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Une histoire de la Confédération paysanne 1987-2007 - Une histoire de la Confédération paysanne Une histoire de la Confédération paysanne L a Confédération paysanne a fêté ses 20 ans d’existence en Aubrac en août 2007. C’est l’occasion de revisiter ces vingt années de résistance et de propositions face à une agriculture productiviste. Cet ouvrage n’est pas l’Histoire de la Confédération paysanne. C’est avant tout un travail de mémoire réalisé par quelques-uns de celles et ceux qui l’ont faite tout au long de cette période. Ainsi arrive entre vos mains cet ouvrage collectif dont nous espérons qu’il contribuera à mieux faire connaître les origines et l’histoire de la Confédération paysanne et qu’il sera également utile à celles et ceux qui cherchent à mieux comprendre leurs motivations professionnelles et syndicales. Cet ouvrage collectif existe grâce à tous les militants et adhérents qui ont été acteurs de cette histoire, ainsi qu’à ceux qui, en donnant de leur temps et en obligeant leur mémoire, ont contribué à restituer avec fidélité ce passé toujours d’actualité. Qu’ils soient ici vivement remerciés. par celles et ceux qui l’ont vécue 1987-2007

L Confédération paysanne

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Une histoire de la

Confédération paysanne

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Une histoire de la Confédération paysanne

La Confédération paysanne a fêté ses 20 ans d’existence en Aubrac

en août 2007. C’est l’occasion de revisiter ces vingt années derésistance et de propositions face à une agriculture productiviste. Cet ouvrage n’est pas l’Histoire de la Confédération paysanne.

C’est avant tout un travail demémoire réalisé par quelques-unsde celles et ceux qui l’ont faitetout au long de cette période.

Ainsi arrive entre vos mains cet ouvrage collectif dont nousespérons qu’il contribuera à mieux faire connaître lesorigines et l’histoire de laConfédération paysanne et qu’il

sera également utile à celles et ceux qui cherchent à mieuxcomprendre leurs motivationsprofessionnelles et syndicales.

Cet ouvrage collectif existegrâce à tous les militants etadhérents qui ont été acteursde cette histoire, ainsi qu’à

ceux qui, en donnant de leur tempset en obligeant leur mémoire, ontcontribué à restituer avec fidélité ce passé toujours d’actualité.

Qu’ils soient ici vivement remerciés.

par celles et ceux

qui l’ont vécue

1987-2007

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Une histoire de la

Confédération paysanne

1987-2007

Page 3: L Confédération paysanne

Ont participé au groupe de travailHistoire de la Conf’

Christiane AymonierMichel BerhocoîrigoinChristian BoisgontierPaul Bonhommeau

Jo BourgeaisJacques ChèvrePhilippe CollinGaby Dewalle

François DufourRégis HochartYves Manguy

Marie Paule MéchineauJosué MorandPatrice Vidieu

Ainsi que Sylvie François, Patricia Collin et Elise Roulleau

Merci à Benoît Ducasse qui a fouillé les archives de « Campagnes solidaires »

pour les documents d’illustation.

Page 4: L Confédération paysanne

Une histoire de la Conf’ 3

Avant-propos

Vingt ans de Confédération paysanne Page 5

Sous le signe de la rupture Page 7

1987-1995

La conquête de la reconnaissance et l’élaboration du projet Page 17

Contributions

La guerre des semences PAGE 28

Naissance d’un syndicalisme agricole alternatif au niveau européen : la CPE PAGE 30

La Confédération paysanne fait reculer Pohlmann PAGE 32

Vingt ans de combat contre l’hormone laitière PAGE 34

Lait de vache : les victoires des années 1990 PAGE 36

1990 : Les fermes de l’avenir PAGE 38

Guy Le Fur interviewé par « Le Monde » PAGE 40

1995-2002

La Confédération paysanne et son projet s’affirment dans la société et au niveau institutionnel Page 43

Contributions

Les acquis de la Conf’ sur l’amélioration des retraites agricoles (1995-2002) PAGE 62

Les petites fermes ou le poil à gratter de la Conf’ PAGE 63

La défense des producteurs fermiers (1995-2002) PAGE 64

La Conf’ refuse l’abattage total des troupeaux ovins et caprins contaminés par l’ESB PAGE 66

Destruction de riz OGM au Cirad PAGE 68

Productivisme, intégration, concentration de la production et pollution de l’eau en Bretagne PAGE 70

La Fadear : un organisme de formation au service de la Confédération paysanne PAGE 74

L’occupation de la ferme de la Cisternette PAGE 76

Pour la publicité des terres soumises au contrôle des structures PAGE 79

2002-2007

Euphorie sociétale et reflux syndical Page 81

Contributions

Naissance du Réseau semences paysannes PAGE 101

Double assassinat à Saussignac PAGE 103

Terrena, une coopérative confrontée au débat sur les OGM PAGE 106

Travailleurs saisonniers en agriculture PAGE 108

Témoignage d’une époque où la Confédération paysanne a grandi trop vite PAGE 112

« Campagnes solidaires », le Journal de nos luttes paysannes PAGE 114

En guise de conclusion Page 117

Postface

Notre responsabilité Page 122

Annexes

La composition du secrétariat national de la Confédération paysanne de 1987 à 2007 PAGE 126

Bibliographie PAGE 128

Sigles et organismes cités PAGE 130

Sommaire

Page 5: L Confédération paysanne

Une histoire de la Conf’ • Avant propos 5

La Confédération paysanne a fêté ses 20 ansd’existence en Aubrac en août 2007.

L’occasion de faire la fête, mais aussi de revisi-ter ces vingt années de résistance et de propo-sitions face à une agriculture productiviste.

Les nombreuses actions conduites pour défen-dre les paysans permettent une réflexion defond dès les années 1970 sur les conséquencesde l’agriculture industrielle. La contestation dela pensée unique, diffusée par le seul syndicatofficiellement reconnu, se développe ainsi auxquatre coins du pays. Emergent alors différen-tes formes d’organisations syndicales qui pla-cent l’homme au cœur de leur combat et qui,par leur diversité, enrichissent la réflexion puisesquissent déjà un projet aux dimensions sociale,économique et environnementale. C’est dansce terreau que sera créée la Confédération pay-sanne le 29 avril 1987. Cette décision, prisequelques semaines plus tôt par les 500 délé-gués rassemblés à Bondy, traduit l’attente des 15 000 paysans qui se sont exprimés depuisdes mois dans les assises locales en faveur d’uneagriculture respectueuse de ses paysans, de laterre et des consommateurs : l’Agriculture pay-sanne.

A cette époque, de nombreux militants de laConfédération paysanne engagés dans cettedémarche sont majoritairement formés à la JAC1

et ou dans les CDJA2, mais déjà est amorcéel’arrivée de militants ayant eu d’autres parcours.Aujourd’hui, une nouvelle génération de respon-sables prend la relève. Ceux-ci s’engagent parconviction de la pertinence du projet, des objec-tifs syndicaux et des actions de la Confédérationpaysanne ou encore pour la dimension citoyennede leur parcours professionnel.

Tout au long de ces vingt ans, la réflexion etl’action des militants ont permis de façonnerle projet que porte aujourd’hui la Confédérationpaysanne. En s’ouvrant aux citoyens, en s’asso-ciant aux paysans du monde, ils ont élargi le

mouvement dans lequel les militants s’impli-quent.Il nous est apparu important que les militantsde 2010 puissent appréhender l’origine et l’évo-lution passée de notre organisation pour y pui-ser des énergies supplémentaires pour les com-bats actuels et à venir.

C’est pourquoi demande a été faite auprès d’ungroupe de militants de se remémorer et d’ana-lyser les événements et les débats qui ont mar-qué ces vingt ans de Confédération paysanne.Il ne s’agit pas de l’Histoire de la Confédération,mais d’une histoire de la Confédération pay-sanne écrite par des militants qui l’ont faite.C’est avant tout un document de mémoire, réa-lisé par quelques-uns de ses acteurs.

L’idée originelle était de réaliser un texte, sup-port de formation de militants paysans et deceux qui les accompagnent. Puis, chemin fai-sant, au cours des deux années qu’a duré cetravail, s’est imposé le fait, au regard du corpsque prenait ce document, qu’il justifiait d’unevie propre. C’est ainsi qu’arrive aujourd’huientre vos mains cet ouvrage, qui s’espère acces-sible à ceux qui cherchent à mieux compren-dre leurs motivations syndicales. Nous croyonsqu’il intéressera également ceux qui, prochesou moins proches, veulent mieux comprendrel’esprit qui anime les paysans de la Confédérationpaysanne.

Cet ouvrage existe grâce à tous les militants « qui ont fait » ou « qui ont été acteurs » de cettehistoire ainsi qu’à ceux qui, en donnant de leurtemps et en obligeant leur mémoire, ont contri-bué à retranscrire avec fidélité ce passé. Nous leur adressons de vibrants remerciements.

Yves Manguy Régis Hochart

porte-parole 1987 porte-parole 2007

1 JAC : Jeunesse agricole chrétienne.2 CDJA : Centre départemental jeunes agriculteurs, structure départementale du CNJA.

Vingt ans de Confédération paysanne

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Une histoire de la Conf’ • La préhistoire de la Confédération paysanne 7

En dépit du corporatisme dans lequel il a étéentretenu depuis le milieu du XIXe siècle,

le milieu agricole ne s’est jamais reconnu dansun syndicat unique. Les paysans n’ont jamaisréellement adhéré à l’idée qu’ils avaient tousles mêmes intérêts et la même vision de l’ave-nir de leur condition. Le mythe de l’unité paysanne a été brandi au len-demain de la seconde guerre mondiale par lesleaders de la Fédération nationale des syndi-cats d’exploitants agricoles (FNSEA) encoreinfluencés par le pétainisme et le corporatismepaysan. Objectif : s’extraire de la Confédérationgénérale de l’agriculture (CGA), animée pardes responsables socialistes et communistes età s’imposer face à un gouvernement issu de laRésistance. Avec la Ve République (1958), le gaullismeconsolide le syndicat unique, faisant de la FNSEAet de sa branche jeunes, le Centre national desjeunes agriculteurs (CNJA), l’interlocuteur prin-cipal, voire unique, pour la mise en œuvre desa politique de modernisation rapide de l’agri-culture. Le syndicat unique « FNSEA-JA » entredans l’ère de la cogestion dans le contexte dela décolonisation et de la création du marchécommun agricole (début des années 1960).Ainsi, le mythe de l’unité paysanne a été misau service de la politique de modernisationcapitaliste de l’agriculture française.

n Une première rupture, animée par la question sociale

Dès le début des années 1960, principalementdans l’Ouest de la France (au sein de laFédération régionale des syndicats d’exploi-tants agricoles de l’Ouest, la FRSEAO), émergepetit à petit une opposition interne à la FNSEA,d’inspiration « jaciste1», représentant les inté-rêts des petits et moyens éleveurs de régions àforte vitalité démographique. De fait de leur situation géographique excen-trée, ces derniers voient leur influence réduiteà la portion congrue face à des régions plusriches, qui connaissent une forte croissanceéconomique. Sous l’impulsion de BernardLambert (secrétaire général de la FRSEAO àpartir de 1967) et de Bernard Thareau (prési-dent du Centre régional des jeunes agriculteursOuest - CRJAO), cette opposition interne reven-dique « en gros » de bénéficier des mêmes acquisque les céréaliers. Ces derniers bénéficient eneffet d’un certain nombre d’avantages accordéspar le Front populaire suite à la crise économi-que de 1929 (prix garantis, offices, organisa-tion de la production et des marchés), avec enplus le quantum2, une mesure appliquée surles céréales depuis 1936 et supprimée à l’occa-sion de la création du Marché commun agri-cole en 1958.

Les prédécesseurs de la Confédération paysanne

Sous le signe de la rupture

La naissance de la Confédération paysanne est le fruit de deux ruptures majeures : rupture avec le mythe de l’unité paysanne

et rupture avec le productivisme

Par Paul Bonhommeau ancien paysan, puis juriste à la Confédération Paysanne, de 1995 à 2007.

1 JAC : Jeunesse agricole chrétienne. 2 Depuis la FRSEAO des années 1960 jusqu’à la Confédérationpaysanne aujourd’hui, le quantum fait partie des revendica-tions de fond. Mais, selon les périodes et les courants syndi- •••

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Une histoire de la Conf’ • La préhistoire de la Confédération paysanne8

Cette opposition interne défend avec détermi-nation les fermiers face à leurs bailleurs parréférence au statut du fermage en vigueur depuis1946 ; elle s’oppose aux « cumulards » et reven-dique une répartition des moyens de produc-tion, notamment au niveau du foncier (contrôledes structures). Elle ne remet pas en cause lamodernisation, bien au contraire, puisqu’elleprône l’organisation économique (coopérati-ves et groupements de producteurs) face aunégoce traditionnel et aux firmes agroalimen-taires (dont elle dénonce les pratiques d’inté-gration des paysans3). Elle encourage les pay-sans à s’approprier le progrès technique et éco-nomique (le développement) comme un moyenpour atteindre la parité avec les autres catégo-ries sociales et pour participer à l’idéal de recons-truction de la société française à l’issue de laseconde guerre mondiale. La prise en compte d’objectifs de développe-ment régional conduit ce courant syndical àrechercher des alliances avec les syndicatsouvriers qui voient arriver, dans les entrepriseset les services de la région, les frères et sœursdes paysans poussés à l’exode par la moderni-

sation des structures agricoles4.Durant les années 1960, cette opposition interneà la FNSEA coexiste sans réellement chercherà s’allier à une autre opposition, à la fois interneet externe : il existe en effet un autre courantd’opposition, d’inspiration laïque (socialiste etcommuniste), nettement moins moderniste,qui entend défendre les petits et moyens pay-sans traditionnels. Cette opposition avait, durantles années 50 sur fond de crises de la viandebovine, animé le comité de Guéret et accompa-gné la naissance du Modef5 en 1959 dans lesdépartements où ses responsables avaient jugéimpossible de rester dans la FNSEA.L’opposition moderniste interne à la FNSEAatteint son apogée à la fin des années 1960. Unelarge partie de ses militants s’implique très acti-vement dans le mouvement de mai 1968, maisne parvient pas à modifier ni les orientations syn-dicales de la FNSEA (échec au congrès de Lyonen 1970 sur une autre répartition des soutienspublics) ni celles du CNJA (échecs au congrèsd’Orléans en 1969 et de Blois en 19707). Au cours des années 1970, cette oppositionmoderniste interne à la FNSEA et au CNJA sedisloque en trois parties :• Suite à l’échec du congrès de Lyon et la publi-cation du livre Les paysans dans la lutte des clas-ses, les responsables de plusieurs FDSEA8 dugrand Ouest se désolidarisent de Bernard Lambertet de son équipe et se rallient rapidement àMichel Debatisse. Ce dernier exprime au seinde la FNSEA la vision moderniste et progres-siste de la Jac des années 1950 (conquête dupouvoir économique, modernisation et exode

caux qui le revendiquaient, le quantum n’a pas toujours eule même contenu. Ainsi, le quantum financier s’inspire dudéficiency-payment anglais (ou paiement compensatoire) envigueur au temps du Common Wealth. Il correspond au ver-sement à tout paysan d’un montant d’aides publiques, pla-fonné par actif agricole et proportionnel au volume qu’il pro-duit (donc plafonné sous une quantité déterminée) qui luiassure un complément de revenu nécessaire par rapport àcelui obtenu par la vente de ses produits sur le marché. Leprix garanti avec quantum, quant à lui, s’inspire de la créa-tion de l’Office du blé par le Front populaire en 1936 : l’Etatgarantit des prix rémunérateurs à chaque paysan jusqu’à unequantité déterminée de production livrée sur le marché ouauprès d’un organisme stockeur. Il doit y avoir un prix garantipour chaque produit et il peut y avoir plusieurs niveaux deprix garantis selon les volumes produits (quantum A, B...).Fondamentalement, le quantum financier et le prix garantiavec quantum sont des outils au service de la répartition dela production entre paysans et entre régions, permettant d’as-surer à la fois le revenu et le maintien en nombre de paysans.Mais ni l’un ni l’autre ne sont à eux seuls des outils suffisantspour maîtriser les volumes globaux afin d’ajuster l’offre à lademande, d’où la nécessité de déterminer des quotas globauxde production.3 Ainsi, dès 1963-1964, elle dénonce vigoureusement les pra-tiques d’une firme américaine d’aliments du bétail qui intè-gre des paysans (affaire Le Méliner), ce qui ouvre un débat surl’alternative « intégration privée – intégration coopérative etdébouche sur la loi sur l’intégration de 1964.

4 C’est ainsi que les FRSEA de l’Ouest et de Basse-Normandieont manifesté dans 8 villes de l’Ouest avec la CFDT et la CGTle 8 mai 1968, une action commune décidée plusieurs semai-nes avant les événements de mai 1968.5 Modef : Mouvement de défense des exploitants familiaux– Confédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles.6 Bernard Thareau y briguait la présidence face à MichelSimon.7 La tendance Cadiot-Richard, qui présente un contre-rap-port « Pour un syndicat de travailleurs », échoue à nouveau,victime d’une manipulation des mandats par la direction sor-tante du CNJA.8 FDSEA : Fédération départementale des syndicats d’exploi-tants agricoles - échelon départemental de la FNSEA.

•••

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rural...) et il entend y représenter les petits etmoyens éleveurs – à côté des céréaliers plutôtque face à eux puisqu’il ne s’agit pas de remet-tre en cause le mythe de l’unité paysanne). Sonpoids politique augmente au sein de la FNSEA(dont il est secrétaire général de 1969 à 1978).On peut citer, à l’Ouest, le ralliement direct desFDSEA 85, 49, 22, 35, 50...• Un deuxième groupe poursuit l’oppositionau sein de la FNSEA et cherche à y renforcer lesliens avec l’opposition socialiste et commu-niste, implantée surtout dans plusieurs régionsdu grand sud de la France. C’est en particulierle cas avec l’affirmation d’un syndicalisme de l’éle-vage au niveau national au sein de la CNE9 quiregroupe toutes les sections spécialisées ani-males (sauf l’aviculture) et qui trouve relaisdans de nombreux départements au sein de sec-tions porcines, bovines, laitières, ovines... C’estégalement le cas dans la SNFM10, traditionnel-lement dirigée par des responsables socialistesou communistes comme Paul Le Sault (Haute-Vienne), et un grand nombre de sections dépar-tementales des fermiers et métayers. Enfin quel-ques FDSEA restent, dans ces années 1970,durablement ou temporairement dirigées parcette opposition interne ou fortement influen-cée par elle (29, 56, 63, 26, 44, 31, 42...). EnRhône-Alpes, l’opposition au corporatisme dela FNSEA s’enrichit de l’apport de militantscomme Marcel Louison (Loire) devenu paysanaprès avoir eu d’autres expériences profession-nelles et militantes en France et dans les terri-toires d’outre-mer. Dans le Sud-Ouest, de tra-dition radicale-socialiste, c’est la FDSEA deHaute-Garonne et son principal leader, ZéphirinEspagne, qui cristallise et fédère cette opposi-tion interne à la FNSEA. Une large partie decette opposition interne se regroupe à partir de1976 dans l’Interdépartementale pour mieuxconcrétiser ses divergences avec les dirigeants

de la FNSEA, notamment sur l’application dela taxe de co-responsabilité laitière approuvéepar la FNSEA. Elle continue de revendiquerpour les éleveurs l’organisation de la produc-tion et des marchés que l’Etat français ouBruxelles devrait mettre en place à l’instar dusecteur des céréales (offices11, prix garantis etmême le quantum et le contrôle de la taille desateliers 12). Elle revendique une gestion démo-cratique des organes de développement, descoopératives et des mutuelles, ainsi qu’uneréforme des assurances sociales et de la fisca-lité agricole. Elle promeut l’agriculture asso-ciative, le mutualisme et la coopération.• Une troisième partie de l’opposition s’organiseen tendance « paysans-travailleurs ». Sous l’im-pulsion de Bernard Lambert, mais aussi influen-cée par divers groupes politiques d’extrêmegauche, elle théorise l’exploitation du travailpaysan par le capitalisme agroalimentaire qu’ilsoit « privé » ou coopérative et par la banque 13.Elle prône l’alliance ouvriers-paysans dans laperspective d’un changement radical de société(soutien aux luttes ouvrières, jonction symbo-lique des Lip14 et du Larzac15 à l’occasion du

9 CNE : Confédération nationale de l’élevage, réunissant àcette époque les sections spécialisées de la FNSEA (FNB,FNPL, FNP, FNO, FNC, sauf la CFA) sous un même immeu-ble, la MNE (Maison nationale de l’élevage) ainsi que les ins-tituts techniques de l’élevage (Iteb, ITP, Itovic, sauf l’Itavi...)10 Section nationale des fermiers et métayers, section « spéciali-sée » de la FNSEA, devant y coexister avec la SNBR (Section natio-nale des bailleurs ruraux), selon le mythe de l’unité paysanne !

11 Ainsi sera créé l’Onibev, Office national interprofession-nel du bétail et des viandes, à la demande de la Fédération natio-nale bovine (FNB), dirigée par Marcel Bruel, et de la Fédérationnationale porcine (FNP), dirigée par Bernard Thareau.12 Ce furent des revendications constantes de la Fédérationnationale porcine (FNP) jusqu’en 1978.13 Bernard Lambert publie au printemps 1970 Les paysansdans la lutte des classes ; il y développe la thèse de la proléta-risation des paysans par le capital agroalimentaire, et fait despaysans modernisés le fer de lance de la lutte des classes dansles campagnes, aux côtés des ouvriers. Cette thèse s’opposeà celle, également marxiste, de la décomposition de la paysan-nerie (disparition inéluctable des petits et moyens paysanspar le capitalisme) faisant des paysans des alliés plutôt pas-sifs de la classe ouvrière... S’ensuivra un débat interne chezles paysans-travailleurs sur les revendications : en faveur despaysans modernisés ou en faveur des très petits paysans (quan-tum à 50 000 l ou à 100 000 l). Dès le milieu des années 1970,Bernard Lambert nuancera ses analyses en s’intéressant ausort des petits paysans non modernisés. 14 Au cours des années 1970, les ouvriers de la fabrique demontres Lip, à Besançon, ont mené une longue occupationd’usine avec remise en marche de la production, démontrantque l’autogestion est possible.15 En 1971, le gouvernement décide d’agrandir le camp mili-taire du Larzac : plus de cent fermes sont menacées. Dix ansde luttes non violentes ponctuées par des rassemblementsimportants dont celui de 1973 à l’appel des Paysans-travail-leurs, ont abouti à l’abandon du projet, en 1981.

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Une histoire de la Conf’ • La préhistoire de la Confédération paysanne10

rassemblement de 1973 à l’appel des paysans-travailleurs,...). Elle refuse catégoriquementtoute forme de cogestion avec l’Etat ou de ges-tion des organisations économiques agricoles.Elle conteste ouvertement le mythe de l’unitépaysanne. Ce courant « paysans-travailleurs »donne la priorité aux luttes contre les « exploi-teurs » des paysans, au détriment des revendi-cations de changement de politique agricoleface à l’Etat. C’est ainsi qu’il s’implique dans ladéfense syndicale et juridique des éleveurs inté-grés coordonnée dans le CLEI16 qui débouchera,d’une part, sur une jurisprudence favorable auxéleveurs (loi de 1964 sur l’intégration) et, d’au-tre part, sur l’élaboration de contrats-type (loien 1980). Il soutien également les fermiersmenacés d’expulsions17, puis à partir de 1976,les paysans endettés auprès de la banque (lespaysans-travailleurs demandent au Crédit agri-cole un « droit aux prêts » puis l’ajustementdes annuités selon la capacité de rembourse-ment pour préserver un niveau de vie décent)ou auprès de leurs fournisseurs et créanciers(qu’ils soient coopératifs ou « privés ») ou encoreface aux organismes d’assurance sociale (auprèsdesquels ils revendiquent moratoires, étalementsou annulations de dettes18). La revendicationdu « prix de revient avec quantum » sert d’ob-jectif aux actions revendicatives face aux indus-tries laitières (y compris lorsqu’il s’agit de s’op-poser aux primes de quantité). Les paysans-tra-vailleurs participent aux mobilisations contrela taxe de coresponsabilité laitière et contre lescrises de marché des viandes mais sans vrai-ment chercher à les animer.Au début des années 1970, les mouvements reven-dicatifs pour obtenir un prix du lait rémunéra-teur – et tout particulièrement l’épisode de lagrève de livraison du lait en Bretagne Ouest aumois de mai 1972 – concrétisent encore pour de

très nombreux paysans l’unité de ces deux cou-rants d’opposition à la FNSEA. Ainsi, la grève dulait bretonne fut conduite par les FDSEA 29 et 56et relayée par la FDSEA 44, le CRJAO, de trèsnombreuses FDPL (22, 53, 72, 88, 42...), sur desthèmes et des modes d’action résolument « pay-sans-travailleurs ». La revendication, « dans leprix du lait notre salaire ! » s’adresse directementaux laiteries, sans distinction de leur statut (privéou coopératif), et s’appuie sur le blocage descamions de collecte ou de l’accès à l’usine. Pourtant, au fil des années 1970, les divergencesvont s’accentuer malgré des alliances ponctuel-les sur certaines actions (contre la taxe de cores-ponsabilité laitière en 1978 ; contre les « cumu-lards » du foncier ou pour le maintien de fer-miers en place, contre les primes de quantitésou encore pour soutenir les éleveurs intégrés...).A la fin des années 1970, la gauche paysannemoderniste est très éclatée et marginalisée :

• L’opposition interne à la FNSEA se fait pro-gressivement laminer tout au long des années1970 sous l’impulsion de Michel Debatisse,alors secrétaire général (reprises en main de laFNP en 1976, de la SNFM en 1978 ; exclusionde la FDSEA 44 en 1978 ; d’autres FDSEA sontreprises en main (56, 53...) ; reprise en main denombreux CDJA, grandement facilitée par lesdéparts des militants paysans-travailleurs). Dansquelques départements, une opposition interneà la FNSEA se maintient avec une base sociale

16 CLEI : Comité de lutte des éleveurs intégrés, créé en 1974.17 La liste des actions est très longue, particulièrement dansle Grand Ouest (affaires Ameteau, Tribondeau, Cheix-en-Retz,Pellerin, la Vigne-Marou...).18 Ces actions et revendications contribueront à l’adoptiondes dispositifs administratifs d’accompagnement des paysansen difficulté (1982) et de la loi sur les procédures collectivesen agriculture (1988).

Bernard Lambert« Jamais plus les paysans ne serontdes Versaillais », s’écria BernardLambert, en 1973, lors de la marchesur le Larzac dont il fut l’initiateur.Né dans une famille de métayers del’ouest de la France en 1931, il adhère

à 17 ans à la Jeunesse agricole chrétienne (JAC) dont ildevient secrétaire général au côté de Michel Debatisse.Député MRP de 1958 à 1962. Secrétaire général de laFRSEAO de 1967 à 1970, il adhère au PSU en 1967.Bernard Lambert publie Les Paysans dans la lutte desclasses et participe activement au mouvement despaysans-travailleurs. Il est décédé en 1984.

PORTRAIT

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Une histoire de la Conf’ • La préhistoire de la Confédération paysanne 11

relativement large, principalement à traversl’animation de sections spécialisées de l’élevage(lait, viande bovine, caprine, porcine...), ouencore de sections départementales de fermierset métayers. Un certain rapprochement avecl’opposition interne socialo-communiste auralieu, facilitée notamment par le Parti socialiste(et de l’accord avec le PCF pour former l’Unionde la gauche), auquel adhèrent de nombreuxmilitants de l’Ouest.

• La tendance paysans-travailleurs décidede s’organiser en syndicat 19 à partir de 1974. C’estla création du syndicat des Paysans-travailleurs(PT). Déjà très minoritaire à l’issue de la scis-sion d’avec le CNJA en 1972, elle ne parvientpas à entraîner avec elle les paysans en nom-bre – un objectif qui n’a d’ailleurs jamais faitl’unanimité en raison d’un débat interne rugueuxentre les partisans d’un « syndicat de masse »et d’un « syndicat de classe » qui va durer plu-sieurs années. De plus, elle se scinde en deuxà la veille des élections législatives de 1978,avec la création du Mouvement syndical destravailleurs de la terre (MSTT).

A la fin de la décennie, cette gauche syndicaleglobalement issue du même creuset (Jac, CNJA,FRSEA de l’Ouest...) est dominée par ses diver-gences de tactique organisationnelle (dans ouhors FNSEA,) et de projet politique (réformeou révolution), alors qu’elles ont pourtant desrevendications parfois assez proches (défensedu statut du fermage, répartition du foncier,refus des primes de quantités et de la taxe decoresponsabilité laitière...). En clair, elles fonc-tionnent trop souvent en « frères ennemis »qui mettent l’accent sur ce qui divise (la gestion

des outils économiques) plutôt que sur ce quirassemble (défense du revenu et du maintiende l’emploi paysan). Elles ne parviennent pasà entrer réellement en relation avec les autrescourants d’opposition internes et externes à laFNSEA (Midi viticole, Modef...)20, ni non plusà attirer des néoruraux engagés dans des pra-tiques alternatives.L’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 consti-tue une solution – ou un électrochoc – propiceà l’accélération des regroupements et des recom-positions : création de la Confédération natio-nale des syndicats de travailleurs paysans(CNSTP) en 1981 et de la Fédération nationaledes syndicats paysans (FNSP) en 1982.

n Une deuxième rupture animée par la question écologique

La prise de conscience des questions écologi-ques et les interrogations sur la finalité de laproduction existait en agriculture depuis plu-sieurs années, sans véritable expression syndi-cale. Elle s’illustre notamment à travers l’expé-rience et le témoignage de nombreux néoru-raux inspirés par la contestation de la sociétéde consommation que portait une partie dumouvement de mai 1968.La première expression syndicale sur ces ques-tions arrive avec l’affaire du veau aux hormo-nes (septembre 1980) : une affaire d’intégra-tion portée par les Paysans-travailleurs et leCLEI face à une coopérative (« non seulementles paysans sont exploités mais on leur imposedes pratiques frauduleuses »), se transforme, àl’occasion d’un hold-up médiatique de l’Unionfrançaise des consommateurs (UFC), en criti-que du mode industriel de production du veau

19 Objectif affirmé au congrès de Rennes en 1974.20 Pour tenter une explication de ce manque de « communi-cation », il serait peut-être intéressant d’analyser les différen-ces sociologiques, économiques et politiques entre les zonesrurales restées jusqu’au milieu du XXe siècle sous dominationdes notables et de la religion et les zones dites « rouges » ourépublicaines où la paysannerie est devenue plus tôt et plus mas-sivement propriétaire des terres – et davantage influencée parles idées « radicales », socialistes et même communistes. Dansle premier cas de figure, la JAC d’obédience catholique, a per-mis en à peine une génération le passage d’une soumissiondes paysans aux notables locaux (cf. ce que Bernard Lambert

rapporte sur son père à l’égard de son propriétaire : « M. not’maî-tre ») à la prise de pouvoir d’une élite paysanne reconnue parses pairs, sur l’ensemble des organisations agricoles. L’accessionà l’exercice de la citoyenneté, à travers l’engagement ou enréférence à un parti politique, est venue plus tard (après mai1968). Dans le second cas de figure, l’idéal républicain a impré-gné les campagnes tout au long du XIXe, autorisant une arti-culation plus subtile entre les questions agricoles et syndica-les et l’exercice de la citoyenneté, y compris dans son versusrévolutionnaire (cf. par exemple, l’implantation du PCF et dessyndicats de Paysans-travailleurs dans le centre de la Franceavant la Seconde Guerre mondiale).

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de boucherie21 (« la recherche exacerbée du ren-dement aboutit à faire produire de la merde pourle consommateur, et cela grâce aux subventions »)accompagnée de la proposition d’un soutienpublic à la production de veau sous la mère.En 1981, la CNSTP tiendra sa première assem-blée générale réunissant les Paysans-travail-leurs, le MSTT et des groupes départementauxexternes à la FNSEA sur le thème unificateurde la critique du productivisme. Sous l’impul-sion de Bernard Lambert, elle entend appré-hender tous les aspects du productivisme pouren porter une critique radicale articulant la ques-tion sociale (« les paysans sont exploités par lesfirmes ») et la question écologique (« les firmesimposent aux paysans des pratiques dangereusespour l’environnement et pour la santé humaine »).Pour les travailleurs paysans (CNSTP) et BernardLambert, cette interpellation s’adresse à tousles petits et moyens paysans quel que soit leursystème de production, puisque, selon la thèsede la prolétarisation, les paysans ne sont pasréellement responsables des choix techniqueset économiques qu’ils mettent en œuvre.L’irruption de la critique du productivisme appa-raît également, sur les questions sociales, commeun moyen de dépasser l’opposition entre « pay-sans modernisés » et « paysans traditionnels ».Question sociale (défense du travail et de l’em-ploi) et question écologique (critique du pro-ductivisme) sont alors revendiquées commecomplémentaires. Dans un premier temps, de 1981 à 1984, endépit de la participation de la CNSTP aux Etatsgénéraux du développement organisés par EdithCresson 22 en 1982 et de l’adhésion de nombreuxpaysans engagés depuis longtemps dans des pra-tiques alternatives, les instances dirigeantes dela CNSTP considèrent que « produire autre-

ment » n’entre pas vraiment dans le champ syn-dical, mais relève plutôt des organismes dits dedéveloppement (Ceta23, GVA24, etc.). De même,la critique du productivisme n’inspire que trèspeu les revendications de la CNSTP et de laFNSP sur les sujets de politique agricole qu’ilssont désormais habilités à discuter, voire à « négo-cier » avec le gouvernement, dans leur tout nou-veau statut de syndicats reconnus : reconnais-sance de l’agriculture en difficulté, participationaux conférences annuelles, modalités de gestiondes quotas laitiers, revendication pour un statutpaysan... : l’essentiel des revendications des deuxorganisations se fonde sur la question sociale.Cependant, la critique du productivisme, mêmeportée avec nuance, favorise directement etindirectement l’expression de démarches indi-viduelles et collectives qui concrétisent desalternatives à l’intensification (système herbe parrapport au système maïs-soja, démarche auto-nome et économe, production fermière, ventedirecte...) et la reconnaissance de ces pratiquespar les organisations.

23 Ceta : Centre d’études des techniques agricoles.24 GVA : Groupement de vulgarisation agricole.

Bernard ThareauNé en 1936, Bernard Thareau reprendl’exploitation familiale, en Loire-Atlantique, à 26 ans. Formé dans lecreuset de la Jeunesse agricole chré-tienne (JAC), il devient président duCDJA, en Loire-Atlantique, en 1963.

Il est secrétaire du premier groupe coopératif de France,la Coopérative agricole La Noêlle-Ancenis (Cana), de 1971 à 1982. Président de la Fédération nationale porcine(FNP), de 1969 à 1976, Bernard Thareau est, avecBernard Lambert (lire p.10), un des principaux acteurs de la contestation des positions de la FNSEA dans le monde agricole. Adhére au Parti socialiste en 1971,pour être le secrétaire de sa Commission nationale agricole de 1976 à 1997. Bernard Thareau est députésocialiste au Parlement européen, de 1981 à 1994, et coordinateur du groupe socialiste européen pour les questions agricoles. Bernard Thareau est décédé à Nantes en 1995.

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21 Cette action a permis à la FNSEA de mettre les Paysans-travailleurs au banc des accusés aux yeux des paysans, maiselle eut aussi pour effet de renforcer l’interdiction de l’usagedes hormones dans l’élevage, par la France puis par l’Unioneuropéenne (1984). Cette interdiction est à la source d’uncontentieux quasi permanent UE-USA jusqu’à la condamna-tion de l’UE par l’OMC, les rétorsions américaines et l’affaireMcDo, en 1999.22 Edith Cresson est ministre de l’Agriculture du gouvernement Mauroy de 1981 à 1983.

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C’est seulement dans la dynamique de la créa-tion de la Confédération paysanne (journéesde Bondy et assemblée générale constituanteen 1987) que s’affirme clairement le doubleprojet syndical : la défense des travailleurs dela terre (question sociale) et l’affirmation d’unealternative au productivisme à travers le projetd’une Agriculture paysanne. Les deux axes sontexplicitement formulés dans la raison sociale dusyndicat : « Pour une agriculture paysanne et ladéfense de ses travailleurs ».Ainsi dès sa naissance, la Conf’ se définit et sepositionne par rapport aux autres organisationsprofessionnelles en assumant deux rupturesqui mettent fin au mythe de l’unité paysanne :• les intérêts des petits et moyens paysans (quel-les que soient l’imprécision ou l’ambiguïté deleur définition) ne sont pas les mêmes que ceuxdes gros agriculteurs et des organisations éco-nomiques du secteur agroalimentaire, y com-pris celles que les paysans sont censés gérer(coopératives, mutuelle d’assurance agricole,banques, etc.)• il n’y a pas de projet unique (la modernisationcapitaliste) pour l’agriculture et ses paysans.L’alternative existe : c’est l’Agriculture paysanne,qui marque l’opposition à l’agriculture d’entre-prise productiviste revendiquée par la FNSEA.La Conf’ propose une alternative cohérente etglobale qui suppose, du global au local (et inver-sement), une réorientation profonde de la poli-tique agricole et des pratiques professionnel-les. L’Agriculture paysanne devient à la fois l’ob-jectif d’une autre politique agricole et une démar-che professionnelle concrète, témoignant de lajustesse du propos et de la faisabilité du projet.

n Un renouvellement de postures préexistantes

Réorientation du refus du corporatismeLa volonté de sortir du corporatisme était déjàprésente dans l’opposition moderniste au seinde la FNSEA dès le milieu des années 1960.Elle fut à l’origine de Paysans-travailleurs qui,en s’appuyant sur la théorie de la prolétarisa-tion des paysans, recherchait l’alliance avec lesouvriers dans la perspective de la révolution

socialiste. Avec la critique du productivisme etl’affirmation du projet d’Agriculture paysanne,la Confédération paysanne entend lutter contrele capitalisme agroalimentaire ; mais elle se rap-proche surtout des consommateurs, des envi-ronnementalistes et des associations tiers-mon-distes25 au nom d’un intérêt commun ou d’unevision commune sur l’agriculture, l’alimenta-tion et l’espace rural ; la stratégie d’alliance avecles salariés passe au second plan. Ce n’est qu’à partir de la fin des années 1990,avec la forte implication de la Confédérationpaysanne dans le mouvement social de contes-tation de la mondialisation libérale qu’elle ycôtoiera à nouveau des organisations syndica-les de salariés, aux côtés d’associations écolo-giques, tiers-mondistes et des organisations dedéfense des droits. Mais il faut aussi soulignerque la critique du productivisme et l’alterna-tive proposée, à savoir l’Agriculture paysanne,ont contribué au sein de la Confédération pay-sanne à revaloriser les pratiques traditionnelles(perçues comme plus naturelles, plus humai-nes, plus écologiques,...) et surtout à revalori-ser une identité paysanne et affirmer ses spé-cificités par rapport à l’expression des modes de

25 Cette volonté sera formalisée en 1992 avec la créationd’Alliance paysans consommateurs écologistes.

Zéphyrin EspagneInstallé dans une petite exploitation de polyculture et d’élevage du Sud-Ouest, en 1963, Zéphirin Espagnes’engage dans le syndicalisme agricoleoù il participe à la mise en cause du corporatisme au sein de la FNSEA.

En 1973, président de la FDSEA de Haute-Garonne, il fédère l’opposition interne à la FNSEA dans sa région,puis participe activement à son expression nationale dans l’Interpaysanne contre la taxe de coresponsabilitélaitière et les montants compensatoires monétaires. Il participe à la création, en 1982, de la Fédération nationale des syndicats paysans (FNSP) dont il devientsecrétaire national jusqu’à la naissance de laConfédération paysanne en 1987. Retraité depuis onze ans, Zéphirin Espagne a 71 ans.

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vie urbains, fussent-ils exprimés par le salariatou la classe ouvrière. Cette identité est non seu-lement professionnelle (valorisation de l’auto-nomie, voire de l’indépendance du paysan, dela maîtrise de son travail, de ses savoir-faire etde ses choix professionnels) mais aussi sociale(lien social, insertion locale...). Dans ce processus, il arrive que la question éco-logique ne constitue plus le prolongement dela question sociale (dans ses dimensions à lafois corporative, universelle et solidaire de lacondition du travailleur). Elle a tendance à l’oc-culter, voire à s’y substituer.

Consolidation des situations minoritaireset attitudes élitistesL’apparition de nouveaux enjeux (articulationentre question sociale et question écologique,entre revendications globales et actions loca-les) dynamisent considérablement la démar-che syndicale, mais elles ne facilitent pas l’adhé-sion massive des paysans, y compris ceux quidéfendent une vision traditionnelle de leurmétier. D’une part, parce qu’elle nécessite unedémarche intellectuelle exigeante et relative-ment complexe et, d’autre part, parce qu’ellenécessite la volonté et/ou la possibilité, de met-tre, au moins progressivement, ses actes profes-sionnels en rapport avec ses idées et le projetd’Agriculture paysanne.Il n’est donc pas surprenant que la démarche syn-dicale de la Confédération paysanne, originaleet dynamique socialement et politiquement, aitconforté des postures minoritaires et élitistespréexistantes, subies ou assumées par la majo-rité de ses militants dans le « milieu paysan ».

Minoritaire pour des raisons historiques.Elle résulte des conditions d’émergence et d’exis-tence du courant moderniste contestataire tanten dehors que dans la FNSEA, depuis la fin desannées 1960. Le courant paysans-travailleurs, par ses débatsinternes, par la manière dont il a organisé sarupture avec le CNJA et la FNSEA dans lesannées 1970, a aggravé (et assumé ?) sa situa-tion minoritaire. L’analyse économique, politi-que et stratégique était alors considérée plus

importante que l’adhésion de la « masse » despaysans. Rétrospectivement, on peut considé-rer cela comme un échec ou un gâchis. Maisen revanche, il n’est pas surprenant que ce cou-rant ait agi davantage en rupture avec l’ordre éta-bli et qu’il ait fourni à la Conf’ une proportionimportante de militants aguerris et déterminés.De son côté, le courant FNSP (essentiellementopposition interne à la FNSEA jusqu’en 1981)a constamment eu le souci d’éviter la margina-lisation et de tenir un discours et des revendi-cations accessibles au plus grand nombre depaysans. Toutefois, en dehors de quelques dépar-tements, il a subi le laminage interne orchestrépar Michel Debatisse. En 1983, le résultat des élections aux cham-bres d’agriculture montre la situation minori-taire des deux organisations qui seront, plustard, les principales composantes de la Confé-dération paysanne : pour la CNSTP (7,2 % enmoyenne nationale), une audience très mino-ritaire et disséminée dans plus de la moitié desdépartements (10,2 % en moyenne dans les 48départements où elle fut présente) ; pour laFNSP (à peine 5,7 % en moyenne nationale),une audience départementale d’environ 15 %en moyenne, mais une présence dans un nom-bre limité de départements.

Elitiste par la démarche professionnelle etsyndicale des militants. L’élitisme dans laConfédération paysanne a plusieurs originesqui influencent encore le comportement denombre de ses militants. On peut citer :• celui de la JAC, qui avait l’ambition explicitede former les élites du milieu rural, tout autantque d’agir pour la promotion de tous26 ;• celui d’un militantisme politique « révolu-tionnaire » des années 1970, qui théorisait lerôle d’une « avant-garde » en mesure d’éclairer

26 Ce double objectif fut l’objet d’un différend important ausein de la JAC et du CNJA dans les années 1950, entre Debatisseet Lambert, le premier s’affirmant comme un responsableéclairé, en mesure de négocier avec l’Etat l’intérêt des pay-sans (s’il le faut à leur insu), alors que ce dernier cherchait enpriorité l’adhésion et la promotion du plus grand nombre –ce qu’il avait su mettre en pratique au sein de la FRSEAO de1964 à 1970.

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les masses sur le chemin de la révolution socia-liste27 ;• celui d’une démarche professionnelle en rup-ture avec les pratiques dominantes des autrespaysans. C’est le cas, en particulier depuis 1968,pour de nombreux néoruraux (installés « horscadre familial »). Le plus souvent, leur « diffé-rence » ne se limitait pas aux pratiques profes-sionnelles, mais concernait aussi la sphère pri-vée (conception de la famille, attitude vis-à-visde la religion, notion des loisirs...), renforçantles difficultés d’intégration en milieu rural. Leprojet d’Agriculture paysanne encourage expli-citement les paysans à entreprendre ou à assu-mer ce type de rupture : dans ces conditions,il fallait – et il faut toujours – beaucoup de téna-cité, de détermination, de volonté pour resterpaysan et résister au jugement des autres, voireà leur attitude hostile. Il faut également uneprise de conscience très importante pour appré-hender et articuler tous les aspects du projetsyndical. Le témoignage (réussite professionnelle,sa cohérence avec les idées défendues par lemilitant et avec le projet global du syndicat)s’avère souvent plus important que l’objectifd’emporter l’adhésion du plus grand nombre ;• celui de la rupture avec le productivisme : leprojet d’Agriculture paysanne valorise les démar-ches d’autonomie par rapport aux firmes, à labanque et même aux propriétaires fonciers.Dans les années 1970, l’horizon des paysansétait leur intégration par le capitalisme agroa-limentaire ce qui signifiait, pour les paysans-travailleurs, la nécessité de défendre leur forcede travail aux côtés des ouvriers. Mais à partir

des années 1980, avec le projet d’Agriculturepaysanne, la Confédération paysanne met l’ac-cent sur la responsabilité des paysans dans leurschoix techniques et économiques avec l’objec-tif d’une certaine indépendance vis-à-vis desfirmes agroalimentaires (circuits courts, filiè-res de qualité...). C’est ainsi, que sont très valo-risées les démarches de producteurs fermiersen vente directe et l’agrobiologie.Situation minoritaire et démarches élitistes ontfavorisé une Confédération paysanne de mili-tants plutôt qu’un syndicat d’adhérents quiserait en mesure de proposer des services et desniveaux d’engagements différents ou progres-sifs vers le militantisme et la responsabilité syn-dicale. Sans doute ont-ils aussi favorisé un dés-intérêt pour le fonctionnement du syndicat etpour son rôle d’éducation populaire, ainsi quepour des fonctions de défense corporative (rejetfréquent d’un syndicat en mesure d’offrir des ser-vices, y compris juridiques), sauf peut-êtreenvers les paysans en difficulté28. l

28 Toutefois, la défense des paysans en difficulté fut rapide-ment déléguée à une association autonome : Solidarité pay-sans.

27 La JAC avait l’ambition de former des leaders, c’est-à-diredes responsables issus du milieu paysan, à côté, à la place oucontre les notables traditionnels (hobereaux, instituteurs,commerçants et professions libérales...) lesquels, depuis lemilieu du XIXe siècle, assuraient non seulement leur domina-tion sur le milieu rural mais aussi une fonction de médiationentre ce milieu et l’« extérieur » ou le « reste de la société »,le plus souvent dans le cadre d’une concurrence politiquedroite catholique/gauche républicaine. Le militantisme révo-lutionnaire des années 1970 reprenait cette fonction de média-tion (les luttes paysannes au service de la révolution) mais réfu-tait le plus souvent la fonction du leader ou responsable iden-tifié et reconnu par les masses (par crainte de l’être par lesforces répressives).

Marcel LouisonFils de mineur, Marcel Louison participe à la Résistance.Après avoir dénoncé le pouvoir français en Indochine et démissionné de l’école militaire de Saint-Cyr, il fait le choix d’être paysan dans la Loire. Très engagé dans le développement local, il est l’un des cofondateursde l’Association de formation et d’information pour le développement d’initiatives rurales (Afip), en 1981.Syndicaliste agricole, Marcel Louison s’oppose au corporatisme de la FNSEA et milite activement pourune recomposition de la mouvance paysanne progressiste. Il est un des stratèges de la Fédérationnationale des syndicats paysans (FNSP), scission de la FNSEA et du CNJA, en 1982, qui participera à la création de la Confédération paysanne, en 1987. Marcel Louison est décédé en 2002.

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n Une naissance prévue depuisquelques années, accélérée par le retour de la droite au pouvoir

En 1981, dès l’arrivée de la gauche au pou-voir, les Paysans-travailleurs impulsent un

premier regroupement qui donne naissance àla CNSTP (Confédération nationale des syndi-cats de travailleurs paysans).En 1982, les contestataires internes de la FNSEAcréent la FNSP (Fédération nationale des syn-dicats paysans). Déception de Bernard Lambertet de la CNSTP qui auraient aimé fédérer lesdissidents à la veille des élections aux cham-bres d’agriculture de janvier 1983. Mais ces der-niers, de culture syndicale FNSEA, estimentque la CNSTP n’est pas un syndicat de masse.Cette division de l’opposition à la FNSEA seretrouve dans les résultats de cette élection :• la CNSTP, présente dans 65 départements,recueille 7,2 % des voix, soit une moyenne de10 % dans les départements où elle a présentédes listes ;• la FNSP atteint 5,7 % pour 35 départements,soit une moyenne de 14 % avec de grands écarts.Elle conserve la chambre de Loire-Atlantique.Dans la période qui suit, dans quelques dépar-tements, les deux syndicats se retrouvent enconcurrence, alors qu’ils ont des analyses et desrevendications assez proches : les militants n’encomprennent pas toujours les subtilités et expri-ment la nécessité de rassembler les efforts. Maiscertains responsables, pour des raisons histo-riques et politiques, sont très en retrait sur cesdemandes (par exemple, ce fut très sensible aucongrès de la CNSTP à Villeneuve-sur-Lot, en1984). Cependant, des contacts se nouent etquelques actions sont conduites ensemble.

Des assises paysannes au projetd’Agriculture paysanneA la suite des élections législatives de mars 1986gagnées par la droite, François Guillaume 1,alors président de la FNSEA, est nommé minis-tre de l’Agriculture. Il n’a jamais accepté lareconnaissance du pluralisme syndical par EdithCresson2. Dès son entrée en fonction, il décidede rétablir la cogestion exclusive avec la FNSEAet le CNJA et supprime les quelques subsidesqui avaient été accordés aux syndicats minori-taires. Ces menaces sur le pluralisme syndicalont accéléré le mouvement de rapprochementengagé entre la FNSP et la CNSTP depuis 1984.Ces deux organisations réussissent leur pre-mière action nationale commune en s’invitantà 150 à une conférence que François Guillaumeorganise avec ses « collègues » de la FNSEA, dansla discrétion, à l’école d’Agriculture de Grignon,au mois de juillet 1986, sur l’orientation de lapolitique agricole. Le coup d’envoi est donné. Dans la foulée, les deux organisations lancentla tenue d’assises paysannes dans tous les dépar-tements pour permettre aux paysans de débat-

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La conquête de la reconnaissance et l’élaboration du projet

1 François Guillaume a été ministre de l’Agriculture dans le 2e gouvernement de Jacques Chirac de 1986 à 1988.2 Edith Cresson a été ministre de l’Agriculture dans legouvernement de Pierre Mauroy de 1981 à 1983.

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tre et de se prononcer sur quelle agriculture etquelle politique agricole ils souhaitent.15 000 paysans participent à ces réunions loca-les, suivies des Assises nationales de Bondy (les17 et 18 mars 1987), où se retrouvent 500 délé-gués venus de 70 départements qui se pronon-cent pour le projet d’Agriculture paysanne. Maisun tel projet ne peut vivre que s’il est porté parune structure syndicale, qui doit voir le jour leplus tôt possible. Le 29 avril, six semaines plustard, naît la Confédération paysanne.

L’unité poussée par la base La mise en place du Comité national est faitesur un principe égalitaire entre les deux prin-cipales structures (10 + 10) malgré la différencede présence géographique. Un délégué supplé-mentaire représente Espoir rural qui attendaitl’unification pour adhérer à une structure natio-nale. De même pour le secrétariat : 2 + 2 + 1,au sein duquel sont désignés un porte-parole,Yves Manguy de la CNSTP, et un secrétaire géné-ral, Bernard Rapion de la FNSP.En dépit des difficultés financières des deuxorganisations, en partie dues à la répressionfinancière et qui contraignent à un fonction-nement minimal, la nouvelle organisation seconcrétise rapidement dans les départementsalors que les discussions préliminaires entre lesdeux organisations nationales avant les assisesne le laissaient pas supposer. L’AG constituante de la Confédération pay-sanne, premier temps fort d’unification, se tientà Rennes dès décembre 1987 et voit l’adhésionde l’UDSEA du Finistère.De nombreux délégués se rencontrent pour lapremière fois, expriment leur satisfaction de cetteunion qui donne plus de force et de crédibilitéà la remise en cause du modèle dominant.C’est cette AG qui décide à l’unanimité de lamarche sur Paris, qui a lieu en mars 1988. Ellemobilise 1 500 adhérents, avec 45 chars venusde Rennes, Nantes, Toulouse, Lyon, Arras...pour revendiquer devant le Parlement une nou-velle politique agricole. C’est aussi le moyende manifester publiquement et nationalementl’existence de la Conf’ dans la perspective desélections chambre de 1989.

Au cours de cette deuxième année d’existence,les syndicats départementaux se structurent,révélant une nouvelle dynamique, avec l’ambitiond’unir les forces pour être davantage présents surle terrain et être mieux entendus par les médiaset le pouvoir.Dans la plupart des départements, l’unifications’effectue de manière positive et rapide malgréles craintes des plus pessimistes (et à l’excep-tion de la Loire-Atlantique, où la réunificationne se fera qu’en 1997). Elle est une volonté desadhérents qui éprouvent davantage d’intérêtpour l’union dans l’action que pour les débatspolitiques.Au niveau national, la volonté de travail en com-mun est réelle, mais, jusqu’en 1989, les tensionsrestent fortes entre les deux principales com-posantes de la Conf’ dont la culture syndicaleest très différente. Elles portent notamment surdes questions stratégiques importantes : - les « ex-FNSP », de culture plutôt syndicatde masse, sont moins réticents à aller à la dis-cussion avec le pouvoir en place pour trouverdes aménagements possibles, mais certains d’en-tre eux sont parfois accusés d’être la courroie

Yves ManguyFils de métayer, militant de laJeunesse agricole chrétienne (JAC) à 14 ans, Yves Manguy milite à la findes années 1960 au sein du Centrenational des jeunes agriculteurs(CNJA). Il participe activement au

courant paysans-travailleurs. Après deux ans decoopération en Afrique, Yves Manguy s’installe enfermage en 1966. Artisan de l’unification desmouvements qui vont constituer la Conféddérationpaysanne, il en sera le premier porte-parole (1987-1989). Cofondateur de la Coordination nationale dedéfense des semences fermières (CNDSF), il s’opposeaux OGM dès la fin des années 1990 et participe aumouvement des Faucheurs volontaires à partir de l’été2004. Alors maire de Londigny, en Charente, il publiequatre arrêtés anti-OGM. A 71 ans, retraité et toujoursmilitant, Yves Manguy est l’un des vingt grévistes de lafaim (victorieux) contre la culture du maïs OGM MON810, en janvier 2008. Il est adhérent des Verts etsignataire d’Europe écologie.

