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Droit administratif des biens, Licence 3 Droit – Monsieur le Professeur Gaudemet, 2012-2013. Polycopié distribué par ASSAS.NET. www.assas.net - 1 e édition - Page 1 Bibliothèque numérique ASSAS.NET www.assas.net www.assas.net Remerciements ASSAS.NET souhaite remercier, très sincèrement, Monsieur le Professeur Gaudemet de contribuer à cette opération et de donner ainsi aux étudiants les outils nécessaires pour assurer leur réussite. Droit administratif des biens Licence 3 Droit – Monsieur le Professeur Gaudemet

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Un plan de cours se trouve à la fin du cours. Le droit administratif des biens est le chapitre le plus important du droit public économique, du droit public des affaires. C'est une matière carrefour car c'est autant le Code civil que la jurisprudence administrative qui déterminent les principes, l'évolution et les règles du droit administratif des biens. Cette matière a donc un intérêt scientifique pour tout juriste. Il y a également un intérêt matériel qui est l'importance économique de la matière. La propriété des personnes publiques représente environ la moitié des appropriations en France. Par ailleurs, les contrats des collectivités territoriales pour la réalisation d'immeubles (stades, théâtres, voirie, etc) représentent 150 milliards d'euros par an. Il est intéressant, en ces temps d'argent public rare, de voir comment ce patrimoine peut être valorisé, peut produire des fruits comme celui de chaque propriétaire. L'ultime intérêt de ce cours est qu'on entre véritablement dans l'administration. En L2, on étudie le droit administratif de manière extrêmement formelle (on étudie ce qu'est un contrat, un acte administratif unilatéral, une concession, une personne publique, etc). Maintenant, on va mettre de la chair à l'intérieur de ces mécanismes formels et voir ce qu'est véritablement l'administration. L'administration, c'est des hommes (la fonction publique), de l'argent (les finances publiques) et des biens. Bibliographie : – Code général de la propriété des personnes publiques (distribué en TD) – Les grandes décisions du droit administratif des biens, « Grands Arrêts », Dalloz. – J.-M. Auby, P. Bon, J.-B. Auby, Ph. Terneyre, Droit administratif des biens, Précis Dalloz – N. Foulquier, Droit administratif des biens, LexisNexis – Y. Gaudemet, Traité de droit administratif, T. 2, Droit administratif des biens, L.G.D.J. – J. Morand-Deviller, Cours de droit administratif des biens, Montchrestien

CHAPITRE PRÉLIMINAIRE : THÉORIE GÉNÉRALE DE LA PROPRIÉTÉ PUBLIQUE

Les personnes publiques sont-elles propriétaires ? Le lien de droit qui unit une personne publique a un bien est-il de la nature d'un droit de propriété ? Si oui, est-ce le même droit de propriété que celui qui unit une personne privée aux biens de son patrimoine ? Ce lien est-il toujours le même ou varie-t-il en fonction de l'utilité du bien ? Aujourd'hui, nous sommes arrivés à la proposition à peu près claire et unanime que, OUI, le droit de chaque personne publique sur les biens de son patrimoine est un droit de propriété et ce droit de propriété n'est pas d'une nature fondamentalement différente du droit de propriété qui s'établit entre une personne privée et les biens de son patrimoine. Quelques clarifications de vocabulaire. Qu'est-ce qu'un bien en droit public ? La doctrine administrativiste est pratiquement silencieuse sur la classification des biens. Le Code civil procède à plusieurs classifications (biens meubles et immeubles, bien corporels et incorporels, etc) mais il commence par dire ce qu'est un bien. L'article 714 du Code civil dispose qu'« Il est des choses qui n'appartiennent à personne et dont l'usage est commun à tous. Des lois de police règlent la manière d'en jouir ». Les biens ne sont pas les choses. Les biens sont les choses susceptibles d'appropriation. Or, il y a des choses qui ne peuvent pas faire l'objet d'une appropriation. Donc l'article 714 pose la notion de chose et la notion de bien passe par l'appropriation possible. Jean Carbonnier disait que « le droit a recouvert le monde bariolé des choses d'un uniforme capuchon gris, la notion de bien, cette abstraction ». La chose devient un bien par cette

