous demande de ne rien dire denotre arrangement à qui que ce soit, dit-il avec un regard soudain très dur. Calebne doit rien savoir. Pas plus que sonpère. Je connais bien le sénateur, ilrefuserait absolument, sans se soucierdes conséquences pour sa campagne.Mais je suis payé pour veiller sur lui etses intérêts. Il doit croire à l’histoired’amour. Si vous dites un seul mot, votreami sera expulsé manu militari.

Mais dans quel guêpier je me suisfourrée ? Je n’aurais jamais, jamais dûvenir à Las Vegas…

Noah Grumberg se relève, défroissesa veste de costume cintrée, passe une

main dans ses cheveux pour ajuster sacoiffure qui n’en a pas besoin avec unsourire satisfait.

– Je dois vous laisser et retournerauprès de mon candidat à Los Angeles.Voici ma carte, dites à votre ami dem’appeler, je m’occuperai de sondossier. Je suis navré de vous quitteraussi vite, conclut-il sur un ton mondain,mais gageons que nous nous reverronstrès rapidement.

Et après s’être incliné légèrementdevant moi, il s’esquive avec la rapiditéd’un chat, me laissant désemparée,assommée, fixant sans la voir la piscinedésertée.

9. Bye bye Las Vegas

[Je sors de mon rendez-vous, suisdans ma suite. Acceptes-tu de me voir ?Il faut qu’on se parle. S’il te plaît.]

Caleb. Je reste un instant sansréaction, les yeux fixés sur son SMS.

Je suis dans la chambre que l’ex-futurbeau-père de Nikki a gracieusementlaissée à ma disposition jusqu’à mondépart, en train de boucler ma valise.Mon avion est dans quatre heures. Davida quitté Las Vegas, je n’ai pas répondu à

ses appels. Je suis encore en colèrecontre lui, et même davantage depuisque j’ai eu cet entretien avec NoahGrumberg.

Je réponds au SMS de Caleb, quej’attendais depuis une heure :

[Très bien. Où ?][Où tu veux.]

Je me mords la lèvre, essayant detrouver un lieu approprié pour cetteconversation. Pas dans un endroitpublic, mais pas dans cette chambre nonplus, qui est trop petite. On ne va pass’installer sur le lit pour discuter !

[Dans ta suite. J’arrive.]

Je respire un bon coup pour medonner du courage. Je suis folle de ragede devoir plier, de lui accorder ce qu’ilvoulait m’imposer, sans pouvoir en pluslui expliquer les raisons de ma retraite.Mais il va falloir que je donne lechange, ce n’est plus ma liberté qui estmenacée, c’est celle de Théo, et par mafaute.

Je sors de ma chambre et prendsl’ascenseur, la boule au ventre.

Caleb vient m’ouvrir la porte. Jeremarque tout de suite qu’il est différentde ce matin. Il n’y a plus rien de dur

dans son regard, et il a l’air fatigué.

– Je t’en prie, assieds-toi Grace ; tuveux boire quelque chose ?

– Non merci, dis-je d’un ton coupant,en me plantant au milieu de la pièce,dédaignant le fauteuil qu’il m’a avancé.

– Écoute Grace, dit Caleb d’une voixlente, je te demande pardon. Je n’auraisjamais dû essayer de te forcer la main.J’ai honte de moi, je regrette. Rien nejustifie mon attitude.

Il va vers une table sur laquelle sontposés deux dossiers.

Il en prend un et me le tend :

– C’est le dossier d’annulation. Tupeux le déposer si tu veux.

Je suis tellement surprise que j’enreste muette.

Toute la colère que j’avais contre luitombe instantanément. Je le trouvetouchant, sincère dans son repentir.

L’espace d’un instant, je me sensenvahie d’une grande joie : je ne me suispas trompée sur lui. C’est un type bien.

Quel soulagement de ne pas avoirpassé la nuit – et quelle nuit –, avec unsalaud !

Sans faire un geste pour prendre ledossier, je vais m’asseoir sur le canapé.

– Caleb… J’accepte de rester mariéeavec toi jusqu’à l’investiture.

Son visage s’éclaire d’un coup, il estmanifestement surpris, et soulagé.

– Grace ! Merci, vraiment merci,c’est tellement gentil, c’est même plus…c’est…

Je lui souris en retour, quand je voisson visage s’assombrir.

– Ah oui, dit-il soudain d’un tonglacial, je comprends, c’est pour

l’argent.– Mais non, balbutié-je, je t’assure…– C’est pour aider mon père, peut-

être ? C’est bien aimable de ta part, dit-il, soudain sarcastique. Tu ne le connaispas, tu ne t’intéresses pas à la politique,tu me l’as dit l’autre soir… Peut-êtreque la perspective de deveniréventuellement belle-fille d’un présidentt’a convaincue ? C’est sûr, c’est mieuxque star de téléréalité…

Quelle attaque minable !

La moutarde me monte au nez. Je nepeux révéler les raisons de ma volte-face, mais qu’il me prenne pour unearriviste, une fille vénale, qu’il me

compare à Nikki, je ne le supporte pas !

– Tu m’as demandé mon aide cematin, je te le rappelle. Mais si tu n’enveux pas…

Il me regarde d’un air soupçonneux :

– Tu ne semblais guère disposée àm’aider, ce matin.

– Ce matin, tu voulais me forcer lamain, réponds-je, excédée, en me levantdu canapé.

Il me tourne le dos, et va jusqu’à labaie vitrée.

Je ne sais que faire. J’ai envie de

l’envoyer balader, de prendre lademande d’annulation signée et de m’enaller, mais la pensée de Théo me retient.Avant que je puisse prendre unedécision, Caleb se retourne, le visage demarbre.

– Très bien Grace ; j’ai préparé lecontrat dont je t’ai parlé ce matin. Levoici, dit-il en allant prendre ledeuxième dossier sur la table.

Et revoilà l’avocat ! Il avait toutprévu. Mais vu sa tête, il espérait queje choisisse l’autre option, et il estdéçu.

Il me tend le dossier, le visage

marqué par le dédain que visiblement jelui inspire. Je me sens humiliée, mais jeprends le dossier, en m’efforçant de nepas trahir mes émotions.

– Tu peux prendre le temps de le lireavant de signer, me lance-t-il.

– C’est bien ce que j’ai l’intention defaire, lui réponds-je d’une voixcinglante.

– Ça ne m’étonne pas, répond-il surle même ton.

Je le déteste !

Par fierté, j’essaie de garder unvisage impassible, m’efforçant de ne pasmontrer que je suis blessée par le

mépris qu’il affiche. Mais j’ai les mainsqui tremblent tandis que je parcours ledocument. Je note qu’il y a une clause deconfidentialité, qui prévoit que je nedise la vérité sur notre mariage àpersonne.

Je lève un œil vers Caleb :

– Je dois mentir à ma famille ?– C’est primordial. On ne peut se

permettre aucune fuite. Tu ne peux enparler à personne, sauf à David bien sûr,puisqu’il est au courant.

Super, je vais devoir mentir à mamère, à mon père…

– Je souhaite quelques modifications,dis-je après une rapide lecture.

– Plus d’argent peut-être ? demande-t-il, un sourire narquois sur les lèvres.

– Non, dis-je sans me troubler. Jesouhaite qu’il soit stipulé qu’en dehorsdes périodes où l’on devra absolumentcohabiter, je suis autorisée à vivre dansmon lieu de résidence actuel, àBrooklyn. Je souhaite aussi conservermon job au zoo de Central Park.

– Très bien.– Et en ce qui concerne l’argent, le

contrat stipule un versement mensuel. Jepropose que la somme allouée ne mesoit pas versée avant le divorce, quiaura lieu après l’investiture de ton père

– si elle a lieu – après un délairaisonnable, ou avant s’il apparaît qu’iln’est plus dans la course pourl’investiture.

Caleb a l’air perplexe devant madernière demande, et son regard s’estmême quelque peu radouci.

– Très bien, je vais faire lesmodifications et ajouts nécessaires,finit-il par dire. Je vais m’en occuperdans l’avion. Tes bagages sont prêts ?

– Oui mon vol est à…– On rentre ensemble. Mon jet privé

décolle tout à l’heure. Je vais aller fairechercher tes affaires et nous filons àl’aéroport.

– Mais…– Grace, nous n’avons pas le choix,

dit-il sans me laisser le temps deprotester. Je ne suis pas ce qu’onappelle un « people », mais je suis lefils d’un candidat à l’investiture etcertains de mes procès m’ont donné unecertaine notoriété. L’annonce de monmariage va provoquer une curiosité desmédias, je ne peux pas me permettre dequitter seul Las Vegas ni de débarquerseul à New York. Alors, puisque tu asaccepté le deal, tu prendras cet avionavec moi. Ensuite, tu seras libre…jusqu’à ce que ta présence à mes côtéssoit de nouveau nécessaire.

Qu’est-ce que je peux répondre à ça,

hein ? J’ai accepté le deal, et me voilàMme Montgomery à temps partiel. Passûr que ce nouveau job me plaise…

***

– On descend ici.

C’est la première fois que Calebconsent à me parler depuis que son jetprivé a décollé. Avant cela, nous avonsdû attendre des heures, à cause deproblèmes de régulation du trafic et d’unviolent orage, et c’est à peine si nousavons échangé quelques mots. Calebs’est rapidement installé dans la partiebureau de l’avion, à travailler sur notrecontrat qu’il m’a fait passer pendant le

vol par l’hôtesse. Elle était aux petitssoins pour moi, et n’a manifesté aucunétonnement de voir un jeune couple faireun trajet de plus de cinq heures sansmême s’adresser la parole. Elle doitavoir l’habitude des businessmen etautres avocats obsédés par leur travail.Ce n’est pas la première fois sans doutequ’elle est payée pour divertir lescompagnes de ces puissants à coups depropositions de projections de films,magazines, macarons, cupcakes, vinsfins et autres alcools forts. J’ai toutrefusé en bloc et pour mettre fin à sesincessants témoignages de sollicitude,j’ai fini par m’endormir.

Je jette un œil à travers la vitre de la

voiture. À ma grande surprise, jeconstate que la limousine qui est venuenous chercher à l’aéroport s’est arrêtéedevant Tiffany & Co, sur la 5eAvenue.

Le chauffeur m’a ouvert la portière,et après un regard à Caleb, qui me faitun signe d’assentiment, je sors de lavoiture. Caleb me suit et m’entoure lesépaules de son bras. Je sursaute à cecontact physique. Je le fixe, surprise, etdécouvre avec stupéfaction qu’il meregarde avec un grand sourire tendre, luiqui a tout fait pour ne pas croiser mesyeux ces dernières heures.

Avant que je puisse résister, ou mêmesonger à résister, il m’entraîne vers la

grande porte du célèbre joaillier,encadrée de deux immenses bannièresétoilées volant au vent. Je ne suis jamaisentrée dans cette boutique renduemondialement célèbre par le filmBreakfast at Tiffany’s, avec AudreyHepburn. Et j’avoue que je suis un peuimpressionnée par le lieu, envahi par lafoule de curieux, dont la plupartn’achèteront sans doute rien maisrepartiront (en tout cas, en ce quiconcerne les femmes) les yeux pleinsd’étoiles. À cette heure encore matinale,ça commence déjà à se presser autourdes présentoirs de bois massifs, où sontexposées les merveilles maison.

– Monsieur Montgomery ?

Une hôtesse est venue à notrerencontre, tout sourire.

Caleb acquiesce et elle ajoute :

– Veuillez me suivre, s’il vous plaît.

Apparemment, il a pris rendez-vous,sans doute de l’avion.

Nous lui emboîtons le pas, Caleb metient toujours serrée contre lui, et nousnous retrouvons bientôt dans unascenseur. Je reste coite pendant queCaleb fait montre de politesse enversl’employée qui semble sous le charme.

C’est sûr, il peut être charmant,

quand il veut…

L’hôtesse ne nous lâche pas d’unesemelle, et je ne peux même pasdemander à Caleb ce que l’on fait ici.Point de foule à l’étage où elle nous aconduits, avant de nous mener à un salonparticulier, manifestement destiné auxVIP.

Dans ce décor luxueux, j’éprouve unsentiment de gêne : je réalise que siCaleb ne dépare pas dans son costumesur mesure gris acier, j’ai l’air d’uneado avec mon slim noir et mes baskets.Heureusement, j’ai pu me rafraîchir etme changer dans la salle de bains del’avion avant d’atterrir.

Caleb ne semble pas embarrassé lemoins du monde par ma tenue et joue lesjeunes mariés amoureux.

Nous nous sommes assis sur lecanapé capitonné blanc aux refletsmauves et comme par magie sontapparus devant nous petits gâteaux, caféet thé. Malgré l’heure, on nous proposedu champagne, mais nous refusons.

Un homme entre alors dans la pièceet vient nous saluer.

– Bonjour, monsieur Montgomery,madame… Je tiens d’abord à vousprésenter toutes mes félicitations pourvotre mariage.

– Merci beaucoup, répond Caleb ense levant pour le saluer, et j’hésite àfaire de même quand l’homme s’inclinedevant moi. Merci de nous recevoir ensi peu de temps, mais ma magnifiqueépouse et moi avons fait les choses unpeu dans le désordre, s’excuse-t-il enme regardant avec un sourireéblouissant.

Quel comédien !

– Mais c’est un honneur et un plaisirde vous recevoir dans notre maison,monsieur Montgomery. Comme vousnous l’avez demandé, j’ai fait préparerune sélection de bagues de fiançailles etd’alliances, dit-il, se retournant vers une

jeune femme qui dépose deux coffretsdevant nous.

La jeune femme ouvre les boîtes,dévoilant des rangées d’anneaux devantlesquels je reste sans voix.

Oh Mon Dieu, on est venus acheterdes alliances. On va PORTER unealliance ? ! !

Je n’avais pas envisagé ça uneseconde. Mais c’est vrai que ça semblelogique maintenant. Mais pourquoi chezTiffany ? Pour cette union de pacotille,Caleb n’avait pas besoin de se lancerdans de telles dépenses… Je supposeque c’est parce qu’il a un rang à tenir…

Je ne suis pas très portée sur lesbijoux, mais là, j’avoue que j’ai lefrisson en voyant ces créations.

Je regarde Caleb en ouvrant degrands yeux, pendant que lui continue àme dévisager avec un air amoureux. Ilme prend la main pour m’encourager :

– Mon amour, à toi de faire tonchoix…

Mon amour…

Un immense miroir au cadre doré surle mur opposé me renvoie l’image que levendeur a devant les yeux : un jeunecouple amoureux en train de choisir les

bijoux qui symboliseront leurs lienséternels.

Je suis sous le choc. Certes, dans cemiroir, la jeune mariée a l’air un peuperdue, mais on peut mettre ça sur lecompte de l’émotion. Mais le marié al’air vraiment épris et la scène est siromantique…

Je ferme les yeux un court instant,histoire de revenir à la réalité. Je doisme ressaisir.

Non, Grace, ceci est une comédie,ton mariage, c’est pour de faux ! Enfin,c’est pour de vrai, mais ça n’a riend’un mariage d’amour. Tu es ici parce

qu’on t’a fait chanter. Et ton mari, lebeau gosse là, il te déteste, car il penseque tu en veux à son argent.

Cette mise au point intérieure faite, jesuis prête à jouer moi aussi la comédie.Alors je prends un air des plus réjouis etje m’approche un peu plus des bijoux. Jeme prête à l’exercice avec beaucoup desérieux, comparant, essayant, sous leregard toujours tendre (vraiment, quelcomédien !) de Caleb, qui donne sonavis. Je finis par opter pour un énormecabochon (Je suis vénale ? Eh bientiens, fais flamber ta Gold, mon cherCaleb !) et une alliance faite de deuxlisérés incrustés de diamants enserrantplusieurs diamants sertis de tailles

différentes. Une pure merveille. Monchoix fait, je regarde Caleb avec un petitsourire dont l’ironie ne doit pas luiéchapper.

– Merveilleux choix, mon amour, medit-il en me déposant un léger baiser surla bouche.

À lui de choisir son alliance. Alorsque je pense qu’il va expédier l’affaireen deux minutes, je le vois prendre sontemps, comparer, essayer à son doigt lesanneaux avec un intérêt marqué. Commesi tout ça, c’était pour de vrai, comme sion allait passer notre vie ensemble, cesbagues au doigt.

Je le regarde, fascinée par lespectacle, tout en sirotant mon thé. Ilfinit par trancher pour un anneau avecdouble liseré assez simple mais épais,en platine également.

J’ai l’impression d’être dans unedimension parallèle. Je suis aveugléepar l’éclat à mes doigts de mes baguesvers lesquelles mon regard estirrésistiblement attiré. La séance estterminée, et après avoir laissé Calebs’occuper de l’aspect règlement, nousrepartons main dans la main versl’ascenseur, toujours accompagnés denotre affable escorte, qui nousraccompagne jusqu’à la porte.

Cette petite séance, la tendresseostensible de Caleb m’a mise d’unehumeur romantique. J’ai presque envied’y croire… Mais à peine sommes-noussortis que le regard de mon « mari »change et il me lâche la main.

– Tu pourras les garder, me lance-t-il,avant de se diriger vers la limousine quivient de reprendre sa place devant laporte.

Il m’ouvre la portière arrière. Je nesais pas comment je réussis à ne pas legifler : je serre les dents et jem’engouffre dans la voiture.

Je vois que la vitre qui nous sépare

du chauffeur est remontée, je peux parlerà ma guise :

– Je n’en ai rien à faire de tes bijoux,lui lancé-je. Ils me brûlent les doigts.Reprends-les tout de suite !

Je vais pour les retirer mais ilm’arrête d’un geste.

– Tu dois les porter, on ne saitjamais, tu ne peux pas apparaître sanssur une photo volée.

Je le regarde, mâchoires serrées,avant de lâcher un soupir excédé.

– Je les retirerai dès la fin du contrat,

concédé-je. Tu n’auras qu’à les donner àla suivante.

Il ne répond pas et descend la vitrequi nous sépare du chauffeur pour luidonner l’adresse de la maison que jepartage à Brooklyn avec Théo, celle quej’ai indiquée en remplissant le contratqui nous lie.

– Je suppose que la nouvelle del’achat de ces alliances chez Tiffany vase répandre à la vitesse grand V. Tamission pour aujourd’hui est terminée,dit-il en se tournant vers moi. Je tedépose.

– Je peux prendre le métro, merci,réponds-je, agacée.

– Non, je préfère te déposer. C’est lamoindre des choses, dit-il, catégorique.

Je n’ai pas envie de me battre sur cesujet aussi. Je me recroqueville sur uncoin de la banquette. Mon téléphonesonne plusieurs fois, mais je ne prendsaucun appel. Je sais que je vais devoirm’expliquer (et donc mentir) sur cemariage surprise auprès de tous ceuxque j’aime (et les autres), inventer unpassé, une histoire avec Caleb… et je nesuis pas encore prête.

Caleb et moi n’échangeons aucuneparole pendant le trajet. Arrivés devantla porte de la mignonne maison que jepartage avec Théo, dans une rue arborée

de Williamsburg, Caleb sort de lavoiture, devançant le chauffeur, et vientm’ouvrir la portière.

Nous restons un instant face à face,sans mot dire.

– Très jolie cettebrownstone. Un peugrande pour toi toute seule, non ? dit-il.

– Mais…, dis-je surprise, je n’y vispas seule.

Je réalise que je ne lui ai jamaisparlé de Théo.

C’est alors qu’une fenêtre de lamaison s’ouvre et que Théo apparaît, mefaisant des grands signes. Il me lance en

français :

– Grace ! Il était temps que tu rentres,chérie. Je commençais à m’inquiéter, jet’ai laissé plein de messages.

Je me retourne vers Caleb, quidévisage Théo d’un air stupéfait.

10. Ménage à trois

Après un instant de stupéfaction,Caleb se tourne vers moi, et me dit enfrançais, d’un ton aigre :

– « Chérie » ?

Je ne sais pas s’il parle français,mais en tout cas, vu sa tête, il connaît aumoins le sens de ce mot.

– C’est, hum… Théo.– Tu vis avec lui ? demande-t-il

d’une voix blanche.

Mais c’est quoi cette tête ? Il estjaloux ?

Je m’apprête à lui dire que Théon’est qu’un ami, et que nous cohabitonsseulement dans cette maison, mais jedécide tout à coup de rester floue sur lanature de notre relation.

– Oui, on habite là tous les deux. Onest venus ensemble à New York.

Manifestement, il n’apprécie pas dutout cette révélation. Et je n’irai pas ledétromper, pas tout de suite : il m’a faitassez de mal aujourd’hui, il m’améprisée, traitée comme si je meprostituais… Tant pis pour lui.

– Tu aurais pu me dire avant que tun’étais pas libre, dit-il, furieux. Si ça sesait ! Tu as encore beaucoup de choses àcacher ?

– C’est avant de m’emmener à lachapelle qu’il fallait me poser desquestions. Voilà ce qui arrive quand onépouse n’importe qui, lui lancé-je, lavoix vibrant de colère.

Sans dire un mot de plus, le visageblême, Caleb tourne les talons et rentredans la limousine qui démarre aussitôt.

Je suis là, plantée sur le trottoir,quand la porte de ma maison s’ouvre etque Théo en sort.

– Il est parti ton copain ? C’était pasle mec que t’as épousé avant de faireannuler ? Mais qu’est-ce qu’il fait là ?

Je le regarde, atterrée.

Par où commencer ?

– Rentrons Théo, j’ai des choses à teraconter.

***

– Non mais quel abruti je fais ! Jesuis désolée Grace, c’est ma faute si tute retrouves dans cette galère !

Je viens de tout raconter à Théo. Je

sais bien que j’ai une clause deconfidentialité, mais je ne vois pascomment je peux lui cacher cettehistoire, alors qu’il doit contacter Noahpour ne pas être expulsé du pays.

Je soupire.

– T’en fais pas Théo, je me suis misedans cette galère toute seule. Çam’apprendra à boire comme un trou.

– Qu’est-ce que tu vas fairemaintenant ?

– Respecter ce putain de contrat, queveux-tu que je fasse d’autre ? Et à la fin,je lui dirai de garder son argent.

– Tu devrais lui dire la vérité. Luidire que ce Noah machin t’a fait chanter

et…– Certainement pas. Théo, ma priorité

maintenant, c’est que tu contactesGrumberg, que tu gères les choses aveclui, et on verra quand tes papiers seronten règle. Et encore… j’ai peur que cetype ne se fâche grave si je parle, je suissûr qu’il aura encore des capacités denuisance même après t’avoir donné laGreen Card…

Théo fait la grimace.

– C’est dommage. Parce que quitte àjouer les mari et femme, ce serait bienque vous soyez en bons termes, Caleb ettoi. Et qu’il sache réellement qui tu es.Ça ne te fait rien qu’il te prenne pour ce

que tu n’es pas ?

Oh que si.

Je me retiens de répondre à laquestion de Théo.

– Écoute, ce n’est pas mon plus grossouci. Maintenant, il va falloir que jemente à tout le monde, que je dise à mesparents que je me suis mariée après uncoup de foudre… En fait, il va falloirque je brode une petite histoire, que je leconnaissais depuis un moment, tout ça…

Moi qui déteste mentir, je suis servie.

Théo me regarde d’un air coupable,

en grattant sa barbe de hipster.

– Allez, ne t’en fais, lui dis-je en luimettant une petite tape sur son brastatoué. Il y en a pour quatre, cinq mois,c’est vite passé.

Je me lève du canapé sur lequel noussommes assis. Je vais voir s’il n’y a rienà grignoter dans le frigo.

– Ya un truc que je comprends pas…,commence Théo.

Je me retourne vers lui :

– Quoi ?– Pourquoi tu ne lui as pas dit qu’on

était amis ? Que je t’appelais « chérie »pour rire, que j’appelle toutes mescopines « chérie » ?

Je sens que je rougis légèrement.

– Dis donc toi, tu voulais le rendrejaloux ? me dit Théo en se levant ducanapé, un sourire ironique aux lèvres.

– Mais non, pas du tout, dis-je sur unton qui manque de conviction.

– Tu parles ! J’ai l’impression qu’ilte plaît bien le beau Caleb. D’ailleurs,je pense que c’est le cas depuis le début,sinon tu ne l’aurais jamais épousé, mêmebourrée.

Exactement ce que m’a dit David. Ils

commencent à m’agacer tous !

– Bon allez, suis crevée, je n’ai pasbeaucoup dormi dans l’avion, je vais mecoucher, dis-je en prenant l’escalier.

Je m’oblige à ne pas réagir au grandéclat de rire de Théo qui résonne tandisque je monte à l’étage.

***

– Allô, Maman ?– Grace !

Je ne pouvais pas me coucher sans luiavoir parlé, après tous les messagesqu’elle m’a laissés en apprenant mon

mariage. Alors je déballe ma petitehistoire, le fait que je fréquentais Calebdepuis un certain temps en secret, qu’ilétait à Las Vegas et qu’on a décidé de semarier sur un coup de tête.

Ma mère semble vraiment étonnée, etmême dubitative.

– Mais, Grace… Tu disais que lemariage, c’était pas pour toi. Ou pasavant de…

– Je sais ce que je disais Maman,mais l’amour, tu sais, ça fait faire deschoses…

Les mots me brûlent les lèvres. Jen’en peux plus de tant de mensonges, et

je coupe court, après avoir promis àMaman de lui présenter mon mari trèsbientôt.

Maintenant que j’ai appelé Maman, jepeux écouter les autres messages. Il y ena un de Nikki :

« Bravo, sister. Alors toi qui nevoulais pas te marier, tu décroches undes meilleurs partis du pays, et moi quidevais faire le mariage de l’année, jesuis la risée du pays ? Suis au moinscontente que mon fiasco ait servi àquelque chose. À charge de revanche.Bises et félicitations. Au fait, j’aireconnu ton mari, le fils du futurprésident, c’est celui que t’as dragué à

ma soirée. Je savais bien que tu pouvaispas le lever comme ça. J’aurais dûcomprendre que vous vous connaissiezdéjà. Bien joué. J’espère que tum’inviteras à la Maison-Blanche. Ça mefera une super émission ! »

Je souris malgré moi. Sacrée Nikki,elle ne perd jamais le nord.

David m’a aussi laissé un message :

« S’il te plaît, Grace, pardonne-moi.Tu peux pas savoir comme je m’en veux.Si tu veux, je vais casser la gueule deCaleb, il va te l’accorder, cetteannulation. »

Cher David. Il faut que je l’appellepour lui dire que finalement, je restemariée à Caleb. Et tant pis pour laclause de confidentialité, à lui aussi, jesuis obligée de tout dire. De toute façon,il sait déjà la vérité sur le début del’histoire, puisqu’il en est à l’origine…

Je vais l’appeler. Mais avant ça, il vafalloir que j’appelle mon père à Paris.Et à lui non plus, je ne mentirai pas.Maman, ce n’est pas pareil, c’est tropcompliqué, je ne veux pas l’obliger àmentir à son mari, à Nikki… Papa lui vitloin de tout ça, et seul. Et tel que je leconnais, je suis sûre qu’en plus, ça va lefaire rire, il va dédramatiser la situation.Je l’entends déjà… Il a toujours trouvé

que j’étais trop sage. Il n’a pas fini de semoquer de moi…

11. Rencontre àCentral Park

Ouf. Mon service est bientôtterminé. Je vais peut-être passer voirJack au service photo, j’ai deux outrois trucs à lui demander…

Je me dépêche d’en finir avec lenettoyage d’une table du Dancing CraneCafe du zoo de Central Park où je suisserveuse trois jours par semaine. Lerythme est généralement soutenu, maisj’aime bien l’ambiance familiale et

cosmopolite, avec ces enfants toutexcités par les animaux qu’ils ont vus ouvont voir, et qui expriment leur joie danstoutes les langues.

Ça fait trois jours que je suis rentréede Las Vegas. Je n’ai eu aucune nouvellede Caleb depuis. C’est comme si rien nes’était passé, et je penserais avoirrêvé… si je n’avais pas ces bijoux àmes doigts.

La journée a été assez calme, il faitencore froid à New York en cette mi-mars, et les gens sont moins disposés àsortir. On est loin du temps quasi estivalde Las Vegas.

– Vous allez fermer ? me dit une dameen esquissant un geste pour sortir detable.

– Pas du tout, prenez votre temps, onne ferme pas avant une heure, c’est moiqui termine mon service dans cinqminutes. Je faisais un peu de ménage enattendant, comme il n’y a quasiment pluspersonne.

– Il n’y a même que moi, dit-elle enéclatant de rire.

C’est une dame assez âgée, une Afro-Américaine avec une allure bohème, unturban chatoyant entourant sa tête,d’énormes créoles se balançant à sesoreilles. Elle a beaucoup d’allure, etelle a l’air fort sympathique.

– J’attends mes petits, me dit-elle.– Oh, oui, je vous ai vue avec toute

une bande d’enfants, ils sont partis voirles otaries avec Tom, le bénévole duzoo, c’est ça ? Ce sont vos petits-enfants ?

– Oh non, ma chère, je n’ai pasd’enfant, dit-elle avec un grand sourire.Ce sont les enfants de mon centre àHarlem. J’ai ouvert une petite structure,avec l’aide de quelques bénévoles, ons’occupe des jeunes enfants du quartieraprès l’école. Il y a peu d’activités quileur sont proposées, leurs parents n’ontpas les moyens, et souvent même pas letemps de s’occuper d’eux. Alors onessaie de leur offrir des activités

culturelles. Aujourd’hui, j’en ai amenéquelques-uns au zoo. Un autre jour, cesera au Muséum d’histoire naturelle.Mais nous avons assez peu de moyens,l’essentiel du temps, on les accueille aucentre, pour leur faire faire les devoirs,où leur enseigner une activité artistique.

– Et vous, vous leur enseignez quoi ?– Moi ? Le chant.– Vous êtes chanteuse ?

Elle éclate de rire.

– Dans une autre vie, oui. Maisc’était il y a bien longtemps… Et si vousvous asseyiez avec moi, au lieu de restercomme ça debout ? Je m’appelle Susie,dit-elle.

– Oh ! Pardon, je ne me suis pasprésentée, je m’appelle Grace.

Je jette un œil à ma montre. J’aiterminé mon service, et cette femme estvraiment sympathique.

– Enchantée de faire votreconnaissance Grace, dit-elle, alors queje prends place près d’elle.

– Moi de même, Susie.– Alors Grace, racontez-moi. Vous

êtes étudiante ?– Non, j’ai terminé mes études il y a

quelques mois.– Laissez-moi deviner, dit-elle en

plissant les yeux. Histoire de l’art ? Jesens que vous avez un tempérament

d’artiste.

Je ris.

– Non, j’ai un diplôme dephotographie. Et un autre de biologie. Jem’intéresse aux animaux. Mais je n’aipas encore choisi entre les deux…

– Alors en attendant, vous êtes ici, jecomprends. Parfois, ce n’est pas facilede trouver sa voie.

– Et vous, vous l’avez trouvéefacilement ?

– Eh bien oui, le chant a toujours étéma grande passion, dit-elle les yeuxbrillants. Je suis née dans un milieu trèspauvre, mais Dieu m’avait fait un don :ma voix. Et grâce à elle, j’ai fait mon

chemin… J'ai reçu beaucoup, et c’estpour ça qu’aujourd’hui, j’essaie deredonner aux plus petits de macommunauté. Mais ce n’est pas toujoursfacile.

Cette femme a une aura particulière,un sourire chaleureux, beaucoup detempérament et une si belle humeur queje suis totalement sous son charme. Ellereste très discrète sur sa carrière, balaieça d’un « c’est du passé », mais elle netarit pas d’histoires sur ses « petits »qu’elle adore. Elle a mis toutes seséconomies dans ce centre, court lesinstitutions pour trouver des subventionset se démène pour trouver desbénévoles.

– Ça vous intéresserait de venir nousrejoindre ? me dit-elle soudain. Vouspourriez faire un atelier photo. On a unpeu de matériel, on avait l’annéedernière une personne qui a commencémais il a déménagé.

– Mais oui, volontiers ! dis-je. J’étaisjustement en train de me dire que ça meferait grand plaisir de participer. Je netravaille ici que trois jours par semaine,le reste du temps je travaille ma photo,je vais dans les musées et galeries aussisouvent que possible… Je suis sûre quej’apprendrai aussi beaucoup au contactdes enfants.

– Et si vous veniez nous voirdemain… ou quand vous voulez, ajoute-

t-elle très vite, quand vous aurez letemps.

– Demain, ce sera très bien, je seraide repos.

Nous sommes en train d’échanger noscoordonnées quand mon téléphonesonne. C’est Caleb.

– Désolée Susie, je dois prendre cetappel…

– Mais bien sûr…

À cet instant, une joyeuse banded’enfants accompagnée de Tom entredans le café et se précipite vers elleavec des cris de joie.

Je m’éloigne et décroche :

– Oui ?– Bonjour Grace.

Ça me trouble d’entendre sa voix. Onne s’est pas parlé depuis trois jours,quand on s’est quittés devant la maisonde Brooklyn et le moins qu’on puissedire, c’est que ce n’était pas en bonstermes.

– Bonjour Caleb, dis-je d’une voixque j’espère neutre.

– Pourrais-tu s’il te plaît passer àmon bureau, dans l’Upper East Side ? Jesouhaiterais m’entretenir avec toi, dit-ild’une voix très professionnelle.

Qu’est-ce qu’il va me demanderencore ?

– J’ai terminé mon service au zoo, jepeux passer maintenant.

– Très bien, je te texte l’adresse. Outu veux que je t’envoie une voiture ?

– Non merci, dis-je précipitamment,je me débrouille.

Je ne vais quand même pascommencer à me déplacer en voitureavec chauffeur… En tout cas, pas si jen’y suis pas obligée.

Je retourne saluer Susie, qui est entrain de commander des boissons poursa marmaille.

– Je dois y aller, Susie. C’était unplaisir de vous rencontrer.

– Et un grand plaisir pour moi, dit-elle avec un large sourire.

– Je passe vous voir demain alors.Bonne fin de journée.

– Bonne fin de journée à vous, dit-elle avec un petit signe amical.

Ça, c’est moins sûr…

12. Mon mari, cetétranger

– Vous pouvez y aller, c’est audouzième étage, me dit une hôtesse enme désignant l’ascenseur.

J’ai une boule au ventre tandis quel’ascenseur grimpe les étages de celuxueux gratte-ciel de Madison Avenue.Je suis tendue à l’idée de revoir Caleb,même si je m’y prépare depuis troisjours. Et puis, je me sens déplacée dansma parka verte, dans cet ascenseur

bondé d’hommes en costumes cravateset de femmes juchées sur des talonshauts. Je commence à me dire quepuisque je vais être amenée à fréquenterCaleb et à frayer dans un monde où lescodes ne sont pas les mêmes que lesmiens, il va falloir vraiment que jerevoie ma garde-robe. D’ailleurs, j’aivu sur le contrat qu’il y avait une clauseprévoyant des frais de représentation.C’est Théo qui l’a relevée. Il a dit qu’ilse ferait un plaisir de m’aider à lesdépenser. Je crois que je vais devoirplanifier une séance shopping au plusvite si je ne veux pas passer mon tempsà regarder mes pieds. Je ne vais pas meconvertir pour autant au tailleur strict,

ça, c’est sûr, mais je crois que jecommence à me sentir à l’étroit dans magarde-robe d’adolescente attardée.

Les portes de l’ascenseur s’ouvrentsur le douzième étage, et je découvreune ruche de gens bien habillés qui vontdans tous les sens. Je m’avance versl’accueil où une jeune femme medemande mon nom.

– Je suis… Grace. J’ai rendez-vousavec Caleb Montgomery.

J’ai failli utiliser mon nom de jeunefille, mais je me suis reprise au derniermoment. Et impossible de sortir « GraceMontgomery ».

– Asseyez-vous, me dit-elle en medésignant un canapé en cuir noir, je vaisle prévenir.

Je m’assieds et regarde autour demoi. Je vois une réception décoréed’œuvres d’art, donnant sur une enfiladede bureaux vitrés et de salles de réunionmeublés avec sobriété mais élégancedans lesquels s’agitent des gens très bienmis.

– Grace chérie !

Caleb est devant moi, ses yeux bleuspétillant de bonheur (enfin, c’estl’impression qu’ils donnent). Je doisreconnaître qu’il est très beau dans son

costume noir et mes jambes vacillent unpeu lorsque je me redresse. D’autantqu’il me prend dans ses bras et medonne un baiser passionné.

– Belinda, je vous présente mafemme, Grace.

La Belinda en question a du mal àcacher sa stupéfaction, et elle bafouilledes félicitations que Caleb accepte avecun grand éclat de rire.

– Oui, je sais, ça surprend. Maisl’amour…

Il me prend par la main et m’entraînedans le couloir. Il se penche vers moi et

me murmure à l’oreille :

– Maintenant que Belinda sait, ilfaudra moins d’un quart d’heure avantque tout le monde dans le cabinet soit aucourant.

– Mais ça fait trois jours que tu esrentré. Tu ne les as pas prévenus ?

– Seulement Stacy, mon associée, etRobert, notre enquêteur, qui sont tous lesdeux des amis. Stacy a étudié avec moi àHarvard, on se connaît depuis presquedix ans. Je ne pouvais pas lui cacher queje m’étais marié, mais je ne lui ai pasdonné de détails.

Manifestement, Caleb n’a jamaisamené une de ses conquêtes ici, ou si

c’est le cas, n’a jamais manifestépubliquement de liens d’ordre privéavec une de ses visiteuses. Tout lemonde semble sous le choc en nousvoyant passer, ceux que l’on croise dansles couloirs, les gens dans les sallesvitrées qui nous regardent d’un airstupéfait tandis que nous passons maindans la main. Ils ne savent pas encore –Belinda n’est quand même pas sirapide, si ? – que nous sommes mariés,mais notre couple fait déjà l’événement.

Il faut dire que Caleb en faitbeaucoup, il me caresse le bras et lescheveux tout en marchant, me parle enme dévorant des yeux : on s’y croirait.Si on ne s’était pas quittés en hurlant la

dernière fois qu’on s’est vus, je croiraispresque qu’il est vraiment amoureux demoi.

Avant d’entrer dans son bureau, il meprésente à son assistante, Margaret, unejolie rousse pulpeuse au décolletéprofond et bien rempli, qui me féliciteavec un sourire radieux. Je bafouillequelques mots, un peu embarrassée. Jen’y avais pas pensé, mais il va falloirque je m’habitue aux félicitations. Et queje me montre convaincante dans monrôle de jeune mariée comblée.

Caleb me fait entrer dans son bureau,qui lui, n’est pas vitré, et me lâcheaussitôt le bras. Je me prépare à ce qu’il

reprenne le masque dur qu’il m’aopposé la dernière fois mais non, il estun peu distant, mais aimable.

Il s'est bien calmé, depuis l’autrejour.

– Tu veux boire quelque chose,grignoter ?

– Non rien, merci.– Mais je t’en prie, assieds-toi. Non

pas ici, dit-il en éclatant de rire, tandisque j’allais prendre place dans lefauteuil visiteur de l’autre côté de sonbureau.

Il m’entraîne sur la banquette de cuirblanc et s’assied près de moi :

– Tu n’es pas une cliente ! s’amuse-t-il.

– Mais nous avons un contrat, fais-jeavec une grimace.

– C’est vrai, me dit-il avec un airsongeur, ses yeux bleus plongés dans lesmiens.

Je le déteste pour tout ce qu’il m’adit, et pourtant, quand il est près de moi,je ne peux m’empêcher de me sentirtoute tourneboulée.

– Écoute Grace, je suis désolé de cequi s’est passé la dernière fois. Je mesuis mal conduit, je te présente mesexcuses. J’étais comme toi, sous le chocde ce mariage. Je m’en suis pris à toi,

alors que c’est à moi que je devais envouloir. J’ai réfléchi depuis : maintenantque nous sommes liés par ce contrat,nous devons en prendre notre parti.Nous ne devons pas être des ennemis,mais des alliés. Tu es d’accord avecmoi ?

Agréablement surprise par cechangement de ton, troublée par levisage radouci de Caleb et ses gentillesmanières, j’acquiesce de la tête.

– Bon, continue Caleb, alors voilà lanouvelle : mes parents seront à NewYork la semaine prochaine. Uneinterview de mon père avec reportagephoto sont prévus à cette occasion. Mes

parents ont hâte de faire ta connaissance,ils seraient venus plus tôt, mais monpère donne des meetings un peu partoutpour sa campagne. Ils devaient être àNew York dans deux semaines, ils ontfait un peu bouger le planning pour terencontrer.

J’ai du mal à avaler ma salive. Enfait, sous le choc de ce mariage« forcé », je n’ai pas eu le temps deréfléchir à ses implications.

– Caleb… Je ne suis pas prête, dis-jed’une petite voix.

– Mais si, tu vas voir, tu vas bien t’ensortir, dit-il en me prenant la main, et jevois dans ses yeux une réelle

compassion.

Peut-être comprend-il enfin ce queça implique pour moi, cettemascarade…

– Tu vas venir t’installer chez moiquelques jours avant, comme ça, tuprendras tes marques, par rapport à lamaison, au quartier et puis… à moi. Ilfaut qu’on apprenne quand même à seconnaître, sinon, on ne fera pas illusionlongtemps.

– Oui… Bien sûr… D’accord, dis-je,un peu perplexe et effrayée.

– Ne t’en fais pas, tu n’auras pasbeaucoup à me supporter, je travailletoute la journée et…

– Mais tu ne vas pas me laisser seuleavec tes parents ? dis-je, inquiète.

– Non. Tout d’abord, ils ne resterontpas longtemps, un jour ou deux. Ensuite,je me rendrai libre pendant cettepériode.

– Mais de quoi on va parler ? Je neconnais rien à la politique. Je ne votemême pas !

– Tu verras, mon père est un hommebienveillant, ouvert, drôle, tu vasl’adorer, comme tout le monde.

– Et ta mère ? dis-je en fronçant lessourcils.

Pourquoi il ne parle pas de samère ? Et pourquoi il fait cette tête ?

Même si c’était très fugace, j’ai vupasser une drôle d’expression sur sonvisage.

– Ma mère… Elle est différente. Tuvois…

La porte du bureau s’ouvre à cetinstant. Une grande blonde très mince,dans un tailleur cintré, entre dans lapièce.

– Caleb, il faut qu’on y aille, laréunion avec M. Bannister ne va pastarder… Oh pardon, dit-elle en mevoyant. Margaret ne m’a pas dit que tuétais occupé.

– C’est parce que je ne lui ai pas

donné de consigne, dit Caleb en seredressant et je l’imite aussitôt.

– Bonjour, me dit-elle avec unsourire aimable, mais sans chaleur.

Elle a l’air très froide, mais elle estaussi très belle, avec ses longs cheveuxblonds légèrement ondulés, son visagetrès fin, et ses yeux d’un bleu perçant.

– Stacy, c’est Grace, ma femme, ditCaleb et se tournant vers moi : Grace,Stacy Stockman, mon associée et amie.

Bien que ce soit sans doute unefemme d’un grand sang-froid, Stacy nepeut cacher sa stupéfaction endécouvrant que je suis l’épouse dont

Caleb lui a parlé. Manifestement, je necorresponds pas à l’image qu’elle s’enétait faite. Elle paraît un instantdécontenancée, et d’un seul regard, elleme jauge, de mes cheveux lâchés quicontrairement aux siens, n’ont pas subide mise en plis ni de brushing, à mesboots plates. Mais elle se ressaisit trèsvite et son sourire un temps disparurevient avec plus d’éclat.

– Enchantée de vous connaître, medit-elle en me donnant une vigoureusepoignée de main. Désolée, nous allonsdevoir faire connaissance plus tard, M.Bannister, qui a appelé pour dire qu’ilserait là incessamment, est d’une humeurterrible… Enfin, à vrai dire, pas plus

que d’habitude, mais il est aussi pressé,il a un avion pour Denver dans deuxheures. Il faudrait que l’on puissecommencer la réunion dès qu’il arrive.

– OK, je viens, dit Caleb. Je suisdésolée, Grace. Si tu veux bienm’attendre ici…

– Mais oui, bien sûr…

Il va pour partir quand le téléphonede son bureau sonne. Il s’excuse d’unregard et va décrocher.

– Alors, ça vous plaît la vie defemme mariée ? me dit Stacy avec unsourire glacial. Vous êtes si jeune…

–Oui. Enfin c’est tout récent. Je…Euh… Et j’ai 21 ans. Bientôt 22. Euh…

– Ça m’a beaucoup surprise de lapart de Caleb. Je ne savais même pasqu’il fréquentait quelqu’un. Il faut direqu’il est assez secret sur sa vie privée.Nous sommes très proches, ce qui estnormal quand on est associés, on doit sefaire confiance, mais il a toujours cejardin secret… On s’est connus àl’université, vous savez.

– Oui, je sais, il m’a dit, à Harvard.– Ah, il vous a parlé de moi, dit-elle

avec un petit sourire. Parce qu’il m’atrès peu parlé de vous. Je ne sais rien devotre histoire, ni quand ni où vous vousêtes rencontrés, dit-elle avec un airpensif.

Comme elle voit que je n’ajoute rien,

elle poursuit :

– On a été très liés à une époque. Àvrai dire, on est même sortis ensemblequand on était étudiants, ajoute-t-elled’un ton léger et avec un petitgloussement qui m’agaceprodigieusement. Mais ça n’a pas duréet c’était il y a presque une dizained’années. Après on s’est un peu perdusde vue, je suis partie travailler àWashington. Jusqu’à ce que Caleb merecontacte l’année dernière, il avait ceprojet de cabinet. Je n’ai pas hésité unseul instant.

– On y va Stacy ? dit Caleb qui vientde raccrocher. J’essaie de revenir vite.Tu as la télé, dit-il en me montrant

l’écran géant qui orne un des murs, et unbar. Si tu as besoin de quoi que ce soit,demande à Belinda. Margaret vam’accompagner à la réunion.

Il va pour partir quand il rebroussechemin et vient déposer un baiser surmes lèvres. Du coin de l’œil, je vois levisage de Stacy se durcir.

Est-elle choquée par cesdémonstrations sur son lieu de travail,ou est-elle jalouse ? Et Caleb, pourquoim’a-t-il embrassée ? Pour être crédibledans son rôle de jeune marié amoureuxou… parce qu’il en avait envie ?

Je me retrouve seule dans le bureau

aux grandes baies vitrées donnant sur lesgratte-ciel de ce quartier huppé deManhattan. Je m’approche pour regarderla rue en bas, avec ces gens qui s’agitenten tous sens, et la circulation intense,marquée par les taches jaunes des taxis.Dans ma tête, je revis ce qui vient de sepasser…

Je n’aime pas beaucoup cette Stacy,et pour être honnête, je crois que c’estparce que je suis un peu jalouse d’elle.Elle est si belle, elle a l’air sisophistiquée, elle et Caleb ont sansdoute plein de choses en commun. Et enplus, ils ont été amants… Je n’y peuxrien, ça me perturbe.

On frappe à la porte. Je reste saisieun instant, puis je m’approche et j’ouvreà un homme d’environ 35 ans, un Afro-Américain au visage avenant.

– Oui ? dis-je timidement, Calebn’est pas là, il est en réunion et…

– Je sais, je viens de le croiser. Jesuis Robert Ferguson, je travaille pourle cabinet en tant qu’enquêteur.

– Oh bonjour, je suis Grace… lafemme de Caleb.

– Il m’a parlé de vous, me dit-il avecun grand sourire. Toutes mesfélicitations. Caleb vient de me dire quevous étiez dans son bureau et j’ai sautésur l’occasion de vous rencontrer. Je medemandais si ça vous dirait de venir

boire un café ou un verre avec moi aubar en bas. J’ai fini ma journée. Çarisque de s’éterniser, leur réunion.

– Oh, c’est lui qui vous envoie ? Ilavait peur que je ne m’ennuie ?

– Non, j’avais hâte de faire votreconnaissance, avoue Robert en éclatantde rire. Et je me disais que pour votrepremière visite dans ces locaux, ç’auraitété dommage de vous laisser seuleenfermée dans un bureau. Il y a desmoyens plus agréables de passer letemps. Ça me ferait vraiment plaisir deprendre un verre avec la femme qui a suconquérir l’insaisissable Caleb. Je suistrès heureux pour lui, vous savez.

Il a l’air sincère, ce qui me fait me

sentir très mal.

– Je prends mon sac et je vous suis,dis-je en me retournant, incapable desoutenir son regard.

Escortée de Robert, je reprends lecouloir, où j’entrevois Caleb en pleineréunion de travail dans une grande salleoù trône une immense table. Il est entrain de parler, et tout le monde a lesyeux fixés sur lui. Il dégage une telleautorité…

Robert fait un stop à la réception oùil prévient Belinda qu’il m’emmèneavec lui, que nous serons au pub.

– Je ne veux pas que Caleb croie queje vous ai déjà enlevée ! me dit-il en mefaisant un clin d’œil complice.

Décidément, ce Robert m’estextrêmement sympathique. Je vois qu’ilfait tout pour me mettre à l’aise, il a dûcomprendre que je ne me sentais pas dutout dans mon élément.

Nous prenons l’ascenseur jusqu’aurez-de-chaussée. De là, nous pouvonsgagner directement le pub à côté.

Robert commande une bière, tandisque je me laisse tenter par un martini. Lajournée s’achève, je peux bien m’offrirun apéritif. J’ai décidé de ne plus jamais

me saouler, mais je n’ai pas fait vœud’abstinence !

Je m’attends à avoir plein dequestions sur notre rencontre, à Caleb età moi, mais Robert reste d’unediscrétion absolue. En revanche, avecbeaucoup de délicatesse, il me faitparler de moi, de mes études, de mafamille, sans être intrusif. Je me senstout de suite à l’aise avec lui, il parled’une voix très douce, et son regard estlumineux et bienveillant.

– Et vous Robert, vous connaissezCaleb depuis longtemps ?

Il paraît étonné.

– Caleb ne vous a rien dit ?

Je le regarde, étonnée.

– Non… quoi ?

Robert a un petit sourire.

– Je ne suis pas sûr que Calebapprécierait que je parle de lui derrièreson dos.

– Allez-y Robert, je ne lui dirai rien,dis-je en lui rendant son sourire.

Il me regarde un instant, pour voirs’il peut me faire confiance, et jugemanifestement que j’en suis digne, car ilreprend :

– Les circonstances de notrerencontre à Caleb et à moi sont un peuspéciales. Il n’aime pas en parler, maismoi, je n’ai aucun problème à ce sujet.Surtout avec la femme avec laquelle ilpartage sa vie.

Qu’est-ce qu’il va m’annoncer ?

– Lorsque j’avais 18 ans, j’ai étécondamné à mort pour meurtre,commence Robert.

J’en reste bouche bée.

Je regarde ce visage beau et doux…Robert, un meurtrier ?

– Je suis resté douze ans dans lecouloir de la mort. Et puis une équipe dejeunes étudiants en droit de Harvards’est saisie de mon dossier. La meilleurechose qui puisse arriver pour quelqu’uncomme moi, un Afro-Américain quin’avait pas eu les moyens de payer ungrand avocat pour sa défense. Caleb apassé des heures et des heures sur mondossier, et a trouvé une faille dans untémoignage. Il a réussi à faire retardermon exécution, puis à m’innocenter.

Je le regarde, les yeux écarquillés.

– C’est incroyable ! finis-je par dire.– N’est-ce pas ? reprend-il avec un

bon sourire. Sans son acharnement, ma

mère pleurerait son fils depuis desannées, tout en, peut-être, le croyantcoupable. C’était il y a six ans. Je luisuis redevable de ma vie, je feraisn’importe quoi pour lui. J’ai reçu undédommagement pour mon séjour enprison, avec lequel j’ai fait des études,aidé et conseillé par Caleb, qui m’aembauché comme enquêteur dès qu’il apu ouvrir son cabinet.

Je reste un instant abasourdie parcette révélation. C’est bête, mais je mesens toute fière de Caleb, fière d’être safemme… même si je sais que je ne lesuis pas, enfin pas vraiment.

– Je suis vraiment… Robert, je ne me

doutais pas, je n’en savais rien. Ça a dûêtre atroce. Je suis désolée.

– Bah, ç’aurait pu être pire ! dit-il enéclatant de rire. Je ne devrais même paspouvoir vous parler à cette heure.

Je suis stupéfaite de voir avec quellelégèreté apparente, sans doute de lapudeur, il prend cette terrible histoire.On lui a quand même volé douze ans desa vie !

– Si je vous en parle, c’est pour quevous sachiez à quel homme formidablevous êtes mariée, reprend Robert. Enfin,vous le savez déjà sans doute, mais il esttellement pudique sur ce genre dechoses… Il ne met jamais cela en avant,

pas plus que les quantités d’heures probono qu’il fait pour les défavorisés. Jesais qu’il est plus connu pour les procèsqu’il a gagnés pour des clients stars,mais ce n’est qu’une infime partie de cequ’il est. Il se démène pour les pluspauvres, gratuitement. Mais je supposeque je ne vous apprends rien, vous êtesson épouse, vous devez le connaîtreintimement, bien mieux que moi.

– Je… Oui, mais, pas depuis aussilongtemps…, dis-je, embarrassée.

Heureusement, mon portable vient àmon aide en se mettant à sonner. C’estCaleb.

– Oui, Caleb je suis avec Robert, au

pub en bas, j’arrive.

Je raccroche, et demande à Robert :

– Je suppose que vous ne remontezpas ?

– Non, il est l’heure de rentrer chezmoi. Ravi de vous avoir rencontrée,Grace, dit-il en me tendant la main.

– Et moi aussi Robert. J’espère vousrevoir très bientôt.

En remontant dans l’ascenseur, où àcette heure tardive je suis cette foispresque seule, je réfléchis à ce que jeviens de découvrir. Apparemment,Caleb n’est pas l’homme que je croyais,cet avocat inflexible et impitoyable, qui

ne recule devant rien pour prendre fait etcause. Ou en tout cas, il n’est pas QUEça : ce que je viens d’apprendre par labouche de Robert, le rôle qu’il a jouédans sa vie à lui, son engagement auprèsdes plus pauvres, tout ça éclaire uneautre facette de sa personnalité, quej’apprécie bien davantage.

Ces révélations m’apportent un réelsoulagement. Il faut bien que je mel’avoue, Caleb me plaît réellement, maiscette attirance ces derniers temps a étérecouverte par la colère que soncomportement m’a inspirée la dernièrefois qu’on s’est vus, les remarquesacides qu’il m’a faites. Si je dois resterunie à lui, même pour quelques mois, je

préfère savoir qu’il n’est pas l’horriblerequin sans état d’âme que j’avaisimaginé.

Pour la deuxième fois de la journée,je descends de l’ascenseur au douzièmeétage. La réception est faiblementéclairée, et il n’y a plus de Belinda.J’entends le bruit de mes pas résonnerdans le couloir déserté, comme le sontles bureaux plongés dans l’obscurité. Laporte du bureau de Caleb est ouverte, etje le vois de loin qui m’attend, assis surson bureau. Il a retiré sa veste, il est enbras de chemise, et à ce que je peux enjuger à cette distance, ses yeux sontbraqués sur moi.

J’avance vers lui, un nœud au ventre,en essayant de marcher d’un pas assuré,alors que j’ai les jambes en coton.

Déjà, le voir tout à l’heure aprèsnotre vive discussion de l’autre jour ettrois jours de silence radio, ce n’étaitpas facile. Mais se retrouver dans cetteatmosphère étrange de bureaux vides, entête à tête…

J’entre enfin dans son bureau, et jereferme la porte derrière moi. On ne saitjamais, peut-être ne sommes-nous pastout à fait seuls…

– Alors, tu étais avec Robert ? me ditCaleb à mon entrée.

– Oui. Il est très sympathique. C’étaittrès agréable.

– Ça me fait plaisir que tul’apprécies. Robert est un ami, et aussiun formidable enquêteur.

– Comment l’as-tu connu ?– Je…, commence-t-il, hésitant. Au

cours d’un procès.

Je croise les bras et je le regarde,avec un sourire moqueur aux lèvres.Caleb me regarde de ses yeux pétillants,et un demi-sourire éclaire son visage :

– Il t’a raconté…– Oui, il m’a dit. C’est génial ce que

tu as fait, Caleb.– J’étais étudiant, plein de fougue…,

dit-il gêné. On était une équipe.

Il est craquant quand il est modeste.

– Mais c’est toi qui as réussi àl’innocenter.

– Eh bien tu vois, il m’arrive d’avoirde bons moments, dit-il avec une mouemodeste.

– Oui, et pas que devant le tribunal,lancé-je.

Oups ! Il va croire que je parle deses prouesses sexuelles.

Effectivement, je vois une lueurégrillarde s’allumer dans les yeux deCaleb et il se lève du bureau sur lequel

il était assis.

– Mais parfois, tu te comportescomme un vrai con ! ajouté-je très vite.

– Je dois bien l’avouer, je ne suis pasparfait, dit-il en s’approchantdangereusement de moi.

Mon cœur palpite quand il se campeà quelques centimètres, un sourirenarquois aux lèvres.

– Et tu n’es pas toujours gentleman,reprends-je. Tu me proposes un contratet ensuite tu m’en veux parce que jel’accepte. Et pour couronner le tout, tume traites comme si j’étais la dernièredes traînées.

Il me prend la main, les yeuximplorants :

– Grace, pardon. Je suis désolé,sincèrement. J’ai dépassé les bornes.

Mais je ne veux pas arrêter aprèscette première victoire :

– Et après ça, tu m’engueules, et tu nedonnes plus de nouvelles pendant troisjours, tu n’appelles même pas pourt’excuser.

– J’étais… en colère, dit-il, eteffectivement, il a l’air de l’être encorerien qu’à l’évocation de cette scène.

Je crois qu’il est vraiment temps que

je lui dise qui est Théo, ce quiproquo vanous pourrir la vie.

– Mais tu n’avais aucune raison del’être ! dis-je. Laisse-moi t’expliquer…

Mais avant que je puisse continuer, ilme ferme la bouche d’un baiser.

Je devrais le repousser, mais c’estimpossible, mon corps, embrasé, nem’obéit plus, et je réponds avec fougue.

–Caleb, écoute…, commencé-jequand je reprends suffisamment mesesprits pour me dégager.

– Je ne veux pas parler de ça, tum’entends, dit-il les sourcils froncés,

avant de me prendre dans ses bras et dem’embrasser encore plus ardemment.

J’oublie instantanément notre dispute,mes griefs, et Théo !

Tout ce que je sais, c’est que je veuxqu’il continue à m’embrasser, à metoucher, comme il le fait à présent.

C’est plus fort que moi : j’ai beausavoir qu’il ne faut pas, que ça ne va quecompliquer notre relation qui n’est déjàpas facile, j’ai envie de Caleb. Etmanifestement, lui a autant envie demoi !

Vous pourriez résister, vous ? Moi

non !

Je laisse tomber la parka et le sacque je tenais à la main, et glisse mesmains autour de son cou.

– Grace, me murmure Caleb àl’oreille, j’ai envie de te faire l’amour.

– Ici, dans ton bureau ? dis-je,comme si je ne l’avais pas envisagé.

– Il n’y a personne…, dit-il englissant ses mains sous mon pull, à larecherche des agrafes de mon soutien-gorge.

– Mais si l’équipe de nettoyagevenait…

– Il est trop tôt, dit-il avant detaquiner mon oreille de sa langue.

Cette dernière caresse a raison demoi. Je lève les bras pour qu’il puisseme retirer mon pull et mon tee-shirt. Jeme retrouve torse nu, le soutien-gorgedégrafé, lorsque je réalise que l’on estdevant une grande baie vitrée et que desgratte-ciel en face, on a une vueplongeante sur la pièce largementéclairée.

En poussant un petit cri, je croise lesbras sur ma poitrine.

– Tout le monde peut nous voir ! dis-je à Caleb qui me regarde étonné.

Il rit et va éteindre la lumière.

– Ce n’est pas gentil pour lesspectateurs, ils ne verront pas la fin duspectacle, plaisante-t-il.

La pièce est éclairée par les lumièresde la ville, pas assez pour que l’onpuisse nous observer, mais suffisammentpour que je voie Caleb, et ses yeux quibrillent de désir dans la semi-pénombre.

– J’ai tellement envie de toi, dit-il enm’attirant à lui. Je n’ai pas arrêté depenser à toi. Tu me rends fou.

Je sens mon cœur se gonfler de joie :je lui ai manqué aussi !

Il me fixe, un petit sourire aux lèvres,

comme s’il attendait que je lui avouequelque chose.

– Moi c’est pareil, confessé-je, j’aibeaucoup pensé à toi. Et même si j’étaisen colère, j’avais envie de te sentircontre moi, que tu me prennes contretoi…

Je m’interromps.

Attention danger !

Je sens que je suis sur un terrainglissant. Je ne veux pas en diredavantage, nous sommes dans unesituation trop compliquée Caleb et moipour que je me laisse aller aux

sentiments. Mieux vaut revenir sur leterrain des sens.

J’attrape Caleb par les cheveux et jel’attire vers moi. Je l’embrasse avectoute la fougue possible. Il répond à monbaiser de même, puis se hâte de retirermon soutien-gorge. Ses lèvres se posentsur mes seins, qui irradient de plaisir àce contact. Sa bouche descend sur monventre, mes mains se perdent dans sescheveux.

Puis il entreprend de défaire labraguette de mon pantalon. Agrippée àses épaules, je le laisse m’endébarrasser, ainsi que de ma culotte.

La tension est grande, nous sommespris d’une espèce de frénésie. Je penseque l’un comme l’autre, nous avons cru– ou du moins, nous avons craint – quece qui s’était passé à Las Vegas ne sereproduirait jamais. Mais il faut croireque notre attirance sexuelle est plusgrande que nos dissensions. À peinesommes-nous réunis sans témoin quenous nous jetons l’un sur l’autre !

Fébrilement je m’attaque aux boutonsde sa chemise. Si fébrilement que j’ensuis trop maladroite, et lui très impatientcar il vient à mon secours. Je n’ai plusrien sur moi, et je veux qu’il en soit demême pour lui. Pendant qu’il défait lesboutons, je défais sa ceinture et j’ouvre

sa braguette. Je glisse une main dans lepantalon, caressant à travers son caleçonde soie son sexe déjà dur.

Il retire sa chemise, envoie baladerses chaussures et s’extrait de sonpantalon, retirant du même coup sonsous-vêtement. Puis il se met à genouxdevant moi et couvre mes jambes debaisers fiévreux, avant de poser sabouche sur mon sexe.

Je suis nue, debout sur la moquette, latête de Caleb entre les cuisses. La gêneque je ressens accroît mon excitation.Heureusement que nous sommes plongésdans une semi-obscurité, sinon je ne saispas si je pourrais oublier toutes mes

inhibitions.

La langue de Caleb s’insinue dansmes replis, tandis que ses mainspétrissent mes fesses. J’ai posé mesmains sur ses épaules et la têterenversée en arrière, je me laisse allerau plaisir qu’il me donne. Et il estimmense. Si grand, que j’ai peur dejouir.

Je prends sur moi pour l’interrompre.

– Attends, dis-je en le tirantlégèrement en arrière par les cheveux. Jete veux en moi. Je veux qu’on jouisseensemble.

Il me regarde avec un sourire ébloui.Puis il se rembrunit légèrement.

– Il faut que je trouve un préservatif.– Tu n’en as pas des tas dans tes

tiroirs ? dis-je avec un sourire auxlèvres, mais un petit pincement au cœurà l’idée qu’il a peut-être déjà trousséquelques secrétaires ou autrescollaboratrices dans ce bureau.

Il me donne une petite tape sur lesfesses.

– Je ne baise pas au bureau,mademoiselle. Enfin, d’habitude.

Il me regarde avec un air taquin, et

j’espère que la pénombre a caché lesoulagement sur mon visage.

Il se tape le front : manifestement, il aune idée.

– Attends, je reviens, dit-il en sedirigeant vers la porte.

– Mais tu es tout nu…, m’exclamé-je,mais il est déjà sorti de la pièce, dans leplus simple appareil.

Je vais l’attendre, assise sur lebureau, face à la porte, le cœur battant lachamade.

Il revient rapidement, un préservatif àla main.

– Je savais que j’avais une chanced’en trouver dans le bureau de Tom.

Je ne perds pas de temps à poser desquestions : merci Tom, qui que tu sois, etquelle que soit ta vie débridée !

Prestement, Caleb a enfilé lepréservatif et vient me rejoindre. Jel’enserre de mes jambes. Il pose sabouche sur mon cou, ma poitrine, tandisque ses mains saisissant mes fessesm’attirent plus près de lui. Mon sexe esttrempé d’excitation, et accueille avecreconnaissance sa verge durcie.

Je me rejette en arrière, prenant appuisur mes mains, tandis que Caleb entre en

moi puis ressort avec toujours plus devigueur. Je me rends compte qu’il alaissé la porte ouverte derrière lui, etmon cœur bat un peu plus vite. J’ai peurde voir débarquer l’équipe de nettoyage,mais je ne veux pas interrompre ce quenous sommes en train de faire. Le plaisirme fait oublier toute prudence, et toutepudeur.

Sous les poussées de Caleb, je nepeux me retenir de gémir. Je vois, à lavigueur de ses coups de reins, que mespetits cris l’excitent encore plus.Soudain, il se penche vers moi et memord légèrement à l’épaule :

– Pas si vite. On n’est pas pressés,

me glisse-t-il.

Puis il me prend à bras-le-corps.

– Tiens-toi à mon cou, dit-il d’unevoix rauque.

Je me serre contre lui et il mesoulève. Toujours emboîtés, nous nousretrouvons je ne sais comment sur lamoquette épaisse. Je suis à cheval surlui.

– Fais ce que tu veux de moi, beauté,me dit-il avec un sourire fatal.

Je ne me fais pas prier.

Même si l’éventualité de l’arrivéedes femmes de ménage est toujours dansun coin de ma tête, je m’oblige à prendremon temps. Je prends les mains deCaleb et les pose sur mes seins,savourant le contact de ses doigts durs etavides sur mes pointes, et je me mets àremuer lentement du bassin d’avant enarrière. Je frotte mon pubis sur sa toison,stimulant mon clitoris qui se gonfle deplaisir. Puis je me mets à monter etdescendre sur sa verge, sans quitter desyeux Caleb qui a fermé les siens etgrogne légèrement, un demi-sourire auxlèvres. J’accélère peu à peu lemouvement, mes mains crispées surcelles de Caleb, posées sur mes seins.

Je rejette la tête en arrière, le frontmouillé de sueur, les yeux fermés, touteà mon plaisir.

Soudain, Caleb se redresse et meserre violemment contre lui. Puis ilprend mon visage à deux mains :

– Je veux te voir jouir, dit-il d’unevoix rendue rauque par le plaisir.

La lumière extérieure éclaire sonbeau visage. J’ai envie de me dissoudreen lui, que nous ne fassions plus qu’un.

Ses mains empoignent mes fesses etc’est lui maintenant qui prend le contrôlede mon bassin et donne le rythme. Je le

sens s’enfoncer de plus en plusprofondément en moi. J’ai les yeuxplongés dans les siens, et je vois sonregard se troubler. Moi aussi, je suisproche de l’orgasme, même si j’essaiedésespérément de retarder l’échéance.

– Grace, tu es si belle, murmureCaleb en me regardant avec une espèced’exaltation.

Je ne peux plus rien maîtriser. Je voisà son regard qui vacille que lui aussi estsur le point de s’abandonner.

– Je vais jouir, lui dis-je dans lecreux de l’oreille.

Il prend mon visage entre ses mains,ses yeux bleus plongent dans les miens,pour ne rien rater de mon abandon.Alors je m’arc-boute sur son sexe, etdans un long gémissement, je me laissealler à la jouissance qui embrase moncorps tout entier.

13. Un avenirradieux… ou presque !

Je reprends peu à peu mon souffle.

Maintenant que les échos du plaisirs’éloignent, je me sens un peu gênée dem’être laissée totalement emporter parmes sens. Ce n’est pas croyable l’effetque me fait Caleb… et quemanifestement je lui fais aussi, et cemême lorsqu’on s’en veut mutuellement.Il va pourtant falloir que l’on apprenne àse contrôler, vu que l’on est appelé à se

côtoyer… Il faut qu’on se rappelle quenous avons une relation d’ordre quasiprofessionnel, et que les sentimentscomme le sexe ne sont pas compris dansle contrat.

Nous sommes encore enlacés, moitesde sueur, sur la moquette du bureau.J’essaie de me relever.

– Aïe. Caleb, je… euh… mescheveux sont coincés.

– Oh pardon.

On a l’air de deux idiots, encore sousle coup du plaisir mais tout embarrassésde nous retrouver si intimes.

Je me lève rapidement et je coursramasser mes vêtements, que je tiensserrés contre moi, comme si ma vie endépendait.

– Il y a une salle de bains, sur tadroite, me dit Caleb, qui me regardeamusé, encore allongé nu sur lamoquette.

Je file aussitôt dans la salle de bains,et sans même y réfléchir, je tourne untour de verrou.

Là, je laisse tomber mes vêtements àterre, et je me regarde dans la glacederrière la porte. Au cas où je penseraisavoir rêvé ce qui vient de se passer, j’ai

encore des rougeurs sur le corps etmême une légère trace de morsure surl’épaule.

Ça promet. Si chaque fois qu’on sevoit, on ne peut pas s’empêcher de sesauter dessus, qu’est-ce que ce seraquand nous devrons cohabiter…

Je me prends à rêvasser. Peut-êtrequ’après tout, si l’on est attiré l’un parl’autre, on n’est pas obligés de resterchastes… Je chasse vite les idées quime viennent en tête. Ce n’est ni le lieu nile moment pour ce genre de réflexions.

Je n’ose pas prendre une douche, jeme rafraîchis un peu, me recoiffe avec

les mains et sors de la pièce.

Caleb s’est rhabillé. Je m’arrête unpeu hésitante, gênée devant son regardinsistant encore chargé de désir. Il vientvers moi, et me prend dans ses bras. Ilm’embrasse, un long baiser plein detendresse et d’émotion.

– Et si on allait chez moi ? Commeça, je te fais visiter l’endroit où tu vasvivre ces prochains jours. Je pourrait’envoyer une voiture demain ou après-demain, quand tu voudras emménager.

J’acquiesce de la tête. Je vaisrécupérer mon sac quand mon portable àl’intérieur sonne. C’est Théo.

Mince, on devait se retrouver il ya… un quart d’heure.

– Oui Théo ? dis-je en décrochant.

Je vois Caleb se raidir en entendantce nom.

– T’es où ? Je t’attends, me dit monami.

– Je ne peux pas rentrer tout de suite.Qu’est-ce qu’il se passe ?

– J’ai vu le collaborateur de NoahGrumberg pour mon histoire depapiers…

C’est vrai qu’il avait ce rendez-vousaujourd’hui !

Je jette un œil à Caleb, quiheureusement n’a pas réagi, il n’a pas dûentendre le nom que Théo vient de citer.

– Attends une minute, Théo. Caleb,excuse-moi, je sors un instant…

Je quitte le bureau et m’éloigne dansle couloir désert.

– Oui, Théo ?– Caleb tu as dit ? Tu es avec ton

« mari » ? me demande Théo avec unevoix pleine de malice.

J’essaie d’éluder :

– Écoute c’est bon, on en parlera plus

tard. Alors, qu’est-ce qu’il t’a dit ?– Bon alors, aucune procédure

d’expulsion n’a été engagée. Je doisrentrer en France, ce qui était de toutefaçon prévu au terme de mon visatouristique de trois mois. À partir de là,je devrai aller à l’ambassade américainefaire une demande officielle de carteverte.

– Mais ils mettent des années à endélivrer une… quand ils la délivrent,dis-je, paniquée.

– Apparemment, avec ton ami, ilsuffira de quelques jours. C’est ce quem’a affirmé son collaborateur, et je n’aiaucune raison de ne pas le croire, vuqu’il a absolument besoin de toi.

Je suis soulagée.

– Bon, très bien.– Tu vas me dire ce que tu fais avec

ton mari ?– Pas maintenant. Je t’expliquerai

quand on se verra.– Je t’attends ou je vais au vernissage

de mon amie Gudrun sans toi ? Jecroyais que tu voulais venir…

– Vas-y, je ne sais pas à quelle heureje rentre.

– Si tu rentres, pouffe Théo.– Passe une bonne soirée, Théo, dis-

je en raccrochant aussitôt pour ne plusentendre ses ricanements.

Je retourne dans le bureau de Caleb,

qui est en train de ranger ses affaires.

– Je suis désolée, c’était…– Tu n’as aucune explication à me

donner, dit-il d’une voix glaciale en seretournant vers moi.

Il a les mâchoires serrées, et l’airtrès en colère. Je ne comprends pas cechangement d’attitude.

Ce n’est quand même pas à causede… Théo ?

– Mais… Qu’est-ce qui se passe,Caleb ?

– Le chauffeur nous attend, on y va,me répond-il sèchement.

Il s’efface pour me laisser passer laporte et m’emboîte le pas. Il ne me ditpas un mot dans l’ascenseur et s’emparede son téléphone dès que nous sommesinstallés dans la voiture.

Je n’ose pas dire un mot. Je suisdéconcertée et attristée par cechangement d’attitude soudain. Commenta-t-il pu passer aussi vite de l’amantpassionné à l’individu antipathique etdistant ?

Le chauffeur nous dépose devant unimmeuble en brique rouge de Tribeca.Le bâtiment est très beau, c’est tout ceque j’aime à New York, avec sesescaliers de secours pour les incendies

et passerelles en métal.

– J’adore ce genre de bâtiment, dis-jed’une voix enjouée, mais Caleb ne prendmême pas la peine de me répondre.

Bon, ça s’annonce bien, cettevisite…

L’immeuble n’est pas très haut, cinqétages. L’ascenseur s’arrête auquatrième.

Caleb ouvre la porte de sonappartement et me fait signe d’entrer.J’obéis, et je me retrouve dans le plusbel appartement new-yorkais que j’aiejamais vu. Certes, je n’en ai pas vu tant

que ça, mais je suis sûre que la plupartdes gens seraient aussi séduits que je lesuis à cette minute.

La pièce où nous sommes entrés esten fait un grand loft, au sol recouvertd’un magnifique parquet, divisé enplusieurs espaces – salle à manger,salon, coin de projection avec énormeécran et fauteuils moelleux… –, séparéspar des piliers ou des bibliothèques. Jeremarque une volée de marches en boisqui me fait comprendre que c’est unduplex : Caleb habite donc les deuxderniers étages de l’immeuble. Certainsmurs sont blancs, quand d’autres sont enbrique rouge, ce qui est du plus bel effet.Peu de meubles, quelques œuvres d’art,

et de splendides plantes vertes ici et là.Et une grande cuisine ouverte devant unetrès haute table en bois épais, entouréede tabourets hauts en acier et bois.

J’en ai le souffle coupé.

Je fais le tour de l’étage pour enadmirer le décor.

– Mon Dieu, Caleb, c’est magnifique.

Mon admiration est sincère, mais ellene semble pas amadouer Caleb, qui medévisage avec une drôle de lueur dansles yeux.

– On monte à l’étage ? Il y a ma

chambre, mon bureau, la chambre où tudormiras et…

– Caleb, ça suffit maintenant, dis-je,exaspérée par son attitude ; dis-moi cequi ne va pas. Tout à l’heure, ons’embrassait, on a fait l’amour, etmaintenant tu me parles comme si tu medétestais !

– Pas du tout, je ne te déteste pas,répond-il d’un ton sec. Il était prévu quetu aies ta propre chambre…

– Mais on s’en fout de cette chambre,ce n’est pas de ça qu’il s’agit ! Tut’entends ? Tu as vu comment tu meparles ? Mais qu’est-ce que j’ai faitpour te mettre si en colère ?

Il me fixe un instant et je vois qu’il

fait un effort pour ne pas s’emporter.

– Écoute, Grace, ce qui s’est passétout à l’heure était une erreur…, dit-ild’une voix glaciale.

– Tu regrettes ? C’est ça ?– Grace, je te paie pour que tu joues

un rôle. Je ne veux pas profiter de toi,rien dans ton contrat ne stipule que tucouches avec moi, ce n’est pas compris.Coucher avec quelqu’un pour del’argent, tu sais comment ça s’appelle…

Non mais, il me traite deprostituée ? !

– Et comme par hasard, tu te ressaisisjuste après le coup de fil de Théo ? dis-

je avec un sourire ironique, essayant derester impassible malgré l’injure, alorsque je tremble de colère.

– Ce que tu fais avec ton amant ne meregarde pas, dit-il d’un ton coupant.J’aimerais juste que tu sois discrète, quetu ne me ridiculises pas, ainsi que mafamille. Et puis si ça ne te pose pas deproblème de coucher avec deuxhommes, moi j’aimerais éviter ce genrede situation.

Un instant, j’ai de nouveau latentation de lui dire toute la vérité sur lanature de ma relation avec Théo, mais jesuis trop en colère contre lui.

Je ne sais pas s’il est jaloux, ou si

c’est son ego qui parle, mais s’il souffre,c’est bien fait pour lui.

– Je crois que j’en ai assez vu, dis-jesèchement. Je viendrai m’installerdemain, comme promis. Pour le reste, tuas raison, nous sommes liés par uncontrat, qui ne prévoit ni sentiments nisexe entre nous. Je te confirme, ce quis’est passé entre nous ne se reproduiraplus.

Et je tourne les talons, quittantl’appartement sans qu’il cherche uninstant à s’excuser, claquant la portederrière moi.

Une fois sur le trottoir, j’explose en

sanglots en serrant les poings, avant dem’éloigner du lieu où je vais devoirvivre ces prochains jours.

Comment a-t-il pu faire ces horriblesinsinuations ? Comment vais-je pouvoircohabiter avec ce monstre sans cœur ?

Pendant quelques minutes, malgrémoi, j’espère entendre ses pas derrièremoi, je m’attends à ce qu’il pose sa mainsur mon épaule et me dise qu’il regretted’avoir dit ces horreurs. Mais rien de telne se passe, et c’est le cœur meurtri queje m’engouffre dans la station de métropour regagner Brooklyn. Seule.

14. Une coloc pasordinaire

– Je pensais passer prendre dessushis. À moins que tu n’aies envied’autre chose ?

– Non, merci, des sushis ça ira trèsbien, Caleb.

– Alors à tout de suite, Grace. Etdésolé encore de rentrer si tard.

Je raccroche, un peu perplexe. Il s’estmontré si enjoué, comme s’il étaitcontent de rentrer à la maison pour me

retrouver après le travail, comme si onétait… un couple « normal ». Mais onn’est pas un couple, et encore moins uncouple normal !

Ça fait cinq jours que je vis chezCaleb, et je dois bien avouer que depuisque je suis « installée » provisoirementdans son duplex de Tribeca, il se montreun compagnon des plus attentionnés.Sans doute essaie-t-il de se fairepardonner ses mots blessants alorsqu’on venait de faire l’amour, même s’ilne s’en est pas excusé. Je ne me suistoujours pas expliqué son changementd’attitude soudain, je ne sais pas s’il mefaisait réellement une crise de jalousiepar rapport à Théo, nous avons

soigneusement évité d’en reparlerdepuis.

Mais je n’ai pas oublié pour autant, etquand j’y repense, je suis toujours follede rage. Il voulait que notre relationreste « contractuelle », il est servi. Jereste polie, mais toujours sur la réserve.Et froide… autant que possible.

Car je suis mortifiée de lereconnaître, mais c’est difficile derésister à Caleb lorsqu’il fait sonnuméro de charme. Et depuis qu’on estsous le même toit, il s’est montrévraiment adorable. Entendons-nous bien,pas entreprenant non plus, mais il a toutfait pour que je sois installée de la

manière la plus confortable possible, ils’est rendu libre tous les soirs après letravail pour m’emmener dîner dehors…Il est très à l’écoute, toujours trèscurieux de ma journée, de mon travail auzoo. Il m’a posé beaucoup de questionssur Susie, que j’ai revue, sur les enfantsdu centre auxquels j’ai donné monpremier cours. Et le pompon : hier, ilm’a fait livrer des recueils de photosanimalières, et des guides pour préparermon projet de safari-photo.

Vous feriez quoi, vous ? ! Moi, j’aibien failli craquer. Heureusement qu’iln’était pas encore rentré quand le livreurest venu déposer tous ces livres, je croisque je lui aurais sauté dessus !

Le temps que Caleb rentre, j’avaisheureusement repris mes esprits, et jel’ai remercié comme il se doit, mais enévitant tout contact. Et croyez-moi,quand il vous regarde comme ça, avecses yeux pétillants et son sourireénigmatique, c’est pas facile !

Après avoir raccroché, je me regardedans la psyché, devant laquelle j’étaispostée quand Caleb m’a appelée.Puisque j’en suis aux confessions, autantvous dire : aujourd’hui, j’ai refait magarde-robe. Oui, moi, j’ai fait unejournée de shopping, je suis rentrée lesbras chargés de paquets, et, à ma plusgrande honte… j’ai plutôt aimé ça !

Attendez, ne grimpez pas au rideautout de suite, Caleb ne m’a pasaccompagnée faire les boutiques de luxefaçon Pretty Woman. Non, un matin, aupetit déjeuner, il m’a « juste » confié sablack card. Ça fait un drôle d’effet, jevous l’assure. J’ai commencé parrefuser, mais il m’a rappelé que moncontrat prévoyait des frais dereprésentation (pour un budgetconséquent !), et que puisque cela allaitm’obliger à fréquenter un certain monde,à aller à des soirées officielles, et sansdoute faire des séances de photos « enfamille », autant que je choisisse moi-même des vêtements appropriés maisdans lesquels je serais à l’aise. Je me

suis laissée convaincre, et dès qu’il atourné le dos, j’ai appelé Théo : quelmeilleur conseiller qu’un photographede mode ?

Évidemment, Théo ne s’est pas privéde me chambrer sur mon soudain intérêtpour les chiffons, mais il s’est empresséd’accepter sa mission. En fait, je croisqu’il attendait ça depuis longtemps ! Çafait des années qu’il se moque de monlook de garçon manqué. Depuis qu’onest colocataires, parfois, j’ail’impression de vivre avec ma mère…

Théo à un goût et un œil sûrs, et il meconnaît très, très bien. Il m’a emmenéedans les boutiques de créateurs dans

lesquelles il était certain que j’allaistrouver des vêtements élégants qui meplairaient et correspondraient à ce queje suis, et il ne s’est pas trompé. Je doisreconnaître que je me suis amuséependant ce périple entre West Village etNolita, et même, que je me suis laisséeprendre au jeu. Et le résultat est loin deme déplaire.

Je trouve le reflet dans la psychéplutôt flatteur. J’ai l’impression de medécouvrir, dans cette petite robe MarcJacobs et mes boots à (petits) talons, lescheveux relevés en un chignon flou. Jesuis indéniablement plus féminine, etaussi plus femme, dans le sens moinsadolescente. Il était sans doute temps…

Je m’assieds au bord du lit, songeuse.J’ai l’impression de faire ma mue.Fallait-il cette rencontre improbableavec Caleb pour que je commence àaccepter non seulement ma féminité,mais aussi l’abandon de mon côtéadolescente ? Je pense que j’en avaispris le chemin en quittant le gironfamilial (paternel, devrais-je dire) pourvenir vivre à New York, mais,aujourd’hui, j’ai la sensation d’être à untournant. Caleb, les cours au centre deSusie… Il se passe tellement de chosesdans ma vie…

Avant que je puisse aller plus loindans mes réflexions, j’entends le bruitde la porte d’entrée à l’étage inférieur.

Le cœur battant, comme chaque fois queCaleb rentre, je jette un dernier coupd’œil au miroir avant de descendre lerejoindre.

Rien que pour le regard de Caleblorsqu’il me découvre en haut del’escalier, cette journée de shoppingvalait la peine.

– Waouh… ça change, laisse-t-iléchapper, l’œil étincelant.

J’esquisse un petit sourire modeste.

– Je veux dire… Tu es ravissante,reprend-il sur un ton admiratif. Ça te vatrès bien. Non pas que tu ne sois pas

charmante d’habitude, ajoute-t-ilembarrassé, mais… Enfin, c’est super,bon choix.

Je hoche la tête pour le remercier deses compliments, confuse, sans lui direque Théo a œuvré à la transformation.Maintenant que nos rapports sontcordiaux, je ne veux pas de nouveauenvenimer les choses.

Caleb lui-même est absolumentcraquant, dans son costume anthracite siélégant. Si je ne me retenais pas, j’iraisme jeter dans ses bras. Je le regarde enessayant de ne pas avoir l’air attendri,comme je le suis toujours devant sonrituel en entrant chez lui : la porte à

peine passée, il desserre sa cravate et labalance sur une chaise, un canapé, avantmême d’ôter sa veste.

– Je meurs de faim… pas toi ? melance-t-il en déposant les sushis sur legrand îlot en bois dans la cuisineouverte.

J’acquiesce et je prends des assietteset des couverts. Nous nous installonsautour de la table. C’est la première foisque nous dînons « à la maison », en têteà tête, et je suis un peu émue. Même si jen’ai pas pardonné à Caleb ses motsblessants et que j’ai tout fait pourmaintenir une distance entre nous, unecertaine complicité s’est nouée au fil de

nos conversations du soir et des petitsdéjeuners partagés. Dans des momentscomme celui-ci, j’oublie que notrecouple est le résultat d’un gage stupideet d’un contrat, et je me prends à rêverque nous sommes « vraiment »ensemble, amoureux…

– Je viens d’avoir ma mère autéléphone. Elle arrive demain, me ditCaleb en avec un air gêné.

– Déjà ? Mais je croyais…, dis-je,avant de m’arrêter, surprise etvaguement inquiète de cette arrivéeavancée.

– Elle a décidé d’arriver avant monpère. Elle en avait assez de Baltimore.Je crois qu’elle a surtout hâte de te

connaître.

J’ai du mal à avaler la bouchée desushi.

– La bonne nouvelle, reprend Caleb,c’est qu’ils repartent plus vite queprévu. Mon père ne sera là en faitqu’une journée. La mauvaise, c’est quema mère ne veut pas dormir à l’hôtel.

Aïe. Caleb m’avait dit qu’il allaits’arranger pour qu’ils ne passent pas lanuit chez lui.

–Tu vas être obligée de dormir dansma chambre, ajoute-t-il avec une petitemoue d’excuse.

Je le regarde, stupéfaite.

– Avec toi ?– Ne t’en fais pas, j’ai un lit king

size, dit-il d’un ton léger. Et c’est justepour un soir.

Moi et Caleb dans le même lit ? Jene donne pas cher de notre relationplatonique…

– Je suis désolé, Grace, dit-il envoyant que son annonce me perturbe,mes parents ont l’habitude de descendrechez moi quand ils sont à New York.J’ai essayé de faire comprendre à mamère qu’ils seraient peut-être mieuxcette fois à l’hôtel, mais elle a dit que

comme elle serait seule, elle préféraitrester avec nous. Que voulais-tu que jeréponde ?

Je sais pas, moi. Maman, je viens deme marier, on peut avoir un peud’intimité ?

Cette nouvelle me trouble vraiment.J’ai peur de ce qui peut se passer, et quecela ne rompe le fragile équilibre auquelon est arrivés.

Je dois faire une drôle de tête, carCaleb change soudain d’expression etdit d’un ton décidé :

– Je vois que l’idée te déplaît, et en

fait, tu as raison c’est stupide. Je vaisréserver tout de suite une chambre au…

Je le coupe, soudain honteuse de maréaction :

– Non, non, ça ira. Et c’est juste pourquoi ? Une nuit ?

Je ne vais quand même pas jouer lesvierges effarouchées. Après tout, il neva pas me sauter dessus, moi encoremoins après ce qu’il m’a dit la dernièrefois, on doit pouvoir dormir ensemblesans que cela dérape… enfin, en toutcas, on peut essayer.

– Oui, une nuit, dit Caleb avec un

grand sourire, manifestement soulagé dema bonne volonté. Mon père arrivera lelendemain dans la matinée, et ilsrepartiront le soir même pour Chicago,après les interviews et la séance photo.J’essaierai de ne pas ronfler, ajoute-t-il,taquin.

– Je pense que je survivrai à cetteépreuve, lui réponds-je sur le même ton.

J’essaie de rester naturelle, deplaisanter, mais l’idée de dormir ànouveau dans le même lit que Caleb memet dans tous mes états. Lui n’a pourtantpas l’air plus perturbé que ça…

– Tu seras libre de retourner àBrooklyn dès leur départ, poursuit-il.

Moi-même, je devrai décoller dans lasoirée pour Tucson avec Stacy, pourvoir un client.

– Ah… Je… très bien, d’accord.

Penché au-dessus de la table, Calebm’observe avec une attentionparticulière, comme s’il guettait sur monvisage des réactions à son annonce, etj’essaie de masquer mon trouble. Maisses derniers mots m’ont émue plus queje ne le voudrais. Et doublement. Toutd’abord, le savoir en virée avec Stacy,même s’il la côtoie tous les jours, nem’enchante pas. Ils vont se retrouvertous les deux, à l’hôtel…C’est idiot,mais… j’avoue, je suis jalouse. Maissurtout, je me rends compte que l’idée

de quitter cet appartement, où je partagel’intimité de Caleb, m’est insupportable.Alors qu’il n’en semble pas du toutcontrarié…

Ces sentiments douloureux meprennent par surprise, et avec uneviolence qui me sidère. Je réussis àcomposer mon visage, mais à l’intérieur,je suis bouleversée. Caleb parle de toutet de rien, sans sembler remarquer monmalaise, mais je l’écoute distraitement,ne répondant plus que par monosyllabes.

– Je t’ai rapporté un cheesecake deLady M, ça te dirait de le dégusterdevant un film ? dit Caleb en se levantde table pour débarrasser.

Mon cheesecake préféré, il s’en estsouvenu…

Je suis touchée par son attention,mais je ne me sens pas la force de mecontrôler le reste de la soirée, de luicacher combien la perspective de mondépart me bouleverse…

– C’est très gentil Caleb, mais… jevais aller me coucher. J’ai un peu mal àla tête, dis-je en portant une main à monfront.

Il me regarde, les sourcils froncés ; ilne croit pas trop à cette migraine subite.Mais il a le bon goût de ne pasmanifester son doute.

– Je suis désolé, Grace. Je te laisse tereposer alors. Il y a du paracétamol dansta salle de bains. Le cheesecake est dansle frigo, si tu as une petite envie, plustard…

Je le remercie d’un sourire et regagnema chambre à l’étage. J’ai besoin desolitude, pour remettre de l'ordre dansmes idées, et mes émotions… Il s’estmontré si attentionné ces derniers joursque j’ai cru que… peut-être… iléprouvait un peu plus que de l’amitié, oude la reconnaissance pour moi.

Le choc est violent, mais sans doutesalutaire. Je réalise que je me suisattachée plus que je n’aurais dû à

Caleb ; il faut absolument que je mereprenne, avant de souffrir davantage.

15. Ma belle-mère… etmoi !

– Chérie, je te ressers un peu de vin ?me demande Caleb.

Je secoue la tête pour décliner, sanspouvoir m’empêcher de sourire, amuséepar ce « chérie ». Je n’ai pas besoin dedavantage d’alcool, je suis déjà toutétourdie par les mots doux dont m’aabreuvée Caleb pendant tout le dîner,que nous prenons dans un petit restaurantà quelques pas de son duplex.

J’ai enfin rencontré ma belle-mère,Laura Montgomery, qui est arrivéeaujourd’hui à New York. Une bellefemme, blonde, de taille moyenne maisqui se tient si droite qu’elle paraît trèsgrande, avec une coupe au carré un peudégradée parfaitement laquée et uncollier de perles autour du cou. Toutdans son attitude, un peu hautaine,inspire le respect, mais pas franchementla sympathie.

Je comprends le malaise de Calebquand je lui ai demandé de me parler desa mère : contrairement à son mari, qui àla télé avait l’air très chaleureux, elleaffiche un visage sévère, qui s’éclaireparfois de grands sourires qui semblent

seulement de convenance. LauraMontgomery est extrêmement retenue,d’une politesse glaciale qui met plus malà l’aise qu’elle ne rassure, et j’avoueque je n’en menais pas large quand,après que Caleb m’avait présentée, ellea commencé à me cribler de questions.Je devais avoir l’air intimidée et mal àl’aise, car Caleb s’est interposé enproposant de sortir dîner.

Une fois à table, dès que ma belle-mère se montrait curieuse à mon sujet,Caleb s’empressait de détourner laconversation, avec une certaine adresse,en me glissant des regards complices.

– Alors votre robe de mariée, c’était

une plaisanterie ? me dit la mère deCaleb, qui revient sur le sujet dumariage pour la énième fois depuis ledébut du repas.

Un sujet que nous avons vainementessayé d’évacuer…

– Pas du meilleur goût, j’en conviens,réponds-je, gênée. Mais ce n’est pas dutout le genre de vêtements que je portehabituellement. Ils ne m’appartenaientpas d’ailleurs.

– Et dites-moi Grace, vous avezprévu une tenue pour la séance photo dedemain ? La journaliste a insisté pourque nous fassions des photos de famille,et bien sûr, maintenant que vous en faites

partie…, ajoute-t-elle.

Je rêve ou son sourire a tout de lagrimace ? Mais non, c’est moi qui suisparano…

– Eh bien… euh… J’ai…,commencé-je sans conviction.

– Non parce que vous êtesabsolument ravissante, mais ce que vousportez ce soir, c’est un peu…commedirais-je… casual ?

Je la regarde sans mot dire, confuse.Quand je suis rentrée de Harlem ce soir,je pensais troquer mon jean et mesbaskets contre une tenue plus fémininemais la mère de Caleb était déjà arrivée.

– Maman, tu ne vas pas commencer,intervient Caleb. Grace est parfaitecomme elle est, elle ne va pas sedéguiser pour ton fichu magazine.

– Qui parle de se déguiser ? répondLaura avec une petite moue sarcastique.Un peu d’élégance ne peut pas nuire.

Prends-toi ça dans les dents,Grace… Je ne suis pas sûre qu’elle aitapprécié le mariage express de son fils,mais en ce qui concerne ma robe demariée, je n’ai aucun doute ! Cela dit,vu le désastre que c’était, je comprendsqu’elle se méfie maintenant…

– Enfin chéri, dit-elle en se tournantvers son fils, tu oublies que ton père est

candidat à l’investiture…– Et Dad serait le premier à vouloir

que Grace soit naturelle, répond-il dutac au tac. S’il est choisi, ce sera sur sesidées, pas sur les tenues de sa belle-fille. Moi, je trouve Grace très élégantequelle que soit sa tenue, elle n’a pasbesoin de porter des tailleurs et descolliers de perles pour être bienhabillée. Tu ne veux quand même pas enfaire ton clone ?

– Donc, tu n’apprécies pas monallure ? lance Laura, piquée au vif.

– Tu es très bien comme tu es, répondcalmement Caleb. Mais je n’ai pasépousé ma mère.

Je suis attendrie de voir Caleb

prendre ma défense, mais étonnée parl’animosité que je ressens entre lui et samère. J’assiste à cet échange comme sij’étais à un match de tennis. Ces deux-làse renvoient la balle continuellement, etj’ai l’impression qu’entre eux deux, lapartie a commencé il y a longtemps…

– Ne vous en faites pas, madameMontgomery, interviens-je pour mettrefin à la conversation, j’ai quelquesvêtements un peu plus féminins que ceuxque je porte ce soir.

Elle adresse un petit sourire pincé àCaleb et se tourne vers moi :

– Je ne voulais pas vous blesser,

Grace…– Et ce n’est pas le cas, madame

Montgomery, dis-je en souriant.– Si vous voulez, je peux vous aider

à choisir une tenue, ajoute-t-elleaussitôt.

Du coin de l’œil, je vois le visage deCaleb se crisper. Je ne veux pas entreren conflit avec ma belle-mère, mais jene peux pas le lâcher, alors qu’il vientde s’opposer à elle pour moi.

– Non merci, dis-je poliment maisavec fermeté. Je pense que je suis en âgede choisir toute seule…

Elle me regarde un instant, surprise.

Depuis le début du repas, je me suismontrée très effacée, j’étais un peuimpressionnée c’est vrai, et elle nes’attendait manifestement pas à ce que jelui résiste.

– Je… oui, évidemment, lâche-t-elle.

Caleb me sourit et me prend la mainsous la table. J’ai comme une déchargeélectrique : depuis notre dispute, nousavons évité tout contact physique etsentir de nouveau sa peau contre lamienne me trouble infiniment.

Pendant le reste du dîner, Laura meregarde différemment : plusieurs fois, jesurprends ses yeux posés sur moi,

comme si elle me jaugeait, et réévaluaitla première impression qu’elle avait euede moi.

Heureusement, Mme Montgomery semontre au moins aussi intéressée par lesdossiers sur lesquels travaille Caleb quepar ma petite personne. J’apprends alorsqu’elle a fait des études de droit àHarvard aussi, avant d’épouser lesénateur et de mettre de côté unecarrière d’avocate qui s’annonçaitprometteuse.

Soudain, alors que nous nousapprêtons à quitter la table, elle retientCaleb qui allait se lever de son siège :

– Caleb, je suis venue un peu enavance à New York pour réclamer tonaide.

– Que puis-je pour toi, Mère ?– Walter Grant veut rencontrer ton

père. Il peut devenir un donateur trèsimportant pour sa campagneprésidentielle, s’il est choisi commecandidat du parti. Mais ton père refusede le voir, à cause de sa prétendue« réputation », et tu sais comme il esttêtu…

– Et tu veux que je le persuade de lerencontrer ? dit Caleb en haussant unsourcil.

– Ton père écoute toujours tesconseils…

– Eh bien, je ne l’encourageraicertainement pas à voir ce type, lâcheCaleb avec une grimace. Je suis tout àfait d’accord avec Dad, c’est un salebonhomme. Il n’a pas qu’une« réputation » comme tu dis, il n’est pasfréquentable et l’avoir parmi lesdonateurs serait pour Papa un bouletqu’il risque de traîner toute sa vie.

– Mais pour la campagne, nous avonsbesoin de tout le soutien et l’argent…

– Pas de n’importe quel argent, Mère.Grant gère un fonds d’investissementplus que douteux, aux pratiques à lalimite de la légalité, je l’ai moi-mêmerefusé comme client de mon cabinet ; jene vais pas conseiller à Dad d’accepter

son soutien financier.

Sa mère le regarde, stupéfaite :

– Tu as une drôle de façon deconcevoir ton métier d’avocat, lance-t-elle, acide. Ne t’a-t-on pas appris quetout le monde doit être défendu ?

– Absolument, mais pas forcémentpar moi, répond Caleb d’un ton cinglant.Si tu avais créé ton cabinet, Mère, tul’aurais dirigé comme tu l’entends, je teprie d’accepter que je dirige le mien àma façon.

Je suis absolument sidérée par cetteconversation, et très mal à l’aise.L’échange a encore une fois été poli,

aucun des deux n’a élevé la voix, maisla tension entre eux est palpable. Si sabouche affiche un petit sourire crispé,les yeux de Laura lancent des éclairstandis que nous nous levons de table.

On dirait qu’ils ont des comptes àrégler…

Ce dîner a été fort instructif. Jecomprends pourquoi Caleb parle aussipeu de sa mère, alors qu’il ne tarit pasd’éloges sur son père : on ne peut pasdire qu’ils s’entendent à merveille. Etmoi qui trouvais Caleb dur en affaires,je me rends compte que ce n’est rien àcôté de sa mère. Quelle redoutableavocate elle aurait pu être…

Nous rentrons au duplex à pied.Toujours dans son rôle de jeune mariéamoureux, Caleb a passé son bras autourde mes épaules. Mais il a la têteailleurs, je vois qu’il est contrarié, ilavance sans mot dire, les mâchoiresserrées. Sa mère n’est pas plus loquace,elle presse le pas et nous devance.

– Caleb, tu devrais aller parler à tamère. Aller t’excuser.

– Tu ne vas pas prendre sa défense ?Tu as vu comme elle t’a parlé ? Et cettefaçon qu’elle a d’essayer de contrôlertout et tout le monde…, dit-il exaspéré.

– D’abord, elle ne m’a rien dit degrave. Ensuite… C’est ta mère. Tu m’asdit toi-même que tu ne la vois pas

souvent, pour une fois que vous êtesréunis, vous n’allez pas vous brouiller.Tu pourrais faire un effort, ce n’est pascomme si tu devais vivre avec elle auquotidien… Va lui parler.

Nous nous sommes arrêtés sur letrottoir, tandis que Laura continue samarche forcée. Caleb me regarde uninstant, et je vois son regard s’adoucir.

– Tu as raison.– Vas-y.

Après un dernier sourire, il s’éloigned’un pas rapide, et va rejoindre sa mère.Je le vois la prendre par le bras, et sepencher vers elle. Je n’entends pas ce

qu’il lui dit, mais il a dû trouver lesmots, car elle passe son bras autour desa taille.

Je suis soulagée. D’après ce que j’aivu ce soir, mère et fils ont des rapportsconflictuels, même si je ne doute pas del’amour qu’ils ont l’un pour l’autre. Leurcontentieux, quel qu’il soit, ne va pas serégler en une nuit, mais au moins, cesoir, ils ne s’endormiront pas fâchés.

Je les rejoins à l’entrée del’immeuble, où ils s’étaient arrêtés pourm’attendre. Un coup d’œil à Laura merassure tout à fait : son visage est plusdétendu qu’il ne l’a été de toute lasoirée.

– Mère, tu veux un dernier verre ? ditCaleb tandis que nous retirons nosmanteaux dans l’entrée de l’appartement.

– Non merci chéri, je vais mecoucher. Je sais bien qu’on aura unemaquilleuse demain, mais je ne suis pasaussi jeune et fraîche que Grace, je doisme coucher tôt si je ne veux pas avoirl’air d’une momie sur les photos, dit-elle.

C’est la première fois qu’elle me faitun compliment, même de manièredétournée, et j’en suis agréablementsurprise.

– Tu seras parfaite, Mère. Et toiGrace, un verre ? me demande Caleb.

– Je vais aller me coucher aussi, jesuis un peu fatiguée.

– Très bien, je te rejoins bientôt, dit-il.

Je monte l’escalier accompagnée deLaura. Contrairement au vaste espacefaçon loft au-dessous, l’étage supérieurdu duplex est plus classique et comporteun grand couloir desservant plusieurspièces : le bureau de Caleb, les deuxchambres équipées de salles de bains etun grand salon par lequel on peutaccéder à une terrasse sur le toit.

Je m’apprête à quitter Laura dans lecouloir mais, alors que je lui souhaiteune bonne nuit, elle me prend par le

bras :

– Vous savez, Grace, je ne voulaispas vous blesser tout à l’heure. Vous êtesjeune, vous entrez dans un monde quevous ne connaissez pas, je pensais quevous pouviez avoir besoin de conseils,me dit-elle d’une voix aimable.

– Et c’est très gentil à vous, madameMontgomery, dis-je.

Je me sens soudain mieux disposée àson égard. Elle n’est peut-être pas siterrible, après tout.

Troublée par ces propos soudainamicaux, je lui souhaite une bonne nuit etm’éloigne. Je fais quelques pas avant de

me rendre compte de mon erreur. Parréflexe, je me suis dirigée vers lachambre que j’occupais jusqu’ici, àl’opposé de la chambre de Caleb. Je faisvolte-face et croise le regard de mabelle-mère, qui n’a pas bougé et mejauge d’un air soupçonneux.

– Je… je n’ai pas encore pris mesmarques, balbutié-je, le rouge aux joues.

Je vois à son regard qu’elle n’est pasconvaincue par mon explication.

– Oui, je comprends, commente-t-elled’une voix traînante dans laquelle jedécèle un peu d’ironie et beaucoup dedoute…

Alors que je me dirige vers lachambre de Caleb, je sens son regardposé sur moi, comme une brûlure dans ledos…

***

Avant de me glisser dans le lit, j’aienfilé le tee-shirt le plus long et le pluscouvrant que j’ai pu trouver. Je paniqueà l’idée de retrouver la proximité ducorps de Caleb, mais il se fait attendre.Il a fait comme si la perspective dedormir avec moi ne le troublait pas,mais peut-être est-il aussi stressé que jele suis…

Ma première nuit dans l’appartement,

j’étais tellement en colère contre Calebque je n’ai pas songé un instant à lerejoindre. Et après ce qu’il m’avait ditsur la nécessité de ne pas outrepasser lecontrat, je savais qu’il ne prendrait pasle risque de venir frapper à la porte.Mais au fur et à mesure de notrecohabitation, ma rancœur s’estestompée, je me suis surprise à espéreret quelquefois, j’ai eu du mal àm’endormir. Mais alors, ce soir, je nesais pas si je vais pouvoir fermer l’œil,en le sachant à quelques centimètres demoi…

J’ai laissé la veilleuse allumée prèsdu lit, et allongée dans la semi-pénombre, je guette un bruit dans

l’escalier, dans le couloir, mais rien. Jevois les minutes défiler sur leradioréveil. Peut-être a-t-il finalementdécidé de dormir sur le canapé ?J’essaie de trouver le sommeil, maisrien n’y fait, mes sens sont aux aguets.C’est alors que je l’entends approcher.Mon cœur bat à grands coups dans mapoitrine. Je ferme les paupières etj’enfonce mon visage dans le coussintandis qu’il pousse doucement la porte etla referme derrière lui. Je l’entends sedéshabiller, et même si mon poulss’accélère, je m’astreins à respirercalmement, pour que mon souffle donnel’illusion du sommeil. Caleb va dans lasalle de bains et revient enfin se glisser

dans le lit. Il a éteint la lumière, Je suisblottie à une extrémité du matelas, lesyeux écarquillés dans le noir. J’attends.

Mais j’attends quoi ?

Malgré moi, j’attends qu’il me prennedans ses bras, qu’il me dise qu’ilregrette ce qu’il m’a dit, qu’il a envie demoi. Parce que moi, j’ai terriblementenvie de lui, de sentir sa peau contre lamienne, qu’il me couvre de baisers.Mais je ne peux pas faire le premier pas,pas après ce qu’il a dit l’autre fois, je neveux pas courir le risque d’être rejetéede nouveau.

Parle-moi, Caleb, dis-moi quelque

chose, n’importe quoi…

Je ne sais pas si ce sont les mêmespensées qui l’agitent, mais il n’arrêtepas de se tourner et de se retourner dansle lit où je gis aussi immobile qu’unemorte. Je n’ose faire un geste, de peur dele toucher ; j’ai peur de ma réaction, dela sienne.

Je ferme les yeux et j’essaie deretrouver mon calme, de me forcer àm’endormir, mais le sommeil ne veutpas venir.

Soudain, je sens son pied frôler lemien. Le contact a été furtif, mais bienréel, et un frisson a parcouru mon corps.

Il me teste ? Je dois faire quoi ? Etsi je lui parlais… ? Si je le touchais dupied… ?

Un instant, je crois qu’il va meparler, je le sens s’approcher dans mondos. Mon cœur bat encore plus vite. Jeme dis que s’il me touche, je me jetteraidans ses bras.

Qu’il me touche, faites qu’il metouche…

Mais je l’entends pousser un légersoupir, et il s’éloigne à l’autre bout dulit.

La nuit va être longue.

16. Une famille surpapier glacé

Le sommeil a eu raison de moi. J’aifini par m’endormir. Mais Caleb, vu satête, je n’en suis pas si sûre…

Ce n’est pas très charitable, mais levoir ainsi, les yeux cernés, à la table dupetit déjeuner, me met de bonne humeur.

Je suis sûre qu’au moins cette nuit,il a regretté d’avoir rédigé son mauditcontrat et d’avoir déclaré que notre

relation devait rester platonique…

La mère de Caleb s’est levée bienavant nous. Elle boit son café sur un descanapés, en lisant la presse sur son iPad,des lunettes en écaille sur le nez. Elleest déjà impeccablement maquillée etcoiffée, à croire que sa coiffeuse adormi dans sa chambre.

Une sonnerie retentit. Caleb reposesa tasse et va ouvrir la porte.

– Ah, ton père est là, lance sa mère,sans bouger de son canapé.

Je suis un peu émue à l’idée derencontrer le sénateur. Et pas seulement

parce que c’est le père de Caleb : je n’aijamais croisé un homme politique decette envergure.

D’ici quelques mois, il pourrait êtrele président des États-Unisd’Amérique, quand même !

Je tortille nerveusement mes cheveux,tandis que Caleb attend à la porte.J’entends des exclamations.

Il n’est pas seul ?

Je m’approche de l’entrée pour lesaluer et je découvre alors derrière lesénateur… Noah Grumberg.

Heureusement que Caleb me tourne ledos, ça me laisse le temps de masquerma surprise et mon dégoût avant qu’il nese retourne vers moi pour me présenter.

– Dad, voici Grace, ma femme.– Grace ! Je suis tellement content de

vous rencontrer, dit le géant aux cheveuxblancs en venant me prendre dans sesbras.

J’ai dû rougir jusqu’aux oreilles.

– Moi de même, monsieurMontgomery, dis-je, un peu confuse, nem’attendant pas à tant d’effusions.

Il est aussi sympathique qu’à la télé.

Sa femme a été moins démonstrative ;hier, elle s’est contentée de me donnerune poignée de main. Et on ne peut pasdire qu’elle a fait montre de beaucoupd’enthousiasme.

– Mais voyons, Grace, appelez-moiWill ! Je ne comprends pas pourquoi tum’as caché une si ravissante jeunefemme, Caleb, dit-il en se tournant versson fils. À moins que tu n’aies eu peurque je te la vole…, ajoute-t-il avec ungrand rire, les yeux pétillant de malice.

Je jette un œil au visage de sa femmequi est venue finalement nous rejoindre,et qui affiche un sourire pincé.

– Grace, rassurez-vous, je ne vous entiens pas rigueur. Caleb m’a toutexpliqué et je comprends, poursuit lesénateur. Vous vouliez préserver votreunion de la curiosité médiatique, et si jeregrette quelque chose, c’est que vousn’ayez pas pu y parvenir. Je ne vous enveux pas de ne pas nous avoir prévenus,l’amour n’a pas besoin de tant detralalas, de fête, de demoisellesd’honneur… Ah, dit-il en se retournant,je vous présente Noah Grumberg, mondirecteur de campagne.

Je dois composer mon visage etsourire à l’horrible personnage qui m’afait chanter en menaçant de faireexpulser Théo. Il est d’un naturel

confondant, on jurerait qu’il ne m’ajamais rencontrée.

– Enchanté Grace, me dit-il ensouriant de toutes ses dents, ravi de fairevotre connaissance.

– Bonjour.

C’est tout ce que j’ai réussi àarticuler.

Je fais comme si je n’avais pas vu samain se tendre puis s’éloigner. Jeremarque au passage la lueur de surprisedans les yeux de Caleb. Mince, si onpasse la journée avec Noah Grumberg, ilva falloir que je me contrôle davantage !

– Dad, Noah, vous voulez un café ?demande Caleb en allant vers la cuisine.

Je me sens empotée, incapable d’agirnaturellement.

– Vous voulez manger quelquechose ? dis-je en me tournant vers lesénateur.

Il faut bien que je joue la maîtressede maison, j’ai failli oublier !

– Non merci Grace, nous avons prisle petit déjeuner dans l’avion. MaisCaleb, je veux bien un café. Ah Laura, tum’as manqué ! s’exclame-t-il en serrantsa femme contre lui.

– Voyons Will, ne fait pas l’enfant,rétorque-t-elle en se dégageant, tu peuxquand même passer une nuit sans moi.

Je suis surprise par la froideurqu’elle affiche, mais le sénateur nesemble pas s’en formaliser et il éclatede rire.

– Noah, comment s’est passé lemeeting hier soir ? dit Laura en setournant vers le directeur de campagne.J’ai lu un article du Times qui dit que…

– Laissons-les discuter de chosesennuyeuses, me dit le sénateur en meprenant par le bras pour m’entraînervers le canapé. On va faireconnaissance…

Je comprends pourquoi le sénateurMontgomery est si populaire : c’est unhomme chaleureux, cordial et très àl’écoute des gens. Il me pose desquestions sur moi, ma famille, ma vie enFrance… Il s’inquiète de savoir si je mesuis acclimatée à la vie à New York, et àla vie avec son fils. Il me regarde avecun si bon sourire, plein de bienveillance,que je me sens terriblement coupable delui mentir et de jouer la jeune mariéecomblée.

– Alors, Noah, c’est quoi leprogramme de la journée ? demandeCaleb en venant nous rejoindre avec unplateau.

– Eh bien, nous avons rendez-vous ce

matin pour une séance photo dans unsalon privé du Waldorf Astoria. Lajournaliste sera là pour t’interviewer,Caleb. Tu es toujours OK ?

– Oui, pas de souci.– Après vous serez libres, ils

continueront les entretiens avec ton pèreet différentes personnalités. Grace,continue Noah en se tournant vers moi,tout à l’heure, j’ai entendu que vousparliez d’un centre où vous donnez descours à Harlem. C’est très intéressant, etça plairait beaucoup aux électeurs afro-américains. Peut-être pouvons-nousorganiser un reportage photo ?

Je le regarde, suffoquée par sonculot. Avant que je puisse répondre, le

sénateur intervient :

– Oublie ça tout de suite Noah ; tu nevas pas utiliser ma belle-fille pour macampagne. C’est hors de question.

– Peut-être que ce n’est pas unemauvaise idée…, intervient pensivementson épouse.

– Noah, Grace a accepté de se prêterau jeu des photos, mais rien au-delà, ditCaleb. Je ne veux pas qu’elle soitexposée davantage.

– Mais vous, qu’en pensez-vous,Grace ? me demande Noah en setournant vers moi. Ce serait une bonnechose pour le centre. Je suppose quevous ne croulez pas sous lessubventions. Ce reportage pourrait vous

apporter des dons substantiels, ajoute-t-il avec un sourire qu’il veut tentateur.

Le diable en personne ! Satan, sorsde ce corps !

Tous les regards sont fixés sur moi.Je vois le mécontentement dans celui deCaleb. La proposition de Noah ne luiplaît pas du tout !

– Je vais décliner votre offre,monsieur Grumberg, réponds-je d’unevoix ferme, mais le plus polimentpossible. Je ne pense pas que ce soit unebonne idée que cette association soitliée à un parti politique, quel qu’il soit.

Noah me regarde un instant, les yeuxplissés et un sourire en coin.

– Je comprends tout à fait. Et jen’insiste pas, je ne chercherai en aucunemanière à vous imposer quoi que cesoit…

Comme si c’était pas déjà fait ! Nonmais il se fout de moi !

– Et je vous en conjure, Grace, pasde M. Grumberg entre nous, appelez-moiNoah.

Si seulement je pouvais lui dire ceque je pense de lui ! Je me contente delui rendre un regard appuyé, plein de

sous-entendus que lui seul peutcomprendre. Enfin… peut-être pas. Sises parents ont l’air de n’avoir rienremarqué, je vois que Caleb me regardeavec insistance, les sourcils froncés.

Alors que je me prépare dans machambre un peu plus tard, il vient merejoindre :

– Tu as un souci avec Noah ?– Non, euh…pourquoi ? bafouillé-je,

prise au dépourvu.– Je ne sais pas… C’était bizarre tout

à l’heure entre vous. J’ai senti commeune tension.

– Oh tu sais, je me méfie despolitiques, et surtout de ce genre

d’éminences grises. C’est vrai que jen’ai pas trop apprécié sa proposition.

– Moi non plus, je t’avoue, reconnaîtCaleb. Mais Noah est un type bien. Je leconnais depuis longtemps, il est certesmachiavélique, retors, mais c’est pourça qu’il est payé. Et c’est surtout uncollaborateur loyal et dévoué. Par lestemps qui courent, ils ne sont pas sinombreux. Je t’accorde que parfois ilfait un peu trop de zèle pour aider monpère dans sa campagne. Mais on n’estpas obligés de tout accepter.

Sauf quand il vous fait chanter !

– Tu es prête ? Ils nous attendent pourpartir.

– Oui, dis-je la gorge un peu nouée.Ça va, ma tenue ?

J’ai mis une robe un peu ajourée, chicmais décontractée gris anthracite, desboots à petits talons, et mes cheveux sontlâchés.

– Tu es parfaite, me dit-il avec unsourire admiratif. Ne t’en fais pas, ça vabien se passer. Je ne te lâcherai pasd’une semelle. Et dans quelques heures,ce sera terminé.

***

Le magazine a réservé une suiteluxueuse dans les étages du gratte-ciel

Art déco du Waldorf Astoria, palacemythique sur Park Avenue. Une séried’entretiens est prévue ici, avec dessommités new-yorkaises venuesrencontrer le candidat aux primaires etfutur président potentiel des États-Unis.Heureusement, la séance photo a étécourte, le reportage ne va pas sefocaliser sur la vie de famille ducandidat.

J’imagine la tête de mes parentsquand ils vont voir ça ! Mon père, quiest au courant de tout, va beaucoup rire,mais ma mère va mal le prendre. Nousn’avons pas beaucoup parlé de monmariage, j’ai prévu d’aller la voirbientôt, mais je suis sûre qu’elle est

fière que je sois entrée dans une familleaussi prestigieuse. Qu’est-ce qu’elle vadire quand je devrai lui annoncer quec’est pour de faux… ?

Je souffle un peu dans un des salonsde la suite où un petit buffet a été mis àdisposition. Comme il me l’avaitpromis, Caleb ne m’a pas lâchée, mêmeau maquillage, et, il s’est interposé entremoi et la journaliste trop curieuse quisouhaitait m’interroger. Mais là, ilparticipe à un entretien avec deux autrespersonnes et son père, il ne pouvait faireautrement. Il m’a quand même demandési ça ne me posait pas de problème, et jelui ai dit que j’allais en profiter pourboire un café.

Et c’est exactement ce que je suis entrain de faire, savourant tout à la fois cechaud breuvage et le premier moment dedétente et de solitude de la journée.

– Ah, vous êtes là, Grace, clame mabelle-mère en entrant dans la pièce.

Évidemment, ça ne pouvait pasdurer…

– Ça ne doit pas être simple pourvous, tout ce cirque, dit-elle avec un aircompatissant, en venant s’asseoir prèsde moi.

– Effectivement, je n’ai pasl’habitude d’une telle exposition.

– Ah bon ? s’étonne-t-elle.

– Euh… Non, dis-je, surprise par saréaction.

– Pourtant avec votre sœur…

Nikki. Je me demandais quand lesujet arriverait sur le tapis.

– Je suppose que vous voulez parlerde Nikki Bolnick ? Nikki n’est pas masœur, c’est la fille de mon beau-père.

Elle fait un geste de la main, commesi cela ne faisait pas de différence.

– Vous avez grandi avec elle, non ?Vous devez être habituée aux paparazzis,aux scandales…

Je sens la moutarde me monter aunez.

– Quand Nikki a commencé satéléréalité, je suis partie vivre à Paris,chez mon père. Nikki et moi n’avonsrien en commun…

– Tant mieux ! s’exclame Laura, jen’aurais pas voulu d’une belle-fillecomme elle, lance-t-elle avec mépris.

– Nous n’avons rien en commun,poursuis-je, mais je l’aime beaucoup,car comme vous l’avez souligné, nousavons grandi ensemble. Je connais lavraie Nikki, et elle n’a rien à voir avecl’image que la télé donne d’elle.

Ce n’est pas tout à fait vrai, mais si je

ne suis pas d’accord avec le choix devie de Nikki, je ne peux pas supporterque quelqu’un l’attaque devant moi.Même si c’est la mère de Caleb. Et jeme détesterais si je ne la défendais pas.

Laura me toise un instant.

– Si vous le dites, lâche-t-elle enfin.Enfin, à vous voir, vous êtes trèsdifférente de votre… comment puis-jel’appeler… votre « demi-sœur » ?Admettez qu’il m’est difficile de juger,je ne vous connais pas, après tout.D’ailleurs, même Caleb vous connaîtpeu, il me semble. Vous vivez à NewYork depuis, quoi, trois mois ? Cemariage a été si rapide… Mon fils n’est

d’habitude pas si… spontané, impulsif.

Elle se doute de quelque chose, c’estsûr.

– C’était rapide, en effet. Maisparfois, on ne peut rien faire contre lesévidences. Caleb et moi avons su tout desuite que nous étions faits l’un pourl’autre, dis-je en affichant un sourire quine reflète pas du tout ma pensée. Etpuisqu’on parle de lui, veuillezm’excuser, je vais le rejoindre, je lui aipromis de ne pas m’absenter troplongtemps, il n’aime pas être loin demoi.

Prends-toi ça, Laura…

Je me lève, contente d’avoir mouchéma désagréable belle-mère, et je vaisrejoindre Caleb. Je dépasse la pièceaménagée en loge où une maquilleuse etun coiffeur attendent en consultant leurssmartphones, celle où le sénateur est entrain de se faire prendre en photo avecle maire de New York, et je trouveCaleb dans un petit salon. Il est assisface à la journaliste qui mène lesentretiens.

– Tiens, voici ma femme, dit-il en setournant vers la porte.

– Oh pardon, je vous dérange, dis-je,prête à battre en retraite.

– Mais pas du tout, chérie, nousavions fini, me retient Caleb en se

levant.– Pas tout à fait, dit la journaliste.

Mais vous pouvez nous rejoindre. Àmoins que ça ne pose problème à votremari ?

– Mais pas du tout, affirme Calebavec un sourire ravageur, je n’ai rien àcacher à mon épouse.

Rougissante, je m’approche de lui quime fait un geste, et je viens m’asseoirsur le bras de son fauteuil. Il glisse unemain sur ma taille et pour ne pas être enreste, je passe un bras autour de sesépaules.

Le jeune couple parfait…

– Caleb, votre mariage a étonné toutle monde, reprend la journaliste. Etaussi déçu plus d’une : vous faisiezpartie du Top 10 des meilleurs partis deNew York, et beaucoup pensaient quevous resteriez longtemps sur cette liste.Il y a encore quelques mois, vous étiezconsidéré comme un célibataire endurci.Qu’est-ce qui vous a fait changerd’avis ?

– Je vous rappelle, Joanna, que j’aiaccordé cette interview pour parler nonpas de moi, mais de mon père, dit Calebsans cesser de sourire. Mais je peuxrépondre à votre question : à la minuteoù j’ai vu Grace, j’ai su que c’était lafemme de ma vie. Et quand j’ai appris à

la connaître, elle s’est révéléeexactement comme je l’avais imaginée.Quand on fait une rencontre comme cela,pourquoi attendre ?

Heureusement que je suis assise !Qu’est-ce qu'il lui prend de dire deschoses comme ça ? Et avec une telleconviction que j’ai l’impression quec’est vrai. J’aimerais tellement que cele soit…

– Et vous Grace, vous avez ressentila même chose ? me demande lajournaliste.

Je ne m’attendais pas à êtreinterrogée. Je reste muette, la regardant

avec de grands yeux. Heureusement,Caleb vient à ma rescousse :

– Joanna, je sais que vous faites votremétier, et vous le faites très biend’ailleurs, dit-il avec son sourireirrésistible qui fait se pâmer soninterlocutrice, mais si j’ai accepté uneinterview, ce n’est pas le cas de monépouse. Je lui ai promis qu’elle seraitlaissée en paix, et je ne faillirai pas àma promesse. Merci de votrecompréhension, conclut-il en se levant,nous devons vous laisser, nous avons undéjeuner de prévu. Bonne journée.

La journaliste lui serre la maincomme à regret, et serre la mienne, en

me glissant au passage :

– Chanceuse.

Si elle savait…

17. La proposition

– Bon, ben tu vois, ce n’était pas sidur, me glisse Théo à qui je viens deraconter ma journée. Tu t’en es sortie. Ilme tarde de lire le reportage. Et de voirles photos surtout, ricane-t-il. Ils sontrepartis alors, tes beaux-parents ?

– Oui. Tu sais, le sénateur va demeeting en meeting et généralement safemme l’accompagne.

– Et ton mari ? demande Théo avecun sourire goguenard.

– Caleb s’est envolé pour Tucson.

Avec son associée, Stacy.

Théo me regarde avec attention.

– Dis donc, la tête que tu fais ! Ça n’apas l’air de te ravir…

Je repose le verre de jus de fruit surla table bancale du petit jardin de labrownstone de Brooklyn où je suis alléerejoindre mon ami. J’adore cet endroit,un petit havre de paix entouré d’unehaute clôture en bois avec une végétationun peu fouillis. C’est la première vraiejournée de printemps à New York, etnous pouvons en profiter enfin.

– Si tu la voyais… Stacy est superbe.

Une grande blonde, toujours hyper bienhabillée, à l’aise sur ses stilettos commemoi avec mes baskets. Je les ai vusensemble, ils sont très complices, ils secomprennent au quart de tour. Ils ont lamême passion pour le droit. Et en plus,elle est super intelligente, elle a faitHarvard, tu te rends compte ?

– Oui ? Et alors ? rétorque Théo avecun air pas du tout impressionné. Tu aspeur qu’elle te pique ton mari ?

Je serre les dents et ne réponds pas.

– Grace, tu es jalouse ? Tu esamoureuse de Caleb ?

– Je ne sais pas…, dis-je d’une voixfaible. Je suis attachée à lui, chaque fois

que je le vois, j’ai le cœur qui bat, j’aienvie de l’embrasser. Quand on est tousles deux dans l’appart, j’ai envie d’ycroire, j’ai envie que ce soit vraimentchez moi, chez nous, j’ai l’impressionqu’on est vraiment mariés… et j’aimeça, finis-je en cachant mon visage entremes mains.

Théo se lève en faisant grincer sachaise. Il vient s’agenouiller devant moiet pose ses mains sur mes genoux.

– Grace, regarde-moi.

En soupirant, je retire mes mains demon visage.

– Grace. Il n’y a pas de honte à êtreamoureux. Ni à changer d’avis sur lemariage.

– Mais je ne PEUX pas êtreamoureuse de lui. Notre relation ne tientqu’à un vulgaire morceau de papier !S’il n’a pas voulu annuler notre mariage,c’était pour préserver la candidature deson père, et uniquement pour cela.

– Et toi, tu l’as fait pour me sauver,moi. Ça ne t’a pas empêchée de tombersous son charme en vivant avec lui, ensupposant que ça n’était pas déjà le casavant, ce dont je doute, comme tu sais,ajoute-t-il avec un ton légèrementironique. Mais qui nous dit que Calebn’est pas AUSSI tombé sous ton charme

en te côtoyant ? Ça n’aurait rien desurprenant.

– Tu parles !– Grace, tu es une fille ravissante. Tu

l’as toujours été, pourquoi tu crois queje suis venu te parler à la premièrejournée à l’école de photo ? Tu croisque je voulais devenir ton ami ?

– Non ? dis-je, étonnée.– Non, Grace, confirme Théo en

éclatant de rire, j’avais des desseinsmoins chastes, mais j’ai vite laissétomber quand j’ai vu que je n’auraisaucune chance avec toi. J’ai compris queje n’étais pas du tout ton genre, quelqu’il soit. Mais je ne le regrette pas, cartu es la meilleure des amies. Bref, tu as

toujours été très jolie, même avec testee-shirts déformés et tes baskets, et tues encore plus séduisante aujourd’hui.Non pas à cause de ces nouvelles tenues,mais tu as l’air si… épanouie, turayonnes.

Je sens mon estime de moi remonteren flèche.

– Et puis tu crois qu’il peut craquersur Stacy ? me demande-t-il avec unlarge sourire confiant. Là, ce soir, parcequ’ils vont être dans le même hôtel ?Alors qu’il la connaît depuis des années,qu’ils sont même sortis ensemble ? Maistu plaisantes, c’est impossible ! Quelhomme a envie de réchauffé quand il

peut avoir un plat frais ?

J’éclate de rire :

– Toujours aussi délicat, Théo !

Il rit avec moi, avant de seredresser :

– Bon, je crois qu’il faut y aller. Ça acommencé déjà…, dit-il en regardantl’heure sur son smartphone.

– À ta soirée ? Mais tu ne fais pas tesvalises avant ?

– Je les fais demain. Je décolle à18 heures.

– Tu reviens quand de Paris ?– Je ne sais pas encore. Ton ami

Noah m’a promis que les formalitésseraient réglées de manière express. Onverra bien…

– Je suis désolée que tu doivesrepartir à cause de moi…

– De toute façon, je devais rentrer,mon visa arrive à expiration. Et sansl’intervention de notre maître chanteur,je n’aurais jamais obtenu cette carteverte. Tu te rends compte, à l’avenir jepourrai bosser sans souci, je n’auraiplus aucune démarche à faire. C’est unechance en fait.

– Tu ne m’en veux pas alors ?– Tu rigoles : je te remercie plutôt !

Et puis le coupable, c’était moi, jen’aurais jamais dû faire cette série photo

alors que je n’avais pas de visa detravail. Mais une proposition de K27,c’était un rêve, je ne pouvais pasrefuser. Et qui peut décliner une offre detravail d’Alicia van Zant ? C’est uneicône de la mode, un mythe. Tu vas voir,tu vas la rencontrer ce soir, cette femmeest géniale, je l’adore… Tu es prête ?

– Ouaip, allons voir l’icône. Dumonde, du bruit, de la fête, ça va mechanger les idées…

***

La fête organisée pour la parution duprochain numéro de K27 est organisée àBrooklyn, non pas à Williamsburg, où

nous vivons Théo et moi, mais dans unentrepôt désaffecté de Bushwick. On ytrouve des tas d’anciennes usinesdésaffectées réaménagées en lieuxd’exposition, ateliers d’artistes ou loftsde millionnaires branchés. C’est dansl’une de ces anciennes usines que lemagazine reçoit ce soir ses invités, enmajorité une population de hipsters et demannequins aux looks plus excentriquesles uns que les autres.

J’ai l’impression que Théo connaîttout le monde : en quelques mois, il afait son chemin, enchaînant fêtes etvernissages (où je l’ai accompagnéparfois, mais pas si souvent) et il a déjàun sérieux réseau. C’est une ambiance

très arty, à mille lieues du monde dontj’ai eu un aperçu aujourd’hui. J’aimebien, mais à petite dose : la bande-sonest toujours bonne, on côtoie des genscréatifs, mais le côté branchouille, où onpasse son temps à comparer sesvêtements, m’intéresse beaucoup moins.

Je me suis mise dans un coin, àsiroter une caïpirinha, en observant cettefaune pour moi plus exotique que celledu zoo.

C’est alors que je vois Théoapprocher avec une femme d’unesoixante d’années, très grande, trèsmince, tout de noir vêtue. Ses cheveuxgris presque blancs sont tirés en un

chignon très strict et sa bouche estcarmin.

– Alicia, je vous présente GracePeters. Grace, Alicia van Zant.

Je serre la main qu’elle me présente,un peu gênée.

– Grace, Théo m’a dit que vous étiezla fille de Michelle ?

– Je… oui.– J’ai très bien connu votre mère,

s’exclame-t-elle, je crois que je lui aifait faire sa première couverture deVogue. C’était un mannequinremarquable, et adorable en plus. Je l’aiperdue de vue quand elle a quitté le

métier pour s’installer en France. Théom’a dit qu’elle vivait maintenant à LosAngeles ? Comment va-t-elle ?

– Mais très bien, merci.

Nous papotons quelques instants, elleme raconte quelques anecdotes deshooting avec ma mère, notamment un auBrésil dont ma mère m’avait parlé.

– Et vous, alors, vous faites quoi ?demande Alicia.

Avant que je puisse parler, Théointervient :

– Grace est aussi photographe. Uneexcellente photographe.

– C’est vrai ? demande Alicia,visiblement intéressée. Il faudrait quevous me montriez votre travail.

– Oui, enfin… Je ne fais pas dephotos de mode. Ça ne m’intéresse pasbeaucoup.

Alicia éclate de rire :

– Vous avez fait une overdose, c’estça ? Mais mon magazine n’est passeulement un magazine de mode, commevous l’avez vu. Ce que l’on met enavant, c’est la créativité, sous toutes sesformes. Je fais confiance au jugement deThéo : si vous avez le talent qu’il vousprête, on pourrait travailler ensemble.

– Je ne sais pas… Vous savez, je n’ai

pas encore fait de choix de carrière. J’aiun diplôme de photo, mais j’ai aussi faitdes études de biologie. Dans un premiertemps, je voulais conjuguer ces deuxcentres d’intérêt en faisant de laphotographie animalière. Au moins lesanimaux, on peut les photographier sansartifice, sans coiffeur, maquilleur…

Les yeux d’Alicia s’éclairent.

