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MARCEL AUBERT Professeur û l'École Nationale des Chartes Directeur de la Société française d'Archéologie. L'EGLISE SAINT-FRONT DE PERIGUEUX PARIS SOCIETIt GÉNÉRALE D'IMPRIMERIE ET D'ÉDITION 71, RUE DE RENNES, 71 1929

l' Eglise de St Front

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MARCEL AUBERTProfesseur û l'École Nationale des Chartes

Directeur de la Société française d'Archéologie.

L'EGLISE SAINT-FRONT

DE PERIGUEUX

PARISSOCIETIt GÉNÉRALE D'IMPRIMERIE ET D'ÉDITION

71, RUE DE RENNES, 71

1929

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SAINT-FRONT DE P1RIOUEUX

La place qu'occupe Saint-Front de Périgueux dansl'histoire de l'architecture dit âge, est considérablenon pas tant par soit qui appartient à un type connu,bien qu'assez rare en France, ni par la technique mêmede sa construction que l'on retrouve dans plusieurs autresédifices de la région, que par la date que l'on e parfoisvoulu lui attribuer. La s question de Saint-Front u a étélonguement discutée, et je ite pourrai donner ici que lesgrandes lignes des différentes thèses qui ont été soute-nues (1).

Félix de Verneilh, dans son important vohnne sur t'Ar-chitecture byzantine en France, 1851, crut pouvoir établirque Saint-Front avait été construit à la fin du x" siècleet au début dit sur le modèle de Saint-Marc de Venise,et consacré eu 1047. Cette conclusion fut adoptée sansdiscussion par Viollet-le-Duc et les archéologues, jusqu'en1882. Le 11 avril de cette année, au Congrès des SociétéSavantes, Alfred Ramé prouva que Saint-Marc ne futcouvert de coupoles qu'à la fin du xi° siècle, - on saitaujourd'hui que Saint-Marc, commencé vers 1063, fut con-sacré en 1111, - et proposa de rejeter la constructionde Saint-Front au xlIc siècle, après l'incendie de 1.120 (2).Jules de \'erneilh défendit les conclusions de soit ensupposant seulement que les constructeurs de Saint-

(I) On trouvera la bibliographie complète dii -sujet dans le grandouvrage de, M. le chanoine J. [Joux, la Basilique Saint-Front dePérigueux, 1920, auquel je renvoie également pour tous les textesrelatifs à l'histoire de l'édifice, que M. le chanoine Houx n publiésavec la critique la plus sûre. -

(Z) Bull. du Comité des travaux luit-e! scient., 1882.

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Document

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4 P1R1GVEUX

Front cherchèrent directement leur modèle à Constanti-nople (1). La thèse de Ramée n'en resta pas moins le plusgénéralement acceptée, renforcée encore par les argumentsde BrutaiI (2), de Phené Spiers (3), de Lasteyrie (4).

En 1920, M. le chanoine J. Roux, reprenant l'étudedes différents textes qui avaient servi de hase à la dis-cussion, fort de la connaissance approfondie qu'il a del'édifice, de sa construction, de sa décoration, revint enpartie à la thèse de \Terneilh et proposa à nouveau dedater Saint-Front du xIe siècle ; l'église à coupoles, com-mencée sans doute par l'évêque Raoul de Couhé (t 1013),après son retour do Palestine, aurait été terminée cii 1077,au moment de l'exécution du tombeau du saint par lemoine de la Chaise-Dieu, Guunamond.

Acceptée par le marquis de Fayolle (5), la thèse duchanoine J. Roux fut vivement critiquée par Brutails (6),E. Lefèvre-Pontalis (7), Raymond Rey (S), et C. Enlart (9),qui lui opposèrent de sérieuses objections.

