Krishnamurti à Ojaï (Californie, U. S. A.) en 1936

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    Compte rendu des Confrences et des Questions et Rp

    par

    KR1SHNAMURTIOJ A 1936

    (Traduit de l'anglais)

    193 6

    D I T I O N S D E L T O JL E

    4 , SQUARE RAPP

    PARJS (7e)

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    Compte rendu des Confrences et des Questions et Rponses

    par

    KRI SH N A M U RT lO J A i936

    (Traduit de l'anglais)

    i 9 3 6

    D I T I O N S D E L T O I L E

    4 , SQUARE RAPP

    PARIS (7e)

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    TOUS DSOITS RSERVS

    PAR LE STAR PUBLISHING TRUST

    LOS ANGELES, CAL. (U.S.A.)

    IMPRIM A PARIS (FRANCE)

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    par

    KRI SH NAM URTI(Traduit de VAnglais)

    Compte rendu des Confrences et des Questions et Rponses

    O J A j 9 36

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    PREMIERE CAUSERIE

    Certaines personnes viennent mes causeries dans untat dexpectative et desprance, et avec beaucoup d'idestranges. Dans un but de clarification, examinons ces ideset voyons leur vraie valeur. Peut-tre y en a-t-il quelques-uns,parmi nous ici, dont les esprits ne sont pas surchargs de

    jargons. Les jargons ne sont que d'ennuyeuses rptitionsverbales. D autres aussi, peut-tre, qui se sont librs descroyances et des superstitions, sont vivement dsireux decomprendre la signification de ce que je dis. Voyant lanature illusoire de limitation, ils ne peuvent plus aller la recherche de modles ou de moules pour donner uneforme leur conduite. Ils viennent dans lespoir dveillerleur facult cratrice inne, afin de pouvoir vivre profondment dans le mouvement de la vie. Ils ne cherchent pas

    un nouveau jargon ni un mode de conduite, ni des idesbrillantes ou des affirmations motionnelles.Or je parle ceux qui dsirent sveiller la ralit de

    la vie et crer par eux-mmes la faon vraie de penser etde vivre. Par cela, je ne veux pas dire que mes mots soientrservs une minorit, ou quelque clique imaginairedintellectuels qui simaginent constituer une lite.

    Ce que je dis peut ne pas sembler vital aux simplescurieux, car je nai pas de phrases creuses ni daffirmations

    hardies pour exciter leur enthousiasme. Les curieux, quine dsirent que des stimulants motionnels, ne trouveront pasde satisfaction dans mes mots.

    Et il y a aussi ceux qui viennent ici pour comparer ceque jai dire avec les nombreuses coles dirrflexion.(Rires.) Non, je vous prie, ceci nest pas un mot d'esprit.

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    Par des lettres que j ai reues, et par des personnes quimont parl, je sais que bien des gens pensent avancer ettre util au monde en appartenant des coles spcialesde pense. Mais ce quils appellent des coles de pense nesont que des jargons imitatifs, bons crer des divisions et encourager lexclusivisme et la vanit desprit. Ces sys-tmes de pense nont en ralit aucune validit, car ils sontfcods sur lillusion. Bien que leurs adeptes puissent devenirtrs rudits, et se servir de leur savoir, ils sont en ralitvides de rflexion.

    E t encore, il y a beaucoup de personnes dont les espritsse sont compliqus la recherche de systmes destins sauver les hommes. Ils cherchent, tantt par lconomie,tantt par la religion, tantt par la science, instaurerlordre et la vritable harmonie dans la vie humaine. Lefanatisme devient le stimulant pour beaucoup qui essayent,par des assertions dogmatiques, dimposer leurs imaginationset leurs illusions, quils choisissent dappeler la vrit ouDieu.

    Il vous faut donc dcouvrir par vous-mmes pourquoi voustes ici, et sous quelle impulsion vous tes venus entendrecette causerie. Jjespre que nous sommes ici pour chercherensemble si nous pouvons vivre sainement, intelligemment,et dans la plnitude de notre comprhension. Je sens quecest cela qui devrait tre la tche la fois de celui quiparle et de ceux qui coutent. Nous allons entreprendreun voyage denqute profonde et dexprimentation individuelle, non un voyage dassertions dogmatiques qui creraient de nouvelles sries de croyances et didals. Pourdcouvrir la ralit de ce que je dis, vous devrez lexprimenter.

    La plupart dentre nous sont absorbs par le projet dedcouvrir quelque cause unique de la souffrance humaine,des conflits et de la confusion, qui puisse rsoudre les nom-

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    breux problmes de la vie. Cest devenu une mode de dire :

    gurissez les maux conomiques, et le bonheur, lpanouissement humains seront assurs. )) Ou : acceptez telleide religieuse ou philosophique, et la paix, le bonheurdeviendront universels. A la recherche de causes uniques*non seulement encourageons-nous des spcialistes, mais nousmultiplions des experts toujours prts crer et exposerdes systmes logiques, dans lesquels lhomme irrflchi estpris au pige. Vous voyez des ides ou des systmes exclusifsdestins au salut de lhomme prendre forme partout travers

    le monde. Nous sommes facilement pris dans leurs piges,car nous pensons que cette simplicit des causes uniques,en apparence logique, nous aidera vaincre la misre et laconfusion.

    Un homme qui sabandonne ces spcialistes et lidedune cause unique de la souffrance, ne trouve que plus deconfusion et de misre. Il devient un instrument entre lesmains des experts, ou lesclave consentant de ceux qui saventle mieux exposer la simplicit logique dune unique cause.

    Si vous examinez profondment la souffrance et la confusion humaines, vous verrez sans le moindre doute quil y a cela beaucoup de causes, les unes complexes, les autressimples, que nous devons comprendre fond avant de pouvoir nous librer du conflit et de la souffrance. Si nousdsirons comprendre ces nombreuses causes et leurs perturbations, nous devons traiter la vie comme un tout, et nonla fragmenter en domaines appartenant la pense et lmotion, lconomie et la religion, lhrdit et aumilieu. Pour cette raison, nous ne pouvons pas nous mettreentre les mains de spcialistes, qui sont entrans, videmment, tre exclusifs et se concentrer dans leurs divisionstroites. Il est essentiel de ne pas faire cela; nanmoins,inconsciemment nous nous confions un autre afin quil nousguide, afin quil nous dise ce que nous devons faire, en

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    croyant que lexpert en religion ou en conomie porra

    diriger nos vies individuelles grce ses connaissances spciales et ses achvements. La plupart des spcialistes sontentrans de telle faon quils ne peuvent avoir de la vieune vue comprhensive; et parce que nous conformons nosvies, nos actions, aux ordonnances des experts, nous nefaisons que crer plus de confusion et de douleur. Donc,comprenant que nous ne pouvons pas tre les esclavesdexperts, dinstructeurs, de philosophes, de ces personnesqui disent avoir trouv Dieu et qui en apparence rendent la

    vie trs simple, nous devrions nous mfier deux. Nousdevrions chercher la simplicit, mais mme l nous mfierdes nombreuses illusions et dsillusions dune telle recherche.

    Etant conscients de tout cela, que devrions-nous faire, entant quindividus? Nous devons raliser profondment, nonpar hasard ni superficiellement, quune personne seule ouquun systme seul ne pourront jamais entirement rsoudrepour nous nos problmes douloureux ni clarifier nos ractions

    complexes et subtiles. Si nous nous rendons compte quepersonne, en dehors de nous, nira dblayer le chaos et laconfusion qui existent en nous et en dehors de nous, nousnaurons plus lesprit dimitation, nous naurons plus la soifde nous identifier quoi que ce soit. Mais nous commencerons librer la puissance cratrice qui est en nous. Ceciveut dire que nous commencerons tre conscients de notreunicit individuelle. En effet, chaque individu est unique,diffrent des autres, semblable personne; mais par unicit

    je nentends pas dsigner lexpression des dsirs gocentriques.Nous devons commencer par tre conscients de nous-

    mmes, ce qui nest pas le cas chez la plupart dentre nous.En amenant ciel ouvert, la lumire, ce qui tait cach,nous dcouvrons les diverses causes de linharmonie, de lasouffrance. Cest cela seulement qui engendrera une vie

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    daccomplissement et un bonheur intelligent. Tant que nousne nous librons pas de ce qui est cach, enfoui, nos effortsnous conduisent forcment des dceptions. Tant que nousne dcouvrons pas, par lexprience, nos limitations subtileset profondes avec leurs ractions, de manire nous enlibrer, nous menons une vie de confusion et de souffrance.Car ces limitations empchent la pense-motion dtresouple, et la rendent incapable de sajuster vraiment aumouvement de la vie. Ce manque de souplesse est la sourcede nos luttes gocentriques, de la peur et de la poursuite

    de la scurit, qui nous conduisent de nombreuses et consolantes illusions.Bien que nous puissions nous imaginer avoir trouv la

    vrit, le bonheur, et croire que lide abstraite de Dieupuisse tre objective, cependant, tant que nous demeuronsinconscients des sources caches de tout notre tre, il nepeut y avoir de ralisation de la vrit. Le fait de prononcerdes mots tels que vrit, Dieu, perfection, ne peut avoiraucune signification profonde et aucune porte.

    La vraie recherche ne peut commencer que lorsque nousne sparons pas la pense de lmotion. Nous avons tcependant entrans considrer la vie, non comme un toutcomplet, mais comme une chose divise en corps, penseet esprit, de sorte quil nous sera trs difficile de nousorienter vers cette conception et cette raction nouvellesenvers la vie. Nous duquer vers cette faon de considrerla vie, et ne pas glisser en arrire dans la vieille habitude

    dune pense isole, exige que nous soyons tenaces et sanscesse en veil. Lorsque nous commenons nous librer,par lexprience, de ces fausses divisions avec leurs significations spciales, leurs poursuites et leurs idals, qui ontfait tant de mal et qui ont si faussement compliqu nos vies,nous dlivrons notre nergie cratrice et nous dcouvrons lemouvement sans fin de la vie.

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    Lesprit-cur peut-il connatre et profondment apprciercet tat qui na pas de fin, ce constant devenir? Linfinina de signification profonde que lorsque nous nous libronsde la limitation que nous avons cr par nos fausses conceptions et divisions, telles que corps, pense et esprit, chacuneavec ses idals et ses buts propres et distinctifs. Lorsquelesprit-cur se dtache des ractions nocives qui lentravent,et lorsquil commence vivre intensment avec une profonde lucidit, alors seulement avons-nous une possibilit deconnatre profondment ce continuel devenir. Pour connatre

    cette flicit, la pense-motion doit tre compltement librede toute identification et imitation. Seul lveil de cetteintelligence cratrice instaurera lhumanit de lhomme, sonquilibre et son profond accomplissement.