– Qu’à cela ne tienne ! s’écrie-t-elle.Je voulais publier une série de portraits,mais sous un angle décalé. Vous pourriezpeut-être les shooter « sans artifice »comme vous dites…

– … et dans leur habitat, dis-je enriant.

– Exactement ! s’exclame Alicia,dans leur « milieu naturel », comme desanimaux. J’adore l’idée.

Un homme vient alors taper sur sonépaule.

– Alicia, il faut que tu viennes, tonprincipal annonceur est arrivé.

– J’arrive chéri, dit-elle avant de setourner de nouveau vers moi : Grace, ilfaut ab-so-lu-ment que l’on reparle detout ça. Appelez ma secrétaire pourprendre un rendez-vous, elle vous caserarapidement, je lui donnerai desinstructions dans ce sens. Et apportezvotre travail.

Je la regarde s’éloigner, les yeuxécarquillés.

– Elle ne m’a même pas demandé sij’étais intéressée…

– Pourquoi, tu l’es pas ? demandeThéo, interloqué.

– Mais… je ne sais pas… Je n’y aijamais pensé. Je n’ai jamais fait dephoto, professionnellement parlant…

– Eh bien, il est temps ! s’exclameThéo. Tu n’as pas fait cette école pourrien Grace ; tu es une photographe dansl’âme, tu as un œil particulier, je te l’aidit cent fois. Il est temps que tu telances. Tu ne vas pas tout mettre enstand-by jusqu’à ce fameux voyage dansles contrées lointaines que tu projettes,

ou remettre ça aux calendes grecques.– Mais si elle m’embauche parce

qu’elle connaît ma mère…

Théo a un petit rire.

– Crois-moi, Alicia est sans pitié. Sielle n’aime pas ton travail, elle te ledira. Et si elle l’aime… tu pourras temettre à l’épreuve, savoir de quoi tu escapable. Et tu pourras décider, si tupréfères faire de la biologie après cetteexpérience, libre à toi.

Je le regarde, pensive, en sirotant macaïpi.

– Tu as raison, Théo. Il faut que je

sache de quoi je suis capable… Jel’appelle demain.

18. Et si c'étaitpossible ?

– C’est très bien, Marcus. Ta photoest très réussie. Tu as parfaitementcompris ce qu’était un cadre. Viens, onva exposer ta photo sur le mur avec lesautres.

La semaine dernière, j’ai donné uncours sur le portrait aux enfants ducentre culturel de Susie et aujourd’hui,je leur ai demandé de se photographieravec deux polaroïds appartenant à

l’établissement.

– Tessa, apporte-moi la tienne, dis-jeen me retournant.

Mon cœur fait un bond dans mapoitrine alors que je découvre Caleb,assis sur une chaise pour enfants troppetite pour lui, au fond de la salle. Il meregarde, sourire aux lèvres, ses longuesjambes croisées tant bien que malderrière le bureau.

Je ne peux retenir un petit cri desurprise. Tous les enfants se retournentvers l’endroit que je fixe. Aucun d’entreeux n’avait remarqué l’entrée de Calebdans la salle, dont j’avais laissé la porte

entrebâillée.

– Hé Grace, c’est qui lui ? me ditMarcus.

– C’est… c’est mon mari, réponds-jeun peu hésitante.

Après tout, je ne mens pas, c’estbien mon mari…

– Bonjour tout le monde, je suisCaleb, dit-il en faisant un signe de lamain. Mais ne vous préoccupez pas demoi, terminez le cours.

Je regarde ma montre.

– Je n’avais pas vu l’heure, je crois

bien que le cours est fini. Vos mamansdoivent vous attendre, les enfants. Vouspouvez mettre vos vestes, je vais vousraccompagner.

Inquiète, je m’approche de Caleb, quis’est levé.

– Il s’est passé quelque chose ?– Mais non, rien du tout, dit-il avec

un sourire rassurant.

Puis avisant Marcus qui m’a suivie :

– C’est normal d’avoir envie de venirchercher sa femme, non, Marcus ?

Marcus hoche la tête, et le regarde,

perplexe.

– Pourquoi tu as une cravate ? Tu faisquoi comme métier ? Président ?

– Non Marcus, je suis avocat, répondCaleb, en souriant.

– Waouh, fait Marcus en ouvrantgrand les yeux. Tu défends des tueurs ensérie ?

– Eh bien… Au risque de te décevoir,pas souvent, non.

– Dommage, dit Marcus en tournantles talons.

– Je crois que tu l’as vraiment déçu,dis-je, amusée. Attends-moi ici, jereviens tout de suite.

Je ramène les enfants dans le hall du

bâtiment où les parents patientent.J’échange quelques mots avec eux et jem’empresse de rejoindre la salle decours. C’est la première fois que Calebvient ici, et je me demande bien ce quimotive sa visite.

Du couloir, j’entends des voix quis’échappent de la salle : Caleb est encompagnie de Susie.

– Mais tu ne m’avais pas dit que taSusie était LA Susie Smith ! s’exclame-t-il tandis que j’entre dans la salle.

–Tu la connais ?– Mais bien sûr ! Mon père est un fou

de jazz, il en écoutait tout le tempsquand j’étais petit, et Susie était une de

ses chanteuses préférées.

Susie sourit jusqu’aux oreilles, d’oùpendent comme à l’accoutumée deuxénormes boucles.

– Vous êtes un flatteur, monsieurMontgomery, fait-elle, en minaudant unpeu.

Décidément, il n’y a pas d’âge poursuccomber au charme de Caleb.

– Pas du tout, c’est la stricte vérité,insiste Caleb. Et puis, appelez-moiCaleb.

– Si vous m’appelez Susie, alors.– Quand je vais raconter ça à mon

père, dit Caleb, il va être fou dejalousie. Pourquoi ne chantez-vousplus ?

– Oh, il faut savoir s’arrêter quand onn’est plus au top. Aujourd’hui, je meconsacre à mes petits du centre. Ils ontl’avenir devant eux, tandis que macarrière est bien loin derrière moi.Toutes mes économies, je les aiinvesties dans ces locaux, et c’est lameilleure chose que j’ai faite dans mavie. Mais je ne peux pas agir seule, etheureusement qu’il y a des gens commeGrace pour m’aider et s’investir à mescôtés. Elle m’a aidée à remplir desdossiers pour trouver de nouvellessubventions. Elle a plein d’idées. C’est

une bénédiction que le Ciel m’aenvoyée.

Je baisse les yeux, confuse.

J’ai eu un vrai coup de cœur pourSusie et son projet, et pour les enfantsqu’elle accueille, et je m’investis bienplus que ce qui était prévu au départ.

– Ça ne m’étonne pas de Grace, ditCaleb d’un ton fier. Grace est unebénédiction pour moi aussi.

Mais qu’est-ce qui se passe ? Je suisentrée dans la quatrième dimension ?

– Bon, les enfants, je ne voudrais pas

vous mettre dehors, mais je dois aller àmon club de poker, lâche Susie enrajustant son turban de velours sur satête. J’espère vous revoir bientôtCaleb ?

– Mais bien sûr, dit-il en lui serrantchaleureusement la main. À bientôt,Susie.

J’attends que nous soyons sortis del’école pour interroger Caleb :

– Mais qu’est-ce que tu viens faireici, Caleb ?

– J’avais envie de voir où ma femmepassait autant de temps…

Je le regarde, sourcils froncés.

– Qu’est-ce que c’est que cettehistoire ? C’est bon, on est seuls, tu n’aspas besoin de jouer les époux comblés.Dis-moi ce qui se passe.

Je me suis arrêtée en plein milieu dutrottoir et je me suis plantée face àCaleb.

– Eh bien… je suis venu pour te fairemes excuses, dit-il en me prenant lesmains.

Je hausse les sourcils, surprise.

– Des excuses ? Pour quoi ?– Ton ami Théo est passé au cabinet.

Je n’étais pas encore rentré de Tucson,

mais il m’a laissé un message. Je viensde le récupérer, et je suis venu icidirectement. Je sais tout.

Théo… Il a dû passer avant de serendre à l’aéroport.

– Mais… il te dit quoi exactementdans ce message ?

Je suis un peu inquiète. J’espère qu’iln’a pas évoqué mes sentiments pourCaleb.

– Il m’a expliqué pour le chantage deNoah. Lui ne perd rien pour attendre,nous allons avoir une explication dès cesoir, mais avant cela, je voulais venir

moi-même te présenter mes excuses. Jen’aurais pas dû douter de tes intentions.À vrai dire, j’avais du mal à croire quetu acceptais le contrat par intérêtfinancier, je crois que j’étais déçu aussi,je ne t’imaginais pas comme ça. Etj’avais raison, j’aurais dû écouter moninstinct.

Je le regarde, tout émue. Il a l’air sitendre, si sincère. Et si heureux aussi.

Il se penche vers moi et me glisse àl’oreille :

– Tu me pardonnes, Grace ?– Hum… je ne sais pas, dis-je avec

une petite moue. Si tu reconnais que tu

t’es comporté comme un crétin.– Mais je suis un crétin, dit-il en se

frappant la poitrine et en baissant lesyeux d’un air coupable.

– Alors je te pardonne, dis-je enriant.

– Tu es trop bonne avec moi, Grace.Si tu n’as pas d’autre projet, on pourraitrentrer à la maison, et je te ferai lacuisine. Je ne la fais pas si souvent,j’espère que ce sera une récompenseplus qu’une punition, plaisante-t-il.

J’acquiesce, et mon cœur bondit dejoie dans ma poitrine.

Il a dit « à la maison ». Pas « chezmoi », non, « à la maison ».

***

– Alors ? me demande Caleb, un brinanxieux.

– C’est absolument délicieux. Tudevrais cuisiner plus souvent.

Pour me faire plaisir, Caleb m’apréparé des plats français : une entréede noix de Saint-Jacques, suivie d’unfilet mignon accompagné de gratindauphinois. Pendant toute la préparation,il m’a interdit l’accès à la cuisine. Ilvoulait me faire une surprise, et elle estréussie.

– J’ai appelé Noah, je lui ai passé unsavon, annonce-t-il entre deux bouchées.

Je lui ai dit aussi que je ne dirais riensur son chantage à mon père, je saisqu’il a cru agir pour son intérêt. Il m’ademandé si je continuais à « jouer aucouple marié ». Je lui ai dit que je leferai uniquement si toi, tu y consens.Évidemment, quelle que soit ta réponse,ton ami aura sa green card, je peux tel’assurer.

Il se tait et me fixe par-dessus latable de ses yeux bleu marine.

– Qu’en penses-tu, Grace ?

Ce que j’en pense… J’y ai réfléchitout à l’heure, pendant qu’il cuisinait. Jeme suis demandé si le fait d’avoir

découvert la machination de Noahremettait en cause notre accord. Et j’aidû reconnaître, à ma grande honte, queje n’avais aucune envie que celas’arrête. Pas maintenant. C’est commeça, je ne peux m’expliquer davantage ceque je ressens, mais ce qui est sûr, c’estque je ne suis pas prête à voir Calebsortir de ma vie.

– Eh bien…, commencé-je lentement,je pense que maintenant que l’on acommencé, on doit aller jusqu’au bout.Ton père m’a beaucoup plu,humainement parlant, je pense que c’estun homme bien. Je n’aimerais pas qu’ilne puisse pas servir son pays comme ille désire à cause d’une histoire de

mariage bidon. Je préfère que ce soientles électeurs des primaires de son partiqui arbitrent son destin politique.

Un grand sourire se dessine sur levisage de Caleb, dont les yeux pétillent.

– Merci Grace. Je t’en suis infinimentreconnaissant. Crois-moi, je ne te feraipas regretter ta décision, je serai le plusaimable et le plus gentil des hommes,ajoute-t-il d’un ton malicieux.

– Tu n’as plus de raison d’êtredésagréable, maintenant que tu sais queThéo n’est qu’un ami, glissé-je, perfide.

Il me regarde un instant, surpris dema pique, puis baisse la tête d’un air

contrit.

– J’avoue tout. J’étais jaloux. C’eststupide, mais quand j’ai vu ce bellâtre…

J’éclate de rire :

– Ce bellâtre !– Ce hipster beau mec à la fenêtre, si

tu préfères, j’ai eu une espèce de… coupde sang.

Je ris, heureuse de cet aveu.

– Grace, me dit-il de sa voix grave ettroublante, tu me plais, tu me plaisvraiment. Si je t’avais rencontrée dansd’autres circonstances…

– Hors de l’ascenseur, tu veux dire ?

Je plaisante pour cacher monémotion, mais mon cœur bat à toutrompre.

Il rit doucement.

– Non, je voulais dire que si nousn’avions pas eu à signer ce bout depapier, si nous avions annulé cemariage, j’aurais sans doute cherché à terevoir ; je m’imaginais déjà te faire unesurprise, venir te voir chez toi, àBrooklyn…

Je pouffe :

– Tu aurais sonné et tu serais tombésur Théo !

– Peste ! C’est pas joli de profiter del’aveu de ma faiblesse…

– Vas-y, continue, tu aurais fait quoiensuite ? Ça m’intéresse.

– Je suppose que je t’aurais sorti legrand jeu. Mais maintenant qu’on est liéspar ce maudit contrat… Ça change ladonne. Il ne peut rien se passer entrenous, et c’est pas facile à vivre tous lesjours, tu sais.

Et moi qui voulais me persuaderqu’il ne ressentait rien, que j’étais laseule à éprouver de l’attirance et àsouffrir dans mon coin…

– Les choses sont différentesmaintenant, dis-je doucement.

– Ah bon ? dit-il, visiblement curieuxde savoir ce que j’ai en tête.

– Tu sais désormais que je n’ai passigné ce contrat pour de l’argent, et queje n’en accepterai pas, même si c’eststipulé dans ce fichu papier.

– Je ne sais pas si c’est pas pire, dit-il en faisant la moue. En plus, tu fais çapour ton copain, tu n’en tires aucunintérêt.

– C’est toi qui le dis, dis-je enreposant ma fourchette et en repoussantmon plat. Je n’ai pas à me plaindre, tu esplutôt de bonne compagnie quand tuveux.

– C’est vrai, je te plais ? dit-il avecun petit air innocent.

Je porte le verre de vin à mes lèvres,histoire de le faire languir.

– C’est surtout ton appart qui meplaît, réponds-je pour le taquiner.

Il me regarde avec ce petit sourire encoin que j’aime tant.

– Et si on l’oubliait, ce contrat ?lancé-je soudain.

Il hausse un sourcil, repousse sonassiette et se penche vers moi, l’air trèsintéressé :

– Qu’est-ce que tu veux dire ?

Je suis un peu gênée par ma propreaudace. Je reprends lentement, encherchant mes mots :

– Si on faisait comme si on n’étaitpas « obligés » de cohabiter ? Comme sion venait de se rencontrer, qu’on seplaisait… enfin le truc « normal »,comme si cet horrible contrat n’existaitpas.

Il me regarde, pensif.

– J’adore cette idée, lâche-t-il avecun grand sourire.

– Évidemment, dans des

circonstances normales, je ne serais pasvenue habiter chez toi.

– Oui, mais tu es là et en fait, ce n’estpas plus mal, répond-il hâtivement. Tupourrais rester au moins pendant que tonami est absent…

Tiens, notre cohabitation ne luidéplaît pas non plus…

– …comme ça, continue-t-il, onpourrait apprendre à se connaître,doucement, sans promesse, sansengagement…

On se regarde un peu par en dessous,comme gênés par ce que l’on est en trainde décider.

C’est lui qui rompt le silence enpremier.

– Tu veux un café ? Un digestif ?– Je finirais bien ce vin, dis-je en

montrant la bouteille à moitié pleine.– OK, je vais t’accompagner. On va

dans le salon ? dit-il en la saisissant eten prenant son verre de l’autre main.

On s’installe sur l’un des canapésdans le grand espace salon délimité pard’immenses bibliothèques.

J’ai l’intuition que notre conversationn’est pas finie.

Caleb me ressert du vin, puis reprend

le fil de la discussion :

– Si on fait ça… Ça veut dire que…– Oui ? dis-je, l’invitant à continuer.– Ça veut dire que rien ne nous

interdit de nous embrasser, dit-il ens’approchant de moi et en prenant monvisage délicatement entre ses mains.

Ses yeux brillant de fièvre medévisagent, il a un petit souriregourmand sur les lèvres.

– Oui, dis-je dans un souffle.

Sa bouche se pose sur la mienne. J’aitellement rêvé de cet instant depuis queje vis ici…

Une douce langueur s’empare de moncorps, tandis que je réponds à son baiserqui se fait de plus en plus passionné.

Ses mains se posent sur ma poitrine,qui palpite sous le tissu.

– Grace, si tu savais combien j’ai euenvie de te faire l’amour, murmure-t-il àmon oreille, la voix rauque de désir. Jedevenais fou en te sachant dans lachambre au bout du couloir, j’ai faillicent fois te rejoindre.

J’exulte. Pendant que je meconsumais dans le lit, lui connaissait lesmêmes affres.

– On s’est conduits comme deuxidiots. Enfin, surtout toi. Je te rappelleque tu m’as rejetée… dis-je avant deposer un baiser sur ses lèvres brûlantes.

– Je te promets que je vais rattraperle temps perdu par ma faute, dit-il en merenversant sur le canapé.

Caleb me regarde avec intensitépendant quelques instants, puis, toutdoucement, il glisse les mains sous monhaut, et tire sur mon soutien-gorge pourmieux caresser mes seins.

C’est comme si mon corps prenaitfeu. J’ai eu tellement envie de sescaresses, de ses baisers, ces derniersjours… Et manifestement, le désir était

le même chez lui.

– Si tu savais comme j’avais envie detoi, me murmure-t-il. J’ai fait des effortssurhumains pour ne pas te sauter dessuschaque fois que je rentrais le soir.J’imaginais des choses.

– Ah, oui, quoi ? demandé-je,curieuse, tandis que je m’abandonne àses mains avides qui parcourent moncorps.

Il me regarde, les yeux pleins defièvre.

– Je m’imaginais te prendre un peupartout dans le duplex. Ici sur ce canapéquand on regardait un film l’autre soir,

dans ta chambre, dans ma chambre, dansla cuisine au petit déjeuner, sur lebillard…

– Hum, on peut toujours commencerpar ce canapé…

Il me mordille l’oreille.

– Je pensais à toi au travail, je terevoyais nue sur mon bureau, sur lamoquette.

Je rougis en pensant à notre dernièreétreinte, dans le bureau déserté. C’étaitassez… sauvage.

– J’avais envie de toi dès quej’ouvrais la porte en rentrant le soir,

continue Caleb en effleurant mon cou deses lèvres.

– Avant ou après le retrait de tacravate ? lancé-je, taquine.

Il me sourit et soudain se redresse. Jevois une étrange lueur danser dans sesyeux. Il s’éloigne de quelques pas, melaissant perplexe sur le canapé, mais ilrevient bien vite… la cravate dont ils’est débarrassé en rentrant ce soir à lamain. Une jolie cravate grise, avec defines rayures noires.

– Lève-toi, dit-il d’une voixsensuelle.

Curieuse de savoir ce qu’il a en tête,

excitée aussi, je me redresse. Il vientvers moi, et ses mains se posent sur mabraguette. Je me laisse faire, docile,tandis qu’il fait glisser mon pantalon etma culotte le long de mes jambes. Jel’aide un peu pour m’en extraire, faisantsauter mes chaussures par la mêmeoccasion, tandis que ses mains s’égarentsur mes fesses. Puis il fait passer monhaut par-dessus ma tête, et dégrafelentement mon soutien-gorge qu’ilenvoie au sol rejoindre le reste de mesvêtements.

Je suis nue, debout devant lui. Calebme couve d’un regard brûlant.

– Viens, dit-il en me prenant par la

main.

Il m’entraîne vers un des piliers enmétal qui soutiennent le plafond du loft.

Il m’appuie contre le plus fin, je sensle métal froid dans mon dos et jeréprime un petit cri. Caleb attrape mesmains et les attache derrière mon dosavec sa cravate. Je suis prisonnière dupoteau, je me sens comme une offrande àdes dieux païens.

– Grace, tu as un si beau corps, siparfait, dit-il en m’effleurant d’un doigt.

Il s’agenouille devant moi. Ses lèvresbrûlantes baisent mes jambes, remontent

jusqu’à mes cuisses. Je crois qu’ellesvont se poser sur mon sexe, qui vibredans l’attente, mais elles remontentjusqu’à mon ventre, effleurent monnombril. Sa bouche se pose sur messeins, qui palpitent sous ses coups delangue.

– Ta peau est si douce. Et tu as ungoût que j’adore, susurre-t-il.

Il délaisse mes pointes dressées pours’agenouiller à nouveau devant moi,avant d’enfoncer sa tête entre mescuisses. Je ne peux retenir ungémissement, tandis qu’il me caresse desa langue. J’ai envie d’attraper sachevelure sombre mais mes mains sont

liées et je ne peux que me tortiller deplaisir contre le poteau tandis qu’il medévore. Je me presse contre lui, tandisqu’il me lape avidement. Je passe une demes jambes par-dessus son épaule, pourqu’il puisse s’enfoncer davantage enmoi. J’entends des cris sans comprendretout de suite que c’est moi qui gémis deplus en plus fort. Ses mains malaxentmes fesses, et je me sens défaillir tandisqu’il suce goulûment mon clitoris gorgéde sang. Je me plaque contre sa boucheet avant que je puisse me retenir,l’orgasme monte comme une follemarée, emportant tout sur son passage.

Je reste quelques instants commeéblouie par l’orgasme, pantelante. Caleb

se redresse, et me glisse à l’oreille :

– Tu en veux encore ?

Je souris sans lui répondre. Il a bienvu l’effet qu’il produit sur moi, etcomme j’ai joui. Comment pourrais-je,À CET INSTANT, lui en vouloir ?

Que c’était bon…

Caleb me libère de sa cravate, et meprend avec tendresse dans ses bras.

– Viens, on va dans la chambre, onsera mieux.

Il me prend à bras-le-corps et je

m’abandonne au bien-être post-coïtalqui m’a envahie tandis qu’il m’emmèneà l’étage. Il me dépose à terre, megardant contre lui.

Ça me fait drôle de me retrouver dansla chambre où avant-hier, nous avonsdormi ensemble, sans aucun contactentre nous. Il doit avoir la même idéeque moi, car il rit soudain :

– C’était horrible l’autre nuit, tesavoir près de moi, sans pouvoir tetoucher. J’avais envie de te prendre dansmes bras, je n’ai pas osé, quand je suisarrivé, tu dormais…

– Je ne dormais pas, avoué-je.J’attendais que tu fasses un geste… Je

t’en ai voulu de n’avoir rien tenté.– Mais je vais me rattraper, tu vas

voir…– Hum, je crois que j’ai déjà vu.

C’était plutôt… satisfaisant, dis-je pourle provoquer.

– Crois-moi, je n’en ai pas fini avectoi, dit-il, avec un sourire troublant.

La promesse de nouveaux délices adéjà rallumé ma flamme. Sans criergare, je repousse Caleb qui me tenaitencore contre lui, et il me regarde,surpris.

– Déshabille-toi, lui dis-je.

Ses yeux d’un bleu profond

étincellent. Il ne se fait pas prier. Nue, jevais m’allonger sur le lit, pour reprendremon souffle et apprécier le spectacle.Mais il ne prend guère de temps pourretirer ses vêtements, et je peux enfinvoir ce corps que je désire tant. Mesyeux se repaissent de sa silhouette finemais toute en muscles, de ses cuissesfuselées mais solides, de son sexedressé. Je savoure quelques instantsl’effet que je lui fais, tandis que Calebs’offre sans pudeur à mes yeux.

– Viens par ici, dis-je en lui faisantsigne d’approcher.

Je me redresse et m’assieds sur le lit.Son sexe est presque à hauteur de mon

visage. Je pose délicatement mes mainssur ses hanches étroites, et je me penchepour le prendre dans ma bouche. Cesimple geste lui arrache un petit cri deplaisir. Je parcours de ma langue toute lalongueur de son sexe dur qui granditencore. Sa peau est brûlante. Doucementje lèche le gland, le suçote, guettant lemoindre des frémissements de Caleb. Jelève un œil et je vois qu’il a rejeté latête en arrière, un demi-sourire d’extasesur les lèvres. Il ne bouge presque pas,abandonné à ma bouche gourmande.

Après quelques minutes de ce manègelubrique, il se retire doucement :

– Attends…, murmure-t-il.

Il va vers une commode, ce qui mepermet d’admirer sa démarche féline etses fesses absolument parfaites. Il ouvreun tiroir et j’entends bien vite le bruitcaractéristique de l’enveloppe dupréservatif que l’on déchire. Lorsqu’ilrevient, son sexe est enveloppé d’un fincaoutchouc.

Avec une excitation grandissante, jeme laisse glisser en arrière sur le lit. Jesuis offerte, les bras en croix. Calebvient déposer de doux baisers sur mescuisses, tout en me pénétrant lentementd’un doigt.

Je suis de nouveau terriblementémoustillée. J’écarte mes jambes

largement, comme une invitation. Caleba compris, il se glisse alors entre mescuisses et, sans me lâcher du regard, mepénètre.

– Comme c’est bon, dit-il d’une voixrauque. J’avais tellement envie de meretrouver en toi.

Et moi alors…

Je désespérais de le sentir denouveau en moi, mon corps le réclamaitcomme une plante réclame de l’eau. Ilm’a fait découvrir de nouveauxterritoires sensuels, et je ne peux plusfaire marche arrière. J’ai l’impressionde découvrir ma propre sensualité.

J’adore sentir le poids de son corps surmoi. Son odeur, sa peau, tout en luim’émeut, me bouleverse. Cette façonqu’il a de me regarder quand il me faitl’amour, comme s’il voulait lire enmoi…

Ses caresses, ses baisers, ses à-coupsme remplissent de bonheur, j’ail’impression que chaque parcelle demon épiderme est en ébullition… Je n’aijamais ressenti ça avec un autre. Etjamais je ne me suis abandonnée commeje le fais avec lui.

Caleb commence par bougerlentement en moi, tout en mordillant unmamelon. Les mains sur ses épaules, la

tête rejetée en arrière, les yeux mi-clos,je savoure le bonheur que me donnentson sexe et sa bouche.

Ses coups de reins se font bientôtplus rapides, et mon bassin suit sonrythme. Même si nous avons essayé, etavec quel plaisir, de retarderl’échéance, je crois que lui comme moine voulons plus attendre. La frustrationaccumulée ces derniers jours charge detension nos ébats. Je griffe son doshumide de sueur tandis qu’il s’enfoncede plus en plus profondément en moi,avant d’agripper ses fesses dures,l’accompagnant dans son va-et-vient,tandis que nos bouches se dévorent debaisers.

– Oui, oui, oui…, ne puis-jem’empêcher de lancer, tandis que je sensl’orgasme monter.

Je perds soudain pied, la jouissancem’envahit tout à fait, et alors que moncorps et mon âme larguent les amarres,j’entends un long gémissements’échapper de la bouche de Caleb.Merveilleusement emboîtés, ivres deplaisir, nous sommes comme ensuspension.

19. Secrets etmensonges

– Eh bien, c’est validé Grace, me ditAlicia van Zant. J’aime beaucoup tespropositions de mise en scène. Eleonort’a préparé les bios des premièrespersonnalités que tu vas shooter, la listen’est pas encore définitive, je te suggèrede les potasser un peu, c’est toujoursutile de connaître ses sujets avant de lesprendre en photo.

C’est la deuxième fois depuis la

soirée où je l’ai rencontrée que je vaisvoir Alicia dans son bureau deWilliamsburg. Les locaux du magazinesont aménagés au premier étage d’unancien entrepôt. Dans ce décor post-industriel fait de grands espaces, Aliciaest la seule à avoir son bureau à elle, àl’intérieur de grandes parois de verre.Ses longs cheveux gris lâchés, toujourshabillée de noir et les lèvres carmin,elle officie derrière une immense etépaisse plaque de bois massif posée surtréteaux, et jonchée de photos et demagazines internationaux.

Pour mon premier entretien, je suisvenue avec mon travail. En fait, unegrande partie de mes photos est restée à

Paris, chez mon père. Je n’ai pu montrerque celles que j’ai faites à New Yorkdepuis mon arrivée, les jours où je netravaille pas au zoo. Depuis que je visici, j’ai pas mal travaillé sur la foule,des photos de New-Yorkais prises sur levif un peu comme si c’était des animauxen pleine jungle.

Alicia a montré beaucoupd’enthousiasme et a décidé de meconfier une série sur les success storiesmade in America. Une série de portraitsde jeunes Américains qui ont réussi, quifont l’Amérique d’aujourd’hui.

Je feuillette les premiers noms de laliste qu’elle me tend, et je rougis.

– Oh, balbutié-je, je dois vous direquelque chose, Alicia…

Elle lève la tête des photos et meregarde, interpellée par la gêne dans mavoix.

– Oui, Grace ? Un souci ?– Pour Nikki Bolnick. C’est ma demi-

sœur. Enfin, c’est la fille de mon beau-père, mais c’est comme ma demi-sœur.Presque ma sœur en fait.

Je crois que je n’aurais pas pul’étonner davantage. Elle retire seslunettes et me regarde, sidérée.

– C’est vrai ?

Je regarde mes baskets, gênée.

– Eh bien, c’est très bien, me dit-elleavec un large sourire. Je suis sûre quevous ferez quelque chose departiculièrement intéressant avec elle. Iln’y a pas de meilleure photographepossible pour la montrer telle qu’on nela connaît pas. C’est génial ça, exulte-t-elle. Et en plus, on n’aura pas de temps àperdre avec son agent pour caler unrendez-vous. Vous pouvez vous encharger non ?

J’acquiesce. Devoir photographierNikki pour mon premier essaiprofessionnel, ça me perturbe un peu.Mais à la réflexion, ça m’amuse aussi.

Je vais pouvoir lui ôter tout cemaquillage dont elle se tartine, lamontrer telle qu’elle est, ou du moins,les gens la verront enfin telle que MOI,je la vois… en fait, j’adore l’idée !

Je discute encore un peu avec Aliciaet son directeur artistique, pour clarifierleurs intentions et leurs envies, et jequitte les lieux toute guillerette. En fait,ce premier travail en tant quephotographe m’excite beaucoup. J’en aiparlé à Maman, et j’ai senti à sa voixqu’elle était très fière de moi. Elle m’adit beaucoup de bien d’Alicia aussi ;selon elle, j’ai de la chance pour monpremier job de pouvoir travailler pourquelqu’un d’aussi compétent qu’elle, ce

dont je suis parfaitement consciente.

Je reprends le métro pour rentrer àManhattan. Ça fait quinze jours que nous« cohabitons » avec Caleb, et tout sepasse pour le mieux. Je garde bien entête que cette situation est provisoire, etj’essaie d’en profiter au maximum.J’adore partager le quotidien avec lui, etnos nuits… sont encore plus belles quenos jours.

Je commence même à sérieusementchanger d’avis sur le mariage…

Je viens à peine de refermer la portedu duplex que mon téléphone sonne ;c’est mon ami David. Ça fait un petit

moment qu’on ne s’est pas parlé. Ladernière fois, il voulait encore s’excuserde ce qui s’était passé à Las Vegas,d’avoir donné ce gage absurde à Caleb.Il se sent coupable, c’est quand même unpeu (beaucoup) à cause de lui que Calebet moi nous sommes retrouvés dans cettesituation. Je l’ai rassuré en disant quenotre cohabitation se passait très bien.Sans bien sûr entrer dans les détails,malgré ses insinuations ironiques… Jen’assume pas encore bien cette relation,que j’ai d’ailleurs du mal à qualifier.Mais pourquoi le devrais-je ?

Je décroche :

– Hello Dave, ça va ?

– Grace ? Je peux te parler, Calebn’est pas avec toi ?

– Oui mais… Qu’est-ce qu’il y a ?dis-je, alarmée par son ton.

– Écoute, je viens d’avoir une info, etje voulais en discuter avec toi.

– Avec moi ? Pourquoi ?

Silence au bout du fil. Je reste figéeau milieu de l’entrée.

– C’est au sujet de Caleb ? dis-je, lesmains moites.

– Eh bien, d’après mon informateur…Caleb n’est pas le fils biologique dusénateur Montgomery.

– Quoi ? dis-je en me laissant tomberdans un fauteuil. Mais c’est n’importe

quoi !– Donc tu n’es pas au courant,

murmure David.– Caleb ne m’a jamais parlé de ça,

non.– Peut-être n’en sait-il rien ? avance

David. Auquel cas, ça va lui faire unchoc quand l’info va sortir.

– Tu ne vas pas en parler, quandmême ! David, non, ce n’est paspossible ! C’est sans doute un tissu deconneries. Qui t’a dit ça ?

– Quelqu’un que je connais très bien,dit David d’un ton grave, et je peux tedire que les infos qu’il m’a données onttoujours été confirmées par la suite.

– Mais peut-être que ce ne sera pas le

cas cette fois ! C’est peut-être une… uneboule puante lancée par un concurrent.Tu ne vas rien écrire là-dessus quandmême ?

– Non, moi je ne sortirai pas l’info,mais mon informateur a sans doutecontacté plusieurs collègues journalisteset à mon avis, ça n’est qu’une questionde jours, voire d’heures, avant que çafasse la une. Au final, il trouveratoujours un collègue dénué de scrupules,qui publiera l’info, même sans preuve.Même un petit entrefilet fielleux, quiouvrira la porte aux ragots, auxspéculations…

– Oh mon Dieu. Tu vas en parler àCaleb ? Il faut le prévenir.

– Oui, je sais, dit David, gêné.Mais… je me disais que ce serait peut-être mieux si c’était toi qui lui enparlais.

– Moi ! m’exclamé-je.– Je ne veux pas lui annoncer ça par

téléphone, dit David, embarrassé. C’esttrop brutal. Je ne sais pas comment luidire. Mais que ça soit vrai ou pas, il doitêtre au courant avant que tout le monden’en parle.

Il a raison.

– Bon, OK, dis-je après une minutede silence. Il ne devrait pas tarder. Jevais essayer d’en parler avec lui.

– S’il veut en savoir plus, qu’il me

rappelle, je lui dirai ce que je sais.– OK, David.– Grace… Je suis désolé de te mettre

dans cette position. Si tu penses quec’est mieux que ce soit moi…

– Non, David, c’est bon, je vais luidire.

Je raccroche, la mort dans l’âme. Ilfaut que j’arrive à trouver les bons motspour en parler à Caleb. Mais peut-êtreque je me fais du souci pour rien, c’estpeut-être un canular, un ragot de basétage comme il en circule pas mal enpolitique…

Mais si c’était vrai ? Et si Calebn’est pas au courant, ça va être l’horreur.

Il aime tellement son père. Il nesupportera pas que sa famille lui aitmenti…

Je repense alors à la relation entreCaleb et sa mère. J’ai pu constater queleurs rapports étaient très tendus. J’aivaguement évoqué le sujet avec Caleb,mais il a éludé.

Et s’il savait ? Serait-ce à cause deça qu’il en veut à sa mère ?

Je suis toujours assise, songeuse, surle canapé, lorsque la porte s’ouvre.Caleb entre et me sourit, envoyant valsersa cravate à travers la pièce.

– Hello Grace. Tu viens de rentrer ?Qu’est-ce que tu fais dans ce fauteuilavec ta veste sur le dos ?

Je le regarde en m’efforçant desourire.

Il s’approche de moi, une lueurd’inquiétude dans les yeux. Ils’agenouille, dépose délicatement unbaiser sur mes lèvres et se recule pourmieux me regarder.

– C’est la réunion au magazine ? Ças’est mal passé ? demande-t-il, plein desollicitude.

Je crois que j’aurais préféré…

– Non, David vient de m’appeler.– Et… ? m’encourage-t-il, voyant que

je ne finis pas ma phrase.

Je prends ma respiration et lâched’un coup :

– Il a eu vent d’un bruit qui dit que tun’es pas le fils biologique de ton père. Ilvoulait te prévenir que ça va sûrementsortir dans la presse.

Un instant, Caleb me fixe,imperturbable, et je me dis que c’étaitbien ça, un ragot stupide et je m’attendsà ce qu’il éclate de rire.

Mais il n’éclate pas de rire. Il serre

soudain les mâchoires, se redresse et sedétourne de moi pour aller retirer saveste.

– Caleb…

Oh mon Dieu…

– Caleb, dis-je une nouvelle fois, et ilse retourne enfin vers moi.

Son regard est dur, ses yeux froids.

– Ce n’est pas vrai, n’est-ce pas ?dis-je, tout en sachant la réponse.

Il continue à me fixer sans semblerme voir.

– Alors, ils sont allés jusque-là, cesfouille-merde, murmure-t-il.

– Mais, c’est vrai alors ? dis-je, sousle choc. Pourquoi tu ne me l’as jamaisdit ?

– Parce que je n’en avais pas envie,répond-il sèchement. Tu crois que je tedis tout ?

– Je… bien sûr, ça ne me regardepas, dis-je les larmes aux yeux.

En une phrase, Caleb m’a remise àma place. Blessée, je me redresse pourquitter la pièce quand Caleb me rattrapepar le coude.

– Pardonne-moi, Grace, je suisstupide, je n’ai pas à m’en prendre à toi.

Je t’en prie, excuse-moi. Mais je suis encolère. Depuis le temps, je connais lemilieu de la politique, je croyais m’êtrehabitué aux coups bas, maisapparemment, non, dit-il d’un ton amer.

Je le regarde, ne sachant que lui dire.Je ne veux pas me montrer trop curieuse,mais je ne comprends rien à la situation.

Caleb lit sans doute monincompréhension dans mes yeux, car ilreprend :

– Le sénateur n’est effectivement pasmon père. Biologique, je veux dire,parce que je le considère comme monpère, c’est lui qui m’a élevé, depuis ma

naissance. Pour moi, c’est tout ce quicompte.

– Tu l’as toujours su ? demandé-jetimidement.

Caleb soupire bruyamment.

– Non. Je l’ai appris par accident,quand j’avais 18 ans. Il y a une dizained’années, mon père a été atteint d’unegrave affection du foie. On devait luifaire une greffe, et je me suis proposépour un prélèvement partiel. Mesparents s’y sont opposés. Je pensais quec’était parce qu’ils me trouvaient tropjeune, qu’ils avaient peur decomplications. J’ai insisté, et ils ont dûm’avouer la vérité.

Je le regarde, incrédule.

Quelle horrible circonstance pourapprendre ce genre de chose ! Comme ila dû souffrir…

Je l’entoure de mes bras, pose matête sur sa poitrine, ne sachant commentexprimer par les mots ma compassion. Ilne me repousse pas, mais je sens qu’ils’est raidi entre mes bras.

– Mon père s’en est sorti grâce à ungreffon provenant d’un cousin. Et commetu vois, depuis, il est en pleine forme.Moi, je m’en suis sorti un peu moinsbien, fait-il avec une grimace.

– Ton père l’a toujours su alors…

– Oui. Apparemment, ma mère esttombée enceinte à Harvard d’un type quin’a pas voulu du bébé. Pour sauvegardersa réputation, parce qu’être mèrecélibataire, dans sa famille, ça ne sefaisait pas, elle s’est empresséed’épouser mon père, qui l’aimait déjàéperdument et qui a volé à son secours,en bon chevalier servant qu’il était. Çan’a pas empêché ma mère de le méprisertoujours un petit peu, au lieu de lui enêtre reconnaissante. Je suppose que cefils d’ouvriers, aussi doué soit-il, n’étaitpas assez bien pour l’héritière qu’elleétait, fait-il, et ses yeux étincellent decolère. C’est elle qui l’a poussé dans lacarrière politique, tu sais… Et lui s’y est

engagé surtout pour lui faire plaisir, pourqu’elle soit fière de lui… Mais mêmes’il devient président, je ne suis pas sûrqu’elle soit un jour fière de lui, ajoute-t-il d’un ton amer.

Il s’arrête un instant, songeur, avantde reprendre :

– Dad a toujours été présent pourmoi, il me faisait faire mes devoirsquand il pouvait, assistait à mes tournoisde base-ball, de natation, m’emmenaitvoir des matchs des Chicago Bulls. Iln’aurait pas été plus attentif et aimants’il avait été mon père biologique. Jel’aime infiniment.

Il se dégage doucement de monétreinte et va s’asseoir dans un fauteuil,le regard perdu dans ses souvenirs.

– Ça a dû être un choc pour toi quandtu as appris…

– Ça, c’est sûr ! dit-il avec un riresec. Mais je ne lui en ai pas voulu, à lui,de m’avoir menti. J’ai compris quec’était ma mère qui l’avait forcé à mecacher la vérité toutes ces années. Enfin,je suppose qu’elle a jugé que c’étaitmieux pour tout le monde. Et surtoutpour elle…, ajoute-t-il avec un sourirecrispé.

On reste un instant sans parler.

– Caleb…, dis-je doucement. Ilfaudrait peut-être les prévenir que cettehistoire va sortir.

Il se passe une main dans les cheveuxet se lève.

– Tu as raison. Je vais les appeler, onverra ce qu’en dit Noah. Il a l’habitudede gérer ce genre de situations.

Soudain, alors qu’il était resté maîtrede lui-même jusque-là, il s’emporte :

– Putain, c’est pas vrai ! Ça va être ledéballage maintenant. Quand les médiasvont sortir le truc, on va avoir droit auxspéculations, sans compter tous les tarés

qui vont jurer avoir couché avec mamère et proclamer être mon père. Ça vaêtre un défilé de psychopathesdemandant à faire un test de paternité !

– Tu sais… qui est ton père ?

Caleb me jette un regard qui me faitimmédiatement regretter d’avoir posé laquestion.

– Je n’en sais rien, et j’en ai rien àfoutre, lâche-t-il, cinglant. J’ai un père,et ça me suffit. Je ne veux rien savoir etje n’ai jamais voulu savoir. Et j’espèrebien que l’autre connard ne semanifestera pas. Ce dont je ne doute pas,vu le soin qu’il a pris à fuir sesresponsabilités. Ça m’étonnerait que ma

mère, snob comme elle est, ait couchéavec un connard sans le sou quiviendrait aujourd’hui essayer de glanerquelques sous auprès de son fils qui a sibien réussi dans la vie, dit-il, cynique.

– Mais si les journalistes trouventson identité ? Et puis… Peut-être que ceserait bien que tu la connaisses. S’il estporteur d’une maladie ? Tu pourrais latransmettre à tes enfants, sans lesavoir… Pense à eux, ils auront peut-être besoin de connaître leur filiation. Tudevrais demander à ta mère.

– Je ne lui demanderai rien du tout,assène Caleb, soudain fou de rage.Grace, s’il te plaît, ne te mêle pas de ça.Ça me regarde, moi et seulement moi,

c’est ma vie, pas la tienne. Tu n’as pas àt’inquiéter pour moi ou pour meshypothétiques futurs enfants, je ne voispas en quoi ça te concerne. Quant àdevenir père, ça n’est vraiment pas dansmes projets immédiats, et c’est surtout ledernier de mes soucis !

Il est dans une rage froide. Je ne lereconnais plus, avec cet air dur et savoix presque métallique. Avant que je nepuisse réagir, il récupère sa veste etquitte l’appartement en claquant la porte.

Je reste seule, figée, au milieu dusalon.

Je suis sous le choc de ces

révélations, mais aussi de la réaction deCaleb. Je sais que je dois faire la partdes choses, que sa colère n’était pastournée contre moi, mais ses derniersmots m’ont meurtrie : visiblement, jen’ai aucune place dans son futur. Je n’aijamais envisagé avant cette conversationd’avoir des enfants avec Caleb, notrerelation est naissante et très confuse,mais d’apprendre que s’il en a, ce nesera sans doute pas avec moi, ça meterrasse.

Je fais distraitement tourner autour demon doigt l’alliance de chez Tiffanyqu’il m’a offerte. La voir à ma main,avec la bague de fiançailles, me crève lecœur : j’aurais tellement aimé que ces

bijoux ne soient pas un artifice, mais devrais gages d’amour.

Cette sordide histoire a au moins lemérite de me faire prendre conscienceque je suis bien trop attachée à Caleb,beaucoup plus qu’il n’est attaché à moi.Après ces deux semaines de viepartagée dans la plus grande félicité, jesuis violemment renvoyée à la réalité. Jeréalise deux choses, qui me foudroient :la première, c’est que je ne conçois pasma vie sans Caleb. La deuxième, c’estque lui envisage un avenir dans lequel jen’ai aucune place.

20. Un passé qui faitmal

– Grace… tu dors ?

Non, je ne dors pas. Mais je n’ai pasenvie de parler à Caleb qui chuchotedans le noir. Je garde les yeux fermés. Ilvient de rentrer, après avoir passé lamoitié de la nuit dehors, et il se tientagenouillé au bord du lit, attendant queje lui réponde.

Après son coup d’éclat, j’ai failli

partir et rentrer à Brooklyn. Et puis jeme suis dit que je ne pouvais pascomplètement lui en vouloir malgré lesmots très durs qu’il a eus : il venaitquand même d’apprendre que son secretde famille allait être jeté en pâture sur laplace publique. Je comprends sa colère,sa tristesse. Le fait que Caleb ne soit pasle fils biologique du sénateur est un sujettellement sensible qu’il ne m’en a jamaisparlé avant et pourtant, nous noussommes beaucoup rapprochés cesderniers jours. Et quand je dis« rapprochés », c’est un euphémisme :nous vivons ensemble, nousCOUCHONS ensemble… Plus proches,c’est possible ?

Je sais qu’une vraie confiance s’estinstallée entre nous, en même tempsqu’une intimité, et pourtant il n’a jamaiseu l’envie, ou le courage, d’évoquer cesujet avec moi. J’imagine quel effet çadoit lui faire de savoir que cela ferabientôt la une des magazines ! C’est pourça que je suis restée, je comprends qu’ilsoit bouleversé, mais j’ai réintégré lachambre d’amis, celle que j’occupaisavant de partager la sienne. Histoire demarquer le coup.

Hier soir, après son brusque départ,j’ai attendu, voulant en avoir le cœurnet, voulant qu’il s’explique une bonnefois pour toutes, mais ne le voyant pasrevenir, j’ai fini par aller me coucher.

Étendue dans l’obscurité, j’ai guetté sespas dans le silence de la nuit. J’airetourné ses paroles dans ma tête, etchaque fois, elles me faisaient un peuplus mal :

« Ça me regarde, moi et seulementmoi, c’est ma vie, pas la tienne. Tu n’aspas à t’inquiéter pour moi ou pour meshypothétiques futurs enfants, je ne voispas en quoi ça te concerne. »

S’il considère que ça ne me concernepas c’est que notre histoire n’a donc,pour lui, aucun avenir. Alors que moi…Je réalise que d’une manière insidieuse,au fil des jours, j’ai commencé à meprojeter dans un futur à deux. Je n’avais

pas pensé aux enfants, mais lorsqu’ilm’a dit qu’il n’entendait pas en avoiravec moi, ça m’a blessée terriblement.Je ne peux plus me mentir : j’aimeCaleb, profondément, et je n’envisageplus ma vie sans lui.

Caleb est toujours agenouillé dans lenoir, attendant ma réponse qui ne vientpas. J’ai l’impression que,inconsciemment, je suis en train deprendre mon élan pour lui balancer toutce que j’ai à lui dire, Je l’entendspousser un léger soupir, se lever pour sediriger vers la porte de la chambre. Jesais qu’il est malheureux, j’en souffrepour lui, mais je ne peux pas le laisserpour autant me parler comme il l’a fait

sans réagir.

– Caleb… Je ne dors pas.

J’ouvre les yeux et je me redresse surle lit. J’allume la lampe de chevet et jelève la tête vers lui : il a les traits tirés,il a l’air fatigué et triste, mais je lis dansses yeux du soulagement tandis qu’ilvient s’asseoir près de moi sur lematelas.

Il me prend la main :

– Grace, pardon. Je n’aurais jamaisdû élever la voix contre toi, tu n’as rienà voir avec cette histoire sordide. Maisj’étais si en colère… Ce n’était pas

contre toi.– Ce n’était pas contre moi, mais

c’est moi qui ai tout pris ! dis-je,laissant éclater ma colère. Tu me prendspour quoi ? Un punching-ball ?

Il me regarde, interloqué devant maréaction.

– Mais… non…– Alors arrête de passer tes nerfs sur

moi ! C’est trop facile de t’en prendre àmoi, de me dire des horreurs, et puis derevenir la queue entre les jambes te fairepardonner. Je l’ai accepté une fois, maisne crois pas que ça va marcher à tous lescoups.

Caleb me regarde fixement, avec unair d’incompréhension. Il se relève, sansme quitter des yeux.

– Écoute, Grace, avec les soucis quej’ai, tu crois que c’est le moment… ?

– Oui, justement, c’est le moment ! Ilfaut que tu comprennes que je suis de toncôté, Caleb. Je sais que tu souffres, maisce n’est pas à moi que tu dois t’enprendre. Je n’y suis pour rien. Sois encolère contre ta mère, contre ton père,mais pas contre moi. Tu te rends comptede ce que tu m’as dit ? J’aurais dû partir.Mais je suis là.

– Mais la porte est ouverte, dit-il, levisage blême, je ne te retiens pas deforce.

Je rejette les draps, et je sors du litpour me camper devant lui, tremblant derage.

– C’est ce que tu veux ? dis-je en leregardant dans les yeux.

Il me regarde sans rien dire, lescheveux en bataille et les mâchoiresserrées.

– Très bien, lancé-je d’un ton sec, etje me dirige vers la chaise où sont posésmes vêtements.

Mais Caleb me rejoint en deux pas,m’attrape par le poignet et me force àme tourner vers lui. J’ouvre la bouche

pour lui crier de me lâcher quand jecroise son regard. Je n’y vois plus decolère, mais juste une immense tristesse.

– Ce n’est pas ce que je veux. Je veuxque tu restes, s’il te plaît, dit-il enplantant ses yeux bleus dans les miens.

Je reste silencieuse, encorefrémissante, attendant la suite.

– Tu as absolument raison, dit-ild’une voix sourde. Je n’ai pas le droitde te parler comme je t’ai parlé, et jen’ai aucune excuse pour cela. Tu es ladernière personne que je veux blesser,Grace, crois-moi.

Je vois bien qu’il est sincère, et jesens ma colère refluer peu à peu.

Il lâche mon poignet et passe unemain dans ses cheveux.

– J’ai eu peur que tu ne sois partie…Et t’aurais eu raison de le faire. Je saisque je me suis comporté comme unconnard, crois-moi, et je m’en veux. Tume pardonnes ?

Je le regarde un instant sans rien dire.Je n’ai pas vraiment la réponse à saquestion. Il m’a fait des excuses,sincères et touchantes, et je les accepte.Pour le reste…

– Tu… tu as prévenu tes parents ?dis-je d’une voix radoucie.

Je vois dans son regard que Caleb acompris que j’acceptais ses excusesmême si je lui en voulais encore pourson comportement. Je lis dans ses yeuxdu soulagement, et de la gratitude.

– Oui, c’est fait, et j’ai eu Noahaussi, répond-il. On a préféré ne pastrop en parler au téléphone, on ne saitjamais. Certains sont peu scrupuleux surles écoutes téléphoniques. Je préfèrealler rejoindre mes parents à Chicagodemain matin. Enfin… tout à l’heure,fait-il avec une petite grimace en avisantl’horloge qui affiche 2 h 50.

– C’est sans doute ce qu’il y a demieux à faire. En attendant, tu devraisaller te reposer maintenant.

– Grace…, commence-t-il en meprenant la main. J’aimerais que tum’accompagnes. Tu veux bien ? medemande-t-il en me regardant d’un airgrave.

Je l’observe, essayant de lire dansson regard bleu ses motivations. Est-cesa façon à lui de me redire qu’il regrettece qu’il a dit, de me faire comprendreque je fais réellement partie de sa vie ?Qu’il a besoin de moi à ses côtés dansce moment important pour lui ?

Je reste un instant silencieuse, les

yeux plongés dans les siens. Cesquestions qui me tournent dans la tête, jene vais pas les lui poser. Il y a deschoses qui n’ont pas besoin d’être dites,sa demande parle d’elle-même.

Enfin, je crois, non ?

– Très bien, dis-je. J’appelleraidemain matin Marcy pour voir si ellepeut me remplacer. Si c’est le cas, jeviendrai avec toi.

– Merci Grace. C’est important pourmoi, me dit-il, avant de se lever du lit.Je te laisse dormir, j’ai assez gâché tanuit, tu as une petite mine.

– Tu n’as pas l’air bien non plus, dis-je avec une petite grimace.

Il fait la moue et passe un doigt surses joues noircies par un début de barbe.

– Tu peux dormir ici, si tu veux, dis-je timidement.

Il me regarde, surpris.

–Tu es sûre ?

Je hoche la tête sans rien ajouter. Ilme lance un long regard reconnaissant.

– Je veux bien alors, dit-il.

Il se déshabille rapidement et vient secoucher. Je sens qu’il n’ose pasm’approcher, il a peur de ma réaction.

Pourtant, je suis apaisée. J’ai vu qu’ilregrettait sincèrement son comportementet même si je ne lui ai pas tout à faitpardonné ses paroles, elles passentdésormais au second plan. Ce quim’importe à cet instant, c’est qu’ilsouffre, et sa souffrance m’estintolérable. Lui qui est si solide, quidoute si peu, je le sens pour la premièrefois vulnérable. Cette histoire l’aébranlé, elle l’a mis face à une chosequ’il a sans doute, pendant des années,voulu occulter. Ce terrible secret, il vadevoir aujourd’hui l’affronter, et enpublic. Je comprends que cela l’atteigneautant, et si je peux l’aider à surmontercette épreuve, je le ferai avec joie.

Je glisse vers lui entre les draps et jele prends dans mes bras. Il me serrealors très fort contre lui, sans dire unmot. Il n’a pas besoin de parler pour queje sente et comprenne sa souffrance.Toute son enfance a été un mensonge,aucun lien du sang ne le rattache àl’homme qu’il aime plus que tout. Cetterévélation lui a fait tant de mal àl’époque, et voilà qu’elle ressurgit, jetéeà la face du monde, ravivant la blessure.Comment peut-il encore faire confianceà qui que ce soit, alors que ses propresparents lui ont menti ? Et pourtant, cetteconfiance, il me la donne aujourd’hui. Ila peur, il a mal, il se prépare au pire, etc’est vers moi qu’il se tourne pour

l’aider à l’affronter, et ça mebouleverse.

Je sens sa respiration s’apaiserlentement. Et c’est ainsi enlacés quenous finissons par nous endormir.

***

J’ai réussi à me faire remplacer auzoo, et j’ai accompagné Caleb àChicago. Il est resté plutôt mutiquependant tout le voyage dans son jetprivé, mais sans pour autant être froidavec moi. Il est très préoccupé, unpremier article faisant référence à larumeur concernant la non-paternité dusénateur est paru ce matin sur le site du

Washington Post.

C’est la première fois que je merends à Chicago. Une limousine estvenue nous chercher à l’aéroport et nousavons filé vers la Gold Coast en borduredu lac Michigan. Un quartier huppé de laville, que je connais de réputation, carc’est l’un des secteurs les plus riches dupays, l’équivalent de l’Upper East Sidenew-yorkais.

La voiture s’est arrêtée dans une ruebordée d’arbres, devant unimpressionnant manoir du XIXe siècle,qui n’a pas grand-chose à envier à unchâteau.

– C’est ici que tu as grandi ? dis-je àCaleb, en jetant un œil stupéfait àtravers la vitre de la portière.

– Oui, ma mère en a hérité à sonmariage, dit-il distraitement.

Pas étonnant qu’elle soit aussi snob etaussi hautaine… Caleb m’avait laisséentendre qu’elle faisait partie de lagrande bourgeoisie de Chicago maisc’est maintenant que je prends la mesurede l’environnement dans laquelle elle apassé son enfance. Et son fils aussi…

Caleb pousse la porte de la grille enfer forgé qui sépare le grand bâtiment depierre blanche victorien doté d’unetourelle du trottoir. Un majordome vient

nous ouvrir. Nous sommes introduitsdans un hall majestueux, au parquetmarqueté et doté d’un escaliermonumental. Le majordome nous conduità travers une enfilade de pièces d’unehauteur de plafond hallucinante pourvuesde lustres qui ne dépareraient pas auchâteau de Versailles, jusqu’à un grandsalon tapissé de boiseries donnant sur unjardin arboré.

C’est là que l’on trouve les parentsde Caleb, en compagnie de NoahGrumberg, le directeur de campagne dusénateur. À notre arrivée, le père deCaleb se lève précipitamment de sonfauteuil et vient à la rencontre de sonfils, qui le serre chaleureusement dans

ses bras. Ils se tiennent ainsi un instantsans rien dire, et je sens les larmesperler à mes paupières. Noah, deboutcontre la fenêtre, regarde la scène d’unair grave. Son habituel sourire ironiqueest pour une fois aux abonnés absents.Les lèvres pincées, le visage sévère,Laura Montgomery observe la scène deses yeux cernés de noir. Malgré sonmaquillage, je peux voir que ses traitssont tirés, son visage altéré parl’inquiétude et le manque de sommeil.

Soudain, elle m’aperçoit.

Oups, on dirait que Caleb ne lui apas dit que je venais…

L’espace d’un instant, je lis lasurprise dans son regard, voire unecertaine contrariété mais elle se reprendvite. Elle se lève et vient me saluercérémonieusement, en bonne maîtressede maison.

Caleb et son père se séparent. Lesénateur vient m’embrasser avec unsourire triste et Caleb va poser unrapide baiser sur la joue de sa mère quitente de le retenir par la manche, mais ilignore son geste et va rejoindre Noah.Le regard de Laura se voile de tristesseet pour une fois, j’avoue qu’elle me faitde la peine. Elle s’aperçoit que j’airemarqué son désarroi et se reprendimmédiatement. Son visage redevient de

marbre :

– Grace, vous avez faim ? Je peuxvous faire servir quelque chose ? medemande-t-elle en parfaite hôtesse.

– Non, merci… nous avons mangédans l’avion.

À vrai dire, quasiment pas. J’avaisl’estomac noué, et si un repas était prévudans le jet qui nous a emmenés, je n’aiavalé que quelques bouchées. Calebquant à lui a seulement ingurgité deslitres de café.

– Caleb…, dit-elle en se retournantvers son fils, mais il repousse saproposition d’un geste et se tourne vers

Noah Grumberg.– Alors Noah, tu en penses quoi ?

Grumberg grimace.

Laura me fait signe de la suivre etm’installe près d’elle sur un grandcanapé fleuri. Caleb se laisse tomberdans un fauteuil club et Noah vients’asseoir en face de lui. Le sénateur seposte devant une porte-fenêtre et regardevers le jardin en nous tournant le dos.

– Je disais à ton père qu’il ne faut paslaisser pourrir la situation, commenceNoah. Ça ne peut qu’aller vers lasurenchère et parasiter la campagne.

– Ça vient d’où, à ton avis, cette

« fuite » ?

Grumberg a une petite moue :

– Un rival de ton père, sans aucundoute. Probablement du gouverneurCharles Lewis. C’est le principaladversaire de ton père à la course àl’investiture, il sait qu’il a de l’avancesur lui. Il lui balancera toutes les peauxde bananes possibles d’ici là. Je pensequ’il n’est pas étranger à la divulgationdes photos de ton mariage, c’était uncoup d’essai. Ça n’a pas marché,l’image de ton père n’a pas été ternie, ilessaie autre chose… Je connais sesméthodes et celles de son staff, il paietrès cher des limiers pour découvrir les

moindres faiblesses de ses adversaires.Ils ont dû aller chercher les ancienscamarades d’université, l’équipe de laclinique où ta mère a accouché… Quesais-je encore ! Ils sont pleins deressources, dit-il d’un air malgré toutadmiratif. Je sais de source sûre que legouverneur est à l’origine desrévélations sur la liaison extraconjugaledu sénateur Gomez. Une liaison quidatait de vingt-cinq ans et qui a durédeux semaines !

– Quel sale type, siffle Caleb.– C’était de bonne guerre, lâche

Noah, avant qu’un regard foudroyant deCaleb ne le fasse taire. En tout cas, celapeut être assez nuisible à la campagne

de ton père, reprend-il après quelquessecondes. Tout d’abord, parce qu’au lieude défendre son programme, il va seretrouver à répondre à des questions àce sujet. Ensuite, parce qu’il va êtreaccusé d’être un dissimulateur. Peuimportent les raisons pour lesquellescette information est restée secrètejusqu’ici, tout ce que l’on retiendra,c’est que le sénateur est un menteur,qu’il a un secret, donc peut-êtreplusieurs, et plus graves. Et l’image deta mère risque d’être sévèrementécornée au passage.

– Tu préconises quoi, alors ? ditCaleb en se rejetant en arrière dans sonfauteuil.

– He bien… Il y a plusieurssolutions. L’une d’entre elles serait…,commence Noah avant de s’interrompre,après avoir jeté un regard au sénateur,silhouette géante et immobile devant lafenêtre.

– Serait… ? s’impatiente Caleb.– … De jouer sur la corde sensible

avec une déclaration de ta mère, termineNoah. Cela aurait déjà un fort impact surles électrices. Et excuse-moi de dire leschoses crûment Caleb, peut-être aussisur les pro-life : après tout, enceintehors mariage, d’un homme qui ne voulaitpas reconnaître l’enfant, elle a choisi dene pas se faire avorter.

– C’est hors de question.

Nous nous tournons tous vers lesénateur qui a laissé tomber ces motscomme un couperet. Il se retourne versnous, le visage empourpré derrière sesfines lunettes :

– Ma femme ne s’abaissera pas às’exprimer sur ce sujet. Elle ne doitd’explication à personne, et encoremoins des excuses. Je m’y opposeformellement.

– Mais Will, je suis prête à…– Laura, tu ne feras jamais ça, la

coupe-t-il avant qu’elle puisse terminersa phrase. Et je refuse que tu sois traînéedans la boue par des journalistes sansfoi ni loi. Si les choses prennent cettedirection, je préférerais encore me

retirer de la course, dit-il d’une voixferme.

Le silence se fait pendant quelquesinstants. Chacun de nous a compris querien ne fera changer d’avis le sénateur,qui tremble de rage.

– Peut-être pourrions-nous attaquerles journaux qui publient cette info pourdiffamation ? propose Laura.

– Mère, de la diffamation, comme tule sais parce que tu as fait des études dedroit, c’est lorsque l’on fait état de faitserronés. Ça n’est pas le cas ici, que jesache, dit Caleb d’un ton sec.

– On peut les menacer de poursuitepour atteintes à la vie privée, alors…,

essaie-t-elle.– Mais les gens penseraient qu’on a

plus encore à cacher, qu’on veut muselerles médias, ce pourrait être très nocifpour l’image du sénateur, lance Noah enfaisant une moue dubitative.

– Eh bien, je vais parler moi, ditCaleb avec un petit soupir las.

Les yeux de Noah s’illuminent.

– C’était une des alternatives,effectivement, dit-il, de nouveausouriant.

Il jubile. Il n’attendait que ça,manifestement… C’est exactement làqu’il voulait en venir.

Le sénateur ouvre la bouche pourparler mais Caleb l’interrompt :

– Dad, je VEUX le faire. Je penseque la meilleure chose qui peut arriver àce pays, c’est que tu le présides. Et sipour ça, je dois me fendre d’une autreinterview, ce n’est pas cher payé. Je nedirai que ce que je pense : que tu as étéet que tu es un père merveilleux, et queje n’en veux pas d’autre. Et que cettehistoire ne regarde que nous.

Son père le regarde, manifestementému, et vient poser sa main sur sonépaule. Puis il sort précipitamment de lapièce, peut-être pour cacher sontrouble…

– Mère, dit soudain Caleb en setournant vers Laura, il serait peut-êtretemps de me dire qui est ce type qui t’amise enceinte ? Ou tu préfères peut-êtreque je l’apprenne par la presse ? Parceque c’est sans doute ce qui va arriver situ ne parles pas maintenant.

Je le regarde, stupéfaite.

Hier soir, il disait ne rien vouloirsavoir de ce père biologique. On diraitque ma réflexion a fait son chemin…

– Euh… Eh bien, je vous laisse, ditNoah en lissant ses cheveux en arrièreavec un air qui se veut dégagé, avant dequitter prestement la pièce.

Je me lève pour faire de même, maisCaleb me retient par la main :

– Je veux que ma femme entende ceque tu as à me dire, dit-il à sa mère,figée sur le canapé face à son fils, l’aircourroucé. Je n’ai rien à lui cacher…

Je suis debout près du fauteuil deCaleb, dont la main enserre de plus enplus fort la mienne, et j’ai le cœur quibat à tout rompre. À cet instant, Calebn’a aucune raison de jouer la comédie :je sais qu’il pense chaque mot qu’ilvient de prononcer, et j’en suisbouleversée.

Je compte vraiment pour lui…

Je n’ai pas le choix, je dois resterdans cette pièce, même si cela me coûte,même si j’aurais préféré que cetteconversation n’ait pas lieu en maprésence. Je me sens prise dans unetourmente familiale qui couve depuisdes années et qui est sur le pointd’éclater.

– Mais je ne te dirai rien ! Etcomment oses-tu me parler sur ce ton ?lance Laura, le visage dévasté.

– Et toi ? Comment as-tu osé mementir pendant dix-huit ans ? Commentas-tu osé épouser Dad pour lui faireendosser ta faute ?

– Il m’a épousée en connaissance decause, répond sa mère dont la voix se

fait de plus en plus aiguë. Mais je t’aidéjà expliqué tout cela il y a dix ans ! Tum’as dit que tu ne voulais rien savoir deplus, pourquoi ce revirement ? Tu n’enas jamais reparlé depuis.

Caleb se redresse, fou de rage et dedouleur :

– J’étais un gosse, il y a dix ans, crie-t-il. J’avais 18 ans, tu crois que j’étaisassez mûr pour encaisser ce choc ? Tuimagines ce qui s’est passé dans ma têtequand j’ai appris ? Par accident desurcroît ? Mon monde s’est écroulé.Mon père, que j’adorais, mon père qui,en plus, allait peut-être mourir faute degreffe, n’était pas mon père. Et l’autre,

le connard qui t’avait mis enceinte, luin’avait pas voulu de moi. Tu imagines leséisme dans ma vie ? Quel choix avais-je à part occulter tout ça pour pouvoircontinuer à avancer ? Pour essayer de tepardonner d’être une traînée, unementeuse et une manipulatrice ?

Laura s’est levée à son tour. Ellesoutient le regard de son fils, mais jem’aperçois qu’elle tremble de tout soncorps.

– Je t’interdis de parler comme ça àta mère.

Je me retourne vers la porte, la hautesilhouette du sénateur se découpe dans

l’encadrement. Il regarde son fils avecune dureté que je ne lui connais pas.

– Tu n’as pas le droit de juger tamère, poursuit-il. Si tu lui en veux parcequ’elle t’a caché la vérité sur tafiliation, tu dois m’en vouloir aussi,parce que je ne t’ai rien dit non plus.

– Mais Dad…, commence Caleb.– Ça suffit, fils, dit le sénateur d’une

voix radoucie mais ferme.

Ils se regardent un instant sans motdire.

– Tu as beaucoup souffert par notrefaute, et je ne me le pardonnerai jamais,reprend Will. Nous aurions dû avoir le

courage de tout te dire bien avant. Maissache que si on a choisi de se taire,c’était parce qu’on croyait que c’était cequ’il y avait de mieux pour toi. Onpensait que jamais tu ne saurais. J’ai mapart de responsabilité dans cettedécision : j’étais bien content que tucroies que tu étais ma chair et mon sang.Et même si ce n’est pas réellement lecas, sache que moi, je n’ai jamais faitaucune différence.

Je suis émue aux larmes et je sensbien que Caleb à mes côtés estbouleversé par les paroles de son père.Il ouvre la bouche pour parler, mais lareferme aussitôt. Je ne sais pas ce qu’ilallait dire, mais manifestement il a

changé d’avis. Il passe nerveusement lamain dans ses cheveux, et je vois qu’ilprend sur lui pour retrouver son calme.

– Bon, je vais appeler DavidGrayson, dit-il d’une voix redevenuepresque égale. Mon pote de l’université,il était venu ici une fois, vous voussouvenez ?

Son père acquiesce et Calebreprend :

– Je préfère que ce soit lui qui fassel’interview. Il est journaliste politiqueau Los Angeles Times, qui appartient aumême groupe que Chicago Tribune etChicago Magazine, entre autres.

L’interview va pouvoir être reprise surtous ces supports, et sur une chaînelocale partenaire, ce qui est déjà pasmal avant une reprise nationale. Je l’aiappelé de l’avion, j’avais déjà évoquécette possibilité, il est dispo. Je vais lefaire venir en jet, il devrait pouvoir êtrelà dans la soirée.

– Si c’est ce que tu veux, fils, dit lesénateur d’une voix douce.

– C’est ce que je veux, dit Calebd’une voix ferme.

Et il sort de la pièce, sans un regardpour sa mère.

Je reste debout au milieu de la pièce,figée, ne sachant que faire. Le sénateur

semble avoir oublié ma présence : à cetinstant, tout ce qui lui importe, c’est sonépouse. À peine son fils sorti, il seprécipite vers elle, qui s’est rassise.Elle se tient droite, les mains posées surles genoux, elle semble impassible maisje peux voir les larmes couler le long deses joues. Son mari s’assied près d’elleet entoure ses épaules de son braspuissant. Elle se laisse faire sansesquisser un geste vers lui.

Je n’ai rien à faire ici, et eux-mêmessemblent avoir totalement oublié maprésence. Je m’éclipse de la pièce, leslaissant seuls avec leurs remords etleurs regrets.

21. L'ombre d'undoute

– Quand avez-vous appris que lesénateur n’était pas votre père ?

David est installé avec un cadreur etun preneur de son, face à Caleb, dans unbureau du deuxième étage du manoir.Noah assiste à l’entretien, mais lesénateur et sa femme se sont absentés.

– Oh, je crois que je l’ai toujours su,répond Caleb à David. Du moins, mes

parents m’ont en parlé dès que j’ai eul’âge de comprendre…

Tu parles…

Cela me perturbe beaucoup d’être letémoin des mensonges de Caleb, quiplus est à un ami à moi, à nous. J’en aidiscuté avec Caleb avant, mais il m’aexpliqué que même s’il allait être aussihonnête que possible, il y avait certainspoints sur lesquels il ne pouvait dire lavérité.

– Je ne peux pas demander à Davidde mentir pour moi, m’a-t-il dit plus tôt,d’écrire des choses qu’il saitpertinemment fausses par amitié. Ce

serait indigne de lui. Je te promets queje serai aussi proche de la vérité quepossible. Et si mensonge il y a, jepréfère en endosser la responsabilité.

Et voilà que mes craintes se vérifient.Ce n’est pas une interview à laquellej’assiste, mais à une entreprise decommunication. Bien sûr, Caleb pensechaque mot qu’il prononce sur son père,ça je le sais. Mais pour le reste, ilaménage la réalité pour la rendre plusprésentable, et cela me déplaîtprofondément…

En voilà un que cela ne perturbe pasautant que moi : Noah Grumberg. Assisprès de moi, il écoute attentivement

l’entretien qui sera publié maiségalement diffusé sur une chaîne localede l’Illinois, et sans doute reprise auniveau national. Sans doute se tient-ilprêt à intervenir s’il sent que des proposde Caleb peuvent desservir lesénateur…

Je suis de plus en plus mal, et je mesens coupable de laisser David se fairemanipuler. Le monde de la politique estun milieu terrible, bien plus encore quece que je craignais… Il me tarde dem’en éloigner. Mais le pourrai-je, alorsque je n’envisage pas ma vie sansCaleb ?

David poursuit son interview :

– Vous avez toujours su que lesénateur Montgomery n’était pas votrepère biologique dites-vous, mais c’étaitpourtant un secret de famille,puisqu'apparemment personne ne savaitavant que la rumeur n’enfle, poursuitDavid. Le sénateur a fait campagne envous présentant comme son fils…

– Mais parce que c’est ce que je suis,dit Caleb avec véhémence. Il a assisté àma naissance, m’a élevé, il m’a veillélorsque j’étais malade, il m’a appris àfaire du vélo… Il a toujours été un pèrepour moi, et je n’en ai pas d’autre.

– Connaissez-vous l’identité de votrepère biologique ?

– Je viens de vous le dire, répond

fermement Caleb, je n’ai pas d’autrepère que William Montgomery. Je penseque malheureusement, il y a beaucoupd’enfants qui n’ont pas eu la chance degrandir avec un père aussi aimant etattentionné que le mien. Si j’avais puchoisir, je n’en aurais pas voulu d’autreque lui.

– C’est pour ça que vous avezaccepté de prendre la paroleaujourd’hui ? Pour le défendre alors quecertains l’accusent déjà dedissimulation ?

Au moins, David fait le job. Il n’estpas vraiment dans la connivence, et jepréfère ça…

Caleb ne se laisse pas démonter, sonvisage ne montre aucune contrariété,juste la gravité nécessaire au sujet :

– Si j’ai accepté de faire cetteinterview, et sachez que ce sera la seuleque j’accorderai, c’est pour demanderque cette histoire reste ce qu’elle est,une affaire strictement privée. Quelqu’unde malintentionné l’a rendue publique,essayant de faire croire que cela pouvaitavoir un intérêt pour les électeurs. Maisce n’est pas le cas, et je suis sûr que lepeuple américain n’est pas dupe, et qu’ilfait la part des choses. Le fait que je soisou non le fils biologique de mon père nechange rien à ce qu’il est, ni à ses idées,ni à ses projets pour l’Amérique. On

veut le faire passer pour un menteur,mais mon père n’a pas menti, car c’estbien MON PÈRE, puisque je leconsidère comme tel. Le reste n’est quedétails, même si des gens malveillantstentent de monter ceci en épingle. Etsurtout, cela concerne une seule famille,MA famille. Tout ce que mon père avoulu faire, ce n’est pas mentir auxAméricains, mais me protéger. Protégerma mère, qu’il aime plus que tout, car ilsavait bien qu’elle deviendrait la cibled’attaques nauséabondes. Qui peut lui envouloir pour ça ? M’accepter, m’élevercomme son fils alors que je n’étais pasbiologiquement de lui, nous offrir à mamère et à moi une vie de famille, quel

plus bel acte d’amour pouvait-il faire,dites-moi ?

– Caleb, vous nous avez parlé de larelation que vous entretenez avec votrepère, maintenant, pouvez-vous nous direce que vous pensez du candidat ? Vousêtes un avocat renommé, son programmepropose des modifications concernant laloi de…

Caleb et David sont tombés d’accordpour que le sujet de ses origines soitabordé dans le cadre d’une interviewplus politique. Après tout, David estjournaliste politique, pas people. Face àlui, Caleb a une incroyable aisance, ilest concis et convaincant, sans doutegrâce à son expérience dans les

prétoires. Et pour ne rien gâcher, il estterriblement charismatique.

L’interview se termine. Je sors sur lepetit balcon attenant au bureau pendantque Caleb échange hors caméra avec lecadreur et David. Je suis soulagée quetout ce cirque soit terminé, et j’espèreque les médias trouveront bientôt unautre os à ronger et qu’ils ficheront lapaix à Caleb…

– Votre mari a été parfait, vous netrouvez pas ?

Je me retourne et me trouve face àNoah qui se frotte littéralement lesmains, l’air plus réjoui que jamais.

Je hoche la tête sans lui répondre.Mon attitude réservée ne le découragepas.

– Il est vraiment doué pour ça. S’ilvoulait, il pourrait faire une splendidecarrière politique, ajoute-t-il.

Manquerait plus que ça !

– Vous pensez que cet entretien vaservir à quelque chose ? dis-je,dubitative.

– Oh que oui, dit Grumberg avec unlarge sourire. Il a été très émouvantcomme fils, il a fait un beau portrait deson père, et il a été très éloquent commeavocat quand il s’est exprimé sur le

programme du sénateur. Qui plus est,Caleb est terriblement séduisant. Je peuxvous dire qu’après la diffusion del’interview, on va prendre dix pointsauprès de l’électorat féminin.

Ce type est vraiment dégoûtant decynisme.

Je ne peux m’empêcher de leregarder avec répugnance, et il s’enaperçoit.

– Grace, vous me détestez, n’est-cepas ? me demande-t-il en me fixantbizarrement.

Je ne réponds pas, mais mon regard

parle sans doute pour moi.

– Vous oubliez, ma chère, me dit-il,les yeux pétillant de malice, que je faisseulement ce pour quoi je suis payé. Ceboulot que vous trouvez si sale,quelqu’un doit le faire. Je suis là pourfaire élire le sénateur, coûte que coûte.Et, non seulement parce que c’estcomme ça que je gagne ma vie, maisparce que je suis en parfait accord avecses idées, son programme.

Je le regarde un instant pensivement :

– En fait, ça vous arrange cettehistoire ? Maintenant, le sénateur passepour un héros, un homme au grand cœur

qui a élevé avec amour un enfant quin’était pas le sien, qui a sauvé unefemme du déshonneur…

Noah me dévisage, sourcilslégèrement froncés :

– Oh…, dit-il d’une voix traînante.Vous pensez que c’est moi qui ai sortil’histoire ? Pour arriver à ce résultat ?

– Vous en seriez bien capable.

Il éclate de rire.

– Vous avez raison. Absolument,confirme-t-il sans éprouver aucunehonte. Sauf que ce n’est pas le cas, jen’étais pas au courant. Je pensais

pourtant tout savoir sur le sénateur, maiscela, il l’avait caché, même à moi.

Je le regarde attentivement, et j’ai laconviction qu’il me dit la vérité.

– Vous êtes très méfiante, Grace… Etvous avez raison. Dans ce monde, c’estune vertu. Mais si j’ai un petit conseil àvous donner : ne vous méfiez pas que demoi. On n’est jamais mieux trahi que parses proches.

Je le regarde, surprise par ce quiressemble à une vraie mise en garde.J’ai la désagréable sensation que cen’est pas un avertissement en l’air.J’ouvre la bouche pour lui demander de

préciser sa pensée, quand le regard deNoah se pose derrière moi et qu’ilchange soudain d’attitude.

– Remarquable, Caleb, tu as étéremarquable, lance-t-il, et je meretourne pour découvrir Caleb qui vientnous rejoindre.

– Je suis sûr que ton père va denouveau grimper dans les sondages,continue Noah, enthousiaste. Je pourraist’arranger de nouvelles interviews si…

– Arrête ça tout de suite Noah, lanceCaleb d’une voix cinglante. Je t’ai ditque je ne ferais qu’un entretien. Necompte pas sur moi pour jouer lesbâtards reconnaissants dans tous lestalk-shows people.

Manifestement, malgré son aisancedevant la caméra, Caleb n’a pasapprécié l’exercice. Et j’en suissoulagée.

– Qui ne tente rien n’a rien, dit Noah,pas déstabilisé pour un sou par le tonagressif de Caleb.

– Grace, je vais aller voir Dad, etaprès on pourra repartir. Sauf si tupréfères dormir ici ?

– Non, rentrons à New York. Je vaisrassembler mes affaires et puis je vienssaluer tes parents.

– Noah, tu viens avec moi ? ditCaleb. Je crois qu’un debrief s’impose.

Nous retournons dans le salon où

David aide le cadreur à rassembler sonmatériel. Caleb les salue et s’en va avecNoah. David s’approche de moi. Nousn’avons pas été seuls depuis son arrivéeà Chicago.

– Madame Montgomery…, me dit-ilavec un petit sourire. Tu sais que je nem’attendais pas à te trouver là.

– Caleb a voulu que je l’accompagne,dis-je, un peu gênée.

–Il ne peut plus se passer de toi ondirait, me dit-il avec un petit souriregoguenard.

Je lui donne une petite tape sur lebras.

– Aïe, fait-il avec une grimace.

Il me regarde en souriant, puis meglisse en baissant la voix :

– Je vous ai observés tous les deux.On dirait un vrai couple. Vous jouezvraiment bien la comédie.

– David, arrête…–Non, mais, vraiment, vous faites tout

à fait illusion…

J’essaie de le regarder d’un œilréprobateur mais je ne peux m’empêcherde sourire à ses allusions.

– Je pourrais bien te dire « je tel’avais dit » mais… c’est pas mon

genre, dit David en plaisantant.– C’est ABSOLUMENT ton genre, tu

veux dire…– Grace, vous êtes amoureux l’un de

l’autre, ça saute aux yeux. Ne me dis pasque tu n’es pas au courant.

Je le regarde, sans savoir quoi luirépondre. Je ne sais pas ce que ressentCaleb pour moi, il ne m’a jamais fait dedéclaration. Mais en ce qui meconcerne, je n’ai plus guère de doute surmes sentiments.

– Comment tu vas, toi ? dis-je pourchanger de sujet.

– Ah, j’ai touché un point sensible,dit David en éclatant de rire. Bon, je ne

vais pas te torturer davantage. Moi, çava, comme tu vois.

– Tu as réglé tes problèmes de jeu ?

Son visage se rembrunit fugacement,mais il se reprend très vite :

– Je suis en train de m’en sortir. Jefais soigner mon addiction… et j’éviteLas Vegas, dit-il en riant.

– David… Tu es sûr que ça va ?– Ça va, ça va, me dit-il, le regard

fuyant. Je me fais suivre. Je ne mets plusun pied dans un casino, et je ne vais plusà aucune partie de poker. C’est pasfacile tous les jours, mais après ce quiest arrivé, je ne vais pas courir le risquede replonger…

– Et tes dettes ?– Ça m’a causé quelques nuits

blanches, mais j’ai réussi à les éponger.– Je sais que tu n’es pas en bons

termes avec tes parents. Tu as demandéde l’argent à John ?

– Non, mon oncle ne sait rien, etsurtout ne lui en parle pas. Je ne veuxpas qu’il s’inquiète pour moi. Tu me lepromets, Grace ? dit-il.

– Oui bien sûr, je te le promets.

Je le regarde d’un air dubitatif, et ils’aperçoit que je ne suis pas convaincuepar le ton léger qu’il s’efforced’employer.

– Ne t’inquiète pas, j’ai fait un

emprunt que je rembourserai facilement.Au moins, professionnellement parlant,ça va super : je t’avoue que cetteinterview va me donner un sérieux coupde pouce dans ma carrière. Caleb m’afait un joli cadeau en me choisissantcomme intervieweur.

Sa dernière remarque m’a renduemuette ; une idée germe dans moncerveau : est-ce pour ça qu’il nous aprévenus de la rumeur ? Il espéraitdécrocher, sans avoir l’air de lademander, une interview de Caleb ?

Je repense à ce que m’a dit Noah il ya quelques minutes. Pensait-il à Davidquand il me conseillait de me méfier de

tout le monde, surtout de mes proches ?

Je me sens affreusement mal à l’aisetandis que je raccompagne David et sonéquipe technique jusqu’à leur voiture, etcette fois, ma gêne est double : Caleb etDavid sont amis, je n’en doute pas uneseconde, et pourtant, je crois qu’ils sesont servis l’un de l’autre. L’un pour sefaire bien voir auprès de sa hiérarchie etbooster sa carrière, l’autre pour redorerl’image de son père et servir son destinpolitique. Ce constat me fait du mal,concernant deux personnes que j’aimeautant. Moi qui me bats depuis toujourscontre les faux-semblants, les artifices etl’hypocrisie, ma rencontre avec Calebm’a entraînée dans un monde où ils sont

la règle, le quotidien. Je ne me fais pas àcette idée. Et j’espère bien ne jamaism’y faire.

22. Une nuit à l'opéra

– Non Nikki, c’est hors de question.Je ne veux pas de ton maquilleur et deton coiffeur.

Ça fait trois fois depuis hier soir queNikki m’appelle. Elle a accepté tout desuite mon projet de photos pour lemagazine K27 : c’est la première foisqu’elle pose pour un magazine aussibranché et classieux et elle était à la foisfière et excitée. Il faut dire que les gensont plutôt l’habitude de la voir dans destenues assez déshabillées dans des

magazines trash. Mais maintenant, elleflippe. Elle a réalisé qu’elle va devoirse mettre à nu, mais pas dans le sensdans lequel elle a l’habitude. Et pourelle, se montrer sans rouge à lèvres etfond de teint, c’est plus impudique quede se montrer sans soutien-gorge.

– S’il te plaît Grace. Juste un petitmaquillage nude…, implore-t-elle.

– Nikki, fais-moi confiance. Tu saisque je t’aime, même si on ne vit pas surla même planète…

– … et que tu détestes la mienne,lance Nikki à l’autre bout du fil.

– C’est vrai. Mais je t’aime, et je tetrouve belle, je t’ai toujours trouvéebelle et je te montrerai telle que je te

vois. Tu ne seras ni humiliée niridiculisée. J’ai plein d’idées, tuverras…

– Quoi, quoi, quoi ? Dis-moi,steplaaaaaaîîît…

– Je t’expliquerai quand j’arriverai àLos Angeles. Mais crois-moi, tu neregretteras pas de poser pour moi. Maisil faut que tu me fasses confiance.

– OK sister, dit Nikki, et je sens à savoix qu’elle est rassurée. Bon, jet’attends chez Papa, je suis revenue à lamaison depuis mon maudit mariagefoireux. Là au moins j’ai la paix.

– Tu as revu ton ex ?– Aux dernières nouvelles, je crois

qu’il va changer de sexe, dit-elle en

éclatant de rire.

Je suis consternée.

– Mais Nikki… Ça ne te fait rien ? Tuenvisageais de passer ta vie avec lui iln’y a pas si longtemps.

– Eh bien, je me suis trompée, dit-elle d’un ton léger. Je crois que je mesuis un peu emballée, je ne leconnaissais pas depuis très longtemps, tusais. Et j’ai même l’impression que je nele connaissais pas du tout, ajoute-t-elleen gloussant.

– Nikki…– Oh, dis donc, tu es la dernière à

pouvoir me faire des reproches. Tu asquand même profité de ta venue à mon

mariage pour sauter le pas, non ?

Elle n’a pas tout à fait tort. C’est unpeu grâce à elle et à sa parodie demariage que j’ai rencontré Caleb…

– Je t’ai vue dans un magazine avecton joli mari, et ton honorable belle-famille, continue Nikki. Au fait, j’adoreton beau-père, tu peux lui dire que s’ilva jusqu’à la présidentielle, je voteraipour lui. Je ferai même campagne sur lesréseaux sociaux…

Je suis sûr que ce soutien va lui êtretrès utile…

– Alors, le mariage, ça te plaît ? me

demande Nikki. Toi qui ne voulais pas temarier…

Je suis toujours gênée d’aborder cesujet. Je ne supporte pas d’avoir àmentir, et encore plus aux personnes quej’aime.

– Bon Nikki, on discutera demain,j’arrive dans la soirée. Là, j’ai plein dechoses à faire. Et surtout ne t’inquiètepas pour les photos, tu seras magnifique.

– OK, sister. À demain. Take care.

Je raccroche en souriant. Je sens queNikki est flippée, mais qu’elle est aussiexcitée que moi par ce shooting.

Je pose mon téléphone et reprendsmon rangement.

– Qu’est-ce que tu fais ?

La voix de Caleb m’a surprise. Je meretourne en lâchant le livre que je tenaisà la main.

– Oh, tu es déjà rentré ?– Oui, je suis parti plus tôt du bureau.

J’avais envie de passer du temps avectoi, puisque tu pars demain pour LosAngeles.

Caleb et moi sommes rentrés deChicago il y a deux semaines. CommeNoah l’avait prédit, la cote du sénateur

est montée en flèche après l’interviewde Caleb. Je suppose que certainsjournalistes auraient creusé davantagel’histoire si deux jours plus tard, unautre candidat n’avait pas été pris lamain dans le sac en « rendez-vousgalant » avec une mineure. Pas dechance pour lui, mais après ça, aucunjournaliste n’a cherché à en savoir plussur l’identité du père de Caleb. Quant àmoi, j’ai soigneusement évité le sujetdepuis.

Je n’ai pas non plus reparlé del’interview avec David, et du sentimentde malaise que j’ai éprouvé. Je lui enparlerai sans doute un jour mais… Toutest si harmonieux entre nous aujourd’hui,

que j’ai peur de déranger l’équilibre.

Notre relation a été plus quechaotique à ses débuts et j’apprécie lecalme qui, je l’espère, n’annonce pas latempête ! Les événements nous ontpoussés à vivre ensemble avant que celasoit vraiment un choix de notre part, etmême si c’est pour une période limitée,je veux que cela reste aussi parfait queça l’est en ce moment. Il est si doux, siattentif… Bien sûr, il travaillebeaucoup, ses procès l’accaparent, maisil veille à ce que chaque jour on puissepasser du temps ensemble. Quand il estavec moi, il est vraiment présent, il n’apas la tête à ses dossiers. Et moi, je doisbien avouer que je suis transformée : je

ne rêvais que de liberté, de vivre sansattache, et ma plus grande joie de lajournée, après le zoo ou le centre deSusie, où pourtant j’adore aller, c’est derentrer le retrouver. Et j’ai le cœur serréen pensant que la fin de cette périodeidyllique est proche, puisque je doisbientôt regagner la maison que jepartage avec Théo.

– Tu ranges tes livres ? me demandeCaleb, intrigué.

En rentrant du zoo tout à l’heure, j’aidécidé de commencer à mettre dans descartons les livres de voyage et de photosanimalières que Caleb m’a offerts.

– On avait dit que je resterais icijusqu’au retour de Théo, il devrait êtrerevenu de France après mon séjour àLos Angeles, il faudra bien que jeretourne à Brooklyn…

Caleb s’approche de moi de sadémarche féline :

– Pourquoi « il faudra » ? Tu n’es pasbien ici ? dit-il en me lançant un regardqui me déstabilise.

– Bien sûr que si…ce n’est pas laquestion… Tu sais bien, le contrat…

– Grace, on est bien ensemble, non ?me dit Caleb d’une voix troublante en sepenchant vers moi. Moi, j’adore t’avoirici.

Oh mon Dieu. Qu’est-ce qu’il va medire ?

– Pourquoi ne resterais-tu pas…

Pour toujours ?

– … jusqu’aux élections ? Jusqu’à ceque tu partes pour ton safari-photo.

Je me détourne pour ne pas montrerma déception. Comment ai-je pu croireque Caleb allait s’engager davantage ?

J’essaie de me raisonner : il medemande déjà de continuer à vivre aveclui, ce n’est pas si mal. Ça n’était pasprévu au programme.

– Tu sais, continue Caleb, qui n’a pasremarqué mon trouble, quand je te voislire ces livres, les yeux brillants, je suisjaloux. Ça me fait envie. C’est un beauprojet.

S’il savait… Bien sûr c’est un beauprojet, et il m’excite toujours autant,mais la perspective de vivre ne serait-ceque quelques mois loin de Caleb aquelque peu terni mon enthousiasmeinitial. Que va-t-il advenir de notrerelation après mon départ ? Après notredivorce ? Je me pose beaucoup dequestions en ce moment à ce sujet, mêmesi je l’ai soigneusement caché à Caleb.

– Tu sais ce que j’aimerais faire ?

dit-il en feuilletant un des guides, assissur le lit. Partir avec toi.

J’éclate de rire.

– Tu te vois passer six mois loin deton cabinet, du palais de justice ? C’esttoute ta vie…

Il me regarde, l’air un peu vexé parmon hilarité.

– Et pourquoi pas ?– Caleb, sois sérieux…

Et ne me donne pas de fauxespoirs…

Il se lève et m’attrape par la main.J’ai un élancement dans le ventre, lesjambes qui flagellent un peu, son regardbleu me trouble, il me regarde siintensément…

– Tu as raison, j’aime mon métier,c’est ma passion, dit Caleb. Je ne te dispas que je pourrais arrêter complètementde l’exercer, je mentirais ; mais partirquelques mois loin de tout ça, avec toi,dit-il en soulevant mon menton pour meregarder dans les yeux, je pourrais, etmême, j’en ai terriblement envie. Tun’aimerais pas ?

– Je préfère ne pas y penser, puisquecela n’arrivera pas.

– Mais tu aimerais ? dit-il, insistant.

Plus que tout.

J’essaie de me dégager mais il memaintient contre lui, me regardant de sesyeux bleus qui semblent lire en moicomme dans un livre ouvert. Il a ce petitsourire en coin, et je sens bien qu’ilss’agitent, ces papillons dans le ventre.

– Tu ne m’as pas répondu, dit-ildoucement.

– Caleb, notre situation est…comment dire… pour le moinscompliquée. On est mariés sans êtremariés, on cohabite tout en couchantensemble, on a l’investiture de ton pèreen ligne de mire… Faire des projets,avoir des envies, penser à toi et moi, en

ce moment… Ce n’est pas vraimentpossible. Je préfère ne rien imaginer etm’en tenir au programme que je m’étaisfixé. Que l’ON s’est fixé, avec cecontrat.

Caleb me regarde sans mot dire,lissant mes cheveux du bout des doigts,l’air songeur.

– Tu as raison, dit-il enfin. N’enparlons plus pour l’instant. Et laisse ceslivres, nous allons être en retard.

Je le regarde, surprise.

– En retard pour quoi ?– Pour l’opéra.

– Quoi ?– Je voulais que cette soirée avant

ton départ soit spéciale, me dit-il en meprenant par la taille. Alors, je t’emmèneà une soirée de gala au MetropolitanOpera. On y donne Madame Butterfly,de Puccini.

– C’est vrai ? dis-je, les yeuxécarquillés, et tout émue par cemagnifique et surprenant cadeau.

Je ne suis pas une spécialiste demusique classique et d’opéra, mais monpère en écoutait beaucoup et il m’a enquelque sorte initiée pendant les annéesoù j’ai vécu avec lui. Madame Butterflyest d’ailleurs son opéra préféré. Depuisque je vis à New York, j’ai envie d’aller

au MET, mais les tarifs des places,surtout pour un spectacle aussiprestigieux que celui-ci, sont trop élevéspour mon salaire de serveuse.

Je saute au cou de Caleb.

–Merci ! C’est adorable, vraiment…Je suis super contente d’aller au MET.Et avec toi en plus, et pour voir cetopéra, le plus poignant, le plusromantique…

Je m’interromps soudain :

– Mais, c’est une soirée de gala, tudis ? J’ai rien à me mettre ! Pour cegenre de soirée, il faut une tenue très

habillée…

J’ai renouvelé ma garde-robe, certes,mais même si j’y ai ajouté des piècesplus féminines, je n’ai rien acheté pource genre d’occasion. Là, on va seretrouver avec tout le gratin new-yorkais…

– Si tu permets…, dit Caleb, et il meregarde avec un air malicieux.

– Quoi ?– J’ai quelque chose pour toi. Mais si

ça ne te plaît pas, on peut aller te trouverune autre tenue, tu n’auras qu’à choisir.On a encore le temps.

Je le regarde, stupéfaite :

– Tu m’as choisi une robe ? Toi ?– Absolument.

Il éclate de rire devant mes yeuxronds comme des soucoupes.

– Tu crains le pire, c’est ça ?plaisante-t-il.

– Oh non, non pas du tout, dis-je trèsvite. Tu es tout à fait capable de choisirune robe, tu as un goût exquis, il n’y aqu’à regarder ton appartement et lafaçon dont tu t’habilles pour s’enconvaincre. Mais… ça me fait bizarreque tu choisisses une robe pour moi, dis-je hésitante.

Il se penche vers moi, cherchant mon

regard :

– Ça te gêne, c’est ça ? Tu as peurque je ne joue à la poupée avec toi ?Que je ne te transforme en quelqu’un quetu n’es pas ? me dit-il, le regardsoucieux.

Je le regarde et je souris, touchée parson inquiétude :

– Ce n’est pas du tout ce que jepense, Caleb. Comment le pourrais-je ?Depuis que je suis entrée dans ta vie, àaucun moment tu n’as essayé de mechanger, tu m’as défendue contre ta mèrequi voulait me transformer en bru idéale,tu ne t’es jamais offusqué devant mes

baskets, même dans des lieux où moi,j’étais gênée d’en porter…

Je me hausse sur la pointe des piedspour poser un baiser sur ses lèvres.

– J’ai été surprise, c’est tout. Etémue. Que tu prennes le temps d’aller enmagasin, de choisir… Maintenant, j’aihâte de la voir, cette robe. Allez,montre-moi.

Ravi, il me prend par la main etm’entraîne à l’étage inférieur. J’ai unepetite appréhension en descendantl’escalier : cette robe que je vaisdécouvrir va m’en dire beaucoup sur lafaçon dont Caleb me voit. Et s’il se

trompait sur moi, sur ce que je suis ?

Je découvre alors, déjà sortie de sahousse Gucci et étalée sur le canapé decuir noir, la plus ravissante robe desoirée que j’aie jamais vue. Une robelongue, couleur bleu dragée, avec unhaut très simple à fines bretelles seterminant à la taille par une ceinture desoie rose ornée de fleurs d’organza,d’où part une jupe longue et vaporeuseen mousseline de soie toute brodée.

– Oh mon Dieu, elle est magnifique,dis-je en la mettant contre moi, le cœurbattant d’émotion.

C’est vrai qu’elle est superbe. Et

c’est exactement le genre de robe quej’aurais choisie. Elle me ressemble, cequi veut dire que Caleb me connaîtvraiment, et cette pensée me remplit dejoie.

– Elle te plaît ? me demande Caleb.– Beaucoup, oui. Merci Caleb.– Quand je l’ai vue, je me suis dit

qu’elle était pour toi.– Pourvu qu’elle m’aille !– Ça devrait aller, j’ai piqué dans ta

garde-robe pour que la retoucheuse aitune idée de tes mensurations. Et leschaussures doivent aussi être à tapointure.

Je n’y avais pas fait attention avant,

mais effectivement, une paired’escarpins du même bleu pastelm’attendent dans une boîte au pied ducanapé.

– Tu as pensé à tout… Caleb, tu megâtes trop, dis-je en allant l’enlacer.

– Si tu m’embrasses comme ça, dit-ilen se dégageant de mon étreinte, je ne telaisserai jamais passer cette robe. Et situ allais te changer, avant qu’on soit enretard ? À moins que tu n’aies besoind’aide pour t’habiller, ajoute-t-il avecun regard équivoque.

– Non merci, je vais me débrouiller,dis-je en riant, va te faire beau…

***

La limousine nous a déposés devantle Lincoln Center, qui abrite leMetropolitan Opera. Main dans la main,nous suivons la foule sur son trente et undans le bâtiment aux grandes arches. Jesuis émue par la beauté du lieu, avec sesfresques murales de Chagall dansl’entrée, et l’effervescence qui règnepour cette soirée très spéciale. Jeregarde Caleb, sexy en smoking noir, etqui me dévore des yeux. À vrai dire, ona eu bien du mal à quitter l’appartement,et c’est seulement l’envie de voir cetopéra merveilleux qui m’a arrachée deses bras tandis qu’il défaisait déjà lechignon que je m’étais donné beaucoupde mal à faire.

Je suis un peu intimidée d’être là,mais pas mal à l’aise, plutôt excitée quecomplexée. Dans cette tenue deprincesse, je me sens comme un papillonqui sort enfin de sa chrysalide. Une autresorte de Mme Butterfly… J’espère justeavoir une fin moins tragique que celle dePuccini !

On nous accompagne à nos places. Jene sais comment Caleb a fait, mais noussommes installés aux sièges les plusrecherchés, au premier balcon, dans uneloge face à la scène et au grand rideauen soie damassée qui la cache.

– Dommage que nous ne soyons passeuls dans la loge, me glisse Caleb à

l’oreille.

J’avoue que j’y ai pensé aussi…

J’ai le cœur qui bat quand leslumières s’éteignent, et que résonnent lespremières notes de musique. Je suiscomme une enfant émerveillée devant laqualité des musiciens et des chanteurs, etj’embrasse plusieurs fois Caleb pour leremercier de son cadeau.

Mais très vite je suis prise dans ledrame qui se déroule devant moi : lemariage de la jeune japonaise Butterflyavec Pinkerton, le départ de l’officieraméricain et la longue attente del’amoureuse délaissée. Mes larmes

coulent sur « Un bel di vedremo » oùelle se réjouit à l’avance de son retour,et quand elle découvre qu’il l’a oubliée(« Ah ! M’ha scordata ») je sanglotecarrément. J’ai oublié tout ce quim’entoure, le décor grandiose, levelours rouge, les gens en grande tenue,je pleure sur l’amour perdu de Butterflyet la seule chose dont j’ai conscience,c’est le bras de Caleb autour de mesépaules.

***

– Tu m’as fait un merveilleux cadeauCaleb, dis-je en reniflant.

Il me regarde en souriant :

– Je suis heureux que ça t’ait plu.Même si on ne le croirait pas à te voir.On dirait plutôt que tu sors d’une veilléefunèbre, dit-il en me tendant unmouchoir.

– Oh, je dois avoir une tête… Maiscette histoire est tellement tragique.Cette pauvre Butterfly. Je le bafferais cePinkerton, il ne la méritait pas…

–Tu es tellement sensible, Grace…,me dit Caleb en me souriant tendrement.

Nous avons repris place dans lalimousine.

– On va où maintenant ? demandé-jeen me blottissant contre lui.

– À la maison.

– Ah ? dis-je un peu surprise.– Tu es déçue ?– Non, mais… Enfin… je ne sais

pas…

Je pensais qu’après un spectaclepareil, on finirait la soirée dans un autrelieu exceptionnel. Je commence à avoirdes attentes d’enfant gâtée, il faut que jefasse attention…

– Tu as faim ? dit Caleb alors quel’on rentre dans le duplex.

– Un petit peu…– Je vais nous faire livrer quelque

chose. Va m’attendre sur la terrasse, ilfait beau ce soir, j’arrive tout de suite…

Caleb possède les deux derniersétages de l’immeuble, mais aussi laterrasse sur le toit. Je n’ai pas eul’occasion d’y passer du tempsjusqu’ici, mais on est début mai et letemps commence à se radoucir. Il a faitparticulièrement beau aujourd’hui.

Je grimpe sur la terrasse par le salondu deuxième, et ce que je découvre melaisse pantoise. La grande table en teck aété dressée pour deux, avec linge detable brodé et verres de cristal. Toute laterrasse est éclairée de petitsphotophores colorés disséminés un peupartout, des banquettes au lit d’extérieurentouré de verdure.

Caleb arrive sur mes talons, un seau àchampagne garni à la main.

– C’est toi qui as tout organisé ?– Non, la Fée Clochette, dit-il en

riant.– Tu es très sexy comme Fée

Clochette, dis-je en allant me serrercontre lui.

Il pose le seau sur la table etm’enlace, avant de m’embrasserpassionnément.

– Merci pour cette soirée Caleb, tu esadorable.

– C’est la première fois qu’on va êtreséparés depuis… que je suis parti à

Tucson. Et encore, c’était juste une nuit,il y a un mois.

– Waouh, fais-je, surprise et flattée.Tu comptes les jours !

Moi aussi, mais il n’a pas besoin dele savoir…

– Plus ou moins, sourit-il. Enfin bref,je voulais que tu partes avec un bonsouvenir.

– Mais j’en ai plein, tu sais, dis-je enme pressant davantage contre sapoitrine.

J’hésite, et puis je me lance :

– Tu veux venir avec moi à Los

Angeles ?

Il soupire :

– Je le ferais si je pouvais, mais c’estimpossible. Une autre fois, j’espère.

On reste un instant enlacés, sansparler, dans la douceur de la nuit, à lafaible lumière des photophores.

– Grace… Je n’aurais jamais cru queça me ferait cet effet de vivre avecquelqu’un. Jamais une femme n’a vécuici… Je pensais ne jamais pouvoirsupporter une autre personne sous montoit. Et pourtant… Quand je quitte lecabinet, j’ai hâte de rentrer. Je pense que

je vais te retrouver ici, et… j’adorecette idée.

Je lève la tête pour le regarder, avecsurprise et délectation : j’ai bien vuqu’il appréciait ma compagnie, maisjamais auparavant il ne l’avait formulé.

– Tu sais, dit-il en me caressant lescheveux, tu n’as pas répondu à maquestion tout à l’heure : tu veux bienrester vivre ici jusqu’à ton safari ?

Tu parles… Je resterais ici toute mavie si tu me le demandais…

– Oui, Caleb. Je veux bien, dis-jed’une voix étranglée.

Nous savons tous les deux que nousvenons de faire un grand pas dans notrerelation. Un pas prudent, certes, un paspudique, comme Caleb sait l’être, maisun grand pas tout de même. D’accord,Caleb ne m’a pas demandé dem’installer définitivement chez lui, maisil s’est dévoilé plus qu’il ne l’a jamaisfait…

On se regarde un instant, il estvisiblement aussi ému que moi.

Il me soulève de terre et m’embrassefougueusement. Je m’abandonne à sonbaiser avec passion. Ses lèvres dévorentles miennes, m’enflammant tout entière.

Il finit par me reposer à terre mais meretient contre lui.

– Grace, tu as changé ma vie, memurmure-t-il à l’oreille.

Caleb, si tu savais comme jet’aime…

Blottie dans ses bras, j’ai le cœur quibat à tout rompre. J’hésite à luirépondre. Les mots se bousculent dansma tête, je voudrais lui dire que lui aussia changé ma vie, qu’elle n’a jamais étéplus belle, que je l’aime comme je n’aijamais aimé. Mais est-ce vraiment lemoment ? J’ai peur de sa réaction, j’aipeur de tout gâcher. Et s’il ne ressent pas

la même chose ?

Doucement, Caleb desserre sonétreinte. Je ne sais pas s’il a ressentimon hésitation, s’il a compris montrouble, mais il me regarde avec unelueur étrange dans l’œil.

– Et si on fêtait ça ? dit-il d’une voixenjouée en me montrant la bouteille dechampagne.

– Mais volontiers, réponds-je ensouriant.

Ce n’était pas le moment.

Je ressens une espèce desoulagement, et peut-être, j’ai bien dit

« peut-être », une pointe de déception.Mais je ne suis pas tout à fait prête àavouer à Caleb mes sentiments. Je leferai le moment venu, mais pas ici, pasce soir…

Les battements de mon cœur se sontcalmés. Tout ce que je veux maintenant,c’est profiter de la douceur de cettesoirée magique.

Je soulève une des cloches disposéessur la table sous laquelle je trouve descanapés des plus appétissants. L’opéra aduré trois heures et je commence à avoirfaim. J’en avale un délicieux au saumon,et un autre au foie gras, avant de goûterau champagne rosé que m’a servi Caleb.

Le champagne me monte vite à la tête.Je suis un peu tourneboulée : la soiréesurprise que m’a organisée Caleb, ladéclaration qu’il vient de me faire,l’opéra qui m’a procuré des émotionstrès vives, tout se mélange… Je me sensà la fois euphorique et à fleur de peau.

Je fais quelques pas sur la terrasse, etje prends appui sur la rambarde.L’immeuble n’est pas très haut, mais ona un panorama superbe sur les lumièresde la ville et même le pont de Brooklyn,au loin. Je ferme les yeux, savourant labrise sur mon visage.

Je sens soudain la présence de Calebderrière moi. Ses mains enserrent ma

taille, et je me laisse aller contre lui.

– Tu étais si belle ce soir… Mais jen’avais qu’une envie, t’enlever cettemagnifique robe et te faire l’amour, meglisse-t-il d’une voix rauque.

Je souris dans le noir.

– Même à l’opéra ?– Surtout à l’opéra.– Tu es vraiment insensible ! dis-je

faussement fâchée. Quand même paspendant que cette pauvre Butterfly sesuicidait ?

Sans répondre à ma question, il mefait pivoter vers lui. Ses lèvres se posent

sur les miennes, et c’est comme sij’avais bu d’un coup toute la bouteillede champagne. J’ai des bulles plein latête et une envie folle que ça ne setermine jamais.

– Caleb…, murmuré-je quand jeparviens à me détacher de lui.

– Oui ?– Cette robe… Tu peux me l’enlever

maintenant.

Caleb serre un peu plus fort contre luimon corps frémissant, avant dem’embrasser avec une ardeur nouvelle.Sa langue se mêle à la mienne, mesmains s’accrochent à son cou comme unenaufragée à un bout de bois.

– Grace, mon ange…, me murmure-t-il. Je suis si bien avec toi. Tu me rendssi heureux.

Ses mots doux me troublent autantque ses baisers.

Caleb, si tu savais comme je t’aime.

– Je n’ai jamais été aussi heureuse,Caleb, dis-je la voix étranglée parl’émotion et le désir. Et moi aussi, j’aitout le temps envie de toi…

Son visage rayonne de fierté. Ilreprend mes lèvres, puis sa bouchedescend sur mon cou, déposant desbaisers sur son sillage, jusqu’à l’orée de

ma poitrine. Ses mains pétrissent messeins qu’il embrasse avec ferveur. Jesens mon sexe devenir humide de désir,et je dois m’appuyer à la rambarde carmes jambes vacillent.

Lentement, Caleb vient s’agenouillerà mes pieds, et je le vois soulever majupe vaporeuse pour se glisser dessous.Il a complètement disparu sous le tissu,mais je sens sa bouche brûlante sur mesjambes qu’il baise à travers la fine soiede mes bas. Ses mains se posent sur maculotte, qu’il fait rapidement glisserjusqu’à terre. J’ai une étrange sensation,c’est comme si un fantôme avait prispossession de moi. Si un hélicoptèresurvolait la terrasse, il ne verrait qu’une

femme, accrochée à un muret, la têterenversée en arrière avec un étonnantsourire béat sur les lèvres.

Je me laisse caresser par la langue deCaleb qui s’insinue dans mes replis etvient laper mon clitoris en émoi. J’ai lebas-ventre en feu, et une sensation devertige amplifiée par la vue sur lesbuildings au loin. La terrasse est ainsiexposée que nul ne peut nous voir – oudu moins, n’est censé nous voir. Maismême si je le sais, le fait de me trouveren si scabreuse position en plein air,peut-être exposée aux regards indiscrets,me choque et m’excite à la fois.

Sous les froufrous, Caleb caresse

mes fesses tout en pressant mon sexecontre lui. J’ai l’impression que jem’ouvre comme une fleur sous lapression gourmande de sa langue. Jem’entends haleter dans l’obscurité tandisque les vagues de plaisir montent. Lesyeux dans le ciel new-yorkais dénuéd’étoiles, je ne peux retenir ungémissement quand l’orgasme éclate.

– Oh mon Dieu…

Caleb s’est redressé et me serrecontre lui tandis que je reprends mesesprits.

– Tu crois qu’on nous a vus ? dis-jeau bout d’un instant

– Pourquoi, il y avait quelque chose àvoir ? dit-il en me faisant un clin d’œilcomplice.

Il saisit la coupe que j’avaisabandonnée à mes pieds et va vers latable pour me resservir du champagne.J’avise le lit d’extérieur, pourvu d’unbaldaquin, installé au milieu d’une forêtde plantes en pots. Rapidement, pendantque Caleb a le dos tourné, je défais lafermeture invisible de la robe et je lafais glisser à mes pieds. Je ne portaispas de soutien-gorge ce soir, et puisqueCaleb m’a retiré ma culotte, je n’ai plusque mes escarpins et les bas qui tiennentseuls autour de mes cuisses. Je m’étendssur le matelas, et j’attends que Caleb me

voie.

Il se tourne vers moi, une coupe danschaque main, et son regard s’allumedevant ma pose alanguie. J’ai le cœurqui bat fort. Le désir de Caleb pour moi,constant, ardent, m’a donné uneconfiance en moi que je n’avais pasavant lui. J’assume désormais moncorps, puisque je vois l’effet qu’il luifait. Et j’assume ma féminité, masexualité : quand on fait l’amour, jeprends des initiatives que jamais jen’aurais prises il y a quelques semaines.Comme là, me livrer à lui, nue, offerte,sur le toit d’un immeuble… Impensable !Mais tellement excitant…

– Je crois que tu avais envie que jeretire cette robe…, dis-je, mutine.

Il vient vers moi, les yeux brillant dedésir. Il pose une coupe sur le sol enteck, et approche l’autre de mon ventre.Lentement, il fait couler un filet dechampagne sur mon nombril. Je pousseun petit cri. Je frémis au contact froid duliquide sur ma peau, et savoure laprésence chaude de sa bouche qui vientle lécher. Caleb verse ensuite un peu dechampagne sur le haut de ma poitrine, etil coule vivement sur mes seinspalpitants que Caleb étreint et baisefurieusement. Je glisse ma main dans sescheveux, sous sa veste, griffant son dos àtravers le tissu de la chemise.

Caleb se redresse alors et retire saveste ; redressée sur un coude, je leregarde se déshabiller à la lumière de lalune. La brise nocturne fait durcir un peuplus les pointes de mes seins encorehumides.

Caleb est nu devant moi. Je ne melasse pas de regarder son corps fin etmusclé, son ventre ultra-plat, le sillonparfait de l’aine, son sexe tendu versmoi.

– Je reviens, fait-il.– Où tu vas ?– À ton avis ?

Je me baisse pour prendre deux

gorgées de champagne avant de merejeter sur le matelas, tandis qu’ildescend récupérer un préservatif.

Je suis grisée, d’alcool et de plaisir,et je laisse le vent caresser mon corps. Ilcommence à faire frais, mais Caleb aallumé un feu en moi et je l’entretiens enson absence. Je ferme les yeux enpensant à lui, à ce qu’il va me faire,laissant une main errer sur ma poitrine.De l’autre main, j’effleure ma toison,caresse mon clitoris de nouveau bienréveillé.

– Tu ne m’attends pas ?

J’ouvre les yeux et je découvre Caleb

devant moi qui me regarde d’un airgourmand.

Je lui tends les bras et il vient secoucher sur moi. Il couvre mon corps debaisers et je me laisse faire.

– Tu sais que tu vas terriblement memanquer ? me susurre-t-il.

– Ah oui ? Je suppose que c’est maconversation qui va te manquer le plus,réponds-je pour le taquiner.

– Oh ça, sans aucun doute, dit-il ensouriant. Mais je dois avouer que j’auraiaussi du mal à me passer de tesravissants petits seins, dit-il en posantses lèvres sur mes mamelons. De tesdélicieuses épaules, poursuit-il en

remontant plus haut, de tes petitesoreilles…

Je me laisse couvrir de baiserscomme un chiot avide de caresses.

– … de ton cul magnifique, conclut-ilen me retournant.

Allongée sur le ventre, la tête sur unpetit coussin moelleux, je savoure l’effetde sa bouche sur mes fesses. Je suis deplus en plus excitée, d’autant que sesdoigts agiles s’insinuent dans ma fente.Il sait vraiment comment faire pourattiser la flamme chez moi, et j’en veuxtoujours plus.

Sa bouche brûlante remonte le longde mon échine. Il s’allonge sur mon doset sa langue vient caresser mon oreille.Ce contact me rend folle. Je me retournesoudain pour me trouver face à lui.J’attrape son visage et l’attire vers moi,pour l’embrasser fougueusement.J’écarte mes jambes et je le saisis parles fesses tandis qu’il me pénètre. Sonsexe me fouille avidement, mes hanchesvont à sa rencontre avec bonheur. Calebgémit doucement tandis qu’il s’enfonceen moi, les yeux mi-clos. Son va-et-vientse fait de plus en plus rapide, et je nesuis bientôt plus capable de me retenir.

– Caleb, je vais jouir…– Jouis, mon ange, dit-il en plongeant

ses yeux dans les miens, et je vois à sonexpression que lui-même est au bord del’orgasme.

Griffant le bas de ses reins moites desueur, je m’arc-boute contre lui, tandisqu’un spasme me déchire le corps. Unbonheur immense m’envahit alors quenous jouissons ensemble. Et à cemoment-là je suis la femme la plusheureuse du monde

***

– Qu’est-ce que tu fais ?

Brisée par la fulgurance du plaisir,mais aussi par l’heure tardive, je crois

que je me suis assoupie. Quand j’ouvreun œil, c’est pour voir Caleb me couvrirde la pièce de tissu qui agrémentait le litd’extérieur qui vient d’accueillir nosébats.

– Mets tes mains autour de mon cou,on descend, il commence à faire frais.

Tout à fait réveillée à présent, je sensen effet que la fraîcheur de la nuit s’estfaite plus intense. Je me blottis contre lapoitrine puissante de Caleb, reniflantson odeur, où se mêlent les effluves desa luxueuse eau de toilette et un parfumpresque animal, résultat de notre ardentcorps à corps.

Avec précaution, il me porte jusqu’àla chambre, avant de me déposerdélicatement sur le lit.

– Tu as sommeil ?– Un peu. Mais je ne veux pas

dormir, dis-je.– Moi non plus, murmure-t-il en

s’allongeant contre moi. Je ne veux pasperdre une miette de temps avec toi.

Nous sommes couchés en cuillère,parfaitement emboîtés. Il est derrièremoi, je sens la chaleur de son corpscontre mon dos, mes fesses, et ilm’étreint, une main sur mon sein.

J’ai fermé les yeux, pour mieux

profiter de cet instant de béatitude, desérénité.

Moi aussi, je déteste l’idée d’êtreséparée de lui et si je le pouvais, jeresterais éveillée toute la nuit.

– Comment je vais faire pourm’endormir, le soir, sans la chaleur deton adorable corps contre moi ? mesusurre-t-il à l’oreille. Et sans tonodeur ? Il faut que je pense à laisser laconsigne à la femme de ménage de nepas changer les draps et les taies. Jevais les garder jusqu’à ton retour…Comme ça, quand tu me manqueras, jemettrai le nez dans ton oreiller.

Je souris, attendrie par cette pensée.

– Et moi alors ? Moi je n’aurairien…

– Je t’enverrai des textos le soir,murmure-t-il de sa voix chaude. Dessextos plutôt…

Je ris doucement :

– Je ne suis pas sûre que ça vam’aider à dormir…

– Peut-être pas, mais ça nous ouvredes perspectives, répond-il d’une voixsuggestive avant de poser de petitsbaisers sur mon cou. Non, je t’appelleraiplutôt. On fera l’amour à distance. Je tedirai quoi faire, et tu imagineras que

c’est ma main plutôt que la tienne. Etmoi, je t’imaginerai, nue, dans tachambre, en train de te caresser les yeuxclos, obéissant à ma voix…

Présenté comme ça… La séparationpeut se révéler intéressante,finalement…

–Tu pourras te toucher là, poursuitCaleb, en accentuant sa pression sur monsein. Ou alors… là.

Sa main est descendue jusqu’à monpubis. Ses doigts viennent caresser monsexe, qui se réveille lentement.

Ses allusions et ses attouchements

n’ont manifestement pas seulementréveillé mes sens. Contre mes fesses,son sexe durcit de nouveau.

Soudain, il s’éloigne de moi. Jel’entends fouiller dans le tiroir de satable de chevet, puis c’est le bruitcaractéristique de l’enveloppe depréservatif que l’on déchire. Je n’ai pasbougé, je ne me suis pas retournée,attendant avec impatience son retour…Très vite, il est de nouveau contre moi,et sa main caresse de plus belle monsexe qui irradie.

– Je t’entendrai au bout du fil… Tesmignons gémissements, commemaintenant…

Sous l’effet de ses doigtsenchanteurs, j’ai effectivement laissééchapper de petits cris de plaisir.

– Et moi, je me caresserai ent’écoutant jouir à des milliers dekilomètres…, ajoute-t-il.

Je suis de nouveau totalement excitée.Je commence à me trémousser contre lui,pressant mes fesses contre son pénis. Salangue s’introduit dans mon oreille et mefait frissonner. N’y tenant plus,j’empoigne sa verge et je la glisse entremes jambes, la chevauchant comme unesorcière son balai. Je frotte mon clitoriscontre son sexe dur et tendu, tout encaressant son gland à travers le

caoutchouc. Caleb m’étreint de plus enplus fort, mordillant le lobe de monoreille et mon cou.

Je tourne ma tête vers lui, cherchantsa bouche et la trouvant. Nouséchangeons un long baiser fiévreux.

Dans quelques heures, nous seronsséparés. Mais pour l’instant, j’ai sa peaucontre la mienne, et la nuit n’est pasterminée…

23. David contreGoliath

– Alors, il fait quel temps à Paris ?– Un temps magnifique, ma chérie,

me répond mon père, il pleut des cordes.– Eh bien ici il fait doux, et Maman

m’a dit qu’il faisait carrément plus de30 degrés à Los Angeles.

Après notre nuit d’adieuparticulièrement érotique sur le toit, j’aieu du mal à me lever ce matin. Calebs’est extirpé du lit pour aller au bureau

vers 9 heures, ce qui est une grassematinée pour lui, et j’ai réussi à faire demême seulement deux heures plus tard,pour boucler ma valise. Avant cela, j’aisomnolé avec béatitude, et repensé auxdélicieuses choses qu’il m’a dites hiersoir. C’était tellement tendre…

Je viens de terminer mon sac et jeprends quelques minutes pour contactermon père par Skype.

– Ah c’est vrai, tu pars aujourd’huipour la côte Ouest ! s’exclame mon père.Prête pour ton premier job dephotographe ?

– Je t’avoue que j’ai un peu latrouille, Alicia me fait entièrement

confiance, mais j’ai un peu peur de toutfoirer et surtout de la décevoir.

– Mais non, ma chérie, je suis sûr quetu vas très bien t’en sortir.

– Merci pour les encouragementsPapounet, dis-je, à moitié convaincue.Comment ça va toi ?

– Pas mal, avec ce temps, les genssortent moins et lisent plus, ce qui esttoujours une bonne nouvelle pour moi.Si j’avais été ouvert aujourd’hui, je suissûr que j’aurais fait de bonnes affaires,plaisante-t-il.

Mon père, un Américain installé àParis depuis plus de trente ans, tient unelibrairie américaine à Saint-Germain-des-Prés.

J’entends soudain le bruit de sasonnette d’entrée que je connais si bien.

– Tu attendais de la visite ?

Sans me répondre, mon pères’éloigne pour ouvrir, et j’entends unevoix étouffée.

– Devine qui est venu me faire unepetite visite ? me dit mon père en serasseyant devant son ordinateur.

– Je ne sais pas, tu sais que je suisnulle en devinette…

Soudain, je vois surgir sur l’écran latête de Théo à côté de celle de monpère.

– Ah, t’es là ! m’exclamé-je. Tu esvenu récupérer les tirages que je t’aidemandés ?

– Ouaip, entre autres, dit Théo enlançant un regard furtif à mon père, qui al’air vaguement gêné.

Avant que je puisse l’interroger surcette déclaration sibylline, Théos’exclame :

– Comme l’avait promis ton amiNoah, j’ai récupéré ma green card.

– Ça y est ? Ouf.

Il a décidément beaucoup depouvoir, ce Noah Grumberg… La carteverte est un sésame que peu de gens

obtiennent, et souvent après unparcours du combattant.

– Tu reviens quand à New Yorkalors ?

– Je débarque après-demain.– Waouh, génial, tu commençais à me

manquer. Oh zut, moi je serai encore àLos Angeles… Mais je n’y reste paslongtemps. On se voit dès que je rentre,je passerai à la maison.

– « Tu passeras » ? Mais… tu vistoujours chez ton « mari » ? s’étonneThéo.

– Euh… oui, je suis chez Caleb, dis-je, gênée. Pour l’instant.

Je vois mon père et Théo échanger un

regard de connivence.

– Oh ça va vous deux, pas la peine defaire cette tête… Caleb et moi avonssigné un contrat, je vous rappelle.

– Et je te rappelle, ma chère, qu’il net’obligeait pas à vivre avec lui tout letemps, me dit Théo.

– C’est, euh… On a pensé que ceserait plus pratique comme ça.

– Bien sûr, dit mon père avec unsourire en coin.

– Papa, tu vas pas t’y mettre aussi…J’ai déjà Théo sur le dos…

– Mais ma chérie, dit mon père, tun’as pas à te sentir embarrassée. Il n’y apas de honte à tomber amoureuse…

– Surtout de son mari, renchérit Théo.

– Vous êtes impossibles tous lesdeux, dis-je, sans pouvoir m’empêcherde sourire.

– Ça me ferait plaisir quand même dele rencontrer, ce garçon. Il y a unechance qu’on se voie avant votredivorce ? demande mon père tandis queThéo s’esclaffe.

Bon, j’ai compris, ils ne melâcheront pas avec ça…

– Papa, je vais devoir partir, je doispasser au centre de Susie avant d’allerprendre l’avion…

– Ne change pas de sujet ma fille.J’ai l’air de plaisanter, mais je suissérieux. Ça me ferait plaisir de

rencontrer ton Caleb. Vous n’avez pas leprojet de venir à Paris bientôt ?

– Pas pour l’instant non, mais toi, tupourrais venir à New York ?

– Je crois que je vais y être obligé, tume manques trop.

– Moi aussi tu me manques Papa, dis-je, tout attendrie.

Parfois, je me sens coupable d’êtrepartie si loin de lui. Mon père a euquelques copines après avoir divorcé dema mère, mais il est célibataire depuislongtemps, et j’ai peur qu’il ne se senteseul maintenant que j’ai quitté le nid. Ona quand même vécu quatre ans tous lesdeux, et ce furent quatre annéesmerveilleuses. On s’entendait comme

larrons en foire. Je l’aime infiniment.

– Bon, les garçons, je vais devoirvous laisser, dis-je. J’ai mille choses àfaire avant d’aller à l’aéroport.

– Et nous aussi, on doit y aller, n’est-ce pas Alan ? dit Théo avec un airironique. Maman nous attend.

– Ta mère ? fais-je, surprise. Papa, tuvas dîner chez la mère de Théo ?

C’est au tour de mon père d’être malà l’aise, et je n’en suis pas mécontente.

– Oui, je… C’est-à-dire qu’elle a uneédition originale de…

– Pas besoin d’excuse, Papa, dis-jeen riant. Laurence est une femme

adorable, et je trouve que c’est unesuper idée que vous vous rencontriez.

À vrai dire, Théo et moi avions ceprojet de rapprochement depuis aumoins deux ans. À l’époque, Laurencevivait avec un homme que son filsn’aimait pas du tout, et on se disait quemon père serait super pour elle, etréciproquement. Je savais que depuisquelques mois, elle était débarrassée deson boulet, mais Théo ne m’avait pasprévenue qu’il mettrait son retour enFrance à profit pour provoquer larencontre de nos parents.

Je me sens toute joyeuse à l’idée dece dîner : je ne peux pas imaginer que la

belle Laurence laisse mon pèreinsensible. Et qui pourrait résister aucharme et à l’humour de mon papounet ?

– Passez une bonne soirée lesgarçons, à bientôt alors. Papa, je veux unrapport circonstancié. Je t’appelle deLos Angeles.

– Fais bon voyage ma chérie.

C’est tout excitée que je prends lechemin de Harlem : si mon père pouvaitdire adieu à son célibat… Il est encoretrop jeune pour avoir ses livres pourseuls compagnons. J’aimerais tellementqu’il retrouve l’amour, comme ma mèreavant lui…

Avant de passer au centre de Susie, jepasse récupérer le résultat de mon test.Caleb et moi avons décidé de le fairepour pouvoir enfin nous passer depréservatif. Je n’avais pas vraiment dedoute, j’ai toujours été très sage, mais jesuis soulagée de voir que tout va bien.Si le test de Caleb est comme le mien…adieu condom ! Je me réjouis de savoirque notre relation va franchir unenouvelle étape. Le sexe était déjà génialavant… qu’est-ce que ça va êtremaintenant !

C’est le cœur rempli d’idéesagréables que j’arrive devant la porte dupetit centre d’accueil pour enfants deSusie. Mais à ma grande surprise,

l’établissement est fermé. On est enpériode de vacances scolaires, et lecentre devait être ouvert toute la journéepour accueillir ceux dont les parentsn’avaient pas les moyens de partir. Susieavait réussi à mobiliser plusieursbénévoles pour cette semaine, et je nem’explique pas ce qui se passe. D’autantque rien n’est affiché sur la porte. Jefrappe, mais sans succès.

– C’est fermé, Grace.

Je me retourne et vois Marcus, unélève du centre, qui me regarde avec unpetit air triste.

– Tu sais ce qui se passe ?

– Non, on est venus ce matin, mais iln’y avait personne, alors on a dû rentrerchez nous.

– Mais… Qu’est-ce que tu fais, toi,dans la rue ?

– Ma mère travaille à l’hôpital. Et latélé est cassée. Je suis venu voir si çan’avait pas ouvert finalement.

– Viens avec moi, dis-je en le prenantpar la main. On va chercher Susie.

Susie habite à quelques blocks de là.J’y suis allée plusieurs fois, quand jel’ai aidée à remplir des dossiers pourdes demandes de subventions. C’est unechanteuse, une artiste, elle a un grandcœur mais elle n’est pas très douée pourla paperasse ou la gestion

administrative. Un centre comme celuiqu’elle a ouvert, même modeste,nécessite un brin de sens pratique qui luifait défaut. Je m’en suis aperçue assezvite, et j’ai proposé de lui donner uncoup de main. Tout d’abord, elle arefusé, parce qu’elle ne pouvait pas merétribuer, mais j’ai insisté. J’ai demandécomme seule récompense qu’elle mechante quelques chansons de sonrépertoire jazz. Malgré ce qu’elleprétend, elle a encore une voixmagnifique et les après-midi passés surces dossiers fastidieux ont étéétonnamment plaisants. Elle m’a promisqu’elle chanterait un jour pour Caleb, etje pense organiser cette surprise très

bientôt. Je suis sûr que ça lui feraplaisir, il a été élevé en écoutant Susie,dont son père était fan.

Je frappe à la porte de Susie, maispersonne ne répond.

– Susie, c’est Grace. Tout va bien ?Vous êtes là ?

Je suis de plus en plus inquiète. Jem’apprête à repartir quand j’entends unbruit de pas dans l’appartement. Laporte s’entrouvre et je vois apparaîtreSusie. Mais dans quel état… C’est lapremière fois que je la vois sans un deses turbans sur la tête, et rien ne cacheses cheveux coupés très courts, tout

blancs, ce qui la vieillit. Elle ne portepas non plus de boucles d’oreilles, sonvisage semble plus ridé que d’habitude,et ses yeux sont rougis par les pleurs.

– Enfin, Susie, qu’est-ce qui vousarrive ? dis-je, alarmée.

En découvrant Marcus près de moi,qui la regarde avec des yeux tout rondset un air effrayé, Susie prendimmédiatement sur elle.

– Entrez, entrez, ne restez pas sur lepalier, dit-elle en ouvrant la porte pluslargement pour nous faire entrer dansson petit appartement, humble maiscoquet.

– Mais qu’est-ce qui se passe,Susie ?

– Je suis un peu malade, j’ai passéune très mauvaise nuit. Des migrainesépouvantables, dit-elle.

Je vois bien qu’elle ment : elle nedira rien en présence de Marcus.

– Où est ta maman, Marcus ? luidemande-t-elle.

– Elle travaille.– Tu es tout seul alors ?

Il opine sans rien dire.

– Je l’ai trouvé devant le centrefermé, dis-je.

– Tu as mangé ?

Un peu honteux, il fait non de la tête.

– Alors viens, dit-elle en le prenantpar la main et en l’installant sur lecanapé. Tu vas rester là à regarder latélé, et je vais t’apporter quelque choseà grignoter, d’accord ?

L’enfant répond par un grand sourireavant de se tourner vers la chaîne dedessins animés que Susie a mise pourlui.

Susie me prend ensuite par le bras etm’entraîne vers la cuisine.

– La banque a saisi l’école, dit-elledès que nous sommes seules.

– Quoi ? Mais quand ? Pourquoi ?– Je ne sais pas… Enfin, je crois que

je n’ai pas payé les deux ou peut-être lestrois derniers versements du crédit, dit-elle en se tordant les mains comme uneenfant prise en faute. Mais j’avaisdemandé à ce qu’ils patientent, j’y suisallée, je leur ai dit que je devaisrecevoir de nouvelles subventions. Jepensais qu’ils me donneraient le tempsde me retourner… Mais ils ont toutsaisi, et je n’ai même plus la possibilitéd’entrer récupérer quoi que ce soit àl’intérieur.

Je suis abasourdie par ce qu’elle

vient de m’apprendre. Et bouleversée dela voir dans cet état si pitoyable, elle sifière et si forte, que j’admire tellement.

– Mais Susie… Pourquoi vous nem’avez pas parlé de vos difficultésavant ?