En l'absence de documents certains sur l'état de Saint-Front avant la restauration radicale d'Abadie qui a trans-formé, sans laisser de témoins, le plan, la silhouette, lecaractère même de la construction et de la décoration, lesmatériaux et les profils des arcs (10), nous reprendrons à

(1) floU. de la Soc, bis!. cl archéol. du Périgord, 1882, t. IX.(2) La 4ue,stion Saint-Front, dons, le Suit. Mon., 1895.(3) Saint-Front et tes églises à coupoles du Périgord (Bull. Mon.,

1897). A. Saint-Paul, tout d'abord partisan de la thèse de Vcrneilh,ne datait plus Saint-Front, dans son lits!, mon. de la Fronce, que dusecond quart du XI]' siècle.

(4) L'Ai-chileclure religieuse en Fronce à l'époque romane, 1912,p. 465-484.

(5) C.B. dans le Bol!. Mon., 1920.(6)" C.B. dans la .1311,1. PIc, des Chartes, 1920.(7) L'École du Périgord n'existe pas, dans Pull. Moi,., 1923.(8) La cathédrale de Cahors et les origines de l'architecture â cou-

poles d'Aquitaine, 1925.(9) Les églises à coupoles d'Aquitaine et de Chypre, dans la Gazelle

des Beaux-Arts, mars 1926,(10)S'appuyant sur la description donnée en 1826 par Mourcin dans

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6 PÉPIGUEUX

nouveau l'étude des textes déjà connus, et essayerons deretracer l'histoire des différentes campagnes de construc-tion de Saint-Front, et de fixer la date de l'église à cou-poles. Nous vérifierons ces conclusions d'après ce quenous savons des autres grandes églises à coupoles d'Aqui-tai i te.

La catltédrae actuelle de Saint-Front conwre n d deux édi-fices à l'ouest, une basiliq ne en partie ruinée, sur laquellese dresse le grand et beau clocher à l'est, une église àcoupoles, de plan en croix grecque avec deux absidiolesorientées ci un choeur terminé par une abside moderne.

Les textes les plus imporjants pour l'histoire do Saint-Front sont tirés d'un manuscrit que conservaient autre-fois les chapelains (le Saint-Antoine, fondés ait sièclepar le cardinal de Tal leyrand-Périgord, dans la chapellequ'ils possédaient au chevet de Saint-Front, sur l'empla-cernent de l'abside actuelle du choeur. Ce manuscrit, quicontient une histoire abrégée des évêques de Périgueuxde 976 à 1182, a été publié pal- le P. Labbc (1).

Nous savons ainsi que Frotaire, qui fut évéque (le 976à 991, commença la reconstruction de la grande abba-tiale de Saint-Front « magnum inonasterium S. Froritonisoedificare eoepit a. Un de ses successeurs, Raoul de Confié,mort en 1013, fui enterré encore dans la vieille basilique

in mona.stcrio vetulo », là où un autel était consacréà saint Thomas. La nouvelle église n'était pas encoreterminée elle ne Fut consacrée qu'en 1047, par l'arche-vêque de Bourges Aymon (2).

les Antiquités de Viseur du conitc de raili cf, r, t. 11. P . 2d0-445, et surdes documents graphiques et piio tora 1)111(1 lies cucul, certains prove-naient de l'ancienne agence des travaux et dont (l'affiles lui avaientétè communiqués par M. 13 oswill w n Id et par le marquis dc F ayol te,?'l. le chanoine Roux n donné la reconslitulion la plus précise quenous avons (ic S;,i,il,-Frotii., avant la rcstan!aUuIl d'Àbadie.

(1) A'oun biHiot/,eeu inca uscriptoru ii' li broient, L. Il p. 737-738.(2)Cette date de consécration, donnée par un Lexie du xvii' siècle,

est considérée comme suspecte par M. le chanoine Roux.

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IGLISE SAINT-FJONT

D'après le chanoine Roux.

