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Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin
Kusen de Vincent Keisen Vuillemin
Moine zen
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Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin
Les 12 ides contraignantes
Introduction Les kusens nont gure dutilit, ce ne sont que des explications. Vous pouvez trouver
tout cela dans les livres, dans les exposs sur internet et lessentiel est dj contenu dans les
enseignements prcdents, qui sont extrmement nombreux.
On dit quun kusen doit jaillir de la vie, du corps et de lesprit vivant dun tre humain,
de faon ce que justement il dpasse lenseignement livresque. Il est un tmoignage de la vie
et de tout lesprit dune ligne du zen. A ce moment-l, comme les autres personnes sont
assises en zazen, cette forme denseignement immdiat peut les toucher sans quelles aient
besoin de rflchir. On rejoint l lenseignement desprit esprit, qui est beaucoup plus quun
cours sur la pratique ou sur les mrites du zen, qui de toute faon resterait lettre morte, comme
un plat que vous mangeriez et qui serait impossible digrer, comme si je faisais un gteau
avec du sable. Chacun pourrait le manger, personne ne le digrerait.
Les kusens sont un essai pour transmettre ce quun tre humain possde en lui-mme,
intrieurement. Ceci pour essayer de toucher un autre tre humain, pour entrer en contact avec
lui par lesprit et laider vrifier quil peut abandonner ses doutes et quil se trouve certifi
dtre dans une vrit qui le satisfait et laccompagne. Il sagit simplement de laider un peu.
Alors, il nest gure important que quelquun se souvienne ou non de ce qui a t dit. Ceci se
passe dans la magie de linstant. Ce qui a t dit un moment ne peut pas tre rattrap, ni
rpt. Cela senfuit, comme le temps que nous avons.
On dit toujours que les vertus du kusen sont en premier lieu dempcher la rumination
des penses. Ceci est vrai. Cest comme si vous regardiez devant vous avec des yeux glauques
et que votre regard et votre esprit soient pris dans des entrelacs. Les penses sont rcurrentes
mais, tout--coup, vous retournez linstant prsent, vous ouvrez les yeux et la prsence de
votre corps refait surface. Le labyrinthe disparat. De toute faon, ltre humain a forcment
une tendance approcher toute pratique avec son intellect aussi. Il a dvelopp, plus
particulirement par rapport au bouddhisme, par rapport au zen, un certain nombre dides
fausses trs difficiles arracher. Cest comme une dent qui vous gne, mais laction de
larracher une bonne fois pour toute vous paratrait pourtant impossible.
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Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin Au cours des annes jai pu observer, non pas chez les autres mais chez moi-mme,
lapparition d peu prs toutes ces ides fausses au dbut de la pratique, et par la suite, leur
disparition, jusqu ce quil nen reste plus quun amusement. Je voudrais, dans les zazens qui
vont suivre, essayer de dvoiler, de mettre jour, et nu ces ides fausses.
Cest comme lhistoire du roi qui arrive nu la cour. Personne ne dit rien car on ne fait
pas ce genre de remarque un roi. Mais tout coup un enfant dit : Mais le roi l, il est nu !
Toutes ces ides ne sont que des ides. Il y en a un certain nombre, on les verra petit--petit
ensemble. Pour les dsamorcer, facile, tirez la prise lectrique et le bruit sarrte. On nen a
plus besoin. Ce sont des ides rcurrentes dont on na pas besoin. Par exemple, croire que le
Bouddha, ce quon appelle le Bouddha, serait quoi que ce soit dautre quun simple tre
humain. Penser que lon puisse raliser lveil partir des multiples conditions. Penser, ou se
laisser aller penser, cest--dire ne pas avoir tu cette pense, avoir un relent dimagination
que lesprit puisse tre spar du corps dune quelconque faon. Bien sr, croire que la Voie
soit quelque chose atteindre ou penser que la pratique soit un moyen datteindre quelque
chose va donner lieu une longue pratique strile.
A plusieurs occasions, le Bouddha a parl des tous les tres. Une vue fausse serait de
voir les tres comme des personnes indpendantes, particulires et spares les unes des
autres. Bien sr les tres humains ont une conscience, mais dautre part, ils ne sont pas si
spciaux que cela.
Cest aussi une ide fausse de penser aux mrites de la Voie, de voir ces mrites en
termes personnels. Beaucoup de gens pensent que la nature de Bouddha est quelque chose de
spcial, comme un ectoplasme hyper spcial quils narrivent pas cerner, ni savoir ce que
cest. Ils se posent la question : Est-ce que jai la nature de Bouddha ? Egalement, il faut
cesser de croire quil ne faille pas rflchir profondment. Il ne sagit pas de tourner en rond
avec lesprit de son ego, mais de rflchir profondment aux relations entre lactivit et
lobservation, entre le monde extrieur et le monde intrieur ; cest--dire rflchir
profondment sa vie, la pratique, et non pas seulement laisser sa vie comme elle est et
pratiquer parce que lon pratique. Il sagit de comprendre profondment, pour soi-mme, la
relation quil y a entre sa vie et sa pratique.
Chacun pense que tous les Patriarches - cest dailleurs racont dans toutes les
histoires - ont t des tres veills. Souvent les personnes pensent quil y a quelque chose
copier et mme que leur propre veil devrait tre semblable celui des Patriarches. Pourtant,
la plupart du temps sils se tapent lorteil contre quelque chose comme Gensha, cela leur fait
juste mal et cest tout. Alors, non seulement ils ne comprennent pas ce qui sest pass avec les
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Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin Patriarches, mais ils ne comprennent pas que leur propre veil et leur propre exprience nont
aucune raison dtre semblables ceux des Patriarches. Cest une ide fausse de croire que
tout enseignement vient de quelquun dautre et non de soi-mme. Surtout pour un moine,
sparer la pratique de lveil de sa propre vie mne une incomprhension totale.
La deuxime ide fausse consisterait croire quil faut prendre les choses soit la
lgre soit srieusement. Il y en a srement une infinit, comme chaque mot contient en lui-
mme une infinit de significations. Nous sommes certainement infests dides fausses,
comme les petits vers qui rongeons le bois. Mais, nous sommes galement anims dune
grande sincrit, dune grande puret et dune pratique infatigable.
Il trane toujours dans notre esprit des ides qui viennent de notre karma, de notre
monde occidental et aussi peut-tre de nos dsirs. Celles-ci nous empchent de voir la simple
ralit. Je pense que pour voir la simple ralit, il ne sagit pas forcment de passer son temps
la chercher, mais denlever ces ides fausses de faon ce quelle apparaisse delle-mme.
Cest un peu de ces choses-l dont je voudrais parler.
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Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin
La 1e ide contraignante Lorsque lon parle dides fausses, il faut prciser que lon ne peut pas vraiment
affirmer quil y ait des ides fausses et des ides justes. En fait, les ides fausses seraient
plutt des ides qui donneraient lieu des barrires ou qui empcheraient le dveloppement
dune libration intrieure. Par exemple, sil lon dit : il ny a aucune raison de penser que
Bouddha soit quoi que ce soit dautre quun simple tre humain. Penser que Bouddha pourrait
tre un dieu, un Bouddha mythique, na rien de faux en lui-mme, chacun pense ce quil veut.
Cela nanmoins risque de focaliser votre esprit sur le fait que Bouddha reste un concept, une
personne, quelquun, un dieu, une ide extrieure vous-mme. Cest en ce sens que lon peut
dire quil y a des ides fausses, des ides qui vous empchent de voir clairement la simple
vrit de la Voie. Il ne sagit pas dopposer le juste et le faux.
Chacun comprend immdiatement, bien sr, que le prince Siddharta Bouddha
Shakyamuni, cest--dire le sage du clan des Shakya, est n dans le nord de lInde prs du
Npal. A cette poque-l, les frontires ntaient pas les mmes quaujourdhui. Il est n
comme tout le monde de son pre et de sa mre. Il a jou, enfant, avec les autres. Il a t lev
dans un palais et a donc vcu dans un milieu trs favoris, agrable et protg. Si vous voulez,
cest un peu comme les princes dAngleterre. Si en esprit vous vous mettiez dans cette
poque, vous pourriez le voir manger, dormir, aller aux toilettes, se promener, comme tout le
monde : cest un tre humain. Ensuite il a quitt son palais, il a vcu, dit-on, six ans en suivant
de grandes privations pour essayer dteindre la soif quil avait de rpondre aux questions
telles que : Pourquoi lhumanit est-elle prise dans la souffrance ? Ensuite, un matin, il a
fait cette exprience en sasseyant sous larbre de la Bodhi. Tout le monde connat lhistoire.
Paralllement, si vous croyez que lexprience de Bouddha est une exprience supra-
naturelle, extraordinaire, magique, que les textes disant quil ny a dans un univers quune
apparition dun seul Bouddha, alors vous risquez de croire que toute la notion de lveil de
lhumanit reste trangre vous-mme. Il sagirait alors de croire que cest une forme de
paquet-cadeau, que cela est arriv une fois avec Bouddha et seulement ce moment-l. On
pourrait dire que lnergie cosmique sest manifeste dans un esprit. Bref, quelque chose de
tout--fait spcial, qui sest produit une fois dans lhistoire, qui ne se passera plus jamais et ce
que nous pourrions vivre nous-mmes comme exprience ne serait quune sorte de rchauff,
de miettes, et encore
Cela bien sr ne va pas dans le mme sens que si je vous dis que Bouddha cest vous-
mmes. Cest--dire que cest une simple tre humain ; nous sommes de simples tres
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Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin humains. Cet tre humain a fait cette exprience ; manifestement, nous-mmes faisons
dautres expriences. Or, il ne sagit pas de penser que nos expriences ne sont pas
importantes, toutes petites, sans veil, compares celle de Bouddha.
Dans le monde moderne, chacun peut faire des expriences diffrentes. Il ne sert rien
pour quelquun aujourdhui de sasseoir toute la nuit et dattendre ltoile du matin. Ce serait
comme un remake du film dHitchcock qui passait lautre soir la tlvision, Les oiseaux.
Gnralement, loriginal est toujours meilleur. Donc si vous voyez bien que Bouddha tait un
tre humain comme vous-mme, la premire chose ce moment-l, automatiquement, est que
vous pouvez voir que la voie de Bouddha est une voie humaine et que cette voie humaine
dans votre vie est la vtre. Inutile de vouloir copier, de vouloir revivre la mme chose. Cela
na aucun sens. Vous ne pouvez possder la lumire intrieure de quelquun dautre et
quelquun dautre ne peut possder la vtre. Voil pourquoi cest malheureux de ne pas
simplement considrer tous les Bouddhas et les Patriarches comme des tres humains tout
comme nous.