– Je pensais pouvoir tout arranger,dit-elle. J’ai été insouciante, tu saiscomme je suis avec les papiers, ce n’estpas mon truc, et je pensais qu’avec lesdemandes de subventions que nousavions faites ensemble, tout rentreraitvite dans l’ordre.

Je la regarde, navrée.

– Je n’ai même pas eu le courage

d’affronter les parents ce matin, dit-elleen se tenant le front, comment pouvais-jeleur annoncer ? Je suis restée ici, àpleurer… Et maintenant… les pauvrespetits sont dehors, livrés à eux-mêmes.Par ma faute, ajoute-t-elle, et je vois sesyeux de nouveau embués de larmes.

– Allons, Susie, dis-je en lui prenantla main, ne pleurez pas et surtout, neculpabilisez pas, vous avez déjàtellement fait pour ces enfants ! Ne vousen faites pas, on va trouver une solution.

Je me souviens soudain que je doispartir l’après-midi même pour LosAngeles.

Tant pis !

– On va aller voir cette banque. Ils nepeuvent pas saisir la maison comme ça,du jour au lendemain, et vous eninterdire l’accès. Si vous voulez, je vousaccompagne…

– Mais Grace, tu as un avion àprendre…

– Je pourrais annuler…

Susie me coupe la parole :

– C’est hors de question. Ne t’en faispas, j’ai eu un coup de mou, mais je vaisme reprendre, dit-elle en s’essuyant lesyeux. Tu as raison, il doit y avoir dessolutions. Je ne vais pas me laisserfaire.

J’ai un déclic :

– Susie, je sais ce qu’il vous faut : unavocat. Et je connais le meilleur, dis-jeavec un grand sourire.

Susie me regarde et je vois l’espoirrenaître dans ses yeux.

– Je file tout de suite au cabinet deCaleb, il va vous aider, vous verrez, cesera réglé en un rien de temps, dis-je,confiante.

Avec Caleb dans son camp, Susie etles enfants n’ont plus rien à craindre…

Je me sens pousser des ailes

subitement. Je dépose un baiser sur lesjoues de Susie, un autre sur celles deMarcus, et je quitte Harlem pour volervers l’Upper East Side.

24. Qui es-tuvraiment ?

– Je ne peux rien pour elle.

Je regarde Caleb, stupéfaite. Jen’arrive pas à en croire mes oreilles.

Il plaisante, ça n’est pas possible…Pourtant, il a l’air bien sérieux, le visagegrave, face à moi dans son bureau.

– Comment ? Mais, tu m’as dit que tuallais nous aider…

Quand je suis arrivée au cabinet deCaleb et que j’ai exposé le problème deSusie, il m’a dit tout de suite qu’il allaits’occuper de Susie. J’étais rassurée, ilavait l’air si sûr de lui. Je ne comprendspas son revirement.

– Oui je l’ai dit. Mais c’était avantque tu me dises le nom de la banque.

À la demande de Caleb, je viensd’appeler Susie, et elle m’a dit quec’était la Bank of East America qui avaitfait la saisie.

– C’est un client, Grace, dit-il en meprenant la main, je suis désolé, je nepeux rien pour Susie.

Prise d’un accès de colère, je lerepousse.

– Un client ? C’est tout ce que tutrouves à dire ? C’est plus important quedes enfants qui se retrouvent à la rue,parce que des banquiers pleins de fricont décidé qu’ils voulaient encore plusd’argent ?

– Grace, me sermonne-t-il, tu as unevision trop manichéenne des choses.

– Manichéenne ? dis-je, suffoquéepar sa condescendance. J’ai trouvéMarcus, le Marcus que tu as rencontrél’autre jour, dans la rue. Seul, rôdantdevant le centre dans l’espoir qu’ilouvre, et il n’avait pas mangé. Tu croisqu’ils sont où les enfants de ton banquier

aujourd’hui ? Dans la rue, ou en train dejouer au tennis ou de faire de la voileaux Caraïbes ?

Caleb passe une main dans sescheveux et soupire.

– Grace, je comprends que ça tesemble injuste, mais je suis coincé. Jesuis lié par contrat. Je ne suis pas le seulconcerné dans cette histoire ; je dirigeun cabinet de 50 employés, j’ai desresponsabilités. Cette banque est un denos plus gros clients. Si on se prive deson budget, je ne sais pas si je pourraiconserver tous mes employés. Et ilsferont quoi, LEURS enfants, auxprochaines vacances ? Tu as pensé à

ça ?

Je me laisse tomber sur la banquette,assommée par ses arguments.

– Écoute, dit Caleb après un instantde réflexion, je vais appeler le présidentde la banque, et essayer de leconvaincre de donner du temps à Susie,OK ?

Je le regarde et j’acquiesce, un nœudau ventre.

Caleb s’installe à son bureau, etdécroche son téléphone :

– Margaret ? Mettez-moi en ligne

avec Edgar Dandridge s’il vous plaît.

C’est alors que mon portable sonne.

– C’est le magazine. Je doisrépondre, je vais prendre l’appeldehors, dis-je à Caleb qui me fait unsigne d’assentiment.

Tandis que je sors du bureau, jel’entends lancer d’une voix joviale :

– Edgar ? Oui, c’est Caleb ! Dites-moi, je voulais vous parler d’unechose…

Pour ne pas déranger Margaret,l’assistante de Caleb dont le bureau est

attenant à celui de son patron, jem’éloigne dans le couloir pour répondreà mon téléphone. L’assistante d’Aliciavan Zant, Eleonor, m’appelle pour medonner les dernières informations avantmon départ pour L.A., où je n’aurai pasque Nikki à photographier. Mon agendaa un peu bougé, un jeune acteur devantpartir plus tôt que prévu sur un tournage.Je l’écoute d’une oreille un peudistraite, une partie de mon cerveauétant restée dans le bureau de Caleb.

Je finis par raccrocher et je retourneretrouver Caleb. J’ouvre la porte dubureau avec appréhension.

Caleb est assis à son bureau, l’air

contrarié.

Oh merde…

Il se lève à mon entrée.

– Écoute Grace, dit-il d’un ton graveen se levant pour faire le tour de sonbureau. J’ai essayé mais… Mon clientrefuse de transiger. Il ne donnera pas dedélai de paiement à Susie. La banque aplusieurs immeubles dans Harlem, il neveut pas créer de précédent. S’il fait unefaveur à Susie, ça va se savoir, et ilrisque de se retrouver avec une arméede mauvais payeurs… Je suis désolé,continue-t-il d’un air navré, j’ai fait toutce que je pouvais, mais il ne changera

pas d’avis là-dessus. Ça, j’en suispersuadé. Il ne l’a pas évoqué, mais jecrois savoir qu’ils envisagent uneopération immobilière dans le quartier,et je pense que les défaillances de Susieles arrangent bien. Ça fait longtempsqu’ils attendaient de récupérer cebâtiment, ils ont déjà ceux autour.

Le sol s’effondre sous mes pieds.

Susie, les enfants… que vont-ilsdevenir ?

Je reste les bras ballants, le regarddans le vide. La voix de Caleb s’élèvede nouveau, près de moi. Il parle avecprécaution, très doucement :

– Grace… Il y a autre chose.

Oh non… Quoi encore ?

Il se racle la gorge.

– Si Susie entame une action enjustice contre la banque, il faut que tusaches que… c’est moi qui la défendrai.

Je le regarde, horrifiée.

– Mais tu ne peux pas faire ça !– Oh que si. C’est même précisément

ce pour quoi on me paye, dit-il en meregardant dans les yeux.

Son regard comme sa voix se sont

faits durs, intransigeants tout à coup.

Moi qui pensais que Caleb serait lesauveur de Susie, il va être sonbourreau !

– Caleb, je t’en prie, dis-je d’unepetite voix. Tu ne peux pas travailler surce dossier, contre Susie. Tu trouverasd’autres clients pour remplacer celui-ci.Tu es un des avocats les plus cotés de laville. Ils font la queue pour se payer tesservices !

Caleb a un mouvement d’agacement :

– Mais Grace, tu ne connais pas lasituation du cabinet, dit-il d’un ton irrité.

Depuis que je l’ai quitté, les associés demon ancien cabinet veulent ma peau. Ilsessaient de nous piquer des clients, ilsont déjà débauché deux avocats devaleur. Je ne peux pas me fragiliser surle marché en abandonnant un client…Sans compter que ça ferait mauvais effetpar rapport aux autres clients.

Je lui parle de Susie, des enfants, etil me répond « marché », « clients » ?J’ai du mal à croire que cet hommedevant moi est celui dont je suis tombéeamoureuse.

– Mais Grace, merde, c’est unequestion de déontologie ! s’emporteCaleb, voyant qu’il n’arrive pas à me

convaincre. J’ai signé un contrat pourassumer leur défense, je ne peux paslaisser tomber comme ça, et encoremoins les attaquer.

Il reste un instant silencieux.

– Et puis Susie est en faute, reprend-il. Elle n’a pas honoré sesremboursements, c’est toi-même qui mel’as dit…

C’est la goutte d’eau. Ses paroles mebrisent le cœur. J’ai l’impression d’êtretrahie. De m’être trompée sur lui.

Ses mots contre Susie, c’est plus queje ne peux en supporter. Je fais volte-

face, et je me dirige vers la porte.

– Grace, reviens !

Sans me retourner, je quitte la pièceet traverse le bureau de son assistanteMargaret comme une furie. Je doisvraiment avoir l’air bouleversé, car àl’accueil, Belinda me regarde passer labouche grande ouverte et les yeux ronds.Mais je m’en moque. Je suis pressée dequitter cet endroit, de m’éloigner deCaleb, et je m’engouffre dansl’ascenseur dont les portes étaient déjàen train de se refermer.

Je le déteste ! Je le déteste !

Je trépigne d’impatience, tandis quel’ascenseur met un temps fou àdescendre, s’arrêtant quasiment à tousles étages. Cela me laisse le tempscependant de songer à la situation : jesuis en colère contre Caleb, mais cettecolère doit venir au second plan. Qu’est-ce que je peux faire pour Susie et lecentre ? Que vont devenir les enfants ?L’initiative de Susie a comblé certaineslacunes du système, c’est impossible quecela se termine comme ça.

Je sors du building, effarée, nesachant que faire. Je regarde l’heure surmon téléphone. Je n’ai plus guère detemps avant le décollage, il faut quej’aille récupérer ma valise et réunir mon

matériel avant de partir pour l’aéroport.Mais avant cela, il va falloir que je luiannonce que contrairement à ce que jelui ai dit, Caleb ne lui portera passecours…

Je lève la main pour héler un taxi.Heureusement, une voiture s’arrêterapidement. Au moment où jem’engouffre dedans, je vois un autre taxis’arrêter devant le gratte-ciel que jeviens de quitter. Je remarquedistraitement que les deux clients àl’arrière s’embrassent fougueusement.Ce n’est que quand ils s’extraient de lavoiture que je reconnais… Stacy,l’associée de Caleb, et Robert, leurenquêteur. J’en reste bouche bée.

Je me demande si je n’ai pas rêvé,mais mon taxi démarre en trombe etquand je me retourne pour vérifier, lesdeux silhouettes ont disparu, engloutiespar la foule de Madison Avenue.

Je suis tellement préoccupée quecette image fugace s’efface presqueimmédiatement et que mes penséesreviennent vers Susie. Tandis que le taxim’emmène vers Tribeca et le duplex deCaleb, je trouve le courage de l’appeler.Elle doit attendre mon coup de fil. Mesmains tremblent tandis que je prendsmon téléphone.

– Susie, je suis désolée… mais labanque est un client de Caleb. Il ne peut

pas vous défendre sur ce dossier. J’ai…J’espérais…, balbutié-je, de nouveau aubord des larmes.

Je me sens affreusement coupable delui avoir donné de faux espoirs.

– Ne t’en fais pas Grace, me répondSusie d’une voix sereine. Je comprends.Et rassure-toi. Un avocat vient dem’appeler pour me proposer sesservices pro bono. Des parents sontvenus me voir après ton départ, je croisque c’est l’un d’eux qui l’a contacté.

– C’est vrai ?– Puisque je te le dis. Il me proposait

de le voir demain. Je lui ai dit que je lerappellerais, je ne savais pas si ton mari

allait pouvoir nous aider. Je vaisprendre rendez-vous avec lui.

Oh mon Dieu, ce que je suissoulagée…

– Surtout, reprend Susie au bout dufil, n’en veux pas à ton mari. Il ne faitque son devoir. Il n’a pas le choix.

Ses mots résonnent encore dans matête alors que le taxi se gare devantl’appartement de Caleb. Susie n'a pastout à fait tort, mais au final, le choix, onl'a toujours. Je suis terriblement déçue.Quelle idiote j’ai été… Comment ai-jepu croire que Susie, les enfants, moi…on passerait avant les intérêts de son

cabinet !

Je me suis totalement trompée sur soncompte, et je m’en veux presque autantqu’à lui.

J’ouvre la porte de l’appartement etje me rue à l’étage. Comme un automate,je réunis les objectifs et les filtres que jeveux emporter avec moi pour la séance.J’essaie de me concentrer pour ne rienoublier, mais je bous de colère, je suisdévastée par l’insensibilité de Caleb,par son attitude…

Alors que je suis en train dedescendre l’escalier avec mes bagages,la porte d’entrée claque. Je me pétrifie

sur les marches.

Caleb est rentré.

Il s’avance vers moi, la mine défaite.

– Grace, je suis désolé.– Et moi encore plus, réponds-je d’un

ton sec, avant de descendre les dernièresmarches.

– On ne va pas se quitter comme ça,fâchés. Il faut que tu comprennes, leschoses ne sont pas aussi simples. Si… sije venais à Los Angeles avec toi ?

– La dernière chose que je veux, c’estque tu viennes avec moi, dis-je en leregardant dans les yeux, fulminant. Ceque je veux, c’est partir loin de toi.

Aujourd’hui, tu as montré ton vraivisage. Tu es exactement comme jel’avais imaginé quand je t’ai rencontré.J’aurais dû écouter mon instinct. Tu escynique, tu fais passer les affaires avanttes sentiments. Tu as rencontré Susie, tume disais que c’était très beau ce qu’elleavait fait avec ce centre, tu as vu lesenfants… Et pourtant, maintenant que tues en mesure de les aider, tu ne lèvesmême pas le petit doigt ? Et nonseulement ça, mais tu es prêt à fairefermer définitivement le centre pour tonclient ! Et tu me parles de déontologie…Moi je te parle d’humanité, Caleb. Si tun’es pas capable de comprendre ça, jen’ai rien à faire avec toi.

Caleb reste muet, figé comme unestatue.

Mais je n’en ai pas fini avec lui.Maintenant que je suis lancée, je ne voispas ce qui pourrait m’arrêter :

– Tu sais ce qui est le plus terriblepour moi ? C’est que je t’aime, Caleb.

Il me fixe, soudain livide.

– Oui, je suis amoureuse de toi. Jepensais même que tu étais l’homme dema vie, figure-toi. Mais je me suistrompée, tu m’as trompée en me faisantcroire que tu étais un mec bien. Tuincarnes tout ce que je déteste ! Je t’ai

vu mentir à David, mais je n’ai rien dit,parce que je te trouvais descirconstances atténuantes. J’avais de lapeine pour toi, parce que ta vie privéeétait violée, parce que les êtres que tuaimais le plus t’avaient menti pendantdes années ! C’est pour ça que j’aisupporté de te voir mentir à David,même si ça m’a choquée de voir quec’était aussi facile pour toi. Maismaintenant… Maintenant je vois clair, etje m’en veux d’éprouver des sentimentspour quelqu’un comme toi. Et je feraitout pour qu’ils disparaissent. Ce quej’ai vu de toi aujourd’hui me faithorreur. Alors, non seulement je parsseule pour Los Angeles, mais je ne

reviendrai jamais ici !

Pendant tout mon laïus, Caleb n’a pasdit un mot, ni fait un mouvement. Il estresté là à me regarder, le visage défait.

Je lui lance un dernier regard pleinde mépris, et je pars, claquant la portesur les plus belles semaines de ma vie.

25. Pas de gars,2 filles

[Je t’en prie, Grace, réponds-moi.]

C’est le deuxième SMS de Calebdepuis ce matin. Hier, j’en ai reçudix. Je n’ai répondu à aucun d’eux. Ilva peut-être finir par sedécourager…

– Grace, ça va ma chérie ?– Oui, Maman, ça va, dis-je en

retournant mon portable sur la tabledu petit déjeuner pour ne pas qu’ellevoie que c’est Caleb qui m’a écrit.Elle s’étonnerait de voir que je ne luiréponds pas immédiatement,

comme une vraie jeune mariée folled’amour…

Folle de rage, oui ! Voilà ce queje suis !

Ça fait trois jours que je suis àLos Angeles, et je n’ai toujours pasdécoléré contre Caleb. Je suis plusqu’en colère, je suis meurtrie, déçue.Pourtant, j’ai eu Susie au téléphone,elle a rencontré l’avocat dont ellem’avait parlé, il prépare un dossier, ildit qu’il peut poursuivre la banquepour saisie abusive. Susie a reprisespoir, même si le centre restefermé pour l’instant. Malgré cettebonne nouvelle, j’en veux toujours àCaleb. Je ne pensais pas qu’il allaitse montrer si insensible au sort deSusie et de son centre pour lesenfants défavorisés. Il n’a même pasréagi quand je lui ai dit tout ce quej’avais sur le cœur, il est resté planté

là… Il a attendu que je sois loin pourme téléphoner (je n’ai jamaisdécroché) et m’inonder de SMS. Il adû prendre son temps pour soignersa défense, en bon avocat qu’ilest… Mais je n’ai pas envied’entendre ses argumentsmaintenant, c’est trop tard.

Ma mère vient s’asseoir près demoi avec sa tasse de thé et meregarde gravement.

– Qu’est-ce qui se passe,Grace ? Depuis que tu es arrivée, jevois bien que quelque chose netourne pas rond. Tu as des soucis ?

– Je… non… Enfin, si, tu sais,c’est mon premier job dephotographe, je stresse un peu…

Ce n’est pas vraiment pour çaque je suis si mal, même si cettesérie pour K27 me stresse pour devrai. Je ne sais pas si Maman croit

mon excuse, ce qui m’étonnerait carelle a toujours été assez perspicaceà mon sujet, mais en tout cas ellefait comme si.

– C’est normal, je te comprends,mais il faut que tu aies davantageconfiance en toi, me dit-elle enpassant sa main dans mes cheveux,faisant tinter ses nombreuxbracelets. Crois-moi, si Alicia t’aconfié ce job, c’est qu’elle estpersuadée que tu vas faire du bontravail. Elle a beaucoup de nez tusais, elle a révélé plein de talents,que ce soient des photographes,mais aussi des directeursartistiques, des…

– … mannequins, comme toi ! Çac’est sûr, elle a eu du nez avec toi.Tu étais magnifique, et tu l’estoujours.

Ma mère sourit, et secoue ses

longs cheveux miel dans lesquels seperdent ses longues bouclesd’oreilles ethniques.

– Oh, c’est loin tout ça, fait-elle,modeste.

– Tu rigoles, maman ! Tu essuperbe. Tu as un corps magnifique,et absolument naturel.

– Je fais beaucoup de yoga, dePilates…, s’excuse-t-elle presque.

– … et ton visage ne doit rien à lachirurgie esthétique. Tu dois bienêtre la seule femme de plus de30 ans dans ce cas dans toutBeverly Hills !

– Je suis contente que tutravailles pour K27. C’est unmerveilleux magazine. Je l’achètedepuis le premier numéro. Alicia ena fait un média qui compte vraiment,c’est presque l’égal de VanityFair ou du Harper’s Bazaar en

termes de prestige, même s’il n’estpas exactement sur le mêmecréneau.

– Arrête Maman, ça me met unepression ! dis-je en éclatant d’un rireun peu nerveux.

– Ce n’était pas mon but, ditMaman en souriant. Je voulais justete dire que je suis fière de toi. Tu asun vrai talent, et je suis contente quetu aies l’occasion de l’exprimer dansce magazine.

Je me penche vers elle et jedépose un baiser sur sa joue. J’aicommencé à faire des photos petite,et maman m’a toujours encouragéedans cette voie. C’est même elle, quia posé pour les plus grands, qui m’aappris les premiers rudiments,m’expliquant des notions toutessimples comme le cadrage, ou lamise au point.

– Hello tout le monde ! clame unevoix dans notre dos.

– Ah Nikki, enfin, je t’at…Je m’interromps en plein milieu de

ma phrase. Nikki est maquilléecomme une voiture volée, elle porteune perruque rousse, unecombinaison de latex et deschaussures à plates-formespailletées.

Je suis muette de stupeur… maisj’ai aussi une irrésistible envie derire, que je ne peux plus refrénerquand je croise le regard de mamère, aussi stupéfaite que moi.

Nous éclatons de rire, sous leregard consterné de Nikki.

– Vous n’aimez pas ?Je mets du temps à me reprendre

avant de pouvoir lui répondre.– Mais enfin, Nikki, on en a parlé

cent fois ! Je t’ai dit que c’était une

série « au naturel », sans artifices,et tu arrives comme ça. D’abord,c’est quoi cette perruque rousse ?

– Mais j’ai pas eu le temps d’allerfaire une couleur, j’ai des racinesatroces…

– Eh bien, je te prends avec tesracines, encore mieux. Et tum’enlèves tout ce que tu as sur lafigure. Et quant aux fringues, on vachoisir ensemble…

– Ah non, je vais pas meretrouver habillée comme toi, en jeanet baskets… Je suis pas KristenStewart !

Je souris, pas vexée pour unsou : elle aurait pu trouver pirecomparaison…

– Tu as le droit à un peud’excentricité, puisque ça fait partiede toi. Mais je ne veux pas de cesdéguisements de bimbo sous

lesquels tout le monde te connaît, jeveux que tu portes des choses qui teressemblent, qui révèlent ton moiprofond, ce que tu n’oses pasmontrer le reste du temps.

– Déjà, c’est pas mes fesses ! diten ricanant Nikki.

– Ça, c’est sûr… Bon puisque tune veux pas de moi, Maman tedonnera un coup de main, si tu veux.

– Oh oui, steplaît, Mimmu, tu vasm’aider.

Depuis qu’elle est petite, Nikkiappelle Maman par ce surnomqu’elle a fabriqué à partir de Michelleet de Mummy. Sa mère étant auxabonnés absents depuis toujours,c’est auprès de la mienne qu’elle atrouvé l’amour et l’attention dont ellemanquait.

– Je vais faire des photos de toiici, et puis on ira dans un endroit où

tu adorais aller avant et où tu nepeux plus mettre les pieds…

Dans la famille, « avant » faitréférence à la période bénie (pourmoi en tout cas) d’avant la fameusesex tape qui a fuité sur Internet etqui a propulsé Nikki sous les feuxdes projecteurs. Celle que jeconsidérais comme ma grandesœur, que j’admirais tant, estdevenue cette star de la téléréalité,avide de buzz et prête à tous lesscandales pour maintenir sanotoriété… et les recettesastronomiques qu’elle lui procure !Entre son émission et les produitsdérivés, Nikki est déjà millionnaire, à24 ans.

– Ah bon, mais on va où ? medemande Niki, intriguée et excitée.

– Devine…Elle réfléchit quelques secondes,

puis son visage s’éclaire.– Non… À Santa Monica Pier ?La jetée de Santa Monica, sur la

plage, abrite toute l’année une fêteforaine où ma mère et parfois monbeau-père, le père de Nikki, nousemmenaient lorsque nous étionspetites ; plus grandes, on y allaitavec son cousin, David. Mais ça,c’était « avant »…

– Ah ouais ! J’adore ! s’exclame-t-elle. Je n’y suis pas allée depuis dessiècles.

Elle s’arrête soudain.– Mais je ne peux pas y aller, dit-

elle précipitamment, tout le mondeva me reconnaître, il faut quej’appelle mon staff pour qu’onm’envoie des gardes du corps et…

– Non, Nikki, c’est hors dequestion, la coupé-je. Rassure-toi,personne ne te reconnaîtra. Tu te

souviens, toi, de quoi tu ressemblessous ce fond de teint, ce blush etces faux cils ?

Nikki me regarde, interdite. Puiselle se tourne vers Maman, quil’encourage d’un signe de tête.

Je vois un sourire renaître sur sonvisage :

– OK sister, ça marche. Je vaisme démaquiller.

Elle se retourne pour partir quandj’ai une idée soudaine.

– Attends-moi, ne touche à rien.Laisse-moi le temps de prendre monmatos, et je te prends pendant quetu te démaquilles.

Pendant que Maman et Nikki fontun tri dans la garde-robe, jerassemble mon appareil et mesobjectifs. J’ai décidé de prendre leplus de photos possible en lumièrenaturelle, mais le magazine m’a fait

livrer à ma demande un petit kitd’éclairage pour les photos enintérieur. Je prépare tout dans lachambre de Nikki, celle-là même oùelle dormait quand elle était enfant.La déco n’a pas changé, et sesnombreuses peluches sont toujoursfidèles au poste.

Je suis prête avant que ma mèreet Nikki ne sortent du dressing. Mamère a quelques vêtements à lamain, qu’elle dépose sur le lit, Nikkiest simplement vêtue d’un tee-shirttout déformé du dessin animé LesSimpson, qu’elle portait quand elleavait 14 ans.

– Tu l’as encore ? dis-je, étonnée.– Tu rigoles, je dors toujours avec

quand je suis ici.Je savais bien que ma Nikki à

moi était toujours là, quelque partdans ce corps de bimbo.

– Bon, je vous laisse les filles, àtout à l’heure, dit Maman, que jesens émue, avant de s’éclipser de lachambre.

Comme à moi, ça doit lui rappelernos premières années ici, quandNikki et moi passions des heuresdans cette chambre. Nous avonspassé pas mal de temps à nousconsoler l’une l’autre : elle, de laséparation d’avec mon père, resté àParis, et moi, des frasques de samère. Nous étions comme deuxsœurs, et fondamentalement c’estencore comme ça que je laconsidère, et je sais que c’estréciproque. Malgré la distance quis’est installée entre nous cesdernières années, malgré la vieinsensée qu’elle mène et quim’horripile, malgré nos désaccords,nos différences.

Je suis heureuse que ce shootingnous donne l’occasion de nousretrouver toutes les deux, sans sonentourage vulgaire et étouffant enprésence duquel elle n’est plus lamême, dans l’intimité de la maisonoù l’on a grandi ensemble. C’estcomme si tout ce qui nous séparaitavait disparu… mais pour combiende temps ?

J’ai disposé la lumière pour laprendre face à sa petite coiffeused’adolescente. Sauf qu’à la place dumiroir, c’est moi que Nikki à en faced’elle, avec mon appareil. Ellecommence à retirer son maquillage,et très vite, elle a l’air d’un clownavec son rouge à lèvres qui bave, unfaux cil qui pend. Je suis sûre queles photos de cette métamorphosevont être stupéfiantes. Peu à peu, jevois renaître sous mes yeux la Nikki

d’antan, jolie et fraîche, et j’en suisbouleversée. Elle se retrouve enfindevant moi, le visage nu, les cheveuxplatine aux larges racines noirestirés en arrière, avec un air d’enfantperdu totalement émouvant.

– Nikki, tu es tellement jolie, je necomprends pas pourquoi tu tetartines le visage comme ça !

– Mes fans m’aiment comme ça !– Mais tu es cent fois plus belle

sans rien !– Ma poulette, tu es adorable,

mais tu n’y comprends rien, dit-elleen souriant. Sans mon maquillage,mes tenues que tu détestes, sansmes provocations, tu crois quej’aurais autant de succès ? Sansmes fans, qu’est-ce que je serais ?Tu sais que je n’ai jamais été douéepour l’école, comme toi… j’aurais faitquoi comme métier ?

– Avec ton père qui dirige un grosstudio de cinéma…

– Ah non, hein, me coupe-t-elle,tu peux m’accuser de tout, mais pasd’être une fille à papa. Je sais bienque j’aurais pu passer le reste dema vie à dépenser le fric de monpère, ou à me faire embaucher surses productions, mais je voulais fairequelque chose par moi-même.

Je ne peux m’empêcher de faireune grimace. Pas vexée, Nikki éclatede rire.

– Je sais que tu n’aimes pas ceque je fais, mais c’est ma vie,Grace.

Je la regarde, confuse.– Excuse-moi Nikki, tu as raison,

tu es grande, tu fais ce que tu veux.Je m’inquiète juste pour toi…

– Je sais, sister, et je ne t’en veuxpas. Je sais que tu as souffert

quand la sex tape est sortie, que tuas commencé à être harcelée àl’école et dans la rue, et que c’estpour ça que tu as fui à Paris. J’ensuis désolée, je te jure. Pour la sextape, crois-moi, je n’y étais pourrien. J’en ai souffert aussi, mais j’airebondi. C’était une occasion unique.Faire ce que je fais, je l’ai choisi.Crois-moi, je n’ai pas fait d’études,mais j’ai la tête sur les épaules, et jel’ai toujours eue. Quand à 12 ans tudois aller chercher ta mère ivre dansun bar à 2 heures du matin et laramener à la maison, ou aller remplirle frigo et faire ta bouffe toute seuleparce qu’elle a disparu avec sondernier amant… Eh ben tu apprendsà prendre ta vie en main. Je saisque tu t’inquiètes pour moi, maispersonne ne m’impose rien, le stafffait des propositions, et je valide, ou

pas. Je m’amuse comme une folle, ily a des milliers de gens dans lemonde entier qui m’adorent, et jegagne des fortunes.

Je la regarde un instant sans riendire. C’est la première fois que nousavons une vraie conversation depuismon départ à Paris, il y a quatreans. Je suis contente que l’on puissese parler sérieusement, enfin.

– Oui, tu as des fans, mais pasque… Toutes ces critiques, cesmoqueries, ça ne te blesse pas ?

– Mais je m’en fous, dit-elle avecun geste désinvolte, ça fait partie dujeu. Crois-moi, j’ai les épaules assezcostaudes pour assumer ça.

Elle se lève et vient mettre sesmains sur mes épaules. Je suis detaille moyenne, mais elle est bienplus petite que moi. Je l’avais oublié,car ça fait des années que je ne l’ai

pas vue descendue de seséchasses.

Elle me regarde avec un sourireattendri :

– Il faut que tu comprennesGrace : je suis toujours la petite filleque tu as connue, mais je suis aussicette fille-là. Celle qui montre sesseins dans les soirées, quicollectionne les amants connus, quiboit plus que de raison, qui aime lafête, qui fait des trucs dont t’asmême pas idée… et je préfère,rigole-t-elle. C’est aussi ce que jesuis. Si tu peux pas l’accepter…

– Mais si, Nikki bien sûr, dis-je.C’est juste un peu dur parfois, quandje te vois traîner avec tous ces genspas très…enfin, tu vois…

– Je vois, oui, plaisante-t-elle.Mais je ne me fais pas d’illusions tusais, je sais pourquoi ils sont là, je

sais que demain, si la célébrité metourne le dos, pour la plupart, ilsferont pareil. C’est pour ça que jesuis contente de t’avoir toi. On ne vitpas la même vie, on n’a pas lesmêmes goûts, on est d’accord surrien, mais on s’aime quand même,non ? Et ça, c’est pour la vie…

Elle me regarde avec un immensesourire et je sens les larmes memonter aux yeux.

– Tu vas pas pleurer, hein ? metaquine-t-elle. Allez, je me change,et on va s’amuser à Santa Monica !

***En tongs et en short en jean, sans

maquillage, les cheveux sous unfoulard, Nikki est absolumentméconnaissable. Elle fait même plusjeune que son âge, plus jeune quemoi, on dirait une ado parmi d’autresqui s’amusent à Pacific Park, le parc

d’attractions de la jetée de SantaMonica.

Quand nous sommes arrivées,elle a eu un peu peur de la foule, çafait longtemps qu’elle ne se baladeplus sans garde du corps ni meutede groupies à ses basques. Maisquand elle s’est rendu compte quepersonne ne faisait attention à elle,elle s’est détendue, et depuis, elles’éclate sur tous les manèges,comme si elle avait 12 ans. Moi, jela prends en photo, avec l’océan entoile de fond, et j’y prends beaucoupde plaisir. Nikki est indéniablementphotogénique, elle a beaucoup decharisme, de charme, ce n’est pasun hasard, ni par la seule magied’une sex tape, qu’elle est devenueaussi populaire. Ce que j’apprécie,c’est qu’elle s’abandonne totalement.La jeune actrice de la veille, par

exemple, avait beaucoup de mal àne pas poser, je sentais qu’ellecherchait toujours à mettre en avantson « meilleur profil », qu’elleessayait de capter la lumière commeon le lui avait enseigné, et j’ai eubien du mal à lui faire lâcher prisepour ne pas avoir des photosstéréotypées. Mais Nikki me faittotalement confiance, et je sais queles photos seront magnifiques.

Sur le chemin du retour, Nikki estexcitée. Avant de grimper dans lavoiture, je lui ai montré quelquesphotos sur l’écran de l’appareil, etelle a adoré.

Pendant que je conduis, ellerépond à un appel et je comprendsvite que c’est son agent.

– Et moi je te dis que c’est unesuper idée. Et Grace a fait desphotos géniales !

Manifestement, son agent n’adorepas l’idée de la fête foraine.

Je vois peu à peu Nikki serembrunir :

– Mais merde, pourquoi les fansn’aimeraient pas ? Ils verront que jesuis comme eux, que moi aussij’aime bouffer une glace et faire untour de grand huit. Tu m’emmerdesavec ta « magie », ton « glamour » !

L’autre continue de la sermonner.– Écoute Chris, c’est fait, et je ne

reviendrai pas là-dessus. C’estpour K27 quand même !

Mais l’autre ne lâche pas prise.– OK, OK, tu verras les photos

avant. Maintenant, fous-moi la paix.Nikki raccroche et je vois que sa

bonne humeur s’est envolée. Elleserre les dents et regarde droitdevant elle.

– Y a un problème ? dis-je,

voyant qu’elle reste muette, lesmâchoires serrées.

– Aucun. Je gère, dit-elle d’un tonsec.

Je n’insiste pas, mais je suistriste. L’agent de Nikki a négociépour sa cliente un droit de regardsur les photos avant parution.J’espère qu’il ne va pas manipulerNikki pour le choix des portraits. Oupire, faire pression pour demanderune autre séance plus à son goût.

Je ne peux même pas en discuteravec Nikki. Elle s’est referméecomme une huître. Son joyeuxbabillage du voyage aller s’est muéen un silence plombant. Je crois bienque la parenthèse enchantée estrefermée, « ma » Nikki a disparu denouveau.

26. À l'heure desdoutes

– Nikki ne devait pas venir ? medemande David tandis que jem’installe à sa table.

– Non, elle avait une soirée, dis-jeen haussant les épaules.

Ma mère et John avaient uneprojection ce soir, et David, Nikki etmoi avions prévu de nous retrouverpour dîner. Alors que nous nousapprêtions à partir, je ne sais qui l’aappelée pour aller faire la fête chezune étoile montante du rap, et Nikkim’a laissée choir sans aucun étatd’âme. Elle m’a demandé si ça ne

m’ennuyait pas, mais j’ai vu à quelpoint elle était excitée par cettesoirée. Et honnêtement, je ne suispas sûre qu’elle serait restée sij’avais dit que je préférais qu’elledîne avec nous. Deux minutes plustard, une limousine est venue laprendre…

– Sacrée Nikki. Elle ne résistepas aux paillettes, plaisante David.Ça s’est bien passé votre shooting ?

– Génial. J’avais demandé queson staff et sa cour ne soient pas là.

– Quoi ? T’as réussi à la voirseule ? s’étonne David. C’est unexploit, bravo ! Moi ça ne m’arriveplus depuis des lustres, je ne la voisjamais seule, sauf quand je vaisdîner chez mon oncle.

David est le neveu de John, etdonc le cousin de Nikki. Ils ontquasiment grandi ensemble, même

si David est un petit peu plus âgéqu’elle. Ils se sont toujours entendusà merveille, et tous les deux m’ontsuper bien acceptée quand j’aidébarqué de Paris, après le divorcede mes parents et le remariage dema mère avec John. L’un commel’autre m’ont aidée à surmonter cecap un peu douloureux de ma vie.

– Le bon côté, plaisante David,c’est qu’au moins, on pourra dînertranquille. Où qu’elle aille, c’estl’émeute.

– Je ne sais pas comment elle faitpour supporter ça !

– Mais elle ADORE ça ! dit Daviden éclatant de rire. Tu devrais temettre ça dans la tête une fois pourtoutes, et l’accepter.

– J’ai du mal…, dis-je en faisantla grimace.

– Parce que tu as gardé l’image

de la petite Nikki que tu as connue.Mais elle a grandi, et elle a bienchangé… et toi aussi, répond-il ensouriant.

Nous sommes chez Sotto, unrestaurant italien bio plutôt coté deBeverly Hills.

Une serveuse vient nous voir etnous commandons une pizza à lasaucisse pour David et desspaghettis au poulpe pour moi. Etune bonne bouteille de vin italien bio.

– C’est super en tout cas cettepige pour K27. Tu débutes enfanfare, c’est un excellent magazine.Ça veut dire que tu as choisi ta voiefinalement ? me demande David. Laphoto, plutôt que les animaux ?

– Je ne sais pas encore… On nepeut pas dire que j’ai choisi, c’est lehasard qui a choisi pour moi, disons.Si je n’avais pas rencontré Alicia, je

ne me serais pas lancée aussi vitedans le bain.

– Tu as abandonné ton idée desafari photo ?

Je regarde un instant David, nesachant que répondre. Il y aquelques jours à peine, l’idée departir six mois loin de Caleb était unsupplice, et j’envisageais presque dereporter le projet. Aujourd’hui, je suistellement fâchée avec lui que laperspective de partir loin de tousceux que je connais, de New York,et de vivre en immersion dans lanature quelque temps me paraît lameilleure des choses à faire. Si jepouvais, s’il n’y avait pas ce foutucontrat, et la série de photospourK27, je partirais tout de suite…

Voyant que je garde le silence,David fronce les sourcils. Il avaleune énorme bouchée de sa pizza,

avant de m’interroger :– Et Caleb, il en pense quoi ?Je baisse la tête et je fixe mon

assiette de spaghettis.– Grace, ça ne va pas entre

vous ? dit David d’une voix inquiète.La dernière fois que je vous ai vus,vous aviez l’air si amoureux…

– Eh bien, tu n’es peut-être pas siperspicace que ça, fais-je avec unepetite moue.

David repose ses couverts et mefixe :

– Bon, raconte-moi, qu’est-ce quis’est passé ?

J’hésite un instant, mais je finispar tout raconter à David : la disputeavec Caleb, ma déception, madécision de rompre avec lui… Jeréalise que ça me fait un bien fou depouvoir enfin m’exprimer, meconfier ; j’ai soigneusement caché

ma dispute à ma mère, et j’aitellement travaillé depuis que je suisà Los Angeles que je n’ai même paseu le temps (ni l’envie, j’avoue)d’appeler mon père ou Théo, lesseuls à qui j’aurais pu en parler.

David ne m’interrompt pas uneseule fois. Il attend que j’aie terminé,puis tranquillement, reprend sescouverts et termine sa pizza. Je suisun peu déconcertée et reste muetteen le regardant terminer son plat.Puis il repousse son assiette, metses coudes sur la table et me scrutequelques secondes :

– Grace, Dieu sait si je m’en suisvoulu pour cette histoire de mariage,je me sentais coupable de t’avoirentraînée là-dedans, même si aufond de moi, je pensais qu’il pouvaitvraiment se passer quelque choseentre Caleb et toi. Tu ne peux pas

savoir combien j’ai été soulagéquand je t’ai vue avec lui l’autre foisà Chicago, c’était évident que vousétiez un vrai couple. Tu esmanifestement amoureuse de lui…

J’affronte son regard mais je sensque je rougis. Je ne nie pas pourautant…

– … quant à Caleb, il tientvisiblement à toi. Pourquoi t’aurait-ildemandé d’être là lors de l’interviewsinon ? Même s’il est resté trèscalme devant la caméra, j’ai discutéavec lui avant et je le connaissuffisamment pour savoir qu’il étaitbouleversé, blessé. Et il avait besoinde toi près de lui ce jour-là. C’estpas une preuve, ça ?

– Peut-être, peut-être qu’on a dessentiments l’un pour l’autre, maisqu’est-ce que ça change ? Je nepeux pas rester avec un homme qui

fait passer ses clients avant tout, quidéfend des ordures sans état d’âme.Je sais que c’est son métier, quetout le monde a le droit d’êtredéfendu, Je croyais pouvoir faire lapart des choses, mais je n’y arrivepas…

– Ce qui te blesse surtout danscette histoire, dit David avec unepetite grimace, en passant sa maindans sa dense chevelure blonde,c’est qu’il puisse le faire alors queTOI, tu lui demandes de ne pas lefaire.

– Je… C’est…, parviens-je àbalbutier.

– Tu espérais que pour toi, iljetterait aux orties sa déontologie etsa clientèle, et c’est ton amour-propre qui a été blessé.

Je fixe David, la bouche ouverte :je suis vexée, et en même temps

déstabilisée par sa remarque. Jedois reconnaître que ce qu’il dit n’estpas entièrement faux, même si c’estun peu dur à entendre.

– Je sais que tu attachesbeaucoup d’importance au centre,Grace, ajoute rapidement Davidpour adoucir son propos, que le sortdes enfants t’inquiète. Mais tu nepeux pas en vouloir à Caleb de cequi leur arrive. Il n’y est pour rien, etsurtout, il ne peut pas grand-chose,il est lié par contrat et son cabinetaussi. Caleb est vraiment un hommebien. Il est dur en affaires, il estimpitoyable au tribunal, mais il nepeut pas se permettre de faire dusentiment, et il est réglo ! Et je croisqu’il tient sincèrement à toi…

Si seulement c’était vrai…Je reste un instant songeuse,

ébranlée par les arguments de

David. Puis je m’aperçois qu’ilm’observe, le regard inquiet,craignant peut-être un peu maréaction.

– Grace, tu m’en veux ?– Non, Dave, dis-je en soupirant,

tu m’as dit ce que tu pensais, je nevais pas t’en vouloir pour ça. Bon, onpeut changer de sujet ? On a assezparlé de moi. Et toi, comment tuvas ? Et tes amours ?

– Au point mort pour l’instant, jen’ai pas la tête à ça en ce moment,je t’avoue.

S’il m’a bien dit la vérité, ce nesont pas son addiction ni ses dettesde jeu qui le préoccupent. Encoreune fois le doute s’immisce en moi :ne m’aurait-il pas tout dit à proposde sa nouvelle « notoriété » ?

Je chasse rapidement cette idéede ma tête… Je connais David

depuis des années, il est incapablede choses pareilles.

– Le Los Angeles Times m’aproposé un poste de rédacteur enchef au service politique, sereprend-il rapidement. Tu vois, je n’aipas à me plaindre.

Son expression semble pourtantcontredire ses paroles. Il meregarde, les lèvres pincées dans unemoue amère, les yeux tristes. Puis ilse sert un nouveau verre de vin et leboit d’un trait.

Ses yeux croisent enfin les miens,et je vois qu’il hésite. Je le sens surle point de m’avouer quelque chose,mais j’ai l’impression qu’il y renonceau dernier moment.

– Bon, Tu veux un dessert ? Moije vais prendre un tiramisu. Il est àtomber. Mieux que le jackpot à LasVegas ! ajoute-t-il en riant.

***La maison est plongée dans le

noir, j’ai l’impression que tout lemonde est couché. En tout cas, ence qui concerne ma mère et monbeau-père, car je suppose que Nikkine rentrera pas avant l’aube… si ellerentre. Depuis l’annulation de sonmariage, elle a quitté la villa qu’ellepartageait avec son fiancé, et estrevenue ici, en attendant de trouverla maison de ses rêves… et dereprendre un peu du poil de la bête.

Je n’ai pas envie d’aller mecoucher, je décide d’aller m’asseoirau bord de la piscine pour réfléchir àce que m’a dit David au cours dudîner. Je contourne le jardin japonaisdont ma mère s’occupe avecpassion, et je m’aperçois que lalumière est allumée autour de lapiscine. Mon beau-père, John, est

allongé sur un transat. Une mainfourrageant dans sa barbe poivre etsel, les lunettes vissées sur le nez, ilest occupé à lire ce qui est sans nuldoute un scénario. J’envisage deretourner sur mes pas mais ilm’aperçoit et me fait signed’approcher :

– Viens, Grace… déjà rentrée ?– David travaille demain.– Et toi non ?– Le shooting a été annulé. Je

vais en profiter pour passer dutemps avec maman, et Nikki si elleest libre. Je prends l’avion après-demain soir. Et vous alors, la projo ?

– Un navet. Mais qui sera sansdoute le succès de l’été, dit-il en mejetant un regard malicieux par-dessus ses lunettes.

Je m’installe sur le transat prèsde lui. Malgré l’heure tardive, il fait

encore très doux, et la légère brisequi souffle est très agréable.

– Ta mère est allée se coucher.Elle a son yoga à 6 heures demainmatin.

– Elle est devenue une vraieCalifornienne, dis-je en plaisantant.

Ma mère est née à La Nouvelle-Orléans, ses parents sont décédésavant ma naissance. Elle étaitencore jeune quand elle s’estinstallée à Paris avec mon père,avant de venir vivre ici.

Mon beau-père sourit :– Oui, elle s’est bien acclimatée…

contrairement à toi, dit-il en mefaisant un clin d’œil.

Je le regarde, un peu gênée.– C’est vrai que je n’ai jamais

aimé Los Angeles. Mais si ça peutte rassurer, ça n’a rien à voir avectoi.

– J’espère bien, Grace, me dit-ild’une voix douce.

– C’est juste que… je préfère lesvilles où l’on n’a pas besoin d’unevoiture pour aller au ciné, faire sescourses, où il y a des muséespartout, comme Paris, ou NewYork…

– … où il fait froid la majeurepartie de l’année, sourit John.

Je ris.– C’est vrai qu’ici, vous êtes gâtés

niveau climat.Nous restons un moment

silencieux, à regarder les reflets dela lumière dans la gigantesquepiscine. Mon beau-père a toujoursété gentil avec moi, je l’aime bienmais nous ne sommes pas trèsintimes. Nous ne nous sommesjamais retrouvés seuls tous les deuxdepuis que je suis adulte, et à cet

instant il me semble que noussommes aussi embarrassés l’un quel’autre. Quand j’étais enfant, c’étaitdéjà un homme très important etdonc très occupé, il venait de créerson studio de cinéma indépendant etça lui prenait presque tout sontemps. Ma mère ne lui reprochaitpas son manque de disponibilité,mais Nikki s’en plaignait parfoisdevant moi. Elle avait déjà une mèrepeu présente, elle aurait voulu, lessemaines où elle vivait avec nous,profiter davantage de son père.

– Qu’est-ce qu’il y a, Grace ? Çan’a pas l’air d’aller depuis que tu esarrivée.

Même John s’en aperçoit ? Çadoit vraiment être flagrant !

– Non John, ça va…– Allons Grace… je sais bien que

je n’ai pas été un beau-père modèle

dans le sens où j’étais peu là, maismalgré tout, je te connais bien et jet’aime beaucoup. Et depuis tonarrivée, tu me fends le cœur avec tamine toute triste et tes efforts pourparaître enjouée quand ta mère teregarde.

Je le regarde, touchée par sesmots et sa sollicitude.

– Ça ne va pas avec ton mari ?Je le regarde avec des yeux

ronds. Je suis surpris qu’il touche lepoint sensible du premier coup, maisaussi étonnée qu’il se permetted’aborder ce sujet avec moi.

– Je… Mais…Je suis un peu choquée, mais je

ne veux pas le rabrouer pour sonindiscrétion : je vois à son gentilsourire qu’il est plein de bonnesintentions.

– Tu sais, c’est difficile pour tous

les couples, reprend-il. Crois-moi, jesais de quoi je parle, j’ai été mariédeux fois avant ta mère.Contrairement à ce que l’on croit, lesdébuts peuvent être chaotiques :c’est normal, pour vivre avecquelqu’un, on doit faire desconcessions, s’adapter, renoncer àcertaines choses. Heureusement,pour en conquérir de plusimportantes. Même quand on s’aimetrès fort, qu’on est sûr de sessentiments, il faut accepter l’autredans sa totalité, et pas juste ce quinous a plu au départ et fait tomberamoureux. Et ça, c’est pas gagné.Quand on aime vraiment, il fauts’accrocher, ne pas baisser les bras.

Je le regarde en souriant, nesachant que répondre.

– Tu sais, ta mère et moi avonsconnu des turbulences.

Oh non, il ne va pas me parlerde ça quand même ? De sonhistoire avec l’actrice ?

– Je sais que tu m’en as voulu,que tu en as souffert, comme tamère, et même Nikki, qui ne s’estpas gênée pour me le reprocher. Etcrois-moi, je m’en suis vouluterriblement, de vous avoir fait dumal à toutes les trois.

Je suis au-delà de l’embarras…– John, c’est vieux tout ça, n’en

parlons plus…– S’il te plaît Grace, écoute-moi.

Tu es une adulte maintenant, il y ades choses que je peux te dire. Àl’époque, je n’ai pas su te parler, tuétais encore une enfant. Tu asentendu des choses que tu n’auraisjamais dû entendre, et tu m’en asvoulu. Après, il y a eu une distanceentre nous, et moi, je me sentais

tellement coupable… Tu veux bienentendre ce que j’ai à te dire ?

Ça a l’air d’être vraimentimportant pour lui…

J’acquiesce d’un signe de tête.– Ta mère et moi, nous étions

ensemble depuis pas si longtemps.Je la trouvais distante, j’avais peurqu’elle ne regrette Paris, qu’elle neregrette… ton père. J’ai été me fairerassurer dans les bras d’unestarlette qui n’attendait que ça. Tupenses, un producteur, même s’il a30 ans de plus, c’est toujours unebonne prise pour une débutante.Mais j’ai vite compris mon erreur, etj’ai tout dit à ta mère. Qui a compriset qui m’a pardonné. Parce qu’ellem’aime, et elle sait que je l’aime plusque tout. Et je sais que je l’aimeraitoute ma vie, dit-il d’une voix vibrantd’émotion.

Je suis très touchée : je vois qu’ilest sincère, et qu’il s’en veut pourcette histoire.

– Tu sais John, j’ai compris depuislongtemps. Évidemment, quandj’étais petite, cette histoire m’atouchée, surtout pour ma mère.Mais j’ai bien vu ensuite que tul’aimais, qu’elle était heureuse avectoi comme elle ne l’avait jamais été,même avec mon père. C’est difficileà accepter pour un enfant, maisc’était la réalité. Ça fait longtempsque je ne t’en veux plus.

Il se penche vers moi, unimmense sourire sur les lèvres, et ilme prend la main. Un instant je croisqu’il va me faire la bise, mais aprèsune hésitation, il n’en fait rien.

On se regarde, un peu gênés parce moment d’intimité.

– Si je te dis ça maintenant,

reprend John, c’est aussi parce queje me fais du souci pour toi. Tu t’esmariée jeune, et à ton âge, on esttout feu tout flamme, on n’a pastoujours la patience nécessaire pourconsolider un couple. Je ne connaispas encore ton mari mais si tul’aimes, c’est que c’est forcémentquelqu’un de bien.

Je baisse la tête, et je sais qu’enne disant rien, je valide sa théorieselon laquelle il y a bien de l’eaudans le gaz entre Caleb et moi.

– Tu as toujours été très lucidesur les gens, Grace, sur ce point-là,tu as toujours été plus mature quema petite Nikki…, soupire-t-il.

Je ne suis pas la seule dans lafamille à ne pas apprécier le choixde vie de Nikki. Je me souviens deleurs disputes quand elle a décidéde se lancer dans la téléréalité. Mais

Nikki était majeure, et plutôt que dese brouiller définitivement avec elle,son père a choisi de faire le dosrond. Vu sa tête, il désapprouvetoujours son choix.

– Ce que je veux te dire, continueJohn, c’est que vous passez peut-être un mauvais moment, ton mari ettoi, mais ça arrive à tout le monde,et on peut surmonter ça, comme tamère et moi. Tout le monde fait deserreurs. Si tu as du ressentimentcontre Caleb, il ne faut pas oublierpour autant les raisons pourlesquelles tu l’as épousé, pourlesquelles tu l’aimes.

Euh… les raisons pourlesquelles je l’ai épousé, mieux vautpeut-être les oublier. Mais c’est vraique je l’aime…

John et moi restons ainsi unmoment, main dans la main, dans

l’obscurité partielle et le silence de lanuit. Je suis émue par cetteconversation, touchée que John sefasse du souci pour moi. Ce n’estpas le genre d’homme à exprimerses émotions, et cette conversationn’en est que plus émouvante.

– Bon, je vais me coucher. Je suiscontente qu’on ait eu cetteconversation. Merci. Ne t’inquiètepas pour moi, ça va aller.

Je me lève de mon transat, et jel’embrasse sur sa joue barbue.

– Je te laisse à ton prochainsuccès, dis-je en montrant lescénario posé à ses pieds.

Je traverse la maison silencieusepour rejoindre ma chambre. Jem’allonge tout habillée sur mon lit.Deux personnes ont plaidé la causede Caleb ce soir, dont une qui leconnaît très bien, et après ça, je ne

vais pas trouver le sommeilfacilement. Je sens que ma colèrecontre lui s’estompe. Peut-être ai-jeété trop intransigeante.Effectivement, son cabinet et lui sontliés par des contrats qu’on ne peutbalayer d’un revers de main. MêmeSusie l’a défendu. Comment ai-je pum’arc-bouter ainsi, lui dire ceschoses affreuses ? L’accuser detous les maux, alors que je sais quedepuis le début de sa carrière, ildéfend les causes les plus noblesgratuitement ?

Je réalise que dans ma colère etmon entêtement à ne pas répondreà ses appels et ses messages, c’estaussi ma fierté qui a été à l’œuvre.Je lui ai avoué quand même quej’étais amoureuse de lui, ce n’est pasrien. Et cette déclaration l’a laissémuet. Je le revois encore, pétrifié.

Horrifié même, peut-être ? Siseulement, il m’avait dit… que luiaussi…

27. Devine quivient bruncher ?

– Madame, vous avez de la visite,vient annoncer Rosa, lagouvernante.

Maman, John et moi sommes entrain de prendre un brunch dans lejardin. La tête pleine de questions, jeme suis endormie tard hier soir, toutcomme John, qui a émergé vers10 heures, peu après moi. Il étaitd’excellente humeur, car le scénarioqu’il a lu hier soir est selon lui lemeilleur qu’il ait eu entre les mainsdepuis deux ans. Il a même appeléle scénariste au beau milieu de la

nuit pour lui dire que son studioachetait son histoire. Depuis sonréveil, il a déjà passé dix coups de filpour faire préparer le contrat,contacter des réalisateurssusceptibles de le tourner… Maman,qui était levée à l’aube pour soncours de yoga, était contente denous avoir tous les deux à la maison,et elle nous a préparé un brunchdont elle a le secret. Quant à Nikki,personne ne sait si elle est rentrée,en tout cas, elle n’a pour l’heuredonné aucun signe de vie.

– Oui Rosa, la personne s’estprésentée ?

– M. Caleb Montgomery.J’en laisse tomber ma fourchette.Oh mon Dieu, lui ici ?Maman se lève aussitôt de sa

chaise.– Mais bien sûr, Rosa, c’est le

mari de Grace, faites-le doncentrer…

Elle se tourne vers moi, les yeuxécarquillés, alors que mon cœur batla chamade :

– Tu n’étais pas au courant ?Je fais un oui de la tête (mais qui

veut bien évidemment dire non !)tandis que mon cerveau fonctionne àplein régime. J’ai le cœur qui bat àl’idée de le revoir, et si une partie demoi est folle de joie, l’autre ne peutoublier dans quelles conditions nousnous sommes quittés. Et pourcouronner le tout, il y a ma mère etmon beau-père qui m’observent et jene sais absolument pas commentréagir puisque ici j’ai essayé tantbien que mal (et plutôt mal) dedonner le change sur ma situationmaritale.

Je fais quoi maintenant ? Que

ferait une jeune mariée amoureusedont le mari débarque parsurprise ? Je vais le tuer !

Je me lève de ma chaise, lesjambes un peu tremblotantes, et jeme retourne : j’aperçois Caleb,pantalon de toile noire et chemiseblanche déboutonnée au col,lunettes de soleil, et je fondslittéralement. Le gendre idéal.

Je vais vraiment le tuer !J’ai le cœur qui bat fort tandis

qu’il s’approche, mais je restedebout appuyée à ma chaise, nesachant si mes jambes me porterontjusqu’à lui. Ma mère, en parfaitehôtesse, s’est avancée à sarencontre et ils se serrentchaleureusement la main.

– Enfin ! Je désespérais de vousvoir un jour, dit-elle.

– Je suis vraiment désolé,

madame Bolnick…– Appelez-moi Michelle– Michelle, je suis même honteux

de ne pas être venu me présenteravant. C’est inexcusable.

Après notre vrai-faux mariage,Caleb a tenu à parler à mes parents.Il les a appelés l’un après l’autre,mais il n’a jamais eu l’occasion deles rencontrer. À vrai dire, au début,c’est moi qui ai fait de la résistance,je ne voulais pas qu’ils s’attachent àlui pour apprendre ensuite que notreunion était le résultat d’un chantage.Je voulais qu’ils soient le moinspossible impliqués dans nosmensonges. Et puis, Caleb ne saitpas que mon père est au courant dela situation, et connaissant mon cherpapa, il aurait vendu la mèche assezrapidement s’il avait dû le rencontrer.Mais ces dernières semaines, l’idée

d’organiser une rencontre entreCaleb et mes parents m’a effleuréeplusieurs fois… avant la dispute.

J’observe Caleb faire sesexcuses à maman et je ne peuxréprimer un sourire : elle aussi nerésiste pas à son charme. Il a l’air sigêné ! John s’est levé pour le saluer.

– Je me suis dit que je ne pouvaispas laisser passer une occasionaussi belle de faire votreconnaissance, dit Caleb, qui n’enmène pas large. Et puis Grace memanquait trop, poursuit-il en setournant vers moi.

Mon cœur palpite tandis que je levois s’avancer lentement vers moi.Le temps se suspend tandis que sesyeux me fixent de la plus craquantedes façons, j’ai peur que mon cœurne lâche devant tant d’émotionscontradictoires. Il tourne le dos à ma

mère et à John, je suis seule à voirson visage maintenant, et malgréson apparente détermination, je lisdans son regard une certaineinquiétude.

En quelques pas, il est devantmoi. Il me scrute de ses yeux bleus,comme s’il cherchait dans monregard mon assentiment. Je voisqu’il est inquiet de ma réaction. Moi,je ne sais plus où j’en suis : je suistoujours en colère contre lui, maisfolle de joie qu’il soit là !

Caleb se penche vers moi et medonne un baiser furtif, mais sidoux… Au moment précis où seslèvres se posent sur les miennes,j’oublie toutes mes rancœurs, unsentiment indescriptible s’installe enmoi, entre l’amour pur, une affectionsans pareille, un vague sentiment derévolte aussi (contre moi, contre lui)

… Caleb est près de moi, et c’esttout ce qui compte. On reste uninstant à se dévorer des yeux. Jesens le contact de sa main sur mataille à travers le fin tissu, et c’estcomme une brûlure sur ma peau. Leparfum de sa peau me donne desenvies de me jeter dans ses bras,de l’embrasser à perdre haleine.

Mais nous ne sommes passeuls…

Je réalise soudain que John et mamère ont les yeux posés sur nous, etje m’écarte doucement de Caleb, lesjambes un peu vacillantes.

– Caleb, vous avez mangé ? J’aifait des pancakes, du pain perdu, çavous dit ? demande maman.

– Mais oui, ça a l’air délicieux, dit-il en se raclant la gorge.

Je reprends place sur ma chaisetandis qu’il s’installe sur celle à côté

de moi. Il pose sa main sur mongenou et une délicieuse chaleur serépand dans mon corps, je ne peuxm’empêcher de lui sourire…

Caleb attaque son pain perduavec appétit, mais moi, j’ai l’estomacnoué. J’éprouve des sentimentsmélangés : je suis heureuse de levoir mais je sais que dès que nousserons seuls, nous devrons avoir uneexplication. Et par-dessus tout, jesuis émue de présenter Caleb à mamère et mon beau-père : ça rendnotre mariage tellement… vrai !C’est une drôle de sensation, que jen’avais pas anticipée…

Je les écoute bavarder tous lestrois, faire connaissance. Je voisque ma mère apprécie Caleb, c’estvrai qu’il est si charmant. Et si beau.Il se tourne souvent vers moi, etchaque fois, je sens un élancement

dans tout mon cœur. Je m’en veuxmais c’est comme ça : j’ai envie delui ! Là, en plein brunch familial,tandis qu’ils échangent despolitesses, moi tout ce que je veux,c’est lui sauter dessus !

J’avale un verre de jus d’orangepressée, histoire de chasser cesidées déplacées.

Voir Caleb deviser gaiement avecma mère me ravit, mais je me sensaussi de plus en plus coupable :c’était déjà dur de cacher la véritésur ce mariage à maman, mais là, àla voir me lancer des regardscomplices pour me montrer qu’elleapprouve mon choix, ça devientinsupportable.

– Mais on a de la visite ! Etpersonne ne me dit rien ?

Je me retourne pour découvrirNikki, en trikini doré, montée sur des

tongs à plates-formes.Elle est incorrigible. Elle joue la

surprise… mais elle veut quandmême pas nous faire croire qu’ellea dormi en maillot de bain ?

Poliment, Caleb s’est levé detable pour la saluer ; je croise leregard blasé de John, tandis quemaman a l’air amusée.

– Caleb, bonjour, je suis Nikki, dit-elle avec un sourire radieux.

Ta gueule, Nikki.– C’est cool d’être passé nous

voir, dit-elle en s’asseyant en facede lui.

– Depuis quand tu te maquilles aupetit déj’ ? lui lance son père.

Il s’interrompt devant le regardréprobateur de maman, qui n’aimepas quand il se moque de sa fille.

C’est vrai qu’on a du mal à croireque Nikki sort de son lit, avec son

rouge à lèvres rouge vif et son blush.Elle a certainement entendu Caleb,et elle lui fait le show. Mais loin deme choquer, ou de m’agacer, çam’amuse, tout comme cela sembleamuser Caleb, qui la regarde avecsympathie.

– Alors Caleb, tu t’ennuyais denotre petite Grace ? lui lance Nikki,ignorant superbement son père.

– Absolument, répond Caleb enpressant ma cuisse sous la table.

– Eh ben, t’as bien fait de venir,parce que tu lui manquais aussi.Depuis qu’elle est là, elle sepromène avec une mine de chienbattu…

Je baisse la tête, agacée par laboutade de Nikki et le regard amusé(et heureux) de Caleb.

Et moi qui croyais avoir donné lechange. Y a-t-il une personne dans

cette maison qui s’est aperçue derien ? Même pas Rosa ?

– Et comment va le sénateur ?continue Nikki. S’il est choisi commecandidat du parti, tu peux lui dire quej’appellerai à voter pour lui…

Caleb la remercie, tandis que jecroise le regard effaré de John.

– J’ai préparé une salade defruits, je vais la chercher, dit mamère en se levant de table.

Je me lève pour la suivre dans lacuisine. Dès que l’on est hors deportée de voix, je l’attrape par lebras.

– Maman, il faut que je te parle.Elle me dévisage, et son sourire

s’efface :– Qu’y a-t-il, Grace ? me dit-elle,

surprise par mon ton sérieux.Je prends mon courage à deux

mains :

– Il faut que je te dise. Je ne peuxplus continuer à te mentir comme ça.

Là, elle est carrément inquiète.– Mais qu’est-ce qu’il y a ? lance-

t-elle, alarmée.Alors, je lui dis tout. La rencontre

avec Caleb à Las Vegas, notremariage alors que j’étais ivre, NoahGrumberg, le contrat et même notreengueulade au sujet du centre deSusie…

Maman est comme frappée par lafoudre. Elle met quelques minutesavant de retrouver la parole.

– Mais Grace… comment as-tupu me faire ça ?

Je sens qu’elle est sous le choc,et blessée.

– Maman, pardonne-moi, dis-jed’une petite voix, mais je ne pouvaispas te mettre au courant.

– Mais tu l’as dit à ton père, dit-

elle, visiblement vexée.– Mais il vit à des milliers de

kilomètres.Elle me regarde longuement, et je

vois bien qu’elle est blessée, maiselle se retient de me faire desreproches.

– OK, laissons cela, ce n’est pasle plus important. L’important, c’estvous deux. Tu es amoureuse de luimalgré tout, n’est-ce pas ?

Je ne réponds pas, mais monsilence est un aveu.

– Tu n’as pas besoin de parler, tusais. Ça se voit. Tu as tellementchangé… Tu es tellement plusféminine, plus sûre de toi, ça je l’aivu tout de suite malgré ton petit airtriste de ces derniers jours. Il n’yavait que l’amour d’un homme pourte changer comme ça. Ma petite fillechérie, mon garçon manqué, est

devenue une femme depuis ladernière fois qu’on s’est vues, dit-elle en me contemplant avec amour.Et puis j’ai vu ton regard, quand il adébarqué. Et si tu es amoureuse delui, il l’est de toi, ça saute aux yeux.

Je secoue la tête, dubitative.– Et pourquoi sinon se serait-il

donné la peine de venir jusqu’ici ?ajoute ma mère d’une voix attendrie.

– Tu crois ? dis-je, pleine d’espoir.Maman éclate de rire.– Il suffit de voir comment il te

regarde. Il te mange des yeux. Et ila eu le courage de venir jusqu’ici,après tout ce que tu lui as dit. Çam’étonnerait que ce soit pourrompre…, dit-elle en me caressantles cheveux.

Je niche ma tête dans sonépaule, le nez dans ses longscheveux.

– Si tu savais comme ça a été durpour moi de te mentir ! Je m’envoulais tellement. Cent fois j’ai voulutout de dire.

– C’est bon, Grace, murmure mamère à mon oreille. Je ne t’en veuxpas. Je comprends, tu le devaispour Théo.

Elle reprend après une pause, surun ton plus léger :

– Et puis, tu ne m’as pas tantmenti que ça…

Son ton m’intrigue et je meredresse pour la regarder.

– Tu aimes Caleb et vous êteslégalement mariés. Où est lemensonge ? me demande-t-elle,amusée.

28. Pour de vrai– Tu me montres ta chambre,

Grace ?Nous avons terminé de bruncher

et apparemment, tout comme moi,Caleb a hâte que l’on se retrouve entête-à-tête.

La tension qui a grandi entre nousdepuis le moment où il a mis lespieds dans la maison de mesparents est presque palpablemaintenant.

Je me mords la lèvre, presqueinvolontairement. Des images de sesmains, de ses lèvres passent devantmes yeux.

Putain.Je l’emmène à l’étage, en le

tenant par la main, jusqu’à machambre où la porte à peinerefermée, nous nous jetons dans lesbras l’un de l’autre. Je n’ai penséqu’à ça pendant tout le repas : sentirsa peau contre la mienne, le dévorerde baisers, me retrouver prisonnièrede ses bras.

Caleb prend mes lèvres avecpassion, me serrant fort contre lui.

Soudain, il s’écarte un peu demoi, et plonge ses yeux bleus dansles miens.

– Grace, je t’en prie, pardonne-moi, dit-il d’une voix grave. J’ai étécon. Je n’aurais pas dû te laisserpartir comme ça. Pas après ce quetu m’as dit, dit-il d’une voix rauque.

Je reste dans ses bras, interdite.Il fait référence à quoi ? La partie

où je lui ai dit que c’était un saletype, un cynique ? Ou celle où je

disais que j’étais amoureuse delui ?

– Grace, j’étais sous le choc, dit-il, visiblement encore bouleversé. Jesais que tu étais en colère contremoi, et je le comprends, mais quandtu m’as dit que tu étais… que tum’…

Il n’ose pas prononcer les mots,et moi-même, je rougis en pensant àma déclaration d’amour.

Mais qu’est-ce qui m’a pris de luidire que je l’aimais… Et si lui neressentait rien ? S’il était venu medire qu’il était navré d’apprendreque j’avais des sentiments pour luicar ce n’était pas partagé, que jedevais honorer mon contrat malgrétout, que, que…

Je panique.– Putain, Grace, tu comprends

pas que… que je t’aime !

Un instant mon cœur loupe unbattement.

Oh my God. Répète-le !– Grace, reprend-il plus

doucement, je t’aime.Je n’ai pas rêvé, c’est bien ce

qu’il a dit…Une onde de joie me parcourt le

corps tandis qu’un sourire sedessine sur mon visage, presque àm’en faire mal. Je lève la tête verslui, cherchant ses yeux dans lesquelsje trouve la confirmation quej’espérais.

Et comme s’il avait peur que je nedoute encore, il me donne un baiserplein de passion. Je suis ivre debonheur, j’ai les jambes quichancellent et la tête qui tourne.

– Pourquoi tu ne m’as rien ditavant ? dis-je enfin.

– J’aurais voulu, j’aurais dû courir

après toi quand tu es partie. Tu medis que tu m’aimes, et en mêmetemps, que tu ne veux plus jamaisme revoir… Quand tu es partie, jen’en ai pas dormi de la nuit. Je nesavais pas comment réagir. C’estnouveau pour moi, Grace. Je… je nedis pas ce genre de chose à tout lemonde… je ne le dis à personned’ailleurs, se reprend-il dans unsourire. Je t’aime, c’est tout, c’estcomme ça.

Je me blottis contre lui, je suisd’accord avec ses explications, il n’ya rien à dire, c’est comme ça…, et ilresserre encore son étreinte.

Il se penche vers moi etm’embrasse avec fougue.

– Mon amour… Ma Grace…– Tu aurais pu venir avant…, dis-

je en faisant une petite grimace.Il sourit :

– Non mais tu te souviens commetu étais en colère ? En plus tu nerépondais pas à mes messages…Mais hier soir j’ai craqué, je me suisdécidé, quitte à ce que tu me mettesà la porte, de toute façon je n’avaisrien à perdre. Ou ta mère. D’ailleurs,en débarquant, je ne pensais pas tetrouver ici, je croyais que tu avais unshooting…

– Il a été reporté.– Tant mieux, dit-il en déposant un

baiser sur mes lèvres.On reste un instant blottis l’un

contre l’heure. Je respire son parfumchéri, un sourire béat sur les lèvres.Puis, une pensée me vient, et jerelève la tête pour le regarder :

– Tu sais que tu m’aimes depuisquand ? dis-je, intriguée.

– En fait, je crois que je t’ai aiméetout de suite, dans cet ascenseur

avec ta petite robe ridicule, dit-il ensouriant. Tu étais si charmante, onvoyait bien que tu n’avais pasl’habitude de porter ça, et pourtant,tu as fait ta bravache. Tu m’asenvoyé valser ! J’avais envie de rireet de t’embrasser à la fois…

– J’avais tellement honte ! Enplus, tu me plaisais, j’enrageais dete rencontrer dans cette tenue qui neme ressemblait pas du tout.

Caleb éclate de rire.– Peut-être qu’on ne se serait pas

parlé sans elle. On peut remercierNikki et son mauvais goût !

– Tu sais, dis-je pensive, David ditaussi que même ivre, si je n’avaispas ressenti quelque chose pour toi,je n’aurais jamais accepté det’épouser. Et plus j’y pense, plus jeme dis que c’est vrai. C’est tellementpas mon genre de faire ça… Je n’en

reviens pas de toutes lescoïncidences qui nous ont jetés dansles bras l’un de l’autre. Ce mariage àLas Vegas, la robe, l’ascenseur, lafuite sur la cérémonie, Noah et sonchantage…

– Tu sais, je lui ai passé un savonde t’avoir fait chanter, mais en mêmetemps, intérieurement, je l’ai béni.Grâce à lui, j’ai pu te garder près demoi, et te prouver que je n’étais pasle grand méchant loup que tupensais.

– Hum, ça je n’en suis pas sisûre, dis-je en plaisantant.

Je n’ai pas terminé ma phraseque me revient en tête la raison pourlaquelle j’avais décidé de rompreavec Caleb avant de venir à LosAngeles. Caleb a dû lui aussi faire lamême association d’idées.

– Écoute, pour Susie, dit-il

doucement, j’ai pensé à un collèguequi a l’habitude de ce genre dedossier, il pourrait la conseiller. Et jet’assure que c’est un bon, si je doisl’affronter, il ne me fera pas decadeau. Avant ça, je ferai monpossible pour trouver unarrangement pour les deux parties.

– Ne t’inquiète pas de ça, Susie adéjà un avocat, dis-je rapidement,réticente à l’idée d’aborder ce sujet.

– Bon, ne parlons plus de ça, ditCaleb qui a compris ma réserve.Mais je veux que tu saches que j’aibeaucoup réfléchi à ce que tu m’asdit. Je ne pense pas être cynique…

Je mets une main sur sa bouchepour l’arrêter, horrifiée au souvenirde toutes les vacheries que je lui aibalancées, mais il l’écarte etcontinue :

– … Mais c’est vrai que je suis

amené parfois, dans l’intérêt de mesclients, à prendre des décisions quite paraîtront dures, ou inhumaines.Cela n’a rien à voir avec nous deux,et ça ne doit pas s’immiscer entrenous. C’est le métier qui veut ça. J’aichoisi de défendre les gens, maisceux qui ont besoin d’être défendusne sont pas toujours innocents, oudéfavorisés.

– Je sais Caleb, dis-je d’unepetite voix.

– Mais je te promets que j’exercemes fonctions en faisant tout pourrespecter la partie adverse…lorsqu’elle est respectable bienentendu. Je ne suis pas un monstre,Grace…

– Je ne peux pas aimer unmonstre, murmuré-je, encore toutegênée d’évoquer mes sentimentspour Caleb devant lui.

Il m’embrasse de nouveau,encore et encore, à me faire tournerla tête.

– J’ai très envie de t’amenerjusqu’au lit, dit-il en regardantderrière mon dos.

Je ris :– En plein milieu de la journée,

avec mes parents et Nikki en bas,qui doivent se demander ce qu’onfait ?

– Je crois qu’ils ne se ledemandent plus, depuis le tempsqu’on est montés, me dit Caleb avecun sourire malicieux.

Je sens que je deviens rougecomme une pivoine.

C’est la première fois quej’emmène un « garçon » sous le toitfamilial, et je me sens comme uneadolescente censée réviser sesdevoirs dans sa chambre avec son

copain, mais occupée à des jeuxinavouables…

Caleb a compris ma gêne.– Puisque tu es libre aujourd’hui,

si on en profitait pour faire une petiteescapade avant de rentrer tous lesdeux à New York demain ? On feraitla paix… entre autres, ajoute-t-il d’unton chargé de sous-entendus. Tiens,on pourrait aller à quelqueskilomètres d’ici, à Santa Barbara, aubord de l’océan. Je connais en hôtelqui pourrait te plaire.

– C’est là que tu emmènes tesconquêtes sur la côte Ouest ? dis-jeen plaisantant, essayant de cacherderrière mon sourire une pointe dejalousie rétroactive dont je ne suispas très fière.

Il rit :– Non, je suis venu rejoindre mes

parents, qui y ont passé des

vacances il y a quelques années…J’aime mieux ça…La perspective de me retrouver

seule avec Caleb, dans un endroitromantique au bord du Pacifique, meséduit tout à fait. Ce sera notrepremière escapade en amoureux !

– Le soleil, la mer, toi…J’adorel’idée, dis-je en l’attirant à moi pourl’embrasser.

***Après avoir remercié maman et

John pour leur accueil, Caleb leur aannoncé qu’il m’emmenait à SantaBarbara jusqu’au lendemain. Ils ontéchangé un regard de connivencequi ne m’a pas échappé.

J’ai réuni quelques affaires etnous avons sauté dans le cabrioletdécapotable loué par Caleb àl’aéroport, et hop, direction SantaBarbara.

Le soleil brille de tous ses feux, ildoit faire pas loin de 30 degrés etc’est avec bonheur que je sens levent jouer avec mes cheveuxdétachés. La robe légère et fleurieque j’ai revêtue avant de partirvolette sur mes cuisses, attirant leregard – et les mains – de Caleb. Jeme laisse faire en souriant tandisqu’il caresse ma peau.

– Je n’en reviens pas que tu aiesabandonné ton cabinet pour moi,lancé-je.

– Je n’en reviens pas moi-même,dit Caleb en riant. Et j’ai cru queStacy allait faire une attaque.

Il me prend la main et l’embrasse.– J’ai eu peur, tu sais, dit-il

soudain sérieux. Quand j’ai comprisque tu ne répondrais à aucun demes messages, j’ai bien cru que jene te reverrais jamais.

– J’étais fâchée, mais j’étaismalheureuse sans toi. D’ailleurs, toutle monde s’en est aperçu. MêmeJohn, qui a toujours la tête dans sesproductions.

– On va faire en sorte que çan’arrive plus, mon amour. On estdifférents, on n’est pas toujoursd’accord, mais on s’aime. Et c’est çaqui passe avant tout.

La voiture s’arrête à un feu et j’enprofite pour l’attraper par le cou etl’embrasser.

Je crois que je ne pourrais pasêtre plus heureuse. Je ne me lassepas d’entendre Caleb dire qu’ilm’aime. J’ai attendu ce moment silongtemps, je n’en reviens pas desavoir que mes sentiments sontpartagés. Et si je devais en douter,pour me rassurer je n’ai qu’àregarder Caleb, assis à côté de moi,

radieux, ses cheveux noirs décoifféspar la vitesse et la chemisedéboutonnée, alors qu’il devrait êtredans un prétoire en train de plaideren costume strict et cravate.

Après moins de deux heures deroute, nous arrivons à l’hôtel.

– Waouh… fais-je en descendantde la voiture dont Caleb a donné lesclés au voiturier. Je me doutais bienque ta mère n’était pas du genre àfréquenter les auberges dejeunesse, mais là…

The Biltmore est superbe. Il estcomposé de plusieurs bâtiments basde style colonial espagnol nichésdans de grands jardins en bordured’océan, mais adossé à desmontagnes. C’est le luxe à lacalifornienne, à la fois sophistiqué etdécontracté. Le genre d’endroit quifait rêver.

– On peut aller ailleurs, si ça nete plaît pas, me dit Caleb trèssérieusement.

– Oh non, ça ira très bien, jeplaisantais ! dis-je en riant. Je sensqu’on va être très bien dans cecocon, juste tous les deux.

Il me prend par la main et nousentrons dans l’établissement. Caleba appelé sur la route pour réserver,et on nous conduit à travers lespetits chemins de la propriétéjusqu’à notre suite. Un délicieuxappartement à la déco chaleureuse,avec une chambre dont les portes-fenêtres ouvrent sur la végétationluxuriante, et un séjour pourvu d’unpatio donnant sur le Pacifique.

– Et si on allait se baigner ? dis-je, tout excitée.

– Tu préférerais pas que l’onreste ici ? dit Caleb en me prenant

par la taille.Je ris et dépose un bref baiser

sur ses lèvres.– On a tout le temps devant nous.

Viens, on va se promener, dis-je enle prenant par la main.

Nous descendons sur la plage quilonge l’hôtel, bordée de palmiers.Heureusement, maman a pensé àme prêter un chapeau, car le soleiltape fort. Comme je me sens loin deNew York, de sa pluie et de lafraîcheur printanière… Ici, c’est belet bien déjà l’été, et quelques clientsde l’hôtel ont préféré les vagues del’océan aux deux piscines del’établissement. J’ai envisagé demonter récupérer un maillot dansmon bagage, mais j’ai abandonnél’idée et j’ai reporté mon projet debaignade à demain.

J’ai apporté mon appareil photo

avec moi, et je mitraille Caleb, qui ritde me voir m’agiter autour de lui.Depuis que nous sommes ensemble,j’ai fait peu de photos de lui. Je lui enai volé certaines dernièrement,lorsqu’il dormait après l’amour, il m’alaissé faire une ou deux fois aussi,mais il n’était pas très à l’aise. Moi-même, je ne me sentais pas« autorisée » à le prendre en photo,même si j’en avais très envie. Notrerelation a été si particulière depuisses débuts… Nous avons dû cacher,et même à nous-mêmes, ce quenous ressentions l’un pour l’autre. Ona mis du temps à s’avouer nossentiments, il y a eu beaucoup denon-dits, et pendant longtemps, nousétions officiellement « ensemble »par le lien d’un contrat, avec unedate de fin de surcroît. Commentaurais-je pu demander à un homme

que j’étais censée ne pas aimer, etmême ne plus revoir à l’issue de ce« contrat », de poser pour moi ?Ç’aurait été qui sur la photo ?L’homme avec qui j’ai été mariéequelques mois pour de faux ?

Aujourd’hui, je sais qui estl’homme qui cache en riant sonvisage sur l’écran de mon appareil,ou qui me regarde avec ce sourirequi me fait fondre : c’est l’homme dema vie, et il m’aime, mon amant,mon amour.

L’après-midi se termine et nousnous sommes installés à la terrassecarrelée du bar qui surplombel’océan pour prendre un apéritif.Plutôt que du coucher du soleil, c’estdu visage de Caleb que je ne peuxdétacher mes yeux : il est si beau, etil a l’air si heureux ; il me couve deses yeux brillants, et j’ai une envie

de plus en plus irrésistible d’avoir denouveau sa peau contre la mienne.J’ai détaché une de mes sandales etje caresse du pied sa peau à lalimite de son pantalon de toileretroussé. Je ne sais si c’est l’alcoolde son cocktail ou ce contact, maisle regard de Caleb se trouble.

– Au fait, dis-je. J’ai une bonnenouvelle. Tu sais, on avait parlé defaire « le » test ? Je l’ai fait. Tout vabien et je suis sous pilule. Donc, sitoi tu l’as fait aussi…

– J’ai eu mes résultats aussi,sourit-il, tout va bien.

On se regarde, ravis : on va enfinpouvoir faire l’amour sanspréservatif. Outre le fait que c’est(encore) plus agréable, ça revêtselon moi une importanceparticulière, car c’est aussi lesymbole d’un engagement, la

reconnaissance d’une relationexclusive.

Il attrape ma main et se penchepar-dessus la table :

– Tu veux dîner maintenant ?Sans répondre, je secoue la tête,

souriant d’un air suggestif.– Et si on retournait dans notre

chambre ? dit-il d’une voix rauque.Je le regarde avec un sourire en

coin, et porte mon verre de vin blancà mes lèvres pour en avaler lesdernières gouttes. Puis je murmure :

– Le plus vite possible.C’est dans une semi-pénombre

que nous traversons main dans lamain les jardins qui mènent à notresuite, à travers les jardinsmagnifiquement entretenus del’établissement. Alors que noussommes presque arrivés, Caleb meprend par la taille et me colle contre

un arbre.Il prend mes lèvres, s’y attarde

longuement avant de faire promenerses mains sur mon corps. J’entoureson cou de mes mains et je répondsà son baiser, hors d’haleine, tandisqu’une de ses mains vient mecaresser un sein. Soudain, je sensqu’il remonte ma robe et tire sur maculotte.

– Non, Caleb, non, dis-je enessayant de retenir mon sous-vêtement.

Mais avant que je puisseréellement réagir, le bout de tissu gîtdéjà à mes pieds et sa main caressemon sexe humide.

– Mais… on va nous voir, dis-jeen gémissant contre sa bouche.

– Il n’y a personne, répond-ild’une voix pleine de tension.

Tout en léchant ma langue, il

introduit un doigt dans mon antre,frottant de sa paume mon clitoris quiirradie.

– Oh, mon Dieu, Caleb… Non,dis-je, sans trouver le courage de lerepousser, déjà prise par le plaisir.

– Si quelqu’un passe, il ne verraqu’un couple en train des’embrasser, me glisse-t-il, sansinterrompre ses caresses. Et cen’est pas interdit, non ?

Je n’ai vraiment pas le cœur àrésister. Je presse mon sexe contresa main, totalement excitée, et jel’embrasse de plus belle. Le plaisirest plus fort que la pudeur ou la peurd’être surprise. Ses doigts expertsme font perdre la tête, et je nem’appartiens plus ; ils m’amènentavec une rapidité fulgurante à unorgasme qui me laisse toutepantelante dans les bras de Caleb.

Une fois éteint l’écho de ce plaisirintense, je suis prise d’un fou rire.Dans la semi-pénombre, je distinguele regard surpris de Caleb.

– Tu es fou, mon amour ! Et moiencore plus folle. On est juste à côtéde la chambre, on aurait puattendre…

– Oh, mais ne t’en fais pas, cen’est pas fini, dit Caleb avec unsourire malicieux. Je le vois alorsmettre ma culotte dans sa poche, etil m’entraîne vers la suite.

Nous sommes à peine entrés quenous nous trouvons renversés,enlacés sur le canapé fleuri, àéchanger des baisers passionnés.Soudain, il se lève et envoie valserses vêtements pour se retrouverbientôt entièrement nu devant moi.La vue de son long et beau corpsm’excite de nouveau. Je m’agenouille

sur le canapé et je l’attrape pour lerapprocher de moi. Je pose meslèvres brûlantes sur son torsepuissant et son ventre dur surlesquels ses abdos se dessinentcomme dans du marbre. Caleb mecaresse les cheveux tandis que mabouche effleure sa peau douce. Jedescends un peu plus bas… un peuplus bas…

Voir son sexe dressé m’émeuttoujours, il incarne la puissance deson désir pour moi. Je frôle sa vergede mes lèvres, tout en caressantses fesses musclées. Caleb gémitdoucement. N’y tenant plus,j’empoigne son pénis que je metsdans ma bouche avant de le sucercomme un Esquimau. Caleb melaisse faire, savourant le plaisir queje lui donne, mais soudain, il se retireet me bascule sur le canapé. J’ai

encore ma robe, mais plus deculotte et il a vite fait de relever lebout de tissu pour s’introduire entremes jambes. Sa verge pénètre sansdifficulté dans mon sexe humide ; ils’immobilise :

– C’est tellement bon d’être entoi, de sentir l’intérieur de toi.

Et de fait, j’ai toujours pris duplaisir, et beaucoup, à faire l’amouravec Caleb, mais c’est uneimpression nouvelle (et encore plusagréable) que d’avoir son sexe enmoi sans le rempart de caoutchouc.

Les lèvres soudées aux miennes,il commence un lent va-et-vient. Jem’accroche à lui, tous mes sens enéveil. Son odeur mêlée de sueur sefait plus forte et m’enivre, mes mainscaressent son dos, se régalent de ladouceur de sa peau et de la fermetéde ses fesses qui se lèvent et

s’abaissent dans un rythme de plusen plus rapide.

Le regard de Caleb, plongé dansle mien, se trouble et je comprendsqu’il va jouir. Je réponds à soninterrogation muette par un sourire,et je me laisse enfin aller au plaisirqui frappe à ma porte depuisquelques minutes. Le spasme meprend avec violence, m’arrachant uncri qui fait écho à celui de Caleb,dont le corps se raidit dans uneultime secousse.

Nous restons ainsi enlacés unmoment. J’effleure de mes doigts ledos moite de Caleb, dont larespiration commence à s’apaiser.Je profite de ce merveilleuxsentiment de plénitude qui suit ledéchaînement des sens.

On reste blottis ainsi de longuesminutes, ponctuées de doux baisers

et de légères caresses.Il fait très chaud dans la chambre,

et j’ai envie d’un peu de fraîcheur.Caleb semble endormi. J’essaie deme dégager, mais il ouvre les yeuxet me lance un regard interrogateur.

– Attends, mon amour, je vaisprendre une douche.

– Sans moi ? fait-il, mais ils’écarte doucement pour me laisserpartir.

Je me glisse avec plaisir sous ladouche de pluie qui donnel’impression d’être prise dans unorage tropical. J’apprécie ladélicieuse sensation sur ma peau.

– Tu me fais une place ?Je souris à Caleb qui vient de

pénétrer dans la cabine de douche.Il me prend dans ses bras etm’embrasse langoureusement.

– Je t’aime, me murmure-t-il à

l’oreille.Je souris et l’enlace :– Encore !– Je t’aime, Grace, mon amour,

dit-il en me regardant de ses yeuxmalicieux et heureux.

Je l’attire à moi, prenant seslèvres avec volupté.

– Laisse-moi te laver, me proposeCaleb, et il me met dos à lui pour mesavonner.

Je sens ses mains qui caressentmon corps glissant, de ma nuque àmes fesses, sur lesquelles il sepenche pour déposer un baiser. Ilme tourne ensuite face à lui, et sesmains s’attardent sur mes seins,puis sur mon sexe, et malgrél’orgasme encore proche, je ne suispas insensible à ses attouchementspas si innocents. Il me fait lever unpied, puis l’autre, embrassant mes

orteils et m’arrachant un rire joyeux.À mon tour, je veux explorer soncorps adoré, et je savonne monamant qui se laisse faire sansprotester. Puis on reste un instantenlacés et ruisselants sous le jetdélassant et délicieusement tiède.

Nous finissons par nous arracherà l’eau pour enfiler de moelleuxpeignoirs de bain blancs.

Je réalise alors que nos ébatsm’ont ouvert l’appétit.

– Et si on grignotait quelquechose ?

– Tu veux aller au resto ? Il paraîtqu’il est très bon…

– Non, restons là plutôt, rien quetous les deux, dis-je en l’enlaçant.

– Alors, room service, répond-il.Et il me soulève pour m’emporter

dans ses bras, comme si je nepesais pas plus lourd qu’une plume,

tandis que j’ai à peine le tempsd’accrocher mes bras à son cou.

Nous nous installons dans le salonoù je plonge le nez dans la carte etchoisis un burger de viande Angusavec des frites de patates douces,et Caleb du saumon aux asperges.Je le laisse choisir le vin, mais jecraque sur le gâteau au chocolat.

Le service est rapide et noussommes bientôt installés devant nosplats qu’on a fait déposer sur latable basse. L’air de la mer etl’amour m’ont donné faim et jedévore comme un ogre, sous l’œilravi de Caleb.

– Je me demande comment tupeux mettre tout ça dans ton jolipetit corps…

– Ça, je ne serai jamais du genreà me contenter d’une salade pour lajournée, dis-je en prenant une

grosse bouchée de gâteau auchocolat surmonté de crème. J’ai vuma mère se priver pendant presquetoute sa vie, et c’est vraiment paspour moi. Même si je prends troistailles de sous-vêtements.Remarque, ça serait peut-être pasmal ; je n’ai pas beaucoup de seins.Tu préférerais pas qu’ils soient plusgros ? dis-je soudain un peuinquiète.

Ce genre d’interrogation ne m’ajamais effleurée avant. On ne peutpas dire que je me souciaisbeaucoup de mon corps, et encoremoins du regard de mes (rares)petits amis dessus. Mais maintenantque Caleb est entré dans ma vie, maperception des choses a changé.

Caleb me regarde en fronçant lessourcils :

– Hum… Ouvre un peu ton

peignoir, que je voie ça…Je retiens avec peine un sourire

et j’entrebâille le haut du peignoirpour dévoiler mes seins.

– Hum… c’est vrai qu’ils sontpetits, dit-il d’un air sérieux.

J’éclate de rire et je prends unede mes frites abandonnées etrefroidies pour la lui jeter au visage.

Il se met à rire aussi, se lève etvient s’agenouiller devant moi, satête sur ma poitrine :

– Mais non, ils sont parfaits tesseins, je les adore, dit-il en lesembrassant.

Puis il se redresse et me regarded’un air malicieux :

– Mais… fais voir tes fesses ?Il essaie de passer ses mains

sous mon peignoir et je me débatsen gloussant, avant de le repousseret de me lever d’un bond du canapé

pour fuir sur la terrasse. Dans lalutte, la ceinture de mon peignoirs’est défaite et a glissé sur le sol.

La nuit est tombée maintenant. Lacôte est ponctuée de petiteslumières au loin, et avec la lune, cesont les seules sources de lumièresur ce patio qui est resté dansl’ombre. Je regarde l’océan quimiroite sous les étoiles, j’emplis mespoumons de son bon air iodé.

Caleb, qui m’a suivie, m’enlacepar-derrière. Il embrasse ma nuque,glisse son nez dans mon cou. Je meretourne pour échanger un longbaiser au goût de sel, et jem’aperçois qu’il est entièrement nu.

Mes sens sont déjà toutémoustillés tandis que ses mainsemprisonnent mes seins. Je le laissecaresser mes pointes dures,savourant ce délicieux attouchement,

le regard plongé dans le Pacifique.Une de ses mains se détache de

ma poitrine et vient soulever monpeignoir par-derrière. Il se colle àmoi et je sens son sexe de nouveauraide, chaud contre mes fesses. Jeme cambre un peu tandis qu’ilpromène sa verge sur ma peau,avant de l’enfoncer dans ma fente.Le regard perdu sur l’horizon qui sedémarque à peine du ciel, je meconcentre sur les sensations que meprocure son sexe qui pénètre le mienpar des saccades de plus en plusmarquées. La brise s’engouffre dansmon peignoir ouvert, rafraîchissant àpeine mon corps dévoré par le feudu désir.

Le petit muret du patio est tropbas pour que je puisse prendreappui dessus. On ne va pas pouvoircontinuer ce petit jeu dans cette

position un peu inconfortable. Calebl’a compris, il se retire. Je me tournevers lui et je laisse tomber monpeignoir pour me retrouverentièrement nue. Le patio estprotégé et plongé dans lapénombre, nul ne peut nous voir.

Je pousse Caleb jusqu’à untransat vert où il se laisse tomber.Je m’accroupis pour le chevaucher. Ilme saisit par la taille et presse meshanches contre lui. Lentement, jevais et je viens sur son sexe, lesreins cambrés, la tête rejetée enarrière.

– Plus vite…, murmure Calebdans le noir.

J’accélère le mouvement, tandisque ses mains s’agrippent à mesfesses. Mes mains se crispent sursa poitrine moite. Le plaisir montecomme un cheval au galop.

J’entends mes propres halètementsdans l’obscurité, tandis que Calebs’arc-boute pour s’enfoncer plusprofondément en moi. Mon corps esttraversé d’un éclair de jouissance etje me raidis, avant de retomber,comblée, contre Caleb.

29. L’un contrel’autre ?

J’émerge lentement du sommeil.Avant même d’ouvrir les yeux,j’entends le chant des oiseaux qui semêle à la respiration de Caleb,encore endormi près de moi. Blottiecontre lui, je savoure cet instantmagique, je me sens si heureuse, sisereine…

Je sais que Caleb m’aimedésormais, et rien ne sera plusjamais pareil.

Je souris en pensant que moi quidétestais Los Angeles, elle resteradésormais pour toujours liée à l’un

des plus beaux souvenirs de ma vie :la déclaration d’amour de Caleb.C’est sûr, je ne verrai plus jamaiscette ville de la même façon.

Et puis la Californie en général ade bons côtés finalement. Cetendroit, par exemple, estmagnifique. Quel bonheur de pouvoirse réveiller avec le chant desoiseaux, et l’océan qui attend, justederrière les fenêtres…

Je m’extrais du lit avecprécaution, pour ne pas réveillerCaleb, et après avoir passé un tee-shirt, je vais dans le salon, déjàbaigné de soleil. Je sors sur laterrasse, humant l’air délicieusementiodé. J’ai hâte d’aller me baignerdans le Pacifique, qui miroite ausoleil devant mes yeux. Je veuxpartager ce moment avec Caleb,avant de regagner Los Angeles, et

de prendre ce soir l’avion pour NewYork.

Quelle vue superbe, quel bonheurd’être ici…

La sonnerie de mon portableretentit, troublant ce moment dequiétude.

Mince, j’ai oublié de l’éteindre, çava réveiller Caleb.

Je rentre en toute hâte dans lasuite. Mon téléphone est posé là,sur le canapé : c’est maman quiappelle.

C’est vrai, j’aurais pu lui passerun coup de fil hier soir, lui dire quetout était arrangé entre Caleb etmoi. Remarque, elle l’a sûrementcompris quand on est partis tous lesdeux…

– Oui, maman… Ça va ?– Je… Oui, Grace.Ma mère a une drôle de voix. Je

suis immédiatement en alerte : non,ça n’a pas l’air d’aller du tout.

– Maman ? Qu’est-ce qu’il y a ? Ils’est passé quelque chose ?

– Non. Enfin, c’est-à-dire… Oui.Tu n’as pas allumé la télé ?

– La télé ? dis-je, interloquée.Mais pourquoi… Non, je viens de melever. Caleb dort encore.

J’entends ma mère soupirer.– C’est Nikki.– Quoi, Nikki ? Qu’est-ce qu… ?– Elle a été arrêtée. Conduite en

état d’ivresse.Nikki… Pas encore !– Mais elle est récidiviste, non ?– Oui, dit maman d’une voix triste.

Elle risque la prison.– Mais c’est pas vrai…– Il y a plus grave. Un paparazzi

l’accuse de tentative de meurtre.– Quoi, mais c’est impossible !

– Il a porté plainte : elle auraitessayé de l’écraser. Elle a passéune partie de la nuit en cellule dedégrisement mais la police ne veutpas la relâcher. Et son avocat a jetél’éponge. John l’a appelé, il dit qu’ilne travaille plus pour elle.

– Mais il n’a pas le droit…À ce moment, la porte de la

chambre s’ouvre et je vois Calebapparaître, nu et tout sourire. Maissa mine s’assombrit bien vite envoyant ma tête.

– Grace ? Qu’est-ce qu’il y a ?Je ne peux que le regarder,

consternée.– Maman, je te passe Caleb.

Explique-lui ce qui se passe, il va tedire quoi faire…

Je passe le téléphone à Caleb,qui me regarde d’un air soucieux.

– Oui, Michelle, c’est Caleb…

Je suis catastrophée. Nikki a étéimpliquée dans différents petitsscandales mais jusqu’ici, ils se sonttoujours soldés par des rappels àl’ordre, ou des mises à l’épreuve, etelle a dû suivre une cure dedésintoxication. Mais cette fois, ellene va pas échapper à unecondamnation, puisqu’elle estrécidiviste. Et c’est sans parler decette histoire de tentative demeurtre…

Je regarde Caleb, qui s’efforcede rassurer maman. Si je suisaffolée, lui reste parfaitement calmeet concentré.

– Ne vous inquiétez pas, Michelle.On va rentrer, et je vais m’occuperde ça. Je suis aussi inscrit aubarreau de Californie. Je vais passerun coup de fil à un collègue de LosAngeles qui connaît bien la police

locale, pour qu’il puisse me faire uncompte rendu de la situation etprendre les premières mesures. Etnous arrivons… Mais non, ça n’aaucune importance. Grace et moiaurons d’autres occasions… De rien,je vous en prie, c’est normal. Jevous appelle quand on sera sur laroute. À tout à l’heure.

Il raccroche et me regarde d’unair navré :

– Désolé mon amour, mais nousallons devoir écourter notreescapade.

Je me jette à son cou :– Tu plaisantes ? C’est moi qui

suis désolée de t’imposer meshistoires de famille.

– Comme si tu n’avais pas dûsubir les miennes ! répond-il ensouriant.

– Nikki est impossible, elle se met

toujours dans des situations ! lancé-je, à la fois agacée et inquiète. Tucrois qu’elle risque gros ?

– Ta mère n’avait pas beaucoupd’informations, je ne sais pas quellescharges ont été retenues contre ellepour l’instant, ni ce que valent lesaccusations du paparazzi.

Mon angoisse doit transparaîtresur mon visage, car il prend un tonrassurant :

– Ta sœur est très connue. Etriche. Il y a toujours des parasitesqui essaient de se faire de l’argentsur le dos des célébrités. C’est peut-être l’un d’eux.

– Et si ce n’était pas le cas ?Qu’est-ce qu’elle risque ?

Il me regarde sans rien dire avantde me caresser la joue. Jecomprends qu’il préfère ne pas merépondre.

– On verra bien à ce moment-là,dit-il d’une voix douce. En attendant,si on veut l’aider, il faut qu’on parterapidement. Tu peux regrouper lesaffaires ? Je dois appeler uncollègue. Je vais aussi nouscommander un petit déjeuner. On neva pas partir le ventre vide, de toutefaçon ça ne changera pas grand-chose pour ta sœur.

Je doute de pouvoir avalerquelque chose, mais le sang-froid deCaleb calme un peu mes angoisses.Je vais tristement ramasser mesvêtements éparpillés dans lachambre où j’ai passé une si bellenuit. Notre escapade de rêve n’aurapas duré bien longtemps…

***– Maman, arrête de regarder ça.Je prends la télécommande et

j’éteins l’écran géant du salon. Les

télés s’en donnent à cœur joie. Ellespassent en continu les mug shots deNikki, les photos prises par la policeaprès son arrestation. On diraitqu’elle pose pour un magazine,sourire radieux aux lèvres, maisregard hébété et cheveux platinehirsutes.

John est atterré. Il a accompagnéCaleb au commissariat pour assisterà l’interrogatoire. Maman et moisommes restées à la maison, où onse ronge les sangs. Ma mère aappelé plusieurs fois John, mais iln’en sait pas plus que nous ; seulson avocat, en l’occurrence Caleb,peut assister à l’interrogatoire deNikki. Et il dure depuis un momentdéjà.

Soudain, on entend une voiture segarer devant la maison. On se lèveprécipitamment pour aller à la

rencontre de John et Caleb.John a l’air dévasté. Caleb est

sombre, mais il parvient à noussourire.

– Nikki n’est pas avec vous ?lance maman, fébrile, avant mêmequ’ils ne sortent de la Porsche deJohn.

John ne dit rien, mais Caleb prendla parole d’une voix posée :

– Je pense qu’elle sortira demain.La police fait un peu traîner leschoses, sa garde à vue a étéprolongée, mais je devrais pouvoir lafaire sortir sous caution.

Maman va étreindre John, qui laserre contre lui en silence.

Nous rentrons dans la maison, etCaleb nous expose la situation.John, abattu, est assis sur lecanapé, entouré par maman et moi.Je lui prends le bras, et il se tourne

vers moi pour me sourire avecgratitude, avant de se prendre latête entre les mains ; maman apassé un bras autour de sa taille, etelle fixe Caleb qui essaie de nousexposer le plus simplement possibleles faits.

Nikki a bien été arrêtée en étatd’ivresse, et aurait été relâchée dèsaujourd’hui en attendant son procès– à l’issue duquel elle risque unepetite peine de prison ou, au mieux,une peine d’intérêt général – si unphotographe ne l’accusait pasd’avoir voulu l’écraser au volant desa voiture. Elle risque d’êtrepoursuivie pour tentative de meurtre.Nikki nie ces allégations, mais sontémoignage est pris avec despincettes par les forces de l’ordre,qui l’ont retrouvée en état d’ébriété.Le photographe est à l’hôpital, il n’a

pas pu pour l’heure être entendu parla police, c’est son avocat qui adéposé plainte. Son état n’estheureusement pas grave, il a subiune petite intervention au bras.

– Je vais devoir rester à LosAngeles jusqu’à demain, annonceCaleb J’ai prévenu le cabinet.

– Bien sûr, vous dormez ici,Caleb, dit maman. Et toi, Grace,bien sûr, tu restes ?

– Je suis désolée, je ne peux pas,je dois prendre mon avion ce soir,dis-je, le cœur serré. Demain, jetravaille au zoo, Marcy m’aremplacée ces derniers jours, je nepeux pas lui demander de travailleraussi demain. Et sa sœur se marie.Sans compter que j’ai un shooting lesoir pour le magazine. John, je suisdésolé, j’aurais voulu…

– Ne t’excuse pas, Grace, dit-il en

se tournant vers moi, les yeuxembués. Fais ce que tu as à faire,c’est plus important. Tu as déjàassez subi comme ça toutes lesconneries de ma fille. C’est moi quisuis désolé pour toi.

– Mais non John, il ne faut pas…,commencé-je, mais il me coupe laparole :

– Oh si ! Tout ça c’est ma faute.Si j’avais été un peu plus présent,plus attentif, si j’avais su lui donnerdes limites, des interdits, ma fillen’en serait pas là.

Il se lève du canapé, retire seslunettes pour s’essuyer les yeux. J’aile cœur brisé de les laisser, mamanet lui, mais je n’ai pas le choix. Calebdit que Nikki devrait être libérée dèsdemain. Si ce n’est pas le cas, jem’arrangerai pour revenir très vite àLos Angeles.

Je monte dans ma chambre pourranger mes affaires. Caleb m’aproposé de prendre son jet, mais j’aidéjà une place dans un avion deligne prise par la rédaction, et jepréfère que son avion l’attende icipour le ramener dès que possible.

– Tu penses la sortir de là ?– Mais oui, dit Caleb avec un

sourire plein d’optimisme. J’en ai vud’autres, tu sais. Cette histoire detentative de meurtre, je n’y croispas. Je vais demander à Robertd’enquêter sur ce paparazzi… Et ence qui concerne la conduite en étatd’ivresse, j’espère obtenir destravaux d’intérêt général.

– Tu ne t’attendais pas à ça envenant ici…, dis-je avec unegrimace.

– Je m’attendais à ce que tu mejettes, ce qui aurait été bien pire, dit-

il en me prenant dans ses bras.Je me serre contre lui.– Je suis tellement contente que

tu sois venu. Je t’aime, Caleb.– Moi aussi, Grace, je t’aime, dit-

il avant de m’embrasser.Mon téléphone vibre. Quelqu’un

m’a appelée tout à l’heure, quandJohn et Caleb sont rentrés. J’aientendu la sonnerie, mais je n’ai pasrépondu. Le message est de Susie.

– Le travail ? me dit Caleb enhaussant un sourcil.

– Non, Susie. Elle me dit que sonavocat, Petrossian, voudrait merencontrer.

Caleb s’est figé. Je regretteaussitôt d’avoir parlé de ça : ons’était dit qu’on n’évoquerait plus ledossier. Pourtant, la réaction deCaleb me semble disproportionnée :son visage s’est défait et il me

dévisage avec une étrangeexpression.

– Caleb ? Qu’est-ce qu’il y a ?– Petrossian ? Todd Petrossian ?– Je crois…, dis-je, surprise.

Enfin, oui, oui, c’est ça, Todd…Pourquoi ?

Je vois que Caleb fait un effortpour retrouver un visage impassible.Mais son regard est subitement dur,et ses lèvres pincées.

– Todd Petrossian est l’un desassociés du cabinet pour lequel jetravaillais avant de créer le mien. Ilsn’ont pas supporté que des clientsme suivent. Depuis, ils font tout pournous couler, et lui en particulier. Cesont eux dont je t’ai parlé, qui ontdébauché récemment deuxmembres de notre équipe.

Je le regarde, consternée.– Mais… Qu’est-ce que je dois

faire… ?– Rien, rien ma chérie…, dit-il en

se ressaisissant. Ça n’a rien à voiravec toi. Il faut que tu le voies,puisque c’est l’avocat du centre. Noshistoires de cabinet ne te concernenten rien.

Je n’en suis pas si sûre, mais jen’ai pas le temps de prolonger ladiscussion, car maman vient frapperà la porte pour me demander si jeveux manger quelque chose avantde partir.

Nous la suivons au rez-de-chaussée, où John est toujoursprostré sur le canapé. Je vaisl’embrasser et j’essaie de lui direquelques mots de réconfort. Je voisqu’il est touché, mais c’estl’assurance de Caleb qui finit par lesrassurer un peu, ma mère et lui. Ilsparaissent déjà plus sereins lorsque

je quitte la maison avec Caleb, quime raccompagne à l’aéroport.

– Tu comprends pourquoi je suispartie en France ? Avec Nikki, c’esttoujours le chaos, dis-je tandis quela voiture s’éloigne. Tu dois regretterd’être venu à Los Angeles…

– Mais pas du tout ! Je t’airetrouvée, toi…

– Et maintenant, c’est moi qui telaisse ici…

– Mais je te promets que je serairentré demain. Et puis, ça me faitplaisir de faire ça pour ta famille.Nikki est comme ta sœur, je n’allaispas la laisser tomber alors que jepeux lui venir en aide. C’est unegentille fille… Un peu incontrôlable,excessive, mais une chouette fille…

Je le regarde, attendrie.Caleb… Dire qu’en venant ici, je

pensais le rayer de ma vie…

Je réalise que je n’aurais jamaispu. Si lui n’était pas venu, j’auraispeut-être continué à ruminer macolère, mais jamais je n’aurais cesséde l’aimer. Il fait partie de ma vie, demoi…

J’observe son beau profil tandisqu’il conduit. Il a l’air si sérieux…Peut-être que le dossier de Nikkil’inquiète plus qu’il ne veut bienl’avouer ? À moins qu’il ne pense àce Petrossian…

Je suis moi-même contrariéed’apprendre que c’est lui qui vadéfendre les intérêts de mon amie etdes enfants : est-ce un hasard si lerival de Caleb est devenu l’avocat deSusie ? Je me pose sérieusement laquestion et je suis sûre que Calebquant à lui n’a aucun doute à cesujet. Mais Susie a l’air sienthousiaste que je ne peux même

pas lui parler de cette histoire.Après tout, Caleb ne lui a pasapporté l’aide que je lui avaispromise, je ne me vois pas faire lafine bouche sur son avocat, alorsqu’il a commencé à établir undossier et qu’il lui a donné desraisons d’espérer. Je n’ai pas d’autrechoix que de collaborer avec lui.Même s’il se sert du centre pour sevenger de Caleb… Pour l’instant,d’après ce que dit Susie, il collectedes témoignages en faveur de Susieet entend engager un procès contrela banque pour saisie abusive. Etmoi qui espérais que les deuxparties parviendraient à unarrangement… Caleb a dit qu’il allaitœuvrer dans ce sens, mais c’étaitavant que Petrossian n’entre enscène. Si l’on va au procès, c’estCaleb qui va représenter la partie

adverse. Allons-nous nous retrouverdans la même cour de justice, maisdans des camps adverses ?

Je passe une main dans sescheveux, caresse sa nuque, et ilsourit tout en regardant la routedevant lui.

Caleb, mon amour… Tu as l’airsombre, malgré ton sourire… Toiaussi tu dois remuer les mêmespensées…

Pour préserver notre amour, on adécidé de ne plus évoquer cetteaffaire. Mais comment va-t-on fairesi elle est portée devant la justice ?Je ne tournerai pas le dos à Susie,et je sais que Caleb se montreraimpitoyable pour défendre son client.Notre histoire y survivra-t-elle ?

30. L’homme de lasituation

– Hep ! Mademoiselle ! Vous là !

C’est à moi qu’il parle ?

Je lève la tête pour regarder endirection de la voix désagréable quivient de m’interpeller. Je suis de serviceau Dancing Crane Cafe, mais là,j’avoue que j’étais un peu perdue dansmes pensées : Caleb rentre ce soir deLos Angeles, et je suis impatiente à

l’idée de le retrouver. J’ai à peine eu letemps de savourer notre réconciliation,et sa déclaration d’amour, que l’on a dûse séparer. Ça fait trois jours que je suisrentrée à New York, et entre-temps, il aréussi à faire libérer Nikki. Les chargesde tentative de meurtre contre elle n’ontpour l’instant pas été retenues, lespreuves n’étant pas suffisantes, mais uneenquête est en cours. En ce qui concernela conduite en état d’ivresse, elle va belet bien être jugée dans quelquessemaines. Comme c’est une récidive,elle risque une peine de prison, ce quine semble pas l’inquiéter plus que çad’après ce que j’ai pu en juger lors denotre dernière conversation

téléphonique. Ce qui n’est pas le cas deson père et de Maman, qui sont biencontents de pouvoir se reposer sur Calebpour sa défense.

– Hep ! Vous pouvez venir, oui ?

L’origine de ces braillements peugracieux est un horrible type ventru,casquette vissée sur la tête, quim’interpelle en faisant des grandsgestes ; il est assis à une table avec deuxgamins rondouillards qui me regardentd’un air sournois et avec un souriremoqueur aux lèvres. On dirait qu’ils serégalent à l’avance du sort que meréserve celui qui est sans doute leurpère.

Je m’approche de la table, un sourirepoli aux lèvres :

– Oui, monsieur, il y a un problème ?– J’ai commandé deux cheeseburgers

et un burger, et nous avons eu troischeeseburgers.

Je regarde sur la table, et je vois quedeux des sandwichs ont été dévorés, etqu’il reste à peine une bouchée dutroisième.

Il a mis du temps à s’enapercevoir…

– Je… heu… suis navrée, monsieur,je vais vous apporter votre burger, dis-

je, préférant éviter l’esclandre.– Ouais, et plus vite que ça,

m’interrompt l’odieux personnage. Etpuis je voulais deux jus d’orange, pasun.

Je regarde le ticket posé sur la tableet je dis le plus aimablement possible :

– Mais monsieur, vous n’avez payéque pour UN jus d’orange.

– Parce que vous n’avez riencompris, me répond-il d’un tonhargneux. Vous êtes vraiment simplette !Ça ne m’étonne pas que vous soyezserveuse.

J’ai beau savoir que le client est roi,

j’ai du mal à garder mon sang-froiddevant ce sale type. En fait, jel’enverrais bien valser, et c’est ce que jeferais si ses enfants n’étaient pas là.

– Il y a eu un petit malentenducertainement, dis-je d’un ton sec, maisvous pouvez aussi rester poli.

– Dis-moi, connasse, tu vas fermer tagueule et m’apporter ce putain de jusd’orange ? dit le mec en se redressanttout à coup.

Surprise par la violence de saréaction, je fais un pas en arrière. Je n’aijamais été confrontée à ce genre desituation, le Dancing Crane est unrestaurant fréquenté essentiellement par

les familles qui emmènent les enfants auzoo de Central Park. En général, tout lemonde est plutôt de bonne humeur, maisce n’est visiblement pas le cas de cethomme qui me domine de sa haute tailletout en me regardant d’un air menaçant.

Avant même que je puisse répondre,un client s’interpose entre nous deux.

– Ouh là, tout doux, dit-il au père defamille querelleur. Vous croyez vraimentque l’on peut parler à une femme commeça ? Vous pensez que c’est le bonexemple pour vos enfants ?

Je regarde les deux gamins : si l’unsemble fier de son rouleur de

mécaniques de père, l’autre a l’air à lafois apeuré et honteux.

– Mais c’est elle, là, elle est nulle,fait leur père en me montrant. Ellecomprend rien aux commandes.

– Et vous êtes un odieux personnagequi n’a rien à faire dans cetétablissement. Vous faites peur auxenfants, je vous demande de sortir, dis-je, assez fort en essayant de maîtriser mavoix pour ne pas éveiller l’attention desgamins aux autres tables.

L’horrible paternel fait un geste versmoi, comme s’il voulait me bousculer,mais l’autre homme me fait un rempartde son corps.

– Monsieur, dit-il d’une voix fermemais polie, je vais vous demander dequitter les lieux. Votre attitude estmenaçante, si vous persistez j’appelle lapolice. Et croyez-moi, je n’aurai aucunmal à vous maîtriser avant leur arrivée.Ce restaurant est plein d’enfants quin’ont pas besoin de voir l’affligeantspectacle que vous leur offrez.

La brute épaisse hésite. Je vois bienque depuis l’irruption de l’autre client,il a perdu de son assurance. Il leregarde, comme s’il jaugeait un potentieladversaire. Il lui semble sans doute pluscoriace que moi, car il fait marchearrière.

– Allez, on se casse ! crie-t-il à sesenfants qui se lèvent d’un bond,abandonnant les restes de leur repas.

Avant de partir, il se retourne versmoi le regard mauvais et sort durestaurant, non sans avoir balayé du brastout ce qui se trouvait sur la table.

Je reste un instant pétrifiée, choquéepar cet accès de violence.

– Tout va bien ? me demandel’homme qui a volé à mon secours.

– Oh… oui, oui, merci, fais-je enreprenant mes esprits. C’est gentil d’êtrevenu m’aider, j’ai bien cru qu’il allaitme frapper. Vraiment, merci beaucoup.

– Mais c’est la moindre des choses,dit l’homme en me faisant un grandsourire.

Je regarde autour de moi :heureusement, on s’est rendu compte del’incident seulement aux tables les plusproches. Un enfant regarde la tabledévastée avec un air terrorisé et je luisouris :

– Ce n’est rien. Le monsieur était unpeu énervé, il a dû boire trop de café. Jevais vite nettoyer, lui dis-je sur un tonrassurant.

Je me tourne vers mon sauveur quis’est rassis à sa table devant son café :

– Qu’est-ce que je peux vous offrir ?C’est ma tournée.

– Mais non, dit-il gêné, ce n’est pasnécessaire, je n’ai rien fait…

– Si si, j’insiste. Vous voulez ungâteau pour accompagner votre café ?

Il hésite.

– Je…, fait-il. Eh bien, d’accordalors, je veux bien un cheesecake.

Je retourne derrière la caisse pourrécupérer de quoi nettoyer la table et lesol autour. J’en profite pour raconterl’épisode à Marcy, qui est macoéquipière aujourd’hui et qui n’a rienvu ni entendu de son côté de la salle.

J’ai eu un peu peur sur le coup, mais jene peux m’empêcher de rire en évoquantla scène et en voyant la tête horrifiée deMarcy.

Une fois le ménage fait, j’apporte lecheesecake à mon sauveur.

– Voilà pour vous, vous l’avez bienmérité.

Il rit, un peu gêné par mon geste degratitude, et je remarque alors qu’il abeaucoup de charme. C’est un grand typedans la quarantaine, habillé avec chic etdécontraction, aux traits irréguliers maisau sourire immense et accrocheurqu’encadre un petit bouc. Il a le nez

chaussé de lunettes de vue aux verreslégèrement colorés de bleu, assorties àson costume.

– Todd, dit-il en se levantcérémonieusement.

– Grace, dis-je en serrant la mainqu’il me tend.

– Oh, fait-il, c’est vous, Grace.

Je hausse les sourcils, surprise parson exclamation.

– Je suis Todd Petrossian, ajoute-t-ilavec un sourire encore plus large.L’avocat de Susie Smith. J’étais venuvous voir, mais je ne savais pas qui devous ou de votre collègue était la Grace

dont Susie m’a tant parlé.

Je suis prise de court.

Notre sauveur, Todd Petrossian ?L’ennemi juré de Caleb ?

Tout à coup, je me sens coupable del’avoir trouvé si sympathique, et mêmeséduisant.

– J’avais un rendez-vous dans lesparages, et j’ai pensé faire une halte icipour vous voir. Mais c’était unemauvaise idée, je vous importune sansdoute, ajoute-t-il, voyant que je restemuette. Je n’aurais pas dû venir sansvous appeler avant, je suis vraiment

désolé.

Je me reprends soudain :

– Mais pas du tout, vous avez trèsbien fait de venir, dis-je en souriant,vous m’avez sauvé de cet horriblebonhomme. J’étais prête à me défendre,mais je crois bien que je n’aurais pasfait le poids.

– Alors heureux d’avoir pu vousrendre service, dit Todd d’un airmodeste.

– Je termine dans une vingtaine deminutes. On peut discuter après si vousvoulez… Je dois passer voir Susieensuite.

– Moi aussi ! s’exclame-t-il. On peut

y aller ensemble si vous voulez ?– D’accord, alors, on fait comme ça.

Je retourne à mon poste pour secourirMarcy qui doit faire face à l’arrivéed’une classe affamée.

Je jette de temps à autre un œil àTodd, qui, après avoir avalé soncheesecake, s’est concentré sur soniPad.

Marcy me fait du coude :

– Dis donc, il est mignon ton angegardien.

– Oui hein ? Il m’a donné rendez-vous.

J’adore la faire marcher. Marcy estun vrai cœur d’artichaut, elle craque surtous les clients un peu mignons quipassent au café. Au moindre sourire, elleimagine une histoire d’amourpassionnelle, compliquée… qui n’arrivejamais.

– Et t’as accepté ? dit-elle, effarée.Mais… tu n’es pas mariée ?

– Et alors ? dis-je en prenant un airdésinvolte.

Marcy a l’air tellement suffoquée queje m’empresse de lui avouer que Toddest l’avocat de Susie, dont je lui ai déjàparlé.

– Ah bon, c’est ça. Je me disaisaussi…, soupire-t-elle, soulagée. Disdonc, tu lui demanderas s’il estcélibataire ? me lance-t-elle, et je nepeux m’empêcher d’éclater de rire.

Yoko arrive et je peux enfin luipasser le relais. Après m’être changée,je rejoins Todd.

– Je suis prête.– Oh, très bien, allons-y alors, dit-il

en se levant.

Je suis un peu gênée de me retrouveren tête à tête avec un parfait inconnu,mais lui semble absolument à son aise.

– Quelle chance vous avez detravailler ici, s’exclame-t-il tandis quenous longeons les cages du zoo poursortir du parc. C’est mon rêve d’enfant.Toutes les semaines, je suppliais mesparents de m’y emmener. On habitait àBrooklyn, je peux vous assurer que çan’avait rien à voir avec le Brooklyn dehipsters d’aujourd’hui. Les immigréspauvres s’y entassaient, et on n’allaitpas si souvent à Manhattan.

Je le regarde, essayant de cacher monétonnement. Avec son allure de dandy, jene l’imaginais pas issu d’un milieumodeste. Manifestement, ma surprise nelui a pas échappé :

– Mon père était un petit cordonnier,explique-t-il, on ne roulait pas sur l’or.C’est pour ça que j’ai été touché par cequi arrive à votre amie, et que j’aidécidé de lui proposer mon aide. Elleoffre aux enfants une chance inouïed’accéder à la culture, et je saiscombien c’est précieux quand on n’estpas né avec une cuillère d’argent dans labouche.

Décidément, il m’est vraimentsympathique ce Todd Petrossian…

Je culpabilise : je me demande si jen’ai pas été quelque peu paranoïaque àson sujet. J’avoue, je le soupçonnais devoler au secours de Susie pour

s’opposer à Caleb. Mais après tout,peut-être a-t-il juste été sincèrementtouché par sa situation ?

Nous sortons du zoo pour arriver surla 5 e Avenue. Je pensais que l’attendaitune voiture avec chauffeur, mais Todd secontente de héler un taxi. Cettesimplicité n’est pas si courante, quandon est associé dans l’un des plusprestigieux cabinets d’avocats new-yorkais.

Ce n’est qu’une fois installés dans letaxi qu’il aborde le sujet pour lequel ilest venu me voir.

– Je pense pouvoir réunir un dossier

contre la banque qui a saisi le centre. Ilsemblerait que la saisie soit abusive. Jen’entrerai pas dans les détails, maismême si l’on prouve des pratiquesfrauduleuses, ils ne vont pas se laisserfaire comme ça. C’est pourquoi je réunisdes témoignages sur l’engagement deSusie auprès des enfants du quartier.Elle m’a beaucoup parlé de vous, voussavez. Elle m’a dit que votre amitié étaitrécente, mais que vous lui aviez redonnéun nouveau souffle, un nouvel élan à unmoment où elle doutait un peu. Elle vousfait une entière confiance, elle n’a pasassez de mots gentils pour parler devous. Selon elle, vous êtes un angetombé du ciel…

Je ris, un peu embarrassée par toutesces louanges, et par le sourire malicieuxde Todd qui me regarde avec attention.

– Susie exagère, dis-je. J’essaie justede lui donner un coup de main, parceque ça en vaut la peine. Susie est unefemme merveilleuse, qui a mis tout soncœur et toutes ses économies dans cecentre, pour aider les enfants de sonquartier, et je ne comprends pas qu’onen soit là aujourd’hui.

– Et c’est bien pour ça que nousallons contre-attaquer, lance Todd.

Je reste un instant silencieuse, puis jeme décide à dire ce qui me brûle leslèvres :

– Todd… je dois vous dire. Je suisl’épouse de Caleb Montgomery.

– Je sais, répond-il en me regardantdroit dans les yeux.

– Oh… Vous savez, dis-je lentement.– Je l’ai su quand je vous ai vue dans

le café. Je vous ai reconnue tout de suite.J’ai vu les photos du mariage… enfinLA photo du mariage, précise-t-il,amusé, tandis que je rougis en repensantà cette horrible robe et à mon sourirealcoolisé. Et puis vous êtes aussi dansce reportage photo qui est paru il y aquelque temps, sur le sénateur.

Je baisse la tête, perturbée par cetaveu.

– Mais je n’en savais rien avant devous voir, Grace, reprend-il avecvéhémence. Susie m’a dit que vous vousappeliez Grace Peters.

– Oui… j’ai gardé mon nom de jeunefille, dis-je, encore plus mal à l’aise.

Je n’allais pas prendre le nom deCaleb en sachant qu’on allait divorcerquelques mois plus tard…

– Écoutez Grace, je sais que labanque est une cliente du cabinet devotre mari. Avec qui, je dois lereconnaître, nous n’avons pas lesmeilleurs rapports, même si nous avonsété assez liés autrefois. C’est moi quil’ai recruté vous savez ?

– Euh… non, je ne savais pas.– Il a fait un travail remarquable sur

le dossier Ferguson. Je n’ai même pasattendu qu’il soit diplômé pour lui fairedes avances, et je n’étais pas le seul, jedois le reconnaître. Mais c’est moncabinet, enfin, celui de mes associés etmoi, qu’il a choisi. Et puis après deuxpetites années, Caleb a décidé de tracersa route. Je ne peux pas dire que celanous ait ravis, mais bon… Je lecomprends au fond, dit Todd avec unbon sourire.

Je suis étonné de son ton, jem’attendais à beaucoup plusd’agressivité de sa part vis-à-vis deCaleb. J’avais cru comprendre que leurs

rapports étaient bien plus conflictuelsque ce que Todd laisse entendre…

– Bref, Grace, maintenant que je saisqui vous êtes, je réalise que vous vousretrouvez dans une situation délicate. Sivous souhaitez ne pas témoigner, jecomprendrai, et je suis sûr que Susieaussi, dit-il d’un ton compatissant.

Je n’ai pas une hésitation :

– Je témoignerai, et je vous aideraiautant que je le peux sur ce dossier,Todd. Mon mari le sait, et il l’accepte. Ilfera son travail, et moi je ferai mondevoir pour Susie et les enfants.

La voiture est presque arrivée àdestination. Nous passons devant lecentre ; quelques enfants sont en train dejouer sur le trottoir avec un ballon debasket, devant la porte désespérémentfermée.

– Vous pouvez nous arrêter là, s’ilvous plaît ? demandé-je au taxi.

Todd me regarde d’un airinterrogateur.

– Je voudrais aller voir les enfantsqui jouent, là. Ils viennent au centre.Susie habite tout près, on finira à pied…

Avant que je puisse faire un geste

pour prendre mon porte-monnaie, Todd apayé le chauffeur. Nous descendons et jetraverse rapidement pour retrouverMarcus, Leonard et Trisha, qui seprécipitent vers moi en me voyantarriver.

Après m’avoir embrassée, leurattention se tourne vers Todd, qui m’asuivie. Ils le dévisagent, curieux :

– Les enfants, je vous présente Todd.Todd est avocat, et il va tout faire pourque le centre rouvre.

– Bonjour les enfants, dit Todd enfaisant un petit salut de la main.

– Eh monsieur, il rouvrira quand, lecentre ? lance Marcus.

– Eh bien, je vais faire tout monpossible pour qu’il rouvre bientôt.J’aurai sans doute besoin de votre aide,de celle de vos parents. Vous êtes prêts àm’aider dans la bataille contre la vilainebanque ?

– Oh oui, monsieur, répondent-ils enchœur.

– Eh bien alors, à nous tous, on va sebattre, et on va gagner la partie, dit Todden riant.

Aussi vif que l’éclair, il a chipé leballon des mains de Marcus, et ils’éloigne en faisant quelques dribbles,suivis par les enfants qui rient auxéclats.

Je regarde la scène, perplexe. Toddne ressemble pas du tout à l’homme quej’avais imaginé d’après les dires deCaleb. Il est très sympathique, et sonengagement me paraît sincère. Et puis ila tout de suite mis les enfants dans sapoche. Si Caleb ne m’avait pas parlé delui dans des termes aussi durs, je luiaurais donné le bon Dieu sansconfession.

Je me sens un peu écartelée : d’uncôté je me dis que je dois rester sur mesgardes. Todd est le rival de Caleb, etc’est quand même une coïncidenceétrange qu’il arrive ainsi sur ce dossierpour prendre la défense de Susie, defaçon gracieuse en plus, comme s’il

voulait à tout prix se charger de cedossier. Mais d’un autre côté, je meréjouis que Susie ait trouvé un avocat decette envergure, et qui semble prendreson dossier à cœur. L’avenir nous dira sison soutien est aussi désintéressé qu’ilen a l’air…

***

Il est rentré !

J’ai entendu du bruit à l’étage. Lecœur battant, je quitte en trombe la sallede bains, emmaillotée dans uneserviette, pour descendre quatre à quatrel’escalier. Je croyais avoir plus detemps pour me préparer avant que Caleb

ne rentre, mais ce n’est pas grave. J’aihâte de me jeter dans ses bras…

Je cours dans l’escalier au risque deme casser la jambe… et je tombe surNikki.

Je m’arrête net, bouche bée.

– Quel accueil ! s’esclaffe Nikki. Tuétais si pressée de me voir que tudescends en serviette ?

– Je… Non, enfin…

Caleb arrive derrière elle.

– Désolé, me dit-il avec une petitegrimace, Nikki m’a demandé de ne rien

dire, elle voulait te faire la surprise.– Et c’est réussi comme surprise dis

donc, reprend Nikki. Un peu plus et elledescendait à poil !

Elle éclate de rire, et je ne peux rienfaire d’autre que de rire à mon tour.C’est vrai que j’avais hâte de voirCaleb, mais je suis aussi contente devoir Nikki. Je me suis fait beaucoup desouci pour elle ces derniers jours.

Je la prends dans mes bras, puis jevais rejoindre Caleb qui me serre contrelui et m’embrasse fougueusement.

J’entends Nikki dans mon dos :

– OK, ça va, c’est bon les amoureux,on a compris. Vous n’êtes pas seuls,vous vous souvenez ! Pitié pour lescélibataires !

Je me détache de Caleb à regret.

– Mais qu’est-ce que tu fais ici ? dis-je à Nikki.

– Tu n’es pas contente de me voir ?– Mais si… mais ton procès, tout

ça…– J’ai préféré éloigner Nikki de la

faune de Los Angeles et des paparazzisqui savent où la traquer. Ils ne viendrontpas la chercher ici, si elle sait se fairediscrète.

Nikki ? Discrète ? On peut rêver…

Je la regarde : effectivementaujourd’hui sa tenue est assez sobre,malgré ses plates-formes multicolores.Et elle porte un chapeau qui cache sachevelure platine.

Nikki se laisse détailler, goguenarde.

– C’est Caleb qui a choisi ma tenue.Sauf les chaussures…, rigole-t-elle.

– Il faut que l’on travaille sur sadéfense, m’annonce Caleb. J’ai prévu defaire un dîner demain à la maison avecStacy et Robert. Au moins ici, les mursn’ont pas d’oreilles, et il n’y a pas despaparazzis derrière chaque fenêtre. Ça

ne te dérange pas ?– Non, bien sûr, dis-je. J’avais prévu

d’inviter Théo, je voulais que vousfassiez mieux connaissance. Jereporterai, c’est pas grave.

J’ai réalisé récemment que monmeilleur ami et mon amoureux n’avaientjamais été présentés. Ils ne se sontcroisés qu’une fois, sans se parler, etderrière Caleb m’a fait une scène dejalousie. Depuis qu’il a compris quenous n’étions réellement que des amis, ilest bien mieux disposé à son égard, maisThéo ayant dû repartir pour la France,ils n’ont jamais pu se revoir.

– Mais non, pas du tout, fais-le venir,

lance Caleb. Ça me ferait plaisir de lerencontrer enfin.

– T’es sûr ?– Mais oui. Il peut très bien assister à

ce repas, il n’ira pas divulguer tout à lapresse, lui.

– OK alors, dis-je. Bon, je vaism’habiller quand même… Vous avezdîné ?

– Oui, dans le jet, lance Nikki. Si çavous dérange pas, moi je vais mecoucher direct, j’suis crevée. Tu memontres ma chambre, sister ?

– Viens, c’est en haut.

Je la conduis jusqu’à la chambred’amis et après m’être assurée qu’elleétait bien installée, je m’empresse de

rejoindre Caleb. Je le trouve dans lesalon, installé sur le canapé. Je m’assoissur ses genoux et je passe les bras autourde son cou :

– Désolé de ne pas t’avoir prévenue,dit Caleb, mais Nikki a insisté.

