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Les 12 idées contraignantes Maître Vincent Keisen Vuillemin Kusen de Vincent Keisen Vuillemin Moine zen 1

Kusen 2009-Les 12 Idees Contaignantes - Par Maître Keisen

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  • Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin

    Kusen de Vincent Keisen Vuillemin

    Moine zen

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  • Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin

    Les 12 ides contraignantes

    Introduction Les kusens nont gure dutilit, ce ne sont que des explications. Vous pouvez trouver

    tout cela dans les livres, dans les exposs sur internet et lessentiel est dj contenu dans les

    enseignements prcdents, qui sont extrmement nombreux.

    On dit quun kusen doit jaillir de la vie, du corps et de lesprit vivant dun tre humain,

    de faon ce que justement il dpasse lenseignement livresque. Il est un tmoignage de la vie

    et de tout lesprit dune ligne du zen. A ce moment-l, comme les autres personnes sont

    assises en zazen, cette forme denseignement immdiat peut les toucher sans quelles aient

    besoin de rflchir. On rejoint l lenseignement desprit esprit, qui est beaucoup plus quun

    cours sur la pratique ou sur les mrites du zen, qui de toute faon resterait lettre morte, comme

    un plat que vous mangeriez et qui serait impossible digrer, comme si je faisais un gteau

    avec du sable. Chacun pourrait le manger, personne ne le digrerait.

    Les kusens sont un essai pour transmettre ce quun tre humain possde en lui-mme,

    intrieurement. Ceci pour essayer de toucher un autre tre humain, pour entrer en contact avec

    lui par lesprit et laider vrifier quil peut abandonner ses doutes et quil se trouve certifi

    dtre dans une vrit qui le satisfait et laccompagne. Il sagit simplement de laider un peu.

    Alors, il nest gure important que quelquun se souvienne ou non de ce qui a t dit. Ceci se

    passe dans la magie de linstant. Ce qui a t dit un moment ne peut pas tre rattrap, ni

    rpt. Cela senfuit, comme le temps que nous avons.

    On dit toujours que les vertus du kusen sont en premier lieu dempcher la rumination

    des penses. Ceci est vrai. Cest comme si vous regardiez devant vous avec des yeux glauques

    et que votre regard et votre esprit soient pris dans des entrelacs. Les penses sont rcurrentes

    mais, tout--coup, vous retournez linstant prsent, vous ouvrez les yeux et la prsence de

    votre corps refait surface. Le labyrinthe disparat. De toute faon, ltre humain a forcment

    une tendance approcher toute pratique avec son intellect aussi. Il a dvelopp, plus

    particulirement par rapport au bouddhisme, par rapport au zen, un certain nombre dides

    fausses trs difficiles arracher. Cest comme une dent qui vous gne, mais laction de

    larracher une bonne fois pour toute vous paratrait pourtant impossible.

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  • Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin Au cours des annes jai pu observer, non pas chez les autres mais chez moi-mme,

    lapparition d peu prs toutes ces ides fausses au dbut de la pratique, et par la suite, leur

    disparition, jusqu ce quil nen reste plus quun amusement. Je voudrais, dans les zazens qui

    vont suivre, essayer de dvoiler, de mettre jour, et nu ces ides fausses.

    Cest comme lhistoire du roi qui arrive nu la cour. Personne ne dit rien car on ne fait

    pas ce genre de remarque un roi. Mais tout coup un enfant dit : Mais le roi l, il est nu !

    Toutes ces ides ne sont que des ides. Il y en a un certain nombre, on les verra petit--petit

    ensemble. Pour les dsamorcer, facile, tirez la prise lectrique et le bruit sarrte. On nen a

    plus besoin. Ce sont des ides rcurrentes dont on na pas besoin. Par exemple, croire que le

    Bouddha, ce quon appelle le Bouddha, serait quoi que ce soit dautre quun simple tre

    humain. Penser que lon puisse raliser lveil partir des multiples conditions. Penser, ou se

    laisser aller penser, cest--dire ne pas avoir tu cette pense, avoir un relent dimagination

    que lesprit puisse tre spar du corps dune quelconque faon. Bien sr, croire que la Voie

    soit quelque chose atteindre ou penser que la pratique soit un moyen datteindre quelque

    chose va donner lieu une longue pratique strile.

    A plusieurs occasions, le Bouddha a parl des tous les tres. Une vue fausse serait de

    voir les tres comme des personnes indpendantes, particulires et spares les unes des

    autres. Bien sr les tres humains ont une conscience, mais dautre part, ils ne sont pas si

    spciaux que cela.

    Cest aussi une ide fausse de penser aux mrites de la Voie, de voir ces mrites en

    termes personnels. Beaucoup de gens pensent que la nature de Bouddha est quelque chose de

    spcial, comme un ectoplasme hyper spcial quils narrivent pas cerner, ni savoir ce que

    cest. Ils se posent la question : Est-ce que jai la nature de Bouddha ? Egalement, il faut

    cesser de croire quil ne faille pas rflchir profondment. Il ne sagit pas de tourner en rond

    avec lesprit de son ego, mais de rflchir profondment aux relations entre lactivit et

    lobservation, entre le monde extrieur et le monde intrieur ; cest--dire rflchir

    profondment sa vie, la pratique, et non pas seulement laisser sa vie comme elle est et

    pratiquer parce que lon pratique. Il sagit de comprendre profondment, pour soi-mme, la

    relation quil y a entre sa vie et sa pratique.

    Chacun pense que tous les Patriarches - cest dailleurs racont dans toutes les

    histoires - ont t des tres veills. Souvent les personnes pensent quil y a quelque chose

    copier et mme que leur propre veil devrait tre semblable celui des Patriarches. Pourtant,

    la plupart du temps sils se tapent lorteil contre quelque chose comme Gensha, cela leur fait

    juste mal et cest tout. Alors, non seulement ils ne comprennent pas ce qui sest pass avec les

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  • Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin Patriarches, mais ils ne comprennent pas que leur propre veil et leur propre exprience nont

    aucune raison dtre semblables ceux des Patriarches. Cest une ide fausse de croire que

    tout enseignement vient de quelquun dautre et non de soi-mme. Surtout pour un moine,

    sparer la pratique de lveil de sa propre vie mne une incomprhension totale.

    La deuxime ide fausse consisterait croire quil faut prendre les choses soit la

    lgre soit srieusement. Il y en a srement une infinit, comme chaque mot contient en lui-

    mme une infinit de significations. Nous sommes certainement infests dides fausses,

    comme les petits vers qui rongeons le bois. Mais, nous sommes galement anims dune

    grande sincrit, dune grande puret et dune pratique infatigable.

    Il trane toujours dans notre esprit des ides qui viennent de notre karma, de notre

    monde occidental et aussi peut-tre de nos dsirs. Celles-ci nous empchent de voir la simple

    ralit. Je pense que pour voir la simple ralit, il ne sagit pas forcment de passer son temps

    la chercher, mais denlever ces ides fausses de faon ce quelle apparaisse delle-mme.

    Cest un peu de ces choses-l dont je voudrais parler.

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  • Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin

    La 1e ide contraignante Lorsque lon parle dides fausses, il faut prciser que lon ne peut pas vraiment

    affirmer quil y ait des ides fausses et des ides justes. En fait, les ides fausses seraient

    plutt des ides qui donneraient lieu des barrires ou qui empcheraient le dveloppement

    dune libration intrieure. Par exemple, sil lon dit : il ny a aucune raison de penser que

    Bouddha soit quoi que ce soit dautre quun simple tre humain. Penser que Bouddha pourrait

    tre un dieu, un Bouddha mythique, na rien de faux en lui-mme, chacun pense ce quil veut.

    Cela nanmoins risque de focaliser votre esprit sur le fait que Bouddha reste un concept, une

    personne, quelquun, un dieu, une ide extrieure vous-mme. Cest en ce sens que lon peut

    dire quil y a des ides fausses, des ides qui vous empchent de voir clairement la simple

    vrit de la Voie. Il ne sagit pas dopposer le juste et le faux.

    Chacun comprend immdiatement, bien sr, que le prince Siddharta Bouddha

    Shakyamuni, cest--dire le sage du clan des Shakya, est n dans le nord de lInde prs du

    Npal. A cette poque-l, les frontires ntaient pas les mmes quaujourdhui. Il est n

    comme tout le monde de son pre et de sa mre. Il a jou, enfant, avec les autres. Il a t lev

    dans un palais et a donc vcu dans un milieu trs favoris, agrable et protg. Si vous voulez,

    cest un peu comme les princes dAngleterre. Si en esprit vous vous mettiez dans cette

    poque, vous pourriez le voir manger, dormir, aller aux toilettes, se promener, comme tout le

    monde : cest un tre humain. Ensuite il a quitt son palais, il a vcu, dit-on, six ans en suivant

    de grandes privations pour essayer dteindre la soif quil avait de rpondre aux questions

    telles que : Pourquoi lhumanit est-elle prise dans la souffrance ? Ensuite, un matin, il a

    fait cette exprience en sasseyant sous larbre de la Bodhi. Tout le monde connat lhistoire.

    Paralllement, si vous croyez que lexprience de Bouddha est une exprience supra-

    naturelle, extraordinaire, magique, que les textes disant quil ny a dans un univers quune

    apparition dun seul Bouddha, alors vous risquez de croire que toute la notion de lveil de

    lhumanit reste trangre vous-mme. Il sagirait alors de croire que cest une forme de

    paquet-cadeau, que cela est arriv une fois avec Bouddha et seulement ce moment-l. On

    pourrait dire que lnergie cosmique sest manifeste dans un esprit. Bref, quelque chose de

    tout--fait spcial, qui sest produit une fois dans lhistoire, qui ne se passera plus jamais et ce

    que nous pourrions vivre nous-mmes comme exprience ne serait quune sorte de rchauff,

    de miettes, et encore

    Cela bien sr ne va pas dans le mme sens que si je vous dis que Bouddha cest vous-

    mmes. Cest--dire que cest une simple tre humain ; nous sommes de simples tres

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  • Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin humains. Cet tre humain a fait cette exprience ; manifestement, nous-mmes faisons

    dautres expriences. Or, il ne sagit pas de penser que nos expriences ne sont pas

    importantes, toutes petites, sans veil, compares celle de Bouddha.

    Dans le monde moderne, chacun peut faire des expriences diffrentes. Il ne sert rien

    pour quelquun aujourdhui de sasseoir toute la nuit et dattendre ltoile du matin. Ce serait

    comme un remake du film dHitchcock qui passait lautre soir la tlvision, Les oiseaux.