Donc cest nous de faire notre exprience de la vie, de lveil, de la ralisation de
lesprit, de la libration de nos macrations spirituelles, de sortir enfin du cycle des penses
ngatives, de voir nos illusions, de les porter et de les vivre tout en sachant quelles ne sont
que des mirages de notre esprit. Inutile damener tout un bagage mystique sur Bouddha, tout
un mystre sur ltre humain. Ltre humain, cest--dire pas lego, mais la personne humaine
relie toute lhumanit prsente, relie tout ce qui la faite : lunivers, la terre, tous les
anctres, lhumanit. Mais aussi : les lgumes, le riz, tout ce que lon a mang, le soleil, les
vitamines, leau ; teindre la soif, la mort, disparatre, laisser la place lhumanit qui
continue. Si tout le monde tait immortel, on ne pourrait pas se tenir debout sur cette terre, il
ny aurait pas assez de place.
Ltre humain contient aussi la disparition de tout ce quil a transmis, de ce qui va
rester : ses cendres qui nourrissent les plantes, et peut-tre sa famille, ses enfants sil en a, tout
ce quil a transmis par son corps et son esprit. Alors ltre humain nest pas vu seulement
comme la prsence dune personne entre sa naissance et sa mort, mais il reprsente bien la
totalit de tout ce quil a fait, comme la terre glaise contient dj le pot et les morceaux du pot
bris contiennent toujours le pot. Mais, pendant un certain temps il y a le pot. Et pendant un
certain temps il y a ltre humain vivant et toute lhistoire de lhumanit, comme la terre
glaise pour le pot. Toutes les gnrations futures sont comme la terre glaise qui sera faite et
renatra de la poussire du pot.
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Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin Ne confondez pas non plus ltre humain uniquement avec une personne particulire
vivant seulement maintenant, mais voyez bien galement un tre universel dont lhistoire est
la mme que lhistoire de toute lhumanit et de lunivers. Alors cette histoire-l, cette
prsence bien sr remplit tout notre univers puisquelle en fait partie. Celle de Bouddha
lpoque remplissait lunivers et la ntre aussi ; ce ne sont pas les mmes, mais il y ny a pas
de diffrence fondamentale. Inutile de dire Dieu . De toute faon, personne ne sait ce que
cela veut dire. Chacun peut utiliser tous ces mots, mais la vritable base qui la fois joint
lexistence maintenant et la non-existence, qui est toute cette histoire passe ou future, cest
ltre humain.
En conclusion, ltre humain est en face de sa propre vie, de sa propre voie la place
de la voie de Bouddha. Vous pouvez dire la voie du soi. Son apparition dure peu longtemps,
mais chaque acte quil fait va se prolonger dune faon ou dune autre dans toutes les
gnrations futures. Donc la fois la voie du soi, une dmarche personnelle, solitaire, mais
galement une dmarche dont chaque action, chaque mouvement des paupires, du ct du
bon ou du mauvais karma, va forcment influencer tout lunivers, toutes les gnrations
futures, mme si on ne le voit pas.
La voie de ltre humain nest pas un petit chemin qui naurait rien voir avec
lautoroute merveilleuse de Bouddha, mais est bien la vraie voie que chacun a sous ses pieds.
Et en plus, il doit savoir o il va.
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Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin
La 2e ide contraignante Si vous tes la croise des chemins et que vous prenez la fausse direction, au bout
dun moment aprs avoir march, vous allez bien sr vous retrouver dans un paysage qui nest
pas du tout celui auquel vous vous attendiez. Dune certaine faon vous nallez pas forcment
tre perdu, mais vous ne reconnaissez pas bien o vous tes. Vous perdez vos points de repre
et vous risquez derrer pendant longtemps avant de retrouver votre chemin.
Cest un petit peu la mme chose lorsque lon parle dides fausses. Jai dj dit que ce
ntait pas une question dides fausses ou justes, puisque toute la Voie est question
dexprience et de vie. Mais si vous partez sur une ide, cest--dire sur un chemin o au bout
dun moment, vous nallez plus savoir o vous tes, il vaut mieux ne pas se tromper et
prendre le chemin qui vous mne dans un paysage qui vous paratra familier.
Lune de ces ides, qui serait une barrire la libration de la libert intrieure, serait
de penser dune faon ou dune autre, pas forcment dy penser de faon claire et dfinie,
mais de laisser germer en soi-mme un embryon, ne serait-ce quune toute petite graine, qui
vous amnerait penser que peut-tre lon pourrait raliser lveil partir de conditions
multiples. Nous sommes tellement habitus cela. Par exemple, souvent les enfants lcole,
sils travaillent bien, auront une bonne note ; sils font bien leurs devoirs, ils pourront jouer
dehors plus longtemps. Mme dans la vie, les gens pensent que sils aiment quelquun,
lautre va ncessairement les aimer. Ce nest pas toujours ainsi. Alors bien sr, nul ne
penserait que sil respecte bien toutes les rgles, sil est constamment prsent, sil coute bien,
nul ne penserait que ceci pourrait lui amener de faon magique la ralisation de lveil.
Il y a un point plus important, cest que justement la ralisation de lveil dans notre
vie, sil dpendait des conditions, ce serait alors une ralisation de ces conditions. Souvent, les
gens croient cela. Ils continuent croire que dune certaine faon la ralisation de lveil
correspond un peu un tre parfait, dune grande sagesse, alors quen fait rien ne leur permet
de penser que cela puisse avoir un quelconque rapport avec tout cela. Justement, la ralisation
de lveil nest pas entirement trangre la relation de cause effet. Cest--dire que sil
ny a pas de terre glaise vous ne pouvez pas faire un pot. Mais, paralllement, cela ne suffit
pas. Si vous polissez une tuile, cela ne suffit pas en faire un miroir. Paralllement, un jour le
miroir apparat et l les conditions, qui peut-tre existaient, se sont vanouies. La notion de
dpendance a compltement disparu.
Il ne sagit pas avec quelques mots de commencer essayer de dire ce que cest que
lveil. Cela est une exprience de vie. Chacun fait son exprience de la vie et lexprience de
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Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin la vie de quelquun ne sert gnralement pas grand-chose lexprience de la vie de
quelquun dautre. Si vous posez la question : Quest-ce que lveil ? , il ny a que vous
qui puissiez rpondre. Comme vous ne pouvez rpondre qu partir de tous les lments qui
se passent dans votre vie, ou partir de je ne sais quoi, cette question devient inutile. Cest
juste une question de connaissance de soi-mme.
Le chemin qui mne dans le dsert de la non-comprhension serait de penser que lon
puisse crer par magie lapparition de lveil, comme si vous construisiez une pyramide de
plots. A la fin, si on les aligne bien, nous avons une belle pyramide. Rien ne dit que
lapparition, la ralisation de lveil doivent correspondre un paquet-cadeau bien ficel o
tout devient beau, merveilleux et sans problme.
Dans de nombreux crits, des psychologues ont essay de cerner comment un enfant
apprend lire. Si navement vous rflchissez ce processus, vous voyez quau dbut lenfant
va comprendre chaque lettre. Il va comprendre A, puis B, puis C. Aprs, il va avoir une image
et dj le processus devient plus compliqu, lassociation de plusieurs lettres faisant un mot
qui a voir avec une image. Ensuite, on passe des phrases, des ides, des concepts
philosophiques. Si vous lisez un livre de Lacan par exemple - je dis cela parce que cest
parat-il le genre de lecture difficile comprendre -, vous ne voyez pas les lettres. Mais si
vous naviez pas les lettres qui forment les mots, vous ne pourriez pas lire Lacan. Pourtant, la
philosophie de Lacan ne se trouve pas dans une lettre ou dans une autre.
Cest un peu la mme chose avec les conditions. Bien sr, il serait illusoire de vouloir
penser que rien ne dpend de conditions quelconques. Il y a les conditions de notre vie : si
vous vivez dans un temple ou si vous vivez au milieu dune grande ville, les conditions ne
sont pas les mmes. Si vous menez une vie entirement calme et ntes cras par aucune
responsabilit, ce nest pas la mme chose que si vous avez une vie trpidante avec des
responsabilits qui vous touffent. Donc, bien sr il y a les conditions, mais les petits sauts,
qui se trouvent entre la runion de toutes conditions et lexprience instantane de sa vie, la
fois ne sont pas spars mais ne sont pas entirement lis, comme une consquence. Cest l
o lon rejoint la logique du bouddhisme et du zen, o lorsque lon y rflchit, les choses, les
conditions, les arguments semblent contradictoires. Il sagit de dpasser cette contradiction et
dembrasser les deux.
Ainsi dans notre esprit, oui, bien sr, les conditions existent, mais paralllement cette
ralisation instantane de sa vie chaque instant ne peut pas tre considre seulement
comme une consquence directe des conditions de ce que nous vivons. On peut aussi dire que
lesprit humain est si amlior, si compliqu, quil est impossible den dfinir la ligne logique,
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Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin linaire. On revient toujours la mme chose : ne cherchez pas quoi que ce soit, ne croyez pas
que la ralisation de la vie, la ralisation de lveil dpendent des conditions que vous
pourriez vous-mme matriser ou crer. Car si vous faites cela, vous allez faire beaucoup
defforts pour un but qui la fin vous puisera. Donc, laissez aller.
Ce nest pas parce que vous faites normment defforts que le matin le soleil
apparatra ou non, quil pleuvra ou fera sec. Quelquefois vous tes joyeux, quelquefois vous
tes malheureux : cela ne dpend mme pas toujours dune condition quelconque. La vie, la
ralisation de lveil ne peut pas tre rgle comme du papier musique !
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Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin
La 3e ide contraignante Ds son dbut, un grand combat du bouddhisme a t de combattre lide de ce que
lon appelait latman. En termes modernes on dirait lme . Les brahmanes effectivement
croyaient que mme aprs la mort subsistait lme, latman, comme un esprit spar de la vie
et du corps. Cette ide de lme est bien entendu extrmement ancienne puisque les Egyptiens
eux-mmes y croyaient et lappelaient le k . Le Bouddhisme a donc combattu pour dire
que latman nexistait pas. Dans les socits occidentales, la sortie du Moyen Age, surtout
cause de linfluence de lglise, est apparue la sparation de lesprit et du corps, le corps tant
impur et lesprit tant lmanation de Dieu. Lmanation de Dieu ne pouvait pas tre
mlange avec les intestins, la pourriture, les djections.