– Ce n’est pas grave… Heureusementque je n’avais pas prévu de t’accueilliren dessous sexy !

Il sourit :

– J’aurais bien aimé, dit-il d’une voixchaude. Mais tu es très mignonne aussiavec cette petite serviette, ajoute-t-il enpassant une main sous l’éponge, les yeuxbrillants.

Je me débats en gloussant :

– Mais arrête ! Si Nikki descend…– Moi qui pensais que tu allais te

donner à moi parce que j’avais offert maprotection à ta sœur, tu me repousses,dit-il en faisant la moue.

– Je ne te repousse pas du tout, monamour, mais ces prochains jours, nousallons devoir faire un peu attention.

– Finalement, Nikki ne serait pas simal à l’hôtel…

– Idiot, dis-je en posant un baiser sursa bouche. Allez, viens, allons dans lachambre. Je vais te montrer mareconnaissance…

31. Un plan d'enfer

– Entrez, entrez !

Je suis allée ouvrir à Stacy,l’associée de Caleb, et Robert, leurenquêteur. En les voyant ensembledevant la porte, je repense soudain à ladernière fois que je les ai vus,s’embrassant passionnément dans un taxiqui les déposait au bureau. Mais était-cebien eux ? J’étais déboussolée ce jour-là, contrariée, Caleb venait de me direqu’il ne défendrait pas Susie… Et cettevision avait été si fugitive que je me suis

demandé si je n’avais pas rêvé.D’ailleurs, depuis, je l’avaiscomplètement oubliée. C’est de lesrevoir ensemble, sur le pas de la porte,qui a ressuscité le souvenir.

– On arrive directement du bureau,lance immédiatement Stacy, comme sielle devait absolument expliquerpourquoi ils arrivent ensemble.

Quel empressement à se justifier.C’était peut-être bien eux, lesamoureux du taxi, finalement…

Je les emmène au salon où Théo etCaleb discutent depuis un petit moment.Je suis soulagée de voir que le courant

passe bien entre eux. Nikki n’est pasencore descendue, je suppose qu’elleprépare son entrée de star.

Après avoir salué Théo, Robert etStacy choisissent des sièges loin l’un del’autre. De la cuisine ouverte, je lesobserve : ils sont vraiment différentstous les deux, la riche et ambitieuseavocate, très wasp, et l’Afro-Américainissu d’un milieu modeste, anciencondamné à mort, qui a passé douze ansen prison pour un meurtre qu’il n’a pascommis. Stacy est d’une éléganceparfaite, dans son tailleur de créateurnoir et blanc très ajusté, et ses hautstalons très fins. Ses longs cheveuxblonds sont coiffés en « side hair »,

ramassés sur le côté et légèrementondulés. Elle est très belle, trèssophistiquée, elle a la morgue des gensde sa classe. Enfin, pour être honnête, dece que j’imagine être sa classe sociale,car je ne sais rien de son passé, si cen’est qu’elle était à Harvard avec Caleb,et qu’ils sont sortis ensemble. Ça m’amême rendue jalouse quelque temps…

Stacy a beaucoup de présence, etquand elle est dans une pièce, on peutdifficilement l’oublier, j’ai pu leconstater plusieurs fois. Elle a un côtétrès froid, distant, qui en impose, maiselle sait aller vers les gens quil’intéressent et se montrer alorsensorceleuse, pleine d’humour et

d’esprit. C’est une vraie mondaine, etson intelligence est aussi affûtée que sasilhouette. J’ai eu l’occasion d’assisteravec elle à deux ou trois dîners pince-fesses où j’accompagnais Caleb, et j’aipu remarquer qu’elle ne passait pasinaperçue. Robert, lui, est un modèle dediscrétion : la mise toujours simple, ilreste la plupart du temps dans son coin àobserver les gens autour de lui. Et c’estce qu’il fait encore ce soir, assis un peuen retrait, tandis que Caleb et Stacy sontdéjà en train d’évoquer le dossier deNikki.

– Au fait, elle est où notre… «nouvelle cliente » ? demande Stacy.

Elle a prononcé ces derniers motsavec une espèce de répugnance, et leregard qu’elle lance à Caleb n’est guèreaimable. J’ai l’impression qu’elle n’estpas contente que Caleb ait accepté cenouveau dossier.

– Salut la compagnie !

La « compagnie » ainsi apostrophéese retourne comme un seul homme :Nikki a enfin daigné nous rejoindre. Jecomprends qu’il lui ait fallu tout cetemps pour se préparer ; elle estmaquillée, coiffée et habillée comme sielle allait à une soirée de MTV. Elleporte une sorte de soutien-gorge violeten latex, un micro short lacéré en jean,

des bas résille et des bottines python àtalons aiguilles. Pour compléter le tout,son maquillage semble l’œuvre d’unevraie make-up artist et elle porte unetonne de colliers.

Je me tourne vers les autres pour voirsi Nikki a fait l’effet escompté : si Caleba l’air amusé, Stacy n’a pu retenir unefurtive moue dédaigneuse. Robert resteimpassible. Quant à Théo, il a l’air…subjugué.

Caleb a commandé le repas chez untraiteur indien hyper coté où il a seshabitudes. À vrai dire, j’ai tenté depasser la commande moi-même mais jeme suis fait remballer : mon

interlocutrice m’a prise de haut,offusquée que j’ose espérer goûter leursprécieux mets sans avoir réservé desjours à l’avance. Un peu dépitée, j’airaconté ma mésaventure à Caleb qui n’aeu qu’à décrocher son téléphone pourêtre livré dans la soirée. C’est dans cesmoments-là que je regrette de ne pasutiliser mon nom de femme mariée…

Nous nous installons dans la salle àmanger. Il commence à faire beau à NewYork en cette mi-mai mais Caleb apréféré que nous ne dînions pas sur laterrasse, de peur qu’un paparazzi plusmalin qu’un autre ou qu’un voisinindiscret ne vole une photo de Nikki.

Il était moins inquiet quand nousavons batifolé en haut l’autre nuit…

Le début du dîner se fait sur un tonléger mais très vite la conversation sedirige sur la défense de Nikki. Caleb ademandé à Robert d’enquêter sur lepaparazzi qui la poursuit en justice et ildoit partir bientôt pour Los Angeles.

– Quoi que l’on trouve…, commenceStacy, hésitante, avant de se tourner versNikki. Même si vous êtes blanchie desaccusations de tentative de meurtre, dit-elle en la fixant, vous devrezcomparaître pour conduite en étatd’ivresse. Dans l’état actuel des choses,aucun juge ne sera clément avec vous.

Vous avez quelques semaines pourchanger d’image, l’actuelle estcatastrophique…

– Quoi ? dit Nikki en lâchant safourchette. Mais mon image, c’est moi,c’est mon fonds de commerce. Je ne vaispas me transformer en bonne sœur !

– Personne n’y croirait, lâche Stacy,avec une moue condescendante. Je nevous demande pas spécialement dechanger de look, quoiqu’un peu moins dedécolleté ne vous nuirait pas, dit-elle enlançant un regard vers le soutien-gorgedébordant de Nikki. Mais au moins,d’attitude. Il faut que l’on puisse croireque vous vous repentez de ce que vousavez fait. Même si ce n’est pas le cas,

lâche-t-elle d’un ton cinglant. Conduireen état d’ébriété, c’est grave. Vousauriez pu provoquer un accident, mourir,ou pire, tuer quelqu’un. Merde, tu ne luias pas expliqué ça, Caleb ?

Manifestement, Stacy n’éprouveaucune sympathie pour Nikki, mais laréciproque semble vraie. Et elle en veutà Caleb de devoir s’occuper de son cas.

Nikki lui jette un bref regardprovocant, avant de porter son verre àses lèvres. Caleb, assis près d’elle, lelui retire avant qu’elle ait eu le temps deboire.

– Minute, papillon, dit-il d’un ton

sévère. Tu t’es servi du vin ? Tu m’aspromis de ne plus toucher à l’alcool. Jet’ai inscrit à un programmed’Alcooliques Anonymes, et tu vas mefaire le plaisir d’y aller assidûment.Sinon, je ne peux rien pour toi. Nousallons tout faire pour t’éviter la prison,mais si tu ne mets pas du tien, le jugen’aura aucune pitié et t’y enverradirectement.

Nikki se tourne vers moi, espéranttrouver un peu d’aide de mon côté, maisje suis complètement d’accord avecCaleb.

– Nikki, c’est grave ce qui t’arrive, tune comprends pas ? dis-je, exaspérée

par son attitude. Tu risques la prison,bon sang. Tu crois que ça ne vaut pas lecoup de changer de comportement,d’image ? Tu crois que tu pourras temaquiller et mettre des talons en taule ?

– T’as pas vu Orange is the NewBlack ? lance soudain Théo.

– Oh ouais… Les nanas en prison ?Elle est cool cette série ! dit Nikki qui aaussitôt retrouvé le sourire.

Théo. C’est pas possible…

Gênée par la sortie de mon ami, jeregarde les autres convives et comme jele pensais, ils n’ont pas du tout goûté laplaisanterie. Surtout Stacy.

– Désolé ! dit Théo en regardantStacy, puis Caleb, avec un regardd’enfant pris en faute.

Caleb fait un bref sourire poursignifier à Théo qu’il ne lui tient pasrigueur de son intervention, quandsoudain, il se met à le fixer d’un airétrange. Puis il se tourne vers Nikki.

– Stacy a raison. Tu dois changer nonseulement de garde-robe, au moinsjusqu’au procès, mais aussi d’image. Cequ’il te faudrait, pour te réhabiliter enquelque sorte… C’est une histoired’amour.

Je le regarde, bouche bée.

Mais qu’est-ce qu’il raconte ?

Caleb s’est tourné vers Stacy, et jesuis son regard : contrairement à moi,elle a l’air de savoir où il veut en venir.

Nikki éclate de rire.

– Une histoire d’amour ? dit-elle unefois son hilarité calmée. De quel genre ?

– Du genre fausse évidemment, dittranquillement Caleb. Et du genreproprette. Pas question que tu t’exhibesavec un rappeur membre d’un gang ou unacteur de film X. Il faut que le typeinspire la sympathie, et que tu aies l’airtransformée par l’amour.

Je suis stupéfaite.

– Tu… Tu vas engager quelqu’unpour jouer le rôle de l’amoureux deNikki ? dis-je, incrédule. Tu vas fairecroire à une fausse histoire d’amour ?

– T’inquiète pas sister, ce sera pasma première, ricane Nikki. Tu tesouviens de l’acteur avec qui j’étaisfiancée il y a deux ans ? Eh bien…

Excédée, je ne la laisse pas finir.

– Mais c’est dégueulasse, dis-je,outrée, en regardant Caleb.

– Je sais, Grace, dit-il d’un air grave,mais je pense aussi que c’est uneexcellente façon d’éviter le pire à ta

sœur. C’est bien ce qu’on veut, non ?

J’en reste muette.

Je suis déchirée : je trouve cesméthodes abjectes, mais Caleb a sansdoute raison, c’est peut-être la seulefaçon d’obtenir la clémence du juge.Bien sûr que je veux que Nikki n’aillepas en prison, mais devoir en arriverlà…

Et c’est reparti… Des mensonges,encore des mensonges.

Ça me met mal à l’aise que Calebpuisse envisager le mensonge commeacte de défense. D’autant qu’il ne me

laisse pas le choix, vu le ton de saréponse. Parfois, on dirait qu’il n’aaucun état d’âme, comme lorsqu’il m’aproposé de mentir sur notre mariage. Jen’aurais jamais accepté si NoahGrumberg, le directeur de campagne dusénateur, ne m’avait pas fait chanter,mais Caleb n’a eu aucun scrupulepuisqu’il s’agissait de sauver la carrièrede son père. Je sais que le but de lamanœuvre cette fois, c’est de sauverNikki de la prison, mais j’ai un goûtamer dans la bouche.

– Nikki, alors, vous êtes d’accord ?dit Stacy.

– Mais oui, pas de souci, répondNikki comme s’il s’agissait d’aller faire

un tour de manège. Alors, on fait quoipour trouver le prince charmant ? Onorganise un casting ?

– Quelle bonne idée, lance Stacy,l’air agacé. C’est parfait pour resterdiscret.

– Si on paye bien, le mec choisi setaira, dit Nikki, sûre d’elle.

– Sauf si un tabloïd offre le double,répond Stacy du tac au tac.

– Un de mes fans alors ? Ils sont prêtsà tout pour moi, propose Nikki, avec latête de quelqu’un qui croit avoir eu uneidée de génie.

J’explose :

– Mais t’es malade, Nikki ! Tu ne vas

pas sortir avec un des psychopathes quite harcèlent ? Et même si tu tombes surun sain d’esprit, un mec gentil, tu esprête à jouer avec ses sentiments pour nepas aller en prison ?

– Et moi alors ? Je serais crédible enprince charmant ?

Je me retourne vers Théo, ahurie.

Ce n’est pas possible ? C’est bienlui qui vient de dire ça ? Ah ben, oui,c’est bien lui ! Et il n’a pas l’air deplaisanter.

– Théo, tu ne vas pas faire ça ? dis-je. Hein Caleb, c’est complètementidiot, non… ?

Je me tourne vers Caleb, et jecomprends alors son regard posé surThéo il y a quelques minutes. Nonseulement il ne trouve pas l’idée idiote,mais c’est même précisément ce qu’ilavait en tête.

– Ah ben moi j’veux bien, lanceNikki avec un sourire ravi. T’es trèsmignon comme mec…

– Merci, répond Théo, tout content.

Je suis exaspérée.

N’y a-t-il que moi ici qui pense quec’est du grand n’importe quoi ?

– Putain Théo, mais tu imagines ce

que c’est que d’être le petit ami deNikki, même pour de faux ? Elle estconstamment suivie, scrutée. Ça ne gênepas Nikki, elle a l’habitude et elle achoisi cette vie, mais toi ? Tu n’as rien àvoir avec ce monde-là. Tu crois que tupeux endurer ça au quotidien ?

Théo ne me répond pas tout de suite.Il réfléchit, et toute la tablée le fixe,suspendue à sa réponse.

– Ouais, dit-il enfin, je crois que jepeux.

Nikki applaudit, et Caleb a du mal àcacher sa satisfaction. Moi je suisaccablée.

– Ce serait effectivement la solutionidéale, dit Caleb. On n’aura pas à avoirpeur que le secret s’évente. Bienévidemment, nous prévoirons undédommagement.

– Je n’en veux pas, répond fermementThéo. Je le fais pour Grace.

Il se tourne vers moi :

– Tu ne supporteras pas de savoir tasœur en prison. Et puis, je suis sûr quetu en aurais fait autant pour moi, dit-il enme faisant un clin d’œil.

C’est de ça qu’il s’agit…

Théo accepte de devenir le faux

fiancé de Nikki, parce que moi-mêmej’ai accepté de rester mariée à Calebpour lui éviter l’expulsion. Mais je lui aidit cent fois qu’il ne me devait rien !Dans l’histoire, j’ai quand même trouvéle grand amour, je suis loin d’êtreperdante. Mais Caleb n’est pas Nikki, etje doute que Théo soit prêt à affronter lechaos qui l’attend.

– Merci Théo, dis-je émue, après unmoment de silence.

– Tu le fais pas pour moi ? lanceNikki, vexée.

– Si, aussi, dit Théo en riant.– Malgré ce que dit Grace, ce n’est

pas si HORRIBLE d’être mon petit ami,tu sais !

– J’en suis sûr, dit Théo, la main surle cœur.

– Tu vas voir, on va bien s’amusertous les deux, dit Nikki, soudain toutexcitée.

Je regarde Théo avec embarras : ilm’a déjà l’air sous le charme de Nikki.Et c’est ça qui m’inquiète le plus. Théoest un vrai sentimental, il tombefacilement amoureux, et il s’emballe.Cela lui a valu certaines déconvenues, etbeaucoup de souffrance. Il a le don pourtomber amoureux de filles qui ne luiconviennent pas. Déjà une ou deux fois,je l’ai ramassé à la petite cuillère. Jen’aimerais pas que ça se reproduise,avec ma demi-sœur en plus ! Surtout que

Nikki est une mangeuse d’hommes, etson palmarès est chargé.

– Bon, puisque tu es partant Théo,intervient Caleb en interrompant leursroucoulades, il faut qu’on s’organise. Ilva falloir un storytelling efficace pourrendre votre couple crédible…

Je ne veux même pas entendre…

Je me lève de table pour débarrasser.Robert esquisse un geste pour m’aidermais je lui fais signe de rester assis.Qu’ils préparent leur conte à dormirdebout pour les médias, moi je m’envais, je ne veux rien avoir à faire avectout ça…

32. Confidences ausommet

– Oh, excuse-moi. Ce n’est pas de cecôté la salle de bains ?

Je me suis installée avec un guide dela Tanzanie dans le grand salon à l’étagepar lequel on accède à la terrasse. J’ailaissé ouvertes les portes-fenêtres pourprofiter de la douceur printanière.

Je lève la tête de mon livre pourrépondre à Stacy.

– Non, c’est de l’autre côté ducouloir.

– Ça donne sur la terrasse ? dit-elleen montrant la porte-fenêtre entrebâillée.

– Oui, il y a un petit escalier, tu veuxmonter ?

– Je veux bien jeter un œil, oui merci.Je ne suis jamais venue depuis queCaleb a emménagé ici.

Je la précède par le petit escalierjusqu’au toit et j’allume l’éclairage de laterrasse.

– Quelle vue ! Je comprends sonemballement quand il a trouvé ceduplex, commente Stacy en faisantquelques pas, embrassant l’horizon de

gratte-ciel du regard.– Dis-moi Stacy…, commencé-je,

avant de m’interrompre.

Elle se retourne vers moi,m’interrogeant du regard.

– Oui ?– Tu n’as pas l’air ravie de travailler

sur le dossier de Nikki. J’ail’impression que tu en veux à Caleb del’avoir prise pour cliente.

Stacy me considère un instant. Je voisqu’elle fait un effort pour choisir sesmots.

– Eh bien… C’est un peu délicat de

te dire ça, tu es la sœur de Nikki… Maisc’est vrai, j’aurais préféré que le cabinetse passe de sa clientèle.

– Pas assez chic pour toi ? lancé-je,d’un ton plus agressif que je ne l’auraisvoulu.

Mais merde, c’est ma sœur.

– Tu as peur qu’elle ne fasse fuir tesautres clients ?

Stacy a un petit rire.

– Tu te trompes, Grace. Avoir Nikkipour cliente est une bonne affaire pournous. Tout cabinet a besoin de notoriétépour s’affirmer et s’imposer sur le

marché. Et avec le procès de Nikki, nousallons nous retrouver sous les feux desprojecteurs, c’est le moins qu’on puissedire.

– Alors ? Pourquoi es-tu siréticente ?

Cette fois encore, Stacy fait unelongue pause, sans cesser de medévisager. J’ai l’impression qu’elle sedemande si elle peut me parler librementou pas.

– Tu veux la vérité ? lance-t-elleenfin. Je ne supporte pas ce genre defilles. Elles n’ont manqué de rien, ellesont été élevées dans le luxe, ellespeuvent si elles le veulent avoir accès

aux meilleures écoles. Et qu’est-cequ’elles choisissent comme vie ? Ellesfont la fête, disent et font des conneries àlongueur de journée, montrent leur cul àqui veut bien le voir et le pire, c’estqu’avec ça elles gagnent des fortunes,alors qu’il y a des pauvres gens quitriment comme des chiens et qui nepeuvent pas nourrir leurs enfantscorrectement.

Je ne dis rien. Ça me révolte toutautant qu’elle.

– Je n’ai rien contre ta sœurpersonnellement, mais franchement, çame dérange qu’elle ne se rende pascompte de la gravité de ses actes. Elle

conduit bourrée, et ça ne la perturbe pasplus que ça. Elle a raison, remarque :elle peut se payer les meilleurs avocats,et elle n’ira probablement pas en taulealors que d’autres croupissent en prisonparce qu’ils n’ont eu qu’un pauvreavocat commis d’office qui a à peinefini ses études ou qui se fout de sesclients miséreux comme d’une guigne.

Elle s’arrête soudain, et je voisqu’elle regrette de s’être laisséemporter. Elle guette ma réaction avecun brin d’inquiétude dans l’œil. Maiscomment pourrais-je lui en vouloir,alors que je suis d’accord avec elle ?

– Tu as raison sur tout, Stacy. Cent

pour cent raison. Mais c’est ma sœur…Et je ne peux que me réjouir qu’ellevous ait, toi et Caleb, comme avocats.

Stacy reste muette un instant, avant dereprendre sur un ton plus calme :

– Je suis désolée d’avoir été unpeu… vive. Je n’ai pas autant d’étatsd’âme d’habitude, ajoute-t-elle avec unrire sec. En général, je ne juge pas mesclients, je suis payée pour les défendre,même s’ils sont coupables, même s’ilsse sont mal comportés. Mais je penseque ta sœur a touché une corde sensiblechez moi.

Je la regarde sans comprendre.

– Caleb ne t’a rien dit ? J’ai dû enbaver pour en arriver là où je suis, dit-elle d’un air fier. Mon père est mortquand j’avais 3 ans, ma mère faisait desménages pour nous élever mes sœurs etmoi. On vivait à quatre dans unecaravane. Je sais ce que c’est qued’avoir faim, Grace. D’aller à l’écoleavec des habits trop grands pour moi, outrop petits, donnés par des âmescharitables, et d’être moquée par tous.Je savais que pour m’en sortir, je devaisêtre la meilleure à l’école. Et crois-moi,je l’ai été. Harvard m’a accordé unebourse, et j’ai pu quitter le fin fond duKentucky et faire les études que mapauvre mère n’aurait pas pu m’offrir.

J’ai travaillé comme une folle, et j’aiaussi appris à me tenir en société, àm’habiller… Caleb m’a bien aidée.

Je la regarde, bouche bée,culpabilisant.

Et moi qui croyais qu’elle était néedans la soie.

– Je… Je ne savais pas.

Stacy éclate de rire.

– Tu ne pouvais pas me faire demeilleur compliment, me dit-elle. Si tun’as pas deviné que j’étais unebouseuse, c’est que j’ai vraiment bien

travaillé.

C’est comme si je la voyais avec desyeux nouveaux : depuis que je laconnais, j’ai toujours trouvé Stacyimpressionnante, mais aussi arrogante,trop sûre d’elle. Aujourd’hui, jecomprends que son attitude n’a rien àvoir avec son origine sociale. Ou plutôtsi, mais dans le sens exactementcontraire à celui auquel je pensais. Cen’est pas une héritière blasée, mais unefille qui s’est battue pour réussir dans lavie, alors qu’elle n’avait rien pour elleau début, si ce n’est sa grandeintelligence et sa détermination sansfaille.

– Je comprends que des personnescomme Nikki puissent t’horripiler, dis-je. Moi-même, je déteste son choix devie, et il nous a éloignées l’une del’autre pendant plusieurs années. Mais jel’aime beaucoup, et je t’assure qu’elleest loin d’être la ravissante idiotequ’elle paraît parfois. Et même si Nikkin’a pas connu les difficultés matériellesque tu as rencontrées petite, je peuxt’assurer qu’elle n’a pas eu une enfancefacile.

Je ne veux pas entrer dans les détails.Ce n’est pas à moi de lui dire que lamère de Nikki, qui en avait la gardepartagée, était alcoolique et droguée,qu’elle lui a fait vivre des situations

qu’aucune gamine ne devrait connaître.Son histoire ne m’appartient pas. Et puisje ne veux pas avoir l’air de comparerleurs destins, de minimiser le passédouloureux de Stacy.

– Oui, sans doute, dit Stacy,déstabilisée, la vie n’est facile pourpersonne.

Je crains de l’avoir froissée.

– Ce n’est pas ce que je voulais dire,Stacy. Je t’admirais déjà, maintenant, jesuis carrément impressionnée par tonparcours.

Gênée par ma remarque, qui a l’air

cependant de lui faire plaisir, Stacy faitun petit signe de la tête pour meremercier.

– Bon, faut que je redescende, dit-elle, manifestement désireuse de mettrefin à cette conversation. J’ai quandmême une cliente à sauver…, plaisante-t-elle. Tu descends aussi ?

– Non, je vais rester là, à bouquiner,dis-je en montrant le guide que j’aigardé à la main.

Après son départ, je m’installe surune chaise longue, mais j’ai beaucoup demal à me replonger dans ma lecture. Jem’en veux de m’être trompée sur lecompte de Stacy. Je la trouvais hautaine,

snob, blasée. Son ambition dévorante nefait que cacher un désir de revanche et lacrainte de connaître de nouveau lamisère.

– Stacy n’est pas là ?

Je me retourne pour découvrir Robertderrière moi.

– Non, elle vient de descendre.– Ah bon ? Je ne l’ai pas croisée.– Elle a dû faire un stop dans la salle

de bains. Mais elle comptait vousrejoindre juste après.

Robert regarde autour de lui leslumières de la ville.

– Jolie terrasse. Je peux fumer ici ?– Bien sûr, tiens, prends une chaise.

Il y a un cendrier sur la petite table, là.

J’aime bien Robert. Contrairement àStacy, il m’a plu tout de suite, depuis mapremière visite au cabinet de Caleb etStacy, quand il m’a invitée à prendre unverre. Il voulait faire ma connaissance,il a été adorable ; Il m’a aussi dit tout lebien qu’il pensait de Caleb, ce qu’ilavait fait pour lui, et je me souviens quecela a changé l’idée que je m’étais faitede celui que je venais à peine d’épouser,sans le connaître.

Depuis cette rencontre, on s’estcroisés à plusieurs reprises Robert et

moi, mais on n’a plus jamais eul’occasion de vraiment discuter, commecette première fois.

– Ils en sont où ? dis-je, un peu gênéepar le silence qui s’est installé.

– C’est bientôt fini. Caleb veut voirquelques points avec Stacy, maisl’essentiel est réglé.

Il tire sur sa cigarette.

–Ton ami a bien compris de quoi ils’agissait, mais pour ta sœur, je n’ensuis pas sûr. Elle prend ça comme unjeu, j’ai l’impression, dit Robert ensouriant.

Je soupire.

– J’en ai bien peur.– Il faudrait quand même qu’elle

comprenne qu’elle risque gros. Laprison, ce n’est pas une partie de plaisir.

J’ai une espèce de bouffée de honteen pensant à la désinvolture de Nikki,qui doit être particulièrement choquantepour Robert qui a passé une partie de savie, à tort, derrière les barreaux.

– Elle est un peu immature, reprendRobert, mais je crois que c’est unegentille fille. J’espère que l’on pourralui éviter le pire.

– Tu en dis quoi de cette histoire de

tentative de meurtre ? dis-je, curieused’avoir son avis.

Robert est chargé de trouver lespreuves pouvant innocenter Nikki ducrime dont l’accuse ce paparazzi et dontles médias ont fait leurs choux graspendant quarante-huit heures.

– Je ne sais pas, me dit Robert,dubitatif. Ce type ne m’inspire pasconfiance, mais il a été accidenté, çac’est sûr. Et la voiture de ta sœur estbien passée quelques minutes avant àl’endroit où il a été retrouvé par lessecours. Mais il n’y avait pas de camérade surveillance dans le coin, et on n’apour l’instant aucun témoin de la scène.

– Ça se présente mal pour Nikki ?– Pas si mal que ça, dit Robert avec

une voix qu’il veut rassurante. Ce typen’a pas de casier, mais il n’a pas trèsbonne réputation non plus. Il faut quej’aille fouiner dans les parages, essayerde trouver d’éventuels témoins… Le jobhabituel quoi, dit-il en souriant.

– Stacy n’est pas très contented’avoir à défendre Nikki, dis-je aprèsavoir hésité un instant. Elle m’a expliquéses raisons, et je les comprends. Maisj’ai peur que ça ne crée un conflit entreCaleb et elle ; j’ai l’impression queleurs rapports sont un peu tendus, non ?

Robert réfléchit un moment, en tirantlonguement sur sa cigarette.

– Tu sais, Stacy et Caleb ont de fortstempéraments, ça fait un moment que jeles vois travailler ensemble, et ce n’estpas toujours dans la douceur. Mais c’esttoujours dans le respect. Ils ont quelquesdissensions, mais ils partagent une mêmevision du droit, du rôle de l’avocat, ilsse connaissent aussi par cœur. Et, ce quiest très important, ils ont une grandeconfiance l’un dans l’autre.

– Vous…, commencé-je, sans réussirà finir ma phrase.

Robert me regarde à travers ses yeuxmi-clos, un sourire amusé aux lèvres :

– Oui Grace ? Tu as une question ?– Euh… non, non, dis-je

embarrassée.– Au sujet de Stacy et moi peut-être ?

Je le regarde, bouche bée.

Il rit doucement.

– Je t’ai vue dans le taxi.

Je me sens rougir.

– Je… je n’ai rien dit à personne,dis-je précipitamment. J’avais mêmeoublié avant de vous revoir ensemble cesoir. Stacy sait…

– Non, je ne lui ai pas dit que tu nousavais vus. Elle se serait inquiétée, et jesavais que tu resterais discrète. Je crois

qu’elle n’a pas envie que ça s’ébruite.Pas pour l’instant.

Je baisse la tête, ne sachant quoipenser.

Elle a honte de lui ?

– Tu aimerais que ça se sache ?m’enquiers-je.

Robert reste silencieux, puis il selève de sa chaise et fait quelques pasjusqu’au bord de la terrasse ; il reste uninstant à regarder les lumières desphares dans la rue en contrebas.

Je n’ose pas parler. J’attends

sagement qu’il reprenne la parole. Oupas.

Il se tourne enfin vers moi.

– J’aime Stacy. Je l’aime vraiment,profondément. Je suis prêt à attendre. Jecomprends que pour elle, cette relationn’est pas facile à assumer. Pas parce queje suis afro-américain. Mais parce quej’ai été condamné à mort, pour meurtre.J’ai été blanchi, c’est vrai, mais c’estune accusation qui laisse des tracesindélébiles. Sans compter que je suisaussi son employé, que j’ai presque10 ans de plus qu’elle, et que même siCaleb et elle me paient très bien, ellegagne peut-être cinq fois ce que je

gagne. Il faut reconnaître que je ne suispas tout à fait le parti idéal, conclut-il ensouriant.

– Mais, tu vas faire quoi ? Resterl’amant caché de Stacy ? dis-je,attristée.

– S’il le faut, répond-il placidement.Comment oserais-je me plaindre ? Stacym’aime, je le sais, même si elle a du malà assumer notre relation. Je m’estimedéjà bien chanceux qu’elle m’aitdistingué entre tous, moi un pauvre typequi sort de prison, elle qui est si belle,si courtisée. J’ai confiance dans letemps qui passe. Si je n’avais pas euconfiance, je n’aurais pas survécu aucouloir de la mort. Mais j’étais innocent,

et j’avais la foi. Et Dieu m’a envoyéCaleb.

Il me regarde, les yeux brillants dansl’obscurité qui s’installe.

– Je profite de l’instant présent, jen’en demande pas plus, reprend-il. Tantque Stacy voudra de moi à ses côtés, jeserai là. Et si un jour, elle veut qu’onvive notre histoire au grand jour…

Il ne termine pas sa phrase. Jecomprends que c’est ce qu’il espère par-dessus tout, même s’il ne réclamerajamais rien à Stacy.

– Je te le souhaite Robert, tu le

mérites, dis-je, émue.– Tout le monde mérite l’amour,

Grace, me répond-il de sa belle voixgrave. Tout le monde.

33. God bless America

– Nikki, mais qu’est-ce que tu faislà ?

Effarée, je regarde Nikki qui vient defaire une apparition sous la tente où sontréunis tout le staff du père de Caleb etquelques happy few célèbres venus lesupporter. L’ambiance est électrique, ças’agite dans tous les sens, dans unbrouhaha d’enfer. Le sénateurMontgomery tient un meeting surRoosevelt Island, une petite île surl’East River, entre Manhattan et le

Queens. Il s’apprête à faire son discoursdans une ambiance champêtre, sur unpodium entouré de gradins où la foule sepresse déjà, avec en toile de fond laskyline où se détachent les hautessilhouettes du One World Trade Centeret de l’Empire State Building.

– Mais je suis venue soutenir lesénateur, dit Nikki en ouvrant de grandsyeux innocents.

Elle a plusieurs fois laissé entendrequ’elle voulait venir, mais je croyais luiavoir fait comprendre que sa présencepouvait être plus une gêne qu’un atoutpour le sénateur. Je croyais le messagepassé, mais comme toujours, elle n’en a

fait qu’à sa tête ! Ce matin, quand noussommes partis de l’appartement avecCaleb pour rejoindre ses parents quivenaient d’arriver en ville, elle dormaitencore. Jamais je n’aurais pensé qu’elleallait débarquer comme ça, àl’improviste.

– Grace, vous ne m’aviez pas dit quevotre sœur venait, s’exclame Noah, quivient d’apparaître comme par magie àmes côtés. Bonjour Nikki, je suis NoahGrumberg, directeur de campagne dusénateur Montgomery. Enchanté de fairevotre connaissance, dit-il en lui serrantchaleureusement la main. Vous être unesupportrice du sénateur ?

– Absolument, lui répond Nikki avec

son plus beau sourire.– Je suis désolée Noah, dis-je

confuse, ce n’est pas moi qui l’aiemmenée. Elle est venue de sa propreinitiative, je lui avais pourtant dit…

– Mais ce n’est pas grave, Grace, mecoupe Noah, tout en ajustantnerveusement sa veste de costume horsde prix, avant de passer une main dansses cheveux impeccablement coiffés enarrière.

Derrière son grand sourire, je voisbien qu’il réfléchit à toute vitesse. Jecommence à le connaître maintenant : ilse demande s’il peut tirer profit de laprésence de Nikki au meeting. Nikki ades milliers (des millions ?) de fans, et

si elle s’engage aux côtés du sénateur,c’est sûr qu’une grande partie d’entreeux la suivra. Mais elle a aussi desénormes casseroles : c’est une star detéléréalité, ce qui n’est pas le soutien leplus crédible et sérieux au monde. Sanscompter une récente arrestation en étatd’ivresse pour laquelle elle sera bientôtjugée, et même une plainte pour tentativede meurtre !

Je dois reconnaître que ça m’amusede voir Noah hésiter sur la décision àprendre concernant Nikki, tout en faisantdes amabilités à n’en plus finir histoirede ne pas la froisser.

C’est alors que je vois la mère de

Caleb sortir du fond de la tente et fondresur nous. Je regarde Noah qui l’aremarquée tout comme moi et je lis lapanique dans son regard tandis qu’ilcontinue à sourire en écoutant Nikki quilui explique à quel point elle admire lesénateur.

– Laura, dit-il en s’avançant vers lamère de Caleb, permettez-moi de vousprésenter Nikki Bolnick.

– Qu’est-ce qu’elle fait là ?demande-t-elle d’un ton sec, sans jeterun regard à Nikki et ignorant sa maintendue.

– Eh bien…, dit Noah en essayant dese montrer imperturbable, même si sonsourire s’est un peu crispé, Nikki est

venue supporter le sénateur.– Mais vous êtes devenu fou !

s’exclame Laura, décomposée.

C’est à ce moment-là que son maridécide de venir rejoindre notre petitgroupe.

– Je suis prêt les enfants commence-t-il, avant d’aviser Nikki. Bonjourmademoiselle, dit-il en lui tendant lamain, on se connaît ?

Il ne l’a pas reconnue.Vraisemblablement, il ne sait pas du toutqui elle est, contrairement à sa femme.

– Je suis la sœur de Grace, minaude

Nikki. Enfin, sa demi-sœur…– Vraiment ? dit aimablement le

sénateur. Quel plaisir de vous connaître.Nous n’avons pas encore eu la chancede rencontrer la famille de notre chèreGrace, mais j’espère que nous pourronsnous voir bientôt. Et comment vousappelez-vous ?

– Hum… euh…, s’étouffe Noah,Nikki est une star, sénateur, elle a sapropre émission de télévision.

– Ah bon ? Mais c’est merveilleux,une si jeune personne, dit le sénateur quipenche sa haute taille d’un air intéressévers Nikki, qui semble boire du petit-lait.

S’il y en a une qui n’est pas à la fête

en revanche, c’est bien la mère deCaleb. Elle est verte de rage. Je voisqu’elle se retient, mais elle est au bordde l’implosion. Et pour une fois, je lacomprends : le sénateur est à deux doigtsde remporter l’investiture de son parti ;dans moins de trois mois, il sera peut-être désigné candidat à la présidencedes États-Unis. Il est au plus haut dansles sondages, qui sait si la présence deNikki à son meeting ne va pas le faireplonger ? Et pas si sûr que Noah ait déjàeu à faire face à ce genre de situation…

– C’est gentil d’être venue, dit lesénateur à Nikki, on va vous faire uneplace sur le podium, n’est-ce pas Noah ?

À ce moment-là, on vient chercher lesénateur pour l’emmener auprès dumaire de New York, qui vient d’arriver.Noah a l’air d’un lapin pris dans lesphares d’une voiture. Laura, Nikki etmoi-même avons les yeux braqués surlui.

– Eh bien… Je crois quemalheureusement…, commence-t-il,hésitant, le regard rivé sur Laura.

Je comprends son hésitation : s’ilrepousse Nikki, il sait qu’avec un seultweet, elle peut ruiner la campagne dupère de Caleb. Mais l’avoir sur lepodium à ses côtés peut aussi lui fairebeaucoup de mal ; cela, le sénateur ne

l’a pas mesuré, car il ne connaît pas laréputation sulfureuse de Nikki. MaisNoah, si !

Je décide d’intervenir :

– Écoute Nikki, je pense qu’il fautque tu te fasses discrète. C’est gentil devouloir soutenir le sénateur, mais je necrois pas que ce soit une bonne chosepour toi que l’on te voie ici. Imagine quele juge qui va décider de ta peine soitd’un bord politique opposé ? Ça peutjouer sur ta condamnation.

C’est tout ce que j’ai trouvé pourfaire partir Nikki en ménageant sasusceptibilité.

Le visage de Noah s’éclaire, et il meregarde d’un air reconnaissant.

– Oh… Je n’y avais pas pensé, ditNikki, hésitante. Tu crois ?

– À ton avis ?

Elle porte un doigt à ses lèvres et lemordille d’un air songeur.

– Bon ben, je crois qu’il vaut mieuxque je rentre dès maintenant, avant qu’onme prenne en photo.

– Je vais vous faire raccompagner,s’empresse Noah. C’est dommage pourcette fois, mais on compte sur vous ennovembre, pour la campagneprésidentielle ?

Nikki me fait une bise et s’éloigneavec Noah sans avoir jeté un regard àLaura. Je me tourne vers elle, et je voisqu’elle me regarde avec gratitude.

– Merci beaucoup Grace.– De rien, je l’ai fait pour votre mari,

dis-je un peu froidement.– Ce que vous faites pour mon mari,

vous le faites pour moi Grace, répond-elle. C’est comme ça dans un couple.Nos destins sont liés depuis près detrente ans. Vous verrez, quand vous aurezété mariée autant de temps avec Caleb…

Chaque fois qu’elle fait allusion ànotre couple, je me sens mal à l’aise.J’ai l’impression qu’elle soupçonne

quelque chose, et je vois des sous-entendus dans chacune de ses phrases.

Depuis Chicago et l’interview deCaleb, nous n’avions pas revu sesparents. Je sais que Caleb a eu plusieursfois son père au téléphone, mais d’aprèsce que j’ai vu lorsque nous les avonsretrouvés pour déjeuner (avec une partiedu staff de campagne, ce qui ne favorisepas les échanges privés), ses relationsavec sa mère sont encore tendues.

– Comment va Caleb ? me demande-t-elle soudain.

– Mais… Bien, dis-je, surprise etgênée. Vous l’avez vu vous-même…

– Mon fils souffre et m’en veut. Ces

ragots dans la presse, l’interview qu’il adû faire… Tout ça a ravivé sa colèrecontre moi, dit-elle en tripotantnerveusement son collier de perles.

Je reste muette. Que lui dire, sinonqu’elle a raison ?

– Je n’ai jamais voulu lui faire dumal, vous comprenez Grace. Je l’aime,c’est mon unique fils, dit-elle en meregardant dans les yeux.

Elle me fait presque pitié. C’est lapremière fois que je vois cette femmedure, inflexible, exprimer dessentiments. Elle me touche, je la trouve« humaine » tout à coup, elle qui me

semblait jusqu’alors juste un blocd’ambition.

Je ne sais pas quoi lui répondre. J’aienvie de la rassurer, mais je ne peux pasparler à la place de Caleb. D’ailleurs, jeserais bien en peine : je sais que Caleb amal supporté le fait que tout le mondesache qu’il n’était pas le fils biologiquedu sénateur, et qu’il en veut encore à samère, mais il n’aborde jamais ce sujet,et je l’évite aussi.

Laura continue à me dévisager,comme si elle attendait des parolesapaisantes de ma part.

– Il sait que vous l’aimez. Soyez

patiente.

Je me sens un peu nulle, mais je n’airien trouvé d’autre à dire. À ma grandesurprise, Laura a l’air de s’en contenter.Elle a un bref sourire, puis jugeant sansdoute qu’elle s’était assez livrée commeça, elle prend congé :

– Désolée, je vais devoir vouslaisser, le meeting va commencer. Noahvous a montré votre place ?

– Oui, oui, c’est fait.

C’était un sujet de discussion audéjeuner : le sénateur et Caleb ontinsisté pour que je sois avec eux à latribune, mais j’ai refusé. J’ai donc un

siège au premier rang, d’où je vaispouvoir tranquillement assister aumeeting sans me soucier de la bonneattitude à adopter devant lesphotographes.

Laura s’apprête à me quitter, maiselle se retourne au dernier moment et medit :

– Votre tenue est ravissante.Félicitations.

Elle tourne les talons avant que jepuisse la remercier. Les complimentsdans sa bouche sont tellement rares queje suis particulièrement touchée. Jesuppose qu’elle a dit ça pour se

rattraper, par rapport à notre premièrerencontre, quand elle voulait merelooker.

Sa remarque m’avait énervée, maisaujourd’hui, en y repensant ça me faitsourire. Mes jeans et mes basketss’ennuient depuis un moment dans leplacard. Mon rapport à la mode, auxvêtements, a évolué depuis Caleb.Depuis que je l’ai rencontré, j’ai enquelque sorte investi ma féminité. Je neserai jamais une fashion victim, mais jeprends plaisir à être élégante, féminine,séductrice aussi, pour Caleb, maiségalement pour moi. Je me regardedavantage dans le miroir, et j’aime ceque j’y vois, comme ce matin, quand j’ai

revêtu cette jolie robe printanière fleurieMarni et ces sandales à talons. Et vu latête de Caleb, ça lui a beaucoup pluaussi…

– Grace, vous venez ? me demandel’assistant de Noah.

– Oui. Vous avez vu Caleb ? dis-je enprenant l’accréditation qu’il me tend eten la passant autour de mon cou.

– Il vous cherchait mais on a dû lefaire monter sur scène. Le publiccommençait à s’impatienter.

Caleb doit faire un des discoursd’introduction. J’en ai mal au ventrepour lui depuis ce matin, mais luisemblait tout à fait détendu.

Je regarde ce qui est écrit sur monaccréditation.

« Famille : Grace Montgomery »

J’en suis toute retournée.

– Je vous suis, dis-je, le cœur battant,alors qu’éclate l’hymne américain sousun tonnerre d’applaudissements.

***

– Je sais pas si je vote pour son père,mais je voterais bien pour lui !

Je me retourne pour regarder derrièremoi : deux femmes très élégantes se

pâment comme des collégiennes à unconcert de One Direction. Je ne peux pasleur jeter la pierre : Caleb est sur scène,et que dire… il déchire.

Il est incroyablement beau et sexydans son costume bleu nuit, ses cheveuxbruns un peu plus courts que d’habitude.À l’aise, décontracté, il fait rire toutel’assemblée, hommes et femmesconfondus, avec ses remarques pleinesd’humour qu’il distille avec son petitsourire en coin qui me fait craquer. Etpas que moi, si j’en juge par lesgloussements des femmes assisesalentour. Je suis si fière de lui, et je n’enreviens pas de ma chance. J’ai envie dehurler : ce mec m’aime !

Quand je suis venue m’asseoir aupremier rang, j’ai bien vu les regardscurieux, et j’ai entendu des gensdemander qui j’étais. Tout le mondem’observait, et j’étais contente d’avoirfait un effort vestimentaire. J’ai bien ri(intérieurement) en voyant les regardsjaloux que m’ont jetés certaines femmes.

Eh oui, mesdames, faut vous y faire,c’est moi qu’il a choisie !

Chaleureusement applaudi, Caleblaisse la place à son père, qui le prenddans ses bras avant de se saisir dumicro. Le sénateur est accueilli par unevéritable ovation et je prends la mesurede sa popularité. C’est un excellent

orateur, et je comprends qu’il recueilletous les suffrages. C’est seulement à cetinstant que je réalise que cet homme, lepère de Caleb, ce géant débonnaire auxcheveux gris, a bel et bien une chanced’être élu président des États-Unis !

Cette idée me donne le vertige et jepréfère ne pas m’appesantir dessus.Avec Caleb, nous ne parlons pasd’avenir, nous nous contentons del’instant présent. Mais si son père est éluà la tête du pays, notre vie en seraforcément affectée.

Le discours du sénateur a duré unetrentaine de minutes. Porté par lesbravos, il salue l’assistance avec

reconnaissance, tandis que les flashscrépitent et que des célébrités du mondede la politique et de la culture viennentl’entourer. Je n’ai qu’une envie,rejoindre mon amoureux. Avec monaccréditation passe-partout, je peuxfacilement me faufiler jusque derrière lepodium, où Caleb m’attend.

Je me jette dans ses bras. La musique,la foule, les acclamations : tout cela m’acomme enivrée. Je me suis laissé gagnerpar l’exaltation du public, du candidatgalvanisé par les applaudissements.

– Alors, tu vas voter pour lui ? medemande Caleb avec un souriremoqueur.

J’éclate de rire.

– Oh que oui ! m’écrié-je. Il a étésuper. Tu as vu les gens ? Ils étaientcomme des fous !

– Oui, Dad a un excellent programme,mais il est aussi plus sympathique que laplupart des hommes politiques. Ça nenuit jamais. Et c’est naturel chez lui,c’est pas comme d’autres…

– Toi aussi tu as remporté tous lessuffrages, dis-je, ironique.

– Moi ? dit Caleb en haussant lessourcils.

– Je peux te dire que ça y allait, lescommentaires. Qu’est-ce que je n’ai pasentendu sur toi ! Je me demandais sij’étais vraiment à un meeting politique.

Les femmes bavaient sur toi,littéralement. Si tu voulais, tu n’auraisque l’embarras du choix…

Caleb resserre son étreinte et sepenche pour murmurer à mon oreille.

– Mais moi je ne veux que toi.

Je rosis de plaisir, mais je continue àle taquiner :

– Hum, tu dis ça parce que tu ne lesas pas vues. Il y avait bien quelquesrombières qui s’extasiaient, mais pasque. Il y en avait deux trois vraiment trèsbelles…

– Attends-moi là.

II s’éloigne de quelques pas pourparler à l’un des assistants de Noah, quilui donne un objet que je n’identifie pas.Puis il revient vers moi et me prend parla main.

– Viens !– On va où ?– Tu verras !

Il m’entraîne derrière lui, fendant lafoule déchaînée, saluant avec un grandsourire, mais sans s’arrêter, ceux quiessaient de lui parler.

Je vois au loin la haute et imposantesilhouette du sénateur qui, encadré dedeux gardes du corps, est en plein bain

de foule, serrant les mains de supportersenthousiastes.

Caleb me conduit jusqu’au camion-loge dans lequel son père s’est faitcoiffer et même maquiller, pour lescaméras. Il sort une clef de sa poche(sans doute l’objet que lui a donnél’assistant de Noah) et ouvre la porte ducamion dans lequel il m’entraîne.

À peine la porte refermée, etprudemment verrouillée, il m’embrasseavec passion. Je me serre contre lui,répondant d’une ferveur égale à sonbaiser brûlant.

Je sens alors ses mains qui se glissent

sous ma robe.

– Mais qu’est-ce que tu fais ? dis-jeen éclatant de rire.

– Tu crois que je t’ai emmenée làsimplement pour t’embrasser ? ironise-t-il. Je vais te prouver qu’aussiséduisantes que puissent être mes « fans», puisque d’après toi j’en ai, c’est toique je veux, et uniquement toi.

– Mais Caleb, pas ici…, tenté-je derésister, mais sans grande conviction.

Le désir qui s’est insinué en moilorsque je l’ai vu sur scène a encoredoublé d’intensité sous ses baisers.

Je tente cependant de rester

raisonnable :

– Mais n’importe qui peut entrer, lesmaquilleurs vont débarquer…

– Ils sont sous la tente, prêts pour lesretouches avant les interviews.

– Caleb, non…, dis-je d’une voix pastrès convaincue, tandis qu’il me caresseles fesses.

– J’ai verrouillé la porte, me susurre-t-il langoureusement.

Je le regarde, ouvrant la bouche pourtenter de protester, mais son regardcaressant me fait abandonner l’idée.

Après tout, si la porte estverrouillée…

La langue de Caleb fouille ma bouchetandis que ses mains reviennent tirer surma culotte en soie. Il me plaque contrela paroi du camion et se presse contremoi. Ses doigts viennent caresser monsexe, déjà tout humide. Je m’agrippe àses épaules, tandis qu’il s’introduit dansmon intimité. J’attire sa tête à moi, jemords ses lèvres goulûment, j’aspire salangue tandis qu’il me donne du plaisir.

Mais bientôt il échappe à ma boucheaffamée pour descendre le long de moncorps. Il baisse les bretelles de ma robeet libère mes seins du soutien-gorgebandeau qui les retenait. Doucement, iltaquine les pointes de sa langue, tandisque je me consume. Après quelques

secondes de ce petit jeu, il s’agenouilledevant moi, soulève ma robe, et vientembrasser mon ventre, jusqu’à effleurerma toison. Mon sexe palpite, réclame sabouche, mais il ne fait que l’effleurer àtravers la soie de ma culotte. Ses mainsme caressent les fesses, puis sesaisissent du tissu qu’elles font glisser lelong de mes jambes. Les lèvres de Calebviennent baiser mes pieds, presque nusdans mes fines sandales, remontent surma peau électrisée jusqu’en haut descuisses. Mon corps est tout à Caleb,mais je ne peux m’empêcher de guetterles bruits à l’extérieur du camion. J’ail’impression que la clameur se calme, etj’ai peur que l’on ne nous surprenne.

– Caleb, vite…, gémis-je.– On a tout notre temps, dit-il

tranquillement, tandis que sa boucheremonte jusqu’à ma toison.

Il va pour poser, enfin, ses lèvres surmon sexe quand on toque à la porte. Jereste saisie. J’ai l’impression que moncœur s’est arrêté. Sans se départir deson calme, Caleb se redresse et met undoigt sur ma bouche pour m’intimer lesilence.

– Caleb ? appelle une voix àl’extérieur. C’est Noah. Mon assistantm’a dit que tu avais pris la clef.

Caleb se mord les lèvres en souriant,

tandis que je panique. Noah sait qu’onest à l’intérieur, on est obligés d’ouvrir.

Caleb me fait signe de ne pas bouger,les yeux rieurs. Il rajuste la chemise quej’avais un peu déboutonnée et va ouvrir,bouchant la vue sur l’intérieur du camionde son corps.

– Oui, Noah ?– Je peux entrer ? J’ai oublié un

dossier à l’intérieur…– Je vais te le donner, dit Caleb en

baissant la voix. Grace a une migraine,elle s’est allongée sur la banquette ets’est assoupie…

– Oh… Oui, je vois…, dit Noah, queje sens un peu suspicieux. Tu veux du

paracétamol ?– Non merci, c’est gentil, Grace avait

ce qu’il faut. Ne bouge pas, je vaisprendre ton dossier.

Caleb rentre et prend le dossierabandonné sur un siège. Je me plaquecontre la paroi glacée, sans même oserrajuster ma poitrine dénudée de peur defaire du bruit. C’est à peine si je respire.Mon cœur bat la chamade, mais à magrande surprise, je suis de plus en plusexcitée. Et puis voir Caleb aussi maîtrede lui, si impassible, le rend encore pluscraquant.

– C’est celui-là ? dit Caleb en allantrejoindre Noah sur le pas de la porte.

– Oui, c’est ça, merci, dit Noahjoyeusement. Tu as vu, ton père a étéformidable aujourd’hui…

– Oui, dit Caleb que je sens presséd’abréger. On en parle plus tard, tuveux ?

– Oh… Oui, bien sûr, dit Noah. Queldommage pour Grace, elle semblait sibien tout à l’heure, dit-il sur un ton queje trouve plein de sous-entendus.

Et je vais être encore mieux dès quetu seras parti. Je veux du sexe !Dégage, Noah…

– Je vous observais tout à l’heure,vous faites un très beau couple tous lesdeux, continue-t-il.

– Merci, dit Caleb.– J’espère que tu ne m’en veux plus

pour la… hum…petite pression que j’aiexercée sur Grace ?

« Petite pression » ? Un chantageoui !

– Je m’en suis beaucoup voulu,continue Noah, que je soupçonne dementir effrontément, mais maintenant queje vous vois si complices…

– Écoute, Noah…, commence Caleb.– OK, OK, je m’en vais. On se voit

tout à l’heure alors. Je vais passer laconsigne, pour qu’on ne vienne pas vousdéranger… enfin, déranger Grace.Puisqu’elle a mal à la tête…

Ouaip. Il a compris que je n’avaispas plus mal à la tête que lui.

Caleb verrouille la porte derrière luiet revient vers moi avec un grandsourire.

– Je pense qu’on ne sera plusdérangés, dit-il d’une voix sensuelle enretirant sa veste de costume.

– Il n’a pas cru un mot de ce que tului as dit, hein ?

– Noah n’est jamais dupe, mais il saitfaire semblant de l’être, quand c’estnécessaire…

Caleb pose une main sur mon sein, etdit :

– Et si on revenait un peu à nous ?

Au diable Noah et tous les autres…Cette interruption n’a en rien fané mondésir. Au contraire même… Pendant queCaleb caresse ma poitrine, je me jettesur les boutons de sa chemise, quej’arracherais volontiers dans d’autrescirconstances. Mais il n’y a pas queNoah qui va se douter de quelque chosesi Caleb ressort de cette loge avec unechemise sans boutons…

J’embrasse son torse musclé etglabre, frottant mon nez contre sa peaupour m’enivrer de son odeur, tout encaressant la bosse rebondie sous sonpantalon.

Pas de doute, il a très envie de moi.

Je descends sa braguette et libère sonsexe tendu. De la main, je caresse sonmembre, que je sens frémir et grandirencore entre mes doigts, tandis que salangue se perd dans mon oreille.

Soudain, Caleb me prend à bras-le-corps et me soulève. J’ai de nouveau ledos plaqué contre la paroi et les jambescroisées sur ses reins. Nos regards sontrivés l’un à l’autre et d’un seulmouvement, il pénètre mon sexe, prêt àl’accueillir. Il commence un lent va-et-vient.

– Baise-moi, dis-je d’une voix

rendue rauque par le désir.– Tu es sûre ? Tu n’as plus peur ? me

susurre-t-il d’un air narquois. Tu nevoulais pas que j’arrête ?

– T’es malade ? T’as intérêt àcontinuer, dis-je avant de lui mordre leslèvres.

Caleb me regarde d’un air de défi etaccélère le mouvement. Je laisse malgrémoi échapper un gémissement, avant deme mordre les lèvres, tandis qu’il remueen moi de plus en plus fort. La rumeur dela foule au loin et la peur que quelqu’unne survienne ajoutent à mon excitation àla limite du supportable. Je sens sonsexe me fouiller, s’enfoncer au plusprofond, et j’exulte. Je peux voir dans le

miroir derrière lui, entre la chemise et lepantalon seulement baissé, ses fessesmusclées, parfaites, qui se creusent àchaque coup de boutoir. J’aperçois aussimes seins qui tressautent hors de la robe,les tétons foncés par le désir et lescoups de langue de Caleb. La vision denos corps débraillés et soudés en pleinacte sexuel stimule encore mon plaisir.Les à-coups de Caleb me transportent, jem’accroche à ses épaules, griffe sondos, tandis que son sexe me laboureavec passion.

– Oui, plus fort, ne puis-jem’empêcher de gémir, rendue folle parles sensations qui prennent possessionde mon corps et de mon cerveau.

J’entends mon corps qui tape de plusen plus fort contre la paroi. Caleb a dûaussi s’en rendre compte, car il medétache du mur et, les mains agrippées àmes fesses, il me transporte jusqu’à unebanquette où il se laisse retomber. Cechangement de position ne perturbe enrien nos ébats, loin de là. C’est moimaintenant qui le chevauche et quiimpose le rythme. Je monte et descendssur sa verge enchanteresse, je mecontorsionne pour qu’elle explorechaque recoin de mon ventre irradié deplaisir. Je me penche vers Caleb, étendusous moi, offrant mes seins pointus à salangue, les retirant au dernier moment,agaçant ses sens jusqu’à l’exaspération.

Il m’implore des yeux mais chaque foisje lui retire les objets de son désir audernier moment. Mon petit jeu l’amuseun temps, mais soudain il se redresse ethappe un téton, qu’il mordille,m’arrachant un petit cri.

Il se recule et me regarde, et je voisdans ses yeux qu’il craint de m’avoir faitmal.

– Continue, murmuré-je.

Ses yeux brillent de fièvre. Sa boucheretourne sur mes seins pour les lécheravidement.

Je repense fugitivement aux femmes

qui se pâmaient devant lui, et je savourema chance.

C’est moi qu’il aime, c’est moi qu’ildésire. Et c’est moi qui vais le fairejouir…

Ses mains se sont emparées de mesfesses, qu’elles pétrissent avec force.

Son sexe me donne tellement debonheur que j’en oublie ma peur d’êtresurprise. Je le chevauche avec ardeur,heureuse de voir que je sais lui donnerautant de plaisir qu’il m’en donne.J’accélère le rythme pour le menerjusqu’à l’orgasme. Ses mains se crispentsur ma croupe, son regard se trouble et

je sais qu’il en est proche. Je suis moi-même près de jouir. Je ne veux plus meretenir. Mon corps se cabre, transpercépar un éclair d’extase, tandis que Caleblaisse échapper un soupir de jouissance.

Je retombe sur sa poitrine moite, lescheveux collés de sueur.

– Oh mon Dieu, que c’est bon,soupire-t-il.

Je ne réponds pas, mais je n’en pensepas moins.

Blottie contre lui, je savourequelques instants de béatitude, avant derevenir à la réalité.

– Caleb, il faut qu’on parte, ils vontarriver…

Il essaie de me retenir contre lui,mais je m’échappe en riant.

– Allez, habille-toi.

Je rajuste mon soutien-gorge et marobe, et je remets ma culotte abandonnéesur un siège. J’essaie tant bien que malde repeigner ma chevelure emmêlée. Jeme regarde dans la glace, et je resteconsternée en voyant mes yeux qui ontl’éclat d’après l’amour et mes joues enfeu.

– T’as vu la tête que j’ai ? dis-je à

Caleb qui a fini de se rhabiller. Tout lemonde va comprendre ce qu’on a fait ennous voyant sortir d’ici.

– Mais non, dit Caleb en me prenantpar la taille. Personne ne verra rien.

– Tu parles !– Sauf si tu prends ta tête de coupable

comme maintenant, rigole-t-il. Allez,viens.

– Attends, attends, il faut que jerange.

Je ramasse rapidement les quelquesobjets que nous avons fait tomberpendant nos ébats, puis nous sortons ducamion main dans la main. J’espéraism’éloigner du lieu du crime le plusdiscrètement possible, mais j’aperçois

avec horreur le sénateur, sa femme,Noah et un maquilleur à seulementquelques mètres du camion. Je jette unregard à Caleb qui reste impassible.

– Oh, mais vous étiez là, s’exclame lesénateur. Je vous croyais déjà partis.

Je baisse la tête mais la relèveaussitôt en pensant à ce que vient de medire Caleb : surtout, ne pas faire ma têtede coupable.

– Grace avait mal à la tête, dit Noah.Ça va mieux on dirait ? dit-il en souriantd’un air entendu.

– Je… oui, oui, ça va.– Vous nous attendez pour aller dîner,

n’est-ce pas ? demande le sénateur. Onfait une petite retouche maquillage pourla dernière interview, et on y va.

– OK, on vous attend, dit Caleb.

Le sénateur s’éloigne vers le camionen compagnie de sa femme et dumaquilleur, et j’ai des frissons enpensant qu’il y a quelques minutes àpeine, Caleb et moi y faisions l’amour.

Noah s’est attardé auprès de nous. Ilnous contemple un instant, l’air réjoui.

– Vraiment, quel joli couple vousfaites, dit-il.

Il tourne les talons pour s’éloigner,

mais se ravise et pose une main surl’épaule de Caleb.

Il se penche pour lui parler àl’oreille, mais pas suffisamment bas, carà ma grande honte, j’entends ces mots :

– Ta braguette est ouverte.

34. Entre ses mains

– Ça y est ? C’est aujourd’hui que tupars ?

Je suis rentrée à l’appartement aprèsma journée au zoo. Je dois me changer etrécupérer des affaires avant de rejoindreAlicia à la rédaction du K27 . J’ai peurde devoir abandonner mon job auDancing Crane Cafe plus tôt queprévu : j’ai de plus en plus de mal à toutassumer et ce sera pire quand le centrede Susie rouvrira. S’il rouvre. Toddcontinue de travailler sur le dossier, et il

a bon espoir.

J’ai trouvé Nikki dans sa chambre.Elle ne sort pas beaucoup depuis qu’elleest là, surtout seule, elle fait profil bas.Elle est en train de boucler ce quisemble être son dernier bagage. Ellen’est pas venue les mains vides de LosAngeles : je compte bien quatre valisesVuitton alignées sur le parquet.

– Ben ouais, je pars, me dit-elle, jevais chez Théo. Ça ne te fait rien que jeprenne ta chambre ?

– C’est à peine ma chambre tu sais…Je n’y suis pas restée très longtemps.

– Et peut-être que je n’y resterai paslongtemps non plus, dit-elle,

goguenarde.

Je la regarde sans comprendre.

– Si je partage le lit de Théo ! dit-elle en éclatant de rire devant manaïveté.

– Mais je croyais que c’était pourrire, cette histoire ? dis-je soudaininquiète.

– Oh la la, ça va, si on peut plusrigoler, souffle-t-elle en retournant à savalise.

Je suis loin d’être sûre qu’elleplaisantait, mais je préfère ne pasinsister. Je ne veux rien à voir à faireavec toute cette comédie, même si je ne

peux m’empêcher d’être inquiète pourThéo.

Je m’approche pour l’aider à fermerle bagage débordant de fringuesbigarrées.

– Je voulais prendre une chambre àl’hôtel, mais Caleb et sa copine Stacyont refusé. Ils pensent que je vais êtrerepérée et traquée par les paparazzis. Etils n’ont pas tort à mon avis, ils sontmalins les gars. Et comme je ne voulaispas rester ici…

– Tu n’es pas bien avec nous ?– Mais si, l’appartement est génial.

Et Caleb et toi avez été super. Mais çafait dix jours que je suis ici, ça peut pas

durer. Vous avez besoin d’un peud’intimité, vous êtes encore des jeunesmariés, non ?

– C’est gentil Grace, dis-je attendrie.– Bah, fait-elle en haussant les

épaules. De toute façon, je ne vais pasrester trop longtemps à New York, il fautque je retourne à Los Angeles. On nedirait pas, mais je bosse, moi. Monmanageur a compris qu’il valait mieuxque je me fasse discrète un moment,mais je ne pourrai pas continuer trèslongtemps.

– Qu’est-ce que tu vas faire deThéo ?

– II est OK pour faire des allers-retours entre New York et Los Angeles,

histoire de se montrer avec moi,jusqu’au procès.

Je soupire ; cette mascarade quis’annonce me rend folle. Déjà, je détestele principe, mais quand je pense en plusà tout ce que va devoir endosser Théo…Il faut que j’aie une petite discussionavec lui. Je lui suis infinimentreconnaissante de ce qu’il fait pourNikki, et donc pour moi, mais je ne veuxpas qu’il sacrifie sa carrière pour autant.Grâce à sa carte verte, il a pu décrocherplusieurs contrats, dont une pub pour unemarque de jeans. J’ai peur qu’il ne sefasse bouffer par ce rôle de boyfriendofficiel de Nikki. Sans parler de laprobabilité qu’elle lui brise le cœur.

– Bon, je me change et je pars, dis-je,une fois la valise fermée. J’ai rendez-vous au magazine. Tu vas comment àBrooklyn ?

– Théo a emprunté une bagnole. On apensé qu’il valait mieux que je fasse unearrivée discrète. Si je prenais unchauffeur, il aurait pu vendre des infos àla presse. Tu sais que c’est comme çaque la plupart arrondissent leurs fins demois ? De toute façon, on va se mettre àsortir en public avec Théo, et lespaparazzis découvriront vite où je vis.Mais en attendant, j’ai un peu la paix.

– Bon alors, fais attention à toi, et onse voit vite.

Je l’embrasse, avant d’ajouter :

– Et ne rends pas chèvre Théo.– C’est marrant ça, tu t’inquiètes plus

pour lui que pour moi ! dit Nikki avec unair de reproche.

– Nikki, tu sais bien que je me fais dusouci pour toi. Et beaucoup. Jedonnerais n’importe quoi, comme tonpère et ma mère d’ailleurs, pour que tun’ailles pas en prison… On se fait unsang d’encre ! Mais tu ne te rends pascompte de ce que Théo fait pour toi.

– Il a dit qu’il le faisait pour toi,soulève Nikki en haussant les sourcils.

– Si tu veux. Mais c’est avec toi qu’ilva passer son temps. Il ne vit absolumentpas comme toi, il ne fréquente pas lemême genre de personnes, il va se

retrouver exposé, connaître une notoriétéqu’il n’a pas voulue, contrairement à toi.Tu peux imaginer les conséquences…

Elle me regarde avec une mouecontrite.

– Ne t’en fais pas, je sais ce que jelui dois, je te promets que je veillerai àce qu’il ne regrette pas son « sacrifice ».

Je regagne ma chambre, sourcilsfroncés, sans avoir osé demander cequ’elle entendait par là.

Pas sûr que cette promesse merassure…

***

– Caleb !

Où est-il ? Je lui ai pourtant envoyéun texto pour lui dire que j’arrivais. Iln’est pas déjà couché quand même ?

Je grimpe quatre à quatre l’escalier,tout excitée à l’idée de ce que je vais luiannoncer.

Dans le salon du premier, la porte-fenêtre est ouverte : il est sans doute surle toit. Je gravis les petites marches encourant. Il est bien là, assis au bord d’untransat. Il se retourne en entendant mespas. Nos yeux se croisent et comme

chaque fois que l’on s’est séparésquelques heures, c’est comme si je levoyais pour la première fois, et je fonds.Il ne s’est pas débarrassé que de sacravate, il est en jean et porte le tee-shirtgris un peu déformé en coton si doux queje lui pique parfois pour dormir. Il portemagnifiquement bien le costume, maisquand il est en tenue décontractée, unpeu décoiffé comme ça, il est peut-êtreencore plus sexy.

Je m’assieds sur ses genoux etj’entoure son cou de mes bras pourl’embrasser.

– Devine !– Quoi ? me dit-il, un peu inquiet.

– Tu fais partie de la liste !– Mais quelle liste ?– La liste de K27 ! Les success

stories made in America. La jeunessequi fait l’Amérique d’aujourd’hui,déclamé-je d’un ton théâtral.

Caleb ne semble pas impressionnépar mon annonce.

– C’est incroyable, non ? D’abord masœur, maintenant toi… Il faut croire queje connais vraiment les gens quicomptent. Mon inconscient est plusarriviste que je ne pensais…, dis-jepour plaisanter.

– Mais comment j’ai atterri sur cetteliste ? C’est toi qui as proposé mon

nom ?– Moi ? Tu rigoles, j’aurais jamais

osé ! Ça ne m’a même pas effleurée.– Merci, dit Caleb avec une grimace.– Mais non, je ne dis pas que tu ne

mérites pas d’y être… Enfin, tucomprends ce que je veux dire…

Caleb sourit d’un air malicieux. Il estcraquant même quand il me taquine,avec son regard bleu un peu moqueurmais tendre. J’adore le voir sourire, j’aienvie d’embrasser ses lèvresgourmandes… et je ne m’en prive pas.

– La rédactrice en chef sait qu’on estmariés ? dit Caleb.

– Oui, elle savait. Mais pas l’équipe

qui travaillait sur l’élaboration de cetteliste. Alicia avait l’air embêté quand tonnom est sorti en réunion. Et alors moi,t’imagines ma tête !

– Mais qu’est-ce qui leur a pris deme choisir ?

– Ne fais pas le modeste, dis-je ensouriant. Tu diriges un cabinet d’avocatsqui est en train de se faire une sacréeplace en ville, tu as été deux fois en têtede liste des meilleurs partis de NewYork…

– … et mon père a une chance dedevenir président des États-Unis, ajoute-t-il avec un petit rictus.

Je le regarde, étonnée :

– Tu crois que c’est pour ça ? Çat’embête ?

Il me sourit :

– Pas du tout, Grace. Je suis fier delui, et je n’ai pas le complexe du « fils àpapa ». J’ai accompli suffisamment dechoses dans ma vie par moi-même pourne pas prendre ombrage de la carrièrede mon père. Si les gens pensentqu’avoir un père président va boostermes affaires… ils ont raison.

Je le regarde, interloquée.

– Si mon père est élu, continue-t-il,les gens vont se battre pour être

défendus par le cabinet. Ils vont penserque je vais user de l’influence de monpère, tirer des ficelles, bénéficier depasse-droits… Et ils en seront pourleurs frais. Le sénateur est la droituremême, il n’utilisera jamais le pouvoir enfaveur de mon cabinet. Et moi, j’ai desprincipes, je ne lui demanderai jamaisrien qui compromettra son intégrité.

– J’en suis sûre, mon amour, dis-je enme blottissant contre lui.

Je reste un instant silencieuse.

– J’appelle Alicia, je lui dis que tu nesouhaites pas faire partie des portraits ?

– Mais non, Grace. Je suis trèshonoré d’en faire partie. Et je suis

heureux à l’idée de partager ce momentavec toi, de te voir à l’œuvre. J’ai hâtede voir ce que tu vas faire de moi. Ça sepassera où ?

– On a le temps d’en parler, dis-je,de nouveau excitée, mais j’aimeraistrouver le bon endroit, un endroit que tuaimes particulièrement, dans lequel tu tesens vraiment toi… On va y réfléchir,mais j’ai plusieurs autres prises de vuesur lesquelles je dois travailler avant. Jecrois d’ailleurs que je vais devoirprésenter ma démission au DancingCrane, sinon, je ne m’en sortirai jamais.Je vais devoir faire quelquesdéplacements. Peut-être que tu pourrasm’accompagner ? Caleb ?

Caleb me regarde mais il a l’airplongé dans ses pensées, à mille lieuesde ce que je suis en train de lui raconter.

– Tu as entendu ce que je viens de tedire ?

– Oui mais…– Qu’est-ce qui se passe ? dis-je,

soudain en alerte.

Il continue à me fixer quelquesinstants sans répondre. Ses yeux ont viréau bleu sombre, sa mâchoire s’estcrispée, je sens que tout son corps esttendu : ce n’est vraiment pas bon signe.

– C’est au sujet de Susie, commence-t-il.

– Caleb ! dis-je avec un petitmouvement de recul. On avait dit qu’onne parlerait pas du dossier.

– Mais je dois le faire, dit-il en meprenant les mains.

Je le fixe un instant, me préparant aupire.

– Très bien. Je t’écoute, dis-jelentement.

– J’ai découvert des choses surSusie. Des choses pas très nettes, deschoses anciennes. Je ne t’en dirai pasplus, mais sache que même anciennes,elles risquent de lui porter préjudice,gravement, si on va au procès.

Je me tais un instant.

– Tu en as parlé à ton client ?– Non, pas encore.– Alors ne le fais pas ! Peut-être que

vous trouverez un arrangement avant.– Ça ne va pas dans ce sens.

Petrossian se montre vindicatif,menaçant, il a proposé un arrangementinacceptable. En tant qu’avocat, je nepeux pas dire à mon client d’accepter ledeal. Et je suis dans l’obligation de luicommuniquer les informations en mapossession, qui devraient lui permettrede remporter facilement la partie. C’estmon devoir, Grace.

Malgré l’air particulièrement doux ce

soir, je me sens tout à coup glacée.

– J’ai l’intuition que Petrossian neveut pas d’arrangement. Il veut aller auprocès. Peut-être a-t-il quelque chosecontre mon client, qui est loin d’êtreirréprochable… S’il y a procès, et c’estce vers quoi on se dirige, je devraiutiliser toutes les armes à madisposition. Non seulement Susie perdradéfinitivement le centre, mais elle risqued’être mise au ban de sa communauté.

Je suis pétrifiée d’horreur. Je merelève lentement et je m’éloigne deCaleb.

Ce n’est pas possible… C’est un

cauchemar.

– Caleb, dis-je d’une voix blanche, tune peux pas faire ça. Susie a près de80 ans. Quoi qu’elle ait fait dans sajeunesse, tu ne crois pas qu’elle a ledroit de vivre ses dernières annéestranquille ?

Caleb se lève à son tour. Son regardest triste, mais sa voix est ferme :

– Grace… Je ferai ce que je doisfaire ; je te l’avais dit. Je n’aurais mêmepas dû te prévenir, mais je le fais, parceque je t’aime.

On reste ainsi quelques instants, figés

l’un face à l’autre.

– C’est pour toi, dit-il finalement, enmontrant la table basse.

Sur le meuble est posé un dossiercartonné.

– Qu’est-ce que c’est ? dis-je la voixtremblotante.

– Les papiers du divorce. Je les aisignés.

Quoi ? ! !

Je suis comme frappée par la foudre.Mon cœur loupe un battement, monsouffle se raccourcit, et c’est comme si

un voile noir s’abattait devant mes yeux.

Difficilement, la gorge sèche, jeparviens à articuler :

– Tu veux… divorcer ?– Non, Grace, je ne veux pas. Mais

peut-être que TOI, tu le veux. Ce que jem’apprête à faire, tu ne le supporteraspas. Alors je te libère de tonengagement.

– Mais… Ton père, sa campagne…Je croyais qu’on devait rester mariésjusqu’à l’investiture…

– Sa campagne s’en remettra, melance-t-il. C’est toi le plus important. Jene veux pas que tu te considères commeprise au piège. Tu ne l’es pas. Je te

rends ta liberté. Tu peux me quitter, jecomprendrais…

Comment fait-il pour parler de notredivorce de façon si… stoïque, simesurée ?

Il fait un pas vers moi, mais jel’arrête d’un geste. Je ne veux pas qu’ilm’approche, qu’il me touche, j’ai besoinde réfléchir. Je m’éloigne de lui, et jeprends appui sur la rambarde de laterrasse. Le petit vent de cet après-midia forci, et il balaie mes cheveux qui mefouettent le visage. J’ai les yeux perdusau loin, où scintillent les lumières dupont de Brooklyn.

Je n’ai eu besoin que de quelquesminutes pour prendre ma décision. Je meretourne : Caleb s’est rassis, et il se tientla tête dans les mains ; devant lui estposé le dossier du divorce.

– Tu ne peux pas me rendre maliberté, dis-je soudain.

Il lève la tête, se redresse lentement.

– Pourquoi ?– Parce que je l’ai déjà, dis-je en

m’avançant jusqu’à lui. Si je suis ici,avec toi, c’est parce que je le veux,parce que je t’aime.

Il me regarde sans rien dire, attendant

la suite, une lueur d’inquiétude dans lesyeux.

– Caleb, je t’aime de toutes mesforces. Je t’aime parce que tu es beau,parce que tu es un homme intelligent,mais aussi gentil, loyal, parce que tu esun homme bien. Tu es un homme deconviction, de justice, tu as des idéaux.Peut-être seulement les as-tu un peuperdus de vue ces dernières années…Aujourd’hui, tu es devant un dilemme, etregarde dans quel état ça te met ! Je necrois pas que ce soit à cause de moi,parce que tu as peur de me perdre. Maisparce que ce que tu t’apprêtes à faire, tune le supportes pas, ça ne te ressemblepas.

Caleb laisse échapper un petit rireamer :

– J’ai peur que l’amour ne t’aveuglema chérie ; je ne suis pas le chevalierque tu crois.

– Je crois que tu peux être dur,inflexible, ambitieux, retors s’il le faut,mais je ne te pense pas cynique. Jepense que tu as une éthique très forte,que tu as des limites. Et je crois que tuviens de les atteindre. Sinon, pourquoiça ? dis-je en montrant le dossier devantlui.

Il reste muet. Lasse, je détache mesyeux des siens et je me dirige versl’escalier.

– Tu crois que tu me connais mieuxque je me connais ? lance-t-il soudain.

Je me retourne et je le regarde : il mefixe avec une sorte de mouecondescendante que je ne lui ai jamaisvue.

– Peut-être bien, réponds-je,laconique.

Je me rends compte que ce que je luiai dit l’a déstabilisé, ce qu’il nesupporte pas. Il fulmine, et moi je doisgarder mon calme coûte que coûte pourne pas que ça dégénère.

– Moi, je crois que tu as envie de

croire au prince charmant, reprend-il ens’approchant lentement de moi. Ilfaudrait peut-être que tu redescendes surterre. Ou que tu grandisses. Je ne suispas l’homme que tu as envie que je sois.Si ça ne te plaît pas, trouves-en un autre,conclut-il d’un ton cinglant.

Il a voulu me faire mal, et il a réussi.Je vacille sous la violence de ses mots,mais je tiens bon.

– C’est toi que j’aime, dis-je d’unevoix ferme.

– Alors n’essaie pas de me changer !lâche-t-il, excédé.

– Ce n’est pas mon but, dis-je d’unepetite voix. Je veux, pas pour moi, pour

TOI, que tu n’oublies pas qui tu esvraiment.

Je lui tourne le dos pour partir. Maisalors que j’atteins l’escalier, il merejoint, m’attrape par le poignet et meforce à me retourner :

– Et maintenant que tu m’as fait laleçon, tu vas me quitter c’est ça ? lance-t-il, frémissant, ses yeux lançant deséclairs.

– Lâche-moi tout de suite, dis-jelentement, d’une voix blanche en lefixant.

Son regard se pose sur mon poignet,et c’est comme s’il réalisait seulement

qu’il me retenait d’une poigne de fer.Les yeux hagards, il relâche aussitôt sonétreinte, et je me retourne pour partir.

Sa voix, basse, étranglée, s’élèvedans mon dos.

– Tu t’en vas ?

Je m’arrête, mais je ne me retournepas.

– Non. Je ne vais pas te quitter,Caleb. Je vais rester ici, parce que jet’aime. Parce que je sais qui tu esvraiment. Et je resterai avec toi quel quesoit ton choix. Je ne te ferai pas dechantage : ta décision, tu la prendras en

ton âme et conscience.

Le cœur en miettes, je rejoins lachambre. Tandis que je ferme la fenêtreque j’avais laissée ouverte, j’entends unjuron, un bruit sourd et celui d’un objetqui se brise. Manifestement Caleb est entrain de passer ses nerfs sur le mobilierde la terrasse.

Je me laisse tomber tout habillée surle lit. Je repense à ce qu’il m’a dit.

C’est peut-être LUI qui me connaîtmieux que moi-même : peut-être que jeme trompe sur lui, que je veux le voircomme une sorte de prince charmantqu’il n’est pas ?

J’espère que je ne me suis pastrompée sur Caleb. J’espère qu’ilépargnera Susie. Sinon… J’ai beauessayer de me convaincre du contraire,j’ai peur que mon amour pour lui nesorte abîmé du procès. Je lui ai dit queje resterai quelle que soit sa décision,mais y parviendrai-je, si je le voishumilier Susie au tribunal ? Ce dossierest comme un carrefour : j’espère queCaleb comprendra qu’il fait fausseroute, que s’il s’engage sur cette voiesans humanité, il ne pourra bientôt plusfaire marche arrière.

J’ai peur pour notre couple, mais j’aiaussi peur pour lui.

Mon Dieu, Caleb, tu ne peux pasfaire ça…

35. Après l'orage

– Caleb !

Personne ne me répond. J’ai passéune bonne partie de la nuit à l’attendre.J’espérais qu’il vienne me retrouver,que l’on parle de manière apaisée… etsurtout qu’il me dise qu’il se retirait dudossier de Susie. Mais il n’en a rien fait.J’ai fini par m’endormir, épuisée. Quandje me suis réveillée, j’étais seule dans lachambre.

Je monte sur la terrasse pour voir si

Caleb ne s’y est pas endormi, mais il n’ya personne. Sur la table basse gît,abandonné, le dossier de divorce,détrempé par la pluie. Je n’ai même pasentendu l’orage qui a dû éclater pendantque je sombrais dans un sommeiltourmenté.

Je fais le tour du duplex, mais aucunetrace de Caleb. Je regarde sur la tablede la cuisine, au cas où, mais il ne m’alaissé aucun mot. Rien sur mon portablenon plus…

Je dois me résoudre à l’évidence :Caleb est parti. Un instant, j’envisage del’appeler, mais je me retiens au derniermoment, en repensant à l’échange

houleux que nous avons eu. Hier soir, jel’ai laissé devant un choix. Il me ferapart de ses réflexions quand il sera prêt.

***

– Y a un mec super mignon. Tu viensvoir ?

– Marcy ! Je suis en train de nettoyerlà… Si je devais tout abandonnerchaque fois que tu vois un mec mignon,la commission d’hygiène fermerait laboutique !

– Non mais allez, viens voir, insisteMarcy, tout excitée. Je crois que celui-là, c’est le bon. Je le voudrais commepère de mes enfants.

Je soupire.

– Tu n’es plus amoureuse de ToddPetrossian ?

Marcy a au moins cinq coups de cœurpar jour. Elle fantasme une histoired’amour avec chaque homme un peuchouette qui passe la porte du café.Quand l’avocat de Susie est venu mevoir, elle a complètement craqué sur lui.Elle m’a même chargée d’enquêter sursa situation sentimentale, ce que,évidemment, je n’ai pas fait. Elle m’en avoulu…

– Todd est super, fait-elle comme sielle le connaissait personnellement,

mais alors lui… C’est le top du top. Nonmais viens voir, juste trente secondes.

Je connais Marcy, elle ne me lâcherapas tant que je n’aurai pas cédé. Deguerre lasse, j’abandonne mon chiffonpour la suivre dans la salle. Je tourne latête vers la table qu’elle me montre –pas discrètement du tout – du doigt. Et jedécouvre Caleb, installé devant un café.

– Marcy…, dis-je lentement.– Hein, je t’avais dit, dit-elle en me

donnant un coup de coude. Il est pasparfait ?

– Marcy, c’est mon mari.– Quoi ? Caleb ? C’est lui Caleb ?

s’étouffe Marcy.

Sans lui répondre, je me dirige verslui, le cœur battant. C’est vrai qu’il esttrès beau, malgré son air fatigué, sesyeux bleus légèrement cernés et sa barbenaissante. Comme toujours quand je levois, depuis cette première fois dansl’ascenseur à Las Vegas, je me sensfondre.

Il se lève en me voyant approcher.

– Caleb…, dis-je la voix un peutremblotante.

– Je suppose que je n’ai pas le droitde te serrer dans mes bras sur ton lieu detravail ? me demande-t-il en esquissantun sourire.

– Tu pourrais, mais j’ai peur que

Marcy en fasse une crise de jalousie,dis-je en essayant de badiner comme lui,alors que j’ai les jambes chancelantes.

Il ne m’a pas donné signe de vie de lajournée, que j’ai passée les yeux rivéssur mon portable. S’il est ici, c’est qu’ila quelque chose à m’annoncer.

On reste un instant face à face à seregarder, les bras ballants, gênés commesi on venait de se rencontrer. Le Calebqui se tient devant moi n’a plus rien àvoir avec celui que j’ai quitté cette nuitsur la terrasse, dur, cassant, agressif. Etj’en suis soulagée…

– J’ai besoin de te parler, dit-il enfin,

je ne voulais pas le faire par téléphone.– J’ai bientôt fini, dis-je la voix

étranglée. Tu m’attends ?– Je ne voudrais pas perturber le

service. Ça fait trois fois en cinqminutes que ta copine vient voir si jen’ai besoin de rien, plaisante-t-il, tentantmaladroitement d’alléger l’atmosphère.

Je souris, mais je suis trop tenduepour apprécier réellement son humour, etil s’en aperçoit sans doute car ilredevient sérieux :

– Je ne veux pas te distraire, reprend-il, je vais t’attendre au Loeb Boathouse,d’accord ?

J’acquiesce, sans mot dire. Je voisqu’il hésite, il se penche vers moicomme pour m’embrasser mais audernier moment il se contente decaresser ma joue du revers de la main.Moi, je reste figée.

Je retrouve Marcy qui me regardeavec des yeux gros comme dessoucoupes.

– Ah ben je comprends que tu lecaches. Un mari comme ça ! s’exclame-t-elle.

Marcy et moi nous entendons bien,mais nous ne sommes pas pour autantamies. Je lui ai parlé du centre, de

Susie, mais j’ai donné peu de détails surles circonstances de mon mariage, etencore moins sur mon mari. J’ai dit queCaleb était avocat, mais sans évoquerson nom ou sa famille. Par chance,Marcy ne s’intéresse pas à la politique,donc elle n’a pas vu le reportage sur lesénateur Montgomery dans lequel ilapparaît. Elle est plutôt amatrice depresse people : elle serait sans douteplus impressionnée si je lui révélais mesliens avec Nikki…

– Marcy, il n’y a pas que le physiquedans la vie…

– … Dit celle dont le mari estl’homme le plus hot de New York ! merépond-elle avec un sourire narquois. Je

suppose que tu es tombée amoureuse delui pour son intelligence ?

Je rougis en y repensant : je dois bienm’avouer que ce qui m’a attiré enpremier chez Caleb, dans ce fameuxascenseur, c’était bien son physique. S’ilavait été bossu, chauve, et qu’il louchait,il y aurait eu peu de chances que je soisallée le trouver dans le bar le soirmême, ivre !

– Il a d’autres qualités tu sais…, dis-je, un peu gênée.

– Oh, ça va, ne retourne pas lecouteau dans la plaie, dit Marcy enfaisant une grimace, je suis sûre qu’il estparfait.

Elle éclate soudain de rire devantmon air embarrassé.

– Ne t’en fais pas, je trouveraichaussure à mon pied, dit-elle avec ungrand sourire. Je suis très contente quetu aies trouvé ton prince charmant, et çame donne de l’espoir, je trouverai lemien !

– Je n’en doute pas une seconde,Marcy, dis-je, sincère.

Marcy est ravissante, adorable,toujours pleine d’entrain et c’est uneincorrigible romantique : je suis sûrequ’elle n’attendra pas longtemps avantde trouver le grand amour.

Quant au mien… il m’attend pour meparler, et même si j’ai vu que toutecolère avait disparu de son regard, je nepeux m’empêcher d’être gagnée par unecertaine appréhension quand je finis parquitter le Dancing Crane pour lerejoindre.

***

Je remonte l’allée du parc qui mèneau Loeb Boathouse, un élégant bâtimenten briques rouges et au toit vert quirecèle un restaurant chic et prisé, enbord de lac, en plein milieu de CentralPark. Caleb est installé sur la terrasse àcolonnes, les yeux perdus sur l’étendue

d’eau où évoluent quelques canots, laplupart occupés par des couplesprofitant de la douceur printanière. Çame fait une drôle d’impression de levoir dans ce cadre si bucolique…

Il se lève à mon approche :

– Tu veux boire quelque chose ? medemande-t-il avec empressement.

Tout dans son regard très tendre medit qu’il regrette la scène de la veille.

– Non merci, dis-je.– Alors je paie et on y va. Ça te dit

un tour en barque ?– Maintenant ? Ici ?

– Oui, j’en ai retenu une. Ça mefaisait envie, dit-il en désignant dumenton les rameurs. Tu l’as déjà fait ?

Je le regarde, surprise et amusée.

– À vrai dire… non.– Moi non plus, sourit-il. C’est

l’occasion, non ?– Caleb…, dis-je, hésitante.– Oui ?– Tu ne devrais pas être au bureau ?

Ou au tribunal ?– On parlera sur le lac, dit-il en me

prenant par la main.

Nous regagnons le ponton de bois oùnous attend l’embarcation. Je m’installe

en faisant bien attention à ne pas tomberà l’eau. Je n’ai pas envie de finir commeCarrie et Big dans cette fameuse scènede Sex and the City !

Caleb a ôté sa veste, et il s’emparedes rames. Je le regarde en essayant dedeviner ce qu’il va me dire, mais sonvisage reste indéchiffrable. Il ramevigoureusement pour que l’on s’éloignedes autres barques d’où s’échappent desexclamations joyeuses dans toutes leslangues ; il y a de fortes chances pourque nous soyons les seuls New-Yorkaissur ce lac.

Je regarde autour de moi tandis quenous nous éloignons du brouhaha du

restaurant et gagnons des zones moinsfréquentées du grand plan d’eau. Depuisle lac, bordé d’arbres, on a une des plusbelles et des plus romantiques vues deCentral Park, avec ses fascinants gratte-ciel émergeant telles des flèches depierre et de verre des feuillages touffus.Après l’orage de la nuit, le soleil estrevenu et tout serait parfait, si ce n’étaitcette appréhension qui me serre le cœur.

– Bien. On est tranquilles ici, ditCaleb en remontant les rames.

J’ai les yeux fixés sur lui, et lesmains moites.

– Grace, commence-t-il d’une voix

grave, ce matin, je suis allé voir EdgarDandridge, et je lui ai dit que moncabinet ne le représentait plus.

– Qui ? demandé-je sans comprendre.– Edgar Dandridge, le patron de la

Bank of East America, la banque qui asaisi le centre de Susie.

Je le regarde, les yeux écarquillés.

– Mais… Comment ?– Tu avais raison. Je ne pouvais pas

continuer. Par rapport à moi-même, àl’idée que je me fais de la justice, auxambitions que j’avais pour mon cabinetquand je l’ai créé avec Stacy. Défendreses intérêts m’aurait obligé à broyerSusie, et en toute conscience, ça m’était

impossible.

Je reste un instant sans réaction, puis,le cœur gonflé de joie, je me jette sur luipour l’embrasser.

– Hé, attention, dit-il en ne pouvants’empêcher de rire, tu vas nous fairechavirer.

C’est vrai que la barque tanguedangereusement, mais je m’en fous !

– Caleb, mon amour, je t’aime tant !Merci merci merci ! !

Il me serre contre lui :

– Tant mieux, dit-il en plaisantant,parce que Stacy ne m’aime plus du tout.On a perdu un de nos gros clients, et elles’inquiète pour l’avenir de la boîte…

Je me recule pour le regarder : il adit ça d’un ton qu’il veut léger, mais jesens qu’il est inquiet.

– Je suis désolée, Caleb…– Tu n’as pas à l’être, dit-il en

souriant. J’ai pris ma décision tout seul,comme un grand. Et c’est l’une desmeilleures décisions que j’ai prises dansma vie.

Il me prend par le menton et approcheses yeux bleus et pétillants des miens :

– Tant mieux si ça peut rendreheureuse la femme que j’aime, dit-il,avant de déposer un baiser sur meslèvres.

– Tu crois que ta société va en pâtir ?dis-je, pas très rassurée par son tonbadin.

– Mais non, dit-il avec un sourire quime semble un peu forcé. Ça risque dedéplaire à certains clients, mais ça peutaussi en attirer d’autres. Et puis on aquand même quelques belles réussites aucompteur…

– Je suis si fière de toi, Caleb, dis-jeen me serrant contre sa poitrine.

Il me caresse les cheveux, avant dereprendre :

– Tu sais, Grace… Ne t’attends pas àce que je défende dans l’aveniruniquement de belles et nobles causes.

– Je sais, dis-je d’une petite voix.« Tout le monde a le droit d’êtredéfendu. »

– Exactement. Et c’est ce qui fait labeauté de mon métier. Je suis avocat,pas juge, je n’ai pas à juger ceux quiviennent me demander de les défendre.Mon rôle est de plaider leur cause aumieux. Moi, j’essaie de le faire enn’oubliant pas mon humanité en route.Ce n’est pas toujours évident… Il fautcroire que cette fois j’avais besoind’une piqûre de rappel, ajoute-t-il ensouriant.

– Il va se passer quoi, maintenant,pour Susie ?

– Je connais Edgar, à cette heure, ilm’a déjà remplacé. Et mon remplaçantne fera pas de cadeau à Susie, crois-moi.

– Tant que ce n’est pas toi…, fais-jeavec une petite grimace. Todd… enfinPetrossian semble optimiste sur ledossier…

Caleb semble se raidir à l’évocationde son rival, et je préfèrem’interrompre.

Nous restons un instant silencieux,chacun dans ses pensées, tandis que labarque dérive lentement.

– Tu sais ce que j’aimerais ? dis-jeen me calant contre sa poitrine, les yeuxtournés vers le ciel. Qu’on s’en ailleloin d’ici, de tout ça, juste tous lesdeux…

– Et c’est ce qu’on va faire, répondCaleb.

Mes yeux quittent les nuages pour sefixer sur son visage rieur penché au-dessus du mien.

– Ah bon ? Quand ?– Tu travailles quels jours au café la

semaine prochaine ?– Je ne travaillerai pas. Demain, je

pose ma démission.– Ça y est, tu t’es décidée ?

– J’ai eu Alicia ce matin. Ma série deportraits va finalement s’insérer dans unhors-série de K27, et elle me propose defaire davantage de photos. Si je reste ici,je ne peux pas accepter. J’ai adorétravailler au zoo, j’ai beaucoup apprissur les animaux avec l’équipe, mais jen’ai pas le temps de tout faire. Ça faitdes semaines que je ne suis pas allée lesvoir. D’abord il y a eu les cours aucentre, puis les shootings… je ne m’ensors plus. J’ai une chance unique defaire mes preuves en tant quephotographe, je ne peux pas la laissers’échapper, tu comprends ?

– Parfaitement.– Je ne m’inquiète pas pour le café,

avec l’été qui arrive, ils ont une liste depostulants longue comme le bras…

– Et tu as déjà des shootings deprévus la semaine prochaine ?

– Un seul, lundi. Je vais enfin avoirle temps de préparer les autres. Le tienpar exemple…

– Justement. Je pensais que l’onpourrait s’offrir un long week-endquelque part, à partir du jeudi soir, etque tu en profiterais pour faire ta prisede vue.

Je me redresse, intriguée.

– Tu veux aller où ?– Je ne sais pas si je t’ai dit… J’ai

hérité l’année dernière de mon grand-

père une maison au Costa Rica. On y apassé beaucoup de vacances en famille,j’ai toujours adoré cet endroit. Je n’ysuis pas retourné depuis sa mort, l’étédernier, mais j’aimerais bien le faireavec toi.

– Tu as une maison au Costa Rica ?Mais tu ne me l’as jamais dit !

– Euh… Ça ne s’est pas présenté.– Et tu as quoi encore ? Un château

sur la Loire ? Un palais vénitien ? Unigloo au pôle Nord peut-être ?

– Hum… Quelques petites chosescomme ça, oui.

Caleb m’a répondu sur le mode del’humour, mais je vois bien à son regardqu’il ne plaisante pas tout à fait.

Je préfère ne pas insister : l’argentest un sujet tabou pour moi en général, etentre nous en particulier. Je saisqu’outre son cabinet florissant, Calebdispose d’une fortune personnelle,héritée du côté de sa famille maternelle.Mais je commence à réaliser que je n’enai pas vraiment mesuré l’ampleur…

Je pose un baiser sur les lèvres del’homme que j’aime et qui vient de medonner une magnifique preuve d’amour.Sereine, je me rallonge dans la barque,la tête appuyée sur la poitrine de Caleb,qui a repris les rames. Je ferme les yeux,laissant le doux soleil de juin caressermon visage, bercée par le mouvement ducanot qui glisse sur l’onde…

36. Ombres et regrets

– Mesdames, messieurs, j’ai unegrande nouvelle pour vous, annonceTodd Petrossian en ajustant ses lunettesde vue aux verres violets, de la mêmeteinte que sa cravate.

Comme Susie, quelques parentsd’élèves du centre et d’autres personnesque je ne connais pas, j’ai été invitéepar Todd Petrossian à assister à uneréunion au sein des locaux du cabinet DeVitto, Sachs & Petrossian, dans l’UpperWest Side.

Ce cabinet, l’un des plus anciens etdes plus prestigieux de Manhattan,occupe pas moins de trois étages dans unbuilding classieux près du LincolnCenter, où Caleb m’a emmenée voir unereprésentation de Madame Butterfly.Les couloirs grouillent d’employésextrêmement bien habillés qui ont tousl’air très occupé.

La salle où nous sommes reçus estsomptueusement décorée de tableaux demaîtres et d’autres objets d’art, et sesbaies vitrées offrent une vueépoustouflante sur l’Hudson River. Toutce luxe semble intimider la majorité despersonnes présentes, visiblement issuesde milieu modeste, et tous se tiennent

droits sur leur chaise de designer commedes écoliers sagement tournés vers lamaîtresse. En l’occurrence, c’est Todd,debout en bout de table, qu’ilsdévisagent avec quelque anxiété.

Je suis assise près de Susie. Elle arepris du poil de la bête ces dernièressemaines, et elle est plus belle et digneque jamais avec son port de reine,coiffée d’un turban de velours noir,assorti à sa robe, et avec d’énormescréoles aux oreilles. On dirait qu’elle vamonter sur scène, comme au temps de sagloire, quand elle était une chanteuse dejazz renommée.

– Susie, Edgar, Mitchell, reprend

Todd, vous avez tous les trois eu à subirune saisie abusive de vos biensimmobiliers par la Bank of EastAmerica. J’ai le grand plaisir de vousannoncer que nous avons trouvé unaccord avec cette banque, et que vosbiens vont vous être restitués.

Des exclamations de surprise fusent.Je me tourne vers Susie, qui a l’air aussiéberluée que moi.

Todd semble ravi de son effet. Ilcontinue, sourire aux lèvres :

– Non seulement vous allez retrouvervos biens, mais vos crédits vont êtreréaménagés.

– Mais… comment est-ce possible ?demande Susie, qui n’ose croire cequ’elle vient d’entendre.

– Eh bien, reprend Todd, j’ai trouvédiverses anomalies sur les dossiersd’expropriation, notamment l’absence denotaire à la finalisation du dossier, maisaussi sur les dossiers de prêt. Je n’entrepas dans les détails, mais la banque n’apas intérêt à ce que ses pratiquesdouteuses soient révélées. Ils étaientprêts à aller au procès tant qu’il n’yavait que vous Susie, dit-il en montrantmon amie, mais j’ai trouvé d’autrespersonnes dans la même situation, Edgaret Mitchell, fait-il en désignant deuxhommes assis à sa gauche. Je peux vous

dire que le conseil d’administration dela banque n’a pas apprécié quej’envisage une class action. Un recourscollectif signifie pour eux une expositionmédiatique et c’est la dernière chosedont ils ont besoin. Le scandale dessubprimes et le « Foreclosure Gate »sont toujours présents dans les esprits,ils n’ont pas envie de ce genre depublicité. Ni de payer des amendesmonstrueuses comme ont dû le faire laWells Fargo ou la Bank of America. Ilsse sont donc montrés très conciliants,puisqu’ils sont même prêts à aménager,voire à réduire les versements du crédit.À condition bien sûr que l’accorddemeure confidentiel.

Cette annonce inespérée estaccueillie par des cris de joie et desapplaudissements. Dans un même élan,tout le monde autour de la table s’estlevé et on se congratule à qui mieuxmieux. Je prends Susie dans mes bras.

Le centre est sauvé !

Todd reprend la parole, interrompantnos embrassades :

– Je n’ai pas encore acceptél’accord, précise-t-il. C’est à vous querevient la décision finale. Mais c’est leseul moyen pour éviter un procès quirisque de traîner et dont nous neconnaissons pas l’issue, qui ne sera

peut-être pas en votre faveur. Alors,qu’en pensez-vous ?

– Que nous conseillez-vous, Todd ?lance Susie.

– Moi, je vous conseille d’accepterl’accord. Vous n’aurez pas mieux. Il y aeu quand même défaut de paiement pourchacun d’entre vous, vous êtes dansvotre tort au départ, même si la saisie aété abusive. Ils ne vous offriront pasplus de compensations. Et puis le procèspeut durer des mois, et même si nousparvenons à les récupérer à terme,pendant tout ce temps vous perdrezl’usage de vos biens. Les avocats de labanque mettront tout en œuvre pourdéfendre leur cause, ils creuseront dans

votre passé, sèmeront la zizanie dansvotre entourage… C’est un processusqui peut être destructeur, et ils ne s’enpriveront pas. Le cabinet d’avocats quis’occupait de leurs intérêts a changé,mais il est aussi redoutable que lepremier.

Todd a terminé son petit discours. Ilregarde Susie, Mitchell et Edgar,attendant leurs réactions.

Susie prend la parole en premier.

– Je propose qu’on accepte.

Mitchell acquiesce de la tête, tandisqu’Edgar s’exclame :

– Dieu vous bénisse Todd.

Une nouvelle salved’applaudissements éclate. Susie sedirige vers Todd et le serre dans sesbras avec un grand éclat de rire. Je lasuis et me contente de serrer la main del’avocat.

– Vous avez fait du beau travail,Todd, dis-je, reconnaissante. Vous avezsauvé le centre. Merci, pour les enfantset pour Susie.

– Je n’ai fait que mon devoir, merépond-il, avec un grand souriremodeste. Je ne pouvais pas laisserdisparaître un si beau projet, siimportant pour cette communauté de

Harlem. N’importe quel avocat avec unpeu de cœur en aurait fait de même.

Ma main se raidit dans la sienne.

Ça veut dire quoi ça ? C’est unepique contre Caleb ?

Je l’observe attentivement mais sonregard ne se trouble pas. Pas la moindretrace d’ironie dans ses yeux. Et pourtant,j’aurais juré…

Sans cesser de lui sourire, je dégagema main, tandis que celle qui doit être lafemme de Mitchell, en larmes, se jette àson tour dans les bras de Todd.

Je ne sais pas quoi penser de lui. Ilest indéniablement plein d’humour,affable, chaleureux, et il a fait un superjob pour Susie, mais d’un autre côté,quand je pense à ce que m’a dit Caleb,et quand je vois tout ce luxe autour demoi, je me dis que ses associés et lui nesont pas parvenus où ils sont uniquementavec des bons sentiments.

– Alors, quand est-ce que le centrepeut rouvrir ? demande un des parentsd’élèves de Susie dont Todd avaitdemandé le témoignage et qui a étéconvié comme moi.

– Dès ce soir si vous voulez,plaisante Todd. Non, les serrures serontchangées de nouveau dès demain et les

clefs vous seront remises directementSusie. Quant à vous, Mitchell…

Je me tourne vers Susie, qui s’estrassise, un sourire béat sur les lèvres etune main sur le cœur.

– Ça va Susie ? demandé-je, inquiète.– Bien sûr que ça va ! s’exclame-t-

elle. Je suis un peu secouée, c’est tout.C’est beaucoup d’émotions tu sais. Cecentre, c’est tout pour moi. C’estl’œuvre de ma vie.

– Je sais, Susie, dis-je en posant mamain sur son épaule.

– Tu sais, me dit-elle à mi-voix, jen’ai pas fait que des belles choses dansma vie, Grace. Avec ce centre, je veux

payer ma dette.

Je la regarde sans oser poser dequestion. Ce n’est ni le lieu ni lemoment. Mais ces choses qu’elleregrette, c’est sans doute ce qu’adécouvert Caleb. Je n’ai pas la moindreidée de ce que c’est, il l’a gardé pourlui.

Susie soupire :

– Je remercie le Seigneur d’avoir misTodd sur mon chemin. Sans lui, le centren’existait plus…

– Et vous pouvez aussi remercier leparent qui l’a contacté pour lui parler ducentre.

– Mais figure-toi que je ne sais pasqui c’est…, dit Susie, sourcils froncés.J’ai demandé à quelques-uns desparents, mais ce n’était aucun d’entreeux. Je n’ai pas pensé à demander àTodd. Todd ? l’interpelle-t-elle.

L’avocat s’écarte du groupe de gensqui l’entourent et s’approche de nous,tout sourire.

– Todd, mon cher, qui vous a parlédes difficultés du centre ?

Elle a été fugace, mais j’ai bien crudéceler une lueur d’embarras dans lesyeux de l’avocat.

– Eh bien… laissez-moi réfléchir…Avec toutes ces affaires que je suis enmême temps, je ne sais plus trop bien.

– Vous m’aviez dit que c’était unparent du centre qui vous avait contacté,non ?

Il fronce les sourcils.

– Non, Susie, non je ne pense pas.– Ah bon, c’est ce que j’ai cru, dit

mon amie en haussant les épaules.– Ah ! ça y est, dit Todd en se tapant

le front. C’est l’un des huissiers engagéspar la banque qui a travaillé sur lasaisie. Il travaille aussi pour notrecabinet.

– Ah, alors le mystère est résolu, dit

Susie en riant.– L’essentiel, c’est que nous ayons

gagné la partie, non ? dit Todd en meregardant dans les yeux, et je hoche latête.

C’est bizarre, l’espace d’un instant,il m’a semblé mal à l’aise…

Je n’ai pas le temps de m’attarder surcette impression. La porte s’ouvre etapparaît un chariot avec deux seaux àchampagne et des petits gâteaux, poussépar une secrétaire aux allures de topmodel.

– J’ai pensé qu’on aurait envie defêter cette victoire, dit Todd. Qu’en

pensez-vous ?

Pensive, j’observe Todd, qui sert lechampagne et distribue les coupes à sesinvités aux anges. Je n’en reviens pas detant de générosité, d’attentions. Il semblesi heureux. Mais que gagne-t-il danscette affaire ? L’accord devant demeurerconfidentiel, il ne pourra se vanter decette victoire. Et il a travaillé pro bono,donc il ne recevra aucun honoraire.Todd est très sympathique, mais j’ai dumal à le prendre pour un saint… J’auraisété sans doute moins soupçonneuse il y aquelques mois, mais après avoirfréquenté le milieu de la politique etcelui des avocats, j’ai perdu de manaïveté.

Mon portable me tire de mespensées : j’ai reçu un SMS.

[Je peux passer te prendre à lamaison dans 1 h 30. C’est bon ?]

Caleb. Nous partons pour le CostaRica ce soir.

[J’y serai. Je t’aime.]

Je m’approche de la joyeuse troupequi converse auprès des petits fours :

– Je dois vous quitter, j’ai un avion àprendre. Merci encore Todd de tout ceque vous avez fait.

– Attends-moi Grace, je pars avec

toi. On peut faire le chemin ensemble ?me demande Susie.

Je la regarde, surprise.

– Mais… Je rentre chez moi, ce n’estpas votre direction…

– Si, figure-toi, j’ai un rendez-vousdans ton quartier.

Quelque chose dans son ton et dansson regard me dit que ce n’est pas tout àfait vrai, mais je n’insiste pas.

– D’accord alors, allons-y.

Susie remercie encore Todd aveceffusion et après avoir salué l’assistance

joyeuse nous quittons les locaux. Dansl’ascenseur, je remarque que Susiesemble avoir perdu toute sa gaieté. Sonvisage est grave et elle me semblefébrile, mais alors que je m’en inquièteauprès d’elle, elle jette un regard endirection des gens qui nous entourentpuis me sourit sans rien dire.

À peine sur le trottoir, elle m’attrapepar le bras :

– Grace, j’ai besoin de te parler. Jesais que tu es pressée, mais ça neprendra que cinq minutes.

– Mais bien sûr Susie, dis-je étonnéepar son ton grave après l’euphorie d’il ya quelques minutes. Tenez, allons nous

installer dans ce Starbucks.

Susie a l’air bouleversée, je préfèrequ’elle soit confortablement assise avantd’entamer toute discussion. À son âge,un trop-plein d’émotions peut êtreéprouvant.

Nous entrons dans le café, où jel’installe à une table un peu retirée avantd’aller chercher nos consommations.Puis je reviens m’asseoir en face d’elleet la regarde avec curiosité, et unepointe d’inquiétude, attendant qu’elleprenne la parole.

– Tu ne m’avais pas dit que ton mariavait abandonné la défense de la banque,

lâche-t-elle enfin.

C’est donc de ça qu’il s’agit… C’estvrai que Todd l’a mentionné tout àl’heure, ça ne lui a pas échappé.

Je grimace, un peu gênée.

– Tu sais pourquoi ? dit-elle enpenchant la tête sur le côté, comme unoiseau.

– Je… Non, enfin, pas vraiment, dis-je de plus en plus embarrassée. Il y avaitdes choses qui le gênaient dans ledossier, et il a préféré se retirer.

Les yeux de Susie me fixent avec unetelle intensité que j’ai l’impression

qu’elle peut lire dans mes pensées.

– Il a enquêté sur moi ? reprend-elleà voix basse.

– Je… Susie…

Son regard ne lâche pas le mien et jene parviens pas à lui mentir.

– Oui… comme pour tous lesdossiers.

– Et il a trouvé des choses, c’est ça ?

Ses yeux me poussent à lui répondre.Je soupire.

– Oui, mais je ne sais pas quoi, il nem’a rien dit, je le jure.

– Oh, je te crois, Grace, je te crois.

Susie reste un instant silencieuse, j’ail’impression qu’elle s’est perdue dansses souvenirs, puis un sourire vientéclaircir son visage et elle me prend lamain.

– Ton mari est un homme bien, Grace.Je n’en doutais pas d’ailleurs.

Elle jette un regard autour d’elle,avant de reprendre

– Je vais te dire ce qu’il a trouvé…

Je l’interromps.

– Je ne veux pas savoir, Susie, ça neme regarde pas. C’est votre vie, votrepassé, il vous appartient, vous n’avezpas de comptes à me rendre…

– Grace, je t’aime comme si tuétais… ma petite-fille ! Ma petite-fille àpeau claire, plaisante-t-elle. Je veux quetu saches. Bien des fois j’ai pensé teparler de mon passé peu glorieux, et jen’en ai pas eu le courage ; je l’aiaujourd’hui, s’il te plaît, laisse-moi teparler tant que ça m’est possible.

Susie est une tête de mule, quand ellea décidé quelque chose, c’est difficilede la faire changer d’avis. Je jette un œilautour de nous pour m’assurer quepersonne ne peut entendre sa confession,

puis je hoche la tête.

– Si je n’ai pas fait la carrière qu’onme promettait, commence-t-elle, celled’une Ella Fitzgerald par exemple, sij’ai disparu il y a cinquante ans, ce n’estpas pour entrer au couvent, épouser unmilliardaire japonais et autres faribolesque la presse a fait courir à mon sujet.J’étais en prison, mon cœur.

Je retiens de justesse un petit cri.

Susie, en prison ? C’est la dernièrechose que je pensais entendre !

Je regarde, les yeux écarquillés, ladouce et coquette vieille dame assise en

face de moi, et j’ai du mal à imaginerqu’elle a passé une partie de sa viederrière les barreaux.

– Quand j’étais jeune, j’avais unamant, beau comme un dieu, mais de lamauvaise herbe, dit-elle en levant lesyeux au ciel. J’étais folle de lui. Il vivaitdans le ghetto où j’ai grandi. Macarrière m’a éloignée de la rue, mais larue m’a rattrapée. Cet amant m’aretrouvée quand j’étais au sommet, ilm’a initiée aux drogues. Je suis devenueaccro à l’héroïne. Lui aussi… et il en estmort.

Elle se tait soudain, et son visage seferme. Cette histoire est ancienne, mais

je peux voir que son chagrin est toujoursvif.

– Je suis désolée Susie, dis-je enmettant ma main sur la sienne.

Elle me fait un triste petit sourire,avant de reprendre :

– Après j’ai dérivé, et puis j’airencontré un autre homme. Je l’avaisdans la peau. J’ai délaissé ma carrière,qui a pris l’eau, puis je l’ai suivie dansson pays, au Mexique. Il a pris tout monargent, et quand il n’y en a plus eu, ils’est mis à trafiquer ses saletés, et il m’aimpliquée dans son trafic sans que j’ensache rien. Mais la justice n’a rien voulu

savoir, tout comme moi j’avais parfaiblesse, par amour, fermé les yeux surcertaines choses. J’ai pris vingt-quatreans de prison, mon enfant, vingt-quatrelongues années.

Je la regarde, la bouche ouverte.Susie, ma pimpante octogénaire,ancienne héroïnomane, et trafiquante dedrogue !

– Je te déçois, hein ? me dit-elle, leregard triste.

Je suis sous le choc, c’est vrai, maisces révélations ne modifient en rien ceque je pense de Susie.

– Mais non, Susie, non ! m’exclamé-je. Ça ne change rien pour moi. Je n’aipas à vous juger. Votre passé vousappartient. Et puis vous avez payé pourça, et cher. Je suis juste triste pour vous.

– Ne le sois pas, ma petite, dit Susieavec un beau sourire, j’ai fait deserreurs, je les assume. Après, je suisrentrée aux États-Unis, j’ai rencontré debonnes personnes, et surtout, j’airencontré Dieu. Ma carrière avait étécassée, je ne pouvais pas reprendre làoù je l’avais quittée, d’autres m’avaientremplacée, et ma voix n’était plus sibelle. Mais avec le soutien de certains,d’anciens admirateurs qui ne m’avaientpas oubliée, j’ai pu remonter la pente,

retrouver du travail, et récupérer mesdroits sur les disques vendus. Ça m’afait un petit capital.

Elle s’interrompt, se racle la gorge etboit une gorgée de thé.

– Tu vois, reprend-elle, la seulechose véritablement triste, c’estqu’après toutes ces années derrière lesbarreaux, je n’ai pas pu avoir d’enfants.Je voulais tellement avoir des enfants…,soupire-t-elle. Alors ce pécule, je l’aigardé pour aider d’autres petits, pourqu’ils ne soient pas ignorants, naïfscomme je l’étais, qu’ils ne traînent pasdans la rue et fassent des mauvaisesrencontres. J’ai poussé dans un ghetto,

dans une famille sans argent, sansculture ; si je m’en suis sortie, c’estgrâce à ma voix. Tout le monde n’a pasma chance. Dieu merci, nos petits ducentre ne vivent pas dans la misère danslaquelle j’ai grandi, mais ils ne viventpas dans l’opulence non plus. Le manquede culture, la rue… ce n’est pas unterreau pour faire épanouir les fleurs…J’ai un but aujourd’hui : je veuxconsacrer le peu de temps qu’il me resteà ce centre, aussi modeste soit-il, pourqu’il devienne un terreau fertile pourcette jeunesse innocente, Trisha, Marcuset tous les autres.

Je la regarde, les larmes aux yeux.

– Et vous y arriverez, Susie, et jevous y aiderai.

Aussi émue que moi, le regard voilé,Susie pose sa main sur mon avant-bras.

– Merci, ma Grace. Tu es l’étoile quele ciel m’a envoyée pour éclairer la finde ma vie.

***

– Tu es bien silencieuse…, me ditCaleb.

La tête appuyée sur son épaule àl’arrière de la limousine qui nousemmène à l’aéroport, je repense à ce

que m’a raconté Susie. Je suis triste pourelle, et je l’admire aussi, d’avoir réussià surmonter ces épreuves que sont ladrogue et la prison. C’est une femme sipositive, si enjouée, que jamais jen’aurais imaginé qu’elle avait un passéaussi douloureux.

Je jette un œil à la vitre deséparation, pour vérifier que lechauffeur ne peut nous entendre.

– J’ai parlé avec Susie, dis-je. Ouplutôt, c’est elle qui m’a parlé. Elle m’araconté ce qui lui était arrivé. Je sais.Pour la prison.

Je me redresse pour regarder Caleb,

qui m’observe en gardant le silence.

– Elle m’a dit de te dire que tadiscrétion t’honore. Et qu’elle teremerciait de t’être retiré du dossier ensachant tout ce que tu savais sur elle.

Caleb soupire.

– J’ai bien peur que si le procès alieu, cela ne s’ébruite malgré tout. Nosremplaçants vont fouiller sa vie, sonpassé, comme moi, et s’ils ont de bonsenquêteurs, ils découvriront les mêmeschoses.

– Il n’y aura pas de procès. Todd aconclu un accord avec la banque.

Caleb hausse un sourcil, surpris :

– Un accord ? Mais Dandridge n’envoulait pas. Qu’est-ce qui les a faitchanger d’avis ?

– Je n’ai pas tout compris, maisapparemment, Todd a mis au jour despratiques frauduleuses de la banque. Çaconcerne les hypothèques que Susieavait contractées sur le centre, lesdossiers d’expulsion, l’absence denotaire pour la signature dedocuments… Rien n’a été fait dans lesrègles manifestement.

– Je me demande bien comment il apu découvrir ça…, dit Caleb lentement.Je ne vois pas…

Il s’interrompt soudain. Les sourcilsfroncés, il semble réfléchir intensément.Je vois bien que quelque chose letracasse, mais je ne sais pas quoi.

– C’est de ça dont tu parlais, quand tudisais que ton client n’était pasirréprochable ?

Ma réflexion a tiré Caleb de sespensées. Il me regarde un instant, avantde dire :

– Chérie, je ne peux pas te répondre.Même si Dandridge n’est plus monclient, je suis encore lié par le secretprofessionnel.

Il passe un bras autour de mesépaules et pose un baiser sur le bout demon nez :

– Susie et le centre sont sortisd’affaire, ne parlons plus de toute cettehistoire. Et tant qu’on y est, on oublieaussi la politique, ma famille, Nikki, eton se concentre sur notre escapade ettoutes les choses délicieuses qu’on vafaire. On ne pense qu’à nous deux, tuveux bien ?

Je lui réponds avec un baiser. Auquelsuccède un autre baiser, puis un autre, etses lèvres me font oublier le reste dumonde tandis que la limousine file ausoleil couchant vers l’aéroport.

37. À deux au paradis

– Au retour, nous n’aurons pasd’hôtesse ! me murmure Caleb àl’oreille, tandis que nous atterrissons àLiberia, au Costa Rica.

J’éclate de rire. Le voyage durant sixheures, Caleb avait prévu qu’une hôtessenous accompagne pour veiller à notreconfort. Ce qu’elle a fait fortaimablement, d’ailleurs. Mais la sachantde l’autre côté de la cloison de lachambre douillette aménagée au fond dela carlingue, je n’ai pas osé faire

l’amour avec Caleb. C’est tout juste sij’ai accepté de dormir dans le grand litavec lui, tellement j’étais mal à l’aise.Caleb s’est gentiment moqué de moi,mais il a compris mes réticences.

Le vol a été sans turbulences, et j’airéussi à m’assoupir malgré l’excitationdu voyage. J’ai hâte de découvrir leCosta Rica, où je ne suis jamais allée.C’est un pays connu pour sa nature et safaune préservées, et j’ai hâte d’enadmirer les beautés. Il fait depuislongtemps partie des pays inscrits dansmon projet de safari photo.

Dans le petit aéroport internationalde Liberia, j’ai la surprise de constater

que Caleb parle un espagnol parfait.Enfin, je crois, je ne parle pas espagnol,mais ça m’en a tout l’air ! Je ne sais sic’est ce qui nous vaut une telle amabilitédes fonctionnaires mais nous en avonsrapidement terminé avec les formalitésdouanières et nous nous retrouvonsbientôt dans le gros 4 x 4 bleu marinequi nous attendait.

– Alors, on va où ? dis-je en bouclantma ceinture.

– La maison est sur la péninsule deNicoya, sur la côte Pacifique. Elle est unpeu perdue dans la nature, on ne peut yaccéder qu’en 4 x 4.

Nous prenons la route tandis que le

jour se lève. Plus nous nous éloignonsde l’aéroport, plus la nature prend ledessus. Nous nous retrouvons à traverserdes collines couvertes de jungleluxuriante ; au gré des routes j’aperçoisen contrebas un océan d’un bleuéblouissant au soleil levant.

– Mon Dieu ! C’est magnifique.– Tu as pris ton appareil photo au

moins ? me demande Caleb.– Bien sûr !– Tu vas pouvoir t’en donner à cœur

joie ici. On n’est pas très loin de laReserva Natural Absoluta Cabo Blanco,on ira demain si tu veux. Si tu aimes lessinges et les félins, et les oiseauxmulticolores…

– C’est génial ! dis-je en me jetantsur lui pour l’embrasser.

Caleb se laisse couvrir de baisers ensouriant sans quitter des yeux la routecahoteuse qui traverse la jungle. Lavoiture fait une embardée et je pousse unpetit cri, avant de me réinstallerprudemment sur mon siège. Ça seraitdommage d’avoir un accident à peinearrivés au Costa Rica !

Après avoir traversé des kilomètresde nature sauvage, la voiture ralentitpour emprunter une petite pistecaillouteuse qui grimpe rudement. Levéhicule s’arrête devant une maison queje n’avais pas aperçue de loin,

camouflée par les arbres.

– On est arrivés, me dit Caleb endéfaisant sa ceinture de sécurité.

Je reste un instant sans bouger,émerveillée.

Nichée à flanc de colline, la maison,sur trois niveaux, est montée sur pilotis.Essentiellement de bois, elle se fondmerveilleusement dans la splendidenature qui l’entoure.

J’entends résonner le rire de Caleb :

– Mais sors ! me lance-t-il. Tu vasvoir, c’est encore mieux à l’intérieur…

Je m’extirpe du 4 x 4 et grimpe à sasuite les marches qui mènent au porched’entrée. Caleb me prend par la main etm’emmène faire un tour du propriétaire.Effectivement, cette maison est un bijouqui révèle toute la beauté de sonenvironnement avec des immenses baiesvitrées, des balcons et des terrasses quidonnent sur l’océan ou sur les collinesalentour mangées de forêt tropicale.

– Caleb, c’est merveilleux, dis-je,admirative. Je crois que je n’ai jamaisrien vu d’aussi beau.

– Je suis heureux que ça te plaise,répond-il en me serrant contre lui,j’aime énormément cet endroit. J’y aipassé des vacances extraordinaires.

Mon grand-père était tombé amoureuxde l’endroit… et sans doute d’une filledu coin, dit-il en souriant. À sadécharge, il a été veuf jeune, il ne s’estjamais remarié, mais il a, disons…profité de la vie.

– Il vivait là ?– Les dernières années de sa vie, oui.

Ma mère n’aimait pas l’endroit, tropsauvage pour elle, c’est pour ça que j’enai hérité à sa mort. Quand j’étais petit,puis ado, elle m’envoyait le rejoindreseul, et j’avoue que j’étais content de meretrouver en tête à tête avec mon grand-père. J’étais heureux comme tout, ilm’emmenait nager, pêcher…

Nous avons terminé la visite sur une

terrasse qui surplombe le Pacifique. Deshamacs y sont accrochés. Je me penchepour admirer la grande piscine àdébordement qui miroite en contrebas,comme suspendue, flottant au-dessus dela canopée.

– Ta mère trouvait ça « tropsauvage » ? dis-je, narquoise, enmontrant la piscine.

– Oui, c’est vrai qu’elle pouvaitdifficilement se plaindre du confort,reconnaît Caleb d’un ton badin. Mais jecrois qu’elle a une sainte horreur de lanature, et surtout des petites, et grosses,bêtes qui y vivent.

– Eh bien moi j’adore cet endroit,dis-je en me hissant sur un hamac. C’est

le paradis ici. On dirait qu’on est en…

Oups !

Je m’interromps subitement et je memords les lèvres.

– … En lune de miel ? dit Caleb avecun petit sourire en coin.

S’il y a bien un sujet délicat entreCaleb et moi, c’est celui du mariage.L’un comme l’autre, on évitesoigneusement de l’aborder depuisqu’on est réellement en couple…

Caleb et moi, on s’est mariés pour demauvaises raisons (un pari pour lui,

l’alcool pour moi), et on est restésmariés car contraints et forcés (surtoutmoi !). Ce mariage, depuis le départ, aune date de péremption : la conventiondu parti du sénateur Montgomery.

Le truc c’est qu’en cours de route,nous sommes tombés amoureux l’un del’autre, et nous avons décidé de vivreensemble pour de bon. Mais en éludantl’avenir.

J’avoue qu’aujourd’hui, je suis unpeu perdue. On est quoi l’un pourl’autre ? En public, c’est facile, je suissa femme, c’est écrit dans le contrat.Mais dans l’intimité, je suis quoi, sapetite amie ? Et maintenant qu’on s’est

avoué notre amour, on fait quoi de cemariage à durée limitée ? Parce que moi,mon amour, il n’est pas limité dans letemps…

Ces questions me turlupinent depuisun bout de temps, mais je les ai écartéesen me disant qu’on verrait ça après laconvention. Et maintenant je fais cettebourde…

– C’est quoi ça ? dis-je pour fairediversion, en pointant une montagne.

– C’est un volcan, le Rincón de laVieja, le « coin de la vieille ».

– Il est toujours en activité ?– Toujours.

J’écarquille les yeux, un peu effrayéeà l’idée d’une potentielle éruption.

– Rassure-toi, il n’y a pas dedanger…, me dit Caleb. En tout cas pourl’instant, ajoute-t-il d’un air détaché.

– Pour l’instant ? C’est très rassuranten effet…

Il sourit avec malice.

– De près, ce volcan a beaucoup decharme, de caractère, reprend-il. Onpeut se baigner dans des piscinesnaturelles, dans des eaux très chaudes.C’est une expérience vraimentparticulière… On pourra y aller si tuveux ?

– Mais oui, j’adorerais, dis-je en meredressant dans le hamac.

La description de Caleb m’a faitoublier ma peur instantanément. Et puissi lui ne craint pas le volcan, pas plusque les milliers de personnes qui viventà temps complet dans son voisinage,pourquoi le craindrais-je ?

– Je sens que je vais adorer ce pays,et particulièrement cette région, dis-je.Quel dommage qu’on n’y reste que troisjours, il y a tellement de choses à faire,à voir…

Caleb s’agenouille près du hamac oùje suis assise.

– On reviendra mon amour.

Je le remercie d’un baiser, même sij’ai un petit pincement au cœur. J’auraisadoré qu’il rajoute : « On a toute la viepour ça. »

Mais c’est tout moi ça, j’en veuxtoujours plus. On est quand même dansun endroit merveilleux, tous les deux, jene vais pas me gâcher le séjour avec cegenre de prise de tête !

–Dis donc, je meurs de faim, dis-jesoudain. On fait comment pour mangerici ? Il y a un McDonald’s au milieu descocotiers ?

– Non, sourit Caleb, mais il y a

mieux. J’ai appelé le couple quis’occupe de l’entretien de la maisonpendant mon absence. Du temps de mongrand-père, il y avait une gouvernante etune cuisinière à demeure. Maria etMiguel m’ont proposé de me trouver dupersonnel, mais j’ai refusé ; j’avaisenvie que l’on soit tous les deux, dit-ilen passant ses bras autour de moi.

– Et tu as bien fait, dis-je enblottissant ma tête contre son cou.

– Je leur ai demandé de préparer lelit et de remplir le frigo et les placards.Maria m’a dit qu’elle nous avait préparéde bons petits plats. On devraitsurvivre…

– Je ne me fais pas de souci. On a

tout ce qu’il nous faut, et même plus. Dequoi manger, des vues éblouissantes, unepiscine hallucinante. Et le lit, il estcomment ?

– Très confortable, tu vas voir. Unvrai lit de… « lune de miel », me dit-ild’un ton taquin.

Je rougis.

– Ça me semble approprié après tout,reprend-il. Puisqu’on fait tout dans ledésordre : on s’est mariés avant de seconnaître, ça me semble logique quel’on parte en « voyage de noces » troismois après… La semaine prochaine,promis, je te fais la cour.

Je lui tire la langue, et il rit auxéclats. Pour se faire pardonner sataquinerie, il m’attire à lui et j’essaie derésister mais je cède bien vite à sesbaisers langoureux. Ils éveillent messens, déjà titillés par la vue magnifique,les odeurs nouvelles, cette chaleurtropicale un peu moite.

Je trouve enfin la force d’échapper àses lèvres et je me relève. Je le tire parla main :

– Viens, on va l’essayer, ton lit de« lune de miel »…, dis-je avec unregard plein de sous-entendus.

***

– Tu n’en as en pas assez de mephotographier ? me demande Caleb enfaisant une grimace.

Je repose mon appareil en riant. Nousvenons de rentrer, après avoir passé lajournée à explorer la réserve naturelleAbsoluta Cabo Blanco, entre littoralsplendide et hauteurs couvertes dejungle et peuplées d’animaux. J’ai passéla journée à mitrailler Caleb… et lafaune. Nous n’avons pas pris de guide,Caleb connaît apparemment les sentiersde la réserve par cœur. Je ne savais pasque sous son costume de tailleur anglaisse cachait un aventurier aussi à l’aisedans la vie sauvage. Il m’a bluffée.

– Tu as raison, j’arrête de te harceler,dis-je en souriant. Merci d’avoir été sipatient.

– J’espère que tu garderas pour toiles photos où je suis en maillot. Çarisque de faire mauvais effet auprès demes clients, lance-t-il en riant.

– Mais ça va sans doute te ramenerdes clientes !

Nous nous sommes posés sur destransats au bord de la piscine. Calebnous a préparé des cocktails que noussirotons en regardant le soleil quicommence à se coucher sur l’océan. Labelle vie quoi !

– Tu y prends goût, à ce travail de

photographe, non ? me demande Caleb.– Oui, c’est vrai. J’adore ça. Je me

demandais si j’allais en faire monmétier, mais en fait… je crois que jesuis faite pour ça. Je crois que je l’ai suavant même d’être embauchée pour lemagazine. Quand j’ai commencé àenseigner la photo aux enfants du centre,c’est devenu une évidence…

– Quand le centre va rouvrir, tu vascontinuer à donner tes cours ?

– Oh que oui !

Mais pendant combien de temps va-t-il pouvoir rester ouvert ? Même si labanque allège les remboursements,Susie tire déjà le diable par la queue…

Cette pensée, je la garde pour moi.On avait dit que l’on ne parlerait pas detout ça pendant notre parenthèseenchantée. On sera de retour bien assezvite dans la « vraie vie »…

– Tu sais, si Susie a des soucisfinanciers…, commence Caleb, commes’il avait lu dans mes pensées.

Il s’interrompt. Je le regarde,curieuse de savoir la suite.

– J’ai un projet de fondationchapeautée par le cabinet, reprend-il. Jeverserai à titre personnel le capitalinitial ; une partie des bénéfices ducabinet lui sera reversée et je compte

mettre à contribution tous nos richesclients. Je ne me fais pas de souci, ilsinvestiront sans problème, si ce n’estpar philanthropie, au moins dans unintérêt fiscal, pour réduire leurs impôts.Cette fondation aura pour objet l’accès àla culture pour l’enfance défavorisée deNew York. On pourra récoltersuffisamment d’argent pour ouvrirplusieurs centres. Ou pour aider ceuxexistants, comme celui de Susie. Onpourrait lui permettre de rembourserentièrement son crédit, avant qu’ellen’ait d’autres soucis avec la banque. Ouacheter du matériel, donner dessubventions pour financer des sortiesdans des musées… Tu en penses quoi ?

– Ce que j’en pense ? Mais ce seraitgénial ! Caleb ! dis-je en me redressantsur le transat, en évitant de justesse derenverser mon cocktail.

– S’il te plaît, n’en parle pas encore àSusie. Ça va prendre encore un peu detemps, il faut que j’en discute avec Stacypour voir si elle est d’accord et à quellehauteur sur l’implication du cabinet.

– Oui, bien sûr… Mon Dieu, ce seraitsuper.

Je me lève du transat pourl’embrasser passionnément.

– Tu es merveilleux. Je t’aime, dis-jeen croisant mes bras autour de son cou.

– J’aurai sans doute besoin de toi

pour la fondation, me glisse Caleb. Çat’intéresse ?

– De moi ?