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de transmission du PS et de ne pas vouloir bous-culer la gauche au pouvoir ;- les « ex-CNSTP », de culture plus élitiste ouminoritaire et revendicative, sont plus favora-bles aux actions de terrain fortes ou symboli-ques, jugées nécessaires pour obtenir des réfor-mes sans se laisser endormir par le pouvoir. Les tensions sont également présentes au seindu comité de rédaction de Campagnes solidaires.Au cours de cette période, malgré quelques réti-cences ici ou là, l’idée d’un retour en arrière nese manifeste à aucun moment. L’arbre de laConfédération paysanne est planté.Les résultats des élections chambre de 1989sanctionnent positivement l’existence et la légi-timité de la Conf’. Cette dernière dénonce lerefus de la gauche de rétablir le mode de scru-tin à la proportionnelle intégrale établi par EdithCresson pour les élections aux chambres del’agriculture de 1983, auquel François Guillaumea substitué le scrutin majoritaire. La campagne

est conduite sur le thème de l’Agriculture pay-sanne, avec pour objectif de présenter un maxi-mum de listes exprimant clairement les orien-tations de la Conf’. Les scores cumulés de laCNSTP et de la FNSP en 1983 (environ 13 %),ainsi que le nombre de départements où la Conf’est présente sont largement dépassés : 18,6 %et présente dans 75 départements. La Conf’ s’af-firme comme le deuxième syndicat paysan dansle paysage syndical agricole français, loin devantles autres minoritaires. Au congrès d’Yvetot en mai 1989, Guy Le Fur,nouveau membre du comité national (CN) pourla région Bretagne, est élu au poste de porte-parole dans un secrétariat national (SN) de septmembres. Cette élection contribue à apaiser lestensions encore très présentes entre ex-com-posantes. Ce congrès contribue à renforcer sadynamique d’actions et de revendications. Denombreuses commissions thématiques ou parproductions sont mises en place.

r « Des paysans nombreux pour des campagnes vivantes » : en 1988, manifestation à Paris avec plus de 600 maires ruraux.

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Après Yvetot, le CN décide de mettre l’accentsur la structuration des syndicats départemen-taux, avec un appui financier et l’embauched’animateurs régionaux.

n Partage de l’action syndicale avec la création de « Solidarité- Paysans » en 1990

La crise de l’endettement de l’agriculture, ampli-fiée par la sécheresse de 1976 (recours abusifsaux prêts « calamités ») et par la politique éco-nomique destinée à juguler l’inflation – qui faitpression à la baisse sur les prix agricoles – meten difficulté financière un grand nombre depaysans. Le plus souvent à l’initiative de laCNSTP et de la FNSP avant 1987, puis de laConf’, des associations de « paysans en difficulté»se constituent dans la plupart des départementsoù la modernisation de l’agriculture a été forte,et particulièrement dans le Grand Ouest de laFrance. Leur démarche est, au départ, le plussouvent syndicale : les paysans en difficultédoivent eux-mêmes participer à leur défensecollective avec, au besoin, des actions directesface aux créanciers pour obtenir des remises

de dettes, le report d’échéances ou un mora-toire. La plupart des associations sont réser-vées à l’égard des « commissions départemen-tales agri-diff », instaurées en 1983, pour accor-der des aides aux paysans en difficulté, au motifque ce sont leurs propres créanciers qui « cogè-rent » ces commissions. Cependant, elles accueil-lent beaucoup plus favorablement la loi de 1988qui permet l’extension aux paysans des procé-dures collectives (procédure judiciaire de trai-tement des difficultés d’une entreprise), d’au-tant que cette loi affirme l’objectif de mainte-nir le plus possible l’activité au lieu de la liqui-dation, souvent dictée par les créanciers. C’est dans ce contexte que se tient à Rambouilleten 1990, le colloque « Les paysans en difficultéprennent la parole » organisé conjointementpar la Conf’ et les associations départementa-les ou régionales de Paysans en difficulté.L’objectif est d’affirmer publiquement que lemaintien de l’emploi en agriculture passe aussipar celui des paysans que leurs créanciers vouentà disparaître en les accusant à tort d’incompé-tence. Ce colloque a aussi pour but de clarifierles relations (et les rôles ?) entre la Conf’ et lesassociations. Le colloque entérine la création

r La marche sur Paris, en mars 1988.

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d’une association nationale, « Solidarité-Paysans », autonome du syndicat mais décidéeà agir en étroite collaboration avec lui. La plu-part de ses responsables nationaux sont des mili-tants de la Confédération paysanne. Dans le syndicat, dès cette période et pendantlongtemps, les avis sont partagés : il y a ceuxqui animent sans réserve, par le biais ou nond’associations spécifiques, la défense et l’ac-compagnement des paysans en difficulté ; il yen a quelques-uns qui observent que certainesde ces associations sont animées par des mili-tants restés à l’écart de la création de la Conf’,le plus souvent issus de la CNSTP, et qu’ilssoupçonnent de « reconstitution de syndicatdissout ». Et il y a aussi ceux, dans le syndicatcomme dans les associations, qui estiment quele sort des paysans en difficulté relève, non pasessentiellement de l’action syndicale, qui doitexprimer la défense globale et un projet pourtous les paysans, mais d’un accompagnementsolidaire et humaniste des personnes, au besoinjusqu’à leur réinsertion. Tout en s’interrogeantsur le risque d’un affaiblissement du syndicatpar la dispersion de ses militants sur de multi-ples fronts.

Au fil des années, il s’est établi dans un pre-mier temps, en gros durant les années 1990,un partage de fait de l’action syndicale entreles associations et la Confédération paysanne,puis dans un second temps une évolution deSolidarité-Paysans vers l’accompagnement juri-dique et social des personnes en difficulté.Durant les années 1990, Solidarité-Paysans estsurtout animée par des paysans encore en acti-vité et ayant été défendus par Solidarité-Paysansou ayant eu à se défendre face à leurs créan-ciers. En outre, les associations sont confron-tées à des débats stratégiques importants enlien ou en confrontation avec la Conf’ : atti-tude à l’égard des « commissions agri-diff » etde l’évolution de la loi sur les procédures judi-ciaires, de la marchandisation des droits à pro-duire (que la Conf’ rejette catégoriquementmais que les associations font parfois valoirpour réduire les dettes), du sort de la maisond’habitation en cas de faillite (entre « droit au

logement » pour le failli et logement restant liéà la ferme pour une installation au lieu d’agran-dissement), de mesures de soutien ponctuel-les dans des productions en crise qui génèrenten masse des paysans en difficulté, etc. A plu-sieurs reprises, Solidarité-Paysans interpelle lesyndicat sur la nécessité de renforcer les lienset les discussions sur des questions syndicaleset juridiques posées par la défense des paysansen difficulté, et pour inciter les syndicats dépar-tementaux à soutenir et à s’investir davantagedans la défense des paysans en difficulté. Avecdes résultats différents selon les périodes etselon les départements. De son côté, la Conf’n’a que rarement pris en compte les effets de laPAC sur les paysans en difficulté.Pour la plupart des associations et Solidarité-Paysans, leur association nationale, le soutienjuridique des paysans en difficulté prend pro-gressivement une place de plus en plus impor-tante (à travers les analyses et stratégies concer-tées avec des avocats sur l’évolution de la juris-prudence), de même que l’accompagnementhumaniste des personnes en difficulté. Durantles années 2000, ces deux aspects tendent àreléguer au second plan la démarche syndicaleet les actions collectives qui prévalaient dans lesannées 1990. On peut évoquer plusieurs expli-cations :• ouverture des associations départementales àdes paysans, le plus souvent retraités, issus dela FDSEA ou membres du mouvement Chrétiensdans le monde rural (CMR), mal-à-l’aise ouréticents à l’égard d’une démarche syndicalequ’ils jugent trop proche de celle de la Conf’ ;• importance de la défense juridique conduitepar des juristes professionnels embauchés parles associations. Certains d’entre eux sont peuenclins à intégrer la défense collective dans leurstratégie juridique et font évoluer, de fait, l’as-sociation vers un appui au fonctionnementd’une sorte de cabinet de conseil juridique ; • dans de nombreux départements, une insti-tutionnalisation des associations s’est faite davan-tage vers l’accès aux dispositifs sociaux dépar-tementaux (procédure « RMI » sous l’égide duconseil général) que vers les dispositifs spéci-fiquement agricoles (commission « agri-diff »

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sous l’égide de la Direction départementaled’agriculture et de la chambre d’agriculture),avec une plus grande facilité pour les associa-tions d’obtenir des subventions de fonctionne-ment auprès des conseils généraux.

n Pluralisme et représentativité, enfin !

En 1981, la gauche a reconnu le pluralismesyndical, déclarant mettre fin à la cogestionavec la FNSEA pour y substituer la concerta-tion pluraliste avec les syndicats agricoles. Maiselle n’a pas défini de règles pour l’exercice deleur représentativité dans les instances adminis-tratives. Avec le retour de la gauche au gouver-nement en 1988, il s’agit, pour la Confédérationpaysanne, de passer de la reconnaissance dupluralisme à celle de la représentativité.Mais, sous la pression de la FNSEA, Henri Nallet,alors ministre de l’Agriculture, tergiverse. Ilfaudra de nombreuses actions auprès des élusPS (occupations de permanences du parti...) etun ultimatum de la Conf’, fixé à fin février 1990,avec menace d’une grève de la faim des mem-bres du SN devant le congrès du PS à Rennes,pour que, enfin, le 28 février 1990, Henri Nalletpublie le décret sur la représentativité des syn-dicats agricoles dans un certain nombre de com-missions administratives. Il reprend les critèresretenus par Michel Rocard avant 1986 sous lapression du retour en force de la FNSEA aprèsles élections aux chambres d’agriculture de1983 : seuil de 15 % constaté aux électionschambre du département, acquis dans au moins25 départements pour être représentatif au

niveau national (et sans « effet retour » versles départements n’ayant pas atteint le seuil de15 %), liste restrictive des instances adminis-tratives départementales et nationales où peu-vent siéger les syndicats minoritaires dont laConf’. Comparées à celles des syndicats de sala-riés, ces règles sont beaucoup plus restrictives.Elles révèlent le souci du gouvernement de com-poser avec la FNSEA, et aussi d’éviter la disper-sion syndicale que connaît le monde salarié.C’est cependant une avancée importante, enta-mant de manière décisive le mythe de l’unité pay-sanne et le règne du syndicat unique jalouse-ment défendus par la FNSEA depuis 1945.Celle-ci, ne l’acceptant pas, va pendant plu-sieurs années contester juridiquement dans detrès nombreux départements la présence de laConf’ dans les commissions administratives.Dans la quasi-totalité des cas sans succès. Pour la Confédération paysanne, dans les dépar-tements où elle est désormais reconnue repré-sentative, les militants sont confrontés à destâches nouvelles nécessitant des moyens humainset financiers, tandis que les syndicats départe-mentaux non reconnus représentatifs revendi-quent aussi auprès du national des moyens sup-plémentaires pour se développer.

n Pour une autre politique agricoleen faveur de l’Agriculture paysanne

La Conf’ a l’initiative (première cohabitation, 1986-1988)Dès 1987, la Conf’ réussit plusieurs actions etmobilisations spectaculaires : labour symboli-que de la pelouse du Champ de mars (au piedde la tour Eiffel) pour manifester son refus dugel des terres imposé par Bruxelles et exprimerses revendications pour une agriculture nonintensive et répartie sur tout le territoire.Outre la marche sur Paris en mars 1988, elleréussit à nouveau sur Paris une manif ’ avecplus de 600 maires ruraux, en partenariat avecl’Association nationale des maires ruraux, surle thème « Des paysans nombreux pour descampagnes vivantes » avec, in fine, une délé-gation reçue par l’attaché agricole de la prési-dence de la République.

r La Confédération paysanne remet en question, dès 1987, le mythe de l’unité paysanne.

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Face à la restructuration de la production lai-tière voulue par l’industrie laitière et les moder-nistes, la Conf’ obtient des règles de redistribu-tion des quotas laitiers en faveur des produc-teurs de moins de 60 000 litres.Cette dynamique syndicale se prolonge avecles premières journées d’été d’Etcharry (Paysbasque), en juillet 1990, qui ouvrent pour laConf’ une nouvelle phase face à la perspectived’une réforme importante de la PAC, qui abou-tira en 1992. Les militants y débattent de l’Agriculture pay-sanne (première ébauche de la marguerite) selondes thèmes qui expriment une approche résolu-ment non corporatiste : « L’Agriculture paysanne,un projet pour les paysans », « L’Agriculture pay-sanne, un projet face aux défis de l’environnementet de la gestion de l’espace rural », « Agriculturepaysanne, solidarité et échanges internationaux »,« Place et rôle du paysan dans la société ».Ces journées sont l’occasion d’une confronta-tion avec un représentant de la Commissioneuropéenne. Elles permettent d’avancer dansla réflexion sur le quantum financier et des prixgarantis, dont se sert le Comité national pour

élaborer le rapport d’orientation du congrès quia lieu à Clermont-Ferrand en décembre 1990,avec pour thème « Des paysans nombreux pourdes campagnes vivantes ». Dans le contexte d’une crise de la viande bovine,consécutive à l’application des quotas laitiers etqui suscite de nombreuses manifestations, cesjournées d’été ont aussi permis à la Conf’ delancer une campagne dynamique d’actions :plus de 35 Conf’ départementales tiennent, deseptembre 1990 à février 1991, des « fermes del’avenir », le plus souvent en ville, pour expli-quer les difficultés des paysans et exprimer lesrevendications de la Conf’. Cette forme d’ac-tion avait été initiée par la Conf’ de Vendée, enréponse aux « fermes de la colère », d’inspira-tion corporatiste, initiées par la FNSEA. Une «ferme de l’avenir » est même installée devantla tour Montparnasse à Paris, alors quel’Assemblée nationale débat sur l’avenir de l’agri-culture et que les députés prennent connais-sance de l’interview du porte-parole, Guy LeFur, dans Le Monde, sur l’Agriculture paysanneet la politique agricole revendiquées par le syn-dicat (lire en page 40).

r Labour symbolique de la pelouse du Champ de mars, au pied de la tour Eiffel, en 1987.

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Divergences de stratégie à propos de la réforme de la PAC de 1992En février 1991, les premières propositions MacSharry sont rendues publiques. La Confédérationpaysanne nationale se sent en phase avec le bilancritique de la PAC qui y est fait et avec plusieursdes propositions qui sont avancées : maintiend’un maximum de paysans ; plafonnement desaides pour un redéploiement en faveur de ceuxqui en ont le plus besoin, reconnaissance de ladouble fonction des paysans – produire et pré-server ; développement rural et soutien aux zonesdéfavorisées... Elle trouve particulièrement inté-ressante et dynamique que l’Europe prenne àson compte l’idée qu’une politique agricole doitpouvoir agir avec « deux manettes » : celle desprix et celle des aides. Pour la Conf’, c’est unenécessité pour pouvoir mettre en œuvre unepolitique de type quantum financier, visant àsoutenir le revenu et l’emploi paysan3. Le Comité national met en place une stratégiepour faire connaître les positions et les reven-dications du syndicat auprès des paysans et despouvoirs publics français et européens : touten refusant l’orientation libérale, la Conf ’approuve et revendique des aides plafonnéespar exploitation et par actif.Refuser en bloc ou revendiquer des aménagementsRapidement, sous la pression des lobbies, pla-fonnement et soutien aux actifs (plutôt qu’auxproduits) sont retirés du projet de réforme. Cequi suscite en interne dans de nombreux dépar-tements le scepticisme de beaucoup de mili-tants qui y voient surtout les orientations libé-rales de la réforme (baisses de prix pour les rap-procher du marché mondial) en vue des accordsdu Gatt. Ils considèrent que la réforme ne peutque heurter fortement la grande majorité despaysans, quelles que soient leurs productionset la taille de leur exploitation, parce qu’ils n’ac-cepteront pas facilement que leur revenu dépendetout autant des aides publiques que du prix devente de leurs produits.

Des divergences stratégiques s’affirment, inhéren-tes à la vie démocratique d’un syndicat : pourles uns, souci d’obtenir des mesures concrètes quicorrespondent à plusieurs des objectifs fondamen-taux du syndicat (répartition de la production àtravers celle des aides, vision moins producti-viste de l’agriculture...) et pour les autres, volontéde s’opposer à une PAC dont l’orientation géné-rale est encore plus libérale que la précédente.En outre, ce qui ne simplifie pas les choses,durant cette période, la Conf ’ nationale sesent davantage écoutée ou en phase avec laCommission européenne, qui exprime des objec-tifs environnementaux (et accessoirementsociaux), que par le gouvernement français qui,quoique de gauche, adopte les mêmes positionsque la FNSEA et les céréaliers (principaux concer-nés et bénéficiaires de la réforme), à savoir pré-server le modèle intensif, défendre en prioritéles capacités exportatrices de l’agroalimentairefrançais, préserver le taux de retour du budgetagricole de l’UE sur la « ferme France », ainsi querefuser toute notion de plafonnement des aides.Quoi qu’il en soit, la Confédération paysannepoursuit sa réflexion pour l’élaboration d’unprojet de politique agricole alternatif. Les jour-nées d’été, organisées en septembre à Sains-du-Nord, y sont totalement dédiées. Le projet, inti-tulé « Une réforme de la politique agricole com-mune pour 800 000 paysans », est rendu publicen octobre 1991. La Conf’ y revendique desprix garantis, la maîtrise des productions (pro-duire pour assurer en priorité les besoins ali-mentaires de l’Europe) et leur répartition entreles paysans grâce au quantum financier (aidescomplémentaires plafonnées par exploitation)comme outil de garantie de revenus et de l’em-ploi paysan sur l’ensemble du territoire.

C’est sur la base de ce projet que la Conf’ mèneune campagne de fond, dans un contexte d’agi-tations paysannes tous azimuts face à la réformede la PAC. Considérant que la PAC est un enjeude société, elle suscite, dès l’automne 1991, la créa-tion d’« Alliance-paysans-consommateurs-écologistes », qui participera activement à denombreuses mobilisations appelées par laConfédération paysanne.

3 On a vu par la suite que c’était une condition nécessairemais pas suffisante : qu’il fallait maîtriser les volumes et nepas pratiquer de dumping à travers les subventions auxexportations...

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S’allier oui, mais avec qui et pour quel projet ?Mais, dans le même temps, un front du refusde la réforme « Mac Sharry » est lancé parJacques Laigneau, un agriculteur du Gers, quidénonce publiquement le double langage et lacapitulation de la FNSEA en face de la réforme.Ce front du refus prend rapidement le nom de« coordination rurale » et regroupe la FFA 4,des responsables départementaux du Modef etmême quelques FDSEA de régions céréalièreset de polyculture. L’initiative, plutôt compo-site, attire une partie des militants de laConfédération paysanne restés ou devenus scep-tiques face aux propositions de Mac Sharry. Ilsconsidèrent que la Conf’ ne doit pas rester àl’écart d’un mouvement large, fut-il très hétéro-gène, qui déstabilise la FNSEA et dont il leurparaît possible de prendre la direction. Des militants de plus de 25 Conf’ départemen-tales participent jusqu’en 1993 aux mobilisationsde cette coordination rurale, dont José Bové etYves Manguy, ex-porte-parole de la Confédérationpaysanne qui anime depuis peu la CNDSF (quiréunit alors, au côté des trieurs à façon, la Conf’,le Modef et la FFA). En juillet 1992, face à l’appel au « blocage deParis » par la Coordination rurale, le Comiténational de la Conf’ refuse à une très large majo-rité de s’y engager au motif que ce front du refusn’exprime pas de projet alternatif cohérent. Les« minoritaires », mettant en évidence le man-que d’organisation de ces manifestations et lerôle moteur qu’ils ont pu y jouer, décident d’yparticiper. Ils estiment que cette coordinationrurale est l’occasion de rallier des paysans

hostiles aux positions de la FNSEA et gagna-bles au projet de la Confédération paysanne.Pour les autres, ce type d’alliance est trop dan-gereux pour l’identité de la Conf’ et son projetpour une autre politique agricole. Ils arguent éga-lement du risque de renforcer les forces réac-tionnaires et poujadistes du milieu rural, dontcertaines sont liées à l’extrême droite. Leur pré-férence va à une alliance avec les consomma-teurs et les environnementalistes, considérantque l’agriculture est un enjeu de société.A la suite de ces manifestations, la FFA sesaborde au profit de la Coordination rurale. La Conf’ nationale choisit dès lors de mobili-ser de manière autonome et de privilégier lanégociation avec le ministre de l’Agriculturesur le contenu de la réforme de la PAC et surses modalités d’application par la France. Desactions signifiantes seront conduites par laConf’, par exemple en novembre 1992, devantles Invalides, pour protester contre le vote desdéputés sur l’adaptation de la PAC aux accordsdu Gatt, pour revendiquer l’autonomie en pro-téines de l’agriculture européenne, et refuser

r « Le maïs a son blé, l’herbe attend l’oseille » : occupation des jardins du Luxembourg, en 1992.

4 La FFA (Fédération française de l’agriculture) est unsyndicat créé au début des années 1960 à l’initiative dedissidents de la FNSEA (notamment la FDSEA d’Indre-et-Loire). Elle entend défendre la propriété foncièreagricole et non agricole (contre le statut du fermage), « l’indépendance et la liberté des paysans » (en réaction àl’organisation de la production par les coopératives et lesgroupements de producteurs, et à l’intervention publique[Etat et Europe] dans l’organisation de la production et des marchés). Elle est proche du mouvement poujadiste,qui mobilise des artisans et des commerçants contrel’impôt et les cotisations sociales, et qui renaîtra dans leCDCA dans les années 1980-1990. C’est un syndicat corporatiste et réactionnaire, influencéou animé par des mouvements d’extrême droite.

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que le montant des aides Scop5 soit intégrale-ment départementalisé, voire individualisé,comme le demandait la FNSEA.

Actions pour le maintien des paysansAprès l’adoption par Bruxelles de la réforme dela PAC en mai 1992, la Conf’ poursuit et inten-sifie les actions et revendications pour le main-tien de l’emploi paysan et la répartition desmoyens de production. Elle agit sur plusieursfronts : • sur l’adaptation française de la nouvelle PAC.Elle obtient, contre la FNSEA, que les droits àprime bovine (PMTVA) ne soient pas « mar-chandisés » (adoption d’un prix forfaitaire), etque leur répartition soit modulée selon la taillede l’exploitation. Elle mène des actions dès l’au-tomne 1992 (occupation des jardins duLuxembourg et du ministère des Finances, àBercy) avec le slogan « Le maïs a son blé, l’herbeattend l’oseille ! », réclamant une aide à l’herbeidentique à celle octroyée au maïs-fourrage.Cette revendication est assez rapidement reprisepar la FNB et débouche sur la PMSEE (primeau maintien du système d’élevage extensif, ancê-tre de l’actuelle prime herbagère agro-environ-nementale, la PHAE) dont le montant est loind’être satisfaisant pour les éleveurs et pour ces-ser le retournement des prairies au profit dumaïs ou d’autres céréales ;

• sur la gestion des quotas laitiers, ses actionset argumentations auprès du ministère et del’Office du lait sont déterminantes pour qu’ilsrefusent le marché des quotas laitiers souhai-tés par la FNPL mais que refusait également laSNFM (section des fermiers et métayers de laFNSEA), et pour qu’ils interdisent les sociétésen participation (forme sociétaire informellechoisie entre producteurs pour contourner laréglementation sur les quotas).

La Conf’ continue ses actions et revendicationspour obtenir, dans le cadre de la redistributiondes quotas libérés par les plans successifs decessation laitière, des modalités de redistribu-

tion en faveur des petits producteurs... • dans les commissions mixtes et commissionsstructures départementales où sa présence estdésormais prévue par le décret sur la représen-tativité, ce qui ouvre au sein de ces commis-sions et aussi en interne à la Confédération pay-sanne des débats sur l’adoption des équivalen-ces pour la répartition des moyens de produc-tion (terres, droits à produire, droits à primes,prêts bonifiés et subventions) en faveur despaysans qui en ont le plus besoin ;• par des actions et la mobilisation de terrain, elles’oppose concrètement à la concentration desexploitations et au gigantisme : mobilisationsen 1992 et en 1993 couronnées de succès contrele projet Polhmann6 d’un atelier avicole géantdans la Marne qui ne verra pas le jour ; démé-nagement du marché au cadran du porc en 1993en Bretagne sous le mot d’ordre « Vidons les gros,ils en font trop ! », et « vidage » d’un gros élevagede porcs de la Cooperl, dans l’Orne, en 1994. Le retour de la droite au gouvernement en 1993se traduit par des relations plus difficiles avecle ministère de l’Agriculture et par des restric-tions financières, mais la capacité de mobilisa-tion de la Conf’ reste intacte. Elle s’exprime,par exemple, contre les accords du Gatt et l’en-trée de l’agriculture dans les compétences del’OMC : occupation de la mairie de Rignac(Aveyron) dont le maire, Jean Puech7, est minis-tre de l’Agriculture, forte mobilisation à Genève...

La Conf’ poursuit sa réflexion sur l’Agriculturepaysanne, en particulier lors des journées deSaint-Lô (juin 1993). En écho avec ce projetd’Agriculture paysanne, les militants de la Conf’sont partout les plus nombreux et les plus actifsà s’impliquer dans l’expérimentation des PDD(projet de développement durable) que le minis-tère de l’Agriculture consent à piloter par réfé-rence aux orientations un peu moins produc-

5 Aide aux surfaces en céréales et oléoprotéagineux.

6 En 1992, le numéro un européen de la productiond’œufs, l’industriel allemand Pohlmann, a tenté d’implanterdans la Marne un élevage record de 5,6 millions de poules,censé produire l’équivalent du septième de la productionfrançaise d’œufs (lire aussi en page 32).7 Jean Puech est ministre de l’Agriculture et de la Pêche dugouvernement Edouard Balladur, de1993 à 1995.

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tivistes et plus environnementalis-tes de la PAC. Durant cette période, de 1989 à 1993, les actions de la Confédérationpaysanne et de la CPE seront déter-minantes pour obtenir de Bruxellesl’interdiction de l’hormone laitière, laBST, commercialisée par Monsanto :interception médiatisée d’une citernelaitière, dans la Loire, collectant le laitd’une ferme où la BST était discrète-ment expérimentée, débats au Salon del’agriculture en février 1989, auxquelsse dérobe le représentant de Monsanto...

Les tensions internes générées à proposde la réforme de la PAC ont égalementsuscité une réflexion intense sur le syn-dicat : ses orientations, sa stratégie, saplace parmi les autres syndicats agricoleset non agricoles... Des journées d’été sur lethème « Quel syndicalisme aujourd’hui ? »ont lieu à Fontenay-le-Comte (85) en août1994 avec la participation de nombreux syn-dicalistes salariés, de sociologues du travailet de politologues. Ces journées sont le pointculminant de cette période de réunificationdynamique du syndicat.Même si la Confédération paysanne entretientà ce moment-là des relations nombreuses avecla Fédération agroalimentaire de la CGT, celane traduit pas une stratégie déterminée d’al-liance avec les syndicats de salariés. De soncôté, la FGA-CFDT8 attend de la Confédérationpaysanne qu’elle assume « son statut d’employeurde main-d’œuvre » au côté de la FNSEA...

n Les élections aux chambresd’agriculture de 1995

Elles sanctionnent positivement cette période.Dans un contexte politique et syndical défavo-rable, alors que la réforme de la PAC favorisela course aux hectares, la Confédération pay-sanne fait campagne sur la répartition de la

production et des aides publiques avec pourslogan « Trois fermes valent mieux qu’une grande».Ce slogan illustre la priorité alors accordée parla Conf’ aux questions économiques et socia-les : maintien de l’emploi paysan, répartitiondes moyens de production (foncier, droit à pro-duire) et des aides publiques (plafonnement,modulation...).

Présente dans 81 départements (contre 75 en1989) et, pour la première fois, dans trois dépar-tements d’outre-mer, elle obtient un score de plusde 20 %. Elle progresse dans une quarantainede départements, mais stagne ou diminue dansune trentaine d’autres. Sa représentativité dépar-tementale (seuil de 15 %) progresse : 54 dépar-tements contre 48 en 1989 (gagnée dans 14nouveaux départements, mais perdue dans huitautres). Elle gagne la chambre du Finistère, undépartement parmi les plus productivistes. l

8 Fédération générale agroalimentaire, une des dix-septfédérations de la CFDT.

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La guerre des semences

Par Yves Manguy céréalier et éleveur de porcs sous label en Charente,

porte-parole de la CNDSF de 1992 à 2003

Alors que l’agriculture moderne poursui-vait son imperturbable chemin, voilà

qu’en janvier 1986 un journaliste du Monde,Jaques Grall, et un chercheur de l’Institutnational de la recherche agronomique (Inra),Bertrand-Roger Lévy, écrivent un ouvrageau titre prémonitoire : La Guerre des semen-ces. Mais le monde agricole, aseptisé et for-maté par la doctrine officielle selon laquellele progrès nous conduisait dans le meilleurdes mondes, ne prend pas l’alerte au sérieux.Pourtant quelque trois ans plus tard, au moisde juillet 1989, alors que la moisson estengagée, une annonce fait l’effet d’une bombe.Il s’agit de l’« accord du 4 juillet » (signépar le ministre de l’Agriculture Henri Nallet,le président du Gnis1 Victor Desprez et leprésident du Conseil de l’agriculture fran-çaise Raymond Lacombe, également prési-dent de la FNSEA) qui interdit le triage àfaçon par les entrepreneurs de triage, ainsiqu’en Cuma (coopérative d’utilisation dumatériel agricole). Autrement dit, les agri-culteurs qui faisaient leur semence à partirde leur récolte (pratique millénaire) se voientalors condamnés à acheter leur semencedans le commerce, doublant ainsi le coûtde ce poste. Là était bien l’objectif des semenciers, avecla bienveillance, pour ne pas dire la com-plicité, de la FNSEA et des coopérativesqu’elle gère.La colère ne tarde pas à s’exprimer pours’opposer à cette décision arbitraire mettanten cause la liberté de ressemer sa récolte.S’est ensuivi, pourrait-on dire, une unionsacrée qui s’exprime en Poitou-Charentespar une entente de toutes les composantessyndicales, et ce au départ y compris avec

des FDSEA et CDJA – qui se retirent rapi-dement sur injonction nationale. Cette offensive des semenciers et de leurscomplices provoque un choc qui a conduità une analyse en profondeur des rapportsde forces politiques et financiers. C’est ainsiqu’est prise la décision d’une manifestationrégionale à Poitiers. Elle rassemble un mil-lier de paysans et de trieurs à façon qui, le8 août, s’engagent publiquement à passeroutre à l’interdiction. Dès le lendemain, lesmachines à trier sont dans les fermes. Il n’estalors pas question de désobéissance civile– mais c’en était une, qui conduit à des incul-pations, trois années de procédures qui sefinissent par une relaxe. Du même coup, lasemence de ferme, au lieu d’être marginali-sée, s’est développée. Il est vrai que ce déve-loppement faisait partie de la stratégie enga-gée pour confirmer une situation de fait,incontournable.Cette action s’est développée au départ dansun cadre informel, intitulé « comité de liai-son pour le triage à façon », rassemblant leModef, la Confédération paysanne, la FFAet les trieurs à façon. C’est en 1992 que seracréée officiellement la CNDSF, avec les mêmesorganisations auxquelles viendra se joindrelogiquement la Fnab (Fédération nationaled’agriculture biologique).La démarche est populaire parce qu’elledémontre qu’il est possible, sur une reven-dication précise, de dépasser les divergen-ces politiques des organisations participan-tes. La Confédération a joué un rôle impor-tant, facilité par la présence des trieurs, qui,dans une approche pourtant majoritaire-ment libérale, défendent des intérêts com-plémentaires à ceux des paysans.

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Les actions conduites dans le cadre de laCNDSF, plus particulièrement dans la pre-mière décade, ont reposé sur quatre piliers :• La certitude de la légitimité et du bon droit,avec le slogan « Liberté, je trie en ton nom ».• Des actions fortes, en partie illégales : trisur la place publique, occupations surprisesde plusieurs sièges du GNIS, de Novartis etde l’Assemblée mondiale des semenciersavec la présence des médias. L’objet étantdouble : montrer la détermination et faireconnaître la volonté hégémonique du sec-teur semencier et chimique.• Une pression constante sur les pouvoirspublics français et européens : - présence à la conférence de l’Union inter-nationale pour la protection des obtentionsvégétales (Upov) en 1991. La France, quidemandait simplement l’interdiction dessemences de ferme, est mise en minorité ;- nombreuses interventions au ministère del’Agriculture et auprès des parlementaires ;- participation à la préparation du Règlementeuropéen à Bruxelles ;- retrait, par deux fois (en 1995 et en 1997),du projet de loi français visant à faire payer

des royalties à la semence de ferme.• Des actions juridiques :- contre Novartis, avec condamnation pourrefus de vente et ententes illégales- contre l’application de la Contributionvolontaire obligatoire (CVO) en France, à laCour européenne, toujours en cours.Pour conclure, les actions et la réflexionmenées au sein de la CNDSF ont été un élé-ment déterminant dans les prises de positionde tous les partenaires contre les OGM.En février 2002, la CNDSF organise un sémi-naire ouvert de deux jours. La moitié desparticipants sont des producteurs et dessemenciers bio de diverses sensibilités qui,pour une part, n’avaient jamais eu l’occa-sion de se retrouver. C’est ainsi que la CNDSFa été pour un temps le carrefour unificateurau sein duquel s’est construit, et est né, leRéseau semence paysanne, dont la CNDSFest membre fondateur. l

1 Groupement national interprofessionnel dessemences et plants. Organisme sous tutelle du ministère français de l’Agriculture rassemblant les professions de l’activité semencière française.

r Manifestation à Paris à l’occasion de l’Assemblée mondiale des semenciers, en octobre 2001.

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Naissance d’un syndicalisme agricolealternatif au niveau européen : la CPE

Par Christian Boisgontier éleveur laitier dans l’Orne, secrétaire, puis porte-parole national

de 2000 à 2003, membre du bureau de la CPE de 1996 à 2001,

membre du Comité économique et social depuis 2005

Dans les années 1980, le productivismeagricole encouragé par la PAC est en

crise, mais les voix contestataires restent trèsdispersées en Europe. L’absence de contactsrend leur audience nulle. Déjà, mais sépa-rément, quelques organisations paysannes(CNSTP, ABL1, VKMB2) développent des pro-positions alternatives à la politique de baissedes prix autour de l’idée de prix différenciés.Une initiative des paysans autrichiens del’ÖBV 3 va servir de catalyseur au lancementd’un embryon de mouvement européen le1er juillet 1981. La première « rencontre pay-sanne européenne » se déroule à Saint-Leonard (Autriche). Puis ce sera le VKMB de Suisse, à Lugano,en 1982, d’ABL à Memmingen en Allemagneen 1983, de la CNSTP à Kientzheim, enAlsace, en 1984 et, enfin, du WBZ4 néerlan-dais à Bergen en 1985. L’idée de créer unestructure européenne germe progressive-ment. La crise de la politique agricole com-mune, de plus en plus patente, va consoli-der la volonté de ne plus seulement se ren-contrer mais de créer une véritable coordi-nation permanente pour peser dans le débat...et sur les décisions. Une première journéed’action européenne est organisée le 17 février1984 pour proposer une réforme de la PAC.L’arrivée des quotas laitiers – au moment oùl’Europe est submergée par des montagnesde surplus de beurre et de poudre – va obli-ger les organisations à se réunir plus souventet à aborder les questions liées à l’élargisse-ment de la CEE, aux disparités régionales età l’installation.C’est en 1985, que le nom de Coordination

paysanne européenne (CPE) apparaît, avecun document critique sur la parution duLivre vert de la Commission européenne,lors d’un séminaire public à Paris.

Une rencontre fondatriceEn décembre 1986, la CPE organise à Madridla 6e Rencontre paysanne européenne. 22 organisations venant de 11 pays échan-gent sur le thème « Paysans européens :concurrents ou partenaires ». La présence denombreuses organisations paysannes espa-gnoles permet d’amorcer un grand débat surla PAC dans ce pays, quelques mois après sonentrée dans la CEE. La CPE se dote d’unestructure, d’un règlement et fixe des cotisa-tions. Deux organisations ibériques EHNE(Pays basque) et SLG (Galice) adhéreront àla CPE en 1988.La CPE veut faire connaître ses propositionset, à partir de 1987, est auditionnée par laCommission agricole du Parlement euro-péen et par la présidence de la Commissioneuropéenne. Les conférences de presse setiennent désormais à Bruxelles. Première action syndicale commune, troisorganisations bloquent la frontière enAllemagne et au Luxembourg, le 6 mars1987. Le 25 juin 1988, lors du sommet euro-péen de Hanovre, la CPE et ABL protestentcontre le gel des terres en labourant la pelousedu Parlement européen. La campagne contrela BST (hormone laitière commercialisée parMonsanto) est lancée – on se souvient de lavache flamande qui a accueilli les fonction-naires de la Commission européenne auBerlaymont. Jusqu’à cet événement, l’ani-

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mation de la CPE est basée à Paris, mais, le4 septembre 1989, elle ouvre un bureau àBruxelles avec un coordinateur à tempsplein : Gérard Choplin. L’événement reçoitun bon accueil dans la presse européenne.Une association de formation (l’AEIFR)reconnue par la Commission permet d’or-ganiser les séminaires de réflexion.

La PAC 1992Quelques jours après l’échec du Gatt, la réformede la PAC est annoncée. L’analyse de laCommission et quelques propositions sontjugées positives, mais la CPE critique forte-ment la ligne générale de la réforme. Après unejournée d’action, le 19 octobre 1992, la CPEorganise un colloque en novembre sur laréforme, en présence du commissaire MacSharry5. La CPE compte à cette époque 17organisations et deux coordinateurs. Parce que la question agricole concerne l’en-semble de la société, la CPE travaille activementau rapprochement entre paysans, consomma-teurs, défenseurs de l’environnement et ONG6.L’entrée de l’agriculture dans l’organisationmondiale du commerce en 1995, l’arrivéedes paiements compensatoires à la baissedes prix en 1992 et leur amplification en1999 (accord de Luxembourg) et en 2003(accord de Berlin) vont contraindre la CPEà plus de radicalité face à une Union euro-péenne inféodée au capitalisme néo-libéral.Dans ce nouveau contexte mondial, la CPEsera un élément moteur dans la création deVia Campesina pour dénoncer un modèleagricole, destructeur des paysanneries auNord comme au Sud, et pour porter leconcept de souveraineté alimentaire. Unerencontre arrachée avec Pascal Lamy,Commissaire européen au commerce, lui per-met d’être écoutée... mais pas entendue.Malgré des conditions matérielles difficiles,la CPE poursuit son élargissement et 2008voit l’arrivée de la grande COAG7 espagnole.C’est également en 2008 que la CPE changede nom pour devenir ECVC : European

Coordination Via Campesina (Coordinationeuropéenne Via Campesina).

En guise de conclusionCe texte n’a pas pour objet de décrire toutel’histoire de la CPE, mais de rappeler quela dimension européenne et internationalea été historiquement portée par la Confé-dération paysanne. Vingt années de syndicalisme européen alter-natif construit sur la prise de conscienceque, par-delà les frontières, les problèmessont communs : insuffisante rémunérationdu travail, course à la production, exoderural, dégradation de l’environnement et dela qualité alimentaire, conditions socialesdifficiles. Vingt années de syndicalisme face au Copa8,regroupant la quasi-totalité des syndicatsagricoles majoritaires inféodés à la fédéra-tion de l’agro-industrie, qui ont dû parta-ger la représentation dans les comités consul-tatifs à partir de 1999 avec la CPE. l

1 Arbeitsgemeinschaft bäuerliche Landwirtschaft -Allemagne.2 Schweizerische Vereinigung zum Schutz der kleinenund mittleren Bauern, association suisse pour ladéfense des petits et moyens paysans fondée en Suissealémanique en 1980.3 Österreichische Bergbauern und BergbäuerinnenVereinigung.4 WBZ : Werkgroep Beter Zuivelbeleid.5 Raymond (Ray) Mac Sharry, Irlandais, est le premiercommissaire à l’agriculture à travailler sur la réformede la politique agricole commune (PAC) en 1992. Laréforme Mac Sharry qui en résulta marque un tournantdans l’histoire de la PAC.6 Mais la CPE doit rester vigilante pour ne pas laisserquelques ONG européennes, disposant d’une grandeaisance financière, s’exprimer au nom des paysans.Oxfam Belgique et le Collectif stratégie alimentaire(CSA) collaborent positivement avec la CPE.7 COAG : Coordinadora de Organizaciones deAgricultores y Ganaderos, syndicat paysan majoritaireen Espagne.8 Copa : Comité des organisations professionnellesagricoles. Créé en 1958, il compte 60 organisationsissues des pays de l’Union européenne et de 36 organisations partenaires d’autres pays d’Europe,comme l’Islande, la Norvège, la Suisse et la Turquie. Le Copa est actuellement présidé par Jean-MichelLemétayer, président de la FNSEA.

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La Confédération paysanne fait reculer Pohlmann

Par Laurent Cartier producteur de lait de vache en Haute-Marne, secrétaire national

puis trésorier de 1992 à 1996. membre du Comité économique et social

de 2005 à 2009

Ala fin de l’année 1991, la population dela région de Fère-Champenoise (02)

apprend, d’abord par la rumeur puis par lapresse locale, qu’un industriel allemand dunom de Pohlmann veut installer aux alen-tours de cette bourgade marnaise des bâti-ments abritant 5,6 millions de poules pon-deuses. Les premières réactions semblentplutôt favorables à cette implantation : lesélus locaux mettent en avant les créationsd’emplois (350 annoncés) et les déléguésFDSEA voient là de nouveaux débouchéspour les céréales et la promesse de fumurebon marché avec les fientes de poule. Quelques membres de la Confédération pay-sanne, d’associations environnementales etde consommateurs essaient d’en savoir plussur le comportement de Pohlmann enAllemagne. Une visite est rapidement orga-nisée grâce aux liens tissés au sein de laCoordination paysanne européenne entre laConfédération paysanne et son homologueallemand ABL. L’un des membres du groupemarnais se rend donc en Basse-Saxe dans larégion de Vechta où se situe l’essentiel despoulaillers de Pohlmann. Après discussionavec la population locale, il en revient munid’un film de la télévision allemande qui mon-tre la face cachée des élevages de cet indus-triel : univers concentrationnaire, mortalitéélevée des animaux, pollution, conditions detravail déplorables pour les employés, nui-sances pour les riverains (odeurs et transportsincessants)... d’où les fréquentes condamna-tions de celui qui fut surnommé le « baron dela volaille » et qui osait affirmer : « L’importantquand on est éleveur, c’est d’aimer ses animaux.»

La projection du film dans la région cham-penoise attire 250 personnes en février 1992.Le Comité d’opposition au projet Pohlmann(Copp) se crée et une pétition est lancée, quiva faire croître progressivement le nombred’opposants. La Confédération paysanne qui,dès janvier 1992, avait appelé au rejet duprojet décide de tenir son Comité nationald’avril en Champagne pour marquer encoreplus fermement son opposition : les bureauxde Pohlmann à Fère-Champenoise sont vidésde leur contenu et leurs façades décorées deplumes. Des plumes qui le même jour vole-ront dans bon nombre de directions dépar-tementales de l’agriculture (DDA) de France.Car l’enjeu n’est pas seulement régional : sile « baron » installait ses 5,6 millions de pou-les, il régnerait à lui seul sur 14 % de la pro-duction française d’œufs, menaçant la sur-vie économique de milliers de petits et moyensateliers sur tout le territoire. Conséquence de cette action forte : perqui-sition et garde à vue pour un membre duComité national, 203 personnes interrogées,15 inculpées pour « vols et dégradations »,l’instruction se terminant par un non-lieugénéral. Autre conséquence plus intéres-sante : elle amène le député de la circons-cription concernée, Charles de Courson(UDF), à déposer une proposition de loipour soumettre à autorisation préfectoralela création d’ateliers hors-sol dépassant unecertaine taille. La loi est votée en juillet 1992et est valable un an. Le décret qui suit fixele seuil de déclenchement de l’autorisationà 300 000 poules pondeuses. Pohlmann n’encontinue pas moins à préparer ses dossiers :

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pour faire échec au projet, ceux qui viventau quotidien ces nuisances : les voisins dePohlmann en Basse-Saxe. Certes, laConfédération paysanne n’a pas gagné unelimitation européenne de la taille des ate-liers, et des multinationales comme Smithfieldcontinuent d’en profiter pour développerd’immenses fabriques de porcs en Europede l’Est, mais par la suite la mobilisationcitoyenne a permis de faire échec à des petitsPohlmann français qui se sentaient pousserdes ailes en Champagne. Et puis, toutes les actions menées un peupartout ont conduit la législation européenneà contraindre l’élevage hors-sol à améliorerle bien-être des animaux et à mieux respec-ter les normes environnementales. Déjà passi mal, non ? l

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Récit d’une marcheLa marche qui nous a conduits de Fère-Champenoise àBruxelles en dix jours restera le moment le plus intense des dix-huit mois de mobilisation.Intense, le soutien de la Confédération paysanne Intense, le désert de la Marne céréalièreIntense, le vert des pâturages de la ThiéracheIntense, la fatigue physique au fil des kilomètres avalésIntense, la connivence avec Rémi et Olivier les autres marcheurspermanents, et tous ceux qui ont fait un bout de route avec nousIntense, le slogan « Des paysans, pas des Pohlmann »Intense, le débat lors de chaque soirée-étapeIntense, l’accueil toujours plus chaleureux dans le Nord et en BelgiqueIntense, l’ovation de ceux qu’on n’appelait pas encore altermondialistes, rassemblés à MonsIntense, le goût des petits plats spécialement mitonnés pour nousIntense, l’arrivée à Bruxelles entourés des paysans de laCoordination paysanne européenneIntense, la réponse du Commissaire à l’agriculture Steichen qui avait accepté de nous recevoir : « Je comprends l’intérêt de votre revendication mais l’exemple suisse sur lequel vousvous appuyez pour démontrer la faisabilité de la limitation de la taille des ateliers ne me paraît pas pouvoir être transposé à l’Union européenne. »Intense, le sentiment de vide une fois la marche terminée.

r En mai 1993, la marche Pohlmann-Bruxelles.

permis de construire, enquête d’utilité publique. En octobre 1992, les permis deconstruire sont accordés au moment mêmeoù la commission des structures émet unavis défavorable. Sur le terrain, les oppo-sants poursuivent leur travail d’information,incitant les agriculteurs à refuser d’inclureleurs terres dans le plan d’épandage.Une crainte, cependant : que Pohlmann nejoue la montre en attendant la fin de la vali-dité de la loi le soumettant à une autorisa-tion supplémentaire. C’est alors que laConfédération paysanne décide d’organiseren mai 1993 une marche baptisée Pohlmann-Bruxelles pour dire stop à la concentration(voir encadré). Il s’agit d’interpeller laCommission européenne pour aller vers unelimitation de la taille des ateliers, cette foisau niveau européen. En France, le maintien de la pression incitele Parlement français à proroger, le 11 juin1993, pour trois ans la validité de la loi sou-mettant à autorisation les élevages avicolesd’une certaine taille. Dans la foulée, le pré-fet de la Marne oppose le 21 juin un refusau projet de Pohlmann, qui jette alorsl’éponge en France. La victoire est là, récompensant la mobili-sation de tous. Elle sera fêtée comme il sedoit avec ceux qui ont fourni les arguments

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Vingt ans de combatcontre l’hormone laitière

Par Albert Ody producteur de lait en Mayenne , membre de la commission internationale

de Confédération paysanne

Dès les années 1980, les firmes pharma-ceutiques américaines (Monsanto,

Elanco Lilly...) lancent leur offensive deconquête de marchés profitables grâce à l’uti-lisation des biotechnologies et des progrèsdu « génie génétique ».Produite par l’hypophyse des vaches, l’hor-mone somatrotopine, appelée BST, com-mande la production de lait. Isolée et pro-duite artificiellement, cette hormone per-mettrait, d’après les expérimentations et lesfirmes commerciales, d’augmenter la pro-duction laitière de 15 à 20 % pour une injec-tion tous les quinze jours.Dans les années 1990, son utilisation faitdébat aux USA. En 1989, nous participonsavec John Kinsgman et sa petite associationde défense des fermes familiales à une cam-pagne de sensibilisation dans le Wisconsin,principal Etat laitier américain constitué defermes familiales.Mais les forces en présence sont terriblementinégales... et dès 1993, la FDA (Food andDrug Administration) donne l’autorisationde mise sur le marché à Monsanto et à Elanco.La somatrotopine bovine est commerciali-sée dans dix-neuf pays.

La résistance s’organise en EuropeLes pays européens sont divisés quant à l’at-titude vis-à-vis de la BST. Sous la pressionde la société civile, le Danemark interdit sonutilisation ; le gouvernement allemand estréticent.Au Royaume-Uni, aux Pays-Bas et en France,les gouvernements autorisent certaines fir-mes pharmaceutiques à conduire des expé-rimentations.

En juin 1988, le Parlement européen serallie au rapport Happart (socialiste belge)et demande « que les viandes importées despays tiers soient munies d’une déclarationindiquant les traitements subis et ce à l’in-tention des consommateurs »... et un amen-dement des Verts allemands exigeant l’in-terdiction pure et simple de la BST est rejetéde justesse.En France, une partie de la recherche, cofi-nancée par les firmes privées, est menée ouprogrammée par l’Institut national de recher-che agronomique (Inra), l’Institut techni-que d’élevage bovin (Iteb) et quelques éta-blissement départementaux d’élevage (EDE)mais le souvenir du veau aux hormonesdénoncé quelques années plus tôt par lestravailleurs paysans a laissé des traces...

La Confédération paysanne se mobiliseAu niveau des syndicats agricoles, seule laConfédération paysanne informe et dénonceclairement les effets pervers d’une éventuelleautorisation de la BST.En mars 1989, des camions de lait prove-nant de fermes expérimentales sont bloquésdans la Loire, et le 15 mars, la CPE orga-nise à Bruxelles, une conférence de pressepour affirmer l’opposition de l’Europe à laBST, avec l’appui du groupe Arc-en-Ciel duParlement européen et des organisations deconsommateurs et environnementalistes. En 1990, la Commission européenne, mal-gré la pression de l’administration améri-caine et des firmes, opte pour un moratoire...toujours en vigueur.Aux USA, à la suite de l’autorisation de l’hor-mone laitière, des producteurs organisent

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la commercialisation de lait bio portant lamention « sans BST » développant ainsi une méfiance croissante des consommateurs àl’égard du lait « ordinaire »... et entraînantde grands groupes de distributeurs à mettredans leurs rayons du lait et des produits lai-tiers étiquetés « sans BST ».

Victoire... outre-AtlantiqueEn 2007, plusieurs industriels et desgroupes coopératifs américains annoncentà la presse et aux éleveurs qu’ils neramasseront plus que le lait de troupeauxdont les éleveurs s’engagent par écrit à neplus utiliser la BST. Après vingt ans de combat, les consomma-teurs américains et des agriculteurs trom-pés qui se sont ravisés l’emportent sur les mul-

tinationales. Il est évident que c’est l’étique-tage et l’information des consommateursqui ont été déterminants dans le rejet dulait aux hormones.En France et en Europe, la clairvoyance etla mobilisation de la Confédération pay-sanne et des organisations membres de lajeune Coordination paysanne européenne,en regroupant organisations de consomma-teurs et environnementalistes, ont créé unrapport de forces favorable, évitant une éli-mination encore plus désastreuse des pay-sans. A la lumière de cette victoire, on ne peutque noter les points communs entre la luttecontre l’utilisation de l’hormone laitière etcelle qui dénonce les plantes OGM pestici-des. L’espoir renaît. l

r La mobilisation de 1989 a débouché sur un moratoire européen pour l’utilisation de la BST.