    Tant que vous ne devenez pas conscients la fois devotre milieu et de votre pass, tant que vous ne comprenezpas leur signification (ne les voyez pas comme deux lmentsen conflit, ce qui nengendrerait que de fausses ractions,mais comme un tout coordonn) et tan t que vous ntes

    pas capables de ragir profondment ce tout, la perception de lincessant mouvement de la vie fait dfaut.La vraie recherche ne commence qu la libration de

    ces ractions qui rsultent dune division. Sans la comprhension de la totalit de la vie, la recherche de la vrit oudu bonheur doit mener lillusion. A la poursuite d uneillusion, on prouve souvent une excitation motionnelle;mais lorsquon examine cette structure motionnelle, elle

    nest quune limitation, la construction des murs dun refuge.Elle est une prison, bien quon puisse lhabiter et mmesy plaire. Elle est une vasion hors du conflit de la vie,dans une limitation; et il y a bien des gens qui vous aiderontet vous encourageront dans cette fuite.

    Si ces causeries doivent avoir une signification pour vous,vous devez commencer exprimenter ce que je dis, et

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    vivre neuf en devenant conscients de toutes vos ractions.Devenez-en conscients, mais nen cartez pas aussitt quel

    ques-unes comme tant mauvaises et nacceptez pas lesautres comme tant bonnes; car lesprit, tant limit, estincapable de discerner sans commettre derreurs. Ce qui estimportant cest den tre conscient. Ensuite, par cetteconstante lucidit, dans laquelle il ny a aucun sentimentdopposition, aucune division en tant que pense et motion, survient lharmonie de laction qui seule engendrera1 accomplissement.

    QUESTION. N y a-t-il pas d autres personnes quiexposent la vrit? Doit-on les abandonner toutes, et ncou -ter que vous?

    K r i s h n a m RTI. Personne ne peut exposer la vrit.La vrit ne peut tre explique, pas plus que vous nepouvez expliquer lamour un homme qui na jamais tamoureux. L expression :

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    par votre effort, et non par lautorit ou le conformisme,que ces limitations peuvent tre balayes.

    QUESTION. Quelle est votre ide de linfini?

    K r i s h n a m u r t i . Il y a un mouvement, un processusindfini de vie quon peut appeler linfini. Par lautorit etle conformisme quengendre la peur, lesprit se cre beaucoup de fausses ractions et par l se limite. Sidentifiantavec cette limitation, il est incapable de suivre le rapidemouvement de la vie. Parce que lesprit, incit par la peur

    et par son dsir de scurit et de consolation, cherche unefin, un absolu avec lequel sidentifier, il devient incapablede suivre le mouvement indfini de la vie. Tant que lesprit-cur est incapable de se librer, en pleine conscience, deces limitations, il ne peut comprendre ce processus sansfin du devenir. Donc ne demandez pas ce quest linfini,mais dcouvrez par vous-mmes les limitations qui retiennentlesprit-cur en esclavage, et qui lempchent de vivre dansce mouvement de vie.

    5 Avril 1936.

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    DEUXIEME CAUSERIE

    La plupart des gens rflchis ont le dsir daider lemonde. Ils pensent eux-mmes comme tant spars dela masse. Ils voient tant dexploitation, tant de misre; ilsvoient que les ralisations scientifiques et techniques sonttrs en avance sur la conduite humaine, sur la comprhension et lintelligence. Voyant tout cela autour deux, etdsirant changer ces conditions, ils pensent que la massedoit dabord tre rveille.

    Souvent cette question ma t pose : pourquoi insistez-vous sur lindividu, et ne considrez-vous pas la masse?De mon point de vue, on ne peut faire cette division entrela masse et lindividu. Bien quil y ait une psychologie dela masse, de ses intentions, de ses actions et de ses buts,il ny a pas une entit masse spare de lindividu. Lorsque

    vous analysez ce mot masse, que voyez-vous? Vous voyezque la masse est compose dunits spares, cest--dire denous-mmes, avec nos croyances extraordinaires, nos idals,nos illusions, nos superstitions, nos haines, nos prjugs, nosambitions et nos poursuites. Ces perversions et ces poursuites composent le phnomne incertain et nbuleux quenous appelons la masse.

    Ainsi la masse est nous-mmes. Vous tes la masse etje suis la masse, et en chacun de nous il y a lindividu et

    le nombre, lindividu tant ce qui est conscient et le nombrece qui est inconscient. On peut dire du conscient quil estlindividu. Ainsi, en chacun de nous, nous avons lindividuet le nombre.

    La foule, linconscient, se compose de valeurs qui nesont pas mises en doute, de valeurs qui sont fausses par

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    rapport aux faits, de valeurs qui, avec le temps et lusage,sont devenues agrables et acceptables. Le nombre se com

    pose didals qui nous donnent la scurit et la consolationsans signification profonde; de modles, de conformismes,qui empchent la claire perception et laction; de penseset dmotions qui ont leur origine dans la peur et dans desractions primitives. Cest cela que jappelle linconscient, lamasse, dont chacun de nous est une partie, que nous lesachions ou non, que nous le reconnaissions ou non.

    Pour avoir un reflet clair, le miroir ne doit pas tredform, sa surface doit tre gale et propre. Ainsi, pourque puissent exister le discernement, la comprhension, lquilibre ou lintelligence, lesprit-cur qui est un tout intgral et non deux parties distinctes et spares doit trelibre des perversions quil a cres. Pour vivre compltement, on doit continuellement amener lexprience dans leconscient.

    La plupart dentre nous sont inconscients des arrire-plans, des perversions, des dformations qui empchent le

    discernement et qui nous rendent incapables de nous ajusterau mouvement de la vie. Quelques-uns dentre vous peuventdire : tout cela est absolument vident, nous le savons, rienny est neuf. Je crains que si vous ne faites qucarter ceque je dis, sans y penser profondment, vous nveillerezpas votre intelligence cratrice.

    Si nous voulons comprendre la vie totalement, compltement, nous devons amener linconscient, par lexprience,dans le conscient. Alors il y aura quilibre et profonde intel

    ligence. Alors seulement pourra-t-il se produire une vraierecherche. Tant que lesprit-cur est enchan par descroyances, des idals ou des poursuites vaines et illusoires,ce que nous appelons la recherche de la vrit ou de laralit conduira invitablement des vasions. Aucun psychologue ou instructeur ne peut librer lesprit; la libert

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    de lesprit ne peut provenir que de sa ncessit propre, intrinsque.

    La recherche de la vrit ou de Dieu (le seul fait de direcela contribue crer une barrire), ne peut vraimentcommencer que lorsque existe cette harmonieuse intelligence.Lesprit-cur, tant perverti, limit par les ractions delignorance, est incapable de percevoir ce qui est. Commentpeut-on discerner le vrai si lesprit-cur a des prjugs?Ces prjugs sont si profondment enracins et stendentsi loin dans le pass que lon ne peut dcouvrir leur commencement. Avec un esprit si rempli de prjugs, com

    ment pouvons-nous vritablement discerner, comment peuvent exister le bonheur et lintelligence? Lesprit-cur doitse rendre compte de son propre processus, par lequel il credes illusions et des limitations. Aucun instructeur ne peutle dlivrer de ce processus. Tant que lesprit-cur nestpas profondment conscient de son propre processus, deson propre pouvoir de crer des illusions, il ne peut avoirde discernement. Pour amener cette harmonieuse intelligence, il faut un changement fondamental dans les habi

    tudes de la pense-motion, et ceci exige une patiente persvrance, une rflexion persistante.

    Jusqu prsent il a t dit que Dieu existe, quil y aune vrit, quil y a quelque chose dabsolu, de final, dternel, et sur cette assertion nous avons construit notre pense et notre motion, notre vie, notre morale. Il a t dit :agissez de telle manire, suivez ceci, ne faites pas cela.La plupart des gens considrent ces enseignements commetant positifs. Si vous examinez ces enseignements, dont ondit quils sont des instructions positives, vous dcouvrirezquils sont destructeurs de lintelligence, car ils deviennentle cadre lintrieur duquel lesprit se limite en vue dimiteret de copier. Diminu de la sorte, lesprit est incapablede sajuster au mouvement de la vie, car il dforme celle-ci

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    suivant le modle dun idal, ce qui ne fait que provoquerplus de douleur et de confusion.

    Pour comprendre et pour veiller cette harmonieuse intelligence, on doit partir, non de suppositions ou dassertionsautoritaires, mais ngativement. Lorsque espr it est libre desrponses ignorantes, surgit alors la profonde harmonie nede lintelligence. Alors commence la joie de la pntration dans la ralit. Personne ne peut vous parler de laralit, et toute description que lon en fait ne peut treque fausse.

    Pour comprendre la vrit, il faut une silencieuse obser

    vation. La dcrire ne fait que la brouiller et la limiter. Pourcomprendre le processus infini de la vie, nous devons commencer ngativement, sans assertions ni suppositions, et surcela construire la structure de notre pense-motion, de notreaction, de notre conduite. Si ceci nest pas profondmentcompris, ce que je dis se transformera en croyances et enidals mcaniss et crera de nouvelles absurdits basessur l autorit et la foi. Nous reviendrions inconsciemmentaux attitudes et ractions primitives bases sur la peur et leurs nombreuses illusions, encore que nous pourrions peut-tre revtir celles-ci de mots nouveaux.

    Lorsque vous tes rellement capables de penser sansprouver davidit, sans aucun dsir de choisir (car le choiximplique des contraires), il y a discernement.

    Quest-ce qui constitue cet arrire-plan d'avidit? Cestle rsultat dun processus qui na pas de commencement.Il est compos de beaucoup de couches superposes, et

    quelques mots ne peuvent pas les dcrire. Vous pouvezprendre deux ou trois de ces couches et les examiner (nonobjectivement, car lesprit lui-mme est leur crateur et enfait partie), et en les analysant, en les exprimentant, lespritcommence percevoir sa propre construction et le processus par lequel il cre sa prison. Non seulement cette pro-

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    fonde comprhension fait entrer dans la conscience ces nombreuses couches, mais elle arrte aussi la cration de limi

    tations et de barrires nouvelles.Une des couches, ou sections, de cet arrire-plan estlignorance. L ignorance ne doit pas tre confondue avecun simple manque d information. L ignorance est le manque de comprhension de soi-mme. Le (( soi-mme nestpas celui dune priode donne, et les mots ne peuvent pascouvrir tout le processus de lindividualit. Lignorance existera tant que lesprit ne mettra pas dcouvert le processuspar lequel il cre ses propres limitations et aussi le proces

    sus de laction qui sengendre elle-mme. Pour faire cela,il faut une grande persvrance, il faut exprimenter etcomprendre.