Je me recule et le regarde pour voirs’il plaisante. Apparemment, ce n’estpas le cas…

– Oui, si tu as du temps pourt’investir, pour travailler sur lesprogrammes destinés aux enfants, parexemple…

– Mais oui… Caleb, j’adorerais.

J’en bafouille d’émotion.

Je ne sais pas ce qui m’émeut leplus : son projet, ou la confiance qu’il

m’accorde en me proposant ce job.

– Bien, alors on verra ça en rentrant àNew York, dit Caleb. Je voulais t’enparler avant d’en parler à Stacy.

– C’est un magnifique projet, Caleb.Et ça me touche tellement que tu m’yassocies, dis-je en le dévorant des yeux.

– Mais c’est normal. C’est toi quim’as inspiré, dit-il d’une voix basse etcaressante.

Je l’attire de nouveau à moi,l’embrassant avec fougue.

– Ma douce, ma belle Grace, dit-il enprenant mon visage entre ses mains. Tume rends si heureux.

Il me regarde avec tellement d’amourque je me sens fondre.

Un concert de cris d’animaux nonidentifiés s’échappe de la forêtenvironnante. Je tressaille à peine.

Caleb me regarde avec admiration.

– Ça ne t’impressionne pas plus queça ? Bravo ! Ma mère a passé unesemaine ici, une année, elle n’aquasiment pas dormi.

– Ça surprend un peu au début, c’estvrai, mais je te rappelle que j’ai fait desétudes de biologie animale et que j’aitravaillé dans un zoo. Ça aide un peu às’acclimater. En fait, je crois que je

pourrais vivre ici. Ça a un petit côtéTarzan et Jane, perchés sur les arbres.La piscine en plus…

– … et les cocktails, dit Caleb enportant son verre à ses lèvres.

– … et le congélateur, le lit àbaldaquin, l’air conditionné, la doucheitalienne, le jacuzzi, dis-je, avantd’éclater de rire.

– Je te trouve un peu trop habilléepour une Jane, dit Caleb en faisant unegrimace de désapprobation.

J’ai pris une douche en revenant de laréserve, et j’ai enfilé une sorte de caftanrouge brodé de noir acheté juste avantde venir. J’avais envie d’être belle etsexy pour ce séjour en amoureux. J’ai

donc laissé sans regret au placard mesvieux tee-shirts et mon short en jean, etacheté ce caftan, deux jolies robeslégères, ainsi qu’un maillot qui ne cachepas grand-chose de mon corps. Il estravissant, mais j’ai passé mon temps à lerajuster lorsqu’on s’est baignés cetaprès-midi, ce qui a fait beaucoup rireCaleb.

Je me redresse et me campe devantlui, les mains sur les hanches :

– Tu n’aimes pas mon caftan ? dis-je,déçue.

– Si, beaucoup, mon amour. Il te vatrès bien en plus. Mais tu sais qu’ici,personne ne peut te voir, à part moi, dit-

il d’une voix tentatrice. On peut vivrenus sans choquer qui que ce soit. À partpeut-être quelques singes…

Il me regarde de son transat, sa maincaresse ma cheville, et je sens despicotements à l’endroit où il me touchela peau.

C’est vrai que c’est tentant. L’air estplus frais sur la colline que sur la plage,et les températures commencent àbaisser maintenant que le soleil secouche, mais il fait encore très chaud.

En souriant, je défais le lien quiferme le col de mon caftan. Les panss’entrouvrent en un décolleté qui va

jusqu’au nombril. Les yeux de Calebs’arrêtent sur ma poitrine dénudée. Sonregard est plein de désir. Avant qu’ilpuisse faire un geste, je recule de deuxpas, retire mon vêtement, et fais glisserma culotte à mes pieds. J’éclate de rireet, nue comme un ver, je prends monélan et saute dans l’eaumerveilleusement tiède de la piscine. Jesais que je n’attendrai pas longtempsavant que Caleb me rejoigne.

Quand j’émerge de l’eau, Caleb s’estlevé de son siège.

– Tu viens ? Je t’attends, moi…, dis-je en l’aspergeant.

Il me sourit et au lieu de sedéshabiller comme je m’y attendais, ilva prendre mon appareil photoabandonné sur la table basse.

– C’est à mon tour, dit-il ens’approchant avec un air gourmand de lapiscine.

– Tu ne vas pas me prendre nue ?– Et pourquoi pas ? dit-il d’un ton

suggestif.

Il commence à me photographiertandis que je nage vers lui. Je savoure lasensation de l’eau sur mon corps délivréde tout tissu. Je crois bien que c’est lapremière fois de ma vie que je nage nue.Et j’adore ça.

– Tu ne veux pas sortir ? me lance-t-il. Je ne vois pas grand-chose d’ici.

J’hésite un instant.

– Je ne sais pas poser. Je suis del’autre côté de l’objectif d’habitude.

– Ne pose pas. Sois naturelle. Soistoi.

J’ai envie de jouer au petit jeu qu’ilme propose.

Je nage jusqu’à l’autre côté de lapiscine. Je sens ses yeux qui se posentsur mon dos, mes fesses, tandis que jemonte l’échelle avec une lenteurcalculée. J’avance vers lui, qui met un

genou au sol et se met à me mitrailler.

Je vais vers lui, tends ma jambe. Ildélaisse l’appareil pour poser un baisersur mon pied tendu. Je le laisse melécher les orteils puis, avec un petit rire,je le repousse doucement et m’en vais.Je m’allonge langoureusement sur untransat, offrant mon corps nu auxderniers rayons du soleil… et surtoutaux yeux de Caleb qui me fixent derrièrel’appareil. Je sens son désir derrièrel’objectif et il allume le mien.

Je le fixe, le défiant presque duregard, et, nonchalamment, je caresse lespointes de mes seins. J’ai envie qu’iln’en puisse plus, que mon attitude lui

tourne la tête et qu’il vienne vite merejoindre. Mais il reste à distance.

– Touche-toi, me dit-il d’une voix oùje sens la tension naissante.

Ma main descend vers mon bas-ventre. Mes doigts effleurent ma fente,caressent mon clitoris qui commence àvibrer de contentement. J’écarte un peules jambes de part et d’autre du transat.Je vois Caleb s’éloigner de l’appareilphoto pour mieux me voir.

– Tourne-toi, m’ordonne sa voix,chaude et envoûtante.

J’obéis docilement. D’habitude, sur

un shooting, c’est moi la maîtresse dujeu. J’aime bien cette inversion desrôles, et je me laisse faire, objet brûlantde son désir.

– J’adore tes fesses.

Il s’est rapproché, et j’entends le clicde l’appareil qui immortalise ma croupeofferte, cambrée. Soudain, je sens lacaresse d’une main sur ma peaumouillée.

– On peut regarder, mais on ne touchepas, dis-je, la voix un peu rauque.

Je sens des élancements dans monbas-ventre, tandis que ses doigts

s’attardent, longent le sillon entre mesfesses. J’entends qu’il pose l’appareilsur le sol et ses lèvres viennentembrasser ma croupe. Je le laisse faire,savourant la sensation délicieuse, maisbientôt je n’y tiens plus et je meretourne. Je saisis son visage à deuxmains et prends ses lèvres, enfonçant malangue dans sa bouche. Ses mainspétrissent mes seins tandis que je ledévore.

J’essaie de l’attirer contre moi maisil se redresse, et prestement, fait valserson tee-shirt et son pantalon de toile. Ilne porte pas de sous-vêtement. Son sexegonflé, dressé, clame son désir pourmoi.

J’ai envie de lui. J’écarte les jambespour qu’il me pénètre, lui offrant monsexe, mais il s’agenouille devant moi etsa tête vient s’enfoncer entre mesjambes. Goulûment il commence à melaper, et je me tortille sous l’effet de salangue. Je me tiens des deux mains aubord du transat, au-dessus de ma tête, lapoitrine cambrée, et je m’arc-boutecontre sa bouche avide, tandis que sesmains étreignent mes seins. J’éprouveune sensation merveilleuse de liberté,d’être ainsi nue sous le soleil couchant,en extérieur, sans craindre le regard dequiconque. Je peux gémir sans retenue,et je ne m’en prive pas tandis quel’orgasme monte avec une sauvagerie

égale à celle de la nature qui nousentoure.

– Oh mon Dieu…, soupiré-je, enrejetant en arrière une mèche encorehumide qui me barre la joue.

Je suis toujours étonnée du pouvoirque Caleb a sur moi. Entre ses mains, jen’ai plus aucun contrôle sur mon corps.Il peut faire de moi ce qu’il veut, lamoindre de ses caresses bouleverse messens. C’est un amant merveilleux, qui medonne un plaisir infini ; il m’a éveillée àl’amour charnel, il m’a fait aimer etcomprendre mon corps, et chaqueorgasme qu’il me donne me laisseémerveillée.

Je suis encore en train de reprendremon souffle lorsqu'un orage éclate, aussiinattendu que violent. Un vrai oragetropical, comme il s’en abat beaucoupsur cette région du monde à cettepériode de l’année. Caleb me regarde etje vois une lumière s’allumer dans sesyeux. Je fronce les sourcils, intriguéepar son expression : on dirait un gaminqui prépare un mauvais tour.

Il me prend par la main et avant queje puisse comprendre, il m’entraîne versla piscine où il saute, me tirant à sasuite.

– Mais, qu’est-ce que tu fais ? dis-je,une fois revenue à la surface.

Caleb est devant moi, les cheveuxplaqués sur la tête, ses yeux bleusscintillants dans la semi-pénombre. Lesoleil s’est couché maintenant et seulesles zébrures des éclairs éclairent encorele ciel par intermittence.

– On faisait ça avec mon grand-père.Dès qu’il y avait un orage, au lieud’aller s’abriter, on se jetait à l’eau. Sesemployés de maison nous prenaient pourdes fous.

On dirait que le ciel déverse destonnes de pluie sur nos têtes, dans unfracas terrible ; c’est à la fois terrifiantet excitant.

– Tu ES fou, dis-je en riant.

Caleb, les yeux brillants, m’attrapepar la main et m’attire à lui. Il a pied, cequi n’est pas mon cas. Je m’accroche àson cou et entoure sa taille de mesjambes. Il nage jusqu’au bord de lapiscine, contre lequel il m’adosse. Lefracas du tonnerre résonne dansl’obscurité. Je vois dans ses yeux, quefait scintiller la lumière intense et fugacedes éclairs, que son désir est toujoursvivace, comme le mien. D’un seul coup,il me pénètre. Je croise mes chevillessur ses reins, le pressant contre moi.Nos bouches affamées se rejoignent. Ilva et vient en moi avec ardeur, galvanisépar les éléments déchaînés. Mon bas-

ventre va à la rencontre de son sexe quime fouille de plus en plus profond. Jesuis moi-même prise de fièvre, et jegriffe ses épaules mouillées, mords soncou tandis qu’il me pénètre avec force.La pluie dégouline sur nos têtes, je lècheles gouttes qui se forment au bout de sonnez, dévalent ses joues, perlent à sescils. Le plaisir, intense, monte de monbas-ventre comme un tsunami, dévastanttout sur son passage. Tandis qu’ilm’envahit, j’entends le cri de Caleb,presque un hurlement animal, montervers le ciel.

***

– Tu es bien, là ?– Parfaitement bien…

Le tumulte des sens comme celui deséléments est passé. Caleb et moisommes rentrés dans la maison, où,après avoir pris une douche et dévoré undélicieux plat de poulet et de rizparfumé à la coriandre préparé parMaria, nous nous sommes installés sur laterrasse de la chambre. L’orage arafraîchi l’atmosphère et, mon caftandétrempé étant resté abandonné près dela piscine, j’ai enfilé une chemisetteblanche en coton de Caleb, qui est dixfois trop grande pour moi mais danslaquelle je suis bien.

Blottis l’un contre l’autre dans legrand hamac de la terrasse du premier,nous nous laissons bercer, échangeantdes baisers en écoutant les bruitsnocturnes de la jungle.

– Caleb…– Oui, mon amour ?– C’est quoi ce que je sens, là, contre

mes fesses ?– À ton avis ? me murmure-t-il.– Tu bandes encore ?– Ça t’étonne ? Ça t’effraie ?

Je me tourne vers lui,précautionneusement pour ne pas nousfaire basculer.

– Non, ça ne m’effraie pas, dis-je ensouriant. Ça m’honore.

– Je n’y peux rien, c’est l’effet que tume fais, me dit Caleb en glissant unemain dans l’échancrure de ma chemisepour venir caresser mon sein.

Je pose un baiser sur ses lèvres, etglisse ma main sur son caleçon, auniveau de son sexe qui frémit à cecontact. Je défais le petit bouton et jedégage sa verge de l’enveloppe de tissu.Elle gonfle sous mes doigts, pendant queje le branle doucement.

Caleb me regarde les yeux mi-clos,un vague sourire sur les lèvres. Ils’abandonne à ma main qui accélère le

rythme, tête rejetée en arrière.

La vision de son sexe vigoureuxréveille mon désir assoupi. De ma mainlibre, je défais le bouton de la chemisedont j’écarte les pans. Je n’ai rien endessous. Je frotte mon pubis contre lacuisse de Caleb, tandis que je continuede caresser son sexe. Si on n’était pasdans le hamac, je le chevaucheraisvolontiers, mais j’ai peur que l’on nefinisse par terre.

Caleb se redresse. Mesattouchements l’ont tiré de l’espèce delangueur qui nous avait gagnés, etcomme moi, je vois qu’il est de nouveautrès excité.

J’écarte à regret ma main de sonsexe, tandis qu’il sort du hamac. Il retiretout à fait son caleçon.

– Viens, on va trouver un endroit plusconfortable.

Il me prend dans ses bras et mesoulève comme si je n’étais qu’un fétude paille ; tout en me portant, il rentredans la maison, traverse le salon etgagne la chambre à l’étage supérieur. Ilme dépose sur l’immense lit surélevé,surmonté d’un baldaquin, qui trône aumilieu de sa chambre. Je m’empresse deretirer la chemise qui ne couvre plusgrand-chose de mon corps. Les portes dela baie vitrée sont grandes ouvertes sur

le Pacifique, éclairé par la lune quibrille dans un ciel redevenu serein.Caleb me rejoint sur le lit. Je dévore soncorps de baisers, léchant son torsemoite, mordillant ses tétons que je saissensibles. Il gémit doucement, puism’étreint de ses bras puissants, meserrant avec fièvre. Alors qu’il va pourme pénétrer, je me tourne. J’aime sentirson ventre plat claquer contre mes fessestandis qu’il va et vient en moi. Ainsiemboîtés, j’adore, et il le sait, quand ilempoigne un sein d’une main, et qu’ilcaresse mon sexe de l’autre. Ses doigtsenchanteurs me rendent folle. Je suisencore plus sensible à sa verge en moiquand il me chatouille ainsi le clitoris et

joue avec mon court buisson. J’ail’impression que mon bas-ventre irradie.Je me mords les lèvres, j’ail’impression de prendre du plaisir partoutes les cellules de mon corps.

– Plus fort…

Caleb arrache sa main à mon seinpour saisir mon visage et me forcer à metourner vers lui. Il prend ma boucheavidement tandis qu’il accélère lerythme. Nos langues s’entremêlent. Je nepeux bientôt plus me retenir.

– Je vais jouir…– Jouis, dit la voix étranglée de

Caleb.

Je ne sais si j’ai même attendu la finde sa phrase. La jouissance m’a prisetout entière sans que je n’y puisse rienfaire, et m’a transportée au septièmeciel. Je suis à peu près sûre que Calebl’a atteint en même temps que moi.

38. Atterrissagedifficile

– Et si on restait ?

Je retiens Caleb qui essaie des’extraire du grand hamac blancaccroché sous le porche, dans lequelnous avons passé cette fin d’après-midi.Il rit en retombant près de moi.

– J’adorerais mon amour, me répond-il, mais il faut vraiment y aller ; j’ai desrendez-vous très importants demain.

Mais je te promets, on reviendra bientôt.

Il m’embrasse et se remet sur pied. Jesoupire : la « lune de miel » est bienterminée.

C’était si délicieux. Trois jours derêve, à faire des découvertes, desbalades, des baignades enchantées, etsurtout, à faire l’amour, encore etencore. Je suis heureuse après lesderniers jours passés de le retrouver siserein, si heureux…

Caleb a déjà mis nos bagages dans le4 x 4. Le soleil se couche, marbrant leciel de rouge et d’orange, tandis quenous reprenons la route de l’aéroport. Je

suis triste de quitter cet endroitparadisiaque, mais je repars la têtepleine de beaux souvenirs, et avec descentaines de photos.

Le jet nous attend sur la piste del’aéroport ; mon cœur se serre aumoment de monter dans l’avion. Je n’aipas envie de retrouver le tumulte deNew York, ici, j’avais Caleb pour moitoute seule. Je n’avais pas à le partageravec son cabinet, ses procès, sesclients… On a connu une intimité et unefusion totales. Dieu sait quand nousaurons l’occasion de les retrouver.

Aucune hôtesse ne nous attend en hautde la passerelle. Je me retourne vers

Caleb, qui me fait un clin d’œil.

– Comme ça, on sera seuls un peuplus longtemps, dans notre bulle, memurmure-t-il.

Nous allons nous installer à nossièges en attendant le décollage.

***

Le jet s’est posé sur la piste. Noussommes de retour à New York. Caleb setourne vers moi :

– Prête à sortir de la bulle ?– Prête, dis-je en riant. Mais pour

aller me recoucher…

Caleb grimace.

– C’est pas juste. Moi je rentre mechanger et je file au bureau, j’ai uneréunion avec un nouveau client. Alorsque je n’ai qu’une envie, me mettre aulit…

– Il fallait y penser avant de meproposer de batifoler…, dis-je en posantun baiser sur ses lèvres.

Cette fois, pendant le trajet, nousavons peu dormi. Nos ébats aériens ontconclu en beauté un week-end plein desensualité. C’était merveilleux, mais jesuis épuisée. Je ne suis pas mécontented’avoir posé ma démission et de ne pasavoir à me rendre au Dancing Crane ce

matin.

Je défais ma ceinture de sécurité etrécupère mon sac à main.

– Tiens, ma mère m’a appelé, ditCaleb en regardant son téléphone d’unair étonné. Trois fois depuis 6 heures. Etil n’est même pas 7 heures…

– Elle m’a appelée aussi.

Nous avions éteint nos appareilspendant le voyage, histoire de profiteren toute quiétude de nos dernièresheures en tête à tête. L’écran de monportable affiche deux appels sansmessage de Laura.

– C’est bizarre, dis-je, perplexe.C’était sans doute pour essayer de tejoindre, elle ne m’appelle jamais. Çadoit être important.

Un coup d’œil à Caleb, qui écouteson répondeur les sourcils froncés,confirme mes craintes.

– Je n’y comprends rien, dit-il enraccrochant, visiblement inquiet. Il s’estpassé quelque chose, mais je ne sais pasquoi, elle veut que je la rappelle.

Nous sortons de l’avion en toute hâtepour rejoindre le personnel chargé defaciliter les modalités d’entrée sur leterritoire des passagers de jets privés.

En un temps record, nous sommes sortisde l’aéroport et installés dans lalimousine qui est venue nous chercher.Caleb essaie de rappeler sa mère,plusieurs fois, en vain. Il tente dejoindre son père sans plus de succès.

Je vois son visage s’assombrir deplus en plus.

– Et Noah ? glissé-je.– Je viens d’essayer, ça sonne

occupé.

À ce moment-là, mon téléphonesonne. À ma grande surprise, je constateque c’est Nikki.

Nikki, à 7 heures du matin ? Mais ona atterri dans la cinquièmedimension ? !

– Nikki ? Qu’est-ce qui se passe ? Tuappelles d’où ? demandé-je, déjàaffolée.

– Bonjour à toi aussi, sister. Rassure-toi, je n’appelle pas de prison.

Je me sens un peu soulagée, mais çane dure pas.

– En revanche, j’en connais un quipourrait vous appeler de taule bientôt,ajoute-t-elle d’une voix traînante.

– Quoi ? Qui, de qui tu parles ?

J’ai haussé le ton sans le vouloir, etCaleb me regarde d’un air intrigué.

– T’es pas au courant ? T’es pasencore rentrée de ta jungle ? s’étonneNikki.

– On débarque à peine. Nikki, de quitu parles, s’il te plaît ! ?

– Ton beau-père. Le sénateur. Dis-donc, je savais pas que c’était un grosdégueulasse…

Je manque d’en lâcher montéléphone.

– Les chaînes sont en boucle depuisce matin, continue-t-elle. On vient derentrer d’une fête avec Théo, et tu me

connais, j’ai du mal à m’endormir, j’aiallumé la télé ; ben là, pour le coup, çam’a bien réveillée. Il cache bien son jeu,le sénateur. Dire que sa femme m’asnobée au meeting, rigole-t-elle. Jen’étais pas assez bien pour me montrer àcôté de son mari, selon elle. Eh bien ilfaut croire que son époux fait moins lafine bouche… Une mineure ! Elle avaitpeur du scandale, elle est servie !

Je dois être livide, car Caleb mescrute d’un regard plus qu’inquiet. Il fautque je lui explique, vite. Mais avant, jedois me débarrasser de Nikki.

– Nikki, je raccroche. Je… je terappelle plus tard.

Je pose mon téléphone sur lesgenoux, j’ai les mains qui tremblent.J’essaie de rassembler mes idées. Jeprends une grande inspiration.

– Caleb. C’est ton père.– Qu’est-ce qu’il a ?– Je ne sais pas exactement. Je crois

que… qu’il s’agit d’un scandale sexuel.Nikki a parlé d’une mineure. Elle dit quetoutes les télés en parlent.

Sous le choc de la nouvelle, Calebblêmit. Il n’en perd pas pour autant sonsang-froid.

– C’est impossible, lâche-t-il d’unevoix métallique. Je connais mon père.

– Oui, oui bien sûr…, m’empressé-jede dire.

Caleb a repris son téléphone et je levois tenter plusieurs appels, maistoujours en vain. Heureusement, lechauffeur est parvenu à éviter les grosembouteillages matinaux, et nous nemettons pas trop de temps pour rejoindreTribeca. La voiture est à peine garéedevant le duplex que Caleb en descend.Il a les mâchoires serrées, les yeuxfixes, je sens que son cerveau carbure àplein régime. On vient seulementd’atterrir, mais j’ai l’impression qu’ilest déjà bien loin, notre week-end enamoureux, à des années-lumière même.

Je suis Caleb jusqu’à l’appartement,où, à peine rentré, il allume l’écran detélévision.

– … il faut rappeler que Brittany n’aeu 18 ans que la semaine dernière, dit unjournaliste. Cette lycéenne est bénévoleau QG de campagne du sénateur dansl’Illinois…

Sur l’écran s’affiche une photo dupère de Caleb, sourire aux lèvres, enplein selfie avec une jeune et jolieblonde autour de laquelle il a passé unbras.

– Je suis sûre que ton père a pris desphotos avec tous les bénévoles du QG,

dis-je, révoltée. Sans compter tous sessupporters dans les meetings. Je ne voispas ce que ça prouve !

Caleb ne dit rien, il reste les yeuxbraqués sur l’écran où défilent denouvelles images. Notamment descaptures d’écran de la page Facebook dela jeune Brittany. Si l’on en croit lesphotos du sénateur qu’elle a postées, etses commentaires grivois, elle s’estamourachée de lui. De là à dire quec’est réciproque…

– … Selon Brittany, continue lejournaliste, sa relation avec le sénateur aduré deux mois, avant qu’elle soitéjectée de l’équipe par son directeur de

campagne, Noah Grumberg. Pourl’instant, nous n’avons aucune réactiondu sénateur Montgomery ou de sonentourage. Brittany, elle, dit avoir en sapossession des sextos du sénateur…

Le téléphone de Caleb sonne. Ilcoupe le son de la télé pour répondre,mais les images continuent de défiler.Au même moment, la sonnerie de monportable retentit, c’est ma mère.

C’est vrai qu’elle se lève à 5 heurespour son yoga. Elle doit déjà être aucourant.

Je m’éloigne un peu pour prendrel’appel.

– Ma chérie, tu es rentrée ? dit-elled’une voix anxieuse. Vous êtes aucourant pour… ?

Je vois bien qu’elle n’ose finir saphrase.

– Oui, Maman, on sait. On arrivejuste de l’aéroport, on est devant la télé.

– C’est inimaginable, s’exclame-t-elle. Comment va Caleb ?

Je jette un œil à Caleb.

– Je ne sais pas ; il n’a pas pu joindreses parents encore. Enfin, là, il est autéléphone, mais je ne sais pas avec qui.

– Je ne vais pas te déranger plus

longtemps alors, il va avoir besoin detoi. Je voulais juste m’assurer que vousétiez au courant, je savais que vousrentriez tôt ce matin. Et puis je voulaissoutenir Caleb. Je suis sûre que c’est unramassis de ragots. Encore une gaminequi veut faire parler d’elle…

– Oui… Sans doute, oui, tu as raison.– Ne vous faites pas trop de souci,

l’affaire va se dégonfler toute seule.

C’est pas parti pour…

– Transmets toutes mes amitiés àCaleb, chérie.

– Oui, je le ferai, merci Maman.

Je raccroche. Je suis abasourdie.

Le sénateur, englué dans une sordidehistoire de fesses avec une espèce depom-pom girl ? J’ai du mal à y croire.

Je le connais peu, mais je nel’imagine pas avoir une relationextraconjugale, qui plus est avec unefille à peine majeure. Et tout ça, alorsqu’il est si près du but, que les sondagesl’ont déjà désigné comme vainqueur desprimaires, et que la présidentielle luitend les bras ? Pourtant… Pourtant, il ya eu des précédents. Et pas qu’un seul.Combien de candidats à de hauts postesont sombré pour des histoiresd’adultère ? Jusqu’à un célèbreprésident qui s’est égaré avec unestagiaire. Alors… tout est possible.

Mais ça, je ne le dirai pas à Caleb…

Je retourne près de Caleb qui araccroché. Il fixe de nouveau l’écran detélévision, sur lequel s’affichemaintenant la une du National Enquirerqui a mis le feu aux poudres, titrée « Lesconfessions de la maîtresse dusénateur ». L’article est illustré d’unephoto du sénateur, hilare, avec la jeunefemme sur ses genoux. Et dessous, unecitation :

« C’est le meilleur amant que j’aijamais eu. »

De plus en plus glauque…

J’en ai la nausée. Et ce n’est qu’undébut. À quel sordide déballage allons-nous devoir assister ?

Caleb éteint la télé et se tourne versmoi.

– J’ai eu ma mère. Et mon père aussi,dit-il d’une voix atone.

– Et… ? dis-je, pour l’encourager àpoursuivre.

– Ma mère est folle de rage contrecette fille, contre les médias, mais ellen’a aucun doute sur l’innocence de monpère. Mon père est plus calme, mais jesens qu’il est aussi révolté que blessé. Ilvoulait s’en expliquer devant la pressemais Noah lui a demandé de faire

silence pour l’instant. Mes parentssouhaitent avoir mon avis. Je vais allerles rejoindre à Chicago.

Il se tait un instant.

– Je vais faire préparer le jet pour lami-journée, annonce-t-il. Tu veux veniravec moi ?

– Mais bien sûr, Caleb, oui.

Je m’approche de lui.

– Caleb, je suis navrée de cettehistoire. Comment va ta mère ? Et tonpère ?

Caleb a une petite moue.

– Tu sais, ça fait longtemps que monpère est dans la politique, il a le cuirépais. Et ma mère encore plus. Lesattaques infondées, les rumeurs, lesragots, ils connaissent. En se lançantdans la course à la présidentielle, ilssavaient que ce serait encore pire. Plusl’enjeu est important, plus les coups sontbas. On arrive au terme, ils ne sont plusque trois en lice et mon père est en têtedes estimations ; ça devait arriver…D’abord ça a été l’histoire de mesorigines, maintenant ça…

Mais le sénateur n’était pas sonpère biologique, l’information étaitvéridique. Et si cette liaison était réelleaussi ?

Je n’ose évoquer cette possibilitéavec Caleb. C’est son père, et il n’a pasdouté un instant de son innocence. Rienn’ébranlera sa confiance, et je l’admirepour ça. Mais moi qui connais lesénateur depuis peu, même si j’aibeaucoup d’estime pour lui, je ne peuxm’empêcher de penser que peut-être…

Le téléphone de Caleb se remet àsonner et il décroche aussitôt.

– Oui, Noah ?

Je suis désemparée. Je ne vois pas ceque je peux faire pour Caleb, si ce n’estêtre là pour lui. Je le laisse enconversation avec Noah et monte dans la

chambre pour faire ma valise. Encore.Mais cette fois, je ne mets ni maillot debain ni huile de bronzage.

Mon téléphone sonne, c’est David.J’espère que c’est l’ami qui appelle, pasle journaliste politique. S’il vient glanerdes informations auprès de moi pour unarticle, je ne suis pas sûre de pouvoir luirépondre aimablement.

– Bonjour David.– Bonjour Grace. Excuse-moi de

t’appeler comme ça, mais je me faisaisdu souci pour Caleb, et je ne veux pasl’appeler directement, j’imagine qu’il adéjà sombré dans le chaos…

– Tu imagines bien. Et ça va sans

doute encore empirer, la journéecommence à peine.

– Grace, dit David, la voix tendue, jen’ai pas appelé que pour ça…

Et voilà, il va me demander deplaider sa cause pour une interview…

– Il faut que je parle à Caleb. Et à toiaussi. C’est très important.

Son ton m’inquiète, mais vu lecontexte, ça m’étonnerait que Calebtrouve le temps de lui parler.

– Qu’est-ce qui se passe David ? Tuchoisis mal ton moment, tu as vu lebordel ?

– Non, me coupe-t-il d’une voixferme, le moment n’est pas mal choisi. Ilest même parfaitement choisi.

La façon dont il a dit « parfaitement »m’interpelle. On dirait qu’il veut mefaire comprendre quelque chose.

– Mais… David, explique-toi.– Je préfère vous parler de vive voix.

Il a peur qu’on ne soit écoutés…

– Je peux prendre un avion pour NewYork dès ce matin, dit-il.

– Mais on va partir pour Chicago !– Je vous y retrouve alors.– À Chicago ? répété-je, sans y

croire.– Oui Grace, à Chicago. Je t’appelle

dès que j’y suis.– Mais… Euh… Ça va être la folie

là-bas…– Crois-moi, c’est important.

Si David insiste à ce point, c’estqu’il a une très bonne raison de le faire.

– D’accord, Dave. On se voit ce soir.

Je raccroche, un peu sonnée.

C’est quoi ce cirque ? PourquoiDavid tient-il à nous voir, au point deprendre un avion pour Chicago ? Ça aun lien avec cette histoire de

bénévole ?

39. Conflits d'intérêts

Je descends rejoindre Caleb, qui esttoujours au téléphone.

– Très bien, dit-il, je t’attends.

Il raccroche.

– C’était Stacy. Les journalistescampent déjà devant le bureau. Parchance, ils n’ont pas encore monadresse. Je lui ai demandé de venir ici,j’ai besoin que l’on voie ensemblecomment on peut organiser la riposte de

mon père. Je sais que Noah et sonéquipe travaillent dessus, mais Stacysera de bon conseil. Et puis on doit fairele point sur plusieurs dossiers, je ne saispas combien de temps je serai absent deNew York…

– Tu veux un café ? dis-je en medirigeant vers la cuisine ouverte.

– Je veux bien oui, merci, dit-il ens’approchant pour s’installer sur untabouret haut entourant l’îlot de lacuisine, son téléphone dans une main,son iPad dans l’autre.

– Je me demande si je ne vais pasfaire venir Robert pour enquêter surcette Brittany, dit-il, songeur. Là, il est àLos Angeles sur le dossier Nikki. Je

vais attendre de voir ce que trouvent lesenquêteurs de Noah sur place…

– Caleb, David a appelé. Il veut teparler.

– Ah, justement, je voulais le joindre.

Je le regarde, étonnée.

– Tu voulais parler à David ?– Dave est un excellent journaliste

politique. Il a peut-être des infos surcette affaire qui nous seraient utiles.

– Apparemment, c’est le cas.

Je lis un certain soulagement sur levisage de Caleb.

– Ah ! Tant mieux. Je vais le

rappeler, dit-il en prenant son téléphone.– Non, ne le fais pas. Il ne te parlera

pas.

Caleb suspend son geste et meregarde, sourcils froncés.

– Il ne veut rien dire au téléphone,dis-je. Il nous rejoint à Chicago.

Le regard de Caleb se trouble.

– Il vient jusqu’à Chicago…, répète-t-il, songeur. Ça doit être important… Etdélicat, s’il se méfie du téléphone.

Je pose devant lui une tasse de caféfumant.

– Tiens, je crois que tu vas en avoirbesoin pour tenir aujourd’hui, dis-je enregardant son visage pâle et ses yeuxcernés. La journée risque d’être longue.

– Merci Grace, dit-il en passant unemain dans ses cheveux en bataille.

Il avale une gorgée du breuvagefumant. Ses yeux sont maintenant rivéssur la tablette, et sur les dernièresdépêches.

– Ton père va faire une conférence depresse ?

– Il va devoir s’exprimer, à unmoment ou un autre, dit Caleb sansquitter son écran des yeux. En attendant,on ne peut pas laisser le champ libre à

cette fille.

Il relève la tête et fait une moueméprisante :

– Maintenant qu’elle a commencé àse répandre, elle ne va plus s’arrêter.D’autant qu’elle va être sollicitée departout. Il faut déjà qu’on donne unsignal fort aux médias, qu’ils arrêtent dereprendre et de répandre la rumeur sanspreuve. Cela dit, on ne pourra pasjuguler Internet, le nombre de saloperiesque l’on peut déjà y trouver…

– Tu restes si calme… je medemande comment tu fais pour garderton sang-froid.

Caleb me regarde attentivement.

– Grace, j’ai grandi dans le monde dela politique. J’en connais tous les coupsbas, tous les côtés obscurs. Jecomprends que pour toi, ce soit difficileà vivre… Je suis vraiment désolé, machérie. Depuis que tu m’as rencontré, tuas eu droit à tout : un mariage forcé, unsecret de famille qui fait la une,maintenant un scandale sexuel… C’estencore pire que le monde de latéléréalité de Nikki.

– Ne t’en fais pas pour moi, dis-je enessayant de sourire pour le rassurer, çaira.

Caleb me regarde d’un air dubitatif.

Je suis désolée qu’il se fasse du soucipour moi, avec tout ce qu’il doit déjàtraverser… Je fais le tour de l’îlot pourle rejoindre ; il glisse son bras autour dema taille, et me dévisage de ses yeuxbleus inquiets.

– Tu veux rester ici ? me demande-t-il. Ce n’est peut-être pas nécessaire quetu m’accompagnes à Chicago ; il y aurasans doute une horde de journalistesdevant la maison, on va scruter tous nosdéplacements, ça risque d’êtreéprouvant…

– Non Caleb, je veux rester près detoi…

Je me serre contre lui. Il est hors de

question que je ne sois pas à ses côtésdans cette épreuve. Même si j’ail’impression que j’ai plus besoin de luique lui de moi. Rien ne semble ledéstabiliser, les attaques, les coupsbas… Il dégage une telle force, une telleconfiance en lui, qu’il apaise toutes mesangoisses. Je sais qu’il tiendra le coup,parce qu’il a une foi absolue en sonpère, et parce qu’il est déterminé à lesoutenir et à le défendre coûte quecoûte. Et rien ne le fera dévier de saroute, ni douter de la probité dusénateur. Caleb fera tout pour que safamille tienne debout dans le cyclone quis’annonce. Elle compte plus que toutpour lui, même si ses relations avec sa

mère ne sont pas toujours faciles.

– Quand je pense à Laura…, dis-je,pensive. Je ne sais pas comment elletient le choc. Déjà, l’autre fois, elle s’enest pris plein la figure. Qu’est-ce quil’attend maintenant ?

– Ma mère est un roc, dit Caleb, avecune moue amère.

– Elle n’est peut-être pas si forte quetu crois, tu sais.

Il prend une expression dubitative.

– C’est elle qui a poussé mon pèredans la course aux primaires. Ça faittrente ans qu’elle lui forge un destinprésidentiel, elle a eu le temps de se

préparer aux embûches qui pouvaient seprésenter. Elle est née là-dedans. Sonpère était lui-même gouverneur, commeson grand-père. Elle connaît mieux quequiconque les coulisses du pouvoir.

– Il n’empêche. Ce qui se passe estd’une violence… Je me demande si çavaut le coup d’endurer tout ça.

– Ça vaut le coup si on pense quel’on peut faire quelque chose pour sonpays. Et mon père le croit. Et je crois enlui.

Caleb soupire.

– Et manifestement, nous ne sommespas les seuls à être convaincus qu’il peutaccomplir de grandes choses à la tête du

pays, puisqu’il est en tête de la coursepour les primaires. Ça doit rendrenerveux les deux candidats restants,Portman et Lewis, sans compter lesennemis politiques de Dad, à l’intérieuret à l’extérieur du parti. La conventionapproche, c’est là que sera désigné lecandidat du parti à la présidentielle.

– Tu crois que cette histoire derelation avec une bénévole, c’est uncoup monté ?

– Et que veux-tu que ce soit ? me dit-il, ses yeux rivés aux miens.

Je me mords les lèvres, gênée par sonregard perçant. Je ne peux pas lui direque peut-être, son père a bien eu unerelation avec cette fille.

– Peut-être que cette Brittany a enviede se faire remarquer, de se faireconnaître ? Les gens sont tellement prêtsà tout pour avoir leur quart d’heure denotoriété. Peut-être qu’elle est justecinglée ?

Caleb plisse les yeux, et réfléchitquelques instants.

– Peut-être. Mais le timing me sembletrop parfait. Si près de la ligned’arrivée…

On sonne à l’interphone.

– Ça doit être Stacy, dit Caleb.– Ne bouge pas, dis-je en me

détachant de lui, je vais lui ouvrir.

C’est bien l’associée de Caleb quiest en bas. Je lui ouvre et je l’attendsdevant la porte pour l’accueillir.

La porte de l’ascenseur s’ouvrebientôt, et Stacy en sort. Je reste saisie :elle toujours si parfaitement mise estlivide, échevelée, la mine défaite. Elleprend à peine le temps de me saluer etfonce dans l’appartement au pas decharge. Je m’y engouffre à sa suite. Lebruit précipité de ses talons sur leparquet fait lever la tête de Caleb, qui laregarde, étonné.

– Qu’est-ce qui… ? commence-t-il.

– On a un gros problème Caleb, ditStacy en balançant son sac Hermès surune banquette.

Elle se campe devant lui, mains surles hanches, ses cheveux, d’habitude sidisciplinés, en bataille.

Caleb se lève lentement de sa chaise,le regard inquiet.

– Edgar Dandridge m’a appelée, ditStacy, que je sens frémissante de colère.À l’instant. Il veut nous poursuivre.

– Et en quel honneur ? demandeCaleb, en gardant son calme.

– Il nous accuse d’avoir donné desinformations à la partie adverse dans le

procès de Susie.

J’ai soudain du mal à respirer.

– C’est absurde, dit Caleb enhaussant les épaules.

– Pas tant que ça, quand tu y penses,lance Stacy. Il a appris que Grace donnedes cours au centre. Tu ne lui en avaispas parlé.

– Parce que ça ne le regardait pas !

Cette fois, Caleb a haussé le ton.Mais ça n’impressionne pas Stacy, quifulmine.

– Il n’a pas l’air d’être d’accord avectoi.

– Stacy, tu sais bien que je n’auraisjamais trahi la confidentialité de mesdossiers, même pour Grace.

Tous les deux semblent avoir oubliéma présence. Pourtant, je suis à quelquesmètres d’eux, même si j’aimerais metrouver à des kilomètres.

Je n’ose ni bouger, ni parler, ni mêmetenter de sortir de la pièce alors quec’est précisément ce que je voudraisfaire.

– Moi, je te fais confiance Caleb,reprend Stacy, mais pas Dandridge. Ilaffirme que personne d’autre que nousn’avait les informations dont disposait

Petrossian pour lui arracher un accord.Il m’a hurlé dessus ! Il était hors de lui,impossible de le calmer, encore moinsde le convaincre.

Son agitation monte d’un cran àl’évocation de cette discussion. Elle enfrémit de rage.

– Je suis désolée pour toi, Stacy, ditCaleb, mais il aurait dû m’appeler, moi,et te laisser en dehors de ça. Je vaisl’appeler tout de suite et régler cemalentendu.

– Il ne veut plus avoir aucun contactavec toi, lance Stacy d’un ton sec, il nete prendra pas au téléphone. Il me l’adit.

Nerveuse, elle fait les cent pas àtravers la pièce, et ses hauts talonsmartèlent le parquet sans pitié.

Je suis liquéfiée. L’accusation deDandridge est grotesque, mais je mesens coupable : c’est moi qui ai incitéCaleb à se retirer de l’affaire. Et Stacydoit s’en douter. Elle doit me détester…

Caleb suit son associée des yeux. Il al’air impassible, mais je suis sûre queson cerveau tourne à plein régime.

Soudain, Stacy s’arrête et tape dupied.

– Putain, mais qu’est-ce que tu as fait,

Caleb ? Tu as perdu la tête. C’est quoices états d’âme de premièrecommuniante ? Si tu m’en avais parléavant, jamais je ne t’aurais laisséabandonner Dandridge. Le cabinet avaitbesoin de lui, c’était l’un de nos plusgros clients, bordel ! Tu croyais qu’ilallait avaler cette humiliation sansbroncher ?

Si je pouvais, je m’enfoncerais sousterre.

J’ouvre la bouche pour parler, maisje me rends compte du ridicule de lasituation si j’interviens. Caleb n’a pasbesoin de moi pour se défendre. Déjàque Stacy pense que j’ai influencé sa

décision… Ce n’est pas complètementfaux, mais Caleb n’est pas unemarionnette entre mes mains, il a fait sonchoix en son âme et conscience.

Caleb s’approche de Stacy qui s’estremise à tourner comme un lion en cageet l’attrape par les poignets, l’obligeantà le regarder en face :

– C’est ça ton problème ? Que j’aiepris cette décision sans t’en parler ?

– Oui Caleb, dit-elle en soutenant sonregard, c’est aussi ça, mon problème. Cecabinet, on l’a créé ensemble. Je ne suispas ton employée, mais ton associée, jete rappelle.

– Tu as raison, j’aurais dû t’en parler

avant. Mais je me suis déjà excusé, et jet’ai expliqué que je devais faire vite, tuétais à San Francisco. Je pensais que tupartagerais ma vision des choses. C’estle cas d’habitude, non ? C’est pour çaque je t’ai demandé de t’associer avecmoi, parce qu’on a la même vision de lajustice, les mêmes exigences. C’est moiqui suis venu te chercher, tu t’ensouviens ?

– Parfaitement, Caleb. Et je mesouviens aussi que c’est toi qui asramené les premiers clients, et que nousne sommes pas associés à parts égales.Rassure-toi, je n’ai pas encoreAlzheimer, dit-elle d’un ton sec. Maisnous avions convenu dès le départ de

prendre les décisions importantesensemble. Depuis qu’on a ouvert lecabinet, j’ai travaillé comme un chien, jeme suis donnée à fond. Je crois que jemérite le respect, non ? dit-elle endégageant ses poignets d’un coup sec.

Caleb la dévisage. L’expression deson visage s’adoucit.

– Stacy, bien sûr que je te respecte.Et je t’admire aussi, tu ne dois pas endouter.

– Et comment veux-tu que je n’endoute pas ? Depuis quelque temps, tufais tout derrière mon dos. C’est commequand tu as décidé de défendre NikkiBolnick. Tu m’as demandé mon avis

avant ?

Je ne sais plus où me mettre.

Sans le vouloir, j’ai semé la zizanieentre Caleb et elle. Si je sais qu’il achamboulé ma vie depuis qu’il y estentré, je mesure pour la première fois àquel point j’ai bouleversé la sienne.

Caleb est manifestement touché parles arguments de Stacy. Il se veutconciliant :

– Je te demande pardon si je t’aiblessée, Stacy. J’ai été maladroit, ça nese reproduira plus. En ce qui concerneNikki, c’est un cas particulier. Je

pensais que, vu les circonstances, tucomprendrais…

Stacy ne bouge pas. Elle continue àfixer Caleb, mais son regard se faitmoins dur. Elle ramène une de seslongues mèches blondes derrière sonoreille, dans un geste las.

– Que je sois blessée n’est pas leplus important pour l’instant, soupire-t-elle. Dandridge est déchaîné. Caleb…

Elle s’interrompt, comme si elle netrouvait pas le courage de parler. Elle semord les lèvres, puis lâche tout à trac :

– Il veut obtenir ta radiation du

barreau. Il a entamé une procédure dansce sens.

Caleb tressaille.

– S’il prouve que tu as trahi sesintérêts…, continue Stacy.

– Mais je ne l’ai pas fait ! s’emporteCaleb.

– Il pense le contraire, et fera toutpour en convaincre l’instance quidécidera de ton sort. Et s’il y arrive…Bordel, tu sais ce que ça signifie !

Le silence se fait soudain dans lapièce qui résonnait de leurs cris ; Stacyet Caleb sont face à face, tous deux figéscomme des statues de sel.

Mon cœur va exploser.

– Et qu’est-ce que ça signifieexactement ? dis-je d’une petite voix.

Ils se retournent lentement vers moi.Je vois dans leurs yeux qu’ils avaientoublié ma présence.

Stacy pince les lèvres dans une mouedédaigneuse, sans doute outrée de monignorance, mais voyant que Caleb nerépond pas, elle croise les bras sur sapoitrine et prend la parole :

– Ça veut dire, Grace, dit-elle sur leton d’un professeur qui fait la leçon à uncancre, que Caleb ne pourra plus

exercer. Ça veut dire que l’on perdratous nos clients, ou peu s’en faut, etqu’au final, on devra licencier tout lemonde. Voilà ce que ça veut dire.

J’ai l’impression que le sols’effondre sous mes pieds. Caleb risquede tout perdre. Vu le regard que Stacyme lance, elle estime que tout est mafaute. Et je me demande si elle n’a pasraison…

40. Mensonges ouvérité ?

Je déteste la politique !

Non mais c’est vrai quoi… Je medemande comment on peut avoir envied’en faire. Je plains Caleb d’avoir dûgrandir dans ce monde, qui est d’unecruauté… C’est pire que la téléréalité !Dire que je me moquais de Nikki… Etmaintenant, je vais devoir affronter lameute de photographes qui attendsûrement devant la porte des parents de

Caleb.

Le jet qui nous a ramenés ce matinmême de notre petit paradis du CostaRica vient d’atterrir à Chicago. Avantd’embarquer, Caleb s’est employé àrassurer Stacy au sujet de son éventuelleradiation du barreau. Je ne sais pas s’ill’a convaincue, mais quand elle estrepartie du duplex, elle avait retrouvéson calme. Quant à Caleb, j’ignore s’ilest aussi confiant en l’avenir que cequ’il paraît être. Et s’il me blâme pourtout ce qui lui arrive, la menace deradiation du barreau, l’éventuellefermeture du cabinet… Même s’il adécidé tout seul d’abandonner la défensede la banque, je ne peux m’empêcher de

me sentir coupable. Et je le serai encoredavantage si Stacy et lui se retrouventcontraints de licencier des dizaines depersonnes.

Quand j’ai essayé de parler de cetteaffaire avec lui, dans l’avion pourChicago, il m’a dit qu’il fallaithiérarchiser les priorités, et que pourl’instant, celle qui venait en tête de listeconcernait son père. Non pas qu’il douteun seul instant de lui ; il est persuadéque cette Brittany qui prétend avoircouché avec le sénateur ment.

Moi… j’avoue, j’en suis moins sûre.

Je me sens affreusement coupable, et

je fais tout ce que je peux pour cachermes doutes à Caleb. J’aime beaucoup lesénateur Montgomery, je pense que c’estun homme bien, et avec moi, il atoujours été adorable. Mais on ne peutpas dire que je le connaisse vraiment. Etmême si c’était le cas, on ne sait pasforcément tout des gens, même de nosproches. Cette photo que j’ai vue à latélé, du sénateur avec cette gamine surles genoux… Ces SMS… Comment nepas être troublée ? Je le suis, comme desmillions d’Américains qui les ont vus.

– Oui Maxwell, vous avez cherché àme joindre ?

Je regarde Caleb qui répond au

téléphone d’une voix cordiale. Depuisque nous sommes installés dans lalimousine qui nous emmène au domicilede ses parents, il n’arrête pas derépondre à des appels, de la part declients importants et inquiets, certainsvenant aux nouvelles au sujet de sonpère, comme de vulgaires commèresamatrices de ragots, d’autres, plus rares,et plus inquiets, ayant eu vent de larumeur concernant une éventuelleprocédure de radiation. À aucunmoment, il ne se départ de son calme,balayant ces rumeurs d’une plaisanterieou d’un bon mot, et apparemment defaçon convaincante. Je suis bluffée parl’aisance avec laquelle il parvient à les

rassurer, par son sang-froid même quand(je le devine) les remarques de sesinterlocuteurs se font graveleuses,déplacées. Mais chaque fois qu’ilraccroche, son sourire disparaît et sesyeux étincellent. Il doit vraiment prendresur lui pour ne pas les envoyer bouler.

La limousine s’arrête devantl’imposant manoir des Montgomery. Cen’est pas la cohue à laquelle jem’attendais, seul un camion detélévision est garé un peu plus loin dansla rue, mais pas l’ombre d’unjournaliste. À mon grand soulagement,nous entrons dans la propriété sans avoirété importunés.

– M. Grumberg vous attend, il voulaitvous voir dès votre arrivée, nous dit lemajordome, avant de nous conduire dansun grand salon visiblement transformé encellule de crise.

Plusieurs personnes sont installéesdevant des ordinateurs, d’autres sontpendues au téléphone. Noah court del’un à l’autre ; manifestement, c’est lui lechef d’orchestre.

À peine nous a-t-il aperçus qu’ilaccourt à notre rencontre.

– Caleb, Grace… Vous avez fait bonvoyage ? nous dit-il, comme si nousvenions pour une simple visite familiale.

– Ils font quoi ? dit Caleb en montrantdu menton l’équipe réunie.

– Oh… J’ai mis mon équipe sur lecoup. Certains s’occupent de gérer lesrelations aux médias. Tu imagines bienque depuis ce matin, on croule sous lesdemandes d’interviews. J’en ai mis unedizaine sur le Net, histoire de prendre latempérature, d’apaiser les forums quicommencent à se déchaîner. On essaieun peu de calmer le jeu… et j’ai envoyédu monde sur le terrain pour enquêtersur cette Brittany. Pour l’instant, on nesait pas grand-chose. Mais on va vitetrouver. Elle a fermé son compteFacebook, mais on a réussi à récupérerpas mal de trucs.

– Mes parents sont où ?– Ils se sont enfermés dans la

bibliothèque il y a une heure, ils ontdemandé à ne pas être dérangés pourl’instant, dit Noah d’un air soucieux.

Peut-être que Laura aussi a desdoutes sur la fidélité de son mari ?Peut-être qu’elle lui demande desexplications ?

– Elle est sur Fox News ! criesoudain un membre de l’équipe.

Aussitôt, c’est le branle-bas decombat. Tout le monde abandonne sonposte pour se précipiter vers le grandécran installé dans la pièce. Caleb et

moi suivons le mouvement. Je n’ai pasla moindre idée de ce dont il s’agit. Etsoudain, je comprends…

L’invitée du journaliste est une jeunefille blonde aux airs de gamine, habilléede manière très sage et à peinemaquillée.

– Tiens, elle a changé de look !ricane un des membres du staff. Elle en afait quoi de ses mini-jupes ?

– Chuttt, s’énerve Noah, qui a lesyeux qui lui sortent de la tête tellement ilscrute l’écran.

Assis sur le bord d’une table, il lissenerveusement ses cheveux déjà

soigneusement plaqués en arrière.

– Et il vous a dit qu’il était amoureuxde vous ? demande le journalistemoustachu assis en face de Brittany.

– Il ne l’a pas dit comme ça, dit lafille, d’un air gêné, mais il m’appelait…son rayon de soleil.

– Son rayon de soleil ? insiste lejournaliste avec un sourire en coin.

– Oui. Il disait que s’il pouvait, ilquitterait tout pour moi. Je crois que safemme et lui… Ça fait longtemps que…Enfin, vous me comprenez…, dit-elle enfaisant des mines de vierge effarouchée.

Je jette subrepticement un œil àCaleb qui fixe l’écran d’un air

impassible.

– Il savait que vous étiez mineure ?demande le journaliste.

La jeune fille baisse la tête,visiblement embarrassée :

– Il ne m’a jamais demandé mon âge.– Et comment faisiez-vous pour le

rencontrer ?– On s’est retrouvés tard, plusieurs

fois, au QG. Et puis…, commence-t-elleavant de s’interrompre, en rougissant.

– Oui ? dit le journaliste en sepenchant vers elle d’un air gourmand.

– Dans le camping-car de lacampagne…

Je vois Noah lever les yeux au ciel enpinçant les lèvres.

– N’importe quoi ! maugrée-t-il entreses dents.

– Mais notre relation n’était pas quesexuelle. C’était très romantique entrenous. Sinon, jamais…

– Mais vous vous rendez compte quece que vous avancez est très grave,Brittany ? demande le journaliste. Avez-vous la preuve de cette… relation entrevous et le sénateur Montgomery ?

Au même instant derrière elles’affiche la photo où on la voit assisesur les genoux du sénateur.

– J’ai des SMS…, murmure-t-elle.

Le journaliste, qui connaissait laréponse à sa question bien à l’avance, setourne alors vers la caméra :

– Je peux vous assurer que nousavons vérifié le numéro de l’expéditeur ;il s’agit bien du numéro de téléphonepersonnel du sénateur. Nous avons dûcensurer certains messages à caractèrepornographique.

Je regarde de nouveau Caleb, etNoah. Aucun des deux n’a l’air ébranlépar ce qu’on vient d’entendre. Moi, enrevanche… Et puis cette fille a l’airtellement jeune, vulnérable et même…

sincère.

S’affichent alors à l’écran plusieursmessages :

« Mon rayon de soleil. Hâte de terevoir en tête à tête. J’ai envie demettre mon [mot censuré] dans ta [motcensuré]. »

« Retrouve-moi au QG ce soir. Envieque tu me [mot censuré]. »

Quelle horreur…

Je suis morte de honte, je n’ose mêmeplus regarder Caleb.

– On a quand même du mal à croire,Brittany, que le sénateur, candidat àl’investiture, continue le journaliste d’unair dubitatif, peut-être bientôt à laprésidentielle, ait pris le risque de vousenvoyer ces messages…

– Il m’a demandé de les effacer.Mais… j’en ai effacé certains, pas tous.

– Comme par hasard, lance quelqu’undu staff, goguenard, elle n’a pas gardéles plus « romantiques ».

Un autre « chuttt » impérieux de Noahle fait taire.

– Brittany, je dois vous poser laquestion que tout le monde se pose, ditle journaliste d’un air solennel.

Pourquoi faire ces révélationsaujourd’hui ?

La caméra zoome soudain sur levisage de Brittany, les larmes aux yeux.

Quelle mise en scène…

– Vous dites être amoureuse dusénateur, insiste le journaliste, sur un tonde professeur sévère s’adressant à unenfant turbulent, mais vous savez que detelles révélations peuvent mettre fin à sacarrière ? Vous savez que vous lui faitesbeaucoup de mal, politiquementparlant ?

Elle baisse la tête et laisse échapper

un sanglot.

– J’ai été virée de sa campagne,geint-elle. Je n’ai plus de moyen de levoir, de lui parler. Il a coupé les pontsavec moi. Il savait que j’étais amoureusede lui. Il m’a utilisée, m’a dit qu’ilm’aimait pour m’avoir dans son lit, et ilm’a jetée. Les électeurs doivent savoirqui il est vraiment. Un homme comme çane peut pas diriger l’Amérique.

– Vous faites donc votre devoir decitoyenne ? dit le journaliste, qui semblese délecter de la situation.

Brittany hoche la tête sans répondre.

Je vois Noah qui secoue la tête, l’air

exaspéré.

– Je vous remercie Brittany pour cetémoignage dont vous nous avez donnéla primeur. C’était très courageux. Nousattendons bien sûr une déclaration dusénateur qui a répondu à ces accusationsd’un simple communiqué mais qui nes’est pour l’instant pas exprimépersonnellement sur le sujet. Qu’il sachequ’il est le bienvenu sur cette antenne.

– Tu parles, lâche Noah avec unrictus.

Puis il se tourne vers un membre deson équipe :

– Scott, lance Noah à peine le

générique lancé, tu vas immédiatementbalancer les photos sur Internet.

– Quelles photos ? dis-je, intriguée.

D’un geste, Noah me montre unordinateur. Sur l’écran sont affichées desphotos d’une fille très déshabillée. Il mefaut quelques secondes avant decomprendre que c’est Brittany. Elle n’apas grand-chose à voir avec la jeunefille timide et effarouchée que l’on vientde voir. Celle-ci pose sans complexe entenue plus que légère, en regardant lacaméra d’un air provocateur et unsourire coquin.

– Où avez-vous trouvé ça ? demandé-je.

– Sur sa page Facebook.– Mais… je croyais qu’elle avait

fermé son compte.

Noah me fixe sans rien dire. Jecomprends que je n’aurai pas davantaged’explications.

Manifestement, son équipe compted’excellents hackers.

– Mais comment c’est possible ?s’agace Caleb. Comment a-t-elle puentrer dans le réseau de bénévoles ?Vous ne faites pas d’enquête avant ?

– Je ne sais pas comment celle-là estpassée entre les mailles du filet. Cen’est pas moi qui l’ai recrutée, dit Noah

qui s’en veut manifestement. Mais j’aivite vu son manège. J’étais là quand ellea fait faire cette photo sur les genoux deton père, au QG. Je la voyais lui tournerautour depuis le début de la soirée, unevraie Monica Lewinsky en puissance.Elle s’est arrangée pour faire prendrecette photo avec son portable. Ton pèren’y a vu aucun mal, mais moi… Je mesuis dit que ça allait mal tourner.D’autant qu’elle a refusé de l’effacer deson téléphone. C’est là que j’ai décidéde la virer.

Le majordome entre alors dans lapièce où le vacarme a repris de plusbelle.

– Monsieur Montgomery, dit-il, vosparents souhaiteraient vous voir, ainsique votre épouse et M. Grumberg. Ilsvous attendent dans la bibliothèque.

Nous nous empressons de le suivrejusqu’au premier étage. Je suisextrêmement tendue, contrairement àCaleb qui paraît très calme. J’ai unecertaine appréhension à l’idée de meretrouver face à ses parents, dans cecontexte pénible. Il a dû ressentir monangoisse car il se retourne vers moi etme lance un regard confiant. Je sais qu’ilse veut rassurant, et c’est vrai que de levoir garder ainsi son sang-froidm’apaise instantanément.

Nous entrons dans la bibliothèque.Avant même que nous puissions saluerWill et Laura, Noah se précipite :

– Vous avez vu Fox News ?– Oui, on a vu, dit Laura d’une voix

calme.

Elle a le visage défait, mais à partcette fatigue nerveuse, ses traits netrahissent aucune émotion. Je doisreconnaître que sa maîtrise de soim’épate. Caleb lui ressemble peut-êtreplus qu’il ne croit…

– Il faut que vous preniez la parole,Will, dit Noah, ça ne peut plus attendre.

– Oui, Noah, c’est ce que je vais

faire, répond le sénateur d’une voixposée dans laquelle je sens cependant unpeu d’émotion. Je voulais que voussoyez les premiers à savoir : j’ai décidéde me retirer de la course, déclare alorsle sénateur.

Cette annonce est si surprenante queje mets quelques secondes à lacomprendre. C’est sans doute la mêmechose pour Caleb et Noah, qui en restentmuets.

– Qu… Quoi ? finit par balbutierNoah. Enfin, Will, ce n’est pas possible.Si vous faites ça… Ce sera pris commeun aveu de culpabilité.

– Et pourtant je vais le faire Noah, dit

le sénateur très calmement. Je voudraisfaire une petite déclaration, si vouspouvez organiser ça…

– Mais enfin, pourquoi Dad ? ditCaleb, sortant de son silence.

– Caleb, je suis innocent. Je n’aijamais couché avec cette fille, crois-moi, dit le sénateur en posant une mainsur l’épaule de son fils. Je me souviensde l’avoir croisée, mais je n’avaisaucune idée de son prénom.

– Je sais, Dad, dit Caleb avecconviction.

– Mais je ne peux plus tolérer cetteentreprise de démolition. Ce sera quoiensuite ? Ils ne se contenteront pas demon démenti, la curée a commencé. Ils

vont me poursuivre, me mettre en pièces,ils vont de nouveau s’attaquer à toi, à tamère. Ça suffit. Ce n’est pas l’idée queje me fais de la politique.

– Mais Will, intervient Noah, nousallons bientôt démontrer que cette fillement. Donnez-nous un peu de temps.Avec ce qu’on est en train de récupérersur elle, on va la pulvériser !

– La pulvériser ? dit le sénateur enlevant un sourcil. Cette fille a 18 ans,Noah, c’est une gamine. Soit elle est enrecherche de notoriété, d’attention demanière pathologique, et on ne peut quela plaindre, soit on la manipule. Danstous les cas, c’est une victime.

– Mais non, c’est vous la victime !

s’énerve Noah. Et les électeurs quivotent pour vous.

– Après ça, il ne va pas en resterbeaucoup, répond le sénateur avec unpâle sourire.

– Mais je vous dis que nous allonsrétablir la vérité, sénateur. Vous serezblanchi ! insiste Noah.

– Le mal est fait, Noah. La photo, lesSMS… On pourra dire ce qu’on voudraaprès ça. Une partie de l’opinion penseque je suis un prédateur sexuel, unmenteur. Le doute est semé. Et si près dela ligne d’arrivée, ce sera impossible deredresser la barre. Si c’est un coupmonté, le timing est excellent. Il y a deuxmois, j’avais encore le temps de me

défendre, de prouver mon innocence,puis de regagner la confiance desélecteurs. Mais aujourd’hui ? C’est troptard.

– Mais, enfin, Will… Vous ne pouvezpas les laisser vous traîner dans la bouecomme ça.

– Je me défendrai, Noah. Mais si jereste dans la course, au lieu de parler demon programme, je devrai répondre àdes questions d’ordre sexuel, chacun demes mots, de mes gestes, de mesclignements d’yeux seront interprétés, etsans doute pas dans le bon sens. Mafemme, mon fils seront harcelés.

– Dad, ne t’inquiète pas pour moi, ditCaleb d’une voix ferme, je peux très

bien gérer ça.– Si, je m’inquiète, fils. Et puis, tout

ce scandale va nuire au parti. Si je veuxlui donner une chance d’accéder aupouvoir, je dois me retirer de la coursemaintenant.

Je croise le regard de Noah, effaré.De grosses gouttes coulent sur sestempes lorsqu’il se tourne vers l’épousedu sénateur.

– Enfin Laura, vous ne pouvez pas lelaisser faire ! Dites-lui, vous, que c’estune folie !

Je regarde la mère de Caleb.Jusqu’ici, elle est restée silencieuse,

assise sur une chaise. Elle se lèvelentement et va se mettre à côté de sonmari, qu’elle prend par le bras :

– Noah, Will a pris une décision, etje la respecte. Il a toujours su faire lebon choix. Si son cœur lui dit qu’il doitarrêter, je n’ai plus rien à redire à ça.

Visiblement ému par les mots de safemme, le sénateur passe un bras autourde ses épaules.

J’en reste comme deux ronds de flan :je n’aurais jamais cru qu’elleaccepterait aussi facilement une telledécision. Je la croyais plus combative,et plus déterminée à voir son mari

diriger le pays.

Je regarde Noah, qui ouvre des yeuxcomme des soucoupes ; c’est lapremière fois que je le vois à court deparoles.

Le sénateur a les yeux posés sur sonfils. Manifestement, il guette sonapprobation. Je réalise à cet instant quela seule opinion qui pourrait le fairechanger d’avis est celle de Caleb. Celui-ci le considère un instant, ses yeux bleusrivés aux siens, avant de dire :

– Très bien Dad. Si c’est ce que tuveux, je te soutiens à cent pour cent.

Son père paraît soulagé. Un petitsourire se dessine sur ses lèvres.

– Eh bien, je vais aller passerquelques coups de fil et écrire un texte,dit-il. Je souhaite m’adresser auxélecteurs et j’en profiterai pourremercier tous ceux qui m’ont aidé etsoutenu. Noah, je compte sur vous pourcaler mon intervention. Il faut prévenirles chaînes que ce sera une simpleallocution, je ne répondrai pas auxquestions.

Noah ouvre la bouche comme pourdonner un dernier argument, mais aprèsune hésitation, il la referme et acquiesced’un mouvement de tête.

Le sénateur sort de la pièce, nouslaissant pétrifiés, sonnés par le choc.

41. Liens du sang

– C’est pas possible, se lamenteNoah, qui s’est assis dans un fauteuil, latête entre les mains. Je ne peux pas lecroire. Quel gâchis !

Il se redresse soudain :

– Caleb, peut-être que toi… tu peuxencore le convaincre. Ne me dis pas quetu es d’accord avec lui ? C’est la piredécision qu’il puisse prendre. Il n’estpas dans son état normal, il agit sous lecoup de l’émotion. On doit pouvoir lui

faire entendre raison.

Caleb grimace.

– Je me demande si c’est une simauvaise idée. Ça commence vraiment àsentir mauvais, tout ça. Les donateurs nevont pas tarder à vous lâcher de toutefaçon.

– Ça a déjà commencé, avoue Noahen baissant la tête. Je n’ai encore rien dità ton père, mais certains rats ont déjàquitté le navire.

– Et à mon avis, continue Caleb, ladirection va faire pression pour qu’ils’esquive afin de ne pas nuire à l’imagedu parti.

Noah hoche la tête. Encore une fois,l’analyse de Caleb est pertinente.

– Le chef du parti, Pritchett, acherché à joindre plusieurs fois ton pèrequi n’a pas pris ses appels. Il a dû serésoudre à m’appeler afin que j’organiseun rendez-vous rapidement, dit-il.

– William a éteint son téléphone, ditLaura. Il voulait pouvoir réfléchirtranquillement.

– Tu sais tout comme moi, dit Caleb àNoah, ce que veut lui dire Pritchett :« Tu es formidable, mais tu le serasencore plus si tu laisses ta place. » SiDad est d’une loyauté à toute épreuve, leparti l’est beaucoup moins. À ton avis,ils veulent soutenir quel candidat ?

– Portman est encore à la traîne, et iln’est pas aimé des Afro-Américains, cesera un handicap pour la présidentielle,dit Noah sans hésitation. Lewis, sansdoute. C’est un proche de Pritchett.

Caleb fronce les sourcils.

– Tu ne m’as pas dit que Lewis étaitcertainement derrière la révélation dema… filiation ?

– Oui. Je ne peux pas le jurer, ditNoah avec un rictus, et je n’en aurai sansdoute jamais la preuve, comme ce fut lecas pour ce pauvre sénateur Gomez.

– Celui dont il a fait révélerl’adultère ? dis-je, me souvenant decette anecdote.

– Lui-même, l’excellent CharlesLewis, troisième du nom, gouverneur deFloride, ironise Noah. J’ai côtoyé legouverneur il y a quelques années et jeconnais ses méthodes ; ce n’est pas joli,joli… Ça fait des années qu’il vise laprésidence, toute sa vie est construiteautour de ça. Et là, elle lui tend les bras.Je suis presque admiratif de sonparcours : ce cher Charles Lewis serapeut-être bientôt notre prochainprésident.

– Et l’Amérique aura une bellepourriture à sa tête, lance Laura, en selevant soudain du canapé dans lequelelle s’était installée après le départ deson mari.

Nous nous tournons tous vers elle,étonnés par sa virulence soudaine.

– Même si Will avait couché aveccette fille, il mériterait davantage d’êtreà la Maison-Blanche que cette saleté,reprend Laura, blême, les poings serrés.

– On dirait que vous le connaissezbien, s’étonne Noah.

– Bien sûr que je le connais, dit-elle,mâchoires serrées. Je le connais depuisHarvard.

La façon dont elle a dit ça… C’estétrange, aussi étrange que son regardposé sur Caleb.

– Je connais ce salaud mieux que

quiconque, articule-t-elle.

Caleb s’est redressé lentement, lesyeux fixés sur sa mère. Il est blême.

– C’est lui ? lui demande-t-il.

Sa mère ne répond pas, se contentantde détourner le regard, tandis qu’unelarme coule sur sa joue. Je regarde lascène, interloquée.

Mais de quoi ils parlent ?

À cet instant, je croise le regard deNoah. Je crois qu’on comprend en mêmetemps de quoi il s’agit.

Charles Lewis est le père de Caleb…

– Dad le sait ? demande Caleb, lavoix tremblante d’émotion.

– Il l’a toujours su. Je ne lui ai jamaisrien caché.

Je regarde Noah. Je ne sais pas si jedois quitter la pièce et laisser seuls lamère et le fils, et je vois qu’il est aussiindécis que moi.

Caleb est livide et aussi immobilequ’une statue, face à sa mère.

– Et « lui », il sait ? dit-il d’une voixblanche.

– Charles ? demande Laura, en

tripotant son collier de perles. Bien sûr.Quand je suis tombée enceinte, j’étaisfolle de joie, j’ai couru le lui annoncer,je croyais qu’il voulait fonder unefamille avec moi. C’est ce qu’il m’avaitdit. C’était un peu plus tôt que prévu,mais bon, je me disais qu’il seraitcontent aussi. Ce que je ne savais pas,c’est que mon père avait eu une petitediscussion avec lui. Il avait faitcomprendre à Charles que s’ilembrassait une carrière politique, il nelui ferait pas profiter de son réseau.Dieu sait si j’en ai voulu à mon pèrequand j’ai su ! Après j’ai réalisé qu’ilavait sans doute voulu le tester.

Elle s’interrompt et fait quelques

pas ; elle a l’air ailleurs, sans doutereplongée dans des souvenirs vieux d’ily a presque trente ans. Caleb, figé, ne laquitte pas des yeux.

– Disons que Charles n’a pas réussile test, reprend-elle avec une mimiqueméprisante. Quand je lui ai annoncé quej’étais enceinte, je ne le savais pas maisil s’était déjà fiancé à une autre. Unehéritière de Floride. Il a terminé sonsemestre et a disparu. Et ton père aproposé de m’épouser, dit-elle enregardant Caleb.

Caleb l’a écoutée sans broncher. Jevois le dégoût envahir son visage tandisqu’il comprend le secret de ses origines

et les circonstances de sa naissance. Jesouffre pour lui, je regarde son beauvisage blessé et j’ai envie de le prendredans mes bras, de le consoler.

– Tu t’es servie de lui, comme Lewiss’est servi de toi, lâche-t-il soudain d’unton dédaigneux. Une fille mère, dans tonmilieu, ça faisait tache…

Son visage a repris des couleurs, lacolère a succédé à la stupéfaction.

– Ne te méprends pas, dit sa mère, secabrant sous l’attaque. J’ai étéreconnaissante à ton père de saproposition, mais je n’aurais jamaisaccepté s’il ne m’avait pas aimée, et

depuis longtemps.– Tu lui as imposé un enfant ! éclate

Caleb.– Mais tu te trompes ! s’écrie sa

mère. Et il te voulait toi plus encorequ’il ne me voulait, moi. Il n’a pas faitde sacrifice, crois-moi. J’ai mis peut-être trop de temps à comprendre quel’épouser avait été la meilleure chosequi pouvait m’arriver. Mais j’ai comprisbien plus tôt, en fait dès que tu es venuau monde, que c’était la meilleure chosequi pouvait t’arriver, à toi.

– Ça s’est sûr ! s’exclame Caleb,d’un ton rageur. Surtout avec une mèrecomme toi ! Heureusement que j’ai eu unpère comme lui ! Mais le pauvre, je le

plains, quand je vois comment tu t’esservie de lui. C’est toi qui voulais unmari président, et regarde maintenant…Il doit subir cette honte, cettehumiliation.

Laura regarde son fils avec un regardempreint de douleur. Elle est blessée, etça se voit.

– C’est vrai, c’est moi qui l’ai poussédans cette carrière politique, reprendLaura avec un soupir, et de ça, je m’enveux aujourd’hui. Il ne mérite pas desubir ce traitement, ces soupçons, toutecette crasse. Je sais que c’est ce que tume reproches, Caleb, mais crois-moiquand je te dis que si je l’ai poussé dans

cette voie, ce n’était pas par ambitionpersonnelle. Ton père est un hommeintègre comme il y en a peu, il a unevision pour ce pays, et des valeurs. Monpère était d’ailleurs d’accord avec moi,il pensait qu’il ferait de grandes choses.Je crois en Will, plus qu’en moi-même.C’est pour ça que je n’ai aucun doute, jesais qu’il n’a eu aucune relation aveccette fille, c’est totalement absurde, dit-elle avec une mimique méprisante. Qu’ilsoit accusé injustement me dégoûte, et çame rend encore plus malade de penserque c’est l’autre ordure qui va diriger cepays.

Elle a un petit geste d’exaspération.

– On parviendra à innocenter tonpère, dit-elle d’une voix blanche, je n’endoute pas, mais personne ne saurajamais grâce à quelles méthodesimmondes Charles Lewis est parvenu àses fins.

Elle en frémit d’indignation. Je lasens submergée par l’émotion, et je merends compte alors à quel point elle tientà son mari. Je savais que lui était foud’elle, presque trente ans après leurmariage, mais je n’avais pas comprisque ce n’était pas une relation à sensunique. Peut-être fallait-il tout ce dramepour qu’elle puisse enfin lui avouer (ets’avouer à elle-même ?) ses sentiments ?

Je ne suis pas la seule à êtrebouleversée par ses paroles. Le regardde Caleb sur sa mère a changé, il s’estadouci.

– Et cette ordure est mon…,commence-t-il, sans pouvoir finir saphrase.

Sa colère contre sa mère est tombée,mais je vois à ses yeux tristes qu’ilcommence à réaliser que Lewis est sonpère, même s’il ne peut encoreprononcer les mots.

– Caleb… je te demande pardon, ditsa mère d’une petite voix chevrotante.

Il hésite un instant, tandis qu’elle leregarde, pleine d’espoir, avant des’approcher d’elle et de la prendre dansses bras. Laura s’affaisse contre lui etlaisse échapper un sanglot.

Nous échangeons un regard avecNoah : d’un même élan, nous nouslevons et sortons de la pièce.

42. L'impensabletrahison

– C’est impossible, Grace, me ditDavid au téléphone, je ne peux pasvenir. Personne ne doit savoir que l’onse voit.

– Au bar de ton hôtel alors ?– Je suis dans un motel. Venez dans

ma chambre. Je t’envoie l’adresse et lenuméro de chambre par SMS.

J’ai l’impression d’être dans unJames Bond. Je ne comprends pas

pourquoi David fait tous ces mystères. Ilm’a même appelée d’un téléphonejetable pour être sûr de ne pas êtrerepéré ; j’ai failli ne pas prendre cetappel d’un numéro inconnu. Son attitudecommence à devenir sérieusementinquiétante.

Je vais rejoindre Caleb, qui est avecNoah et sa cellule de crise. Celui-citrépigne ; il espère encore que lesénateur changera d’avis, et il harcèleses troupes pour qu’elles trouvent despreuves du complot contre lui au plustôt. Mais pour l’instant, il ne dispose derien de vraiment exploitable. On voitBrittany en pleurs dans toutes lesémissions, et de nombreux soi-disant

gardiens de la morale se sont déjàexprimés pour fustiger le comportementdu sénateur. Pour l’instant, rares sont lesvoix qui s’élèvent pour lui accorder leursoutien.

– Il faut que ton père parle ! fulmineNoah. Même ceux qui doutent de saculpabilité ne peuvent s’exprimer en safaveur tant qu’il n’a pas dit ENPERSONNE, et pas dans uncommuniqué impersonnel, qu’il étaitinnocent.

– Mais tu as bien compris que quandil parlera, ce sera AUSSI pour dire qu’ilretire sa candidature ? répond Caleb,toujours aussi imperturbable.

Noah soupire.

– On ne sait jamais. Il peut changerd’idée d’ici l’interview.

– Tu connais mon père. Quand il apris une décision, surtout aussi radicale,il s’y tient.

– Sauf si on arrive à prouver quetoute cette histoire est une pureinvention, répond Noah, en prenant unair buté.

Si seulement…Peut-être qu’avecl’aide de David…

Je profite qu’un des membres del’équipe de Noah vienne le solliciterpour tirer Caleb par le bras.

– David ne veut pas passer. Il ditqu’il faut qu’on aille le voir à son hôtel.

Je pensais avoir du mal à convaincreCaleb, qui veut être auprès de son pèrelors de sa déclaration. Mais il n’hésitepas un instant. Il sait comme moi que siDavid insiste pour qu’on aille le voir vule contexte, c’est que c’est vraimentimportant.

– OK, allons-y.

Nous nous éclipsons pendant queNoah pique une crise contre un desmembres de son staff. Le pauvre ! Ils’est tellement investi dans cettecampagne, la décision du sénateur de se

retirer de la course lui a porté un rudecoup. Mais il se démène encore, et leconnaissant, il le fera jusqu’à la dernièreminute.

– Mon Dieu ! Mais qu’est-ce qui sepasse ? dis-je en voyant un attroupementdevant l’entrée principale de la maison.

– La presse a été prévenue que monpère s’apprêtait à faire une déclaration.Ils attendent.

Trois camions de télévision sontinstallés devant la maison. Plusieursjournalistes discutent, caméras posées àleurs pieds. D’autres ont installé destrépieds. Il y a aussi quelquesphotographes et des journalistes, déjà

micros en main.

– Viens, on passe par-derrière, me ditCaleb.

Nous faisons le tour de la maisonpour rejoindre le garage où troisvoitures patientent. Caleb prend laJaguar et nous partons rejoindre David.Des photographes sont postés aussi àcette sortie, mais ils sont peu nombreux.Je me contente de baisser la tête,pendant que Caleb affronte stoïquementles quelques flashs.

Nous faisons le trajet en silence. LeCosta Rica me paraît si loin déjà. Direqu’il y a quelques heures, on était

insouciants, heureux, sans savoir que lescandale couvait ici… Je regarde leprofil de Caleb, qui fixe la route. Jepose ma main sur la sienne, et il melance un petit regard reconnaissant. Sanslâcher la route des yeux, et sans dire unmot, il prend ma main et la porte à seslèvres pour y poser un baiser. C’est safaçon de me dire qu’il est heureux que jesois près de lui. Je ne vois pas où jepourrais être si ce n’est ici, ma place estavec lui, je le sens profondément, dansma chair.

Le motel que David a choisi est bienloin de la huppée Gold Coast et desrives du lac Michigan. Nous finissonspar nous garer dans un quartier sordide,

devant un établissement assez miteux,sans réception. La chambre de David setrouve en haut d’un escalier branlant quimène à un long corridor aux portesnumérotées. Nous toquons à la 8. Davidvient aussitôt nous ouvrir ; sa tignasseblonde est emmêlée, ses yeux bleu pâlebrillent de fièvre. Il porte un de sessempiternels tee-shirts d’ado, un peudéformé par les lavages.

– Entrez, entrez, installez-vous, dit-ilavec empressement, non sans avoir jetéun bref coup d’œil dans le couloir.

On dirait un fugitif.

L’unique siège, un fauteuil éventré,

est recouvert de vêtements de David.Caleb et moi prenons place sur le lit quigrince sous notre poids.

David se frotte les mainsnerveusement puis tire le fauteuil pour leplacer devant nous. Il s’assied dessussans prendre la peine de le débarrasser.

Je ne l’ai jamais vu aussi nerveux…Ça commence à ressembler terriblementà une confession et je n’aime pas ça.

David, qu’est-ce que tu as fait ?

– Bon. Comme vous vous en doutez,j’ai quelque chose d’important à vousdire, dit-il après s’être raclé la gorge.

Ce n’est pas facile, croyez-moi. Maisavant de commencer, je voudrais vousdemander…

Il hésite et s’interrompt.

– Quoi, David ? Dis-nous, dis-jepour l’encourager.

– Je voudrais que vous promettiez dene pas m’interrompre et d’écouterjusqu’au bout.

– Tu as fait une connerie, David ?demande Caleb, et ça ressemble plus àune affirmation qu’à une question.

Je vois un air de panique se dessinersur le visage de David.

– Je t’en prie Caleb, dis-jeprécipitamment, laissons-le parler.

Caleb ne dit plus rien, mais il fixeDavid avec une intensité effrayante. Jeme tourne vers David, qui s’efforce desoutenir le regard de Caleb.

– Je ne vous ai pas caché que j’avaisdes problèmes de jeu, reprend-il. Enfin,j’en ai eu. Ça a duré pas mal de temps.Au début je ne m’en rendais pasvraiment compte, j’étais euphorique, jegagnais. Mais ces derniers mois, j’aiaccumulé des dettes. Un cauchemar. Jepensais me rattraper au mariage deNikki, à Las Vegas ; la nuit où vous vousêtes mariés, je l’ai passée dans une salle

de poker. Et j’ai perdu. Beaucoup,ajoute-t-il, et ses yeux d’un bleu délavévirent au sombre.

Il s’interrompt, comme s’il voulaitremettre ses idées en ordre, seremémorer précisément ce qui s’étaitpassé cette nuit-là.

– Ce soir-là à la table il y avaitquelqu’un que je connais bien, quelqu’undu milieu de la politique. Une de messources. Il m’a prêté beaucoup d’argent.Je perdais, mais je pensais me refaire àla partie suivante. Et à la suivante. Entredeux parties, on buvait, je parlais,beaucoup aussi, comme toujours quandje bois, dit-il avec un sourire amer. J’ai

dit pourquoi j’étais là, j’ai dit que jet’avais croisé Caleb, et j’ai même dûévoquer le pari que je t’avais lancé.

Il prend son visage entre ses mains,manifestement torturé par les souvenirsde cette soirée.

– Le lendemain, ce type m’a appelé.Il voulait savoir si Caleb avait réussison pari. J’ai fini par comprendre dansquel engrenage j’avais mis le doigt. Ilfait partie du staff de Charles Lewis.

Le rival du sénateur Montgomery…et le père biologique de Caleb.

– La veille, reprend David, je lui

avais signé des reconnaissances dedettes. Il m’a proposé d’en effacer unepartie contre l’info et la photo que Calebm’avait envoyée. Enfin, « proposé » estun bien grand mot… Quoi qu’il en soit,je l’ai fait, dit-il en baissant la tête.

Je vois Caleb serrer les mâchoires,mais d’une pression sur son avant-bras,je parviens à l’empêcher de s’exprimer.Je suis abasourdie par ce que vient dedire David, mais je sens que le pire est àvenir.

– Franchement, je ne pensais pas queça pouvait nuire à la campagne de tonpère, dit David avec véhémence. Sinon,je ne l’aurais jamais fait. Je n’ai pas

pensé que cela pouvait avoir de tellesrépercussions sur vous, que vous alliezdevoir rester mariés, tout ça… Enfinbon, j’étais emmerdé pour vous audébut, mais je me disais que c’était passi grave, surtout quand j’ai vu ce qui sepassait entre vous. J’étais tellementsoulagé… Je pensais en avoir fini avecce mec, il m’avait promis que ce seraitle seul service qu’il me demanderait. Ildevait me laisser du temps pourrembourser mes dettes. Mais votremariage n’a rien changé aux sondages,qui restaient en faveur de ton père.Alors, il m’a recontacté. Il m’a donnél’info sur… ta naissance.

Il hésite, je le sens gêné d’aborder ce

sujet.

– Il voulait que je la sorte ; il apromis d’annuler toutes mes dettes,continue-t-il. En m’utilisant moi plutôtqu’un autre journaliste, il s’assurait quel’on ne remonterait pas jusqu’à Lewis.J’ai filé l’info à un collègue, disant queje ne pouvais pas sortir ça dans monjournal. Et j’ai appelé Grace pourqu’elle te prévienne. Ce n’est pas grand-chose par rapport à ce que j’ai fait, jesais… mais je me suis dit…

– David ! m’exclamé-je, atterrée.– Mais comment as-tu pu enfin ? !

hurle soudain Caleb. On se connaîtdepuis quoi ? Dix ans ? C’est ça pour toil’amitié ? !

Caleb est fou de rage, David estblême. Comment a-t-il pu ? C’est eneffet la question qui se pose. Je suiseffondrée. Jamais je n’aurais penséDavid capable d’une telle trahison.

Caleb s’est levé. Il toise David d’unair si méprisant qu’il en rougit.

Devant le silence de celui qu’ilconsidérait comme son ami, Calebreprend :

– Et après, tu as accepté dem’interviewer, en sachant que tu étais àl’origine de la fuite ? C’est à ça que tudois ta promotion, non ?

– Caleb, je te jure, je n’avais pas

prévu que tu me le demandes. Je t’aiprévenu parce que je ne voulais pas quetu l’apprennes par les journaux. J’aiaccepté de faire l’interview parce que jesavais qu’un autre journaliste aurait pute piéger…

–… ce que toi tu n’aurais jamais fait,ricane Caleb.

David se lève de son fauteuil mité etse dirige vers lui.

– Caleb, je suis désolé, vraiment, jete demande pardon, dit-il d’une voiximplorante. Mais j’étais pris à la gorge.Le type a menacé de m’envoyer enprison. Entre autres… Ce mec est aussipourri que son employeur, il a des

accointances avec le milieu. J’aurais puaussi bien finir avec une balle entre lesdeux yeux.

Caleb le regarde un instant, puis sepasse la main sur le visage d’un air las.

– Tu grandiras quand, David ? Tu faisdes conneries monumentales, et après tuviens nous voir la queue entre lesjambes en espérant que l’on tepardonne ? Pourquoi n’as-tu pas parléde tes problèmes avant de te fourrer là-dedans ? C’est à ça que servent lesamis… et pas de monnaie d’échange,bon sang !

– Je… je sais Caleb, je sais…J’espère que vous pourrez me pardonner

un jour, même si je ne le mérite sansdoute pas, mais… en fait ce n’est paspour ça que je voulais vous voir. C’estau sujet de Brittany. Je suis persuadé queLewis est derrière ce coup-là aussi.

– Évidemment, Tu as bossé pour luisur ce coup-là aussi ? lance Caleb,sarcastique.

– Ah non ! s’indigne David. Jamais jen’aurais fait ça ! Et d’ailleurs ils lesavaient, car ils ne m’ont rien demandé.Ils connaissent mes liens avec vousdeux, j’ai déjà fait beaucoup de choseslimites, celle-ci n’aurait pas étépossible. Ils savaient que je les auraistrahis. Je crois qu’ils me surveillent,c’est pour ça que j’ai pris toutes ces

précautions. C’est évident que ça vientde chez eux. Et j’ai un moyen de leprouver.

– Comment ? dit Caleb d’un airdubitatif.

– Je connais un autre membre du staffde Lewis. Apparemment, le gouverneursouhaite se débarrasser de lui. Tropd’états d’âme, je suppose. Peut-être letrouve-t-il un peu encombrant dans saroute vers la présidence. Enfin, je nesais pas exactement, mais ils ont uncontentieux. Il dit qu’il aurait des infos àme donner. Je devrais le voir dans deuxjours, à Miami.

– C’est trop tard, lâche Caleb. Le malest fait, David. Par rapport à moi et

surtout par rapport à mon père.D’ailleurs il a décidé d’annoncer sonretrait de la course à l’investitureaujourd’hui même.

– Non ! C’est pas vrai !– Si, dit Caleb sèchement. Et à part

un miracle, rien ne le fera changerd’avis.

– Mais ce n’est pas possible, il fautque tu lui dises…

– Quoi ? s’agace Caleb. Que peut-être bientôt, une pourriture va te fairedes aveux ? Qui dit qu’il va le faire ? Ilsessaient peut-être encore de temanipuler. Tu y as pensé à ça ?

David se fige, et je lis le doute dansses yeux. Mais il se reprend.

– Ce n’est pas la seule piste que jesuis. Je suis un vrai connard, j’ai merdé,mais je suis un bon journalisted’investigation, Caleb. Je ferai tout cequ’il faut pour blanchir ton père et j’yarriverai.

– Mais trop tard, dit Caleb avec unegrimace.

– Putain, Caleb… je suis désolé,crois-moi. Il ne mérite pas ce qui luiarrive. Lewis va peut-être diriger lepays, et personne ne sait quel enfoiréc’est !

Je regarde Caleb, dont le beau visageest défait.

Dire que Lewis est son père. Mais

ça, manifestement David ne le saitpas…

– Bon, je crois qu’il vaut mieuxqu’on rentre, me dit Caleb. J’aimeraisêtre avec Dad quand…

Son téléphone sonne. Il jette un œil àl’écran et décroche immédiatement.

–Oui, Noah… Déjà ?… Non, je suistrop loin, je n’aurai pas le temps… Surquelle chaîne ?… OK.

Il raccroche et se tourne vers David.

– Elle est où ta télécommande ? MetsCNN. Mon père va parler.

David fouille dans le désordre de sachambre et finit par retrouver latélécommande de la télévision sous lahousse de son ordinateur.

Nous attendons quelques minutes ensilence, les yeux rivés sur l’écran. C’estalors que le journaliste annonce undirect depuis la maison des parents deCaleb.

Le sénateur Montgomery apparaîtalors. Il est devant le perron de samaison, les journalistes ont été autorisésà passer les grilles. Laura est à sescôtés, et j’aperçois Noah juste derrièreeux.

– Je vous remercie tous d’être venus,commence le sénateur d’une voix posée,le regard las derrière ses lunettesmétalliques. Je voulais répondre moi-même au sujet des rumeurs qui courent àmon sujet. Je n’ai et je n’ai eu, aucunerelation d’ordre sexuel ou sentimentalavec Mlle Brittany James. Elle étaitbénévole dans mon QG, et je l’y aieffectivement croisée deux ou trois fois.La photo que vous avez tous vue a étéprise, à sa demande, alors que sescollègues fêtaient son anniversaire ; jesuis passé ce jour-là, sans même savoirque cette petite fête avait été organisée.Je n’y ai vu aucun mal, jamais jen’aurais imaginé que cette photo allait

être utilisée ainsi. En ce qui concerneles SMS, il semble qu’ils aient étéenvoyés de mon téléphone, mais pas parmoi. J’ai porté plainte à ce sujet, et uneenquête est en cours pour savoir ce qui apu se passer. À l’heure qu’il est, je n’ensais pas plus que vous à ce sujet.

Des questions fusent dansl’assemblée, mais sans se départir deson calme, le sénateur les fait taire d’ungeste.

– Quant aux propos de Mlle James,j’ignore ce qui la pousse à faire de tellesdéclarations, complètementmensongères. Poursuit-elle un butpersonnel, est-elle manipulée ? L’avenir

nous le dira sans doute. Quoi qu’il ensoit, aussi fausses qu’elles soient, cesdéclarations ont fait beaucoup de dégâts.Une nouvelle fois, les ragots et lamédisance viennent perturber macampagne. J’estime que c’est une fois detrop. Je vous annonce donc que, pour lebien du parti, de la convention à venirqui doit désigner notre candidat à laprésidentielle, et pour pouvoir medéfendre librement, je me retire de lacourse à l’investiture.

Je regarde Caleb : il n’a pas cillé,mais je le vois serrer un peu plus lesdents. J’ai envie de le prendre dans mesbras, de le serrer fort. Quant à David, ila poussé un cri, comme les journalistes

devant le perron de la maison.

Le sénateur attend de nouveau que levacarme s’apaise. Manifestement, lapresse ne s’attendait pas à une telleannonce. Sa femme a saisi sa main etelle fait front à ses côtés. Elle a l’airplus fière que jamais de son époux.

– Je tiens à remercier toute l’équipequi a travaillé sur ma campagne, reprendle père de Caleb. Ils ont été formidables.Je remercie aussi les donateurs et tousceux qui ont déjà voté pour moi, ainsique ceux qui avaient l’intention de mesoutenir. Cette décision, croyez-moi, jene l’ai pas prise à la légère. Lorsque jeme suis porté candidat à l’investiture,

j’avais pour objectif de donner un avenirmeilleur à tous les Américains. J’aiconnu de grands moments de bonheurdans cette campagne, je suis allé à larencontre de nos concitoyens pour leurprésenter mon programme, et ils l’ontaccueilli au-delà de mes espérances.Mais les coups bas qui ont émaillé cettecampagne, les attaques dont j’ai fait, etje fais encore aujourd’hui, les frais,comme ceux qui me sont le plus chers aumonde, ne me permettent pas aujourd’huide continuer sereinement le combat. Jesuis profondément choqué par letraitement médiatique accordé à cetteaffaire. Je voulais proposer àl’Amérique de nouvelles raisons de

croire en l’avenir, et je suis aujourd’huiconfronté à des ragots de caniveau quine laissent plus la place au débatd’idées que j’espérais. C’est pour celaque je me retire aujourd’hui, à regret,mais en espérant qu’un autre pourraporter haut les couleurs du parti lors dela prochaine présidentielle.

Quelques applaudissements fusent. Lesénateur semble très ému. Il regarde safemme, qui lui sourit, les larmes auxyeux.

– Que le peuple d’Amérique sacheque je ne l’abandonne pas. Je ne meretire pas de la vie politique. Je vais medéfendre, je prouverai à tous mon

innocence, et je serai toujours là pourœuvrer pour le succès de mon pays. QueDieu bénisse l’Amérique.

Un brouhaha indescriptible suit ladéclaration du sénateur. Sans répondreaux questions qui fusent de toutes parts,il sourit, salue l’assemblée devant lui etrentre chez lui, main dans la main avecson épouse.

– Caleb. Je suis… Je suis désolé, ditDavid, l’air hagard.

– Tu viens Grace ? On s’en va, me ditCaleb en tournant les talons, sans jeterun regard à David.

Nos yeux se croisent. Je vois qu’il

m’implore de lui pardonner. Mais je nepeux pas. Il a trahi notre amitié, à Calebet à moi.

– Grace !

Je lui tourne le dos sans lui répondreet quitte la chambre sur les pas deCaleb.

43. Attention àCupidon !

– Et celui-là, tu l’as vu ? demandeNikki en gloussant : « Il est trop canon lenouveau mec de Nikki. Je crois qu’il estitalien. » Et l’autre qui répond : « Tuparles. Encore un prétentieux deFrançais. Je vois pas ce qu’elle luitrouve. À part ses tatouages. »

Théo éclate de rire. Nikki et lui sontaffalés sur un canapé installé dans lepetit jardin de la maison de Brooklyn,

les yeux rivés sur un iPad. Je suis passéerécupérer quelques effets que j’avaislaissés ici.

– Vous faites quoi ? dis-je en allantles rejoindre, mes affaires sous le bras.

– On lit les forums de fans, dit Nikki.Ils commentent tout ce que je fais, mestenues, mes coiffures, mon mariage raté,mon arrestation. Ces derniers temps, ilss’inquiétaient pour moi, comme ils neme voyaient plus… Certains disaientque j’avais été enlevée par desextraterrestres, d’autres que j’avais fuiau Mexique, rigole-t-elle. Depuis laparution de photos de Théo et de moi, ilssont à fond. Franchement, c’est tropdrôle leurs commentaires. Il y en a des

gratinés. Écoute ça : « Vous fatiguez pas.C’est moi l’homme de sa vie. Dieu m’adit que c’est moi qu’elle épouserait, etnous aurons même six enfants. »Complètement taré.

– Je te rappelle que ce sont grâce àces « tarés » que tu gagnes ta vie.

– Mais je les aime bien, moi, mestarés, déclare Nikki, manifestementsincère. Même s’il dit aussi : « Si je lecroise, le Frenchie, je le bute. »

Je la regarde avec des yeux ronds : lamenace n’a pas du tout l’air del’effrayer. Quant à Théo, il est hilare.

– Ça vous faire rire ? Mais si c’est undangereux psychopathe !

– T’en fais pas, sister, des trucscomme ça, j’en ai lu des centaines… Etil ne m’est jamais rien arrivé.

Je soupire.

– Nikki, je ne m’y fais pas. J’essaie,mais je n’arrive pas à comprendrecomment tu peux supporter cette vie.

– Je ne la supporte pas… Je l’adore,me dit-elle avec un sourire goguenard.

Je lève les yeux au ciel, mais je nedis rien.

J’en ai marre de jouer les mères lamorale ; elle est totalementinconsciente, mais si ça l’amuse, tant

mieux pour elle… J’espère juste qu’ilne leur arrivera rien, à l’un ou àl’autre.

Je m’approche de l’écran et je voisune photo de Nikki et Théo, main dans lamain. À vrai dire, je les trouve mignonstous les deux… Théo est un très beaumec, et Nikki est une bombe, et je doisreconnaître qu’ils vont très bienensemble.

– Elle a été prise où cette photo ? Pasà la sortie d’un club ? dis-je, inquiète,en avisant la tenue sexy de Nikki. Vousn’avez pas oublié le but du jeu,j’espère ?

Je me tourne vers Nikki :

– S’il te plaît, Nikki, pas dedérapage. Il faut que tu changes tonimage si tu veux avoir une chanced’éviter la prison. Tu sais que tu ne vaspas tarder à passer devant le juge ?

– Arrête de t’inquiéter, on dirait TAmère, me lance Nikki. Elle m’appellenon-stop, elle me met la pression, et sije réponds pas à ses messages dans lademi-heure, elle menace de débarquerde Californie.

– Ouais ben moi aussi je l’ai tous lesjours au téléphone, pour me dire deveiller sur toi. J’en peux plus !

On échange une grimace avant

d’éclater de rire.

– Pour répondre à ta question, ditNikki une fois notre hilarité calmée, non,j’ai pas oublié le plan de Caleb. On estbien sages avec Théo. Il m’emmène àdes vernissages d’expo, au musée, ondîne aux chandelles… Là, dit-elle enmontrant l’écran de l’iPad, on sort duMet. J’ai été obligée de faire prévenirun pote paparazzi, tu penses bien qu’ilsne traînent pas devant ce genred’endroits.

Elle soupire :

– Mes fans vont finir par me trouvertrès chiante.

– Si ça peut t’éviter de te retrouverderrière les barreaux, c’est un moindremal.

Nikki me regarde avec un airnarquois :

– En parlant de barreaux, comment çase présente avec ton beau-père ? C’estun délit de coucher avec une mineure sion a plus de trois ans de plus, non ?

– Il n’a pas couché avec elle !– Ce n’est pas ce que disent les

journaux, dit-elle avec un sourire encoin.

– Si je te le dis, tu peux me croire,non ? dis-je, agacée.

– Tu as des infos ? demande Théo,

intrigué.

Je les regarde, embarrassée ; je nepeux rien dire de ce que je sais del’implication du gouverneur Lewis. Pourl’instant, on n’en a aucune preuve. Maisles limiers de Noah sont sur le coup. Lesphotos provocantes de Brittany ont faitle tour du Net et des journaux àscandale, ce qui a déjà infléchil’agressivité de la presse. Quelquespersonnalités ont enfin pris la parolepour dire qu’elles croyaient enl’innocence du sénateur, et que c’est cequi devait prévaloir tant que la véracitéde cette liaison qu’il démentait n’étaitpas prouvée. Mais Brittany s’estempressée de faire le tour des plateaux

en pleurant, et comme le sénateur refusede s’exprimer de nouveau, elle remportela bataille médiatique ; pour l’instant…

– Son équipe travaille sur sa défense,c’est sur la bonne voie. Il est parti semettre quelques jours au vert avec safemme.

– Et Caleb, comment il le prend ? medemande Théo.

– Plutôt pas mal, vu lescirconstances. Il est dégoûté, c’est sûr,mais pas si étonné, il a vécu toute sa viedans le milieu de la politique, alors…

Ce qu’il n’a pas digéré, c’estsurtout d’apprendre qu’il était le filsbiologique du gouverneur Lewis…

Mais ça, je le garde pour moi.

– C’est dommage, j’aurais bien votépour le sénateur Montgomery. Il estsuper sympa, lance Nikki. Beaucoupplus que sa femme…

– Elle est un peu froide, mais ellegagne à être connue en fait, dis-je.

Nikki me regarde avec un airdubitatif.

– C’est ça, défends ta belle-mère, dit-elle moqueuse.

Elle sursaute soudain :

– Hé, faut que je me prépare, j’ai un

enregistrement. Une émission de radio.– Caleb est d’accord ? dis-je,

étonnée.

Caleb a accepté de gérer la défensede Nikki à condition qu’elle suive à lalettre ses recommandations, notammenten ce qui concerne sa communication.

– Oui, c’est OK. Mais il m’a briefée,je te dis pas ! J’ai eu droit à un trainingavec un coach en communication, poursavoir à quelles questions répondre etcomment. J’avais la tête comme unepastèque !

– Tu y vas comment ? demande Théo.– Stacy m’envoie une voiture. Elle

sera même à l’enregistrement. Je vois

bien qu’elle m’aime pas, mais je doisdire qu’elle fait bien son taf. Ah bentiens, la voiture est devant la porte, dit-elle en regardant son portable. Je metsmon lipstick et je file.

Elle rentre dans la maison en courantet en ressort bientôt, les lèvresvermillon. Elle me fait une bise, etembrasse Théo sur les lèvres avant departir en courant sur ses hauts talons.

Je ne dis rien avant de la voir sortirde la maison. Puis je regarde Théo, qui ales yeux posés sur moi, et un petitsourire aux lèvres : il sait bien qu’iln’échappera pas à la question.

– Vous sortez ensemble ?– Plus ou moins, répond-il d’un ton

léger.– Théo… Tu crois que c’est vraiment

une bonne idée ?

Il me regarde, surpris.

– Qu’est-ce que tu veux dire ?– Nikki et toi…– Je ne vois pas en quoi c’est un

problème… Ni en quoi c’est TONproblème, me dit-il d’un air pincé.

Il n’a pas tort. Enfin, pas tout àfait…

– C’est que… Je me sens

responsable. Tu es mon ami, elle est mademi-sœur. Sans moi, vous ne vousseriez pas rencontrés. Alors, si ça tournemal… Je m’en voudrai de vous avoirprésentés.

– Mais je te suis TRÈS reconnaissantde nous avoir présentés, dit Théo avecun large sourire.

Bon, OK, il est déjà mordu…

– J’ai peur que tu souffres, Théo. Jevous connais tous les deux. Toi tu eshyper sensible, et Nikki est unemangeuse d’hommes, elle les prend, elleles jette, sans états d’âme.

– Super. Tu fais un joli portrait de tasœur…, me lance Théo, visiblement

contrarié.– Théo ! Tu sais que je l’adore ! Mais

ce que je dis, tu en as la preuve danstous les journaux. Et la moitié des mecsqu’elle a fréquentés, y compris celuiqu’elle devait épouser, elle m’a dit elle-même que c’était pour faire parlerd’elle. Ça ne lui a jamais posé problèmede les utiliser.

– Tu oublies une chose, Grace. Moije sais qu’elle m’utilise. C’est mêmemoi qui ai proposé qu’elle le fasse.

C’est pas faux…

Je me sens un peu bête tout à coup.

– Tu as raison. Je suis peut-être trop

protectrice avec toi. C’est juste que jet’ai déjà ramassé à la petite cuillère, jene voudrais pas que ça t’arrive denouveau.

– Ça n’arrivera pas. Nikki et moi, onn’attend rien l’un de l’autre, on s’amuse,on sort, on rigole… On sait bien tous lesdeux pourquoi on est là. Ne t’inquiètepas pour moi, OK ? dit-il en se levant ducanapé pour me serrer contre lui.

– D’accord. T’as raison, ça meregarde pas.

– Je suis un grand garçon maintenant,tu sais ça ?

Je lève la tête : il me domine dequelque vingt centimètres, mais je saisqu’au fond, il est bien plus fragile que

moi.

– Il paraît, dis-je en tirant sur sabarbe.

À vrai dire, je ne suis pas vraimentconvaincue. Théo est un vrai cœurd’artichaut, ce n’est pas maintenant qu’ilva changer. Mais bon, je ne suis pas samère non plus… On verra bien ce quiarrivera. Mais si Nikki et lui se séparentdans le sang et les larmes, je fais quoimoi ? Je n’ai aucune envie d’avoir àchoisir mon camp, celui de ma sœur oucelui de mon meilleur ami. Espérons queje n’aurai pas à le faire…

44. Où es-tu ?

Je rentre, fatiguée, mais heureuse. Lecentre de Susie a rouvert, et j’airecommencé à y donner des cours auxenfants. D’autres bénévoles sont venusrejoindre l’équipe, et je suis soulagée devoir Susie mieux entourée. Certainsenseignent la musique, d’autres ledessin. La structure a trouvé un nouvelessor, et ce n’est qu’un début. Enfin,j’espère ! Je n’ai pas encore parlé àSusie du projet de fondation de Caleb,ce serait prématuré avec cette menace de

radiation qui pèse au-dessus de lui. Jene peux m’empêcher de m’inquiéter à cesujet, même si Caleb se montre confiant.Il dit que les accusations de Dandridgene tiennent pas la route. Quoi qu’il ensoit, si Caleb veut lancer cette fondation,il doit en parler d’abord avec Stacy,puisque cela implique leur cabinet.Même s’il est majoritaire au sein ducapital, Stacy et lui sont associés etdoivent prendre ensemble les décisionsimportantes. Caleb a pris beaucoupd’initiatives ces derniers temps, et Stacyne l’a pas supporté, comme l’a montré leclash de l’autre jour. Il ne faudrait pasque leur relation dégénère davantage.

Ce soir, j’ai envie de surprendre

Caleb, de lui faire plaisir. J’ai décidé defaire le seul plat que je maîtrise, et quem’a appris mon père : les lasagnes. Jevois bien que Caleb essaie de donner lechange, mais je le sens tendu, meurtri.On ne peut pas dire qu’il ait été épargnéces derniers temps : son père estimpliqué dans un scandale sexuel, sonpère biologique est un homme qu’ildéteste, David l’a trahi, et les relationsavec Stacy ne sont pas au beau fixe.Sans compter que, quoi qu’il en dise, ildoit aussi s’inquiéter de cette menace deradiation qui plane au-dessus de lui.Malgré tout, il n’évoque rien de tout celaavec moi, il ne se plaint jamais. Calebn’est pas du genre à s’épancher sur ses

sentiments et son mal-être, ça je le saisdepuis longtemps.

Je vais dans la cuisine déposer mescourses. C’est alors que je vois un motsur l’îlot. Intriguée, je m’approche, pourle lire.

« Mon amour, je pars pour le week-end. Ne t’inquiète pas, j’ai juste besoinde prendre un peu de recul. Je ne suispas bien en ce moment, je suis sur lesnerfs et je ne veux pas t’infliger ça. Tune le mérites pas. Tu as déjà dû subirtellement de choses à cause de moi. Nete fais pas de souci pour moi. Jereviens vite. Ne m’en veux pas. Jet’aime. »

Je reste un instant pétrifiée.

Parti… il est parti ? !

Je m’assieds sur un tabouret, fixantsans le voir le bout de papier. Après lepremier instant de surprise, je sens lacolère monter.

Il est parti, il s’est enfui, sans meprévenir ! Comment a-t-il pu me faireça ?

Je suis furieuse, blessée qu’il aitchoisi de ne pas partager son mal-êtreavec moi. Je croyais qu’il avaitconfiance en moi. J’aurais pu l’aider…

Enfin, c’est ce que je pensais, maismanifestement, pas lui !

Je prends mon téléphone, prête à luidire ma façon de penser. Mais soudain,j’ai honte de moi et de ma réactionégocentrique : le problème ce n’est pasmoi, ni notre relation, mais tout ce quedoit endurer Caleb aujourd’hui.

Je me remémore ces derniers jours :c’est vrai que Caleb est plus silencieuxque d’habitude, et plus soucieux depuisque nous sommes rentrés de Chicago,mais il a des raisons de l’être. Nousn’avons pas non plus fait l’amour depuisle Costa Rica, mais vu les circonstances,je ne pouvais pas m’alarmer outre

mesure…

Il n’empêche. Pour qu’il parte commeça sans me prévenir, sans me dire où ilva, il a dû se passer quelque chose.Mais quoi ? Et à qui demander ? Pas àStacy ; même si elle ne l’a pas ditexplicitement, j’ai bien vu qu’elleconsidérait que le contentieux quioppose la Bank of East America à soncabinet et la procédure de radiation quimenace Caleb sont ma faute.

Je réfléchis quelques minutes.

Robert… Peut-être qu’il sait quelquechose. Il est proche de Robert, iltravaille avec lui…

Je me lève pour récupérer montéléphone dans mon sac.

– Robert ? C’est Grace.– Bonjour Grace ? Qu’y a-t-il ?

Je sens un brin d’inquiétude dans lavoix de Robert. J’ai son numéro, mais jecrois que je ne l’ai jamais appelé avantaujourd’hui.

– Robert… Je suis désolée de tedéranger…

Je me sens stupide tout à coup, je nesais comment continuer.

– Dis-moi Grace, je t’écoute,

m’encourage Robert de sa voix chaude.– C’est Caleb. Je me fais du souci

pour lui. Il est parti, il m’a laissé un mot,il dit qu’il a besoin de prendre du recul.Je le comprends, après tout ce qui s’estpassé ces derniers temps, au cabinet,avec son père… Mais je me demande…Enfin, je m’inquiète tu comprends. Ils’est passé quelque chose aujourd’hui aubureau ?

C’est au tour de Robert d’hésiter.

– Disons que ça ne s’arrange pasavec Edgar Dandridge. Il semble résoluà porter plainte. Et il a précisé sesaccusations.

Il s’interrompt.

– Robert ? dis-je, de plus en plusinquiète.

– Il prétend que Caleb t’a donné desinformations confidentielles, que tu astransmises à Petrossian.

J’en reste estomaquée.

– Mais c’est totalement faux ! C’estfaux !

– Je sais Grace, me répond Robertd’une voix douce. Je connais Caleb, ilen est incapable.

– J’irai voir Dandridge s’il le faut, jelui dirai…

– Surtout ne fais rien Grace, me

coupe Robert. Laisse Caleb s’enoccuper, crois-moi, il saura très bien sedéfendre.

– Tout est ma faute…, dis-je,effondrée.

– Mais non, pas du tout, tu n’y espour rien, me dit Robert d’une voixrassurante. Et je suis sûr que Calebpense comme moi.

Après avoir remercié Robert, jeraccroche. Je ne sais pas quoi faire.J’essaie d’appeler Caleb, mais je tombesur sa messagerie.

Il a besoin d’être seul, je dois lecomprendre, et le respecter. Même si çame fait mal de le savoir seul et

malheureux, loin de moi.

Je range mes courses, je n’ai pasfaim. Je n’ai envie de rien. Je montedans la chambre pour me mettre au lit,mais je sais d’avance que la nuit va êtrelongue…

***

J’ai fini par m’endormir, peu avantl’aube. J’avais glissé le téléphone dansle lit, mais Caleb n’a pas appelé, nilaissé de message. J’ai pensé l’appelermoi, mais après tout, c’est lui qui achoisi de s’éloigner, je ne vais pas leharceler s’il a jugé qu’il avait besoin desolitude. S’il a besoin de moi, il

m’appellera.

Je me traîne hors du lit pour prendreun café. Je n’ai rien de prévu ce week-end, je ne sais trop quoi faire. Je n’aienvie de rien, je pense à Caleb,j’aimerais tellement être avec lui…

Mon téléphone sonne. Je me précipitepour répondre, mais ce n’est que Laura.

– Grace, bonjour, vous allez bien ?– Heu…oui. Et vous ?– Bien merci, me dit-elle comme si

elle ne traversait pas un des piresmoments de sa vie. Je cherchais àjoindre Caleb. Je n’y arrive pas, il a desproblèmes de téléphone ? Il est avec

vous ?– Euh… Je… Non, il n’est pas là, il

est parti. Il a coupé son téléphone.

Oups.

J’aurais dû inventer quelque chose,dire qu’il était en voyage d’affaires,mais elle m’a prise au dépourvu. Et jesuis une terrible menteuse.

Un grand blanc s’ensuit, puis ellereprend, d’une voix lente :

– Vous vous êtes disputés ?– Non, pas du tout, dis-je, gênée. Il…

Il a dit qu’il avait besoin de prendre durecul, avec tout ce qui s’est passé.

Un silence embarrassant s’installe.

– Je suis désolée Grace, reprendLaura d’une voix pleine de sollicitude.Ça doit être dur pour vous. Vous êtesentrée dans une famille qui n’est pas desplus simples.

Je reste muette.

Je peux difficilement démentir.

– Je suis navrée que vous ayez eu àaffronter tout ça, reprend-elle. Le mondede la politique est cruel, et il le paraîtencore davantage quand on n’y est pashabitué. Dans toutes ces épreuves, vousavez fait preuve de beaucoup de courage

et de loyauté, je vous en remercie.– Je vous en prie, c’est normal, dis-

je, émue par ses gentilles paroles, etaussi touchée de voir à quel point notrerelation a évolué, dans le bons sens.

– Vous savez, je connais bien monfils. Il ne faut pas vous offusquer s’ildisparaît comme ça. Quand ça va mal, ilest comme une bête blessée, il se cacheet va lécher ses plaies. Il n’aime pasqu’on le voie en état de faiblesse. Çan’est pas contre vous.

– Oui, je sais… Mais j’aurais pul’aider, peut-être.

– Grace, vous êtes la seule personneà le pouvoir.

– Merci, dis-je d’une petite voix.

C’est la chose la plus touchantequ’elle m’ait dite.

– Vous n’avez pas à me remercier,mon fils vous aime, ça crève les yeux. Jecrois qu’il serait très heureux si vousétiez avec lui, à ses côtés.

– Mais il est parti sans moi ! Je nesais même pas où il est.

Elle a un petit rire.

– Ce n’est pas bien difficile àdeviner, en tout cas pour moi. Depuisqu’il est ado, quand il est contrarié,fâché, il part dans la cabane de familleau bord du lac Norman. Il allait y pêcheravec son grand-père enfant. Je peux

vérifier auprès de notre ami Jack, quihabite tout près, s’il y est, il l’acertainement vu passer.

– Mais… je ne sais pas comment yaller et…

Elle me coupe :

– Vous voulez aller le rejoindre ?– J’aimerais beaucoup, avoué-je.– Alors je vais organiser ça, ne vous

occupez de rien. Je vérifie d’abord avecJack que Caleb est bien au lac, et s’il yest je vous envoie le jet à New York. Il ysera rapidement, nous sommes dans leVermont. Quelqu’un viendra vouschercher à Charlotte pour vous conduireà Caleb. On fait comme ça ?

– D’accord. C’est vraiment trèsgentil.

– Ne me remerciez pas Grace ; j’aifait beaucoup de mal à mon fils, même sice n’était pas mon intention. Je pense nepas me tromper en disant qu’en vousaidant à le retrouver, j’agis pour sonbien. Au moins, de cela, il ne m’envoudra pas. Bon, laissez-moi organisertout cela. Faites votre sac, je vous tiensau courant.

***

Le jet des Montgomery s’est posé àCharlotte, en Caroline du Nord, dans lesud des États-Unis. Tout est allé très

vite, je n’ai même pas eu le temps de meposer de questions avant d’être installéedans l’avion. Mais une fois ma ceinturebouclée, j’ai commencé à me demandersi j’avais bien fait. Après tout, Calebavait peut-être vraiment besoin d’êtreseul ; comment ai-je pu croire que maprésence était aussi essentielle ?

Jack Benedict, leur ami et voisin dulac Norman, est venu me chercher àl’aéroport. Il m’attend, derrière unepancarte au nom de Grace Montgomery.La soixantaine bien avancée, lescheveux blancs et la panse d’un bonvivant, il m’est immédiatementsympathique, avec sa grosse moustacheet sa casquette.

– Alors, c’est vous la femme deCaleb ! dit-il en me serrant la main. Vousavez réussi à le faire se caser, chapeaubas. Il est plutôt sauvage, l’animal. Jesuis vraiment très heureux de vousrencontrer, dit-il en me serrant la maind’une poigne de fer.

Nous approchons de son pick-up, oùl’attend un épagneul.

– C’est Basil, mon vieux compagnonde route, dit Jack.

Le chien remue la queue joyeusementen me voyant. Je caresse ses flancs, cequi semble le rendre encore plus joyeux.

– Dis donc vieux cabot, lui dit sonmaître, elle te plaît la demoiselle !

Puis, se tournant vers moi :

– Il a toujours apprécié les joliesfemmes, dit-il, avant d’éclater d’un bonrire.

– Je suis sûre qu’elles le lui rendentbien. Il a l’air aussi aimable que sonmaître, dis-je en souriant.

Nous montons dans le véhicule.

– Alors, Laura m’a dit que vousvouliez faire une surprise à Caleb ? medit-il tandis que nous nous éloignons del’aéroport. Ne vous inquiétez pas, je ne

lui ai pas dit que vous veniez. À vraidire, je ne l’ai pas vu aujourd’hui, il estjuste passé hier en arrivant me faire unpetit coucou, comme à son habitude.Puisque vous voulez le surprendre, jevous laisserai au bout du sentier quimène à la cabane ; vous verrez, vousn’aurez pas beaucoup à marcher. J’ai vuque votre bagage est léger…

Tandis que nous roulons, nousdevisons tranquillement. Jack se fait unplaisir de me parler de la superbe régionforestière que l’on traverse, et qu’ilsemble connaître comme sa poche.Originaire de Chicago, il s’y est installéà temps complet depuis quelques annéespour s’adonner à son passe-temps

favori : la pêche. Une passion qu’ilpartageait avec le grand-père de Caleb.Il me raconte des souvenirs de leurssorties en bateau avec Caleb enfant. Ilparle de lui avec beaucoup de tendresse,c’est très émouvant.

Au bout d’environ une heure de route,la voiture s’arrête au début d’un sentierqui s’enfonce dans la forêt.

– C’est là que vous descendez,Grace, me dit-il. Passez un bon séjour.Je sais bien que les jeunes mariés aimentêtre seuls au monde, mais si ça vous ditde passer me voir, pour dîner ou justeprendre un verre, n’hésitez pas.

Après l’avoir chaleureusementremercié, et après avoir caressé la truffede Basil, j’emprunte le sentier, mon sacsur l’épaule. Il fait très beau en ce moisde juin, les températures sont douces ; jen’entends rien d’autre que le chant desoiseaux et le craquement des branches.Je me sens sereine : le trajet avecl’adorable Jack m’a apaisée, etmaintenant que je suis dans ce cadre pur,bienveillant, je comprends pourquoiCaleb est venu se réfugier ici. Au boutde quelques centaines de mètres, jeparviens en bordure de lac. Uneravissante maison en rondins pourvued’un grand porche est posée presque aubord de l’eau. Non loin, une jetée de

bois s’élance sur le lac. Un petit bateauà moteur est attaché au bout, tanguantdoucement sur l’onde. Je distinguequelqu’un assis à l’extrémité du ponton,de dos, face au lac.

Caleb…

Mon cœur se serre à sa vue. Il a l’airsi seul au monde, si petit dans cetteimmensité somptueuse.

Le sang bat à mes tempes. Je posemon sac à terre et avance à petits pasvers lui, les jambes tremblantes. J’ai dûfaire craquer une branche, où peut-êtrea-t-il seulement deviné ma présence, caril se retourne. Il reste un instant sans

bouger, sans doute surpris, ne réalisantpas qui ose venir troubler sa quiétude.Puis il se redresse lentement, faitquelques pas dans ma direction, avant dese mettre à courir. Je vois un immensesourire se dessiner sur son visage et unebouffée de bonheur me submerge. Jecours à lui et bientôt, je suis dans sesbras. Il me soulève de terre et me serre àm’en couper le souffle. Je suis si émueque j’ai les larmes aux yeux et je ris enmême temps de sa surprise et de sa joie.

– Mon amour, mon amour, répète-t-ilen me couvrant de baisers.

***

– Dis donc, ta mère m’a parlé d’une« cabane » ; mais ça n’a rien d’unecabane ! dis-je en riant.

Caleb m’a fait visiter son délicieuxrefuge, à la décoration certes dépouillée,mais abritant trois chambres et autant desalles de bains, une cuisine bien équipéeet un vaste double living avec baievitrée offrant une vue imprenable sur lelac Norman.

– Mon grand-père aimait le confort,comme tu as pu le constater au CostaRica. Et puis, il accueillait souvent desamis pêcheurs ici, il avait besoin deplace. Mais il a quand même supréserver le caractère rustique des

maisons du coin. Je m’y suis toujourssenti bien.

Nous sommes blottis l’un contrel’autre, sur un épais canapé anglais encuir vieilli posé devant la cheminéeéteinte.

– Pour une fois que ma mère prendune initiative qui ne me rend pas fou derage, dit Caleb en souriant. Je suisheureux qu’elle t’ait convaincue devenir.

Je prends son beau visage entre mesmains et baise de nouveau sa boucheaimée. Je suis soulagée de voir que maprésence le rend si heureux.

Caleb plonge ses merveilleux yeuxbleus dans les miens.

– Tu ne m’en veux pas d’être partisans te prévenir ?

Je caresse sa joue, hérissée d’unebarbe naissante.

– Je t’ai dit que non. Je comprends.Enfin…

Caleb voit mon hésitation et sourit :

– Tu ne m’en veux plus, mais tu n’aspas compris et tu m’en as voulu, c’estça ?

Je ris :

– Oui, j’avoue. Alors je te pardonne,mais ne me refais jamais ça ! m’écrié-je.Si tu as besoin d’être seul, tu peux me ledire, je comprendrai, je ne t’en voudraipas, mais ne t’enfuis plus comme ça,derrière mon dos. On dirait que tu n’aspas confiance en moi.

– Mais j’ai confiance en toi, monamour, dit Caleb en me serrant plus fort.Je ne m’en sortais plus, je n’arrivaisplus à y voir clair. Ces accusations deDandridge, je crois que ça a été la goutted’eau. Mais en fait, je m’en fous de cettehistoire de radiation, c’est du pipeau. Ilsne pourront rien prouver, puisque c’estfaux. Mais tu vois, je crois que je n’ai

pas si bien pris le retrait de mon père. Jelui ai dit que je le soutenais, parce quec’est ce qu’il avait besoin d’entendre,mais j’enrage de le voir abandonner aulieu de continuer. J’aurais aimé qu’ilrende coup pour coup, qu’il se batte.D’autant qu’il laisse la voie ouverte àce… ce…

Il enfouit sa tête dans mon cou,comme s’il pouvait y fuir la réalité. Ilreste quelques instants sans rien dire, etje respecte son silence.

– Je crois que j’aurais préféré ne riensavoir, dit-il enfin. Ce salopard… monpère. Je ne supporte pas cette idée. Çame ronge. Évidemment, je ne le

considérerai jamais comme mon vraipère, mais quoi que j’en dise, on estliés. Par le sang, par les gènes… cetteidée me fait horreur.

C’est la première fois qu’il en parleaussi clairement. Je le sens soulagé depouvoir enfin dire à quelqu’un ce qu’ilressent.

– Tu te rends compte que j’ai undemi-frère ? lance-t-il soudain, en selevant du canapé.

– Lewis a un fils ?

Je n’avais jamais pensé à cetteéventualité.

– Oui, j’ai découvert ça, reprendCaleb. Apparemment, il l’élève toutseul. Sa mère est morte ; il a une dizained’années de moins que moi.

Cette idée a l’air de le perturber.C’est vrai que ça doit faire drôle, quandon est resté près de trente ans filsunique, de se découvrir un frère ou unesœur.

– Tu as découvert quoi d’autre surLewis ?

– Que c’est une pure enflure, ditCaleb avec un rire amer. Qu’il s’estélevé en écrasant les autres ; mais ça onle savait déjà.

– Caleb… Je sais que c’est dur de

faire comme si de rien n’était maintenantque tu sais, mais tu ne devrais paslaisser cette découverte bouleverser tavie pour autant.

– Ne t’inquiète pas ; j’avais besoinde digérer l’info, mais ça va maintenant.Ce type n’a et n’aura jamais aucuneplace dans ma vie. Ça fait bizarre, aprèstoutes ces années, de pouvoir mettre unvisage sur une simple idée, maismaintenant ça va. Le pire est derrière, jele sens. Tu sais, je ne le déteste pasparce qu’il a abandonné ma mère, oumoi, je lui en suis même reconnaissant,car ça m’a permis d’avoir le meilleurdes pères. Mais ce qu’il a fait à Dad,ça… Crois-moi, je ne l’oublierai

jamais, dit-il le regard dur.

Il croise mon regard ; il a dû y liremon inquiétude, car il change soudaind’expression.

– Tu sais quoi ? lance-t-il. J’en aimarre de ressasser. Je crois que j’aiassez fait d’introspection depuis hier.J’avais besoin de m’extirper de tout ça,j’ai bien fait de prendre le large, mais enparler avec toi m’a fait autant de bien.

– Donc j’ai bien fait de venir, dis-jeavec un petit sourire.

Il me regarde longuement, et ses yeuxmagnétiques se font caressants. Cela faitun moment qu’il ne m’a pas regardée

comme ça, j’en suis toute troublée. Ilvient se rasseoir sur le canapé, approcheson visage tout près du mien.

– Oh que oui, tu as bien fait, susurre-t-il. Mais tu sais, tu peux me faire encoreplus de bien.

– Ah bon ? dis-je, tout émoustillée,mais jouant l’étonnée. Et comment ?

– Tu n’as pas une petite idée ? medit-il d’une voix sensuelle, tandis que samain se glisse sous mon tee-shirt.

Je crois bien que si…

Caleb pose sa bouche sur mes lèvresqui s’entrouvrent comme une fleur ausoleil ; nos langues se rejoignent, sa

main sous le tissu caresse mon dos.

C’est comme si mon corps, sevré decaresses, de baisers depuis notreescapade au Costa Rica, revenait enfin àla vie. Je renifle son odeur, savoure ladouceur de sa peau. Que c’est bond’éprouver de nouveau cette explosionde sensations ! Je me rends compte quecette intimité me manquait plus que je nele pensais.

– Bon Dieu ! Ça fait combien detemps que je ne t’ai pas touchée ?murmure Caleb, la voix rauque.

– Voyons-voir…, dis-je, taquine.Depuis une éternité ?

– Grace, je ne te délaisserai plus

jamais, dit-il avant de soulever mon tee-shirt pour découvrir ma poitrine.

Il enfouit la tête entre mes seinspigeonnant dans le balconnet. Puis il lessort de leur cocon de soie et sa bouchevient s’emparer goulûment d’un téton.

Je sens un feu m’embraser toutentière.

Mes mains se perdent dans sescheveux pendant qu’il couvre mapoitrine de baisers fiévreux.

– Laisse-moi me rattraper, monamour, dit-il, tandis que sa bouchedescend jusqu’à mon nombril.

Ses mains fébriles s’agitentmaintenant sur ma braguette. D’un gestevif, il me retire mon jean et ma culotte,avant de venir s’agenouiller entre mesjambes. Sa bouche embrasse mon sexeavec ardeur. Je me pâme à moitié,laissant sa langue laper mon clitoris,s’égarer dans ma fente. J’écartedavantage les jambes, et me renverse enarrière sur les coussins, submergée deplaisir. Je gémis doucement tandis qu’ilme lèche, les mains crispées sur messeins. Je me presse contre lui, sanspudeur, offrant mon sexe à sa boucheexperte. Je me cramponne à ses cheveux,ivre de plaisir, et mon corps est bientôtagité de soubresauts incontrôlables

jusqu’à un dernier éclair de jouissancequi me transperce, et me laissepantelante, mais comblée.

– Mmmmmm… Tu sais te fairepardonner, dis-je, le regardant à traversmes yeux mi-clos.

– J’ai bien l’intention de m’excuserencore. Et encore, me dit-il d’une voixlangoureuse.

Il pose la tête sur mon ventre. Jecaresse ses cheveux, je suismerveilleusement bien.

– Moi aussi, j’ai faim de toi, tu sais ?dis-je. Déshabille-toi.

Docilement, Caleb se redresse etentreprend de se déshabiller devant moi.Je caresse des yeux son corps musclé,son torse large. Je ne perds rien de sonstrip-tease, j’aime quand il me dévoilechaque parcelle de son corps, jusqu’àson sexe en érection.

Je lui fais signe d’approcher. Sonsexe est à hauteur de ma bouche. Ilsemble durcir encore sous mon regard.Je m’approche et je l’effleure de meslèvres. Caleb ne fait pas un mouvement,mais ses yeux ne me quittent pas. D’unemain, j’empoigne son membre tandis quel’autre main se pose sur sa fessebombée. Je tète doucement le gland,m’interromps pour donner de grands

coups de langue sur la longueur de sonsexe, recommence mon manège. Jesavoure pleinement le pouvoir que j’aisur mon amant, qui s’abandonne engémissant de plaisir. Il finit cependantpar se ressaisir :

– Attends, attends, murmure-t-il. Jeveux jouir en toi.

Je retire son sexe de ma bouche et jeme rejette en arrière sur le profondcanapé. Mon désir est revenu, encoreplus fort. Je retire mon tee-shirt et lesoutien-gorge qui déjà ne retenait plusrien. Totalement nue, je m’offre auregard de Caleb, qui me dévore desyeux.

Je me tourne alors, me mets à quatrepattes sur le canapé, et, mes mainscramponnées au dossier, je me cambre,offerte. Les mains avides de Caleb seposent sur mes fesses, bientôt suivies desa bouche brûlante. Je me tortille sousses coups de langue avant de sentir saverge se frotter le long de ma fente.Après quelques secondes de ce petit jeu,il me saisit par la taille et pénètre d’uncoup mon sexe trempé, impatient. Jelaisse échapper un râle de plaisir. Ilcommence un lent va-et-vient, savourantles retrouvailles de nos deux corpsséparés trop longtemps. J’ondule sousses assauts d’abord lents, puis de plusen plus rapides et profonds. Le

claquement de son ventre contre mesfesses m’excite étrangement. Collécontre mon dos, il attrape mon visage,me fait me retourner et se penche pourdévorer ma bouche tandis que sonmembre s’enfonce en moi avec force.Nous sommes enchaînés l’un à l’autre,unis par nos langues et nos sexes. Ilpresse une main contre mon pubis, tendun doigt jusqu’à mon clitoris affolé. J’ail’impression de fusionner avec lui, tousmes sens embrasés. Nos halètements sefont plus forts, tandis que l’orgasmes’annonce. Accrochés l’un à l’autre,nous jouissons dans un bel ensemble,avant de retomber emmêlés et combléssur le canapé.

***

– On peut se baigner, dans ce lac ?– Mais bien sûr, pourquoi ? me

demande Caleb, étonné.

Nous avons pris une douche etgrignoté dans le patio. La nuit esttombée, et l’obscurité nous enveloppe, àpeine percée par la lueur de quelquesbougies.

– Je sais pas, moi. C’est peut-être unpeu vaseux. Avec des bêtes étranges.

Caleb rit doucement.

– Du genre monstre du Loch Ness, tu

veux dire ?– T’es bête, dis-je en lui envoyant un

petit bout de pain qu’il esquive sanspeine.

– Tu veux prendre un bain de minuit ?– J’ai bien peur que l’eau ne soit trop

fraîche pour moi. En mer je ne dis pas,mais dans un lac…

– Alors, allons faire un tour enbateau. Le moteur ne réveillerapersonne, il n’y a pas grand monde parici, le plus proche voisin, c’est Jack. Etil est bien à trois ou quatre kilomètres.

Il se lève et me tend la main.

– Mais… On y va comme ça ? dis-je,en montrant le peignoir de bain dont je

suis encore vêtue.– Oui, comme ça. On ne croisera

personne, ne t’en fais pas. Peut-êtrequelques animaux nocturnes, mais ils nedevraient pas nous en vouloir de notremanque d’élégance, plaisante-t-il.

Enlacés, nous sortons du chalet pourrejoindre la jetée en bois. Caleb m’aideà grimper dans le petit bateau dont ildétache les amarres ; son vrombissementdéchire soudain la nuit.

À cette heure, la nature semblemystérieuse, et même un peu effrayante,et en même temps, c’est assez excitant.Je ne vois que ce que l’éclat de la luneet des étoiles veut bien me montrer, mais

c’est assez magique. Le bateau glisse surl’eau tandis que Caleb le pilote d’unemain, l’autre étant passée autour de mataille. Je regarde son profil parfait quise détache dans le halo lunaire, sescourtes boucles qui volètent. Il atellement d’aisance, quelle que soit lasituation… ça le rend incroyablementsexy.