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Lait de vache : les victoires des années 1990Par Michel Berhocoïrigoin producteur de lait au Pays basque , secrétaire général de la Conf’

de 1989 à 1992, responsable de la commission lait de 1998 à 2002,

il siège à l’Onilait pendant cette même période

Durant les années 1990, la commissionlaitière de la Confédération paysanne

a marqué le débat et a même gagné des pointsdécisifs [NDLR : ceci ne veut pas dire querien n’a été gagné depuis : c’est simplementque je suis chargé d’une contribution concer-nant cette période, allant de la fin des années1980 au début des années 2000]. Plus que sur les questions de prix, la Conf’ amené son combat laitier sur la répartition desdroits à produire et sur tout ce qui pouvaitéviter la concentration excessive ou la mar-chandisation des droits à produire. En effet,la priorité des priorités nous paraissait êtredans l’accès d’un maximum de producteursà la production : la production laitière, avecsa dimension sociale et territoriale, avec ledébat qu’elle incarne assez clairement sur lessystèmes de production (intensification, «hors-solisation », répartition territoriale...), illus-tre assez bien le projet de la Conf’ et sa diffé-rence avec celui de la Fnsea... La Conf’ a réussià se faire entendre avant même qu’elle n’en-tre à l’Onilait1. Et, bien sûr, depuis qu’elle yest entrée.Quelques dossiers illustrent l’impact de laConf’ dans ce secteur :• Les sociétés en participation. Dès la findes années 1980, la Confédération paysannea vigoureusement combattu cette forme desociété où les associés apportent les réfé-rences sans mise à disposition du foncier ;il s’agissait de sociétés de fait qui couvraientdes concentrations illégales et des pratiquesde location de quotas tout aussi illégales ;elles étaient souvent montées par des cen-tres de gestion tenus par la « profession »(ou par des filiales). La Conf’ a dénoncé cesdétournements au niveau national commeaux niveaux départementaux, dans les com-

missions mixtes, avec l’argument béton quia fait tomber l’édifice : les SEP permettentà un producteur qui souhaite augmenterson quota et qui ne serait pas éligible aux réfé-rences supplémentaires selon l’arrêté decampagne, de bénéficier des références duproducteur qui le rejoint à la SEP, référen-ces qui du même coup ne viennent pas abon-der la réserve départementale, limitant ainsiles possibilités d’installation ou de rallon-ges pour les petits producteurs. Il est à noter que, déjà à l’époque, la Fédérationnationale des producteurs de lait (FNPL)défendait les SEP, du moins dans leur esprit :il s’agissait pour elle d’une façon de donnerun peu de souplesse dans le système des quo-tas... En tout cas ce fut une belle victoire dela Conf’ lorsque la circulaire du 14 novem-bre 1991 interdit les sociétés de fait.• Le Gaec partiel laitier (GPL). Ce dispo-sitif donnait un cadre légal à ce qui, avec lesSEP, ne l’était pas... Toujours pour répondreaux pressions des libéraux de la FNPL, unecirculaire du 25 mars 1993 donne la possi-bilité de créer une société (Gaec partiel) àlaquelle les associés apportent la référence lai-tière, avec le cheptel, matériel, etc. mais sansmettre à disposition les terres ! Il faudra làencore monter au créneau pour dénoncercette porte ouverte aux magouilles, ainsi quela remise en cause du lien quota-foncier quece nouveau cadre entraîne : actions locales,vis-à-vis des élus, des DDA, etc. Des contactssont pris avec Gaec & sociétés2 pour lesconvaincre du fait que ce « Gaec partiel »dégrade l’image des Gaec... Il faudra atten-dre janvier 1996 pour que Philippe Vasseur3

abroge les dispositions permettant le Gaec par-tiel laitier. Il s’agit incontestablement d’unevictoire de la Conf’ et d’un camouflet pour

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la FNPL. Pourtant, la pression du lobby nefaiblit pas : le projet de Gaec partiel laitier réap-paraît en 2000 : Jean Glavany 4 donne sonaccord au congrès de la FNPL. La Conf’ s’yoppose toujours ; un déplacement est mêmeorganisé par l’Onilait dans la Somme pour ren-contrer sur le terrain des GPL, et... tenter deconvaincre la Conf’ ! La Conf’ fait une proposition de Gaec par-tiel laitier avec transfert de foncier.• Mobilité des quotas et marché des quo-tas. Avec l’argument de mettre fin au sup-posé marché occulte des quotas entre pro-ducteurs, la politique laitière a été soumiseà une pression permanente visant à instau-rer un marché (achat, vente, location) dequotas. En 1991, la FNCL se positionnaitpour des « attributions payantes » ; en 1992,la FNPL refuse à l’Onilait de discuter de l’ar-rêté ministériel de campagne 92/93 parceque celui-ci ne prévoyait pas la mise en placede la location des quotas ! La Conf’ affirme haut et fort : « Un seul choix :gestion gratuite et administrée ! » Aujourd’hui,nous pouvons affirmer que si le marché desquotas n’a pas été instauré en France, c’estgrâce à la Conf’ qui a dû contenir chaqueannée, avec une argumentation offensive entermes juridiques, économiques, territoriauxet sociaux, les offensives de la FNPL et de l’in-dustrie laitière. La Conf’ s’est adressée auxélus, aux FDPL et aux fermiers métayers dela FNSEA qui partageaient nos analyses...Mais le fait de s’opposer au marché a obligéla Conf’ à être très performante sur les pro-positions de mobilité laitière, en termes detransferts fonciers ou des propositions plusinnovantes comme celle de contrats terri-toriaux d’exploitations (CTE), désintensi-fication laitière pour les systèmes les plusintensifs avec réduction de quotas... Contrela FNPL et l’industrie laitière, la Conf’ aréussi souvent à arracher un cadre intéres-sant en matière de transfert foncier, commeavec le décret de janvier 1996... Mais lesvrais batailles se jouent dans les départe-

ments car, à tout moment, un cadre intéres-sant obtenu nationalement peut être balayépar un rapport de forces défavorable à l’échelledépartementale...• La réforme de l’Organisation commune demarché (OCM) lait a également été un sujetqui a mobilisé la Confédération paysanne, faceà la proposition du ministère du « double quota- double prix ». La réponse de la Conf’, était sim-ple : « Produire du lait à 1 franc le litre, nonmerci ! » Derrière ce slogan, il y avait l’ana-lyse du marché mondial, des accords inter-nationaux, des subventions à l’exportation,de la compatibilité ou pas des objectifs d’ex-port à bas prix et des objectifs internes d’unepolitique agricole : deux objectifs contra-dictoires affichés par la récente loi d’orien-tation agricole... Ici, comme dans la plupartdes dossiers, il y avait la position de prin-cipe et puis celle à négocier si vraiment celaétait nécessaire, et, en l’occurrence, celle den’appliquer le prix B qu’aux tranches delivraison importantes... Mais, après deuxannées de débat, ce dossier n’aboutissait pas.Mobilité, transferts fonciers, redistributiondes références, lien quota-foncier, définitionde la notion de producteur et de l’exploita-tion, OCM lait... tous ces sujets importantsont marqué l’actualité laitière. Ils ont marquéaussi la Conf’, et la Conf’ a marqué l’actualitélaitière qui n’aurait certainement pas été lamême si le syndicat n’avait pas été là... l

1 Onilait : Office national interprofessionnel du lait et des produits laitiers. Lire aussi l’encadré sur lesoffices par produit en page 133. 2 Gaec & sociétés est une association nationale ayantpour objectif le développement des formulesd’agriculture de groupe. Ses missions consistent àinformer, à former et à accompagner les paysans ainsique tous ceux qui concourent à la création de sociétésagricoles : EARL, GAEC, SCEA, GFA, GIE, SARL...Gaec & sociétés assure également la représentation desagriculteurs groupés auprès des pouvoirs publics.3 Philippe Vasseur, ministre de l’Agriculture, de la Pêche et de l’Alimentation, dans le 1er et le 2e

gouvernement Juppé, de 1995 à 1997.4 Jean Glavany est ministre de l’Agriculture et de la Pêche dans le gouvernement de Lionel Jospin, de 1998 à 2002.

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1990 : les fermes de l’avenir

Par Gabriel Dewalle producteur de légumes dans le Nord,

membre du Comité national de 1988 à 1995

et porte-parole de la Confédération paysanne de 1992 à 1995

En ce mois de juin 1990, la crise de laviande bovine est très forte, faisant le

désespoir de nombreux paysans partout enFrance. La Vendée est alors le premier départementproducteur de viande et logiquement beau-coup d’actions sont menées pour crier àl’aide. Après une réunion à la préfecture,une intersyndicale décide d’installer une« ferme de la colère » devant la préfecturede La Roche-sur-Yon. Une opération Vendée morte est menée parl’intersyndicale ; des barrages sont dresséssur les routes, un défilé silencieux rassem-ble 2 000 élus et des heurts ont lieu avec lesCRS.

Pour continuer l’action d’une manière pluspositive, la Confédération paysanne installeune « ferme de l’avenir » pour prendre àtémoin l’ensemble de la population.Des paysans sont en permanence sur la placeNapoléon et organisent des grèves de la faimtournantes d’une semaine. Les paysans ven-déens tiendront la « ferme de l’avenir » pen-dant vingt jours.

Devant le succès d’estime que rencontre cetype d’action auprès des citoyens, le Comiténational décide d’encourager les syndicatsdépartementaux à installer des « fermes del’avenir » dans le maximum de grandes vil-les. C’est en effet un formidable moyen derapprocher les citoyens consommateurs dumonde paysan, une occasion de faire enten-dre la voix des paysans et de demander uneautre politique agricole.André Aubineau, paysan vendéen représen-

tant des Pays de la Loire au Comité natio-nal, prend son bâton de pèlerin et va à larencontre de plusieurs départements pourinciter les paysans à installer des « fermesde l’avenir »

En Aveyron, la ferme sera appuyée par unegrève de la faim de José Bové, membre dusecrétariat de la Confédération paysanne,pendant vingt et un jours.A Poitiers également, des paysans renforcentla « ferme de l’avenir » par une grève de lafaim.Au final ce seront 31 villes qui verront s’instal-ler des fermes sur la place publique, et ce sou-vent au nez et à la barbe des forces de l’ordre.Le succès auprès du public est énorme etimmédiat. On assiste à des échanges inten-ses jusqu’à tard dans la nuit car les passantssont demandeurs et concernés Des milliersde signatures sont récoltées pour exiger unchangement de politique agricole.La presse régionale relaie très bien ce typed’action et les élus sont également présentset à l’écoute.

Pour faire aboutir nos revendications, il fautque ces fermes départementales et régiona-les soient reprises au niveau national et trans-mises au ministère de l’Agriculture. Aussic’est encore sans autorisation que se monteune ferme de l’avenir face à la tourMontparnasse, le 4 octobre. Après un premierordre de déménager le jour même avant 18heures, c’est finalement l’apaisement, et laferme parisienne restera jusqu’au 8 octobre.Ce jour-là, emmenée par Guy Le Fur, porte-parole national, une délégation constituée

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du secrétariat national et d’un représentantde chacune des fermes départementales serend au Sénat et au Parlement pour y dépo-ser un projet de loi d’orientation agricole etrurale.

De longues batailles allaient être nécessai-res, mais la Conf’ avait réussi à mettre lasituation des paysans sur la place publiqueet à faire adhérer largement la population àla nécessité de changement. l

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Ala veille du grand débat sur l’agricultureprévu le 11 octobre à l’Assemblée natio-

nale, le porte-parole de la Confédération pay-sanne (orientée à gauche), M. Guy Le Fur,demande une redéfinition de la mission de l’agri-culteur dans la société française. Dans un com-muniqué de Matignon publié le 9 octobre, le gou-vernement estime que la proposition de laCommission de Bruxelles de réduire de 30 %en 1996 le niveau des subventions versées aux9 millions d’agriculteurs des Douze n’est « passatisfaisante et devrait être améliorée ».

Qu’attendez-vous du débat parlementaire

qui s’engage sur l’agriculture ?

– Deux hypothèses sont offertes. Soit on conti-nue à « faire joujou » avec l’agriculture et sondevenir en débattant sur la base idéologique dechaque groupe. Soit on fixe un cadre et unemission à l’agriculture de l’an 2000. Les gran-des lois d’orientation ont trente ans. En l’es-pace d’une génération, l’agriculture s’est modi-fiée plus qu’au cours des deux siècles précé-dents. De nouveaux problèmes ont surgi, laqualité des produits, la préservation de l’envi-ronnement, l’occupation du territoire. Je sou-haite qu’on mette à plat la destination des 80milliards de francs d’aides publiques versées àl’agriculture 1. Il faut un audit de la compétiti-vité des modèles. Actuellement, l’agriculturedite la plus compétitive est celle qui récupèrele plus de fonds publics !

Quel bilan dressez-vous de la politique agricole

de ces dernières décennies ?

– Trente ans de cogestion de la politique agri-cole entre la FNSEA et les pouvoirs publics ont

provoqué des dégâts considérables. Les deuxtiers des agriculteurs ont été éliminés, sans per-mettre à ceux qui restaient d’avoir un revenuvalable. La profession n’est pas assez attrayantepour inciter les jeunes à s’installer. La politique menée a conduit à des déséquili-bres importants. Jamais les inégalités de reve-nus entre exploitants n’ont été aussi grandes.20 % des agriculteurs assurent en outre 80 %de la production. Les aides restant proportion-nelles aux volumes, les plus gros peuvent seplacer « sous les robinets » et récupérer les aidespubliques. Dans le même temps, la moitié desexploitants ont un revenu inférieur au Smic et150 000 familles sont en situation de faillite. Les déséquilibres se sont aussi creusés entre lesrégions : la moitié de la production nationaleprovient de 15 départements. 15 000 commu-nes rurales ont vu leur gestion remise en causepar la diminution sensible du nombre d’agricul-teurs qui servaient de moteur économique. Celareprésente la moitié du territoire.

Quelles incohérences relevez-vous dans les choix

proposés aux agriculteurs ?

– La crise est considérée comme un agent derégulation de l’offre et de la demande. Chaquecrise provoque l’élimination de producteurs etune plus forte concentration de l’offre. En agri-culture, une décision de produire a des effetssur le marché trois à six ans plus tard. 2 % d’ex-cédent peuvent entraîner une chute des prixde 20 à 30 %. Ceux qui prônent l’économie demarché en agriculture utilisent les crises pourinciter le gouvernement à prendre des mesu-res qui, ajoutées les unes aux autres, sont inco-hérentes. On aide ainsi certains exploitants à

Guy Le Fur interviewé par Le Monde

« L’agriculture dite la plus compétitive est celle qui récupère le plus de

fonds publics » s’inquiète le porte-parole de la Confédération paysanne

ARTICLE PARU DANS L’ÉDITION DU 11.10.1990

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en chantier d’une nouvelle loid’orientation agricole et rurale.Le président de l’Assembléenationale nous recevra le 11octobre.

Quelles missions assignez-

vous à l’agriculture dans la

société française ?

– Si les tendances actuellesse poursuivent, avec uneagriculture contenue danssa mission de production,il n’y aura plus que 200000 paysans à la fin dusiècle. Aussi devons-nous

redéfinir le rôle de l’agriculteurcomme producteur de quantité et de

qualité, comme protecteur de l’environnementet acteur indispensable d’un milieu rural vivant.Pour cela, il faut un contrat social entre les pay-sans, les collectivités territoriales et l’Etat, uncontrat qui crée des droits et des obligationspour chaque partie. Dans un tel scénario, 800000 agriculteurs seront nécessaires. Pour réus-sir, plusieurs conditions sont requises : • un partage des droits à produire et des moyensde production entre les hommes et les régions,car nous voulons conserver une mission de pro-duction à tous les agriculteurs ; • il faut établir un prix garanti pour rémuné-rer les exploitants, mais ce prix doit être pla-fonné par actif. On ne doit plus seulement rai-sonner en volumes mais en valorisation despotentiels agronomiques des sols ; • en contrepartie, l’agriculteur s’engagera à four-nir des produits alimentaires de qualité en suf-fisance, à adopter des pratiques préservant l’en-vironnement, à entretenir l’espace pour le ren-dre accueillant. Tout cela peut correspondreaux aspirations des citadins et de la société.

Propos recueillis par Eric Fottorino

1 Hormis les 60 milliards de francs versés au titre de la compensation démographique.

intensifier en accroissant leur production. Acôté, on encourage l’extensification par desappuis bénéficiant à ceux qui réduisent de 20 %leur production... On aide les productions hors-sol (taurillons, porc, serres), mais on laisse lesol sans production à travers le gel des terres.

Vous avez installé début septembre 31 fermes

de l’avenir dans de nombreuses villes.

Quel était le sens de cette opération ?

– Le premier objectif était de briser la spiralede violence de l’été. Nous déplorions que lemécontentement se traduise par des manifes-tations qui dégénéraient, comme si la colèredevait se mesurer à l’ampleur des dégâts cau-sés. Cette spirale entraînait un isolement desagriculteurs vis-à-vis du reste de la société.Nous voulions encore sensibiliser les citadinsde façon agréable. Ce fut une réussite totale :500 000 urbains sont venus, de nombreux débatsont eu lieu. Nous avons touché une foule d’élus,de responsables d’associations (sauf à Paris),des députés et des sénateurs en vue des discus-sions parlementaires. A la fin de cette opéra-tion le 8 octobre, nous avons demandé la mise

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1995-2002

la Confédération paysanne et son projets’affirment dans la sociétéet au niveau institutionnel

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Al’assemblée générale de Montmorillon, enmars 1995, un nouveau secrétariat natio-

nal (SN) de sept membres est élu. Il réunit desresponsables qui ne partageaient pas la mêmevision stratégique à propos de la réforme de laPAC de 1992 que leurs prédécesseurs. Une moi-tié du SN est issue de l’équipe sortante, qui, en1991-1992, avait accueilli plutôt favorablementle Livre blanc de Mac Sharry mais rejeté ensuitesa réforme, et l’autre moitié est issue de dépar-tements qui étaient favorables à agir dans laCoordination rurale. François Dufour est lenouveau porte-parole.

Au-delà de ces tendances qui s’affrontent pourdiriger le syndicat, la Conf’ s’est réunifiée surl’essentiel : depuis 1991-1992, elle a largementdébattu tant sur ses orientations de fond et sonprojet d’Agriculture paysanne que sur la natureet les moyens d’action du syndicat.A partir de 1995, plusieurs événements « exté-rieurs », qui ont mobilisé l’opinion publique,les réseaux militants et la vie politique, vontpermettre à la Confédération paysanne de s’ins-crire dans une dynamique ascendante très forte,au détriment de la FNSEA-JA : • Dès 1995-1996, les syndicats de salariés etles associations se mobilisent contre la régres-sion des droits sociaux (grèves de décembre1995) et contre la mondialisation libérale (dénon-ciation de l’Accord multilatéral sur l’investis-sement (AMI), contestation des orientationslibérales de l’Organisation mondiale du com-merce (OMC)).

La Conf’ est très active et très écoutée au seinde ce mouvement social car elle est engagéedepuis longtemps dans une démarche non cor-poratiste, sensibilisée à la dimension interna-tionale des questions agricoles et alimentaires.Sa réflexion sur les finalités de la production,à travers son projet d’Agriculture paysanne,s’avère payante. • En avril 1996 la France connaît une fortecontestation sociale du productivisme en agri-culture. C’est la « crise de la vache folle », le refusdes OGM, plusieurs crises sanitaires et écolo-giques, la dénonciation de la « malbouffe »,etc. Cette contestation déstabilise l’agroalimen-taire et la FNSEA, et renforce l’audience de laConfédération paysanne auprès des médias etdes décideurs politiques.• A partir de mai 1997, le retour inattendu dela gauche au gouvernement institue réellementle pluralisme et la concertation avec l’ensem-ble des syndicats agricoles (en lieu et placed’une cogestion exclusive avec la FNSEA-JA),ce qui confère à la Conf’ de nouvelles tâchesplus ou moins faciles à assumer.

La Confédération paysanne se trouve engagéesimultanément sur plusieurs fronts, avec lavolonté – et la difficulté – d’articuler le mieuxpossible la défense professionnelle des petitset moyens paysans, la prise en compte des atten-tes de la société sur l’agriculture et l’espacerural, et la contestation de la mondialisationnéolibérale. Faire face à tout cela suscite éga-lement des débats et des tensions internes.

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n Face à la gauche au pouvoir,quelle défense des paysans ?

1995 – 1997 : Jacques Chirac rétablit la cogestion avec la FNSEA-JAA la suite de l’élection de Jacques Chirac à laprésidence de la République en mai 1995, songouvernement impose une cogestion exclusiveavec la FNSEA, déjà fortement rétablie sous lacohabitation (1993-1995). En février 1996, ilpromet à la FNSEA qui fête son 50e anniversaireune nouvelle loi d’orientation agricole (LOA)pour renforcer l’industrialisation de l’agricul-ture et pour réaffirmer sa vocation exportatrice.La Confédération paysanne est ignorée par lenouveau gouvernement et par son ministre del’Agriculture, Jean Puech. Elle choisit d’inten-sifier des actions syndicales significatives deson projet pour l’Agriculture paysanne : - face à la course aux hectares (encouragée parles primes PAC), elle anime une campagne d’ac-tion nationale pour une meilleure applicationdu contrôle de structures en faveur des pay-sans qui ont réellement besoin de terres etobtient, dans un grand nombre de départe-ments, la publicité des demandes d’autorisa-tion de cumuls en CDOA1 ; - en novembre 1996, plus de 150 militantsaccompagnés d’une vache et de son veau s’in-vitent par surprise au siège de l’Associationgénérale des producteurs de blé (AGPB) pourdénoncer l’inégale répartition des aides publi-ques entre céréaliers et éleveurs et entre gros etpetits paysans ;- exclue des travaux préparatoires de la LOA,elle publie un contre-projet de loi d’orientationagricole en faveur de l’Agriculture paysanne etdurable, et revendique des mesures concrètes ;- dans la gestion des quotas laitiers, elle resteun interlocuteur respecté, en raison de ses capa-cités de mobilisation et de contre-propositions.Grâce à la Confédération paysanne, le nouveaudécret sur les transferts de quotas s’appliqueaux plus gros producteurs (qui cumulent desterres avec quotas), avec des taux de prélève-

ments élevés en faveur des réserves nationaleset départementales ;- elle apporte son soutien aux paysans nor-mands confrontés à la faillite de leur coopéra-tive, l’ULN2, et elle pose la question de la dériveet du dévoiement des principes mutualistes etde solidarité dans les grandes coopératives.

1997 – 2002 : La gauche est au pouvoir, la Confédération paysanne devient un interlocuteur à part entièreLa victoire surprise de la gauche aux élections légis-latives de 1997 va radicalement changer la donne.Dès sa nomination au ministère de l’Agriculture,Louis Le Pensec annonce le principe de la concer-tation avec tous les syndicats agricoles reconnusreprésentatifs, et s’engage à assurer leur présencedans toutes les instances administratives. Sans délai, la Conf’ répond présent et lui adresseun mémorandum comprenant 14 mesures

r Occupation du siège de l’Association générale des producteurs de blé (AGPB), en novembre 1996.

2 ULN : Union laitière normande. En juillet 1992, laConfédération paysanne porte plainte pour irrégularités degestion et abus de biens sociaux contre ce qui était alors la pre-mière coopérative agricole française. Avec 15 milliards defrancs de chiffre d’affaires, l’ULN, union de 15 coopératives,sombre à force d’investir dans le rachat de sociétés étrangè-res. En accord avec l’interprofession, elle décide de baisser leprix du litre de lait de 10 centimes. C’est la déconfiture. Elleentraîne dans sa chute 17 000 producteurs. Pour éviter ledépôt de bilan, le tout est cédé à Bongrain et ses banquescréancières. En février 1998, le procès a lieu au tribunal cor-rectionnel de Coutances (Manche). Onze dirigeants sont aubanc des accusés. Les condamnations sont faibles au regarddes dégâts sur les fermes.

1 CDOA : Commission départementale d’orientation de l’agri-culture.

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concrètes à appliquer immédiatement en faveurdes petits et moyens paysans. C’est le début dece qu’on peut appeler le plein exercice de lareprésentativité et de la concertation tant auniveau national que départemental (offices parproduit, CDOA...). La Confédération paysanneest reconnue et sollicitée pour donner son avissur l’ensemble des questions agricoles, à égalitéavec la FNSEA-JA – et ce malgré un rapport desforces difficilement comparable.

La Conf’ entendue sur plusieurs revendications… Louis Le Pensec 3 et son cabinet ne cachent pasune certaine proximité avec le projet et lesrevendications de la Conf’. C’est particulière-ment évident avec le projet de LOA que LionelJospin décide de reprendre, non sans quelqueshésitations. Il est à noter que, dans l’opposi-tion, le PS en avait contesté l’opportunité (avantla réforme de la PAC de 1999) bien davantageque son orientation « agroalimentaire ». LePensec réoriente les objectifs de la LOA : aulieu de la vocation exportatrice, il affirme lamultifonctionnalité de l’agriculture, un conceptinterprété comme proche des thèses de la Conf’(produire, employer, préserver), et vise à ren-forcer son ancrage dans les territoires. La Conf’est associée à l’ensemble des groupes de travailministériels pour l’élaboration du projet, dontdeux de ses mesures phares : le renforcementdu contrôle des structures et le CTE4.Louis Le Pensec ouvre également de nombreuxautres chantiers, qui coïncident avec plusieursdes revendications de la Conf’ :

• Protection sociale agricole. Sur fond de criseà la Caisse de la mutualité sociale agricole (CMSA)et dans un contexte de fortes mobilisations dela Conf’ et de l’Association nationale pour lavalorisation des retraites agricoles (Anvra), laConf’ obtient une forte revalorisation des retrai-tes des non-salariés agricoles (exploitant etconjoint d’exploitant) vers le minimum de 75 %du Smic. En dépit de l’hostilité de la FNSEA,Jean Glavany poursuivra en instaurant la retraitecomplémentaire obligatoire, mais applique unseuil minimal de cotisations (qui pénalise lespetits paysans) et refuse le plafonnement despoints acquis (qui avantage les gros). • Répartition des aides PAC. Louis Le Pensecrépond aux revendications de la Confédérationpaysanne exprimées depuis la réforme de 1992 :malgré l’hostilité de la FNSEA, il décide de réduireles écarts entre départements riches et pauvresdans les aides par hectare de culture. Le systèmeexistant avantageait les départements les plusriches grâce à une référence basée sur 2/3 durendement départemental et 1/3 du rendementnational. La nouvelle référence passe à 50/50. En dépit de l’hostilité ouverte de la FNSEA etde la Coordination rurale, la Conf’ négocie piedà pied l’adoption d’un plafonnement modulédes aides PAC selon la taille des exploitations(les sommes ainsi retenues par l’Etat servirontà financer les CTE). Pour cela, la Confédérationpaysanne a organisé de nombreuses manifes-tations et interpellations des préfets et des par-lementaires dans les départements, montrantune nouvelle fois sa capacité de créer le rap-port de forces. Elle discute avec le ministre etses services des modalités précises de ce pla-fonnement modulé. Il faut saluer le fait que legouvernement français avait pris une décisionpolitique qu’il était le seul à appliquer dansl’Union européenne.

… mais plutôt insatisfaite de la LOA et des CTE Dès l’automne 1998, Le Pensec est désavouépar Jospin à la suite de ses positions critiquessur la vocation exportatrice de l’Union euro-péenne et de la France à la veille de la réformede la PAC de 1999. Il est remplacé par Jean

3 Louis Le Pensec, ministre de l’Agriculture et de la Pêchedans le gouvernement Lionel Jospin, de juin 1997 au 20 octo-bre 1998.4 CTE : Contrat territorial d’exploitation. Dans le cadre de laPAC, le Règlement de développement rural (RDR) européense décline dans chaque Etat membre. La loi d’orientation agri-cole du 9 juillet 1999 définit un cadre contractuel innovant entreagriculteurs et pouvoirs publics, devant permettre de répon-dre aux nouvelles attentes de la société civile. Ce cadre estdéfini dans le Contrat territorial d’exploitation (CTE). LesCTE ont ensuite été modifiés par des Contrats d’agriculture dura-ble (CAD) avec toujours les mêmes objectifs : préserver lesressources naturelles en luttant pour la qualité des sols, del’eau, de la biodiversité et des paysages (décret du 22 juillet 2003).

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Glavany5, qui écoute davantage la FNSEA et lelobby agroalimentaire et doit poursuivre unepolitique agricole plus conforme à leurs visionsde l’agriculture française. Le chantier de la LOA est poursuivi. Mais laConfédération paysanne est mitigée quant àson contenu : • la loi renforce le contrôle des structures, maisil n’y a pas de publicité satisfaisante sur desdemandes de cumul... or la Conf’ estime que cetteinformation est indispensable pour permettreles demandes de paysans prioritaires ; • les CTE ne sont pas à ses yeux suffisammentencadrés par la loi. Ils mobilisent cependantbeaucoup les militants de la Conf’, au niveaunational et dans les départements, qui y voientun moyen de concrétiser au mieux les objec-tifs de multifonctionnalité de l’agriculture. Maisla démarche de contractualisation individuelleest élitiste et l’adoption des contrats types négo-ciée au niveau départemental se fait le plus sou-vent sous l’hégémonie de la FNSEA, ultra-majo-ritaire dans les CDOA, si bien que, trop sou-vent, les CTE sont au service du productivismeet de l’agrandissement des exploitations ; • la politique de qualité reconnaissait la notionde territoire. La transition vers agrobiologie estencouragée, mais des discussions sans fin blo-quent la reconnaissance du produit fermier ; • en matière de protection sociale, au lieu d’unstatut unique de l’exploitant agricole, la loi ins-taure un nouveau régime de conjoint-collabo-rateur, qui se révèle un cadeau empoisonné puis-que sous ce statut le conjoint n’accède pas àl’égalité des droits avec l’exploitant alors qu’ildoit en plus cotiser pour sa retraite.

Glavany ne prolonge pas les réformes engagéespar Le Pensec sur la répartition des aides PAC :s’il met en place le plafonnement modulé, iln’ira pas au-delà vers la référence au rendementunique national. La surprime irrigation estmaintenue : dans la plupart des départements,son montant est établi au détriment des surfa-ces non irriguées.

Face à la réforme de la PAC de 1999, la Confédération paysanne revendique la maîtrise des productionsPour la réforme de la PAC 99 (paquet Santer),Glavany s’aligne sur les revendications de laFNSEA et de ses principales sections spéciali-sées (AGPB, AGPM6...) : la vocation exportatricede la céréaliculture française doit être préser-vée et la France doit obtenir le meilleur retourpossible du budget de la PAC.Face à cela, la Conf’ revendique une réorienta-tion de la PAC et une meilleure répartition dessoutiens. Elle s’appuie surtout sur une approchesocioéconomique des effets de la PAC 92 (courseaux hectares, filières herbivores fragilisées au pro-fit de l’agriculture industrielle...) plutôt que surl’affirmation d’un projet alternatif global. Ainsi,en s’appuyant sur l’exemple des quotas laitiers,elle revendique la généralisation de la maîtrise àl’ensemble des productions, de même que le pla-fonnement et une autre répartition des aidesentre les productions, les régions et les paysans.

En parallèle à ces questions plus centrales depolitique agricole, la Conf’ mène, le plus sou-vent par l’intermédiaire de ses commissionsspécialisées, des négociations multiples sur dessujets spécifiques, dont certaines font écho à

r Manifestation à Paris, en mars 1998.

5 Jean Glavany : ministre de l’Agriculture et de la Pêche dugouvernement de Lionel Jospin, de fin octobre 1998 au 25février 2002.

6 L’AGPB (Association générale des producteurs de blét autrescéréales) et l’AGPM (Association générale des producteursde maïs) sont les fers de lance du lobby céréalier.

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la critique du productivisme ou sont en référencedirecte au projet d’Agriculture paysanne : règlessanitaires et produits fermiers ; adaptationssocio-environnementales du PMPOA7 enBretagne et nouveau PMPOA pour les petits etmoyens éleveurs ; répartition des quotas lai-tiers et refus des montages sociétaires et duGaec partiel laitier ; soutien aux petits et moyensproducteurs de porcs victimes de la crise desurproduction ; crise sanitaire du lapin, etc.

Quels paysans défendre en priorité ?Mais en dépit des déclarations et des effets d’an-nonce affichés dans la LOA, le gouvernementJospin ne remet pas en cause l’orientation moder-niste de la politique agricole et l’éliminationdes paysans qu’elle génère et qui se poursuitde plus belle. Des militants relancent la ques-tion : quels paysans la Conf’ doit-elle défendreen priorité (cf. texte de Gabriel Dewalle : « Pourun syndicalisme de hors droits, de hors normes »).Face au monopole des JA sur l’installation « conventionnelle » fortement aidée et étroite-ment encadrée par les organisations agricoles,la Confédération paysanne organise, en 1999,à Nîmes un colloque sur l’installation « horsnormes » ou progressive. Des réseaux de sou-tien aux porteurs de projets se mettent en placedans de nombreux départements. La Conf ’obtient des assouplissements aux critères d’accès aux aides JA et revendique un « CTE installation progressive »... Dans la continuité de ces revendications, lecongrès de Castres en juin 2001 vote une motionde soutien aux actions foncières, y compris paroccupation. Puis cinq colloques fonciers sontorganisés pour relancer la réflexion et les mobi-lisations sur les multiples aspects de la questionfoncière : trois en 2001, en Languedoc-Roussillon,en Rhône-Alpes et dans le Nord, puis deux en2003, dans les Pays-de-la-Loire et en Lozère(Quelle politique foncière pour la montagne ?).L’occupation illégale mais légitime de la fermede la Cisternette (sud du Larzac) pendant prèsde deux ans permet de poser publiquement et

concrètement auprès des collectivités territoria-les la question de la destination agricole de ter-res convoitées par des spéculateurs pour desusages autres qu’agricoles.C’est aussi en septembre 1999 que la Conf ’lance une opération symbolique mais d’enver-gure, dans la plaine de la Crau dans les Bouches-du-Rhône, sur la plus grande exploitation frui-tière du pays (1700 hectares, dont 1000 recou-verts de pêchers représentant en pleine pro-duction 10 à 12 % de la production française).Il s’agit de dénoncer la concentration, le cumulet la politique de surproductions organisées.Une cinquantaine de jeunes arbres sont déplan-tés et seront distribués dans les départementsmobilisés, auprès des DDA. Et c’est sur cette

La conquête de la paritépar Marie-Paule Mechinau

Dans le bouillonnement des initiatives et des confrontationstous azimuts que connaît la Conf’ dans cette période, larelance d’un « groupe femmes » a fait débat entre deuxpositions : • celles et ceux qui n’en voyaient pas la nécessité, considérant qu’il n’y a pas de problèmes spécifiques pour les femmes en agriculture, mais qui envisageaient un combat commun pour l’amélioration des conditions de vie et l’égalité des droits ;• celles et ceux qui considèrent que les femmes continuentde subir des inégalités de droit comme de fait, et particuliè-rement dans l’agriculture, après quarante ans de moderni-sation et d’intégration économique, sociale et culturelle dumonde rural au « reste » de la société. Exemple : une plusgrande difficulté à être reconnues comme paysannes (ou chefs d’exploitation) et, surtout, en écho au débat sur la parité dans les syndicats de salariés et les partis et les élections politiques, le fait que leur présence reste trèsminoritaire dans les instances de la Conf’.C’est surtout sur cet objectif de parité qu’un groupe fem-mes se constitue en 1999. Au congrès de Castres (2001), la motion visant à imposer un quota de membres femmesdans le Comité national et le secrétariat est rejetée. Elle sera finalement adoptée au congrès suivant : les instan-ces dirigeantes de la Conf’ doivent réunir au minimum un tiers de femmes. A défaut, la place est laissée vacante.

7 PMPOA : Programme de maîtrise des pollutions d’origineagricole.

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même exploitation que, six ans après, s’organi-sera la première grève de travailleurs saison-niers sous contrats OMI. Y a-t-il relation decause à effet ? Depuis, cette exploitation s’estdéclarée en cessation de paiement, a été liqui-dée et les terres sont en partie réaffectées à d’au-tres usages.Représentativité : nouvelles pratiques, nouvelles questions…Durant cette période, les tâches syndicales sontdémultipliées et doivent se diversifier entrel’élaboration de revendications de fond et lespositions à prendre sur des questions jusqu’alorsconsidérées comme techniques et/ou secondaires. En 2000, le Comité national propose au congrèsd’Argentan le passage du secrétariat national(SN) de sept à neuf membres, ce qui modifiel’équilibre numérique et le poids politique duSN par rapport au Comité national. Mais sur-tout, durant cette période de « représentativité »décuplée, le travail des commissions nationalesn’a plus, comme auparavant, pour seul objectifla déclinaison des revendications de fond débat-tues et adoptées par le Comité national (et misen œuvre par le SN). Le travail des commissionsest plus directement conduit, en lien étroit avecle SN, en vue d’une expression directe de cescommissions dans les instances où la Conf’ siègeau titre de la représentativité (offices par pro-duit, commissions diverses, etc.). La fonctionpolitique du Comité national s’en trouve affai-blie. Par ailleurs, ces tâches de représentativité

requièrent davantage de compétences technico-politiques, notamment de la part des animateurs. L’exercice de la représentativité soulève par ail-leurs des questions nouvelles : Faut-il ou nonrechercher des alliances tactiques ? Avec qui ?Faut-il être présent dans toutes les commis-sions ? Si non, comment établir les priorités ?Sur le fond, des militants considèrent rapide-ment que la Conf’ s’enlise dans une sorte decogestion avec le pouvoir ou qu’elle s’épuisesans grand résultat dans la représentativité, cequi relance un débat sur l’efficacité de l’actionsyndicale et sur l’importance d’établir et d’éva-luer le rapport de forces nécessaire pour impo-ser ou négocier nos revendications. C’est aussile débat sur la place de la contestation globaleet radicale par rapport à la négociation de pro-positions concrètes susceptibles d’améliorer lesort des paysans que la Confédération paysanneveut défendre.

Pour la majorité des militants, l’expérience desannées 1997 à 2002 se solde par un bilan mitigé,notamment à cause de l’ambivalence des rela-tions du syndicat avec un gouvernement quipermet l’expression des minoritaires et afficheune proximité avec les principales revendica-tions, mais qui n’applique pas la politique quiy correspond... S’y mêlent à la fois la satisfac-tion d’avoir obtenu des acquis significatifs etla déception de ne pas obtenir une réelle réorien-tation de la politique agricole. De son côté, en réponse aux espoirs déçus etaux reproches de non respect des engagementsde campagne électorale, la gauche au gouverne-ment reproche à la Confédération paysanne sonmanque de soutien à ses réformes et son igno-rance des rapports de forces politiques et éco-nomiques auxquels elle estime être confrontée.

n Montée en puissance de la contestation du productivisme et débat interne sur la place de l’Agriculture paysanne

Depuis de nombreuses années, la Confédérationpaysanne et les syndicats qui l’ont constituéedénoncent les dégâts du productivisme au plan

r Manifestation contre l’abattage systématique des troupeaux pendant la crise de l’ESB, en février 2002.

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social (disparition des paysans), au plan ali-mentaire (refus des hormones dans la viande etle lait...), aux plans environnemental et terri-torial (pollutions, concentration-désertifica-tion...) et, même, au plan international (impor-tations de soja au détriment des cultures vivriè-res). Avec le projet « pour une Agriculture pay-sanne », ils revendiquent une véritable alter-native au productivisme... avec le sentiment den’être ni entendus ni réellement compris parl’ensemble des citoyens et des consommateurs,hors des cercles militants.

Multiples contestations sociales du productivismeDepuis avril 1996, plusieurs crises sanitaires etla montée de la contestation écologique mettentpubliquement en accusation le productivismeen agriculture. Les nombreuses actions de laConfédération paysanne dans ce domaine ontété à la fois importantes et significatives de cesobjectifs syndicaux et sociétaux. Elles sont évo-quées ici en quatre rubriques.

Le productivisme et ses crises sanitaires face aux préoccupations de santé publiqueEn avril 1996, la crise de la « vache folle8 » agitcomme un véritable électrochoc auprès desconsommateurs : « Manger de la viande bovine,aliment noble par excellence, serait dangereuxpour la santé ? » Dès le départ, la Confédérationpaysanne agit pour désigner les vrais respon-sables de ce scandale et pour combattre ladéfiance, voire l’accusation spontanée desconsommateurs envers les producteurs deviande, les victimes irresponsables de la pro-pagation de cette maladie dans le troupeaubovin français. La Conf’ se positionne sur plu-

sieurs revendications et objectifs à la fois syn-dicaux et sociétaux. Alors que la FNSEA défend– au nom du progrès – l’utilisation des farinesanimales dans l’alimentation des bovins, laConfédération paysanne se fait rapidemententendre auprès des médias et de l’ensembledes organisations de consommateurs :• Par des actions en justice (plainte contre X,constitution de partie civile), elle dénonce laresponsabilité de la filière agroalimentaire (fabri-cants d’aliments du bétail, entreprises d’équar-rissage, négociants en bestiaux...) et la compli-cité de l’Etat français qui a couvert les impor-tations frauduleuses de viande, de farines ani-males ou d’animaux vivants en provenance deGrande-Bretagne. Egalement désignée par laConf’, la politique ultralibérale de démantèle-ment des services publics, conduite par MargaretThatcher : c’est bien la faiblesse les servicesvétérinaires qui y a favorisé le développementendémique de la maladie.• La Conf’ revendique des mesures de soutienaux éleveurs de viande bovine, victimes totale-ment innocentes d’une désaffection des consom-mateurs aussi brutale qu’injustifiée. Elle sou-tient activement, tout en respectant leur volontéd’autonomie, la marche des paysans de Charroux(Vienne) jusqu’à l’Elysée en août 1996.• Face à la FNSEA qui revendique le maintiende l’abattage total des troupeaux atteints (puis-que l’Etat y accorde des indemnisations excep-tionnellement élevées), la Conf’ se prononcepour plusieurs mesures sanitaires visant à éli-miner efficacement la maladie dans le cheptelbovin et à sécuriser les consommateurs, notam-ment pour l’interdiction totale des farines ani-males dans l’alimentation animale et, surtout,pour l’abattage sélectif dans les troupeauxatteints. Ces deux mesures seront décidées parl’Union européenne en 2000 et 2001, à la suited’une « deuxième crise de l’ESB », qui éclate ennovembre 2000.Par ricochet, la crise a des conséquences surles cheptels ovins et caprins en raison d’un ris-que de leur « rétrocontamination » par l’ESBbovine, alors qu’ils connaissent depuis plu-sieurs siècles la tremblante, qui est une formede dégénérescence du système nerveux non

8 L’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), égalementappelée « maladie de la vache folle », est une infection dégé-nérative du système nerveux, mortelle pour les bovins. Elle est causée par un agent infectieux moléculaire d’un typeparticulier, appelé protéine prion. L’épidémie est due à l’uti-lisation, pour l’alimentation des bovins, de farines animalesfabriquées à partir de carcasses bovines. En 1996, l’annoncepar des scientifiques que la maladie peut être transmise àl’Homme par la simple consommation de produits carnés a causéla panique.

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dangereuse pour l’homme. La bataille est menéeavec succès par les éleveurs ovins et caprinspour refuser l’abattage total des troupeauxatteints de tremblante (au motif qu’il est impos-sible de distinguer la tremblante de l’ESB) etpour promouvoir d’autres moyens de lutte contrela maladie (lire les contributions de Jacques Chèvreet de Miguel Hirribarren, pages 66 et 67) En alerte, l’opinion publique se révèle égale-ment très sensible à d’autres crises ou accidentssanitaires qui ont lieu dans cette seconde par-tie des années 1990 : • poulets contaminés par la dioxine ; • contamination par des incinérateurs de déchets(Albertville, Fumel, etc.) ; • procès contre les trafics et l’utilisation frau-duleuse d’anabolisants et d’hormones de crois-sance interdits. Dans le cadre de ces actions enjustice, la Conf’ se constitue partie civile dansle but de faire pression pour maintenir l’inter-diction de ces substances par l’Union euro-péenne.Mais d’autres crises ou questions sanitaires,sans danger immédiat pour la santé publique,ont mis à nu les enjeux économiques des poli-tiques de prophylaxie et d’éradication de cer-taines maladies : • l’épidémie de fièvre aphteuse (égalementimportée de Grande-Bretagne, toujours pourcause de défaillance des services vétérinairesbritanniques) génère un vif débat au sein de laConf’ sur l’opportunité de la vaccination ;• les campagnes « d’éradication du varron9 »furent l’occasion pour la Conf’ de se pronon-cer sur les mesures de prophylaxie et de policesanitaire appliquées à ce parasite et sur le rôledes Groupements de défense sanitaire (GDS) :alors qu’ils agissent en tant qu’auxiliaires des ser-vices vétérinaires de l’Etat, et que tous les éle-veurs doivent y adhérer, ces organismes se prê-tent à prélever indûment sur l’ensemble desadhérents des cotisations syndicales pour lecompte de la FNSEA). Ce fut également l’oc-casion de mettre en cause une vision hygiénisteet discriminante des objectifs de sécurité sani-

taire des cheptels et des produits animaux ; • troubles sanitaires dans les élevages à proxi-mité des lignes à très haute tension ; • la fièvre catarrhale10 en Corse face à laquellel’Etat est d’avantage préoccupé du risque de pro-pagation sur le continent que du sort des éle-veurs corses, durement touchés. La montée en puissance des questions sanitai-res dans l’agriculture et l’alimentation oblige laConf’ à s’organiser en conséquence (créationd’une commission sanitaire) et à se confronterà plusieurs reprises avec les spécialistes chargésde ces questions (Afssa11, DGAL12, scientifiques dedivers horizons). Elle doit exprimer ses analyseset revendications jusque devant le Parlement (nom-breuses missions parlementaires). Entre soumission pure et simple aux avis desexperts et contestation a priori d’une techno-science inévitablement au service des puissan-ces de l’argent, la Conf’ constate que les scien-tifiques ne sont pas toujours d’accord entreeux... et doit se forger une analyse et des posi-tions solides dictées également par le souci dedéfendre le sort des paysans. Ce fut tout parti-culièrement le cas à propos du risque de « rétro-contamination » du cheptel ovin par l’ESBbovine. Les scientifiques qui avaient conseilléla Conf’ pour revendiquer l’abattage sélectif encheptel bovin considéraient qu’il fallait envi-sager une catastrophe sanitaire majeure s’iln’était pas procédé à l’abattage total des trou-peaux atteints de la tremblante ovine. Argument :du fait qu’on ne pouvait cliniquement pas dis-tinguer l’origine « ovine » ou « bovine » dessymptômes, il était envisageable qu’un nou-veau type de tremblante puisse massivementse transmettre à l’homme par la consommationde la viande de mouton. Ce qui revenait doncenvisager, selon les zones contaminées, la des-

9 Varron : maladie parasitaire due au développement delarves de mouches qui parasitent les bovins.

10 La fièvre catarrhale (ou maladie de la langue bleue) estune maladie virale non contagieuse, transmise par des mou-cherons piqueurs et touchant les ruminants (principalementles moutons, moins souvent les chèvres, les bovidés, les cer-vidés…). Originaire d’Afrique, la maladie s’est répandue pro-gressivement, depuis les années 2005-2006, sur l’ensembledu territoire français. 11 Afssa : Agence française de sécurité sanitaire des ali-ments.12 DGAL : Direction générale de l’alimentation.

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truction de 15 à 50 % du cheptel, hypothèsequi porterait le coup de grâce à des races loca-les et à une production déjà victime de la mon-dialisation des échanges agricoles. C’est la col-laboration étroite avec des chercheurs de l’Inraet de l’Ecole vétérinaire de Toulouse sur la géné-tique des troupeaux qui a permis d’éviter cedésastre économique... sans qu’il y ait eu dedésastre sanitaire pour l’homme. Il faut aussi signaler l’important travail de laConf’ en faveur des producteurs fermiers trans-formateurs de produits animaux (parfois enconcertation avec d’autres organisations ouréseaux) pour l’adaptation de la réglementa-tion sanitaire conçue au service de l’agroali-mentaire (adaptations des normes, maintien del’obligation de résultat plutôt que celle demoyens…). L’élaboration des règles sanitairesdans la discrétion des services du ministère del’Agriculture traduit toujours un rapport de for-ces politique et économique, le plus souventen faveur de l’industrie agroalimentaire et audétriment des petits producteurs. L’opinion publique et les médias découvrentenfin l’existence d’une autre organisation syn-dicale que la FNSEA, ne pratiquant pas un cor-poratisme étroit et proposant des alternativesau productivisme avec le souci de répondre auxattentes des citoyens et des consommateurs(sur la qualité de l’alimentation, la protectionde l’environnement et la vitalité économiqueet sociale de l’espace rural).

Le productivisme face à la ressource en eau Sur la question du gaspillage et de la pollutionde l’eau, les actions et revendications de laConfédération paysanne visent directement despratiques et des orientations agricoles depuislongtemps acceptées par un grand nombre depaysans. La plupart de ceux qui sont engagésdans cette voie ne voient pas comment s’en pas-ser ou s’y soustraire.Quelles luttes contre les pollutions agricoles ?En 1993, la FNSEA négocie avec le gouverne-ment Balladur un « Programme de maîtrise despollutions d’origine agricole » (PMPOA), quidémarre réellement en 1995 et dont l’objet estde subventionner très largement la mise aux

normes des plus gros élevages vis-à-vis de ladirective européenne « nitrates » (qui plafonneles épandages d’effluents d’élevage sur les sur-faces agricoles) et de la loi française sur les« installations classées ». Après avoir considéréque les plus petits élevages pourraient échap-per à ces coûteuses mises aux normes, la Conf’réalise, en particulier en Bretagne qui est larégion la plus concernée parce qu’elle concen-tre la majeure partie des productions animalesfrançaises, qu’il s’agit d’un triple scandale :• ce programme permet aux plus gros élevagesd’être subventionnés au-delà de ce qu’autorisela réglementation européenne, y compris surleurs agrandissements illégaux. Ils sont doncincités à poursuivre leur croissance au détri-ment des autres producteurs ;• le PMPOA permet à ces plus gros élevages, àqui le calendrier de mise en œuvre du pro-gramme donne la priorité, d’obtenir des plansd’épandage de leurs effluents auprès de tiers audétriment des plus petits qui n’y auront plusaccès vu que leur région est en « excédent struc-turel » d’effluents à épandre par rapport auxsurfaces totales disponibles ;• en ne ciblant efficacement que les installa-tions et pas l’épandage, le PMPOA ne permetpas d’obtenir l’amélioration escomptée de laqualité de l’eau, en particulier en Bretagne oùc’est devenu un grave problème pour le tou-risme, les consommateurs et les métiers de lamer (conchyliculteurs, ostréiculteurs…).Contrairement à la FNSEA qui adopte une pos-ture corporatiste et nie la responsabilité desactivités agricoles dans la pollution de l’eau, laConf’ rejoint les associations environnementa-les et les consommateurs. De nombreuses mobi-lisations communes ont lieu de 1996 à 1998pour dénoncer la responsabilité du producti-visme agricole dans la dégradation de la qua-lité de l’eau. L’action de la Conf’ permet de mon-trer aux paysans et à l’ensemble de la société quele PMPOA est surtout un outil de restructura-tion de l’élevage français : seuls les élevages auxnormes pourront se maintenir et être transmis.Elle revendique et obtient (circulaire Voynet-LePensec) que les petits et moyens éleveurs soientprioritaires dans l’accès aux plans d’épandage,

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rendant ainsi possible le développement au-dessous d’une certaine taille d’ateliers. Toutefois,elle n’obtient pas du gouvernement que les éle-vages illégaux ne soient plus subventionnés. Grâce à la pression médiatique, La Confédérationpaysanne obtient en 1999 l’arrêt du PMPOA etson remplacement par un nouveau plan en2001, conforme à la réglementation européenneet permettant l’accès de tous les élevages d’unemême zone en même temps. Mais le taux de subventions plus faible et desconditions de financement plus restrictives sontà juste titre ressentis comme une discriminationet un handicap pour les plus petits élevagesplacés devant un dilemme : s’endetter lourde-ment pour maintenir et pouvoir transmettreleur exploitation ou disparaître à brève échéancepour non conformité à la réglementation envi-ronnementale… Quelle gestion de la ressource en eau ?Depuis 1992, face à l’application française dela réforme de la PAC, la Conf’ a vigoureuse-ment dénoncé les « surprimes irrigation » consis-tant à ajuster pour les irrigants le montant desprimes aux rendements moyens de leurs cultu-res irriguées. Pour deux motifs : d’une partparce que, dans la plupart des départements,cette surprime est obtenue en diminuant la réfé-rence du rendement moyen départemental (cesont ceux qui n’irriguent pas qui financent lasurprime de ceux qui irriguent), d’autre partparce que, dans un contexte de surproduction,le recours à l’irrigation devrait résulter d’un cal-cul de rentabilité excluant toute subventionpublique (aussi bien pour les équipements quepour le fonctionnement des installations). Cesont les syndicats Confédération paysanne dela partie nord de la France qui ont les positionsles plus hostiles à l’irrigation. Ces positions de fond sur l’irrigation en agri-culture ont été mises en débat aux Journéesd’été sur le thème de l’eau, qui ont eu lieu enaoût 1998 à Saint-Gaudens, dans une régionoù, au pied des Pyrénées, l’irrigation du maïsest importante, le plus souvent organisée dansle cadre d’équipements collectifs au service depetites et moyennes exploitations spécialisées,irrigation sans laquelle leur existence même est

menacée. Ces journées aboutissent à une posi-tion plus nuancée sur l’usage de l’eau en agri-culture. Le recours à l’irrigation doit être mesuréet approprié aux différentes cultures et auxcaractéristiques des sols avec l’objectif de sécu-riser la récolte plutôt que de rechercher le ren-dement maximal. L’eau est un bien commun. Lespaysans, qui peuvent très facilement se l’ap-proprier, doivent aussi tenir compte de la dis-ponibilité de la ressource et des autres usagesqui en sont faits (et notamment alimentationhumaine...). Dans d’autres régions, comme en Poitou-Charentes, l’irrigation agricole est beaucoupplus conflictuelle. L’expansion des surfaces irri-guées, encouragée par les surprimes de la réformede 1992, aboutit à des perturbations multiplesdu réseau hydrologique : nécessité de forer deplus en plus profond dans les nappes phréati-ques, quasi-assèchement de certaines rivièresdont l’eau est indispensable à l’approvisionne-ment des populations urbaines et des activitéséconomiques. La Conf’ de cette région s’op-pose à la réalisation et au subventionnementpar les collectivités territoriales de « bassines »,qui consistent pour l’irrigant à créer une réserve,remplie sans contrôle réel et en toute saison, àpartir d’un forage ou d’une rivière à proximité.La Confédération paysanne ne condamne pasl’irrigation par principe. Dans beaucoup dedépartements, dès lors que la ressource est suf-fisamment abondante, elle est favorable auxretenues collinaires qui consistent à capter del’eau en période de pluie. Mais elle est réser-vée sur les forages dès lors qu’ils affectent lesnappes phréatiques et elle dénonce les prati-ques égoïstes et corporatistes d’agriculteurs qui,par une irrigation massive, menacent d’autresbesoins et en tirent profit pour s’agrandir audétriment de leurs voisins. De même, en Midi-Pyrénées, la Confédérationpaysanne s’est opposée au projet d’un énormebarrage à Charlas, près de la Garonne, envisagéen réalité pour augmenter la production demaïs destinée à alimenter une usine d’agrocar-burants prévue sur le site de Lacq. Ces réflexions et ces actions conduisent la Conf’à revendiquer, face au projet de loi sur l’eau

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préparé par Voynet (et qui ne sera pas voté),une gestion de la ressource en eau sous l’arbi-trage de l’autorité publique et le principe d’uneredevance « eau » pour les agriculteurs, plus pro-che du coût réel supporté par les agences del’eau, chargées de la gestion de la ressource.