    Gnralement, loriginal est toujours meilleur. Donc si vous voyez bien que Bouddha tait un

    tre humain comme vous-mme, la premire chose ce moment-l, automatiquement, est que

    vous pouvez voir que la voie de Bouddha est une voie humaine et que cette voie humaine

    dans votre vie est la vtre. Inutile de vouloir copier, de vouloir revivre la mme chose. Cela

    na aucun sens. Vous ne pouvez possder la lumire intrieure de quelquun dautre et

    quelquun dautre ne peut possder la vtre. Voil pourquoi cest malheureux de ne pas

    simplement considrer tous les Bouddhas et les Patriarches comme des tres humains tout

    comme nous.

    Donc cest nous de faire notre exprience de la vie, de lveil, de la ralisation de

    lesprit, de la libration de nos macrations spirituelles, de sortir enfin du cycle des penses

    ngatives, de voir nos illusions, de les porter et de les vivre tout en sachant quelles ne sont

    que des mirages de notre esprit. Inutile damener tout un bagage mystique sur Bouddha, tout

    un mystre sur ltre humain. Ltre humain, cest--dire pas lego, mais la personne humaine

    relie toute lhumanit prsente, relie tout ce qui la faite : lunivers, la terre, tous les

    anctres, lhumanit. Mais aussi : les lgumes, le riz, tout ce que lon a mang, le soleil, les

    vitamines, leau ; teindre la soif, la mort, disparatre, laisser la place lhumanit qui

    continue. Si tout le monde tait immortel, on ne pourrait pas se tenir debout sur cette terre, il

    ny aurait pas assez de place.

    Ltre humain contient aussi la disparition de tout ce quil a transmis, de ce qui va

    rester : ses cendres qui nourrissent les plantes, et peut-tre sa famille, ses enfants sil en a, tout

    ce quil a transmis par son corps et son esprit. Alors ltre humain nest pas vu seulement

    comme la prsence dune personne entre sa naissance et sa mort, mais il reprsente bien la

    totalit de tout ce quil a fait, comme la terre glaise contient dj le pot et les morceaux du pot

    bris contiennent toujours le pot. Mais, pendant un certain temps il y a le pot. Et pendant un

    certain temps il y a ltre humain vivant et toute lhistoire de lhumanit, comme la terre

    glaise pour le pot. Toutes les gnrations futures sont comme la terre glaise qui sera faite et

    renatra de la poussire du pot.

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  • Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin Ne confondez pas non plus ltre humain uniquement avec une personne particulire

    vivant seulement maintenant, mais voyez bien galement un tre universel dont lhistoire est

    la mme que lhistoire de toute lhumanit et de lunivers. Alors cette histoire-l, cette

    prsence bien sr remplit tout notre univers puisquelle en fait partie. Celle de Bouddha

    lpoque remplissait lunivers et la ntre aussi ; ce ne sont pas les mmes, mais il y ny a pas

    de diffrence fondamentale. Inutile de dire Dieu . De toute faon, personne ne sait ce que

    cela veut dire. Chacun peut utiliser tous ces mots, mais la vritable base qui la fois joint

    lexistence maintenant et la non-existence, qui est toute cette histoire passe ou future, cest

    ltre humain.

    En conclusion, ltre humain est en face de sa propre vie, de sa propre voie la place

    de la voie de Bouddha. Vous pouvez dire la voie du soi. Son apparition dure peu longtemps,

    mais chaque acte quil fait va se prolonger dune faon ou dune autre dans toutes les

    gnrations futures. Donc la fois la voie du soi, une dmarche personnelle, solitaire, mais

    galement une dmarche dont chaque action, chaque mouvement des paupires, du ct du

    bon ou du mauvais karma, va forcment influencer tout lunivers, toutes les gnrations

    futures, mme si on ne le voit pas.

    La voie de ltre humain nest pas un petit chemin qui naurait rien voir avec

    lautoroute merveilleuse de Bouddha, mais est bien la vraie voie que chacun a sous ses pieds.

    Et en plus, il doit savoir o il va.

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  • Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin

    La 2e ide contraignante Si vous tes la croise des chemins et que vous prenez la fausse direction, au bout

    dun moment aprs avoir march, vous allez bien sr vous retrouver dans un paysage qui nest

    pas du tout celui auquel vous vous attendiez. Dune certaine faon vous nallez pas forcment

    tre perdu, mais vous ne reconnaissez pas bien o vous tes. Vous perdez vos points de repre

    et vous risquez derrer pendant longtemps avant de retrouver votre chemin.

    Cest un petit peu la mme chose lorsque lon parle dides fausses. Jai dj dit que ce

    ntait pas une question dides fausses ou justes, puisque toute la Voie est question

    dexprience et de vie. Mais si vous partez sur une ide, cest--dire sur un chemin o au bout

    dun moment, vous nallez plus savoir o vous tes, il vaut mieux ne pas se tromper et

    prendre le chemin qui vous mne dans un paysage qui vous paratra familier.

    Lune de ces ides, qui serait une barrire la libration de la libert intrieure, serait

    de penser dune faon ou dune autre, pas forcment dy penser de faon claire et dfinie,

    mais de laisser germer en soi-mme un embryon, ne serait-ce quune toute petite graine, qui

    vous amnerait penser que peut-tre lon pourrait raliser lveil partir de conditions

    multiples. Nous sommes tellement habitus cela. Par exemple, souvent les enfants lcole,

    sils travaillent bien, auront une bonne note ; sils font bien leurs devoirs, ils pourront jouer

    dehors plus longtemps. Mme dans la vie, les gens pensent que sils aiment quelquun,

    lautre va ncessairement les aimer. Ce nest pas toujours ainsi. Alors bien sr, nul ne

    penserait que sil respecte bien toutes les rgles, sil est constamment prsent, sil coute bien,

    nul ne penserait que ceci pourrait lui amener de faon magique la ralisation de lveil.

    Il y a un point plus important, cest que justement la ralisation de lveil dans notre

    vie, sil dpendait des conditions, ce serait alors une ralisation de ces conditions. Souvent, les

    gens croient cela. Ils continuent croire que dune certaine faon la ralisation de lveil

    correspond un peu un tre parfait, dune grande sagesse, alors quen fait rien ne leur permet

    de penser que cela puisse avoir un quelconque rapport avec tout cela. Justement, la ralisation

    de lveil nest pas entirement trangre la relation de cause effet. Cest--dire que sil

    ny a pas de terre glaise vous ne pouvez pas faire un pot. Mais, paralllement, cela ne suffit

    pas. Si vous polissez une tuile, cela ne suffit pas en faire un miroir. Paralllement, un jour le

    miroir apparat et l les conditions, qui peut-tre existaient, se sont vanouies. La notion de

    dpendance a compltement disparu.

    Il ne sagit pas avec quelques mots de commencer essayer de dire ce que cest que

    lveil. Cela est une exprience de vie. Chacun fait son exprience de la vie et lexprience de

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  • Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin la vie de quelquun ne sert gnralement pas grand-chose lexprience de la vie de

    quelquun dautre. Si vous posez la question : Quest-ce que lveil ? , il ny a que vous

    qui puissiez rpondre. Comme vous ne pouvez rpondre qu partir de tous les lments qui

    se passent dans votre vie, ou partir de je ne sais quoi, cette question devient inutile. Cest

    juste une question de connaissance de soi-mme.

    Le chemin qui mne dans le dsert de la non-comprhension serait de penser que lon

    puisse crer par magie lapparition de lveil, comme si vous construisiez une pyramide de

    plots. A la fin, si on les aligne bien, nous avons une belle pyramide. Rien ne dit que

    lapparition, la ralisation de lveil doivent correspondre un paquet-cadeau bien ficel o

    tout devient beau, merveilleux et sans problme.

    Dans de nombreux crits, des psychologues ont essay de cerner comment un enfant

    apprend lire. Si navement vous rflchissez ce processus, vous voyez quau dbut lenfant

    va comprendre chaque lettre. Il va comprendre A, puis B, puis C. Aprs, il va avoir une image

    et dj le processus devient plus compliqu, lassociation de plusieurs lettres faisant un mot

    qui a voir avec une image. Ensuite, on passe des phrases, des ides, des concepts

    philosophiques. Si vous lisez un livre de Lacan par exemple - je dis cela parce que cest

    parat-il le genre de lecture difficile comprendre -, vous ne voyez pas les lettres. Mais si

    vous naviez pas les lettres qui forment les mots, vous ne pourriez pas lire Lacan. Pourtant, la

    philosophie de Lacan ne se trouve pas dans une lettre ou dans une autre.

    Cest un peu la mme chose avec les conditions. Bien sr, il serait illusoire de vouloir

    penser que rien ne dpend de conditions quelconques. Il y a les conditions de notre vie : si

    vous vivez dans un temple ou si vous vivez au milieu dune grande ville, les conditions ne

    sont pas les mmes. Si vous menez une vie entirement calme et ntes cras par aucune

    responsabilit, ce nest pas la mme chose que si vous avez une vie trpidante avec des

    responsabilits qui vous touffent. Donc, bien sr il y a les conditions, mais les petits sauts,

    qui se trouvent entre la runion de toutes conditions et lexprience instantane de sa vie, la

    fois ne sont pas spars mais ne sont pas entirement lis, comme une consquence. Cest l

    o lon rejoint la logique du bouddhisme et du zen, o lorsque lon y rflchit, les choses, les

    conditions, les arguments semblent contradictoires. Il sagit de dpasser cette contradiction et

    dembrasser les deux.

    Ainsi dans notre esprit, oui, bien sr, les conditions existent, mais paralllement cette

    ralisation instantane de sa vie chaque instant ne peut pas tre considre seulement

    comme une consquence directe des conditions de ce que nous vivons. On peut aussi dire que

    lesprit humain est si amlior, si compliqu, quil est impossible den dfinir la ligne logique,

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  • Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin linaire. On revient toujours la mme chose : ne cherchez pas quoi que ce soit, ne croyez pas

    que la ralisation de la vie, la ralisation de lveil dpendent des conditions que vous

    pourriez vous-mme matriser ou crer. Car si vous faites cela, vous allez faire beaucoup

    defforts pour un but qui la fin vous puisera. Donc, laissez aller.

    Ce nest pas parce que vous faites normment defforts que le matin le soleil

    apparatra ou non, quil pleuvra ou fera sec. Quelquefois vous tes joyeux, quelquefois vous

    tes malheureux : cela ne dpend mme pas toujours dune condition quelconque. La vie, la

    ralisation de lveil ne peut pas tre rgle comme du papier musique !