Soudain, il ralentit, et coupe lemoteur.

Le bateau tangue un peu.

– On est où ? dis-je un peu inquiète.– Au milieu de nulle part. Seuls au

monde, dit Caleb, d’une voix suggestive.

Ses yeux brillent dans l’obscurité. Lesilence est impressionnant.

Il se penche vers moi, m’enlace etm’embrasse langoureusement. Ses mainsdéfont la ceinture qui retient monpeignoir. Il en écarte les pans, et le faittomber à mes pieds. Je suis nue sous lalune, je frissonne, mais je ne sais si c’estsous l’effet de la peur du noir et del’abîme sous mes pieds, de l’excitation,ou de la brise qui me caresse la peau.Un peu de tout, je suppose.

Caleb fait tomber son peignoir, et meserre contre lui. Je sens son sexe durcontre mon ventre. Ses baisers se font deplus en plus fiévreux.

– Caleb, le bateau va se renverser,dis-je en m’accrochant à lui comme unenoyée à une bouée, tandis que le bateauoscille dangereusement.

– Pas si on fait attention, me dit-ild’une voix chaude et rassurante.

Ses mains et sa bouche parcourentmon corps crispé par l’appréhension,mais elles sont si douces, si persuasives,si troublantes qu’elles me font oubliermes peurs pour ne penser qu’au plaisir.Ses caresses exquises rallument maconcupiscence. Bientôt, je n’ai qu’uneenvie : refaire l’amour avec lui, le sentirde nouveau en moi.

Caleb a compris que mon désir

surpasse désormais mes peurs. Ils’écarte avec précaution de moi, ets’assied sur la petite banquette. Ses yeuxdans lesquels se reflète la lunem’invitent à m’asseoir sur lui. Je fais lesdeux pas nécessaires avec prudence,mais très excitée. Je l’enjambe et,prenant sa verge dressée d’une main, jeviens m’emboîter dessus. Elle entrefacilement dans mon sexe tout humide.Je reste un instant sans bouger, savourantnotre unité, les mains passées autour deson cou. Le bateau est presqueimmobile.

Je me penche pour caresser sonoreille de ma langue, et je l’entendsronronner comme un chat. Je commence

à rouler lentement du bassin. J’ai bienl’impression que le clapotis de l’eau sefait un peu plus bruyant, mais lasensation est si délicieuse que je nem’arrête pas ; au contraire, j’accélère unpeu le rythme, quitte à faire un peutanguer le bateau.

Caleb perd lui aussi peu à peu lecontrôle. Ses mains se crispent sur mesfesses, il me presse contre lui, s’arc-boute pour me pénétrer plusprofondément encore. Je monte etdescends sur sa verge, et mes seinsmarbrés de lumière tressautent sous sonnez.

– Baise-moi, baise-moi, m’ordonne

Caleb.

Je le chevauche comme une amazonedéchaînée, griffant son dos de mesmains. Je suis une créature de la nuit, unloup-garou, la lune m’a rendue folle. Ouest-ce le pouvoir de Caleb ? À la lueurde l’astre céleste, je vois ses yeuxbriller d’un éclat étrange tandis que je lemonte en quête de mon plaisir, et dusien. C’est comme s’il m’encourageait àlibérer toute la sauvagerie qui est enmoi. Je me sens totalement à l’unissonde la nature qui m’entoure, que jedevine.

Parcourue des premières ondes del’orgasme, je renverse ma tête en

arrière, et les yeux plantés dans le cielscintillant, je laisse venir la jouissancequi monte dans mon ventre et explosedans ma tête comme une pluie d’étoiles.

45. À qui se fier ?

– Bon, je crois que l’heure est venuede contre-attaquer, dit Caleb d’un aircombatif.

Cette escapade au lac Norman lui afait du bien. C’est comme s’il y avaitlaissé ses soucis, ses doutes, sesblessures. Il est revenu plein d’uneénergie nouvelle.

Il nous a réunis dans son bureau,Robert, Stacy et moi. Je suis là pourdonner ma version de « l’affaire

Susie » ; j’étais effectivement auxpremières loges pour voir la stratégie dePetrossian. Maintenant que l’accord aété signé avec la Bank of East Americaet que Susie a récupéré le centre, je n’aiplus de confidentialité à respecter.

– Dandridge persiste dans sonhistoire de radiation, il est persuadé quePetrossian a eu accès à des informationsqui n’auraient jamais dû être portées àsa connaissance, récapitule Caleb. Ilprétend que c’est ce qui l’a obligé àconclure cet accord avec les plaignantsà des conditions que lui n’aurait jamaisacceptées en temps normal. On sait tousque je n’y suis pour rien, mais peut-êtrefait-on fausse route en pensant que

Dandridge est en plein délireparanoïaque ou qu’il veut juste nousfaire payer notre retrait de sa défense.

– Tu veux dire que l’on doitenvisager que Petrossian aurait bien eudes informations sur la banque qu’iln’aurait pas dû avoir ? demande Robert.

Caleb ne répond pas, mais son regarden dit long. Il se tourne vers moi :

– Grace, que peux-tu nous dire sur lastratégie de Petrossian ?

Trois paires d’yeux sont braquées surmoi. Je prends le temps de réfléchir, jene voudrais pas me tromper.

– Eh bien… Si je me souviens bien,au départ, il semblait déterminé à allerau procès. Il a évoqué des « saisiesabusives » et ne voulait pas entendreparler d’accord. Ou alors, à desconditions très favorables à Susie et auxautres. Il semblait très sûr de lui.

– Il n’y a rien dans son comportementque tu as trouvé étrange ?

– Non, pas dans son comportement. Ilétait très sympathique… Mais… il y aun truc qui m’a semblé bizarre. Susiem’a dit qu’il était arrivé sur le dossierparce qu’il avait été contacté par unparent d’élève. Mais quand je lui aiposé la question, il a paru gêné, puis il adit qu’il avait eu connaissance du litige

par un huissier qui était intervenu sur lafermeture du centre.

Caleb et Stacy échangent un regard.

– C’était quand ? demande Stacy.– C’est ça qui est vraiment étrange. Il

est « apparu » juste après que Caleb arefusé de défendre Susie. Sur le moment,quand Susie m’a dit qu’elle avait trouvéun avocat pro bono, ça m’a surprise, etpuis j’ai oublié, j’étais tellementsoulagée qu’elle trouve quelqu’un pourla représenter gratuitement, et de cetteenvergure.

– Je ne connais pas personnellementPetrossian, dit Stacy, mais son cabinetn’est pas réputé pour donner dans le pro

bono.– Et lui encore moins, ajoute Robert.

Il n’en fait plus du tout, depuis desannées.

– Je me rappelle m’être dit qu’ilavait accepté le dossier, et d’y travaillergratuitement, juste pour affronter Calebau tribunal, reprends-je, pensive. Jesavais que leurs rapports n’étaient pasbons, qu’il y avait un contentieux. Maisaprès l’avoir rencontré, j’ai mis ça decôté, il semblait si… investi, sincère.

Je me sens presque coupabled’évoquer ma sympathie pour ToddPetrossian, même si elle n’a l’aird’offusquer personne.

– C’est quand même bizarre qu’il aitparlé aussi vite de « saisies abusives »,dit Caleb. Est-ce qu’il avait déjà desinfos sur la banque ?

– Robert, tu en penses quoi ?demande Stacy. Il peut y avoir eu desfuites du côté de la banque ?

Robert se cale contre le dossier deson siège, et croise nonchalamment lesbras.

– Absolument, répond-il.

Il fait une pause, avant de reprendre :

– Mais la fuite peut aussi venir dechez nous, lâche-t-il tranquillement.

Stacy et Caleb le fixent avec uneintensité accrue.

– Tu crois qu’on a une taupe au seindu cabinet ? demande sèchement Stacy.

– Je ne sais pas, dit Robert sans sedépartir de son flegme. Je dis que c’estpossible. On a accès à nombred’informations sur nos clients, certainesn’étant pas à mettre à la portée den’importe qui. Petrossian a déjàdébauché chez nous, peut-être a-t-ilrecruté un informateur, ou uneinformatrice.

Sa déclaration jette un froid dans lapièce.

Stacy est la première à sortir dusilence.

– Je n’y crois pas, dit-elle avec unemoue dubitative. Ça me semble plusplausible que la fuite vienne de labanque.

– Robert, dit Caleb, il fautabsolument que tu enquêtes là-dessus. Tun’as pas besoin de te rendre à LosAngeles pour le dossier Nikkiprochainement ?

– Pas tout de suite, j’ai recruté desinformateurs sur place. Je me mets là-dessus.

C’est alors que l’on toque à la porte :

– Entrez ! dit Caleb.

Margaret, l’assistante de Caleb, entredans la pièce.

– Prescott Durham est là. Il adébarqué sans prévenir, et veut vousvoir de toute urgence. Je l’ai installédans la salle de réunion, mais iltrépigne.

Caleb et Stacy se lèvent aussitôt.

J’ai déjà entendu parler de cePrescott Durham, un type caractérielmais un des plus gros clients du cabinet.

– J’arrive, dit Stacy qui s’empresse

de suivre Margaret, Robert sur sestalons.

– Tu m’attends ici ? me demandeCaleb. On peut aller manger un boutensemble ensuite.

– OK, vas-y, je ne bouge pas de là…Je vais skyper avec mon père enattendant. Je veux voir où il en est avecla mère de Théo.

Caleb pose un rapide baiser sur meslèvres et s’en va.

Je prends mon iPad pour appeler monpère via Skype. Je ne l’ai pas eu depuisplusieurs jours. La dernière fois que l’ons’est parlé, il emmenait la mère de Théoà l’opéra ; j’ai l’impression que leur

relation prend des couleurs trèssentimentales, et je m’en réjouis pourlui. Il est seul depuis si longtemps.

Visiblement, Papa n’est pasconnecté. Tant pis !

C’est alors que j’entends la sonneried’un téléphone, provenant de sous latable basse autour de laquelle nousétions tous assis il y a quelques minutes.Je me baisse et j’aperçois l’iPhone deStacy. Je me penche pour le ramasser, etmes yeux se posent sans le vouloir surl’écran. Et ce que j’y vois me glace lesang.

Todd Petrossian. L’appel est de Todd

PETROSSIAN.

Je lâche le téléphone comme s’ilm’avait mordu. Il continue de sonner surla moquette, et je reste à le fixer,horrifiée, sans croire ce que je vois.

Pourquoi Todd Petrossianappellerait-il Stacy ? Elle a dit il y aquelques minutes à peine qu’elle ne leconnaissait pas ! Pourtant, son numéroest enregistré sur son téléphone. MonDieu, c’est elle, la taupe ?

Le cœur me manque.

C’est à ce moment que la porte dubureau s’ouvre.

– J’ai oublié mon…

La voix de Stacy. Je lève la tête. Sansdoute peut-on lire encore sur mon visagele désarroi et le dégoût, car elle se fige,la main sur la poignée de la porte. Sesyeux se posent sur son téléphone etcroisent les miens de nouveau.

Elle sait que je sais.

46. Deux femmes encolère

Le téléphone de Stacy qui gît à mespieds a cessé de sonner. C’est comme sile temps était suspendu.

Je suis encore à moitié baissée versle sol, mais mes yeux sont fixés sur ceuxde Stacy qui s’est figée à la porte dubureau de Caleb. Sa main est crispée surla poignée, elle semble changée enstatue de sel.

Je fais un geste pour me redresser etce mouvement lui redonne vie. Elle entrerapidement dans la pièce et referme laporte derrière elle.

– J’ai oublié mon portable, dit-elled’une voix métallique, visiblement mal àl’aise.

Elle essaie de donner le change, maisvu le froid qui s’est installé entre nous etson regard fuyant, elle a compris quej’ai vu que c’était Todd Petrossian quil’appelait.

– Je sais, lâché-je, sans faire un gestepour ramasser l’iPhone.

J’hésite un instant, mais à quoi bonmentir… Nous savons toutes les deux àquoi nous en tenir.

– Stacy, commencé-je, un peuhésitante. C’est Petrossian quit’appelait.

Elle me jette un regard cinglant etlance :

– Oui, et alors ?– Et alors ? Il y a cinq minutes, tu

disais que tu ne le connaissais pas !– J’ai dit ça ? dit-elle d’un ton

désinvolte.– Tu me prends pour une idiote ? Tu

veux qu’on demande à Caleb ? Ou à

Robert ?

Elle perd soudain de sa belleassurance. Quant à moi, je ne mereconnais pas : Stacy m’a toujours unpeu intimidée, mais la colère m’a donnéun nouvel aplomb.

– Bon OK, j’ai menti, mais je n’aipas de comptes à te rendre, dit-elle encroisant les bras, me défiant du regard.

Elle s’assied sur l’accoudoir d’unfauteuil, en me fusillant des yeux.Manifestement, elle attend une petitemise au point.

Je me rassieds sur le canapé.

– Tu n’as pas de comptes à merendre, mais tu en auras à rendre àCaleb. Je ne peux pas ne pas lui dire,Stacy, c’est impossible.

– Même si je te demande de n’en rienfaire ? me demande-t-elle d’un tonradouci.

Je la regarde dans les yeux. Je nepeux pas ne pas lui poser LA question.

– Stacy… C’est toi la taupe ?– Bien sûr que non, ce n’est pas moi,

dit-elle, en me regardant horrifiée. Tume prends pour qui ? Tu crois que jeveux saboter mon propre cabinet ?

Elle a l’air sincère… mais pourquoi

ce mensonge sur Todd alors ?

– Pourquoi as-tu dit que tu neconnaissais pas Petrossian ? Son nomest enregistré sur ton téléphone ! Etpourquoi t’appelle-t-il ?

Elle me fixe quelques secondes. Jevois qu’elle hésite. Sans doute sedemande-t-elle si elle peut me faireconfiance. Elle soupire et se décide.

– Petrossian m’a contactée. Il veutm’embaucher dans son cabinet, avoue-t-elle.

– Quoi ?

Les bras m’en tombent.

– Il revient régulièrement à la chargedepuis quelques semaines, reprend-elle.Je ne voulais pas en parler à Caleb pourne pas l’inquiéter.

Je fronce les sourcils.

– Mais s’il continue d’appeler…C’est que tu n’as pas refusé ?

– J’ai refusé au début… Mais je n’aipas vraiment fermé la porte, ajoute-t-elle, un peu gênée.

Elle se tait un instant.

– Ça devient vraiment compliqué ici,Grace, dit-elle d’un ton quelque peuexcédé. J’essaie de rester loyale à

Caleb, mais il ne me rend pas la chosefacile. Pour commencer, il prend desdécisions qui engagent l’avenir ducabinet sans m’en parler. Et nonseulement il ne me prévient pas, mais enplus, ça le met, ça NOUS met dans dessituations impossibles. Si la procédurede radiation va au bout, je fais quoimoi ? On n’aura plus qu’à fermer. Etmaintenant avec le scandale de sonpère… On ne va pas se cacher derrièreson petit doigt, Grace : quand le pèred’un des avocats est un président desÉtats-Unis potentiel, les clients sebousculent à la porte. Mais quand sacarrière politique est à l’eau… certainsont déjà commencé à nous lâcher, ou

s’apprêtent à le faire.– Comme tu te prépares à le faire,

dis-je, en me redressant, exaspérée. Tuveux abandonner Caleb.

Elle se remet aussitôt sur ses pieds,et se campe devant moi. Elle rejette seslongs cheveux blonds soigneusementondulés en arrière d’un geste nerveux

– C’est lui qui m’a abandonnée tuveux dire, avec ses décisions absurdes,s’emporte-t-elle. Il avait besoin de semettre Dandridge à dos ? Tu saiscombien j’ai combattu pour arriver oùj’en suis. Je t’ai dit d’où je venais, tun’as pas oublié, non ? Je ne suis pas néeavec une cuillère en argent dans la

bouche. Ma réussite, je l’ai forgée à laforce du poignet. Je ne vais pas foutrema carrière en l’air comme ça. Si lecabinet sombre, c’est foutu pour moi.Caleb est un héritier, il ne mourra jamaisde faim. Mais moi ? Ma seule richesse,c’est ma réputation. Si je la perds, jeperds tout.

Je me tais. Que répondre à ça ? Elle araison. Je ne peux pas lui reprocher depenser à son avenir… Elle a travaillédur pour arriver où elle est.

– Alors, tu es prête à partir travailleravec Petrossian ? dis-je, amère.

– Non, pas du tout, dit-elle très vite.Je n’ai juste pas fermé complètement la

porte. Je te jure que partir est la dernièrechose que je voudrais, et j’espère bienne pas avoir à le faire. Si je pars, jeperds l’amitié de Caleb, qui m’estprécieuse. Et pas que la sienne…

Robert. Elle sait que si elle trahitCaleb, Robert ne le lui pardonnerajamais.

– Je sais que tu sors avec Robert. Jevous ai vus, dis-je, désireuse de jouercartes sur table.

Elle me regarde, surprise. Mais ellene perd pas de temps à démentir.

– Je l’aime, Grace, je l’aime

vraiment, et il m’aime, me dit-elle, uneflamme dans les yeux, tandis qu’unsourire tendre se dessine sur ses lèvres.Mais il doit tellement à Caleb qu’il seraà ses côtés jusqu’au bout, et s’il doitchoisir entre nous deux, c’est lui qu’ilchoisira. Et ça, je le comprends. Caleblui a sauvé la vie. Et Robert met saloyauté au-dessus de tout. Je ne sais plusquoi faire, ajoute-t-elle avec un soupir.

C’est la première fois que je la sensfragile, vulnérable. Elle me fait même dela peine.

– Dis non à Petrossian.

Elle ricane.

– Pour toi, c’est simple. Tu as fait unbeau mariage, tu es à l’abri, même si tudivorces…

Elle a vraiment une drôle d’image demoi. Mais je n’ai pas de temps à perdreà démentir.

– Mais moi ? continue-t-elle, avec unrictus amer. Je fais quoi ensuite ?Petrossian me fait un pont d’or pour lerejoindre, il me propose même dedevenir associée.

– Tu lui fais confiance ? Après toutce qu’il a fait ? Tu as entendu Robert ? Ila peut-être infiltré ton cabinet…

Elle me regarde, et je vois qu’elle est

mal à l’aise.

– D’après lui…

Elle s’arrête. Je la regarde, sanscomprendre sa réaction.

– Quoi, d’après lui ? dis-je, sourcilsfroncés.

– C’est toi qui lui as fourni les infossur la banque.

J’en reste un moment sans voix,suffoquée.

– Quoi ? Moi ? Mais c’est faux ! Tul’as cru ?

– Tu croyais bien que j’étais la taupe

il y a cinq minutes, me lance-t-elle,narquoise.

Puis elle reprend :

– En tout cas, je n’en ai rien dit àCaleb.

Elle croit que c’est moi, la taupe !C’est pour ça qu’elle était si froideavec moi ces derniers temps.

– Je dois t’en remercier ? Commentaurais-tu pu en parler à Caleb, puisquetu ne connais pas Petrossian,officiellement ? dis-je, piquée.

– Ne t’en fais pas, si j’avais vouluqu’il le sache, j’aurais dit que j’avais eu

« vent de », par un employé ou autre.C’est pas très compliqué.

– Mais je te jure Stacy, c’est faux !dis-je avec véhémence. Tu me vois entrain de fouiller les dossiers de Calebpour donner des informations à la partieadverse ? Même pour une amie ? Jamaisje ne ferais ça. Et qui plus est, àl’homme que j’aime ! Mais quel salaudce Petrossian !

Je n’en reviens pas ; malgré lesdissensions entre Caleb et lui, j’aimaisbien Todd, je l’ai trouvé sympathique jelui étais reconnaissante de ce qu’ilavait fait pour Susie. Mais la vérité,c’est que c’est une ordure !

À ce moment, on toque deux coups àla porte.

– Entrez, lance Stacy.

La porte s’ouvre sur la souriante etpulpeuse Margaret, l’assistante deCaleb.

– Ils vous attendent en salle deréunion, Stacy, dit-elle. Durham n’estvraiment pas de bonne humeur, ajoute-t-elle avec une grimace.

– J’arrive tout de suite, lance Stacy,son visage redevenu impassible.

Margaret sort de la pièce, en laissantla porte ouverte.

Stacy se penche pour ramasser sontéléphone.

– Tu vas faire quoi maintenant ? luidemandé-je à voix basse.

– Aller à cette fichue réunion, melance-t-elle, faisant semblant de ne pascomprendre ma question.

Elle croise mon regard et se ravise.

– Je vais tout faire pour sauver moncabinet. On verra ensuite, dit-elle d’unevoix radoucie. J’aimerais que tu neparles pas de l’appel de Petrossian àCaleb. Je ne dirai rien de sesaccusations. C’est mieux pour l’instant,tu ne crois pas ?

Elle quitte le bureau sans attendre maréponse, me laissant seule,complètement déboussolée par cettediscussion.

Dois-je la croire quand elle ditqu’elle n’est pas la taupe ? Elle avaitl’air sincèrement choquée par cetteinsinuation. Mon instinct me dit qu’ellene ment pas, mais je peux me tromper.J’ai face à moi une avocate redoutable,il ne faut pas que je l’oublie ! Et si elleest innocente, me croit-elle quand je luidis que ce n’est pas moi, ou mesoupçonne-t-elle toujours ?

Un instant, l’envie me démanged’appeler Petrossian pour lui dire ma

pensée, mais il me dégoûte tellement queje préfère n’avoir plus aucun contactavec ce triste personnage.

Je ne sais plus quoi faire, je ne saispas si je dois parler de tout ça à Caleb.Stacy m’a demandé de ne pas le faire, etelle a sans doute raison. J’ai peur desemer le doute entre eux, car Caleb serapeut-être moins convaincu que moi deson innocence. Et il aura sans doute dumal à lui pardonner de ne pas lui avoirparlé avant des propositions dePetrossian. Leurs relations sont déjàassez tendues ces derniers temps, si celadégénère encore, c’est le cabinet qui enpâtira.

Je m’assieds, la tête entre les mains.Je fais le choix de croire Stacy. Mais siau final, elle trahit Caleb, je m’envoudrai toute ma vie de ne pas l’avoirprévenu.

47. Confidences pourconfidences

– John n’est pas avec toi ?

Maman vient d’arriver à New York.Elle est venue nous voir Nikki et moi, etCaleb a insisté pour que son mari et elleséjournent à l’appartement avec nous.Mais c’est seule qu’elle a débarqué deCalifornie.

– John va essayer de venir demain, ilavait un problème sur un tournage. Tu

sais comment c’est…

Oui je sais. Mon beau-père est unproducteur influent à Los Angeles, et il apeu de temps pour sa vie privée. Mamansemble s’en accommoder plutôt bien,mais je me souviens que Nikki en asouffert quand elle était petite. Peut-êtren’aurait-elle pas suivi la même voie sielle avait eu un père plus présent, plusattentif, à ses côtés. Entre lui, et son ex-femme, une toxicomane… Ma pauvreNikki a eu de la chance d’avoir ma mèrepour veiller sur elle. Je ne sais pas sic’est à ses dernières frasques que l’ondoit les deux petites rides que je neconnaissais pas sur le front de Maman.Non pas qu’elles soient gênantes, elles

ne retirent rien à sa beauté. À 46 ans, mamère, ancien top model, est encore unebeauté. Sa silhouette est irréprochable,elle a une classe folle, et une longuechevelure miel soyeuse qu’elle laissetoujours libre et qui vient caresser le basde son dos.

– Et Caleb ? me demande-t-elle. Il estau bureau ?

– Oui, il a pas mal de travail en cemoment. Et de soucis, avec cette menacede radiation…

Maman est au courant de l’affaire,même si je lui ai épargné les « détails »,comme ma conversation avec Stacy. Jene veux pas qu’elle s’inquiète aussi pour

Caleb, elle en a bien assez avec Nikki.

– Et ses parents, ils vont bien ? medemande-t-elle. Après cette horriblehistoire…

– Ils se sont réfugiés dans leurmaison du Vermont, la vie devenaitimpossible pour eux à Chicago. Lesénateur a porté plainte contre sonaccusatrice, une enquête est en cours.

– Quel dommage qu’il aitdémissionné ! s’exclame Maman. Ilaurait pu continuer, en attendant d’êtreblanchi. Les journaux qui présentaientcette fille comme une espèce d’oieblanche, de vierge effarouchée, ont déjàcommencé à changer de ton. J’ai luquelques témoignages de son entourage,

elle n’a pas l’air si innocente qu’ellevoulait bien le dire.

– Oui, mais ça arrive trop tard. Tusais, le sénateur Montgomery est unhomme intègre, avec des idéaux bienancrés. Je crois qu’il était écœuré dutraitement médiatique, et des magouillesau sein de son propre parti. Il a préférés’éloigner de tout ça.

– Je suis sûre qu’il aurait fait unprésident formidable, dit ma mère avecregret.

– Je crois aussi.

Ma mère me regarde avec tendresseet me caresse la joue.

– Et toi, ma chérie, comment tu t’en

sors dans ce chaos ? On peut dire que tuas fait un apprentissage de la vie enaccéléré depuis que tu es mariée ! Tu asvécu des choses éprouvantes aux côtésde Caleb, et sous les feux desprojecteurs en plus, toi qui les fuyais.

Je grimace.

– Il faut croire que c’est mon karma.Mais c’est vrai que le monde de lapolitique n’a rien à envier à celui de latéléréalité. C’est d’une cruauté ! Parfois,j’admire Nikki. Elle est vraiment forte,tu sais ?

Ma mère me regarde, songeuse.

– Sans doute moins qu’elle le laisseparaître, dit-elle. Malgré ce qu’elle dit,ça m’étonnerait qu’elle soitimperméable aux attaques constantesdont elle fait l’objet. Et maintenant, cettemenace de prison…

Ma mère soupire d’un air découragé.Je passe mon bras autour de ses épaules.

– Ne t’en fais pas, Maman, Calebs’en occupe. Et c’est un avocat brillant,comme son associée Stacy. Ils vont latirer de ce mauvais pas.

Elle me regarde, les yeux pleinsd’espoir.

– Dis donc, si tu allais te reposer ?lui dis-je. Tu as voyagé de nuit, tu doisêtre fatiguée. Tu peux t’allonger deuxheures, ensuite on va retrouver notrestarlette, J’ai réservé une table pourdéjeuner.

– Ne t’en fais pas, j’ai dormi dansl’avion, me dit Maman. Laisse-moiprofiter de toi. Se parler au téléphonec’est bien, mais se voir c’est mieux,ajoute-t-elle. Alors, comment ça sepasse avec Caleb ? Avec toutes ceshistoires, tu ne m’as pas dit commentc’était le Costa Rica…

– Ah Maman, c’était… le paradis.J’aurais voulu y rester pour toujoursavec Caleb, juste lui et moi.

Elle me regarde, un sourire auxlèvres.

– Ma chérie…, dit-elle en caressantmes cheveux. Je suis si heureuse de tevoir si amoureuse. Et de voir ton amourpartagé. C’est ce qu’il y a de plusimportant dans la vie. Et l’amour, levrai, n’est pas si facile à trouver.

Elle s’interrompt, songeuse.

– Moi je l’ai trouvé deux fois,continue-t-elle. J’ai eu de la chance.Mais ne crois pas que ça a été si facilede faire le deuil de mon histoire avecton père. Je l’ai aimé, vraiment, mais lavie nous a séparés. Parfois, je pense que

si je m’étais un peu battue…, dit-elle,pensive.

Soudain, elle se reprend et rit.

– Ne crois pas que je regrette,surtout. J’aime John, et il me rendheureuse. Mais si j’avais été un peu pluscombative, peut-être que ton père et moiaurions surmonté certains obstacles. Jesuis admirative de ta détermination, tut’es retrouvée dans des situationsinconcevables pour toi, mais pourtant, tues restée auprès de Caleb. Ne laisse pasvos différences ou les difficultés vousséparer. Tu l’aimes, et manifestement ilt’aime aussi. C’est plus précieux quetout le reste.

– Il compte plus que tout pour moi. Jen’envisage pas mon avenir sans lui. Rienne pourra me séparer de lui. Sauf s’il neveut plus de moi, bien sûr !

J’ai dit ça en plaisantant, mais moncœur se serre à cette idée. Pourvu queça n’arrive jamais !

***

J’ai installé Maman dans la chambred’amis, et lui ai fait faire un tourcomplet du duplex. Elle qui se passionnepour la décoration d’intérieur n’a pastari d’éloges sur le bon goût de Caleb.Et moi j’étais fière comme tout.

L’heure du déjeuner approchant, noussommes parties pour l’AOC, unrestaurant français de West Village.Nous sommes à peine installées queNikki débarque. Je ne sais pas ce quim’étonne le plus : sa ponctualité ou sonapparence. J’ai cru bon de réserver dansle petit jardin à l’arrière pour que saprésence n’alerte pas les autres clients,mais ils auraient bien du mal à lareconnaître : elle est en baskets, sescheveux platine planqués sous unfoulard, avec un petit short en jeand’étudiante et un débardeur. Et pasl’ombre d’un fard.

Maman est sidérée. Nikki éclate derire en voyant sa tête. Je dois avoir l’air

aussi étonnée qu’elle.

– Eh ben quoi, me dit-elle, tu m’avaispas dit d’être discrète ?

– C’est-à-dire que… je n’ai pasl’habitude que tu m’écoutes.

– Eh bien, tu vois, parfois çam’arrive.

Je la regarde, dubitative.

– En fait, j’adore renouer avecl’anonymat, dit-elle en s’installant aprèsnous avoir embrassées. J’en profite, jevais bientôt retourner à L.A., et j’espèrey reprendre ma vie d’avant. Alorsquelques jours dans la peau deMademoiselle Tout-le-Monde, ça

m’amuse beaucoup. C’est maintenantque j’ai l’impression d’être déguisée !s’esclaffe-t-elle.

– Personne ne te reconnaît ? demandeMaman.

– Ben non. Imagine Lady Gaga entailleur mal coupé, mocassins et avecune queue de cheval, sans maquillage,même son garde du corps ne lareconnaîtrait pas ! plaisante-t-elle.

Nikki est vraiment de bonne humeur,et je vois que Maman est rassurée de lavoir dans de si bonnes dispositions ; lerepas est gai, c’est vraiment agréable dese retrouver toutes les trois ensemble.

– Et comment va Théo ? demande

Maman tandis que nous dégustons nosplats.

Contrairement à mon père, ma mèrene connaît pas mon ami, mais je lui aibeaucoup parlé de lui. Elle connaît lerôle qu’il est censé jouer dans laréhabilitation de Nikki.

– Mais Théo va très bien. C’est unamour, je l’adore. On passe notre tempsà roucouler, dit Nikki, avec un grandsourire.

Maman me jette un regard inquiet.

– Ils sortent ensemble, lui dis-je,comme si les propos de Nikki méritaient

vraiment une explication.– Ah bon… Mais je croyais que

c’était pour… enfin, que c’était pasvrai…, commence ma mère, étonnée.

– Ah ben que veux-tu, parfois laréalité dépasse la fiction, rigole Nikki.Et puis après mon mariage foiré, fallaitbien que je me fasse un peu consoler. Aumoins, je suis sûre que Théo n’ira pasfricoter avec un travelo.

Je la regarde, consternée. Je sais bienque ce ne sont pas mes affaires(quoique) mais je ne peux me retenir.

– Nikki ! On dirait que c’est un jeupour toi mais… ça ne l’est sûrement paspour Théo. Je le connais très bien, sans

doute mieux que toi. C’est un grandsentimental, tu sais. Il s’emballe vite. Etil est très sensible. Et puis il n’a pasl’habitude de ton monde, ce n’est pas unde ces mecs avec qui tu traînesd’habitude. Je ne voudrais pas que…enfin…

Je m’arrête, en réalisant que le regardde Nikki a changé. Elle ne rigole plus dutout. Elle a même l’air d’être blessée.

– Tu recommences ? Et moi alors ?Tu t’inquiètes pas pour moi ? éclate-t-elle. Je ne pourrais pas souffrir moi ? Etsi c’est moi qui tombais amoureuse delui, et qu’il me larguait parce qu’il s’estassez amusé avec la vedette ? Ou parce

que je n’ai rien à voir avec les fillesavec lesquelles il a l’habitude desortir ? Tu y as pensé à ça ?

Euh… Pas vraiment.

– Non mais c’est vrai, dit-elle enprenant ma mère à témoin, elle me prendpour un monstre sans cœur, sans étatsd’âme. Mais merde, moi aussi j’ai dessentiments.

Je regarde ma mère, qui ne dit rienmais je lis des reproches dans ses yeux.Moi-même, je ne me sens pasterriblement bien dans mes baskets.Nikki a l’air vraiment touchée. Parfois,je suis sans doute trop dure avec elle.

– Je suis désolée Nikki, dis-je. Tu asraison. Je te vois toujours si forte quej’en oublie que tu n’es pasindestructible.

– Et pourtant, je ne le suis pas, dit-elle avec une petite moue, d’une voixradoucie. Tu sais, je tiens vraiment àThéo. Il ne ressemble à aucun hommeque j’ai connu avant lui. Il est doux,attentionné, intelligent, drôle… On estbien ensemble, quoi.

Dis donc… Elle serait pasamoureuse de Théo ?

Ça me fait drôle de la voir avec cetteexpression que je ne lui connais pas,elle a l’air toute chose en parlant de mon

ami.

J’échange un regard de connivenceavec Maman. Elle aussi s’est aperçueque Nikki a l’air accro.

Je ne sais plus quoi dire…

– Bon, ben, écoute. Euh… tant mieuxpour vous, commencé-je, hésitante.

– Tu pourrais être un peu plusconvaincante, ironise Nikki.

– Eh bien, je… je vous souhaite…– Mais je te taquine, lance Nikki. Pas

besoin d’être aussi solennelle. Théo etmoi, on apprend à se connaître, on estbien ensemble, mais on ne tire aucunplan sur la comète. Je vais bientôt

retrouver ma vie californienne, aumieux… ou aller en prison, soupire-t-elle. Je ne peux rien envisager desérieux pour l’instant. J’en ai parlé avecThéo, il est d’accord avec moi.

Pfff… Le connaissant comme je leconnais, s’il est vraiment amoureux deNikki, ce n’est pas un séjour en prisonqui va le décourager.

– Quoi qu’il arrive, je ne regretteraijamais de l’avoir rencontré, ajoute-t-elleavec un sourire tendre.

Nikki et Théo, ensemble ? Je nel’aurais jamais imaginé. Mais s’ilssont heureux tous les deux… pourquoi

pas ?

***

C’est dans la bonne humeur que nousavons terminé notre déjeuner. Maman etNikki m’ont ensuite entraînée dans uneséance de shopping dans les boutiquesbranchées de West Village, et à leurgrande surprise, je me suis laissé fairesans trop rechigner. Maman est toutheureuse de voir que je ne suis plus siréfractaire à ce que je considéraisauparavant comme une corvée, et moi, jesuis ravie de lui faire ce plaisir.

Après avoir mis Nikki dans un taxi,nous sommes rentrées à pied au duplex.

Caleb nous a envoyé en début de soiréesa voiture pour nous conduire auBernardin, un restaurant de Manhattanétoilé au Michelin.

Je suis amusée de voir que tous lesregards sont tournés vers ma mère quandelle entre dans l’établissement huppé. Lamajorité des personnes ne l’ont sansdoute pas reconnue, elle s’est éloignéedepuis longtemps du monde de la mode.Et puis, New York est une ville où toutle monde a l’habitude de croiser descélébrités, et on met en général un pointd’honneur à faire comme si on ne lesreconnaissait pas. C’est la beauté de mamère qui attire l’attention : elleapproche la cinquantaine, mais elle est

encore éblouissante. Elle a mis une robelongue noire, simple mais extrêmementbien coupée, qui met sa silhouetteparfaite en valeur, et ses longs cheveuxmiel en liberté se balancent au gré de sadémarche de reine. Je remarque, avecune certaine satisfaction, que desregards flatteurs se posent aussi sur moi.Encouragée par Maman, j’ai revêtu unerobe Miu Miu un peu sophistiquée etdécolletée vert émeraude, fendue sur lecôté. Mais ce qui me fait le plus plaisir,c’est le regard scintillant de Caleb, déjàinstallé à une table, lorsqu’il m’aperçoit.

Le repas est aussi fin que le cadre estélégant. Caleb est plein d’attentions pourma mère et je vois qu’elle est sous son

charme. Elle n’arrête pas de me lancerdes regards que je n’ai aucune difficultéà interpréter : elle valide mon choix, àcent pour cent. Je suis aux anges ! Je suistellement heureuse de voir uneconnivence naître entre ma mamanchérie et mon amoureux.

La conversation reste légère. Nousn’évoquons aucun des sujets douloureux,comme le scandale entourant le sénateur,d’autant que nous sommes dans unendroit public. Et qu’une partie des gensinstallés ici doit très bien savoir qui estCaleb. Je surprends quelques regardscurieux posés sur lui, et il a dû aussis’en apercevoir car il propose à la findu repas de rentrer boire un dernier

verre à la maison, plutôt que dans lelounge bar de l’établissement comme ill’avait prévu au départ. Mamanacquiesce avec enthousiasme, elle s’estsans doute rendu compte elle aussi de cequi se passait.

Une fois rentrés, nous nous installonsconfortablement dans le salon. Calebs’affaire autour du bar années 1930 qu’ila fait installer et nous sert des cocktailscolorés.

Nous devisons tranquillement sur lesvertus et défauts de Los Angeles lorsqueson portable sonne. Il s’excuse etdécroche, fait quelques réponseslaconiques avant de raccrocher.

Son beau visage est tendu tout à coup,il a l’air contrarié.

– Caleb, tout va bien ? dis-je, un peuinquiète.

– Oui, ça va, dit-il, en s’efforçant desourire, sans parvenir à être trèsconvaincant.

Maman me jette un regard furtif.

– Eh bien, je crois que je vais allerme coucher, dit-elle en se levant de sonsiège.

Ma mère a manifestement décidé des’éclipser par discrétion. Caleb acompris sa délicate attention, et il la

retient.

– Non, Michelle, ne partez pas. Jen’ai rien à vous cacher, nous faisonspartie de la même famille maintenant,non ? dit-il en lui souriant, et mon cœurse gonfle aussitôt de joie et de fierté.

Il reprend :

– Ce coup de fil… C’était Noah, dit-il en me regardant.

Il précise à l’intention de ma mère :

– Le directeur… l’ex-directeur decampagne de mon père. Portman, ledernier candidat à l’investiture a

abandonné. Lewis est seul en lice, c’estlui qui sera désigné candidat du parti àla présidentielle lors de la convention.

Ma mère le regarde, hésitante.

– Et… c’est une très mauvaisenouvelle ?

Je n’ai rien dit à ma mère au sujet deCharles Lewis. Les secrets de famille deCaleb lui appartiennent.

– Eh bien, Michelle…, dit Caleb surun ton amer, vous avez su, comme toutel’Amérique, que mon père n’est pas…mon père biologique.

– Oui… Oui bien sûr, dit ma mère,

gênée.

Elle s’est inquiétée pour Caleblorsque l’affaire a éclaté au grand jour,mais elle n’a pas osé en parler avec luidepuis.

– Il se trouve que le gouverneurLewis est mon père biologique, reprendCaleb d’une voix dure. Il a abandonnéma mère quand il a appris qu’elle étaitenceinte. Elle n’entrait plus dans sonplan de carrière. Je n’en savais rien, jel’ai découvert il y a quelques jours.

Ma mère en reste bouche bée.

– Eh oui, le monde est petit, ricane

Caleb. Ma mère avait manifestement uncertain goût pour les hommes avec ungrand destin. Ou en tout cas, le potentielpour.

– Vous l’avez rencontré ? demandema mère.

– Non, jamais. Et je n’en ai aucuneenvie, ajoute-t-il d’un ton sec. Ce typeest un salaud de première. Ça fait desannées, avant de savoir que je pouvaisavoir un quelconque lien avec lui, quej’en entends parler, et pas en bien. Iltraîne pas mal de casseroles, croyez-moi. Et c’est lui qui est derrière toutesles manigances pour écarter mon père…celui que je considère comme mon vraipère, précise-t-il. Il est prêt à tout pour

arriver à ses fins. Et ça marche,puisqu’il peut désormais être en touteimpunité candidat à la présidence desÉtats-Unis.

Ma mère reste un instant silencieuse.

– Je suis désolée pour vous, Caleb,dit-elle enfin d’une voix douce. Ça nedoit pas être facile d’apprendre que sonpère biologique est un sale type. Commeça n’a pas dû être facile d’apprendreque celui qui vous avait élevé n’avaitpas de liens de sang avec vous. Mais aumoins, vous pouvez vous réjouir d’avoirgrandi auprès d’un homme bon, et trèsaimant, si j’en crois ce que m’en ditGrace. Un homme exceptionnel, avec de

merveilleuses qualités humaines d’aprèsce que j’en juge par moi-même.

Elle se penche vers lui et lui prend lamain.

– C’est une bénédiction que ce Lewisait abandonné votre mère, pour ellecomme pour vous, dit-elle avec un bonsourire. C’est ce que vous devez retenirde cette histoire. Ne gaspillez pas votreénergie à regretter le passé, ni à détestercet homme qui n’a aucune place dansvotre vie.

Caleb regarde ma mère, et je voisl’expression de son visage s’adoucir.

– Vous avez raison Michelle. J’ai eubeaucoup de chance. Je n’ai pas detemps à perdre avec ce type.

Il se penche et pose un baiser sur lajoue de ma mère.

J’en ai les larmes aux yeux.

– Merci Michelle, pour vos paroles.Je suis enchanté que vous passiez un peude temps auprès de nous, pour que nousapprenions à nous connaître. Et mercid’avoir mis au monde cette charmantecréature, dit-il en me montrant du doigt.Je ne sais pas comment j’aurais putraverser tout ça sans elle.

Émue, je me lève pour l’embrasser, etil me serre contre lui, sous le regardcomplice de ma mère.

– Ne laissons pas ce coup de filgâcher notre soirée, dit Caleb. J’ai lachance de passer la soirée avec deuxfemmes magnifiques, je ne vois pas dequoi je me plains. À vous ! dit-il enlevant son verre de champagne.

– À votre amour ! dit ma mère enlevant le sien vers nous, un sourire raviaux lèvres. Qu’il dure toujours !

Ma mère a beau savoir que, si nossentiments, à Caleb et à moi, sont réels,notre mariage est un arrangementprovisoire, elle fait toujours comme si

ce n’était pas le cas. Un peu gênée parson toast, je jette un regard furtif àCaleb. Mais il ne semble pas du toutembarrassé par le vœu de ma mère, et ilm’adresse un sourire radieux avant deporter son verre à ses lèvres.

48. La preuve parl'image

– Tu viens avec moi cet après-midiau centre ? Je te présenterai Susie.

Caleb est déjà parti travailler ; mamère et moi prenons notre petit déjeuner.Elle a tout préparé elle-même, y comprisla salade de fruits et les pancakes, aprèsavoir fait sa séance de yoga sur le toit àl’aube. Ça lui donne une énergie le matinque je suis loin d’avoir tous les jours.

– Volontiers, me lance-t-elle, ravie.Depuis le temps que tu m’en parles !

– J’ai un rendez-vous ce matin avecl’assistante d’Alicia. Au fait, elle n’estpas à New York aujourd’hui, mais ellepropose que nous déjeunions avec elledemain.

– Avec plaisir. Des années que je nel’ai pas vue, s’exclame Maman.

Alicia van Zant est la rédactrice enchef de K27, celle qui m’a confié lasérie de portraits. C’est aussi elle qui a« découvert » Maman et a lancé sacarrière de mannequin, il y a presquetrente ans.

– Je vais confirmer alors. Tu veux

qu’on se retrouve pour déjeuneraujourd’hui après mon rendez-vous ?

– J’ai déjà un déjeuner de prévu machérie, me répond ma mère à voix basse.

Je la regarde, surprise. Elle a l’airembarrassée, et je suis encore plusintriguée.

– Avec qui ? Un ancien amoureuxretrouvé sur Facebook ? dis-je pourplaisanter.

– Mais non, dit-elle, manifestementpas décidée à préciser.

Bon, elle n’a pas envie de me direavec qui elle déjeune ; n’insistons pas.

Je remets du sirop d’érable sur monpancake en essayant de faire comme siça m’indifférait, mais la curiosité estplus forte que ma résolution.

– Maman, avec qui tu as rendez-vous ? Tu peux me le dire quand même !

Elle repose sa tasse de thé et meregarde dans les yeux.

– Avec David.

David. Le neveu de John. Celui queje croyais être mon ami et qui nous atrahis, Caleb et moi.

– Il est à New York ? dis-je d’un ton

sec.– Oui, juste pour la journée.

Ma mère sait que je suis en froidavec David, il a bien fallu que je le luidise, mais je ne suis pas entrée dans lesdétails.

– Et tu ne le vois pas assez à LosAngeles ? Il faut que tu le voies ici ?

Maman a perçu ma colère. Elle mefixe un instant.

– À vrai dire… J’ai organisé cedéjeuner pour que vous vous voyiez,tous les deux.

Elle doit penser qu’on s’est fâchéspour des broutilles. Si elle savait…

Quelque chose me retient de lui diretoute la vérité. J’aime encore assezDavid pour ne pas vouloir ternir sonimage auprès de ma mère, qui a tantd’affection pour lui.

– Maman… David a fait quelquechose de vraiment moche. Je lui en veuxénormément, et Caleb plus encore. Jet’assure, c’est grave.

– Je sais. Il m’a raconté, dit ma mèreposément.

– Il t’a dit quoi ? dis-je, méfiante.– Il m’a raconté son addiction au jeu,

ses dettes, le chantage. Comment il a

trahi votre confiance, mais aussicombien il en souffre aujourd’hui. Il m’adit que ni toi ni Caleb ne prenait sesappels, ou répondait à ses messages.

Je baisse la tête, affligée.

– J’aimerais lui pardonner, dis-je,mais je lui en veux encore tellement !Cent fois il aurait pu me dire ce qui sepassait. Il n’a rien dit.

– Il était pris à la gorge, Grace !Cette addiction, c’est vraiment unemaladie. Il se fait soigner, tu sais ?

– Il n’avait qu’à pas commencer àjouer, s’il n’est pas capable de secontrôler ! dis-je, en colère. John est aucourant ?

– Non. David a trop honte, il a peurde perdre son estime. Ses parents n’ensavent rien non plus. Il ne s’est confiéqu’à moi.

Ma chère maman, toujours là pouraider les âmes à la dérive.

– David se rend compte de l’étenduede ses erreurs, et des conséquences,continue-t-elle. Il comprend parfaitementque vous ne lui parliez plus, à vrai dire.C’est moi qui lui ai dit que j’allais teconvaincre.

Elle repose sa serviette sur la tabled’un geste nerveux.

– Je me suis un peu avancée, reprend-elle, je m’en rends compte en t’écoutant.Mais tu étais tellement proche de lui, jete croyais capable de lui pardonner.

– J’aimerais l’être.– Tu peux l’être, me dit-elle

fermement. Tu n’as qu’à le décider.

Je reste muette, butée, regardant matasse de café qui refroidit.

– Écoute au moins ce qu’il a à te dire,me dit ma mère d’une voix suppliante.

Je relève la tête et la regarde : elleest tellement douce, bienveillante. Ellene connaît pas la rancœur, que lepardon. Mais moi…

– Je ne sais pas si je peux, dis-jeenfin. Dis-moi où vous déjeunez. Nem’attendez pas. Si tu ne me vois pas, tupeux me rejoindre à partir de 15 heuresau centre.

***

– Bonjour David.

Je me tiens derrière le fauteuil de mamère. David et elle ont déjeuné dans unpetit restaurant japonais de l’Upper EastSide. Les assiettes ont déjà étédébarrassées, il ne reste plus que deuxtasses de thé sur la table. Et le restaurantest quasiment désert, les gens sontretournés travailler.

J’y ai réfléchi toute la matinée, mêmependant mon rendez-vous au magazine,mais il m’a fallu du temps avantd’accepter de revoir David. J’ai fini parcéder seulement pour faire plaisir à mamère ; je sais que c’est important pourelle. Ça lui fait de la peine de nous voirfâchés alors qu’on était si liés. Elle atoujours eu beaucoup de tendresse pourDavid. Comme moi. Mais ça, c’étaitavant.

– Bonjour Grace, me répond Davidun peu timidement.

Ses yeux bleus délavés medévisagent, pleins d’espoir et dereconnaissance. Sa tignasse blonde est

plus décoiffée que jamais, il porte un deses éternels tee-shirts défraîchis.

Maman se retourne, me voit, et sansrien dire, se lève de sa chaise. Elle mefait signe de m’asseoir sur la troisièmechaise autour de la table, qui est restéevide jusque-là, et s’en va, non sans avoirdéposé un baiser encourageant etreconnaissant sur ma joue. J’entends letintement de ses bracelets de gitanetandis qu’elle s’éloigne.

– Tu voulais me parler ? dis-je d’unton que je n’arrive pas à rendre amical.

– Grace. Je voulais te dire que tu memanques. Ton amitié me manque.

– Tu aurais dû y penser avant de la

trahir.– Je sais, dit-il en me regardant d’un

air malheureux qui me serre le cœur.Mais je n’étais pas en état de le faire, etje me suis retrouvé dans une spiraleinfernale. Je ne voyais pas d’issue. Maisdès que j’en ai eu la force, je vous aitout dit, à Caleb et à toi.

Je reste sans rien dire. C’est plusfacile de lui en vouloir à distance.Quand je le vois là, devant moi, avecson air de chien battu, je sens toute marancœur se fissurer.

– Grace, je t’aime comme une sœur,et Caleb est un ami cher. Je n’ai jamaisvoulu vous faire du mal, je vous adore

tous les deux. Mon vrai crime, c’estd’avoir mal jugé la situation. Laisse-moiune chance. Laisse-moi regagner taconfiance. Votre confiance.

– Je ne peux pas parler au nom deCaleb. Tu l’as blessé, tu sais.

David baisse la tête, honteux.

– Je me rattraperai. Je continued’enquêter sur le scandale autour de sonpère. Je suis à deux doigts d’obtenir despreuves de la machination.

– C’est un peu tard…– Pour l’investiture ; mais pas pour

laver son honneur. C’est important.– Je ne sais pas si cela suffira à

Caleb pour te pardonner tes mensonges.

Non seulement tu lui as menti, mais tesagissements ont fait du mal à son père,qu’il aime plus que tout.

– Ce n’est pas moi qui l’ai piégé ! Jen’y suis pour rien dans ce scandale.

– Mais tu ne l’as pas averti non plusdu danger. Si tu avais dit tout ce qui setramait du côté de Lewis, il se seraitméfié davantage. Et cette interview deCaleb que tu as faite ! Comment as-tu pule regarder en face, lui poser tesquestions, en sachant qui était à l’originede ce déballage ?

– Je sais, dit-il en se prenant la têteentre les mains. Je croyais sincèrementpouvoir sauver ma peau et l’aider enmême temps. Je regrette tellement. Je

sais que j’ai perdu l’amitié de Caleb.

Il se redresse brusquement.

– Mais toi Grace, tu me pardonnes ?me demande-t-il en prenant ma mainpar-dessus la table.

Je suis émue plus que je ne pensaisl’être. Il a l’air si malheureux, sisincèrement désolé de ce qu’il a fait.Puis-je mettre à la poubelle tous nossouvenirs joyeux, tendres, toutes cesannées où il a été là pour moi, parcequ’il a commis une erreur de jugement ?

– Je vais essayer, dis-je d’une voixadoucie, je ne te promets rien. Il me

faudra peut-être du temps, mais j’espèreque tout redeviendra comme avant entrenous.

Lentement, je retire ma main d’entreses doigts. Il n’essaie pas de me retenir,me dévisageant sans rien dire. Je melève de table et vais rejoindre ma mèrequi boit un café au comptoir. Elle medévisage sans rien dire. Je sais qu’elleespérait que David se tienne à mes côtésdevant elle, je vois à son air déçuqu’elle a compris que le mal n’était pasréparé. Ou pas complètement. J’ai dumal à retenir les larmes qui perlent àmes yeux.

– Je t’attends dans la rue, j’appelle

un taxi, lui dis-je, avant de la laisserdire au revoir à David.

***

– Ça a commencé ? dis-je, toutessoufflée.

– Non, votre sœur vient à peined’arriver, me dit avec un grand sourireMargaret, la pulpeuse et sympathiqueassistante de Caleb, avant dem’introduire dans son bureau.

J’ai emmené ma mère à Harlem pourlui présenter Susie et voir le centre.Maman et ma vieille amie ont biensympathisé, et beaucoup discuté, Susie amême tenu à nous emmener chez elle

après mon cours pour prendre le thé, etnous avons pris un peu de retard. Calebm’a appelée en début d’après-midi pourme dire qu’il organisait une réunion ausujet de Nikki à 18 heures, à la firme. Ilnous y a conviées mais a refusé de m’endire plus. Au ton de sa voix, j’ai crucomprendre qu’il avait de bonnesnouvelles. J’espère ne pas me tromper !

– Ah ! On n’attendait plus que vous !s’exclame Nikki tandis que nouspénétrons dans la pièce où se trouventdéjà Caleb, Stacy, Robert et un jeunegarçon de 12 ou 13 ans que je ne connaispas.

John, mon beau-père, est là

également.

– J’ai profité du jet de ton beau-fils,dit-il en embrassant ma mère, surprisecar elle ne l’attendait pas avant demain.

Ça non plus, Caleb ne m’en a pasparlé. John a donc voyagé avec Robert,qui était reparti en mission à LosAngeles pour enquêter sur le paparazziqui accuse Nikki. Pour qu’il soit ici,c’est qu’il est survenu un événementdécisif dans le dossier.

Nous nous installons rapidement surle canapé et les fauteuils du luxueuxbureau de Caleb dont la baie vitréedomine Madison Avenue. J’essaie de

deviner qui est ce jeune garçon assisprès de Robert, mais j’ai beau mecreuser la tête, je n’en ai pas la moindreidée. La seule chose que je sais, c’estqu’il doit être un fan de Nikki, car il laregarde bouche bée, des étoiles dans lesyeux. Le remarquant, Nikki lui souritgentiment, ce qui le fait rougir aussitôt.

– Alors, dit Caleb, vous vous endoutez, il y a du nouveau. Mais avant,petit rappel des faits. Nikki a été arrêtée,ivre, alors qu’elle venait d’emboutir unevoiture à l’arrêt, heureusement auralenti. Elle est donc logiquementinculpée pour conduite en état d’ivresse.Et c’est une récidive.

Nikki baisse la tête, un peu confuse,sous le regard désapprobateur de sonpère.

– Pour cela, pas grand-chose à faireen attendant sa comparution devant unjuge, qui ne saurait tarder. Tout oupresque repose sur Nikki, dit-il en laregardant. Jusqu’ici, tu n’as pas manquétes rendez-vous aux AlcooliquesAnonymes, et tu n’as pas fait descandale. D’après l’équipe chargée desuivre ton image auprès du public, turemontes la pente. Espérons que çacontinue, Stacy et moi pourrons mieux tedéfendre.

Je jette un œil à Stacy, qui se tient

sans rien dire les bras croisés sur lecanapé, près de Caleb. Son visage estimpénétrable.

– Ce qui nous intéresse aujourd’hui,poursuit Caleb, c’est l’accusation detentative d’homicide. Ce paparazzi,Richie Soprano, dit que Nikki a essayéde l’écraser. Elle l’avait auparavant, àau moins deux reprises, menacé de mortdevant témoins.

– Mais c’était pas sérieux ! éclateNikki. J’ai dit ça comme ça. Je ledéteste, ce cafard, il me harcèle depuisdes années, mais de là à essayer de letuer, faut pas exagérer non plus !

– Un ami de ce Soprano était avec luiau moment des faits, continue Caleb,

impassible, et il prétend aussi qu’elles’est arrêtée pour insulter Soprano,avant d’essayer de l’écraser et de s’enaller.

– Mais c’est totalement faux ! Messouvenirs de cette journée sont confus,mais ça, je m’en souviendrais quandmême ! tempête Nikki.

Caleb la regarde, attendant qu’elle secalme, ce qu’elle fait non sans forcegrimaces et soupirs d’exaspération.Malgré la solennité du moment, je nepeux m’empêcher de me sentir troublée.Même dans sa peau d’avocat, Caleb estsuper sexy. Il est tellement sûr de lui,précis, impassible… Il pourrait diren’importe quoi avec sa belle voix grave,

il est toujours convaincant. Et en plus, ilest vraiment canon dans son costumemarine un peu ajusté, qui fait ressortir lebleu de ses yeux. Si on était seuls dansce bureau…

Je dois vraiment le fixer avec undrôle d’air si j’en crois le regard de mamère que je croise à cet instant et qui meramène à la réalité. Je détourne les yeuxen rougissant.

C’est pas le moment de fantasmer !

– Vous avez tous vu je suppose desphotos de Nikki prises par la soi-disantvictime en train de hurler face àl’objectif à l’endroit où cette « tentative

d’homicide » aurait eu lieu, continueCaleb. C’est ce qu’il met en avant, avecle témoignage de son ami, pour étayer saplainte. Je précise qu’aucune caméra desurveillance ne couvre cette zone nonhabitée.

– Comme par hasard…, ironiseNikki. Il a vraiment de la chance, cemec.

– Eh bien, pas tant que ça, lanceCaleb avec un petit sourire. Robert, je tepasse le relais.

– Je vous présente Matteo, nous ditRobert en se levant, la main sur l’épaulede l’adolescent qui nous regarde un peuintimidé. Matteo arrive de Los Angeles,c’est son premier voyage à New York.

Ses parents nous l’ont confié un instant,ils l’attendent dans une autre pièce.

Tous les regards se tournent vers lejeune garçon, qui baisse la tête, gênéd’être le centre de l’attention.

– Matteo est un fan de skate. N’est-cepas Matteo ? continue Robert.

Le gamin opine du chef.

– Matteo va s’entraîner sur un terrainvague près de chez lui, expliquel’enquêteur. Il a l’habitude de se filmerquand il s’entraîne sur des figures,histoire de s’améliorer. Ces dernièressemaines, il n’a pas pu pratiquer. Juste

après une séance, il a été hospitalisé ;une appendicite. La tuile. Il n’a reprisl’entraînement que récemment. Mais sivous voulez bien, je vais vous montrerde quoi Matteo est capable. Vous allezvoir, il est très doué.

C’est une blague ? On est venuspour regarder des vidéos du gamin quifait du skate ?

Je jette un œil étonné à Caleb, qui meregarde avec un petit sourire en coin.

Robert a installé un grand écran.Bientôt, on voit Matteo s’entraîner danssa cour sur sa planche.

– Tu assures grave, Matt ! lanceNikki, enthousiaste, au gamin qui rougitjusqu’aux oreilles.

Je croise le regard de ma mère, aussiperplexe que moi.

– Aussi doué que soit Matteo, ditRobert, ce qui nous intéresse se passe àl’arrière-plan. C’est assez loin, mais lavue est dégagée. Ce n’est pas évidentcomme ça, alors j’ai fait traiter l’imagepour que ce soit plus distinct. John nousa donné les moyens techniquesnécessaires et une équipe de virtuoses.Voilà ce qu’ils ont pu isoler, au ralenti.

On voit alors à l’image passer la

Cadillac argent très reconnaissable deNikki, avec sa propriétaire au volant.Elle zigzague quelque peu. Juste derrièresuit une Ford blanche. Un homme estassis sur le siège passager, un grosappareil photo à la main. L’image estfloue, mais je reconnais le paparazzi quia fait le tour des plateaux de télé pouraccuser ma demi-sœur. Au volant setient une autre personne. Soudain, laCadillac s’arrête, et son poursuivant faitde même. Nikki en descend et se metvisiblement à hurler contre sonpoursuivant. Elle ne semble pas bientenir sur ses jambes. Le paparazzidescend de la voiture et fait des gestesvers elle.

Tous les regards se tournent versNikki, qui blêmit.

– La honte…, murmure-t-elle, unegrimace de dégoût sur le visage en seregardant à l’écran.

Je me tourne de nouveau vers l’écran.Nikki continue visiblement d’invectiverle paparazzi, puis lui fait un brasd’honneur, avant de remonter dans savoiture et de démarrer.

– Eh… Mais elle s’en va ! EtSoprano est toujours debout, s’écrieMaman en pointant le moniteur du doigt.

– Exactement, dit Caleb, sourire auxlèvres.

On voit alors le paparazzi seretourner vers sa voiture dans laprécipitation mais en même temps sonami démarre et le renverse.

– C’est lui ! hurle Nikki qui s’estlevée de son siège, tout excitée. C’est luiqui l’a renversé !

Robert arrête l’image, un souriresatisfait.

– Effectivement, déclare-t-il. Ils ontdû ensuite réaliser qu’il n’y avait pas detémoin, que la zone n’était pas soussurveillance vidéo… Le genre d’infosque tous les paparazzis de Los Angelesconnaissent bien. Le temps qu’arrivent

les secours, ils ont dû mettre leur planau point. Je pense que leur but était defaire chanter Nikki, de lui soutirer del’argent contre un retrait de la plainte, ouce genre d’arrangement.

– Mais ce sont eux qui vont payer, etcher, lâche Caleb.

John se lève et étreint longuement safille. Tout le monde se lève à sa suite.Nikki quitte les bras de son père pouraller embrasser le jeune Matt, tout ému,puis Robert. Moi, je me serre contreCaleb. Je suis tellement soulagée, etreconnaissante. Maman vient leremercier.

– C’est Robert qui a tout fait ! lui dit

Caleb, modeste.

Je n’en suis pas moins fière de lui.C’est vrai que Robert a fait un travaild’enquête remarquable, mais la défensede Nikki est un travail d’équipeorchestré par Caleb, qui a mis tous lesmoyens de son cabinet pour réussir.C’est lui qui a décidé de renvoyerRobert à L.A. malgré des débutsd’enquête infructueux, et ce malgré lesréticences de Stacy.

– Mais comment tu as fait pourretrouver ces images ? demandé-je àRobert.

– Je suis reparti traîner il y a deuxjours pour la énième fois sur les lieux de

l’accident quand j’ai repéré Matt, dit-il.Je ne l’avais jamais vu ici avant. Je suisallé le trouver, j’ai remarqué qu’il avaitplacé une caméra pour se filmer. Endiscutant avec lui, j’ai réalisé que ladernière fois qu’il était venu ici, avantd’être opéré d’urgence, c’était le jourqui m’intéressait. Je lui ai demandé deme montrer ses vidéos, qu’il n’avait pasvisionnées depuis. J’ai ensuite demandél’aide de John pour travailler l’image.Et voilà.

– C’est le meilleur, dit Caleb enmontrant Robert, qui baisse la tête, à lafois ému et gêné par le compliment.

Stacy ne dit rien, mais je vois que sesyeux brillent de fierté.

– J’appelle Théo. Il a pas pu venir, ilavait un shooting, mais il doit être surdes charbons ardents. Il va être tropcontent ! jubile Nikki qui saute commeun cabri dans toute la pièce.

– Ne te réjouis pas trop vite, Nikki,la rappelle à l’ordre Caleb. Tu n’es pascomplètement sortie d’affaire. Certes, ona la preuve que l’accusation de tentatived’homicide ne tient pas, mais tu as unprocès à venir, et tu risques de faire unséjour derrière les barreaux quandmême.

– Je ne m’inquiète pas, lance Nikki,désinvolte, mes avocats sont lesmeilleurs.

Elle avise soudain Stacy qui se tient

près d’elle et sans préavis, elle l’attrapeet lui claque une bise. L’associée deCaleb est visiblement embarrassée parcette soudaine familiarité, mais je voisun sourire apparaître furtivement sur seslèvres.

Je croise son regard ; je sais que nouspensons à la même chose : laproposition de Petrossian, et son avenirau sein du cabinet. Nous n’en avons pasreparlé depuis notre discussion un peuvive, et je ne sais pas si elle a fait sonchoix. J’espère de tout mon cœur quecette avancée dans le dossier Nikki ferapencher la balance en faveur de sonmaintien dans la firme. Si elle la quitte,ce serait dommage pour le cabinet, pour

Caleb, mais aussi pour elle, de ça, j’ensuis persuadée. Robert, Caleb et elleforment une formidable équipe. Ilspartagent une éthique, dont l’existenceme paraît peu probable chez Petrossian.Et elle jouit ici d’une liberté qui lui feradéfaut si elle intègre cet énorme cabinet.Sans compter qu’elle perdra sans doutel’amitié de Caleb, et peut-être mêmel’amour de Robert.

Mon beau-père, que je n’ai jamais vuaussi heureux, me tire de mes pensées enprenant la parole.

– Chers amis, dit-il en se tournantvers Caleb, Robert puis Stacy qui s’estrapprochée d’eux, je veux vous

remercier de ce que vous avez fait pourma petite fille. Vous avez fait un travailremarquable, et je bénis ma belle-fillechérie, Grace, de m’avoir fait vousrencontrer.

Il me fait un clin d’œil, auquel jeréponds par un grand sourire. Maman setient à ses côtés, radieuse. Je sais que çalui fait plaisir de nous voir complices,mon beau-père et moi, car ça n’a pastoujours été le cas. Il a toujours étéadorable avec moi, mais peu présent. Etmoi, je l’aimais bien mais j’étais assezréservée avec lui, peut-être parce que jevoulais, inconsciemment, lui montrerqu’il ne pouvait pas prendre la place demon père. Ce dont il n’avait pourtant

absolument pas l’intention.

– Nikki, Caleb l’a dit, tu n’es pasencore à l’abri. Je compte sur toi pour tetenir à carreau jusqu’au procès… etmême après. Et si ce n’est pas le cas, jete promets une fessée monumentale. Jepeux te dire que j’ai bien regretté cesdernières semaines de ne pas t’en avoirdonné avant ! dit-il en fourrageant danssa barbe.

Tout le monde éclate de rire, mêmeNikki.

– Quant à toi, Matt, tu as portesouvertes au studio, tu passes quand tuveux, jeune homme, dit-il au gamin qui a

un sourire jusqu’aux oreilles. Et je suissûr que Nikki se fera un plaisir d’être tacavalière à la prochaine première quenous organiserons. Je t’offre le smoking.

– Je serai ravie de t’accompagner,déclare Nikki en passant un bras autourde Matteo, qui devient écarlate. Jemettrai ma plus belle robe.

Pourvu qu’elle soit décente…

– En attendant, je vous invite tous cesoir pour faire la fête, dit John.

Son invitation est saluée par desapplaudissements.

John se tape soudain le front, et se

tourne vers Stacy, Caleb et Robert :

– Dites-moi, cette magnifique défenseque vous nous faites, cette enquête… Çaferait un bon film, ça. Ça vous dirait decollaborer au scénario ?

Les trois le regardent, perplexe, nesachant s’il plaisante ou pas. Moi-même,j’ai un doute.

– Mais ça suffit oui, dit Maman, mi-fâchée, mi-hilare. Excusez-le, il estvraiment incorrigible.

– Mais chérie, tu sais que jeplaisante, dit John en souriant. Je n’iraispas faire de l’argent sur les malheurs dema fille. Même pour gagner un oscar.

– Moi ça ne me gêne pas du tout. Àcondition que tu m’offres le premierrôle, lance Nikki, provoquant un éclat derire général.

49. Bons baisers deYellowstone

– Et voilà, nous sommes tout seuls !

Maman, John et Nikki sont repartispour Los Angeles. Hier soir, nous avonslargement célébré la découverte deRobert qui blanchit Nikki. John aorganisé de manière impromptue unsomptueux dîner dans le cabinet privéd’un grand restaurant (discrétion oblige)avec Robert bien sûr, Stacy, le jeuneMatteo et ses parents, visiblement ravis

de leur premier séjour à New York. J’aiappris qu’ils étaient logés au mythiqueWaldorf Astoria, aux frais de John,même si Nikki a largement de quoi payerles dépenses inhérentes à sa défense.Son père est tellement soulagé qu’il estprêt à toutes les extravagances. Il a aussiloué les services d’un chauffeur pendantle séjour new-yorkais de la famille dugarçon. Il a également invité Matt à luirendre visite sur un tournage ; le gaminétait aux anges ! Mais je crois quecôtoyer Nikki suffisait déjà à sonbonheur. Pendant le repas, il était assis àcôté d’elle, et il a affiché un air béatjusqu’au dessert. Même la présence deThéo n’a pas terni son bonheur. Mon ami

était là aussi, et je n’ai pu que constaterqu’ils avaient l’air plutôt amoureuxNikki et lui. Ça m’a réjouie. J’ai décidéde ne plus me faire de souci pour leurcouple, après tout, ils sont majeurs etvaccinés.

J’ai été très heureuse de passer dutemps avec eux tous, mais je ne suis pasmécontente de me retrouver ce soir entête à tête avec Caleb. D’autant que jepars à Marrakech pour le magazinemardi, et que nous allons être séparésquelques jours.

– Tu n’as rien prévu ce week-end ?me demande Caleb.

– À part faire l’amour, encore et

encore… Non, rien, dis-je mutine.

C’est vrai que c’est mon seul désir.J’ai besoin de faire des provisions desouvenirs de lui, de m’imprégner de sonodeur, de sentir sa peau contre moi avantd’en être privée.

– Ça tombe bien, dit Caleb avec unsourire en coin, j’ai des projets pournous.

Je lève un sourcil, intriguée.

– Ah bon ? Quoi ?– J’avais envie de passer un week-

end en amoureux avec toi, avant que tune m’abandonnes pour goûter aux

délices de l’Orient avec le « roi del’hôtellerie ».

L’homme dont je vais faire le portraità Marrakech est un jeune entrepreneuraméricano-marocain, propriétaire denombreux établissements de luxe.

– Tu es jaloux ? lancé-je pour letaquiner.

– Un peu, dit-il en faisant unegrimace.

J’éclate de rire et il en fait autant,avant de prendre mon visage entre sesmains et de le couvrir de baisers.

– Le temps va me paraître long sans

toi, me susurre-t-il. Mais je suis heureuxque tu t’éclates dans ce que tu fais, etque tu en profites pour découvrir lemonde.

– Tu vas me manquer aussi, dis-je encaressant son visage. Tu ne peux pasvenir ?

Il a sa joue contre ma main, frottantsa barbe naissante contre ma peau, touten ronronnant.

– Mmmm… J’aimerais tu sais, maisc’est compliqué en ce moment. Onessaie de négocier avec Dandridge pourtenter de le faire revenir sur sa demandede radiation, ce qui est difficile car ilrefuse de communiquer avec moi.

Heureusement, Robert est de retour et ilva pouvoir enquêter sur ce problème detaupe, s’il y en a une. Tout ça sanscompter qu’on a plusieurs grossesaffaires en cours. Mais je me suis libérétrois jours, et l’on part…

Il regarde sa montre :

– … tout de suite. Le pilote doit déjànous attendre. On voyage de nuit, commeça on aura bien tout notre samedi etnotre dimanche pour profiter del’endroit. Il faudra rentrer lundi après-midi, puisque tu décolles mardi pour tescontrées lointaines.

– Mais on va où ? dis-je surprise.– Au parc national de Yellowstone,

m’annonce Caleb, guettant ma réaction.– C’est vrai ? dis-je stupéfaite. Mais

c’est génial !– Je me suis dit qu’en plus de la

mienne, tu apprécierais sans doute lacompagnie des élans, bisons, ours, etpeut-être même des loups…

J’exulte.

– Je vais A-DO-RER ! Eh, mais jen’ai pas fait ma valise !

– Je te donne dix minutes, me ditCaleb d’un air taquin. Sinon, je file sanstoi.

Je l’entends rire dans mon dos tandisque je monte en courant jusqu’à la

chambre.

– N’oublie pas d’emporter le guideque je t’ai posé sur le lit ! me lance-t-il.

– Merci mon amour. Eh, tu sais queltemps il fait là-bas en ce moment ? crié-je par-dessus la rambarde.

– En juillet, il fait plutôt doux, maisn’oublie pas qu’on sera à plus de2 000 mètres d’altitude ; le matin et lesoir, il faut une petite laine. Mais net’inquiète pas, je serai là pour te tenirchaud au besoin…

– Je n’en doute pas…, dis-je en riant,avant de foncer vers la chambre.

J’ai le cœur qui bat à cent à l’heuretellement je suis excitée. Décidément,

ma vie avec Caleb est pleine desurprises. Un jour, on s’envole audébotté pour le Costa Rica, un autre ilorganise sans me prévenir un séjourdans une des plus jolies régions desÉtats-Unis… Avec lui, il n’y a pas deplace pour l’ennui, la routine… etj’adore ça !

***

Le jet de Caleb nous a conduitsjusqu’à l’aéroport de Cody, dans leWyoming, où une voiture est venue nouschercher pour nous emmener jusqu’ànotre hôtel. Avant d’y arriver, nousavons traversé des paysages d’une

beauté à couper le souffle, faits de forêtset de canyons impressionnants.

Nous sommes logés à l’Old FaithfulInn, un hôtel centenaire classé monumenthistorique. C’est un immense lodge enbois et pierre niché en pleine nature,entouré de montagnes.

– Comment tu as fait pour avoir unechambre ici à cette période ? demandé-je à Caleb. D’après ce que j’ai lu surInternet, il faut réserver un an àl’avance. Il paraît que c’est missionimpossible sinon.

– J’ai quelques petites relations, ditCaleb d’un air modeste.

Plus je le connais, plus je medemande ce qui est « missionimpossible » pour lui…

Je suis tout de suite séduite par labeauté rustique de l’établissement, avecses immenses rondins apparents, lesbalcons en troncs, et l’énorme foyer dela cheminée qui monte sur trois étages.

On nous conduit à une suite toutemignonne, aux murs lambrissés, avecdeux grands lits.

– Personnellement, je n’ai pas prévude dormir seul, me dit Caleb, avec un airplein de sous-entendus.

– Je n’en ai pas l’intention non plus,

dis-je en passant mes bras autour de soncou pour l’attirer à moi et lui donner unbaiser. Tu me gâtes trop Caleb, dis-je ensoupirant d’aise. Je vais deveniraffreusement capricieuse.

– Je t’aimerai quand même, me dit-ilavec son irrésistible sourire en coin.Mais si tu deviens intenable, je saurai tepunir, ajoute-t-il, en me mettant unepetite tape sur les fesses qui me faitglousser.

– Mmm…je sens que je vais faire leplein de caprices ce week-end, lancé-je,taquine.

Je regarde par la fenêtre, qui donnesur une nature époustouflante.

– Il y a tellement de choses à voir ici,je ne sais pas comment on va faire entrois jours. J’ai regardé dans le guideque tu m’as acheté : entre les geysers,les canyons, les sources chaudes, lafaune… J’ai tellement envie de voir untroupeau de bisons.

– Alors, par quoi tu veuxcommencer ? me dit Caleb, que monexcitation semble beaucoup amuser.Nous sommes dans la zone où l’ontrouve la plus grande concentration degeysers au monde, on peut aller y faireun tour. Et puis, ensuite peut-être, unepetite balade à cheval, pour sefamiliariser avec les lieux. Tu m’as ditque tu montais un peu…

Il n’a pas le temps de finir sa phraseque je lui saute dans les bras.

– Je t’aime, je t’aime, je t’aime, dis-je en couvrant son beau visage debaisers fiévreux.

Nous avons du mal à nous arracherl’un à l’autre, mais nous décidons departir quand même profiter de la beautédes lieux. Nous avons de la chance, nousn’attendons que quelques minutes pourvoir jaillir l’eau de l’Old Faithful, leplus puissant geyser de la région (ledeuxième au monde, selon le guide),d’une taille impressionnante. On vaensuite faire une longue balade par despasserelles parmi les autres geysers qui

apparaissent à l’improviste, nousarrosant au passage, et les bassins d’eauchaude aux couleurs étonnantes et d’oùs’échappent des fumerolles. C’est unspectacle surprenant, qui ne cesse dem’émerveiller. Mais je ne suis pas laseule à être séduite. À cette époque del’année, les touristes sont nombreux, etsi on peut le regretter, on ne peut guèreleur en vouloir.

– Viens, on va aller déjeuner, me ditCaleb, et puis on rejoindra le guide etles chevaux. Ça nous permettra de voirdes endroits plus sauvages, et moinsfréquentés. Tu es partante ?

– Je te suis, cow-boy !

***

On est rentrés à l’hôtel, non sans enavoir pris plein les yeux. Ce parcnational est une merveille, et on n’aencore rien vu.

– Alors, demain on prend la voiturepour aller voir les Tower Falls, dis-je,tout excitée, installée dans un fauteuil, lenez dans mon guide. Je crois qu’il fautabsolument voir ces chutes. Je ne veuxpas non plus rater les troupeaux debisons dans les vallées environnantes.Ce sera la première fois que j’en verraidans leur environnement naturel. Ah, etpuis le Grand Canyon de Yellowstoneaussi. Tu crois qu’on aura le temps

d’aller à Mammoth Hot Springs ? Ça al’air totalement fou cet endroit. Regardeles photos, on se croirait sur la Lune…Et il y a plein de wapitis il paraît.

Caleb éclate de rire.

– Je ne suis pas sûr que l’on puissetout faire en un jour et demi. Tu saisqu’il est immense ce parc ? Mais ne t’enfais pas, on reviendra. On peut aussiprofiter du week-end pour se détendre…

Je lève la tête de mon livre. Il estallongé sur l’un des lits moelleux, lesmains derrière la tête, et me regarded’un air lascif. Il est encore habillé maispieds nus, sa chemise ouverte sur son

torse glabre.

Je me lève de mon siège et balance leguide sur le sol.

– Tu as raison. La nature peutattendre. Il y a dans cette chambre unanimal urbain qui mérite toute monattention.

– Un animal urbain ? s’esclaffeCaleb.

– Oui, dis-je en m’approchantlentement du lit. Un loup du barreau auxdents longues, aux yeux bleus, et aucorps musclé terriblement sexy.

– Dangereux ? me demande-t-il enplissant les yeux.

– Mmmm… Il peut l’être, dis-je en

glissant ma main entre les pans de sachemise. Mais je l’ai apprivoisé.

Il me saisit soudainement par la tailleet me renverse sur le lit. Il roule sur moi,me fixant de ses yeux brillants deconvoitise.

– Que tu crois, susurre-t-il d’une voixrauque, avant de prendre ma boucheavec passion.

Je glousse tandis que Caleb memordille le corps à travers mesvêtements, comme une bête sauvage.Mais une bête sauvage gentille etamoureuse.

– Arrête, arrête, dis-je en riant, touten le tirant par les cheveux.

Mais il continue son manège, tirantsur mes vêtements avec les dents. Ilréussit à soulever mon tee-shirt et vientgrignoter mon soutien-gorge. Je l’attrapepar le cou, et le force à remonter jusqu’àmon visage.

– Tu es fou, dis-je, faisant semblantde le gronder, alors que son petit jeum’excite comme jamais.

– De toi, oui, c’est sûr, dit-il en meléchant le visage en faisant des bruits debête.

Sans pouvoir m’empêcher de rire,

j’arrive à m’extraire de son étreinte, lelaissant seul sur le lit, pantelant.

Il prend un air déçu, mais il changevite d’expression quand j’entreprendsd’ôter mes vêtements.

– Après tous ces crapahutages, j’aibesoin d’une bonne douche. Tu viens ?dis-je d’une voix aguicheuse.

J’enlève ma petite culotte sans lequitter des yeux, puis je lui tourne le doset m’éloigne vers la salle de bains, luioffrant le spectacle de mes fesses nues.

L’eau commence à peine à couler surma peau que je l’entends entrer dans la

pièce. Je me retourne et le regarde ensouriant faire voler ses vêtements. Sonsexe est en érection.

Caleb vient se glisser derrière moidans la cabine de douche. Il me prendpar la taille et je me retourne pouréchanger un baiser. Nos langues semêlent, mon souffle se fait court, je sensmon sexe palpiter. Pendant que sabouche prend possession de la mienne,ses mains se posent sur ma poitrine. Seslèvres descendent le long de ma nuque.Sur mes épaules. Je sens son membrechaud qui effleure mes fesses. Alors queje pense qu’il va me pénétrer, et que j’ensavoure l’idée à l’avance, il se recule.

Il prend du savon liquide et m’enenduit soigneusement le corps.

Ah, Monsieur veut plus depréliminaires ? Parfait…

Je me laisse faire docilement, tandisqu’il frotte doucement mon dos, mesfesses, avant de se baisser pourfrictionner mes jambes.

Je me retourne face à lui pour luioffrir l’avant de mon corps. Il commencecette fois par le bas, massant mesmollets, remontant vers mes cuisses. Ilrajoute du gel douche aux délicieuxeffluves dans sa main, et tout en mefixant de ses yeux brillants de

convoitise, il glisse ses doigts entre mesjambes, me prodiguant des caresseslangoureuses qui me font vaciller surmes jambes. Je me retiens à ses brasmusclés, et j’entrouvre les lèvres dansl’attente d’un baiser qui ne tarde guère.L’eau chaude continue de couler sur noscorps dénudés, tendus de désir.

La main de Caleb sur mon sexe se faitplus insistante. Il me pénètre de l’index,et commence un va-et-vient qui me faitronronner de plaisir. J’entends meshalètements que peine de plus en plus àcouvrir le bruit de la douche. Je me sensvraiment prête à jouir sous ses doigtsexperts mais alors que s’approche leparoxysme, Caleb retire sa main.

– Nooon. Encore, ne puis-jem’empêcher de réclamer.

Il me sourit d’un air provocant, avantde me retourner d’un geste autoritaire.Ses lèvres brûlantes se posent sur mapeau mouillée, descendent le long demon échine. Je me penche un peu, mecambre tout en prenant appui de mesmains contre la paroi carrelée. Je sensson membre raide caresser mes fessesavant de s’introduire dans mon sexe.Une bouffée de chaleur remonte jusqu’àmon cerveau, j’ai l’impression que moncorps est en feu.

Caleb a saisi mes seins entre sesmains, il est cramponné à moi et je sens

sa verge fouiller mon ventre irradiant debonheur. Je recommence à gémir, plusfort, rejetant mon visage en arrière,exposé au jet de la douche qui tombe enpluie tropicale.

Les mouvements de Caleb se fontplus puissants, plus rapides. Je me sensperdre le contrôle, je ne peux rien contrecette vague de plaisir qui menace dedéferler.

– Oui, ouiiii, m’entends-je hurler par-dessus le fracas de l’eau, tandis que lavague me submerge.

Au moment où je sombre, je sens lecorps de Caleb s’arc-bouter dans un

dernier sursaut de jouissance.

***

– C’est vrai, il fait frais ici la nuit. Ilfaisait tellement beau aujourd’hui, dis-jeen resserrant les pans de mon peignoiren éponge contre moi.

– Les joies de l’altitude, souritCaleb. Tu veux que je mette lechauffage ?

– Je suis sûre que tu peux trouverd’autres moyens de me réchauffer, dis-jeen m’approchant de lui, qui est allongénu sur l’un des lits.

Après nos ébats « aquatiques », noussommes descendus dîner au restaurant

tout en rondins de l’hôtel, dans lequeltrône une majestueuse cheminée depierre, avant de remonter retrouverl’intimité de la chambre. J’ail’impression de faire un voyage dans letemps : dans cet établissement, il n’y ani télévision, ni radio, ni même Internet.L’hôtel est très fréquenté, mais à l’abridans notre suite, c’est un peu comme sinous étions un peu coupés du monde.

– Tu es insatiable, mon amour, melance Caleb, amusé. Tu n’es pas épuiséepar la journée ?

– Toi oui ? demandé-je, étonnée.– Je suis un peu endolori, j’avoue. Je

n’ai pas eu le temps de faire beaucoupde sport depuis que j’ai lancé le cabinet.

Mon corps n’est plus habitué.– Tu veux que je te fasse un

massage ?

Il me regarde, et je vois que l’idéel’enchante.

– Je ne suis pas contre…, murmure-t-il.

– Mets-toi sur le ventre, dis-je d’unton autoritaire. Je reviens.

Il se retourne docilement sur le lit, etje vais dans la salle de bains pourrécupérer l’huile de massage que j’aiachetée récemment, en vue d’une séancecoquine. Je ne pensais pas m’en servirpour la première fois à Yellowstone,

mais l’occasion est trop belle.

De retour dans la chambre, je meplace en bout de matelas. J’admire lecorps musclé de Caleb, ses fessesparfaites, son dos bien dessiné et je sensmon désir se réveiller aussitôt.

M’arrachant à ma contemplation, jemets un peu d’huile délicatementparfumée dans ma main et je commenceà masser les jambes fines et dures deCaleb. Il a les yeux fermés, un petitsourire de contentement aux lèvres.J’enduis ses pieds, m’occupe de sesorteils un à un, et je vois son sourirebéat s’élargir. Je m’attaque à sesmollets, remonte lentement jusqu’à ses

cuisses. Je sens sous mes doigts lafinesse de sa musculature. Jem’interromps pour grimper sur lematelas, et m’assieds sur le haut de sescuisses.

– Ça va là ? Tu n’as pas mal ?demandé-je à mon « patient ».

– Ça va très bien, tu ne pèses rien,dit-il, manifestement très détendu.

Je laisse couler un peu d’huile sur sesfesses, qui se contractent à ce contact. Jecommence à les malaxer, appréciant desentir sous mes doigts leur fermeté, leurforme rebondie.

– J’adore ton cul, dis-je.

– Ravi de l’apprendre, me lanceCaleb en ouvrant un œil. Il a biensouffert aujourd’hui. Ça faisait troplongtemps que je n’étais pas monté àcheval.

– Attends, je vais arranger ça, dis-jeen me penchant pour embrasser sacroupe, tandis que Caleb ronronne deplaisir.

Plus je le caresse, et plus j’ai enviede lui. Je me penche pour masser le hautde ses épaules larges, le reste de sondos. À chaque mouvement, mon pubisfrotte contre ses fesses, et cela augmentemon excitation. Mon sexe est touthumide, et je prends sur moi pourcontinuer mon ouvrage sans accélérer le

rythme. J’ai une terrible envie de fairel’amour à Caleb, de le sentir en moi.

– Monsieur apprécie le massage ?m’enquiers-je, comme si j’étais uneemployée du spa de l’hôtel.

– Jusqu’ici, c’est parfait, dit Calebd’une voix sourde. Je n’ai pas à meplaindre.

– Tournez-vous, s’il vous plaît, dis-jed’une voix fort aimable.

Je me soulève un peu pour le laisserfaire. Mon peignoir s’est dénoué et messeins ont jailli entre les pans. Jedescends du lit, non sans avoir remarquéque le sexe de Caleb est en érection. Enchangeant de position, il a à peine ouvert

les yeux, juste le temps de les poser surma poitrine dénudée.

J’enduis ses pieds d’huile, et lesmasse consciencieusement. Je pose mabouche sur sa jambe, et je la lèche, enremontant jusqu’à sa cuisse.

– Je ne sais pas si c’est trèsréglementaire, dit Caleb d’une voixdevenue rauque.

– On peut s’arranger, réponds-je,mutine. Ça restera entre nous. Vousvoulez un petit extra ?

– Ça dépend, de quoi s’agit-il ?demande Caleb, les yeux toujoursfermés.

J’empoigne sa verge turgescente et jeme baisse pour la lécher à son tour.Caleb gémit sous mes coups de langue.Il tend une main vers moi mais je larepousse.

– Il est interdit de toucher lesemployées, dis-je d’un ton que je veuxcinglant.

Il ouvre les yeux et me souritlascivement. Ses yeux sont fixés sur messeins qui se balancent au-dessus de sonsexe que je caresse des deux mains.

De voir son sexe si tendu de désir faitgrimper mon propre désir à sonparoxysme. Je n’y tiens plus ; je lâche

son pénis et je viens l’enfourcher. Je lesens s’enfoncer en moi avec satisfaction,des ondes de plaisir irradient moncorps. Mon peignoir glisse de mesépaules. Je n’ai plus froid du tout. Lasueur colle mes cheveux à mes joues,mon cou.

Je me mets à remuer des hanches,utilisant le membre de Caleb comme unsex toy fait pour mon unique plaisir. Jefouille en moi les moindres recoins, lesmoindres zones érogènes. Caleb melaisse faire sans rien dire, heureux de mevoir profiter de lui de cette manière. Iltente de mettre ses mains sur mes fesses,mais je le repousse d’un geste sec. Je mepenche vers lui pour offrir mes seins à

sa langue, mais je me retire au derniermoment avec un petit rire provocateur. Ilrugit alors, se redresse à demi et,toujours emboîté en moi, m’enlace, meserrant fort contre lui.

– Tu n’aurais pas dû réveiller la bête,me lance-t-il avec un sourire carnassier.

Je comprends que je ne suis plus lamaîtresse du jeu.

En un éclair, il a inversé la position.Je suis maintenant sous lui, et c’est luiqui imprime le rythme. Il me mord leslèvres, tout en me labourant de sa vergeimpérieuse. Mon excitation est encoremontée d’un cran. Je m’arc-boute sous

lui, projetant mon bassin à sa rencontre,je m’agrippe à ses fesses qui sesoulèvent et s’abaissent dans unecadence de plus en plus rapide. Noshalètements se mêlent, le plaisircommence à se répandre dans mon corpsenflammé.

– Je vais jouir, dis-je d’une voixétranglée.

– Attends-moi mon amour, j’arrive.

Je mobilise ce qui me reste devolonté pour retenir la jouissance quifrappe à ma porte. Je me mords leslèvres, les yeux ancrés dans ceux deCaleb, dont je connais la moindrenuance. Je vois son regard se troubler.

Je reconnais cette expression, celle quiprécède l’exultation.

Je saisis son visage et l’embrasseavec ardeur, fouillant sa bouche de malangue. J’abandonne enfin la lutte,laissant la jouissance m’envahirentièrement, tandis que je recueillel’ultime râle de plaisir sur les lèvres demon amant.

50. Piqûre de rappel

– Grace ! Comment allez-vous ?

Surprise, je relève la tête de monmagazine que je regardais d’un œildistrait pour voir qui m’interpelle. Jedécouvre alors Noah Grumberg, qui meregarde avec un sourire espiègle. Il estplus élégant que jamais, dans soncostume cintré gris clair à rayurestennis, un petit nœud papillon vert autourdu cou, ses cheveux soigneusementplaqués en arrière et un verre de ce quime semble être du whisky à la main.

Je suis installée dans le lounge barbusiness class de l’aéroport JFK. Jepars pour Marrakech, la tête encorepleine de souvenirs des merveilles deYellowstone, et des caresses de Caleb.Ça a été encore plus dur que prévu dem’arracher à ses bras lorsqu’il est partipour le bureau ce matin, en sachant queje ne le reverrais pas avant plusieursjours. Mais il a bien fallu, et me voilà denouveau en partance. Mon avion a duretard, et je patiente dans un épaisfauteuil en cuir, en sirotant un cocktailde fruits.

– Noah ! Je vais bien merci, dis-je enme levant pour lui serrer la main. Etvous ?

– Pas trop mal, au vu descirconstances…, dit-il avec une petitemoue.

– Oh… Oui, bien sûr, dis-je, gênée.

Je n’ai aucune idée de ce qu’il estdevenu depuis que le sénateurMontgomery a abandonné la course àl’investiture.

– J’ai décidé de m’accorder quelquesvacances, je pars pour São Paulo, oùj’ai des amis, reprend-il. Et vous ?

– Je vais faire un reportage photo àMarrakech. Vous voulez vous asseoir ?proposé-je en avisant un fauteuil libre àcôté de moi.

– Volontiers Grace, dit-il avant de

prendre place.

On se regarde un instant en souriant,mais sans trop savoir quoi se dire.

– Vous avez vu le sénateurrécemment ? demandé-je, histoire delancer la conversation.

– Laura et lui sont encore dans leVermont. J’y étais le week-end dernier.L’enquête pour le blanchir est en cours,mais ce n’est plus de mon ressortdésormais. Il va falloir maintenant queje pense à mon avenir.

– Vous allez faire quoi ?– À vrai dire, dit-il songeur, je ne

sais pas. Travailler auprès de Will surcette campagne a été une expérience

vraiment exaltante. C’était formidable !Certes, il me payait largement, mais,croyez-le ou pas, dit-il avec un souriremalicieux, ce n’était pas que pour ça queje l’ai suivi dans cette aventure. J’ai unefoi immense en cet homme, en sescapacités à gérer ce pays. Il aurait faitun grand président, soupire-t-il.

Il reste un instant sans parler, les yeuxdans le vague.

– Figurez-vous, reprend-il, queLewis m’a contacté. Il voulait quej’intègre son équipe en vue de laprésidentielle.

Je lui lance un regard interrogateur. Il

sourit et secoue la tête.

– J’ai décliné, bien sûr. Il m’arrived’avoir des états d’âme. Je sais, ça mesurprend moi-même, dit-il en me faisantun clin d’œil.

Je souris. Dieu sait que je l’ai détestéaprès qu’il m’avait fait chanter, enutilisant Théo, pour que je reste mariée àCaleb. Mais cela fait longtemps que jene lui en veux plus. Il ne le sait pas,mais il a donné un sacré coup de pouce ànotre histoire d’amour. Sans lui, Calebet moi aurions-nous été au-delà de notreidylle à Las Vegas ?

– Vous savez, me dit-il après avoir

avalé une gorgée de son breuvage, jem’en suis un peu voulu de ce que je vousai fait.

– « Un peu »seulement ? dis-je enéclatant de rire.

Il fait une petite grimace.

– J’étais payé pour faire élire lesénateur, et cela implique parfoisl’utilisation de méthodes peuorthodoxes. Contrairement augouverneur Lewis, il y a certaineschoses que je ne ferais jamais, mais mafoi, ce petit chantage ne me paraissaitpas méchant. Après tout, jouer le rôle del’épouse de Caleb Montgomery, cen’était pas si désagréable comme

expérience, si ? me dit-il un peugoguenard.

Je me souviens tout à coup de sa têtequand il nous a vus sortir Caleb et moiun peu débraillés du camion decampagne, après avoir fait l’amour. Jeme sens rougir.

– Je… enfin…– Mais vous êtes libres maintenant,

n’est-ce pas ? me dit-il, sans paraîtreremarquer mon embarras. À quelquechose, malheur est bon : le sénateur n’estplus dans la course, vous pouvez doncdivorcer, comme le prévoyait le contrat.J’imagine que c’est un soulagement pourvous, et pour Caleb aussi. C’est une

belle preuve d’amour qu’il a donnée àson père en restant marié. Caleb atoujours été un célibataire endurci,l’idée de mariage l’horrifiait, et nuldoute que la situation a dû être difficileà vivre pour lui… comme pour vous.Mais enfin, maintenant, vous êtes librestous les deux. Il doit être soulagé ; telque je le connais, il doit sans doute déjàêtre en train de remplir le dossier dedivorce. Croyez-moi, vous serez vite« libérée, délivrée » comme dirait laReine des neiges. Oui, j’ai une petitenièce, dit-il en éclatant de rire.

Je le regarde, assez remuée par sesparoles, mais il ne s’aperçoit pas demon trouble.

– Enfin, reprend-il une fois son accèsd’hilarité calmé, je suis content pourvous, vous allez pouvoir faire ce beauvoyage que vous prépariez, un safariphoto si je ne m’abuse, c’est bien ça ?Vous partez bientôt ?

– Je… Je travaille pour le magazineen ce moment… Je n’ai encore rienorganisé, bafouillé-je, encore sous lechoc de ses paroles.

Une annonce est alors diffusée par leshaut-parleurs :

« Les voyageurs du volAA383 d’American Airlines pour SãoPaulo sont priés de bien vouloir serendre… »

– Ah, désolé, c’est mon vol, dit Noahen se levant. Eh bien, enchanté de vousavoir revue, Grace. Et bonnecontinuation surtout. Peut-être aurons-nous l’occasion de nous recroiser.

– Peut-être… Merci, bonnesvacances alors, et bon voyage Noah.

Je regarde sa fine et haute silhouettes’éloigner, une boule au ventre. Jeréalise à quel point l’idée de divorcerde Caleb me fait horreur. Et pourtant,c’est bien ce qui est prévu dans lecontrat. Nous n’avons pas eu le tempsd’en parler avec Caleb depuis le retraitde son père, mais peut-être que Noah araison, et que c’est ce que désire Caleb.Il m’aime je le sais, mais un mariage,

c’est un vrai engagement, pour la vie.Rien ne me dit qu’il est prêt à le prendrepour de vrai.

51. Toute la magie del'Orient

En ce mois de juillet, il faitextrêmement chaud à Marrakech.Heureusement, j’ai eu une journée pourm’acclimater ; je ne suis sortie de monhôtel qu’en fin d’après-midi après unbref rendez-vous avec Rachid pour allertraîner dans le souk, où j’ai fait quelquesmenus achats, un peu interloquée parl’insistance des marchands. Je savourenéanmoins l’atmosphère de l’Orient, larumeur des marchandages, les chats qui

règnent sur les places et les ruelles, lesodeurs des épices, le parfum de jasminqui flotte dans le riad où je suis logée,en plein cœur de la médina, et où j’ai puprofiter de la fraîcheur des patiosagrémentés de fontaines dans la journée.

Ce soir, je me suis réfugiée sur laterrasse fleurie sur le toit. Elle s’étalesur plusieurs niveaux et domine lamédina ; j’aperçois le haut minaret de laKoutoubia qui se détache dans le cielétoilé. Il fait encore chaud, mais c’estsupportable. J’y suis seule, et jem’installe confortablement sur unechaise en osier suspendue qui se balanceau gré du léger vent qui rend la nuitrespirable. J’ai envie que Caleb soit

près de moi pour profiter du moment.Loin de lui, j’ai l’impression d’êtreamputée d’une partie de moi-même.

Je suis perturbée depuis maconversation avec Noah, même si monangoisse concernant notre avenir àCaleb et à moi s’est un peu atténuéependant le vol. J’ai vraiment envie delui parler. Au moment où je m’apprête àl’appeler, mon téléphone sonne. C’estlui.

– Oui mon amour ? dis-je, toutheureuse de son appel.

– Je ne te réveille pas ? me demandeCaleb.

Entendre sa voix chaude et sensuelleme remue toujours autant. Et mêmeencore plus que d’habitude, car je suistrès loin de lui.

– Non, il fait trop chaud pour dormir,et puis je suis excitée par la ville, lechangement. Et la séance photo dedemain.

– Tu as rencontré ton « roi del’hôtellerie » ?

– Rachid Hamid ? Oui, brièvement. Ilest très sympathique, très chaleureux.

– Sympathique à quel point ?

J’ai bien la tentation de titiller sajalousie, mais j’y renonce. Je suis troploin de lui pour jouer à ce genre de jeu.

– Juste sympathique commequelqu’un qui espère que tu sauras fairedes photos de lui qui le mettent envaleur.

– Tu sous-estimes ton charme et tonpouvoir de séduction, mon amour, medit-il d’une voix langoureuse.

– Peu importe ce qu’il pense. Ce queje pense, c’est que je ne veux que toi, lesautres je ne les vois même pas, dis-je,sincère.

Il rit doucement.

– Tu es bien logée ?– Je suis dans un riad qui lui

appartient. Très joli. Ça te plairait.– Tu le photographies quand ?

– On a un premier shooting demainmatin. Il doit me faire découvrir lavieille ville, les quartiers populaires oùil est né et où il a passé les premièresannées de sa vie avant que ses parentsn’émigrent aux États-Unis, et où vitencore une partie de sa famille. C’est làque je le prendrai en photo. C’était ledeal. Je n’avais pas envie de lephotographier dans l’un desétablissements de luxe qu’il possède.

– Ça te plaît Marrakech ?– Ça me plairait davantage si tu étais

là, dis-je avec un soupir.– Eh bien, ça tombe bien. J’arrive

demain, me répond-il.

Je reste un instant abasourdie, avant

de laisser éclater ma joie :

– C’est vrai ? C’est génial ! Tu as pute libérer ?

– Oui. Je dois te parler de quelquechose, dit-il d’un ton solennel. Et jepréfère le faire de vive voix.

Mon excitation retombe aussitôt,remplacée par l’inquiétude.

– Qu’est-ce qu’il y a ? Caleb, il s’estpassé quelque chose ?

– Ne t’inquiète pas mon amour, toutva bien.

Soudain, il s’interrompt.

– Oui, Margaret ? OK, j’arrive.

Puis, il reprend à mon intention :

– Chérie, je dois te laisser, uneréunion qui commence. Et ce soir j’ai undîner d’affaires. On se parle demain,d’accord ? Je te rejoins à ton hôtel. Bye.

Bye. Il m’a dit « Bye ». Pas « jet’aime ». D’accord, il n’était peut-êtrepas seul mais quand même…

L’angoisse me dévore le ventre.Qu’est-ce qu’il veut me dire qu’il nepeut pas faire au téléphone ? Ça doit êtregrave, pour qu’il abandonne son cabinet,ses obligations professionnelles, et

parcoure 6 000 kilomètres. Peut-être a-t-il préparé le dossier du divorce, commele prévoyait Noah, et qu’il vient pour mele faire signer ? Mais il m'appelle sanscesse « mon amour »… J’espère quec’est pas ça !

Mon Dieu, peut-être Stacy lui a-t-elleparlé des allégations de Petrossian ?Mais c’est impossible que Caleb croieque je l’ai espionné et que j’ai donnédes informations confidentielles poursauver le centre de Susie !

Je ne sais plus que penser.

Peut-être a-t-il juste envie de mevoir ? Mais alors, pourquoi n’a-t-il pas

juste dit « tu me manques, j’arrive »,hein ?

Au lieu de me réjouir de l’arrivée deCaleb, c’est aux cent coups, après avoirretourné cent fois ces questions dans matête, que je regagne ma chambre. Il y apeu de chances que je trouve lesommeil…

***

Le plaisir de la découverte de la villeet de la séance photo m’a détournée demon inquiétude, mais elle est revenue àla fin de la journée. Rachid a voulum’inviter à un dîner qu’il organisaitavec des notables de la ville, mais j’ai

décliné, disant que mon mari arrivait desÉtats-Unis et que nous passerions lasoirée tous les deux. Je suis vite rentréeau riad pour profiter d’une séance dehammam avant l’arrivée de Caleb. Manuit agitée a laissé des traces, etj’espère récupérer un peu grâce à cemoment de relaxation.

Je retourne dans ma chambre un peudétendue par les soins qui m’ont étéprodigués. Le gommage au savon noir alaissé ma peau toute douce et lesproduits ont nimbé mon corps d’unnuage de parfum capiteux. Caleb vaadorer.

Je me prépare dans ma salle de bains

aux murs recouverts de mosaïque.J’essaie de préserver les bienfaits del’heure passée entre des mains expertes,mais rien n’y fait. Je redeviens fébrile.Je redoute ce que Caleb va me dire.

J’essaie cependant de laisser mescraintes de côté – même si les parolesde Noah concernant le divorce necessent de ressurgir dans mes pensées –et de me faire belle pour lui. Je passe unbeau caftan au style un peu occidentalisénoir et or que j’ai acheté en entrant dansune ravissante boutique pleine devêtements brodés délicats etd’accessoires originaux. J’ai lâché mescheveux, plus brillants et soyeux qued’habitude grâce au shampoing à l’huile

d’argan. Je me maquille légèrement.Satisfaite du résultat, je souris à monreflet dans le miroir.

J’ai à peine terminé que l’on frappedeux coups discrets à ma porte. Je vaisouvrir, le cœur battant. Caleb est devantmoi, plus beau que jamais dans uncostume de lin crème. Ses yeuxétincellent en me découvrant ; ilapprécie manifestement le résultat demes préparatifs.

Je le fais vite entrer dans la chambreet il n’attend même pas que la porte soitfermée pour me prendre dans ses bras.Mon cœur se gonfle de joie tandis quenos lèvres se retrouvent et s’embrasent.

– Que tu es belle, dit-il en sedétachant de moi pour m’admirer.

Je souris, flattée par son regardfiévreux posé sur moi. Puis je le prendspar la main pour l’entraîner vers lapetite terrasse privée de ma chambre.

– Viens voir, dis-je, pressée de luimontrer le panorama.

– Quelle jolie vue, dit-il, en admirantle coucher du soleil par-dessus les toitsde la médina.

Je lui prends les mains.

– Caleb, qu’est-ce que tu voulais medire ? dis-je d’une voix un peu

étranglée.

Il me regarde sans rien dire. Je mejette à l’eau.

– C’est cette histoire de Petrossian ?Je sais qu’il m’accuse de lui avoirdonné des infos, mais je te promets, jen’ai rien volé, je n’ai jamais fouillé danstes papiers, ou, je ne sais pas moi, tonordi…

Caleb me fixe, interloqué.

– Mais de quoi tu parles ?

Oups.

Je reste coite. Je suis censée ne riendire de ma conversation avec Stacy.

–Tu crois que je pourrais tesoupçonner de quelque chose commeça ? me dit-il, les yeux écarquillés, l’airvexé.

– Ben… Je sais pas.– Mais enfin, jamais de la vie !

s’exclame-t-il, visiblement outré. Jet’aime, j’ai une confiance absolue en toi.

– Ah… Je… Oui, merci, ânonné-je,confuse. Mais alors, pourquoi es-tu là ?De quoi voulais-tu me parler ?

– La première chose, qui n’est pascelle qui m’amène, mais puisque tuévoques le sujet… Il y a bien une taupeau cabinet.

– C’est sûr ? dis-je, sous le choc.– Oui. Robert a mis au jour certaines

choses qui laissent peu de place audoute.

– C’est qui ?

Oh mon Dieu, faites que ce ne soitpas Stacy !

– Je préfère ne rien dire pour lemoment. Tant que ce n’est pas confirmé,je ne voudrais pas accuser quelqu’un parerreur. Mais c’est dur de s’apercevoirque l’on a été trahi par quelqu’un en quion avait confiance, dit-il, le visagefermé.

Je le regarde, hébétée. Parle-t-il de

Stacy ? J’aurais pourtant juré qu’elle nem’a pas menti quand elle me disaitqu’elle n’y était pour rien.

– Mais ne fais pas cette tête, me ditCaleb, dont l’expression se fait plusdouce. La bonne nouvelle, c’est quenous allons pouvoir prouver à Dandrigeque ses accusations contre moi sont sansfondement. Je ne cours plus le risqued’être radié du barreau.

– Oh mon Dieu ! C’est génial. Je suistellement heureuse pour toi, dis-jesoulagée, oubliant aussitôt mes doutessur Stacy.

– Mais petite folle, comment as-tu cruque je pouvais te soupçonner ? dit-il ense souvenant tout à coup de mes paroles.

Qu’est-ce que c’est cette histoire àpropos d’accusations de Petrossian ?

– Oh, non, rien… je pensais… maisne parlons plus de ça. L’essentiel, c’estque tu n’aies plus cette épée deDamoclès au-dessus de la tête, monamour.

Je me serre contre sa poitrine,remplie de joie. Avant de réaliser.

– Mais c’est quoi l’autre chose que tuvoulais me dire ? lui demandé-je enm’écartant de lui pour le dévisager.

C’est alors que s’élève dans le ciell’appel à la prière du muezzin. Sonappel est relayé par d’autres venus de

minarets aux quatre coins de la ville.Caleb et moi restons là à nous regarderdans les yeux, tandis que résonne ce quiressemble à un chant polyphoniqueempli de ferveur saluant le crépuscule.

Je ne peux détacher mes yeux de ceuxde Caleb. Il a un drôle de regard,intense. Les voix s’éteignent l’une aprèsl’autre. Vibrante d’émotion, je vois monamoureux, ma main entre les siennes,mettre un genou à terre. Je le dévisage,interloquée. Il me sourit, et dit alors,d’une voix ardente et solennelle :

– Grace, veux-tu… ne pas divorcer ?Passer le reste de ta vie avec moi, pourle meilleur et pour le pire ?

Je crois que j’ai arrêté de respirer.

Oh mon Dieu ! Qu’est-ce qui vient dese passer ? Il me fait quoi là ? Unedemande de… « non-divorce » ?

52. La non-demandeen mariage

– Grace, veux-tu… ne pas divorcer ?Passer le reste de ta vie avec moi, pourle meilleur et pour le pire ?

Les mots que Caleb vient deprononcer résonnent encore dans matête. Je le regarde, bouche bée,tremblotante, tandis qu’il se tient ungenou à terre devant moi, ma main dansla sienne.

J’entends au loin la rumeur venue dela place Jemaa el-Fna, qui en ce débutde soirée grouille de touristes et decurieux venus voir les danseurs et lescharmeurs de serpents. Mais c’estcomme si ça se passait dans une autredimension. Dans celle où je suis, je nepeux plus bouger, ni prononcer un mot.Les yeux de Caleb sont fixés sur moi. Ilme regarde avec beaucoup d’amour et,j’ai l’impression maintenant, un peud’inquiétude.

Je dois répondre quelque chose ; jene peux pas rester comme ça, sans riendire !

– Mais… Enfin… Tu… tu es sûr ?

C’est ce que tu veux ? parviens-je àbafouiller.

– Je n’ai jamais rien voulu aussi fort,Grace, me dit Caleb avec ferveur. Jet’aime, je n’imagine pas ma vie sans toi.Si nous n’avions pas déjà été mariés, çafait longtemps que je t’aurais demandéde m’épouser.

– C’est vrai ? dis-je, n’en croyant pasmes oreilles.

L’oxygène qui me manquait semblerefluer vers mon cerveau et je sens monsang bouillonner dans mes veines.

– Absolument, dit Caleb de sa voixdouce et chaude. Je n’ai pas eul’occasion de faire ma demande dans les

règles. Tu as dû accepter cette situation,et même la subir… même si je l’espère,tu ne l’as pas subie longtemps ? dit-il enhaussant un sourcil interrogateur, auquelje ne peux répondre que par un sourire,tellement mon cœur explose de joie. Jene sais pas ce que tu en penses Grace,reprend-il, mais ce mariage, malgré lescirconstances complètement folles, meparaît la chose la plus sensée que j’aifaite dans ma vie. Je suis infinimentheureux d’être ton mari. Mais toi, veux-tu rester ma femme ?

Il me regarde maintenant gravement.Ses yeux brillent dans la semi-obscuritéde la terrasse, éclairée par la lune.

– Oh oui, oui, Caleb. Je le veux plusque tout au monde, dis-je la voixétranglée par l’émotion.

Avant que je puisse me baisser verslui, il se lève et me prend dans ses bras.Il me soulève de ses bras puissants et mefait tournoyer autour de lui tandis que jeris aux éclats. Je n’ai jamais été aussiheureuse de ma vie. Je ne savais mêmepas que c’était possible de l’être autant.

– Ma chérie, me dit Caleb en mereposant doucement à terre, je suisdésolé que tu n’aies pas eu la cérémoniede mariage que tu méritais…

– Ah bon, ce n’était pas bien ? dis-jeen plaisantant. Parce que je ne m’en

rappelle pas !

On éclate de rire. J’avais tellementbu ce soir-là que je n’ai aucun souvenirde la chapelle de Las Vegas. Et il vautpeut-être mieux…

– Mais j’avais une robe superbe !dis-je. C’est quand même elle qui t’a faitcraquer.

Quelle robe en effet ! Choisie parNikki pour sa soirée d’enterrement devie de jeune fille, moulante, courte,décolletée, vulgaire en un mot, maispour laquelle j’ai une grande tendresse,car c’est grâce à elle que Caleb m’aparlé dans l’ascenseur.

– Dire que tu m’as prise pour unestrip-teaseuse, dis-je, faussement fâchée.

– Mais non mon amour, je voyaisbien que tu n’avais pas l’habitude deporter ce genre de vêtements, me ditCaleb en me serrant contre lui. Même situ étais fichtrement sexy dedans, ajoute-t-il pour me taquiner.

Il pose un baiser sur le bout de monnez.

– Je ne regrette pas de m’être uni àtoi ce soir-là. Mais tu méritais mieuxque cette cérémonie expédiée à la va-vite, mon pauvre amour.

– Rassure-toi, je n’ai jamais rêvé degrand mariage, de robe de princesse. À

vrai dire, je pensais même ne jamais memarier ! C’est bizarre quand on pensequ’aujourd’hui, je n’avais qu’une peur,c’est que tu me demandes le divorce.

– Oh, certainement pas. C’est mêmele contraire que je veux faire, memurmure-t-il à l’oreille.

Je le regarde, surprise.

– De quoi tu parles ? demandé-je,intriguée.

– Je n’étais pas sûr de ta réponse,mais au cas où… j’ai pris quelquesarrangements avant de partir. J’aiquelques relations d’affaires àMarrakech, figure-toi…

– Et…

– J’ai prévu quelques petiteschoses… Tu veux bien me suivre ?

Je me serre contre lui et je respireson odeur retrouvée.

– Je te suivrai n’importe où, les yeuxfermés !

***

Nous avons quitté le riad pour nousfaufiler enlacés dans les ruelles de lamédina où les voitures ne peuventpasser, pour regagner une des portespercées dans les remparts. Après lecoucher du soleil, quand la chaleur sefait moins pesante, l’agitation est encore

plus vive dans les rues où marchands etbadauds marchandent dans la bonnehumeur. À l’extérieur des remparts nousattend une limousine. Je suis trèsexcitée, Caleb n’a rien voulu me dire dece qui m’attendait.

Après quelques minutes, le véhiculeatteint la palmeraie, une véritable oasisgagnée sur le désert tout près. Rachid,l’homme que je suis venuephotographier, m’y a emmenée déjeuneraujourd’hui, dans un des restaurants deshôtels de luxe qui s’y nichent. J’ai puapprécier ce havre de paix loin de lacohue de Marrakech, avec vue sur lesmontagnes de l’imposant Atlas.L’atmosphère est différente la nuit, elle

semble imprégnée de magie. Quelqueslumières émergent entre les palmes,tandis que la voiture s’engage sur uneroute jusqu’à un établissement étonnant,posé sur des colonnes à chapiteauxcorinthiens, et merveilleusement éclairé.

Un homme nous attend à la sortie dela voiture :

– Bienvenue au Palais Rhoul,monsieur et madame Montgomery. Sivous voulez bien me suivre…, dit-ilavec un sourire accueillant.

Je suis surprise de voir que nousn’entrons pas dans l’établissement, maisque nous nous enfonçons dans le vaste

jardin qui l’entoure. Je m’aperçois quequelques grandes tentes berbères entissu rayé noir et blanc sont plantées iciet là. Nous nous arrêtons devant l’uned’entre elles.

Notre hôte soulève les lourdestentures et je pénètre le cœur battantdans cette chambre inattendue. Je mecroirais dans un conte des Mille et UneNuits. Au milieu de la pièce trône unbassin enchâssé dans le sol et sur l’eauflottent des pétales de fleurs. Il estentouré de petites lampes en fer forgéqui contribuent à l’éclairagedélicatement tamisé de la tente. Le coinsalon est agrémenté d’un voluptueux sofaet de fauteuils assortis, tandis que de

l’autre côté, un grand lit bas recouvertde tissus chamarrés invite à toutes lescaresses.

– Mais qu’est-ce que c’est ? dis-je enm’approchant du lit.

Ébahie, je regarde le caftan de soieblanche rebrodée d’argent largementceinturée à la taille, bien plus somptueuxque celui que je porte, qui repose sur lematelas. À côté, de magnifiques bijouxberbères.

Je me retourne vers Caleb. L’hommequi nous accompagnait s’estdiscrètement éclipsé.

– Mais… Enfin… C’est pour moi ?

Je n’en crois pas mes yeux !

Caleb s’approche et me prend dansses bras.

– C’est pour la femme que j’aime etque je ne remercierai jamais assezd’avoir embelli ma vie.

– Comment as-tu fait ?– Je t’ai dit que j’avais des contacts

ici. Une de mes clientes, maroco-américaine, est styliste. Je lui ai faitentièrement confiance sur le choix de latenue et des bijoux. Je crois que j’ai euraison, non ?

– Caleb… C’est trop beau !

– Rien ne sera jamais trop beau pourtoi, mon amour, dit-il en plongeant sesyeux dans les miens avant de poser seslèvres sur les miennes pour me donner leplus doux des baisers. Je te laisse techanger. Je t’attends sur notre terrasse,dit-il avant de quitter la tente.

Je me sens comme dans un rêve. Toutexcitée, je me déshabille et revêts lecaftan soyeux. Je vais dans la salle debains joliment carrelée pour vérifier ceque je sais déjà : il me va parfaitement.Je souris à mon reflet.

Ma robe de mariée, un caftanmarocain… Quelle idée merveilleuse.

Je retourne au lit pour y prendre laparure berbère avant de revenir vers lemiroir ; il me faut un petit moment avantde pouvoir mettre le bijou de tête enargent serti de pierres qui vient ceindremon front. De fines chaînes de métalretombent de chaque côté de ma tête, semêlant aux lourds pendants d’oreillesassortis.

Heureusement, la paire de sandalesque je porte ne jure aucunement aveccette tenue somptueuse. Je me regardeune dernière fois dans le miroir et jeprends une grande inspiration avant desortir.

Caleb m’attend, assis sur le sofa de

la terrasse, un vrai romantique dans soncostume de lin crème. Deux musicienssont installés face à lui et se mettent àjouer dès que j’apparais.

Sous le coup de l’émotion, j’ai leslarmes aux yeux, et je vois bien queCaleb est bouleversé. Son regard s’esttroublé en me voyant, et il s’est levépour venir vers moi. Il me prend lamain, ses yeux ne peuvent se détacherdes miens, mais sans doute par respectpour les musiciens, il ne m’embrassepas ; la pression plus forte sur ma mainme dit que pourtant il en meurt d’envie.Nous prenons place sur le sofa, et je melaisse bercer par la douce musiquearabo-andalouse qui résonne rien que

pour nous dans la nuit étoilée.

Je n’ose parler, ne voulant pastroubler la magie de l’instant.

Les musiciens finissent cependant pars’interrompre et nous les remercionschaleureusement. Ils ne se sont pasencore éclipsés que comme par magieapparaissent deux serveurs qui déposentsur la table des boissons et des plats àtajines, ainsi que différents pains etmignardises. Ils nous servent deuxcoupes de champagne avant dedisparaître aussi discrètement qu’ilssont apparus.

– Caleb, c’est vraiment merveilleux,

dis-je.– C’est toi qui es merveilleuse. Tu es

tellement belle dans cette tenue, me ditCaleb les yeux pleins d’admiration etd’amour.

– Tu sais, être ta femme me rendpleinement heureuse, je n’avais pasbesoin de tout ça…, commencé-je.

– Et moi alors ? dit-il en prenant unair faussement offusqué. Tu n’as paspensé que j’aurais pu vouloir une bellecérémonie de mariage et pas un truc à lava-vite avec des sosies ratés de starscomme témoins ? C’est moi la midinettedans le couple.

Je caresse sa joue, attendrie.

Il saisit mon poignet, et le porte à sabouche pour y poser un baiser.

– Grace. Je voudrais te dire ce que jen’ai pas dit cette nuit-là. Même si nousn’avons que la nuit pour témoin.

Je sens comme une boule dans magorge, tandis que ses yeux étincelants mefixent avec une intensité troublante.

– Grace, je t’aime, dit-il d’une voixchaude et douce comme l’air du soirdans la palmeraie. Tu as fait de moi unhomme meilleur, et un homme heureux.Je veux passer le reste de ma vie avectoi. Je te chérirai, te protégerai toute mavie, je resterai à tes côtés, pour le

meilleur et pour le pire. Il n’y a que toi,il n’y a jamais eu que toi. Tu es l’amourde ma vie.

Bouleversée par ses paroles, jeregarde son beau visage, ses yeux quim’enveloppent d’un regard amoureux, etmalgré moi, je sens les larmes couler lelong de mes joues.

– Ne pleure pas mon amour,murmure-t-il en essuyant mon visagemouillé.

J’attrape ses deux mains que je serrecontre mon cœur.

– Caleb, je t’aime tellement. Tu as

changé ma vie. Tu m’as fait grandir. Tume rends terriblement heureuse, et fière.Je suis fière de toi, fière que tu m’aieschoisie. Je n’imagine pas un instant lavie sans toi. Tu es l’homme de ma vie,mon amour pour toujours.

Emportée par l’émotion, je meretrouve à sangloter dans les bras decelui que je peux enfin vraimentconsidérer comme mon mari.

–Voyons mon ange, ne pleure pas, medit Caleb en me serrant fort contre lui.C’est une nuit joyeuse.

– C’est… c’est… des larmes… dejoie, dis-je en hoquetant.

Caleb me laisse le temps de mecalmer. Quand il voit que mes pleurssont apaisés, il se lève et va chercherquelque chose dans la tente. Il en ressortavec un gros dossier que je reconnaistout de suite. Le dossier du divorce.

– Viens, on va le brûler, me dit-ilavec un large sourire. Et le contrat avec.

Le fameux contrat ! Celui quidéterminait les termes de notre relation,les cas dans lesquels ma présence étaitrequise à ses côtés, les sommes quidevaient m’être versées (et que jen’avais pas l’intention de toucher), lesrésidences séparées…

Je le suis dans la tente.

– On ne peut pas dire qu’on l’aitbeaucoup respecté ! dis-je en riant. Je nesuis pas beaucoup retournée dans lamaison de Brooklyn. Et question sexe…Tu disais bien que l’on ne devait pas,que ce n’était pas « contractuel », c’estça ?

Caleb rit tout en mettant le feu auxdocuments dans la grande cheminée.

– J’étais vexé le jour où je t’ai dit ça,jaloux de Théo. Je peux te dire que jem’en suis mordu les doigts. Mais tout ça,c’est du passé, déclare-t-il, tandis que lepapier s’embrase.

Nous restons un instant à regarder lefeu consumer ces documents qui avaientpour but final notre séparation, mais quiparadoxalement nous ont réunis. Il nefaut guère de temps avant qu’ils nesoient réduits en un tas de cendres.

Caleb enserre ma taille de ses mains.

– Plus rien ne peut nous séparermaintenant, dit-il en plongeant ses yeuxmarine dans les miens.

– Plus rien, répété-je, en l’attirant àmoi.

Sa bouche a la saveur de la premièrefois. La saveur de l’engagement. C’estcomme si ce feu ardent avait nettoyé

notre histoire de tout ce qui aurait pu lacorrompre. Nous avons enfin prononcénos vœux. Même si pourl’administration, Caleb est depuisquasiment quatre mois mon époux, cen’est que ce soir que j’ose au fond demon cœur l’appeler « mon mari ». Il m’achoisie comme je l’ai choisi, pour lavie. Et je suis à lui.

Les baisers de Caleb se font plusardents. Les flammes se sont éteintesdans l’âtre, mais nos corps sontembrasés. La nuit de notre mariage, àLas Vegas, il ne s’est rien passé. Depuis,il y en a eu bien d’autres des nuits,passionnées, sensuelles, entre deuxamants amoureux.

Cette nuit à Marrakech seradifférente. Cette nuit, c’est ma nuit denoces.

– J’ai envie de toi, me susurre àl’oreille Caleb d’une voix rauque.

– Alors prends-moi, dis-je, enmordillant ses lèvres.

Je m’arrache à lui pour retirer mesvêtements, mais Caleb m’arrête alorsque je commence à soulever mon caftan.

– Laisse-moi te déshabiller, dit-ild’une voix langoureuse.

Je m’immobilise. Le désir que je voisdans ses yeux me fait frissonner. Il reste

ainsi un instant à m’observer, commes’il voulait graver à jamais dans sessouvenirs cette vision de moi, dans cecaftan blanc et argent, ma tête couronnéede précieux bijoux berbères. Puis ils’approche lentement, et s’agenouilledevant moi. Ses doigts défont les bridesde mes sandales. Il me les retire,embrassant mes pieds au passage. Ilpose sa tête contre mon ventre, et jecaresse ses cheveux. L’instant est d’uneinfinie douceur. Puis ses mainsremontent le tissu jusqu’à mes hanches,dévoilant mes cuisses, qu’il baise avecferveur. J’ai la chair de poule, comme sij’avais froid, et pourtant mon corps seconsume de désir.

Caleb se redresse pour défaire lecordon qui retient la ceinture à la taille.Il tire le caftan vers le haut et je lève lesbras pour qu’il puisse le retirer. Il le faitavec précaution, pour ne pas dérangerma parure et éviter que les longspendants d’oreilles ne se prennent dansles fils d’argent délicats.

Il dépose avec soin le vêtement surun des deux fauteuils rouge et or quidonnent une touche de baroque à cettetente de nomades de luxe.

Puis il se retourne et je vois qu’ildécouvre seulement que je n’avais gardéaucun sous-vêtement sous la robe. Jesuis entièrement nue, simplement parée

de mes bijoux berbères.

Ses yeux parcourent mon corps avecavidité, de la pointe de mes seins tendusvers lui, à mon sexe qui l’attend avecimpatience, à mes jambes que j’ai dumal à contraindre à l’immobilitétellement j’ai envie de courir à lui. Maisje me laisse dévorer des yeux, savourantle plaisir d’être la source de saconvoitise.

– Mon Dieu, comme tu es belle,s’enflamme-t-il soudain, et en deux pasil est près de moi.

Ses mains me touchent, me palpent,sa bouche est partout sur mes seins, mes

épaules, mon ventre, mon sexe. Je ris debonheur de me sentir aussi aimée etdésirée.

Soudain, Caleb me soulève dans sesbras puissants, et dans le silence de lapalmeraie, on entend le cliquetis de mesbijoux, seuls ornements à ma nudité. Ilme dépose sur le lit et se recule pour sedéshabiller. Je ne perds rien duspectacle, j’aime trop son corps pour melasser de le regarder. J’embrasse duregard ses longues jambes fuselées, sataille fine, le pli marqué de l’aine, lesabdos qu’on dirait de marbre. Et sonsexe, dur, dressé, symbole de son désirpour moi.

En un rien de temps, il est près demoi, entièrement dévêtu. Il s’agenouilleprès du matelas et sa tête s’enfonce entremes cuisses. Mon sexe déjà humide esttout émoustillé par le contact de seslèvres chaudes, puis de sa langue quivient laper, lécher, avec une ardeur quime transporte. Je le tiens par lescheveux, pressant sa tête contre moi, etje gémis de plus en plus fort. Une de sesmains vient saisir un sein, asticotant letéton frémissant. Une douce chaleurirradie dans mon ventre, et les ondes serépandent dans tout mon corps, jusqu’àla pointe de mes pieds.

– Oh mon Dieu ! Oh mon Dieu ! nepuis-je m’empêcher de murmurer, tandis

qu’il enfonce sa langue en moi.

L’espace d’un instant, j’ai une penséepour le personnel qui pourrait venirdébarrasser les plats sur la terrasse etentendre mes gémissements de plaisir,mais les sensations sont si puissantesque j’en oublie aussitôt mes craintes. Ouplutôt… je m’en fous !

La bouche de Caleb, qui me connaîtpar cœur, me conduit au septième ciel.La jouissance me traverse comme unéclair, et je crois bien que je crie, tandisque mon corps s’arc-boute une dernièrefois contre lui.

Il me faut quelques minutes avant que

ma respiration ne s’apaise. Mais je saisque mon désir, lui, est toujours là.

Caleb s’est allongé près de moi, ilme regarde en souriant reprendre mesesprits. Il sait se montrer très patient enamour, et c’est une des qualités qui fontde lui un extraordinaire amant.

J’ai envie de lui rendre le plaisirqu’il m’a donné. Je saisis son sexe dontla dureté témoigne de la permanence del’excitation. Sous mes doigts caressants,il grossit encore, ce que je note avec unecertaine satisfaction. Pendant que mamain s’occupe de son membre,j’embrasse la poitrine de mon amant etépoux, je titille du bout des dents ses

tétons que je sais sensibles, jusqu’à lefaire ronronner. Je regarde son visageaimé, ses yeux mi-clos, et le feu renaîtentre mes cuisses.

Ma main continue son va-et-vient, etles halètements de Caleb se font plusforts. J’arrête aussitôt.

– Mais…, commence-t-il, le regardun peu hagard.

Je m’approche de son visage, et jemurmure, en le regardant bien dans lesyeux :

– Je veux que tu jouisses en moi.

Ma déclaration le fait sourire, puis ilpousse un rugissement et se redresse. Ily a quelques instants, il s’abandonnait,tout entier livré à mes caresses, maismes paroles ont donné une nouvelledirection à son plaisir. Il me renversesur le lit et se couche sur moi. J’aimesentir le poids de son corps contre moi,la puissance de sa musculature, sa peauferme et douce à la fois sous mes doigts.Sans attendre, il me pénètre de son sexe,et tout mon corps frémit. Je me mordsles lèvres tandis qu’il s’enfonce en moi,jusqu’au plus profond de mon être. Jeme cramponne à ses épaules, le regardplongé dans ses yeux bleus qui brillentd’un éclat que je ne vois que lorsque

l’on fait l’amour.

L’acte de chair cette nuit a un goûtspécial. Je me sens plus entièrementsienne que je ne l’ai jamais été, et je lesens à moi, sans restriction aucune. Nousnous donnons l’un à l’autre dans unabandon total, et je le perçois dans lesmoindres fibres de mon corps.

Caleb s’en est aperçu aussi, je peuxle voir à son regard, à cette espèce desourire qui flotte sur ses lèvres.

Son bassin accélère le rythme, tandisqu’il lèche mon cou, mordille mes seins.La vue de son membre qui entre et sortde plus en plus vite accroît mon

excitation. Le plaisir qui irradie dansmon sexe se propage en ondes de plus enplus grandes, et avant que je réalise queje perds le contrôle, que l’orgasme n’estpas loin, c’est tout mon corps qui exulte.Juste avant l’envol, j’ai vu le regard deCaleb vaciller, j’ai entendu son râle et àmon plaisir se mêle la joie de lajouissance partagée.

***

– Tu veux encore du champagne ? medemande Caleb en passant la tête sous latenture.

La nuit est bien avancée, pourtant ilfait encore bien chaud. Après l’amour,

nous avons pris une douche pour nousrafraîchir, avant d’aller savourer ledélicieux repas qui nous avait été servisur notre terrasse privative. Mais avecla chaleur, le peignoir de bain quej’avais revêtu m’a vite paruinsupportable, et je suis rentrée pourpouvoir me déshabiller.

Je suis totalement nue, assise au borddu bassin décoré de pétales de fleurs. Lavision semble au goût de Caleb, quis’immobilise, le seau à champagne à lamain.

– Je veux bien du champagne, oui,s’il est encore frais, dis-je avant desauter dans le bassin.

Sa longueur n’est pas suffisante pourque je fasse plus que quelques brasses,mais la fraîcheur de l’eau est unedélicieuse caresse sur ma peau. Je melaisse aller en arrière, les yeux fixés surle plafond de la tente, à plusieurs mètresde haut. Dans l’air flotte l’odeur dujasmin.

Quel pays sensuel…

Caleb vient déposer une coupe prèsdu bassin. Je m’en saisis, et boisquelques gorgées. Les bulles légères memontent à la tête, je me sensmerveilleusement bien. Caleb s’estassis, jambes pendantes dans l’eau. Ilsemble fasciné par mes seins qui

affleurent.

Je nage jusqu’à lui, saisis son piedque j’embrasse. Il semble apprécier,jusqu’à ce que je le chatouille. Il retireson pied en riant.

– Tu n’aimes pas les chatouilles ?– Pas tellement non, avoue-t-il.

Je me rapproche encore et meredresse entre ses cuisses. Son sexe està hauteur de ma bouche, tentant.

– Et ça, tu aimes ? demandé-je,provocante.

J’attrape son sexe d’une main et le

porte à ma bouche. Au début, je mecontente de l’effleurer du bout deslèvres. Ce simple contact suffit pour leranimer et le faire dresser, comme unserpent de la place Jemaa el-Fna.

Caleb gémit.

– Mmmm. Oui, ça… j’adore.

Ma langue s’enroule autour de songland, descend jusqu’à la racine. Puis jechange, je le tète doucement, je le lèchegoulûment comme si c’était une glace.Caleb a rejeté la tête en arrière sesdoigts se crispent sur le bord du bassin.Quand je vois qu’il est au bord duplaisir, je m’écarte de lui et je plonge

sous l’eau… pour réapparaître à l’autrebout du bassin.

J’éclate de rire en voyant la tête deCaleb.