La question du corps-esprit demeure toujours de faon sous jacente. Il existe encore
beaucoup de personnes qui se posent la question de savoir ce quest lesprit, non ce quest le
corps-esprit, mais ce quest lesprit. Ensuite viennent les questions comme : y a-t-il un seul
esprit ou y a-t-il plusieurs esprits ? Notre esprit nous est-il lesprit ? A partir de l, tout
devient compliqu et on ne sen sort plus
Dans le bouddhisme il y a eu aussi ce que lon a appel des hrsies : quelquun a dit
que lesprit tait intemporel et pouvait subsister ternellement en dehors de tout corps, vie ou
matire. Evidemment, ce genre de vue empche de voir la simple vrit qui est il ny a pas
dun cot le corps, et de lautre cot lesprit, mais bien un corps- esprit. Car sinon, qui pourrait
savoir quil a un corps, sans son esprit ? Et quest-ce que pourrait bien tre lesprit sans le
corps ? Bien sr, si lon tombe dans le domaine des croyances on peut croire nimporte quoi,
cest autre chose. Mais le Bouddhisme nest pas une croyance, et la premire chose voir est
que lesprit nest pas spar du corps. Le corps nest pas spar de lesprit.
Bien sr que du moment que lon parle de lesprit, lesprit est juste notre esprit. Mais il
ny a pas que nous qui ayons un esprit : les animaux aussi ont un esprit, les grenouilles. Un
peu moins intelligent bien sr, mais nanmoins les tre vivants - cest--dire tout ce qui
possde une organisation qui vit - cest quand mme toute une machine qui doit tre anime,
qui ne fonctionne pas toute seule. Mme si lesprit est trs rudimentaire, il y a un corps-esprit.
Lide fausse est de tomber dans cette forme de mysticisme o les choses deviennent
floues. Quest-ce que lesprit, comme les Indiens dAmrique des plaines qui vnraient le
Grand Esprit, qui en fait tait compltement li la nature qui les entourait. Si vous sparez
lesprit, automatiquement vous allez penser que Bouddha est quelque chose comme Dieu, que
la voie est en dehors de vous, quil y a un esprit que vous ne connaissez pas, et finalement,
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Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin quest ce que vous tes au milieu, quest ce que la voie est pour vous au milieu ? Donc ne
tombez dans le labyrinthe de lide fausse qui consiste ne pas sancrer dans son corps ni
observer son esprit.
Le bouddhiste - et le zen en particulier - tant une discipline humaine, la vritable
question nest pas quest-ce que lesprit ? mais : quest ce que je fais avec mon esprit, quel
est mon corps-esprit, qui suis-je, comment vois-je les choses ? Comment puis-je changer un
petit peu mon esprit, pour devenir plus universel et plus ouvert, pour possder plus de
compassion ? Me librer de ce genre de questions qui tendent me faire croire que la voie est
autre chose que ma vie. Cest en ce sens que lon peut dire quil y a des ides fausses. Si vous
prenez le chemin de ces ides, vous vous perdez sur ce chemin, vous pensez que la voie est un
chemin que vous allez parcourir
Ce genre de croyance et ce genre de questions font partie de tout un paquet
dinterpellations : quest ce que Bouddha ? Ou une question stupide du style : Dieu existe il ?
On peut dire : est-ce que lesprit existe ? Lesprit nexiste qu travers les tres. Vous dites :
Est-ce que lesprit existe ? Comment quelque chose qui est non existence pourrait-il
exister ? Pour que lesprit se manifeste, pour quil soit notre esprit, pour que notre esprit se
manifeste, il se manifeste dans les tres. Ce qui ne veut pas dire quil y a un esprit ailleurs qui
tout coup va sincarner et se manifester dans les tres. Il ny a pas desprit spar des tres.
Donc du moment quil y a des tres, il y a galement lesprit des tres-esprit. Sil ny pas
dtres, il ny a pas desprit. Cest comme le temps, lespace : sil ny a pas dunivers, sil ny
pas de matire, le temps nexiste pas, lespace nexiste pas. Notre univers est n en mme
temps, sont ns en mme temps la matire, lespace et le temps. Les trois sont indissociables.
Sil ny a pas de matire, il ny a pas despace, il ny a pas de temps. Cest la mme chose :
sil ny a pas dtres, il ne peut y avoir desprit. On en revient donc une notion trs simple
dans la voie : je suis un tre vivant, jai un corps et un esprit, inutile dessayer de les sparer,
ils sont insparables. Maintenant, quest ce que jen fais ? De la mme faon que si je pratique
le zen je suis un tre vivant. Ma vie et la pratique du zen sont insparables. Bouddha est
toujours un tre humain, il ny a aucun Bouddha qui na pas t un tre humain. Donc je suis
un tre humain, je suis Bouddha, cest insparable. Poser la question : Quest-ce que
Bouddha ? revient poser la question : Qui suis-je ? Ou poser la question : Quest-ce
que lesprit ? , en fait cest demander : Quel est mon corps-esprit ?
Ainsi, en voyant bien cela, vous pouvez retourner aux vritables questions de votre
vie, et non vous perdre dans des questions striles. Quest-ce que le zen ? ou Quest ce
que la voie ? : pour moi le zen, la pratique et ma vie ne sont pas spars. Je dis : Le zen
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Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin cest ma vie et ma vie cest le zen . Ma vie inclut toute ma vie et donc il y a aucun aspect de
ma vie qui puisse tre spar de ma pratique de zazen, puisque je possde la foi la vie et la
pratique de zazen.
Si jessaie dexpliquer le zen par de grandes ides, je considre que cest une forme de
philosophie qui na pas grand-chose voir avec moi, et donc je vais oublier les questions
fondamentales relies ma vie : quoi faire ? Comment faire ? Qui suis-je vraiment ? Cest
pour cela que la vertu toute modeste dun quelconque enseignement nest pas de rajouter une
quatrime couche de peinture denseignement sur un mur, mais bien plutt dclairer des
ides fausses, cest--dire dclairer les aspects qui peuvent rester obscurs dans les questions
et qui empchent de discerner notre libert.
Donc lesprit est notre esprit, notre corps, notre vie. Le reste des questions est strile.
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Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin
La 4e ide contraignante Une autre ide souvent rpandue consiste croire que la voie du Bouddha et des
patriarches est quelque chose atteindre, comme un but, comme la fin dun voyage, comme la
conclusion de toute une tude ; et penser que la pratique soit un moyen datteindre quelque
chose.
Si vous prenez par exemple une personne trs prise par lide de trouver de lamour
chez quelquun dautre, trouver quelquun qui va laimer : cette personne va dvelopper de
multiples pratiques pour essayer de trouver quelqu'un qui va laimer. Elle mettra des avis sur
Internet, ira dans les endroits o sont les gens, essaiera dtre plus sociable, et peut tre qu
la fin, vraisemblablement, elle trouvera quelqu'un. Mais la grande diffrence pour elle sera de
raliser un jour que lamour quelle cherche chez quelquun dautre doit dabord tre une
grande qualit quelle possde elle-mme. Si elle ralise cela, elle se rendra compte quelle
peut avoir beaucoup damour pour elle-mme. Elle sera plus libre, et ira mme jusqu
rayonner de lamour et de la joie, et donc beaucoup dautres personnes seront attirs. Sinon,
elle continuera une qute jusqu en tre exsangue, pour trouver LA personne qui va laimer.
Cest la mme chose avec la voie : lide est rpandue que si votre comprhension
augmente, devient plus pointue, plus perspicace, comme dans un labyrinthe o vous trouvez
les diffrentes portes et les cls pour les ouvrir, si que vous continuez votre qute, un jour
vous arriverez au centre du labyrinthe pour trouver la pierre philosophale. Alors que plutt,
comme le dit Wanshi, il sagit douvrir sans cl un cadenas sans serrure.
Quest-ce que cela demande chez quelquun pour quil comprenne, pour quil ne
pratique pas dans le but dattraper la voie, lveil ou lillumination, mais quen fait sans sen
rendre compte, il est en train de pratiquer partir de la voie de lveil et de lillumination ? Et
donc du moment quil pratique zazen, il ne peut gure demander rien de plus, puisquil
pratique partir de la ralisation, de la voie, de lveil et de lillumination quil porte en lui
mme. Sil ne portait pas lveil en lui mme, partir de quoi son corps-esprit pourrait-il bien
pratiquer ?
Prsent comme a, a parat froidement logique. Mais ce qui se passe est que les gens
veulent plus : ils veulent plus que la pratique simple et satisfaisante de zazen. Ils veulent
quelque chose de plus, comme au travail les gens veulent avoir une augmentation, une prime,
une reconnaissance ou des facilits dheures de travail en moins. Dans la vie commune,
demander une augmentation, cest normal. Mais dans le zen, il ny a pas daugmentation. Il
ny a pas de jours en moins, de prime en plus, de reconnaissance que lon va vous donner en
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Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin disant : Vous pratiquez bien, cest bien, vous allez devenir un bon bodhisattva . Mme si
on vous le disait, a ne vous convaincrait pas. Pourtant lesprit humain cherche toujours
comprendre plus, croire quil na pas saisi tout ce quil tait possible de saisir. Cest peut-
tre vrai du reste, mais de toute faon personne ne peut tout saisir.
Cette qute, cest comme la qute du Graal, cest sans fin. Vous ne la trouverez jamais
cette putain de coupe, car de toute faon, il ny a que vous-mme qui pouvez vous dsaltrer.
Et donc voil lide principale : considrer lveil comme une chose simple et normale, lveil
de toute chose de la terre, des tres, de tout ce qui fonctionne, de tout ce qui vit, mme du vent
qui souffle comme ce matin. Ne cherchez pas lveil comme midi 14 heures ou le trsor des
alchimistes : cest une chose toute simple de la vie. Et cest partir de l que vous pratiquez.
Vous le possdez et par voie de consquence vous le pratiquez. Donc la place dessayer de
tirer sur la corde, si vous laissez les choses se faire simplement et lenseignement normal de la
vie, de tous les vnements que vous vivez, vous imprgner, vous verrez de plus en plus de
choses, votre conscience sera plus grande et peut tre aurez-vous le sentiment dtre mieux
votre place. Cest vrai, mais ce nest pas la mme chose que de rechercher lveil impossible
ailleurs.