PLAN DR L'IOLESE SAINT-FRONT 0E PÉREOUEUX

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8 PltlGUEUX

Cette église était. de plan basilical. Dans les murs de lanef doublée de Lias-côtés, on avait conservé des parties demurs p lus anciens remontant peut-être à la pre:ini ère égliseélevée au vie siècle par l'évêque CFOPOpiUS, pour abriter lecorps de saint Front (1). Les sondages exécutés à l'intérieurdes piles rie l'église occidentale actuelle par M. Bruyère et

BAS-RELIEF P1iOVE?AXT DE SMNNFIIONT, AU MUSÉE DU rÉnsoono

M. I3oeswillwald prouvent que la nef de cette vieille basi-lique é lai L couverte d'une charpente les grandes arcadesreposaient sur des piles rectangulaires renforcées de pilas-tres du côté des collatéraux. Sur ces pilastres retombaientles doubleaux portant les berceaux perpendiculaires à l'axede l'église qui couvraient les bas-côtés, ainsi que l'a àtabli

(1) On trouvera dans le livre de M. le clin hume fie ix les descriptionsdétaillées avec dessins et photographies de ces fragnients anciens dela basilique latine, et de l'église à coupoles.

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(cLlSE SAINTFRONT D

M. le chanoine Roux. -Ai{-c1hift. tin xii 0 Scie, d'après lestyle des diapi tealix encore visibles clans le mur cpi isépare I' aiteicli ne biisiliq rio de l'église à coupoles, On, ren-forca six piles tic la iref et s 'il l'espace rectangulaireainsi Obtenu, on foillincliC. ,i lu e construction d'un clocherTonna ni, peu L- être ton r -lan terne à sa base, cumule clans

flaprCs le chanuri ire linux.

AFiC.T URE DE LA CONFESSION Dii NOFIl)

les églises normandes. A la même époque, Oit plaquait surla façade erres! e c:ri utilisant peu i-être certains motifsp5 aneicims, un décor d'arcatures, tic figures, de pilas-tes, de grecques et tic damiers, encore en partie visibleaujoiird'hir. ct dciii; divers fragments ont été recueillisau Musée du Périgord, notamment ni' bas-relief, fort usé,représentant sait,!, Pierre donnant; à saint Front ic bâtonpastoral, et qui ciécôrait le pignon de la façade. Cettedécoration de la hçade brûlée en 1120, et modifiée danscertaines de ses parties ait cours dit xii e siècle, eut

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10 PÉRIGIJEUX

fort A souffrir ensuite de l'abandon où fut laissée infaçade.

Le transept assez grand communiquait au nord avecmie con Cession puis ancienne, reste peut-être du s vetulummonasterjuin s dont il est parié dans le texte de 101.3, etbutait au sud Contrecontre une autre confession qui, cii réalité,

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FIIAOMItNT OU TOMBEAU 11E SAINT FIIONT, AU MUSÉE DU PÉRIÇ.OtIn

ne parait pas avoir communiqué directement avec l'église,et qui. était; peut-être une salle capitulaire ou une dépen-dance du cloître du XI0 siècle.

Le choeur devait être important, voûté et terminé parune abside couverte, d'une voûte en cul-de-four. 11 abri-tait les tombes des évêques, et derrière l'autel, suivantune disposition fréquente alors, le tombeau de saintFront, monument considérable exécuté en 1077, par Gui-namond, moine de lut Chaise-Dieu, grâce A la générosité

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1 'C.LI5E SAINT-FRONT il

du chanoine Itier. et qui était enrichi de sculptures (1) -un ange sculpté et autrefois peint, avec nimbe (le VCFFC,

figure élêgante avx proporitoiisaikingecs, conserve ailMusée du Périgord en provient peut-être,. - de figures ill'antique, de monstres, cl, aussi c1e pierres précieuses,5C5, deplaques de cuivre doré et émai lié - un fragment retrouvéd'un Christ dans une gloire porte le nom de C uinamond (2).C& somptueux monument paraît avoir subsisté jusqu'en1575, époque où il fut détruit par les protestants.