Les apiculteurs mettent en cause des pesticides Durant la seconde partie des années 1990, unpeu partout en France, des apiculteurs consta-tent des mortalités massives sur leurs rucheslorsque celles-ci sont à proximité de certainesgrandes cultures. Progressivement, ils mettenten cause des insecticides utilisés dans le trai-tement des semences de maïs et de tournesol.Commence alors une longue bagarre du pot deterre contre le pot de fer, celle des apiculteurs,une « minorité qui serait négligeable, dont tousles producteurs ne sont même pas des profes-sionnels » à la fois contre les firmes pharmaceu-tiques, qui fabriquent et mettent en marché cesproduits, et les agriculteurs productivistes quiles utilisent. Manifestations, actions en justice,expertises et contre-expertises scientifiques,retrait expérimental des insecticides sur quel-ques départements, et seulement sur le tour-nesol, communication des firmes qui s’appuientsur l’homologation de leurs produits par l’Etat...Les apiculteurs reçoivent un soutien actif de laConfédération paysanne. De son côté, la FNSEAobserve d’abord un silence embarrassé puis elleréclame le maintien ou le rétablissement desproduits incriminés.Après plusieurs années de lutte, les apiculteurset la Conf’ obtiennent en 2002 la suspension duGaucho, puis, en 2005, celle du Fipronil, pré-senté pour remplacer le Gaucho dans le traite-ment des semences de tournesol. Cette mobilisation ouvre un débat au sein dela Conf’ entre les apiculteurs, les producteursen agrobio et les autres, qui, en grandes cultu-res, arboriculture et viticulture, utilisent peuou prou des pesticides.

OGM et biotechnologiesDepuis 1997, l’action déterminée de laConfédération paysanne a été essentielle pour

endiguer l’introduction massive des OGM dansl’agriculture en France et, à un moindre degré,en Europe.Son action déterminante au sein de laCoordination nationale de défense des semen-ces fermières (CNDSF), dont elle fut à l’originepour la défense du droit des paysans à utiliserlibrement leurs semences (lire en page 28), aconstitué un terreau favorable à la réflexion età la mobilisation contre les OGM et contre lamainmise des firmes phytosemencières sur lepatrimoine génétique agricole. En février 1997, un séminaire de réflexioninterne à la Conf’ permet d’appréhender lesquestions que pose cette nouvelle technologieà l’agriculture, à l’espace rural et à la société :risques sanitaires et environnementaux, pas-sage accéléré à l’agro-industrie, phagocytage dela recherche publique, dépendance des paysansà l’égard des firmes semencières – particulière-ment dramatique pour ceux du tiers monde… Très rapidement, la Confédération paysanne yajoute le refus de la brevetabilité du vivant, per-çue comme le moyen déterminant de soumet-tre les paysans aux firmes semencières. C’est tout cela qui fonde l’opposition détermi-née de la Conf’ à l’introduction des OGM dansl’agriculture française et européenne au méprisdu principe de précaution. La Confédérationpaysanne affirme son refus déterminé d’essaiset de cultures OGM en plein champ.En juin 1997, elle organise une première des-truction d’essai de colza OGM, conduit par

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Monsanto, en Isère. Malgré cette action, le gou-vernement Jospin décide d’autoriser, quatre moisplus tard, la mise en culture d’un maïs OGM...refusé un an auparavant par le gouvernementJuppé. En janvier 1998, des militants de laConfédération paysanne détruisent un lot desemences de ce maïs OGM dans un dépôt deNovartis, à Agen. Le procès qui s’ensuit un moisplus tard contre trois militants (José Bové, RenéRiesel et Francis Roux) se retourne en procèspublic contre les OGM.C’est le début d’une longue série, chaque annéerenouvelée, de destructions d’essais en pleinchamp, essais dont la quasi-totalité est conduitepar des firmes en vue d’obtenir l’autorisation demise en production près de l’UE et de la France.Ces actions visent délibérément à bloquer l’avan-cée des OGM en France. En raison de la loca-lisation géographique des essais OGM dans unpremier temps, surtout dans le Grand Sud dela France, ce sont des militants de ces régionsqui se sont d’abord mobilisés. La destruction d’essais conduits par des firmesétrangères suscite beaucoup moins d’hostilitéou de réserve dans l’opinion publique et parmiles paysans que celle d’essais conduits par desfirmes semencières françaises (Limagrain). En mai 1999, un pas supplémentaire est fran-chi : à l’occasion de la venue en Europe de pay-sans indiens de l’Etat du Karnataka, c’est un

essai de riz OGM qui est détruit dans une serredu Centre de coopération internationale enrecherche agronomique pour le développement(Cirad). En première réaction, au sein de laConf’ comme dans la société civile, l’opinion estpartagée du fait qu’il s’agit d’un essai en milieuconfiné conduit par un organisme public derecherche lié à l’Inra. Mais rapidement, il s’avèreque l’essai devait être poursuivi en plein champen Camargue ; des modalités et un objectif querefusent la Conf’ ainsi que des responsablesrizicoles. A la suite de cette action et des pro-cès en première instance et en appel, le débatsur les OGM entre de plain-pied dans la com-munauté des chercheurs. Mais il y aura quel-ques couacs ou incompréhensions, par exem-ple à propos de la destruction d’essais de colzaOGM conduits en plein air par l’Inra, non paspour obtenir une variété mais pour mesurer ledegré de contamination vers les crucifères com-munes.Une large partie de ces destructions ont lieu àvisage découvert et sont assumées par celles etceux qui sont poursuivis en justice. Cette stra-tégie est délibérée : les procès (en première ins-tance, en appel et même en cassation...) ontpour objet d’imposer un débat public sur lesOGM, c’est-à-dire de sensibiliser l’opinion publi-que et les médias sur l’attitude des semenciers,qui entendent imposer discrètement les OGM

v Premièredestruction d’un champexpérimental de colza OGM,dans l’Isère, en juin 1997.

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au nom du progrès scientifique, et sur celle del’Etat, qui se borne à un débat « confiné » dansles enceintes du Parlement. Cette « stratégie de l’aïkido », qui consiste àamener l’adversaire sur son propre terrain, estrapidement payante : la mobilisation contre lesessais s’élargit à des militants et des associa-tions en dehors du milieu paysan. Les médiass’investissent de plus en plus dans le débat « pourou contre les OGM ». Si bien que, dès la fin desannées 1990, l’opinion publique est de manièrestable et à plus de 75 % hostile à l’introductiondes OGM dans l’agriculture et dans les assiet-tes. Il en est de même pour la grande majoritédes paysans vis-à-vis d’une technologie qu’ilsn’ont pas encore utilisée et dont ils ne perçoi-vent pas l’intérêt pour leur exploitation. Malgré cela, la pression des firmes semencières(Limagrain, Monsanto, Syngenta, etc.) ne fai-blit pas. Les essais continuent ainsi que les des-tructions d’une partie croissante d’entre euxchaque année, et, avec elles, les poursuites péna-les qui continuent de peser, surtout sur les mili-tants de la Conf’. Au sein de la Conf’, la quasi-unanimité consi-dère que les OGM et la dépendance aux firmessemencières qu’ils induisent sont en contradic-tion totale avec l’Agriculture paysanne.Cependant, de nombreux paysans hésitent às’engager et à engager le syndicat dans des actionsqui se traduisent par des peines de prison pourcertains militants, et par de lourdes amendes etdes dommages et intérêts à verser aux semen-ciers. Avec d’autres associations, de nombreuxmilitants s’investissent parallèlement dans lesaspects scientifiques et juridiques qui influen-cent la réglementation française et européennesur les OGM, pour intervenir notamment auprèsdes parlementaires et des élus locaux et régio-naux, qui sont de plus en plus nombreux à refu-ser des OGM sur leur territoire. Au-delà d’un accord de fond sur la contesta-tion du productivisme et l’affirmation del’Agriculture paysanne (voir ci-dessous), desincompréhensions et parfois même des ten-sions existent entre militants, entre ceux quisont ou qui représentent des paysans qui viventdes relations économiques étroites, contractua-

lisées ou non, avec l’agroalimentaire d’amontou d’aval et ceux qui, comme les producteursfermiers en vente directe et les agrobio, peu-vent plus aisément exprimer leur autonomie,la responsabilité individuelle de leurs choix etsurtout la radicalité de leurs positions.

Agriculture paysanne : un débat difficile pour la Confédération paysanneDepuis sa création en 1987 « pour une agricul-ture paysanne et la défense de ses travailleurs »,la Confédération paysanne inscrit son actiondans un double objectif qu’elle considère indis-sociable : la défense syndicale des paysans vic-times d’une politique d’élimination et d’indus-trialisation de l’agriculture et la nécessité deconcevoir et de porter un autre projet globald’agriculture répondant aux attentes des pay-sans, de la société, des territoires. Très majori-tairement dans la Conf’, l’Agriculture paysannese définit comme le refus du productivisme.Mais pour de nombreux militants, cette prisede position est insuffisante : il faut élaborer unedéfinition positive. Depuis 1990, journées d’été,séminaires et colloques ponctuent l’avancée dece travail :• été 1990, journées d’Etcharry (Pays basque).« L’Agriculture paysanne : élément de réponse àla société tout entière » ;• 1993, journées de Saint-Lô (Manche). A par-tir de témoignages individuels, sont abordéesles questions scientifiques et techniques et lesconditions économiques et politiques pour met-tre en œuvre et généraliser l’Agriculture paysanne(AP). A l’issue de ces journées, des groupes APse créent un peu partout en France ;• décembre 1995, journées de Vogüé (Ardèche).Sur le thème « Maîtriser le progrès pour un déve-loppement durable », témoignages de groupesimpliqués dans une démarche AP et confron-tation avec des chercheurs publics et privés surles finalités de la recherche ;• novembre 1996, journées de Bordeaux.Première rencontre des groupes locaux AP,volonté de constituer un groupe national etd’élaborer une charte de l’Agriculture paysanne ; • décembre 1998, colloque de Rambouillet.Présentation publique de la charte élaborée

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durant les deux années précédentes. Avec sesdix principes, la charte fixe la ligne d’horizon,le sens politique du projet. Une grille d’analysepermet à chaque paysan de situer son exploi-tation selon les dimensions sociales (réparti-tion), économiques (transmissibilité, autono-mie...) et environnementales. Elle est conçuecomme un outil au service du projet politiquede la Conf’ : elle interpelle à la fois le cadrepolitique et la responsabilité de tout paysan sursa ferme. Le groupe de travail propose un pland’accompagnement pédagogique et politiquepour inscrire la logique de développement agri-cole portée par la charte en cohérence avec leprojet politique de la Confédération paysannepour une autre agriculture.De nombreux groupes départementaux conti-nuent de se créer et utilisent la charte commeoutil de vulgarisation de l’Agriculture paysanne.Les partisans du travail sur l’Agriculture pay-sanne insistent sur la contribution qu’elle repré-sente pour le projet syndical de la Conf’, sur lanécessaire relation qu’elle fait entre systèmes deproduction et finalité politique de l’agriculture,sur les possibilités qu’elle offre en matière desensibilisation, de formation, de propositionsou de revendications face à la PAC, les Contratsterritoriaux d’exploitation (CTE), l’écocondi-tionnalité des aides publiques, l’orientation dela formation agricole et de la recherche...Mais dès avant le colloque de Rambouillet endécembre 1998, de nombreux militants s’inter-rogent sur l’implication du syndicat dans cequ’ils appellent « faire du développement » auprèsdes paysans, des organismes de formation etde vulgarisation agricoles. Il s’agit, à leurs yeux, d’une dispersion par rap-port aux missions essentielles du syndicat quisont de défendre tous les petits et moyens pay-sans, qu’ils soient ou non engagés dansl’Agriculture paysanne, et de revendiquer unepolitique agricole et des mesures, même par-tielles, de répartition des moyens de produc-tion et de garantie de revenus. Pour ces militants, la déclinaison de l’Agriculturepaysanne peut être très diverse (agrobio, pro-duction fermière, systèmes à base d’herbe, limi-tation des intrants...). Sans ignorer la respon-

sabilité individuelle et collective des paysansà évoluer vers l’Agriculture paysanne, ils met-tent l’accent sur la priorité du combat syndicalpour obtenir un changement radical de l’éco-nomie et de la politique agricole afinn que l’en-semble des paysans évolue vers l’AP. A leurs yeux, le projet et la démarche syndi-cale de la Confédération paysanne, en clair sonexpression politique et ses actions, doiventconstituer un repère ou une référence pour lespaysans et les réseaux, dont l’objet est de fairedu développement. Ces militants soulignentque la démarche AP, et surtout la codificationdes exploitations qu’elle implique, ne tient pascompte des relations contractuelles que subittoujours la majorité des paysans avec leurs fir-mes et coopératives. Pour les partisans de l’Agriculture paysanne, laquestion centrale n’est pas de savoir si la prio-rité doit être donnée à l’action concrète par laréflexion et l’expérience collective sur les sys-tèmes de production ou, au contraire, à la luttesyndicale pour changer de politique agricole etarracher rapidement des acquis. La seule ques-tion, le seul défi qui vaille, est dans le « com-ment faire les deux ». Comment faire pour quele combat mené sur un terrain serve le combatsyndical face aux institutions. En effet, la restructuration de l’agriculture etl’élimination constante des paysans sont la résul-tante de deux forces dont il est difficile de dési-gner la plus déterminante : il y a le cadre poli-tique, avec tout son arsenal et ses déclinaisons,et il y a l’appareil de développement, des fir-mes privées ou coopératives jusqu’aux cham-bres d’agriculture en passant par de multiplesautres acteurs comme des coopératives d’uti-lisation de matériel agricole (Cuma), des cen-tres de gestion, etc. Sans parler de l’évolutiontechnique non contrôlée qui est en soi un moteurde l’industrialisation de l’agriculture.Notre projet agricole n’a de chances de voir lejour que si nous agissons sur les deux forces :politique et développement.A de nombreuses reprises des débats ont lieu,en particulier de 1998 à 2003, au sein des dif-férentes instances nationales et régionales du syn-dicat (secrétariat national, comité national,

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assemblées générales...). Ils débouchent tou-jours sur des votes largement majoritaires enfaveur de la poursuite du travail sur l’Agriculturepaysanne, confiée à la Fédération associativepour le développement de l’emploi agricole etrural (Fadear). Mais ces débats et leurs votes ne lèvent pas lesincompréhensions et les réticences de certainsmilitants parmi les plus directement impliquésdans l’animation et l’expression du syndicat,du niveau départemental jusqu’au niveau natio-nal. Ceux-ci relèvent que, dans certains dépar-tements, le syndicat subit une dispersion de sesmilitants entre les diverses structures qu’il a pususciter (Adear13 et groupes AP, Solidarité-Paysans...) au point qu’il risque de disparaître ;dans d’autres départements, ils observent undoublon avec des groupes « agriculture dura-ble » (Cedapa14, RAD15, FDCIVAM16, etc.).

En 2002, la création d’Inpact17 – tête de réseaud’associations et organismes de développementportant des démarches alternatives au produc-

tivisme (Fnab, FNCIVAM18, Inter-Afoc19, etc.)– est vécue par les promoteurs de la démarcheAP comme une solution de pis-aller où la Fadear,représentant la Confédération paysanne, seretrouve affaiblie en raison des dissensions inter-nes au syndicat... Cette création traduit l’échecde la Conf’ à promouvoir l’Agriculture pay-sanne, malgré un contexte politique et sociétalfavorable durant la décennie 1990. Pour les partisans de la démarche syndicaleclassique, la création d’Inpact est plutôt ressen-tie comme une clarification des missions entresyndicat et organismes de développement, dansun contexte politique et social où le gouverne-ment, fut-il socialiste, n’a pas réellement cher-ché à réorienter en profondeur la politique agri-cole, ni même à tempérer la dérive « producti-viste » de très nombreux CTE. La contestation de la mondialisation libérale, por-teuse d’espoir et de solidarités nouvelles, prendégalement durant cette période un essor impor-tant, contestation au sein de laquelle la Conf’,bien que syndicat minoritaire d’un groupe socialtrès minoritaire et en régression, occupe uneplace à la fois originale et très importante.C’est aussi au cours de cette période que lesfirmes de l’agrobusiness tentent de propulser,à travers le réseau Farre20, le concept fumeuxde l’« agriculture raisonnée », ravalement defaçade de l’agriculture productiviste qui en avaitbien besoin, tant son image s’est fortement dété-riorée à la fin des années 1990. Le cahier descharges de l’agriculture raisonnée consiste prin-cipalement à respecter la réglementation envigueur et, accessoirement, à suivre les conseilsd’utilisation des pesticides prescrits par les fir-mes phytopharmaceutiques ! Le ministère del’Agriculture reconnaît officiellement cettedémarche, dénoncée par la Confédération pay-sanne, au début de l’année 2002... Le réseauFarre aura bien du mal à trouver sa place, boudépar les paysans en dépit des efforts de commu-nication de l’industrie agroalimentaire et de la

r Le colloque sur l’Agriculture paysanne, à Rambouillet,en décembre 1998.

13 Adear : Association pour le développement de l’emploi agricole et rural.14 Cedapa : Centre d’études pour le développement d’une agriculture plus autonome.15 RAD : Réseau agriculture durable.16 FDCIVAM : Fédération départementale des Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural(Civam). 17 Inpact : Initiatives pour une agriculture citoyenne et territoriale.

18 FNCIVAM : Fédération nationale des Civam.19 Inter-Afoc : fédération des associations de formation col-lective à la gestion créées dans les années 1980 par la CDST.20 Farre : Forum de l’agriculture raisonnée respectueuse de l’environnement.

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FNSEA, et ce malgré la subvention annuelle de1 000 euros accordée par le gouvernementRaffarin en 2005 à tout agriculteur adhérant àla démarche.Un partenariat riche et intense avec l’Inra Les actions tout autant que le travail collectifmenés par la Confédération paysanne contri-buent à alimenter la réflexion sur les finalitésde la production agricole. Une réflexion menéeégalement dans les milieux de la recherche, eten particulier à l’Inra (mais pour d’autres motifs).Au sein de la Conf’, l’ambivalence de nombreuxscientifiques à propos des multiples crises duproductivisme, mais aussi et surtout la ques-tion des OGM a plutôt renforcé une certaineméfiance à l’égard de la science et en particu-lier de l’Inra – en dépit de liens personnelsnoués depuis longtemps entre quelques cher-cheurs et quelques militants du syndicat. C’est ainsi qu’en 2001 la Confédération pay-sanne répond favorablement à la propositionde la direction de l’Inra de signer une conven-tion pour organiser des confrontations sur uncertain nombre de thèmes majeurs : désinten-sification, semences fermières, politiques agri-coles... La collaboration est officielle et insti-tutionnalisée. Pluralisme oblige, l’Inra signedes conventions similaires avec d’autres orga-nisations agricoles, mais reconnaîtra rapide-ment que c’est avec la Conf’ que le travail a étéle plus important et le plus riche.

Dans le mouvement social contre lespolitiques libérales, du local au global La Confédération paysanne et les organisationsqui l’ont précédée ont toujours affirmé leurrefus du corporatisme et agi pour une intégra-tion des paysans aux luttes sociales pour amé-liorer le sort du plus grand nombre ou pour « décorporatiser » les questions agricoles etrurales. A partir du milieu des années 1990,cette démarche va progressivement prendre unedynamique particulière.

De l’AMI à Attac• En 1998, la Confédération paysanne est parmiles organisations syndicales la plus prompte àse mobiliser contre l’AMI (Accord multilatéral

sur les investissements) que la France s’apprêteà signer en toute discrétion. L’accord supposaitune libéralisation accrue des échanges en inter-disant toute discrimination par la nationalitéentre investisseurs. En clair, il empêchait toutcontrôle politique des firmes et organismesfinanciers qui obtenaient ainsi la possibilitéd’investir (ou désinvestir) dans quelque paysdu monde. Le gouvernement Jospin ne signe pascet accord, qui sera abandonné sous cette forme. • En décembre de cette même année, laConfédération paysanne, au niveau national etsurtout dans la plupart des départements, sou-tient le mouvement de grève des salariés et par-ticipe aux mobilisations. Au-delà du motif ini-tial de la grève (maintien des retraites et de laprotection sociale), le mouvement catalyse uneopposition aux orientations libérales du gou-vernement Juppé. Cette période rétablit desliens forts « salariés-paysans », qui s’étaientplutôt distendus depuis les années 1970.• En 1998, un groupe d’intellectuels et des jour-nalistes du Monde diplomatique lancent Attac 21

pour fédérer l’expression des critiques face à lamondialisation libérale. Revendication : unetaxation des flux financiers (taxe Tobin). Mêmesi, dans la Conf’, des militants trouvent que cetteinitiative est éloignée des préoccupations despaysans, le secrétariat national donne son accordà la participation de François Dufour à cette ini-tiative. Ainsi, la Conf’ est membre fondateurd’Attac, au côté de syndicats de salariés (CGT,FSU, Union-Solidaires, quelques fédérations dela CFDT...), d’associations et d’intellectuels oud’économistes. Très vite, Attac assure un rôled’éducation populaire en expliquant, grâce auxapports de son conseil scientifique, les rouageset les menaces d’une mondialisation néolibé-rale. L’insistance des initiateurs d’Attac à ce quela Conf’ soit un membre fondateur de ce mou-vement trouve sa totale légitimité l’année suivanteavec l’affaire du McDo de Millau, et la place pré-pondérante que prendront les produits agrico-les dans les négociations de l’OMC.

21 Attac : Association pour la taxation des transactions finan-cières pour l’aide aux citoyens.

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Le démontage du McDo de Millau, ou le retour du bœuf aux hormonesAu mois d’août 1999, les militants de laConfédération paysanne de l’Aveyron et duSPLB (Syndicat des producteurs de lait de bre-bis) démontent symboliquement un restaurantMc Donald en construction et déposent lesquelques matériaux prélevés devant la sous-préfecture. Ils entendent ainsi protester contrel’incapacité de l’UE et de la France à riposter auxmesures de rétorsion (en l’occurrence contreles exportations de roquefort) que les USA pren-nent contre l’UE, avec la bénédiction de l’OMC.Ces mesures de rétorsion ont été prises pour« punir » la France qui refuse depuis plus dequinze ans la production et surtout l’importa-tion de viande « hormonée » (l’interdiction desanabolisants a été décidée à la suite de l’affairedu veau aux hormones en 1980). L’opinion fran-çaise, plutôt attentive à la qualité de son ali-mentation, entend le message. Il s’agit autantde combattre la mondialisation libérale qui pré-tend imposer ses pratiques de production et deconsommation contre la volonté démocratiqueque la malbouffe (la viande aux hormones et lefast-food de McDo). La médiatisation de cette action est largementfavorisée par la répression immédiate contreles responsables de l’action, dont José Bové, quia été emprisonné pendant deux semaines, letemps d’appeler à la solidarité jusqu’au niveauinternational pour payer la caution nécessaire

à sa libération. Un comité de soutien est rapi-dement constitué avec deux objectifs : luttercontre la répression syndicale et contre la mon-dialisation libérale. Il réunit au niveau nationalla majorité des centrales syndicales de salariés(sauf FO, la CFTC, la FEN et la CFDT, à l’ex-ception de deux de ses fédérations), de nom-breuses associations de défense des droits (dontla Ligue des droits de l’Homme), des associa-tions tiers-mondistes, de défense des consom-mateurs, et même de défense de l’environne-ment.La médiatisation de la Confédération paysanneet de José Bové est énorme et internationale.Tous les grands médias affluent vers la Conf’.Cela permet de populariser les idées du syndi-cat, sa contestation des OGM et son projetd’Agriculture paysanne. Le livre Le monde n’estpas une marchandise, cosigné par José Bové etFrançois Dufour (février 2000), se vend à plusde 80 000 exemplaires avant d’être traduit enplusieurs langues et diffusé en édition de poche.Il créé l’occasion d’un véritable tour de Francedes deux auteurs, de réunions en meetings réu-nissant souvent plusieurs milliers de person-nes dans une ambiance à la fois contestataire etfestive à quelques mois des élections aux cham-bres d’agriculture (janvier 2001).

José Bové devient rapidement un porte-parolede fait. Le congrès d’Argentan, en avril 2000,entérine cet état de fait en l’élisant porte-parole

r Démontage symbolique du McDo de Millau, par les militants de la Conf’ de l’Aveyron.

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de la Confédération paysanne. Mais en parta-geant cette responsabilité entre trois person-nes, le congrès tient à affirmer que la médiati-sation de José Bové ne suffit pas pour assumertoutes les misisons conférées à cette fonction,et notamment l’expression sur l’ensemble desquestions agricoles et l’animation du syndicatet de ses débats internes).

La Confédération paysanne partie prenantedu mouvement altermondialisteEn synergie étroite avec Attac, la Confédérationpaysanne se retrouve pour ainsi dire au centrede la contestation sociale de la mondialisationlibérale. Ses militants participent activementaux comités locaux altermondialistes qui secréent dans la plupart des départements, tis-sant ou renforçant un réseau de large mobili-sation contre l’OMC à l’occasion de ses som-mets (Seattle) et aussi des contre-sommets ini-tiés par Attac et des associations brésiliennes àPorto Alegre, puis dans différentes régions dumonde. En juin 2000, à Millau, le procès des dix incul-pés de l’affaire McDo se transforme dans le pré-toire et surtout dans les forums organisés dansla ville en procès international contre la mon-dialisation néolibérale. Cette manifestation ras-semble plus de 80 000 personnes et des alter-mondialistes de plusieurs continents (Inde,Afrique, Amérique du Nord et du Sud, etd’Europe, bien sûr).Cette forme nouvelle d’alliance avec d’autresforces sociales portant sur des contestationsd’ordre politique et sur la défense de droitssociaux, culturels et politiques tend à supplan-ter l’alliance plus « corporative » que la Conf’anime depuis 1992 avec des organisations deconsommateurs, des écologistes et des organi-sations tiers-mondistes, finalisée sur la reven-dication d’une autre politique agricole et l’affir-mation du projet d’Agriculture paysanne.Avec le démontage du McDo et sa significationsociale et politique (du local au global, du par-ticulier de l’agriculture au général de la contes-tation du capitalisme néolibéral), de nombreuxpaysans, jeunes et moins jeunes, et aussi biend’autres militants jusqu’alors restés en retrait

de l’action syndicale ou associative vont semobiliser et (re)prendre goût à l’action collec-tive parce qu’ils y trouvent étroitement imbri-quées à leurs yeux des dimensions sociales etpolitiques qu’ils ne retrouvent pas dans l’actionsyndicale ou associative au quotidien.

Les élections aux chambres d’agriculture de 2001Les élections professionnelles de 2001 se pré-sentent dans un contexte particulier. Depuisquelques années, notamment avec la crise de lavache folle et la contestation du productivisme,la FNSEA est déstabilisée. Son corporatismeétroit est relativement déconsidéré par les médiaset l’opinion publique. Mais elle n’a perdu nison poids institutionnel ni sa force politique(que Jean Glavany reconnaît explicitement àpropos de la réforme PAC de 1999), ni non plussa puissance d’encadrement des paysans.De son côté, la Confédération paysanne capita-lise d’une part le travail en profondeur dans denombreux domaines de politique agricole et desacquis syndicaux en faveur des petits et moyenspaysans (facilités par la représentativité recon-nue et organisée par le gouvernement socialiste),ainsi qu’un important travail de formation desmilitants et de soutien aux équipes départemen-tales, et d’autre part une audience « sociétale »très forte, en raison de son implication dans lacontestation du productivisme, de la mondiali-sation libérale et du refus des OGM. Elle présente des listes dans 91 départements(13 de plus qu’en 1995) et enregistre une forteprogression (environ 33 %) par rapport à 1995,

r Manifestation à Seattle, pendant le sommet de l’OMC,en décembre 1999.

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passant de 20,5 % à 27,8 %. La Coordinationrurale pâtit de la popularité de la Confédérationpaysanne : elle stagne à 12 %, en ne présentantdes listes que dans 55 départements. Ces élec-tions sont un échec pour la FNSEA qui régressede 59,75 % (en 1995), à 54 %, et, surtout, perdla majorité absolue dans 34 départements.La Confédération paysanne progresse dans laplupart des départements (71) mais stagne ourégresse dans 16. Sa progression est en généralla plus importante dans le Grand Sud de laFrance, où les paysans ne sont pas aussi majo-ritairement « productivistes » et liés à l’agroa-limentaire que dans le nord. Elle est faible àl’ouest, où en dépit d’une présence syndicaleforte sur de nombreux problèmes agricoles(quotas laitiers, PMPOA, droits sociaux, ESB…) ;la Confédération paysanne stagne ou mêmerégresse dans 11 départements (et perd la cham-bre dans le Finistère).Le syndicat est désormais représentatif (il passela barre des 15 %) dans 85 départements ; ildépasse 20 % dans 67 départements et 30 %dans 29. Mais compte tenu des critères de com-position des CDOA, les militants de la Conf’s’y retrouvent toujours très minoritaires.Et en dehors de la Loire-Atlantique, où ellereste majoritaire tout en enregistrant une légèreérosion, elle ne gagne aucune autre chambred’agriculture métropolitaine. Il est à noter quece n’était d’ailleurs pas un objectif clairementvisé par la campagne nationale conduite par lesecrétariat et le Comité national, laissant à quel-ques départements la volonté de mener campa-gne dans cette perspective. Selon le national,l’objectif prioritaire des élections était d’abordde mesurer l’impact du projet syndical de laConf’ auprès des paysans. Ni le gouvernement Jospin ni son ministre del’Agriculture ne veulent vraiment reconnaîtreles handicaps électoraux des syndicats minori-taires pour mesurer la véritable portée du reculde la FNSEA-JA. Ils n’ont pas l’intention, endépit d’un discours sur la multifonctionnalitéde l’agriculture, de modifier les fondamentauxde la politique agricole pour qu’elle soit réel-lement en faveur d’une Agriculture paysannedurable et ancrée dans les territoires. La PAC

de 1999, placée sous l’objectif de la stabilité dubudget du 1er pilier, ne laisse qu’une portioncongrue au second pilier, qui est l’objet, vial’adoption du PDRN22, d’orientations trop sou-vent contradictoires du développement rural.Trois préoccupations ont dominé l’action duministre de l’Agriculture :• la gestion de plusieurs crises sanitaires et leursconséquences économiques et commerciales(la deuxième crise de l’ESB en novembre 2000,les fièvres aphteuse et catarrhale, l’éradicationdu varron, etc.) ;• sa volonté de montée en puissance rapide desCTE. Dans cette optique, le ministre laisse lesdépartements (où la FNSEA conserve son hégé-monie) adopter beaucoup de contrats typessans véritable objectif multifonctionnel. Ce quifait dire à la Conf’ que les CTE deviennent une« auberge espagnole » au profit d’exploitationsparmi les plus grandes qui y recherchent lacompensation de l’impact du plafonnementmodulé des aides ;• l’amplification de l’opposition aux essais OGMen plein champ, alors que le gouvernement etle PS s’y déclarent plutôt favorables.Au congrès de Castres, en juin 2001, Jean Glavanyannonce qu’il sera vigilant dans l’applicationdes règles de représentativité et de parité pourle financement des syndicats. Il reste évasif surl’adoption d’un plan protéines que la Conf’ jugeindispensable à la suite de la réforme de la PAC1999, et de l’interdiction généralisée des fari-nes animales dans l’alimentation animale. Ilmarque son désaccord avec la Conf’ à proposdes négociations de l’OMC. Et, à la demanded’une aide forfaitaire pour les petites fermes,exprimée au congrès d’Argentan, l’année pré-cédente, Jean Glavany répond par l’ouvertured’un groupe de travail pour un « CTE-petitesfermes ». Les conclusions de ce groupe de tra-vail ne seront reprises que tardivement, et encoreplus tardivement présentées par le ministre à laCommission européenne qui devait les valider.Le « CTE-petites fermes » ne verra pas le jour,balayé par la suppression générale des CTE dèsle retour de la droite en mai 2002. l

22 PDRN : Plan de développement rural national.

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Les acquis de la Conf’ sur l’améliorationdes retraites agricoles (1995-2002)

Par Jo Bourgeais (49) retraité, responsable de la commission retraite,

membre de la commission droits sociaux

La Commission nationale des retraités dela Confédération paysanne est née en

1996 sous l’impulsion des retraités(es) duGrand Ouest (Normandie, Bretagne, Pays-de-Loire) déjà organisée à l’initiative d’YvesAbgrall (29), de Michel et GenevièveLebourgeois (50) et d’Henri Baron (44),notamment. Se posait alors la question del’adhésion à l’Anraf (Association nationaledes retraités agricoles français), qui regrou-pait des retraités de toutes provenances syn-dicales, essentiellement dans le Sud-Ouest.L’Anraf bénéficiait d’une forte capacité demobilisation autour d’un leader, MauriceBougnoux, et sur le plus petit dénomina-teur commun : que l’Etat relève significati-vement les retraites de tous les paysans. Les représentants départementaux retraitésConfédération paysanne sollicités par l’Anrafdécident alors de ne pas donner suite etcréent une commission interne à la Conf’dont Yves Abgrall est responsable. Ils éta-blissent un cahier de revendications plusstructurées et conforme à la philosophie dela Conf’. La priorité des priorités revendi-quée est celle d’une forte amélioration des pluspetites retraites, notamment des conjoints,qui touchaient alors (en 1996) 1 445 francs(220 euros) par mois pour une carrière com-plète, mais aussi l’objectif de 75 % du Smicpour tous (carrière complète), la forfaitisa-tion du supplément de 10 % pour trois enfantset plus à budget constant. Par ailleurs, lacommission énonçait des propositions surle financement professionnel des retraites etde la protection sociale, de même que sur latransmission/installation.En 1997, Louis Le Pensec est nommé minis-tre de l’Agriculture. Sa proximité géographi-

que et amicale avec Yves Abgrall facilite lesnégociations. C’est ainsi qu’est élaboré le plande revalorisation des petites retraites qui por-tait, de 1998 à 2002, la retraite minimale pourune carrière complète (toutefois avec uneforte pénalisation pour les années manquan-tes) au niveau du minimum vieillesse socialsoit 633 euros pour le chef d’exploitation et503 euros pour le conjoint1. Cela représentait une augmentation de 84 % pour les conjointes et aides familiauxet de 29 % pour les chefs d’exploitation. Afind’atteindre les 75 % du Smic, le principed’une retraite complémentaire obligatoire(RCO) est négocié avec Jean Glavany (quiremplace Le Pensec), malgré l’hostilité audépart de tous les autres syndicats2. La loiRCO est votée début 2002 et mise en œuvreen 2003. Hélas, elle ne concerne que les chefsd’exploitation (et anciens chefs d’exploitation),et une cotisation minimale sur la base duSmic est imposée. En revanche, la RCObénéficie aux chefs d’exploitation partis à laretraite avant 2003 et justifiant de plus de17,5 années de carrière – leur conjointe auradroit à la réversion à partir de 2010.Depuis, hormis quelques améliorations à lamarge, l’évolution des plus petites retraitesest plutôt sur la courbe descendante, notam-ment à cause de la loi de finances de 2009.Les futurs retraités ne bénéficieront plus desacquis antérieurs. l

1 Chiffres réactualisés en valeur au 1er janvier 20092 Hostilité de la FNSEA parce qu’elle ne voulait pas entendre parler de cotisation obligatoire supplémentaire, hostilité de l’Anraf parce qu’elle considérait que la retraiteMSA et son système de points acquis en fonction des cotisations constituait déjà une complémentaire. L’un etl’autre s’accommandant de la retraite complémentaire facultative personnalisée et défiscalisée…

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Les petites fermes ou le poil à gratter de la Conf’

Par Gaby Dewalle producteur de légumes dans le Nord, secrétaire national de 1990 à 1992,

porte-parole de 1992 à 1995

L’un des socles du projet de la Confédé-ration paysanne est la répartition : répar-

tition des moyens de production, répartitionde la production et répartition de l’argentpublic. Dans la lutte pour des paysans nombreux,il y avait l’affirmation de faire de l’installa-tion en agriculture une revendication pre-mière.En 1994, la Conf ’ rédige un rapportd’orientation : « Pour 2 millions de paysansen France ». Lors d’un déménagement duCentre national pour l’aménagement desstructures des exploitations agricoles (CNA-SEA) à Limoges, elle y organise une mani-festation pour des paysans nombreux.Symboliquement, une petite ferme estconstruite face au CNASEA. Il va sans direque l’affirmation « 2 millions de paysans »,était plutôt provocatrice à cette époque degrands projets (Polhman) et de question-nements (faut-il casser les robots de traite ?).Notre certitude était que nous n’installe-rions des paysans nombreux que sur desfermes aux dimensions inférieures au modèledominant. Déjà les nombreuses expérimen-tations des « hors normes » (très petites fer-mes) nous interpellaient.A Argentan, lors du Congrès de 2000, uneaide directe de 30 000 francs par travailleurfut réclamée à l’unanimité pour les paysansfragiles ou en difficulté, mais cette revendi-cation fut peu portée par la suite.En 2001, au Congrès de Castres, cette aidefut à nouveau demandée au ministre JeanGlavany en brandissant un chèque lors desa venue. Sans attendre une réponse favo-rable à cette revendication, des petits pay-sans faisaient une demande de RMI et l’ob-

tenaient. D’autres encore signaient un Contratterritorial d’exploitation (CTE), l’assuranced’avoir un minimum d’aide immédiate plu-tôt que d’attendre un hypothétique chèque...Pour nombre d’entre nous ce n’était pas lasolution, car passer de notre demande d’uneaide généralisée et sans conditions autre quela surface ou le chiffre d’affaires à une aidecontractualisée et conditionnée (qu’était leCTE), cela faisait beaucoup d’exclus et d’ou-bliés. L’affirmation politique d’aider les petitesfermes perdait de son poids.A ce moment, devant les obstacles politi-ques tant français qu’européens et faute demobilisation importante, la Confédérationpaysanne acceptait la proposition du minis-tère de travailler au contenu d’un CTE «petitesfermes ».Ce CTE ne vit jamais le jour, enterré commeles autres CTE par un changement de gou-vernement. l

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La défense des producteurs fermiers (1995-2002)

Par Francis Poineau producteur fermier au Pays basque, responsable de la commission

produits fermiers, secrétaire national de 1997 à 2001

Les crises sanitaires à répétition au niveaueuropéen (vache folle, poulet à la dioxine)

obligent l’Union européenne à revoir sesdirectives concernant l’hygiène des produitsalimentaires. Pour leur traduction dans lestextes réglementaires français, l’alternancepolitique de 1997 offre la possibilité à laConfédération paysanne de faire des propo-sitions constructives pour l’élaboration dela loi d’orientation agricole de 1999 présen-tée par le ministre Louis Le Pensec.

Pour la Confédération paysanne, la produc-tion fermière peut être une solution pour lemaintien, voire le développement des peti-tes exploitations, avec des paysans nom-breux répartis sur tout le territoire. C’est leconcept de l’Agriculture paysanne. Ce typede production plus autonome, plus éco-nome, répondant aux attentes des consom-mateurs et respectant l’environnement repré-sente un véritable socle alternatif aux pro-ductions industrielles. Il est aussi davantageaccessible aux hors-cadres familiaux nonissus du milieu paysan pour permettre leurinstallation.

Au sein d’une commission « produits fer-miers » s’organise une réflexion autour dela production fermière en tant que réellealternative à la production industrielle avecdeux principaux objectifs :• la défense des paysans concernés, aux pri-ses avec une réglementation sanitaire com-plexe et son évolution ;• une clarification quant à l’utilisation destermes fermiers, issus de la ferme, etc., néces-

saire du point de vue des consommateurs.C’est aussi une reconnaissance pleine etentière de la Conf’ quant aux producteursfermiers relégués par nos adversaires syndi-caux dans le domaine annexe de la « diver-sification ».Les débats portent sur la négociation destextes réglementaires pour assouplir les exi-gences sanitaires applicables aux produc-tions fermières et sur la rédaction d’une noted’explication sur la réglementation sanitairequi servira de référence pour nombre d’as-sociations de producteurs fermiers.

Dans le cadre de la LOA, ils portent sur larevendication d’un statut de producteur fer-mier et l’obtention d’un décret qui encadrel’utilisation du terme « fermier ».A cette occasion, la Confédération paysanneprivilégie une stratégie d’alliance. Avec laFNCIVAM1, elle organise les troisièmes ren-contres nationales des producteurs fermiersà Dijon, où une Charte nationale d’engage-ment du producteur fermier est adoptée. Lastratégie s’appuie sur la création d’uneFédération nationale d’associations de pro-ducteurs fermiers afin d’être au plus près dela réalité et de répondre aux besoins desproducteurs sur le terrain, et de défendredes projets de développement auprès del’Association nationale pour le développe-ment agricole (Anda) pour lui donner lesmoyens de son existence.

1 FNCIVAM : Fédération nationale des centres d’initia-tives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural

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Pour l’obtention du décret fermier, dont leprincipe est acquis dans la LOA, il y a unealliance objective avec des associations deconsommateurs. Mais le blocage réalisé par l’Association permanente des chambresd’agriculture (Apca), notamment sur les pro-positions de limitation des tailles d’ateliers,ainsi que la montée au créneau des labels(porcs et volailles), dont les promoteurs sou-haitent réserver l’utilisation exclusive dumot fermier au club fermé de leurs adhé-rents, empêcheront la parution du décret.La Confédération paysanne envisage de venir

à la rescousse du décret fermier – dénon-ciation publique de l’utilisation abusive duterme fermier sur le marché par des reven-deurs ou sur des exploitations de très grossetaille avec un nombre très important d’ani-maux, conduite hors sol de l’élevage, divi-sion du travail et des responsabilités dans lesdifférentes étapes de l’élaboration du pro-duit final... – mais les actions ne sont fina-lement pas menées. Cela reste le regret demon passage au secrétariat lors de cettepériode de l’histoire de la Confédérationpaysanne. l

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La Conf’ refuse l’abattage total des troupeaux ovins et caprins

contaminés par l’ESB

n Ovins

par Miguel Hirribarren paysan basque, membre de la Commission sanitaire

de la Confédération paysanne

Ala fin du printemps 1999 de nouveauxtextes réglementaires allaient imposer

l’abattage intégral des troupeaux fortementatteints de tremblante ovine. Au Pays bas-que français, le rameau tête rousse de la racede brebis laitière locale manex allait doncvoir éliminer plusieurs dizaines de trou-peaux parce qu’ils continuaient à vivre aveccette maladie sans qu’il y ait jamais la moin-dre piste sérieuse de solution préventive oucurative. En juin 1999, une trentaine d’éleveurs concer-nés par la menace d’abattage de leurs trou-peaux investissent la réunion de la celluledépartementale « tremblante » à Pau, annon-çent au directeur des services vétérinairesl’impossibilité et le refus d’appliquer ces mesu-res d’abattage : les élevages ne peuvent abso-lument pas être remplacés par des brebis dela même race locale, sinon par l’introduc-tion de brebis lacaunes laitières. Or, la raceétait à l’époque l’un des seuls points ducahier des charges de l’AOC Ossau Iraty.Lors de cette réunion, les militants d’ELB1

et les éleveurs présents dans l’action décou-vrent, de la bouche même des responsablesdu centre départemental ovin, qu’une solu-tion existait peut-être... mais qu’elle n’avaitpas été officiellement expérimentée. Avantmême la fin de la réunion un rendez-vous

est pris avec les chercheurs de l’école vété-rinaire de Toulouse pour explorer cette piste.Les scientifiques toulousains proposent demonter un vaste protocole d’expérimenta-tion scientifique pour démontrer qu’on peutrapidement résoudre la tremblante ovinepar la sélection des animaux résistants. Surles élevages fortement atteints par la mala-die, tous les animaux seraient génotypés ; lemaigre potentiel de bêliers résistantsARR/ARR servirait tout de suite à créer durenouvellement « résistant » aussi consé-quent que possible sur ces élevages, et unedérogation serait demandée pour garder enproduction pendant au moins deux campa-gnes les femelles productrices « sensibles »à la tremblante. Ce protocole permettrait devenir à bout d’une maladie qui mine depuislongtemps les élevages de manex tête rousse,tout en permettant aux élevages concernés,non sans quelques sacrifices, de continuerà produire sans abattage immédiat et sansavoir à introduire d’animaux de race exo-gène, puisqu’ils conservaient leurs propressouches d’animaux...L’expérimentation, nommée Sheeprion estlancée dans le cadre d’un programme euro-péen dans lequel était également introduitun certain nombre de recherches sur les fac-teurs de transmission de cette maladie. Ellea permis de démontrer que la sélection dela résistance génétique pouvait trouver unesolution à la tremblante.

1 ELB : Euskal herriko Laborarien Batasuna, syndicatagricole basque affilié à la Confédération paysanne.

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n Caprins

Par Jacques Chèvre paysan en Dordogne, responsable à l’époque de la Commission nationale

caprine de la Confédération paysanne

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L’abattage sélectif des troupeaux bovins oùdes cas d’ESB avait été détectés est acceptéen décembre 2002. La lutte génétique offrantune issue à l’abattage en ovins, seuls lescaprins étaient encore concernés par l’abat-tage total, obligatoire si un seul animal réa-gissait positivement au test tremblante enabattoir ou à l’équarrissage.

Cette politique d’abattage s’inscrivait dansle cadre de la lutte contre la « maladie de lavache folle » et était justifiée par le fait que,selon certains résultats scientifiques, le prionresponsable de l’ESB était présent dans lesang de petits ruminants... le danger étantque la barrière des muscles (viande) et dulait soit franchie. La Grande Peur ! Plusieursabattages spectaculaires et largement média-tisés provoquent la colère des éleveurs.En Poitou-Charentes, à l’initiative de laConfédération paysanne, se crée le « collectiftremblante » dont le mot d’ordre simplifiéest « Arrêtons le massacre, on a plus de besoinde fonds pour la recherche que pour l’abattage ».Pratiquement toutes les régions caprinesrejoignent le collectif. La Fnec (Fédérationnationale des éleveurs de chèvres, FNSEA),qui s’était empêtrée dans la cogestion desmesures nationales et la négociation desindemnités d’abattage, voit son présidentdémissionner, menace d’éclater et, finale-ment, soutient du bout des lèvres la positionde la Conf’.

Finalement, c’est à partir d’un cas précis,chez un éleveur de la Confédération pay-sanne, responsable professionnel très connuen Poitou-Charentes, que le ministère areculé. Avec le soutien de la Conf’ et de l’im-mense majorité des éleveurs, Michel a décidéde résister, de refuser l’abattage. Après confir-mation qu’il n’y avait qu’un animal positifgrâce au test sur amygdales, mis au pointsur les ovins et enfin agréé pour les caprins,nous obtenons gain de cause : le troupeaune sera pas abattu ! Un nouveau protocolede mise sous surveillance des troupeaux,ou animal détecté positif, a été mis en place,il existe toujours. l

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Destruction de riz OGM au Cirad Par Michel David éleveur (viande bovine) dans l’Aude, membre du secrétariat national

depuis 2009

En mai 1999 (un an et demi après l’actionsur les semences OGM Novartis à Nérac),

lors du passage de la Caravane interconti-nentale des peuples, des militants de laConfédération paysanne participent àMontpellier, avec 300 paysans indiens, à ladestruction de plants de riz transgéniques. Les plants étaient cultivés dans les serres duCirad (organisme public de recherche appli-quée pour le développement de l’agricul-ture dans les pays du Sud), conférant à cetessai l’apparence d’un essai en milieu confiné.Or, on l’apprendra quelques jours plus tard,ces plants étaient destinés à être repiquésdans le Parc naturel de Camargue. Mais leCentre français du riz s’y opposait.

Le Cirad, centre de recherche publique avaitobtenu d’Agrevo, une firme multinationaleagrochimique, un contrat par lequel celle-ci finançait des travaux pour multiplier unevariété de riz détenue par cette firme, résis-tante à un herbicide. Ces financements per-mettaient au Cirad de travailler égalementla génétique fondamentale... Dans ce type decollaboration, la recherche fondamentaleest dépendante de la recherche appliquée.

Le ministre de l’époque, Claude Allègre, seplaçait dans la course aux brevets sur levivant. Comme les paysans, les chercheurssont embarqués dans le productivisme et lehold-up sur le vivant par des multinationa-les de l’agroalimentaire et de l’agrochimie.La recherche publique sert au dépôt de bre-vet par les firmes, et participe à la privati-sation du vivant. La présence de paysans indiens était parti-culièrement significative puisqu’en Asie –où existent 140 000 variétés de riz adaptées

aux conditions locales –, les firmes multi-nationales ont imposé cinq variétés qui, danscertains pays d’Asie, couvraient déjà 70 %des terres cultivées en riz.

Même si cette action contre un organismede recherche publique a pu surprendre cer-tains, (cet « étonnement » a été monté enépingle en particulier par le traitement très spécieux de l’action par une partie des médias), elle a provoqué un débat quia amené le collectif « Veille OGM » et « Ouvrons la recherche » à publier un textede soutien aux paysans. Gilles-Eric Seralini,membre de la Commission de génie biomo-léculaire, déclarait « Il n’y a rien d’irration-nel à arracher des OGM. Il s’agit d’un débatéconomique plus que scientifique. Ce combatmené par la Confédération paysanne obligerala science à être plus stricte avec elle-même. »D’autres scientifiques apporteront leur sou-tien à la Confédération paysanne et témoi-gneront ensuite dans les tribunaux ou pardes écrits ou des livres : Michel Thibon-Cornillot, Jacques Testart, Jean-Pierre Berlan(Inra) et bien d’autres...

Le Cirad porte plainte contre cette action,délicate à expliquer dans un premier temps.Une fois portée devant le tribunal, elle aaussi fait apparaître la difficulté qu’avait par-fois notre syndicat à résoudre certainescontradictions internes, fussent-elles secon-daires aux yeux de certains. Ainsi fut cité,lors du procès en 2000, comme pièce à chargecontre les militants paysans confédérés misen examen, le rapport produit au comitééconomique et social par Guy Le Fur (ancienporte-parole de la Conf’) et M. Rouvillois(membre du CES). Cela témoigne de l’im-

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portance, pour la Conf’, de pouvoir menerà terme des débats politiques internes, avantd’être, au prétexte d’une actualité pressante,dans la nécessité de produire à qui peut leslire, des analyses peu claires et non abouties.

En première instance, le tribunal prononcedes peines de prison avec sursis enversDominique Soullier, José Bové et René Riesel.Sur appel fait par les deux premiers, la courd’appel condamnera, en 2001, José Bové etRené Riesel à six mois de prison ferme, quiconduira José en prison en juin 2002. Cette« péripétie » fut également lourde de consé-quences pour René Riesel qui, refusant lesoutien de la Conf’, acquitta sa peine, isoléà Mende...

Toutefois, cette action a permis de pointerla dérive de la recherche publique, quicontracte avec les entreprises agroalimen-taires et agrochimiques ; ces dernières orien-tant le travail des chercheurs vers leurs inté-rêts commerciaux plus que vers la solutiondes problèmes agronomiques posés par lespaysans. Ensuite elle a permis à la sociétécivile de manifester son approbation, sareconnaissance au syndicalisme paysan confé-déré de poser, de façon non corporatiste,des problèmes cruciaux concernant le typede développement social souhaité et sonsoutien aux militants paysans traînés devantles tribunaux... Ce sont plus de 20 000 per-sonnes qui on participé en février 2001 àces immenses mobilisations, préfigurantcelle du Larzac 2003.

Par la suite, on verra la recherche associerl’Inra, le CNRS, l’IRD – organismes publics– et les entreprises semencières Biogemmaet la branche agrochimie de Rhône-Poulencau sein de Génoplante.

Tous les débats et la pédagogie mise en placepar les paysans avec les chercheurs et orga-nisations citoyennes et altermondialistess’orienteront vers la revendication d’unerecherche non seulement publique maiscitoyenne : « quelles garanties démocratiquesde l’utilisation des découvertes sont donnéesà la collectivité et aux citoyens qui les finan-cent par leurs impôts ? L’objectif d’un servicepublic n’est-il pas de satisfaire les besoins col-lectifs concurrents des intérêts privés » (in Lemonde n’est pas une marchandise).

Puis l’idée de « lanceurs d’alerte » naîtraensuite et sera revendiquée, jusqu’à la créa-tion des « faucheurs volontaires » par Jean-Baptiste Libouban. Ces citoyens prendrontle relais des paysans initiateurs d’une oppo-sition ferme et engagée contre les OGM. l

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Productivisme, intégration, concentration de la production

et pollution de l’eau en Bretagne

Par René Louail éleveur de volailles label en Côtes-d’Armor, secrétaire national

puis porte-parole national de 1999 à 2002 ; membre du bureau exécutif

de la CPE puis de ECVC de 2002 à 2009

La Confédération paysanne tient sarichesse et une partie de son histoire de

sa capacité à faire vivre des modes d’agri-culture et de culture différents sur l’ensem-ble du territoire, avec une forte volonté detraduire cette diversité dans un projet portécollectivement, avec des revendications pré-cises en direction des pouvoirs publics oudes organisations économiques. En revan-che, le mode d’action prend une forme dif-férente lorsqu’il s’agit de traduire en rapportde forces face à ceux qui sont « censés »rémunérer notre travail.

L’Agriculture paysanne se traduit, de fait, dif-féremment selon les régions, les modes de pro-duction et de contractualisation de la produc-tion. La prise en compte de la dimensionenvironnementale est entrée plus tardive-ment que la dimension sociale dans laconstruction de nos projets, de nos alliances.

Les conséquences du productivisme en agri-culture, avec ici et là des effets plus ou moinsprofonds, ont provoqué des débats, voiredes alliances pouvant être qualifiées de contrenature. Le problème de la dégradation de laqualité de l’eau en Bretagne illustre biencette situation.