Ce nest pas dit dans le Tenzo Kyokun, mais on pourrait aussi dire au cuisinier :
Lorsque lintendant ta donn les ingrdients, aussi simples soient-ils, pour faire le repas des
moines, tu as l tout ce quil te faut . Ca semble clair, mais quest ce que vous diriez dun
tenzo qui commence faire la soupe, les lgumes, et qui tout coup dcide, pour je ne sais
quelle raison, que ce quil prpare est inutile parce que, en fait, il lui manque un ingrdient. Et
la place de se rjouir de faire manger pour tout le monde, de sorte que la pratique des
moines soit fortifie par cette bonne nourriture et que les horaires du zazen soient respects, il
abandonne plutt tout a pour partir la recherche dun ingrdient quil a par lui-mme
dcid quil manquait son repas, alors que personne na demand ce got particulier ! Cest
pourtant ce que les pratiquants de la voie ont tendance faire : la place de se dire quils
possdent lveil et donc den faire profiter tous les tres, ils continuent rechercher quelque
chose de plus, ou un ingrdient spcial comprendre. Alors non seulement ils ne sont gure
satisfaits, mais ils ne trouvent rien de plus et ont toujours lesprit qui tourne en rond pour
savoir vritablement ce que cela peut bien tre quils sont en train de chercher.
Cest pour cela que lon dit que la pratique de zazen est en elle-mme lveil ou
lillumination : ce nest pas une discipline qui permet de trouver quelque chose dautre. Ce
nest pas comme le rduit au fond du couloir : si vous ouvrez la porte, vous allez dcouvrir
quelque chose de trs prcieux de vos aeux, quils ont oubli. Il ny a pas de porte au bout du
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Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin couloir et il ny a certainement rien derrire. Et donc il faut accepter lide toute simple de la
pratique calme et tranquille de zazen, qui est en elle-mme la ralisation de ce que nous
possdons dj : lveil.
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Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin
La 5e ide contraignante Je continue sur ce quon pourrait appeler les ides fausses , mais pas dans le sens de
faux par opposition juste . Ce sont plutt des ides fortement rpandues dans la tte
de certains pratiquants et qui les empchent dacqurir une comprhension plus profonde du
zen. Si vous conduisez une voiture et que vous passez la premire et la deuxime, mais que
vous tes persuad quil ny a pas de troisime vitesse, vous nirez pas plus vite. Dans la
comprhension de la voie, ces ides-l risquent de vous empcher de pntrer une
comprhension plus transparente, une comprhension moins dicte par des crits, des dogmes,
voire des ides toutes faites.
Dans la faon dont vous voyez les personnes, les gens, si vous les voyez uniquement
comme des tres particuliers - cest--dire comme des entits indpendantes, spares les unes
des autres, du style moi cest moi et les autres cest les autres -, cette vue nest pas
entirement fausse, mais elle est certainement incomplte. Cest comme si vous tiez
incapable de comprendre et de voir ce quest un ocan et que vous ne le voyiez que comme un
ensemble de gouttes deau. Avec la pluie, lexemple est trs facile comprendre : chaque
goutte deau tombe et est identifie par rapport une autre. Mais du moment quelles sont
dans la rivire, les gouttes sont indissociables. Et donc inconsciemment, voir les tres comme
spars les uns des autres, comme des gouttes deau, vous empche dentrevoir en vous-mme
et chez les autres le sentiment profond de lhumanit entire.
Bien sr, si on remonte au dbut de lunivers, les particules lmentaires taient
indissocies les unes des autres. Nous venons tous de l et logiquement, il est vident que
nous avons tous la mme racine. Mais ce genre de raisonnement navance gure qui ce soit,
cest trop lointain, trop acadmique, trop loin du monde de la pense et de lesprit.
A la fois nous sommes donc bien entendu diffrents les uns des autres, mais oublier ce
qui nous lie et ne voir que la diffrence ne permet alors pas de comprendre profondment ce
que veut dire la phrase contenue dans les vux du bodhisattva qui dit de sauver tous les
tres . Parce que si vous devez sauver 7 milliards dindividus les uns aprs les autres,
dabord il vous faudra beaucoup voyager et ensuite la plupart dentre eux mourront avant que
vous les voyiez. Et il y a beaucoup plus denfants qui naissent chaque instant que vous
pourriez en sauver dans le mme instant. Donc si vous voyez tous les tres comme tant
spars les uns des autres - les jeunes, les vieux, les intelligents, les stupides, les beaux, les
moches, les noirs, les blancs, les hommes, les femmes -, dj cest mauvais pour les rapports
humains, mais en plus vous ne pouvez pas pntrer profondment ce que veut dire sauver
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Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin tous les tres . Paralllement, si vous ne faites que remplacer tous les individus particuliers
par une notion indistincte que vous appelleriez lhumain, vous risquez alors de ne vous
intresser qu vous-mme, en pensant ainsi que comme vous tes une partie de lhumanit, si
vous vous sauvez vous-mme, en fait vous sauvez lhumanit. Mais de cette faon, vous avez
oubli les autres personnes.
De grands concepts comme celui d humanit , de masses travailleuses , de
peuple ont t employs, mais ils sont toujours rests vagues et ont donn lieu a beaucoup
de dviation. Pour donner un autre exemple : si vous prenez maintenant ce qui a t cr en
1945 ou 1946, cest--dire la notion de crime contre lhumanit - on comprend ainsi peut tre
mieux, car il sagissait non seulement de crimes contre des personnes vivantes, des individus
identifis les uns aprs les autres, mais plutt dun crime dirig contre les notions et les bons
principes qui permettent de se justifier comme tre humain. Donc lintrieur de ces notions
de crime contre lhumanit, il y a les deux : les crimes contre les personnes bien sr, sinon il
ny aurait pas de crimes selon nos lois, mais galement une notion beaucoup plus profonde
qui est un crime qui vise dtruire toute humanit sur notre plante. Et si la place de crime
contre lhumanit vous mettez sauver tous les tres ou sauver lhumanit , vous avez
la mme notion. Sauvez toutes les personnes que vous pouvez, ce qui veut dire, sauver toutes
les personnes que vous rencontrez, nen rejeter aucune, mais galement sauver toutes les
grandes valeurs bonnes, humaines, qui permettent lhumanit de vivre libre, en harmonie et
sans guerre.
Ainsi tous les tres, cest la fois chacun et la fois locan de lhumanit. Sauver
tous les tres et sauver lhumanit et sauver les grandes valeurs qui permettent lhumanit de
vivre et de continuer vivre. Un crime contre cela tant dessayer de dtruire ces valeurs
humaines. Maintenant, lorsque le bodhisattva fait le vu de sauver tous les tres, souvent il se
dit : Durant ma vie, je ne pourrai en sauver que quelques-uns et je ne suis mme pas sr de
savoir ce que cela veut dire. Comment my prendre et tre certain du rsultat ? Dune faon
certaine, je sais que je ne pourrai pas sauver tous les individus, mais plutt qu travers
quelque-uns, jaurai sauv alors en eux et travers eux lhumanit entire, les grandes valeurs
de lhumanit entire, comme lamour, la compassion, la paix, lharmonie, le fait de vivre
ensemble, la non sparation, lamiti. Il sagit de toutes ces valeurs, travers les gens que
jaurai pu sauver, et donc galement travers moi-mme : puisque si je veux promouvoir ces
valeurs, il faut bien que je les possde moi-mme. Car la fois, dans ce processus,
inexorablement, sans peut-tre men rendre compte ou le vouloir, je me sauve moi-mme. Je
sauve le plus de gens possible et travers eux je sauve lhumanit entire, donc tous les tres.
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Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin Il est donc important quun bodhisattva comprenne profondment ce que veut dire pour lui les
vux quil prononce chaque jour.
Maintenant, quest-ce que sauver ? Si quelquun est dans le besoin et que vous laidez,
vous le sauvez. Si quelquun a besoin daffection et que vous le prenez dans vos bras, vous le
sauvez. Quelquun a besoin dargent et vous lui donnez un billet, vous le sauvez. Si quelquun
est perdu et vous lorientez, vous le sauvez. Si quelquun se noie et que vous lui prenez la
main, vous le sauvez. Il y a tellement de faons de sauver les gens, il ny a pas besoin
dinvoquer un quelconque sens mystique et de sauver les gens dans un monde religieux, de les
attirer hors de lenfer, de les pousser travers le purgatoire et de les asseoir au paradis :
sauver les gens, cest tout simple ; cest aussi les sauver de leur propre esprit quand ils
draillent.
Au dbut de ma pratique, sauver tous les tres tait pour moi un koan trs compliqu.
Je ne comprenais pas, je ne voyais pas comment cela tait possible. Quest ce cela voulait
dire : Tous les sauver ? Et petit petit, si on applique une rflexion profonde, cest comme
en fait lorsquon pntre de plus en plus dans la matire : on rencontre le vide, et quand on
pntre de plus en plus lintrieur nos propres koans, la fin ils disparaissent et le zen se
simplifie.
Il ny a rien de plus inutile que de considrer que le zen est quelque chose de trs
compliqu. Sauver tous les tres, cest trs simple si on le voit comme a : faire le bien, et tre
anim et appel, travers les tres que lon aide, promouvoir les grandes valeurs bnfiques
de lhumanit.
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Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin
La 6e ide contraignante Un des derniers enseignements du Bouddha a t les 37 voies auxiliaires de la sagesse.
Auxiliaires parce quil ne faut pas croire quil suffirait de suivre attentivement ces 37 pistes
pour arriver au port de la sagesse. Mais parmi les 37 auxiliaires il y en a un dont Etienne avait
parl et qui mavait particulirement frapp - part la dcision rapide-, cest la rflexion
profonde. La rflexion profonde est une rflexion continue de ltre pour pntrer
compltement tous les aspects de la comprhension du zen et de soi-mme. Sans rflexion
profonde il est difficile davoir un enseignement de soi-mme soi-mme. Par exemple si la
phrase : La nature de Bouddha est prononce, gnralement les pratiquants, au lieu dy
apporter une rflexion profonde pour comprendre ce que cest, imaginent au contraire trs
facilement que cela pourrait tre quelque chose de spcial, et ils en restent l. Dans les
mondos revient souvent la question : Quest ce que la nature de Bouddha ? Croire que les
choses sont ailleurs, magiques ou incomprhensibles : autant dire que cette ide toujours
pernicieusement sous jacente habite bien lesprit de beaucoup de pratiquants. Croire - dj
dans le zen il ne sagit pas de croire, il sagit de pratiquer et de comprendre soi-mme -, donc
croire, ce qui est dj un chemin sans issue, croire que la nature de Bouddha serait quelque
chose de spcial nest pas bon, car cela bloque justement cette rflexion profonde, qui la fin
va vous mener une vision tout fait simple.