Au temps de l'évêque Guillaume d'A.uberoehe, mort en1123, un incendie d' truc violence extrême ravagea lebourg et l'abbatiale de Saint-Front, détruisit les ornementsqu'elle contenait et les cloches dit clocher l'église étaitalors couverte d'une charpente de bois (3), précise lu texte(les chapelains (le Saint-Antoine, pour la différencier del'église 5 coupoles qui existait en 1182, lors de la rédactionde cc texte. C'est donc la basilique consacrée en 1047 quiest alors détruite, par ]'incendie. La chronique de Saint-Maixent (4) indique l'année 1120,l'année même de l'in-cendie de Vézelay, comme date de ccl: incendie, dans lequelpérirent un grand nombre d'hommes et (le femmes quiétaient sans doute venus se réfugier dans l'église. Le tom-'

(J) Le .1. jure l?oizgt des Archives Municipales nous eu laisséla riescri I luit « lequel était édifié en rond, coi, vert d'une VO O tefaite eu pyramide, et tout le dehors estoit entaille de figures de per-so,' ries fi l'ami tiqi,i té et de monstres, de bOtes sa I] 'ages de diversesfigures, de sorte qu'il av avait pierre qui ne fût enrichie de quelquetaille belle cl, bien tirée et plus reen n Tuai] cltible pour la façon fortantique

(2) Ablié Texier, Essai s,,, les elorgenlius;'s e! é,mi ailleurs de Limoges.P. 110.

(3) « Cujus Guillelrïui cleAlba Rocha] tenipore Ijurgos S. Fron-toais et monasterin rit eu,n suis orna tiiemitis repen tian ir,cendio,.. con -flagra vit, nique signa in clocarlo igue soluta s,uit. Erat Lune tent -poris monasteri un. iignris tahulis eGo pertum. »

(4) « Anno MCXX, Xl kif. aug. nionasteriura S. Mariae Magdn-lenae de \'izeliabo conibustura est cuni MCXXVI t horninibus etfeminis, Sin,iliter incensuru est monosterium S. Frontnnis eivil.atisPetmago'iee. eu,n moItis 1 1 0111111H)US et (enliais. ( Mahille, Clurnrliquetics églises ('Anfou. p. 429.)

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1 i'lTtiCUEIJ)

beau de saint Front avait été protégé par la voûte quicouvrait le choeur. Les restes des évflques enterrés autourdu tombeau furent portés dans la salie capitulaire.

A.ussii:8i:apr ès l'incendie, on commença la constructionde l'église é coupoles, sur plan en croix grecque, la cou-

E) , Luis., Ii phot.COUPOLES DU GRAND CLOCSSEI1

pole de l'ouest élevée sur l'emplacement dii choeur del'église de 1047, ci, brit ant le tombeau (le saint Front,que l'on voulait conserver en son eniplaceinent pritol tif.Peut- tro avait-on in énie prévu, avant 1120 e l'agrandisse-ment de l'ancienne église, ci avait-on plante les fonda-tions de la nouvelle. Toujours est-il que l'incendie de1120 rendit nécessaire la eoust,rijci,ioii rapide de la nou-velle église.

On ren força les piliers du clocher et les travées Yoisilies

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ÉGLISE SAINT-FRONT 13

des collatéraux, monta les deux petites coupoles surtrompes qui étrésillonnent à sa hase le grand clocher cjiiel'on construisit alors. -

Haut de quatre étages, les deux derniers en retraite sur

E. Lefêvre-Pontalis phot.

LE GRAND CLOCHER

les deux premiers, dénoué de niches rectangulaires sur-montées de frontons à sa hase, puis percé de trois étagessuperposés de baies en plein cintre encadrées de pilastresou de colonnes, il dresse, magnifique, sa haute masse, que

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1 i PÉBIGIJEUX

couronne lin lanternon circulaire dont la flèche coniqueà écailles est portée par des colonnes, comme untemple rond antique. De larges demi-colonnes mix étagessupérieurs, des pilastres aux étages inférieurs, montententre les trois haies de cinq je face et épaulent les angles

E. Lefèvre-Pon U' lis 1-1,0t. t.

FRISE PROVENANT DE SAINT-FRONT, AU MUSÉE nu PÉRIGORD

de la tour de beaux chapiteaux è feuilles d'acanthe,- aujourdlïui neufs pour la plupart, mais refaits sur lesanciens dont le M usée de Périgord possède plusieursfragments importants, - chapiteaux copiés directementsur des modèles antiques, les couronnent. Des corbeauxornés de palmettes et de feuilles d'acanthe, entre desinétopes figurant des griffons, des lions, des agneaux,des loups et des citions, des masques humains, au haut