Dans la dynamique de modernisation del’agriculture, la production avicole a été lapremière à rentrer dans le schéma de l’in-dustrialisation. Elle a dès le début des années1960 échappé aux paysans... qui sont deve-

nus majoritairement intégrés aux firmes.Les abus pratiqués ont alors suscité la loide 1964 sur les contrats d’intégration pourdonner une certaine protection aux éleveursconcernés. Dans cette intégration, les pay-sans sont des « techniciens façonniers ».Une partie d’entre eux ne se considèrent pasvraiment comme paysans ; ils se revendi-quent « aviculteurs » pour deux raisonsprincipales : la première est le fait qu’unepartie d’entre eux disposaient à cette époquede très petites surfaces, et la seconde parcequ’ils ont acquis un niveau de technicitépointu, encadré par les firmes en amontcomme en aval. Ces aspects sont encore plusaccentués sur la production d’œufs.

C’est très important pour comprendre com-ment les aviculteurs ont souvent fonctionnéen dehors des organisations syndicales. Faceà cela, les coopératives n’ont jamais proposéd’alternative en termes de mode de produc-tion, de statuts et d’organisation collectivede producteurs. Pire, il a fallu attendre lafin des années 1990 – début 2000, pour queceux-ci se manifestent en faisant appel à laConfédération paysanne face au véritableséisme qui les frappe : crises à répétition eteffondrement du marché dit « export »,aggravés par la baisse programmée des aidesà l’exportation imposée par l’OMC que lesfirmes répercutent sur les éleveurs en rédui-sant la rémunération prévue au contrat et endélocalisant la production (notamment auBrésil).

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Cette remise en cause unilatérale des contratsà façon par les intégrateurs comme Douxsuscite la mobilisation des éleveurs de pou-lets de chair à partir de 2001. Et celle de lacommission avicole de la Confédérationpaysanne. Le comité national de l’époque asuivi cette orientation courageuse qui consis-tait à défendre les éleveurs tant dans leursnégociations auprès des intégrateurs que,celles-ci n’ayant pas abouti, dans leurs com-bats juridiques auprès des différents tribu-naux, principalement du Grand Ouest, dontles résultats positifs ont fait jurisprudence.

De ces décisions, nous avons à cette épo-que amorcé une réflexion, qui, selon monappréciation, n’est pas allée à son terme, surl’utilisation du droit comme moyen de résis-tance, complément de l’action syndicale. Demême nous aurions probablement dû travail-ler avec plus de partenaires (...), aujourd’huià bout de souffle.

L’action de la Confédération paysanne a étélargement reconnue, et ce bien au-delà dumonde paysan. Les syndicats ouvriers commela CGT ont fait le lien avec nos luttes et lesconditions de dégradation des conditionsde travail des salariés dans les usines agro-alimentaires. Des contacts ont été établis.En revanche, la FGA-CFDT s’est plutôt ran-gée du côté de la FNSEA pour accompagnerla restructuration en revendiquant desmoyens financiers supplémentaires auprèsde l’Etat ou des collectivités territoriales.

L’histoire de la concentration de la produc-tion porcine est très différente. Elle s’est faitepar paliers, les producteurs étant étroite-ment encadrés par les coopératives et lesgroupements de producteurs. Le rôle du syndicalisme paysan et de laConfédération paysanne en particulier s’estexprimé sur trois aspects distincts, face àun lobby très puissant et structuré :

• sur le mécanisme de fixation du prix duporc ;• sur la question récurrente de la maîtrisede la production ;• sur la politique environnementale.

Cette production très capitalistique a connuun processus impressionnant de restructu-ration interne. La séparation du « naissage »et de l’« engraissement » dans des élevagesdifférents, promu dans années 1960, a laisséla place dans les années 1970 au système« naissage-engraissement », plus exigeanten capitaux et plus fiable au niveau sani-taire. La concentration des élevages a étépermise après la mobilisation de la FRSEAde l’Ouest pour faire sauter les verrous deplafonnement de la production inscrit dansles lois d’orientation des années 1960-1962.

Face à cette situation, la CNSTP et plus tardla Confédération paysanne s’interrogent surla pertinence des groupements de produc-teurs sur leur volonté d’une part de défen-dre le revenu des producteurs, et d’autrepart de limiter la concentration de la produc-tion. Au fil des années, avec la disparitionprogressive des petits producteurs, l’illusiona disparu.

Néanmoins, force est de constater que laConfédération paysanne a été la seule orga-nisation à dénoncer à plusieurs reprises etpar des actions très dures (« démontage »symbolique, occupations musclées et succes-sives) le mécanisme de fixation du prix duporc mis en place sous la forme du marchéau cadran par Alexis Gourvennec, illustre lea-der paysan nord-finistérien, posant ainsi defait le débat sur une nécessaire maîtrise dela production.

C’est dans cette enceinte du marché au cadranque nous avons construit les accords ditsde Plérin, avec la volonté pendant la crise

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de 1999/2000 d’avoir un débouché politi-que au niveau européen. C’est à cette épo-que que nous avons arraché le soutien dudéputé européen Georges Garot, lequel avaitpermis un débat au sein de la Commissionagricole et du monde rural du Parlementeuropéen (Comagri) avec proposition d’amen-dement sur la maîtrise de la production por-cine en Europe. Ce travail intersyndical(Conf’/FRSEA/CNJA) avait été soutenu parl’ensemble des éleveurs, et même plus large-ment. Il passait d’autant mieux qu’il arrivaitaprès les actions de casse successives condui-tes par les FRSEA/JA (Saint-Brieuc, Morlaix,etc.) et condamnées en bloc par la sociétédu fait que ces organisations refusaientd’instaurer une discipline de production.

La Conf’ devenait ainsi force de proposi-tion ; si la structure FNSEA est restée silen-cieuse, la FNP, sa section spécialisée, a choiside participer à l’organisation d’une tableronde à l’Ofival1 sur la maîtrise, pour ne pasprendre le risque d’être discréditée par sabase. Ce qui a permis de donner une portéenationale au travail impulsé à l’Ouest par laConfédération paysanne.Parallèlement depuis la fin des années 1980,le problème de la qualité de l’eau est devenuune préoccupation majeure au niveau euro-péen. L’agriculture et pas seulement lesrégions d’élevage sont au centre des débats.Le productivisme en agriculture montre seslimites ; la directive nitrate est publiée en1992, applicable à tous les Etats. En France,elle voit sa déclinaison par la loi sur l’eauvotée en 1992 et l’adoption, en 1993, duprogramme de maîtrise des pollutions d’ori-gine agricole.

Les producteurs de porc sont principale-ment montrés du doigt dans les régions àforte intensification. Le dispositif fait sortir

les plus gros du bois en leur offrant la pos-sibilité de régulariser leur situation au regardde la loi sur les installations classées. LaConfédération paysanne conteste cette régu-larisation et surtout le fait que sa mise auxnormes puisse être subventionnée. Ce débatrévèle tout l’accompagnement d’un appa-reil professionnel et la forte caution politi-que au service de ce type de « développe-ment », où il se révèle que la partie illégale– réalisée chez les plus gros éleveurs – de l’éle-vage porcin breton dépasse 15 %.

Suivie par les associations environnementa-les, particulièrement Eau et rivières deBretagne, la Confédération paysanne dénonceles surproducteurs d’une double responsa-bilité : celle de la surproduction, avec pourcorollaire la dégradation des cours, et cellede la dégradation de la qualité des eaux. Lescommunications jointes de l’époque mon-traient comment ces organisations environ-

1 Ofival : Office national interprofessionnel de la viande.Lire encadré sur les offices par produit en p. 133.

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nementalistes avaient intégré la dimensionsociale à travers une meilleure répartitionde la production. A cette époque, ERB tolé-rait politiquement les petits dépassementset la production dite conventionnelle, chezles petits éleveurs. Le travail de réflexion etd’action commune avec ces associations estune nécessité politique pour l’avenir dumouvement et nécessite une réponse fortede la Conf’ pour la faire vivre.

La Confédération paysanne a mené depuis1996 des actions historiques et symboliquesde vidage d’élevages hors la loi (Le Bihan,à Loudéac, Marquet, en Ille-et-Vilaine), ainsique dans l’Orne, pour dénoncer l’accapare-ment d’un élevage industriel par la Cooperl,premier groupement de porcs en Francesitué à Lamballe (22).

Ces actions ont eu une telle portée que lespréfets ont décidé d’envoyer les agents dela Direction des services vétérinaires (DSV)effectuer des comptages d’animaux dans lesélevages. Des procès avec condamnation,voire des fermetures partielles d’élevagesont été prononcées envers certains multi-récidivistes qui se trouvaient par ailleurs àla tête du lobby porcin.

Mais pour casser le mouvement porté par laConfédération paysanne et Eaux et Rivières,ces comptages étaient également pratiquéschez certains petits et moyens éleveurs, soitde la Confédération paysanne, soit chez desvoisins de militants bien identifiés.

Au fur et à mesure de sa mise en œuvre, lePMPOA, en imposant un calendrier d’en-trée dans le programme par les plus grosélevages, révèle un autre effet pervers : béné-ficiant d’un soutien financier sans plafond(y compris pour les hors-la-loi !), ces éle-veurs captent, dans une région globalementen excédent structurel d’effluents d’élevageà épandre pour respecter la Directive nitra-

tes, des « surfaces d’épandage de leurseffluents » au détriment des plus petits éle-veurs, intégrés au programme dans les annéessuivantes. La pression syndicale avec le sou-tien de la société a obtenu une série de déci-sions politiques sous la forme de circulairesministérielles portant le nom des ministresde l’époque. Corine Le Page face à la pres-sion sociétale avait bloqué en 1997 toutdéveloppement de l’élevage hors sol dansles zones en excédent structurel. Sous lapression de la Confédération paysanne, cettecirculaire a ensuite été remise en cause parLouis Le Pensec et Dominique Voynet pourpermettre un assouplissement du disposi-tif pour les petits éleveurs.

Avec l’arrivée de la droite au pouvoir enFrance en 2002, toutes les entraves à la crois-sance et à la concentration de la productionont été supprimées. Les effets sont immédiats :en Bretagne, toujours en excédent structu-rel, les élevages reprennent une croissanceinterne en développant sur leur site l’en-graissement par « rapatriement » ou non dece qu’ils avaient installé hors de la région.Et c’est aussi le constat que depuis cette épo-que jamais le cours du porc ne s’est relevéet que les seuls remèdes proposés par l’Etatet les organisations économiques ne por-tent que sur des adaptations individuelles,sur le plan technique et économique.

L’alliance paysans-consommateurs-envi-ronnementalistes, qui avait eu son pointd’orgue avec les manifestations de Pordic(5 000 personnes) pour dénoncer en 1997la prolifération des algues vertes, et dePontivy (10 000 personnes) en 1998 pourréclamer ensemble une autre politiqueagricole, a marqué les grands moments del’histoire en Bretagne. A la veille du débatsur les questions budgétaires de la PACqui vont permettre d’écrire l’histoire euro-péenne pour après 2013, la question desalliances est plus que jamais d’actualité. l

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La Fadear : un organisme de formation au service de la Confédération paysanne

Par Huguette Blin éleveur (viande bovine), secréatire nationale de la Confédération paysanne

de 1991 à 1994.

,

L’histoire de la Fédération associative pourle développement de l’emploi agricole

et rural (Fadear) est très liée à celle de laCNSTP et de la FNSP. En 1984, la Fadea estcréée, notamment pour pouvoir bénéficierde financements de formation auprès duFonds social européen (FSE).En 1990, elle devient la Fadear, et elle a unagrément d’organisme de formation. Elle estl’outil au service de la Confédération pay-sanne. Elle fédère les associations régiona-les et départementales. Au syndicat, l’urgence liée à l’actualité renddifficile la prise en compte de domaines plustransversaux et demandant un investisse-ment sur le long terme. C’est la Fadear quien est chargée.Ses activités tournent autour de trois pôles :la gestion des objecteurs présents dans sesassociations, la formation qui aura une fina-lité syndicale, et l’Agriculture paysanne. Malgré des moyens financiers très restreintsau départ, des formations ponctuelles sontmises en place sur des thèmes concernantles commissions et l’actualité ; les journéesd’été et les rencontres Agriculture paysannesont organisées sous l’égide de la Fadear.

Les écoles paysannesPour porter les responsabilités de ce jeunesyndicat, pour assurer son développementet sa pérennisation, il faut faire des forma-tions de fond, apporter les « outils » per-mettant l’analyse des faits d’actualité, del’environnement socio-économique mon-dial, des rouages institutionnels. Cela per-mettra de pressentir les tendances pour anti-

ciper et dégager des propositions afin depeser sur les événements. Ce sont les objec-tifs des formations qui ont pris le nomd’Ecoles paysannes.

Elles sont d’abord organisées au niveau natio-nal pour former de futurs responsables natio-naux. Au cours des années 1990-1991 et1991-1992, deux groupes de 15 personnessur douze journées, groupées par deux, ontfonctionné à Paris. Après ces deux annéesde fonctionnement, l’intérêt de ces forma-tions n’est pas remis en cause, mais ellesapparaissent inadaptées : difficulté de quit-ter la ferme deux jours, déplacements à Parisqui prennent du temps, et le nombre de mili-tants formés est limité.

Après ces premières expériences, les écolespaysannes sont décentralisées sur les régions,voire sur les départements. La Conf’ veutpérenniser et développer les syndicats locaux.Les besoins sont importants et la demandeexiste. Ces formations s’adressent à des mili-tants, futurs militants ou sympathisants pou-vant devenir responsables sur leur départe-ment. Elles sont en prise avec le terrain etles réalités locales, là où s’exerce l’activitésyndicale.

Les objectifs de connaissances, d’analyse,sont les mêmes, mais il y aura toujours débatet confrontation aux réalités de la région,aux répercussions concrètes pour les pay-sans, avec la recherche de leviers possiblespour résister.

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Des moyens d’animation sont mis en œuvre.Avec le soutien d’animateurs et d’un pay-san de la Fadear, ces animations sont pri-ses en charge par deux paysans locaux. Si pos-sible, au moins un responsable syndical etun ou deux stagiaires composent avec euxle Comité de pilotage.

La formation est de huit journées au mini-mum. Souvent des compléments de forma-tion à la demande sont programmés l’annéesuivante. Quelques équipes réussissent àgrouper des journées par deux, avec héber-gement (prise en charge financière), dansl’idée d’allonger le temps de formation et decréer plus de convivialité.

Le programme est adapté à la demande dechaque école paysanne et élaboré avec leComité de pilotage. Cependant, quelquesjournées de formation syndicale ont un carac-tère obligatoire : histoire du syndicalisme ;projet de la Confédération paysanne ; ana-lyse de la situation économique et sociale(PAC, Gatt, OMC...), voir où et commentse prennent les décisions ; inventaire desinstitutions et organismes agricoles du dépar-tement, et comment la Conf’ peut y êtreefficace.

Ce contenu est complété selon les écolespar des journées sur l’animation, l’expression-communication, un voyage à Bruxelles pourconnaître les institutions européennes et laCPE, ou encore la rencontre d’une autreécole paysanne...Ces journées se sont déroulées au rythme de

trois ou quatre par an depuis 1993-1994.Elles ont été la priorité de la formation à laConfédération paysanne.

D’autres formationsEn parallèle, des formations courtes (dedeux à quatre jours) ont été proposées auxéquipes départementales, au Comité et auSecrétariat nationaux. Des journées sur desthèmes d’actualité ont été organisées natio-nalement : PAC, Gatt, OMC, mondialisa-tion, OGM...Le syndicat se développant, les salariés ontété de plus en plus nombreux sur les départe-ments, ils ont été formés au niveau national.

Les syndicats régionaux, plus souvent dépar-tementaux, ont édité un journal, des acqui-sitions de base étant nécessaires pour lespaysans et les salariés. Ces formations orga-nisées d’abord au niveau national ont ensuiteété décentralisées. Par exemple, en 2000-2001, 13 départements ont réalisé unesession de trois jours. l

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Déclarer le métier de paysan d’utilitépubliqueAu dernier trimestre 2001, deux ans aprèsle colloque de Nîmes consacré aux installa-tions hors normes, progressives ou nonaidées, la Conf’ lance un travail nationalambitieux sur le foncier, ses destinations,son usage. Le parti-pris a été de tenter, parune régionalisation de ces journées de tra-vail, de faire une sorte de cartographie despolitiques foncières nationale et régionale,de donner la parole aux acteurs locaux etde permettre ainsi la prise d’initiatives mili-tantes locales, en évitant l’écueil du seulcadrage national souvent perçu comme éloi-gné des attentes et des besoins locaux, etcomme plus théorique que concret. C’estainsi que de Carcassonne dans l’Aude, àVogüé en Ardèche en passant par Tilloy-lès-Mofflaines dans le Nord, plus de 700 person-nes ont travaillé sur ce qui fonde notre acti-vité de paysans et ce sans quoi elle n’a plusde sens : la terre. De ces journées riches,sont nées des propositions, des pistes deréflexion, et s’est renforcé le constat de lanécessité de créer des rapports de forces, demener des actions pour faire évoluer le droiten la matière. Ces expertises permettent des’adresser tant aux législateurs – nationauxet locaux – qu’aux militants paysans et autresacteurs sociaux, usagers de l’espace ou sim-ples consommateurs.

Rapidement, une évidence fait jour : 3 % dela population ne pourront pas seuls inver-ser une logique de concentration effrénéedes moyens de production, dont la terre faitpartie. Ils ne pourront pas seuls exiger niobtenir une redéfinition des droits d’accès

à la jouissance de biens estimés collectifs. Ilfallait impérativement créer les conditionsde convergence d’intérêts en ce qui concerneles droits d’usage de ce que nous estimonsdevoir rester un bien commun. Il fallait doncse mettre en situation de réunir un assenti-ment global sur des projets liés à l’activitéplutôt qu’à la propriété et pouvoir ainsi légi-timer d’autres façons de répartir le foncierface à l’accumulation capitalistique. Et parconséquent produire un projet collectif ausein duquel pourraient s’insérer un ou plu-sieurs projets individuels.

C’est donc à partir de ces bases que l’opé-ration « Cisternette » s’est mise en place. Etc’est d’une manière réfléchie et très large-ment concertée que le projet d’occupations’est élaboré.

Passer des discours aux travauxpratiques et à la résistanceDans un premier temps, durant l’automne,deux stagiaires enquêtent sur le foncier dansle nord de l’Hérault (le sud du Larzac), recen-sant les disponibilités et tentant d’évaluerles projets des uns et des autres (particu-

L’occupation de la ferme de la Cisternette

Par Nicolas Duntze viticulteur dans le Gard, secrétaire national

en 2001, porte-parole de 2002 à 2003

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Tract d’appel à l’occupation20 ans après l’occupation de la ferme de la Vernéde, les mêmes problèmes !

Des PAYSANS sans TERRESDes TERRES sans PAYSANS

Des terres retournent à la friche, les grands espacesvoués au pastoralisme et aux brebis sont l’enjeu despéculations foncières, des plantations de pins détrui-sent les pâturages, menacent la biodiversité, banali-sent le patrimoine paysager et culturel. Ne laissonspas les spéculateurs priver les paysans de terre et lesbrebis de pâture !

LE DROIT DE PROPRIETE NE DOIT PAS PRIMER SUR LE DROIT D’USAGE

DECLARONS L’INSTALLATION ET LE MAINTIEN DES PAYSANS D’UTILITE PUBLIQUE

Pour recréer un lieu de vie et soutenir l’installationlégitime d’un jeune éleveur sans terres dans uneferme sans paysan :

Rendez-vous le Samedi 6 avril à 10 h 30 précisesdevant le café de Saint-Maurice-de-Navacelles ou à 10 h précises sur l’aire d’autoroute du Cailar, pourune occupation illimitée.

Camping sauvage organisé à la ferme

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liers, paysans, propriétaires, collectivités...).Dans le même temps, David Perrier, 33 ans,diplômé d’un brevet de technicien agricole,à la tête d’un troupeau de 200 brebis maissans terre, cherche depuis des années uneferme sur le plateau du Larzac, là où il agrandi, pour s’installer et vivre de son métierd’éleveur ovin, comme ses parents, éleveursà Saint-Maurice-de-Navacelles dans l’Hérault.Il toque aux portes des organismes spécia-lisés, prend contact avec les propriétairesde « terres incultes », mais sans succès.David Perrier n’est pas un cas isolé. Unedizaine de jeunes comme lui sont candidatsà l’installation. Souvent éconduits.

Et pourtant, deux ans auparavant, le fer-mier de la Cisternette a pris sa retraite. Davida fait une demande de bail à la propriétaire,la comtesse Gladys de Montcalm (proprié-taire de 1 800 hectares sur ce territoire...).Celle-ci préfère contracter un bail emphy-téotique avec un industriel de l’Yonne demeu-rant à Neuilly-sur-Seine. Ce dernier n’a pasdit ce qu’il voulait faire de la ferme. Les mili-tants de la Confédération paysanne et lesélus savent, eux, ce qu’il fait des 644 autreshectares de « terre inculte » qu’il a acquis dansle sud du Larzac ces dernières années : il ya planté des pins... Les élus redoutent quecette spéculation foncière ne transforme leplateau en « une série de forêts de pins noirs entre-coupées de lande pour la chasse à courre ». Déjàils observent que les « clôtures à brebis sontremplacées par des clôtures pour les chassesprivées ». Dès lors deux projets s’affrontent,diamétralement opposés. Le régime de lapropriété et l’industriel spéculateur, face àla création d’activité paysanne et au dévelop-pement local concerté.

Installer un paysan sans terre sur une terre sans paysan !Face au refus de louer des propriétaires, sanssolution malgré de multiples démarches etson inscription durant trois ans sur le regis-

tre « installation » de l’Association départe-mentale pour l’aménagement des structu-res des exploitations agricoles (Adasea),David saisit l’administration (DDAF) pourentamer la procédure « terres incultes ».Dans l’urgence de l’agnelage, à la suite derencontres avec les élus locaux, il décideavec leur soutien, celui de la Confédérationpaysanne et de diverses associations de s’ins-taller à la Cisternette : le 6 avril 2002, les bre-bis de David entrent à la bergerie devant lessympathisants venus le soutenir, et les médias.Débute alors une longue bagarre juridiquedevant les tribunaux, toujours soutenue parune forte mobilisation de protection physi-que de David, de son troupeau, et autourde la ferme et du projet de remise en état

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des pâtures de la Cisternette et de la com-mune de Saint-Maurice-de-Navacelles. Deprocédure en référé, en appel, de procéduredes terres incultes en tribunal des bauxruraux, de Cour de cassation en CDOA, quidonne enfin l’autorisation d’exploiter à Davidau motif prioritaire de l’installation contrel’agrandissement, jamais la mobilisation etle soutien des élus et des centaines de per-sonnes concernées par ces débats n’a failli.Au final, c’est par un coup de force de laFDSEA locale aidée par le CDJA qui, se subs-tituant au propriétaire et à un fermier fan-toche manipulé par le propriétaire, a entre-pris une vaste opération de nettoyage desterrains, plus médiatique que réelle, afin defaire valoir un plan de remise en valeurauquel ne pouvait prétendre le propriétaire.Ces syndicats agricoles s’acharnent alors àempêcher l’application de la loi de ne pasautoriser l’installation d’un jeune agriculteur,de permettre l’agrandissement d’un éleveurqui cherche des « combines » pour échap-per à la réglementation sur le cumul, et de volerau secours d’un spéculateur foncier. Et c’estau bout de presque deux ans d’occupationque, le 30 mars 2004, une centaine de gar-des mobiles viennent déloger à l’aube David,sa famille et son troupeau, vidant la fermede fond en comble.

Deux ans de bagarre, de mobilisations desoutien chaleureuses, qui ont permis la struc-turation d’un réseau solide de solidaritéconcrète, des avancées réelles dans l’exer-cice parfois difficile de la recherche du consen-sus entre les différents usagers d’un espaceà partager entre plusieurs activités. Deux anspendant lesquels la Confédération paysannea su être au centre de ce mouvement collec-tif pour chercher et proposer des solutions.

Deux ans aussi qui ont permis de mesurerl’immense pouvoir de la propriété et de laspéculation. En effet vingt ans plus tôt, cemême propriétaire et ce même industriel

s’étaient trouvés en conflit avec la familleSanchez, à l’époque salariée agricole, quiavait, avec le soutien local, occupé la fermede la Vernède. A l’époque, le conflit avaitété clos par le départ de la famille Sanchez,le rachat de la propriété par le conseil géné-ral et l’installation d’un paysan en location,qui y est toujours en activité…

Verre à demi-plein ou à demi-vide ?Il est toujours difficile de tout gagner, et ilne serait pas sérieux d’affirmer que Davidexpulsé, tout aurait été perdu. En effet à l’is-sue des négociations de clôture de ces com-bats, les fermiers de la propriétaire (au nom-bre de trois) ont obtenu que des travauxd’entretien soient effectués dans les fermes,le renouvellement de leur bail et la promesse(tenue) qu’ils seraient prioritaires en cas devente de tout ou partie de la propriété.De la même façon, le conseil général del’Hérault s’est engagé à procurer à DavidPerrier terres et toit.

Enfin, par décision du 17 mai 2004, le juged’exécution rejette la totalité des demandesde Bazin de Caix (l’industriel) en matièrede liquidation de l’astreinte à laquelle Davidavait été condamné par la cour d’appel. Pourmémoire, il demandait 24 000 euros et unenouvelle astreinte de 600 euros par jour.

Il est aussi difficile de mesurer les acquisinformels de cette lutte. Mais il est certainque cette action, dure à vivre pour l’occu-pant et sa famille dont il faut, une fois encore,saluer le courage et la ténacité, a stimulé lacapacité de la Confédération paysanne etdu mouvement social à proposer, à innoverdans ses pratiques collectives, dans l’inven-tion de nouvelles formes de solidarité. Ellea aussi montré l’efficacité de l’arme juridi-que pour qui veut s’en servir.

Elle témoigne aussi que nous ne perdonsque les combats que nous ne menons pas. l

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Pour la publicité des terres soumisesau contrôle des structures

Par René Mangin producteur de lait et de céréales dans la Meuse ;

porte-parole de la Confédération paysanne de son département

Département de moins de 200 000 habi-tants, la Meuse a des structures agrico-

les importantes. C’est le département fran-çais dont les moyennes de surface et de réfé-rences laitières sont les plus importantes. En1996, on compte moins de 3 000 exploita-tions à la surface moyenne de 120 ha, moinsde 1 500 producteurs de lait avec des quo-tas moyens de 220 000 litres. 1 000 exploi-tations sont tenues par des paysans de plusde 55 ans, la moitié d’entre eux n’ayant pasde repreneur direct. Cette année-là, sur unecentaine de demandes d’agrandissement, 43 proviennent d’exploitations de plus de150 ha, dont 7 de plus de 300 ha. La plupartdes demandes sont satisfaites par laCommission départementale d’orientationagricole (CDOA). Résultat : 32 exploitationssont démembrées, dont 13 de plus de 100 ha.Le rôle de la CDOA consiste à entériner desdossiers déjà ficelés. Les tractations entrecédants et repreneurs se font en catimini,ne laissant aucune chance à des prétendantsà l’installation hors cadre familial ou auconfortement de leur petite structure.En février 1997, la Confédération paysannede la Meuse décide de publier la liste des ter-res disponibles dans L’Est républicain. Résultat :70 appels téléphoniques au siège de laConfédération, une centaine à la Directiondépartementale de l’agriculture, émanant dejeunes en quête de terres pour s’installer etde petits exploitants cherchant à s’agrandir. L’initiative affole la FDSEA, la chambre d’agri-culture et d’autres organisations agricoles.Lors de la révision du plan départementald’orientation agricole, nous obtenons l’offi-cialisation de la publicité des terres disponi-

bles… mais uniquement dans La Vie agri-cole de la Meuse, hebdomadaire contrôlé parles organisations agricoles majoritaires.L’information est publique, mais réservéeaux abonnés ! Face à l’insuffisance de la com-munication, on a continué de transmettreles listes à L’ Est républicain, malgré les mena-ces d’actions en justice et autres pressions.Au moins jusqu’à l’adoption de la loi d’orien-tation en 1999 qui a renforcé le contrôle desstructures, le principe de la publication desterres disponibles fut rapidement relayé parla Confédération paysanne nationale et reprisdans plusieurs dizaines de départements,rencontrant la même hostilité du syndicatmajoritaire, et trop souvent aussi celle del’administration départementale. Preuve, s’ilen fallait une, que la disponibilité des ter-res est un enjeu crucial pour de nombreuxpaysans et qu’il faut s’en préoccuper sérieu-sement si on entend favoriser l’installation.Depuis, les réformes successives des plansdépartementaux et schémas des structuresont progressivement rogné les acquis obte-nus à l’occasion de cette publicité des ter-res. Le thème n’a d’ailleurs pas été suffisam-ment approfondi et dynamisé dans le tempspar le Secrétariat national et le Comité natio-nal de la Confédération paysanne.Pourtant, gestion et transmission du fon-cier sont les bases nécessaires à des instal-lations nombreuses, un des objectifs de laConfédération paysanne. Le thème de l’assemblée générale de la Conf’ dela Meuse en 1997 s’intitulait : « Publication desterres : un premier pas vers des installations nom-breuses ». N’a-t-on pas oublié les pas suivants ? l

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2002-2007

Euphorie sociétale et reflux syndical

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La défaite de la gauche aux élections prési-dentielle et législatives en 2002 ouvre une

nouvelle période pour la Confédération pay-sanne dans ses rapports avec les pouvoirs publicset l’exercice de la représentativité.

Mais la stratégie globale et les axes d’actions etde revendications de la Conf’ ne sont pas réel-lement modifiés. Elle entend agir sur les mêmesfronts que les années précédentes : • L’opposition déterminée aux OGM est mar-quée à la fois par la nécessité de faire face à l’ac-cumulation de procès et à la répression syndi-cale qui s’ensuit (dont les incarcérations de JoséBové, en 2002 et en 2003) et par l’ampleur etl’élargissement de la mobilisation de la « sociétécivile ». La Conf’ cherche également à mener,parallèlement aux actions de destruction desessais en plein champ, conduites depuis 2003sous la bannière des Faucheurs volontaires, desactions complémentaires : mobilisation des éluslocaux, régionaux et parlementaires ; Réseausemences paysannes. D’autres cibles, commeles pesticides, sont également visées pour dénon-cer le productivisme.• Avec la droite au pouvoir, la Confédérationpaysanne est rapidement écartée par le gouver-nement, qui rétablit une cogestion étroite avecla FNSEA pour tout ce qui concerne les ques-tions agricoles. En outre, à partir de 2003, laConf’ choisit de ne pas s’impliquer dans l’ap-plication française de la réforme de la PAC, quiinstaure les droits à paiement unique (DPU).• La participation de la Confédération paysanneau mouvement social altermondialiste en rai-son de l’enjeu des négociations sur l’agricul-ture à l’OMC continue d’être active et remarquée.Elle prend même une ampleur considérable de2003 (rassemblement du Larzac) à 2005 (prisede position et participation à la campagne pour

le non au référendum sur le Traité instituant laCommunauté Européenne - TCE), au pointque l’identité syndicale de la Confédérationpaysanne tend parfois à s’estomper chez lespaysans.

n Elargissement de l’opposition aux OGM et répression syndicale

La victoire de la droite se traduit par un dur-cissement de la répression syndicale, ce quiinfluence la façon d’envisager l’avenir de lamobilisation et des actions contre les OGM.

Les Faucheurs volontaires : une réponsedynamique à la répression syndicaleAu lendemain de son élection, JacquesChirac annonce une loi d’amnistie très limi-tée qui exclut les condamnations de syndi-calistes. Dominique Perben, le nouveauministre de la Justice, annonce une politi-que pénale à la fois plus sévère et plus direc-tement sous ses ordres. Cette politique visede nombreux responsables de la Confédé-ration paysanne récemment condamnés àla suite d’actions syndicales, la plupart « anti-OGM ». José Bové, alors porte-parole de laConfédération paysanne, est sous le coupde plusieurs condamnations à de la prisonferme. Les conséquences sont lourdes pourle syndicat lui-même (autant par l’énergiemilitante mobilisée que par la répressionfinancière). Dès juin 2002, José Bové est incarcéré pour unepeine de six mois de prison ferme à la suite dudémontage du McDo de Millau. Alors qu’il choi-sit de se rendre volontairement à la prison deVilleneuve-lès-Maguelone (Hérault), la mobi-lisation contre la répression syndicale et poursa libération1 s’avère difficile. Le Conf’ échoue

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à obtenir des parlementaires que la tradition-nelle loi d’amnistie présidentielle concerne,comme c’est la tradition républicaine, les actessyndicaux. En 2003, José Bové est à nouveau incarcérépour une condamnation à quatorze mois deprison pour sa participation aux actions anti-OGM de Nérac (janvier 1998) et contre lesessais du Cirad (en mai 1999 – lire aussi en page68). Cette fois, il est interpellé chez lui, à l’heuredu laitier, avec un déploiement policier exor-bitant qui choque l’opinion publique. Conscientqu’il ne faut pas lâcher prise sur le front anti-OGM, le Comité national de la Confédérationpaysanne riposte en décidant d’agir lui-mêmecontre un essai OGM situé à Guyancourt, enrégion parisienne – prémices de nouvelles pour-suites judiciaires –, et lance une mobilisationtrès large pour arracher une grâce présiden-tielle en faveur de José Bové. Son ampleur et laproximité du rassemblement altermondialistedu Larzac, à la fin août, contraignent le pouvoirà lui accorder une libération anticipée2.Ces deux événements – et les actions futuresnécessaires à maintenir et amplifier l’opposi-tion aux OGM –, provoquent un débat interneà la Confédération paysanne qui s’interroge surla stratégie d’action, non pas en termes d’ob-jectifs mais sur ses conséquences pour les mili-tants et pour le syndicat lui-même.Contrairement à d’autres opposants aux OGM,la Conf’ a choisi depuis le début d’agir concrè-tement à visage découvert, dans une démarchede désobéissance civile ou civique. Ce qui impli-que, d’assumer publiquement ses actes... etleurs conséquences judiciaires. Mais tout celadevient de plus en plus lourd à porter. Les pro-cès ont beau représenter un moment d’inter-pellation médiatique et sociétale important pourdénoncer la stratégie des firmes et du pouvoirpro-OGM (autrement dit, ils permettent de fairele procès des OGM), leur multiplication s’avère

difficile à gérer : pour des raisons financières,mais aussi parce qu’il devient de plus en plusdifficile de dénoncer la répression syndicale,même lorsque des militants sont lourdementcondamnés.C’est à l’occasion du rassemblement du Larzacen août 2003, que Jean-Marie Libouban, mem-bre de l’Arche (communauté non-violente ins-tallée sur le plateau du Larzac), lance le mou-vement des Faucheurs volontaires. Il s’agit d’uneassociation informelle, ouverte à tout militantvoulant participer à la destruction des essaisOGM. Plusieurs milliers de militants de toushorizons (associatif, syndical, politique...) y« adhèrent », répartis en plusieurs dizaines degroupes locaux. Le Comité national de la Conf’accueille très favorablement cette initiative ; ilengage le syndicat à soutenir les militants quiseraient poursuivis en justice et laisse touteliberté aux militants du syndicat, y compris àses responsables nationaux, d’agir dans le cadredes Faucheurs volontaires. Désormais, la plupart des actions de destruc-tions des essais, cultures et produits OGM, sontconduites au nom des Faucheurs volontaires.Cette démarche de désobéissance civile est pro-longée par une stratégie de la comparution volon-

1 Du 19 juin au 1er août 2002, José Bové purge le reliquat desa peine de trois mois d’emprisonnement (trois semaines dedétention provisoire avaient déjà été effectuées en 1999).2 Incarcéré le 22 juin, il sort finalement le 3 août, bénéficiantd’un « placement à l’extérieur ».

r Manifestation à Paris contre l’emprisonnement de JoséBové (été 2002).

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taire, ayant pour but de montrer le caractère col-lectif des actions et aussi, mais avec plus ou moinsde succès, de perturber, la procédure pénale.

Développer d’autres modes d’actionL’existence des Faucheurs volontaire a pu, dansun premier temps, renforcer l’action spécifiquede la Confédération paysanne qui, avant mêmela création de cette « structure », considérait queles actions de destruction des essais – aussiessentielles qu’elles soient pour contrer les fir-mes semencières et mobiliser l’opinion publi-que – ne sauraient être suffisantes. Sous l’im-pulsion de sa commission « anti-OGM », laConfédération paysanne entend agir, seule ouavec d’autres organisations agricoles et nonagricoles, sur plusieurs plans :• Campagne de sensibilisation des maires ruraux,puis des élus des collectivités territoriales(régions) pour qu’ils s’engagent à refuser lesOGM sur leur territoire. A l’initiative de laConfédération paysanne et de collectifs locauxanti-OGM, plusieurs centaines de maires rurauxprennent des arrêtés municipaux dans ce sens.L’Etat contestant la légalité de ces arrêtés, uneguérilla judiciaire s’en suit devant les tribunauxadministratifs. Cette interpellation des élus estactivement reprise auprès des parlementaires àl’occasion du débat sur la loi OGM, qui a lieude 2006 à 2008.• Contestations juridiques de la réglementa-tion européenne et française sur les OGM.• Participation active à des campagnes contrela brevetabilité du vivant et, avec la CNDSF(qui existe depuis 1991), aux actions qui dénon-cent la restriction du droit des paysans d’utili-ser leurs semences fermières3.• Création du Réseau semences paysanne dontles premières assises ont lieu en 2003, visant àaffirmer et à mettre en pratique pour les paysansle droit de produire et d’échanger des semencesinscrites ou non au catalogue Gnis4.

• Débat avec l’Inra (dans le cadre de la « conven-tion Inra-Confédération paysanne ») qui abou-tit à l’organisation d’un séminaire commun surles semences à Angers (février 2003).

Questions de coexistence entre la Conf’ et les Faucheurs volontairesL’existence des Faucheurs volontaires a permisd’élargir la mobilisation, déterminante pourcontrer efficacement l’introduction des OGMen France et en Europe, et pour enrayer les pro-grammes d’essais OGM en plein champ. MêmeLimagrain a dû se résoudre à les arrêter, aumoins momentanément. Mais la cœxistence de deux stratégies – cellela Conf’ et celle des Faucheurs volontaires –entraîne quelques difficultés, même si des mili-tants du syndicat, parfois responsables nationauxou ex-responsables, sont très impliqués dansles décisions prises au sein des Faucheurs volon-taires. Il arrive que les faucheurs décident d’ac-tions anti-OGM sans prendre suffisamment encompte les positions de la Confédération pay-sanne ou sans mesurer le risque d’un impactnégatif auprès de la majorité des paysans (pour-tant plutôt réticente aux OGM). De nombreux militants pensent, par exemple,que, fin 2006, l’action de dénaturation d’unepartie de la récolte de maïs OGM chez un groscéréalier (par ailleurs « chasseur de primes PAC »)à Lugos, en Gironde, mené à moins de deuxmois avant les élections aux chambres d’agri-culture, n’était pas opportune. Pour la premièrefois, il s’agissait d’intervenir non pas contre unsemencier (le plus souvent une firme multina-tionale) mais sur une récolte faite par un agri-culteur : une situation nouvelle que les Faucheursn’ont pas suffisamment pris en compte. D’unepart, les responsables nationaux de laConfédération paysanne n’ont pas été associésà la préparation de cette action, d’autre part,l’explication médiatique qui en a été donnéepar les acteurs, dirigée vers l’ensemble de lasociété, a fait l’impasse sur les paysans. Résultat : la FNSEA ne s’est pas privée de dénon-cer l’attaque faite contre les biens d’un collè-gue – alors qu’il s’agissait d’un « gros cumu-lard » plutôt rejeté par ses voisins.

3 Cette restriction résulte de l’évolution du droit de l’obten-tion végétale vers celui des brevets avec l’adoption d’une taxeou cotisation obligatoire sur toute utilisation de semencesissues de variétés certifiées. 4 Gnis : Groupement national interprofessionnel des semenceset des plants.

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Durant cette période, la dynamique de la luttecontre les OGM met surtout en avant les enjeuxpour l’environnement et les consommateurs.Elle se révèle très efficace pour amplifier lamobilisation, renforcer le soutien de l’opinionpublique et faire reculer les firmes et le pou-voir politique, jusqu’au Grenelle de l’environ-nement, puis l’adoption de la loi sur les OGM(en 2007-2008) et du moratoire sur les cultu-res OGM en France (accepté temporairementpar Bruxelles). C’est un acquis très importantpour la Confédération paysanne et son com-bat, engagé avec détermination et persévérancedepuis le milieu des années 1990.Mais la contrepartie – ou le prix à payer – pourla Conf’ et nombre de ses militants, aura peut-être été que cette priorité aux actions de des-truction des essais et produits OGM n’a paspermis d’agir avec suffisamment d’efficacité surd’autres plans : mobiliser contre les dangersque représentent les OGM pour les paysans(brevetabilité du vivant, dépendances aux fir-mes semencières et phytopharmaceutiques), etimposer avec suffisamment de force des démar-ches alternatives (semences fermières, semen-ces paysannes). La Confédération paysanne a su mobiliser lasociété contre les OGM en faisant de cette luttele point de convergence des préoccupationsenvironnementales, consuméristes, citoyenneset paysannes. Ce fait, extrêmement positif etdéterminant, a sans doute supplanté ou mêmeocculté deux autres objectifs que la Confé-dération paysanne cherchait à poursuivre entant que syndicat agricole : défendre efficace-ment le revenu et l’emploi des paysans et reven-diquer avec force une autre politique agricole,en faveur de l’Agriculture paysanne.

n Face à la droite et à la FNSEA,quelle défense des paysans et duprojet d’Agriculture paysanne ?

Le gouvernement de Lionel Jospin et Louis LePensec, son premier ministre de l’Agriculture,avaient franchi en 1997 un pas important dansl’institutionnalisation de la représentativité syn-dicale et de la reconnaissance du pluralisme.

C’est par la pratique et non pas par la loi (saufpour la représentativité dans les interprofes-sions) que le gouvernement Raffarin et sesministres successifs de l’Agriculture vont réta-blir les pratiques anciennes de cogestion quasiexclusive avec la FNSEA-JA pour réaffirmerl’agriculture d’entreprise, relégitimer et soute-nir plus ouvertement le productivisme et lesprérogatives de l’agroalimentaire. Dès sa nomination, Hervé Gaymard5 change lesrègles du financement public des syndicats agri-coles, qui deviennent encore plus favorables àla FNSEA-JA. La Confédération paysanne voitses ressources diminuer de plus de 25 %.Rappelons que les critères adoptés par JeanGlavany en 2002 étaient déjà anormalementfavorables au syndicat majoritaire (par la priseen compte du nombre d’élus aux chambresd’agriculture). Par ailleurs, les instances officiel-les de concertation ou de consultation (CSO6...)sont progressivement vidées de leur contenu ;les décisions se prennent ailleurs, avec la FNSEA-JA exclusivement, dans le secret de relationsbilatérales.

La fin des CTE révèle un enlisement dans une forme de cogestionUne des premières décisions de politique agri-cole de Hervé Gaymard est de mettre fin à lamodulation des aides PAC du 1er pilier et, parvoie de conséquence, de suspendre puis de met-tre fin aux CTE, puisque leur financement n’étaitplus assuré. Pourtant, en moins de deux ans, l’intérêt des pay-sans pour les CTE avait été rapide et impor-tant. Face au lancement des contrats d’agricul-ture durable (CAD), la Conf’ nationale se révèleun peu embarrassée, partagée entre l’approba-tion d’un principe de plafonnement des aidespar exploitation (en réalité adopté par l’Etatuniquement pour des raisons budgétaires) etle refus de l’abandon des objectifs sociaux etde développement territorial. Dans la foulée,

5 Hervé Gaymard fut ministre de l’Agriculture, de l’alimen-tation, de la pêche et des affaires rurales du 2e et 3e gouver-nement de Jean-Pierre Raffarin.6 CSO : Conseil supérieur d’orientation et de coordinationde l’économie agricole.

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c’est aussi le projet de « CTE-Petites fermes »,approuvé du bout des lèvres par Jean Glavanyen février 2002, et pas encore agréé par Bruxelles,qui est également enterré.L’embarras de la Conf’ nationale vis-à-vis decette première mesure emblématique du nou-veau gouvernement résulte également de lanature des relations que le syndicat entretenaitdepuis quelques années avec le pouvoir. Induitpar l’élargissement de la représentativité appli-qué par Louis Le Pensec et Jean Glavany, cefonctionnement s’apparentaient de fait à de lacogestion... au détriment de l’établissementd’un réel rapport de force articulant de manièredynamique la mobilisation syndicale et la volontéde négociation sur des revendications concrè-tes pour les paysans et pour le projetd’Agriculture paysanne. Dans les départements, même si la Conf’ devaity dénoncer trop souvent la dérive de certainsCTE, trop en faveur de la poursuite du produc-tivisme, de l’agrandissement des exploitationsou même d’une reconversion en « bio » sansaucun plafonnement des aides par exploitation,il s’agit d’un coup d’arrêt brutal : la mise enplace de CTE pouvait concrétiser et consoliderdes démarches d’Agriculture paysanne, ce quin’est plus (ou pas suffisamment) le cas avec lerecentrage des CAD sur des objectifs étroite-ment environnementaux.

La profonde réforme de la PAC en 2003 diviseprofondément la Confédération paysanne En dépit des réformes de 1992 et 1999, la poli-tique agricole commune continue d’être atta-quée au sein de l’OMC : d’un côté par des paysultralibéraux (groupe de Cairns), qui lui repro-chent le maintien de droits de douane et, de l’au-tre, par les pays en voie de développement, enraison du dumping des subventions à l’exporta-tion. De plus, les aides directes liées à la produc-tion, instaurées en 1992 et étendues à la viandebovine en 1999, sont réputées incompatiblesavec les principes de l’OMC. Dès le début desannées 2000, l’Union européenne annonce qu’elleprocédera à un « bilan à mi-parcours » de laréforme de la PAC 1999. Personne n’est dupe :une telle échéance sera l’occasion ou le risqued’imposer à l’UE une ouverture supplémentairede son agriculture au marché mondial.

Dès fin 2001, la Confédération paysanneparticipe activement à une « plate-formepour une autre PAC »Consciente du fait qu’elle ne peut, à elle seule,obtenir la réorientation souhaitée de la PAC,la Confédération paysanne anime, avec d’au-tres organisations paysannes, environnemen-talistes, de solidarité internationale et de consom-mateurs la « plate-forme pour une autre PAC ».Cette initiative réunit rapidement plus d’unequinzaine d’organisations 7. Pendant plusieursmois, ce collectif débat du contenu de la plate-forme pour pouvoir s’exprimer publiquementface aux échéances européennes qui s’annon-cent. Les discussions sont difficiles en raison dedivergences portant à la fois sur des questionsde fond (contenu de la plate-forme) et de forme(expression commune ou séparée) du fait dela participation des JA. Cette participation estfortement souhaitée par quelques organisations

7 Organisations de consommateurs : UNAF, Alliance paysans-écologistes-consommateurs ; Organisations de protection del’environnement et du développement durable : 4D, Amis dela Terre, Association pour la Fondation René Dumont, Réseauaction climat France, Réseau cohérence ; Organisations agri-coles : JA, Confédération paysanne, CMR, MRJC ; Organisationsde solidarité internationale : Coordination Sud, CRID, CFSI,CCFD, Solagral, GRET, Afrique vert, Agir ici, CICDA, Artisansdu monde, FORIM, Solidarité.

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de solidarité internationale (et notamment leGRET8 et le CFSI9) qui veulent voir dans les JAune expression « progressiste » de la FNSEA.Ces discussions retardent l’expression publi-que de la plate-forme et freinent la dynamiquede mobilisation. La plate-forme est rendue publique en octobre2002. Cette annonce est suivie immédiatement...par le retrait des JA, en raison d’un rappel àl’ordre immédiat de la FNSEA et de leurs bail-leurs de fonds (firmes du machinisme, de lapétrochimie et de l’agroalimentaire). Le manque de moyens investis, tout comme lepoids important de certaines organisations desolidarité internationale (véritables bureauxd’études présents à Bruxelles plutôt que réseauxde militants implantés localement), limitentl’impact de cette plate-forme qui n’arrive pas àinsuffler des initiatives locales coordonnéessusceptibles d’établir un rapport de force suf-fisant. Démarrée tardivement, la plate-formen’a pas eu le temps d’être animée et déclinéedans les départements... tandis que l’UE avanceson calendrier.

Une véritable réforme adoptée dans la précipitationUne fois de plus, l’Union européenne adopte,en juin 2003, sans débat public préalable etdans la précipitation, une profonde réforme dela PAC. Prétexte invoqué : il faut anticiper unaccord au sommet de l’OMC à Cancun (sep-tembre 2003) qui pourrait l’obliger à accepterdes réformes dictées par d’autres pays. Une foisde plus, cette réforme « anticipée » révèle uneadhésion sans réserve aux principes libérauxde l’OMC. Cette réforme est fortement « déré-gulatrice » : - nouveau démantèlement des mécanismes deprotection communautaire ; - dérégulation dans le secteur du lait avec baissedes prix, instauration d’une aide directe laitière(ADL), et assouplissement, puis fin program-mée, des quotas laitiers en 2013 ; - découplage des aides directes du 1er pilier (plus

de 9 milliards ainsi distribués chaque annéeaux paysans français). Avec le découplage, lesaides directes, antérieurement liées aux pro-ductions réalisées sur l’exploitation, sont dés-ormais attribuées sans obligation de produire ;elles deviennent ainsi un droit à paiement uni-que (DPU), échangeable (donc marchandisé)avec ou sans le foncier selon lequel il est ini-tialement attribué10 à chaque paysan. D’aucunsferont à juste titre l’analogie avec les primes delicenciement collectif offertes aux salariés, tantla logique du découplage est antiéconomique,rendant totalement injustifiable à terme le sou-tien public aux agriculteurs. Par ailleurs, la réforme prévoit ou autorise cha-que Etat membre à adopter des modalités trèsdifférentes dans la distribution des DPU enfonction de leurs options agricoles, environne-mentales ou territoriales... ce qui s’apparente àune renationalisation de fait de la PAC.Et, une fois de plus, à Cancun, le sommet del’OMC achoppe sur les questions agricoles et ali-mentaires sous la pression des manifestants(comme à Seattle) et en raison cette fois de larésistance de plusieurs pays du tiers-monde.

Accord unanime pour dénoncer la réforme2003 et revendiquer une autre PACMobilisée sur d’autres fronts (contre les OGM,contre la répression syndicale, par le rassemble-ment du Larzac...), la Confédération paysannetarde un peu à évaluer le contenu précis de laréforme et ses conséquences concrètes pour lespaysans selon les productions et les régions. A la suite de l’échec de Cancun en septembre2003, la Confédération paysanne n’est pas laseule à considérer que cette réforme, qui n’avaitdéjà pas de légitimité, n’a plus aucune raisond’être. Elle est absurde, incohérente et aber-rante, tant aux plan économique que social.Enfin, face à sa complexité, nombreux sontceux qui considèrent que cette réforme seraquasi inapplicable ou qu’elle engendrera unepagaille importante dans les campagnes.

8 Groupe de recherche et d’échanges technologiques.9 Comite français pour la solidarité internationale.

10 L’attribution se fait, pour chaque exploitation, sur une « référence historique » établie selon les aides directes qu’elleavait perçues en 2000-2002.

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C’est pourquoi, dès l’automne 2003, le comiténational prend deux décisions importantes :- d’une part de ne participer qu’en observateuraux groupes de travail ministériels chargés d’éla-borer la déclinaison française de la mise enplace des DPU ;- d’autre part d’approfondir le contenu d’unprojet alternatif et concrètement applicabled’une autre PAC, d’orientation non producti-viste, fondée sur les principes de souverainetéalimentaire, de maîtrise et de répartition desproductions et de prix rémunérateurs pour lespaysans.Un groupe de travail interne au syndicat se meten place avec la collaboration d’économistesagricoles pour définir le contenu précis d’unePAC alternative réellement applicable. En réa-lité, ce travail arrive à contretemps : la réforme

qui vient d’être adoptée doit s’appliquer jusqu’en2013, avec un « bilan de santé » prévu à mi-par-cours (vers 2008). La complexité du régimedes DPU n’a pas empêché sa mise œuvre dansla plupart des Etats membres (plus tôt qu’enFrance). Très vite, ce travail de contre-propo-sition d’une autre PAC se trouve réduit de faità un exercice intellectuel puisqu’il ne s’inscritpas dans une échéance politique de renégocia-tion de la PAC. La réforme vient d’être adop-tée et les paysans sont dans l’attente de sonapplication par la France. Ils sont inquiets, voireincrédules, quant aux modalités d’attributiondes aides directes transformées en DPU.Cette réflexion interne à la Conf’ débouche surun séminaire Inra-Confédération paysanne, quise tient dans la Sarthe en août 2004, dans lecadre des relations prévues par la conventionInra-Conf’. En France, ce travail n’a pas sus-cité la réactivation de la plate-forme « pour uneautre PAC » et, présenté à la CPE à l’occasiond’un séminaire européen à l’automne 2004, iln’a pas non plus suscité l’adhésion et la mobi-lisation de ses organisations membres. Lors de la campagne pour les élections auxchambres d’agriculture au début de l’automne2006, la Conf’ nationale publie un documentreprenant les principales propositions de ce tra-vail, destiné à être diffusé auprès des paysanset des élus (parlementaires...).

Face à la réforme 2003 et son application fran-çaise, dans un premier temps au sein du syn-dicat au niveau national, un large consensuss’établit pour en dénoncer le contenu et lesénormes inégalités dans l’accès aux aides entrerégions et entre exploitations (selon leur taille).La Confédération paysanne anime ainsi durantl’hiver 2003-2004 une campagne de dénoncia-tion des DPU, destinée à prendre à témoin l’opi-nion publique et à interpeller les politiques surle risque de « délégitimation » de la PAC dufait d’une répartition aussi injuste et incohé-rente des aides publiques. Cette campagne acontribué à ce que l’UE impose aux Etats mem-bres l’accès du public aux fichiers de l’Etat, rela-tifs à l’attribution individuelle des aides auxagriculteurs, et qui sera effectif à partir de 2007.