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  • Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin

    La 3e ide contraignante Ds son dbut, un grand combat du bouddhisme a t de combattre lide de ce que

    lon appelait latman. En termes modernes on dirait lme . Les brahmanes effectivement

    croyaient que mme aprs la mort subsistait lme, latman, comme un esprit spar de la vie

    et du corps. Cette ide de lme est bien entendu extrmement ancienne puisque les Egyptiens

    eux-mmes y croyaient et lappelaient le k . Le Bouddhisme a donc combattu pour dire

    que latman nexistait pas. Dans les socits occidentales, la sortie du Moyen Age, surtout

    cause de linfluence de lglise, est apparue la sparation de lesprit et du corps, le corps tant

    impur et lesprit tant lmanation de Dieu. Lmanation de Dieu ne pouvait pas tre

    mlange avec les intestins, la pourriture, les djections.

    La question du corps-esprit demeure toujours de faon sous jacente. Il existe encore

    beaucoup de personnes qui se posent la question de savoir ce quest lesprit, non ce quest le

    corps-esprit, mais ce quest lesprit. Ensuite viennent les questions comme : y a-t-il un seul

    esprit ou y a-t-il plusieurs esprits ? Notre esprit nous est-il lesprit ? A partir de l, tout

    devient compliqu et on ne sen sort plus

    Dans le bouddhisme il y a eu aussi ce que lon a appel des hrsies : quelquun a dit

    que lesprit tait intemporel et pouvait subsister ternellement en dehors de tout corps, vie ou

    matire. Evidemment, ce genre de vue empche de voir la simple vrit qui est il ny a pas

    dun cot le corps, et de lautre cot lesprit, mais bien un corps- esprit. Car sinon, qui pourrait

    savoir quil a un corps, sans son esprit ? Et quest-ce que pourrait bien tre lesprit sans le

    corps ? Bien sr, si lon tombe dans le domaine des croyances on peut croire nimporte quoi,

    cest autre chose. Mais le Bouddhisme nest pas une croyance, et la premire chose voir est

    que lesprit nest pas spar du corps. Le corps nest pas spar de lesprit.

    Bien sr que du moment que lon parle de lesprit, lesprit est juste notre esprit. Mais il

    ny a pas que nous qui ayons un esprit : les animaux aussi ont un esprit, les grenouilles. Un

    peu moins intelligent bien sr, mais nanmoins les tre vivants - cest--dire tout ce qui

    possde une organisation qui vit - cest quand mme toute une machine qui doit tre anime,

    qui ne fonctionne pas toute seule. Mme si lesprit est trs rudimentaire, il y a un corps-esprit.

    Lide fausse est de tomber dans cette forme de mysticisme o les choses deviennent

    floues. Quest-ce que lesprit, comme les Indiens dAmrique des plaines qui vnraient le

    Grand Esprit, qui en fait tait compltement li la nature qui les entourait. Si vous sparez

    lesprit, automatiquement vous allez penser que Bouddha est quelque chose comme Dieu, que

    la voie est en dehors de vous, quil y a un esprit que vous ne connaissez pas, et finalement,

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  • Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin quest ce que vous tes au milieu, quest ce que la voie est pour vous au milieu ? Donc ne

    tombez dans le labyrinthe de lide fausse qui consiste ne pas sancrer dans son corps ni

    observer son esprit.

    Le bouddhiste - et le zen en particulier - tant une discipline humaine, la vritable

    question nest pas quest-ce que lesprit ? mais : quest ce que je fais avec mon esprit, quel

    est mon corps-esprit, qui suis-je, comment vois-je les choses ? Comment puis-je changer un

    petit peu mon esprit, pour devenir plus universel et plus ouvert, pour possder plus de

    compassion ? Me librer de ce genre de questions qui tendent me faire croire que la voie est

    autre chose que ma vie. Cest en ce sens que lon peut dire quil y a des ides fausses. Si vous

    prenez le chemin de ces ides, vous vous perdez sur ce chemin, vous pensez que la voie est un

    chemin que vous allez parcourir

    Ce genre de croyance et ce genre de questions font partie de tout un paquet

    dinterpellations : quest ce que Bouddha ? Ou une question stupide du style : Dieu existe il ?

    On peut dire : est-ce que lesprit existe ? Lesprit nexiste qu travers les tres. Vous dites :

    Est-ce que lesprit existe ? Comment quelque chose qui est non existence pourrait-il

    exister ? Pour que lesprit se manifeste, pour quil soit notre esprit, pour que notre esprit se

    manifeste, il se manifeste dans les tres. Ce qui ne veut pas dire quil y a un esprit ailleurs qui

    tout coup va sincarner et se manifester dans les tres. Il ny a pas desprit spar des tres.

    Donc du moment quil y a des tres, il y a galement lesprit des tres-esprit. Sil ny pas

    dtres, il ny a pas desprit. Cest comme le temps, lespace : sil ny a pas dunivers, sil ny

    pas de matire, le temps nexiste pas, lespace nexiste pas. Notre univers est n en mme

    temps, sont ns en mme temps la matire, lespace et le temps. Les trois sont indissociables.

    Sil ny a pas de matire, il ny a pas despace, il ny a pas de temps. Cest la mme chose :

    sil ny a pas dtres, il ne peut y avoir desprit. On en revient donc une notion trs simple

    dans la voie : je suis un tre vivant, jai un corps et un esprit, inutile dessayer de les sparer,

    ils sont insparables. Maintenant, quest ce que jen fais ? De la mme faon que si je pratique

    le zen je suis un tre vivant. Ma vie et la pratique du zen sont insparables. Bouddha est

    toujours un tre humain, il ny a aucun Bouddha qui na pas t un tre humain. Donc je suis

    un tre humain, je suis Bouddha, cest insparable. Poser la question : Quest-ce que

    Bouddha ? revient poser la question : Qui suis-je ? Ou poser la question : Quest-ce

    que lesprit ? , en fait cest demander : Quel est mon corps-esprit ?

    Ainsi, en voyant bien cela, vous pouvez retourner aux vritables questions de votre

    vie, et non vous perdre dans des questions striles. Quest-ce que le zen ? ou Quest ce

    que la voie ? : pour moi le zen, la pratique et ma vie ne sont pas spars. Je dis : Le zen

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  • Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin cest ma vie et ma vie cest le zen . Ma vie inclut toute ma vie et donc il y a aucun aspect de

    ma vie qui puisse tre spar de ma pratique de zazen, puisque je possde la foi la vie et la

    pratique de zazen.

    Si jessaie dexpliquer le zen par de grandes ides, je considre que cest une forme de

    philosophie qui na pas grand-chose voir avec moi, et donc je vais oublier les questions

    fondamentales relies ma vie : quoi faire ? Comment faire ? Qui suis-je vraiment ? Cest

    pour cela que la vertu toute modeste dun quelconque enseignement nest pas de rajouter une

    quatrime couche de peinture denseignement sur un mur, mais bien plutt dclairer des

    ides fausses, cest--dire dclairer les aspects qui peuvent rester obscurs dans les questions

    et qui empchent de discerner notre libert.

    Donc lesprit est notre esprit, notre corps, notre vie. Le reste des questions est strile.

    13

  • Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin

    La 4e ide contraignante Une autre ide souvent rpandue consiste croire que la voie du Bouddha et des

    patriarches est quelque chose atteindre, comme un but, comme la fin dun voyage, comme la

    conclusion de toute une tude ; et penser que la pratique soit un moyen datteindre quelque

    chose.

    Si vous prenez par exemple une personne trs prise par lide de trouver de lamour

    chez quelquun dautre, trouver quelquun qui va laimer : cette personne va dvelopper de

    multiples pratiques pour essayer de trouver quelqu'un qui va laimer. Elle mettra des avis sur

    Internet, ira dans les endroits o sont les gens, essaiera dtre plus sociable, et peut tre qu

    la fin, vraisemblablement, elle trouvera quelqu'un. Mais la grande diffrence pour elle sera de

    raliser un jour que lamour quelle cherche chez quelquun dautre doit dabord tre une

    grande qualit quelle possde elle-mme. Si elle ralise cela, elle se rendra compte quelle

    peut avoir beaucoup damour pour elle-mme. Elle sera plus libre, et ira mme jusqu

    rayonner de lamour et de la joie, et donc beaucoup dautres personnes seront attirs. Sinon,

    elle continuera une qute jusqu en tre exsangue, pour trouver LA personne qui va laimer.

    Cest la mme chose avec la voie : lide est rpandue que si votre comprhension

    augmente, devient plus pointue, plus perspicace, comme dans un labyrinthe o vous trouvez

    les diffrentes portes et les cls pour les ouvrir, si que vous continuez votre qute, un jour

    vous arriverez au centre du labyrinthe pour trouver la pierre philosophale. Alors que plutt,

    comme le dit Wanshi, il sagit douvrir sans cl un cadenas sans serrure.

    Quest-ce que cela demande chez quelquun pour quil comprenne, pour quil ne

    pratique pas dans le but dattraper la voie, lveil ou lillumination, mais quen fait sans sen

    rendre compte, il est en train de pratiquer partir de la voie de lveil et de lillumination ? Et

    donc du moment quil pratique zazen, il ne peut gure demander rien de plus, puisquil

    pratique partir de la ralisation, de la voie, de lveil et de lillumination quil porte en lui

    mme. Sil ne portait pas lveil en lui mme, partir de quoi son corps-esprit pourrait-il bien

    pratiquer ?

    Prsent comme a, a parat froidement logique. Mais ce qui se passe est que les gens

    veulent plus : ils veulent plus que la pratique simple et satisfaisante de zazen. Ils veulent

    quelque chose de plus, comme au travail les gens veulent avoir une augmentation, une prime,

    une reconnaissance ou des facilits dheures de travail en moins. Dans la vie commune,

    demander une augmentation, cest normal. Mais dans le zen, il ny a pas daugmentation. Il

    ny a pas de jours en moins, de prime en plus, de reconnaissance que lon va vous donner en

    14

  • Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin disant : Vous pratiquez bien, cest bien, vous allez devenir un bon bodhisattva . Mme si

    on vous le disait, a ne vous convaincrait pas. Pourtant lesprit humain cherche toujours

    comprendre plus, croire quil na pas saisi tout ce quil tait possible de saisir. Cest peut-

    tre vrai du reste, mais de toute faon personne ne peut tout saisir.

    Cette qute, cest comme la qute du Graal, cest sans fin. Vous ne la trouverez jamais

    cette putain de coupe, car de toute faon, il ny a que vous-mme qui pouvez vous dsaltrer.

    Et donc voil lide principale : considrer lveil comme une chose simple et normale, lveil

    de toute chose de la terre, des tres, de tout ce qui fonctionne, de tout ce qui vit, mme du vent

    qui souffle comme ce matin. Ne cherchez pas lveil comme midi 14 heures ou le trsor des

    alchimistes : cest une chose toute simple de la vie. Et cest partir de l que vous pratiquez.