    La profonde comprhension de soi, du soi-mme quina pas de commencement, est rendue impossible par le processus d accumulation. J appelle processus daccumulationla soif quon a de sidentifier la vrit, limitation dunidal, le dsir de conformisme, tout ce qui cre lautorit etengendre la peur, et qui mne de nombreuses dsillusions.Le processus daccumulation continue pendant que lesprit,pris au pige, poursuit les opposs, le bien et le mal, lepositif et le ngatif, lamour et la haine, la vertu et lepch. Le processus daccumulation donne lesprit-curun rconfort et un abri contre le mouvement de la vie. Silesprit-cur se peroit lui-mme en action, il voit quil creces illusions (dont la fonction est daccumuler) dans le butdtablir sa propre continuit et sa scurit. Ce processus

    engendre la douleur, la misre et les conflits.Comment lesprit peut-il se dptrer de ses terreurs, deses ractions ignorantes et des nombreuses illusions? Touteinfluence qui forcera lesprit se librer de ces limitationsne fera que crer de nouvelles vasions et illusions. Lorsquelesprit laisse aux circonstances extrieures le soin de pro

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    duire ces changements fondamentaux, il nagit pas commeun tout, il se divise lui-mme en pass et prsent, en ext

    rieur et intrieur. Si une telle division existe, lesprit-curne peut que se crer de nouvelles dceptions et douleurs.Essayez, je vous prie, de comprendre tout cela soigneu

    sement.Si lesprit essaye de se librer de ces limitations cause

    dune contrainte, dune rcompense ou dune punition, ouparce qu'il souffre et quil cherche de ce fait le bonheur, oupour toute autre raison superficielle, ses tentatives doiventinvitablement le conduire la frustration et la confu

    sion.Il est important de comprendre cela, car il ny a de libration de ces limitations que lorsque lesprit lui-mme encomprend lentire ncessit. Cette ncessit, on ne peut sela fabriquer ni se limposer.

    Q u e s t i o n . Comment pouvons-nous aider les dmentsincurables?

    KRISHNAMURTI. La folie est un .problme qui comporte des varits subtiles, car une personne peut se croiretout fait saine desprit et pourtant paratre compltementdmente aux autres. Il y a la dmence due un dfautorganique, physique, et il y a le manque dquilibre provoqu par 1incapacit de .esprit-coeur de sajuster la vie.Evidemment, la division et la distinction ne sont pas siclaires entre les causes purement physiques et celles pure

    ment mentales qui provoquent les nombreux troubles et inaptitude sajuster la vie. Je suis port penser que,dans la plupart des cas, ce manque de cohsion et dquilibre commence lorsque lindividu, lev et entran dans desractions ignorantes, troites et gocentriques, est incapablede sajuster lincessant changement de la vie.

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    Pour la plupart, nous ne sommes pas quilibrs, car noussommes inconscients des nombreuses couches de valeurs limi

    tes qui encerclent lesprit-cur. Ces valeurs limites mutilent la pense et nous empchent de comprendre les valeursinfinies qui seules peuvent instaurer la raison et lintelligence. Nous acceptons certaines attitudes et actions commetant en accord avec ces valeurs humaines. Considrez parexemple lesprit de concurrence et la guerre. Si nous examinons la concurrence avec tout ce quelle implique, nousvoyons qu elle surgit de la raction ignorante qui consiste lutter contre un autre, tandis que dans la plnitude cetesprit ne peut exister. Nous avons accept cet esprit delutte comme faisant partie de la nature humaine. Il engendre non seulement la combattivit individuelle, mais aussiles luttes raciales et nationales. Cest donc un des instruments de la guerre. Un esprit emptr dans cette ractionprimitive doit tre considr incapable de profond ajustementaux ralits de la vie.

    Un homme dont la pense-motion est base sur la

    foi, donc sur la croyance, doit de toute ncessit tredsquilibr, car sa croyance nest quun accomplissementde rve. Lorsque des gens disent quils croient la rincarnation, limmortalit, en Dieu, ce ne sont que dessoifs motionnelles qui, pour eux, prennent apparence deconceptions et de faits objectifs. Ils ne peuvent dcouvrirlactuel que lorsquils ont compris et dissous le processusde lignorance. Lorsque lon dit : je crois , on limite lapense et on transforme la croyance en un modle conformment auquel on guide et on conduit sa vie. On permetainsi lesprit-cur de se rtrcir, de se cristalliser, dedevenir incapable de sajuster la vie et la ralit. Pourla plupart des personnes, la croyance devient une simplevasion hors des conflits et de la confusion de la vie.

    La croyance ne doit pas tre confondue avec lntui-

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    tion : lintuition nest pas un accomplissement de rve. Lacroyance, ainsi que jai essay de le montrer, est base surlvasion, sur la frustration, sur la limitation, et elle empche lesprit-cur de dissoudre lignorance quil engendre.

    Ainsi chacun a la capacit, le pouvoir dtre sain desprit, dtre quilibr ou non. Pour dcouvrir si lon estquilibr, on doit commencer ngativement, non par desassertions, des dogmes, des croyances. Si lon est capablede penser profondment, on devient conscient de lextraordinaire beaut qua la plnitude intelligente.

    QUESTION. Vous avez dit dimanche dernier que la plu part des personnes ne sont pas conscientes d elle&mm es.I l me semble que c e s t tout le contraire qui est vrai, et que la plupart des personnes sont trs conscientes de leur moi Qu entendez-vous par tre conscient de soi?

    K r i s h n a m RTI. Ceci est une question difficile etdlicate rpondre en quelques mots, mais jessayerai de

    lexpliquer de mon mieux. Je vous prie de vous rappelerque les mots ne transmettent pas toutes les subtiles implications que comporte ma rponse.

    Chaque chose vivante est une force, une nergie, uniqueen elle-mme. Cette force ou nergie cre ses propres matriaux qui peuvent tre appels le corps, la sensation, la pense, la conscience. Cette force ou nergie, dans son dveloppement auto-agissant, devient la conscience. De cela surgitle processus du moi, le mouvement du moi. Alors commence tourner en rond la cration de lignorance. Le processus du moi sidentifie aux limitations quil cre lui-mme :cest ainsi quil commence et quil continue. Le je )) nestpas une entit spare, ainsi que le pensent la plupartdentre nous; il est la fois la forme de lnergie et lnergie elle-mme. Cette force, dans son dveloppement, cre

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    sa propre substance dont la conscience nest quune partie,mais qui se fait connatre, par les sens, comme tant lindividu. Ce processus du je nest pas du moment, il estsans commencement. Mais grce une lucidit et une comprhension continuelles, ce processus du je )) peut treamen sa fin.

    12 Avril 1936.

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    TROISIEME CAUSERIE

    Pour unifier la pense, donc aussi laction, il faut uneentente, un accord, qui semblent trs difficiles obtenir.Un accord nest ni une acceptation irrflchie ni de latolrance, car la tolrance est superficielle. Mais il exigeune profonde intelligence et un esprit trs souple. Dans ce

    monde, apparemment, on est plus aisment convaincu parlabsurdit que par une pense intgrale et intelligente. Ontablit des accords motionnels qui ne sont pas des accordsdu tout. Ce sont des excitations qui nous entranent ^verscertaines activits, attitudes ou assertions, mais qui ne conduisent pas lveil complet et intelligent de laccomplissement individuel.

    O r si vous tes d accord avec la sottise ainsi quapparemment le sont bien des gens il y a forcment

    confusion. Vous pouvez provisoirement vous sentir suprmement heureux et satisfaits jusqu croire que vous avezcompris la vie. Mais permettez votre esprit dexaminervotre soi-disant bonheur et vous verrez que ce que vousprouvez nest en ralit quune excitation motionnellesuperficielle cause par les assertions rptes de diffrentespersonnes. Toute action engendre par cette superficialitdoit invitablement mener la confusion, tandis quun'W-cord tabli par une pense intelligente conduit au vrai bonheur et au bien-tre complet.

    J insiste sur ce point, car jestime trs important et ncessaire que lon ne possde intrieurement aucune barrire susceptible de crer une division, un dsaccord. Cesbarrires qui crent la confusion et des conflits dans lindividu empchent aussi une action coordonne et intelligente

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    dans le monde. Or un intelligent accord est ncessaire pourtoute action concerte; mais aussitt qu existe une contraintequelle qu elle soit, ou une autorit, subtile ou grossire, cetaccord nen est plus un. Veuillez voir pourquoi une comprhension tellement profonde est ncessaire et veuillez aussisavoir si vous tes vraiment daccord avec ce que je dis.Etre daccord nest pas une acceptation superficielle et tolrante de certaines ides que jexprime. Vous devriez considrer tout ce qui est impliqu dans ce que je dis, et savoirsi vous lapprouvez vraiment. Ceci exige de la rflexion et

    une analyse attentive, et alors seulement pourrez-vous accepter ou rejeter. La majorit dentre nous semble cder desassertions fortement rptes, mais je pense que vous perdriez votre temps si vous vous laissiez simplement convaincre par la frquence de certaines de mes affirmations. Unetelle abdication de votre part serait compltement inutileet mme nuisible.

    Dans ce monde, il y a tant dopinions et de thoriescontradictoires, tant daffirmations grotesques et de reven

    dications motionnelles, quil est difficile de discerner cequi est vrai, ce qui est d une aide relle la comprhensionet la ralisation individuelles. Ces affirmations, les unesfantastiques, les autres vraies, dautres violentes, dautresabsurdement embrouilles, sont cres et lances vers nouspar des livres, des priodiques, des confrenciers et nous endevenons les victimes. Elles promettent des rcompenses et,en mme temps, menacent et contraignent avec subtilit. Petita petit, nous nous laissons aller prendre position, attaquer et dfendre. Ainsi nous acceptons telle ou tellethorie, nous insistons sur tel ou tel dogme, et, inconsciemment, les assertions rptes des autres deviennent noscroyances, sur lesquelles nous essayons de modeler toutenotre vie. Ceci nest pas une exagration; cela se produit ennous et autour de nous. Nous sommes constamment bom

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    bards de revendications et dides souvent rptes et, mal

    heureusement, nous tendons prendre parti parce que notredsir inconscient est de trouver le confort et la scuritmotionnels ou intellectuels. Pour se satisfaire, ce dsirnous conduit accepter des affirmations. Dans de tellesconditions, et bien que nous nous imaginions examiner cesassertions et les vrifier intuitivement, nos esprits sont inaptes lexamen comme lintuition. Presque personnenchappe cette constante offensive de la propagande;et, malheureusement, cause de notre soif de scurit et

    de permanence, nous aidons crer et encourager desdclarations fantastiques.Lorsque lesprit-cur est surcharg de nombreuses bar

    rires, de prjugs, de distinctions nationales et sociales, ilest incapable de parvenir un accord intelligent. Ce quise produit nest pas un accord intelligent et conscient entredes personnes, mais une guerre de croyances, de doctrines,de groupes, dintrts investis. Dans cette bataille, lintelligence et la comprhension sont nies.