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Mais des désaccords profonds sur la déclinaison française de la réformeSi les instances nationales du syndicat (comiténational et secrétariat) sont d’accord à l’unani-mité pour dénoncer l’orientation ultralibéralede la réforme 2003, ses conséquences désas-treuses pour la majorité des paysans et les ris-ques qu’elle fait courir pour la sécurité alimen-taire en Europe et ailleurs, cette unanimité recou-vre, au niveau des militants, des attitudes et desrevendications très différentes selon les régionset les productions qu’ils représentent. Ces différences vont progressivement s’expri-mer dans les départements et au niveau natio-nal, notamment à propos de la revendicationd’une autre répartition des aides, revendicationconsidérée comme « intermédiaire » entre l’exis-tant et la PAC alternative souhaitée par laConfédération paysanne. Les divergences lesplus vives sont, paradoxalement, entre éleveurslaitiers et éleveurs de bovins et d’ovins viande. Les militants du bassin allaitant considèrentque le découplage des aides entraînera irrémé-diablement une réduction importante du poten-tiel de production en élevage allaitant ce quiva conduire à la faillite de très nombreux petitset moyens éleveurs. Ils estiment que toutemutualisation des DPU mettrait en cause lechoix français du recouplage total de la PMTVA11.Et que, celui-ci maintenu, il ne peut y avoirdans leur région une mutualisation qui soitfavorable aux petits et moyens éleveurs allaitants. A l’opposé, les Conf’ départementales de l’Ouestsont plutôt favorables à une mutualisation desDPU, (c’est-à-dire l’attribution d’un montantuniforme de DPU à tout hectare de surface éli-gible). Elles estiment qu’avec le découplage etle maintien des références historiques, les sys-tèmes laitiers à base d’herbe – discriminés depuis1992 par rapport aux systèmes intensifs à basede maïs-soja – qui perçoivent des aides Scop12

vont subir une distorsion de concurrence encoreplus forte. La Conf’ de Loire-Atlantique prend

officiellement position pour la mutualisationdes aides et soutient l’action en justice enga-gée par un éleveur laitier du département dèsl’automne 2004 pour obtenir une autre répar-tition de ses DPU.

Dans d’autres régions, les militants de la Conf’sont plutôt désarmés face à la réticence ou auxcraintes des paysans à voir modifier leur réfé-rence historique individuelle (tout changementfait réagir ceux qui y perdent, alors que ceuxqui y gagnent se taisent). C’est le cas par exem-ple chez les producteurs de tabac, le plus sou-vent des petites exploitations pour lesquellesle découplage des aides selon la référence his-torique se traduit par des DPU/ha nettementsupérieurs à la moyenne des autres exploita-tions, et pour lesquels toute mutualisation estpar conséquent défavorable, voire fatale. Enfin,d’autres filières ne reçoivent aucune aide directeà la production...

Une mobilisation régionale importante, difficilement relayée par le nationalDans le Grand Ouest, en lien étroit avec lesréseaux d’agriculture durable et d’agrobiologie,les Conf’ départementales mobilisent contre laPAC et les choix de son application par la France.Ces collectifs revendiquent une revalorisationdes DPU pour les systèmes « herbe » (possibleselon le règlement européen par le biais d’unerégionalisation des enveloppes d’aides directes,mais qui a l’inconvénient de figer les inégalitésde répartition des aides entre régions). Une mani-festation réunit près de 2 000 paysans à Fougèresen mai 2005 et, par ricochet, accentue les ten-sions internes au sein du secrétariat national etdu comité national sur l’attitude à avoir sur l’ap-plication française de la réforme 2003. Cependant, depuis le printemps 2005, la pré-sence de la Conf’ au comité de suivi des DPU(instance de concertation dirigée par le minis-tère pour définir les règles françaises de laréforme) est plus régulière et surtout plus active.Dans un premier temps, c’est pour revendiquerque les options françaises s’inspirent de la mutua-lisation progressive appliquée en Allemagne.Puis, dans un deuxième temps, pour revendi-

11 PMTVA : Prime au maintien des vaches allaitantes. Cetteprime a pour objet de compenser la baisse du prix d’inter-vention de la viande bovine. 12 Aide Scop : Aide aux surfaces en céréales et oléoprotéagi-neux.

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quer des ajustements qui ne peuvent que res-ter à la marge car le gouvernement français aarrêté, durant l’été 2005, ses grandes orienta-tions qui se calquent sur les positions de laFNSEA : recouplage au maximum autorisé parBruxelles dans le souci de préserver le poten-tiel productif et agroexportateur français, etsurtout maintien de la référence historique,cumulant ainsi les inégalités entre régions etcelles entre paysans dans leurs effets sur lacourse au foncier.

La campagne de « contestation de la notificationindividuelle des DPU », encouragée par le natio-nal durant l’hiver 2005-2006, par référence àl’action en justice engagée par l’éleveur de Loire-Atlantique, fait beaucoup moins l’unanimité,d’une part en raison de sa complexité et, d’au-tre part et surtout, en raison de sa significationpar rapport à l’application française de la réforme2003. Cette campagne est bien reprise dans l’en-semble des départements du Grand Ouest, enparticulier dans les départements bretons, etégalement dans quelques autres départements.Elle ne suscite que peu d’intérêt ailleurs. Le même clivage interne se manifeste à nou-veau lorsqu’en Bretagne les Conf’ départemen-tales, le RAD-Civam13 et les fédérations d’agro-bio lancent, à l’automne 2006, le mouvementdes « jeûneurs » pour obtenir une revalorisa-tion des DPU pour les élevages laitiers à based’herbe. Le Secrétariat et le Comité nationalsont à nouveau partagés. Certains de leurs mem-bres sont même hostiles à ce que laConfédération paysanne nationale soutiennecette revendication, qui pourrait être satisfaiteen affectant une petite partie de la « réservenationale de DPU » pour des compléments d’ai-des plafonnés par exploitation aux systèmesherbagers laitiers. Et cela, sans modifier leschoix fondamentaux de la France (recouplagemaximal et maintien des références histori-ques).

Tensions renouvelées à propos de la reven-dication d’une autre répartition des aidesDes divergences ou des incompréhensions ana-logues s’expriment également à propos de l’adop-tion de revendications dites « intermédiaires »qu’une partie des militants de la Conf’ jugentutiles d’exprimer à l’occasion du « bilan desanté » de la PAC (2007-2008) : une autre répar-tition des aides PAC. Ses partisans considèrentqu’il ne suffit pas de dénoncer la politiqueactuelle et de revendiquer une PAC idéale : ilfaut partir de l’existant pour chercher à obte-nir des améliorations, même modestes, dans lesens d’une plus grande justice et d’une équitéentre les paysans et en faveur de l’Agriculturepaysanne. Les débats internes suscités par cettedémarche ont été longs et plutôt confus, tantsur le principe de ce type de revendication(considéré par certains comme contradictoireavec le projet d’une autre PAC) que sur soncontenu (quel niveau du plafonnement modulédes aides par actif ? ; quel taux de « bascule-ment » des aides du 1er pilier vers le second,dit développement rural ?). Des expressionspubliques divergentes ou imprécises n’ont pascontribué à la sérénité en interne ni non plusà une lisibilité des revendications de la Conf’par l’ensemble des paysans. Tardivement ren-due publique à l’automne 2006, cette revendi-cation pour une autre répartition des aides nerépondait pas vraiment aux attentes des paysans,lesquels, d’accord ou pas avec les choix de laFrance, attendaient leur chèque de DPU établiselon leur référence historique.Focalisé sur la répartition des aides, ce débat aconduit certains militants à considérer que cetterevendication ne concernait que certaines filiè-res et régions de production puisque dans leursrégions, la majorité des paysans, au demeurantles plus petits, ne reçoit quasiment pas d’aidesdu 1er pilier de la PAC. D’autre part, la visibilité de l’inégale répartitiondes aides a trop souvent occulté chez beaucoupde militants l’inégale répartition des revenus, avecet sans aides, selon les productions et la tailledes exploitations, comme ont pu le démontrerles simulations de l’Inra réalisées à l’automne2006 pour évaluer l’impact de la revendication

13 RAD : Réseau agriculture durable. Créé en 1994, il réunit26 Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieurural (Civam) de développement agricole situés dans le GrandOuest de la France.

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de la Confédération paysanne en faveur d’unerépartition plafonnée des aides PAC. Tous ces débats et tensions à propos de la « PAC2003 » révèlent en fin de compte que laConfédération paysanne, du niveau local auniveau national, engagée sur d’autres fronts(OGM et contestation du productivisme, mou-vement social...) n’a pas su ou n’a pas pu se don-ner le temps et les moyens d’analyser ces ques-tions complexes (impact des réformes par rap-port à la diversité grandissante en agriculture).Seul un débat en profondeur, pour accéder à unmême niveau de compréhension des enjeux etdes rapports de forces, lui aurait permis de dépas-ser les divergences et d’adopter des revendica-tions à la fois réalistes pour les paysans et cohé-rentes avec son projet global. Et enfin, puisqueque c’est l’objet de tout syndicat de défense pro-fessionnelle, n’a-t-elle pas su ou pu mobiliserefficacement sur ses revendications tous les pay-sans qu’elle entend défendre. Il faut cependantsouligner que, depuis quelques années, les pay-sans et leurs organisations syndicales ont le sen-timent d’être dépassés par le rythme effréné desréformes de la PAC, dont l’une succède à l’au-tre avant même que la première soit pleinementappliquée et assimilée par les paysans.

Faire face aux effets de la mondialisationlibérale dans la plupart des secteurs deproduction

Il existe une autre lecture possible : face à ladiversité croissante du milieu agricole, voireà son éclatement, n’y aurait-il pour laConfédération paysanne que la voie des com-bats plus sectoriels, c’est-à-dire par filières deproduction ? Dans cette même période, la Conf’, via ses com-missions spécialisées, a mené plusieurs com-bats, avec souvent des acquis importants maisaussi, parfois, des échecs. Plusieurs productions vivent très concrètementles conséquences des orientations néolibéralesde la politique agricole européenne. Sous l’im-pulsion du secrétariat national et en particulierde Jean-Emile Sanchez, nouveau porte-paroledepuis 2004, la Confédération nationale cher-

che à fédérer ces revendications sous le thèmeunificateur du droit au revenu des paysans.

Production laitière : garantir et répartir, une addition difficile des luttes Instaurée en 1984, la politique des quotas lai-tiers n’est pas remise en cause en 1992 par l’UElorsqu’elle amorce l’orientation de la PAC versle marché mondial, ni non plus à l’occasion dela réforme de 1999.Ce sera chose faite à l’occasion de la réforme de2003. Jusqu’alors, l’action de la Confédérationpaysanne aura été déterminante sur deux pointsessentiels : • Le rejet de la marchandisation des quotas tellequ’elle a été mise en œuvre par d’autres Etatsmembres – et considérés par l’industrie laitièreet la FNSEA comme des exemples à suivre enmatière de restructuration et d’intensificationlaitière. La Conf’ s’est donc mobilisée avec suc-cès pour maintenir une gestion administrativeet obtenir dans ce cadre une répartition desquotas en faveur des petits et moyens éleveurs.

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• Face à l’orientation libérale de la PAC, laConfédération paysanne revendique au contrairela généralisation des politiques de maîtrise desproductions avec garantie de prix et réparti-tion entre régions et entre paysans. Si ce n’estla question de la répartition des droits à produire– et, à travers elle, celle du modèle de produc-tion laitière à promouvoir –, la maîtrise de la pro-duction laitière constitue aux yeux de la Conf’une référence positive à plusieurs titres : faiblecoût budgétaire ; politique peu agressive sur lesmarchés extérieurs ; des installations nombreu-ses ; bonne image des produits laitiers et accep-tation de leur coût pour les consommateurs. Il n’empêche : la réforme de la PAC de 2003enclenche le démantèlement des quotas (dont lafin est annoncée pour 2013-2015) en démante-lant partiellement la protection communautairesur les produits laitiers. Elle instaure une aidedirecte laitière (ADL) que les industries récupè-rent immédiatement en appliquant une baissedu prix du lait payé aux producteurs. Résultat :les producteurs de lait voient disparaître l’équi-valent d’un mois de revenu ! Beaucoup de pro-ducteurs laitiers se sentent victimes d’un hold-up : près de 90 % de la production laitière est écou-lée sur le marché européen et une partie de cequi est exporté l’est en fromages, en général bienvalorisés dans les pays tiers. Avec la nécessité de réagir rapidement vis-à-visde la mise en place de l’ADL, deux visions de lamobilisation coexistent au sein de la Conf’ :- mener rapidement des actions de dénoncia-tion du « hold-up » des laiteries en allant, aurisque de poursuites judiciaires, prélever sym-boliquement des produits laitiers dans les lai-teries et les redistribuer dans des quartiers popu-laires. L’objectif est autant de s’adresser, via lesmédias, à l’ensemble de la société civile qu’auxpaysans et aux producteurs de lait ;- ou bien sensibiliser et mobiliser les produc-teurs en vue d’obtenir des laiteries le rétablis-sement du prix du lait. Cette stratégie impli-que un travail de terrain (réunions, sensibili-sation des éleveurs, explications sur la réformeet la situation des laiteries...) difficilement com-patible avec l’objectif d’une réaction rapide.Dans un premier temps (2004-2005), c’est la pre-

mière vision qui s’impose : plusieurs actionsont été conduites, en Rhône-Alpes, en Aveyron,en Normandie et dans le Nord. Des laiteriesont réagi soit par des représailles (menaces d’ar-rêt de collecte envers deux éleveurs dans leNord), soit par des poursuites pénales (enAveyron contre le porte-parole national Jean-Emile Sanchez, par ailleurs déjà poursuivi pourdes actions anti-OGM). La volonté de réprimerla Confédération paysanne est évidente, d’oùl’enjeu de mobiliser le plus largement possibleà l’occasion des procès à Rodez, puis en appelà Montpellier, pour s’opposer à la répressionsyndicale (qui détourne l’action syndicale deson objectif prioritaire, à savoir la défense durevenu des paysans).Ni en Bretagne, ni en Pays-de-Loire, grossesrégions laitières, les militants de la Conf’ ne sesont mobilisés sur ce type d’action. En revan-che, ils ont eu à faire face à des fermetures d’usi-nes laitières (Celia, puis Nazard) avec menaced’abandon des producteurs, dans un contextede marché laitier considéré comme relative-ment saturé.

Cette nouvelle donne laitière (baisse du prixet ADL) met la question du prix du lait sur ledevant de la scène. La question de la maîtrise,devient moins sensible pour les paysans.Concrètement, les lieux de décision ne sontpas les mêmes : la maîtrise se gère à l’office dulait et dans les CDOA, le prix du lait se négo-cie au sein du Cniel14, considéré à tort ou à rai-son comme un club de coquins ou de copainsréunissant les coopératives, les industriels lai-tiers et la FNPL, laquelle pratique le doublelangage et, de fait, la soumission aux intérêtsde l’industrie laitière. La décision est finalement prise de demander àentrer dans l’interprofession laitière, bien quecette stratégie ne fasse pas l’unanimité, ni ausein de la commission laitière, et encore moinsdans les autres filières de production. Devant lerefus catégorique du Cniel, son siège, la Maisondu lait est occupé pendant deux jours en février

14 Cniel : Centre national interprofessionnel de l’économielaitière (interprofession laitière).

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2005 par une centaine de militants de la Conf’accompagnés d’une vache. Le comité nationaly tient réunion. Pour signifier que la décisionrelève aussi des pouvoirs publics, le bureau duprésident du Cniel est symboliquement trans-porté devant le ministère de l’Agriculture.Cette action met en difficulté le Cniel. Mais ilne cède pas, en dépit des pressions exercéespar la Confédération paysanne, auprès de cha-cun des collèges, dans les semaines qui ontsuivi cette occupation de la Maison du lait. S’yajoute la Coordination rurale, qui cherche àprofiter du rapport de forces créé par laConfédération paysanne.

Le piège de l’ADL, une aide perçue commeprime « compensatrice » de la baisse du prixdu lait, a fonctionné auprès de la majorité deséleveurs. La Confédération paysanne n’est pasnon plus parvenue à tirer parti des tensionsentre la FNPL et la majorité des producteursde lait que cette dernière prétend représenter.La question du prix du lait suscite aussi un fortmouvement en Allemagne, où l’organisationBDM revendique dans la même période un prixde 400 €/1 000 l (alors que le prix moyen euro-péen chute de 315 à 285 €). Elle est à l’initia-tive de « grèves » de livraison du lait et suscitela création de EMB (European Milk Board), unecoordination laitière européenne. La participa-tion active de la Conf’ et de la CPE ne se ferapas parce que EMB reste uniquement focalisésur le prix, sans se préoccuper de la maîtrise,de la répartition de la production et du modèlede production.

Aviculture industrielle : la mobilisation réussie des David contre GoliathLes Etablissements Doux sont devenus à la findes années 1990 le premier groupe avicole euro-péen, spécialisé dans le poulet export vers lespays du Moyen-Orient. Depuis quelques années,face à la diminution des restitutions aux expor-tations appliquées par l’UE conformément auxaccords de l’OMC, Doux choisit de « délocali-ser » une partie de la production au Brésil, oùla main-d’œuvre et les matières premières sontmeilleur marché.

En 2002, invoquant des difficultés financières(risque de dépôt de bilan ou annonces de fer-meture des unités de production en France),Doux décide de baisser la rémunération de seséleveurs intégrés en modifiant unilatéralementles contrats d’intégration. La plupart des syndicats ou associations « mai-son » qui représentent les éleveurs intégrés accep-tent sans trop sourciller. Sauf quelques éleveurs,par ailleurs membres de la Confédération pay-sanne, qui tentent de s’organiser pour « faire res-pecter leur contrat ». Le refus méprisant de Douxà toute discussion avec ces éleveurs conduit l’und’eux à engager une action en justice. Des réu-nions d’information avec la participation d’avo-cats réunissent plusieurs dizaines d’éleveurs enBretagne et en Pays de Loire pour les encoura-ger à faire respecter leur contrat par Doux.Craignant une décision de justice défavorable,Doux demande in extremis à négocier. C’est lapreuve que les éleveurs sont dans leur droit.S’ensuit une mobilisation beaucoup plus faciledes éleveurs un peu partout en France, grâce àl’ouverture d’un Numéro vert et de nombreusesréunions des éleveurs, animées par laConfédération paysanne. Plus d’une centained’éleveurs obtiennent en justice le rétablisse-ment de leur contrat, contraignant Doux à leurreverser près d’un million d’euros. C’est une victoire incontestable de la Confé-dération paysanne qui a su, par l’intermédiairede sa commission avicole, soutenir efficacementdes éleveurs intégrés qui, le plus souvent, se sen-tent marginaux vis-à-vis des autres paysans.Complètement intégrés dans un modèle d’agri-culture industrielle, il n’est pas certain que beau-coup d’entre eux aient voté aux élections « cham-bre » en 2007, et peut-être encore moins pourla Conf’, du fait que son projet d’agriculture està l’opposé de l’élevage industriel.Cette mobilisation syndicale en faveur d’éle-veurs intégrés remet à l’ordre du jour uneréflexion sur les limites de la loi sur l’intégra-tion. Mais les propositions de la Confédérationpaysanne pour améliorer cette loi afin de mieuxprotéger les éleveurs restent sans suite auprèsdes parlementaires à l’occasion des débats surla loi d’orientation agricole.

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Viticulture : face à la crise, défendre les viticulteurs et le vin La commission viticole de la Confédérationpaysanne est vraiment relancée à la suite desjournées de la viticulture paysanne qu’elle orga-nise à Montbazillac, en août 2002. Depuis cesjournées, des militants de l’ensemble des zonesde production (Alsace, Bourgogne, Beaujolais,Midi viticole, Jura, vallée du Rhône, Bordeauxet Sud-Ouest, sauf le val de Loire) participentrégulièrement aux réunions de la commissionnationale. L’avenir s’assombrit : face au marasmeinternational que la viticulture française forte-ment exportatrice subit de plein fouet, l’Unioneuropéenne annonce un nouveau plan d’arra-chage, massif cette fois-ci, et une réforme trèslibérale de l’OCM-vins15 (extinction des droitsde plantation, libéralisation de la définition duvin et des méthodes de vinification...). Trois principaux axes de revendications vontmobiliser la Confédération paysanne à desdegrés différents selon les bassins de produc-tion et selon le statut des producteurs (caves par-ticulières ou adhérents de coopérative viticole) : • faire à face à la crise qui met en grande diffi-

culté financière les producteurs de vins de pays(VDQS16, labels) ou de qualité AOC17 intermé-diaires, le plus souvent en coopératives vitico-les. Les manifestations les plus importantes etles plus violentes ont lieu dans le Midi viticole,où les organisations traditionnelles sont rapi-dement débordées par la base. Les militants dela Conf’ décident de s’y impliquer pour tenterde désigner les vrais responsables (négoce inter-national), et proposent rapidement un Numérovert pour accueillir les viticulteurs en grandedifficulté financière avec leurs créanciers. C’estainsi que des moratoires sont négociés, au niveau local (Gard, Hérault, Dordogne...), auprèsdu Crédit agricole et de la MSA. Mais laConfédération paysanne ne parvient pas à impo-ser ce type de mesure au niveau national, c’est-à-dire pour l’ensemble des bassins de produc-tion. Cette crise viticole est aussi l’occasion derelancer un travail sur la coopération : quel par-tage de la valeur ajoutée ? quelle restructura-tion de la filière ? Concernant le programmeeuropéen d’arrachage massif du vignoble, laConf’ nuance son opposition aux principes etaux objectifs qui lui sont assignés en revendi-quant la prise en considération d’objectifs éco-logiques, économiques, sociaux et territoriaux. • défendre les AOC. L’Inao18 et le ministère del’Agriculture envisagent de faire évoluer lesAOC en deux grandes catégories : des AOC « haut de gamme » ou d’élite, et des AOC dites« simplifiées », voire génériques à leur zoned’appellation pour être soi-disant plus lisiblesà l’exportation et prédisposant leur utilisationpar des grandes marques commerciales. Laréforme vise également à introduire une certi-

15 OCM vin ou OCM viticole : Organisation commune demarché. La nouvelle OCM de la filière viticole, adoptée fin2007, est entrée en vigueur le 1er Août 2009 au niveau euro-péen.

16 VDQS : Vins délimités de qualité supérieure. La suppres-sion de cette appellation d’origine, prévue dans le cadre de latransformation de l’Inao (Institut national des appellationsd’origine), doit intervenir au 31 décembre 2011. Les VDQSconcernés devront choisir entre la dénomination vin de paysou l’AOC. Mais une nouvelle segmentation des vins françaispourrait voir le jour, en application de la nouvelle OCM vinadoptée fin 2007 à Bruxelles.17 AOC : Appellation d’origine contrôlée. Label officiel fran-çais d’indication géographique protégée qui garantit l’originede produits alimentaires traditionnels. Il est reconnu commefaisant partie des Appellations d’origine protégée européen-nes (AOP).18 Inao : Institut national des appellations d’origine.

r Manifestation au siège national du Crédit agricole, le 6 avril 2006.

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fication extérieure au syndicat d’AOC sur lesniveaux de qualité du vin et son contrôle (typelabel), ce qui dénature radicalement l’AOC. Cetaxe de travail mobilise surtout des militantsimpliqués dans leur syndicat d’AOC.• s’opposer à une réforme de l’OCM viticoled’orientation libérale et industrielle. Cetteréforme prévoit la suppression pure et simpledes droits de plantation et du cadastre viticole,l’autorisation des méthodes de vinification «artificielles » (chaptalisation, copeaux de chêne...)en vigueur dans les pays anglo-saxons. La défi-nition même du vin est en cause, qui fut acquisede haute lutte à la suite des révoltes du Midi viti-cole du début du XXe siècle contre les impor-tations de vin frelaté. Pour s’opposer à cetteréforme, la Confédération paysanne cherche àsensibiliser autant la société civile que les viti-culteurs eux-mêmes. Elle diffuse un premierdocument (Aux frontières du vin) ciblant lesenjeux de la réforme. Puis, en octobre 2006,elle lance la campagne « Contre les naufrageursdu vin ». Cette campagne innovante évoque laplace culturelle et historique du vin dans notrecivilisation ; elle est ponctuée d’initiatives for-tes. Mais elle n’a pas été à la hauteur des espé-rances. Elle a permis une véritable reconnais-sance de la Conf’, aussi bien dans la sociétécivile (artistes, restaurateurs, médias) que dansles milieux professionnels viticoles, mais sansqu’ils s’associent vraiment à cette campagne.Perçue comme trop intellectuelle et ne débou-chant pas sur des revendications concrètes, ellen’entraîne pas une forte adhésion-mobilisationdes viticulteurs eux-mêmes, y compris au seinde la Conf’. Seule la Fédération des vins natu-rels s’associera réellement à cette campagne. La réforme de l’OCM viticole sera adoptée fin2007, et le programme d’arrachage mis en appli-cation, quoi que notablement réduit à la suitedes contestations des principaux pays vitico-les et de leurs viticulteurs.

La menace de la grippe aviaire La menace de la grippe aviaire en 2004 et 2005est un pur produit de la mondialisation libé-rale. Ce constat aura cependant quelques dif-ficultés à être reconnu par les autorités sanitai-

res et par les acteurs économiques, d’abordpréoccupés de défendre leurs intérêts au détri-ment des productions fermières et de qualité.Le risque de grippe aviaire, à l’instar du sras 19

quelques années auparavant, est analysé par lesautorités sanitaires du monde entier comme unrisque potentiel majeur pour la santé humainedu fait que quelques cas de mortalité humaineobservés en Thaïlande et en Chine se révèlentdus à la consommation de poulets contaminés,le plus souvent issus d’élevages industriels.L’analogie est faite avec la grippe espagnole desannées 1920, qui fit plusieurs dizaines, voireplusieurs centaines de milliers de morts à lasuite de la mutation d’un virus de grippe aviaire. La propagation de la maladie dans les élevages,du Sud-Est asiatique vers l’Europe, est rapide-ment imputée aux oiseaux migrateurs sauvages.Ce qui conduit les autorités sanitaires à impo-ser le confinement des volailles fermières etsous signe de qualité, les seules à bénéficier deparcours à ciel ouvert. Parce que cette mesuremenace la survie de ces productions de qualitéet parce que, très vite, s’installe un doute sur laresponsabilité des oiseaux migrateurs à propa-ger cette maladie (chaque fois, la maladie serévèle dans des élevages industriels confinés, enHongrie, dans l’Ain...), des militants de laConfédération paysanne s’y opposent dans lesdépartements concernés par les mesures deconfinement. Cette mobilisation soutenue parla Conf’ nationale (qui fut la seule organisa-tion syndicale à le faire) contraint rapidementle ministère de l’Agriculture à aménager le confi-nement, puis à le lever plus tôt que prévu. Laconfirmation du bien-fondé de la revendica-tion de la Confédération paysanne sera don-née quelques mois plus tard : la propagationde la grippe aviaire vers l’Europe était due auxéchanges commerciaux entre éleveurs indus-triels de Thaïlande, de Hongrie et de France. En Thaïlande, les conséquences auront été dra-matiques pour la production fermière et fami-liale, quasi détruite au nom du risque de conta-

19 Sras : Syndrome respiratoire aigu sévère. Il s’agit de la première maladie grave et transmissible à émerger au XXIe siècle, due à un nouveau virus.

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mination par les oiseaux sauvages, et ce pourle plus grand bénéfice de quelques grosses fir-mes de l’aviculture industrielle.

La crise porcineLa crise porcine depuis 2004-2005 constitue, enrevanche, une rupture, aussi bien pour cettefilière que pour la Confédération paysanne. Depuis 2002, la droite au pouvoir lève les entra-ves environnementales à l’extension continuedes élevages porcins quelles qu’en soient lesconséquences sur la ressource en eau. En effet,depuis la fin des années 1990, notamment àtravers une circulaire ministérielle, les préfetsbretons (plus de 60 % du porc français est pro-duit en Bretagne) refusant le plus souvent lacroissance des élevages, ceux-ci « externali-saient » l’engraissement ailleurs. La levée descontraintes environnementales en 2002 relancela croissance tous azimuts de la production quiprovoque dès 2004 une crise de surproductiondont les éleveurs ne sont toujours pas sortisplus de quatre ans après. La restructurations’intensifie : concentration des élevages, inté-gration horizontale, montages sociétaires de typeindustriel et commercial, gestion financière autantqu’économique des grands élevages en lien étroitavec les groupements de producteurs...Face à cette situation, la Confédération pay-sanne continue de revendiquer la maîtrise dela production et le respect, en Bretagne, des

objectifs de reconquête de la qualité de l’eau.Mais sans être en mesure de peser face à une logi-que véritablement industrielle de concentra-tion des élevages.

La Conf’ s’implique dans le soutien aux migrants travaillant en agricultureSurtout dans le sud de la France, en produc-tions fruitière et maraîchère, les exploitations,le plus souvent parmi les plus grandes, ont lar-gement recours à l’embauche de main-d’œuvreimmigrée, employée parfois clandestinementparfois sous contrat OMI (Office des migra-tions internationales), autorisant précarité, sousrémunération et absence de droits sociaux etcollectifs. Par solidarité envers ces « frères »de condition (la plupart du temps, les immi-grés sont d’origine paysanne), mais aussi parceque ces pratiques permettent une concurrencedéloyale au détriment des petits paysans hon-nêtes avec la réglementation, plusieurs mili-tants de la Conf’ de Languedoc-Roussillon et dePaca s’impliquent dans leur défense et leur sou-tien dans les années 2002-2004. C’est le débutde la mise en place d’un réseau européen desoutien aux migrants.

Le débat sur les « petites fermes » porté au niveau européenAvec la perspective d’un nouveau Règlementeuropéen de développement rural (2e pilier dela PAC), rendu nécessaire à la suite de la réformede la PAC en juin 2003, et suite à l’abandondes CTE par la France (dont le projet de CTE« petites fermes »), la Confédération paysannetente d’agir au niveau européen en lien étroitavec la CPE. Elle impulse un séminaire euro-péen qui a lieu en octobre 2004 à Aix-en-Provence, auquel participent des représentantsdes 18 organisations membres de la CPE. Lareconnaissance spécifique des petites fermespour leurs fonctions économiques sociales etenvironnementales rallie surtout les organisa-tions paysannes du sud et de l’est de l’Unioneuropéenne. A la suite de ce séminaire, avec laCPE, la Confédération paysanne intervientauprès de la Commission européenne et duParlement pour que le Règlement européen de

r Manifestation « porc » à Rennes, en mai 2009.

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développement rural offre réellement la possi-bilité aux Etats-membres d’attribuer un sou-tien spécifique aux petites fermes.

Les agrocarburantsSous l’impulsion de la commission « grandes cul-tures », le syndicat dénonce les programmes d’in-vestissements industriels dans les agrocarburants(éthanol et diester) « poussés » par la FNSEA etses sections spécialisées (AGPM, AGPB, FOP,CGB20 au nom du développement des énergiesrenouvelables. La Conf’ argumente sur les coûts,la faible efficacité énergétique de ces filières, le ris-que de concurrence dans l’usage des terres avecles besoins alimentaires. En revanche, elle sedéclare favorable aux circuits courts de l’utilisa-tion directe des huiles végétales brutes.

ColloquesEn 2006, la Confédération paysanne organisequatre colloques, sur des questions importan-tes posées à l’agriculture et ses paysans, quiréunissent plusieurs centaines de participants.Thèmes abordés : réchauffement climatique etressource en eau ; place des agrocarburants ;quel emploi en agriculture ; avenir des agricul-tures ultramarines.

Refus d’une loi d’orientation en faveur de l’agriculture d’entrepriseEn contrepoint de la LOA de 1999 qui affir-mait la multifonctionnalité de l’agriculture (pro-duire, employer, préserver), le ministre del’Agriculture, Hervé Gaymard, met en chantierdès 2004 une nouvelle LOA pour une agricul-ture d’entreprise, dont les principales disposi-tions sont le fonds agricole, le bail cessible, ledémantèlement du contrôle des structures, etune organisation économique au service del’agroalimentaire d’exportation. Alors qu’elle a été présente et active dans laplupart des forums régionaux organisés par leministère pour prétendre écouter les attentes

des paysans, la Confédération paysanne estécartée de la plupart des groupes de travailministériels et ses revendications sont systé-matiquement ignorées. Evidemment, ses pro-positions ne vont pas dans le sens d’une agri-culture d’entreprise. Il se trouve cependantqu’elles sont proches de l’attente exprimée parles paysans et la société civile dans les débatsrégionaux. Dominique Bussereau21, qui a rem-placé Hervé Gaymard, déclare ouvertementprendre sa feuille de route à la FNSEA, et signi-fie clairement à la Confédération paysanne queson projet d’agriculture n’est pas le sien.La Conf’ subit un sort analogue à propos de la« loi rurale » (ou « loi sur le développementdes territoires ruraux ») et de la loi sur l’eau.

n La participation active aumouvement social antilibéral modifiel’image de la Confédération paysannechez les paysans

Depuis son origine, la Confédération paysanneest – et se revendique – un syndicat non cor-poratiste. Avec deux principales préoccupa-tions : prendre en compte les attentes de lasociété vis-à-vis de l’agriculture et de ses pay-sans ; rechercher les alliances nécessaires, doncde réelles convergences d’actions et de reven-dications avec d’autres forces sociales vis-à-visdes questions agricoles, alimentaires et rurales. Le démontage du McDo à Millau en août 1999peut sans doute être considéré comme unmoment charnière dans l’évolution de laConfédération paysanne, dans laquelle se super-pose à la posture « historique » d’un syndicatnon corporatiste une posture nouvelle, celled’un syndicat de plus en plus engagé dans lemouvement social et identifié comme l’un deses acteurs principaux, notamment à travers lamédiatisation de José Bové. Les mobiles initiaux de l’action contre le McDosont une revendication paysanne tout à fait sec-torielle (contre les pénalités américaines à leur

21 Dominique Bussereau a été ministre de l’Agriculture, del’alimentation, de la pêche et de la ruralité, des gouverne-ments Jean-Pierre Raffarin III et Dominique de Villepin (denovembre 2004 à mai 2007).

20 AGPM (Association générale des producteurs de maïs),AGPB (Association générale des producteurs de blé et autrescéréales), FOP (Fédération française des producteurs d’oléa-gineux et de protéagineux, CGB (Confédération générale desplanteurs de betteraves) : sections spécialisées de la FNSEA.)

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importation de roquefort prises en représaillescontre l’UE qui interdit l’importation de viandeaux hormones). Mais ses significations sontmultiples et beaucoup plus larges sur deuxplans principaux :• d’une part, sur les questions de la qualité del’alimentation (contre la malbouffe produitepar l’agriculture industrielle) et de l’enjeu d’uneagriculture qui réponde aux attentes de la société(l’Agriculture paysanne) ;• d’autre part, sur la question de la mondiali-sation néolibérale orchestrée par l’OMC, non seu-lement sur l’agriculture mais sur l’ensemble desbiens et services (santé, éducation, culture...)et les dumpings social et environnemental surlesquels cette mondialisation s’appuie pour cas-ser les acquis sociaux dans les pays dits déve-loppés.Ces deux significations sont pleinement assu-mées par la Confédération paysanne et par lecomité de soutien aux inculpés de Millau, quiréunit, pour s’opposer à la répression syndi-cale, des syndicats de salariés (la CGT, UnionSolidaires, Unsa, FSU, des fédérations minori-taires de la CFDT...), des associations de pro-tection de l’environnement (Greenpeace, Amisde la Terre...), de consommateurs (Consom-mation logement cadre de vie...), de solidaritéinternationale (Comité catholique contre la faimet pour le développement, Centre d’études etd’initiatives de solidarité internationale ...), dedéfense des droits (Ligue des Droits de L’Homme,

Droits-Devant, Droit au logement...), des mou-vements de jeunes (Mouvement rural de jeu-nesse chrétienne...), des organisations paysan-nes (Modef, Fnab...). L’action de Millau et la capacité de laConfédération paysanne à en assumer ses diver-ses significations vient après ce qu’elle avaitporté face à la crise de l’ESB et aux autres cri-ses sanitaires, et elle coexiste avec ses actionsdéterminées contre les OGM. Désormais, ausein du mouvement social, la Conf’ cristallisedes convergences du fait que le syndicalismequ’elle exprime associe de manière dynamiquela défense corporative (en l’occurrence celledes paysans) et les questions de la finalité éco-nomique et sociale de l’activité agricole. La Confédération paysanne est perçue commeun syndicat véritablement non corporatif qui,pour certains, fait référence. Et sa notoriétémédiatique fait qu’elle est de plus en plus sol-licitée pour de nombreuses mobilisations etactions, qui n’ont pas toujours un lien étroitavec la défense des paysans.

La contestation de la mondialisation libéraleouvre ainsi un nouveau champ de convergen-ces, en raison des objectifs poursuivis qui sontd’ordre « social » et implicitement « politique»(choix de société, contestation globale du néo-libéralisme et même du capitalisme, défensedes droits...), et en raison de l’ensemble despartenaires qu’elle est susceptible de réunir. A partir des années 2000, pour de multiplesraisons à la fois internes et externes au syndi-cat, la dimension syndicale et corporative dela Confédération paysanne va s’atténuer au pro-fit d’une identité « mouvement social ». LaConfédération paysanne et José Bové (mêmelorsqu’il n’est plus porte-parole) cristallisentdes mobilisations véritablement sociétales, oùles paysans se retrouvent très minoritaires (defait, ils sont aussi de moins en moins nom-breux...), mais dans lesquelles le discours et lespropositions de la Confédération paysanne fonttoujours référence pour articuler des intérêtscorporatifs et des intérêts de l’ensemble descitoyens, consommateurs, salariés, environne-mentalistes.

r « Le monde n’est pas une marchandise », Millau, 2000.

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Le rassemblement de Millau en juin 2000, àl’occasion du procès des « dix du démontage duMcDo », réunit plus de 60 000 personnes et setransforme en procès de la mondialisation libé-rale à travers l’organisation de forums où inter-viennent des militants d’un nombre très impor-tant d’organisations syndicales et associatives,de France et de différents pays du monde, ainsique de nombreux intellectuels et universitaires.Cette volonté de mobiliser le mouvement socialse renouvelle avec efficacité à l’occasion de plu-sieurs procès contre les OGM. Et la Conf’ par-ticipe activement à différents forums sociaux,de Porto Alegre à Saint-Denis, où elle animedes débats sur les questions agricoles et alimen-taires.Le rassemblement du Larzac, en août 2003,sera la plus grande réussite matérielle et poli-tique, au-delà de tout ce qui pouvait être ima-giné par la Conf ’ : en pleine canicule, laConfédération paysanne et le mouvement socialréunissent pendant deux jours, en pleine naturesur le plateau du Larzac où il faut tout instal-ler, plus de 300 000 personnes, sans qu’il y aiteu aucun incident d’aucune sorte, pour débat-tre de tous les aspects de la mondialisation libé-rale et de la manière de s’y opposer, et aussipour faire la fête avec Manu Chao et d’autresartistes. Les médias saluent non seulement laréussite de cet événement mais aussi le bras defer politique et juridique que la Confédérationpaysanne et José Bové, du fond de la prison deVilleneuve-lès-Maguelone, ont tenu face àJacques Chirac, président de la République.Cette consécration politico-sociale de laConfédération paysanne est confirmée avec l’in-vitation de José Bové à la première de la rentréede l’émission politique « 100 minutes pourconvaincre » sur A2, une émission en principeréservée aux responsables de partis politiques.La dualité syndicat et mouvement social de laConfédération paysanne se manifeste égale-ment lorsqu’elle décide de tenir son congrès enavril 2004 à Strasbourg au sein même de l’hé-micycle du Parlement européen. Elle y adopteune motion de rejet du Traité constitutionneleuropéen (TCE). C’est le début de son implica-tion dans la campagne pour le « Non au référen-

dum », à laquelle participent activement plu-sieurs leaders de la Confédération paysanne (dontJosé Bové et François Dufour) aux côtés notam-ment d’Attac, de syndicats de salariés et d’asso-ciations, et de nombreux militants politiques. Pour la majorité des militants de la Confédérationpaysanne, et dans son expression publique, lesmotivations syndicales et agricoles du refus duTCE, sans disparaître, s’effacent malgré toutderrière un refus plus global des orientationsnéolibérales et non démocratiques que l’UEveut conforter avec ce traité. Et dans ce refus,la Confédération paysanne s’exprime autant,sinon davantage, à la société tout entière qu’auxpaysans.Au terme de cette période particulièrementriche, la Confédération paysanne se vit au car-refour – ou dans la coexistence – de deux démar-ches : entre contestation globale et aménagementde la politique agricole pour la défense des pay-sans ; entre syndicat corporatif (non pas cor-poratiste) et syndicat inscrit dans le mouve-ment social.

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Il serait erroné de croire que ces coexistences,plus ou moins dynamiques, plus ou moinsconflictuelles, seraient nouvelles dans l’histoirede la Confédération paysanne et des organisa-tions dont elle est issue. Ces cœxistences ouambivalences ont toujours existé. Ainsi, les ras-semblements de Millau en 2000 et sur le pla-teau du Larzac en 2003, par leur contenu socialet politique et par la diversité sociale et cultu-relle de la mobilisation (en particulier parmiles jeunes, très nombreux), font largement écho,en particulier pour les plus anciens qui y par-ticipent, aux rassemblements du Larzac en 1973et 1974 contre l’extension du camp militaire.Celui de 1973 avait été appelé à l’initiative desPaysans-travailleurs, où Bernard Lambert avaitproclamé devant plus de 70 000 personnes queles « paysans ne seront plus jamais des Versaillais »,et que ce rassemblement était « le mariage desLip et du Larzac, des ouvriers et des paysans contrele capitalisme »... Et ces mêmes courants syn-dicaux menaient des luttes pour un prix du laitrémunérateur, pour défendre les fermiers oules producteurs intégrés contre la taxe de cores-ponsabilité laitière (avec très souvent une dif-ficulté à envisager la négociation avec l’« adver-saire »).Le défi porté à la Confédération paysanne, sielle veut rester fidèle à ses valeurs fondamen-tales, n’est-il pas dans l’équilibre ou l’articula-tion dynamique à trouver entre ces deux démar-ches, de manière à assurer le plus efficacementpossible ses missions essentielles et ce qui ladéfinit, en l’occurrence un syndicat paysan ?

n La nécessité largement partagéed’analyser le recul de la Conf’ aux élections des chambresd’agriculture de janvier 2007

Pour la plupart des syndicats départementaux(sauf à la Réunion) et au niveau national, lerésultat des élections aux chambres d’agricul-ture, qui ont lieu fin janvier 2007, et qui mesu-rent la représentativité des syndicats agricoles,est ressenti comme un échec relativement sévère :• présente dans 91 départements, la Confé-dération paysanne obtient un score national en

recul à 20,1 % (27,8 % en 2001), talonné parcelui de la Coordination rurale qui, présentedans 80 départements (contre 57 en 2001),passe de 12 % à 19,8 %. La FNSEA-JA progressede 2 points ; • son recul est plus ou moins marqué suivantles départements ; les résultats sont stationnai-res dans 5 départements et ne progressent quedans 5 autres, dont de manière très sensible àla Réunion, qui reconquiert la chambre d’agri-culture. 15 départements perdent la représen-tativité (score inférieur à 15 %) ;• aucune chambre métropolitaine n’est conquiseou reconquise, alors que c’était un objectif affi-ché et un espoir concret dans près d’une dizainede départements. Pis, la Confédération pay-sanne perd celle de Loire-Atlantique.Pourtant, la campagne de la Conf’ avait étédynamique. Depuis le congrès de Die (juin2005), le national avait en perspective cetteéchéance importante, conscient qu’il fallaitrecentrer l’expression et les actions syndicalessur les questions agricoles en exprimant avecforce les valeurs de solidarité, de partage desmoyens de production et de droit au revenupour tous les paysans. Cela n’a, semble-t-il, pasété suffisant – ou suffisamment compris – parl’ensemble des paysans.Les causes de cet échec, internes et externes ausyndicat, sont multiples. La FNSEA-JA a su mener une campagne à lafois relativement discrète et agressive (en par-ticulier contre la Conf’), obtenant du pouvoirdes mesures ponctuelles dans les semaines quiont précédé le scrutin (versement anticipé dequelques semaines des aides PAC en octobre2006, exonérations partielles de la Tipp22 surle fuel agricole...).La Coordination rurale (CR), présente dans 80départements a surtout réussi à capter les voixdes paysans traditionnellement protestatairesenvers la FNSEA (que la Confédération pay-sanne avait pu rallier dans de nombreux dépar-tements en 2001). La CR a adopté un discourscorporatiste, qui mêle à dessein de manière

22 Taxe intérieure de consommation sur les produits

pétroliers.

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ambiguë le refus des agrocarburants et desOGM, la défense de la liberté individuelle despaysans contre les contrôles administratifs etle rejet des formes d’organisation collective despaysans, ou encore la revendication d’un revenupar les prix mais sans maîtrise ni répartitionentre les paysans, et tout en défendant la répar-tition des DPU selon les références historiques. Comme cela est souligné dans Campagnes soli-daires et dans La Lettre des paysans, plusieursobservations et questions sont formulées :• Le contexte économique, social et politiqueest très différent en 2007 de ce qu’il était en2001. Lors de cette dernière élection, laConfédération paysanne bénéficiait d’une cou-verture médiatique très forte sur des préoccu-pations sociétales largement partagées vis-à-visde l’agriculture et de l’alimentation à la suitede plusieurs scandales sanitaires, dont la respon-sabilité était attribuée à l’agriculture producti-viste défendue par la FNSEA-JA. La Conf’ béné-ficiait également de la montée d’une prise deconscience nouvelle des aspects concrets de lamondialisation. En 2007, la situation est toutautre : la droite est au pouvoir et rétablit lacogestion quasi exclusive avec la FNSEA.L’agriculture productiviste est relégitimée, aumoins aux yeux des paysans (reconnaissance etsoutien publics à l’agriculture raisonnée, pro-motion des agrocarburants, mesures en faveurde l’agriculture d’entreprise, réhabilitation du« produire plus »...). La Confédération pay-sanne , qui s’y oppose, est cataloguée davan-tage comme défenseur de l’environnement etdes consommateurs que des paysans – voireaccusée de faire de la politique plutôt que de ladéfense syndicale.• Le « milieu agricole » ou le « monde paysan »subit des mutations sociologiques et idéologi-ques que les militants de la Conf’ vivent per-sonnellement, sans en avoir, peut-être, forcé-ment perçu tous les aspects chez les autres pay-sans. Les générations qui arrivent à la retraitesont venues plus ou moins spontanément ausyndicalisme dans les années 1960 et 1970(effets de la Jac et des idées de mai 1968). Ellesont été fortement influencées par des idéauxde promotion sociale et de solidarité collectives.

Cela explique sans doute le bon résultat deslistes Confédération paysanne dans le collège« exploitants-retraités ». Il n’en est plus demême pour les nouvelles générations qui, àcause des enseignements dispensés dans lesécoles d’agriculture et des valeurs dominantesvéhiculées par les conseils agricoles plus oumoins liés à l’agroalimentaire, « cultivent »davantage la compétition individuelle. Larecherche de solutions individuelles, voire uncertain individualisme, supplantent souventles valeurs de solidarité et d’action collective.Le corporatisme, mis en accusation à la findes années 1990, a aussi repris de la force faceaux enjeux environnementaux, expliqués tropsouvent par la FNSEA et surtout par laCoordination rurale, comme une agression dela société envers les paysans et comme descontraintes et des contrôles administratifsinsupportables. En outre, la restructurationcontinue de l’agriculture (que la LOA de 2005cherche à renforcer en faveur d’une agricul-ture industrielle) s’accompagne d’une diversi-fication croissante des types d’exploitation etde production et, par conséquent, des maniè-res d’être paysan aujourd’hui. Il est de plus enplus difficile de s’adresser à tous et de manièreà ce que tous les paysans se sentent concrète-ment défendus ou reconnus avec les mêmesrevendications.

Dès le lendemain des élections, l’accent est missur l’avenir du syndicat : il faut reconstruireensemble réaffirmant l’essence même du syn-dicat : la défence des paysans. Le congrès duMans, en mai 2007, décide notamment de met-tre l’accent sur la dynamique syndicale : cam-pagne d’adhésions et formation de nouveauxmilitants. l

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Naissance du Réseau semences paysannes

Par Guy Kastler producteur fermier en lait de brebis dans l’Hérault ; membre

de la commission OGM et responsable du Réseau semences paysannes*

Lorsque le Réseau semences paysannes naîten 2003 à l’occasion des « rencontres

d’Auzeville » près de Toulouse, les semencespaysannes 1 n’ont aucune existence reconnue.

Une urgence réglementaire liée à la bioL’organisation des rencontres d’Auzeville enfévrier 2003 veut d’abord répondre à uneurgence : fin 2002, à l’occasion du renfor-cement de l’obligation d’utiliser des semen-ces biologiques, l’Europe est sur le pointd’adopter une réglementation n’autorisanten agriculture biologique que les semencescommerciales certifiées ou inscrites au cata-logue officiel. Or :- de nombreux agriculteurs bio utilisent dessemences paysannes de variétés locale outraditionnelle. Ils re-sèment leur récolte oucelle de leur voisin 2 ;- très peu de semences et de plants bio sontdisponibles sur le marché. La plupart ontété sélectionnés pour les intrants chimiquespuis multipliés une année en bio, et sontrarement adaptés aux agricultures bio etpaysannes ;- les agriculteurs bio ont besoin d’une mul-titude de variétés adaptées à leur sol et auclimat.Les droits fondamentaux des paysans350 personnes venues de tous les conti-

nents, en majorité paysannes et paysans, sesont réunies à Auzeville et ont montré queles semences paysannes dépassent large-ment le cadre de la bio et qu’elles sont incon-tournables au développement d’agricultu-res paysannes modernes en France, maisaussi dans d’autres pays du monde. Au-delà des échanges de savoir-faire tech-niques, il est question du droit fondamen-tal du paysan à ressemer et à échanger legrain récolté, du droit à choisir le type d’agri-culture qu’on veut pratiquer, d’autonomiesemencière paysanne pour faire face auxOGM, de débats scientifiques sur le vivant,de débats juridiques et éthiques contre laconfiscation des semences et du vivant parles Droits de propriété intellectuelle (COV3

et brevets) et pour la souveraineté alimen-taire des peuples...

Ne plus se cacher, mettre ladésobéissance légitime en réseauDepuis, quelle que soit la loi, les paysansqui font leurs semences ont décidé de neplus se cacher. Ils revendiquent collective-ment au grand jour des pratiques héritéesde plusieurs millénaires d’agriculture et por-teuses d’avenir. C’est pour assumer et orga-niser cette désobéissance légitime que leRéseau semences paysannes (RSP) s’estdonné une structure formelle en France en2003, et multiplie depuis les échanges auxniveaux européen et mondial. Parce que la semence n’est pas une préoc-cupation uniquement paysanne, le RSPregroupe des syndicats paysans et des orga-nisations d’agriculture biologique nationa-

1 En français, il existe deux termes qui ne font qu’un dansles textes internationaux (Farm Seeds) : semences pay-sannes (semences sélectionnées, conservées et reprodui-tes à la ferme par des paysans) et semences de ferme(semences reproduites à la ferme à partir de semencescommerciales sélectionnées par des obtenteurs). 2 Lire l’enquête réalisée par Maria Carrascossa en 2003sur les expériences et savoir-faire « Semences paysannes,biologiques et biodynamiques » dans les campagnes fran-çaises. www.semencespaysannes.org 3 Certificat d’obtention végétale.

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les ou locales, des organisations spécialisées,des associations et des artisans semenciers oudes pépiniéristes, des paysans, des jardiniers,des associations de développement, des ONG,des collectivités territoriales et des associa-tions de conservation de la biodiversité. Cettemise en réseau est le fruit d’un travail initiéau sein de la CNDSF par la Confédérationpaysanne et des organisations de l’agricul-ture biologique, et accompagné depuis ledébut par une fondation, la FPH4.La gouvernance en réseau qui en découlese fait au rythme de la construction deconsensus entre les organisations membresfondatrices et les actrices et acteurs de ter-rain, et n’est pas soumise en permanence àla sanction excluante du vote majoritaire.

Les missions du réseauLes actions du RSP s’articulent autour :- du développement et de la mise en réseaudes initiatives innovantes de gestion dyna-mique de la biodiversité cultivée et de sélec-tion mutualiste dans les champs et les jar-dins. Echanges de savoir-faire, formations,conférences, publications, programmes derecherche et de sélection participatives, bour-ses aux semences... se matérialisent aujourd’huidans la naissance partout en France de « mai-sons paysannes de la semence » ; - de la reconnaissance juridique, scientifiqueet institutionnelle des semences paysannes :plaidoyers et négociations aux niveaux natio-nal, européen et mondial, en lien avec ViaCampesina, IFOAM5 et le Comité Inter-national pour la souveraineté alimentaire6.

L’action mondiale pour la reconnaissancedes droits des agriculteurs, définis dans leTraité international sur les ressources phy-togénétiques, s’est traduite en France par lereport sine die du vote de la loi devant ren-forcer les droits des obtenteurs ;- de la mise en réseau au niveau internatio-nal. Lancée en 2005 à Poitiers par le RSP etla CNDSF, les rencontres « Libérons la diver-sité » réunissent chaque année, dans un payseuropéen différent, les défenseurs de semen-ces paysannes et fermières. l

* Avec Sophie Chapelle, journalisteindépendante, coordinatrice de l’ouvrageCultivons la biodiversité : semences paysannesen réseau, publié par RSP.

Pour en savoir plus : www.semencespaysannes.org

4 Fondation Charles-Léopold Mayer pour le progrès del’homme (anciennement Fondation pour le Progrès del’Homme, d’où son sigle).5 IFOAM : International Foundation for OrganicAgriculture. Organisation mondiale de l’agriculture bio-logique. 6 le Comité international pour la souveraineté alimentaireregroupe auprès de la FAO les organisations mondialesde petits agriculteurs, pêcheurs, peuples pastoraux etpeuples indigènes et quelques ONG comme Grain, ETC-Group ou les Amis de la Terre.