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ÉGLISE SAIN-FRONT 15

de chaque double étage cia la tour (1.), des figuresd'atlantes et de personnages accroupis Sur le bandeauqui porte la flèche du lanternon, augmentent encore larichesse de la décoration de ce clocher, dont le partigénéra] comme les détails attestent l'influence prépon-dérante de l'antiquité, si nettement sensible égalementdans la décoration intérieure de Saint-Front.

Le clocher formait porche en avant de la nouvelle, église.Celle-ci s'éleva rapidement sur un plan en croix grecque. -Un escalier, dont on a retrouvé des traces, gravissait lapente assez rapide vers l'est et y débouchait, peut-êtrecomme à ].a du Puy, à l'intérieur de l'église.La travée occidentale, resserrée entre - les deux confes-sions, était un peu plus étroite que les autres, et l'on dutfaire porter son mur sud en partie sur la confessionvoisine dont les voûtes furent alors renforcées (2).Sur les larges piles percées de passages cruciformescouverts de voûtes d'arêtes ou de petites coupoles sur-montées (le salles voûtées de pyramides creuses, et reliéesles unes aux autres par de grands murs percés dans chaquetravée de trois fenêtres à l'appui desquelles passe unegalerie de circulation, sont montées cinq grandes cou-poles, une ait de lit et une sur chacun desbras. Ces coupoles étaient autrefois en blocage renforcéesà leurs bases par trois anneaux de pierre et surmontées,comme à Cahors et Souillac, de petits lanternons. Ellesportaient sur de grandes arcades très larges, légèrementbrisées, et sur des pendentifs d'une stéréotomie savantedéjà, comprenant onze assises en tas-de-charge à labase, et les autres perpendiculaires à la courbe du pen-dentif les centres des grandes arcades se trouvaient,

(1) E. Lefévre-PcnLalis les compare justmerit aux métopes del'église de Grand-Brassac (Dor(iogae), But!. Mon., 1923, p. 19.

(2) Des consolidations durent y être faites à la lia du moyen ligecar M; le chanoine Roux a retrouvé, lors des travaux récents de res-tauration, un sarcophage du xiv' siècle sous in, des piliers.

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16 PÉflIGIJEUX

comme à Cahors, sur la ligne des sommiers, et leurs faceslatérales, gauchies vers la pointe, se redressaient ausommet. Les hases des eoupolès partaient un peu enretrait, laissant titi passage sur lesgrandes arcades et lespendentifs. Aujourd'hui les grandes arcades sont nette-ment gauchies, leurs centres sont relevés au-dessus dela ligne des sommiers, les pendentifs sont entièrementmontés en tas-de-charge, ci les coupoles appareillées. Ladisposition primitive restituée par M. Phené Spiers,d'après des relevés anciens eonimllliiqllés pir M. i3œs-willwald (1), est conforme à ce que nous favoris desgrandes églises à coupoles dit tiers dit xii0 siècle,et loin d'être le e monstre archéologique n, suivantl'expression d'Anthyme Saint-Paul, qu'il eût constitué à -la fin du s e et même au début du x te siècle, Saint-Front,commencé en 1120, sur le, plan et l'élévation de Saint-Mare, dont il imite certains détails, connue les évi-demimts cruciformes des piles qui portent les coupoles,mais suivant les méthodes habituelles des constructeursde l'Acjuii.aine, avec ses coupoles de blocage, ses penden-tifs d'appareil très soigné, ses grandes arcades larges,simples, mais brisées, sa galerie de circulation à l'appuides fenêtres, rentre tout naturellement clans la série desgrandes églises à coupoles de cette région, après Saint-Étienne de in Cité, la cathédrale de Cahors et la plusancienne travée de la cathédrale d'Angoulême, non loindes abbatiales de Souillac et de Solignac. Ses coupolesseront recopiées, à une échelle réduite en. blocage d'abord,puis appareillées, montées sur des ares ]irisés plus aigus,bientôt à double rouleau, réunis par des pendentifs appa-reillés avec les ares, clans beaucoup de petites églisesdu Périgord. Son plan très particulier restera isolé. Ilsemble même que l'on pensa titi moment à le iransfor-

(J) lin!!. 'non., 1807, p- 209-21 1, il.