    Ce serait une calamit si de ces runions vous faisiezsurgir des dogmes, des croyances et des instruments decontrainte. Mes causeries nont pas pour dessein dengendrerdes croyances ou des idals, car ceux-ci ne peuvent quoffrir des vasions. Pour comprendre ce que je dis, lespritdoit tre libre de croyances et du prjug qui consiste dire je sais . Lorsque vous dites je sais , vous tesdj mort. Ceci ne veut pas tre une affirmation cruelle.

    Cest une tche trs srieuse que dessayer de dcouvrirce qui est vrai, pourquoi nous sommes ici, et o nous allons.Mais la solution superficielle de nos problmes immdiatsne nous mne pas cette dcouverte. Lesprit-cur doit selibrer des dogmes, des croyances et des idals dont la plupart dentre nous sont inconscients. Nous sommes ici pourdcouvrir intelligemment ce qui est vrai; et si vous compre

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    nez cela vous discernerez quelque chose de rel, non quelquechose que lon simpose ou quun autre a invent. Je vous

    prie de croire que je ne moccupe pas dides particulires,mais de la comprhension, du bonheur, de lpanouissementindividuels.

    Il y a beaucoup dinstructeurs qui offrent des systmes,des mditations, des disciplines, dont ils disent quils conduiront lultime ralit. Il y a beaucoup dintermdiairesqui insistent sur lobissance au nom des Matres, etbeaucoup dindividus qui affirment que Dieu, que la vrit

    existent. Malheureusement, jai moi-mme avanc ces affirmations dans le pass. Sachant tout cela, je me suis renducompte quau moment mme de lassertion, sa significationest dj perdue. Alors comment saisirons-nous ce monde decontradictions, de confusions, de croyances, de dogmes etde revendications? Par o commencerons-nous? Si noustentons de comprendre tout cela dun point de vue autreque celui de la comprhension de nous-mmes, nous neferons que multiplier les dsaccords, les luttes et les haines. Il y a beaucoup de causes, beaucoup de processus enactivit dans ce monde de devenir et de corruption, et lorsque nous essayons dexplorer chaque processus, chaquecause, nous arrivons invitablement devant un mur, devantquelque chose qui na pas dexplication, car chaque processus est unique en lui-mme.

    Lorsque vous vous trouvez face face avec linexplicable, la foi vient votre aide et affirme quil y a unDieu, quil nous a crs, que nous sommes ses instruments,que nous sommes des tres transcendants, des entits permanentes. Ou, si vous ntes pas inclins vers la religion,vous essayez de rsoudre ce problme par la science. Lencore vous essayez de suivre une cause aprs lautre, uneraction aprs une autre raction, et bien quil se trouve des

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    savants pour soutenir quil y a l une profonde intelligenceen action, ou qui emploient dautres symboles pour noustransmettre linexplicable, il vient pourtant un point audel duquel mme la science ne peut aller, car elle ne soccupe que de la perception et de la raction des sens.

    Je crois quil y a une faon de comprendre tout leprocessus de la naissance et de la mort, du devenir et dela dcomposition, de la douleur et du bonheur. Lorsque

    je dis je crois , cest afin de suggrer au lieu d tredogmatique. Ce processus ne peut tre vritablement com

    pris et fondamentalement saisi quen nous-mmes, car ilest centr en chaque individu. Nous voyons autour de nous,continuellement, le devenir et la dcomposition, lagonie etle plaisir passager, mais nous ne pouvons absolument pascomprendre ce processus en dehors de nous-mmes. Nousne pouvons le comprendre que dans notre propre conscience, travers le processus de notre moi; et si nous faisons cela,nous dcouvrons une possibilit de percevoir la significationde toute existence.

    Veuillez voir limportance de cela; sans quoi nous serons emptrs dans la question trs complexe du milieu etde lhrdit. Nous comprendrons cette question lorsquenous ne diviserons pas notre vie en pass et prsent, ensubjectivit et objectivit, en centre et circonfrence; lorsque nous nous rendrons compte du fonctionnement du processus du moi, de la conscience du moi. Ainsi que je laidit souvent, si nous ne faisons quaccepter le je commeun principe vivant, comme une entit divine dans lisolement, cre par Dieu, nous ne ferons que crer et encouragerlautorit, avec ses peurs et ses exploitations; et ceci ne peutpas conduire laccomplissement humain.

    Veuillez ne pas traduire ce que je dis au sujet du processus du moi dans la phrasologie particulire votrecroyance. Cela ne serait pour vous daucune aide; au

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    contraire, cela porterait la confusion; mais coutez, jevous prie, avec un esprit et un cur libres de prjugs.

    Le processus du moi est le rsultat de lignorance, etcette ignorance, comme l flamme alimente par lhuile,sentretient elle-mme par sa propre activit. En dautrestermes, le processus du moi, lnergie-moi, la consciencedu je est le fruit de lignorance et lignorance sentretientelle-mme par les activits quelle cre; elle est encourage et entretenue par lactivit de sa soif et de son besoinintrieurs. Cette ignorance na pas de commencement, et

    lnergie qui la cre est unique en chaque individu. Cetteunicit devient, pour la conscience, lindividualit. Le processus du moi est le rsultat de cette force, unique pourchaque individu, qui cre dans son auto-dveloppement sespropres matriaux en tant que corps, discernement, conscience, que nous identifions au je .

    Ceci est trs simple, mais semble compliqu lorsquonle met en mots. Si, par exemple, on est lev dans la tradition du nationalisme, cette attitude doit invitablement

    placer des barrires laction. Un esprit-cur rtrci etlimit dans son action par des prjugs ne peut que crerde nouvelles limitations. Cest vident. Si vous avez descroyances, vous traduisez et modelez vos expriences conformment elles, et ainsi vous contraignez et limitez continuellement la pense-motion. Ces limitations deviennentle processus du moi. Laction, au lieu de librer, au lieude dlivrer lesprit-cur des barrires quil sest imposes,cre de nouvelles et plus profondes limitations, et ces limitations accumules peuvent tre appeles lignorance. Cetteignorance est encourage, nourrie par ses propres activits, nes des dsirs crs par elle. A moins que vous neralisiez que lignorance est le rsultat de ses propres activits, autognratrices et qui sentretiennent elles-mmes,lesprit-cur doit indfiniment demeurer dans ce cercle vi-

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    deux. Lorsque vous comprenez cela profondment, vous

    voyez que la vie nest plus une srie de conflits et de conqutes, de luttes et dachvements qui conduisent lafrustration. Lorsque vous avez rellement une vision intrieure de ce processus dignorance, la vie nest plus une accumulation de douleurs, elle devient lextase dune flicit etdune harmonie profondes.

    La plupart dentre nous ont lide que le moi est un trespar, divin, quelque chose de durable qui devient de plusen plus parfait. Je ne suis daccord avec rien de tout cela.

    La conscience elle-mme est le (( je )>. Vous ne pouvez passparer le processus du moi de la conscience. Il ny a pasun (( je )) qui accumule de lexprience et qui soit autre choseque lexprience elle-mme. Il ny a que ce processus, cettenergie qui cre ses propres limitations, par ses besoins quise nourrissent deux-mmes. Lorsque vous percevez quilny a pas de je spar de laction, que lacteur est lactionelle-mme, alors graduellement arrive une plnitude, une

    batitude insondables.Lorsque vous saisissez cela, vous voyez quil nexisteaucune mthode pour vous librer de vos limitations, dela prison dans laquelle vous tes retenu. Le processus dumoi doit se dissoudre. Il doit se dtacher lui-mme delui-mme. Aucun sauveur, aucune adoration ne peuventvous sauver; les disciplines que vous vous imposez et lesautorits que vous crez ne sont daucun secours. Elles nefont que conduire plus dignorance et de douleur. Si vous

    pouvez comprendre cela, vous ne ferez pas de la vie unecruelle et terrible lutte pour lexploitation de lhomme.

    Q u e s t i o n . D im anche dernier, vous sembliez trs peu sr de ce que vous disiez, et quelques-uns dentre nous n'ontrien pu en tirer. Plusieurs de mes amis disent quils ne viennent plus vous couter parce que vous devenez vague !

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    et incertain au sujet de vos propres ides. Est-ce que cetteimpression est due un manque de comprhension en nous,

    ou est-ce que vous tes moins sr de vous-mme que vous ne l'avez t?

    KRISHNAMURTI. Vous savez, certaines choses ne peuvent pas tre mises en mots dune faon dfinitive, prcise.J essaye dexprimer ma comprhension de la vie aussi clairement que possible, et cest difficile. Parfois, je peux yrussir, mais il semble souvent que je ne puisse transmettre ce que je pense et sens. Si lon pense profondment

    ce que jai dit, cela deviendra clair et simple; mais celademeurera une simple conception intellectuelle sil ny a pasde comprhension en action. Quelques-uns dentre vous viennent constamment ces causeries, et je me demande cequi vous arrive dans les intervalles entre ces runions. Cestau cours de ces intervalles que vous pouvez dcouvrir silaction est libratrice ou si elle cre de nouvelles prisons etlimitations. Faonner vos vies est en vos mains, vous pouvezsoit comprendre soit augmenter lignorance.

    QUESTION. Comment peut-on tre libre des ractionsprimitives dont vous parle z?

    KRISHNAMURTI. Le dsir mme dtre libre cre sa propre limitation. Ces ractions primitives ou ignorantescrent des conflits, des troubles et de la douleur dans votrevie, et en vous en dbarrassant vous esprez acqurir autrechose, le bonheur, la flicit, la paix, etc... Alors vous

    me posez la question : Comment puis-je me dbarrasserde ces ractions? Vous voulez en somme que je vousdonne une mthode, que jtablisse un systme, une discipline, un mode de conduite.