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Les faitsLe 2 septembre 2004 à Saussignac (24)Gérard Dubiau tire à bout portant avec unfusil de chasse sur deux inspecteurs du tra-vail, Sylvie Trimouille, de la direction dépar-tementale de l’Agriculture (DDA), et DanielBuffiére, de la Mutualité sociale agricole(MSA), lors d’un contrôle de routine pen-dant la récolte des prunes. Les deux inspec-teurs sont morts, le forcené tente de se don-ner la mort... mais se « rate » ! Le meurtrieravait été militaire puis agent immobilieravant d’acheter une exploitation en Dordogne.Il avait déjà eu des poursuites de l’inspec-tion du travail lors d’une précédente affaire.Son exploitation était en liquidation judi-ciaire, bien que lui-même ne soit pas en dif-ficulté financière. On le savait très dépres-sif : son affaire ne marchait pas, plusieursprojets de reprise de son exploitation avaientéchoué, son associé était parti avec sa fille...

Les réactions à chaudLes collègues des victimes en Dordogne(MSA et DDA) et à l’échelon national sonttrès choqués. La mobilisation est immédiate.Dans un tract unitaire, toutes les unionsdépartementales CGT, FO, CFDT, CGC,FSU, Sud appellent à un rassemblement àPérigueux à la mémoire de leurs collègues.Dans le monde paysan, les réactions sonttrès contrastées :- la Coordination rurale, majoritaire en Lot-et-Garonne, département limitrophe, lanceimmédiatement une campagne sur le thème :cet homme est un véritable héros, il a fait ce

que nous devrions tous faire vis-à-vis descontrôles... Plus tard la CR placarde un affi-che : « Contrôles = Inquisition » ;- le scandale vient ensuite du communiquécommun, chambre d’agriculture, FDSEA,CDJA qui, après une phrase de condoléan-ces aux familles des victimes (pas à leurscollègues), dénonce les contrôles alors queles agriculteurs sont dans une situation dif-ficile. Ce communiqué « maladroit » va créerune rupture qui persiste encore aujourd’huientre les salariés de l’administration et lesreprésentants agricoles FDSEA, CDJA ; - la Confédération paysanne, après une largeconsultation des militants, fait un commu-niqué très court, adressant ses condoléan-ces aux familles des victimes, sa solidaritéavec leurs collègues de travail et dénonçantles violences physiques. La Conf’ annoncequ’elle tiendra sa place dans le débat à venirentre les personnes concernées par ce drame. Nous sommes en période d’ensilage et lesrepas de chantier donnent lieu à de vifs débatsentre ceux qui se félicitent de cet assassinat(les plus nombreux) et ceux qui le dénon-cent et craignent l’image déplorable que les pay-sans donnent, une fois encore, au regard dela société (des sauvages, le fusil à la main...)

Les obsèques des deux victimesLes obsèques rassemblent une foule impres-sionnante. Quatre ministres (Gaymard, Borloo,Larcher, de Saint-Cernin) sont présents.Gaymard fait une intervention remarquable :il affirme « La nécessité d’une inspection dutravail qui, depuis cent vingt ans, participe au

Double assassinat à Saussignac ou comment un fait divers est devenu une affaire syndicale

qui a mobilisé la Conf’ et l’ensemble de la Dordogne

Par Jacques Chèvre éleveur caprin en Dordogne, responsable de la Commission nationale

caprine de la Conf’ de 1993 à 2007 et siège à l’ONILAIT de 1995 à 2008

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progrès social et à l’amélioration des conditionsde travail et d’emploi... le droit du travail doitpouvoir s’appliquer et son application doit êtrecontrôlée dans le cadre des lois de laRépublique... ». Les salariés se félicitent de cesbelles paroles, mais regrettent qu’elles soientcontredites par l’action du gouvernement.Sur la petite place de l’église d’Azerat, il y ad’un côté les représentants de l’administrationet de l’Etat et, en face, les représentants desagriculteurs. Les premiers se concertent ; ledirecteur de la DDA traverse la place et vientserrer la main des représentants de la Conf’,ignorant ostensiblement tous les autres. Dans les jours suivants, nous faisons uncommuniqué sur le fond où nous propo-sons les pistes de travail suivantes : - reconnaître la responsabilité de l’ensembledu monde agricole (coopératives, chambre,syndicats, administration) dans l’isolementdes paysans en difficulté et y remédier ;- dénoncer la politique agricole qui génèrela misère dans les campagnes ; - débattre sur la forme des contrôles - sansremise en cause systématique sur le fond,surtout quand il s’agit du droit du travail ; - nécessité d’une concertation entre l’admi-nistration et les paysans ; - solidarité avec les salariés qui effectuentdes missions de service public, et obligationde leur côté d’être respectueux du travaildes paysans ; - condamnation claire de ceux qui se félici-tent de ce drame ; - confiance dans la justice pour juger l’au-teur du crime.Ce texte a permis d’organiser un débat (trèstendu) en session de la chambre ; il a poséles bases du travail avec l’administration etles syndicats de salariés.

Concertation sur les contrôlesLa concertation est menée sur plusieursniveaux. Les syndicats de salariés ont euplusieurs réunions de concertation avec leurdirection pour assurer leur sécurité dans

l’exercice de leurs missions. Ils nous tiennentau courant de ces débats. Ces contacts confir-ment que les représentants du syndicalismemajoritaire se sont disqualifiés aux yeux del’administration, et le préfet craint que cetteaffaire ne fasse le lit d’une extrême droiteagricole. La Conf’ engage une série de rencontres avecles salariés. Dans un communiqué, les syn-dicats de salariés « considèrent avec le plusgrand intérêt la démarche de ce syndicat(Confédération paysanne) dont la volonté declarté et la franchise du discours contribuent àinstaller un dialogue constructif qu’il convientde pérenniser »... Ces rencontres permettentde confronter les problèmes de chaque par-tie. Un contrôleur de la Direction des servi-ces vétérinaires, très apprécié pour son « humanité », nous dit : « Pour moi, monmétier est d’être comme un moniteur d’auto-école chargé d’apprendre la réglementation ;maintenant on me demande d’être comme lesflics au bord de la route, qui se contentent de dis-tribuer des procès-verbaux.» Le résultat le plusvisible de ces échanges sera présenté lorsd’une rencontre en mars 2005 à la DDA.La DDA, à partir du rapport Coperci 1 surl’amélioration des contrôles dans les exploi-tations agricoles, lance le projet d’une chartedes contrôles et insiste sur la fonction péda-gogique des contrôles à l’avenir. Des déci-sions concrètes sortiront de ce travail :- pas plus d’un contrôle par an sur des objetssemblables dans la même exploitation ;- pas de contrôle surprise, sauf pour la main-d’œuvre ;- possibilités de recours auprès de la DDA ;- organisation de réunion de bilan des contrô-les par la DDA en présence des contrôleurs ;Malheureusement, la création d’une com-mission paritaire chargée d’étudier les litiges

1 Coperci : Comité permanent de coordination des ins-pections. Il regroupe l’inspection générale de l’adminis-tration, l’inspection générale de l’Agriculture, le conseilgénéral du génie rural des eaux et forêts et le conseil géné-ral vétérinaire.

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entre l’administration et les agriculteurs estfinalement refusée.

Le procès du meurtrierLe procès du meurtrier a été repoussé en mars2007, après les élections aux chambres d’agri-culture. Gérard Filoche (inspecteur du tra-vail, animateur du courant Démocratie etSocialisme au PS et membre de la CGT) apublié un livre sur l’affaire : On achève bienles inspecteurs du travail, qui explique la mobi-lisation nationale « unitaire » des inspecteursdu travail. Leur inquiétude est grande faceaux attaques du pouvoir libéral contre le droitdu travail (cf. la phrase de Laurence Parisot,présidente du Medef : « La liberté de pensers’arrête là où commence le droit du travail »)...L’Etat prépare une réforme du droit du tra-vail qui « détricote » tous les acquis sociaux.Le nombre des inspecteurs doit être réduit,alors qu’ils sont déjà en nombre très faible.Ils ont l’impression de n’être ni reconnus nisoutenus par leur hiérarchie.Les syndicats annoncent une mobilisationunitaire pendant toute la durée du procès(une semaine) sur le thème : La loi, pas laviolence ; le droit, pas la jungle.Gérard Filoche est présent toute la semaine ;Gérard Aschieri (FSU) fait une apparition trèsmédiatisée, la CGT a envoyé une secrétairenationale...La presse nationale est là, elle suit les forumsen marge du procès. La Conf’ 24, qui a été bat-tue aux élections chambres, se mobilise avecune position claire : « Ce procès doit être celuid’un meurtrier, il ne doit être ni celui des agentsde la fonction publique, ni celui du monde pay-san. » Elle participe aux différents rassem-blements qui accompagnent le procès. Saposition est rendue difficile par les relationsdétestables entre les représentants des diffé-rents syndicats des inspecteurs du travail.Toutes nos interventions doivent être négo-ciées. La Confédération paysanne organisemalgré tout, comme prévu, une conférencede presse avec la CGT sur la position du

monde paysan à propos de l’affaire deSaussignac, sur le développement de l’agri-culture en Dordogne, ainsi que sur le travailconvergent engagé (avec la CGT) concernantplusieurs dossiers... « au moment où on risquede montrer du doigt l’ensemble des agriculteurs,il est souhaitable de mettre en évidence des pra-tiques et des orientations différentes dans cesecteur d’activité ». Cette conférence a été lar-gement relatée dans la presse, qui cherchaiten vain une prise de position des paysans surce procès. Malheureusement, elle a beaucoupperturbé les autres syndicats de salariés quinous ont reproché notre copinage avec laCGT !

Le bilan syndicalCette mobilisation a été menée par une petiteéquipe en Dordogne, en liaison permanenteavec le national. Ces prises de positions ontété débattues dans le syndicat, mais ellesont toujours été consensuelles dans le dépar-tement.La Confédération paysanne a affirmé danscette affaire qu’elle n’était pas un syndicat cor-poratiste. Cette position a permis des échan-ges fructueux avec les salariés et l’adminis-tration. Elle nous a donné une crédibilitédépartementale reconnue par tous.Qu’en est-il vis-à-vis des paysans ? Plusieursobservateurs du monde rural nous ont ditque notre position avait contribué (entreautres !) à notre échec aux élections cham-bre. Nous aurions donné l’image d’un syn-dicat « pour » les contrôles, du côté descontrôleurs...Les résultats quant à « l’amélioration » descontrôles sont très décevants et les conten-tieux entre les paysans et l’administrationtoujours aussi nombreux.La « haine » des paysans contre tout ce quiest contrôle sur leur travail n’a pas diminuéet continue de faire le miel de la Coordinationrurale.Une bataille perdue ? Peut-être, mais si c’étaità refaire, aucun d’entre nous n’hésiterait. l

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Trente hectares de maïs transgénique sontsemés en Maine-et-Loire au printemps

2007. La coopérative Terrana impose lesOGM en Anjou. C’est sa branche semen-cière qui pilote l’opération. Ce n’est pas uneexpérimentation, mais bien une productionde semences GM sur 30 ha chez des pay-sans répartis sur cinq cantons. Très juteuse,la branche semences de maïs de Terrena esten fait la quasi-propriété des firmes semen-cières avec qui elle contractualise.

Chronologie des événements 2007-2008En juillet 2007, Terrena communique dansla presse sur l’expérimentation (après publi-cation, le 4 juillet, des sufaces ensemencéesdans les communes concernées ). Réactionimmédiate et commune de la Confédérationpaysanne du Gab et de Civam 49, qui infor-ment tous les citoyens des cantons concer-nés et les appellent à réagir auprès du Servicerégional de la protection des végétaux (SRPV).Fin juillet 2007, le Collectif 49 (regroupant14 organisations) rencontre Terrena à Angers.La Conf’ démonte l’argument expérimenta-tion point par point et déclare que Terranaa pris en otage tous ses adhérents. Les res-ponsables de Terrena ne sont pas habituésà partager sur le sujet et s’étonnent de notreconnaissance du dossier semences, expéri-mentation et OGM.En août 2007, la Confédération paysanne etle Gab sont moteurs dans la construction d’uneinter-régionale sans OGM (les collectifs desPays de Loire, Poitou-Charentes, Centre).La réponse à une coopérative multirégio-nale, c’est une inter-régionale comme inter-locuteur. Les membres de l’inter-régionale

sont souverains de leurs actions, rendentcompte à l’inter-régionale qui est solidaire,et qui organise et anime la réflexion. Dans la foulée, la Confédération paysannePays de Loire veut s’adresser aux adhérentsde la coopérative. Elle manifeste au siège àAncenis et rencontre le conseil d’adminis-tration de Terrena. Celui-ci refuse la des-truction des parcelles et veut récolter, pré-textant l’expérimentation, mais avoue ensuiteque la coopérative n’a pas la main et que lemaïs est la propriété des semenciers. Le conseil est mis en garde de cette déci-sion. La rupture est proche, les manifestantsmécontents. Pourtant, la volonté de laConfédération paysanne Pays de Loire est degarder le contact avec le conseil d’adminis-tration et d’œuvrer en direction de tous lesadhérents : la coopérative a décidé sans leuravis sur un tel sujet !Fin août 2007 : La Confédération paysannefête ses 20 ans dans l’Aubrac, loin de Terrenaqui aurait pu nous gâcher la fête, mais nousrevenons plus gonflés que jamais. En sep-tembre, l’inter-régionale « anti-OGM » ren-contre le bureau de Terrena et veut lui fairesentir sa détermination. La Confédérationpaysanne sent la pression efficace et pro-pose que la récolte soit mise sous scellés.Terrena accepte. Les jeux de rôle ont bien fonctionné durantces rencontres permettant à l’inter-régionalede se montrer déterminée, à la Confédérationpaysanne d’être en phase avec les paysansabusés. Désormais, les modes d’action desdifférents partenaires vont se radicaliser, laconsignation de la récolte n’est qu’une demi-réussite.

Terrena, une coopérative confrontée au débat sur les OGM

par Etienne Heulin producteur de lait de chèvre en Maine et Loire,

porte-parole de la Confédération paysanne de son département

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Le 8 septembre 2007 a lieu un premier fau-chage de 11 ha par les Faucheurs volontaires. Le 15 septembre 2007, une grande mani-festation de l’Ouest, à Angers, réunit plusde 2 000 personnes qui écoutent JacquesPasquier (Confédération paysanne natio-nale) et Christian Velot (chercheur).La bataille de l’opinion est en marche, Terrenaa trop de « surface » sur la région pour igno-rer le risque d’une « contamination » à sesadhérents, clients, fournisseurs. L’inter-régionale multiplie les actions versles citoyens et évoque le boycott des mar-ques Terrena, sans le décider néanmoins.La Confédération paysanne rappelle sonsoutien aux organisations de l’inter-régio-nale, mais n’appelle pas au boycott, qui signi-fierait le point de rupture avec les produc-teurs-adhérents : c’est avec eux, qui fontpartie de ceux qui ont été abusés, qu’il fautgagner la bataille.Le 19 septembre 2007, la FDSEA-49 demandepubliquement la poursuite des « essais » et lapunition des faucheurs ! Terrena évoque auxanimateurs de l’inter-régionale la possibilitéd’une descente commando proGM, à Mûrs-Erigné, au siège de la Confédération paysanne-49... La récolte approche, la tension monte.Fin octobre 2007, Terrena annonce une grandeconsultation de ses adhérents – et eux seuls– dans l’ensemble de ses secteurs (35 réu-nions prévues durant l’hiver), avec diffusionpréalable d’un questionnaire sur l’attitudeque la coopérative doit avoir sur les OGM.Début novembre 2007, Terrena procède àla récole des 8 ha et à sa consignation contrô-lée par l’inter-régionale Le 9 novembre 2007 a lieu une rencontretripartite entre l’inter-régionale, Terrena etle conseil régional. La Confédération pay-sanne reste le trait d’union indispensable àla reprise du dialogue.Terrena demande une condamnation desfaucheurs (impossible), mais redoute l’im-pact économique que pourrait avoir uneaffaire qui dure et qui prend du poids dans

les discussions nationales du Grenelle del’environnement. La coopérative comprendaussi que la Confédération paysanne estentendue par une grande partie des paysans,parce que la Conf’ communique sur les filiè-res de qualité. Terrena veut reprendre lamain en organisant des débats participatifs(hélas, postérieurs aux décisions de semerOGM !). De son côté, l’inter-régionale faitcomprendre que les politiques, la rue, lesconsommateurs veulent une Terrana sansOGM, dans ses produits vendus, achetés,rétrocédés. Au cours de ce même mois, la Confédérationpaysanne communique vers tous les pay-sans, adhérents ou non de la coopérative,afin de préparer les débats organisés parTerrena, qui ont lieu en décembre et en jan-vier, avec les interventions de chercheurs, dereprésentants d’ONG, de paysans, de consom-mateurs et d’élus. Fin janvier 2008, les résultats de la consul-tation tombent : 79 % des adhérents se décla-rent non favorables aux OGM dans leurferme.Terrena va pouvoir rebondir sur le dévelop-pement durable... et l’écologie intensive ?Au printemps 2008, la loi passe, les OGMsont rangés, mais attention, « les semencesmutées » arrivent !

Tout au long de cette action, les paysansde la Confédération paysanne ont été cré-dibles tant à l’intérieur de l’inter-régionalequ’auprès de Terrena, avec l’aide précieusedes animateurs de tous les réseaux, car ilssont le lien indispensable et reconnu avecles organisations agricoles sur le choixd’agriculture, et le lien également avec lesréseaux citoyens.La diversité des paysans présents dans l’in-ter-régionale (non bio, bio, adhérents coop,apiculteurs, semenciers) a été détermi-nante pour garder le contact avec les admi-nistrateurs et les adhérents de la coopéra-tive. l

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Espagne : c’est en 2000 qu’est révélée lasituation explosive créée dans la zoned’Almeria et d’El Ejido. Les effets perversde la concentration de milliers d’hectaresde serres et, par voie de conséquence, laconcentration de dizaines de milliers de tra-vailleurs agricoles (saisonniers migrantspour la plupart d’entre eux), jusque-là main-tenus dans l’opacité, éclatent au grand jour.A la suite d’un grave fait divers (assassinatd’une jeune fille par un travailleur maro-cain), se déclenche une furie raciste et meur-trière qui durera trois jours, mettant à sactoutes les installations des travailleurs sai-sonniers. Ces événements permettent, outreune couverture médiatique importante, dequestionner le modèle agricole intensif etconcentrationnaire.

France : fin 2002 se crée le Collectif dedéfense des travailleurs saisonniers en agri-culture (Codetras) dans les Bouches-du-Rhône où se concentre une forte propor-tion d’exploitations de maraîchage et defruits et où s’exerce un intense lobbying, dela FDSEA en particulier, pour obtenir des« facilités » concernant l’embauche et le trai-tement de saisonniers agricoles. Le contrat« saisonnier » est identifié comme un ins-trument de dérégulation du droit du travailet d’érosion des droits des travailleurs. Troisprincipaux axes de travail sont actés par lesmembres du collectif : dénonciation et témoi-gnage public, rétablissement de l’état dedroit, recherche et diffusion d’informationssur le fonctionnement du système.

Italie : été 2003. Les membres de Médecinssans frontières (MSF) sont au contact de la

dramatique réalité de la province de Foggia.Fin 2003 et en 2004, MSF ausculte et inter-viewe 770 personnes (sur un total estimé à12 000 travailleurs saisonniers immigrés,employés dans l’agriculture du sud de l’Italie) :aucun des étrangers rencontrés n’a le contratde travail pour les saisonniers immigrésemployés dans l’agriculture prévu par la loi.Le rapport de MSF contribue à mettre aujour les pratiques scandaleuses de certainsproducteurs et révèle l’existence de campsde concentration de travailleurs saisonniersainsi que les disparitions par assassinat denombre d’entre eux.

Fin 2003, la Confédération paysanne lanceun groupe de travail interne sur la ques-tion du salariat agricole et des migrationset produit une première « valise pédago-gique », outil synthétisant les travaux pré-cités et compilant plusieurs articles depresse. Il faut se souvenir qu’il n’y a pas destructure syndicale dédiée aux travailleurssaisonniers en agriculture en France et quela seule organisation, membre de la ViaCampesina, à avoir développé une prati-que syndicale avec ces populations est leSOC (Sindicato de Obreros del Campo),en Andalousie, dans des conditions de tra-vail particulièrement difficiles. En initiantune telle démarche, la Confédération pay-sanne n’entend pas se substituer au syndi-calisme ouvrier. Il s’agit, en participantaux travaux collectifs, de pousser le coinsocial pour fissurer le tronc anti-social dela PAC, et de tenter de globaliser la réflexionet les travaux au sein du réseau paysan dela CPE.

Travailleurs saisonniers en agriculture

Par Nicolas Duntze viticulteur dans le Gard ; secrétaire national

puis porte-parole national de 2001 à 2004

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Septembre 2004 : assassinat à Saussignac(Dordogne) de deux inspecteurs du travailpar un exploitant agricole, suivi d’un « silenced’Etat » assourdissant laissant présager unsombre avenir pour la liberté d’exercer lemétier d’inspecteur du travail, qui est defaire respecter les lois du travail.

Juillet 2005 : Grève de 240 ouvriers sai-sonniers marocains sous contrats OMI, àl’entreprise SEDAC (1 800 ha dont 1 000en vergers, dans les Bouches-du-Rhône)pour exiger le paiement d’arriérés de salai-res et protester contre les conditions de tra-vail et d’hébergement. Ils obtiennent par-tiellement gain de cause (salaires et indem-nités), l’Etat se substituant aux devoirs dupatron pour le logement et obtiennent l’en-gagement préfectoral de garantie de leurretour prioritaire et la non autorisation deprimo contrats pour la saison suivante. Cetengagement ne sera pas tenu.

Pour beaucoup, il ne coule pas de source quela Confédération paysanne, syndicat patro-nal dans la distribution institutionnelle desrôles, se préoccupe d’autres catégories d’em-ploi au même titre que de l’emploi paysan.

Il faut rappeler quelques évidences... L’un des effets spectaculaires des différen-tes politiques agricoles est la diminutiondrastique des membres de la paysanneriefrançaise, dont la proportion dans la sociétése réduit aujourd’hui à 3 %. Dans le mêmetemps, l’emploi salarié agricole dans lesexploitations, sous toutes ses formes contrac-tuelles y compris les pires, tend à sinon aug-menter du moins à se stabiliser sans qu’évo-luent positivement et de façon notable lesqualifications. Par ailleurs la constitution, enEurope, à grand renfort d’argent public, debassins de production très concentrés, indus-trialisés et spécialisés, nécessite la présenced’un nombre important de travailleurs agri-

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r Manifestation à Almeria, le 2 décembre 2005. (photo : B. Zaccaria)

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coles saisonniers. Ce système organise ladésertification de milliers d’hectares sur leterritoire européen, la disparition de mil-lions de fermes en Europe et l’éradicationde la population paysanne, qui se retrouvepour partie acculée à migrer pour vendre saforce de travail dans lesdits bassins de pro-duction (il est aujourd’hui de notoriété publi-que que se retrouve dans ces bassins uneproportion de plus en plus importante depersonnes issues des pays nouvellemententrés dans l’Europe).

Ainsi, le statut de paysan évolue-t-il, pourla majorité d’entre nous, vers un statut pré-caire. C’est donc, dans un premier temps,la perception de ce glissement de statut quinous amène à prendre en compte des besoinsnouveaux et des revendications « décorpo-ratisées ».

Enrichir la critique des politiquesagricoles Il semblait aussi aux initiateurs du travailqu’il manquait un lieu collectif dans les cri-tiques de la politique agricole commune oùseraient abordées clairement les attaquesdes droits des paysans comme ceux des tra-vailleurs de la terre, salariés, migrants, avecou sans papiers. Un lieu où puissent conver-ger des intérêts, se mettre en forme des reven-dications et des actions communes. En effet,si dans les critiques des politiques agricoleslibérales, une place importante et légitimeest faite aux aspects environnementaux et auxquestions qui touchent les consommateurs,l’aspect social aurait tendance à se limiteraux lamentations sur la disparition massivedes paysans, aux revendications concernantle rééquilibrage des fonds publics vers lespetites fermes et plus récemment vers lesterritoires.

Partant de ce constat, nous sommes obligésd’amplifier le travail déjà entamé en diver-ses régions d’Europe tant par des syndica-

listes que par des associations ou des collec-tifs, qui tentent de rendre visibles les situa-tions vécues par celles et ceux qui sontréduits au salariat saisonnier, qu’il s’agissede locaux, ou, le plus souvent, de migrants.Si de nombreuses études et expériences ontlargement démontré que l’agriculture indus-trielle promue par les capitaines d’entrepriseau pouvoir ne pouvait survivre que « grâce »à l’exploitation d’une main-d’œuvre surex-ploitée, flexible, « étrangère », recrutée surun marché international du travail dérégulé,peu d’initiatives européennes communesont été prises pour actionner ce coin social,afin de fissurer la logique de la politiqueagricole.

Il semble aussi qu’il est de la responsabilitéde paysans, promoteurs d’une autre façonde faire de l’agriculture, de rappeler au réseaumilitant comme au corps social quelquesévidences d’agronomie qui puissent étayernotre désir politique de relocalisation et notrerefus de la perte des savoir-faire paysans. Lapersistance des appellations « saisonnier »,« contrats saisonniers »..., dans l’agricul-ture intensive ou industrielle, repose sur unénorme bluff, une perversion sémantiquenée de l’éradication de millions de fermes etdont l’acceptation par le corps social résultedu gommage de pans entiers de la mémoirecollective. La saison ne représente plus, dansle cas de ce forçage industriel des cultures,de période précise (cueillette, taille...). Ellen’est plus bordée par les contraintes clima-tiques et/ou pédologiques. Elle correspondsimplement à la période, la plus longue pos-sible, pendant laquelle un employeur espèreprofiter d’une force de travail docile, malléa-ble et bon marché. La saison s’est annuali-sée, aboutissement du rêve totalitaire duproductivisme et des capitaines d’industrie :la soumission des lois naturelles aux « règles »du marché.Elle reste l’alibi de l’érosion des droits destravailleurs dans le champ de l’agriculture.

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Choisir son campEnfin, hormis le simple affichage de la soli-darité et pour sortir de la seule posture œcu-ménique, il faut réaffirmer que le rôle des syn-dicalistes est d’aider à l’organisation des tra-vailleurs, à la formulation des revendica-tions, à l’émergence des luttes : en commen-çant par dire que la lutte pour le droit aurevenu des paysans est synonyme de la luttepour le respect des droits des travailleursde la terre et que nous refusons de bâtir lesprix des produits agricoles sur l’écrasementdes salaires, la dégradation des conditionsde travail et la promotion de la servitude enagriculture.

Chaque emploi paysan en génère d’autres,en amont ou en aval, et participe au main-tien d’emplois dans le milieu rural (et enparticulier des services publics). Ces emplois-là, souvent pérennes, fonctionnent soustutelles et conventions collectives. Le métierde paysan est soumis à la saisonnalité des acti-vités et parfois à l’urgence de la récolte. Cesimpératifs, alliés à la recherche du profitmaximal sur des marchés dérégulés, entraî-nent certains producteurs recherchant lescoûts de production les plus bas à tenter des’aligner sur les coûts du travail les moinsélevés dans l’espace des échanges commer-ciaux. C’est dans cette logique qu’il a éténécessaire de mettre en place un arsenal demesures légales et divers contrats visant àorganiser la flexibilité du travail en révisantà la baisse les normes imposées par la légis-lation et le Code du travail. Ainsi sont nés lescontrats saisonniers, suivis et « enrichis » parles contrats Anaem1, qui permettent de s’ap-provisionner sur le marché international dutravail en échappant aux « avantages » liésaux CDI et CDD. Sans parler de l’organisa-tion discrète d’un excès de main-d’œuvrede sans-papiers, nécessaire pour faire accep-

ter des conditions de travail, de salaire et delogement largement en deçà de la légalitéet de la dignité.

Ce système de dérégulation, d’érosion dedroits des travailleurs ne pourrait être pos-sible sans un lobbying important auprès desservices de l’Etat de paysans employeurs demain-d’œuvre, avec des complicités affir-mées ou tacites qui vont des services desMSA aux Assedic en passant par certainesmunicipalités et autres élus...

Le pari du réseauUne fois acceptée l’idée que ce type d’agri-culture se développe sur la négation desdroits fondamentaux et des savoir-faire despaysans, que la négation du droit au revenupour les paysans est le pendant symétriquede la contestation des droits des travailleurssaisonniers (nombre d’entre eux sont issusde ce milieu) et non sa cause, il reste duboulot...

Dont celui d’arriver à construire des conver-gences concrètes, réunissant les compéten-ces spécialisées et laissant de côté l’espritboutiquier.

Ainsi pourra-t-on réintégrer certains dam-nés de la terre dans leurs droits légitimes(cf. la délibération de la Halde en décem-bre 2008 et l’obtention auprès de la préfec-ture, après de nombreuses requêtes juridi-ques, de plus de 800 cartes de salariés –autorisations de travail et de séjour – par leCollectif de défense des travailleurs étran-gers dans l’agriculture des Bouches-du-Rhône(Codetras).

l Liens utiles :Codetras : www.codetras.orgGISTI : www.gisti.org

1 Anaem : Agence nationale de l’accueil des étrangers etdes migrations.

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Entrée en 2001 au Comité national, ce n’estpas l’accès à la parité femmes-hommes

qui m’a motivée à être candidate au secré-tariat, en avril 2003.

Le conflit interne à la Confédération pay-sanne, radicalisé entre les porteurs d’undéveloppement de l’Agriculture paysanneet les tenants du seul combat syndical pourchanger de politique agricole, devenait dan-gereux pour le syndicat.L’enjeu était important : au moment où laConfédération paysanne devenait de plusen plus reconnue et soutenue, je voulais,comme Christiane Aymonier et Jean-JacquesBailly, rentrés au secrétariat au mêmemoment, contribuer à concilier les forcesmultiples et complémentaires de la Confé-dération paysanne. J’étais convaincue que« développementistes » et « activistes » pou-vaient travailler ensemble et créer une syner-gie positive pour le syndicat. Elue porte-parole, je souhaitais, en cohé-rence avec l’objectif que je m’étais fixé, m’in-vestir fortement dans l’animation du syndi-cat et son développement en allant beau-coup sur le terrain. L’exercice de la représentativité, la nécessitéde porter politiquement nos revendicationssur la PAC et de les formaliser, aux niveauxministériel et européen, au sein de la plate-forme... ont très vite pris le dessus. La canicule de 2003, les nombreuses pro-ductions en crise (porc, volaille, fruits etlégumes, viticulture, etc.) du fait même desorientations ultra-libérales de l’agriculturedésormais inféodée à l’OMC, nous obli-

geaient à être sur tous les fronts à la fois.Dans un premier temps, les menaces réel-les qui pesaient sur la survie de nombreuxpaysans ont permis de rassembler les tenantsdu développement et de l’action : l’actionpermet de dénoncer, de ralentir sinon d’ar-rêter collectivement le rouleau compres-seur ; le développement de l’Agriculture pay-sanne permet de résister individuellementsur sa propre ferme, de montrer la perti-nence de la nécessité d’un autre projet agri-cole, et d’apporter l’espoir nécessaire auxpaysan(ne)s pour continuer la lutte. En même temps, les militants et les leadersde la Confédération paysanne étaient confron-tés à une répression et à une agressivité exté-rieures extrêmes : l’emprisonnement de JoséBové, la violence policière et judiciaire enréaction à nos actions contre les OGM. Celaa pesé lourd sur l’ambiance de travail dusyndicat. L’ampleur de la médiatisation de la Confé-dération paysanne et de sa dimension acquisedans les mouvements sociaux contre l’OMCnous permettaient d’élargir le champ despartenaires pour porter un combat que, seuls,les paysans ne pouvaient plus assumer. Sur le terrain, les militants de la Conf’ conti-nuaient à mener des luttes : actions vitico-les dans le Midi, occupations de plates-for-mes de grandes surfaces pour dénoncer lessurproductions, occupation du Comité régio-nal porcin (CRP) de Rennes, actions contrela baisse du prix du lait compensée par l’aidedirecte laitière (ADL). Le nombre des dossiers à porter rendait nosactions peu efficaces au regard de nos objec-

Témoignage d’une époque où laConfédération paysanne a grandi trop vite

Par Brigitte Allain paysanne en Dordogne, production de vin appellation Bergerac et de céréales.

Membre du comité national de 2001 à 2007, porte-parole de 2003 à 2005

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tifs : un meilleur revenu pour les paysans etune évolution durable de la politique agricole.Si la cohérence de nos actions n’était pasremise en cause, leur multiplication toutcomme l’engrenage dans lequel nous entraî-nait l’actualité et notre notoriété sociétalerendait la vie des secrétaires nationaux tota-lement déchaînée et nous éloignait de plusen plus de notre rôle initial. En effet, le rôlestructurel du secrétariat national est de met-tre en œuvre des orientations syndicales del’assemblée générale, d’animer le comiténational, d’analyser de manière pragmati-que l’actualité, et de décider collectivementde stratégies d’actions à mener. J’ajouterai à cette situation une difficilerestructuration des salarié(e)s, portée cou-rageusement au niveau national par Marie-Hélène Chancelier puis par ChistianeAymonier (tiens... deux femmes ! étonnant,n’est-ce pas ?), et le manque d’un anima-teur général compétent pour nous épauler. Il faudrait aussi parler des conditions de vieet de travail difficiles pour les responsablesnationaux au siège de la Confédération pay-sanne, à Bagnolet, difficultés liées essentiel-

lement aux faibles ressources du syndicat.Il m’arrivait de dire à mes collègues du secré-tariat : « Nous allons exploser en vol ! »Le 31 janvier 2007, avec les résultats trèsdécevants aux élections chambre, je crois quenous avons effectivement explosé en vol.Heureusement que, bien que fortementsecoués, des militants et des responsablesnationaux ont trouvé la force de recons-truire, même avec des moyens plus faibles.A tous ceux-là, je refuse la langue de boiset je veux offrir ce témoignage réaliste.Pourtant, avec du recul, je pense que nousétions à une époque charnière où tout étaitpossible et que nous n’avions pas d’autrechoix que d’accompagner et de porter tou-tes ces luttes, de fait convergentes.

Penser global et agir local demande unecapacité de mobilisation un peu au-dessusde nos moyens. Mais les faits sont têtus. L’actualité politi-que nous donne raison. La Confédérationpaysanne porte le projet de politique agri-cole de l’avenir, et je suis assez fière d’avoirécrit un petit bout de son histoire. l

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r Manifestation à Paris pour le revenu, en novembre 2008.

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Déjà 244 numéros depuis septembre 1987 !Cette création c’était hier, quoi qu’on

ne sache plus très bien, la une de son numéroun de l’époque nous bluffe : « Lait, la coupeest pleine ». C’est impossible, il vient de sor-tir de l’imprimerie ! Un rapide coup d’œilaffolé sur le miroir, les rides, le cheveu rare,nous confirment l’incontournable réalité, lecalendrier a emporté certains d’entre nous,mais pas les difficultés des paysans, pas plusque la détermination des militants à résister.La genèse de Campagnes solidaires s’inscritdans la réaction à l’étranglement du syndi-calisme progressiste agricole, fomenté en1987 par la droite chiraquienne revanchardeet son ministre de l’Agriculture, l’ancien géné-ralissime de la Fnsea, François Guillaume.La situation va stimuler l’émergence d’unenouvelle organisation, fédérant plusieurssyndicats agricoles au sein de la Confédé-ration paysanne. Notre journal n’est doncpas une création spontanée. Il va reprendreles orientations tracées par Pays et paysans,et Le travailleur paysan, parutions des dif-férentes structures rassemblées au sein de cequi deviendra notre syndicat actuel.Campagnes solidaires devient donc le men-suel de la Confédération paysanne.Son ambition, depuis son origine, résidedans sa volonté de donner plus que la paroleaux paysans, de les inciter à prendre la plumepour s’exprimer. Comme le montre l’orga-nisation de son comité de publication enfaisant la part belle à ces gens de terrain quiportent en eux la réalité de l’agriculture et,au-delà, de tout le monde rural. Une association, Média pays, va tenir le rôle

de ce que nous pourrions appeler éditeur.Comme partout, elle permet une compta-bilité précieuse pour analyser et pouvoirmaîtriser les dépenses afin de garantir lapérennité du journal, dans le respect du senset des acteurs. Jean Claude Malo des terres normandes pren-dra dès 1988 le risque de l’inconnu en deve-nant le premier directeur de publication. Ceresponsable de la publication sera toujoursun secrétaire national ou un membre ducomité national. Ce seront ensuite FrançoisDufour, René Riesel, Michel Feutray, BernardMoser, Nicolas Duntze, Chantal Jacovetti,Jacques Pasquier, jusqu’à aujourd’hui oùGeneviève Savigny assume cette responsabi-lité. Afin de mieux partager cette charge, unposte de directeur de la rédaction sera crééen 2001. Michel Curade en sera le premiertitulaire et ensuite Christian Boisgontier quiest encore aujourd’hui à la tâche.Les textes rédigés par les paysans, sponta-nés et chargés d’authenticité, ne répondentpas toujours aux exigences techniques dujournal. Récits souvent trop longs, quelque-fois décalés par rapport à la commande.Interviennent alors, pour ces manœuvresdélicates les professionnels de la plume, à l’œilinquisiteur, au sécateur habile et à la rigueurorthographique. Dans ce rôle ingrat et exi-geant deux journalistes (aujourd’hui CécileKoehler et Benoît Ducasse) apportent enplus de leurs compétences, leur sens indis-pensable de la diplomatie. La mise en pageest aussi un travail de spécialiste dont lesouci revient depuis 2002 à un prestatairede service, aujourd’hui Pierre Rauzy.

CAMPAGNES SOLIDAIRESLe Journal de nos luttes paysannes

Par Michel Curade retraité, ancien apiculteur dans l’Aude ; membre du comité de rédaction

de « Campagnes solidaires » depuis 1987

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Il n’empêche : Campagnes solidaires est unedes rares survivantes (la seule ?) parmi lespublications qui voulaient, il y a trente anset plus, refonder la presse en rendant auteursde ses articles les acteurs de terrains !Un comité de publication se réunit tous lesmois pour décider des sommaires des numé-ros à publier et les thèmes des dossiers àvenir, mais aussi proposer les plumes pay-sannes à solliciter. Pour répondre à la phi-losophie de lien étroit avec le terrain, il estune libre composition de paysannes et pay-sans (généralement de 6 à 10), tribuneouverte de confrontations et de débats res-pectueux des visions de chacun. Jo Bourgeais,paysan aujourd’hui retraité en Maine-et-Loire et fidèle rédacteur des « écobrèves »,est depuis le début membre du comité depublication.Il se peut que parfois l’austérité du proposengendre une sombre vision, loin des lumi-neuses espérances véhiculées par notre syn-dicat. Pierre Samson apporte depuis le débutune note d’humour décalé grâce à la pointeacérée de son crayon. Le sourire de la déri-

sion est son arme absolue contre les puis-sants et leurs dérives. Ses dessins sont unedes respirations essentielles du journal.

Le journal s’articule sur 32 pages, autour derubriques qui permettent de prendre seshabitudes dans son approche et d’en facili-ter la lecture. La première de couverture, encouleurs depuis 1996, illustre généralementle dossier intérieur de huit pages qui faitsouvent appel, en plus des paysans, à desspécialistes extérieurs au syndicat. La plongée dans les archives du journal estun voyage dans le cheminement des luttesengagées par la Confédération paysanne.De la colère des éleveurs à celle des viticul-teurs, du lait bradé à la politique dévastatricede la PAC, de la rencontre de Solutré avecMitterand à l’usine à œufs de Polhman, dela vache folle aux OGM, notre mensuel estdebout, feuillets déployées face au vent libé-ral. Il inscrit dans le noir de l’encre la volontésolidaire de rester paysans dans une rura-lité vivante et porteuse d’espoir. l

Décembre 2009

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En guise de conclusion

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Quelques questions sur la basesociale de la Confédération paysanne

Les objectifs de relance syndicale affirmésdepuis les élections chambre de février 2007

traduisent la volonté de mieux coller aux préoc-cupations des paysans. Ils conduisent aussi àprendre la mesure des disparités croissantes enagriculture, et de la diversité de la base socialedes adhérents et militants actuels et potentielsde la Confédération paysanne. Historiquement, les organisations syndicales àl’origine de la Confédération paysanne sontnées, pour l’essentiel, dans les milieux paysansengagés dans la modernisation accélérée del’agriculture depuis le début des années 1960et qui étaient confrontés aux (voire dépendantsdes) firmes agroalimentaires et des banques.Leurs militants les plus nombreux se trouvaientprincipalement dans les productions animalesintensives ou destinées à l’être (porc, volailleet surtout lait) et, de manière un peu moinsforte, dans les autres « grandes filières » (viandebovine, céréales, fruits et légumes, viticulture...).En aviculture industrielle, l’intégration des éle-veurs ne les rapproche plus de la Conf’ mêmesi celle-ci parvient à les défendre efficacement(affaire Doux). Il en est quasiment de mêmeen production porcine, où la concentrationcontinue des élevages est de plus en plus menéepar les groupements de producteurs. En produc-tion laitière, la perspective de la fin des quotasest d’ores et déjà utilisée par le lobby produc-tiviste comme un accélérateur de la restructu-ration... sauf, peut-être, si un effondrementdurable du prix du lait vient à perturber le pro-cessus. Face à ces évolutions, il y a de plus en plus depaysans engagés dans des démarches d’Agri-culture paysanne, autonome et économe oudurable, une large partie d’entre elles regroupées

dans les réseaux GAB, RAD, FNCIVAM etADEAR. La plupart d’entre eux se réfèrent à laConfédération paysanne, même s’ils n’y n’adhè-rent ou n’y militent pas tous. Alors même qu’ilslivrent leurs productions aux mêmes entrepri-ses agroalimentaires, ces paysans ne se recon-naissent pas ou plus dans les pratiques de leursvoisins productivistes, qui le leur rendent bien.Ce qui ne les empêche pas de vivre de manièreassez proche les rapports qu’ils entretiennent ousubissent avec l’agroalimentaire et la banque(par exemple dans la défense des paysans endifficulté ou à l’occasion de crises de marché). Ailleurs, ou juste à côté, d’autres paysans, éga-lement de plus en plus nombreux, pratiquentce qu’on appelle des agricultures alternatives,agrobiologiques ou non (producteurs fermiers,transformation et vente directe, Amap...). Ilssont encore minoritaires, parfois marginalisésou ayant des difficultés d’intégration avec les pay-sans « de souche ». Une large partie d’entre euxse réfèrent également à la Confédération pay-sanne. Traditionnellement plus nombreux dansla partie sud de la France (ainsi que le révèlentles plus fortes progressions de la Conf’ aux élec-tions chambre de 2001), ils progressent par-tout en France, stimulés très souvent par lesdémarches Amap et agrobiologiques. Ces pay-sans vivent le métier comme un projet person-nel, autonome, encore plus fortement s’ils nesont pas originaires du milieu agricole.

Ces deux démarches, cohérentes avec le projetd’Agriculture paysanne, constituent la partiecroissante de la base sociale de la Confédérationpaysanne. Et en tout cas de sa base militante. Et le fait que ces démarches sont le plus sou-vent vécues comme résistance ou alternativeau système intensif et conventionnel n’empê-che pas la FNSEA, directement ou par l’inter-médiaire des organismes qu’elle contrôle (ser-

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vices de chambre d’agriculture, coopératives...),de leur faire la cour : aussi bien les producteursfermiers et autres utilisateurs de signes de qua-lité (parce que leurs productions sont trèsdemandées par les consommateurs) que lesproducteurs « autonomes et économes » parcequ’il s’avère désormais qu’ils « résistent mieux àla baisse des prix et à l’augmentation des char-ges » que les producteurs intensifs.

Dans la pratique, les deux démarches profession-nelles, qui constituent désormais les bases socia-les croissantes de la Confédération paysanne,ont parfois tendance à s’ignorer et quelquefoismême à s’opposer sur le terrain, notammentsur l’accès au foncier. Non seulement les pra-tiques professionnelles peuvent être très diffé-rentes, mais c’est également le cas, pour celleset ceux qui décident de militer, des attitudes etpratiques syndicales :- attitudes différentes dans leurs rapports auxautres paysans ; - manières différentes d’impliquer ou de pren-dre en compte leur situation personnelle dansl’engagement syndical et l’expression des reven-dications ; - approches souvent différentes quant à l’arti-culation des questions « agricoles » et « socié-tales », des aspects économiques et idéologi-ques ; - visions et objectifs de l’action syndicale qui peu-vent se partager entre dénonciation et reven-dications concrètes, entre radicalité et réfor-misme.C’est un enjeu important pour la Confédérationpaysanne que de fédérer efficacement ces démar-ches et ces attitudes par l’affirmation politiquedu projet d’Agriculture paysanne non pas pourune coexistence de niches dans une agricul-ture « dualisée », voire « atomisée », maiscomme alternative globale au modèle produc-tiviste.Les actes des éleveurs engagés dans les systè-mes herbe, ceux des paysans dans les circuitscourts et démarches de qualité, dans des struc-tures microéconomiques, dans des pratiquestrès économes, dans l’agriculture biologique,etc. sont autant des actes de résistance face au

système économique que des actes qui portenten germe d’autres valeurs et d’autres repèrespour une autre organisation de la production.D’où l’interrogation de certains d’entre nous :si l’Agriculture paysanne avait gardé une placecentrale dans le discours et les actes de laConfédération paysanne, celle-ci aurait puaccompagner et amplifier ce mouvement pourlui donner tout son sens politique, pour contri-buer à donner à cette agriculture et à ses pay-sans les garanties et les droits matérialisés, entreautres, par la part des aides publiques qui leurreviennent. S’agissant d’une des bases socialesdu syndicat, il faut que la Confédération pay-sanne considère leurs démarches comme inté-grant pleinement son champ d’action. Le regretaujourd’hui exprimé du fait que ces paysans nedonnent pas à leurs démarches une identitésyndicale satisfaisante vient peut-être aussi dufait que la Conf’ n’a pas toujours donné suffi-samment de considération syndicale et politi-que à leurs démarches.

Action syndicale et action politique Cet enjeu renouvelle celui d’une articulationdynamique entre projet global et revendicationscatégorielles ou corporatives, entre « agricul-ture paysanne » et « défense des travailleurs ».Cette dualité est affirmée par la Confédérationpaysanne depuis son origine. C’est quelquechose qui lui est spécifique, à la différence dela FNSEA. Celle-ci n’a pas de problème avecl’orientation de l’agriculture libérale, indus-trielle, « compétitive ». Le débat qu’elle peut avoiren interne c’est sur la « vitesse d’avancement »du processus, sur les mesures d’accompagne-ment, et la confrontation entre certains corpo-ratismes locaux ou sectoriels. En revanche, à laConfédération paysanne, la difficulté est qu’onest dans un système économique qui est à l’op-posé de ce qu’on souhaite (on ne peut pas enfaire abstraction), et qu’il faut donc agir pourune autre logique économique et politique ;c’est-à-dire qu’on doit être à deux niveaux. C’estforcément difficile, ça « bouffe » de l’énergie,sans être toujours efficace comme il le faudrait.D’un côté de la médaille, la défense des pay-sans est par essence corporative, sectorielle,

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pragmatique. Elle s’inscrit inévitablement dansle cadre réglementaire, juridique, politique exis-tant. Et dans des rapports de forces qu’il faut êtreen mesure d’analyser « politiquement » pourgagner ce qui est possible, à défaut de ce qui seraitsouhaitable, mais en cohérence avec le « pro-jet global ». De l’autre côté de la médaille, le projet de laConfédération paysanne est politique au sensnoble du terme, en ce qu’il se prononce sur lesfinalités économiques, sociales, écologiques del’agriculture et du métier de paysan, en ce quece projet exige ou suppose une orientation fon-damentalement différente de la politique agri-cole française et européenne, donc une orien-tation radicalement différente des politiqueséconomiques et sociales et in fine du systèmeéconomique. Fort logiquement, ce projet sup-pose évidemment de sortir du corporatisme.L’histoire de la Conf’ révèle deux principalespostures non corporatistes : • celle fondée sur l’idée qu’un changement depolitique agricole n’est ni possible ni assuréd’être « juste » sans la convergence ou l’allianceavec d’autres forces sociales concernées parl’agriculture et l’alimentation et qui partagent

en gros la même vision des choses ;• celle fondée sur l’idée que c’est le pouvoir,voire le système économique, libéral, capita-liste, qui doit changer pour qu’une autre poli-tique agricole puisse être mise en œuvre. Cela mérite une réflexion de fond. L’équilibreet la synergie sont-ils possibles, et à quellesconditions, entre « mouvement social » et « syn-dicat paysan », entre s’adresser à la société ets’adresser aux paysans, y compris à ceux quide prime abord ne pensent pas et ne pratiquentpas leur métier comme le souhaite la Confé-dération paysanne ? C’est plus facile à dire qu’à faire, mais il fautjoindre les deux logiques ; Et pour cela, d’abordle vouloir, avec la conviction que c’est complé-mentaire ! Au lieu d’opposer une démarche àl’autre. Le principal défi que la Confédérationpaysanne doit alors relever est de voir com-ment on fait les deux, toujours à partir de notreréalité de paysan et de syndicat paysan. On peutêtre – et on doit être – en même temps sur lesdeux volets, sur les deux logiques en tant quesyndicat paysan. On peut faire ce qu’on veut avecla casquette qu’on veut ailleurs, mais à la Conf’on doit tout faire en tant que syndicat paysan.

r Manifestation au cours du procès de Jean-Emile Sanchez, à Vienne, le 28 octobre 2006.

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Questions générationnelles Enfin, dans cette conclusion, faut-il évoquerl’enjeu du renouvellement générationnel dusyndicat ? Réussir aussi bien la transmissionde son exploitation (pour laquelle il sembleque les militants de la Conf’ n’ont pas à rougir)que celle du syndicat à tous les échelons, dépar-temental, régional et national.Cette question n’est pas spécifique à laConfédération paysanne, même s’il y a la par-ticularité de la régression démographique dumilieu paysan. La plupart des syndicats et asso-ciations vivent un peu la même chose, le mêmetournant. C’est-à-dire, le départ à la retraite demilitants nés après la Seconde Guerre mon-diale, élevés dans la mémoire souvent magni-fiée de la Résistance, formés dans des mouve-ments de jeunesse (la JAC ou le MRJC, voire lesCDJA) pour s’enthousiasmer d’un monde plusjuste à construire (croissance économique, déco-lonisation et mouvements anti-impérialistes,voire perspectives révolutionnaires surtout dansles années 1970...). Aujourd’hui, les responsa-bilités syndicales ou associatives ne sont ni faci-les à laisser ni faciles à prendre. Et pourtant, ilest nécessaire que le relais se fasse. Le projet de la Conf’ est toujours d’actualité.Et même, face aux enjeux posés à l’agriculturepartout dans le monde, plus pertinent que jamais.Mais sans doute, pour les jeunes générations,la manière de s’engager et de militer n’est pas lamême et ne s’appuie pas sur les mêmes « res-sorts » que ceux des générations antérieures.Ce qui n’enlève pas, au contraire, l’enjeu detransmettre, dont celui de restituer l’histoire.

La Conf’ a contribué à réconcilier la société française avec son agriculture et ses paysans. C’est certainement (sans doute) un des princi-paux acquis de la Confédération paysannedepuis qu’elle existe. Sous le régime du syndicat agricole unique (auxrelents corporatistes hérités du régime de Vichyet de sa corporation paysanne), la majorité dela société française avait une perception plutôtnégative de ses paysans : un monde à part quiavait la particularité de manifester régulière-

ment et le plus souvent de manière violente.La modernisation de l’agriculture, accéléréedepuis le début des années 1960, bien qu’im-posant une intégration économique de l’agricul-ture « au reste de la société » n’a pas profon-dément modifié cet état de fait. Le syndicat« majoritaire » voulant affirmer que l’exploi-tation agricole est une entreprise se projettedavantage dans l’agroalimentaire et dans lesorganisations patronales (CNPF puis Medef...)que vers les organisations de salariés (accusésd’avoir des intérêts antagoniques aux paysans),que vers les organisations de consommateurs(censés réclamer la baisse des prix agricoles),ou les organisations de l’environnement (desempêcheurs de produire intensivement) oumême encore les organisations de solidaritéinternationale (sauf peut-être celles qui se pro-posent de vulgariser notre modèle de produc-tion agricole...). Aux yeux de la FNSEA et dela plupart des organisations économiques agri-coles, l’agriculture c’est d’abord et presque uni-quement une affaire interne à négocier direc-tement avec le ministère de l’Agriculture et sestechnocrates et il n’est même pas toujours pru-dent ni nécessaire que le Parlement s’en occupevraiment.L’irruption des crises sanitaires et environne-mentales générées par le productivisme dansle milieu des années 1990 a profondément modi-fié la donne, grâce à la présence active de laConfédération paysanne qui n’a pas du tout étéprise au dépourvu. Et pour cause : dès sa créa-

r Le rassemblemant du Larzac, en août 2003.

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tion en 1987, reprenant les démarches des orga-nisations syndicales qu’elle réunissait, elle refusele corporatisme et le productivisme et reven-dique un autre projet pour l’agriculture, à débat-tre avec les autres forces sociales. Compte tenudu raidissement initialement adopté par laFNSEA face à la crise de l’ESB, sans la présenceactive de la Confédération paysanne, la sociétéfrançaise aurait vraisemblablement vécu uneaggravation des tensions et des incompréhen-sions avec ses paysans. La forte médiatisation de la Confédération pay-sanne et de José Bové de 1997 à 2003-2004 tra-duit ainsi la « divine surprise » des médias etde l’opinion publique à découvrir qu’il existe uneorganisation paysanne non corporatiste qui nepense pas les questions agricoles et ruralescontre le reste de la société. Nous pouvons affir-mer que le comportement « médiatique » dela FNSEA en a été progressivement modifié,même si, avec le retour de la droite au pouvoirdepuis 2002, cette organisation syndicale, hélasconfortée par le résultat aux élections cham-bres de 2007, impose plus que jamais – et commeune revanche – son hégémonie dans les instan-ces de représentation et de « cogestion » de lapolitique agricole. Mais sans être en mesure deremettre véritablement en cause le pluralismesyndical et la représentativité.