– Tu ne peux pas me laisser commeça, me dit-il, déconfit.

– Ah non ? Pourtant, c’est ce que j’aifait, dis-je avec un sourire ironique.

J’obtiens évidemment le résultatescompté. Caleb se débarrasse de sonpeignoir et plonge dans l’eau.

Il essaie de m’attraper, mais chaquefois, je parviens à m’échapper de sonétreinte. Sans se soucier d’éclabousser

toute la tente, nous nous ébattons commedeux enfants dans de grands éclats derire. Ce corps à corps aquatique estterriblement excitant. La puissance deCaleb finit par avoir raison de mavivacité. À moins que je ne me soislaissé emprisonner ?

Quoi qu’il en soit, je me retrouveface à lui, dos à la paroi, enfermée dansl’étau de ses bras. Je fais encore un peusemblant de me débattre, mais j’ai tropenvie de lui pour continuer le jeu. Sesbaisers que j’esquivais il y a quelquesminutes, j’y réponds avec une passion deplus en plus grande.

– Je t’aime. Je t’aime, je t’aime, dis-

je en enroulant mes bras autour de soncou.

– Moi aussi, Grace, je t’aime, dit-ilen prenant mon visage à deux mains pourle tenir à quelques millimètres du sien,comme s’il voulait que je lise laconfirmation de ses sentiments dans sesyeux.

Que d’amour dans son regard…

Je m’accroche à ses épaules et, merehaussant, j’entoure sa taille de mesjambes. Caleb sait ce que j’attends delui.

– Chérie… je pourrais te fairel’amour toute la nuit, me dit-il d’une

voix suave. Mais je ne suis pas sûr quecela soit raisonnable.

– Ah bon, pourquoi ? dis-je enfrottant mes seins contre sa poitrine.

– Parce que demain, enfin tout àl’heure, tu as encore rendez-vous pourtes photos.

– Oui mais cette nuit, c’est ma nuit denoces, dis-je en me serrant encore plusfort contre lui. Et on n’en a qu’une.Même tardive, on n’en a qu’une.

– Tu as raison mon amour, me dit-ilen plongeant son regard bleu jusqu’aufond de mon âme.

Et empoignant son sexe, il me pénètrede nouveau.

53. L'ami retrouvé

La limousine qui nous attendait àl’aéroport se gare devant chez nous.

Chez nous !

Même si j’y vis depuis plusieurssemaines, c’est la première fois que jem’autorise à penser que ce duplex deTribeca est aussi ma demeure, notrefoyer. Je suis mariée avec Caleb depuisun certain temps maintenant, mais cen’est qu’aujourd’hui que je peux meconsidérer comme pleinement son

épouse. Et cette pensée me rendterriblement heureuse.

Caleb récupère nos bagages et lesporte jusqu’à l’ascenseur. Arrivés ànotre étage, il bloque la porte avec unevalise. Sans un mot, avec des airs deconspirateur qui m’incitent au silence, ilme fait signe de rester dans la cabine, vaouvrir la porte… avant de revenir versmoi et de me soulever brusquement dansses bras.

– Mais… qu’est-ce que tu fais ? dis-je en riant.

– Ce n’est pas la tradition ? medemande-t-il avant de m’embrasser avecpassion.

Je réponds avec ardeur à ce baiserqui scelle le début de notre nouvelle viecommune.

Très émue, c’est le cœur battant queje passe dans ses bras le seuil del’appartement. Je regarde autour de moicomme si c’était la première fois. Jesais que désormais, j’y suis vraimentchez moi.

– Madame Montgomery, bienvenuechez vous, me dit Caleb, avant de meposer à terre et de m’enlacer pour unefougueuse étreinte.

Il se recule brusquement :

– Mais je ne t’ai pas demandé…Peut-être que tu voudrais vivre dans unendroit que tu choisirais toi, où tu feraistoute la déco ? Si tu veux, on peutdéménager. Peut-être que tu préféreraisvivre dans un autre quartier de NewYork ? Tu veux une maison ? Ou…

– Non, fais-je en mettant une main sursa bouche pour l’interrompre. J’aimebeaucoup cet appartement, j’y ai été trèsheureuse, il n’y a pas de raison que çachange. C’est le tien, et alors ? Il teressemble, et je ne vois pas en quoi çame gênerait. Au contraire. Si tu y avaisvécu avec quelqu’un… Tu y as bientoujours vécu seul ? dis-je en réalisantque je n’en sais absolument rien.

Je ne lui ai jamais posé la question !

Le sourire de Caleb me rassure.

– À vrai dire, j’y vis depuis à peineplus longtemps que toi. Je venaisquasiment d’emménager quand on s’estrencontrés.

Ouf !

– Alors c’est parfait, dis-je,soulagée.

Je laisse Caleb rentrer les bagages, etje fais un petit tour dans l’entrée du loft,avec un air exagérément perplexe.

– C’est vrai que je pourrais ajouterquelques notes féminines… Je feraispeut-être quelques petits changements,par exemple, on pourrait virer tonbillard…, dis-je en essayant de restersérieuse.

– Euh… Mon billard… D’accord, situ veux, dit-il en réprimant avec peineune grimace.

– Mais je plaisante, dis-je, enl’attirant à moi pour poser un baiser surses lèvres, avant de décoiffer sescourtes mèches brunes. Je suisparfaitement bien ici.

– En tout cas, sens-toi libre d’y fairece que tu veux, me dit Caleb, et je saisqu’il est sincère. C’est toi la maîtresse

de maison ici.

Je le regarde, étonnée parl’expression.

– Maîtresse de maison…, répété-je,songeuse. Ça fait un peu bizarre. Disdonc, j’espère que tu ne t’attends pas àce que j’organise des dîners avec tesclients, des trucs comme ça… Je ne suispas du tout prête, moi ! m’exclamé-je unpeu paniquée.

Ma réflexion fait rire Caleb.

– Mais bien sûr que non, mon amour.Je ne vais pas t’infliger ça, rassure-toi.

Il jette un œil à sa montre.

– En parlant de clients… Faut que jerentre au bureau. J’ai disparu depuistrois jours.

– Oui, d’ailleurs, je ne voulais pasaborder le sujet pour ne pas troubler tonséjour mais… Stacy n’a rien dit que tuprennes ces quelques jours pour venirme rejoindre ?

C’est vrai que ça m’a un peuturlupiné. Vu leurs rapports ces dernierstemps… Je ne suis pas sûre qu’elle aitaccepté de bon gré l’absenceimpromptue de Caleb. Ça ne risque pasnon plus d’améliorer notre relation.

– Non, elle l’a très bien pris. À vraidire, elle m’a encouragé à partir et ellem’a souhaité une bonne lune de miel, ditCaleb en me dévisageant avec un air quim’intrigue, comme s’il ne m’avait pastout dit.

– Une lune de miel…, répété-je.Alors tu lui as dit pour nous ? Pour ledébut de notre histoire je veux dire, lecontrat et tout ça ?

– Oui, je lui ai tout raconté. Stacy etmoi sommes amis, avant d’être associés.Ça me coûtait de ne rien lui avoir ditavant, comme ça t’a coûté, je le sais,d’avoir dû mentir à tes proches. Elle atrès bien compris pourquoi je voulais terejoindre, et elle m’a souhaité bonne

chance avant mon départ. Mais ellen’avait pas l’air de douter de ta réponse,contrairement à moi, dit-il en riant.

– Tu as eu peur que je refuse taproposition de « non-divorce » ? dis-je,amusée par cette confidence.

– Un peu, oui, j’avoue, dit-il enportant ma main à ses lèvres. Même si jesavais que tu m’aimes, je n’étais pas sûrque tu aies envie d’entrer « pour de bon» dans ma famille de fous.

– Ne dis pas de mal de MA famille,dis-je en le pointant du doigt, avec un airfaussement fâché.

Caleb m’enlace d’un air songeur.

– Tu sais, j’aurais dû parler de tout

ça à Stacy avant. Tous ces non-dits, cessecrets, ça a certainement contribué ànotre éloignement ces derniers temps.

Je me sens mal tout à coup.

Des secrets, il y en a eu des deuxcôtés. Stacy n’a rien dit au sujet del’offre de Petrossian. Et si ça se trouve,c’est elle la taupe.

Je garde mes pensées pour moi. J’aiaccepté de ne rien dire sur ce sujet àCaleb, je dois laisser le temps à Stacyde l’évoquer elle-même.

– Il y a quelque chose qui tecontrarie, Grace ? me demande Caleb en

se reculant pour mieux me voir.

Je me force à soutenir son regard quime scrute. Je vois une petite étincellebriller dans ses yeux, et j’ail’impression qu’il retient un sourire.

– Non… non, non, tout va bien, dis-jeavec un air que j’espère détaché.

– Tu sais, nous avons eu une longue,trèèèès longue conversation avec Stacy.

– Ah… Ah bon ?– Oui. Elle m’a dit pour Petrossian.– Ah… Je… Quoi ? balbutié-je.

Quelle crétine je fais…

Il éclate de rire.

– Ne fais pas l’innocente ! Tu es uneterrible menteuse, et c’est même l’une detes plus grandes qualités, dit-il avant deposer un baiser sur mes lèvres.

Puis il reprend :

– Stacy m’a dit qu’elle t’avaitdemandé le silence sur la propositionque lui a faite Petrossian. Elle a bien vuque je ne savais rien, elle a été surprisede ta loyauté. Elle ne te connaît pascomme moi…

Je souris, touchée du compliment.

– Je n’ai pas été ravi qu’elle ne m’enait pas parlé plus tôt, reconnaît Caleb, la

discussion a été un peu vive, mais j’aifini par comprendre ses raisons. Et puisje ne pouvais pas lui reprocher d’avoirdes secrets pour moi. Je me suis malconduit vis-à-vis d’elle quand je me suisretiré de la défense de Dandridge. Elleavait toutes les raisons de m’en vouloir.

– Et donc… Elle reste ?– Oui, elle reste, dit Caleb avec un

large sourire. Elle a même tenu àenvoyer bouler Petrossian au téléphonedevant moi. Je crois surtout qu’ellevoulait me prouver qu’elle n’était pas lataupe, une idée qui ne m’a jamaiseffleuré d’ailleurs.

Alors que moi…

– Tu ne peux pas savoir comme jesuis soulagée ! Et toi, tu es heureux quevos relations soient revenues à lanormale, non ?

– Très heureux. Si j’ai choisi demonter ce cabinet avec Stacy, ce n’estpas par hasard. C’est une excellenteavocate, affûtée, sérieuse, précise. Etelle bosse comme quatre. C’est à sedemander comment elle fait pour avoirune vie privée.

Je pique un fard et je baisse la têtepour cacher mon malaise. Sur ce sujetaussi, j’en sais plus que Caleb.

J’entends son rire qui résonne denouveau.

– Grace chérie, je sais aussi pourRobert.

– Oh, tu sais, dis-je en relevant la têtepour croiser son regard malicieux.Désolée Caleb, mais ils ne voulaient pasque ça se sache, enfin Stacy surtout,alors je…

– Ne t’en fais pas, je ne t’en veux pasle moins du monde, dit Caleb en mettantson bras autour de mes épaules. Tadiscrétion t’honore. J’aurais été un peuvexé qu’ils te confessent tout sans rienme dire, à moi, mais je sais que tu asappris leur relation par accident. Ilsvoulaient attendre d’être sûrs de leurssentiments avant d’en parler, ça aussi, jepeux le comprendre.

– Alors, s’ils te l’ont dit…– Oui, acquiesce Caleb, je crois

qu’ils sont prêts à passer à l’étapesuivante. Ils préfèrent garder unecertaine réserve au bureau, mais c’estsur la bonne voie pourl’officialisation…

– Oh ! je suis si contente pour eux,dis-je, tout excitée.

– Quelle midinette tu fais, monamour, se moque gentiment Caleb en meprenant dans ses bras.

– Non mais c’est vrai ! Ils sont sidifférents tous les deux, et pourtant, ilsse sont trouvés. Je suis contente queRobert apporte un peu de douceur dansla vie de Stacy, elle est un peu… dure,

inflexible.

Je vois Caleb qui sourit.

– C’est pas méchant mais…, dis-jegênée. Enfin, tu vois ce que je veux dire.

Il opine du chef.

– Alors que Robert, qui a passé dixans en prison, il est resté doux comme unagneau, il n’est ni aigri, ni amer, nirevanchard, il est toujours positif,bienveillant. Stacy doit vraiment l’aimerpour assumer leur relation. D’après cequ’elle m’a dit, Robert n’entrait pas dutout dans le schéma qu’elle s’était fait desa vie. Tu correspondais sans doute

mieux au profil du mari idéal dont ellerêvait dans la caravane de sa mère au finfond du Kentucky.

– Oh, elle t’a parlé de son enfance ?dit Caleb, surpris.

– Oui. Stacy et moi ne sommes pasles meilleures amies du monde, maisnous avons eu quelques discussionsassez intimes. J’ai fini par comprendrepourquoi elle pouvait se montrer sifroide, si cinglante, et elle me snobe demoins en moins. Tu sais, je la respecte,je l’admire en tant qu’avocate, etmaintenant que je sais que ce n’est pasune taupe, et qu’elle est prête à assumersa relation avec Robert, je crois que jecommence vraiment à l’apprécier en tant

que femme.– Et bien, c’est une bonne nouvelle,

alors, dit Caleb, visiblement réjoui. Jevais essayer d’organiser un dîner tousles quatre. Rassure-toi, on ira aurestaurant, tu n’auras pas à jouer la «maîtresse de maison », dit-il enplaisantant. Bon, je file, tu te souviensque l’on voit mes parents ce soir ? Ilslogent chez un couple d’amis dansl’Upper East Side, on dînera là-bas, cesera plus discret qu’au restaurant. Jepasserai te prendre avant, vers19 heures.

Caleb m’a dit dans l’avion que sesparents étaient arrivés à New York pourvoir un de leurs avocats quelques heures

après son départ pour le Maroc.

– Il y aura qui ? dis-je, un peuinquiète.

– Que nous. Leurs amis n’arriventque demain, ils sont en Europe. Ils leuront prêté leur appartement.

Je préfère ça. Aucune envie de fairedes mondanités.

– Très bien. Je serai prête. Je suiscontente de les voir, je m’inquiète poureux. Heureusement, avec les médias, unscandale chasse l’autre. On entendmoins parler de cette fille, et tes parentsdoivent commencer à respirer un peu.

– Ils respireront mieux quand mon

père sera blanchi, et moi aussi jet’avoue. J’espère que ce sera bientôt, ditCaleb avec un visage un peu fermé.

Mais il écarte vite le nuage qui estvenu l’assombrir.

– Au revoir madame Montgomery. Àce soir, dit-il en déposant un baiser surma bouche.

Pour jouer, je me cramponne à soncou, ce qui le fait rire, mais je finis parle laisser partir, comme toujours, àregret.

***

– David, qu’est-ce que tu fais ici ? ditCaleb, le visage blême.

Nous avons rejoint les parents deCaleb chez leurs amis, dans un belimmeuble en pierre de la 5 e Avenue,quasiment en face du MetropolitanMuseum of Art. Le doorman à casquetteet livrée à galons dorés avaitmanifestement été prévenu de notrearrivée. Il nous a accueillis avec forceamabilités et a appelé l’ascenseur quinous a conduits au troisième étage. J’aiété aussi surprise (le mot est faible) queCaleb de découvrir auprès de sesparents David, notre ami. Enfin, celuique nous considérions comme notre ami,avant qu’il ne nous trahisse.

Mâchoires serrées, Caleb dévisagede ses yeux bleus qui brillent d’un éclatmétallique David, qui s’est levé ducanapé en nous voyant entrer dans lapièce.

Je suis sous le choc, incapable deréagir. La dernière fois que je l’ai vu,c’était dans le restaurant japonais où ildéjeunait avec ma mère. Ce jour-là, jen’ai pas réussi à lui pardonner. Pourtant,je sais que mon affection pour lui esttoujours là, qu’elle a survécu à satrahison.

– Ton père m’a invité, dit David, levisage tendu.

Le sénateur s’approche de Caleb etmet sa main sur son épaule. Caleb esttrès grand, mais son père le domined’une demi-tête. Il penche vers son filssa chevelure presque blanche.

– David m’a raconté ce qui s’estpassé, lui dit-il. Je lui ai pardonné.J’aimerais que tu en fasses autant.

Je regarde Laura, qui fixe David d’unair peu amène. Elle est d’une naturemoins conciliante et moins généreuseque le sénateur, elle lui en veut sansdoute davantage.

– Dad, dit Caleb, il s’est servi de moipour t’atteindre…

– Tu sais bien que les choses sontplus compliquées que ça, le coupe sonpère. ON s’est servi de LUI, et de sonamitié pour toi, pour m’atteindre.N’oublie pas non plus qu’il t’a toutavoué. Tard, c’est vrai, mais il aurait pugarder le silence. Et puis, ce n’est pas àcause de lui que je me suis retiré,rappelle-toi. Qu’est-ce qu’il a fait aujuste : divulguer ton mariage ? La belleaffaire. Devait-il absolument restersecret ? Tu aimes Grace, non ? Et c’estlui qui te l’a présentée. Tu devrais leremercier, car Grace est unebénédiction.

Je souris timidement au sénateur, quime gratifie d’un doux regard. Je suis

touchée par ses paroles, mais aussiembarrassée. Manifestement, David n’apas dit au sénateur et à son épouse quenotre mariage était une « plaisanterie »au départ, et que si nous sommes restésmariés, c’était pour ne pas entraver sacampagne. Nous n’avons pas non plusabordé ce sujet avec eux, et maintenantque Caleb et moi avons choisi de restermariés, nous ne voyons pas l’intérêt dele leur dire.

Caleb se tourne de nouveau versDavid, qui le regarde avec espoir, sepassant nerveusement la main dans sadense chevelure blonde tout ébouriffée.Mais Caleb ne dit rien, il se contente dele jauger de son regard froid.

– Fils, je ne peux pas te contraindre àte rabibocher avec ton ami, déclare lesénateur en soupirant. Mais s’il est là,c’est parce qu’il a des informations ànous communiquer. J’ai tenu à ce que tusois présent. Ai-je eu tort ?

Sans laisser à son fils le temps derépondre, son épouse enchaîne :

– Si nous passions à table ? dit-elle,toujours très maîtresse d’elle-même etmondaine jusqu’au bout des ongles.Nous avons beaucoup à nous dire et onpeut le faire comme des gens civilisésdevant le bon repas qu’a préparél’excellente cuisinière de Lucinda.Grace, voulez-vous bien vous asseoir à

ma droite ? Nous laisserons les hommeschoisir leur place.

Je m’assieds auprès de ma belle-mère (oui, ma « belle-mère ! », ça faittout drôle) autour de la table rondedressée avec un grand raffinement.Lucinda, l’amie de Laura, lui a prêté samaison mais aussi son personnel, et l’onvient nous servir avec diligence etdiscrétion. Pendant le service, lesénateur me pose des questions sur masérie de photos à Marrakech. J’ai biencompris qu’aucun sujet délicat ne seraitabordé en présence du personnel, et jeréponds avec force détails sur lescharmes de l’Orient. Mais jem’interromps sitôt que nous sommes

seuls devant notre bisque de homard.Caleb est assis près de moi, David esten face de nous. Il nous regarde tour àtour, en s’efforçant de nous sourire.Mais Caleb reste de glace et moi, je nesais que faire, alors je détourne les yeuxet fixe mon potage d’un air absorbé.

– David, alors, commence lesénateur, vous disiez, avant que Grace etCaleb n’arrivent, que votre enquêteserait publiée demain ?

– Je… Oui, absolument. En fait,c’est… une interview de Brittany. Uneconfession, je devrais dire. Je l’airencontrée ce matin à New York. C’estpour ça que je suis venu, elle s’étaitrecluse chez un oncle dans le Queens

quand elle a vu que ça allait mal tournerpour elle. Mais je l’ai retrouvée et j’aipris le premier avion. J’ai écrit lepapier dans la foulée, je l’ai envoyé àmon rédacteur en chef et voilà. Ça ferala une demain. Dans…

Il regarde sa montre.

– … dans une heure, des extraitsseront sur notre site.

Comme personne ne semble vouloirposer des questions, je me lance :

– Elle dit quoi ?– Elle dit qu’elle a tout inventé.

Qu’elle a été payée.

– Bien. Donc tu as pour une fois faitton travail de journaliste, lance Caleb.Félicitations. Nous lirons donc ce papierdemain, tu n’avais pas besoin de tedéplacer jusqu’ici.

– S’il te plaît Caleb, dit son pèred’un ton de reproche.

Puis il se tourne vers David :

– Merci David. Je ne sais pascomment vous avez obtenu saconfession, car nous avons tout essayépour l’obtenir, et nous n’y sommes pasparvenus. Comment avez-vous fait ?

– Caleb, tu veux bien quej’explique ? demande David, sur un tonun peu provocant.

Je guette la réaction de Caleb à cechangement d’attitude. David a sansdoute compris comme moi que se poseren victime ne lui attirerait pas laclémence de Caleb, qu’il valait mieuxqu’il assume ses erreurs une fois pourtoutes. Il a repris du poil de la bête, et jele reconnais mieux comme ça.

– OK, vas-y, dit Caleb d’une voixradoucie.

– Ma chance, si je puis dire,commence David, c’est que je connaistrès bien l’entourage du gouverneurLewis. En fait, je connaisparticulièrement deux personnes. Il y acelui qui était à Las Vegas, qui a rachetémes dettes de jeu et contraint à faire…

ce que j’ai fait. Et puis un de sescollègues, son binôme en fait. Il savaitque j’avais été manipulé, je pense mêmequ’il n’était pas étranger à cettemanipulation. Il se doutait bien que jen’avais pas digéré tout ça. Il m’acontacté quand le scandale Brittany aéclaté, il voulait me parler.Apparemment, il est devenu un peuencombrant pour Lewis maintenant quela voie vers la présidence s’est ouverte.Ce gars voulait se venger de Lewis, çanous a rapprochés. Je l’ai vu plusieursfois, il distillait les infos, faisait un pasen avant, deux en arrière. Ça a été untravail de longue haleine. J’ai fini parlui soutirer un numéro d’un compte dans

les îles Caïmans, sur lequel se trouve lacoquette somme de 1 ,5 million dedollars. La jeune Brittany en est labénéficiaire. J’ai réussi à le prouver,elle n’avait pas d’autre choix qued’avouer. Elle a bien tenté de mettre çasur le dos d’un héritage, d’un gain auxjeux, mais elle a fini par craquer. C’estce qu’elle avoue dans mon article. J’ailes enregistrements de l’entretien si vousle souhaitez.

– Et pour les SMS que mon mari luiaurait prétendument envoyés ? demandeLaura.

– Je l’ai fait revenir en détail sur tout.Une fois qu’elle a commencé à parler,elle ne pouvait plus s’arrêter. Je crois

qu’elle était soulagée. Je lui ai aussi faitcomprendre que si elle parlaitpubliquement, elle aurait moins àcraindre des représailles. Grâce à saconfession, elle a moins de chances definir dans une benne à ordures.

Je frissonne d’horreur.

– Pour les SMS, elle racontecomment elle a subtilisé votre portable,sénateur, et se les a elle-même envoyés.Chaque fois qu’elle en a reçu un, vousétiez à la permanence au moment où elles’y trouvait, ou elle avait rejoint le staffsur votre tournée pour donner un coup demain.

Je me tourne vers Laura, à ma gauche,et je la vois fermer les yeux et porter lamain à son cœur avec soulagement.Quand elle rouvre les paupières, leregard qu’elle porte sur David n’a plusrien de sévère, il est plein dereconnaissance.

– Merci beaucoup mon garçon, dit lesénateur, en posant sa main sur l’épaulede David, qui rougit, comme toujoursdans les grands moments.

Une habitude de petit garçon qui m’atoujours attendrie, et qui m’attendritd’autant plus maintenant qu’il est bientôttrentenaire.

– Le problème, reprend David, c’estque si je peux prouver que le compte està Brittany, les pistes autour du dépôtd’argent sont tellement brouillées qu’onne peut pas remonter jusqu’à l’émetteur.J’ai fait appel à des spécialistesfinanciers, mais sans succès. Il y aquantité de sociétés fantômes sur lechemin qui va du point d’origine à cecompte offshore, un vrai écran de fuméeimpossible à percer. Ou alors, il faudrades mois d’enquête. J’ai pourtanttravaillé avec des pointures dans ledomaine, mais pour l’instant, c’estimpossible d’y voir clair. Brittany dit nepas connaître la personne avec qui elleétait en contact, et je la crois. C’est une

cruche, qui s’était réellementamourachée de vous, sénateur.Quelqu’un s’en est aperçu et a joué avecelle. Elle n’a pas fait ça que par amourdu gain, je pense qu’elle se désespéraitaussi de ne pas attirer votre attention. Jecrois qu’elle voulait se venger de votreindifférence. Vous êtes devenu une sorted’obsession, ça relève de la pathologie.

– Pauvre petite, murmure legouverneur.

– Le problème, c’est que Lewis a dûréaliser que son collaborateur, moninformateur, en savait trop pour ne pasêtre dangereux, et qu’il était encore plusnocif de le virer de son staff que de legarder. Il l’a finalement réintégré, et il a

dû lui donner certaines garanties. L’autrea rétropédalé, heureusement seulementAPRÈS m’avoir donné l’info sur lecompte offshore. Mais malheureusement,AVANT de me donner la preuve del’implication du gouverneur qu’ilm’avait promise.

– Mais à qui profite le crime ? ÀLewis, ne puis-je m’empêcher de dire.Tout le monde va se douter que ça vientde lui !

– Pas forcément, lâche Caleb, la minesombre.

– Effectivement, renchérit David.Quand vous vous êtes retiré, sénateur,Lewis n’était pas le seul à rester dans lacourse. Et puis, il est assez habile pour

faire porter les soupçons sur d’autres.Vous allez voir que dès demain, il va serépandre dans la presse, et lancer despistes sur les personnes qui auraient pumonter cette machination pour vous fairechuter. Et il doit y en avoir, vous ne vousêtes pas fait que des amis tout au long devotre carrière, notamment lorsque vousétiez procureur.

Le sénateur hoche la tête d’un airgrave.

– Et même si des collèguesjournalistes, poursuit David, ou le FBI,enquêtent sur la provenance des1 ,5 million, il leur faudra des moispour débrouiller les fils. Avec un peu de

chance, en tout cas pour lui, Lewis seraà la tête du pays. Il aura assez depouvoir pour étouffer l’affaire.

– Il va s’en tirer, marmonne Lauraentre ses dents, mais suffisamment fortpour que nous l’entendions tous.

– J’en ai bien peur, soupire David.

À ce moment-là, un serveur vientretirer les plats que nous avons à peinetouchés, tandis qu’un collègue dépose unrôti et des légumes sur la table. Unsommelier remplit nos verres d’un vindifférent de celui qui nous a été servi enpremier, et que seuls les hommes ontgoûté. Je suis encore bouleversée partout ce que David vient de nousapprendre, mais je vois le sénateur

discuter du choix du cru avec lesommelier de l’air le plus naturel dumonde.

Une fois que le personnel s’est retiré,nous pouvons reprendre notreconversation.

– C’est un délicieux vin qui nous aété servi là. Je vous encourage à legoûter, dit le sénateur en levant sonverre. Je tiens à porter un toast à David,qui a lavé la tache sur mon nom, surNOTRE nom dit-il en nous regardantl’un après l’autre, sa femme, moi puisCaleb.

Son regard s’arrête sur son fils :

– Tu sais que David a pris desrisques pour réaliser son enquête ? luifait-il remarquer. Lewis est tout sauf unenfant de chœur.

Caleb regarde David. Leurs regardsse croisent et je comprends, commeDavid, que Caleb lui a pardonné. Davidsourit légèrement et cligne des yeux,montrant qu’il a bien entendu les motsque Caleb n’a pas prononcés.

Nous levons tous notre verre versDavid, de nouveau écarlate. MêmeLaura, qui garde cependant un air à demirenfrogné. Son mari, placé en faced’elle, lui sourit.

– Chérie, ne fais pas cette mine. Toutle monde va connaître la vérité, c’estl’essentiel.

– La vérité en ce qui TE concerne.– Oublions Lewis. Je crois à la

justice, à la justice immanente comme àcelle des hommes, ses agissementsfiniront par être punis, crois-moi.

Laura fait une moue dubitative maisson visage s’éclaire d’un petit sourire.

– Maintenant que vous êtes blanchi,vous ne pouvez pas revenir dans lacourse ? demandé-je au sénateur.

– C’est trop tard, la convention a lieudans moins d’un mois. La donne achangé, un des candidats s’est retiré…

On ne peut pas remonter le temps. Maisje n’ai aucun regret Grace, j’ai vucomment les gens ont réagi autour demoi, au sein même de mon propre parti,et je me dis que ce n’était peut-être passi mal que je sorte du jeu.

– Et moi, je trouve que c’est vraimentdommage, dis-je.

– Et tu n’es pas la seule, renchéritDavid.

– Dans une autre vie peut-être, souritle sénateur. Allons, mangeons ce bonrepas, l’heure n’est pas aux regrets.Nous avons une bonne nouvelle à fêterce soir. Le cauchemar est terminé, Dieumerci. La seule chose que je déplore,c’est le lynchage médiatique dont va être

victime cette pauvre petite.– Sans compter les soucis qu’elle va

avoir avec la justice, déclare son épouseavec une moue sévère.

– Je ne porterai pas plainte, Laura,dit le sénateur d’une voix douce.

Sa femme le regarde, effarée. Mais jeremarque que Caleb ne semble passurpris.

– Mais… elle a fait de nos vies uncauchemar… Elle a ruiné ta carrière,s’étouffe Laura.

– Si la justice décide de lapoursuivre, c’est son affaire, mais pourma part, je n’irai pas plus loin. C’est uneenfant, elle a toute la vie devant elle,

laissons-lui une chance de rédemption.Tout le monde a bien le droit à uneseconde chance, non ? dit-il en regardantson fils.

Laura a les yeux fixés sur Caleb, et jesais qu’elle espère qu’il va contredireson père. Mais il reste silencieux,pensif, comme s’il se livrait à un combatinterne.

Tout le monde est suspendu à seslèvres, on sait tous que sa réponseinfluencera la décision de son père.

Caleb lève enfin les yeux pour lestourner vers moi. À l’éclat de ses yeux,je comprends immédiatement quelle va

être sa réponse, et je me sens submergéepar une vague d’amour pour lui et uneimmense fierté, car je sais à quel point ila souffert de cette histoire et de sesrépercussions.

– Tu as absolument raison Dad, dit-ild’une voix claire et ferme. Tout lemonde a le droit à une seconde chance.

54. Démasquée

– Edgar, je vous présente monépouse, Grace Montgomery, dit Caleb.

Je tends la main au grand échalas encostume de tailleur, tout maigre, auxcheveux argent coiffés d’une raieparfaitement dessinée sur le côté, quiaffiche un air plutôt furibond. Caleb aréussi je ne sais comment à convaincrele banquier qui ne voulait plus rien avoirà faire avec lui de venir à son cabinet.

Je crois que, même sans savoir qui il

était, cet Edgar Dandridge m’aurait étéextrêmement antipathique. Quelquechose dans son visage, son regardfuyant, sa moue aigre. J’essaie de cacherla répulsion que j’éprouve pour cethomme qui utilise des méthodesdouteuses pour spolier de pauvres gens,et je grimace un vague sourire. Lebanquier est accompagné de deux de sesconseillers qui arborent tous les deuxdes lunettes cerclées de métal et un airpeu commode.

Stacy est là bien sûr. Elle m’aaccueillie au cabinet ce matin avecbeaucoup de sympathie, me félicitantpour le renouvellement de nos vœux àCaleb et à moi, avec une sincérité et un

enthousiasme qui m’ont touchée. Maisquand Dandridge est arrivé avec saclique, elle a repris son masqued’avocate froide et impitoyable, quim’impressionne moins maintenant que jesais ce qui se cache derrière. Robert,dont le travail de recherche va être lesujet de cette réunion, est bien entenduprésent, aussi discret que d’habitude.

Nous prenons place autour del’immense table en marbre. J’ai trèsenvie de me réfugier à un bout éloigné,loin des autres, mais je m’installe prèsde Caleb comme il me l’a demandé. J’aiStacy à ma droite.

– Edgar, dit Caleb d’un ton solennel,

qui est en bout de table, malgré vosréticences, et le conflit qui nous oppose,vous avez accepté de venir ici et je vousen remercie. Je voulais d’abord vousprésenter mon épouse Grace car on l’asalie auprès de vous. Vous m’accusez devous avoir trahi, et je vous prouverai lecontraire dans quelques minutes, mais ona aussi déblatéré, menti, sur le comptede mon épouse et ça, je peux encoremoins le laisser passer. Grace est unefemme engagée dans une belle cause quilui tient à cœur, mais contrairement àcertains, jamais elle n’emploierait deviles méthodes pour arriver à ses fins.

Gloups. Il parle de Petrossian ou deDandridge ?

Je vois le banquier s’agiter sur sachaise. Lui non plus ne sait pas s’il doitse sentir visé par l’attaque de Caleb.

– Grace ne m’a pas soutiréd’informations confidentielles vousconcernant, pas plus que je ne lui en aidonné, déclare Caleb. Mais avant que jevous expose les preuves de ce quej’avance, je vous propose de boirequelque chose. Un café, un thé, quelquechose de plus fort peut-être ? dit-il ens’adressant aimablement à Dandridge età ses conseillers.

– Monsieur Montgomery, dit lebanquier d’un ton exaspéré, nousn’avons pas de temps à perdre. J’ai faitl’effort de venir vous écouter, dites-nous

ce que vous avez à dire…– Mais si, j’insiste, le coupe Caleb

d’un ton ferme. J’ai absolument besoind’un bon café avant d’entrer dans le vifdu sujet, je vous prie de vous joindre àmoi.

Dandridge et sa clique semblent aussisurpris que moi par l’insistance deCaleb. En revanche, Robert et Stacyn’ont pas cillé.

D’un geste las, Dandridge demandeun café, de même que ses employés,Robert de l’eau et Stacy un thé. Je faissigne que je ne veux rien. Je suistellement tendue que je ne pourrais rienavaler !

Caleb appuie sur un bouton del’étrange appareil design posé sur latable et demande à Margaret, sonassistante, d’apporter les boissonsdemandées.

– Margaret est très rapide et efficace,vous verrez, vous n’aurez pas beaucoupà attendre, dit Caleb. C’est une perle.

Restant imperméable aux regards deplus en plus agacés de ses hôtesimpatients, Caleb reprend :

– Monsieur Dandridge, lorsque j’aidécidé d’abandonner votre défense, jevous ai clairement expliqué mes raisons.Je ne suis pas en accord avec vos

méthodes, nous ne partageonsvisiblement pas la même vision del’éthique. Mais je connais mon métier,mes devoirs envers mes clients, présentset anciens, et je n’ai rien divulgué, pasmême à mon épouse, des informationsque vous avez bien voulu me transmettrelorsque mon cabinet travaillait pourvous. Ni même celles pour lesquellesvous ne nous avez pas mis dans laconfidence mais que nous avonsdécouvertes par nous-mêmes, ironise-t-il.

À cet instant, la porte s’ouvre surMargaret. La jolie assistante de Calebentre en poussant un chariot sur lequelsont disposées une cafetière, une théière

et même une appétissante assiette deviennoiseries françaises.

– Messieurs, laissez-moi vousprésenter Margaret, ma précieuseassistante, la « perle » dont je vous aiparlé, dit Caleb en se levant pours’approcher d’elle.

Margaret semble aussi surprise quemoi par cette introduction en fanfare etelle rougit, à la fois de gêne et deplaisir, en tirant sur son haut qui moulesa poitrine généreuse.

– Margaret est entrée au cabinet à sacréation. Elle a su se rendreindispensable, elle est efficace, rapide,

toujours de bonne humeur. L’assistantedont tout le monde rêve, n’est-ce pasEdgar ? dit-il avec un large sourire en setournant vers Dandridge qui le regarde,les sourcils froncés et l’air revêche.

C’est alors que je comprends. EtMargaret sans doute aussi, car elleblêmit soudain.

– Margaret a toute notre confiance,reprend Caleb. Et elle a un large accès àtoutes les informations qui circulent dansnos bureaux. Et, comme Margaret a aussiune vie sentimentale, elle a une relationavec Todd Petrossian.

Je reste bouche bée, les yeux braqués

sur Margaret qui semble se liquéfier surplace.

– Todd Petrossian, qui travaillaitpour la partie adverse lors du conflit quivous opposait à Susie Smith, continuetranquillement Caleb. Petrossian quivous a laissé entendre, Edgar, que jevous avais trahi, ainsi que ma femme. CeTodd Petrossian-là. N’est-ce pasMargaret ?

Elle a les yeux écarquillés, on diraitune biche devant les phares d’unevoiture. Elle bégaye, je vois qu’elle esttentée de nier, mais elle n’arrive pas àarticuler une parole pour sa défense.

– Margaret fréquente qui elle veutbien sûr, continue Caleb d’une voixétrangement douce. Sortir avecPetrossian aurait été une simple faute degoût, si elle ne lui avait pas transmis desinformations qui n’auraient jamais dûsortir de ce bureau. Tout cela aprèsl’avoir prévenu que ma femme m’avaitdemandé mon aide pour une amie et quej’avais dû refuser ce dossier à cause demes liens avec vous. D’où l’entrée enscène rapide de Petrossian. Et la suite,vous la connaissez.

Margaret vacille et tranquillement,Caleb lui avance un siège qu’elle n’apas la force de refuser. Elle s’assied,une main sur le cœur, avec le regard

d’une bête traquée.

Dandridge s’est levé de son siège, etil jauge Margaret du haut de sa grandetaille.

– Est-ce vrai, mademoiselle ?demande-t-il d’un air dédaigneux.

– Je… c’est-à-dire…, balbutieMargaret, et malgré sa trahison, j’avouequ’elle me fait de la peine.

Toute son attitude crie sa culpabilité.

Néanmoins, Dandridge se tourne versCaleb et lance :

– Qui me dit que vous ne l’avez pas

payée pour faire ce petit numéro, pourque j’abandonne la procédureconduisant à votre radiation ?

Caleb laisse échapper un petit riresec.

– Vous avez vraiment l’esprit tordu,mon cher Edgar. Robert ici présent,notre meilleur enquêteur, que vousconnaissez car son travail vous a sortide quelques mauvais pas, si je mesouviens bien…

Dandridge acquiesce de la tête.

– Robert a réuni un dossier avec unrelevé des coups de fil échangés entre

les deux, des photos, des e-mails queMargaret a pris soin de ne pas envoyerde son ordinateur mais d’un autreordinateur de la boîte… Un dossierfourni qui ne laisse pas de place audoute. Que Margaret avoue ou pas. Nousvous en avons préparé une copie.

Robert se lève et dépose un dossierépais devant Dandridge, qui se tientdebout près de son siège.

L’assistante pleure maintenantdoucement, le visage entre ses mains.

– Je suis désolée, je suis tellementdésolée, répète-t-elle. Je ne voulaispas… il m’a dit… Je l’aime, ajoute-t-

elle d’une voix plaintive.

Stacy se lève et va la prendre par lebras.

– Nous vous demandons de quitter leslieux maintenant, dit-elle d’une voixglaciale. Le service de sécurité va vousescorter jusqu’à la porte. Vous ne devezrien emporter avec vous. Vousconnaîtrez très bientôt les suites quenous donnerons à cette affaire.

Margaret se lève, les jambesflageolantes.

– Je suis désolée Caleb, je…, dit-ellemais il lui jette un tel regard qu’elle ne

peut poursuivre sa phrase et qu’elle sorten sanglotant, accompagnée de Stacy.

Je suis abasourdie par ce qui vient dese passer. Les deux conseillers deDandridge feuillettent le dossier,pendant que celui-ci garde le silence. Aubout d’un instant, ils le regardent et luifont un signe de tête. Dandridge setourne alors vers Caleb.

– C’est à moi de vous présenter mesexcuses, Caleb. Je suis désolé de vousavoir accusé à tort. Si je peux réparerd’une façon ou d’une autre… Peut-êtrepouvons-nous reprendre… notrecollaboration…

– Vos excuses me suffisent, dit Caleb

assez froidement. Après ce qui s’estpassé, je doute que l’on puisse retrouverune quelconque relation professionnelle,qui se doit d’être basée sur uneconfiance réciproque.

– Je… Hum. Oui, évidemment,toussote Dandridge. Eh bien, nous allonspartir, dit-il en faisant signe à sesacolytes qui se lèvent aussitôt.

J’en fais autant.

– Au revoir, alors, dit Caleb, Robertvous montrera le chemin, on vous laisse,nous avons un rendez-vous, dit-il.

Et me prenant par l’épaule, ilm’entraîne hors de la pièce sans un

regard pour la main tendue deDandridge.

***

Nous n’avions aucun rendez-vous. Enfait, Caleb a passé une partie de lajournée à organiser une petite fête dansses locaux. Faute d’assistante, mais avecl’aide de Belinda, la réceptionniste, etde moi-même, il a passé les coups de filnécessaires pour qu’en fin d’après-midisoient livrés une montagne de petits-fours et de boissons pour le personneldu cabinet.

Avocats, assistants, le servicecomptabilité, celui de la maintenance

informatique… tout le personnel a étéconvié dans la grande salle donnant surla terrasse. C’est un plaisir de voir tousleurs visages réjouis. La nouvelle del’expulsion de Margaret s’est répanduecomme un feu de paille, mais si encoreaucune annonce officielle n’a été faite,tout le monde a compris que c’était lataupe qui avait donné des informations àPetrossian… et que du même coup,Caleb était blanchi de toutes lesaccusations portées contre lui. Certainsont été blessés, déçus par Margaret quiavait su se faire aimer de tous, mais jevois sur leurs visages que la satisfactionde voir leur avenir assuré est plus forteque leur déception.

Tout le monde est hilare, le spectrede la fermeture du cabinet qui rôdaitdepuis des semaines est désormaisbalayé. Stacy affiche un sourire radieuxque je ne lui ai jamais vu, manifestementpas plus que la plupart de ses employésqui la regardent avec un étonnement maldissimulé.

Le champagne coule à flots, et aprèsla tension de tout à l’heure, l’ambianceest maintenant aux réjouissances. Caleba fait tomber la veste, et sa cravate gît,abandonnée sur une chaise.

– Mes chers amis, déclare-t-il, voussavez sûrement que nous avons trouvé lapersonne qui donnait des informations à

Petrossian, grâce au travail de Robert.

Tout le monde se tourne vers Robertqui se tient discrètement au fond de lasalle, et l’applaudit, tandis qu’il baissela tête modestement, un sourire auxlèvres.

– C’est toujours une blessured’apprendre que l’on est trahi, continueCaleb. Mais la bonne nouvelle, c’est queDandridge a abandonné toutes lespoursuites, je ne serai pas radié et lecabinet n’est plus en péril !

Nouvelle salve d’applaudissements.

– J’imagine vos angoisses ces

dernières semaines, poursuit Caleb,visiblement ému, et je vous remercie denous être restés fidèles, à Stacy et à moi,d’avoir eu confiance en nous. Nous nel’oublierons pas, croyez-nous. Vousfaites un travail formidable, et nouscontinuerons ensemble je l’espère trèslongtemps !

Ça m’amuse de voir tous ces hommesen costume-cravate et toutes ces femmesbien mises en train de crier, de sedonner des tapes dans le dos, et desiffler comme des supporteurs de foot.Mais ils font silence quand Calebreprend la parole :

– Je voudrais en profiter pour faire

une annonce. Si nous travaillonsensemble, c’est parce que nouspartageons une même éthique, une mêmevision de la justice. Cette éthique nous aconduits, Stacy et moi, à élaborer unprojet de fondation en faveur del’enfance défavorisée de New York,fondation qui sera chapeautée par lecabinet. Une partie des bénéfices luisera reversée, et nos clients seront mis àcontribution. Comme nos fiscalistes lesavent, ils n’y trouveront rien à redirepuisque ça allégera leurs impôts, c’estdu gagnant-gagnant, plaisante-t-il,provoquant les rires de l’assistance, trèsvite couverts par d’autresapplaudissements.

Tout le monde se précipite pour seresservir à boire ; Caleb a vu les chosesen grand, et il y en a assez pour abreuverune armée entière jusqu’au petit matin.Je le regarde, le cœur gonflé de fierté,répondre aux accolades de ses employésqui viennent les féliciter, Stacy et lui.Comme d’habitude, il a fait preuve denoblesse en associant publiquementStacy au projet de fondation, alors qu’ilen a eu seul l’idée, et il a passé soussilence le fait que le capital initial de lafondation viendrait de sa fortunepersonnelle.

Et c’est avec cet homme merveilleuxque je vais passer le reste de ma vie. Jen’en reviens toujours pas d’être aimée

de lui.

Bien que très entouré, je vois queCaleb me cherche des yeux. Nos regardsse croisent, son visage déjà heureuxs’illumine davantage.

Oh oui, il m’aime, et il croit en moi.Et je ferai tout pour ne jamais ledécevoir.

55. La vengeance, c'estbon aussi tiède

Caleb et moi nous sommes éclipsésdiscrètement, laissant le personnel ducabinet continuer leurs réjouissances,pour aller nous changer avant deressortir. Nous sommes invités à undîner de gala au Carnegie Hall. C’estsans doute l’un des derniers grandsévénements mondains donnés àManhattan avant la parenthèse estivale ;tout le gratin new-yorkais sera là sansdoute, et j’avoue que j’ai un peu le trac.

J’ai revêtu une robe bustier griscendré rehaussée de dentelle noireévasée à partir de la taille, piquée d’uncamélia de satin. Je l’ai achetée enprévision de cette soirée en compagniede ma mère lorsqu’elle était à NewYork. C’est elle qui m’a conseillée, et jecrois que j’ai bien fait de l’écouter. Marobe s’arrête juste au-dessus dedélicates sandales noir et argent JimmyChoo. Jessica, une coiffeuse quicollabore avec K27 avec laquelle j’aisympathisé, est passée me faire unchignon qu’elle a agrémenté de perles.Elle m’a aussi aidée à me maquiller et lerésultat dépasse mes attentes. Je rougisde fierté quand Caleb me découvre et

que je vois son regard s’enflammer. Lui-même est superbe dans un smoking bleumarine au revers noir, et incroyablementsexy. Il a un petit côté James Bond trèsexcitant. Je renoncerais facilement à lasoirée pour le déshabiller tout de suite.Mais je me résous à attendre quelquesheures…

Le Carnegie Hall est un de cesendroits mythiques de New York danslequel tout le monde rêve d’assister à unspectacle. Les circonstances sontparticulières ce soir, et desphotographes guettent devant l’entrée dubâtiment de style Renaissance italiennel’apparition des notables de la ville etdes stars.

Arrivée dans le foyer, je suis éblouiepar les lumières et tout le strass destenues de superbes femmes qui sepressent au bras d’hommes élégants. Jem’accroche au bras de Caleb, qui n’estpas le moins du monde impressionné.Les gens se pressent autour de lui pourprendre des nouvelles de son père, et leféliciter pour l’issue de « l’affaireBrittany ».Tous disent n’avoir jamaisdouté de l’innocence du sénateur, etCaleb fait mine de les croire, même s’ilest bien placé pour savoir qu’au momentdu scandale, ils étaient peu nombreux àmanifester leur soutien. Il serre desmains, souriant, me présente à tous avecfierté…

J’admire l’aisance avec laquelle ilévolue dans ce monde, alors que je neme sens pas vraiment dans mon élément.Je sens quand même que j’ai beaucoupévolué dans ce domaine aussi, depuisque j’ai rencontré Caleb.

Je n’ai plus l’irrésistible envie deme terrer dans un trou dès quequelqu’un d’un peu guindé s’approche,c’est déjà ça !

Soudain, une des belles invitées, unesuperbe brune aux cheveux mi-longscrantés en fourreau blanc, s’avance versCaleb.

– Caleb ! Que je suis contente de te

voir, ça fait tellement longtemps !s’exclame-t-elle.

– Oh, Daisy ! Comment vas-tu ? ditCaleb, qui l’embrasse, visiblementheureux de la revoir.

– Je vais très bien, merci ! J’ai apprisque tu t’étais marié, vilain cachottier. Tume présentes ? dit-elle en me regardantavec un sourire très sympathique.

Caleb se tourne vers moi :

– Bien sûr ! Daisy, je te présenteGrace, mon épouse. Grace, Daisy estune amie d’enfance, nous avons passépas mal de vacances ensemble lorsquenous étions enfants. Ses parents sont desamis des miens. Son père était le

procureur de l’État de New York, il est àla retraite maintenant. Tu vis toujours enFloride ?

–Enchantée de connaître celle qui aconquis le cœur de cet indomptableCaleb, Grace, dit-elle en me serrant lamain avec une belle poigne et un sourireéclatant.

Puis elle se tourne vers Caleb :

– J’ai quitté Miami, je suis revenuem’installer à New York il y a quelquessemaines. Ta femme est adorable Caleb,mes félicitations à tous les deux.

– Et toi alors, tu as trouvé l’heureuxélu ? Tu as déjà divorcé deux fois, non ?plaisante Caleb.

Je suis un peu gênée mais Daisy neprend absolument pas ombrage de lataquinerie de Caleb. Elle éclate de rire.

– Oui, mais cette fois, c’est vraimentle bon ! On prévoit de se fiancer trèsvite. Il est parti chercher une coupe dechampagne, il ne devrait pas tarder.

C’est alors que j’aperçois ToddPetrossian, lunettes aux verres gris fuméassorties à son costume, deux coupes dechampagne à la main. Il ne se rend pastout de suite compte que c’est avec nousque parle Daisy, et il s’en aperçoit aumoment même où je comprends quec’est lui « l’heureux élu ». Petrossianblêmit, mais continue d’avancer vers

nous.

Je jette un œil à Caleb. Si je suisenvahie de rage et que j’ai du mal àretenir un cri, lui ne laisse rien paraîtrede ses sentiments. Il reste impassible,tandis que Daisy nous présente. Je nesais pas comment il fait, mais il parvientmême à lui serrer la main. Je prendsexemple sur lui, mais ce contact me faitfrissonner de répulsion.

Dire que je l’ai trouvé séduisant,sympathique, gentil… il me dégoûte !

C’est alors qu’une vieille dame vientattraper Daisy par la taille.

– Daisy ma chérie, Bernard veut tevoir, il est assis là-bas, ses jambes ne leportent plus très bien. Tu veux bien venirun instant ?

– Mais bien sûr Bianca, j’arrive, ditaimablement Daisy.

Elle se tourne vers nous et dit :

– Excusez-moi. Profitez-en pour faireconnaissance, je reviens.

Je n’entends plus les bavardages niles éclats de rire, je ne vois plus l’éclatde la lumière : je suis entièrementoccupée par ma colère contre l’horriblepersonnage qui se tient devant nous.

C’est lui qui parle le premier.

– Alors, Caleb, tu connais Daisy ?fait-il avec une nonchalance tropappuyée pour être vraie.

– Je la connais très bien, dit Calebd’une voix glaciale, c’est une amie. Et jene permettrai pas qu’elle t’épouse. Ellea déjà fait deux erreurs, je ne la laisseraipas en faire une troisième, la pire detoutes.

– Ah, parce que tu crois qu’elle vame quitter parce que tu le lui demandes ?dit Todd d’un air arrogant.

– Non, pas parce que je le luidemande. Parce que tu es une ordure dela pire espèce ! Tu as menti, triché, tunous as fait espionner, et tu as utilisé les

sentiments d’une pauvre fille pourparvenir à tes fins. Et tu couchais avecelle, lui promettant monts et merveilles,pendant que tu faisais ta cour à Daisy.

– Il ne faut pas croire tout ce queMargaret dit, répond Todd d’un airdétaché, avec un aplomb qui me révulse.Cette pauvre fille m’a couru après…

– Cesse immédiatement de parlerd’elle en ces termes, où je te mets monpoing dans la figure devant tout lemonde, dit Caleb.

Il a parlé assez bas pour quepersonne autour n’entende, mais sesyeux menaçants jurent avec sonapparence calme.

Pauvre Margaret !

Je ne peux m’empêcher d’éprouverde la peine pour elle. Elle a cru auxbelles paroles de ce type, comme sansdoute d’autres avant elle, et elle paie leprix fort tandis que lui se pavane dansles dorures au bras d’une riche héritière.

Petrossian jette un regard furtif autourde lui, pour s’assurer que personne n’aentendu la menace de Caleb. Unscandale, c’est la dernière chose qu’ilsouhaite. Pas bon pour les affaires.

– Caleb, on peut s’arranger…,commence-t-il.

– Il n’y a pas d’arrangement. Tu vas

commencer par quitter Daisy, sinon jelui rapporterai tout ce que je sais sur toncompte, preuves à l’appui. J’imagineque la fille d’un ex-procureur, avec unformidable réseau, c’était une bonneprise pour toi, mais il va falloir larelâcher. Je préfère qu’elle souffre unefois, plutôt qu’elle lie sa vie à la tienne.

Petrossian fixe Caleb à travers sesverres teintés, jaugeant sa détermination.Sans doute lui paraît-elle inébranlable,car il acquiesce.

– C’est bon.– Ce n’est pas fini, lâche Caleb. J’ai

la preuve de tous les manquements à ladéontologie. Tu as voulu me faire radier,

mais avec toutes les preuves que j’airéunies de tes agissements, c’est moi quipeux demander ta radiation.

– Mais tu ne vas pas le faire, ditl’autre, le visage déformé par un rictus.

– Non effectivement, répond Calebd’une voix calme. Mais tu vas t’engager,par écrit, à reverser un pourcentage detes bénéfices à la fondation pourl’enfance défavorisée que je vais créer.Et ton cabinet va instaurer des heures depro bono hebdomadaires pour tous sesavocats, toi y compris.

– Mais c’est impossible ! s’écriePetrossian, qui a perdu tout son flegme.Mes associés n’accepteront pas.

– Je suis sûr que tu seras assez malin

pour leur vanter les bienfaits du probono et le leur faire accepter, dit Calebavec un sourire méprisant. Sinon, j’auraides dossiers à leur présenter.

– Mais c’est du chantage ! s’agacel’autre.

– Je te laisse juge, tu t’y connais en lamatière, ironise Caleb. Tu refuses ?

Petrossian bouillonne de rage.

– D’accord, finit-il par lâcher.– Bien. Je vais faire préparer un

document à signer, récapitulant tesengagements et assurant leurconfidentialité et la non-divulgation dece que je sais sur toi. Je te l’enverraipour signature. Je préfère que tu ne

souilles pas mes bureaux par taprésence.

Nerveux, Petrossian avale d’un coupsec le reste de sa coupe de champagne.

– J’ai quand même sauvé le centre devotre amie, non ? Ça ne mérite pas unpeu de reconnaissance ?

– De reconnaissance ? m’écrié-je,frémissant de colère. Vous m’avez menti,vous NOUS avez menti, à moi, à Susie,aux enfants, sur vos motivations. Vousvous êtes servi de nous pour atteindreCaleb, pour essayer de couler soncabinet. Vous vous êtes répandu sur moi,vous avez dit que j’avais trahi mon mariet toute sa firme en vous donnant des

documents et que sais-je encore… Et jedois vous en être reconnaissante ? Vousêtes une ordure, et je regrette que vousvous en tiriez comme ça ! Parce queMargaret, qui a cru en vous, commeSusie, comme les enfants ou moi avecelle, ne s’en sortira pas aussi bien. Sacarrière est foutue et elle a le cœur enmorceaux. Et vous, vous continuerez àfaire le beau, à mentir dans vos joliestenues et vos lunettes fumées qui cachentle voyou que vous êtes vraiment.

Sous l’effet de la colère, j’ai hausséla voix, et quelques personnescommencent à tourner leur regard versnous. Petrossian s’en aperçoit, et c’estsans doute ce qui le retient de me jeter à

la figure le venin qui lui tord la bouche.

– Tu diras à Daisy que nous n’avonspas pu attendre, dit Caleb, et noustournons les talons, le laissant ivre derage, ses yeux lançant des éclairs.

Je doute qu’il apprécie le concert.Contrairement à Caleb et à moi.

56. Comme unboomerang

– C’est adorable de m’accompagner,me dit Caleb en me serrant la main. Je tepromets, il n’y aura que ce repas, et toutle reste du week-end est à nous. Onpourrait aller faire du bateau…

Un des riches et importants clients deCaleb l’a invité au débotté la veille danssa villa de Newport, Rhode Island, pourle week-end. Il a apparemment dessoucis dont il voudrait parler avec

Caleb au plus vite. Caleb a acceptéd’aller le rencontrer au cours d’undéjeuner mais, soucieux de ne pasm’embarrasser, a décliné l’offre des’installer chez lui. À la place, il aréservé une chambre dans un superbehôtel de cette station balnéaire de la côteEst très réputée.

– Ne t’inquiète pas pour moi, lesacrifice n’est pas grand, dis-je enregardant par la fenêtre l’Atlantique quimiroite au soleil de juillet.

Notre chambre est un véritable coconde raffinement et je n’ai rien contrel’idée d’y passer deux jours. Lit àbaldaquin, terrasse avec vue sur

l’océan… Je serais bien difficile de meplaindre !

Le client milliardaire de Caleb avoulu nous envoyer son chauffeur à NewYork, mais Caleb a préféré faire la routedans son cabriolet italien, un bolide desannées 1960 qu’il a peu l’occasion desortir du garage. C’est à bord de saSpider écarlate que nous arrivons à unsuperbe manoir en pierre, qui n’est passans évoquer un château français. Je nesuis pas sûre que mes sandales plates etma petite robe marinière soient trèsappropriées dans cette opulence, maisCaleb me rassure en me disant qu’ici,l’atmosphère se veut décontractée,casual. Lui-même porte un tee-shirt

blanc et un pantalon de même couleur entoile, retroussé.

Une domestique nous introduit dansla superbe demeure et nous conduit à unsalon. Avant que nous puissions ypénétrer, un homme en sort. Il est petit,rondouillard, chauve, et il a l’air trèsgêné.

– Caleb, madame Montgomery,bonjour, merci d’être venus.

Il sue ou je rêve ?

– Mais je vous en prie Lawrence, ditCaleb aimablement.

À ma grande surprise, l’homme semet à bafouiller des propos incohérents.

– Ne le prenez pas mal… Ne m’envoulez pas je vous en prie. Il m’a forcé.Je n’ai pas eu le choix. Pardonnez-moi.

On le regarde, stupéfaits.

– Il vous attend, ajoute-t-il enmontrant la pièce derrière lui, avant des’enfuir quasiment en courant.

– Lawrence ! crie Caleb.

Mais notre hôte ne se retourne mêmepas.

C’était quoi ça ?

Caleb et moi nous regardons,interloqués. Puis Caleb, sourcilsfroncés, me prend par la main, et j’entreà sa suite dans la pièce au seuil delaquelle nous étions arrêtés.

Dans l'un des fauteuils, tirant sur ungros cigare, est installé le gouverneurCharles Lewis. Le père biologique deCaleb.

J’ai l’impression de recevoir un coupde poing dans le ventre. Instinctivement,je regarde Caleb. Il est blanc comme unlinge, sa main dans la mienne est froidecomme celle d’un mort.

– Mais entrez donc, dit l’homme sans

se lever, installez-vous.

Ni Caleb ni moi ne faisons unmouvement.

– Je vous en prie, venez vousasseoir ; j’ai eu un mal de chien àconvaincre ce pauvre Lawrence de vousfaire venir jusqu’ici. J’ai dû trouver desarguments convaincants, lâche-t-il avecun sourire plein de sous-entendus.Maintenant que vous êtes là, vouspouvez au moins m’écouter.

Je vois le sang revenir aux joues deCaleb. La stupeur passée, il reprend sesesprits.

– Ce que vous avez à me dire nem’intéresse pas, lance-t-il sur un tonméprisant.

– Assieds-toi, fils ! dit Lewis, avecautorité.

J’ai l’habitude de voir Caleb semontrer imperturbable quelle que soit lasituation, mais ce mot le met dans unerage folle.

– Je vous interdis de m’appelercomme ça, hurle-t-il, ses yeux bleuslançant des éclairs.

Les veines de son cou sont gonflées,on dirait qu’il va exploser. Je pose mamain sur son avant-bras pour essayer de

le calmer.

Le gouverneur le scrute avecintensité. Il a perdu son sourire, etlentement, il déplie sa grande et fortesilhouette pour se redresser.

– Tu as raison, je n’ai pas le droit det’appeler mon fils, fait-il lentement. Etpourtant, toi et moi avons des liens desang, et tu le sais maintenant. Ta mèreme l’a dit.

Je fixe ce visage, cherchant à trouverdes ressemblances avec Caleb. Je n’envois guère, si ce n’est la forme duvisage, peut-être, et la couleur des yeux.

Caleb ne peut masquer sonétonnement. Le gouverneur enchaîne :

– Oui, Laura et moi avons eu unepetite discussion. Elle m’a appelé pourme dire tout le bien qu’elle pensait demoi, ricane-t-il. Apparemment, on lui adit que j’étais derrière le scandale qui aéclaboussé son mari.

– Et c’est le cas, dit Caleb avecfermeté.

L’autre hausse les épaules.

– Si tu le dis…, fait-il, désinvolte.J’ai été étonné de voir à quel point tamère me détestait encore, presque trenteans après. Vois-tu, je n’étais pas prêt à

être père à l’époque, et j’ai réalisé,certes un peu tard, que l’épouser auraitété une mauvaise idée. Tout le mondepeut se tromper, non ? dit-il avec uncynisme qui me glace le sang.

Il s’est rapproché de nous. Il a lamême taille que Caleb, mais sasilhouette épaisse est celle d’un bonvivant, d’un noceur, comme sa peau dontla rougeur trahit un penchant pourl’alcool.

– Elle ne devrait pas m’en vouloirpour ça, pas plus que toi, fait-il avec unsourire goguenard. D’après ce que j’aivu à la télé, tu n’as pas eu à souffrir duremplacement ; tu vénères celui qui t’a

élevé. Ce bon vieux Will…– Abandonner ma mère est sans doute

la meilleure chose que vous ayez faitedans votre vie, dit Caleb avec un rictusde dégoût.

L’autre sourit.

– Tu vois, nous sommes au moinsd’accord sur un point. Cela dit, je mesuis trompé sur son compte : elle a faitune merveilleuse épouse de politicien.Je l’ai presque regrettée ces dernièresannées. Elle a mené ce cher Willquasiment à la victoire. S’il n’avait pasrencontré quelques… obstacles, il seraitsans doute arrivé à la présidence,ajoute-t-il avec un air narquois qui me

donne envie de lui mettre des gifles.

Je vois que Caleb lui-même prend surlui pour ne pas perdre patience.

– Qu’est-ce que vous me voulez ?lance-t-il, agacé.

– Eh bien… je ne sais pas si tu sais,mais j’ai un fils, lâche Lewis. Un autrefils, je veux dire. Celui-ci je l’ai élevé.Et aussi incroyable que cela puisseparaître, je l’aime. Plus que tout. Ils’appelle Eric, il a 19 ans, il est étudiantà Columbia. Et il risque d’être mis enexamen pour meurtre.

Quoi ? ? ?

– Je ne vois pas en quoi ça meconcerne, dit Caleb froidement, après uninstant de silence.

– Ça te concerne parce que c’est tonfrère, dit l’autre. Le même sang couledans vos veines. Et c’est la vérité, mêmesi tu me détestes. Sa mère est mortequand il était petit, il n’a que moicomme famille. Et je n’ai sans doute pasété le père que j’aurais dû être, mêmeavec lui, même si je l’aime. C’est unpauvre enfant perdu, qui s’est mis dansde sales draps ; pour l’instant, j’ai réussià l’exfiltrer du campus où l’« accident »a eu lieu, il est chez nous, en Floride.Mais il va avoir besoin d’un avocat, trèsvite.

Caleb le regarde un instant ensilence.

– Je ne comprends pas ce que vousattendez de moi, lâche-t-il enfin.

– Tu es un grand avocat, Caleb. Toutle monde le sait. Tu es jeune, mais tu esdoué, et tu as déjà remporté de grandscombats. Tu as même fait libérer ce garscondamné à mort quand tu étaisseulement étudiant. Tu vois, malgré tout,j’ai gardé un œil sur toi toutes cesannées.

Je suppose qu’il dit ça pour tenter del’amadouer, mais la manœuvre estgrossière et ça ne fait que contrarierdavantage Caleb.

– Je ne vois pas pourquoi je vousviendrais en aide. Surtout après ce quevous avez fait à mon père ! s’énerve-t-il.

– Je ne te demande pas de le fairepour moi, mais de le faire pour ton frère.

– Tu parles ! ricane Caleb. Àquelques jours de la convention, çaferait un mauvais effet d’avoir un filsinculpé de meurtre, n’est-ce pas ?

Le gouverneur le regarde, et un petitsourire triste se dessine sur ses lèvres.

– J’ai mérité tout ce que tu dis. J’aimérité que tu penses ça de moi. Ça meressemble, en effet. Mais si je suis venute solliciter, c’est réellement pour lebien d’Eric. Je veux le meilleur pour lui.

Je sais que tu te battras deux fois plus ensachant que c’est ton frère.

Caleb le regarde d’un air dubitatif.

– Rappelle-toi que je peux me payern’importe quel avocat, insiste Lewis. Jesuis riche, très riche, ajoute-t-il avecsatisfaction. Mais les autres serontmotivés par l’argent. Et le sang est pluspuissant que l’argent. En tout cas pourdes gens comme toi. Je connais tesvaleurs, car je connais l’homme qui teles a inculquées.

Le silence s’installe. Je regardeCaleb, qui semble déstabilisé par lesdernières paroles de Lewis.

Celui-ci l’a compris aussi, je peuxvoir une petite lueur de satisfactions’allumer dans ses yeux bleu marine. Iltire sur son cigare, avant de reprendre :

– Je te donne quelques heures pour yréfléchir. Si à 17 heures, tu ne m’as pasdonné de réponse, je reprends l’avion, etje trouve un autre avocat pour Eric. Jene peux pas attendre plus longtemps.

Caleb le regarde, et on peut lire lemépris dans ses yeux, mais il ne dit rien.Puis il prend ma main et m’entraîne aveclui, loin de cette pièce où il a pour lapremière fois rencontré son pèrebiologique. L’homme qu’il déteste sansdoute le plus au monde.

Nous repartons presque en courant.Cette fois, c’est nous qui ignorons lescris de Lawrence, le client de Caleb, quiveut lui parler. Sans doute pours’excuser, mais Caleb n’a rien à faire deses excuses. C’est même à cet instant ledernier de ses soucis.

Nous grimpons dans le cabrioletaussi vite que possible et en quelquesminutes nous nous retrouvons sur laroute qui longe l’océan. Frappés destupeur, nous n’avons échangé aucunmot. Caleb conduit vite, très vite. Levent qui fouette nos visages nous tire denotre stupéfaction, et nous retrouvonssoudain la parole.

– Non mais c’est pas possible !s’énerve Caleb en tapant sur le volant.

– C’est incroyable ! m’écrié-jesimultanément. Incroyable !

Je regarde Caleb qui conduit,mâchoires serrées, les yeux fixés sur laroute.

– Mais… qu’est-ce que tu vas faire ?Tu vas accepter la défense ?

Caleb ne me répond pas tout de suite.Il attend que la voiture s’immobilise àun stop, et il tourne alors son regard versmoi. Il a l’air bouleversé, et comment nele serait-il pas ?

– Je ne sais pas ce que je vais faire,Grace, dit-il d’une voix grave. Vraiment,je n’en sais rien. Je ne veux rien avoir àfaire avec ce type. Mais ce garçon…Eric… C’est mon frère. Il a 19 ans. Et sice que son père a dit est vrai… il risquela prison à perpétuité.

À ces mots, une lueur indescriptiblepasse dans son regard : ce père qui l'aabandonné, cette famille recomposée,tous ces problèmes ne sont-ils pas plusprofonds que Caleb ne me laissepenser ?

Mon Dieu, Caleb, fais le bon choix,mon amour…

57. L'heure du choix

C’est à toute vitesse que nousregagnons notre hôtel, après notreentrevue avec le père biologique deCaleb, Charles Lewis. Caleb conduit sivite que j’ai peur que nous n’ayons unaccident. Mais heureusement, nousregagnons l’établissement sains et saufs.

Vu que nous n’avons pas déjeunéchez le client de Caleb, je commande unrepas au room service. Les plats quinous sont apportés sont appétissants,mais Caleb n’y touche pas, et j’avoue

que moi-même, je ne peux pas avalergrand-chose.

Caleb est mutique depuis que noussommes rentrés. Je sens bien qu’ilcontient sa rage. Et c’est vrai qu’il y ade quoi être en colère. Ce type, legouverneur Lewis, est absolumentrépugnant. Il n’a pas reconnu Caleb, n’apas cherché à le connaître toutes cesannées, il a comploté contre le sénateurMontgomery, le forçant à abandonner lacourse pour l’investiture, et maintenant,il vient sans états d’âme lui demanderson aide ! Il est d’un cynisme et d’unculot rares.

Nous sommes installés sur la terrasse

de notre chambre. Des yachts croisent aularge, leurs occupants profitant du soleilqui est au rendez-vous en ce mois dejuillet sur ce coin de la côte Est. Jeregarde d’un œil distrait les voilesblanches des bateaux du vénérable etplus que centenaire Newport Yacht Clubqui fait la fierté de la localité. J’espéraiscomme ces plaisanciers prendre la meret profiter avec Caleb de ce week-endradieux, mais je doute que ce soit encoreau programme.

– Qu’est-ce que tu vas faire ? finis-jepar demander, en repoussant monassiette de risotto aux asperges à peineentamée.

Caleb lève la tête, et il me regardecomme si je venais de le tirer d’un rêve.J’ai l’impression qu’il réalise seulementque je suis là.

– Oh ! sursaute-t-il, pardonne-moimon amour. Je réfléchissais. Tu disais ?

– Je te demandais ce que tu comptaisfaire…

– Je ne ferai jamais rien pour ce type.En revanche son fils…, dit-ilpensivement. Je ne sais pas ce qui s’estpassé, mais manifestement, Eric s’estmis dans de sales draps. Si son père apris la peine de venir me voir, alorsqu’il m’a ignoré toute mon existence, eten sachant que j’avais connaissance detout ce qu’il avait manigancé contre mon

père, c’est que ça s’annonce très malpour lui. Eric n’a que 19 ans, et si lescharges d’homicide sont retenues contrelui, il peut passer le reste de sa vie enprison. Même s’il est coupable, à cetâge-là on est encore un enfant, on n’estpas tout à fait responsable de ses actes.Quand on voit avec quel père il agrandi… je pense qu’il a descirconstances atténuantes ! lâche-t-ilavec un petit rire amer.

– Tu vas l’aider alors ?– Je ne sais pas, dit Caleb, hésitant.

J’ai beau me dire que dans ce cas, lesliens du sang ne signifient rien, j’ai dumal à ne pas éprouver de la compassionpour ce garçon. Surtout quand je pense

que si j’avais grandi avec Lewis commepère, j’aurais pu me retrouver à saplace.

– Tu as eu de la chance d’être élevépar Will…

– Oh que oui ! dit Caleb en hochantvigoureusement la tête. Nous avonstoujours été très proches tous les deux, ils’arrangeait pour passer beaucoup detemps avec moi, malgré sesresponsabilités. Nous étions une famillesoudée tu sais, nos rapports, enfinsurtout entre ma mère et moi, ont un peudégénéré à l’époque où j’ai apprisque… où j’ai appris leur mensonge, dit-il pudiquement. Mais nous étions trèsunis, heureux. La seule chose qui me

manquait… c’était un frère. Ironiquenon ? Après moi, ma mère n’a plus puavoir d’enfant. Mais je me souviens queje m’étais inventé un frère imaginaire.Ça peut paraître idiot…

– Pas du tout, je te comprends. Cen’est pas toujours facile d’être enfantunique. J’en ai souffert aussi, avant quel’on s’installe à Los Angeles. Et après…j’ai eu Nikki. Je ne la voyais qu’unesemaine sur deux, mais j’attendais sonretour à la maison avec impatience. Jetrouvais le temps long quand elle n’étaitpas là. Elle est devenue ma sœur, et elleme traitait comme telle. Avec toutes leschamailleries que ça implique,reconnais-je en souriant.

– Mais vous avez grandi ensemble,ça crée des liens, répond Caleb. Je neconnaissais pas l’existence d’Eric il y aquelques semaines. Et puis vous n’avezpas beaucoup de différence d’âge Nikkiet toi. Eric a 19 ans, j’en ai 28. Qu’est-ce qu’on pourrait avoir en commun, àpart la génétique ?

– Tu as passé l’âge d’avoir besoind’un frère pour jouer, c’est sûr. Peut-êtremême n’as-tu plus besoin de frère, toutcourt. Mais Eric… Il aurait grand besoind’en avoir un à ses côtés, surtout si saseule famille se résume à son horriblepère. Il a sans doute besoin d’avoirquelqu’un sur qui s’appuyer, à qui faireconfiance. Il ne pourrait pas trouver

mieux que toi, même si tu n’étais pasavocat, dis-je en caressant sa joue.

– Tu crois que je devrais accepter ?me demande Caleb.

– Je crois que… tu devrais faireselon ta conscience. Je suis sûre qu’avectoi, ce garçon aura la meilleure défensepossible mais je sais que le défendre,cela implique des rencontres avec sonpère, et je sais aussi à quel point tul’exècres. Toi seul connais ton seuil detolérance.

Caleb ferme les yeux et met sa têteentre ses mains. Il reste comme çaquelques instants, et c’est à peine si jerespire, de peur de troubler sa réflexion.Quand il se redresse, je vois à son

regard qu’il a pris sa décision. Quant àsa voix, elle est débarrassée de touteémotion.

– Bien. Je vais aller rencontrer Eric,dit-il d’un ton ferme et assuré. Je vaisappeler Stacy, pour la prévenir, etm’assurer qu’elle est d’accord, mais jepense qu’elle n’aura rien contre cedossier, qui risque de faire beaucoupparler du cabinet. Puis je vais retournerchez Lawrence, il faut que je revoieLewis pour en savoir plus sur cetteaffaire.

Il se lève, l’air déterminé.

– Je ne vais pas t’infliger ça de

nouveau mon amour, me dit-il en setournant vers moi. Je vais aller chezLawrence seul. Ça ne t’embête pas derester ici ?

– Ne t’inquiète pas, je vais trouver àm’occuper. Je vais aller faire un tour,peut-être me baigner…

Je m’approche de lui et l’enlace :

– Tu as fait le bon choix, Caleb. Cegarçon est peut-être innocent, etpersonne mieux que toi ne pourra ledéfendre. Et s’il est coupable… Eh bientu me l’as dit toi-même, et répété : toutcoupable a le droit d’être défendu.

***

En attendant le retour de Caleb, et surune idée à lui, j’ai décidé de profiter desservices du beach butler, le« majordome de plage », de l’hôtel.L’hôtel est près de l’océan, mais il n’y apas de lieu de baignade.

Je fais ma demande par téléphone :

– Vous souhaitez un panier pique-nique ? s’enquiert la réceptionniste.

– Non merci, dis-je.– Très bien. Alors, juste le sac…– Euh… le quoi ?– Le sac avec la serviette, de la

crème solaire et la bouteille d’eauminérale.

– Oh… Oui, bien sûr, dis-je en

essayant de prendre une voix naturelle.

Décidément, cet hôtel saitchouchouter ses clients.

Après avoir enfilé mon maillot, jegagne la réception où je découvre lefameux majordome qui m’attend. Il al’air aussi affable que distingué.

– Bonjour madame Montgomery. Vousme suivez ? me propose-t-ilaimablement.

Madame Montgomery… Je ne m’enlasserai jamais !

Il me précède jusqu’à une belle

limousine dans laquelle je montependant qu’il s’installe près duchauffeur. Je suis un peu embarrasséed’aller à la plage dans un tel équipage,mais l’expérience est assez amusante.

En quelques minutes, nous voilà à uneplage chic de Newport. Le majordomem’installe à une chaise longue, déploiele parasol, et dépose mon sac à côté demoi.

– N’hésitez pas à m’appeler dès quevous souhaitez partir, me propose-t-il ensouriant avant de s’éclipserdiscrètement.

La vue sur les vagues de l’Atlantique

est magnifique mais j’ai eu du mal à medétendre réellement. Je vais fairequelques pas au bord de l’eau, leportable à la main, dans l’attente d’unappel de Caleb. Mais mon téléphonereste désespérément muet. Je feuillette lelivre que j’avais apporté, mais sansréellement pouvoir fixer mon attentiondessus.

Je ne peux m’empêcher d’imaginerCaleb, confronté à l’horrible Lewis, etça me retourne l’estomac.

En désespoir de cause, je décided’aller me baigner. Malgré la chaleur,l’océan reste assez frais, mais ce petitplongeon me donne un coup de fouet

bienfaisant.

Un peu revigorée, je décide derentrer et je rappelle le majordome. Enquelques minutes, il est de retour, et meramène à l’hôtel aussitôt.

Je sors à peine de la douche quandj’entends la porte s’ouvrir. Servietteenroulée autour de moi, j’ouvre la portede la salle de bains, pour trouver Caleb,assis dans le canapé du salon de notresuite.

– Ah, tu es là, dit-il en tournant la têtevers moi.

– Ça s’est bien passé ? demandé-jeen m’approchant de lui, un peu anxieuse

devant sa mine sévère.

Il me prend par la main et m’assiedsur ses genoux.

– C’est plus facile quand on estpréparé, dit-il en s’efforçant de sourire.

– Alors ? Tu vas défendre ton…frère ? dis-je en hésitant.

Je crains un instant que le termen’irrite Caleb, mais il ne s’offusque pas.

– J’ai accepté, oui, répond-il. Enfin,sur le principe, je veux lui parlerd’abord. Je vais le rencontrer demain, jepars pour Miami.

– Ils ne vivent pas à Tallahassee ?

– La résidence officielle dugouverneur s’y trouve, mais Lewis apréféré rapatrier son fils dans sapropriété privée, pour ne pas attirerl’attention. Son personnel a vu grandirEric, il ne risque pas de le trahir.

– Tu as des détails sur ce qui s’estpassé ?

– Lewis n’a pas voulu ou pu me diregrand-chose. Apparemment, il y a eu unmeurtre sur le campus, Eric étaitdéfoncé, il ne souvient pas de grand-chose. Le garçon qui a été tué, EliasSchonberg… Eric et lui se sont battus ily a quelques semaines, devant témoins ;Eric l’accusait de lui avoir « piqué » sapetite amie. Lewis paie un homme, une

sorte de garde du corps, pour veiller surson fils depuis qu’il est candidat àl’investiture. Officiellement, pour leprotéger, officieusement pour s’assurerqu’il ne fasse pas trop de conneries. Letype était dans les parages quand le coupde feu a éclaté. Il est entré dans lebâtiment, a récupéré Eric qui était dansles vapes, et l’a exfiltré.

– Alors… Eric se drogue ?– Oui, apparemment, il a des soucis

avec les substances illicites. Il a testé unpeu toutes les drogues, et il boit pas mal,dit Caleb avec un air grave.

Je reste un moment silencieuse. Vu ceque je sais de Lewis, de sa mentalité, deses pratiques, ça ne m’étonne pas que

son fils soit à la dérive…

– Tu pars avec Lewis ?– Non, il est déjà rentré chez lui. Je

pars en jet demain, et j’emmène Robert.Il faudrait que l’on rentre demain matin àNew York, que je récupère des affaires.À moins que tu veuilles rester ? Tu peuxprofiter du reste du week-end.

Je secoue la tête.

– Non merci, je rentre avec toi.

Caleb me regarde d’un air désolé.

– Je suis navré, chérie.– Tu n’as pas à l’être ; je suis très

heureuse que tu aies fait le choix dedéfendre ton… Eric.

Caleb me regarde, songeur.

– Tu veux venir avec moi ?– À Miami ? dis-je, en ouvrant de

grands yeux.– J’aimerais bien t’avoir à mes côtés.

Je n’ai pas envie de me retrouver en têteà tête avec Lewis.

– Mais… oui, bien sûr Caleb.– Merci mon amour. Je crois aussi

que ta présence m’aidera à garder moncalme s’il va trop loin. Ce type estvraiment répugnant, cent fois tout àl’heure j’ai eu envie de lui mettre monpoing dans la gueule, dit-il en serrant les

dents.– Rappelle-toi que tu ne le fais pas

pour lui, dis-je en passant ma main dansses cheveux.

Il hoche la tête.

– Et puis, j’appréhende un peu derencontrer Eric… J’aimerais mieux quetu sois là.

– Il sait que tu es son demi-frère ?– Non, Lewis ne lui a rien dit.– Tu vas lui dire ?

Caleb fait une moue dubitative.

– Je ne sais pas. On verra…

On reste un instant silencieux. Je meblottis contre lui.

– Ils vont dire quoi tes parents ?– Avant d’accepter, je les ai appelés.

Ma mère était catastrophée, elle aessayé de me faire changer d’avis. Maismon père m’a dit que je faisais le bonchoix.

– Ton père est un hommeextraordinaire. Vraiment. Il est tellementhumain… surtout pour un hommepolitique ! C’est vraiment dommagequ’il ne puisse pas se présenter à laprésidence. Notre pays aurait besoind’un homme comme lui.

– Et ils auront peut-être Lewis à laplace…, murmure Caleb, amer.

– J’espère de tout mon cœur quenon !

58. La colère enhéritage

La propriété du gouverneur Lewis estsituée sur une petite île de la BiscayneBay, qui sépare Miami Beach de la villede Miami. Ce tout petit territoire abritedes demeures somptueuses. Je mesouviens d’y être venue dîner quandj’étais ado avec ma mère et mon beau-père, qui avait un projet de film (qui nes’est jamais fait) avec Madonna. En fait,j’avais passé la soirée dans un coin dujardin avec d’autres enfants, je n’avais

même pas aperçu la star… Madonnan’est pas la seule célébrité à avoir unemaison sur ce petit paradis des grossesfortunes. Forcément, pour y venir, il fautmontrer patte blanche au gardien aprèsle pont, qui ne vous fait entrer qu’aprèsavoir reçu l’autorisation de la personnechez laquelle vous êtes invité.

La grande Cadillac noire qui estvenue nous chercher à l’aéroport, Caleb,Robert et moi, s’arrête devant uneimposante bâtisse de pierre blanchenichée entre les palmiers. Unegouvernante vient nous accueillir et nousfait pénétrer dans la villa. Le visage deCaleb reste impassible mais je sens samain se crisper dans la mienne quand

apparaît Lewis.

– Merci d’être venu monsieurMontgomery, madame Montgomery, dit-il en venant nous saluer.

– M. Ferguson est notre meilleurenquêteur, dit Caleb en lui présentantRobert, il va travailler sur ce dossier.

Le gouverneur serre la main deRobert et la retient plus longtemps quela politesse ne l’exige, en le scrutant.

Il sait qui il est. Il sait que Robertest l’ancien condamné à mort queCaleb a fait gracier après dix ans deprison.

Tranquillement Robert soutient leregard de Lewis, et je vois un petitsourire se dessiner sur les lèvres de cedernier.

– Merci de nous rejoindre, monsieurFerguson, dit-il, je suis sûr que voussavez mieux que quiconque la nécessitéde sortir mon fils de ce mauvais pas.

Robert hoche la tête.

– Eh bien je vais vous accompagneraux appartements de mon fils, reprendLewis. Il y a deux ans, il s’est installédans la maison d’amis.

Nous sortons de la demeure par un

grand porche, qui donne sur un immenseterrain gazonné descendant jusqu’àl’océan. Deux bateaux à moteur sontamarrés au ponton de bois. Je distingueentre les palmiers une petite maisonblanche avec un étage. C’est vers elleque nous nous dirigeons.

Un homme monte la garde devantl’entrée. Il s’efface pour nous laisserpasser.

Lewis toque légèrement à la porte etouvre sans attendre la réponse.

– Qu’est-ce que tu fous là ? s’écrieune voix. Dégage d’ici !

Je découvre dans l’entrebâillementde la porte, à moitié allongé sur unénorme canapé, un jeune homme blondd’apparence frêle dont le délicat visageest défiguré par la colère.

– Eric, nous avons des invités, ditLewis d’une voix calme, comme s’iln’avait pas noté l’agressivité de son fils.

– Rien à foutre ! Je veux voirpersonne, dit le garçon en enfouissant satête sous un coussin du canapé.

– Tu vas me faire le plaisir de lesrecevoir, ils ont fait une longue routepour t’aider.

– Alors toi, tu gicles ! hurle son fils.

Je me retourne vers Lewis. Il serre

les dents et je vois qu’il prend sur luipour ne pas s’énerver. Mais son amourpour son fils (ou la volonté de ne pas sedonner en spectacle) semble avoir prisle dessus sur son exaspération devantson comportement. Il jette un œil àCaleb, qui fait un discret signe de tête.

– Très bien, je vous laisse, dit Lewisavant de tourner les talons.

Nous entrons dans le pavillon et legarde du corps referme la porte derrièrenous.

Visiblement, Caleb n’est pas le seulfils de Lewis à le détester.

– Eric, tu permets que l’on s’asseye ?demande Caleb d’une voix douce.

Le jeune garçon sort la tête de sous lecoussin et se redresse pour s’asseoir surle canapé. Il jette un œil à Caleb ethausse les épaules. Pas un regard pourRobert ou moi.

Caleb ne se démonte pas face à cetaccueil désinvolte. Il va s’asseoir sur lecanapé juste à côté d’Eric. Roberts’installe dans un fauteuil tout près. Jeme pose sur un siège un peu en retrait.

Qu’est-ce que je fiche ici ?

Je ne pensais pas que les choses

allaient se passer comme ça et je ne mesens guère à ma place. Et surtout, jetrouve ce garçon fort antipathique.

– Eric, je m’appelle CalebMontgomery, et voici Robert Ferguson,et Grace, mon épouse. Nous sommes làpour t’aider. Mais pour cela, nousdevons savoir ce qui s’est passé lors decette fête dans le bâtiment de tafraternité. Le soir de la mort d’EliasSchonberg.

Le jeune homme se prend la tête entreles mains et commence à geindre :

– Je ne sais plus ! Je ne me souviensplus ! J’avais bu.

– Tu avais pris d’autres choses ?– J’avais un peu fumé, dit Eric,

hésitant. Et puis… j’avais pris un peu deGHB.

– Ça ne m’étonne pas que tu ne tesouviennes plus de rien, lâche Caleb.Mais ça nous complique sérieusement latâche.

– Mais je n’ai pas tué Elias ! Je nesuis pas un assassin, gémit Eric.

– La drogue et l’alcool font faire deschoses que l’on ne ferait pas dans sonétat normal.

– Mais je vous dis que c’est pas moi,merde ! hurle Eric, en regardant Calebavec mépris.

Caleb ne perd pas son calme pour

autant.

– Et tu penses que la police va tecroire parce que tu l’affirmes ? Et lesjurés, si l’on va jusqu’au procès ? Etpourquoi te croiraient-ils, Eric ? Parceque tu es le fils du gouverneur deFloride ?

– Peut-être bien, ricane le garçon endéfiant Caleb du regard.

C’est bien le fils de son père… Aussiarrogant et antipathique !

– Je ne pense pas que ça marche, ditCaleb d’une voix douce, comme s’ilparlait à un petit enfant. Eric, tu vasavoir besoin que l’on t’aide, si tu ne

veux pas passer le reste de ta viederrière les barreaux. Ton père a réussià te protéger jusque-là, il t’a faitexfiltrer, mais tu vas bientôt avoir descomptes à rendre sur ta présence sur leslieux du crime. Et l’utilisation de tonarme.

– Quoi ? dit le garçon, livide.– La police a identifié l’arme, elle

t’appartient.– Mais c’est pas moi, c’est pas moi,

bafouille Eric, qui semble enfincomprendre la gravité de la situation.

– Si c’est le cas, dit Caleb en mettantsa main sur son épaule, nous ferons toutpour le prouver, ne t’inquiète pas.

Il se tait. Le garçon tourne vers lui

son visage effrayé :

– Et si… et si je l’ai fait ?– Tu auras la meilleure défense

possible, dit Caleb d’un ton confiant,mais grave.

Eric se met à sangloter, violemment.D’un coup, j’en oublie mon antipathie etj’ai le cœur serré devant ce gaminpaumé.

Voilà ce que ça donne d’être élevépar le fameux gouverneur CharlesLewis, peut-être demain président desÉtats-Unis.

Je regarde Caleb, qui en apparence

reste imperturbable, mais je vois dansses yeux lorsqu’il se tourne vers moiqu’il est touché par la détresse que jeressens pour son frère. Comme s’ilrépondait à mon ressenti, je le vois quiserre un peu plus l’épaule d’Eric. Pourle soutenir, le rassurer, lui assurer qu’onest bien là pour lui.

Robert les observe tous les deux d’unair pensif. Caleb ne lui a pas dit qu’Ericétait son demi-frère, mais j’imaginequ’il doit être étonné que Caleb accepted’endosser la défense du fils du rival deson père. Il est assez malin et rompu auxintrigues pour avoir compris que Lewisest derrière le scandale qui a éclabousséle sénateur.

Voyant que Caleb est mal à l’aise etqu’il ne sait pas trop comment réagirdevant cette crise de désespoir, jem’approche des deux frères :

– Eric, tu dois faire confiance àCaleb et à Robert, dis-je d’une voixdouce. Ils feront tout pour te sortir de là.Je t’assure que tu es entre de très bonnesmains. Les meilleures.

Eric se redresse et me regarde. Cequ’il lit dans mes yeux semble lerassurer et ses larmes se tarissent peu àpeu. Puis son regard se tourne versCaleb. Entre eux, je sens comme unélectrochoc. Eric vient-il de comprendrequ’il n’a pas d’autre choix ? Qu’il doit

faire confiance à Caleb, que noussommes là pour lui, pour le défendre etlui assurer un avenir un peu plus plaisantque la prison… ?

Le temps reste un moment suspenduentre les deux frères. Les battements demon cœur se calment tandis que leslarmes d’Eric cessent de couler. Je suisconsciente d’assister à une scène trèsimportante. Caleb n’est plus seul, il a unfrère maintenant… et ce frère vient aussicompléter ma propre famille.

– Bien, alors voilà ce qu’on va fairepour commencer, reprend Caleb, plus àson affaire maintenant que les sanglotsd’Eric se sont calmés. Tu as disparu du

campus de Columbia juste après lemeurtre. Il va falloir que l’on trouve unmédecin de confiance pour te faire uncertificat médical disant que tonrapatriement en Floride était nécessaire.Jusque-là, ça ressemble à une fuite, et çapeut faire très mauvais effet. Je supposeque ton père nous trouvera un médecinqui acceptera de le faire sans difficulté.Vu ton état, ça ne me semble pasinjustifié. Ensuite, on va te requinquer, etpuis il faudra que tu rentres à New Yorkpour être entendu par la police.

Eric a l’air soudain paniqué alors queCaleb retire sa main de son épaule. Maisle jeune homme s’accroche à Caleb :

– Mais je… je ne peux pas témoigner.Je ne me souviens de rien !

– Il le faudra pourtant, dit Calebd’une voix rassurante.

– Vous viendrez avec moi ! dit Ericd’une voix suppliante.

Caleb le regarde un instant dans lesyeux.

– Oui, je viendrai avec toi.

Puis il ajoute :

– Rassure-toi, on va te tirer de là.

***

Caleb n’a guère pu tirer plusd’informations de la part d’Eric sur cequi s’est passé ce soir-là dans lebâtiment de la fraternité, ni sur sesrelations avec la victime. Il était dans ungrand état d’agitation, et il a fait unecrise de nerfs ; une infirmière est arrivéeet lui a administré un calmant. On aappris à cette occasion que Lewis a misson fils sous contrôle médical depuisson retour.

– Alors, vous en pensez quoi ?demande Lewis à Caleb.

Nous avons rejoint le gouverneurdans son manoir. Il nous a fait servir desrafraîchissements qui ne sont pas

superflus dans ce climat tropical, chaudet très humide. L’orage fait rage depuisnotre entrevue avec Eric mais lestempératures n’ont pas baissé d’undegré.

– Il est trop tôt pour se prononcer,déclare Caleb. Eric n’est pas en état deparler. Je vais rester un jour ou deux, letemps qu’il se remette et soit état derépondre aux questions de la police.Mais on ne pourra pas attendre pluslongtemps. Ils ne vont pas être trèspatients, même si c’est votre fils.

– Je sais, répond Lewis, laconique.– Robert va rentrer dès demain pour

gérer l’enquête sur le campus. Il auratrois collaborateurs.

– Très bien. Je sais que vous ferez cequ’il faut, dit Lewis. Ne lésinez pas surles dépenses, je paierai quel que soit lemontant.

– Nous ne dépenserons pas plus quenécessaire, lâche Caleb d’un ton sec.

– Oui, oui, bien sûr, dit très viteLewis.

Le gouverneur fait une pause pourtirer sur son éternel cigare, puispropose :

– Vous pouvez loger ici, bien entendu.– Non merci, lance Caleb d’un ton

vif.

Il reprend d’une voix plus posée :

– J’ai réservé des chambres au FourSeasons.

– Vous dînez ici au moins ?– Non merci, décline Caleb

froidement.

Je jette un bref regard à Robert. S’ilest étonné par l’attitude de Caleb, il n’enmontre rien.

Lewis n’a pas l’air d’apprécier ladistance établie par Caleb, et je vois unelueur mauvaise dans ses yeux. Mais il nedit rien et se contente de continuer à tirersur son cigare cubain.

– Eh bien nous vous laissons, ditCaleb en se levant. Je reviendrai demain

voir Eric.– Très bien, dit le gouverneur en

dépliant sa longue et massive silhouettehors de son fauteuil. Je serai sans douteabsent, je dois repartir à Tallahassee,j’ai des obligations comme vousl’imaginez. Mais je laisserai toutes lesinstructions nécessaires à mon hommede confiance pour que vous obteniez toutce dont vous aurez besoin. Absolumenttout.

Nous allons partir quand Lewisretient Caleb par le bras.

– Bien entendu, j’attends la plusgrande discrétion de votre part, dit-il enbaissant la voix. Le nom de mon fils

n’est pas apparu dans les journauxjusqu’ici, j’aimerais que cette affaire nes’ébruite pas.

Je vois un rictus se dessiner sur labouche de Caleb, et il se dégage d’unmouvement d’épaule :

– Ce serait dommage que cettehistoire vienne gâcher votre investiture,n’est-ce pas ? Après tout, il ne s’agit quede la mort d’un jeune homme. Avez-vouspensé à ses parents, monsieur legouverneur ?

Lewis reste muet, mais ses yeuxlancent des éclairs. Peut-être en dehorsde notre présence, à Robert et à moi,

aurait-il répondu quelque chose.

Après un dernier regard plein demépris, Caleb me prend par la main ettourne les talons.

59. C’est quoi, cettecouv’ ?

– Grace, tes photos sont géniales, medit Alicia van Zant, la rédactrice en chefde K27, très enthousiaste. Vraiment onadore. Et les annonceurs aussi. Ça sebouscule pour le hors-série.

Je souris, un peu gênée par lescompliments. Je suis rentrée de Miami,où j’ai laissé Caleb, un peu chamboulépar la situation mais déterminé à sortirEric de ce mauvais pas. Je crois que le

fait de devoir s’investir sur son dossierlui permet de ne pas trop s’attarder surles sentiments qu’éveillent cetteproximité avec son père biologique et ladécouverte de ce demi-frère dont ilignorait l’existence il y a peu. J’auraisaimé rester avec lui à Miami, maisj’avais un rendez-vous au magazine dontles locaux se trouvent à Brooklyn pourune conférence de rédaction. Je vais enprofiter pour aller dîner ensuite avecThéo, que je n’ai pas vu depuis unmoment.

– Merci, je suis très contente que montravail vous plaise, réponds-je à Alicia.

– Malheureusement, ta prise de vuede demain est décommandée, continue

Alicia avec une petite grimace. Tomvient d’entrer en cure de désintox.

Tom est le jeune acteur avec lequelj’avais rendez-vous pour un shooting.C’était le dernier portrait de ma série.

– Mais on a trouvé un remplaçant,ajoute-t-elle en repoussants ses longscheveux gris derrière son dos avant dese reculer dans son siège en affichant unair satisfait. Master V.

– Le rappeur ? fais-je, étonnée.– Oui. Ça rééquilibrera un peu la

liste, on avait peu de personnalités del’industrie du disque. Finalement, çatombe pas si mal.

– Je ne sais pas grand-chose de lui…

– Tu as quelques jours pour te mettreà jour, ne t’en fais pas. Là, il est à LosAngeles, mais il est de New York, ilrentre bientôt. On t’a préparé un dossiersur lui, ça te donnera des idées…

Eleonor, l’assistante d’Alicia, metend une pochette.

– Ah, et puis il fait la une ce matin,me dit-elle en sortant de son sac lemagazine Star qu’elle me tend.

Je reste figée en voyant la photo decouverture du tabloïd.

Master V est en train d’embrasser unejeune femme… qui n’est autre que

Nikki !

– Ah tiens… n’est-ce pas ta sœur ?demande Alicia, étonnée, en rajustantses lunettes pour mieux voir.

– Euh… oui on dirait, marmonné-je.Et la date de parution du hors-sériealors, elle est définitive ?

Je change rapidement de sujet, car jen’ai pas envie de m’étaler sur le sujet.J’affiche un air décontracté (enfin jecrois) mais intérieurement, jebouillonne.

Si Théo et Nikki ont rompu, ils nem’ont pas prévenue. À moins qu’elle nel’ait trompé, et il va l’apprendre par les

magazines. Ou pire, par moi tout àl’heure !

Je savais bien que ce n’était pas unebonne idée que mon meilleur ami et masœur sortent ensemble ! Voilà lerésultat !

Alicia et Eleonor ont dû se rendrecompte que j’étais la première surprisepar la une et que je ne tenais pas à enparler, car elles n’insistent pas etchangent de sujet. J’écoute d’une oreilledistraite le reste de la conférence derédaction. Heureusement que l’on en afini avec ma série de photos et que l’onest passé aux rubriques suivantes, parceque je ne suis plus en état de me

concentrer. Je suis hors de moi !

À peine sortie de réunion, je me ruesur mon téléphone pour appeler Nikki.Je tombe sur son répondeur.

– Nikki, qu’est-ce que tu as faitencore ! Qu’est-ce que c’est que cettehistoire avec Master V ? Tu déconnes !Rappelle-moi tout de suite !

J’ai quasiment aboyé dans letéléphone. Pas sûr qu’elle merappelle… mais je n’ai pas pu mecontenir. Je suis vraiment en colèrecontre elle. S’ils avaient rompu, Théome l’aurait dit, j’en suis sûre. C’est monmeilleur ami, et réciproquement. C’est

toujours à moi qu’il confie ses peines decœur, et ça m’étonnerait que ça change,même si celle qui lui a brisé le cœur estma sœur. Mais quand il va apprendre…il va être en morceaux. Si je tenaisNikki…

Je suis devant la maison danslaquelle j’ai vécu avec Théo à monarrivée à New York. Elle est plusmignonne que jamais, dans ce soleild’été. Ça fait longtemps que je ne suispas venue. Je me souviens de la tête deCaleb quand il a vu Théo à la fenêtre, ànotre retour de Las Vegas ; il a cru queThéo était mon petit ami, et il m’a faitune crise de jalousie.

J’ai l’impression que c’était il y aune éternité, et c’était il y a seulementquoi… quatre mois ?

Je vérifie une nouvelle fois montéléphone mais non, aucun message, niSMS de Nikki. Ni de Théo. Je vais doncpeut-être être celle qui lui annonce lamauvaise nouvelle. Je maudisintérieurement une dernière fois Nikki,je respire un bon coup pour me donnerdu courage et je sonne à la porte.

Je n’attends pas longtemps. J’entendsun pas dans l’escalier, et la portes’ouvre. Mais au lieu de découvrirThéo, c’est Nikki que j’ai en face demoi. Nikki qui est censée être à Los

Angeles. Nikki qui sort avec un rappeur.

– Nikki ? Mais qu’est-ce que tu faislà ?

– Bonjour à toi aussi, chère sœur, medit-elle avec un sourire ironique.

Puis, voyant que je ne souris pas, elles’explique :

– Je suis venue voir Théo. J’ai lesclefs. Il n’est pas encore rentré.

J’explose aussitôt :

– Ah ben t’as du culot ! Tu crois pasque c’est un peu tard pour lui parler ?T’as vu que tu fais la une ?

J’entre dans la maison comme unefurie et Nikki referme la porte derrièremoi.

– Eh, oh, on se calme oui, dit-elle,interloquée par ma réaction.

Je sors le Star de mon sac, et le luimets sous le nez.

– Waouh, elle est super cette photo !s’exclame Nikki avec un sourire ravi. Jene l’avais pas vue, je débarque à peinede l’avion. Et en plus on fait la une !

Je la regarde, sidérée par sonaplomb.

– C’est tout ce que ça t’inspire ? EtThéo alors ?

Nikki me regarde d’un drôle d’air.

– Ben Théo… Que veux-tu, lesaudiences de l’émission sont en baisse,il fallait un peu les rebooster. Monpublic ne l’adore pas, trop sage. Et il esttrop mignon Master V, non ?

Je vais l’étriper !

– Non mais oh, tu as pensé à Théo, àce qu’il va ressentir quand il val’apprendre ? Je croyais que tu étaisamoureuse de lui ?

C’est alors que j’entends le bruit dela clef dans la serrure. Théo est rentré.

– Salut les filles ! s’exclame-t-il. Disdonc, Grace, qu’est-ce que tu as, ont’entend crier de la rue !

Je réalise alors que je brandis encoredevant moi le tabloïd avec en couvertureNikki en plein échange de salives avecun rappeur. Par un réflexe idiot, je lemets précipitamment derrière mon dos.Le truc discret…

– Mais qu’est-ce qu’il y a ? Grace,qu’est-ce que tu caches ? me dit Théo,intrigué.

Je me sens affreusement bête. Etmalheureuse pour Théo qui va avoir lechoc de sa vie. Je n’ai pas d’autre choixque de lui montrer le magazine. Je fais ledos rond, me préparant au cataclysme.

– Ah mais c’est super ! s’exclameThéo en regardant Nikki. Alors vousavez eu la une !

Il a dit quoi là ?

Je suis si stupéfaite que le magazinem’en tombe des mains. C’est alors queje vois Nikki enlacer Théo et tous deuxéchangent un long baiser.

Alors là, j’y comprends plus rien. Je

suis dans la cinquième dimension, c’estça ?

– Mais… vous êtes toujoursensemble ? finis-je par articuler.

– Ben oui, lâche Nikki, goguenarde.– Elle t’a pas dit ? Nikki, tu n’as rien

dit à Grace, dit Théo avec un air dereproche.

– J’ai pas eu le temps, proteste Nikki.Avant d’arriver, elle m’a laissé unmessage, je te dis pas, elle m’a jetéecomme du poisson pourri. Alors après,j’ai voulu la faire marcher, c’est pas sigrave…

– Désolé pour ça Grace, dit Théo.Bon, on va pas rester dans l’entrée, si onallait discuter dans le jardin ?

Lâchant Nikki, Théo passe un brastatoué autour de mes épaules etm’accompagne jusqu’au jardin.

– Alors, tu as eu peur que ta sœurm’ait brisé le cœur ? me demande-t-ild’un air attendri.

–Tu me prends toujours pour laméchante, dit Nikki, vexée.

– Je suis désolée Nikki, mais tu as vucette une ! me défends-je. Que voulais-tuque je pense ?

Nikki s’assied sur les genoux deThéo, pendant que je m’installe en faced’eux.

– Bon, d’accord, c’est vrai qu’elle ne

parle pas en ma faveur, reconnaît Nikki.Mais après ce qui s’est passé avec tonbeau-père, tu devrais savoir qu’il ne fautpas croire tout ce qu’on lit dans lesjournaux… Ni même ce que l’on voit.

Nikki n’a pas tout à fait tort, et jeveux bien faire amende honorable.

– Tu as raison Nikki, je ne douteraiplus de toi. Mais s’il te plaît, quand tufais des choses comme ça, préviens-moi !

– Promis petite sœur ! Mais dis-moi,dit-elle en souriant, je ne savais pas quetu lisais ce genre de presse…

– Je ne la lis pas ! protesté-je. Onm’a donné ce torchon à la rédaction. Je

dois faire des photos de Master V. Dis,rassure-moi, il est au courant que vousn’êtes pas vraiment ensemble, lui ?

Nikki éclate de rire.

– Tout à fait. Il est gay !

Je la regarde, bouche bée.

– Master V ? Avec ses bitches à toutbout de champ et ses filles en maillot debain à longueur de clips ?

– On n’aime pas trop les gays dans lemonde du rap tu sais, m’explique Nikki.Si ses préférences venaient à se savoir,sa carrière serait foutue. On resteraofficiellement ensemble le temps qu’il

faut pour faire taire les rumeurs sur sonorientation sexuelle. Et puis après,adiós. On a signé un contrat. C’estgagnant-gagnant, lui passe pour unhétéro, moi je regonfle mes audiences.En plus, c’est un mec très sympa, trèsdoux. Rien à voir avec sonpersonnage…

Je me tourne vers Théo :

– Et toi, comment tu gères ?– Très bien, déclare Théo avec un air

enjoué. Je commençais à en avoir un peumarre d’être exposé. Et puis tu avaisraison, les commentaires sur Internet çava cinq minutes, après, ça devientpénible. Je préfère retourner à

l’anonymat.– Et comment vous allez faire pour

continuer à vous voir ?– On le fera, discrètement. Personne

ne reconnaît Nikki quand elle n’est pasdéguisée en « Nikki ».

– J’adore ça. C’est tellementreposant, dit Nikki, enthousiaste. Et puis,je vais acheter un appart à New York.J’y vivrai une partie de l’année, endehors des tournages. Enfin, si je ne suispas en prison, ajoute-t-elle avec un rirequi sonne un peu forcé.

– C’est vrai que tu passes bientôtdevant le juge, dis-je en fronçant lessourcils.

Si elle n’est plus soupçonnée de

meurtre, Nikki doit quand mêmecomparaître pour récidive de conduiteen état d’ivresse.

– Stacy a bon espoir que je n’écopeque de travaux d’intérêt général, ditNikki. On va voir…

Théo prend sa main et la porte à seslèvres.

– Sinon, je t’attendrai. Au pire, çadurera que quelques mois, ajoute-t-il surun ton qu’il veut rassurant, car il a sansdoute entendu comme moi un petittremblement dans la voix de Nikki.

Je les regarde en souriant : ils sont

tellement mignons tous les deux.

– Bon, je suis soulagée en tout caspour cette histoire de une. Nikki, je suisdésolée de t’avoir soupçonnée.

–Tu es pardonnée, dit Nikki en seblottissant contre Théo. Mais s’te plaît,fais-moi un peu confiance…

– Promis. Et dis donc, et Maman, tul’as prévenue ?

– Dès que j’ai entendu ton message !rigole Nikki. J’ai pensé qu’elle allaitavoir la même réaction que toi. Au fait,je lui ai dit que je cherchais un appart’ àNew York. Elle vient me donner un coupde main. Tu sais que c’est elle qui m’adéniché ma baraque à Los Angeles ?Elle a du nez pour ça, elle est toujours

de bon conseil.– C’est vrai ? Elle arrive quand ?– Elle ne sait pas encore. Mais tu le

sauras sans doute avant moi, si ellevient, elle a prévu de s’installer chez toi.

– Mais j’espère bien que ma mère neva pas aller à l’hôtel ! C’est chouette ça.Que des bonnes nouvelles. Bon, on va auresto pour fêter ça ? C’est moi quiinvite, pour me faire pardonner mesmauvaises pensées.

60. Comme des frères

– Eric, tu connais Grace, dit Caleb.Elle était avec moi quand on s’estrencontrés.

– Bonjour Eric, fais-je.

Le demi-frère de Caleb me regardepar-dessous sa mèche blonde et ne prendmême pas la peine de me saluer. Il portedes vêtements coûteux, affiche une mouedésinvolte agaçante, le prototype mêmedu gosse de riche pourri gâté. Etmalheureux.

Caleb est rentré ce matin de Miamiavec Eric dans ses bagages. Ils se sontrendus immédiatement à la police, pourun interrogatoire assisté. Ils en sontsortis en fin d’après-midi et m’ontrejointe au duplex.

– Eric, je te prierai d’être poli avecmon épouse, dit Caleb sur un ton agacé.

– Ce n’est rien, Caleb, dis-je trèsvite. Eric doit être fatigué. Venez vousinstaller.

Nous passons tous les trois dans lesalon.

– Comment s’est passél’interrogatoire ? m’enquiers-je auprès

de Caleb.– Pas trop mal, dit-il. Selon les

premiers témoignages, Eric n’était pasdans la même pièce que la victimequand le coup a été tiré. Mais il y a unou deux témoignages qui sèment ledoute. Et on ne s’explique pas laprésence de cette arme sur le lieu ducrime…

– Mais ça faisait des jours qu’elleavait disparu de chez moi…, commenceEric.

– Tu me l’as dit, tu l’as dit auxpoliciers, le coupe Caleb. Mais tupenses bien que cette affirmation ne vapas suffire pour te disculper. Surtout quetu n’as pas déclaré le vol.

Eric fourrage nerveusement dans sachevelure.

– C’est quoi l’étape suivante ?demandé-je.

– Eric doit rester à la disposition dela justice. Mais il ne retournera pas surle campus.

– Et… il va vivre où ? Ici ? dis-je,hésitante.

– Certainement pas, lâche Eric avecmorgue.

Caleb lui jette un regard qui le faitbaisser la tête.

On dirait vraiment un enfant, ungosse capricieux. Dire qu’il n’a que

trois ans de moins que moi…

– Non, il ne va pas vivre avec nous,mais juste en dessous, reprend Caleb.Mon ami Andreï n’y vit que quelquessemaines par an, et il n’est pas là en cemoment. Il a accepté de me le prêterpour quelque temps.

– Il va y vivre… seul ? dis-je enjetant un regard furtif au visagerenfrogné d’Eric.

– Je n’ai pas besoin de garde-chiourme ! s’écrie celui-ci, en rejetantsa mèche en arrière.

– Si tel était le cas, tu ne serais pasici, dit calmement Caleb.

Je suis épatée par le sang-froid de

Caleb. C’est vrai qu’il fait toujoursmontre de beaucoup de flegme, maisc’est facile de le perdre avec un garçonaussi désagréable et arrogant qu’Eric.

Moi, il commence vraiment à metaper sur le système !

– Eric, je ne sais pas si tu te rendscompte de la situation dans laquelle tut’es mise, fais-je, exaspérée. Tu essoupçonné de meurtre, et tu ne peuxmême pas te défendre parce que tu étaistrop défoncé pour te rappeler ce que tufaisais. Caleb fait tout ce qu’il peut, etmême plus que ce qu’un avocat faitordinairement, tu pourrais te montreraimable, si ce n’est reconnaissant.

Eric me regarde, stupéfait.Visiblement, il n’a pas l’habitude quel’on emploie ce ton avec lui. Du coin del’œil, je vois que Caleb retient unsourire.

Eric hésite un instant sur l’attitude àsuivre. Il me défie et me jauge du regardmais je ne baisse pas les yeux.

Son visage s’adoucit et laisseapparaître une expression de détressefugitive.

– Je suis désolé Grace. Je me conduiscomme un imbécile. Je ferai tout ce quetu diras, Caleb, dit-il en baissant la tête.

Caleb me jette un bref regard deconnivence.

– Ton père a prévu une équipe pourvivre avec toi quelque temps, lui dit-il.Ils sont arrivés dans l’après-midi et sontdéjà en train de s’installer. Il y a Harry,l’homme qui l’a exfiltré du campus,précise-t-il en se tournant vers moi, et tagouvernante Maria.

– OK, fait Eric, qui semble retenirses larmes.

– Ne t’en fais pas Eric, ça ne devraitpas durer, dit Caleb en se levant pours’approcher de lui. Robert est sur lecoup, c’est le meilleur enquêteur quel’on puisse trouver. Il parviendra àt’innocenter.

Eric ne répond pas, il a la têtebaissée et sa grande mèche cache denouveau son visage.

– Tu veux dîner avec nous Eric ?proposé-je.

– Je n’ai pas faim…

Il ajoute ensuite :

– Merci Grace.– Alors je vais t’accompagner dans

tes quartiers, dit Caleb. Je reviens toutde suite Grace.

Caleb est de retour une dizaine deminutes plus tard. Il a l’air épuisé. Ildoit prendre beaucoup sur lui pour

garder son sang-froid. Et puis découvrirqu’on a un frère, pour apprendre que cefrère risque la prison à vie et que sonsort est entre ses mains, ça ne doit pasêtre facile à vivre. Son beau visage estmarqué, ses yeux sont cernés.

J’ai préparé des lasagnes, le plat quemon père m’a appris et que je voulaisfaire goûter à Caleb le jour où il adisparu pour se réfugier dans sa cabaneau bord du lac Norman.

– Viens, j’ai mis la table sur laterrasse, lui dis-je en le prenant par lamain.

Nous montons sur le toit. Il fait

encore jour, et l’on voit au loin lasilhouette amicale du pont de Brooklyn.

– Alors, qu’est-ce que tu pensesd’Eric ? dis-je en servant généreusementCaleb.

– C’est un gamin paumé. Mal élevé,gâté, arrogant… et désespéré, répond-ilavec une moue significative. Et il haitson père, ce qui n’est pas très étonnant.D’après ce qu’il m’a raconté, ils étaienttrès complices autrefois. Et puis, engrandissant, ça a changé. La famille desa mère, qui est morte quand il étaitenfant, lui a raconté comment Lewiss’était comporté avec elle.Apparemment, pas bien du tout. Pour nerien arranger, Eric a assisté à certaines

réunions politiques chez lui, et il étaitalors assez grand pour se rendre comptedes magouilles dans lesquelles baigne legouverneur Lewis. Bref, il le méprise etle déteste. Et il se déteste de le détester.

Caleb soupire. Il goûte son plat et meregarde en souriant :

– Mais c’est délicieux ma chérie ! Tum’as caché que tu étais un cordon-bleu.

– Parce que je ne le suis pas, dis-jeen riant. Tu as devant toi toute l’étenduede mon talent.

– Ça me suffit, déclare Caleb en meprenant la main par-dessus la table.

Puis il ajoute en me jetant un regard

tendre :

– Tu m’as manqué tu sais, ces deuxderniers jours.

– Toi aussi tu m’as manqué. J’auraisvoulu être avec toi. Même si Lewisn’était plus là, ça a dû être difficile pourtoi.

– Il m’appelait toutes les heures. J’aifini par lui dire que s’il voulait que jem’occupe de l’affaire, il devraits’abstenir et me laisser travailler. Dansla mesure du possible, je ne veux rienavoir à faire avec lui.

Il se tait un instant.

– J’ai expliqué à Stacy et Robert la

situation.– C’est-à-dire ? Oh, tu leur as dit

pour… Lewis.

Je n’ose même pas prononcer lesmots « père biologique ».

– Oui. Je me devais d’être clair. Etj’ai confiance en eux.

– Et Eric… Tu lui as dit ?

Caleb soupire.

– Je ne sais pas si c’est une bonneidée. Peut-être que je le ferai, sil’occasion se présente. Ça ne va pasarranger l’image qu’il a de son père.

– Mais ça, c’est pas ton problème !

m’exclamé-je. Ce n’est pas ta faute s’ils’est mal conduit.

– Oui, mais Lewis l’aime vraiment,dit Caleb. Je ne voudrais pas détruire ledernier lien qui existe entre eux, si ténusoit-il. Je sais comme la relation au pèreest importante. Et elle doit l’être encoreplus quand on n’a pas d’autre parent.

Je reste un instant silencieuse. Je nesais pas comment fait Caleb pour resteraussi noble, après le mal que ce type afait à sa famille ; je ne l’en admire quedavantage.

– Tu as sans doute raison…, dis-je.Mais pense à une chose : tu te souvienscomme tu as souffert quand tu as

découvert que Will n’était pas ton pèrenaturel ? Et quand tu as ensuitedécouvert que c’était Lewis ? Tu as misdu temps à pardonner à ta mère det’avoir menti…

– Je ne suis pas sûr de lui avoircomplètement pardonné, lance Caleb.

– Et si un jour Eric apprend parquelqu’un d’autre que tu es son frère ?Tu disais que savoir que tu avais vécudans le mensonge était insupportable.Peut-être qu’il réagira comme toi. Et quele lien que vous auriez pu avoir tous lesdeux sera irrémédiablement rompu.

Caleb me regarde et je me rendscompte que mes paroles ont touché unpoint sensible.

– Peut-être que je devrais lui dire,oui, dit-il, hésitant. Je le ferai… quandje serai prêt. Et quand il sera prêt àl’entendre.

Il soupire.

– Pour l’instant, je suis son avocatplus que son frère, et je t’assure qu’il neme facilite pas le travail. Il a uncomportement… tu l’aurais vu devantles policiers ! Il déteste son père, mais ilse sert de son nom dès que ça lui estutile. Son père l’a habitué aux passe-droits, aux privilèges. Il a réussi à faireenterrer une ou deux histoires deconduite en état d’ivresse, par exemple.Forcément, Eric a du mal à accepter que

dans sa situation, il puisse difficilementjouer la carte « fils d’un gouverneur ». Ils’agit d’homicide, un jeune est mortquand même ! Mais on a eu une petitediscussion, et je crois qu’il a comprisqu’il devait faire profil bas.

– Tu crois qu’il est coupable ?

Caleb baisse sa fourchette et planteses yeux bleus dans les miens.

– Je ne pense pas que ce soit unassassin, ça c’est sûr, dit-il avecfermeté. Un gosse capricieux, vaniteux,mais pas un psychopathe capable de tuerquelqu’un pour une histoire de fille. Iln’a aucun passé de violence, c’étaitmême un enfant très doux si j’en crois

les témoignages qu’on a recueillis, unbon camarade à l’école, jusqu’au lycée.Après, je ne sais pas ce qu’il peut fairesous l’influence de la drogue et del’alcool…, ajoute-t-il d’un air dubitatif.

Je regarde Caleb, et je lis dans sesyeux une certaine inquiétude. Il prendtous ses dossiers à cœur, je l’ai toujoursvu se dépenser sans compter pour sesclients, mais je vois que ce dossier letouche personnellement. Je sais qu’ildonnera le meilleur de lui-même dans labataille, mais je n’ose imaginercomment il réagira si Eric est reconnucoupable.

– Enfin, comme je te l’ai dit, les

premiers témoignages semblent leblanchir. J’ai bon espoir de le tirer delà, ajoute Caleb en s’efforçant desourire.

– Mais pourtant, tu as l’airsoucieux… Je t’ai vu plus confiant dansdes affaires qui se présentaient bien plusmal !

– C’est vrai…, reconnaît Caleb. Tuvois, c’est plus Eric qui m’inquiète, quel’issue de son procès. Ce gamin est enmorceaux. Même s’il est blanchi, et jepense qu’il le sera, qu’est-ce quil’attend ? Je ne suis pas sûr que cettehistoire lui serve de leçon. Il est pleinde rage, de colère, de tristesse. Il n’en apas fini avec ses addictions. Et s’il s’en

sort, il risque d’avoir un sentimentd’impunité capable de le pousser à fairedes choses terribles. J’ai déjà vu ça.

– Tu t’inquiètes pour lui, pour sonavenir… Tu vois, ce n’est plus l’avocatqui parle, c’est le frère, dis-jedoucement.

– C’est bizarre hein ? dit Caleb avecun demi-sourire. Je suis rattrapé par lagénétique. Autant je ne me sens aucunlien avec Lewis, autant Eric, quand jel’ai vu… je ne sais pas, c’est plus fortque moi. Je n’ai qu’une envie : l’aider,le protéger. Peut-être aussi parce que jeme dis que si Lewis était resté avec mamère, je serais à sa place. Et aussidétruit que lui. Je le regarde, et je me

vois moi. Ce que j’aurais pu être. Ceque j’ai FAILLI être, d’ailleurs. J’avaisplus ou moins son âge quand j’ai apprisque je n’avais pas de lien génétiqueavec Will, et j’ai traversé une trèsmauvaise passe. Mais l’amour de Willm’a aidé à reprendre le dessus, àaccepter le mensonge dans lequelj’avais vécu. Ce jour-là, Lewis a faillime détruire, comme une bombe àretardement. J’ai eu mes parents pour meprotéger de lui.

– Et Eric t’a, toi, dis-je doucement enprenant sa main dans la mienne.

– Oui, il m’a, dit Caleb en hochant latête. Et aussi tête à claques qu’il puissese montrer, je resterai à ses côtés

jusqu’au bout.

***

Eric est notre « voisin » depuis troisjours. Il ne sort pas de l’appartement. Ila bien essayé de faire le mur un soir,sans doute pour aller chercher de ladrogue, mais son « garde du corps » l’aattrapé avant qu’il ne puisse atteindre larue. Quand il l’a su, Caleb lui a passé untel savon que je pense qu’il ne réitérerapas sa tentative d’escapade. Depuis,Eric s’est enfermé dans sa chambre etnul ne sait à quoi il occupe ses journées.Il n’a accepté aucune invitation à dîneravec nous. La sympathique Maria, sa

gouvernante qui le connaît depuisl’enfance, lui concocte ses platspréférés, qu’il touche à peine d’après cequ’elle m’a dit. Elle m’a raconté qu’ellel’avait entendu pleurer la nuit.

J’ai décidé de passer voir Eric, maisje ne suis pas sûre qu’il accepte de merecevoir. Caleb va le voir tous les jours,pour faire le point sur l’enquête ; il m’adit qu’Eric était peu bavard, mais moinsdésagréable.

Maria m’accompagne jusqu’à laporte de sa chambre, et je vois dans sesyeux qu’elle espère qu’Eric va merecevoir et accepter de sortir un peu deson isolement. Moi, je ne me fais guère

d’illusions.

Je toque doucement à sa porte :

– Eric ? dis-je. C’est Grace. Je peuxentrer ?

Personne ne me répond.

– Eric ?

Silence. Je ne vais pas insisterdavantage. Je croise le regard de Maria,visiblement déçue. Je tourne les talons etje m’apprête à remonter chez moi quandj’entends :

– Entre, Grace.

Le visage de Maria s’est éclairé. Jelui fais un sourire de connivence etj’entre dans la chambre.

Eric est allongé tout habillé sur le lit.En face de lui, l’écran plasma estallumé, mais le son est coupé.

– Bonjour Eric. Je venais voircomment tu allais.

– Ça va, me dit-il laconique.

Il y a bien un fauteuil dans cettegrande chambre, mais je décide dem’installer au bord du lit, près de lui.

– Maria m’a dit que tu ne mangeaispas beaucoup.

– Je n’ai pas faim, dit-il, fuyant monregard.

– Il faut que tu manges un peu quandmême.

– Pourquoi ?

Cette simple question me laisse unpeu désemparée.

– Euh… Parce qu’il faut que tu soisen forme.

Mon Dieu Grace, c’est tout ce quetu as trouvé…

– En forme pour aller en taule ? medit-il en me regardant dans les yeux.

Un instant, je suis déstabilisée, maisje me reprends.

– Qui te dit que tu vas y aller ?Apparemment, les témoignages tedisculpent. L’enquête continue pourcomprendre comment ton arme estarrivée sur la scène du crime, maisaucune charge n’a été retenue contre toipour l’instant. Et je sais que Caleb esttrès optimiste. Il a l’habitude de ce genred’affaires, tu sais.

Son regard se radoucit.

– Oui, j’ai regardé sur Internet. C’estle meilleur…, dit-il, une lueurd’admiration dans le regard. Et ce qu’il

a fait pour Robert… C’est incroyable.

Il a donc découvert que Caleb a sortiRobert du couloir de la mort.

– Il se battra pour toi comme il s’estbattu pour Robert, tu verras.

Eric baisse la tête. Il parle si bas quec’est à peine si je comprends sesparoles :

– Mais si je l’ai fait ? C’est peut-êtremoi. Je l’ai peut-être tué.

Je sens mon sang se glacer dans mesveines.

– Pourquoi tu dis ça ? dis-je en mepenchant vers lui. Eric, tu te souviens dequelque chose ?

Il tremble de tous ses membres, etmon inquiétude grandit.

– Non. Je ne me souviens de rien.Mais Elias… je le détestais. J’auraisvoulu le voir mort. Je le voulaistellement.

Je reste un instant muette, pétrifiée.

Mon Dieu, et si c’était lui,l’assassin ?

Je sens l’angoisse m’étreindre, mais

je parviens à me maîtriser. La dernièrechose dont Eric a besoin en ce moment,c’est de me voir douter.

– Tout le monde a ce genre de penséeun jour ou l’autre, dis-je du ton le plusrassurant possible, mais pas tout lemonde passe à l’acte.

– Mais j’avais pris… des trucs…,sanglote-t-il.

Ça me fend le cœur de le voir danscet état.

Désarmée, je le prends dans mesbras. Je crois un instant qu’il va merepousser mais il se serre contre moi enpleurant plus fort. Si peu d’années nous

séparent, mais j’ai l’impression d’avoirun gosse perdu contre moi.

– Ne t’inquiète pas, Eric… Ça vas’arranger, tu verras. Tout ira bien.

C’est tout ce que je trouve à lui dire,et je le répète, comme une litanie, carj’ai l’impression que ma voix lui fait dubien, comme une berceuse. Au bout dequelques minutes, ses sanglots secalment, et il se détache doucement demes bras.

Il me regarde par-dessous sa mèchequi ne cache qu’à demi ses yeux encoreembués de larmes. Je vois qu’il est gênémaintenant de s’être laissé aller. Il vaut

mieux que je le laisse seul.

– Je dois y aller, dis-je d’une voixdouce. Tu dînes avec nous ce soir ?

Il me fait non de la tête, mais je lis dela reconnaissance dans ses yeux.

Nous avons fait un premier pas l’unvers l’autre, je ne vais pas tout gâcher eninsistant.

– Tu as le droit de changer d’avis. Jerepasserai. Tu sais que tu peux monterme voir quand tu veux. Essaie demanger, et de dormir, OK ?

Il hoche la tête et ne dit rien.

Je vais vers la porte et alors que jel’ouvre, j’entends sa voix dans mondos :

– Merci Grace.

Je me retourne pour lui sourire et jesors de la chambre en refermant derrièremoi. Je suis heureuse d’avoir établi lecontact avec Eric. Après tout, même s’ilne le sait pas encore, c’est le frère deCaleb. Il est de sa famille. Et donc, de lamienne désormais.

61. Des cœurs grandscomme ça

– En fait, il nous a manipulés ! Nous,les enfants…, déclare Susie en hochantsa tête coiffée d’un turban écarlate.

Le cours de photographie que jedonne aux enfants du centre de Susievient tout juste de se terminer. Lorsqueles enfants sont partis, je suis alléetrouver mon amie pour lui dire ce quel’on avait découvert sur ToddPetrossian. J’ai mis une dizaine de jours

à le faire, je n’arrivais pas à me décider.J’avais peur de lui faire de la peine.Quelles que soient ses machinations, il aquand même réussi à arracher unarrangement avec la banque deDandridge et à faire rouvrir le centre.Susie avait énormément dereconnaissance pour lui, et même, jecrois, de l’affection.

– Et bien que veux-tu… C’est commeça, dit Susie avec un geste fataliste. Detoute façon, je n’ai plus de nouvelles delui depuis longtemps. Je l’ai invité àvenir dîner avec moi et les enfants, il n’ajamais répondu. Je pensais qu’il étaittrès occupé. Tu parles, dit-elle.

Je la regarde, désolée pour elle, maiselle me sourit, les yeux pétillants :

– Ne t’inquiète pas pour moi, monange, je m’en remettrai. J’ai connu destrahisons dans ma longue vie, et bienplus graves. Il y a ceux qui partent avecton argent, celui qui te trompe avec tameilleure amie, ceux qui t’envoient enprison… Moi, dans cette histoire, j’ensors gagnante, puisque j’ai retrouvé moncentre. Rien à faire de Todd Petrossian !dit-elle en éclatant de rire.

Puis je la vois regarder dans mondos :

– Heureusement, tous les avocats ne

sont pas aussi affreux. En voilà un quiest même tout à fait respectable, dit-elled’un ton taquin.

Je me retourne pour suivre son regardet je me retrouve face à… Caleb.

– Qu’est-ce que tu fais là, monamour ? m’exclamé-je, étonnée.

– Tu n’es pas contente de me voir ?demande-t-il, avant de se pencher devantSusie et de lui faire un baisemain.

– Mais si, toujours ! dis-je. Mais jesuis étonnée, tu n’as pas l’habitude devenir me chercher à la fin des cours.Qu’est-ce qui t’amène ?

Il pose un baiser sur mes lèvres avant

de me répondre :

– Je voulais vous emmener faire untour, Susie et toi. Si vous êtes d’accordbien sûr.

– Volontiers Caleb, mais si j’avaissu, j’aurais mis une tenue un peu plushabillée, dit Susie en minaudant commeune jeune fille.

– Mais vous êtes merveilleusecomme ça Susie, dit Caleb sur le mêmeton de marivaudage.

Et c’est vrai qu’elle est belle maSusie, fraîche comme une jeune fillemalgré ses 80 ans, avec sa longue robede soie sauvage et sa coiffe écarlate.Elle est toujours très bien mise,

parfumée, parée de gros bijoux et depuisqu’elle a retrouvé le centre, elle acomme gagné une seconde jeunesse.

– Venez, dit Caleb en nous tendant àchacune un bras, je ne vous emmène pasloin.

Susie et moi échangeons un regardintrigué avant de prendre son bras. Noussortons du petit bâtiment du centre pournous retrouver sur le trottoir. Caleb nousfait faire quelques pas, avant de nousarrêter devant la haute porte d’un petitimmeuble à trois étages juste à côté.

– Nous y sommes, dit-il d’un air ravi.

Je le regarde en fronçant les sourcils.

– On est où ?– À la fondation parrainée par le

cabinet Montgomery & Stockman, quiaura pour objectif de soutenir lesassociations culturelles d’aide àl’enfance défavorisée.

Il fait une pause, avant de déclarersur un ton solennel :

– Je vous souhaite la bienvenue à laFondation Susie Smith pour la jeunesse.

Je suis aussi surprise que Susie, quiouvre des yeux ronds en regardantCaleb.

– Enfin, si vous permettez qu’on luidonne votre nom, bien sûr, Susie,reprend Caleb.

Pour toute réponse, après un momentde stupéfaction, Susie se jette dans sesbras en riant et en pleurant à la fois.Caleb semble lui aussi très ému. Moi,j’ai les larmes aux yeux en les voyants’étreindre ; je suis si fière de Caleb.

– Caleb… C’est trop d’honneur !s’exclame mon amie, touchée.

– Pas du tout Susie, répond Caleb.C’est vous qui avez inspiré cettefondation. Vous méritez qu’elle portevotre nom, et Grace et moi, nous feronstout pour que ses actions soient à la

hauteur de votre dévouement pour lesenfants.

Je ne peux m’empêcher de rire envoyant Susie remercier Caleb aveceffusion.

– Grace, ma chérie, tu as un mariextraordinaire, dit-elle en se tournantvers moi, sans desserrer son étreinte.

– Je sais Susie. Je suis bienconsciente de ma chance, dis-je enenvoyant un baiser du bout des doigts àCaleb, que je sens un peu gêné par tousces compliments.

– Ah, si j’avais… 50 ans de moins !reprend Susie. C’est sûr que j’auraisperdu la tête pour lui, dit-elle avant

d’éclater de nouveau de son riremélodieux et grave.

– Et j’aurais bien pu craquer, badineCaleb. Vous venez visiter ?

D’un geste, il nous invite à le suivre àl’intérieur de l’immeuble en brique ocre.

Nous pénétrons dans un immense hallqui pourrait aisément faire office desalle de bal. Le local est vide, seul ungrand canapé de velours violet et unfauteuil assorti sont installés au centre.

– J’ai pensé que nous pourrionsdonner ici la première réunion duconseil d’administration, dit Caleb ennous faisant un clin d’œil.

En riant, nous allons nous asseoir surles sièges que Caleb a fait installer. Jelaisse le fauteuil à Susie, et Caleb vients’asseoir près de moi sur le canapé.