    Si vous comprenez quil ny a pas de conscience spare en dehors du processus du moi, que le je est la cons

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    cience elle-mme, que lignorance cre ses propres limitations, et que le moi nest que le rsultat de sa propre action,alors vous ne penserez plus en termes de dnudation oudacquisition.

    Considrez par exemple la raction qui porte au nationalisme. Si vous y pensez, vous verrez que cette raction estignorante et nfaste non seulement pour vous, mais pour lemonde. Alors vous me demanderez : comment peut-onsen dbarrasser? Or pourquoi voulez-vous vous en dbarrasser? Lorsque vous saurez pourquoi vous voulez vous en

    dfaire, vous verrez comment elle a t engendre artificiellement et vous comprendrez toutes ses cruelles implications. Et lorsque vous comprendrez cela profondment,vous ne ferez plus un conscient effort pour vous dfairede cette raction ignorante, elle disparatra delle-mme.

    Lorsque lesprit-cur est prisonnier de peurs, de croyances qui le dominent un tel point, qui sont si puissantes,si crasantes quelles pervertissent la clart de la perception, cela ne vaut pas la peine de faire de grands

    efforts pour sen dbarrasser. Tout dabord il faut en treconscient et, au lieu de vouloir sen dbarrasser, dcouvrir si ces peurs et ces croyances existent ou non. Si lonessaye de sen dlivrer, on en cre inconsciemment, ou onen accepte dautres qui sont peut-tre plus subtiles. Maislorsquon voit comment elles ont t engendres, par ledsir de scurit, de tranquillit, cette perception mme lesdissoudra. Ceci exige une grande vigilance de lesprit-cur.

    Il existe une lutte entre ces valeurs tablies et les valeursindfinies sans cesse changeantes, entre ce qui est fixe etle libre mouvement de la vie, entre les critriums, les conventions, les mmoires accumules, et ce qui na pas dedemeure fixe. Au lieu dessayer de poursuivre linconnu,examinez ce que vous avez, le connu, les prjugs tablis,

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    les limitations. Comprenez leur signification; alors ces entraves disparatront comme le brouillard au matin. Lorsquon

    se rend compte que ce quon croyait tre un serpentdans lherbe nest quune corde, on na plus peur, il ny aplus de lutte, de victoire. Ainsi lorsque, par une profondeperception, nous voyons que ces limitations sengendrentelles-mmes, notre attitude en face de la vie nest plus unesprit de conqute, ni un dsir de nous faire librer parquelque mthode ou quelque miracle, ni une recherche de

    a vrit en dehors de nous. Mais nous ralisons par nous-mmes que, bien que ce processus dignorance semble

    navoir pas de commencement, il a une fin.

    19 A vril 1936.

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    QUATRIEME CAUSERIE

    Beaucoup dentre vous viennent ces runions aveclespoir que, par quelque miracle, je rsoudrai leurs difficults, conomiques, religieuses ou sociales. Et si je nepuis les rsoudre, ou si vous tes incapables de les rsoudre par vous-mmes, vous esprez que quelque vnement,que quelque circonstance miraculeuse les dissoudront; oubien vous vous perdez dans quelque systme philosophique,ou vous esprez quen appartenant une glise ou unesocit vos difficults disparatront delles-mmes.

    Ainsi que jai souvent essay de le montrer, ces problmes, quils soient sociaux, religieux ou conomiques, ne seront pas rsolus par ladhsion un systme particulier quelquil soit. Ils doivent tre rsolus comme un tout et chacunde nous doit profondment comprendre son propre proces

    sus, par lequel il cre lignorance et se laisse prendre parelle. Comprendre ce processus daccumulation de lignorance et son activit qui sentretient elle-mme, percevoirla conscience comme une combinaison de lignorance et delaction, cest comprendre profondment cette existence deconflit et de douleur. Mais malheureusement la plupart dentre nous sont indiffrents. Nous attendons que des circonstances extrieures nous contraignent penser, mais cettecontrainte ne peut quengendrer plus de souffrance et de

    confusion. Vous pouvez vrifier cela par vous-mmes.Et il y a aussi ceux qui font dpendre leur comprhension et leur tranquillit de la foi. Ils pensent quil y aun tre suprme qui les a crs, qui les guidera, qui lesprotgera et les sauvera. Ils croient avec ferveur quen suivant une certaine croyance ou un certain systme de pen

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    se, et quen se contraignant couler dans un certain mouleleur conduite et leur discipline, ils parviendront la vie

    suprme.Ainsi que jai essay de lexpliquer dimanche dernier,la foi, ou lacceptation, est un obstacle la profonde comprhension de la vie. La plupart dentre nous, malheureusement, sont incapables dexprimenter par eux-mmes ounont pas envie de faire cet effort; nous navons pas enviede penser profondment et de passer par la relle agoniede lincertitude. Alors nous puisons dans la foi notrecomprhension et notre tranquillit. Souvent nous pensons

    avoir chang radicalement, et que notre attitude est compltement transforme, mais malheureusement nous ne faisonsque changer les formes extrieures de notre expression, etnous nous accrochons encore lavidit que nous avons denous appuyer et de nous tranquilliser.

    La plupart dentre nous appartiennent la catgoriede ceux qui cherchent dans une foi explication de leurtre. J inclus dans la foi les nombreuses et subtiles demandes, les prires et les supplications un tre extrieur, quilsoit un Matre ou un saint; et aussi lappel lautorit descroyances, des idals et des disciplines que lon simpose soi-mme. Possdant une telle foi, avec tout ce quelleimplique, nous crons ncessairement une dualit dansnotre vie, cest--dire un personnage qui, sans cesse, essayede se rapprocher, lui et son action, dune ide, d'un modle, dune croyance, dun idal. Il y a ainsi en nous uneconstante dualit. Examinez votre propre attitude et votre

    action dans la vie, et vous verrez qu il semble exister envous une entit spare qui regarde Faction, qui essaye defaonner, de mouler le processus de la vie selon un certain modle, avec comme rsultat une lutte et une souffrance toujours plus grandes. Observez cette dualit luvre, et vous verrez quelle est la cause de heurts, de conflits et

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    de misres, car leffort de chacun sapplique conformer savie suivant un modle ou un concept particuliers. Nous

    croyons quun homme est heureux et intelligent lorsquil estcapable de vivre en union complte avec son idal, avecses croyances prtablies. Une personne capable de conformer compltement ses actions un principe, un idal,nous la considrons sincre, sage et noble. Mais ce nestl quune forme de rigidit, un manque de souplesse, doncune dcomposition.

    Ainsi, dans nos vies, il y a labstrait et lactuel : Factuelest le conflit, labstrait est linconscient fait de ces croyances et idals, de ces concepts et mmoires que nous avonssi assidment rigs comme moyens dautoprotection. Enchacun existe ce conflit entre labstrait et Factuel, entrelinconscient et le conscient. Chacun essaye sans cesse de

    jeter un pont entre linconscient et le conscient, et cettetentative doit mener la rigidit de lesprit-cur, donc un desschement, une contraction, qui empchent la complte comprhension de soi-mme, donc du monde. On pense

    souvent que cette tentative dunifier Factuel et labstraitprovoquera un profond panouissement, mais elle nest quunefaon subtile de fuir le conflit de la vie, une autoprotectioncontre le mouvement de la vie. On sen aperoit lorsquonlexamine soigneusement.

    Avant que nous puissions tenter dinstaurer cette unit,nous devons savoir ce quest notre inconscient, qui Fa cret quelle est sa signification. Si nous pouvons comprendrecela profondment, si nous pouvons en somme percevoirclairement nos mobiles subtils, nos concepts, nos vanits,nos actions et ractions, nous verrons quil ny a pas autrechose que la conscience, que ce processus du moi, qui devient perceptible aux sens en tant quindividualit. Ce processus doit indfiniment crer une dualit en action et engendrer la division artificielle entre le conscient et Fincons-

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    cient. De ce processus surgit la conception dune divinitsuprme, dun idal, dun but vers lesquels nous exerons

    de constants efforts. Tant que nous ne comprenons pas ceprocessus, lignorance, donc la douleur, doivent exister.

    Lignorance est la non-comprhension de soi. Pour secomprendre, on doit discerner comment on est entr enexistence, ce que lon est, voir ses tendances, ses ractions,ses mobiles cachs, ses croyances et les poursuites que lonsest imposes. Tant que chacun ne comprend pas cela, ladouleur ne peut cesser et la confusion de laction diviseen domaines conomiques et religieux, publics et privs, continuera. Les problmes humains qui maintenant nous troublent ne disparatront que lorsque chacun sera capable dediscerner ce processus de l'ignorance qui sentretient de lui-mme. Discerner exige de la patience et une constante etlucide vigilance.

    Ainsi que je Fai expliqu, il ny a pas de commencement Fignorance; elle est soutenue par sa propre avidit, parles exigences et les poursuites de son dsir dacqurir; quant

    notre action, elle nest autre chose que le moyen de fairedurer Fignorance. Ce processus de Fignorance et de Factionqui agissent lune sur Fautre engendre la conscience et identit du moi. Tant que vous ne savez pas ce que voustes, tant que vous ne discernez pas les diffrentes causesde ce processus continu du moi, il y a forcment illusionet douleur.

    Chacun de nous est unique en ce sens que chacun crecontinuellement sa propre ignorance, qui na pas de com

    mencement et qui sentretient elle-mme par ses propresactions. Cette ignorance, bien qu elle nait pas de commencement, peut parvenir une fin grce une profonde perception de ce cercle vicieux. Alors le moi nessaye plusde sortir de ce cercle vers une plus grande ralit, mais ilperoit sa nature illusoire et sloigne ainsi lui-mme de

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    lui-mme. Ceci exige une vigilance et une lucidit conti

    nuelles.Nous faisons maintenant un effort pour acqurir des vertus, des plaisirs, des possessions; nous cultivons de nombreuses capacits daccumulation et dautoprotection; ou,si nous ne faisons pas cela, nous abordons ces choses ngativement en les niant et en essayant une nouvelle srie descurits subtiles. Si vous examinez ce processus soigneusement, vous verrez que la conscience, la pense, sisole sanscesse, par des dsirs dacquisition et dautoprotection. Dans

    ce processus sparatif, la dualit est cre, qui engendre desconflits, des souffrances et de la confusion. Le processusdu moi cre lui-mme ses propres illusions, ses douleurs, parlignorance quil engendre. Pour comprendre ce processus,il faut une lucidit dpouille de tout dsir de choisir entredeux contraires. Le choix dans laction cre la dualit,et ceci affirme le processus de conscience en tant quindividualit. Si, ignorant ses propres vux secrets, ses poursuites, ses espoirs et ses craintes, lesprit-cur se livre

    un choix, il engendre forcment de nouvelles limitations etfrustrations. Ainsi, par le manque de comprhension denous-mmes, nous avons des choix faire. Ces choix crentdes circonstances qui ncessitent une nouvelle srie de choix faire, et ainsi lesprit-coeur est pris encore et encore dansle cercle des limitations quil se cre lui-mme.