Mais la Conf’ n’est pas parvenue à freiner significativement la restructuration de l’agriculture La reconnaissance sociétale de la Conf’ a sanséquivoque été déterminante pour plusieurs deses acquis syndicaux. En premier lieu, vis-à-vis des OGM, des hormones en productionsanimales ou sur une répartition plus juste desquotas. Et aussi envers d’autres pratiques emblé-matiques du productivisme que la FNSEA défendplus ou moins farouchement : l’usage de l’eau(irrigation et pollutions diffuses), des pestici-des. Ces acquis sont d’autant plus significatifsque la politique agricole française est depuis1960 et la création du marché commun agricoleau service de la montée en puissance de l’agri-culture et de son agroalimentaire. C’est enmoyenne tous les trois à quatre ans que des lois

d’orientation ou de modernisation sont adop-tées pour favoriser cette agriculture soi-disantcompétitive et la restructuration qui l’accom-pagne. Depuis vingt ans, le nombre des exploi-tations agricoles a été divisé par plus de 3. C’estun peu moins que dans la plupart des pays dunord de l’Europe, mais davantage que dans plu-sieurs de ceux du sud, en particulier l’Italie.Même si la Conf’ a obtenu des mesures en faveurdes petites et moyennes exploitations (en par-ticulier sur la répartition des quotas laitiers,mais aussi en faveur des agricultures alternati-ves, produits fermiers, agrobiologie...), cetterestructuration de l’agriculture révèle un certainéchec de la Confédération à n’avoir pu impo-ser son projet d’Agriculture paysanne.L’agriculture d’entreprise, toujours et plus quejamais productiviste, aurait-elle définitivementgagné la partie ? Rien n’est moins sûr. Et, detoute façon, les seuls combats perdus ne sont-ils pas ceux que nous ne mènerions pas ? D’un côté, on peut effectivement s’interrogernon pas sur la pertinence du projet pourl’Agriculture paysanne, mais sur son applicationdepuis vingt ans dès lors que la restructurationet l’idéologie de l’agriculture d’entreprise conti-nuent d’en réduire drastiquement toute basesociale, mais de l’autre côté, si on regarde l’ave-nir, cette agriculture intensive ne peut qu’êtrede plus en plus déstabilisée face aux enjeuxénergétiques, écologiques, sociaux et écono-miques auxquels devront faire face les paysansdans les années à venir (passer d’une agricul-ture non compétitive sans aides publiques, gas-pilleuse des ressources, polluante et trop sou-vent insalubre à une agriculture productivemais « sobre », respectueuse des ressourcesnaturelles et de la biodiversité, riche d’emplois,et véritablement saine pour les consomma-teurs...). Et ce passage (ou cette révolution) nécessairedonne encore plus de responsabilités – et d’en-thousiasme – à l’action de la Confédération pay-sanne et de ses militants. Ce sont des perspec-tives renouvelées pour l’affirmation de l’agri-culture paysanne, comme seul projet alterna-tif pour l’agriculture française, européenne, etdans le monde ! l

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Ce congrès qui se tient à un moment où lesbouleversements dans le monde paraissent

inévitables. Je voudrais repartir du constat quenous avons fait.

n Cette crise annonce la fin d’une ère

C’est en premier lieu la certitude que c’est lafin de la croissance, telle que nous l’avons vécue,nous et nos aïeux, depuis deux siècles. Fin dela croissance comme réponse à nos besoins ouà nos aspirations. Fin de la croissance fondéesur l’utilisation, en un très court laps de temps,de la plupart des réserves fossiles de la planète.Nous avons brûlé la chandelle par les deuxbouts. On a commencé à comprendre que lesdeux bouts convergent vers un bâton de dyna-mite. On s’aperçoit tout juste que l’espècehumaine est assise sur ce bâton de dynamite. C’est dans un deuxième temps le constat enpleine lumière des dégâts du libéralisme, pro-gressivement installé en système planétairedepuis 1970. La libéralisation des échanges sansentrave, la mise en concurrence des hommes etdes femmes de tous les continents et notam-ment la mise en concurrence de la valorisationde leur force de travail génèrent des injusticesqui deviennent jour après jour sources de conflits.Ces deux phénomènes sont de nature diffé-rente. Le recours à la croissance, notammentpar l’industrialisation, n’était pas l’apanage duseul capitalisme. Mais si ces deux phénomènesne sont pas de même nature, ils convergentcependant. Ils convergent pour proposer unavenir insupportable pour la plupart des hom-mes et même mortifère pour la civilisation toutentière.

Pour garder une planète viable, une vision et unengagement sur le long terme sont nécessaires,ce que ne peut intrinsèquement pas faire unsystème libéral qui réclame du profit perma-nent à très court terme. Exprimé crûment, notre avenir peut s’énoncerainsi : • si nous ne nous inquiétons pas des boulever-sements écologiques, nous disparaîtrons ;• si nous ne nous inquiétons pas de créer denouvelles relations sociales, nous nous entre-tuerons.

Il revient donc aux générations aujourd’huiprésentes sur Terre d’inventer une autre civi-lisation. Une civilisation qui ne s’appuie plussur l’accumulation des biens, fonctionnementindividuel, individualiste, boulimique et fré-nétique.

Il nous faut inventer une civilisation qui per-mette à tous d’accéder à l’alimentation et aulogement, qui permette à chacun de se vêtirmais aussi de s’instruire et d’avoir une vie socialeet culturelle intense et sereine. Il nous faut aussiredonner du sens au travail. L’emploi n’est plusaujourd’hui qu’un échange économique pourla plupart des hommes. Le travail doit être unacte qui permette à chacun de se réaliser. L’emploiest une chose. Le sens du travail en est une autre.Mais, aujourd’hui, nous n’avons pas de modèlede remplacement clés en main. Nous ne pouvonspas énoncer « à la place de ceci, faisons cela ».

Il nous faut inventer un système nouveau, nonfigé, fondé sur d’autres relations ainsi que surune autre répartition des richesses, qui en empê-che l’accumulation et reconnaisse le travail.

PostfaceNotre responsabilité

Congrès de la Confédération paysanne à Saint-Etienne : discours de clôture de Régis Hochart, porte-parole, le 29 avril 2009

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Il nous faut donc construire l’alternative avectous ceux qui en ont compris l’importance etl’urgence.Cette alternative doit se construire pour tous lesterritoires et pour tous les habitants de tous lesterritoires. Cette alternative est nécessairement techniqueet économique, sociale et écologique.Elle doit aussi être impérativement culturelle etgénératrice de plaisir.

n La Confédération paysanne est engagée dans un combat paysan et citoyen

Il est de notre responsabilité, à nous présentsdans cette assemblée, et à nous tous militantsde la Confédération paysanne, d’être des acteursdynamiques dans la création de cet avenir. C’est dans la responsabilité, responsabilité quenous devons rechercher et assumer, que se trou-vent la créativité et l’invention.La Confédération paysanne a émergé dans lespériodes de troubles sanitaires, tel l’ESB, politi-ques, comme à Seattle vis-à-vis de l’OMC, ou à l’oc-casion d’interrogations éthiques ou scientifiquestels les OGM. Elle doit apparaître maintenant !

Si la Confédération paysanne est bien identifiéedans sa lutte d’opposition, elle est aussi un for-midable outil de création de propositions. Nousdevons le faire reconnaître.En tant qu’instrument d’opposition, face à unavenir dont nous pressentons les risques et lesdangers, la Confédération paysanne se bat :• contre le libéralisme qui fait sauter tous lesoutils de régulation et précarise les travailleurs ; • contre l’agrandissement des fermes qui faitdisparaître les paysans ; • contre les agrocarburants, contre les OGM,non-sens économiques et écologiques ; • contre la mainmise des multinationales d’agro-fournitures sur l’agriculture et l’alimentation ;• contre la multiplication des normes et descontractualisations lorsqu’elles sont utiliséescomme outils de restructuration et d’élimina-tion des paysans ;

• contre les discriminations entre paysans, entrepaysans d’ici, entre paysans d’ici et d’ailleurs,entre paysans reconnus ou non reconnus commele sont les cotisants solidaires...Comme je l’évoquais à l’instant, dans ce travaild’opposition, nous sommes bien identifiés. Mais nous nous battons simultanément pournotre projet qui est un projet de constructionagricole, social, sociétal.• Face au libéralisme et aux dégâts qu’il provo-que sur l’alimentation des populations et l’équi-libre social chez les paysans, nous répondonsSouveraineté alimentaire. • A la concentration des moyens de production,à l’agrandissement et à la spécialisation, nousopposons la déconcentration, la diversificationet la relocalisation des productions.• A l’usage excessif des engrais, nous opposonsl’agronomie, la matière organique des sols, la rota-tion des cultures, la production de légumineu-ses et protéagineux. • A l’usage systématisé des pesticides, nousopposons la lutte intégrée, le recours à la bio-diversité, la rotation des cultures là aussi, etune recherche tournée vers des variétés et desraces plus résistantes aux attaques. • Aux maladies sanitaires, nous opposons larelocalisation des consommations pour limiterles transferts sur la planète, nous opposonsaussi le choix de systèmes d’élevage moins sen-sibles et moins vecteurs de maladies. • A la prolifération des gaz à effet de serre, nousrépondons agriculture économe en énergie, solsriches en matières organiques, consommationlocale. • Face à des grandes exploitations fondées surl’investissement coûteux et la main-d’œuvresous-payée, nous répondons par des petites etmoyennes fermes avec des paysans qui valori-sent leur travail.• Au productivisme en agriculture, nous oppo-sons l’Agriculture paysanne. L’Agriculture pay-sanne non pas en tant que niche, mais biencomme une réponse pour tous les territoires etpour tous les hectares de tous les territoires. L’Agriculture paysanne ne se résume pas auxpetites fermes, ni à la vente directe, même si

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elles convergent en bien des points.L’Agriculture paysanne construit des fermestransmissibles, autonomes, économes. Elle estune réponse aux enjeux sociaux, écologiques,économiques. La moitié de l’Agriculture paysanne est dansla charte et sur les fermes, mais l’autre moi-tié est dans la tête.C’est simultanément une réalité de terrain etune direction pour les militants de laConfédération paysanne. Pour la Confédérationpaysanne, il est essentiel que nous soyons aussiidentifiés par notre projet. C’est au regard de ce projet que nous savonsquels paysans peuvent nous rejoindre et les-quels nous défendons. Ceux qui peuvent nousrejoindre sont tous ceux qui se retrouvent dansnos engagements.Ce qui est déterminant, ce n’est pas la fermeque j’ai, mais ce que je voudrais en faire ; c’estle projet que j’ai, si je m’installe. Ce qui estdéterminant, c’est la volonté d’agir collective-ment pour trouver les solutions collectives etindividuelles.

n Nous ne sommes pas, nous nedevons pas être un syndicat élitistede paysans parfaits

Sinon nous nous retrouverons à cinq – vousvous retrouverez à cinq d’ailleurs.Mais nous ne sommes pas un syndicat quidéfend tous les agriculteurs. Le mythe de l’unitésyndicale des paysans est une arnaque. Quand,par exemple, le mois dernier des céréaliers d’Ile-de-France manifestent, avec les terres qu’ilsont, avec les soutiens qu’ils ont, et qu’ils refu-sent de redistribuer même partiellement lesaides, ils choisissent clairement leur propreconfort contre la survie de centaines de mil-liers de paysans. A ce stade, ce ne sont plus des adversaires, ilsdeviennent des ennemis, car ils s’opposentobjectivement à notre projet. Ce projet, il est d’au-tant plus nécessaire de le porter qu’il est un deséléments que nous pouvons apporter à la créa-tion collective de l’avenir.Cette création collective nécessite de multiplier

les passerelles avec les paysans. Avec les voi-sins de nos villages, avec les paysans des autresrégions, des autres paysans, des autres continents. Nous devons participer activement à ECVC,syndicat européen de paysans, et à ViaCampesina, dont nous sommes membres. Ne nous y trompons pas. On ne peut puiserdans ces structures syndicales que si on y apporte.C’est d’ailleurs, la même situation entre lesstructures départementales et ce qu’on appelle« la Conf’ nationale ».Cette création collective nécessite aussi de poserdes passerelles avec les acteurs associatifs etsyndicaux qui agissent sur la défense descitoyens, sur la précarisation de nos vies, surl’agriculture, l’alimentation, la santé, l’environ-nement, les territoires.Dans le temps qui a suivi les élections chambresd’agriculture, c’est un travail qui, par l’obliga-tion qui nous était faite d’assumer de manièreresponsable les événements, n’a pas eu l’ampleurqu’on aurait pu souhaiter. Nous y revenons pro-gressivement et pouvons redevenir moteur. [...]

Construire l’alternative et l’Agriculture pay-sanne, construire la Souveraineté alimentaire,construire des propositions pour une autre poli-tique agricole et alimentaire en Europe, se bat-tre pour un droit au revenu comme on se batpour un droit au logement ou un droit au tra-vail doit impérativement s’appuyer sur un com-bat quotidien. Combat face à la réalité quandbien même celle-ci ne nous convient pas. Au combat pour le droit au revenu doit se super-poser un combat pour le revenu, comme nousl’avons porté collectivement ces derniers moisdans le cadre du bilan de santé de la PAC. Il est de notre mission de défendre les paysansdans les problèmes qu’ils rencontrent face auxcrises, face aux multiples agressions, que le sys-tème ou les événements provoquent.Nous ne devons pas faire de remake de 2003, làoù nous avons décidé que parce que la PAC n’étaitpas la nôtre, nous ne nous en occuperions pas.D’ailleurs, ce monde n’est pas celui que noussouhaitons et pourtant tous autant que noussommes, nous nous en occupons ; que je sache,face au monde nous n’avons pas décidé de deve-

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nir ermites, notre présence ici en est la preuve. De ces dernières années, la PAC telle queconduite, associée aux accords de l’OMC, a étél’une des plus grosses agressions que les pay-sans ont eu à subir. Sur le revenu, sur les crises, sur l’organisationdes productions, sur l’installation, les droitssociaux, les retraites, nous devons être présentsau jour le jour, et nos revendications inscritesdans notre projet où « produire ; maîtriser ;répartir ; employer ; préserver » gardent lemême sens depuis vingt ans.Et pour y parvenir, nous devons nous répartirle travail et échanger entre nous. Nous som-mes obligés à une connaissance et à une com-pétence. Seules la formation et l’éducation popu-laire que j’évoquais plus haut nous permettrontcollectivement d’y parvenir.

n Nous devons aussi être nombreux

Dynamique syndicale d’une part, campagned’adhésion d’autre part, en sont les premiersoutils. Ce n’est pas seulement une nécessité fonction-nelle, pour assurer la continuité d’un syndicatoù les plus jeunes prendront notre place pro-chainement.C’est aussi un enjeu politique central au momentoù le libéralisme, mais aussi le pouvoir politi-que national tentent d’affaiblir, de brider, d’étouf-fer les syndicats et tous les espaces d’expres-sion, dans ce contexte où l’esprit démocrati-que est malmené, voire menacé.

Au moment où la colère gronde de toute part,nous devons contribuer à lui donner un senspolitique.Le défi politique majeur est de réussir à opérerune transition vers une société en harmonieavec la planète, plus juste, sans que les pouvoirsfinanciers et ceux qui en bénéficient détruisentla démocratie pour maintenir leurs privilèges. C’est tout l’enjeu de ces prochaines années.Et je terminerai en citant « Le manifeste pourdes produits de haute nécessité » signé par des écri-vains et des artistes de Guadeloupe et deMartinique : « C’est dans la responsabilité que

se trouvent l’invention, la souplesse, la créativitéet la nécessité de trouver des solutions endogènespraticables.»

Je citerai aussi quatre mots d’Hervé Kempf : « La solidarité rend heureux. » l

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Une histoire de la Conf’ • Annexe126

n 1987Yves Manguy (16) - céréales, porcs - Porte-paroleJosé Bové (12) - brebis laitPatrick Lemasle (31) - production végétale spécialisée Jean-Claude Malo (76) - lait vacheBernard Rapio † (44) - lait vache

n 1989 - YvetotGuy Le Fur (29) - porcs - Porte-paroleMichel Berhocoirigoin (64) - lait vache - SecrétairegénéralJean-Claude Malo - Secrétaire général José BovéFrancis Thomas (45) - volailles fermières - Trésorier Henri Ricard (13) - légumes et poulets fermiersDenis Tamain (42) - ovins

n 1990 - Clermont-FerrandGuy Le Fur - Porte-paroleMichel Berhocoirigoin - Secrétaire généralFrancis Thomas - TrésorierAndré Aubineau (85) - céréales, ovin viandeGabriel Dewalle (59) légumesJean-Claude MaloHenri Ricard

n 1991 - ParisGuy Le Fur - Porte-paroleMichel Berhocoirigoin - Secrétaire généralHenri Ricard - TrésorierAndré Aubineau Huguette Blin (44) - bovins viandeGabriel Dewalle Pierre Martin (69) - lait vache

n 1992 - LyonGabriel Dewalle - Porte-paroleAndré Aubineau - Secrétaire généralHenri Ricard - TrésorierHuguette BlinJean Cabaret (22) - lait vacheLaurent Cartier (52) - lait vacheFrançois Sarocchi (20) porcs, châtaignes

n 1993 - ParisGabriel Dewalle - Porte-paroleAndré Aubineau - Secrétaire généralLaurent Cartier - TrésorierHuguette BlinJean CabaretMichel Cucherousset (39) - lait vacheMarjolaine Maurette (23) - bovins viande

n 1994 - RodezGabriel Dewalle - Porte-parole Marjolaine Maurette - Secrétaire généraleLaurent Cartier - TrésorierHuguette BlinMichel Cucherousset

n 1995 - MontmorillonFrançois Dufour (50) - lait vache - Porte-paroleMarjolaine Maurette - Secrétaire généraleLaurent Cartier - TrésorierJean CabaretMichel CucheroussetPierre-André Deplaude (42) - lait vache, vigneMarie-Agnès Fouchez (45) - céréalesJean-Pierre Leroy (33) - céréales, maïsRené Riesel (48) - ovins viande

n 1996 - ParisFrançois Dufour - Porte-paroleMarjolaine Maurette - Secrétaire généraleJean-Pierre Leroy - TrésorierJean CabaretPierre-André DeplaudeMarie-Agnès FouchezRené Riesel

n 1997 - La ChapelleFrançois Dufour - Porte-parolePierre-André DeplaudeMarie-Agnès FouchezJean-Pierre LeroyRené RieselFrancis Poineau (64) - brebis laitPatrice Vidieu (46) - lait chèvre

n 1998 - BagnoletFrançois Dufour - Porte-parolePierre-André Deplaude - Secrétaire généralFrancis Poineau - TrésorierJulien Berteau (44) - lait vacheMarie-Agnès FouchezRené RieselPatrice Vidieu

n 1999 - VesoulFrançois Dufour - Porte-parolePatrice Vidieu - Secrétaire généralFrancis Poineau - TrésorierJulien BerteauMichel Feutray (04) - céréalesSabine Lefebvre (76) - lait vacheRené Louail (22) - volailles

La composition du secrétariat national de la Confédération paysanne de 1987 à 2007

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Une histoire de la Conf’ • Annexe 127

n 2000 - ArgentanJosé Bové - Porte-paroleRené Louail - Porte-parolePatrice Vidieu - Porte-paroleJulien Berteau - Secrétaire généralBernard Moser (26) - ovins viande - Secrétaire général Francis Poineau - TrésorierChristian Boisgontier (61) - lait vachePatrick Guillerme (56) lait vache Nicole Poupinet (53) - lait vache

n 2001 - CastresChristian Boisgontier - Porte-paroleJosé Bové - Porte-paroleRené Louail - Porte-paroleJulien Berteau - Secrétaire généralBernard Moser - Secrétaire généralPatrick Guillerme - TrésorierNicolas Duntze (30) - viticulureNicole PoupinetJean Emile Sanchez (12) - brebis lait

n 2002 - CréteilChristian Boisgontier - Porte-paroleJosé Bové - Porte-paroleNicolas Duntze - Porte-paroleBernard Moser - Secrétaire généralPatrick Guillerme - Trésorier Hubert Caron (62) - lait vache, porcsMarie-Hélène Chancelier (85) - lait vacheNicole PoupinetJean-Emile Sanchez

n 2003 - VendômeBrigitte Allain (24) - viticulture - Porte-paroleJosé Bové - Porte-parole Nicolas Duntze - Porte-paroleHubert Caron - Secrétaire généralMarie-Hélène Chancelier - Secrétaire généraleJean-Jacques Bailly - Trésorier Christiane Aymonier (39) - lait vacheRaymond Leduc (91) - céréalesJean-Emile Sanchez

n 2004 - StrasbourgBrigitte Allain - Porte paroleJean Emile Sanchez - Porte-paroleChristiane Aymonier - Secrétaire généraleOlivier Keller (07) - fruits rouges, châtaignes -Secrétaire général Jean-Jacques Bailly (52) - céréales - Trésorier Paul Deloire (42) - lait vacheNicolas DuntzeGérard Durand (44) - lait vacheChantal Jacovetti (48) - escargots

n 2005 - DieGérard Durand - Porte-paroleRégis Hochart (82) - lait chèvre - Porte-paroleChristiane Aymonier - Secrétaire généraleGeneviève Savigny (04) - volailles fermières -Secrétaire généraleJean-Jacques Bailly - TrésorierGuy Bessin (50) - lait vacheChantal JacovettiOlivier Keller

n 2007 - Le MansRégis Hochart - Porte-paroleJacques Pasquier (86) - céréales - Secrétaire général André Bouchut (42) - fruits rouges, champignons -Secrétaire général Véronique Villain (76) - lait vache - Secrétaire générale Philippe Collin (89) - céréales - Trésorier

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Une histoire de la Conf’ • Annexe128

LIVRES

n Qu’est-ce que la Conf’ ? L’Archipel, 2005. 140 p. (L’Information citoyenne). Stock épuisé à la Conf’.

n La Confédération paysanne. Georges Bartoli(photos de), José Bové (textes de), YvesManguy (textes de). Eden, 2003. 159 p. Stock épuisé à la Conf.

n Changeons de politique agricole, Ed. Mille etune nuits, 2002. 142 p. (Les Petits libres).Stock épuisé à la Conf.

n Agriculture en difficulté : problème économi-ques et sociaux des paysans en France, état deslieux. Francis Thomas (synthèse réalisée par).Fondation pour le Progrès de l’Homme (FPH),2001. 56 p. (Dossier pour un débat).

n L’Agriculture paysanne en marche : Actes du colloque de Rambouillet, 7 et 8décembre 1998, organisé par la Fadear et laConfédération paysanne. Fadear, 2000, 157 p.

n L’Agriculture paysanne : des pratiques auxenjeux de société. Premières rencontres nationales de l’Agriculture paysanne organiséepar la Confédération paysanne et la Fadear àSaint-Lô, 21-22 mai 1993. Fondation pour leProgrès de l’Homme (FPH), Confédération paysanne, 1994. 161 p. (Dossier pour un débat).

BROCHURES EDITEES PAR LA CONF’

n Les Frontières du vin, juin 2006, 12 p.

n Raconte-moi autrement les OGM, 2004. 54 p. Stock épuisé à la Conf’ (réédition prévue).

n Pour une autre Politique agricole européenne, décembre 2005, 16 p. Stock épuisé à la Conf’.

n Un avenir pour les producteurs de viandebovine : Réflexions de la Confédérationpaysanne pour la maîtrise et la répartition de la production bovine, mars 2002, 105 p.

n Soumettre l’OMC aux droits fondamentaux de l’Homme, novembre 2001, 38 p.

n Charte de l’Agriculture paysanne, Fadear, 2000, 54 p.

n Coopération, coopératives, vignerons.Echanges entre chercheurs de l’Inra-Agro et des paysans de la Confédération paysanne des Pyrénées-Orientales ; N.D., 8 p.

ACTES DE COLLOQUESDISPONIBLES AUSSI EN PDF SUR LE SITE DE LA CONF’.

n Débats et combats d’aujourd’hui pour la viti-culture de demain... Autour des actes deGruissan, 2009. 24 p.

n Les grands enjeux agricoles du XXIe siècle :Changements climatiques et accès aux ressources naturelles (actes du colloque de Niort), 2006, 44 p. Stock épuisé à la Conf.

n Les grands enjeux agricoles du XXIe siècle :Face aux enjeux énergétiques, quelle politique agricole européenne et régionale ?Actes du colloque de Taissy, 2006, 32 p.

n Les grands enjeux agricoles du XXIe siècle :Quelles politiques agricoles européennes etrégionales pour le maintien de l’emploi agricole ?Actes du colloque de Saint-Lô, 2006, 40 p.

n Les grands enjeux agricoles du XXIe siècle :Pour la reconquête des cultures vivrières dans les régions ultrapériphériques : quelles politiques agricoles ? Actes du colloque deGoyave (Guadeloupe) 2006, 52 p.

n Résistances en Europe à la servitude en agri-culture. Etat des luttes contre les conditions detravail inacceptables des salariés agricoles. Lesactes des rencontres à Nîmes, mai 2006, 12 p.

n Politiques agricoles et petites fermes : « Pequeñas Farms in tutta Europe : WelcheFuturo ? » (Actes du séminaire européen d’Aix-Valabre organisé par la Confédérationpaysanne et la Coordination paysanne euro-péenne, 2004, 48 p.

Liste des publications, brochures de la Confédération paysanne

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Une histoire de la Conf’ • Annexe 129

n Séminaire de réflexion sur l’approche multifactorielle du vivant à partir de l’exemple des maladies à prion (ESB et tremblante), 29 et 30 octobre 2003, 40 p.

n Quelle politique foncière pour la montagne ?Multiples usages et droits d’usage...Actes du « colloque foncier » d’Aubrac, 9 et 10 octobre 2003, 60 p.

n Les Pieds sur terre, Actes du « colloquefoncier » des Pays de la Loire, 23 et 24 janvier2003, 52 p.

n Agir sur le foncier pour un développementdurable, Actes du « colloque foncier » de Vogüé, 6 et 7 décembre 2001, 60 p.

n Un événement foncièrement solidaire, Actes du « colloque foncier » de Tilloy-lès-Mofflaines, 20 novembre 2001, 36 p.

n Le sens de la terre, Actes du « colloque foncier » de Carcassonne, 29 et 30 octobre2001, 68 p.

n Actes du premier congrès national de l’installation progressive, Nîmes, 1999, 64 p.

DVD

n Sillons solidaires, Du Danube auGuadalquivir. Film de Silvia Pérez-Vitoria,Confédération paysanne et musée des Arts ettraditions populaires, 2008, 32 min.

n 20 ans ! Film de Jean-Jacques Rault 2007.Epuisé

n Paroles de paysans. Film de Fabrice Ferrari etEric Simon. Productions la Vaka, novembre2006, 52 min.

K7

n La terre, les hommes, le vin et le marché.Film proposé par Culture production et la Confédération paysanne, janvier 2003, 50 min. Tourné lors des journées de la viticulture paysanne à Monbazillac en 2002.

n Paysan et rebelle : un portrait de BernardLambert. Film de Christian Rouaud, Iskra,2002, 84 min.

n Agriculture paysanne, agriculture d’avenir.Film de Joël Jenin, Fadear, 22 min.

n Des bastilles à prendre ! De Millau à Foix,l’été 2002. Film réalisé par José-Luis Moraguès,Confédération paysanne, 40 min.

DIVERS INTERNE

n Le Guide : arguments de campagne.Supplément à La Lettre des paysans, n°303, septembre 2006, 136 p.

n Élections chambres 2007 : le programme,2006 (triptyque 6 p.)

AUTOUR DE LA CONF’

n Souveraineté alimentaire : Que fait l’Europe ?Pour une nouvelle politique agricole et alimen-taire européenne. Gérard Choplin (ss la dir.de), Alexandra Strikner (ss la dir. de), AurélieTrouvé (ss la dir. de). Syllepse, 2009. 106 p.

n Le monde n’est pas une marchandise : despaysans contre la malbouffe, Nouvelle éditionaugmentée (Poche). José Bové, François Dufour,Gilles Luneau. La Découverte, 2000, 339 p.

n Histoire de la nouvelle gauche paysanne : descontestations des années 1960 à la Confédérationpaysanne. Jean-Philippe Martin. La Découverte,2005. 312 p.

n Vía Campesina : une alternative paysanne àla mondialisation néolibérale. Genève : CentreEurope-tiers-monde (Cetim), 2002. 256 p.

n Bernard Lambert : 30 ans de combat paysan.Yves Chavagne. Quimperlé : La Digitale, 1988.283 p.

n Les paysans dans la lutte des classes. Bernard Lambert, José Bové (préf. de). Nantes :Ed. du Centre d’histoire du travail, 2003. 221 p. (Réédition augmentée.)

n Sous les inondations, la sécheresse ! Samson(illustrations de). Ed. Media-Pays, N.D.Recueil de dessins de Pierre Samson sur les dérives de l’agriculture et du monde agricolegagné par le productivisme et le libéralisme.

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Une histoire de la Conf’ • Annexe130

n Anda : Association nationale pour le développe-ment agricole. Créé en 1966, cet organisme est rem-placé en 2002 par l’Agence du développement agricoleet rural (Adar) à la suite de diverses dérives financiè-res dénoncées par l’inspection des Finances. Agencesous tutelle de l’Etat, cette dernière s’engage pourtantsur la même voie, laissant la porte ouverte au finance-ment occulte des syndicats et aux combines politiques.Elle reste, malgré tout, le seul lieu possible de confron-tations, de concertations, de décisions relatives auxorientations du développement agricole... jusqu’au 1er janvier 2006, date de sa dissolution.

n APCE : Alliance paysans consommateurs écologistes.L’association crée en 1992 regroupe des organisationsnationales d’agriculteurs, de consommateurs, d’envi-ronnementalistes, ainsi que les Alliances départemen-tales et régionales, et fait partie du réseau européenRepas (Réseau européen pour une agriculture et unealimentation soutenables). Elle informe les citoyenssur les modes de production, de commercialisation etde consommation.

n Apca : Association permanente des chambres d’agri-culture. Echelon national représentatif de l’ensembledes chambres d’agriculture, à savoir les 94 chambresdépartementales d’agriculture et les 21 chambres régio-nales d’agriculture.

n Attac : Association pour la taxation des transac-tions financières pour l’aide aux citoyens. Lancée en1998 suite à un édito du journal Le Monde diplomati-que, Attac a rapidement rencontré un écho important.Aujourd’hui, l’association altermondialiste existe danspresque tous les pays d’Europe et d’Amérique latine, ainsiqu’en Asie, en Afrique, et également au Québec. Elleréunit environ 100 000 membres.

n CAF : Conseil de l’agriculture française. Instanceinformelle créée à l’initiative de la FNSEA au début desannées 1970, censée réunir l’ensemble des organisa-tions professionnelles autour de la FNSEA et du CNJA,(soit l’Assemblée permanente des chambres d’agricul-ture, la Fédération nationale des coopératives agrico-les, la Mutualité sociale agricole [MSA], la CMRA [deve-nue Groupama], le Crédit agricole), dans le but de s’ex-primer « d’une seule voix » (unité paysanne) face augouvernement... ou bien dans celui de nier le plura-lisme syndical en agriculture. N’est plus activé depuisplusieurs années.

n Cedapa : Centre d’études pour le développementd’une agriculture plus autonome. Association d’agri-culteurs des Côtes-d’Armor, militant pour l’adoption depratiques moins consommatrices en intrants et moinsagressives pour le milieu naturel et les animaux, elle aété créée par des paysans partisans de l’extensification,qui ont mis au point dans leurs exploitations des tech-niques issues de leur propre savoir-faire et d’objectifsgénéraux : limiter les pollutions, ne pas viser les hautsrendements, mais plutôt un revenu stable, éviter l’achatd’aliments du bétail...

n CGA : Confédération générale de l’agriculture.Syndicat clandestin pendant l’Occupation, elle regroupeessentiellement des militants socialistes et radicaux.La CGA devient une organisation syndicale agricoleen mars 1945. Elle vise à regrouper toutes les famillesde l’agriculture (syndicats agricoles, mouvement mutua-liste et coopératif, syndicats de salariés). Son but est defédérer les différentes organisations agricoles. Cetteconfédération s’efface au profit de la Fédération natio-nale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA).

n Céta : Centre d’études techniques agricoles. Créesen 1944 par des agriculteurs qui cherchent à dévelop-per par eux-mêmes les solutions aux problèmes deleurs exploitations, les Céta ont contribué à la vulga-risation des technologies en agriculture, notammentpar le renforcement des liens avec la recherche publi-que et les stations de recherche des firmes privées (d’en-grais ou de l’alimentation du bétail). La démarche a étéofficialisée par décret en1959.

n Cirad : Centre de coopération internationale enrecherche agronomique pour le développement.Organisme public de recherche appliquée pour le déve-loppement de l’agriculture dans les pays du Sud.

n Civam : Centre d’initiatives pour valoriser l’agri-culture et le milieu rural. Structures issues, dans lesannées 1950, de la volonté de l’Association nationaledes maîtres et maîtresses agricoles (ANMA) soucieuxde donner tous les agriculteurs la possibilité d’accéderà une formation générale et à un enseignement profes-sionnel et des Amicales laïques. Ces associations affi-liées à la Ligue de l’enseignement abordaient égalementdes sujets agricoles avec l’objectif de propager le pro-grès et la modernité dans les campagnes. Dans lesannées 80, de nombreux groupes locaux se créent enjouant la carte de la diversification, avec des forma-

Quelques clés :les organismes et les sigles cités

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Une histoire de la Conf’ • Annexe 131

tions qui contribueront grandement au développementde productions de qualité (agriculture biologique, api-culture, produits fermiers...) et d’activités centrées surle tourisme, l’accueil à la ferme. En 1994, le fonction-nement pyramidal de la Fédération nationale des Civamest abandonné au profit d’un fonctionnement en réseau.

n CNPF : Conseil national du patronat français.Organisation représentant le patronat français, crééeen 1945 à la demande du gouvernement français qui,au sortir de la Seconde Guerre mondiale, désirait dis-poser d’un interlocuteur représentatif de l’ensemble dupatronat. En 1998, le CNPF se transforme en Mouvementdes entreprises de France (Medef).

n CLEI : Comité de lutte des éleveurs intégrés. Crééen 1974 pour défendre les éleveurs « intégrés » avecl’appui décisif des Paysans-travailleurs, le comité varéussir à imposer un rapport de forces sans précédentavec les intégratrices. En menant des actions dures(blocages de camions, interventions dans les usines,manifestations publiques...), le comité va provoquerun climat propice à des négociations et à des jugementsde tribunaux favorables. Historiquement, c’est à par-tir de cette lutte collective que l’action juridique pren-dra toute son importance sur le plan syndical.

n CMR : Chrétiens dans le monde rural. Depuis 1966,c’est le nouveau nom du Mouvement familial rural.

n CNDSF : Coordination nationale de défense dessemences fermières. Elle regroupe la Confédérationpaysanne, la Coordination rurale, le Mouvement de ladéfense des exploitants familiaux (Modef), le Syndicatdes trieurs à façon de France (Staff), la Fédérationnationale de l’agriculture biologique des régions deFrance (Fnab) et le Syndicat national d’agriculture bio-dynamique (SABD). La CNDSF se bat pour sauvegar-der la pratique millénaire de la reproduction fermière.Elle revendique, pour les paysans, la reconnaissancedu droit à trier et ressemer à partir de sa propre récolte.Lire en page 28.

n Cniel : Centre national interprofessionnel de l’éco-nomie laitière. L’interprofession laitière a été créée en1973 par trois fédérations des professionnels du lait :la FNPL (Fédération nationale des producteurs de lait– association spécialisée de la FNSEA), la FNCL(Fédération nationale des coopératives laitières) et laFnil (Fédération nationale de l’industrie laitière). C’estl’organisme qui fixe les recommandations d’évolutiondu prix du lait aux entreprises de transformation du lait.Les décisions de l’interprofession laitière s’inscriventdirectement dans les choix politiques du gouverne-ment sur l’évolution du paysage agricole : baisse durevenu des paysans, disparition des exploitations lai-tières, concentration des outils de transformation, dis-parition d’emplois du secteur agro-alimentaire.

n CNJA : Centre national des jeunes agriculteurs.Organisme créé en novembre 1947 sous le sigle Cerclenational des jeunes agriculteurs, sans avoir une réellevocation syndicale. Est investi à la fin des années 1950par les dirigeants de la JAC, qui le dénomment Centrenational des jeunes agriculteurs et devient alors le syn-dicat « jeunes » de la FNSEA. Il prend le nom deJeunes agriculteurs (JA) en juin 2001.

n CNSTP : Confédération nationale des syndicats detravailleurs paysans. Créée en 1981, elle participe, en1987, à la fondation de la Confédération paysanne.

n Coordination rurale : Elle naît fin 1991. Ses initia-teurs ne la présentent pas comme le projet d’une orga-nisation syndicale, mais comme une « coordination »trans-syndicale. Contre la réforme de la PAC, laCoordination rurale a, en effet, associé à ses débutsquelques syndicats départementaux de la Confédérationpaysanne et deux organisations syndicales à caractèrenational d’obédiences très différentes : la FFA (Fédérationfrançaise de l’agriculture, très marquée à droite et àl’ultra-droite) et le Modef, historiquement lié à la gau-che laïque). Le secrétaire général de la Coordinationrurale fut d’ailleurs un temps Raymond Girardi, actuelsecrétaire général du Modef. En 1994, la coordinationchange de statut et devient une organisation syndicale,englobant la FFA et s’intitulant désormais Coordinationrurale - Union nationale. Elle dénonce à la fois la poli-tique européenne, les « apparatchiks de la profession »,la cogestion entre la FNSEA et l’Etat, ainsi que les OGM.Elle prône l’agriculture durable, « l’exception agricul-turelle » à l’OMC et le droit à la « souveraineté alimen-taire pour les Etats ». Ses adversaires dénoncent undiscours attrape-tout, volontiers populiste, voire réac-tionnaire : les partisans de Philippe de Villiers (Mouvementpour la France) aiment à la citer en exemple...

n CPE : Coordination paysanne européenne. Elle prendforme en 1985, avec un document critique sur la paru-tion du Livre vert de la Commission européenne, lorsd’un séminaire public à Paris. Ces oganisations pay-sannes ont une vision commune d’une nécessaire réformedes politiques agricoles en Europe (en particulier laPAC) et dans le monde. La CPE est reconnue depuis1986 comme l’interlocuteur professionnel agricole euro-péen par les institutions de l’Union européenne, et siègedepuis octobre 1998 au sein des comités consultatifsagricoles de la Commission européenne. En 2008, laCPE devient Coordination européenne Via Campesina(ECVC : European Coordination Via Campesina). (Lireen page 30). Site Internet : www.eurovia.org

n CVO : Contribution volontaire obligatoire. Contributionpayée par tous les membres d’une filière professionnelleau profit de la structure interprofessionnelle qui les regroupe.

n DDAF : Direction départementale de l’agriculture et

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Une histoire de la Conf’ • Annexe132

de la forêt. Service déconcentré de l’Etat, placé sous l’au-torité du préfet de département. Il exerce, au service desterritoires ruraux, des missions relevant d’abord duministère de l’Agriculture et de la Pêche mais aussi duministère de l’Ecologie, de l’Energie, du Développementdurable et de l’Aménagement du territoire. La DDAFmet en œuvre les politiques publiques relatives auxproductions agricoles et forestières, à la protection età la gestion de l’eau et de l’environnement, à l’aména-gement et au développement de l’espace rural. Elleeffectue également des missions d’ingénierie publiqueà la demande des collectivités locales.

n ELB : Euskal herriko Laborarien Batasuna. Syndicatagricole basque affilié à la Confédération paysanne.

n Fadear : Fédération associative pour le développe-ment de l’emploi agricole et rural. Fondée en 1984,cette association a été créée par des militants issus desmouvements qui ont créé la Confédération paysanne,qui ont ressenti le besoin de se former, d’accompagnerles paysans porteurs d’actions de développement. Outilau service des paysans de la Conf’, la Fadear a une acti-vité orientée sur la formation des paysans et des mili-tants de la Confédération paysanne, et le développementde l’Agriculture paysanne. Lire aussi en page 74.Site Internet : www.fadear.org

n FDSEA : Fédérations départementales des syndi-cats d’exploitants agricoles. Echelons départemen-taux de la FNSEA. Outre les syndicats d’exploitantsagricoles, les FDSEA peuvent être constituées d’Unionsyndicale cantonale, de sections sociales et de sectionsou associations spécialisées (par production).

n FFA : Fédération française de l’agriculture. Syndicatcréé au début des années 1960 à l’initiative de dissi-dents de la FNSEA (notamment la FDSEA d’Indre-et-Loire), la FFA entend défendre la propriété foncièreagricole et non agricole (contre le statut du fermage),« l’indépendance et la liberté des paysans » (en réac-tion à l’organisation de la production par les coopéra-tives et les groupements de producteurs et à l’interven-tion publique [Etat et Europe] dans l’organisation dela production et des marchés). Dans son esprit, elle estproche du mouvement poujadiste, qui mobilise desartisans et des commerçants contre l’impôt et les coti-sations sociales, et qui renaîtra dans le CDCA(Confédération de défense des commerçants et arti-sans) dans les années 1980-1990. C’est un syndicatcorporatiste et réactionnaire influencé ou animé pardes mouvements d’extrême droite.

n Fnab : Fédération nationale d’agriculture biologi-que. Organisme professionnel à vocation syndicale crééen 1978. Elle fédère les groupements régionaux d’agro-biologistes. Visant un développement cohérent, dura-ble et solidaire du mode de production biologique fran-

çais, elle a pour objectif la défense et la représentationdes agriculteurs biologiques.

n FNPL : Fédération nationale des producteurs delait. Une des 38 associations spécialisées de la FNSEA.

n FNSEA : Fédération nationale des syndicats d’exploi-tants agricoles. Créée en 1946, pour rassembler lesexploitants agricoles, elle est une branche de laConfédération générale de l’agriculture (CGA). LaFNSEA fonde son monopole syndical sur le mythe del’unité paysanne et défend des prix agricoles rémuné-rateurs – position satisfaisante, en réalité, pour lescéréaliers qui bénéficient d’une organisation efficacedu marché (Onic créée en 1936 par le gouvernementdu Front populaire).Cette torpeur syndicale sera bousculée dans le milieudes années 1950, d’une part par des crises importan-tes dans les secteurs de la viticulture et de l’élevage (en1953, le « comité de Guéret » est constitué par18 fédé-rations départementales dans les zones d’élevage enopposition directe avec la FNSEA qui représente lagrande agriculture du Nord et du bassin parisien) et,d’autre part par la montée de la Jeunesse agricole catho-lique (JAC) et sa conquête du CNJA (Centre nationaldes jeunes agriculteurs). La FNSEA a développé uneemprise impressionnante sur le monde agricole : der-rière le syndicat national, ce sont de multiples associa-tions spécialisées, des syndicats locaux, des organis-mes de crédit, des journaux, des systèmes d’aide... Les« montages organisationnels » de la FNSEA, particu-lièrement opaques, lui ont longtemps permis de refu-ser le pluralisme syndical qui ne sera imposé qu’à par-tir de 1981, avec l’arrivée de la gauche au pouvoir. LaFNSEA se rapprochera d’autant du RPR (en 1986,François Guillaume quitte la présidence de la FNSEApour devenir ministre de l’Agriculture de JacquesChirac).Aujourd’hui, la FNSEA revendique 320 000 adhérentsrépartis en 22 fédérations régionales (FRSEA) et 94fédérations départementales (FDSEA).

n FNSP : Fédération nationale des syndicats paysans.L’un des deux syndicats à l’origine de la Confédérationpaysanne.

n GAB : Groupement des agriculteurs biologiques.Ces structures se sont mises en place progressivementdepuis plus de vingt ans. Au nombre de 78 en dépar-tements et 24 en régions, ces organisations fédèrent etreprésentent la grande majorité des producteurs bio-logiques français. Ils sont fédérés par la Fédérationnationale d’agriculture biologique (FNAB), organismeprofessionnel à vocation syndicale (créé en 1978), quiassure la défense et la représentation des agriculteursbiologiques.

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Une histoire de la Conf’ • Annexe 133

n Gatt : Accord général sur les tarifs douaniers et lecommerce (General Agreement on Tariffs and Trade).Signé le 30 octobre 1947 par 23 pays pour harmoniserles politiques douanières, le traité est entré en vigueuren janvier 1948.

n Gnis : Groupement national interprofessionnel dessemences et plants. Organisme sous tutelle du minis-tère français de l’Agriculture rassemblant les profes-sions de l’activité semencière française.

n GVA : Groupements de vulgarisation du progrèsagricole. Crées par décret en1959, ces groupes de 50à 150 adhérents avaient un rôle de vulgarisation destechnologies, d’animation et d’entraînement du milieuagricole. Financés par des taxes parafiscales, il serontrenforcés par des Instituts techniques spécialisés parproduit et l’appui des chambres d’agriculture qui met-tent à leur disposition des conseillers. Un rôle accrudes chambres d’agriculture au cœur du dispositif devulgarisation et de développement agricole sera for-malisé par décret en 1966, avec la création des Servicesd’utilité agricole de développement (Suad).

n Inao : Institut national de l’origine et de la qualité.Cet établissement public administratif (sous tutelle duministère de l’Agriculture et de la Pêche) a été créé en2006. Il est chargé de la mise en œuvre de la politiquefrançaise relative aux produits sous signes officiels d’iden-tification de l’origine et de la qualité : appellation d’ori-gine ; IGP ; label rouge ; STG et agriculture biologique.

n JAC : Jeunesse agricole chrétienne. Mouvement d’ac-tion catholique créé en 1929, ayant pour but, à l’ori-gine, la formation des consciences chrétiennes dansles campagnes, et dont les militants élargirent progres-sivement les objectifs à la prise en compte de la défenseet du développement de la profession d’agriculteur.Après la Seconde Guerre mondiale, la JAC a contribuéà faire prendre conscience aux agriculteurs de la néces-sité d’une transformation de l’agriculture par le pro-grès technique. La JAC est devenue, en 1964, l’une destrois branches du Mouvement rural de la jeunesse chré-tienne (MRJC), qui comprend aussi les jeunes travail-leurs salariés et les jeunes scolarisés.

n Medef : Mouvement des entreprises de France.Organisation patronale représentant les dirigeants desentreprises françaises, il a été créé en 1998, date àlaquelle il a remplacé le Conseil national du patronatfrançais (CNPF). Son but est de représenter les entre-preneurs français auprès de l’Etat et des organisationssyndicales. C’est l’organisation des patrons de Francela plus importante et la plus influente, qui s’exprimeau nom de 750 000 entreprises (des plus petites auxplus grandes) et dans des secteurs aussi variés que l’in-dustrie, le commerce, les services et sur l’ensemble duterritoire français.

n Modef : Mouvement de défense des exploitantsfamiliaux - Confédération nationale des syndicatsd’exploitants agricoles. Créé en 1959 par des militantspaysans des départements du sud et du centre de laFrance issus de la section des fermiers et métayers etde la viticulture de la FNSEA dans un objectif de rup-ture par rapport à cette dernière. Ses fondateurs se posi-

Les offices par produitLes offices par produit sont des établissements publics rattachés au ministère de l’Agriculture. Ils existentdepuis 1936 dans le secteur des céréales et depuis 1974pour les viandes, et ont été généralisés à toutes lesfilières de production par la gauche dès son arrivée au pouvoir en 1981.

Leur mission était d’appliquer la politique agricolecommunautaire quant à la régulation des marchés et lapolitique française quant à l’orientation et l’organisation de la production. C’est à l’office que s’exprimait, en concertation avec les professionnels, le projet politique de l’Etat à traversl’attribution des crédits d’incitation, d’orientation,d’accompagnement mais aussi de pérennisation desinstitutions professionnelles ; cela tant au niveau nationalque régional.Les offices regroupaient des représentants de l’Etat(agriculture, finances...), de la transformation (coopérationet industriels) et des producteurs dans le respect dupluralisme syndical (les sièges producteurs sont attribuésau prorata des résultats aux élections chambresd’agriculture).Depuis les réformes successives de la PAC depuis 1992, ils ont été progressivement dépouillés de leur mission derégulation de la production et des marchés : l’Etat libéralchoisit de se désengager, dans l’agriculture comme ailleurs,préférant laisser les missions d’orientation et d’organisationdes filières de production aux « interprofessions ». Mais lebut et le fonctionnement de ces dernières sont pourtanttrès différents : l’Etat n’y est pas représenté et le pluralismesyndical n’y est pas reconnu.Après de nombreuses fusions intervenues depuis 2005-2006, il n’existe plus, depuis 2009, que deux offices :France Agrimer regroupant toutes les productions agricoleset de la mer pour la métropole et l’Odeadom pour lesproduits agricoles des départements d’outre-mer. Pourtant quand on aura détruit les offices, il faudra lesréinventer car il faudra bien trouver un lieu de concertationentre l’Etat, les producteurs et les transformateurs. En attendant, l’Etat constatera impuissant les méfaits descrises dévastatrices à répétition.

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Une histoire de la Conf’ • Annexe134

tionnent à gauche : socialistes, communistes, anarcho-communistes ou militants du progrès social.

n MSTT : Mouvement syndical des travailleurs de laterre. Créé en 1977 par des équipes de paysans-tra-vailleurs qui se rallient au Mouvement national destravailleurs agricoles et ruraux (Monatar). En 1981, cemouvement sera à l’origine de la Confédération natio-nale des syndicats des travailleurs paysans (CNSTP).

n OCM : Les Organisations communes de marché ontété créées dès 1962 pour soutenir et organiser les mar-chés dans le cadre de la Politique agricole commune(PAC). La première organisation commune de marchécréée a été celle des céréales en 1967, suivie de celle desfruits.

n Onilait : Office national interprofessionnel du laitet des produits laitiers. Cet établissement public àcaractère industriel et commercial a été créé par décretle 18 mars 1983. Depuis 2006, L’Onilait a fusionné avecOfival (Office national interprofessionnel de la viande)pour devenir l’Office national interprofessionnel del’élevage et de ses produits (Oniep), plus généralementappelé Office de l’élevage. En 2009, il a intégré FranceAgrimer, nouvel établissement en charge de la gestiondes filières des grandes cultures, de l’élevage, de lapêche, de l’aquaculture, des vins, des fruits et légumes,de l’horticulture, des plantes à parfum, aromatiques etmédicinales qui se substitue aux offices (lire aussi l’en-cadré en page 133).

n SNFM : Section des fermiers et métayers. Sectionspécialisée de la FNSEA, elle est le pendant de la SNBR(Section nationale des bailleurs ruraux). Fonde sonexistence sur la défense des fermiers et la promotiondu fermage par référence au statut du fermage adoptéen 1947.

n SRPV : Service régional de la protection des végé-taux. Service de la Direction régionale de l’agricultureet de la forêt (DRAF), le SRPV assure un rôle d’appuitechnique, d’expertise et de contrôle en matière de pro-tection phytosanitaire des végétaux. Il assure des mis-sions à caractère réglementaire concernant : le contrôledes parasites dits de quarantaine, le contrôle des pro-duits phytosanitaires, les essais officiels en vue de l’ho-mologation des produits phytopharmaceutiques et lecontrôle des organismes génétiquement modifiés.

n UDSEA : Union départementale des syndicats d’ex-ploitants agricoles. Echelon départemental de la FNSEA(au même titre que la FDSEA). En général, le sigleUDSEA est adopté dans un département par des mili-tants minoritaires de la FDSEA, que ce soit pour main-tenir leur adhésion à la FNSEA ou à la suite de leurexclusion par cette dernière.

n Upov : Union internationale pour la protection desobtentions végétales. Organisation intergouvernemen-tale créée à Paris en 1961 à l’initiative de la France(actuellement premier producteur mondial de semen-ces potagères commercialisées) et des grands semen-ciers, ayant abouti à une « Convention internationalepour la protection des obtentions végétales ». Cetteorganisation regroupe des pays engagés dans la mise enœuvre obligatoire d’un Certificat d’obtention végétale(COV). Officiellement, ce groupement vise à protégerjuridiquement les droits de propriété intellectuelle desobtenteurs sur leurs variétés au niveau international.

n Via Campesina : mouvement international composéd’organisations paysannes de petits et moyens agricul-teurs, de travailleurs agricoles, de femmes et de com-munautés indigènes d’Asie, d’Afrique, d’Amérique etd’Europe. C’est un mouvement autonome, pluralisteet indépendant de tout mouvement politique, écono-mique ou autre. Il est composé d’organisations natio-nales et régionales qui préservent jalousement leurautonomie. La Confédération paysanne est membre duréseau international Via Campesina. En son sein, ellemilite pour une reconnaissance du droit à la souverai-neté alimentaire et pour la défense de l’Agriculture pay-sanne et de ses travailleurs. Le siège de Via Campesinaest abrité depuis juin 2004 à Djakarta, en Indonésie. Site Internet : www.viacampesina.org

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Une histoire de la Conf’136

Ouvrage édité parla Confédération paysanne - Fadear

104, rue Robespierre - 93170 Bagnolettél. : +33 1 43 62 04 04 fax : +33 1 43 62 80 03

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ImpressionAzaprim - Bussy-Saint-Martin (77)

Sauf indication contraire, toutes les illustrations sont issues des archives de la Confédération paysanne

et de « Campagnes solidaires »Tous droits réservés.

Photos de couverture•

1995. « Trois fermes valent mieux qu’une grande » avec ce slogan, la Conf’ dépasse les 20 % des voix

lors des élections aux chambres d’agriculture •

1997. Première action de résistance aux tentatives de passage en force des OGM en plein champ

• 1999. Démontage du chantier du Mc Donald à Millau

• 1992. Lutte victorieuse contre la société Pohlmann

et son projet de poulailler de 6 millions de poules pondeuses

• 2000. Assemblée générale de Via Campesina

à Bangalore (Inde) •

2003. Rassemblement contre l’OMC sur le plateau du Larzac. 300 000 personnes

répondent à l’appel de la Conf’