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ÉGLISE SAINT-FRONT 17

mer en lin plaît en croix latine, mais 011 y renonça, et lebeau clocher élevé sur l ' emplacement ancien resta debouten avant de l'église à coupoles.

La mouluration des bases A deux ou trois tores super-posés séparés par des gorges, des astragales, des tailloirs

E. Lcfvj'p,-I.'out,iIii phot.

CHAPITEAU PROVENANT DL SAINT-FIleNT, AU IIUSS DU PÉRIGORD

à facettes concaves superposées, ou à successions de toreset de méplat, comme à Souillac ou à Cadouin, sont biencaractéristiques (le la deuxième moitié du xit e siècle. Le typodes chapiteaux aux belles feuilles d'acanthe recourbéesen volutes aux angles, aux larges palmettes, - quelques-uns sont en outre ornés de lions affrontés, à l'entrée del'abside nord et sur un chapiteau conservé au Musée du

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18 PÉHI GUEUX

Périgord, par exemple, - s'il est assez exceptionnel dansle Périgord, où ic décor reste austère et souvent archaïquemême dans le deuxième tiers du xlte siècle, se rencontrefréquemment dans l'Ouest et le Midi de la France, de laSaintonge et du Poitou cii Provence. Le dessous du ban-deau porté par des colonnes, qui marque le départ ducul-de-four de l'abside du sud, est orné de cupules à qua-trelobes, comme à Saint-iMiehel d'Entraigues (Charente),édifice daté de 1137 (1), et comme dans les cornichesromanes d'Auvergne. Ces chapiteaux à belles feuillesd'acanthe, ces frises à palmettes, ces motifs copiés surdes modèles antiques dont lés ruines de la cité romainede Vésone devaient être pleines, se retrouvent dans legrand clocher, construit, tout le inonde rit convient,après l'incendie de 1120. Ainsi la décoration de Saint-Front, - ou du moins ce que nous pouvons en retrouverdans 'es rares témoins encore en place et dans les frag-ments conservés au Musée du Périgord - peut être datéede la première moitié et du milieu du xn° siècle aloisqu'elle serait exceptionnelle et assez incompréhensible unsiècle plus tôt.

Enfin, tin texte me paraît apporter la dernière confie-ination à notre thèse. Le dernier paragraphe du manus-crit des chapelains de Saint-À.ntoiite, confirmé par unpassage. de la chronique de Geoffroy de Vigeois (2), rap-

(1) Rapprochement fait par Phené Spiers, flans le Bu!!. Mon.,18117, p. 202-203. lI nous faut être prudent dans l'étude de la scull)-ture de Sain t-Front, qui fut en grande partie refaite par Abadie.C'est ainsi que 82 chapiteaux fuient remplacés nu cours de ta res-tauration. Quelques débris dc ces chapiteaux, dune frise de pal-nielles et de la corniche à damier sont conservés dons le eloltre etau Musée du Périgord.

(2) Texte des chapelains flic (Pierre Minet, 1160-1182) e1is-ce pi] s corpora praediet or' in Episco po ru iii C, cnpitulo San cli F roi'-tonis levavit, et en reposuit cana inagno honore et reverentia infraecciesiarn, uhi rdtorc in honorem 13e,itae Catliarinne ennseeravit.Texte de Geoffroy de Vigeeis:' Sabbuto sequeitti Petiiis episcopusPeiragorlea in urbe ordUres fceit. lnteriiu, praescnte electo ardue-

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(CLISE SAINT-FRONT 19

porte que, le 3 mars 1173, samedi des Quatre-Temps deCarême, l'évêque Pierre Minet, assisté par l'archevêqueélu de 13ordeaux, fait exhumer du chapitre, où on lesavait enterrés après l'incendie de 1.120, les corps de neufde ses prédécesseurs, et que, le lendemain, dimanche4 mars 1173, on dépose ces restes dans neuf niches pré-parées pour les recevoir devant l'autel Saint-Barthélemy,près de l'autel qui est ce jour même consacré solennel-lement à sainte Catherine. L'église à coupoles était clonealors complètement terminée.