Voici quelques pistes : la premire chose que tout le monde sait, mais quon oublie
parfois, cest que Bouddha tait un simple tre humain, comme vous et moi. Lorsque lon
parle des champs de Bouddha - dans le Vimalakrti et spcifiquement galement dans le Sutra
des Dix Terres -, les champs de Bouddhas sont les champs des tres. Il ne sagit pas des
paradis artificiels. La nature de Bouddha est la nature des tres. Si vous regardez une fleur,
quelle est la nature dune fleur ? Bien entendu il est trivial de dire que la nature dune fleur
cest simplement dtre une fleur. Quelle est la nature dune montagne ? Une montagne est
une montagne ! Quest-ce que vous voulez dire de plus sur la nature dune montagne ? Ou
dire de plus sur la nature dune fleur, sur la nature de leau qui coule ? De mme la nature
dun chien est dtre un chien ! La nature du bois est simplement dtre du bois ! Cest
comme lorsque lon a pos la question Etienne : Quest ce quun moine zen ? . Il a
rpondu : Un moine zen, cest un moine zen. Voil ! La nature des choses et des tres sont
les choses et les tres. Alors jespre que cest facile comprendre !
On dit : Bouddha tait un tre humain . (Jessaie davoir un raisonnement logique
de faon ce que vous ce que vous compreniez facilement. Ce nest pas de la magie blanche
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Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin ou noire). Donc la nature de Bouddha cest la nature des tres. Alors en ce qui concerne un
tre humain, on en revient dire : quest ce que la nature dun tre humain ? Si je dis la nature
dun tre humain cest simplement dtre un tre humain, quest-ce que jentends par l ? Eno
disait quil suffit simplement de voir sa vritable nature. Considrerons simplement des
choses simples. Un tre humain est, comme tous les autres tres vivants ou inanims, un
produit naturel apparu au cours des millnaires sur une plante qui, par son atmosphre en
oxygne et les rayons du soleil, a favoris une complication trs pousse, ce que lon pourrait
appeler le cycle du carbone. En ce sens les tres humains ne se distinguent pas des autres tres
qui peuplent cette plante ou des autres choses qui y ont t cres. Si lon revient dire :
La nature dune montagne est dtre une montagne , dans le mme sens on peut dire : La
nature dun tre humain est dtre un tre humain . La complication vient seulement du fait
quau cours des ges, lorsque lon parle dtres humains, on parle non seulement de son corps
mais galement de la puissante conscience de lui-mme et du monde quil a russi
dvelopper au cours de son volution.
Si lon reprend le terme la nature de Bouddha , celle dun tre humain, que lon
regarde les montagnes tranquilles, leau qui coule et que lon regarde les tres humains, on
voit que la plupart ont la conscience pollue par dinfinies questions, envahie de problmes,
de soucis, dentrelacs psychologiques, de conceptions, davis quils ont sur les gens et les
choses, de toutes les concrtions mentales quils ont eux-mmes cres. Tout a nest gure
favorable la paix mentale, lharmonie et au bonheur dun tre humain. On peut donc dire
que la nature dun tre humain, c'est--dire ltat naturel dun tre humain, cest lorsque tous
les concepts quil a lui-mme rajouts dans son esprit disparaissent. Lesprit est toujours l, le
corps aussi, et ils sont plus semblables la nature profondes des choses, des tres anims,
inanims, qui ne sont eux pas habits par des problmes irrels. Ltre humain revient la
simple ralit des tres et de lui-mme : un phnomne tout simple. Il ne sagit pas de
recevoir la nature de Bouddha comme la grce de Dieu ou la vision de Bernadette Soubirou,
mais de redevenir simplement comme tout le monde, comme toute chose, calme et tranquille,
sans le fardeau de tout ce que ltre humain a rajout lui-mme, tout le fardeau de ce qui na
pas dexistence, mais qui nest que concrtion de lesprit. Alors il rejoint sa vritable nature et
cest a quon appelle la nature de Bouddha. Cest tout simple !
Lorsquen zazen vous respirez calmement, que vous tes bien droit, que vous tes
calme et tranquille, en quilibre, vous avez atteint et vous pouvez galement vous reposer sur
votre point de plus haute stabilit, votre point de tranquillit : vous tes dans un tat naturel.
Cet tat-l, on peut utiliser des mots pour dire ce que cest, alors on utilise les mots la nature
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Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin de Bouddha . Mais la nature de Bouddha nest pas quelque chose qui puisse exister en
dehors des tres. Ce sont les tres qui possdent la nature de Bouddha et la nature de Bouddha
est ltat naturel, normal des tres. Cest un tat normal, il ny a rien de spcial, de cach ou
de sacr.
Si vous avez vous-mmes des koans et que vous y rflchissez profondment, essayez
toujours daller du ct de la simplicit. Dans le zen tout est simple. Le bouddhisme est une
pratique simple pour les tres vivants. Une pratique de leur vie, bonne, qui peu leur apporter
beaucoup de bonheur et augmenter le bonheur pour tous sur la terre. Simple, toujours rester
simple !
Je continue sur le mme thme : comment considrer tout ce qui a voir avec la
pratique de la voie simplement ? Car il peut se trouver que pour des pratiquants de zazen tout
se complique du moment quils entrent dans le dojo, cest--dire qu force de vouloir tout
faire exactement et trs bien, ils ne savent plus o ils en sont. Cest comme sils taient
attaqus par une forme de sacr, qui nest que de la rigolade.
Je vais vous donner quelques exemples. Prenez par exemple la guen-ma : on mange la
guen-ma dans le dojo avec respect, elle signifie toute la nourriture de la terre que nous
prenons pour continuer notre pratique, pour avoir la force de vivre, le carburant de la vie ; elle
contient galement un aspect de la transmission, puisque lon dit que cest la nourriture
traditionnelle des moines. Tout ceci pourrait laisser penser que la guen-ma na plus rien
voir avec une soupe ordinaire. Bien entendu que si vous considrez la guen-ma comme
sacre, parce que vous attachez plus dimportance la crmonie de la guen-ma qu manger
la soupe, quand vous rentrez chez vous le soir, vous vous ruez sur votre soupe aux lgumes,
sans aucune dlicatesse, en mangeant rapidement, en lapant votre soupe grand bruit, et
videmment vous tes alors quelquun du commun qui mange une soupe ordinaire, et dans
votre esprit vous avez cr cette diffrence entre la guen-ma et une soupe ordinaire. Et cela
devient compliqu, la guen-ma devient complique et bien sr la bouffe ordinaire reste la
bouffe au niveau de la bouffe ordinaire. Alors comment faire ?
Dabord, considrez avec dlicatesse toute soupe ordinaire, ou que ce soit que vous la
mangiez. Elle est toujours la nourriture de votre vie et de votre pratique, et ce moment-l
tout se simplifie. La diffrence entre la guen-ma et la soupe ordinaire nexiste pas. Il ny en a
aucune en fait : vous harmonisez inconsciemment lintrieur de vous la transmission du
repas traditionnel des moines - une soupe de riz - et une soupe ordinaire. Vous les traitez
toutes avec le mme respect. Si vous traitez une soupe ordinaire avec tout le respect que vous
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Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin avez comme un moine pour la nourriture, alors tout devient la voie, tout devient comme la
guen-ma. Celle-ci nest plus spciale, vous navez plus de koan.
Prenez sampai galement : vous connaissez tous lhistoire de Bodhidharma et de Eka.
Eka ne dit rien et se prosterne trois fois devant Bodhidharma, et Bodhidharma lui dit : Tu as
obtenu ma moelle . Allez expliquer cela avec des mots ! Faire un discours sur ce qui sest
pass ce moment entre Eka et Bodhidharma nest pas possible.
On considre que sampai est une posture qui contient tout un aspect cosmique. Dun
autre ct il sagit galement de simplement prosterner, plier, baisser, agenouiller son corps.
Cest galement une simple pratique, toute simple, de prosterner son corps. Harmonisez les
deux. En fait, quest ce qui se passe ? Quest-ce qui est merveilleux dans sampai ? Ce nest
pas une espce de merveille magique qui rend sampai aussi prcieux, cest justement le fait de
se baisser, de prosterner son propre corps qui est merveilleux. Cest la chose elle-mme toute
simple qui est merveilleuse et non pas une ide mystico-flippe qui tendrait faire croire que
sampai a des pouvoirs magiques. La chose nue, simple est l'essence de la voie : simplement
prosterner son propre corps. Imaginez simplement que sur la terre toutes les personnes qui ont
un pouvoir, tout le monde prosterne son corps et son esprit, devant soi-mme, devant
lhumanit, devant rien. Avec simplement cette pratique, qui contient une pratique dhumilit
galement, si chacun pratiquait sampai tous les jours, le monde serait diffrent.
La voie se complique si vous rajoutez quelque chose : a se complique si vous rajoutez
du sacr dans la guen-ma, a se complique si vous rajoutez du magique et du sacr dans
sampai. Chacun est libre de penser ce quil veut, mais si vous rajoutez quelque chose, alors
vous ne pourrez pas voir que la chose elle-mme, toute simple, est la pratique de la voie.
Dans la transmission, dans les crmonies du shiho, il y a la prosternation
merveilleuse de menju, la pratique de deux tres humains, un tre humain et un autre, un tre
humain et lhumanit, lhumanit et lautre tre humain. Ils se prosternent lun devant lautre
et crent cette unit.
Tout ce que vous voulez rajouter dans la voie - le magique, le sacr, le mystique, le
trs important, enfin nimporte quelle sauce que vous dsirerez rajouter tout cela nest que
de la dorure inutile, parce que tout cela est contenu dans la pratique des choses simples. De
mme, la pratique simple quon appelle Shikantaza : juste sasseoir. Cette pratique est en elle-
mme la pratique de la libration. Inutile de rajouter quoi que ce soit. Elle contient la
libration, elle contient la droiture, elle contient tout ce que vous voulez. Tout est contenu
dans la chose elle-mme toute simple : la pratique. Inutile de rajouter quoi que ce soit.