    Ceux dentre vous qui veulent mettre en pratique ceque je dis dcouvriront bientt quil nexiste ni entit ext

    rieure ni milieu qui nous guident, et que nous sommes entirement responsables de nous-mmes, de nos limitations etde nos douleurs. Lorsquon voit cela, on se rend compte quele milieu nest pas par lui-mme une force spare qui contrle, qui domine, qui dforme lpanouissement de lindividu. Mais on commence se rendre compte quil ny aque de la conscience, perue en tant quindividualit, et

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    qui ne cache ni ne recouvre aucune ralit. Le processusdu moi ne sachemine pas vers la ralit, vers une intelli

    gence et un bonheur plus grands, mais il ne cesse de crerlui-mme sa propre douleur et sa confusion.

    Prenez un exemple trs simple et vous pourrez le voirpar vous-mmes. Beaucoup dentre vous ont des croyances trs enracines, quils considrent tort comme lersultat de lintuition : elles sont le rsultat de peurs secrtes, daspirations et despoirs. De telles croyances nous guident inconsciemment, elles nous contraignent certaines acti

    vits, et nous traduisons toute notre exprience conformment elles. Il ne rsulte de cela aucune comprhensionde la vie, mais un simple emmagasinement de mmoiresautoprotectrices qui augmentent en intensit et en limitationpar de nouvelles expriences. Si vous tes lucidement conscients, vous observerez que ce processus a lieu en vous, etque vos activits tendent vers un critrium, vers un idal.Le fait darriver tout prs dun idal sappelle succs,accomplissement, bonheur; mais ce quon a rellement

    accompli cest, par lvasion, une rigidit, un isolementcomplet, une autoprotection, une scurit; et ainsi on necomprend pas la vie, on ne fait pas cesser lignorance, sadouleur et sa confusion.

    Q u e s t i o n . Quel est le but de la souffrance? Est-ce celui de nous enseigner ne pas rpter la mme faute?

    K r i s h n a m u r t i . Il ny a pas de but dans la souffrance. La souffrance existe cause dun manque de com

    prhension. La plupart dentre nous souffrent conomiquement, spirituellement, ou dans leurs rapports avec les autres.Pourquoi y a-t-il cette souffrance? Economiquement, nousavons un systme bas sur le sens dacquisition, sur lexploitation, sur la peur; ce systme se trouve encourag et maintenu par nos soifs et nos poursuites, et il sentretient ainsi

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    lui-mme. Le sens dacquisition et un systme dexploitation doivent aller ensemble et ils sont toujours prsentsquand existe ignorance de soi. Cest encore un cerclevicieux; notre soif, nos besoins ont produit un systme, etce systme se maintient en nous exploitant.

    Il y a souffrance dans nos rapports avec les autres. Cettesouffrance est cre par notre avidit de tranquillit, descurit,- de possession. Il y a ensuite la souffrance que causela profonde incertitude, qui nous pousse trouver la paix,la scurit, la ralit, Dieu. Ayant soif de certitude, nous

    inventons de nombreuses thories, nous crons de nombreuses croyances, et lesprit devient limit par elles, ilsy embourbe jusqu se faire recouvrir par elles; il devientde la sorte incapable de sajuster au mouvement de la vie.

    Il y a beaucoup de sortes de souffrances, et si vous commencez discerner leur cause, vous verrez quil y a forcment souffrance lorsque chaque individu exige sa proprescurit, soit financire, soit spirituelle, soit dans ses rapports humains. O existe une recherche de scurit, grossire ou subtile, la peur, lexploitation, la douleur doiventforcment se trouver.

    Au lieu de comprendre la cause de la douleur, vousdemandez quel est son but. Vous voulez utiliser la douleur pour gagner quelque chose. Alors vous commencez lui inventer un but; vous dites que la douleur est le rsultat dune vie antrieure, ou le rsultat du milieu, etc... Cesexplications vous satisfont, alors vous persistez dans votre

    ignorance, en subissant le constant retour de la douleur.La souffrance existe l o existe lignorance de soi. Elle

    nest que lindication dune limitation, du fait quon est incomplet. Il ny a pas de remde la souffrance elle-mme.Dans la perception du processus de lignorance, la souffrancedisparat.

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    QUESTION. N est-il pas vra i que les bonnes actionssont rcompenses, et quen menant une vie charitable et

    ju ste nous parviendrons au bonheur?

    K r iSHNAMURTI. Qui vous rcompense? La rcompense dans ce monde sappelle russir dans la vie, parvenirau sommet, en exploitant les gens, ou en tant dcor parle gouvernement, par votre parti, etc... Et si ce genre dercompense vous est ni, vous en voulez un autre, unercompense spirituelle : vous voulez devenir le disciple dun

    matre, ou obtenir une initiation, ou quon admette quevous avez fait du bien dans votre vie passe.

    Pensez-vous srieusement quune telle chose existe, si cenest comme une incitation purile? Pensez-vous quelle aitaucune validit? Etes-vous bons, aimez-vous, parce quevous serez rcompenss maintenant ou dans une vie future?Vous pouvez en rire, mais si vous examinez et comprenezprofondment vos mobiles et vos actes, vous verrez quils sontcolors par cette ide de rcompense et de chtiment. Ainsinos actions ne sont jamais intgrales, compltes, pleines. Decette insuffisance surgissent la douleur et les conflits, et nosvies deviennent mesquines, troites, elles nont pas une profonde signification.

    Sil ny a ni rcompense ni chtiment, mais la totalelibration de la peur, quel est le but de la vie, demanderez-vous? Et il vous sera naturel de poser cette question,parce que vous avez t entrans penser en termes de

    rcompenses et de chtiment, dachvement et de luttes, detoutes ces qualits qui composent ce que vous pensez trela nature humaine. Mais vous verrez que lorsque nous comprenons profondment la signification de notre existence, duprocessus de lignorance et de laction, ce que nous appelons but, raison dtre, na plus de sens. La simple recher

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    che du but de la vie nous cache la comprhension de nous-mmes, et nous gare.

    Le mot rcompense n'a pas de sens : ce nest que lacompensation de l'effort que vous avez dploy. Tout effort dploy en vue de gagner une rcompense, ici ou danslau-del, conduit la frustration, et la rcompense devientautant de poussire dans votre bouche.

    Q u e s t i o n . N e considrez-vous pas la philanthropie comme un lment important en vue de crer un nouveaumilieu qui conduira vers le bien-tre de l'homme?

    K r i s h n a m u r t i . Si la philanthropie est lamour delhomme et l'effort dinstaurer son bonheur, elle naura devaleur que dans la mesure o nous considrons que chaqueindividu.est unique, et o nous l'aiderons comprendre quecest dans ses mains que se trouvent le bonheur et le bien-tre de tous. Mais, je le crains, ceci ne serait pas considrcomme de la philanthropie; car la plupart dentre nous ne serendent pas compte quils sont uniques, que la cration

    de lignorance et de la douleur demeure en leur pouvoir,et que ce nest quen la comprhension de soi quest la dlivrance de ce processus. Si ceci tait pleinement et profondment compris, la philanthropie aurait un sens.

    La charit devient une simple compensation, et avec ellevont toutes les subtiles et grossires exploitations auxquellesFhomme sest si bien accoutum.

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    CINQUIEME CAUSERIE

    Je voudrais ce matin exposer une ide qui, si nous pouvons la saisir, non pas tellement comme un fait, mais profondment dans toute sa signification, aura, je crois, unevaleur relle dans nos vies. Veuillez donc maider, en pensant avec moi.

    Nous avons, la plupart dentre nous, cr un conceptque nous appelons la ralit, limmortalit, le quelque chosequi demeure, qui est ternel. Nous sommes vaguement ports rechercher ce que nous appelons Dieu, la vrit, laperfection, et nous nous efforons constamment de raliserces idals et ces conceptions. Pour nous aider atteindreces objectifs nous avons des systmes, des modes de conduite, des disciplines, des mditations et dautres aides. Cesaides englobent tout lappareil des glises, des crmonials

    et des autres formes dadoration, et tout cela est cens nousaider raliser ces conceptions de la ralit que nous noussommes cres nous-mmes. Ainsi nous avons mis en mouvement le processus du besoin, du vide intrieur.

    Il y a en nous une avidit perptuelle, un effort constant vers une satisfaction que nous appelons la ralit. Nousessayons de nous conformer un modle, un systme particulier de conduite, de comportement, qui nous permetde nous donner la satisfaisante comprhension de ce quenous appelons la ralit, le bonheur.

    Cette avidit est tout fait diffrente de la recherche.Elle indique un vide, une tentative de devenir quelque chose,tandis que la vraie recherche conduit une profonde comprhension. Avant que nous ne puissions comprendre cequest la vrit, la ralit, ou mme savoir si une telle chose

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    existe, nous devons discerner, percevoir, la nature de ce quicherche. Quest-ce qui est sans cesse m par lavidit?

    Quest-ce qui a toujours soif, qu'est-ce qui toujours poursuit une ralisation? Tant que nous naurons pas compriscela, iavidit sera un processus sans fin qui empchera levrai discernement; ce sera un continuel effort sans entendement, un aveugle conformisme, une peur incessante avecses nombreuses illusions.

    Donc la question nest pas : Q uest-ce que la ralit,Dieu, 1immortalit, et devons-nous y croire ou non , mais

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    ment apprhend que par un individu dont le discernement sest veill.