    Vous le possdez et par voie de consquence vous le pratiquez. Donc la place dessayer de

    tirer sur la corde, si vous laissez les choses se faire simplement et lenseignement normal de la

    vie, de tous les vnements que vous vivez, vous imprgner, vous verrez de plus en plus de

    choses, votre conscience sera plus grande et peut tre aurez-vous le sentiment dtre mieux

    votre place. Cest vrai, mais ce nest pas la mme chose que de rechercher lveil impossible

    ailleurs.

    Ce nest pas dit dans le Tenzo Kyokun, mais on pourrait aussi dire au cuisinier :

    Lorsque lintendant ta donn les ingrdients, aussi simples soient-ils, pour faire le repas des

    moines, tu as l tout ce quil te faut . Ca semble clair, mais quest ce que vous diriez dun

    tenzo qui commence faire la soupe, les lgumes, et qui tout coup dcide, pour je ne sais

    quelle raison, que ce quil prpare est inutile parce que, en fait, il lui manque un ingrdient. Et

    la place de se rjouir de faire manger pour tout le monde, de sorte que la pratique des

    moines soit fortifie par cette bonne nourriture et que les horaires du zazen soient respects, il

    abandonne plutt tout a pour partir la recherche dun ingrdient quil a par lui-mme

    dcid quil manquait son repas, alors que personne na demand ce got particulier ! Cest

    pourtant ce que les pratiquants de la voie ont tendance faire : la place de se dire quils

    possdent lveil et donc den faire profiter tous les tres, ils continuent rechercher quelque

    chose de plus, ou un ingrdient spcial comprendre. Alors non seulement ils ne sont gure

    satisfaits, mais ils ne trouvent rien de plus et ont toujours lesprit qui tourne en rond pour

    savoir vritablement ce que cela peut bien tre quils sont en train de chercher.

    Cest pour cela que lon dit que la pratique de zazen est en elle-mme lveil ou

    lillumination : ce nest pas une discipline qui permet de trouver quelque chose dautre. Ce

    nest pas comme le rduit au fond du couloir : si vous ouvrez la porte, vous allez dcouvrir

    quelque chose de trs prcieux de vos aeux, quils ont oubli. Il ny a pas de porte au bout du

    15

  • Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin couloir et il ny a certainement rien derrire. Et donc il faut accepter lide toute simple de la

    pratique calme et tranquille de zazen, qui est en elle-mme la ralisation de ce que nous

    possdons dj : lveil.

    16

  • Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin

    La 5e ide contraignante Je continue sur ce quon pourrait appeler les ides fausses , mais pas dans le sens de

    faux par opposition juste . Ce sont plutt des ides fortement rpandues dans la tte

    de certains pratiquants et qui les empchent dacqurir une comprhension plus profonde du

    zen. Si vous conduisez une voiture et que vous passez la premire et la deuxime, mais que

    vous tes persuad quil ny a pas de troisime vitesse, vous nirez pas plus vite. Dans la

    comprhension de la voie, ces ides-l risquent de vous empcher de pntrer une

    comprhension plus transparente, une comprhension moins dicte par des crits, des dogmes,

    voire des ides toutes faites.

    Dans la faon dont vous voyez les personnes, les gens, si vous les voyez uniquement

    comme des tres particuliers - cest--dire comme des entits indpendantes, spares les unes

    des autres, du style moi cest moi et les autres cest les autres -, cette vue nest pas

    entirement fausse, mais elle est certainement incomplte. Cest comme si vous tiez

    incapable de comprendre et de voir ce quest un ocan et que vous ne le voyiez que comme un

    ensemble de gouttes deau. Avec la pluie, lexemple est trs facile comprendre : chaque

    goutte deau tombe et est identifie par rapport une autre. Mais du moment quelles sont

    dans la rivire, les gouttes sont indissociables. Et donc inconsciemment, voir les tres comme

    spars les uns des autres, comme des gouttes deau, vous empche dentrevoir en vous-mme

    et chez les autres le sentiment profond de lhumanit entire.

    Bien sr, si on remonte au dbut de lunivers, les particules lmentaires taient

    indissocies les unes des autres. Nous venons tous de l et logiquement, il est vident que

    nous avons tous la mme racine. Mais ce genre de raisonnement navance gure qui ce soit,

    cest trop lointain, trop acadmique, trop loin du monde de la pense et de lesprit.

    A la fois nous sommes donc bien entendu diffrents les uns des autres, mais oublier ce

    qui nous lie et ne voir que la diffrence ne permet alors pas de comprendre profondment ce

    que veut dire la phrase contenue dans les vux du bodhisattva qui dit de sauver tous les

    tres . Parce que si vous devez sauver 7 milliards dindividus les uns aprs les autres,

    dabord il vous faudra beaucoup voyager et ensuite la plupart dentre eux mourront avant que

    vous les voyiez. Et il y a beaucoup plus denfants qui naissent chaque instant que vous

    pourriez en sauver dans le mme instant. Donc si vous voyez tous les tres comme tant

    spars les uns des autres - les jeunes, les vieux, les intelligents, les stupides, les beaux, les

    moches, les noirs, les blancs, les hommes, les femmes -, dj cest mauvais pour les rapports

    humains, mais en plus vous ne pouvez pas pntrer profondment ce que veut dire sauver

    17

  • Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin tous les tres . Paralllement, si vous ne faites que remplacer tous les individus particuliers

    par une notion indistincte que vous appelleriez lhumain, vous risquez alors de ne vous

    intresser qu vous-mme, en pensant ainsi que comme vous tes une partie de lhumanit, si

    vous vous sauvez vous-mme, en fait vous sauvez lhumanit. Mais de cette faon, vous avez

    oubli les autres personnes.

    De grands concepts comme celui d humanit , de masses travailleuses , de

    peuple ont t employs, mais ils sont toujours rests vagues et ont donn lieu a beaucoup

    de dviation. Pour donner un autre exemple : si vous prenez maintenant ce qui a t cr en

    1945 ou 1946, cest--dire la notion de crime contre lhumanit - on comprend ainsi peut tre

    mieux, car il sagissait non seulement de crimes contre des personnes vivantes, des individus

    identifis les uns aprs les autres, mais plutt dun crime dirig contre les notions et les bons

    principes qui permettent de se justifier comme tre humain. Donc lintrieur de ces notions

    de crime contre lhumanit, il y a les deux : les crimes contre les personnes bien sr, sinon il

    ny aurait pas de crimes selon nos lois, mais galement une notion beaucoup plus profonde

    qui est un crime qui vise dtruire toute humanit sur notre plante. Et si la place de crime

    contre lhumanit vous mettez sauver tous les tres ou sauver lhumanit , vous avez

    la mme notion. Sauvez toutes les personnes que vous pouvez, ce qui veut dire, sauver toutes

    les personnes que vous rencontrez, nen rejeter aucune, mais galement sauver toutes les

    grandes valeurs bonnes, humaines, qui permettent lhumanit de vivre libre, en harmonie et

    sans guerre.

    Ainsi tous les tres, cest la fois chacun et la fois locan de lhumanit. Sauver

    tous les tres et sauver lhumanit et sauver les grandes valeurs qui permettent lhumanit de

    vivre et de continuer vivre. Un crime contre cela tant dessayer de dtruire ces valeurs

    humaines. Maintenant, lorsque le bodhisattva fait le vu de sauver tous les tres, souvent il se

    dit : Durant ma vie, je ne pourrai en sauver que quelques-uns et je ne suis mme pas sr de

    savoir ce que cela veut dire. Comment my prendre et tre certain du rsultat ? Dune faon

    certaine, je sais que je ne pourrai pas sauver tous les individus, mais plutt qu travers

    quelque-uns, jaurai sauv alors en eux et travers eux lhumanit entire, les grandes valeurs

    de lhumanit entire, comme lamour, la compassion, la paix, lharmonie, le fait de vivre

    ensemble, la non sparation, lamiti. Il sagit de toutes ces valeurs, travers les gens que

    jaurai pu sauver, et donc galement travers moi-mme : puisque si je veux promouvoir ces

    valeurs, il faut bien que je les possde moi-mme. Car la fois, dans ce processus,

    inexorablement, sans peut-tre men rendre compte ou le vouloir, je me sauve moi-mme. Je

    sauve le plus de gens possible et travers eux je sauve lhumanit entire, donc tous les tres.

    18

  • Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin Il est donc important quun bodhisattva comprenne profondment ce que veut dire pour lui les

    vux quil prononce chaque jour.

    Maintenant, quest-ce que sauver ? Si quelquun est dans le besoin et que vous laidez,

    vous le sauvez. Si quelquun a besoin daffection et que vous le prenez dans vos bras, vous le

    sauvez. Quelquun a besoin dargent et vous lui donnez un billet, vous le sauvez. Si quelquun

    est perdu et vous lorientez, vous le sauvez. Si quelquun se noie et que vous lui prenez la

    main, vous le sauvez. Il y a tellement de faons de sauver les gens, il ny a pas besoin

    dinvoquer un quelconque sens mystique et de sauver les gens dans un monde religieux, de les

    attirer hors de lenfer, de les pousser travers le purgatoire et de les asseoir au paradis :

    sauver les gens, cest tout simple ; cest aussi les sauver de leur propre esprit quand ils

    draillent.

    Au dbut de ma pratique, sauver tous les tres tait pour moi un koan trs compliqu.

    Je ne comprenais pas, je ne voyais pas comment cela tait possible. Quest ce cela voulait

    dire : Tous les sauver ? Et petit petit, si on applique une rflexion profonde, cest comme

    en fait lorsquon pntre de plus en plus dans la matire : on rencontre le vide, et quand on

    pntre de plus en plus lintrieur nos propres koans, la fin ils disparaissent et le zen se

    simplifie.

    Il ny a rien de plus inutile que de considrer que le zen est quelque chose de trs

    compliqu. Sauver tous les tres, cest trs simple si on le voit comme a : faire le bien, et tre

    anim et appel, travers les tres que lon aide, promouvoir les grandes valeurs bnfiques

    de lhumanit.

    19

  • Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin

    La 6e ide contraignante Un des derniers enseignements du Bouddha a t les 37 voies auxiliaires de la sagesse.