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Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin Il y a bien sr des branches du Bouddhisme, par exemple le Bouddhisme Shingon, qui
ont des cts sotriques : ce sont dautres branches du bouddhisme. Les crmonies du kito
par exemple proviennent vraisemblablement de ces branches sotriques. Prenez le kito :
gnralement lon fait un kito parce quil y a un prtexte, ou si lon a envie de faire un kito,
on en invente un. Un kito est dirig trs souvent vers une personne qui nest pas prsente.
Alors on peut croire que le kito va avoir un effet magique sur cette personne. Mais on peut
voir les choses plus simplement : le kito permet de rassembler dans le cur de tous les
pratiquants prsents une trs grande nergie, qui de toute faon, un jour ou lautre, atteindra
tout le monde. L aussi, garder la faon de voir plus simplement : dans le simple kito,
lnergie dgage dans le kito contient tout ce que vous voulez, inutile de rajouter des aspects
magiques.
Moi par exemple dans le zen je nai pas de croyance. Je fais attention de protger ma
foi profonde. Cest comme faire gaffe, si vous avez une locomotive vapeur, davoir du
charbon, sinon elle ne vous sert rien. Il faut faire attention lintrieur : sa confiance, sa
dtermination, son courage, sa foi. Tout a est simple, on peut dire lnergie (les gens
aiment beaucoup utiliser le terme dnergie). Et ainsi jai continu pratiquer toute ma vie, je
nai pas besoin de rajouter une croyance, cela ne sert rien.
Voil ! Gardez la vision du zen o tout ce que vous pratiquez, tout ce que vous
pratiquez simplement, contient tout, dj, lintrieur cette simplicit. Ne rajoutez rien !
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Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin
La 7e ide contraignante Une autre ide disons nocive lillumination de votre libert est de penser aux mrites
en termes personnels et de rechercher des mrites personnels. Vous connaissez tous lhistoire
de Bodhidharma et de lempereur. Quand lempereur lui dit : Jai construit des pagodes
sept tages et jai nourri des milliers de moines pendant des annes, quels sont mes
mrites ? . ( vrai dire cest bien tout ce quil a fait). Et Bodhidharma lui rpond : Pas de
mrites ! Ce que voulait dire Bodhidharma cest que lempereur ne devait pas chercher un
mrite pour lui-mme. Il navait pas se mettre en avant car il avait fait beaucoup de choses,
il navait pas se mettre devant avec ce quil avait fait pour la sangha.
Qui par exemple penserait dire la phrase suivante : Aujourdhui jai fait beaucoup
de samu : quels sont mes mrites ? . Ou dans le cas particulier : Jai mis beaucoup
daffiches, quels sont mes mrites ? . Garder une puret de lesprit : cest non seulement un
tat desprit, mais cest galement une pratique. Si cest vident dans une voie spirituelle,
comment pratiquer cela dans la vie de tous les jours ? C'est--dire lorsque nous sommes
confronts aux autres, par exemple la concurrence dans le travail, comment agir dans un
monde qui est devenu trs comptitif, o la mentalit du gagnant, du winner, prend beaucoup
de place ? Comment voir tout ce que nous faisons ? Ce que nous faisons, non pas pour
accrocher des mdailles sur notre poitrine ou des mrites de reconnaissance, des avantages, de
la place ou du pouvoir, mais comment peut-on faire pour voir tout ce que nous faisons comme
du samu ? Posez-vous la question : est-ce que vous pouvez vraiment considrer que vous
pourriez tirer des mrites personnels si vous largissez votre pratique spirituelle - en zazen,
dans le dojo - tous les actes de votre vie ? Donc ne voyez pas le monde de tous les jours
comme un autre monde, mais comme un monde dans lequel vous largissez votre pratique
spirituelle : cest le mme monde.
Il ne faut pas confondre ce quest le samu avec la pense quil ne faille pas agir dans
tout ce que nous faisons avec un dsir profond, un intrt, une motivation puissante : au
contraire, il faut tout a ; mais il ne faut pas le faire dans une optique daccumuler des
quelconques mrites personnels, ce que lon pourrait considrer dans une voie spirituelle
comme une impuret.
Je me souviens quEtienne dtestait a : les personnes qui font des collections. Il y en
a mme qui font des collections dopercules - les petits couvercles des gobelets de crme
caf - soit pour les accumuler, soit pour les vendre, je ne sais pas ; pour des choses aussi
bnignes, une telle activit parat drisoire. Mais en fait si vous rflchissez, ce nest pas trs
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Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin trs diffrent que dessayer daccumuler, dengranger des mrites seulement pour soi-mme,
comme une personne qui engrange du bl dans son coffre uniquement pour elle-mme, ou qui
enferme des pices dor dans une cassette. Eviter ce pige demande une certaine attention
dans notre vie, et lattention cest de se souvenir : quelle est lactivit dun Bouddha ? Ne pas
tomber dans des activits drisoires.
Dans la voie, dans le bouddhisme, il est dit quil y trois formes de mrites : les mrites
immdiats, les mrites long terme et les mrites infinis. Mais comme la vie de chacun est
videmment limite, il impossible dacqurir pour soi-mme des mrites infinis, moins que
vous croyiez au cycle des renaissances relles et pensiez que vous aller renatre la prochaine
fois galement comme un tre humain. Pourquoi serait-ce le cas ? Disons qu la place
dessayer daccrocher des mrites immdiats ou des mrites plus long terme, la place de
tout cela il vaut mieux plonger dans locan des mrites, c'est--dire les mrites qui profitent
tous. Et donc mlanger votre goutte deau cet ocan : ainsi elle ne svaporera pas.
Comme tous bien sr, on vit dans la socit. On peut se poser toutes les questions
concernant les mrites dans la socit, mais on vit dans la socit jespre comme des
bodhisattvas, c'est--dire pour la changer, pour augmenter sa compassion, pour lever les
tres, pour les aider tous se librer justement de leur recherche de mrites personnels, de
faon ce que le monde soit plus vivable pour tous et que chacun puisse y apporter sa pierre.
Si vous prenez une cathdrale, elle se construit pierre aprs pierre, il ny a pas de miracle qui
fasse surgir une cathdrale dun coup : il faut la construire. a dans la vie de tous les jours
cest une bonne pratique : avoir une bonne pratique, comme par exemple quand vous
pratiquez du samu dans les sesshins, dans la sangha. Les gens de ce dojo apportent beaucoup
et font beaucoup de samu, ce qui est trs bien. Jirai mme jusqu' dire que cest un exemple.
Donc vous connaissez a ! Vous pratiquez le samu dans les sesshins, ici au dojo. Alors dans la
vie de tous les jours vous pouvez vous souvenir de cet esprit de samu et vous pouvez
appliquer ce mme esprit chaque jour, c'est--dire sans vous comparer aux autres.
Ce qui est terrible cest que les gens se comparent aux autres, cest trs rpandu. Par
exemple au CERN, cest le moment o je dois dcider des promotions pour le dpartement.
Alors je ne vous dis pas, cest linflation des ego : Moi aussi jy ai droit ! Ils expliquent ce
quils ont fait, qui correspond : Jai construit des grandes pagodes, jai beaucoup de
mrites et je veux quils soient reconnus, donc je veux cette promotion . Ce qui me fait
toujours rire cest quils viennent demander a un moine ! Parce quils le savent, donc cest
encore pire.
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Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin Ainsi ne pensez pas obtenir de la reconnaissance. Cest difficile pour un tre humain
dabandonner lide de qurir la reconnaissance des autres ; au contraire, agissez dans linfini.
On peut dire aussi mushotoku. Mushotoku cest une notion centrale dans le zen, qui existe
quasiment uniquement dans le zen. On peut le traduire par sans but personnel , mais je
pense que la version de Stphane est meilleure, elle consiste dire : sans but cach . Bien
sr les gens croient toujours que sils nessaient pas dattraper tout ce qui ce passe, ils vont se
retrouver sans rien du tout. Mais mushotoku nest pas ne rien faire, cest le faire sans but
cach. Cest--dire quau contraire il faut tre transparent. Par exemple boire un coup avec
des amis, cest trs diffrent que de se cacher pour boire comme un alcoolique. Mushotoku est
"ne pas avoir de plan cach", comme quand on veut attraper tout pour nous-mmes, mais agir
clairement, normalement, en tant transparent.
Il y cette phrase de Dogen que jaime beaucoup : Si vous construisez un tang,
nattendez pas que la lune vienne sy reflter. De toute faon quand ltang sera construit, la
lune sy refltera . Donc nattendez aucun mrite, de toute faon les mrites apparatront.
Egalement, nattendez pas une quelconque ralisation de lveil, celle-ci deviendra de toute
faon vidente lorsque ltang sera construit. Polissez la tuile sans attendre quelle se
transforme en miroir. Continuez la pratique sincre de la voie et le miroir apparatra de lui-
mme.
Mushotoku cest galement couper le cycle continuel qui consiste faire quelque
chose en vue de quelque chose dautre. Bien videmment je suis sr que vous ne faite pas
zazen en vue dautre chose, mais seulement zazen pour zazen. Dans la vie de tous les jours,
ralisez les choses pour elles-mmes. Il faut vivre chaque instant et couper lesprit qui
voudrait vivre dans lespoir davoir une autre vie, parce qu'il ny a pas dautre vie. a cest la
ralisation dans linstant et c'est couper une qute toujours renouvele.
Si vous pensez la phrase pas de mrite , a veut dire que vous faites les choses
sans notion de profit. Quoi que vous fassiez, souvenez-vous de le faire dans un esprit de don
et non de profit pour vous-mme. Le faire dans un esprit damour et de compassion et non pas
de soif, et changer cet esprit. Cest comme limage de tourner le gouvernail et de changer
entirement la direction du bateau pour se diriger vers des contres nouvelles. Cest aussi
perdre un peu les horizons connus, se lancer dans locan, se lancer dans la pratique dun
bodhisattva. Voil pourquoi lon dit les ides fausses . Mais cest mieux de dire les ides
qui sont des obstacles votre libration : c'est--dire que si vous cherchez continuellement
pour vous-mme, bien videmment ce sera un obstacle infranchissable pour dcouvrir les
nouveaux champs de Bouddha et vous risquez de rester comme quelquun qui gratte toujours
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Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin le mme carr de son jardin. Le mieux cest donc que vous dcidiez de vous librer de toute
pense de mrite. Si vous faites cela, alors vous entrez dans le monde libre de la voie, le
monde du samu pour tous les jours et de mushotoku, plutt que dessayer dagripper toujours
un petit quelque chose.