    Vous voyez une chose qui vous plat, vous la dsirez,vous vous en emparez. Ainsi schafaude le processus deperception, davidit et dacquisition. Ce processus sentretient indfiniment lui-mme. Il y a une perception voulue,une attraction ou une rpulsion, une possession ou un rejet.Le processus du moi est ainsi actif en soi-mme par soi-mme. Je veux dire que non seulement il senfle lui-mme par ses propres dsirs et actions volontaires, maisquil se maintient en existence par sa propre ignorance, sestendances, ses avidits, ses soifs. La flamme sentretient parsa propre chaleur, et la chaleur elle-mme est la flamme.Or, exactement de la mme faon, le moi se maintientlui-mme en existence par son avidit, ses tendances et sonignorance. Et pourtant le moi lui-mme est avidit. Pourla flamme, la matire peut tre une bougie ou un morceaude bois, et pour le processus du moi la matire est la sensation, la conscience. Ce processus est sans commence

    ment, et est unique pour chaque individu. Examinez-le, etvous verrez combien il est rel, actuel. Il ny a pas autrechose que le j e ; ce j e ne recouvre rien,aucune ralit. Il est lui-mme, et il se maintient lui-mmecontinuellement par ses propres exigeances et par ses activitsvolontaires.

    Donc ce processus, ce continuel processus davidit, cresa propre confusion, sa douleur et son ignorance. O existeune soif intrieure il ne peut y avoir de discernement. Ceci

    est trs simple, si lon y pense bien. Vous tes assoiffde bonheur. Vous cherchez le moyen de lobtenir. Quelquun vous offre ce moyen. Or votre esprit-cur est si aveugl par son intense dsir de bonheur quil est incapablede discernement. Bien que vous puissiez croire que vousexaminez et que vous analysez le moyen qui vous est offert,

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    pourtant cette profonde soif de satisfaction, de bonheur, descurit, empche la clart de la comprhension. Donc l o

    existe une avidit il ne peut y avoir de vrai discernement.Par avidit nous crons de la confusion, de l'ignorance

    et de la souffrance, et ensuite nous mettons en mouvementle processus de lvasion. Cette vasion, nous lappelons larecherche de la ralit. Vous dites : Je veux trouver Dieu,

    je veux parvenir la vrit, la libration; je cherche limmortalit . Vous ne vous demandez jamais quel est le je qui cherche. Vous avez accept comme une vidence de

    fait que le je est quelque chose de durable, quil est quelque chose en soi, et quil est cr par quelque suprme entit.Si vous lexaminez profondment vous verrez que le moinest pas autre chose quune auto-accumulation dignorance,de tendances, de besoins, et quil ne recle rien lintrieurde lui-mme.

    Ds que vous aurez profondment saisi cela, vous nedemanderez jamais : Dois-je me dbarrasser de tousmes besoins? Dois-je tre sans croyances? Ne dois-je avoir

    aucun idal? Dois-je tre sans dsirs? Est-ce mal dtreavide? . Com prendre tout ce processus du moi exige devotre part une relle pense et une profonde pntrationpar discernement. Si vous comprenez la naissance, ren-tre en existence de la conscience au moyen de la sensation, du dsir, et si vous voyez que de la consciencenat cette unit quon appelle le moi, qui en lui-mme nerecle aucune ralit, alors vous vous veillerez la naturede ce cercle vicieux. Lorsquon saisit sa signification, il surgit une comprhension nouvelle, un nouveau quelque chosequi n est pas entran par le besoin, par lavidit, par l'ignorance. Alors vous pouvez vivre dans ce monde dune faonintelligente et saine, en profond panouissement, et pourtantntre pas du monde. La confusion ne surgit que lorsquevous devenez incapable dajustement cause de vos con

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    ceptions fantastiques et nuisibles, de vos idals et de voscroyances.

    Si vous pouvez comprendre profondment ce processusde lignorance, qui salimente lui-mme, qui donne une solidit au moi, et do surgissent toutes les confusions et lessouffrances, vous verrez que la vie pourra tre vcue pleinement, sans les nombreuses et subtiles vasions et poursuites que, sans le savoir, vous avez cres vous-mmes.Alors natra un extraordinaire quelque chose, une plnitude,une batitude. Mais avant que ceci puisse se produire, ondoit avoir une profonde comprhension du processus dumoi. Sans cette comprhension, le processus du moi creincessamment, par son avidit, une dualit en lui-mme.Lorsquil y a discernement, la poursuite de la vertu, la tentative de sunir avec une ralit, avec Dieu, perd toutesignification. Le discernement de ce processus ne peut pasexister si lon accepte une croyance quelle quelle soit, ousi lon poursuit un idal, ou si lon se conforme un modequelconque de conduite. Il vous faut discerner par vous-

    mmes, dune faon profonde et dans toute sa signification,la cause de cette misre, de cette confusion et de cetteignorance, quengendre lveil du processus du moi. Alorssurvient une batitude qui na pas de mots sa mesure.

    Q u e s t i o n . Dans les liens que crent les rapports humains, on peut tre oblig, par la nature mme deces rapports, de faire quelque chose que lon na pas envie de faire. Pensez-vous que lon puisse vivre avec plnitude

    dans de tels liens?K r i s h n a m u r t i . Avant de pouvoir comprendre ce que

    cest que vivre pleinement, tchons de dcouvrir ce quenous entendons par rapports humains. En fait, il sagit demorale. Les rapports sociaux impliquent des contacts vivants,que ce soit avec une seule personne ou avec beaucoup de

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    monde. Ces rapports, sociaux et moraux, deviennent impossibles lorsque nous, en tant quindividus, sommes inca

    pables de souplesse. Je veux dire que si lon est limit, limitpar lignorance, par des tendances, par des formes diversesde lacquisition et de lavidit, il y a une barrire, uneentrave qui empche tout contact vivant avec les autres. Etcomme les autres aussi ont les mmes limitations, tout vrairapport devient presque impossible. Puisque ce contactvivant nexiste pas, nous crons un mode de conduite quenous appelons la morale, et nous essayons de forcer notreconduite se conformer cette morale, ce critrium. Sinous considrons les rapports humains comme tant la vraie,la profonde comprhension de nous-mmes, nous leur donnerons, ainsi qu la morale, un sens tout fait diffrent decelui quils ont actuellement.

    La plupart dentre nous pensent que des codes, dessystmes, des disciplines dordre moral sont ncessaires. Ilse peut quils soient ncessaires pour ceux qui sont incapablesde penser profondment, mais personne ne peut juger les

    autres et dire quils sont incapables de penser. Ne ditespas quun tel ou un tel ont besoin dun code de discipline.On doit dcouvrir pour soi-mme cette morale active, cesrapports vivants avec les autres, et ceci exige une souplesseprofonde et cratrice, qui ne peut tre exprimente quelorsque les limitations individuelles sont clairement perues,et que leurs causes sont comprises. Lorsque votre vie estune vie dacquisition et davidit, il y a ncessairement unetension continuelle avec les autres, qui aussi veulent acqu

    rir, et ceci empche tout rapport vrai, que ce soit entre individus ou entre nations. Et cette tension conduit des conflits, des guerres et aux nombreuses formes dexploitation,grossires ou subtiles.

    Si vous tes conscients de vos propres exigences, de vosnombreuses formes dacquisition, et si vous comprenez ainsi

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    le processus auto-actif de lignorance, vous navez plus choisir, retenir, rejeter, mais ces avidits et ces soifs

    susent, elles tombent comme des feuilles en automne. Alorspeuvent stablir des rapports vrais, dans lesquels cettelutte constante pour sadapter aux autres nexiste plus.

    QUESTION. En mditant sur le Matre, on peut raliser la batitude de lunion avec lui. Dans cet tat, toutsens du moi disparat. N est-ce pas d une grande valeur pourbriser les limitations du moi?

    K r i s h n a m u r t i . Certainement pas. Cela ne peut

    jamais ltre. La question est mal pose. Examinons-la.D abord , comprenons ce que vous entendez par M atre.

    Malheureusement, beaucoup de livres ont t crits au sujetdes Matres, des initiations, des disciples, et de nombreusessocits soi-disant spirituelles ont t formes autour de cela.Il existe de nombreux swamis et yogis qui encouragentet cultivent toutes ces ides. Vous qui cherchez une satisfaction que vous appelez bonheur et vrit, vous devenez

    leurs instruments et tes exploits par ces instructeurs, ceschefs, et leurs socits.Un Matre peut tre soit un concept soit une ralit. Sil

    est un concept, une thorie, il ne peut jamais devenir dogmatique. Alors la question est ouverte la spculation, afindtre discute du point de vue de ce quon appelle lvolution. Dans ce cas elle doit demeurer abstraite et ne peut

    jamais tre employe comme une ralit dans le but demettre en pratique certaines activits, certaines actions, cer

    tains modes de conduite. Etant une abstraction, elle na pasle stimulant de la peur, en tant que rcompense ou chtiment. Mais il nen est pas ainsi de ceux qui parlent desMatres et de leur travail. Us confondent labstraction et laralit. Tantt ils parlent de lide abstraite des Matres, etlinstant daprs ils en font une ralit en vous disant vous,

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    les adeptes, ce que les Matres dsirent que vous pensiezet fassiez. Ainsi vous tes pris dans la confusion, et, assez

    curieusement, ce sont vos propres exigences qui crent cetteconfusion. Ce processus par lequel on transforme les Matres en entits relles commence lentement, par des allusions et des messages, jusqu' ce que vous croyiez que voschefs les ont rellement rencontrs, et que ces tres leur ontdit comment sauver lhumanit. Et vous, par ce que vousappelez dvotion, qui est en ralit de la peur, vous suivezces chefs, et tes exploits. Ainsi, il y a un continuelmlange de labstraction et du concret.

    Qui doit dire ce quest un Matre? Pour les uns, unMatre est une personne qui possde un pouvoir extraordinaire, et pour dautres il est celui qui rvle quelque connaissance particulire. Mais la sagesse ne sacquiert pas par unautre, ni par un Matre ni par un savant. Pour dire si quelquun est un Matre, vous vous basez sur votre tempramentparticulier, sur vos prjugs et vos tendances. Il en estforcment ainsi, mme poui: ceux qui sont senss reprsen

    ter les Matres. Selon les lments particuliers qui les dterminent eux-mmes, les gens jugent toujours les autres, leursmatres ou leurs voisins. Vous ne mettez jamais en questionles lments qui dterminent celui qui dclare reprsenter lesMatres, et quil est leur messager, car vous cherchez lebonheur et vous voulez quon vous guide, quon vous diseexactement quoi faire. Alors vous obissez par peur. Cestce que vous appelez amour, intuition, choix volontaire ouloyaut. Vous croyez avoir examin, analys, compris, et

    vous pensez tre daccord intuitivement avec ce que disentvos chefs particuliers. Mais vous ne pouvez avoir de vraidiscernement, car vous tes emport par vos intenses apptits. Donc, malheureusement, les gens, dans ce pays et ailleurs, tombent dans le pige de lexploitation.