    Auxiliaires parce quil ne faut pas croire quil suffirait de suivre attentivement ces 37 pistes

    pour arriver au port de la sagesse. Mais parmi les 37 auxiliaires il y en a un dont Etienne avait

    parl et qui mavait particulirement frapp - part la dcision rapide-, cest la rflexion

    profonde. La rflexion profonde est une rflexion continue de ltre pour pntrer

    compltement tous les aspects de la comprhension du zen et de soi-mme. Sans rflexion

    profonde il est difficile davoir un enseignement de soi-mme soi-mme. Par exemple si la

    phrase : La nature de Bouddha est prononce, gnralement les pratiquants, au lieu dy

    apporter une rflexion profonde pour comprendre ce que cest, imaginent au contraire trs

    facilement que cela pourrait tre quelque chose de spcial, et ils en restent l. Dans les

    mondos revient souvent la question : Quest ce que la nature de Bouddha ? Croire que les

    choses sont ailleurs, magiques ou incomprhensibles : autant dire que cette ide toujours

    pernicieusement sous jacente habite bien lesprit de beaucoup de pratiquants. Croire - dj

    dans le zen il ne sagit pas de croire, il sagit de pratiquer et de comprendre soi-mme -, donc

    croire, ce qui est dj un chemin sans issue, croire que la nature de Bouddha serait quelque

    chose de spcial nest pas bon, car cela bloque justement cette rflexion profonde, qui la fin

    va vous mener une vision tout fait simple.

    Voici quelques pistes : la premire chose que tout le monde sait, mais quon oublie

    parfois, cest que Bouddha tait un simple tre humain, comme vous et moi. Lorsque lon

    parle des champs de Bouddha - dans le Vimalakrti et spcifiquement galement dans le Sutra

    des Dix Terres -, les champs de Bouddhas sont les champs des tres. Il ne sagit pas des

    paradis artificiels. La nature de Bouddha est la nature des tres. Si vous regardez une fleur,

    quelle est la nature dune fleur ? Bien entendu il est trivial de dire que la nature dune fleur

    cest simplement dtre une fleur. Quelle est la nature dune montagne ? Une montagne est

    une montagne ! Quest-ce que vous voulez dire de plus sur la nature dune montagne ? Ou

    dire de plus sur la nature dune fleur, sur la nature de leau qui coule ? De mme la nature

    dun chien est dtre un chien ! La nature du bois est simplement dtre du bois ! Cest

    comme lorsque lon a pos la question Etienne : Quest ce quun moine zen ? . Il a

    rpondu : Un moine zen, cest un moine zen. Voil ! La nature des choses et des tres sont

    les choses et les tres. Alors jespre que cest facile comprendre !

    On dit : Bouddha tait un tre humain . (Jessaie davoir un raisonnement logique

    de faon ce que vous ce que vous compreniez facilement. Ce nest pas de la magie blanche

    20

  • Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin ou noire). Donc la nature de Bouddha cest la nature des tres. Alors en ce qui concerne un

    tre humain, on en revient dire : quest ce que la nature dun tre humain ? Si je dis la nature

    dun tre humain cest simplement dtre un tre humain, quest-ce que jentends par l ? Eno

    disait quil suffit simplement de voir sa vritable nature. Considrerons simplement des

    choses simples. Un tre humain est, comme tous les autres tres vivants ou inanims, un

    produit naturel apparu au cours des millnaires sur une plante qui, par son atmosphre en

    oxygne et les rayons du soleil, a favoris une complication trs pousse, ce que lon pourrait

    appeler le cycle du carbone. En ce sens les tres humains ne se distinguent pas des autres tres

    qui peuplent cette plante ou des autres choses qui y ont t cres. Si lon revient dire :

    La nature dune montagne est dtre une montagne , dans le mme sens on peut dire : La

    nature dun tre humain est dtre un tre humain . La complication vient seulement du fait

    quau cours des ges, lorsque lon parle dtres humains, on parle non seulement de son corps

    mais galement de la puissante conscience de lui-mme et du monde quil a russi

    dvelopper au cours de son volution.

    Si lon reprend le terme la nature de Bouddha , celle dun tre humain, que lon

    regarde les montagnes tranquilles, leau qui coule et que lon regarde les tres humains, on

    voit que la plupart ont la conscience pollue par dinfinies questions, envahie de problmes,

    de soucis, dentrelacs psychologiques, de conceptions, davis quils ont sur les gens et les

    choses, de toutes les concrtions mentales quils ont eux-mmes cres. Tout a nest gure

    favorable la paix mentale, lharmonie et au bonheur dun tre humain. On peut donc dire

    que la nature dun tre humain, c'est--dire ltat naturel dun tre humain, cest lorsque tous

    les concepts quil a lui-mme rajouts dans son esprit disparaissent. Lesprit est toujours l, le

    corps aussi, et ils sont plus semblables la nature profondes des choses, des tres anims,

    inanims, qui ne sont eux pas habits par des problmes irrels. Ltre humain revient la

    simple ralit des tres et de lui-mme : un phnomne tout simple. Il ne sagit pas de

    recevoir la nature de Bouddha comme la grce de Dieu ou la vision de Bernadette Soubirou,

    mais de redevenir simplement comme tout le monde, comme toute chose, calme et tranquille,

    sans le fardeau de tout ce que ltre humain a rajout lui-mme, tout le fardeau de ce qui na

    pas dexistence, mais qui nest que concrtion de lesprit. Alors il rejoint sa vritable nature et

    cest a quon appelle la nature de Bouddha. Cest tout simple !

    Lorsquen zazen vous respirez calmement, que vous tes bien droit, que vous tes

    calme et tranquille, en quilibre, vous avez atteint et vous pouvez galement vous reposer sur

    votre point de plus haute stabilit, votre point de tranquillit : vous tes dans un tat naturel.

    Cet tat-l, on peut utiliser des mots pour dire ce que cest, alors on utilise les mots la nature

    21

  • Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin de Bouddha . Mais la nature de Bouddha nest pas quelque chose qui puisse exister en

    dehors des tres. Ce sont les tres qui possdent la nature de Bouddha et la nature de Bouddha

    est ltat naturel, normal des tres. Cest un tat normal, il ny a rien de spcial, de cach ou

    de sacr.

    Si vous avez vous-mmes des koans et que vous y rflchissez profondment, essayez

    toujours daller du ct de la simplicit. Dans le zen tout est simple. Le bouddhisme est une

    pratique simple pour les tres vivants. Une pratique de leur vie, bonne, qui peu leur apporter

    beaucoup de bonheur et augmenter le bonheur pour tous sur la terre. Simple, toujours rester

    simple !

    Je continue sur le mme thme : comment considrer tout ce qui a voir avec la

    pratique de la voie simplement ? Car il peut se trouver que pour des pratiquants de zazen tout

    se complique du moment quils entrent dans le dojo, cest--dire qu force de vouloir tout

    faire exactement et trs bien, ils ne savent plus o ils en sont. Cest comme sils taient

    attaqus par une forme de sacr, qui nest que de la rigolade.

    Je vais vous donner quelques exemples. Prenez par exemple la guen-ma : on mange la

    guen-ma dans le dojo avec respect, elle signifie toute la nourriture de la terre que nous

    prenons pour continuer notre pratique, pour avoir la force de vivre, le carburant de la vie ; elle

    contient galement un aspect de la transmission, puisque lon dit que cest la nourriture

    traditionnelle des moines. Tout ceci pourrait laisser penser que la guen-ma na plus rien

    voir avec une soupe ordinaire. Bien entendu que si vous considrez la guen-ma comme

    sacre, parce que vous attachez plus dimportance la crmonie de la guen-ma qu manger

    la soupe, quand vous rentrez chez vous le soir, vous vous ruez sur votre soupe aux lgumes,

    sans aucune dlicatesse, en mangeant rapidement, en lapant votre soupe grand bruit, et

    videmment vous tes alors quelquun du commun qui mange une soupe ordinaire, et dans

    votre esprit vous avez cr cette diffrence entre la guen-ma et une soupe ordinaire. Et cela

    devient compliqu, la guen-ma devient complique et bien sr la bouffe ordinaire reste la

    bouffe au niveau de la bouffe ordinaire. Alors comment faire ?

    Dabord, considrez avec dlicatesse toute soupe ordinaire, ou que ce soit que vous la

    mangiez. Elle est toujours la nourriture de votre vie et de votre pratique, et ce moment-l

    tout se simplifie. La diffrence entre la guen-ma et la soupe ordinaire nexiste pas. Il ny en a

    aucune en fait : vous harmonisez inconsciemment lintrieur de vous la transmission du

    repas traditionnel des moines - une soupe de riz - et une soupe ordinaire. Vous les traitez

    toutes avec le mme respect. Si vous traitez une soupe ordinaire avec tout le respect que vous

    22

  • Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin avez comme un moine pour la nourriture, alors tout devient la voie, tout devient comme la

    guen-ma. Celle-ci nest plus spciale, vous navez plus de koan.

    Prenez sampai galement : vous connaissez tous lhistoire de Bodhidharma et de Eka.

    Eka ne dit rien et se prosterne trois fois devant Bodhidharma, et Bodhidharma lui dit : Tu as

    obtenu ma moelle . Allez expliquer cela avec des mots ! Faire un discours sur ce qui sest

    pass ce moment entre Eka et Bodhidharma nest pas possible.

    On considre que sampai est une posture qui contient tout un aspect cosmique. Dun

    autre ct il sagit galement de simplement prosterner, plier, baisser, agenouiller son corps.

    Cest galement une simple pratique, toute simple, de prosterner son corps. Harmonisez les

    deux. En fait, quest ce qui se passe ? Quest-ce qui est merveilleux dans sampai ? Ce nest

    pas une espce de merveille magique qui rend sampai aussi prcieux, cest justement le fait de

    se baisser, de prosterner son propre corps qui est merveilleux. Cest la chose elle-mme toute

    simple qui est merveilleuse et non pas une ide mystico-flippe qui tendrait faire croire que

    sampai a des pouvoirs magiques. La chose nue, simple est l'essence de la voie : simplement

    prosterner son propre corps. Imaginez simplement que sur la terre toutes les personnes qui ont

    un pouvoir, tout le monde prosterne son corps et son esprit, devant soi-mme, devant

    lhumanit, devant rien. Avec simplement cette pratique, qui contient une pratique dhumilit

    galement, si chacun pratiquait sampai tous les jours, le monde serait diffrent.

    La voie se complique si vous rajoutez quelque chose : a se complique si vous rajoutez

    du sacr dans la guen-ma, a se complique si vous rajoutez du magique et du sacr dans

    sampai. Chacun est libre de penser ce quil veut, mais si vous rajoutez quelque chose, alors

    vous ne pourrez pas voir que la chose elle-mme, toute simple, est la pratique de la voie.

    Dans la transmission, dans les crmonies du shiho, il y a la prosternation

    merveilleuse de menju, la pratique de deux tres humains, un tre humain et un autre, un tre

    humain et lhumanit, lhumanit et lautre tre humain. Ils se prosternent lun devant lautre

    et crent cette unit.

    Tout ce que vous voulez rajouter dans la voie - le magique, le sacr, le mystique, le

    trs important, enfin nimporte quelle sauce que vous dsirerez rajouter tout cela nest que

    de la dorure inutile, parce que tout cela est contenu dans la pratique des choses simples. De

    mme, la pratique simple quon appelle Shikantaza : juste sasseoir. Cette pratique est en elle-

    mme la pratique de la libration. Inutile de rajouter quoi que ce soit. Elle contient la

    libration, elle contient la droiture, elle contient tout ce que vous voulez. Tout est contenu

    dans la chose elle-mme toute simple : la pratique. Inutile de rajouter quoi que ce soit.