Une des voies auxiliaires vers la sagesse est la rflexion profonde. Par exemple
rflchir profondment entre l'activit et l'observation. Aujourd'hui tout le monde se lance
dans lactivit, l'activit de l'argent, l'activit du plus, des heures de travail. La rflexion
profonde n'est pas de ne rien faire, mais de garder au milieu de l'activit galement
lobservation de soi-mme. C'est--dire de ne pas perdre au milieu des agissements dans le
monde extrieur, de ne pas perdre le contact avec le monde intrieur, mais de rflchir
profondment sa vie, sa pratique, sa vie avec sa pratique. La rflexion profonde est lie
au fait de se prendre en charge soi-mme. Chacun dans sa vie se prend en charge lui-mme
d'une faon ou d'une autre, que a marche ou que cela ne marche pas, et paralllement il n'est
pas vident que dans la voie du zen chacun se prenne en charge lui mme. Ca c'est la voie des
auditeurs : ils coutent bien, ils se souviennent pendant quelques minutes, ils essaient de faire,
mais la prsence forte d'eux-mmes ne s'impose pas dans leur rflexion profonde.
Il faut donc trouver l'quilibre entre l'activit et l'observation. Il ne s'agit pas vraiment
d'agir et d'observer ensuite, mais de garder exactement au mme instant la conscience de soi-
mme dans tout ce que l'on fait. C'est l'observation. Alors bien entendu si vous vous regardez
couper les carottes de la guen-ma. (Je ne sais pas pourquoi, j'aime bien cet exemple : a
m'a toujours frapp le temps infini que les gens pouvaient mettre peler et couper une seule
carotte !) Il ne s'agit pas de se regarder jusqu' ralentir au point o l'on ne fait plus que se
concentrer exclusivement sur une petite chose, mais au contraire d'avoir cette observation
d'veil, cette clart de soi-mme o immdiatement on sait exactement ce que l'on fait, on est
conscient dans son corps et son esprit, et rien de l'espace qui nous entoure ne nous est
tranger.
Si vous regardez par exemple un chat dans un champ : le chat est assis, il a lair tout
tranquille, il bouge un peu la tte, il ne fait strictement rien, et tout coup il y a lger
bruissement ou un petit bout de terre qui sort, une herbe qui bouge ; c'est peut tre une souris,
un mulot, une taupe ; l immdiatement tous les sens du chat sont en veil ; il est toujours
assis mais tout est prsent, prt bondir, d'une attention extrme. Lobservation immdiate,
c'est un petit peu la mme chose pour un tre humain.
Lide fausse consisterait donc penser qu'il ne s'agit pas de rflchir profondment
cette quilibre, l'observation, au monde extrieur, intrieur. Ne pas rflchir profondment
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Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin sa vie, la traverser comme un zombie, alors quil s'agit de rflchir soi-mme, quel que soit
l'enseignement donn, quels que soient les gens que l'on rencontre. Cest une exprience de
soi-mme, pntr profondment par la rflexion de son corps et de son esprit. Dans le zen
Rinza on utilise des koans pour cela. On vous donne un koan, par exemple : Qu'est-ce qui
est plus bte qu'une rave ? A partir de l, a commence petit--petit vous obsder et vous
rflchissez de plus en plus profondment, vous essayez de ressentir la phrase, de trouver une
rponse, et tout ce processus vous fait pntrer en vous-mme, jusqu' ce que finalement tout
cela s'claircisse.
Dans le zen soto on n'utilise pas les koans, mais on utilise l'observation de la posture
de zazen et l'observation du corps. L'observation du corps avec l'esprit, le changement de
l'esprit avec le corps. Calme, quilibre et tranquillit. Mais surtout il ne s'agit pas de penser
qu'il suffit de suivre qui que ce soit ou quoi que ce soit sans rflchir ; bien au contraire, il
faut garder sa libert de rflexion. Bouddha n'avait personne qui sadresser, Bouddha a
trouv tout seul le fait de s'assoir et de faire cette exprience. A qui aurait-il pu sadresser ?
Aux brahmanes, aux yogis ? A personne. Franchement, qui pourriez vous demander quoi
que ce soit en ce qui concerne votre propre exprience de l'veil ?
Matre Deshimaru a toujours dit : automatiquement, inconsciemment,
naturellement , et beaucoup de personnes en ont dduit qu'ils n'avaient strictement rien
faire, que l'uvre de la grce allait agir toute seule, quils n'avaient donc qu' tre l,
s'assoir, repartir, manger, faire samu, merci beaucoup. Et tout cela crerait de soi-mme un
feu central qui allait les librer et les veiller, peut tre, peut tre ! Nanmoins, si nous
sommes des tres humains conscients, dous d'une intelligence, je pense qu'il faut galement
l'utiliser dans notre dcouverte de la libration. Il y a des tas de choses qui se font
automatiquement, inconsciemment, naturellement, mais cela ne vaut pas dire que ce soit
exclusif, bien au contraire. En mme temps, il faut rsoudre ses propres koans. C'est comme
les modles en physique des particules : tant que vous n'avez pas trouv la dernire particule,
vous n'avez pas le modle entier. Cest comme avec un puzzle : vous ne savez pas si le
modle est juste tant que vous n'avez pas mis la dernire pice. Jusque l, vous ne savez pas si
tout l'arrangement est juste ou faux. Et donc toute la rflexion sur vos propres koans est l
justement pour nouer la gerbe de toute votre comprhension profonde.
Si vous laissez de ct des aspects de la voie ou de la comprhension de la voie qui
vous sont trangers, c'est comme si vous regardiez un puzzle dans lequel il manque des
pices : vous ne pouvez pas avoir la satisfaction de voir l'image entier. Par exemple, j'ai
rflchi pendant des annes sur ce que Bouddha voulait dire par tous les tres , et cela m'a
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Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin beaucoup appris d'essayer de comprendre ce qu'il voulait dire. Ou bien l'veil . Jusqu ce
que vous soyez certains que cette question qu'est-ce que l'veil ? ait entirement disparu,
que vous portiez vritablement la rponse en vous, cela demande galement une rflexion
profonde.
On a parfois tendance dans le zen traiter d'intellectuels les gens qui rflchissent, on
dit quil sagit juste de suivre, de s'asseoir, de rester sa place. Non, il faut faire preuve de
curiosit, d'intrt, de dsir de rsoudre ces grandes questions : Qu'est-ce que c'est ? Non
pas que vous trouviez une rponse unique, mais tout le processus de cette rflexion profonde
vous ouvrira beaucoup l'esprit. Cest mieux d'avoir une sangha avec des gens dont l'esprit est
ouvert tout plutt que renferm.
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Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin
La 8e ide contraignante Dans certaines villes d'Europe fleurissent apparemment maintenant des campagnes
d'affichages. Lune des campagnes montre des affiches qui disent : Dieu existe , et lautre
bien entendu des affiches qui disent : Dieu n'existe pas . On croirait franchement se
retrouver au temps des discussions contre les Dominicains et les Franciscains, au temps de
l'Inquisition, de l'alchimie. Le dsir de trouver un sauveur extrieur est semble t-il trs
profondment ancr dans l'tre humain, ce qui se retrouve dans les phrases : Se remettre
entre les mains de Dieu , Aide-toi et le ciel t'aidera . Il en a mme t fait une forme
d'entit qui aurait russi produire un fils, ceci au niveau de base de la croyance. Dautre part
les athes, eux, combattent un phnomne inconnu, n'ayant strictement rien gagner ; cest
donc assez semblable une anti-religion, qui est la mme chose qu'une religion. Si de plus le
dsir d'tre sauv par l'extrieur n'est pas exprim par une pratique suffisamment excitative,
les gens passent un niveau qui les fascine plus : les sectes. Mais le phnomne de base reste
toujours de croire une illumination extrieure, au fait dtre sauv par quelqu'un d'autre, de
croire au miracle : tre mort et ressuscit, tre malade et tout d'un coup tre guri, sans parler
de ceux qui dsirent marcher sur les eaux. Cela fait deux mille ans que a dure, l'esprit-le
corps, la lutte de l'glise contre le corps, la glorification de l'esprit. D'une certaine faon le
bouddhisme n'a pas t pargn non plus par ce genre de tendance : parfois le bouddhisme est
petit petit devenu une religion nationale et les gens pensent galement que Bouddha va les
sauver. Dans le zen galement, des personnes pensent que le vritable veil est seulement
celui de Bouddha, ou que la vritable illumination est seulement celle vcue par les
patriarches. Elles se demandent donc ce que c'est, esprent vivre la mme chose et courent
aprs un veil qui pour eux n'existe pas, car l'veil de qui que ce soit n'existe pas pour
quelqu'un d'autre.
Cette tendance croire que l'on va recevoir la grce existe donc, et alors soit les gens
ne font rien et attendent que a arrive ou, au contraire, ils essaient de tout faire pour que cela
vienne et s'puisent. Fondamentalement bien sr, il faut faire demi-tour, passer de regarder
l'extrieur regarder en soi-mme, et voir que ces croyances ne sont que des croyances, c'est-
-dire des phnomne de l'esprit. tienne disait : Les religions, c'est croire l'impossible .
Alors les gens prfrent courir aprs l'impossible plutt que raliser le possible dans leur vie.
Il faut donc faire demi-tour, faire retour soi-mme, abandonner l'ide que l'veil va vous
tomber dessus comme la foudre sur un toit, que l'illumination va vous aveugler comme un
grand flash. Mais il sagit plutt de savoir ce que vous allez faire de votre vie simple, ce que
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Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin vous voulez raliser, qui vous tes. L'veil est un mot, la vie aussi, on ne peut dcrire ce que
l'on vit. Chacun vit des choses diffrentes, chacun a des expriences diffrentes. C'est l que
se trouve le vritable veil, qui n'a pas besoin d'tre fantastique, diffrent : il se trouve au sein
mme des petites choses de la vie, condition de les voir, de ne pas traverser sa vie comme un
zombie, de ne pas oublier, de ne pas se laisser aller dormir debout, mais de vivre chaque
instant.