Ces neuf évêques, de Bertrand à Gérald de Gourdon(t 1059), sont ceux dont i.e texte des chapelains de Saint-Antoine, rapporte qu'ils avaient été ensevelis dans lavieille église, « in basilica saneti Frontonis o, r in mo-nasterio \'etulO o - celle qui fut consacrée en 1047. Desautres évêques cités dans ce texte, Guillaume de Mont-brou avait ôté enterré à Monthron, et Renaud de l'in-'iers décapité à Antioche. Guillaume d'A.uberoche (1099-1128), le premier, est enseveli dans la nouvelle église

in hue ecclesia o, cl son successeur, Guillaume de Nan-clars (1128-1138), également ils n'ont pas besoin d'êtreexhumés, ils sont inhumés directement dans l'égliseneuve, l'église à coupoles, alors en construction, soit qu'onait retardé de quelques années leur ensevelissement défi-nitif, soit que la construction ail été assez avancée pourqu'on pût établir leurs tombes dans l'épaisseur des leurs,suivant une disposition fréquente au moyen Age, et dontles romantiques ont tiré les déductions les plus inatten-dues.

Les niches où furent placés les restes des neuf évêques,le 4 mars 1.173, se trouvaient dans le mur sud de la travéeoccidentale, auprès -de l'autel Sainte-Catherine et non

pi scopo Bu rriigalen si, corpora prnesuluiri de Un pitulo effli rliun tur,tinguli in Iocuijiioveni honore conci igrie in bari]i&a sancli Fron-sonis rocoiscluntur. , ( Labbe, Bib!, noua, II, 310.)

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20 I'ÉUIGuEUX

loin du tombeau de saint Front. Une addition faite en1590 au texte des chapelains nous fournit quelques rensei-gnements sur ces tombes sur la paroi de chacune d'ellesétait peinte une figure (l'évêque avec une inscription don-liant in nom de celui dont les restes reposaient en cetendroit; l'église ayant été abandonnée à la suite desravages des protestants, l'humidité, la pluie 111ème détrui-sirent ces peintures (lui tombèrent en janvier 1587. En1875, en démolissant pour le reconstruire le mur sud dela travée occidentale, on retrouva, sur lute retraite dumur, à I m. 50 du sol, entre des pilastres, six niches creu-sées horizontalement et fermées par des lierres enduitesde mortier, sur les parois (lesquelles cri trouva des restesde peintures. Cinq ne contenaient que (les fragments d'osà peu près réduits en poussière ; c'étaient sans doute lesderniers restes des évêques dont In translation fut faiteen 1173. La sixième, plus grande que les autres, situéedu côté de la croisée, renfermait des ossements assez bienconservés, un crâne, et divers ornements, une mitre, unechasuble, une crosse, un anneau et une croix avec cetteinscription s W. episcopus » (1). ii faut voir là les restesde Guillaume d'Auberoche, mort en 1.128, ou peut-êtrede Guillaume de Nanclars, mort cc 1138, dont le cadavreavait été déposé dans le nier de la nouvelle église, l'égliseà coupoles, sans doute avant son achèvement. Leurseesseurs furent enterrés directement dans le choeur alorsterminé.

De tout ce qui précède, je conclurai que l'église à Cou-poles de Saint-Front, commencée en 1120, ou peut-êtremême un peu avant, était terminée vers 1160-1170 etcertainement avant 1173.