    23

  • Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin Il y a bien sr des branches du Bouddhisme, par exemple le Bouddhisme Shingon, qui

    ont des cts sotriques : ce sont dautres branches du bouddhisme. Les crmonies du kito

    par exemple proviennent vraisemblablement de ces branches sotriques. Prenez le kito :

    gnralement lon fait un kito parce quil y a un prtexte, ou si lon a envie de faire un kito,

    on en invente un. Un kito est dirig trs souvent vers une personne qui nest pas prsente.

    Alors on peut croire que le kito va avoir un effet magique sur cette personne. Mais on peut

    voir les choses plus simplement : le kito permet de rassembler dans le cur de tous les

    pratiquants prsents une trs grande nergie, qui de toute faon, un jour ou lautre, atteindra

    tout le monde. L aussi, garder la faon de voir plus simplement : dans le simple kito,

    lnergie dgage dans le kito contient tout ce que vous voulez, inutile de rajouter des aspects

    magiques.

    Moi par exemple dans le zen je nai pas de croyance. Je fais attention de protger ma

    foi profonde. Cest comme faire gaffe, si vous avez une locomotive vapeur, davoir du

    charbon, sinon elle ne vous sert rien. Il faut faire attention lintrieur : sa confiance, sa

    dtermination, son courage, sa foi. Tout a est simple, on peut dire lnergie (les gens

    aiment beaucoup utiliser le terme dnergie). Et ainsi jai continu pratiquer toute ma vie, je

    nai pas besoin de rajouter une croyance, cela ne sert rien.

    Voil ! Gardez la vision du zen o tout ce que vous pratiquez, tout ce que vous

    pratiquez simplement, contient tout, dj, lintrieur cette simplicit. Ne rajoutez rien !

    24

  • Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin

    La 7e ide contraignante Une autre ide disons nocive lillumination de votre libert est de penser aux mrites

    en termes personnels et de rechercher des mrites personnels. Vous connaissez tous lhistoire

    de Bodhidharma et de lempereur. Quand lempereur lui dit : Jai construit des pagodes

    sept tages et jai nourri des milliers de moines pendant des annes, quels sont mes

    mrites ? . ( vrai dire cest bien tout ce quil a fait). Et Bodhidharma lui rpond : Pas de

    mrites ! Ce que voulait dire Bodhidharma cest que lempereur ne devait pas chercher un

    mrite pour lui-mme. Il navait pas se mettre en avant car il avait fait beaucoup de choses,

    il navait pas se mettre devant avec ce quil avait fait pour la sangha.

    Qui par exemple penserait dire la phrase suivante : Aujourdhui jai fait beaucoup

    de samu : quels sont mes mrites ? . Ou dans le cas particulier : Jai mis beaucoup

    daffiches, quels sont mes mrites ? . Garder une puret de lesprit : cest non seulement un

    tat desprit, mais cest galement une pratique. Si cest vident dans une voie spirituelle,

    comment pratiquer cela dans la vie de tous les jours ? C'est--dire lorsque nous sommes

    confronts aux autres, par exemple la concurrence dans le travail, comment agir dans un

    monde qui est devenu trs comptitif, o la mentalit du gagnant, du winner, prend beaucoup

    de place ? Comment voir tout ce que nous faisons ? Ce que nous faisons, non pas pour

    accrocher des mdailles sur notre poitrine ou des mrites de reconnaissance, des avantages, de

    la place ou du pouvoir, mais comment peut-on faire pour voir tout ce que nous faisons comme

    du samu ? Posez-vous la question : est-ce que vous pouvez vraiment considrer que vous

    pourriez tirer des mrites personnels si vous largissez votre pratique spirituelle - en zazen,

    dans le dojo - tous les actes de votre vie ? Donc ne voyez pas le monde de tous les jours

    comme un autre monde, mais comme un monde dans lequel vous largissez votre pratique

    spirituelle : cest le mme monde.

    Il ne faut pas confondre ce quest le samu avec la pense quil ne faille pas agir dans

    tout ce que nous faisons avec un dsir profond, un intrt, une motivation puissante : au

    contraire, il faut tout a ; mais il ne faut pas le faire dans une optique daccumuler des

    quelconques mrites personnels, ce que lon pourrait considrer dans une voie spirituelle

    comme une impuret.

    Je me souviens quEtienne dtestait a : les personnes qui font des collections. Il y en

    a mme qui font des collections dopercules - les petits couvercles des gobelets de crme

    caf - soit pour les accumuler, soit pour les vendre, je ne sais pas ; pour des choses aussi

    bnignes, une telle activit parat drisoire. Mais en fait si vous rflchissez, ce nest pas trs

    25

  • Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin trs diffrent que dessayer daccumuler, dengranger des mrites seulement pour soi-mme,

    comme une personne qui engrange du bl dans son coffre uniquement pour elle-mme, ou qui

    enferme des pices dor dans une cassette. Eviter ce pige demande une certaine attention

    dans notre vie, et lattention cest de se souvenir : quelle est lactivit dun Bouddha ? Ne pas

    tomber dans des activits drisoires.

    Dans la voie, dans le bouddhisme, il est dit quil y trois formes de mrites : les mrites

    immdiats, les mrites long terme et les mrites infinis. Mais comme la vie de chacun est

    videmment limite, il impossible dacqurir pour soi-mme des mrites infinis, moins que

    vous croyiez au cycle des renaissances relles et pensiez que vous aller renatre la prochaine

    fois galement comme un tre humain. Pourquoi serait-ce le cas ? Disons qu la place

    dessayer daccrocher des mrites immdiats ou des mrites plus long terme, la place de

    tout cela il vaut mieux plonger dans locan des mrites, c'est--dire les mrites qui profitent

    tous. Et donc mlanger votre goutte deau cet ocan : ainsi elle ne svaporera pas.

    Comme tous bien sr, on vit dans la socit. On peut se poser toutes les questions

    concernant les mrites dans la socit, mais on vit dans la socit jespre comme des

    bodhisattvas, c'est--dire pour la changer, pour augmenter sa compassion, pour lever les

    tres, pour les aider tous se librer justement de leur recherche de mrites personnels, de

    faon ce que le monde soit plus vivable pour tous et que chacun puisse y apporter sa pierre.

    Si vous prenez une cathdrale, elle se construit pierre aprs pierre, il ny a pas de miracle qui

    fasse surgir une cathdrale dun coup : il faut la construire. a dans la vie de tous les jours

    cest une bonne pratique : avoir une bonne pratique, comme par exemple quand vous

    pratiquez du samu dans les sesshins, dans la sangha. Les gens de ce dojo apportent beaucoup

    et font beaucoup de samu, ce qui est trs bien. Jirai mme jusqu' dire que cest un exemple.

    Donc vous connaissez a ! Vous pratiquez le samu dans les sesshins, ici au dojo. Alors dans la

    vie de tous les jours vous pouvez vous souvenir de cet esprit de samu et vous pouvez

    appliquer ce mme esprit chaque jour, c'est--dire sans vous comparer aux autres.

    Ce qui est terrible cest que les gens se comparent aux autres, cest trs rpandu. Par

    exemple au CERN, cest le moment o je dois dcider des promotions pour le dpartement.

    Alors je ne vous dis pas, cest linflation des ego : Moi aussi jy ai droit ! Ils expliquent ce

    quils ont fait, qui correspond : Jai construit des grandes pagodes, jai beaucoup de

    mrites et je veux quils soient reconnus, donc je veux cette promotion . Ce qui me fait

    toujours rire cest quils viennent demander a un moine ! Parce quils le savent, donc cest

    encore pire.

    26

  • Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin Ainsi ne pensez pas obtenir de la reconnaissance. Cest difficile pour un tre humain

    dabandonner lide de qurir la reconnaissance des autres ; au contraire, agissez dans linfini.

    On peut dire aussi mushotoku. Mushotoku cest une notion centrale dans le zen, qui existe

    quasiment uniquement dans le zen. On peut le traduire par sans but personnel , mais je

    pense que la version de Stphane est meilleure, elle consiste dire : sans but cach . Bien

    sr les gens croient toujours que sils nessaient pas dattraper tout ce qui ce passe, ils vont se

    retrouver sans rien du tout. Mais mushotoku nest pas ne rien faire, cest le faire sans but

    cach. Cest--dire quau contraire il faut tre transparent. Par exemple boire un coup avec

    des amis, cest trs diffrent que de se cacher pour boire comme un alcoolique. Mushotoku est

    "ne pas avoir de plan cach", comme quand on veut attraper tout pour nous-mmes, mais agir

    clairement, normalement, en tant transparent.

    Il y cette phrase de Dogen que jaime beaucoup : Si vous construisez un tang,

    nattendez pas que la lune vienne sy reflter. De toute faon quand ltang sera construit, la

    lune sy refltera . Donc nattendez aucun mrite, de toute faon les mrites apparatront.

    Egalement, nattendez pas une quelconque ralisation de lveil, celle-ci deviendra de toute

    faon vidente lorsque ltang sera construit. Polissez la tuile sans attendre quelle se

    transforme en miroir. Continuez la pratique sincre de la voie et le miroir apparatra de lui-

    mme.

    Mushotoku cest galement couper le cycle continuel qui consiste faire quelque

    chose en vue de quelque chose dautre. Bien videmment je suis sr que vous ne faite pas

    zazen en vue dautre chose, mais seulement zazen pour zazen. Dans la vie de tous les jours,

    ralisez les choses pour elles-mmes. Il faut vivre chaque instant et couper lesprit qui

    voudrait vivre dans lespoir davoir une autre vie, parce qu'il ny a pas dautre vie. a cest la

    ralisation dans linstant et c'est couper une qute toujours renouvele.

    Si vous pensez la phrase pas de mrite , a veut dire que vous faites les choses

    sans notion de profit. Quoi que vous fassiez, souvenez-vous de le faire dans un esprit de don

    et non de profit pour vous-mme. Le faire dans un esprit damour et de compassion et non pas

    de soif, et changer cet esprit. Cest comme limage de tourner le gouvernail et de changer

    entirement la direction du bateau pour se diriger vers des contres nouvelles. Cest aussi

    perdre un peu les horizons connus, se lancer dans locan, se lancer dans la pratique dun

    bodhisattva. Voil pourquoi lon dit les ides fausses . Mais cest mieux de dire les ides

    qui sont des obstacles votre libration : c'est--dire que si vous cherchez continuellement

    pour vous-mme, bien videmment ce sera un obstacle infranchissable pour dcouvrir les

    nouveaux champs de Bouddha et vous risquez de rester comme quelquun qui gratte toujours

    27

  • Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin le mme carr de son jardin. Le mieux cest donc que vous dcidiez de vous librer de toute

    pense de mrite. Si vous faites cela, alors vous entrez dans le monde libre de la voie, le

    monde du samu pour tous les jours et de mushotoku, plutt que dessayer dagripper toujours

    un petit quelque chose.