– Chérie, dit Caleb en me prenant parla taille, tu ne m’en veux pas de net’avoir rien dit ? Je voulais te faire lasurprise.

– Non, je ne t’en veux pas, c’est unejolie surprise.

Caleb pose un chaste baiser sur majoue et se tourne vers Susie.

– Susie, si vous l’acceptez, vousserez présidente d’honneur de lafondation.

– Mais tout l’honneur est pour moi,mon cher Caleb, se récrie Susie,enchantée.

– La première action de la fondationsera de verser une aide à votre centreafin que vous puissiez racheter votrehypothèque. Il faut que vous soyezlibérée de cette épée de Damoclès au-dessus de votre tête ; je connaisDandridge, sa banque n’aura aucunepitié pour vous si vous manquez unversement. Vous serez désormais àl’abri.

– Merci Caleb, dit Susie, soudaingrave, en mettant la main sur son cœur.C’est un grand soulagement, je saisdésormais que mes petits seront à l’abri.

Je peux mourir tranquille.– Oh la, mais il est hors de question

que vous mouriez Susie, on a encorebesoin de vous, au centre, et à lafondation ! m’écrié-je.

– Ne t’en fais pas mon ange, je n’aipas l’intention de quitter cette belle terredemain, surtout avec tous ces beauxprojets, dit Susie avec un sourireéclatant.

– Vous êtes notre inspiratrice, l’âmede cette fondation, on compte sur vousSusie, ajoute Caleb. Et puis, vous serezici comme chez vous : une partie deslocaux, comme l’auditorium qui peutfaire office de salle de projection, seramise à disposition du centre. Qui

bénéficiera pour sa part de fonds pouracheter les équipements qui manquent, etd’un budget annuel pour des sortiesculturelles.

– C’est merveilleux, murmure Susie,des étoiles plein les yeux. Vous êtes unebénédiction Caleb.

– Remerciez Grace, dit Calebmodestement, elle plaide votre causedepuis longtemps.

– Oh, mais Grace est un ange tombédu ciel, je le sais depuis que je l’airencontrée, répond Susie, et je sens denouveau des picotements dans les yeux.

– C’est ce que je pense aussi,murmure Caleb, en me prenant la main.

Je me tourne vers lui, béate, remplie

d’amour et de fierté.

On doit vraiment offrir un spectacleun peu bêta, yeux dans les yeux etdégoulinant d’amour, mais c’est commeça : on s’aime et tant pis pour les aigris.En tout cas, Susie, elle, nous regardeavec les yeux qui brillent de joie, je saisqu’elle se réjouit de notre bonheur.

– Cette fondation, elle va aiderd’autres associations, c’est bien ça ?demande Susie, avec laquelle j’avaisdéjà évoqué ce projet il y a un certaintemps.

– Exactement, reprend Caleb, onespère bien que cela créera une synergieentre elles. Il faudra bien sûr mettre sur

pied un comité d’éthique poursélectionner les bénéficiaires. Je comptesur Grace et vous pour cela.

– Oh, je ne sais pas si c’est dans mescompétences, s’inquiète Susie.

– Ne vous inquiétez pas, desmembres de mon cabinet étudieront lesdossiers pour une première validation.Après, il suffit d’un peu de bon sens, etde sensibilité, et vous en avez toutes lesdeux. On veillera à ce que vous soyezentourées des bonnes personnes aucomité. Pour tout ce qui estadministratif, gestion des fonds, etcetera, je monte une équipe.

– Vous avez pensé à tout ! s’exclameSusie.

– Même à votre bureau, présidente,qui se trouve au deuxième étage. Mais ily a un ascenseur.

– Un bureau ! glousse Susie. Mais jen’en ai pas besoin.

– Mais si, ma chère présidente. Vousen ferez ce que vous voulez, un studiod’enregistrement, une salle de baby-foot,mais vous aurez votre espace à vous ici.Vous voulez le voir ?

Susie le regarde, le regard pétillant.

– Un bureau pour moi ! plaisante-t-elle. À mon âge ! Je n’en ai jamais eu…

Caleb se lève et l’aide à se releverdu fauteuil. Je suis attendrie, il est

tellement prévenant et attentionné avecSusie, ça me bouleverse de les voirensemble. Et ma vieille amie esttotalement sous le charme. Quand jepense à la vie qu’elle a eue, avec son lotde malheurs, je me réjouis encore plusqu’elle puisse connaître tous cesbonheurs aujourd’hui.

Nous montons dans le petit ascenseurjusqu’au deuxième étage. Nous longeonsle couloir, les portes ouvertes révélantdes pièces vides.

– Désolé, dit Caleb, mais la signatureest toute fraîche, je n’ai pas eu le tempsde mandater un architecte d’intérieur.

– J’avais pensé à Maman, dis-je, elle

adore faire ça. Et je crois que sa vie defemme au foyer commence à lui peser. Jesuis sûre qu’elle sera heureuse dedonner un coup de main. Et j’aime autantque l’argent économisé profite auxenfants plutôt qu’à un décorateur.

– Tout à fait d’accord, appuie Susie.– Alors le conseil d’administration

valide à l’unanimité sa premièredécision, annonce Caleb.

Nous sommes arrêtés devant la seuleporte fermée du couloir.

– Susie, j’ai pensé que vous seriezbien ici, dit Caleb en ouvrant la porte.

La première chose que je vois, c’est

une photo. Un portrait en noir et blanc,magnifique, d’une jeune chanteuse noire,micro à la main, un turban sur la tête.

Je me tourne vers Susie, qui a lesyeux embués de larmes. Elle a l’airbouleversée de se reconnaître. Elle l’estencore davantage lorsqu’elle remarque,sur un autre mur, des disques d’oraccrochés.

– Mais…, balbutie-t-elle. Commentvous avez fait pour les retrouver ?

Elle s’approche pour les regarder deplus près. Susie m’a raconté que dansses années de toxicomanie, lorsqu’elles’était retrouvée ruinée, elle avait dû

vendre ses disques d’or. C’est une deschoses qu’elle m’a dit regretter le plus.Et ils sont là, sur le mur.

– C’est un admirateur qui les aachetés il y a quelques années auxenchères qui a tenu à vous les offrir.

– Mais qui ? s’exclame Susie. Il fautabsolument que je le remercie.

– C’est mon père, avoue Caleb.

Caleb m’a dit lorsque je lui ai parléde Susie la première fois que c’était lachanteuse préférée de son père, et qu’illui avait fait beaucoup écouter seschansons lorsqu’il était petit. Je lui aiparlé de cette histoire de disques d’or ily a quelques jours, et il m’a dit alors que

son père les possédait.

– Votre père ? s’étonne Susie. Lesénateur Montgomery ?

– Lui-même, sourit Caleb.– Alors ça…, s’exclame-t-elle. Ça

me fait tellement plaisir, vous ne pouvezpas imaginer. Dites-lui qu’il ne pouvaitpas me faire de plus beau cadeau.

– Vous lui direz vous-même. Il a bienl’intention de vous rencontrer, croyez-moi. J’ai promis d’organiser un dîneravec vous. Je dois vous confesser qu’ilespère que vous chanterez pour lui.

Susie éclate de rire.

– Je n’ai pas chanté en public depuis

des années. Mais dites-lui que pour lui,je le ferai. En attendant, transmettez-luiça, dit-elle, avant d’aller déposer unbaiser sur la joue de Caleb.

Soudain, elle sursaute et regarde samontre.

– Mais les petits doivent m’attendrepour le cours de musique, je vais être enretard. Je suis désolée, Caleb, je n’aipas le temps de faire le tour complet deslocaux, il faut que j’y aille. Mais ce quej’ai vu est déjà formidable.

– Eh bien on va vous raccompagner,dit Caleb. Grace, je ne sais pas ce que tuavais prévu, mais il y a quelqu’un quivient pour revoir le système d’alarme du

bâtiment dans une demi-heure, je doisrester.

– Mais bien sûr, je reste avec toi.

Nous redescendons avec Susie qui,après nous avoir embrassés de nouveauavec effusion, regagne en trottant soncentre où l’attendent les enfants.

– Caleb, ça me paraissait impossible,mais je crois bien que je t’aime encoreplus qu’avant, dis-je en attirant monmari à moi pour l’embrasser.

Je le prends par la main pourretourner dans ce qui est désormais lesiège de la nouvelle fondation.

Nous nous arrêtons au milieu del’immense hall.

– C’est un très bel endroit. Tu l’asbien choisi.

– Tout le mérite revient à Stacy. C’estun ami à elle, un agent immobilier, quinous l’a trouvé. Je n’en revenais pasquand elle m’a donné l’adresse, juste àcôté du centre.

– Ne sois pas si humble. C’est quandmême toi qui l’as acheté. Tu es tellementgénéreux…

– À vrai dire ma chérie… c’est nous.Tu es mon épouse, ce qui est à moi est àtoi, mes biens comme mon argent.

Je reste un instant bouche bée ; je

n’avais jamais pensé à cet aspect deschoses.

En fait, je suis riche. Je crois mêmeque je suis TRÈS riche.

– Cet endroit nous appartient ? finis-je par dire, après un instant destupéfaction.

– En fait… pas pour longtemps. Jevais en faire don à la fondation. Enfin,NOUS allons en faire don. Si tu esd’accord, bien sûr.

– Mais évidemment, dis-je en riant.

Finalement, c’est pas si mal d’êtreriche. On peut faire de jolies choses…

– Ce sera notre apport initial,explique Caleb, avec un premier budget,mais la fondation devrait vivre assezrapidement des gains générés par lecabinet… et celui de Petrossian, ajoute-t-il avec un sourire ironique.

Je regarde Caleb, l’homme que j’aiépousé et que j’aime plus que tout :chaque facette que je découvre de lui meséduit. Il a une si belle nature, si noble.Je l’admire tellement. Et j’avoue, à cetinstant, je le désire aussi, violemment.

– Allez viens, dit-il, je vais temontrer le reste des locaux en attendantque le type du système d’alarme arrive.Tu n’as pas vu l’auditorium.

Nous nous engouffrons dansl’ascenseur.

– On commence par en haut ?propose-t-il en appuyant sur le bouton 3.

Je hoche la tête, avec une petite idéeen tête. L’ascenseur se met en branle. Ils’élève tout doucement. Caleb est si prèsque je sens l’odeur de sa peau. Il a latête baissée vers moi, et me regardeavec amour, avec aux lèvres son souriremalicieux et troublant.

Mue par une impulsion, j’appuie surun bouton.

L’ascenseur s’arrête brusquement, et

Caleb, surpris par cet arrêt intempestif,oscille.

– Mais qu’est-ce que tu fais ? medemande-t-il, intrigué.

– À ton avis ? demandé-je d’une voixsuggestive.

– Heu… Je ne sais pas. Tu testes lafiabilité de l’ascenseur, me dit-il d’unton qui laisse entendre qu’il a bel et biendeviné mes intentions.

Il faut dire que je me suis collée à lui,et que ma main effleure sa ceinture.

– Je pense que j’ai trouvé un agréablemoyen de célébrer ce moment. Qu’endis-tu ?

– J’en dis que… j’espère que le garsaura du retard, répond Caleb d’une voixrauque, tandis qu’il se penche pourm’embrasser.

Les lèvres brûlantes de Caleb et salangue habile finissent d’enflammer moncorps. Ses mains se collent à mes seinspalpitants, tandis que j’essaiemaladroitement de défaire la ceinture deson pantalon. Malgré ma fébrilité, j’yparviens et je le déboutonne. Mais il estplus rapide que moi, et ses mainss’égarent déjà sous ma robe légère,caressent mes cuisses et montent jusqu’àma culotte. Il tire dessus, effleurant aupassage mon sexe humide. Il fait glisserle fin tissu jusqu’à mes chevilles, me fait

lever les pieds l’un après l’autre avantde mettre mon sous-vêtement dans lapoche de sa veste de lin gris pâle avecun sourire malicieux.

Tout en continuant à me regarder droitdans les yeux, Caleb s’agenouille devantmoi, retenant ma robe au-dessus de mataille, et sa bouche se colle à mon sexe.Il le baise avec ardeur, le lèche, et je mesens vaciller, je gémis son nom,plongeant mes mains dans ses cheveux.

J’en oublie où nous sommes, je suistoute tournée vers Caleb et lessensations que me procure sa boucheenfiévrée.

Je geins doucement tandis qu’ils’active et je lui en veux un peu des’arracher à moi au bout de quelquesminutes pour se remettre sur pied. Ilsourit devant ma moue dépitée.

– Ne t’en fais pas, je n’en ai pas finiavec toi, me susurre-t-il.

Très vite, sa main a remplacé sabouche, et il me pénètre d’un doigt,tandis que ses lèvres baisent mes seins.

– J’aurais pu te prendre dans cetascenseur où je t’ai rencontrée, dit-ild’une voix grave et sensuelle.

Je souris à travers mes gémissements

de plaisir.

– Quand la porte s’est ouverte et quej’ai vu tes deux délicieux seins échappésde ce décolleté… je crois bien que j’aibandé.

– Caleb…, dis-je, à moitié offusquée,à moitié flattée.

– Et maintenant, ces seins…, dit-il ens’interrompant pour mordiller les tétons,sont à moi.

Sous ses doigts enchanteurs, je suisen train de perdre la tête. La cabine estassez étroite, et il fait très chaud ;l’odeur de nos sueurs mêlées m’enivre.Je monte et descends sur son majeur, etj’ai une envie dévorante de sa verge en

moi. Je caresse ses fesses à travers sonpantalon, puis je glisse ma main dansson slip pour en dégager son sexeturgescent.

– Prends-moi, je t’en prie, le supplié-je.

Je noue mes mains autour de son cou,et avec un cri rauque, il me soulève etme plaque contre la paroi qui fait unbruit qui aurait pu m’inquiéter si je neme consumais pas de désir. J’enserre sataille de mes jambes, tandis qu’il baisseun peu son pantalon pour pouvoirdégager plus largement son pénis. Jefrotte mon buisson contre son bas-ventre, tout excitée. Soudain, il me

pénètre. Une douce chaleur envahit monventre, tandis que, le dos appuyé contrela paroi glacée de la cabine, je monte etdescends sur son sexe. On s’embrasse àperdre haleine, je mords ses lèvrestandis qu’il me transperce avec fougue.La cabine grince de plus en plusbruyamment, mais cette sensation d’êtresuspendue au-dessus du vide dans unenacelle qui pourrait bien lâcher ne faitqu’accroître mon excitation et décuplermes sensations.

C’est alors que le téléphone de Calebretentit. C’est à peine s’il ralentit lacadence, mais je panique un peu.

– C’est peut-être le type de l’alarme !

m’exclamé-je.– Et alors, il peut attendre…,

murmure Caleb.– Il est peut-être devant la porte…

Au lieu de se retirer, Calebrecommence à s’enfoncer en moi.

– Mais Caleb… Qu’est-ce que tufais ?

– Ne t’inquiète pas, il attendra.– Mais s’il entre ! dis-je en

repoussant sa poitrine de mes deuxmains tandis qu’il se penche pourm’embrasser.

– La porte ne peut pas s’ouvrir del’extérieur.

– Mais… Caleb…

Je suis à court d’arguments, et je n’aiplus la force de résister ; le va-et-vientde plus en plus puissant de Caleb me faitperdre la tête. J’ai beau savoir quel’homme se rapproche, qu’il vas’étonner de ne pas nous voir devant laporte, rien ne surpasse le plaisir que medonne mon amant. Tandis que l’orgasmemonte, je me mords les lèvres pour nepas gémir. Accrochée aux épaules deCaleb, je regarde dans le miroir del’ascenseur mon visage hagard, mesyeux brillants, les mèches de mescheveux humides de sueur collées surmon front et mes joues. Caleb esttoujours revêtu de sa chemise et de saveste, mais je peux voir dans la glace

ses fesses parfaites, aux muscles biendessinés. Cette vision de nos deux corpsqui s’ébattent dans un lieu qui n’est pasconçu pour cela est d’un érotismetorride. Je m’abandonne sans luttercontre le plaisir qui m’emporte, commeil emporte mon amant dont je reconnaisle cri de jouissance ultime.

On reste ainsi enlacés quelquesinstants, le souffle court. Mais letéléphone qui se remet à sonner ne nouspermet pas de nous abandonner à laplénitude post-coïtale. Caleb me reposesur le sol et décroche. Je vois qu’il faitdes efforts pour parler d’une voixnormale.

– Oui, excusez-nous, nousdescendons tout de suite.

Caleb raccroche, me regarde, et nouséclatons d’un fou rire nerveux. Il rajusteson pantalon tandis que je baisse marobe et que j’essaie tant bien que mal deremettre de l’ordre dans ma chevelure.

On vérifie tous les deux que noussommes présentables puis Caleb appuiesur le bouton qui permet de remettre enmarche l’ascenseur. C’est seulement aumoment où les portes vont s’ouvrir queje réalise que ma petite culotte dépassede la poche de Caleb. Je n’ai plus letemps de la mettre, juste celui del’enfoncer plus profond pour qu’elle soit

invisible.

***

– Tu es sûr qu’on ne voyait rien ?dis-je, inquiète.

– Mais puisque je te le dis, dit Caleben riant.

L’homme chargé de faire un devispour le système d’alarme vient de nousquitter. Pendant tout ce temps, je n’ai pasarrêté de tirer sur ma robe d’été un peucourte, ce qui semblait beaucoup amuserCaleb, qui ne s’est pas gêné pour meglisser quelques caresses sur les fesseslorsque l’autre avait les yeux tournés.

– Tu me rends ma culottemaintenant ?

Caleb la retire de sa poche et l’agitecomme un drapeau, pour me narguer.

– Non, je crois que je vais la garderencore un peu.

Joueur, il lève le tissu au-dessus delui, pour m’empêcher de l’attraper. Etcomme il est bien plus grand que moi, jen’ai aucune chance.

– Très bien, garde-la si tu veux, dis-je en haussant les épaules.

Mue par une impulsion, je me mets à

courir vers la cage d’escalier.

– Hé, reviens ! Où tu vas ? crieCaleb, surpris.

Arrivée à l’étage, je me retourne, ettranquillement, je dégrafe mon soutien-gorge que je parviens à retirer sansenlever ma robe.

Je regarde Caleb qui est resté en bas,perplexe devant ce nouveau jeu, et avecune petite moue, je laisse tomber lesoutien-gorge à mes pieds avant de fuiren riant.

J’entends son pas dans l’escalier. Sije veux garder mon avance, je dois

retirer mes chaussures. En me mordantles lèvres pour ne plus rire, je tente deretirer rapidement les sandales dont lesbrides résistent un peu.

– Grace ?

La voix de Caleb se rapproche.J’abandonne mes souliers dans lecouloir, comme le Petit Poucet sescailloux. Je fonce dans le couloir pourarriver à un autre escalier quej’emprunte le cœur battant. Après unehésitation, je retourne sur mes pas pourretirer ma robe que je jette au sol. C’estnue que je finis de gravir les marches.

Je me retrouve devant une grande

porte capitonnée sur laquelle est écrit« auditorium ».

Sans réfléchir, j’entre dans la salleplongée dans le noir. J’appuie sur desboutons successivement pour tenter del’éclairer. Je joue avec les lumièrespour n’en garder que deux, assez faibles,qui éclairent à peine la scène, l’écran, etles quelques rangées de fauteuils envelours en arc de cercle. J’entends despas derrière moi. En retenant un fou rired’excitation, je monte en courant lestrois pas qui me séparent de la scène. Jesuis debout en son centre, quand Calebentre. Il tient contre lui mes vêtements etmes sandales.

Il s’arrête un instant pour mecontempler, et je me sens rougir sous sonregard de braise. Puis tranquillement, ilva s’asseoir au premier rang et croiseles bras, me regardant d’un regardprovocant, qui me pousse à toutes lesaudaces.

– Tu es content ? dis-je d’une voixmutine. Je ne porte plus rien maintenant.Je ne me cache plus.

– Tourne-toi un peu, pour voir…, dit-il, taquin.

Je souris, mais je tourne sur moi-même, lui dévoilant mon dos, et mesfesses sur lesquelles je sens ses yeux seposer avec insistance. Je me trouve un

peu bête, mais je ne sais pourquoi, lasituation m’excite particulièrement.

Dans la semi-pénombre, la voixrauque de Caleb s’élève.

– Tu es très belle, Grace.

Je me retourne et lui fais face. Cettepetite distance entre nous est déjà tropgrande. D’un saut, je descends de lascène et m’approche de lui. Je mepenche et murmure à son oreille :

– Déshabille-toi.

Il ne se fait pas prier. En un tour demain, le voilà aussi nu que moi, sa verge

déjà dressée. Je caresse ses fesses dubout des doigts, et je me penche poureffleurer son sexe de mes lèvres, ce quilui arrache un gémissement. Je meredresse soudain et d’une tape sur salarge poitrine musclée, je le faisbasculer en arrière. Il est assis dans lefauteuil et je m’empresse de grimper surlui. Son sexe s’emboîte parfaitementdans le mien. Il pose sa bouche dans lesillon de ma poitrine, les mains crispéessur mes seins, tandis que je l’enfourchecomme une folle cavalière. Je me cabreen arrière, savourant la sensation de saverge puissante entre mes cuisses. Lesyeux mi-clos, j’imagine que les quelquesdizaines de fauteuils sont occupés par

des spectateurs qui regardent nos ébats,et cette vision m’émoustille encoredavantage. Les mains de Caleb se sontposées sur mes fesses et il presse macroupe contre lui pour s’enfoncer encoreplus profond en moi.

– Baise-moi, baise-moi,m’encourage-t-il, tandis que je lechevauche de plus belle.

Les ondes de plaisir se propagentdans tout mon corps moite de sueur. Leregard trouble de Caleb m’indique qu’iln’est plus temps de me retenir et je lâcheles chevaux. L’orgasme monte au galop,fulgurant, et un cri, mon cri, résonnedans l’amphithéâtre désert.

62. Une bonnenouvelle ?

– Oh mon Dieu !

Heureusement, que j’avais attachémes cheveux. C’est la seule chose àlaquelle je pense, les yeux hagards fixéssur le fond de la cuvette.

Un autre haut-le-cœur me prend et jemets quelques bonnes minutes à meremettre.

Je me sens mieux maintenant que j’aivomi, mais je vois dans le grand miroirau-dessus du lavabo que j’ai une mine àfaire peur. Avant de quitter la salle debains, je me passe de l’eau sur le visage,j’écarte les quelques mèches collées parla sueur sur mon front.

C’est quand même bizarre,d’habitude je supporte très bien lacuisine indienne, mais le plat que j’aipris hier soir n’est manifestement pasbien passé. Pourtant, Caleb a pris lemême, un poulet Madras, et il avait l’aird’aller tout à fait bien quand il est partice matin.

Je retourne dans la cuisine pour tenter

de boire le café que je m’étais préparémais même l’odeur me dégoûte.

Ça m’embête d’être dans ce piteuxétat alors que ma mère arrive de LosAngeles ce matin. Elle s’inquiètefacilement. Elle va vouloir que je merepose, et j’ai prévu de faire plein dechoses avec elle.

Je retourne dans la salle de bainshistoire de me préparer. Après unebonne douche, je me sens quand mêmemieux.

Bon, apparemment, le malaise estpassé. Dorénavant, je vais y aller mollosur la cuisine indienne…

Quand la sonnette retentit, j’ai quandmême retrouvé un peu d’énergie.

– Coucou ma chérie, dit Maman enentrant dans l’appartement, tout sourire.

Maman est venue visiter quelquesappartements avec Nikki, mais elle dortchez Caleb et moi. Elle a hésité àaccepter mon invitation quand elle a suqu’Eric logeait à l’étage inférieur, depeur d’être un fardeau supplémentaire,mais Caleb l’a persuadée qu’elle n’étaiten aucun cas une gêne et que ça nousferait un grand plaisir de l’avoir avecnous.

– Tu as changé de parfum, Maman ?

Depuis toujours, ma mère porte duShalimar et aujourd’hui je ne sais pas,j’ai l’impression que l’odeur estdifférente, plus forte et même… un peuécœurante.

Maman me regarde, étonnée :

– Mais non chérie, je porte le mêmeparfum depuis mes 20 ans.

– Ah… Je ne sais pas, j’avaisl’impression… Peut-être parce que jesuis un peu malade.

– J’allais te demander, tu as unepetite mine, dit Maman, sourcils froncés.Qu’est-ce que tu as ?

– Rien, ne t’inquiète pas… On amangé indien hier ; c’était peut-être un

peu trop épicé.– Tu as vomi ?– Oui, juste avant que tu arrives.

Mais ça va beaucoup mieux, lui dis-jeavec un sourire que je veux rassurant,mais elle continue à me regarder d’unair inquiet. Allez, oublions ça, on vat’installer en haut. Tu veux boire quelquechose avant ? lui demandé-je.

– Je veux bien un café, me dit-elle, çava me réveiller un peu.

– Je t’en fais un tout de suite.

Maman s’installe dans le canapé,pendant que je prépare la cafetière. Jedemande des nouvelles de John, dutournage de sa dernière production quilui donne des soucis, quand, sentant

l’odeur du café, je me sens reprise denausée.

– Excuse-moi, dis-je, en filant aussivite que je peux aux toilettes.

Décidément, plus jamais de pouletMadras !

Je ressors de la salle de bains au boutde quelques minutes. Maman me regarded’un œil soupçonneux, en triturant seslongs cheveux.

– Ça t’arrive souvent, chérie ? medemande-t-elle.

– Mais non je te dis. C’est ce matin…– Tu as bien dormi ? Tu as les yeux

cernés, s’inquiète-t-elle.– C’est vrai que j’étais un peu

fatiguée ces derniers jours…

Je m’arrête en voyant l’expressionsur le visage de ma mère.

– Grace chérie, me dit-elle lentement.Les odeurs qui te rendent malade, monparfum que tu ne reconnais pas…Tu n’espas enceinte ?

Je ne peux m’empêcher d’éclater derire.

– Mais non, bien sûr, je prends lapilule.

–Tu ne l’as jamais oubliée ?

– Mais non.

Je m’interromps soudain.

Mais si !

Je me mords les lèvres, sous leregard perçant de ma mère.

– Je l’ai oubliée une fois. Quand onest partis au Costa Rica. Mais euh…j’en ai pris deux le lendemain. Enfin…je crois. Oui, oui, je l’ai prise, ajouté-jeavec véhémence, même si j’ai un petitdoute.

– Grace, tu devrais faire un test.– Mais Maman, je ne l’ai oubliée

qu’une fois !

– Une fois suffit ma chérie, merépond ma mère calmement.

Je me laisse tomber sur le canapéauprès d’elle, effarée.

– Mais… Ce n’est pas possible… Jene peux pas… attendre un enfant,balbutié-je.

– Vous n’en voulez pas Caleb et toi ?me demande Maman, visiblementsurprise.

– Mais… je ne sais pas … Je n’y aipas pensé… On n’en a pas parlé avecCaleb, dis-je, sentant l’affolementmonter.

Ma mère m’entoure les épaules de

ses bras.

– Ce n’est pas la peine de s’affoler,Grace. Tu vas acheter un test, et puisensuite tu auras le temps d’y penser.C’est fort probable que tu aies juste uneintoxication alimentaire, ajoute-t-elled’une voix très calme.

Malgré sa voix et sa présencerassurantes, je suis absolumentpaniquée.

– Oh mon Dieu, maman. Si j’attendsun bébé ? dis-je en cherchant du secoursdans ses yeux.

Elle me sourit avec tendresse.

– Il est trop tôt pour songer à cela.Écoute, il y a une pharmacie en bas dechez toi, ne bouge pas, je vais acheter untest.

– Achète-en deux ! Non, trois !– D’accord mon poussin ; ne bouge

pas de là. Je reviens tout de suite.

Effectivement, ma mère est de retourquelques minutes plus tard. J’ai passétout ce temps le nez collé à la fenêtre, àla guetter, comme si ça allait la fairerevenir plus vite. J’essaie de ne paspenser à l’éventualité d’une grossessemême si c’est difficile maintenant quema mère a évoqué l’idée.

– Je t’en ai pris trois de trois

marques différentes, dit-elle en metendant un sac.

Je le regarde comme s’il contenaitune bête qui allait me mordre. Je n’osetendre la main.

Maman me dit doucement :

– Grace, ma chérie, tu dois faire cestests. Tu n’es probablement pas enceinte,mais tu dois vérifier. Et si tu l’es… ilsera toujours temps d’y réfléchir.

D’une main un peu tremblante et enm’efforçant de sourire, je prends le sacet vais m’enfermer dans la salle debains.

Comme une somnambule, je fais ceque m’indiquent les modes d’emploi.Mais je n’ai pas le courage d’attendreseule les résultats. Je sors de la salle debains, tests en main, et tombe nez à nezavec Maman qui est venue m’attendredevant la porte. Elle a gardé son calmejusque-là, mais je vois qu’elle n’est pasaussi sereine qu’elle veut le prétendre.

– Viens, on va dans ma chambre, dis-je, on va pas rester plantées dans lecouloir.

Je tiens les tests du bout des doigts,sans oser y jeter un œil.

On grimpe à l’étage et on s’assied sur

mon lit. Maman a passé son bras sous lemien et on se regarde sans rien dire.

Au bout de quelques minutes, Mamanme fait signe :

– Je crois que tu peux regardermaintenant ma chérie.

J’avale difficilement ma salive.

Enceinte.

Enceinte.

Enceinte.

Oh, mon Dieu. J’attends un enfantde Caleb.

Je relève la tête pour regarderMaman. Elle a les yeux ronds commedes soucoupes, fixés sur les tests. Ellerelève la tête et je vois bien qu’ellehésite sur l’attitude à adopter. Elle nesait pas si c’est une bonne ou unemauvaise nouvelle pour moi.

Et moi non plus, je ne sais pas !

Je suis dans la confusion la plustotale.

– Maman, Maman…, dis-je, sidérée.J’attends un bébé ! Un bébé !

J’ai beau répéter les mots, je n’arrivepas à réaliser.

– Et… qu’est-ce que tu en penses ?dit Maman, hésitante. Tu es heureuse ?

– Je ne sais pas !

Et puis soudain, c’est une évidence.

– Je crois, oui, m’exclamé-je tout àcoup avant d’éclater de rire.

Soulagée, Maman me prend dans sesbras et me serre fort contre elle.

– Mon bébé va avoir un bébé ! dit-elle, la voix étranglée par l’émotion.

Elle se recule pour mieux meregarder et je vois que ses yeux sont toutembués de larmes ; quant à moi, je

réalise que je pleure carrément. Dejoie ! Oui, c’est de la joie : un bébé, untout-petit de Caleb ! Je porte l’enfant del’amour de ma vie !

Je ris et je pleure à la fois, je n’enreviens pas de ce qui m’arrive.

– Maman, je vais avoir un enfant !

Je n’ai pas besoin de miroir poursavoir que j’affiche un sourire aussi béatque celui de ma mère.

– On va annuler notre déjeuner, et tuvas aller l’annoncer à Caleb dit Mamand’un air réjoui.

Caleb ! Qu’est-ce qu’il va dire ?

Mon excitation retombe subitement.J’ai dû blêmir car ma mère affichemaintenant un air paniqué.

– Qu’est-ce qu’il y a Grace ? Qu’est-ce que j’ai dit ?

Je sens soudain comme une mainglacée me serrer le cœur.

– Maman… Caleb, parviens-je à dired’une petite voix. Je ne sais pascomment il va réagir.

– Mais comme toi sans doute machérie, dit Maman d’un ton assuré. Ilt’adore, il sera très heureux sans doute.

– Mais non, tu ne comprends pas, dis-je en secouant la tête.

– Il ne veut pas d’enfant ? II te l’adit ?

– On n’a pas vraiment évoqué lesujet. Au début de notre mariage, je luiai dit que je n’en voulais pas, ou peut-être bien plus tard dans ma vie. Et unjour, on a eu une horrible dispute. Et là,il a dit des choses. Que faire des enfantsn’était pas dans ses projets, notamment,et pas avec moi. Enfin pas exactementça, mais ça revenait au même. Mais ilétait énervé ce jour-là, il a dit ça sur lecoup de la colère. Et puis notre relationn’en était pas du tout au même stade.Mais quand il est venu à Marrakech,

faire sa « non-demande » en mariage…Il a parlé de notre avenir ensemble, maispas une fois il n’a parlé de fonder unefamille. Je n’ai pas relevé, mais je l’airemarqué. Je me disais qu’on avait letemps, qu’on en parlerait plus tard. Etmaintenant, voilà…, dis-je, avec unsanglot dans la voix.

– Mais Grace, dit ma mère en mecaressant les cheveux, il faut que vousen parliez maintenant. Tu ne peux passavoir quelle sera sa réaction. Il t’aimetant.

– Je sais qu’il m’aime, je n’en doutepas, mais avec tout ce qu’il a vécu, lemensonge de ses parents sur sa filiation,je ne suis pas sûre qu’il soit à l’aise

avec la paternité. Et puis, il va croirequoi ? Que j’ai essayé de le piéger. Jesuis tombée enceinte sans lui demanderson avis. Je ne peux pas le mettre devantle fait accompli quand même. C’est…c’est du chantage, dis-je en pleurant, etcette fois les larmes qui roulent sur mesjoues sont bien plus amères.

– Grace, ma chérie, calme-toi, mechuchote Maman en me berçant dans sesbras.

Une idée me traverse soudainl’esprit. Je me rejette en arrière.

– Et s’il me demande de… de m’en…débarrasser ?

Maman me regarde sans rien dire, età son visage bouleversé, je vois qu’ellea aussi songé à cette éventualité.

– Maman, je ne pourrai pas. Je saisque je ne pourrai pas ! crié-je, exaltée.Je ne peux pas avorter de l’enfant deCaleb. Cet enfant, je le veux. Oh monDieu, qu’est-ce que je vais faire ? dis-jeen serrant très fort les mains de mamère.

Je ne veux pas croire que Calebpuisse me demander une chose pareille,et pourtant, c’est une possibilité que jene peux écarter. Cette idée me faithorreur. Je ne pourrai pas accepter. Etmême si je le fais… je crois que je ne

pardonnerai jamais à Caleb.

Aussi incroyable que cela puisseparaître, je peux envisager ce qui mesemblait jusqu’ici impensable : quitterCaleb. Je réalise avec stupéfaction, maissans le moindre doute, que pour cetenfant, dont je ne soupçonnais pasl’existence il y a quelques minutes et quej’aime désormais de toute mon âme, jepourrais sacrifier l’amour de ma vie.

63. L'annonce faite àCaleb

– Grace, il faut que tu dises à Calebque tu es enceinte ! me dit Maman, en meprenant par le menton pour que je laregarde dans les yeux.

Comme si c’était facile…

– Mais s’il ne veut pas de cet enfant ?m’écrié-je, terrifiée à cette idée.

– Mais c’est SON enfant aussi,Grace. Et Caleb t’aime tant. Je ne vois

pas comment il ne pourrait pas êtreheureux, insiste Maman.

– Oh Maman, soupiré-je en meblottissant dans les bras réconfortants dema mère. J’ai tellement peur de saréaction. Je ne veux pas qu’il pense queje l’ai piégé, que je lui ai fait un enfantdans le dos et…

– Mais pourquoi penserait-il ça ?s’étonne ma mère. Il t’aime, il te connaît,il sait bien que tu en es incapable. Tu tefais des idées folles ! Et je trouve que cen’est pas gentil pour Caleb, tu lui prêtesdes sentiments dont il est incapable,d’après ce que j’ai vu de lui…

– Tu as raison Maman, c’est idiot,reconnais-je piteusement. Caleb a

confiance en moi. Je deviens folle, jesuppose que ce sont les hormones…

Maman sourit avec tendresse.

– Je crois qu’il vaut mieux ne pasattendre pour lui dire, avant que tu neperdes tout à fait la tête, c’est mauvaispour le bébé, toute cette angoisse. On vaannuler notre déjeuner, et tu vas allerrejoindre Caleb.

– Je sais qu’il a un déjeunerimportant avec un gros client qui vientdu Texas, je ne voudrais pas qu’ilannule. Mais peut-être avant… Je croisqu’il plaide au tribunal ce matin.

– C’est bientôt l’heure de la pause,dit Maman en regardant sa montre.

Je me redresse subitement.

– Tu as raison, je vais aller luiannoncer.

Maman se met debout aussi etm’enlace.

– Chérie… Je ne devrais pas te ledire avant de savoir la réaction de Calebmais… je trouve que c’est merveilleux !

– C’est… c’est vrai ?

Je ne vois pas comment elle pourraitmentir, son visage rayonne.

– Je vais être grand-mère ! Moi nonplus, je ne m’attendais pas à le devenir

si tôt, mais l’idée me remplit de joie,s’exclame-t-elle en me serrant contreelle.

– Maman, je crois que je suisheureuse aussi, mais je n’arriverai pas àmettre de l’ordre dans ce que je ressenstant que je n’en ai pas parlé avec Caleb.Il faut que j’y aille. Tu m’attends ici ?

– Je ne bouge pas de là ! répondMaman avec un grand sourire.

C’est le cœur battant que je quitte lamaison pour me rendre au New YorkState Supreme Court Building, àseulement quelques blocks de là.

C’est seulement en chemin que jepense à appeler Caleb.

Il ne manquerait plus qu’il soitreparti du tribunal.

– Oui chérie ? répond-il.– Tu n’es pas en train de plaider ?– Je viens de terminer. Je dois dire

deux mots au procureur pour une autreaffaire, et je pars pour mon déjeuner. Tamère est bien arrivée ?

– Oui, elle va bien. Caleb, on peut sevoir ?

– Maintenant ? demande-t-il, surpris.– Oui, maintenant. Je voudrais te

parler.– Mais… De quoi ? Il s’est passé

quelque chose ? dit-il soudain alarmé.

On peut dire ça comme ça…

– Rien, ne t’inquiète pas. J’ai… J’aibesoin d’un conseil. Je ne voulais pas enparler devant Maman.

C’est tout ce que j’ai trouvé pour nepas trop l’alarmer…

– Oui je comprends, dit Caleb,apparemment rassuré. Écoute, j’en aipour un quart d’heure, vingt minutes toutau plus, on se retrouve sur les marchesdu palais de justice ? Mais… Tu veuxque j’annule le déjeuner ?

– Non mon amour, c’est gentil mais jen’en ai pas pour longtemps… J’iraidéjeuner avec Maman après.

– D’accord, à tout de suite chérie.

Je raccroche et je presse le pas. J’ail’estomac noué à l’idée de lui annoncerla nouvelle.

Pourvu qu’il soit content !

J’arrive devant l’immense buildingdont la façade est ornée d’imposantescolonnes. Sur le fronton sont gravés cesmots :

« The True Administration of Justiceis the Firmest Pillar of GoodGovernment. »

« La véritable administration de lajustice est le plus ferme pilier d’un bongouvernement. »

Je suis venue une fois voir plaiderCaleb, avec la complicité de Stacy. Il nevoulait pas que je le voie à l’œuvre autribunal, elle m’a fait entrerdiscrètement. Je dois avouer que j’aitrouvé le spectacle fascinant. Devant lesjurés, il était tellement à l’aise,persuasif… et sexy !

Je m’assieds sur les hautes marchesqui mènent à l’entrée principale, histoirede reprendre mon souffle, et mes esprits.J’ai réussi à trouver un peu d’ombrepour m’abriter du soleil de juillet quicogne plutôt fort.

J’attends, incapable de réfléchir, enregardant passer sans les voir les gens

qui entrent et sortent du palais de justice,dans un flux constant : avocats, témoins,touristes amateurs de séries policièresvenus visiter un lieu devenu un décoremblématique…

Une main se pose sur mon épaule etj’entends la voix basse et caressante deCaleb :

– Grace, qu’est-ce qui se passe ?

Je me redresse aussitôt. Il me dominede sa haute taille, encore rehaussée parles deux marches qui nous séparent. Jele regarde sans pouvoir parler, sonregard bleu légèrement inquiet, qui mefixe avec intensité, me prive de tout

courage. Malgré la chaleur, il porte uncostume sombre et une cravate,l’uniforme qu’il endosse lorsqu’il plaidedevant la cour. Il est suprêmementélégant, et d’une beauté presqueintimidante.

– Caleb…

Je dois m’y reprendre à deux foispour que les mots sortent enfin de mabouche. Lorsque je les prononce, je saisque ma vie, si belle aujourd’hui, peutbasculer.

– Caleb… Je suis enceinte.

Je suis devant lui, tremblotante,

guettant sa réaction le cœur battant à toutrompre. Tout d’abord, il ne semble pascomprendre.

– Enceinte ? répète-t-il, les sourcilsfroncés.

J’ai l’impression que la terre vas’ouvrir sous mes pieds. Et c’est quandj’envisage de m’enfuir que je vois sonvisage s’éclairer brusquement, commesous l’effet d’une révélation.

– Grace chérie… tu es enceinte ?s’écrie-t-il soudain.

Avant que j’aie eu le temps derépondre, ni même de comprendre, il me

soulève de terre en éclatant de rire.

– Alors, Montgomery, tu as encoregagné un procès ? dit un homme encostume-cravate qui passe à ce moment-là.

– Encore mieux que ça ! répondCaleb, avant de me reposer à terre et dem’embrasser passionnément.

Ce n’est rien de dire que je suissoulagée. J’exulte, je revis, mon cœurva exploser de joie !

– Tu… tu es content ? dis-jebêtement, pour m’assurer que je ne rêvepas.

Caleb me regarde comme si je venaisde parler chinois.

– Tu me demandes si je suis content ?Mais je suis fou de bonheur, dit-il en meserrant dans ses bras. Tu en doutais ?

– J’avais peur…, balbutié-je. Cen’était pas prévu… Je ne savais pas si tuen voulais, tu n’as jamais évoqué lesujet. Pas depuis notre dispute.

Il se recule et me prend par lesépaules, en me fixant de ses yeuxétincelants.

– Pourquoi, tu n’en veux pas toi ? dit-il d’une voix blanche.

– Oh si ! Bien sûr que si !

m’empressé-je de dire.

Son visage exprime un vifsoulagement.

– Ouf, laisse-t-il échapper.

Il me serre un instant contre lui, avantde reprendre :

– Ma chérie, si je n’en ai pas parlé,c’est que je pensais que tu n’étais pasprête. Quand on s’est rencontrés, tu m’asdit que tu voulais être libre, que tun’étais pas trop faite pour être mère, oupas tout de suite. Je me disais qu’avec letemps, tu changerais d’avis ; jel’espérais de tout mon cœur. Mais je ne

voulais pas non plus te forcer la main. Jen’ai pas oublié que tu as ton projet desafari. J’ai peur que tu doives y renoncerpour l’instant, tu ne crois pas ? ajoute-t-il sur un ton inquiet.

Je souris benoîtement :

– Ne t’inquiète pas, ce n’est pas unsouci pour moi. J’ai toute la vie pour lefaire. Mon projet actuel, NOTRE projet,est bien plus important ! dis-je enmettant ma main sur mon ventre.

– Tu es enceinte de combien ?demande Caleb en mettant tendrement samain sur la mienne.

– D’après les tests, et ma mémoire…un mois et demi environ. Quand on était

au Costa Rica, j’ai oublié la pilule…,dis-je, un peu gênée.

– Béni soit le Costa Rica, s’écrieCaleb et il m’embrasse de nouveau avecfougue.

Nous avons complètement oublié oùnous étions et quand nos lèvres seséparent, je vois les regards des gensbraqués sur nous.

– Alors, monsieur Montgomery, on sedétend ? dit un gros homme jovial etbarbu qui remonte d’un pas pressé versle tribunal un hot-dog à la main.

– Bonjour juge Hadler ! s’exclameCaleb. Ma femme et moi nous… avonsappris une bonne nouvelle.

Je lui ai donné un discret coup decoude juste à temps. Dansl’enthousiasme, j’ai l’impression queCaleb pourrait annoncer ma grossesse àla terre entière, mais elle est troprécente pour que je veuille la divulguerà tout-va. J’arrive déjà à peine à réalisermoi-même !

– Eh bien tant mieux, dit l’homme enpoursuivant sa route, sourire aux lèvres.Vous serez peut-être moins féroce avecles témoins aujourd’hui…

Nous éclatons de rire en le regardants’éloigner.

– En fait je n’ai plus tellement envie

de travailler. J’ai envie de rester avectoi, dit Caleb en me prenant par la taille.

– Et pourtant, il faut que tu aillesfaire la cour à ce client texan. Il faudrabien le nourrir, cet enfant !

– Grace, me susurre Caleb àl’oreille, tu me fais le plus beau descadeaux. Cet enfant, je vais l’aimer detout mon cœur ; je m’en occuperaiaussi…

– Hum… Ça va être compliqué entravaillant douze heures par jour, dis-jepour le taquiner.

– Mais je mettrai la pédale douce,insiste Caleb. Je prendrai exemple surmon père, il ne m’a jamais négligé,malgré sa carrière politique. Et puis

quand tu feras ce safari, quand il…– … ou elle, l’interromps-je en

souriant.– … quand cet enfant sera un peu plus

grand, nous te suivrons dans ton périple.Je m’occuperai de lui, pendant que tumitrailleras les animaux de ton objectif.Ce sera merveilleux non, tous les trois, àsillonner le monde ? dit-il des étoilesplein les yeux.

– Ce sera génial, dis-je, gagnée parson enthousiasme.

Mais je me reprends :

– N’allons pas trop vite quand même.Je n’ai même pas encore réalisé quej’allais être maman ! J’avais tellement

peur de ta réaction, que je n’ai pas penséaux conséquences. Tu crois que je vaisêtre une bonne mère ? fais-je, un peuangoissée.

– La meilleure, dit Caleb en souriant.

Je l’attire à moi pour l’embrasser,touchée.

– Tu es trop bon mon amour, mais jecrois que j’ai du pain sur la planche.Heureusement Maman est à la maison,elle me donnera des conseils, je ne saispas par où commencer.

– Tu lui as dit ?– C’est elle qui a deviné ! J’ai été

malade quand tu es parti, et elle a vitecompris que ce n’était pas juste une

intoxication alimentaire, comme je lepensais.

– Et alors, elle en pense quoi ?– Elle est folle de joie. Et je sais que

ce sera une grand-mère formidable pourcet enfant.

– Ça lui en fera au moins une,plaisante Caleb.

Je lui mets une petite tape surl’épaule.

– Tu es dur avec ta mère. Laura n’apeut-être pas été la mère idéale, maiselle peut grandement s’améliorer endevenant grand-mère, il paraît que çaarrive souvent. Au fait, il va falloirprévenir tes parents !

– Je suis sûr qu’ils vont être trèsheureux, s’enthousiasme Caleb. Ilsseront à New York après-demain, onpeut attendre jusque-là et leur annoncerensemble ?

– OK. Mais ça t’embête pas si onattend un peu pour le dire aux autres,hein ? dis-je, un peu inquiète. Un mois etdemi, c’est pas beaucoup. On ne saitjamais ce qui peut se passer. Il faut quej’aille voir un gynécologue et…

– Mais bien sûr ma chérie, me coupeCaleb, quand tu seras prête, onl’annoncera.

– En attendant, il va falloir que tueffaces ce sourire béat de ta figure,sinon tout le monde va comprendre, dis-

je un peu moqueuse.– Ça va être dur ! s’amuse Caleb.

Je ramasse mon sac que j’avais laissésur la marche où j’étais assise.

– Bon, je vais rejoindre Maman, elledoit s’inquiéter. Je lui ai dit que peut-être tu n’en voulais pas, dis-je, confuse.

– Un bébé de toi, je n’en voudraispas ? dit Caleb, l’air vexé. Et elle lepensait aussi ?

– Pas du tout, elle a dit que je perdaisla tête.

– Ma chère belle-mère…Heureusement qu’elle est là pour medéfendre, dit Caleb en souriant.

– Je ne m’y attendais tellement pas !

dis-je, confuse. Ça m’a fait un choc. Jepensais que ça t’en ferait un aussi.

– Ça me surprend, c’est sûr, reconnaîtCaleb.

Il prend délicatement mon visageentre ses mains, et plonge ses yeux bleusdans les miens avant de continuer :

– Mais moi, Grace… j’étais prêt, dit-il de sa voix chaude, et ces mots mebouleversent. Cet enfant, je l’espérais.Et aujourd’hui, je suis le plus heureuxdes hommes, conclut-il avant de prendremes lèvres.

64. C’est quoi cettehistoire ?

– Chérie, quelle merveilleuse… robetu as, dit Caleb en ouvrant de grandsyeux.

– Quelle merveilleuse poitrine, tuveux dire, en riant de le voir loucher surmon décolleté.

Il prend un air coupable.

– Désolé mais… ça attire l’attention,dit-il. C’est vrai que c’était moins

flagrant jusqu’ici, avec tes tee-shirtslarges, mais ça commence à se voir dansce genre de vêtement.

Inquiète, je me retourne vers lemiroir, et j’essaie d’ajuster le tissu surmes seins d’habitude menus.

Caleb éclate de rire et vient prendremes mains.

– Arrête, tu es très belle comme ça…– Mais on dîne avec tes parents, c’est

pas trop… osé ?– Mais non mon amour. Il ne faut pas

exagérer, tu es encore loin de PamelaAnderson, plaisante Caleb.

– Mais ça ne fait même pas deux

mois. Qu’est-ce que ce sera à la fin de lagrossesse ! soupiré-je.

– Mmm j’ai hâte de voir, dit Calebavec un sourire gourmand.

Je mets une petite tape sur sapoitrine.

– Idiot, va. Bon tu es prêt ?– Ça ne se voit pas ? demande Caleb

en faisant un grand geste.

Bien sûr qu’il est prêt, dans soncostume de lin blanc, et il est mêmesuperbe ; je ne suis pas mal non plus,j’avoue, dans ma robe à imprimé fleuride chez Marc Jacobs… même si j’aipeur que mes seins ne s’en échappent !

– Ta mère est prête, le chauffeur nousattend en bas. J’ai réservé un salon privéau Per Se, comme ça on sera tranquilles.

Le Per Se est un restaurant troisétoiles sur Central Park, un desmeilleurs de New York. Il est tenu parun des plus grands chefs américains,Thomas Keller, dont Caleb, qui adorecuisiner même s’il n’a pas beaucoup detemps libre, a tous les livres. Le Per Seest un des premiers grands restaurantsqu’il m’a fait découvrir, et j’en garde unsouvenir ébloui.

Nous rejoignons ma mère, qui pourune fois, sans doute à cause de lachaleur qui règne à New York, a relevé

ses longs cheveux en un chignon flou.Elle porte une jupe longue et un top ensoie sauvage vert, et elle est, commed’habitude, somptueuse. On diraitqu’elle descend à peine d’un catwalk.Elle a eu récemment 47 ans, on lui endonne facilement dix de moins… direqu’elle va être grand-mère !

La voiture nous conduit jusqu’aurestaurant.

– C’est quoi cet attroupement ? dis-je, tandis que le véhicule se gare.

Une petite dizaine de personnes sontpostées devant le restaurant. Je sors dela voiture et je reconnais, dépassant de

l’attroupement, la chevelure blanche dupère de Caleb.

– Sénateur, sénateur, on est avecvous ! s’exclame une jeune femme avecun bébé dans les bras.

– Je n’ai jamais cru cette fille ! C’estvous qu’on aurait voulu commeprésident, s’exclame une autre, plusâgée.

– Vous voulez bien signer cetautographe ? demande un homme.

Tout sourire, le sénateur se prête aujeu bien volontiers, tandis que sa femmese tient un peu à l’écart, avec leur gardedu corps. Comme d’habitude, le sénateura dû lui dire de s’éloigner ; il aime avoir

des échanges directs avec les gens,même si cela menace sa sécurité.

Caleb sourit en regardant son père. Jesais qu’il est heureux de voir qu’il estresté aussi populaire. Le sénateur s’estfait discret depuis qu’il a été blanchi, ily a une quinzaine de jours. Il a seulementaccepté de donner une courte interviewau New York Times, dans laquelle il arefusé d’accabler son accusatrice malgréles provocations du journaliste, mais il arefusé toute apparition télévisée. Depuisla parution de l’enquête de David, bonnombre de médias ont fait leur meaculpa, et plusieurs personnalités de lapolitique, du show-business ou même dusport, sont intervenues pour regretter

qu’il ne soit plus dans la course à laprésidence.

Caleb, ma mère et moi entrons dansle restaurant, et le sénateur et son épousenous rejoignent au bout de quelquesinstants sous les cris de « Will,président ! »

– Michelle, je suis absolumentenchanté de vous rencontrer, dit lesénateur en serrant chaleureusement lamain de ma mère, qui a l’air assez émuede se retrouver face à un homme qu’ellevoulait élire président avant même qu’ildevienne mon beau-père.

Le maître d’hôtel met fin à ces

présentations pour nous conduire àl’East Room, un salon privé fermé parde lourdes tentures de soie, avec vue surles arbres de Central Park et la skyline.

– Michelle, vous avez une fillemerveilleuse, dit Will à ma mère qui estplacée à sa gauche. C’est un honneur del’avoir dans notre famille. Je saisqu’elle rend mon fils très, très heureux.

Je baisse la tête, émue, tandis queCaleb me prend la main en souriant.

– Je vous remercie Will, dit ma mère,très fière. J’en dirai autant de votre fils.Depuis qu’elle le connaît, Grace s’estépanouie. Et notre famille n’oubliera

jamais ce qu’il a fait pour Nikki.– Vous savez Michelle, je ne pouvais

pas rêver meilleure belle-fille queGrace, dit Laura en me regardant, et jevois à ses yeux qu’elle est sincère.

Que de chemin depuis notrepremière rencontre…

– Hé oh, ça suffit, oui, s’exclameCaleb en souriant d’un air amusé, on estlà ! Alors vous ferez nos éloges en notreabsence, ce sera moins gênant. Même sije l’avoue, ça n’est pas si désagréable.

Le sommelier entre à ce moment avecun dom Pérignon rosé, et le maîtred’hôtel avec les amuse-bouche du menu

dégustation.

Caleb attend qu’ils soient ressortispour taper avec son couteau sur sonverre.

– J’ai une déclaration à faire, dit-ild’un ton solennel, tandis que je leregarde, rougissante.

Ma mère, qui est déjà au courant,sourit, tandis que Will et Laura regardentleur fils d’un air attentif.

– Je voulais profiter de cetteoccasion, reprend Caleb, d’une voix unpeu enrouée, pour vous dire que, Graceet moi, nous attendons un enfant.

J’observe avec un peud’appréhension les parents de Caleb. Jecrains qu’ils ne hurlent que c’est troptôt, que nous venons à peine de nousmarier. Mais l’instant de stupeur passé,je vois le sénateur devenir rouge deplaisir, et des larmes d’émotion perleraux yeux de son épouse.

Le sénateur se lève comme une fuséeet vient vers moi. Je me lève de machaise avant qu’il ne me soulève dansses bras puissants. J’entends Caleb quiéclate de rire.

– Grace, quelle bonne nouvelle !C’est merveilleux. Quel cadeaumagnifique !

Après m’avoir embrassée (et à moitiéétouffée), il me repose sur le sol. Sonépouse se lève aussi. Comme toujours,elle est plus mesurée que lui, mais queje vois que la nouvelle la touchevraiment.

– Félicitations Grace. C’est une trèsbelle nouvelle, dit-elle d’une voix émueavant de m’embrasser sur la joue.

– Et moi alors, s’écrie Caleb. Je n’ysuis pour rien ?

Son père le prend dans ses bras enrugissant de plaisir.

– Félicitations mon fils !

Caleb s’extrait de l’étreinte puissantedu sénateur pour se tourner vers sa mèreet la serrer contre lui. Ça fait longtempsque je ne les ai pas vus aussi proches, etça me fait terriblement plaisir.

Tout le monde se rassied enfin etaprès avoir trinqué (même moi, maisjuste deux gorgées) nous commençonsles agapes.

La conversation est joyeuse, et je suisheureuse de voir que ma mère appréciemes beaux-parents, et réciproquement.J’espère qu’ils rencontreront bientôtmon père. Je lui ai dit hier quej’attendais un enfant, et il était fou dejoie. Il doit venir nous rejoindre au

Costa Rica où nous partons en vacancesdébut août, dans moins de quinze jours,avec sa nouvelle petite amie, la mère deThéo. J’ai hâte de le retrouver, ça faitdes mois que je ne l’ai pas vu (ailleursque sur Skype), et il me manquebeaucoup, mon Papa chéri. Je me réjouisà l’avance de nos retrouvailles, commede ce séjour dans ce petit paradis où j’aiété si heureuse… et où je suis tombéeenceinte !

Alors que l’on nous apporte unassortiment de desserts, après des platsplus exceptionnels les uns que les autres,le téléphone de William sonne. Ce n’estpas la première fois depuis le début durepas, mais il n’a auparavant pris aucun

appel.

– Veuillez m’excuser, c’est Noah,annonce-t-il. Je lui avais proposé devenir nous rejoindre au café, il est depassage à New York, de retour duBrésil. Peut-être a-t-il un empêchement.

Il décroche.

– Hello Noah, lance-t-il joyeusement.Alors, tu viens ?

Mais son visage devient sérieux toutà coup, et nos conversations s’arrêtent.Nous avons tous les yeux fixés sur lesénateur.

– Non… Qu’est-ce que c’est quecette histoire ! Pourquoi ?… Sur quellechaîne, tu dis ?… Je ne suis pas sûr d’enavoir envie. Tu me raconteras plutôt. Ont’attend pour le café.

Il raccroche, les sourcils froncés.

– Noah me dit que Lewis va faire unedéclaration, dit-il d’un ton perplexe. Cen’était pas du tout prévu apparemment. Ilva intervenir sur CNN.

– Qu’est-ce qu’il va inventer encore !s’exclame Laura. C’est peut-être au sujetde son fils ? Caleb, tu es au courant ?

– Absolument pas, répond Caleb.Mais j’aimerais bien le voir, avec lui,on peut s’attendre à tout. Et si ça a trait à

Eric, ça m’intéresse. Dad, j’ai entenduce que tu as dit à Noah, mais il faudraitque je voie cette intervention, si ça net’embête pas.

– Fais comme tu veux, fils, dit Willd’un air résigné, avant de se resservir duchampagne.

Caleb se lève et va voir la directiondu restaurant. Comme on peut s’yattendre dans ce genre d’établissementd’excellence, un écran nous est apportéet installé très rapidement. On l’allumesur CNN, en gardant le son coupé enattendant l’intervention de Lewis.J’échange un regard avec Caleb, je mefais du souci pour lui, il a l’air tendu. Jepose ma main sur son genou pour

l’assurer de mon soutien. Comprenantmon inquiétude, il la prend et la porte àsa bouche pour y poser un baiser, avantde me faire un sourire qu’il veutrassurant. Mais la lueur que je vois dansses yeux me dit qu’il n’est pas si détenduqu’il veut le paraître.

– Que ça ne nous empêche pas demanger ce délicieux dessert, lancejoyeusement le sénateur avant d’avalerune cuillère du sorbet. Ne laissons pasles fariboles de Lewis gâcher notrerepas.

J’approuve de la tête avant d’attaquerles mignardises au chocolat. Je faiscomme si de rien n’était, mais j’avoue

que cette allocution impromptuem’inquiète. Je ne vois pas trop ce queLewis pourrait annoncer qui nousconcerne, mais il nous a déjà fait assezde coups bas pour que l’on se méfie. Etje vois que je ne suis pas la seule à mesoucier de ses prochaines déclarations.Si ma mère devise tranquillement avecle sénateur, Laura se tait et affiche un airtendu.

Caleb, qui tient la télécommande,remet soudain le son. Il reprend mamain, qu’il serre plus fermement qu’il nele voudrait, j’en suis sûre.

« Alors gouverneur Lewis, dit lejournaliste, si vous êtes avec nous sur ce

plateau, c’est que vous avez une annonceimportante à faire.

– Oui, en effet, dit Lewis, avec sonsourire faux que je déteste. Je voulaism’adresser au peuple américain. »

Il fait une pause et prend une voixgrave, pendant que la caméra zoome surlui.

« Vous me connaissez tous commehomme politique. Je sers mon paysdepuis plus de trois décennies ; et avectout mon cœur. Mais je suis aussi unpère, et aujourd’hui, un père quisouffre. »

Caleb et moi échangeons un bref

regard. Jusqu’ici, l’affaire à laquelle estmêlé Eric n’a pas filtré dans les médias,grâce aux efforts conjugués de Caleb etde Lewis, qui ont joué de leur influence.Pourquoi en parle-t-il alors ?

« Eric, mon fils unique… »

Fils unique… Tu parles !

« … traverse une période difficile. Jeme dois d’être à ses côtés aujourd’hui,et je ne peux le faire efficacement si jesuis élu représentant du parti auxprimaires. »

Je pousse un petit cri de surprise, etLaura avec moi.

« Cela veut-il dire que vous ne serezpas candidat à la présidentielle ?s’étonne le journaliste. Mais vous devezêtre investi le mois prochain, et pourvous, la route est bien dégagée jusqu’àla Maison-Blanche.

– Vous ne m’apprenez rien, répondLewis d’un ton sec. Mais mon fils estorphelin de mère, il n’a que moi. Quelprésident ferais-je si j’étais un hommecapable de l’abandonner alors qu’il abesoin de moi ? »

– C’est sûr, ça n’est pas son genre,dit Laura, pince-sans-rire.

« Mais qui va représenter votreparti ? demande le journaliste. Votredernier rival, Portman, a abandonné.

C’est une situation sans précédent.– Eh bien…, commence Lewis en

plissant les paupières. Le sénateurMontgomery a dû se retirer de la courseaprès des accusations qui se sontrévélées fausses ; il a été entièrementblanchi. Quand le scandale a éclaté, ilétait en tête des sondages. Je demandesolennellement aux instances du partid’organiser de nouvelles primaires enréintégrant le sénateur Montgomery qui atout mon respect et ma confiance. C’estun homme politique valeureux, quimérite de nous représenter et, si Dieu lepermet, de devenir président des États-Unis d’Amérique. »

J’en reste comme deux ronds de flan.

Nos regards se tournentsimultanément vers le sénateur, quiregarde l’écran d’un air hébété.

– Mais enfin… qu’est-ce qu’ilraconte ! s’exclame ma belle-mère.

« Pourtant, gouverneur, continue lejournaliste à la télé, on dit que vosrapports avec le sénateur Montgomeryne sont pas au beau fixe ; certains disentmême que vous êtes à l’origine duscandale qui…

– Balivernes, le coupe Lewis, levisage empourpré de colère. Will et moine sommes pas amis intimes, mais nousnous respectons et nous avons del’estime l’un pour l’autre… »

– Quel culot ! lâche Laura, qui s’est

levée de table sous le coup de la colère.– Il est vraiment incroyable ce

type…, murmure Caleb, avec un rictusde mépris.

« … et je serai fier s’il acceptait dereprendre le flambeau, continue Lewis.Notre parti a besoin de lui, il nousmènera à la victoire.

– Gouverneur, si vous permettez,peut-on vous demander ce que traversevotre fils ? demande le journaliste.Certains disent qu’il est impliqué…

– Je n’en dirai pas plus à ce sujet,lance sèchement Lewis. Ce sont desaffaires privées, je vous demande derespecter cela et… »

Le gouverneur met rapidement fin à

l’entretien, mais je n’écoute déjà plus.Je suis totalement abasourdie par ce queje viens d’entendre. Je me tourne versCaleb, qui a l’air lui aussi assez sonné.Il me regarde dans les yeux, respire unbon coup comme pour reprendre sesesprits. Ça a l’air de fonctionner. Il meserre brièvement la main, éteint letéléviseur, puis se redresse et se tournevers son père. Je regarde le reste de latablée : tout le monde est si figé qu’oncroirait un tableau !

65. Par ici la Maison-Blanche !

– Mais… qu’est-ce qui vient de sepasser ? demande le sénateur, sous lechoc.

Caleb a éteint le téléviseur. Onentend la rumeur qui vient du reste durestaurant, les bavardages des clientsrepus, le cliquetis des couverts… maisdans notre salon privé, c’est la stupeurqui règne.

– Je ne comprends pas pourquoi il afait ça, dit Caleb, perplexe. Il m’aengagé pour que j’étouffe l’affaired’Eric, et pour l’instant aucun média nes’en est fait l’écho. Le dossier est sur labonne voie, Robert a trouvé plusieurstémoignages en faveur d’Eric, et on estsur la piste d’un suspect.

– Lewis le sait ? demande Laura.– Oui. Je ne lui ai plus parlé depuis

qu’on s’est vus à Miami, mais Stacy letient au courant de toutes les avancées…Peut-être qu’il fait ça réellement pourson fils ?

C’est peu dire que Caleb a une piètreopinion de Lewis. Mais pour lapremière fois, je le sens ébranlé.

Laura repousse son assiette d’ungeste nerveux et se lève de sa chaise.

– Ne tombe pas dans son piège. Cetype ne ressent rien pour personne. Jesuis bien placée pour le savoir, dit-elleen s’adressant à son fils.

Même si le temps a passé, et bienqu’elle aime William, elle n’amanifestement jamais pardonné àLewis.

Je regarde ma mère. Même si Calebet moi lui avons tout dit de la situation,je vois qu’elle est très mal à l’aise. Elleme fait un petit signe et s’éclipsediscrètement.

– Je l’ai vu avec Eric, tu sais,reprend Caleb en s’adressant à sa mère ;ce n’est pas le même homme quand il seretrouve face à lui. Il faut voir commentson fils le traite, et il le laisse l’insultersans broncher.

– Il l’aime peut-être, mais de là àabandonner le chemin vers laprésidence…, dit Laura avec une mouedubitative. Moi je pense qu’il atellement de casseroles aux fesses, qu’ilne peut plus avancer. Ou bien que leparti s’en est rendu compte, et qu’il adécidé de le liquider avantl’investiture…

Je regarde mon beau-père, il sembleplongé dans ses pensées.

– Sénateur, vous allez vousreprésenter à l’investiture ? demandé-jealors d’une petite voix.

– Oh mon Dieu, Will, s’exclameLaura, qui comme Caleb, sembleseulement réaliser ce qu’implique ladéclaration de Lewis. Will, qu’est-ceque tu veux faire ?

– Hello tout le monde !

Je me retourne vers la grande tenturequi masque l’entrée du salon. Noah estlà, un immense sourire aux lèvres. Il estcomme d’habitude tiré à quatre épingles,et depuis que l’on s’est croisés àl’aéroport, il semble avoir sacrémentrepris du poil de la bête.

– Alors, vous avez vu ? demande-t-il,au comble de l’excitation. Moi j’airegardé dans le taxi, dit-il en brandissantson iPad.

– Oui, on a vu, dit le sénateur, en seresservant un verre de champagne. Ungrand moment de télévision, plaisante-t-il.

J’ai l’impression qu’il commence àretrouver son aplomb.

– C’est incroyable, non ? C’estinespéré ! Quel retournement. Sénateur,dites-moi que vous êtes back in thegame ! s’exclame Noah, que je n’aijamais vu dans cet état.

– Eh bien…, commence le sénateur,

avant de se taire.

Noah se décompose aussitôt. Il jointles mains et reprend, d’un ton suppliant :

– Sénateur, je vous en prie, ne laissezpas passer cette chance ! Caleb, Laura,fait-il en se tournant vers eux, les yeuximplorants, dites-lui !

Will le regarde, et on dirait que lascène l’amuse. Mais c’est sur un tongrave qu’il demande :

– Dis-moi Noah, tu n’es pour riendans ce retournement ?

L’autre ouvre de grands yeux.

– Moi ? Moi ? suffoque-t-il.– Oui, toi. Tu es un excellent

directeur de campagne et tu as plus d’untour dans ton sac. Mais tu sais qu’il y ades tours que je désapprouve, continuele sénateur d’un ton sévère.

– Sénateur…, balbutie Noah. Je vousjure, sur mon honneur, se récrie-t-il, lamain sur le cœur, que je n’ai rien à voiravec cette histoire. Je ne sais pas ce quis’est passé dans la tête de Lewis, et àvrai dire, je m’en fous. Ce que je sais,c’est que vous allez pouvoir aller aubout de votre campagne, comme vous leméritez ! Je commence à croire à lajustice immanente, dit-il en levant lesyeux au ciel.

Le portable du sénateur retentit. Il yjette un œil, mais ne daigne pas yrépondre.

– C’est Pritchett ? demande Noah.– On ne peut rien te cacher, répond le

sénateur avec une petite moue. Jesuppose qu’il veut m’assurer de tout sonsoutien, me dire que le parti a besoin demoi. Il ne peut plus faire autrement, faitWill, avec un sourire ironique.

– Et… Vous en pensez quoi ?s’enquiert Noah, fébrile.

– Je ne sais pas. Quand je me suisretiré, c’était pour protéger ma femme etmon fils. Si je retourne dans la mêlée, jeveux leur avis avant.

Le sénateur se tourne vers sa femme.

– Je…, commence-t-elle, émue.

Elle réfléchit un instant, en tripotantnerveusement son collier de perles.

– Le choix t’appartient Will, finit-ellepar dire, d’un ton résolu. Quoi que tudécides, je serai à tes côtés.

– Et toi fiston ? demande le sénateuren regardant Caleb.

– Pareil, Dad. J’ai toujours pensé quetu ferais un excellent président, je n’aipas changé d’avis.

– Mais j’aurai moins de temps pourm’occuper de ma petite-fille ou de monpetit-fils, remarque le sénateur en se

tournant vers moi.– Il ou elle ne vous en tiendra pas

rigueur, réponds-je en souriant. Et cetenfant sera très fier de vous !

Noah me regarde, surpris parl’annonce de ma grossesse, mais ne posepas de question, tellement il a hâte deconnaître la réponse de Will.

– Alors, je vais aller voir Pritchett, etvoir comment il est possible deréorganiser ces primaires, dit lesénateur, avant de prendre sa femme,émue aux larmes, dans ses bras.

Je ne peux m’empêcher d’applaudir.Caleb me regarde en riant. Quant à

Noah, il exulte.

C’est à cet instant que ma mère refaitson apparition. Elle semble étonnée detoute cette agitation. Je vais vers elle.

– Maman, le sénateur va sereprésenter.

– C’est une très bonne décision.Félicitations sénateur, s’exclame-t-elle.

Noah s’est figé en voyant entrer mamère dans la pièce ; on dirait un chien àl’arrêt.

– Je… euh… Je suis Noah Grumberg,directeur de campagne du sénateur, dit-ilen traversant la pièce à toute vitesse

pour venir se présenter. Vous êtes ?demande-t-il avec son plus beau souriretout en lui tendant la main.

– Michelle Bolnick, la mère deGrace, dit ma mère, amusée parl’empressement de Noah.

– Vraiment ? s’étonne Noah, enfaisant des yeux de velours. On diraitdeux sœurs…

– Laisse tomber Noah, dit Caleb enlui donnant une bourrade dans le dos, mabelle-mère est mariée.

– Et c’est bien dommage, dit Noahsans se démonter.

Puis il se tourne vers moi.

– Je n’ai pas eu le temps de vous

féliciter Grace. Un bébé, c’estmerveilleux. Les gens adorent ça. C’estun atout une grossesse pendant unecampagne.

– Non Noah, le coupé-je en riant. Necomptez pas sur moi pour poser avecmon gros ventre pour vos affiches !

– Tant pis, dit-il avec une petitemoue. De toute façon, le bébé n’arriverapas avant les élections, alors…, ajoute-t-il, fataliste.

– Désolé, Noah, si on avait su, onl’aurait programmé avant, plaisanteCaleb.

– Oui, c’est dommage, dit Noah trèssérieusement.

Il s’interrompt et un grand sourire se

dessine sur son visage :

– En revanche, l’enfant aura l’âgeidéal pour la campagne du deuxièmemandat…, commence-t-il, avant d’êtreinterrompu par nos éclats de rire.

66. Une famille endevenir

– Alors, c’est sûr, il est innocenté ?répété-je, n’en croyant pas mes oreilles.

– Oui, aucune charge n’est retenuecontre lui, me répond Caleb à l’autrebout du fil. L’autre étudiant a avoué.

– Je suis si heureuse pour Eric ! Etpour toi. C’est merveilleux, dis-je,réjouie et soulagée. Tu as prévenuLewis ?

– Stacy s’en est chargée.– Il va faire quoi Eric, maintenant ?

– Je ne sais pas. On va en discuter cesoir ; je lui ai proposé de l’emmenerdîner pour fêter ça.

– Très bonne idée. Il a accepté ?

Depuis qu’il vit à l’étage inférieur,Eric n’est quasiment pas sorti. Il n’estvenu dîner qu’une fois quand Mamanétait là, et il n’a pas dit un mot de lasoirée. Mais je lui ai rendu visitequelques fois, et il m’a toujours ouvertsa porte ; même s’il s’est montré à peineplus loquace, il n’était pas hostile. Jesuppose que maintenant que soninnocence a été reconnue, il va semontrer sous un autre jour.

– Oui, il a accepté, me répond Caleb.

Tu sais, je crois qu’il n’a pas encorepris toute la mesure de ce que tout celasignifiait pour lui. Il avait l’air plusabasourdi qu’heureux.

– Il est où là ?– Il est rentré, escorté de Harry. Moi,

j’ai des réunions toute la journée. Jepasserai vous prendre Eric et toi dès quej’ai fini.

– OK, je serai là.– Comment va le bébé ? dit Caleb

d’une voix adoucie.– À merveille. Il est gentil avec moi,

mes nausées se sont calmées.– Très bien, il a compris qu’il devait

toujours bien traiter sa merveilleusemaman.

C’est fou ce qu’on bêtifie depuisqu’on sait qu’on attend un enfant.Heureusement, pour l’instant, on negazouille pas comme des idiots enpublic !

– Je vous embrasse mes deux amours.À ce soir, me dit Caleb.

Je raccroche, sourire aux lèvres.Depuis la découverte de ma grossesse,Caleb et moi sommes sur un petit nuage.Jamais je n’aurais pensé qu’attendre unenfant me mettrait dans un tel état. Etpourtant, porter l’enfant de l’homme quej’aime me comble. Surtout quand je voisà quel point ça le rend heureux.

J’ai bien eu quelques doutes, audébut, quand j’ai réalisé ce que çaimpliquait, mais ça n’a pas duré.J’avoue que j’ai eu un peu peur pourmon couple, et aussi pour moi. Je mesuis dit que finalement Caleb et moiaurions eu peu de temps ensemble, seulstous les deux. On se connaît (et on estensemble) depuis même pas cinq mois !L’arrivée d’un enfant, ça doit quandmême changer pas mal le quotidien…Maman m’a beaucoup rassurée sur cepoint. Elle dit que cet enfant, qui n’étaitpas attendu mais qui est si désirémaintenant, ne pourra que resserrer nosliens. Et je crois qu’elle a raison. Etpuis j’ai pensé à moi, à ma liberté

chérie, à mon désir d’indépendance.Avec un enfant en bas âge, je ne sais passi j’accepterai dorénavant si facilementles opportunités de reportages, devoyages. Mais sur ce point, c’est Calebqui m’a tranquillisée, en m’assurantqu’il m’épaulerait et ferait tout pour quema vie de mère n’entrave pas ma vie defemme.

Désormais, je suis rassérénée, et jeprofite de mon bonheur à fond. Et aveccette bonne nouvelle concernant Eric, lajournée débute sous les meilleursauspices.

***

– Super, tu es prête, on a uneréservation pour 20 heures et je ne suispas en avance, dit Caleb après m’avoirembrassée. Eric n’est pas avec toi ?

– Non, pourquoi, il devait ?– Je lui ai laissé un message pour lui

demander de monter. Mais ça n’a aucuneimportance, on va descendre le chercher.

Je prends mon sac et je suis Calebjusque dans l’appartement que son ami aprêté à Eric. On frappe à la porte. Onentend un mouvement à l’intérieur maispersonne ne vient nous ouvrir ; jeregarde Caleb d’un air inquiet.D’habitude, Maria, la gouvernanted’Eric, est plus diligente.

Caleb toque de nouveau, et la portefinit par s’ouvrir ; mais ce n’est pasMaria, c’est Eric qui nous accueille. Etmanifestement, un Eric pas tout à faitdans son état normal.

Sans dire un mot, le regard trouble, ils’efface pour nous laisser passer.

Caleb jette un œil dans le grand salondéserté.

– Où sont Maria et Harry ? demandeCaleb d’un ton sévère.

Eric va se jeter sur un canapé et nousregarde d’un air narquois. Quand il nousa ouvert, j’ai senti l’odeur de l’alcool, et

un parfum de marijuana flotte dans l’air.

– Je les ai réexpédiés à Miami, dit-ilavec un grand sourire. Je suis majeur etvacciné, et je suis innocenté, je n’ai plusbesoin de surveillance.

– Qu’en dit ton père ? Ça m’étonnequ’il ait accepté, lance Caleb.

Le visage d’Eric se crispe soudain.

– Il n’a rien à en dire ! s’écrie-t-il.J’en sais assez sur lui pour qu’il sachequand il ne doit pas s’opposer à mavolonté.

Comme toujours à l’évocation de sonpère, Eric montre un visage détestable.

Je ne reconnais plus le jeune homme quej’ai vu quelques fois en tête à tête, sidoux et timide.

Caleb va s’asseoir en face de lui. Jereste en retrait, choquée par le spectacleque nous offre Eric.

– Tu crois que tu prends le bonchemin, Eric ? dit Caleb en essayant decontenir sa colère. Avec ce qui vient det’arriver ? Tu sais que tu aurais pupasser le reste de ta vie derrière lesbarreaux si on n’avait pas retrouvé levrai coupable ? Tout t’accablait, et tu nete souvenais de rien. Toi-même, tu asdouté de toi. Tu n’as rien fait cette fois-ci, certes, mais si tu continues, qui peut

dire ce que tu es capable de faire sousl’influence de substances, quellesqu’elles soient ?

Troublé par les paroles de Caleb,Eric baisse la tête, se cachant derrièresa mèche blonde.

– Eric… Il faut que tu te ressaisisses,continue Caleb d’un ton ferme. Ce quis’est passé doit te servir de leçon, tudois prendre ta vie en main.

– Ma vie… Mais elle est foutue mavie. Avec l’autre là, qui est toujoursderrière mon dos ! explose Eric.

– Tu veux parler de ton père ?demande Caleb.

– Ouais, le GRAND gouverneur

Charles Lewis. Il a gâché ma vie. Unepourriture ! Dire qu’il aurait pu êtreprésident des États-Unis… heureusementque je m’en suis mêlé !

Quoi ? Qu’est-ce qu’il vient dedire ?

– Qu’as-tu fait, Eric ? demande Caleben se rapprochant de lui.

– Il m’a toujours pris pour un con, unimbécile devant lequel on pouvait toutdire sans crainte, ricane Eric. Mais jesais ce qu’il a fait contre ton père. Etj’en ai les preuves. Je lui ai dit que jebalancerais tout s’il ne se retirait pas.C’est le moins que je pouvais faire pourtoi. Et de ce que je sais, ton père mérite

d’être président, lui !

Je suis stupéfaite.

Voilà qui explique le revirement deLewis ! Dire qu’on a failli croire à sesbons sentiments… Laura avait raison,il ne changera jamais.

– Et après, il va jurer à la télé qu’il afait ça pour m’aider ! continue Eric.Mon cul ! C’est pour sauver ses fesses !

Caleb le fixe avec intensité ; jecomprends qu’il réfléchit à ce qu’il vadire.

– Eric, reprend-il doucement mais

fermement. Ton père n’est pas un mecbien, on est d’accord. Mais il t’aimesincèrement. Ça, j’en suis persuadé.

– Tu ne le connais pas ! s’énerveEric. Tu ne sais pas de quoi il estcapable.

– Oh si, je le sais très bien, lâcheCaleb.

Mon cœur bat à tout rompre. À sonregard, j’ai compris que Caleb a prisune importante décision.

– Eric, commence-t-il à voix basse,tu sais que le sénateur Montgomery n’estpas mon père biologique ? Tout lemonde en a parlé.

Eric hoche la tête.

– Mon père biologique… c’est tonpère, dit Caleb d’une voix affermie, enposant sa main sur l’épaule d’Eric.

Eric le regarde, bouche bée.

– Je ne l’ai appris que récemment,poursuit Caleb. Il a abandonné ma mèreavant ma naissance et a refusé de mereconnaître. Il ne voulait rien avoir àfaire avec moi, ajoute-t-il d’un ton secavec un rictus de mépris. Cependant, ilest venu me chercher pour te sauver, toi.Il a pensé qu’en sachant que tu étais monfrère, je te défendrais avec plus dehargne, d’engagement que n’importe

quel avocat.

Eric le fixe toujours, les yeuxhagards, incapable de prononcer un mot.Je me demande si l’alcool et la fumettelui permettent de prendre toute la mesurede ce que Caleb lui dit.

– Et il avait raison, continue Caleb.J’aurais tout fait pour te sortir de là.J’AI tout fait. Mais maintenant, je mefais du souci pour toi. Je ne supporte pasde voir MON FRÈRE dans cet état.

Eric se prend la tête entre les mainset je crois bien qu’il pleure. Calebs’agenouille près de lui et met les mainssur ses épaules.

– Tu dois être content… d’avoirgagné un frère comme moi, hoquetteEric. Je suis une merde.

– Je suis très heureux Eric, protesteCaleb. Et tu n’es pas « une merde », tues juste perdu, malheureux, et jecomprends, avec le père que tu as eu.Mais tu as 19 ans, tu as la vie devant toi,il faut que tu décides de te prendre enmain, d’accepter de l’aide. Pourcommencer, il faut que tu entres enrehab. Ensuite, tu pourras réfléchir à ceque tu veux faire de ta vie. Quoi qu’ilarrive, je serai là pour toi, tum’entends ? Et je ne le laisserai pas tefaire du mal.

Eric lève la tête et écarte sa mèche

pour regarder Caleb dans les yeux.

– OK, dit-il en reniflant.– Bon, alors maintenant, dit Caleb en

se relevant, tu vas me faire le plaisird’aller prendre une bonne douche froideet de te changer. Je vais aérer cette piècequi pue. Grace, il vaut mieux que turemontes, c’est pas bon pour le bébé,dit-il en me regardant d’un air soucieux.

– Tu es enceinte ? me demande Ericen ouvrant de grands yeux.

Je hoche la tête.

– Ouaip, tu vas avoir un neveu ou unenièce, dit Caleb. Et j’aimerais bien queson seul oncle soit fréquentable ! lance-

t-il sur un ton taquin. Je compte sur toipour lui donner le bon exemple. Allez,file sous la douche.

Eric fait un pas vers la salle de bainsmais revient en arrière pour me poser unbaiser sur la joue. En guise defélicitations je suppose. Je souris,retenant de justesse une grimace ensentant son odeur alcoolisée.

– Bienvenue dans la famille, Eric,dis-je en lui rendant son baiser.

***

– Tu as vu comme Eric avait l’aircontent d’apprendre que tu étais son

frère ? Il était transformé ce soir, dis-jeen m’asseyant sur le lit pour délacer messandales, de retour du restaurant.

– C’est surtout le soulagementd’échapper à un procès, minimisepudiquement Caleb.

– Évidemment, il était content de çaaussi. Qui ne le serait pas ? Mais il teregardait avec des yeux… Tu es sonhéros !

Caleb sourit d’un air tendre.

– Moi aussi je suis content de m’êtretrouvé un frère. Je l’aime bien cette têtede pioche. Il a un petit côté tête àclaques, mais à côté de ça, je le trouvetrès attachant. Pas toi ?

– Si, beaucoup. Je suis sûr que cesera un garçon délicieux, débarrassé deses addictions et de l’emprise de sonpère.

– J’ai eu Stacy au téléphone, elle a eucomme cliente une directrice d’un centretrès réputé dans l’Utah, elle devrait luitrouver une place très vite. Ce sera régléavant que l’on ne s’envole pour le CostaRica.

– Ouf ! Alors, on va pouvoir partirl’esprit tranquille.

Je suis heureuse que l’on puisse enfinquitter New York qui commence à êtrevraiment étouffante. Dans la maison duCosta Rica, on attend la visite de monpère et de Laurence, sa compagne, mais

Caleb et moi aurons au moins deuxsemaines en tête à tête dans cet endroitmerveilleux. Caleb m’a promis degarder ses distances avec le cabinet, etsi les conditions climatiques lepermettent (le temps peut être trèshumide en été), on devrait partir à ladécouverte d’autres parties du pays. J’aivraiment hâte d’y être. Mon premierséjour là-bas a été enchanteur… et c’estlà qu’on a conçu notre bébé !

En sous-vêtements, je vais me planterdevant le grand miroir en pied de notrechambre. Depuis que je sais que je suisenceinte, je guette toute trace dechangement sur mon corps tous les jours.Et même plusieurs fois par jour !

J’attends cette « métamorphose » aveccuriosité et un peu d’appréhension.

Mais pour l’instant, le reflet dans lapsyché reste fidèle à celui que jeconnais. Mon ventre est toujours aussiplat, ma taille fine. La seule différencese situe au niveau de la poitrine.

Pas de doute, il va falloir que jechange de taille de soutien-gorge.

Je vois Caleb se dessiner dans lemiroir derrière moi. Sa chemisedéboutonnée dévoile sa peau. Ilm’enlace et pose sa tête au creux de monépaule :

– Tu te regardes souvent ces dernierstemps. C’est pas ton genre…, murmure-t-il.

– Je regarde si mon corps change.– Ça te fait peur ?– Non… Enfin, peut-être, avoué-je.

Et je trouve ça excitant aussi.– Tu as peur de quoi ? demande

Caleb, sourcils froncés.

Je me sens un peu honteuse de mespensées, et j’hésite à les lui révéler.

– Je ne sais pas… j’ai peur que tun’aies plus envie de moi, finis-je paravouer.

Je vois l’étonnement sur son visage.

– Tu plaisantes ? dit-il en me faisantpivoter vers lui.

Je ne réponds pas, confuse, je mecontente de me blottir contre sa poitrine.

– Grace, mon amour, tu esmagnifique. J’aurai toujours envie detoi.

Il prend mon visage à deux mains etpose ses lèvres brûlantes sur ma bouche.Son baiser est intense et allume le feu dudésir dans mon corps. L’odeur de sapeau m’enivre.

Il se détache de moi, et je lis dans sesyeux brillants qu’il est gagné par la

même fièvre.

– Grace, me susurre-t-il d’une voixrauque. J’ai toujours envie de toi. Et j’aibien l’intention de prouver ce que je disà l’instant même. Si tu n’y vois pasd’objection, ajoute-t-il avec un petitsourire en coin.

À vrai dire… Je n’en vois aucune.

On dit que « qui ne dit mot consent »,n’est-ce pas ? Je n’ai rien répondu àCaleb, mais j’ai tiré sur sa chemisedéboutonnée pour l’en libérer, avant deposer ma bouche sur son torse puissantet glabre. Il met ses mains sur ma tailleet me fait lentement tourner, face au

miroir en pied.

– Regarde comme tu es belle,désirable, me murmure-t-il, avant dedégrafer mon soutien-gorge.

Mes seins en jaillissent, plusvoluptueux que jamais. Je me sensétrangement plus femme, plus sexy, aveccette « nouvelle » poitrine, plusgénéreuse.

Les mains de Caleb s’y attardent,soupèsent les rondeurs, effleurent lespointes qui me semblent plus foncéesque d’habitude, et peut-être même…plus sensibles ?

Je regarde le reflet de nos corpsenlacés, vision troublante qui exacerbemon désir. Caleb abandonne ma poitrinepour faire glisser ma culotte le long demes jambes. Au passage, il baise mesfesses et une douce chaleur s’empare demon bas-ventre. De nouveau dresséderrière moi, il a une main pressée surun sein tandis que l’autre cheminejusqu’à mon sexe déjà humide. Il caressemon buisson, avant de descendre versma fente. Je gémis doucement tandis queses doigts se frayent un chemin jusqu’àmon clitoris qui palpite d’excitation.

Je presse mes fesses contre sonentrejambe que je sens tout dur derrièremoi.

Les yeux mi-clos, je m’abandonne àses doigts agiles qui m’embrasent toutentière. Je monte et descends lentementsur son majeur qui s’est introduit endouce, et je ne sais si c’est lui ou lalangue de Caleb qui lape mon oreille quirend mes jambes si flageolantes.

J’ai peur de jouir trop vite. Je prendssur moi pour écarter la main trop habilede Caleb et je me retourne pour retirerson pantalon et mettre au jour cette« bosse » que je sentais de plus en plusgrosse contre mon arrière-train.

– Tu vois comme tu me fais bander ?dit-il d’une voix rauque.

Je caresse son sexe libéré de touteentrave, tandis qu’il m’embrasse avecpassion. Nos langues se mêlent, je mepresse contre son corps désormais aussinu que le mien. J’ai envie qu’il vienneen moi. Je m’agrippe à son cou et il mesoulève. Je viens m’emboîter sur saverge, tout en le dévorant de baisers. Ilme bascule sur le lit et, me tenant par lescuisses, il me chevauche avec ardeur.J’ai mon regard planté dans le sien, et jesouris de bonheur. Tandis qu’il accélèrele rythme, je ne peux retenir des petitscris de plaisir. Caleb connaît mon corps,il sait comment le faire exulter. Ilmordille mes tétons tandis qu’ils’enfonce en moi, lèche mon cou, se

cramponne à mes fesses tandis que jeprojette mon bassin à sa rencontre.Bientôt, nos halètements se mêlent, lasueur colle ses cheveux sur son front.Dans ses yeux bleus, des étincellesannoncent la venue de l’orgasme qui vanous emporter tous les deux. Jem’accroche à ses cheveux tandis qu’ilmonte et balaie tout sur son passage,rompant les amarres, m’entraînant tel unpuissant tourbillon jusqu’à la jouissancesuprême.

***

– Tu crois que si le sexe n’avait pasmarché entre nous, on serait toujours

ensemble ? demandé-je à Caleb.

Nous sommes allongés l’un en facede l’autre dans la longue baignoire. Lanuit est si chaude qu’on a eu envie defaire trempette, ensemble, après nosintenses cabrioles. Caleb tient mon piedentre ses mains, et y pose des petitsbaisers qui remontent jusqu’à macheville.

– C’est de la science-fiction, machérie. Je ne peux pas imaginer ce casde figure, le sexe est génial entre nousdepuis le début. On a eu quelquesdésaccords, mais du côté du lit, on s’esttoujours bien entendus, non ? dit-il d’unair malicieux.

C’est vrai que le sexe avec Caleb estfantastique, et depuis le début. C’estcomme si nos corps étaient faits l’unpour l’autre. Je n’ai jamais ressenti ceque j’éprouve avec lui, son odeur merend folle, j’aime sa façon de metoucher, sa peau douce, sa bouche suaveet sa langue magique… Tout me plaît etm’excite en lui, même sa voix, qui peutêtre si chaude, si langoureuse. Quand ilmurmure à mon oreille, quand on faitl’amour, je n’ai plus de défense, ni detabou, je suis à lui, corps et âme.

Je retire mon pied de la main deCaleb, qui me regarde d’un air surpris,et déçu.

– Je sors, je tombe de sommeil, luidis-je en souriant. Tu restes ?

– Je te rejoins dans quelques minutes,me répond-il.

Je sors de la baignoire et jem’enroule dans un drap de bain. Je mefrotte pour me sécher, et je sens leregard de Caleb posé sur moi, encoreplein de convoitise. Je vois bien qu’il aenvie d’autres délices sensuelles mais jefais mine de l’ignorer, même si mesdésirs sont assez proches des siens.

À vrai dire, je n’ai pas sommeil, et jen’ai pas quitté l’apaisante eau du bainpour aller dormir. Je vais directementdans mon dressing, fouille entre les

cintres, dans les tiroirs, d’abord sanssuccès, puis je la trouve. La robe. Celleque je portais quand j’ai rencontréCaleb. La petite folie choisie par Nikkipour moi, une robe noire très courte,avec un décolleté hyper profond, nouéedans le cou et largement découverte dansle dos aussi. J’y ai repensé quand on aévoqué tout à l’heure nos débutschaotiques. J’avais terriblement honte dela porter quand je me suis retrouvéedans l’ascenseur avec Caleb en allant àl’enterrement de vie de jeune fille deNikki. Et encore plus quand je me suisvue à la télé dans cette tenue, quandnotre mariage a été dévoilé. Cette robene pouvait pas être plus éloignée de ce

que je suis, du genre de vêtements quej’aime, et elle est vulgaire à souhait. Cen’est pas pour rien que Caleb m’avaitprise pour une strip-teaseuse ! Etpourtant, elle m’a porté bonheur. C’estpour ça que je n’ai pas pu m’en défaireet qu’elle m’a suivie, de Vegas àBrooklyn, et jusqu’ici.

Je l’enfile en riant sous cape. J’avaispeur à l’époque que mes seins ne s’enéchappent, imaginez maintenant, alorsque j’ai pris une ou deux tailles ! Jecherche des chaussures pour être dans leton. Entre deux paires de Converse, jetrouve des escarpins rouges à très hautstalons, une folie que j’ai achetéeentraînée par Nikki, un jour que l’on

faisait les magasins ensemble. J’ai penséles rendre, mais je ne l’ai jamais fait. Etce soir, je n’en suis pas mécontente.

Je tire mes cheveux mouillés enarrière en un chignon serré. Pourparfaire ma tenue, je pose un rougecarmin sur mes lèvres. Ces derniersmois, j’ai fait des progrès en matière demaquillage, même si j’en mets rarement,et peu. En fait, je crois que j’ai fait desprogrès dans tous les domaines depuisque je connais Caleb, et dans celui del’érotisme et de la sensualité enparticulier.

J’aime bien le reflet que me renvoiele miroir, l’image d’une femme sûre

d’elle et sexy, et surtout, je jubile àl’avance à l’idée de la tête que va faireCaleb.

La salle de bains est éclairée deplusieurs bougies qui donnent uneatmosphère romantique. Entendant dubruit à la porte, Caleb tourne la tête versmoi et son regard en dit long sur l’effetque je lui fais.

– Waouh, laisse-t-il échapper ens’asseyant dans la baignoire d’un gestebrusque, éclaboussant le sol au passage.

– Pas mal pour une escort girl, non ?dis-je en avançant vers lui d’unedémarche chaloupée, juchée sur mesescarpins.

– Vous acceptez les cartes de crédit ?me demande-t-il, avec un souriregourmand.

– Je prends aussi les espèces, dis-jeavec un sourire que je veux provocant.

Caleb me regarde en riant de maplaisanterie. Mais soudain, son visagedevient grave, ses yeux se font tendres,et il redresse.

– Viens par ici, toi, murmure-t-il, enm’attrapant par la taille, sans se soucierde mouiller ma tenue.

Il reste un instant ainsi, les yeuxplantés dans les miens. Je ne dis rien,curieuse de la suite.

Lentement, il desserre son étreinte etses mains cherchent mon chignon. Ilenlève une à une les épingles quiretiennent mes cheveux et les libèrent.Puis, il attrape une serviette et essuiemon maquillage, sans se soucier de salirle tissu blanc qui se tache de traînéesécarlates.

– Tu étais très bandante ce soir-là,ma chérie, mais c’est comme ça que jet’aime, la vraie Grace. Tu n’as besoind’aucun artifice pour être sexy à mesyeux.

Je le regarde, émue, et les yeuxembués de larmes.

J’ai tellement de chance d’être aiméecomme ça.

Sans dire un mot, je retire ma robe,fais valser mes hauts talons. Je prends levisage de Caleb à deux mains et jel’attire à moi. Nous échangeons un longbaiser passionné qui me laissepantelante.

Caleb a dû s’en rendre compte, car ilme soulève de terre, et m’emporte dansla chambre. Il me dépose sur le litconjugal et me contemple un instant,avec un regard d’amour et de désirmêlés. Puis il vient plonger sa tête entremes jambes. Sa bouche baise monbuisson, il vient laper et aspirer mon

clitoris tandis que ses mains malaxentmes fesses. Je me cramponne à sescheveux mouillés, pressant son visageentre mes cuisses. J’écarte les jambespour qu’il puisse enfoncer sa langue plusprofond en moi. Je me tortille, je halètesous sa bouche avide qui me dévore, etavant même que je puisse réaliser, jejouis avec une intensité rare.

Mais cet orgasme n’a pas éteint lefeu. J’ai envie de le sentir en moi. Àpeine ma respiration est-elle devenuenormale que je m’écrie :

– Encore !

Il sourit de mon excitation, mais vient

promptement se coucher sur moi. Jel’enserre de mes bras, de mes jambes,l’attrape par les cheveux et plonge malangue dans son oreille. Il me pénètresans attendre, tout en prenant mes lèvres.

– Oui, encore, gémis-je,l’encourageant à me pénétrer encoreplus profond, plus fort.

Le plaisir devient immense, il irradied’entre mes cuisses jusqu’au bout demes tétons.

J’agrippe ses fesses. Je sens sous mapaume ses muscles qui se bandent tandisqu’il va et vient en moi à un rythmefrénétique. Tout ce qui m’importe c’est

cette jouissance qui envahit ma chair etmon cerveau, alors que je sens le corpsde Caleb se bander dans un derniersursaut de plaisir.

Juste avant de me laisser aller aumien, je me sens envahie d’une immensejoie, qui accompagne le plaisirphysique : je réalise à quel point j’ai dela chance d’avoir rencontré Caleb,d’avoir trouvé un partenaire dans la vie,mais aussi un partenaire sexuel qui medonne autant de plaisir, et qui en prendautant avec moi. Cette alchimieextraordinaire, cette symbiose dansl’acte, je n’osais même pas en rêver. Etaujourd’hui, je connais ça auprès deCaleb, cette soif de l’autre perpétuelle,

et je mesure mon bonheur : je sais quepour le reste de ma vie, auprès de lui,mes nuits seront aussi belles que mesjours.

67. La rédemption,c’est tout droit !

Avant de prendre l’avion pour leCosta Rica, ce soir, je passe dire aurevoir à Susie. Grâce à de nouveauxbénévoles et à un premier versement defonds de la fondation, le centre va resterouvert durant l’été. Les enfants duquartier auxquels les parents ne peuventoffrir des vacances hors de la villepourront venir profiter des activités quileur sont proposées et des sortiesorganisées.

J’ai un invité avec moi : Eric. Il aaccepté de m’accompagner à Harlemavant de partir dans un centre dedésintoxication que lui a trouvé Caleb.Robert s’est proposé pourl’accompagner. J’ai pensé que c’étaitbien que, au lieu de continuer às’apitoyer sur son sort, comme il a unpeu tendance à le faire, il comprennequ’il a de la chance de faire partie desgens favorisés dans ce pays. Son pèreest certes un sale type, mais Eric n’ajamais manqué de rien, et il peut fairetoutes les études qu’il veut,contrairement aux enfants qui fréquententle centre. Certains n’ont pas plus dechance avec leurs parents, mais ils

saisissent toutes les opportunités qu’onleur donne d’avoir un avenir meilleur,alors qu’Eric est juste en train debousiller le sien.

– C’est là que tu viens donner descours ? dit Eric en regardant d’un airdubitatif le modeste immeuble danslequel Susie a créé sa merveilleusestructure, dans Harlem.

– Eh oui, c’est là, dis-je, un peuagacée par ce que j’imagine être un zestede mépris. Ça ne ressemble sans doutepas aux établissements chics que tu asfréquentés toute ta vie, mais la personnequi l’a créé y a mis tout son cœur, ettoutes ses économies. Mon amie Susieen a fait un endroit formidable, crucial

dans la vie du quartier et qui sans douteaura un impact déterminant sur le futurdes enfants qui le fréquentent. On lesinitie à l’art, à la culture… Ce centreleur ouvre des horizons qui jusque-làétaient fermés pour eux, tu sais. Etpendant ce temps, surtout, ils ne sont pasdans les rues, et évitent les mauvaisesfréquentations.

– Je… Oui, je suis sûr, c’estformidable, dit Eric d’un air coupable.

Je m’en veux d’avoir réagi aussivivement.

– Tu vois, la porte à côté c’est lesiège de la fondation qui porte le nom deSusie, dis-je en lui montrant la grande

porte. Je n’ai pas les clefs avec moi,sinon je t’aurais fait visiter. Et lesouvriers ne sont pas là. Normalement, onpourra l’inaugurer à la rentrée. J’espèreque tu viendras…

Nous entrons dans le centre pourrejoindre la petite classe où Susie donneson cours de chant. Elle ne chante plusen public, seulement devant les enfants,et parfois, je me cache derrière la portependant son cours pour écouter sa voix,un peu voilée par le temps, mais encoretrès belle.

Nous restons quelques instants devantla porte, en attendant la fin du cours. Leregard d’Eric s’attarde sur les peintures

défraîchies, le sol au carrelage abîmé. Ilrougit violemment quand il se rendcompte que je l’observe.

– Susie préfère garder les fonds pourles sorties des enfants que pour lestravaux, dis-je. On est à la recherche debénévoles pour…

– Je pourrais aider, moi, lâche Ericspontanément. Quand je serai sorti derehab…, ajoute-t-il d’un air contrit.

– Ton aide sera la bienvenue, fais-je,touchée par sa proposition spontanée.Merci Eric.

Nous restons là à nous sourire, tandisque les enfants entonnent une chanson.J’attends qu’elle soit terminée, puis je

toque à la porte.

Susie vient nous ouvrir. Elle meprend dans ses bras.

– Grace, comment tu vas ma belle ?dit-elle en m’embrassant. Eh, mais tunous as amené un invité.

– Oui, c’est Eric. Le… demi-frère deCaleb.

Susie n’est pas du genre à êtredéstabilisée par un événementimpromptu, ni à poser des questions.

– Bienvenue Eric, dit-elle enl’embrassant. Les enfants, qu’est-cequ’on dit à notre invité Eric ?

– Bonjour Eric, répondent-ils enchœur.

Eric a l’air tout ému.

– Les enfants, je vais m’absenterquelque temps, dis-je. Je suis passéepour dire au revoir… et je vous aiapporté aussi quelques gâteaux, dis-je enouvrant le panier de muffins et decookies que j’ai apporté.

Les pâtisseries sont accueillies parun concert de cris de joie ; les petitsgourmands se précipitent vers moi. Jefais signe à Eric d’ouvrir son sac, quej’ai pourvu en sodas et sirops.

Nous organisons un goûter sur lebureau de Susie. Eric s’est mis un peu àl’écart, et il regarde avec une émotionvisible la joie des enfants. Il a comprisque pour eux, c’est un goûter assezexceptionnel. Je lui ai expliqué envenant que certains enfants quifréquentent le centre n’ont souvent pasdéjeuné quand ils arrivent, même sisouvent, par fierté, ils prétendent lecontraire.

– Et toi Grace, tu veux rien ? ditMarcus, qui depuis le début est monchouchou, même si j’essaie de ne pas lemontrer devant les autres.

– Mais si bien sûr, dis-je en prenantun cookie qu’il me propose.

On devise joyeusement quandsoudain retentissent dans la classe desnotes de musique.

On se retourne tous vers le fond de lapièce, où se trouve un vieux pianoappartenant à Susie.

Eric est installé devant. Son visage achangé, il semble plus serein que je nel’ai jamais vu, tandis qu’il joue un air dejazz.

Je ne savais pas qu’il jouait du piano.Et d’après ce que je peux en juger, fortbien !

Les enfants se sont tus, ils le

regardent faire courir ses doigts sur lestouches en oubliant même de mâcher lanourriture dans leur bouche. Quant àSusie, elle a les yeux qui brillent.

– Monk, murmure-t-elle.

À la fin du morceau, tout le mondeapplaudit.

Eric nous regarde, un peu hagard,comme s’il se réveillait.

– Tu es très doué, tu sais, dit Susie ens’approchant de lui. Du Monk, à tonâge ! Ce n’est pas facile. Je l’ai connu tusais ?

– C’est vrai ? Thelonious Monk ? dit

Eric avec un air ravi.– Lui-même ! dit Susie avec un

immense sourire. Je te raconterai cettevieille histoire qui n’intéresse que nousla prochaine fois que tu viendras nousvoir. Dis donc, ça te dirait d’êtrebénévole pour nous ? Tu pourrais donnerdes cours de piano.

– Mais… Oui, oui, bien sûr, dit Ericavec un air radieux.

– Eh bien, c’est parfait. On t’attendpour la rentrée, dit Susie.

Je vois qu’Eric cherche mon regard,il semble attendre une approbation. Jelui fais un clin d’œil complice. Susie aété une rencontre importante dans mavie, je suis sûre qu’elle en sera aussi

une pour lui. Mon amie a suivi commelui des chemins chaotiques, et elle s’enest sortie brillamment. Je ne lui ai pasparlé d’Eric avant, mais j’ail’impression à l’étincelle dans ses yeux,au ton de sa voix quand elle lui a parlé,qu’elle a vu en lui l’enfant qui crie àl’aide. Peut-être a-t-elle reconnu lesdémons qui le hantent ? Je sais qu’ellemettra toute sa bienveillance et toute sadétermination à veiller sur mon jeunebeau-frère, et déjà je me sens plussereine quant à son avenir.

68. Ensemble, c’esttout

– Oh mon Dieu, tu as vu tous cesphotographes ?! m’exclamé-je àl’intention de Caleb.

C’est l’émeute devant la porte de lafondation où se pressent non seulementles journalistes, mais aussi une foulesurexcitée. L’inauguration des locaux ence début de mois d’octobre se doubled’un vernissage d’une exposition dephotos. Toutes les œuvres, dons des

artistes, sont en vente, et les bénéficesseront reversés à la Fondation SusieSmith pour la jeunesse.

S’il y a tant de photographes dans cequartier peu fréquenté de Harlem, c’estque la présence du sénateurMontgomery, candidat à la présidencedes États-Unis, est annoncée. Mon beau-père a finalement été investi par sonparti, et il est en pleine campagne à unmois des élections présidentielles. Il acependant tenu à venir, sachant que sonpassage provoquerait un vrai buzzbénéfique à la fondation. Plus on enparle, plus les donateurs serontnombreux et généreux.

Nikki sera présente aussi, et ses fansnew-yorkais font le pied de grue depuisce matin devant le bâtiment. Elle vit unvéritable retour en grâce depuis qu’ellea évité (grâce à Caleb et Stacy) unpassage en prison, et a été simplementcondamnée à des travaux d’intérêtgénéral. La nouvelle saison de satéléréalité a démarré sur les chapeaux deroue, et son idylle avec son rappeur estféconde – bien qu’inventée – puisqu’ellese lance dans la chanson. Son premiertitre, produit par son chéri officiel,Master V, a même été salué par lacritique.

Caleb a aussi fait marcher son réseau,et tous les notables de Manhattan sont

attendus au vernissage. Si on ajoute à çaquelques célébrités que j’aiphotographiées pour K27 et qui ontrépondu à l’invitation, et les actrices etacteurs que mon beau-père producteurJohn a fait venir de Los Angeles, leretentissement de cette soirée va êtreénorme… et je stresse un maximum !

Caleb et moi avons décidé d’entrerpar la petite porte et nous sommes déjàsur place depuis un moment, encompagnie d’enfants du quartier et deleurs parents qui ont préféré eux aussiéviter les paillettes. De là où je suis, jepeux néanmoins voir le tapis rougedéroulé à l’entrée pour l’occasion, leservice de sécurité et le public qui

applaudit derrière la rangée dephotographes.

Alicia van Zant, rédactrice en chef deK27, fait évidemment partie des invités.Elle a beaucoup aidé à l’organisation del’expo, dont le magazine est partenaire,en sollicitant des photographes de renomqui ont cédé les droits sur leurs œuvresbien volontiers. Son entrée, bien questylée, ne provoque pas de hurlements,contrairement à celle de Nikki, au brasde Master V. Ma demi-sœur est…comment dire ? Quasiment nue, ou dumoins elle le paraît dans sa combinaisontransparente à beaucoup d’endroits, maisaujourd’hui, ça me fait plutôt rire. J’aibien compris que ça fait partie de son

personnage, de ce qu’en attendent lesfans, et j’ai beaucoup plus de légèretéqu’avant vis-à-vis de ça.

– Elle est incroyable, non ? me glisseThéo.

Échaudé par son expérience publiqueavec Nikki, mon ami a préféré éviter letapis rouge. Mais il se fait parfaitementà la « double vie » de Nikki, aveclaquelle il est toujours en couple. Il s’estmême lié d’amitié avec Cassius, leboyfriend caché de Master V, aveclequel il est venu ce soir.

Théo va rejoindre Nikki quand il lepeut à Los Angeles, et elle a acheté un

pied-à-terre à New York. Ils envisagentd’y vivre ensemble bientôt. Ils ont l’airvraiment amoureux, et je croise lesdoigts pour que ça dure.

Ma mère, totalement glamour dansune robe Givenchy vert et or, foule letapis rouge au bras de John. Ils sonthabitués aux premièreshollywoodiennes, mais pas mon père, niLaurence, la mère de Théo, fraîchementdébarqués de Paris, qui sont effarésdevant tout ce décorum. Eux aussi n’ontpas souhaité s’exposer à la foule, et ilssirotent tranquillement du champagne aubuffet en attendant que tous les invitéssoient arrivés. Mon père a l’air trèsheureux avec sa nouvelle compagne, et

ça me remplit le cœur d’allégresse. Ilest resté seul si longtemps…Aujourd’hui, je peux enfin arrêter de mefaire du souci pour lui.

La clameur enfle. Je me mets sur lapointe des pieds pour voir qui arrive, etje découvre alors mon beau-père, lesénateur, avec à son bras d’un côté sonépouse, et de l’autre… Susie. Ma vieilleamie a l’air au septième ciel, et lesénateur aussi. Il a dit et redit que Susieétait sa chanteuse préférée, et je sais quec’est exactement ce qu’il est en train derépéter au micro qu’on lui tend, si j’encrois la mine confuse mais radieuse deSusie, plus élégante que jamais, toute derouge vêtue.

Une fois tous les invités arrivés (nousavons décidé que les photographesn’assisteraient pas au vernissage), nousnous retrouvons entre nous, un peuserrés dans ce hall pourtant bien vaste.Une douce musique anime la salle,l’ambiance est jazzy, et le buffetgénéreux. Caleb y a veillé. C’est lui quipaie personnellement pour les dépensesde la soirée. Enfin, c’est « nous »,insiste-t-il, mais j’ai encore du mal àréaliser que ce qui est à lui est à moi. Jen’ai pas voulu connaître l’état exact de« notre » fortune personnelle, mais rienque d’y penser, j’en ai le tournis.

– Ma chérie, tu es resplendissante,me dit Papa en me prenant dans ses bras.

– Mon bébé n’a plus rien d’un garçonmanqué, dit Maman avec une certainefierté.

À vrai dire, je n’ai pas complètementabandonné mes jeans, mes tee-shirtssimples et mes baskets, mais je pouvaisdifficilement les mettre ce soir. Je porteune robe de soirée Chanel couleur nude,taille haute, qui laisse seulement devinermon ventre qui commence sérieusementà s’arrondir. Je suis maintenant à quatremois de grossesse, et heureusement, toutse passe bien.

– Bonsoir tout le monde !

Je me retourne et je découvre Stacy,

main dans la main avec Robert. J’essaiede cacher ma surprise, mais je ne suispas sûre d’être convaincante. C’est lapremière fois qu’ils s’affichentensemble et ils ont choisi la soiréed’inauguration pour le faire.

Ça me fait un plaisir infini de les voiraussi amoureux, d’autant que Stacy al’air vraiment épanouie et que pour unefois, elle a perdu son air un peu sévère,tendance glacial, qu’elle affiched’habitude en public.

– Tes photos sont superbes Grace,s’exclame Robert. Tes portraits ont uneforce étonnante.

– Merci, dis-je en essayant de ne pas

rougir, et son compliment me va droit aucœur.

– J’ai entendu le maire de New Yorkfaire une offre pour l’une d’entre elles.Tu risques de te retrouver au City Hallavant que ton beau-père ne soit à laMaison-Blanche, s’amuse Stacy.

– Il est où d’ailleurs, le grandhomme ? demande David, qui est venuexprès de Los Angeles pour levernissage.

– Il est avec Caleb, réponds-je enpointant mon doigt, là-bas, et un type quiest je crois…

– … un Kennedy, oui, dit David, l’airtrès intéressé. Je vais aller voir un peude quoi ils causent…

Je l’attrape par la manche.

– David, attention ! Tu es là en ami,pas en tant que journaliste, ne l’oubliepas.

Il se penche vers moi.

– Fais-moi confiance, murmure-t-il etje lis dans ses yeux les mots qu’il ne ditpas : « J’ai fait une erreur, ça ne sereproduira jamais. »

Il pose un baiser sur ma joue, etj’ébouriffe sa tignasse blonde aupassage ; il sait que je lui ai pardonné.Caleb aussi d’ailleurs. Depuis notredîner avec mes beaux-parents, ces deux-

là se sont revus plusieurs fois, seul àseul, pour de longues explications dontje n’ai pas eu le détail, mais leur amitiéen est sortie renforcée je crois.

Les groupes se font et se défont, jevois avec plaisir mon père discuter avecma mère et son époux. Mes parents sesont peu vus depuis leur séparation, etleurs relations ont été longtempstendues, mais je vois à leurs visagessouriants que tout est oublié maintenant.Je crois que le fait de bientôt accueillirun petit-enfant a contribué à leurrapprochement.

Au loin, j’aperçois Théo qui présenteNikki à sa mère, et elle n’a pas l’air

choquée du tout par sa tenue. Laurenceest une femme formidable, généreuse,dynamique, et, ce qui ne gâche rien, elleest aussi très amoureuse de mon père,d’après ce que j’ai pu en juger pendantnos vacances au Costa Rica. Et c’estréciproque ! Honnêtement, je pensaisque ça n’arriverait jamais, Papa nesemblait pas se remettre de l’échec deson mariage avec Maman. Et maintenant,il ne jure plus que par Laurence.

– Mes chers amis…

Toute la salle se retourne comme unseul homme vers l’estrade, où lesénateur Montgomery a pris le micro.

Des rires et des cris fusent : « Will,président ! »

Souriant, il calme d’un geste l’ardeurde l’assistance :

– Mes chers amis, reprend-il, ce n’estpas le candidat qui est avec vous ce soir,mais le supporter de la Fondation SusieSmith pour la jeunesse. C’est un trèsbeau projet, et je voudrais que voussaluiez comme il se doit celle qui l’ainspiré. Mesdames et messieurs,veuillez accueillir la grande, très grandechanteuse, ma chanteuse préférée depuistoujours, Susie Smith.

Tonnerre d’applaudissements, tandis

que ma vieille amie monte sur scène.Elle rayonne de bonheur, je supposequ’elle n’a pas connu un tel hommagedepuis ses derniers concerts, il y a…une vie, quasiment. Elle est très émue, jele sais, mais elle ne pleure pas…contrairement à moi. Je sens un bras seglisser autour de ma taille. Je me tournevers Caleb, qui a traversé la salle pourvenir se glisser à mes côtés. Tendrement,il essuie de la main les larmes quicoulent sur mes joues, mais la joie queje lis dans ses yeux m’émeut encoredavantage.

Il se penche pour m’embrasser.

– C’est grâce à toi tout ça, lui

murmuré-je dans l’oreille.– Non mon amour, c’est grâce à toi,

répond-il, avant de m’embrasser denouveau. Sans toi, et ta rencontre avecSusie, ta détermination pour que lecentre reste ouvert, cette fondationn’aurait jamais vu le jour. Etaccessoirement, mon père n’auraitjamais été aussi heureux, plaisante-t-ilen me montrant la scène.

C’est vrai que Will est absolumentaux anges, il regarde Susie avec uneadoration de vrai fan. Il lui tend lemicro. La diva est de retour : elle selaisse applaudir encore quelquesinstants, savourant visiblement cesquelques minutes de gloire retrouvée,

avant de prendre la parole :

– Bonsoir à tous, merci d’être venussi nombreux. C’est une grande fiertépour moi de donner mon nom à cettefondation, mais croyez-moi, ce n’est pasmon choix. Même si je trouve que c’estune excellente idée, dit-elle en riant,provoquant l’hilarité de toute la salle.J’espère que la fondation pourra aider labelle jeunesse de notre ville, qui mériteun avenir radieux. Je voudrais saluer lesdeux grands cœurs qui ont présidé à sacréation, Caleb et Grace. Vous pouvezles applaudir.

Je ne sais plus où me mettre et je meblottis dans les bras de Caleb tandis que

toutes les têtes se tournent vers nous etque les applaudissements éclatent.

– Grace et Caleb, je vous aime !déclare Susie. Les enfants et moi, nousvous remercions de tout notre cœur.

Et voilà, c’est reparti, je pleure denouveau…

– Ce soir est une soirée spéciale pourmoi, continue Susie. C’est pourquoi,avec mon ami Eric, nous vous avonspréparé une surprise…

Caleb et moi échangeons un brefregard étonné. Mais nous comprenonsvite de quoi il s’agit : des hommes ont

surgi comme par magie et viennentdéposer un piano sur scène. Eric les suit,l’air un peu intimidé, et il s’installedevant l’instrument. Il triture sa mècheblonde et tapote nerveusement du pied.

– Je vous demande desapplaudissements pour mon ami Eric, ditSusie.

La salle obtempère, et j’entends lesvoix des enfants qui crient son nom. Enquelques semaines, Eric a réussi à sefaire aimer de tous les gamins du centreavec lesquels il passe beaucoup detemps.

– Je vais vous demander d’être

indulgents avec moi, je suis une vieilledame, et je n’ai pas chanté depuislongtemps, reprend Susie. Mais ce soir,mon cœur est rempli de joie et j’ai enviede chanter pour vous remercier tous.Mes forces étant limitées, je ne chanteraique deux chansons. Et la première, je ladédie à celui qui est manifestement monplus grand fan ; je m’étais promis derechanter pour lui. Grâce à sagentillesse, j’ai retrouvé mes disquesd’or depuis longtemps disparus.Sénateur, cette chanson est pour vous !

Le sénateur est fou de joie, et sonépouse le regarde avec une tendresseque je lui ai rarement vue, tandis qu’ilapplaudit Susie à tout rompre.

Le silence se fait, et Eric joue lespremiers accords de « Strange Fruit ».La voix de Susie s’élève alors, pure etchaude. J’en ai la chair de poule ; je l’aiparfois entendue chanter en cours, maisjamais encore comme cela. Caleb m’afait écouter des disques d’elle, et jeretrouve sa voix, un peu voilée parl’âge, mais aussi puissante etmerveilleusement sensible.

C’est un moment magique, et tout lemonde en est conscient je crois, si jepeux en juger d’après les visagestournés vers la scène, qui semblentimprégnés d’un sentiment religieux.

C’est une ovation qui salue la fin de

la première chanson, et il en est demême après la reprise de « Body andSoul ».

Susie a tenu à venir saluer main dansla main avec Eric, qui tentait des’échapper discrètement. Il est rouge deplaisir, et je vois une grande fierté dansles yeux de Caleb tandis qu’il regardeson frère. C’est un musicien merveilleuxet Caleb l’a encouragé à suivre cettevoie, au lieu des études de droit quevoulait lui imposer son père. Il a bienfallu que Lewis s’incline. Caleb avaitraison, il aime vraiment Eric et même sicelui-ci l’a poussé à renoncer àl’investiture, en le faisant chanter, ils’emploie à renouer les liens défaits

entre eux. Pas sûr qu’il y arrive, car Erica apparemment beaucoup à pardonner àson père. Sa confiance va de l’autre côtéde la famille, vers Caleb, dont il s’estbeaucoup rapproché depuis qu’il estsorti de rehab. Ça me touche toujoursbeaucoup de les voir ensemble, déjà siproches.

– Ah, je crois que c’est à moimaintenant, dit Caleb.

Il m’embrasse avant de monter surl’estrade.

– Bonsoir à tous, et merci d’êtrevenus si nombreux, dit-il en s’emparantdu micro. La fondation a besoin de vous,

et on espère que vous la soutiendrezlongtemps, pour donner un meilleuravenir aux jeunes économiquementdéfavorisés. Je tiens à saluer Susie, quidepuis des années fait un travailformidable pour les enfants du quartier.Sans sa détermination, son cœur, sapassion, cette fondation n’existerait pas.C’est elle qui l’a inspirée. Je tiens àremercier aussi ma femme, GraceMontgomery, qui a su m’intéresser, moil’impitoyable avocat…

Rires dans la salle.

– … à sa cause. Je peux vous direqu’elle est au moins aussi coriace quemoi.

De nouveaux rires dans la salle, etdes applaudissements. Je souris,confuse. Mon père me fait un clin d’œilcomplice.

Caleb continue :

– Sa rencontre avec Susie a changé savie, mais aussi la mienne. Mon associée,Stacy Stockman, et moi-même avonsdécidé d’engager notre cabinet à sa suitedans son combat. Nos clients, et nombred’entre eux sont parmi nous ce soir, nousont suivis. Nous les remercions. Et nousespérons qu’ils sauront se montrergénéreux…

Je suis émue de voir Caleb sur scène.

Il est très sexy dans son costume bleunuit, de la couleur de ses yeux, quipétillent de joie. Il a un talent indéniablepour s’adresser à un public, une voixchaude, un brin d’humour, et un charmefou. Je suis fière de lui au-delà duraisonnable ; je fonds littéralementdevant Caleb, mon amant, mon mari, lepère de l’enfant que je porte, l’amour dema vie.

– Monsieur le maire, merci beaucoupd’être venu, continue-t-il en faisant unpetit salut de la tête au maire qui setrouve au premier rang à côté de sonpère. Puisqu’on vous tient… peut-êtreque la municipalité peut faire un geste endirection des associations parrainées

par la fondation ? On a deux ou troispetites idées à vous soumettre. On enreparle devant un verre ? suggère-t-ilavec son sourire charmeur, tandis quedes rires fusent dans la salle. Je vaism’arrêter là, et vous laisser profiter del’exposition, et du buffet. Je voussouhaite donc à tous de passer une bonnesoirée, conclut Caleb. Et Grace… jet’aime.

J’ai du mal à retenir mes larmesdevant cette touchante déclarationpublique. Je m’avance vers l’estrade ;Caleb en descend, m’enlace et me donneun baiser passionné.

– Je t’aime tant, lui murmuré-je à

l’oreille.

Notre instant d’intimité est bref.Plusieurs clients du cabinet se pressentautour de Caleb pour en savoir plus surla fondation. Je m’éclipse discrètementpour aller me chercher un jus de fruit. Jesens une main sur mon épaule et je meretourne pour découvrir Théo.

– Alors heureuse ? Alicia m’a dit quetoutes tes photos ont été vendues.

– C’est vrai ? C’est génial !– Tu es très douée Grace, je te l’ai

toujours dit.– C’est vrai que tu as toujours été un

grand supporter… comme je suis l’unedes tiennes. Ta campagne Gucci est

incroyable.– Tu l’as vue ?– Comment y échapper ? Il y a des

affiches partout dans New York !– Je me suis défoncé sur ce job. Ce

contrat était une aubaine formidable,mais il faut que je m’impose dans lecircuit et que j’en empoche d’autres. Jen’ai pas l’intention de vivre aux crochetsde ta sœur…

– Elle est très fière de toi, tu sais ?

Il a l’air tout attendri.

– Je sais, oui. Elle n’arrête pas de mele dire. Et je veux lui donner d’autresraisons de l’être.

– Tu es toujours aussi amoureux ?

– Plus que jamais, dit-il avec ungrand sourire. Je crois qu’on ne va pascontinuer encore longtemps à se cacher.Nikki est prête à passer à l’étapesupérieure. Maintenant qu’elle saitqu’elle a un certain talent pour lamusique, elle envisage de tourner lapage de la téléréalité. Elle va perdre sesfans de base, mais elle gagne déjà unautre public. Elle n’aura plus besoin detoute cette mise en scène autour de savie…

On trinque, verre contre verre.

– Tu te rends compte, dit-il en meprenant la main, comme notre vie achangé ? Qui aurait cru qu’il allait se

passer tant de choses dans nos vies en sipeu de temps quand on est venuss’installer tous les deux à Brooklyn…

– C’est vrai, j’y pense souvent. Çafait quoi, neuf mois ? Je me souviens, àl’époque, je n’arrivais pas à me décidersur la carrière à embrasser, je pensaisjuste gagner un peu d’argent pour partien safari photo et je me disais que j’yverrais plus clair ensuite. Etaujourd’hui, je suis mariée à l’homme dema vie, j’attends un enfant de lui, et j’aichoisi ma voie… Et c’est grâce à toi,Théo. Heureusement que tu m’asconvaincue de partir avec toi.

– Et moi, alors, j’y suis pour rien ?s’exclame Nikki derrière mon dos. Ma

chère sœur, si je ne t’avais pas invitée àmon mariage à Las Vegas, tu n’auraispeut-être jamais rencontré Caleb !

– Tu as raison, je n’ai dû te remercierque… quoi ? cent fois, non ? dis-je enplaisantant.

– Tu ne me remercieras jamais assez,dit-elle sur le même ton. Mais bon,comme c’est grâce à toi que j’ai connuThéo…, ajoute-t-elle en l’enlaçant. Onva dire qu’on est quittes. Dis doncGrace, il y a des photographes dans lasalle ?

– Euh… Non, normalem…

Je n’ai pas le temps de finir maphrase qu’elle se pend au cou de Théo etl’embrasse fougueusement.

– Bon ben, je vous laisse lesamoureux, à tout à l’heure, dis-je enriant, avant de m’éloigner pour rejoindreCaleb, maintenant en compagnie de sesparents.

Noah les a rejoints ; il a évité le tapisrouge, mais a quand même tenu à passerà la soirée. Il est toujours tiré à quatreépingles, mais il semble quelque peufatigué. C’est un vrai barnum qu’il doitgérer, entre l’organisation des meetingsdans toute l’Amérique, la gestion descomités de soutien, les demandesd’interviews… il délègue peu, supervisetout et je ne sais pas comment il tientencore debout. Il a une énergie et unenthousiasme incroyables.

– Alors Noah, tu as entendu chanterSusie ? est en train de demander lesénateur.

– Oui, je suis arrivé juste à temps.C’était effectivement remarquable,acquiesce Noah.

– Souviens-toi, dit le sénateur, si jesuis élu, je veux que ce soit elle quichante l’hymne américain à moninvestiture.

Voyant que je les ai rejoints, lesénateur passe un de ses bras puissantsautour de mes épaules.

– Alors Grace, comment te portes-tu ? Pas trop fatiguée avec toutes cesémotions ? Et comment va le bébé ?

demande-t-il avec sollicitude.– Le bébé se porte très bien, comme

sa maman comme vous le voyez.– Tu es splendide ! dit le sénateur.

J’espère qu’il ou elle te ressemblera.– Votre fils n’est pas mal non plus,

dis-je en riant.– Et c’est un excellent orateur, glisse

Noah. Caleb, tu n’as jamais songé àfaire de la politique ?

– Noah, tu ne te reposes jamais ?rigole Caleb.

– Je ne plaisante pas ! insiste Noah.Tu es beau, tu as du charisme… Dansquelques années, tu seras parfait à laMaison-Blanche. Après les deuxmandats de ton père…

– Ouh la, s’exclame le sénateur avecun grand rire, essayons déjà d’enremporter un.

– Oui, oui bien sûr, s’empresse dedire Noah. Je voulais juste dire queCaleb devrait y songer. Votre fondation,à Grace et toi, c’est déjà un actepolitique, un engagement. Puisque vousavez envie de faire changer les chosestous les deux…

– Noah a raison, l’appuie Laura.Caleb est très doué. Et je suis sûre queGrace sera une parfaite Première Dame.

J’éclate de rire mais, c’est bizarre,elle n’a pas l’air de plaisanter.

– Je ne suis pas aussi forte que vous

Laura, dis-je, voyant qu’elle est peut-être sérieuse. Je ne pense pas avoir lesépaules assez solides. Le mondepolitique, c’est beaucoup de pression,de coups bas, d’exposition. Je préfèreêtre cachée derrière mon appareilqu’être devant.

Je m’interromps et je regarde Caleb.

Et si lui en avait envie ?

– Mais si Caleb choisit cette voie, oun’importe quelle autre, je lesoutiendrai…, commencé-je.

– Rassure-toi, pour l’instant, ça n’estpas dans mes projets, dit Caleb enmettant son bras autour de mes épaules.

Ma priorité, c’est notre famille, ajoute-t-il en me regardant tendrement. Et rien nepassera jamais avant elle.

– Vous n’êtes qu’au début de votreroute commune… et vous avez déjà unbébé en route, et une fondation. Dieu saitce que vous réserve le futur, glisse Noahd’un air entendu.

Le reste de la soirée se passe commedans un rêve. Je vais d’un groupe àl’autre, heureuse de voir tous les gensque j’aime réunis. Mon père et monbeau-père sont en grande conversationavec Susie, qui a oublié son âge etsemble encore pleine d’énergie malgrél’heure avancée. Ma mère et Alicia sontplongées dans leurs souvenirs communs,

tandis que John parle politique avecLaura. Moi, je discute avec Nikki etDavid ; ils n’arrêtent pas de me taquiner,me rappelant que je proclamais que lemariage et la famille, ça n’était pas pourmoi. Ils ont raison de se moquer, j’étaissi sûre de moi à l’époque, et jem’emportais quand on me disait que jechangerais sûrement d’avis. Etaujourd’hui… Je suis une femme mariée,enceinte, et comblée !

Je ris aux éclats en voyant Nikkim’imiter.

– Mais je ne pouvais pas prévoir quej’allais rencontrer Caleb ! dis-je pourtenter de me défendre.

– Il est où, d’ailleurs, l’homme de tavie ? dit David. Ça fait longtemps qu’onne l’a pas vu…

– Avec le maire, dis-je. Je supposequ’il essaie d’obtenir des aides pour lafondation.

Ça fait un moment que Caleb et moisommes séparés, et même si je prendsplaisir à discuter avec les uns et lesautres, il commence à me manquer. Etc’est sans doute pareil pour lui carmême en pleine conversation avec lemaire de New York, je le vois qui mejette des œillades amoureuses.S’apercevant que je le regarde, il prendcongé et traverse la salle dans madirection. En quelques pas, il est près de

moi. Il entoure ma taille de son bras etlance à David et Nikki :

– Vous permettez que je vousl’enlève ?

– Décidément, tu ne peux pas t’enpasser cinq minutes de ta femme, répondNikki en riant. Bien sûr, allez-y lesamoureux !

Prenant ma main, Caleb m’entraîne àl’écart. À l’abri des regards, il m’enlaceet plonge ses yeux azur dans les miens.

– Et si on rentrait ? me susurre-t-il.

Oh oh… Je connais ce regard… etcette voix.

– Tu es fatigué ? demandé-je pour letaquiner, connaissant déjà sa réponse.

– Non mon amour, me dit-il en sepenchant vers moi avec un sourireenjôleur, je veux finir cette merveilleusenuit avec toi. Juste tous les deux.

Je prends son visage et lui donne unlong et tendre baiser. Le goût de seslèvres me remplit de désir.

– Moi aussi j’ai envie d’être seuleavec toi.

Je me blottis contre sa poitrine.

– Je t’aime tellement Caleb. Je feraistout pour toi. Tu sais, ce que j’ai dit à

Noah tout à l’heure, que je tesoutiendrais quelle que soit la voie quetu choisis, même si tu décides de telancer en politique, je le pensais.

– Merci mon amour. Je sais à quelpoint tu n’aimes pas ce monde…

– Je déteste la cruauté, la méchancetéet les mensonges qui existent dans cemonde, mais si on veut changer leschoses, les faire bouger dans le bonsens…

– Grace, pour l’instant, je n’y pensepas. Je veux faire bouger les chosesc’est vrai, mais on peut le faire sansentrer en politique. Tu m’as aidé àtrouver le chemin, avec cette fondation,et je suis heureux que l’on puisse aussi

partager ce beau projet ensemble. Etnous en partagerons bien d’autres, crois-moi, ajoute-t-il en resserrant sonétreinte.

Je contemple son beau visage aimé.Je me sens si sereine, si confiante.

C’est vrai ce que disait Noah, nousne sommes qu’au début de la route.Mais avec Caleb à mes côtés, je n’aipas peur de l’avenir.

Je me dresse sur la pointe des piedspour poser un baiser sur ses lèvres.Avant de lui glisser au creux del’oreille, d’une voix suggestive :

– On rentre à la maison ?

FIN