Sous la coupole occidentale se trouvait le choeur des

(I) Le chanoine René Bernaret lions a conservé le souvenir decette découverte, dans la IiulleIin Archéologique du Périgord, fé-vrier 1875.

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ÉGLISE SAINT-FRONT 21

clercs, autour du tombeau de saint Front il était surélevéde I in. 16 au-dessus du niveau 4e l'église, ainsi que l'abien établi M. le chanoine Roux. En face, sous la coupoleorientale, s'élevait le maître-autel, séparé du choeur desclercs par le transept où se trouvaient les fidèles, suivanttille disposition que l'on voit encore dans beaucoupd'églises de l'étranger, en Espagne par exemple. En1347, le cardinal de Tallcyrand supprima l'abside qui,d'après Verneilh, fermait l'église vers l'est et éleva à laplace une chapelle pour les vicaires de Saint-Antoine.

En 1575, les protestants envahissent l'église, pillent etdévastent l'intérieur, détruisent le tombeau de saint Front.L'église est abandonnée, des infiltrations se produisentdans les voûtes, la pluie tombe à l'intérieur. En 1581,les catholiques reprennent la ville et s'occupent aussitôtde couvrir Saint-Front et de restaurer l'intérieur del'église. Un passage du « gros livre noir des ArchivesMunicipales nous donne sur ces travaux des détails cir-constanciés, notamment sur l'emplacement du choeur desclercs et du grand autel « Et parce que le choeur estoitanciennement à main droite [en entrant par la porte quiétait au nord], entre les deux piliers plus proches de -l'horloge, et le grand autel avoit été posé vis-à-vis, entreles deux piliers qui sont â l'opposite la grande nef entredeux, qui séparoit le choeur dudict grand autel, dont lesecclésiastiques reeevoient plusieurs incommodités, à causede la grande distance qui estoit entre deux, occupée parceux qui estoient dans la dicte église par quoy il futavisé de Taire autel et de le bastir à l'entrée de la chapelledes vicaires de Saint-Antoine, laquelle estoit séparée deladicte église par une grande et espaisse muraille quiserait abattue, et au lieu d'ioelle, on délibéra de faire unevente qui remidroit le lieu ouvert, et feroit qu'il n'y auroit.chose qui empechât la vue dudiet grand autel, et ceuxqui seraient dans le choeur. Et le lieu auquel estoit ledict

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choeur ancien un peu plus élevé que le passage de ladictenef de l'église, seroit applani à l'égal du bas de la nef.

La chapelle du bras nord du transept fut crevée auxv le siècle, pour établir, au-dessus d'une crypte, l'égliseSainte-Anne. Abadie la rétablit ait xix° siècle sur le ino-dèle de celle qui restait au sud, et qui seule est ancienne.Renchérissant sur le programme (le 1.581, il fit disparaîtreles derniers témoins de la disposition ancienne, nivela déf I-nitiveinent l'église, construisit, sur l'emplacement de lachapelle Saint-Antoine que l'on aperçoit encore dans de'ieilles photographies, l'abside actuelle, et reconstruisit

les murs et les voûtes, supprima la couverture du xvie siè-cle, et ramena au jour les coupoles qui donnent à Saint-Front sa silhouette si pittoresque, et il les couronna delanternons de son invention enfin, il remonta en partiele grand clocher et reconstruisit complètement son cou-ronnement.

Nous ne décrirons donc pas l'église actuelle. Nous avonsmontré, nous appuyant sur les lertes, sur la descriptionde M. de Mourcin, sur les quelques - partiesineieinesencore conservées sur place ou au Musée, sur les obser-vations précises et sagaces faites paie le chanoine Houx,enfin allie dessins, gravures et photographies antérieursà la restauration et dont le marquis de Fayolle possèdeune série importante qu'il a bien -voulu nous communi-quer, ce que fut Saint-Front, dans son plan, sa cous-truetion et sa décoration, et nous nous sommes efforcésde dater les deux églises qui le composent, la basiliquelatine, consacrée en 1047, et l'église à coupoles, commencéevers 1120 et terminée vers 1160-1170.