    Je ne vous demande pas dtre daccord avec moi, mais

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    si, sans aucun besoin intrieur, vous examinez toute cetteide de Matres qui vous conduisent la vrit, vous verrez

    combien elle est stupide. Si vous avez tant soit peu comprisce que jai expliqu du processus du moi, vous ne mditerez pas sur un Matre, ni dans la forme de ce que vousappelez un idal lev ou le moi suprieur, ni dans laforme dune image grave dans votre esprit par des reproductions et par la propagande. De telles formes de mditation deviennent simplement des vasions subtiles. Bien quevous puissiez en retirer une certaine sensation, et vous enmerveiller, et en tre enthousiasm, vous verrez quellesnont aucune validit, mais qu elles ne mnent qu unerigidit de lesprit-cur.

    La mditation est une lucidit et une plasticit constantes,non une adaptation un modle quel quil soit, ni unmode de conduite. Essayez dtre conscient de vos caractristiques particulires, de vos fantaisies, de vos ractions etde vos aspirations dans votre vie quotidienne, et comprenez-les : de l surgit la ralit de laccomplissement: Pour

    cette profonde comprhension, il ne peut y avoir de systme. Aucun Matre ne peut jamais vous les donner, nivous y conduire. Si quelquun prtend pouvoir le faire, cenest pas un Matre. Le processus cl ignorance auto-active,et sa perception, sont uniques en vous-mme. Un autre nepeut pas vous en librer. Mfiez-vous de celui qui soffre dtruire pour vous les murs de votre limitation. Si rellement vous comprenez cela, vous verrez quel changementessentiel se produira dans votre vie. Etant libre de la peur

    et du vide intrieur, quon appelle si souvent amour, dvotion, vous ne serez plus exploit par des glises, par dessocits soi-disant religieuses et spirituelles, par des prtres,par les soi-disant messagers des Matres, par les swamiset les yogis. La vraie mditation est la perception du processus unique et particulier par lequel chacun cre ligno

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    rance et est pris par elie : elle consiste percevoir ce processus, et en tre conscient.

    QUESTION. Le systme conomique ne pourra changer que lorsque changera la nature humaine, et celle-ci ne changera pas tant que ce systme existera, qui lencourage demeurer telle quelle est. Comment, alors, se produira la transformation?

    KRISHNAMURTI. Pensez-vous que ce systme soit entr en existence spontanment, de lui-mme? Il est cr par

    la nature humaine, ainsi que vous lappelez. Cest dabord lanature humaine qui doit changer, et non le systme. Unsystme peut aider ou gner, mais foncirement lindividudoit commencer se transformer lui-mme.

    Il est bien certain que si vous pensiez profondment toute la question de la guerre, par exemple, de cet assassinat grande chelle, de cet assassinat en uniformes, avec dcorations, cris de joie et de louanges, trompettes, tendards etbndictions de prtres; si vous pensiez et sentiez profond

    ment tout cela; si vous vous rendiez compte de la cruautet des absurdits infantiles que cela comporte, et de leffroyable maltraitement de lhomme oblig devenir unemachine militaire grce aux nombreux moyens dexploitation, tels que le nationalisme, etc.; si vous, en tant quindividus, perceviez rellement cette horreur, srement vousrefuseriez dtre utiliss pour faire durer la guerre et lexploitation. Vous, en tant quindividus, vous ne seriez pasutiliss, exploits par la propagande. Vous, en tant quindividus, vous perdriez tout sentiment de nationalit.

    Comment changerons-nous un systme dexploitation quelquil soit, conomique, religieux ou social, si nous ne commenons par nous-mmes, si nous ne voyons profondment lancessit dun tel changement non pas seulement pourun instant, pendant ces runions, mais continuellement dans

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    nos vies quotidiennes? Mais lorsque vous sentez la pression dun systme sexercer sur vous par votre voisin, par

    votre patron, par vos employs, il devient trs difficile pourvous de conserver cette profonde comprhension. Donc les-prit-cur doit percevoir la totale ncessit de se librer de sesbesoins apparemment incessants. Comme ceci exige un effortindividuel qui ne nous plat pas, nous comptons sur unsystme pour sortir de cette misre; nous esprons quunsystme nous forcera nous conduire dune faon dcenteet intelligente. Cette voie conduit la rglementation et

    de plus grandes misres, non laccomplissement.A moins que vous ne sentiez tout cela profondment, etque vous ne fassiez un effort pour vous librer des limitations que vous vous tes imposes vous-mmes, le systme vous emprisonnera, le systme deviendra un processus qui se nourrira de lui-mme. Bien quil soit sans vie,il sera entretenu par vos propres nergies individuelles. Iciencore il y a un cercle vicieux. Le vide de lindividu cre lesystme dexploitation, et le systme entretient ce vide. Alorslindividu est pris par cette machine, et dit : commentpuis-je en sortir? Il compte sur dautres pour quils leconduisent au dehors, mais il ne sera conduit que dans uneautre prison, dans un autre systme dexploitation. Cest lui,lui-mme, par son ignorance dont le processus est autoactif, qui a cr la machine qui le tient; et ce nest que parlui-mme, par son propre discernement du processus du moi,que pourront jamais exister la vraie libert et lpanouis

    sement.QUESTION. A de rares instants il arrive que l'on nest

    pas conscient de soi comme d'une entit pensante spare.Cependant, la plupart du temps, on est conscient de soi, etlon sent qu'on oppose une rsistance la vie. Expliquez, je vous prie, pourquoi il p a cette rsistance.

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    K.RISHNAMURTI. Est-ce que le prjug nest pas unersistance? Et le prjug est bien profondment enracin :prjug de classe ou de nationalit, croyance religieuse ouautres formes de croyances. De telles tendances sont desformes du processus du moi. A moins que nous ne percevions ce processus qui cre des croyances, des prjugs, destendances, il y aura toujours rsistance la vie. Par exemple, si vous tes une personne religieuse et si vous croyezfermement limmortalit, cette croyance agit comme unersistance la vie, et empche la comprhension mme de

    limmortalit. Cette croyance renforce continuellement labarrire, la rsistance, parce quelle a ses fondations danslavidit. Vous croyez que pour vous, lindividu, il y a unecontinuit, un refuge o vous serez sauv pour toujours.Cette croyance peut tre subtile ou grossire, mais en essenceelle est une soif de continuit personnelle. Comme la majorit des personnes ont cette croyance, lorsque la ralit commence se montrer elles ne peuvent que la rejeter et, parconsquent, elles lui rsistent. Une telle rsistance cre des

    conflits, de la misre, et de la confusion. Mais vous nevoulez pas lcher cette ide de l'immortalit parce quellevous donne un espoir, un encouragement, la profonde satisfaction de la scurit.

    Nous avons beaucoup de prjugs, subtils ou grossiers, etchaque individu, tant unique, entretient sa propre ignorancepar ses activits volitives. Si vous ne comprenez pas pleinement, dans sa totalit, cette ignorance auto-active, vouscrez constamment des barrires, des rsistances, donc unemisre croissante. Donc vous devez devenir conscients de ceprocessus, et avec cette perception surgit, non le dveloppement dun contraire, mais la comprhension de la ralit.

    3 mai 1936.

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    SIXIEME CAUSERIE

    Quelques-uns dentre vous peuvent penser que je merpte, et il se peut que ce soit vrai, car les questions quelon me pose, les interviews, les conversations gnrales que

    j*ai avec les gens, me donnent limpression que lon comprend fort peu ce que je dis; et ainsi je suis oblig de

    rpter les mmes choses en termes diffrents. J espre queceux dentre vous qui ont plus ou moins saisi mes idesfondamentales auront la patience dcouter encore ce que

    j ai dire.Il y a tant de souffrance partout, sous des formes

    si diffrentes, que lon se sent agoniser. Ceci nest pas unephrase creuse. On voit tant dexploitation et de cruautautour de soi, que lon se demande constamment quelle estla cause de la douleur, et par quel moyen elle peut tre

    dissipe.Certaines personnes croient fermement que la misre dumonde est le rsultat de quelque maligne infortune hors detout contrle humain, et que le bonheur, la libration de lasouffrance ne peuvent exister que dans lautre monde, lorsque lhomme fait retour Dieu. Cette attitude envers lavie est compltement errone, de mon point de vue, car cechaos est luvre de lhomme.

    Pour comprendre le processus de la souffrance, cha

    cun doit se comprendre lui-mme. Mais se comprendreest une des tches les plus difficiles, qui exige quon fassele plus grand des efforts et que Ton soit constamment enveil, et bien peu ont linclination ou le dsir de comprendre profondment ce processus de la souffrance et dela douleur. Nous avons plus doccasions de dissiper nos

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    nergies dans des amusements absurdes, des conversationsfutiles et des poursuites vaines, que de nous chercher, que

    de pntrer profondment dans nos propres exigences, dansnos besoins, nos croyances et nos idals psychologiques.Mais ceci implique un effort ardent de notre part, et commenous ne voulons pas faire cet effort, nous prfrons fuirdans toutes sortes de satisfactions faciles.

    Si nous ne fuyons pas dans des diversions, nous fuyonsdans des croyances, dans les activits de diverses organisations, avec la loyaut et les engagements quelles exigent.

    Ces croyances deviennent un bouclier qui nous empche denous comprendre nous-mmes. Des socits religieuses nouspromettent de nous aider nous comprendre nous-mmes,mais malheureusement nous sommes exploits et nous rptons simplement leurs phrases; nous succombons ainsi lautorit de leurs chefs. Ainsi ces organisations, avec leurs restrictions de plus en plus grandes et leurs promesses secrtes,nous entranent vers de nouvelles complications qui nousrendent incapables de nous comprendre. Une fois que nous

    nous sommes engags envers une socit particulire, seschefs et leurs amis, nous commenons cultiver cetteloyaut et ces responsabilits qui nous empchent dtreentirement honntes avec nous-mmes. Il y a naturellement dautres formes dvasion, dans des activits diverseset superficielles.

    Pour se comprendre profondment on doit avoir de lquilibre. Je veux dire quon ne peut pas abandonner le mondedans lespoir de se comprendre, ni y tre si emptr quelon nait jamais loccasion de le faire. Il faut un quilibre :ni un renoncement ni une acceptation. Ceci exige de lavigilance et une profonde lucidit. Nous devons apprendre observer nos actions, nos penses, nos idals, noscroyances, silencieusement, sans leur porter de jugementset sans les interprter, afin dtre capables de discerner leur

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