    Une des voies auxiliaires vers la sagesse est la rflexion profonde. Par exemple

    rflchir profondment entre l'activit et l'observation. Aujourd'hui tout le monde se lance

    dans lactivit, l'activit de l'argent, l'activit du plus, des heures de travail. La rflexion

    profonde n'est pas de ne rien faire, mais de garder au milieu de l'activit galement

    lobservation de soi-mme. C'est--dire de ne pas perdre au milieu des agissements dans le

    monde extrieur, de ne pas perdre le contact avec le monde intrieur, mais de rflchir

    profondment sa vie, sa pratique, sa vie avec sa pratique. La rflexion profonde est lie

    au fait de se prendre en charge soi-mme. Chacun dans sa vie se prend en charge lui-mme

    d'une faon ou d'une autre, que a marche ou que cela ne marche pas, et paralllement il n'est

    pas vident que dans la voie du zen chacun se prenne en charge lui mme. Ca c'est la voie des

    auditeurs : ils coutent bien, ils se souviennent pendant quelques minutes, ils essaient de faire,

    mais la prsence forte d'eux-mmes ne s'impose pas dans leur rflexion profonde.

    Il faut donc trouver l'quilibre entre l'activit et l'observation. Il ne s'agit pas vraiment

    d'agir et d'observer ensuite, mais de garder exactement au mme instant la conscience de soi-

    mme dans tout ce que l'on fait. C'est l'observation. Alors bien entendu si vous vous regardez

    couper les carottes de la guen-ma. (Je ne sais pas pourquoi, j'aime bien cet exemple : a

    m'a toujours frapp le temps infini que les gens pouvaient mettre peler et couper une seule

    carotte !) Il ne s'agit pas de se regarder jusqu' ralentir au point o l'on ne fait plus que se

    concentrer exclusivement sur une petite chose, mais au contraire d'avoir cette observation

    d'veil, cette clart de soi-mme o immdiatement on sait exactement ce que l'on fait, on est

    conscient dans son corps et son esprit, et rien de l'espace qui nous entoure ne nous est

    tranger.

    Si vous regardez par exemple un chat dans un champ : le chat est assis, il a lair tout

    tranquille, il bouge un peu la tte, il ne fait strictement rien, et tout coup il y a lger

    bruissement ou un petit bout de terre qui sort, une herbe qui bouge ; c'est peut tre une souris,

    un mulot, une taupe ; l immdiatement tous les sens du chat sont en veil ; il est toujours

    assis mais tout est prsent, prt bondir, d'une attention extrme. Lobservation immdiate,

    c'est un petit peu la mme chose pour un tre humain.

    Lide fausse consisterait donc penser qu'il ne s'agit pas de rflchir profondment

    cette quilibre, l'observation, au monde extrieur, intrieur. Ne pas rflchir profondment

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  • Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin sa vie, la traverser comme un zombie, alors quil s'agit de rflchir soi-mme, quel que soit

    l'enseignement donn, quels que soient les gens que l'on rencontre. Cest une exprience de

    soi-mme, pntr profondment par la rflexion de son corps et de son esprit. Dans le zen

    Rinza on utilise des koans pour cela. On vous donne un koan, par exemple : Qu'est-ce qui

    est plus bte qu'une rave ? A partir de l, a commence petit--petit vous obsder et vous

    rflchissez de plus en plus profondment, vous essayez de ressentir la phrase, de trouver une

    rponse, et tout ce processus vous fait pntrer en vous-mme, jusqu' ce que finalement tout

    cela s'claircisse.

    Dans le zen soto on n'utilise pas les koans, mais on utilise l'observation de la posture

    de zazen et l'observation du corps. L'observation du corps avec l'esprit, le changement de

    l'esprit avec le corps. Calme, quilibre et tranquillit. Mais surtout il ne s'agit pas de penser

    qu'il suffit de suivre qui que ce soit ou quoi que ce soit sans rflchir ; bien au contraire, il

    faut garder sa libert de rflexion. Bouddha n'avait personne qui sadresser, Bouddha a

    trouv tout seul le fait de s'assoir et de faire cette exprience. A qui aurait-il pu sadresser ?

    Aux brahmanes, aux yogis ? A personne. Franchement, qui pourriez vous demander quoi

    que ce soit en ce qui concerne votre propre exprience de l'veil ?

    Matre Deshimaru a toujours dit : automatiquement, inconsciemment,

    naturellement , et beaucoup de personnes en ont dduit qu'ils n'avaient strictement rien

    faire, que l'uvre de la grce allait agir toute seule, quils n'avaient donc qu' tre l,

    s'assoir, repartir, manger, faire samu, merci beaucoup. Et tout cela crerait de soi-mme un

    feu central qui allait les librer et les veiller, peut tre, peut tre ! Nanmoins, si nous

    sommes des tres humains conscients, dous d'une intelligence, je pense qu'il faut galement

    l'utiliser dans notre dcouverte de la libration. Il y a des tas de choses qui se font

    automatiquement, inconsciemment, naturellement, mais cela ne vaut pas dire que ce soit

    exclusif, bien au contraire. En mme temps, il faut rsoudre ses propres koans. C'est comme

    les modles en physique des particules : tant que vous n'avez pas trouv la dernire particule,

    vous n'avez pas le modle entier. Cest comme avec un puzzle : vous ne savez pas si le

    modle est juste tant que vous n'avez pas mis la dernire pice. Jusque l, vous ne savez pas si

    tout l'arrangement est juste ou faux. Et donc toute la rflexion sur vos propres koans est l

    justement pour nouer la gerbe de toute votre comprhension profonde.

    Si vous laissez de ct des aspects de la voie ou de la comprhension de la voie qui

    vous sont trangers, c'est comme si vous regardiez un puzzle dans lequel il manque des

    pices : vous ne pouvez pas avoir la satisfaction de voir l'image entier. Par exemple, j'ai

    rflchi pendant des annes sur ce que Bouddha voulait dire par tous les tres , et cela m'a

    29

  • Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin beaucoup appris d'essayer de comprendre ce qu'il voulait dire. Ou bien l'veil . Jusqu ce

    que vous soyez certains que cette question qu'est-ce que l'veil ? ait entirement disparu,

    que vous portiez vritablement la rponse en vous, cela demande galement une rflexion

    profonde.

    On a parfois tendance dans le zen traiter d'intellectuels les gens qui rflchissent, on

    dit quil sagit juste de suivre, de s'asseoir, de rester sa place. Non, il faut faire preuve de

    curiosit, d'intrt, de dsir de rsoudre ces grandes questions : Qu'est-ce que c'est ? Non

    pas que vous trouviez une rponse unique, mais tout le processus de cette rflexion profonde

    vous ouvrira beaucoup l'esprit. Cest mieux d'avoir une sangha avec des gens dont l'esprit est

    ouvert tout plutt que renferm.

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  • Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin

    La 8e ide contraignante Dans certaines villes d'Europe fleurissent apparemment maintenant des campagnes

    d'affichages. Lune des campagnes montre des affiches qui disent : Dieu existe , et lautre

    bien entendu des affiches qui disent : Dieu n'existe pas . On croirait franchement se

    retrouver au temps des discussions contre les Dominicains et les Franciscains, au temps de

    l'Inquisition, de l'alchimie. Le dsir de trouver un sauveur extrieur est semble t-il trs

    profondment ancr dans l'tre humain, ce qui se retrouve dans les phrases : Se remettre

    entre les mains de Dieu , Aide-toi et le ciel t'aidera . Il en a mme t fait une forme

    d'entit qui aurait russi produire un fils, ceci au niveau de base de la croyance. Dautre part

    les athes, eux, combattent un phnomne inconnu, n'ayant strictement rien gagner ; cest

    donc assez semblable une anti-religion, qui est la mme chose qu'une religion. Si de plus le

    dsir d'tre sauv par l'extrieur n'est pas exprim par une pratique suffisamment excitative,

    les gens passent un niveau qui les fascine plus : les sectes. Mais le phnomne de base reste

    toujours de croire une illumination extrieure, au fait dtre sauv par quelqu'un d'autre, de

    croire au miracle : tre mort et ressuscit, tre malade et tout d'un coup tre guri, sans parler

    de ceux qui dsirent marcher sur les eaux. Cela fait deux mille ans que a dure, l'esprit-le

    corps, la lutte de l'glise contre le corps, la glorification de l'esprit. D'une certaine faon le

    bouddhisme n'a pas t pargn non plus par ce genre de tendance : parfois le bouddhisme est

    petit petit devenu une religion nationale et les gens pensent galement que Bouddha va les

    sauver. Dans le zen galement, des personnes pensent que le vritable veil est seulement

    celui de Bouddha, ou que la vritable illumination est seulement celle vcue par les

    patriarches. Elles se demandent donc ce que c'est, esprent vivre la mme chose et courent

    aprs un veil qui pour eux n'existe pas, car l'veil de qui que ce soit n'existe pas pour

    quelqu'un d'autre.

    Cette tendance croire que l'on va recevoir la grce existe donc, et alors soit les gens

    ne font rien et attendent que a arrive ou, au contraire, ils essaient de tout faire pour que cela

    vienne et s'puisent. Fondamentalement bien sr, il faut faire demi-tour, passer de regarder

    l'extrieur regarder en soi-mme, et voir que ces croyances ne sont que des croyances, c'est-

    -dire des phnomne de l'esprit. tienne disait : Les religions, c'est croire l'impossible .

    Alors les gens prfrent courir aprs l'impossible plutt que raliser le possible dans leur vie.

    Il faut donc faire demi-tour, faire retour soi-mme, abandonner l'ide que l'veil va vous

    tomber dessus comme la foudre sur un toit, que l'illumination va vous aveugler comme un

    grand flash. Mais il sagit plutt de savoir ce que vous allez faire de votre vie simple, ce que

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  • Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin vous voulez raliser, qui vous tes. L'veil est un mot, la vie aussi, on ne peut dcrire ce que

    l'on vit. Chacun vit des choses diffrentes, chacun a des expriences diffrentes. C'est l que

    se trouve le vritable veil, qui n'a pas besoin d'tre fantastique, diffrent : il se trouve au sein

    mme des petites choses de la vie, condition de les voir, de ne pas traverser sa vie comme un

    zombie, de ne pas oublier, de ne pas se laisser aller dormir debout, mais de vivre chaque

    instant.