C'est le premier pas : abandonner cette ide fausse que Bouddha, les patriarches,
l'veil, l'illumination sont diffrents de vous-mme. Bouddha les patriarches font partie de la
tradition, et la tradition est l de faon ce que n'importe quel crtin ne se lve pas le matin et
dise : Dieu c'est moi , et cre une secte, mais qu'il y ait une ligne de respect, qui culmine
avec le respect de soi mme.
Les gens pensent toujours aux patriarches comme des merveilles. Bien sr nous
avons un grand respect pour tous les patriarches, car sans eux, sans leur ligne, sans leur
transmission, nous ne pourrions pas aujourd'hui pratiquer la grande assise. Notre
reconnaissance va donc bien sr toute cette ligne de transmission qui nous permet
aujourd'hui de connatre le bonheur de notre libration. Voil comme il faut voir les
patriarches : non pas comme des tres spciaux, mais des tres humains comme nous. La
ligne des patriarches continue toujours, et donc aujourd'hui qui sont les patriarches ?
Aujourd'hui tous les pratiquants sont les patriarches, l'veil de chacun est l'veil des
patriarches, l'veil de chacun est l'veil de Bouddha.
N'attendez pas d'veil de l'extrieur, soyez conscient de qui vous tes, appliquez une
rflexion profonde sur votre vie, sur ce que vous faites, teint de spiritualit, d'esprit de
spiritualit, c'est--dire de don, de compassion, d'amour, de bienveillance, de douceur,
d'acuit, de prcision. Ne laissez aucun vnement de votre vie comme si vous tiez endormi.
Soyez toujours prsent, ouvert, tout ce qui fait un homme ou une femme de bien. Continuez
pratiquer la posture droite, laissez aller le devant du corps, de faon ce que vous ne deveniez
ni rigide ni endormi. Ne laissez passer aucun instant sans vous en apercevoir. Et donc librez-
vous des patriarches, librez-vous du Bouddha, librez-vous mme de tous les aspects un peu
coincs parfois de la pratique, et librez-vous des rgles, des rites, mais appliquez-les
seulement dans l'ide d'une reconnaissance pour toute la transmission. Faites attention aux
gestes justes pour augmenter votre personne juste.
Voil, la grande affaire, c'est soi-mme. Il n'est pas si vident pour un pratiquant du
zen d'avaler, de digrer compltement que tout le zen c'est lui-mme. Il y a toujours un petit
coin, un petit bout, comme le petit bout de la queue du chat qui dpasse encore, un petit espoir
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Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin que l'veil ou l'illumination vont vous tomber dessus comme la grce de Dieu. Je ne voudrais
pas dire que dans la rflexion profonde il faut appliquer une certaine logique, mais il ne faut
pas non plus se lancer dans un illogisme impossible, un mysticisme thr. Gardez les pieds
sur terre, parce que la voie est sous vos pieds.
C'est un chemin qui n'est pas si court jusqu' ce quun pratiquant ait suffisamment
confiance non seulement en lui-mme, mais confiance en sa pratique de zazen, confiance dans
sa vie, de faon ce qu'il puisse dcider finalement et dire comme Bouddha : Je possde
l'veil avec tous les tres , au lieu de l'attendre.
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Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin
La 9e ide contraignante
Vous connaissez lhistoire de Gensha. Elle commence de faon surprenante pour les
Europens du monde daujourdhui : Gensha tait un pcheur, il allait la pche avec son
pre dans une barque. Evidemment, comme tous les pcheurs le pre de Gensha ne savait pas
nager. Il sest trouv que lorsquil a remont son filet, il a perdu lquilibre et il est tomb
leau. Ne sachant pas nager, il a commenc se noyer et Gesha la laiss se noyer en pensant :
Sinon, je vais passer ma vie aller la pche , alors quil voulait devenir moine. Et
Gensha est parti. Il a laiss sa vieille mre se dbrouiller toute seule et il est parti dans des
temples. Un jour il a quitt son temple pour partir en voyage, pour aller visiter dautres
matres. Comme on voyageait avec des sandales cette poque, il sest tap lorteil contre un
rocher, ce qui fait assez mal. On parle souvent de lveil et les gens croient que lveil et
purement une question de lesprit, mais alors l pour Gensha, ce fut tout son corps qui ragit.
Il ressentit cette douleur et pensa : Les autres ne sont pas moi . Bien sr il est vident de
remarquer que lexprience de Gensha aurait pu se passer avec quelquun dautre qui se serait
tap lorteil, mais qui naurait pas compris sur le moment que la voie est en fait son propre
corps et son esprit.
Il y a beaucoup dhistoires dveil des patriarches, jen ai racont dautres, vous les
connaissez. Bien entendu il y a la premire exprience de Bouddha. Lorsquon lit les textes
qui ont t crit ensuite, on voit que toutes les histoires ont t un peu enjolives par les mots,
et si vous regardez toute lhistoire du zen, vous avez tendance penser que lors de cette
transmission, tous les grands matres, les patriarches ont eu un moment, disons, le mme
veil, comme sil y avait un seul et mme veil qui provenait des mme causes, des mmes
conditions pour chacun. Aprs les gens se demandent quelles seraient les causes, les
conditions quils pourraient raliser de faon vivre le mme veil. Cest assez dlicat dire,
mais lveil ne provient pas des causes et des conditions : cest une chose subite, une
exprience subite du corps et de lesprit. Et si on essaie de le saisir avec lesprit, il ne fait que
sloigner. Cest comme toute pense propos du zen, cette lgret de la ralit disparat.
Pour Gensha donc, lorsquil sest tap le pied, pour lui ce fut un grand claircissement.
Cest une histoire qui nous raconte lexprience de Gensha. Comme on raconte lexprience
de Bouddha, comme on raconte lexprience de Sekito et de bien dautres. Et vous-mme ?
Plus vous penserez que quelque chose de spcial sest pass pour ces patriarches et quils se
sont veills je ne sais quoi, plus vous vous loignerez de votre propre ralisation. Dabord
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Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin nhsitez pas et commencez penser profondment que vous possdez ce quon appelle
lveil. De toute faon vous faites partie de la terre, de la nature, des tres vivants. Tout ceci
fonctionne, vit ensemble et tout ce monde-l, immense, on peut dire est veill, et donc vous
aussi.
La premire chose voir est dabandonner lide quil sagit de quelque chose de
spcial. Les gens qui sont un petit peu perdus dans leur vie pensent que lveil, le jour o ils le
raliseront, permettra quils sachent absolument ce quils doivent faire, que leur vie va alors
sclairer dun coup, que tout va tre transparent et facile, quaccessoirement la souffrance, la
peur, langoisse vont disparatre, et quils vont se retrouver des tres veills. Oui, peut-tre.
Mais il est prfrable de dcider que cest maintenant ! Pour votre pratique, chacun dcide de
pratiquer. Dans sa vie, chacun dcide de sa vie. Dans le zen, il y aussi la composante de
dcider : dcider que lon porte la vrit, dcider que lon porte la voie, dcider que soi-mme
est Bouddha et dcider que lon porte en soi-mme la transmission des patriarches. Au moins
la question est rgle, la qute vis--vis de ce genre de choses est termine si vous arrivez
dcider a. Voil, cest un peu le miroir.
La question videmment cest : Quest-ce quil faut possder en soi-mme pour
arriver dcider a et avoir confiance dans le fait que cest vrai ? Pouvoir dire Oui, cest
vrai ! Pouvoir sappuyer sur une foi suffisamment profonde, tablie, vidente, vivant dans le
corps et lesprit, pour savoir que la voie cest soi-mme. Ce nest pas forcment quelque
chose que qui que ce soit puisse faire sil pratique zazen une fois. Et cest l quintervient
toute la pratique, toute la pratique renouvele, rgulire de zazen, la pratique du calme, du
corps et de lesprit, de la libration des penses ngatives, et au propre et au figur, la pratique
de sasseoir : asseoir son corps, sasseoir soi-mme au milieu de la voie. Alors lorsque cette
pratique devient de plus en plus naturelle, automatique, elle rejaillit sur toute votre vie. Un
jour apparat lvidence de cette dcision, mais cette vidence ne vient pas dailleurs, elle ne
vient pas de lveil des patriarches, elle ne vient pas de lveil des Bouddhas, ce nest pas la
mme exprience, vous ne pouvez pas faire la mme exprience que Bouddha et les
patriarches, vous allez faire la vtre. Et une grande partie de cette exprience consiste
galement raliser, c'est--dire comprendre, voir que tout est l ! Que tout est en vous-
mme, aussi bien cette libration du corps et de lesprit que cette lgret de ltre et cette
dcision.
Lorsque lon parle de la longue marche hroque de la ralisation de la voie, de la
marche qui amne ltre humain justement cette dcision vidente : Je possde lveil
avec tous les tres, je possde la voie et en fait je me rends compte, je ralise en moi-mme
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Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin que je lai toujours possde et que a a toujours t comme cela ! Cest le point partir
duquel il ny a plus rien rechercher. La pratique est naturellement sans but personnel et
devient comme leau du fleuve tranquille qui coule. Et tout le bonheur que cela peut crer,
ce moment-l, normalement fait natre le dsir de le partager.
Donc souvenez-vous: noubliez pas quil y a galement une partie de dcision, votre
dcision. Impossible de dcider trop tt. Paralllement si vous narrivez jamais voir que
vous devez dcider une fois pour toutes, alors le flot des penses sur le zen, peut-tre mme
des croyances, du mysticisme, continuera et vous passerez ct de la vie relle dun moine
zen, qui vit comme un tre humain dans la ralit simple et qui fait le bien.
Etienne parlait beaucoup dans ces commentaires du Sanjushichi-Bodaibunpo, les 37
voies auxiliaires de la sagesse. En tous les cas, cest une partie qui mavait frapp
personnellement, peut-tre pas vous et dautres personnes, mais sans que jarrive vraiment
comprendre ce quil voulait dire lpoque, jai t frapp par ce quil disait de la dcision
rapide : Il faut dcider rapidement , dcider de pratiquer rapidement, dcider soi-mme de
porter la voie.
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Les 12 ides contraignantes Matre Vincent Keisen Vuillemin
La 10e ide contraignante Matre Deshimaru disait que le zen est un jeu. Si vous prenez les checs, comme
exemple de jeu, tout lintrt du jeu rside videmment dans les rgles du jeu. Si, par
exemple, vo