    C'est le premier pas : abandonner cette ide fausse que Bouddha, les patriarches,

    l'veil, l'illumination sont diffrents de vous-mme. Bouddha les patriarches font partie de la

    tradition, et la tradition est l de faon ce que n'importe quel crtin ne se lve pas le matin et

    dise : Dieu c'est moi , et cre une secte, mais qu'il y ait une ligne de respect, qui culmine

    avec le respect de soi mme.

    Les gens pensent toujours aux patriarches comme des merveilles. Bien sr nous

    avons un grand respect pour tous les patriarches, car sans eux, sans leur ligne, sans leur

    transmission, nous ne pourrions pas aujourd'hui pratiquer la grande assise. Notre

    reconnaissance va donc bien sr toute cette ligne de transmission qui nous permet

    aujourd'hui de connatre le bonheur de notre libration. Voil comme il faut voir les

    patriarches : non pas comme des tres spciaux, mais des tres humains comme nous. La

    ligne des patriarches continue toujours, et donc aujourd'hui qui sont les patriarches ?

    Aujourd'hui tous les pratiquants sont les patriarches, l'veil de chacun est l'veil des

    patriarches, l'veil de chacun est l'veil de Bouddha.

    N'attendez pas d'veil de l'extrieur, soyez conscient de qui vous tes, appliquez une

    rflexion profonde sur votre vie, sur ce que vous faites, teint de spiritualit, d'esprit de

    spiritualit, c'est--dire de don, de compassion, d'amour, de bienveillance, de douceur,

    d'acuit, de prcision. Ne laissez aucun vnement de votre vie comme si vous tiez endormi.

    Soyez toujours prsent, ouvert, tout ce qui fait un homme ou une femme de bien. Continuez

    pratiquer la posture droite, laissez aller le devant du corps, de faon ce que vous ne deveniez

    ni rigide ni endormi. Ne laissez passer aucun instant sans vous en apercevoir. Et donc librez-

    vous des patriarches, librez-vous du Bouddha, librez-vous mme de tous les aspects un peu

    coincs parfois de la pratique, et librez-vous des rgles, des rites, mais appliquez-les

    seulement dans l'ide d'une reconnaissance pour toute la transmission. Faites attention aux

    gestes justes pour augmenter votre personne juste.

    Voil, la grande affaire, c'est soi-mme. Il n'est pas si vident pour un pratiquant du

    zen d'avaler, de digrer compltement que tout le zen c'est lui-mme. Il y a toujours un petit

    coin, un petit bout, comme le petit bout de la queue du chat qui dpasse encore, un petit espoir

    32

  • Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin que l'veil ou l'illumination vont vous tomber dessus comme la grce de Dieu. Je ne voudrais

    pas dire que dans la rflexion profonde il faut appliquer une certaine logique, mais il ne faut

    pas non plus se lancer dans un illogisme impossible, un mysticisme thr. Gardez les pieds

    sur terre, parce que la voie est sous vos pieds.

    C'est un chemin qui n'est pas si court jusqu' ce quun pratiquant ait suffisamment

    confiance non seulement en lui-mme, mais confiance en sa pratique de zazen, confiance dans

    sa vie, de faon ce qu'il puisse dcider finalement et dire comme Bouddha : Je possde

    l'veil avec tous les tres , au lieu de l'attendre.

    33

  • Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin

    La 9e ide contraignante

    Vous connaissez lhistoire de Gensha. Elle commence de faon surprenante pour les

    Europens du monde daujourdhui : Gensha tait un pcheur, il allait la pche avec son

    pre dans une barque. Evidemment, comme tous les pcheurs le pre de Gensha ne savait pas

    nager. Il sest trouv que lorsquil a remont son filet, il a perdu lquilibre et il est tomb

    leau. Ne sachant pas nager, il a commenc se noyer et Gesha la laiss se noyer en pensant :

    Sinon, je vais passer ma vie aller la pche , alors quil voulait devenir moine. Et

    Gensha est parti. Il a laiss sa vieille mre se dbrouiller toute seule et il est parti dans des

    temples. Un jour il a quitt son temple pour partir en voyage, pour aller visiter dautres

    matres. Comme on voyageait avec des sandales cette poque, il sest tap lorteil contre un

    rocher, ce qui fait assez mal. On parle souvent de lveil et les gens croient que lveil et

    purement une question de lesprit, mais alors l pour Gensha, ce fut tout son corps qui ragit.

    Il ressentit cette douleur et pensa : Les autres ne sont pas moi . Bien sr il est vident de

    remarquer que lexprience de Gensha aurait pu se passer avec quelquun dautre qui se serait

    tap lorteil, mais qui naurait pas compris sur le moment que la voie est en fait son propre

    corps et son esprit.

    Il y a beaucoup dhistoires dveil des patriarches, jen ai racont dautres, vous les

    connaissez. Bien entendu il y a la premire exprience de Bouddha. Lorsquon lit les textes

    qui ont t crit ensuite, on voit que toutes les histoires ont t un peu enjolives par les mots,

    et si vous regardez toute lhistoire du zen, vous avez tendance penser que lors de cette

    transmission, tous les grands matres, les patriarches ont eu un moment, disons, le mme

    veil, comme sil y avait un seul et mme veil qui provenait des mme causes, des mmes

    conditions pour chacun. Aprs les gens se demandent quelles seraient les causes, les

    conditions quils pourraient raliser de faon vivre le mme veil. Cest assez dlicat dire,

    mais lveil ne provient pas des causes et des conditions : cest une chose subite, une

    exprience subite du corps et de lesprit. Et si on essaie de le saisir avec lesprit, il ne fait que

    sloigner. Cest comme toute pense propos du zen, cette lgret de la ralit disparat.

    Pour Gensha donc, lorsquil sest tap le pied, pour lui ce fut un grand claircissement.

    Cest une histoire qui nous raconte lexprience de Gensha. Comme on raconte lexprience

    de Bouddha, comme on raconte lexprience de Sekito et de bien dautres. Et vous-mme ?

    Plus vous penserez que quelque chose de spcial sest pass pour ces patriarches et quils se

    sont veills je ne sais quoi, plus vous vous loignerez de votre propre ralisation. Dabord

    34

  • Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin nhsitez pas et commencez penser profondment que vous possdez ce quon appelle

    lveil. De toute faon vous faites partie de la terre, de la nature, des tres vivants. Tout ceci

    fonctionne, vit ensemble et tout ce monde-l, immense, on peut dire est veill, et donc vous

    aussi.

    La premire chose voir est dabandonner lide quil sagit de quelque chose de

    spcial. Les gens qui sont un petit peu perdus dans leur vie pensent que lveil, le jour o ils le

    raliseront, permettra quils sachent absolument ce quils doivent faire, que leur vie va alors

    sclairer dun coup, que tout va tre transparent et facile, quaccessoirement la souffrance, la

    peur, langoisse vont disparatre, et quils vont se retrouver des tres veills. Oui, peut-tre.

    Mais il est prfrable de dcider que cest maintenant ! Pour votre pratique, chacun dcide de

    pratiquer. Dans sa vie, chacun dcide de sa vie. Dans le zen, il y aussi la composante de

    dcider : dcider que lon porte la vrit, dcider que lon porte la voie, dcider que soi-mme

    est Bouddha et dcider que lon porte en soi-mme la transmission des patriarches. Au moins

    la question est rgle, la qute vis--vis de ce genre de choses est termine si vous arrivez

    dcider a. Voil, cest un peu le miroir.

    La question videmment cest : Quest-ce quil faut possder en soi-mme pour

    arriver dcider a et avoir confiance dans le fait que cest vrai ? Pouvoir dire Oui, cest

    vrai ! Pouvoir sappuyer sur une foi suffisamment profonde, tablie, vidente, vivant dans le

    corps et lesprit, pour savoir que la voie cest soi-mme. Ce nest pas forcment quelque

    chose que qui que ce soit puisse faire sil pratique zazen une fois. Et cest l quintervient

    toute la pratique, toute la pratique renouvele, rgulire de zazen, la pratique du calme, du

    corps et de lesprit, de la libration des penses ngatives, et au propre et au figur, la pratique

    de sasseoir : asseoir son corps, sasseoir soi-mme au milieu de la voie. Alors lorsque cette

    pratique devient de plus en plus naturelle, automatique, elle rejaillit sur toute votre vie. Un

    jour apparat lvidence de cette dcision, mais cette vidence ne vient pas dailleurs, elle ne

    vient pas de lveil des patriarches, elle ne vient pas de lveil des Bouddhas, ce nest pas la

    mme exprience, vous ne pouvez pas faire la mme exprience que Bouddha et les

    patriarches, vous allez faire la vtre. Et une grande partie de cette exprience consiste

    galement raliser, c'est--dire comprendre, voir que tout est l ! Que tout est en vous-

    mme, aussi bien cette libration du corps et de lesprit que cette lgret de ltre et cette

    dcision.

    Lorsque lon parle de la longue marche hroque de la ralisation de la voie, de la

    marche qui amne ltre humain justement cette dcision vidente : Je possde lveil

    avec tous les tres, je possde la voie et en fait je me rends compte, je ralise en moi-mme

    35

  • Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin que je lai toujours possde et que a a toujours t comme cela ! Cest le point partir

    duquel il ny a plus rien rechercher. La pratique est naturellement sans but personnel et

    devient comme leau du fleuve tranquille qui coule. Et tout le bonheur que cela peut crer,

    ce moment-l, normalement fait natre le dsir de le partager.

    Donc souvenez-vous: noubliez pas quil y a galement une partie de dcision, votre

    dcision. Impossible de dcider trop tt. Paralllement si vous narrivez jamais voir que

    vous devez dcider une fois pour toutes, alors le flot des penses sur le zen, peut-tre mme

    des croyances, du mysticisme, continuera et vous passerez ct de la vie relle dun moine

    zen, qui vit comme un tre humain dans la ralit simple et qui fait le bien.

    Etienne parlait beaucoup dans ces commentaires du Sanjushichi-Bodaibunpo, les 37

    voies auxiliaires de la sagesse. En tous les cas, cest une partie qui mavait frapp

    personnellement, peut-tre pas vous et dautres personnes, mais sans que jarrive vraiment

    comprendre ce quil voulait dire lpoque, jai t frapp par ce quil disait de la dcision

    rapide : Il faut dcider rapidement , dcider de pratiquer rapidement, dcider soi-mme de

    porter la voie.

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  • Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin

    La 10e ide contraignante Matre Deshimaru disait que le zen est un jeu. Si vous prenez les checs, comme

    exemple de jeu, tout lintrt du jeu rside videmment dans les rgles du jeu. Si, par

    exemple, vo