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abstraction qu'est le droit de propriété et cette caractérisation du bien est reçu également en droit administratif. La doctrine civiliste est allée plus loin et a soutenu que même des droits personnels, comme un droit de créance, pouvaient constituer un bien dès lors que ces créances avaient une valeur pécuniaire certaine. Le droit public des biens n'a pas suivi le droit privé sur ce point. Est-ce que la notion de patrimoine attachée à une personne publique a la même signification qu'en droit privé ? Les personnes publiques ont un patrimoine mais cette notion doit être bien distinguée de deux autres conceptions du patrimoine. D'abord de la conception du Code du patrimoine dont l'article L.1 dispose que « Le patrimoine s'entend, au sens du présent code, de l'ensemble des biens, […] relevant de la propriété publique ou privée, qui présentent un intérêt historique, artistique, archéologique, esthétique, scientifique ou technique ». Ensuite, de la conception du patrimoine des personnes privées qui, lui, est conçu et défini par la doctrine dans une perspective économique. Le patrimoine d'une personne privée, c'est le gage commun des créanciers, c'est sa surface économique. Une personne publique étant une somme de compétences confiées à des agents, le patrimoine est une sorte de sommation des compétences au service de l'activité de la personne publique. Par ailleurs, la notion de bien a été redéfinie par la Conv. EDH qui comporte un protocole #1 relatif aux biens dont l'article 1er dispose que « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens ». Première question, est-ce que cette protection joue contre l'administration ? Effectivement, cet article 1 signifie que l'expropriation ne peut se faire que dans les conditions de l'article 1, §1. La portée de cette protection est très large car elle inclut la protection de biens, au sens de la Convention, qui ne sont pas considérés comme des biens dans l'ordre interne. Est un bien, au sens de la Convention, toute situation qui existe et qui a pu faire naître une espérance légitime dans sa perpétuation dans le temps. Une situation irrégulière, de pur fait, dès lors qu'elle a été tolérée et qu'elle a pu faire naître dans la personne de celui qui en bénéficiait une espérance légitime à ce qu'elle se prolonge est protégée par la Convention (CEDH, 29 novembre 1995, Pressos Naviera c/ Belgique). En droit interne, les espérances légitimes ne sont pas protégées et nous ferons peut-être un jour l'objet d'une condamnation par la Cour EDH. Il y a, cependant, un frémissement de ralliement à cette jurisprudence dans une loi du 23 juin 2011 sur l'habitat informel et indigne dont certaines dispositions énoncent que la démolition de ces locaux édifiés sans droit ni titre sur la propriété d'une personne publique doit donner lieu, sous certaines conditions, à indemnisation. Seconde question, est-ce que cette protection inclut également les personnes publiques ? Le Conseil d'État a répondu NON dans différentes décisions. D'abord dans un avis du 26 juillet 2005 à propos du Grand Palais dans lequel il dit qu'il n'y a pas à se préoccuper d'une protection conventionnelle qui compliquerait une attribution de propriété (dans cet avis, il attribue la propriété du Petit Palais à la ville de Paris et la propriété du Grand Palais à l'État). Il juge la même chose dans un arrêt CE, 19 novembre 2008, Communauté urbaine de Strasbourg, considérant à propos des biens d'un établissement public qu'ils ne sont pas protégés par le protocole #1. Il va le juger encore dans un arrêt CE, 23 mai 2007, Département des Landes dans lequel il indique que la propriété du département n'est pas protégée par le protocole #1. Cependant, il y a eu par la suite une passe d'armes qui a conduit à l'intervention du Conseil constitutionnel. Le problème qui s'est posé est celui des conditions dans lesquelles une commune pouvait récupérer les biens appartenant à une section de commune. L'article L.2411-11 du CGCT permet aux communes de s'approprier les biens des sections de commune. Une série de cours administratives d'appel (CAA), comme celles de Lyon ou Bordeaux, ont jugé que la protection de la propriété de la section de commune s'opposait à ce que ses biens soit repris sans indemnité par la commune. Mais ces décisions des CAA passaient par un détour de raisonnement qui consistait à dire que, derrière la protection de la propriété de la section de commune, on voulait protéger la propriété individuelle des habitants du hameau auquel est rattachée cette section de commune. L'affaire a été transmise au Conseil constitutionnel par une QPC. CC, 8 avril 2011 : il reconnaît la constitutionnalité de l'article L.2411-12-1. À la suite de cette décision, le Conseil d'État rejettera, à son tour, le moyen d'inconventionnalité invoqué à l'égard de cet article (CE, 1er juin 2011, Angevin). Donc pas de protection ni constitutionnelle ni conventionnelle des biens des personnes publiques.

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Cette jurisprudence récente nous met en contradiction avec la Cour EDH qui, dans un arrêt CEDH, 9 décembre 1994, Les saints monastères c/ Grèce, a affirmé que la protection conventionnelle de l'article 1 du protocole #1 valait pour les biens des personnes morales de droit public comme pour ceux des personnes morales de droit privé. La notion de bien n'est pas non plus la même en droit de l'Union européenne. Dans l'espace du droit de l'UE, il y a bien une distinction parmi les biens publics et des régimes différents applicables aux biens publics mais à partir d'un critère économique. Ou ces biens sont des supports d'une activité économique (places publiques, aéroports publics, gares ferroviaires, etc) et il doivent être gérés dans le respect du droit de la concurrence ou ces biens ne sont pas dans le circuit économique et il n'y a pas d'application directe du droit de l'UE, ils sont gérés dans les conditions du droit national. Section 1 : Le principe d'un droit de propriété des personnes publiques sur leurs biens Il s'agit de savoir quel est le lien qui s'établit entre un bien et une personne publique. La démarche a toujours reposé sur une certitude qui est que des biens que l'on appelle biens du domaine privé sont la propriété d'une personne publique. Puis, il y a d'autres biens que l'on appelle biens du domaine public pour lesquels, au contraire, on a longtemps considéré que le lien qui s'établissait entre eux et la personne publique n'était pas exactement le lien de propriété. Pour les biens du domaine privé, il n'y a pas de doute puisque la personne publique s'est « civilisée » et gère son patrimoine comme une personne privée. Mais pour les biens du domaine public, le problème se pose car ils sont liés à la fonction de la personne publique de satisfaire l'intérêt général. Cette distinction entre les biens du domaine privé et les biens du domaine public englobe tous les biens de la personne publique. Le problème concerne donc les biens du domaine public car ils sont affectés à une utilité publique et ne sont pas laissés à une gestion purement patrimoniale. Ces biens sont soit ouverts à l'usage du public (une route, un stade, la mer), soit affectés à un service public (un hôpital, une université, etc) mais ils sont tous affectés à une utilité publique. §1 – Les thèses hostiles à l'idée de propriété Deux thèses sont hostiles à la propriété. L'idée commune à ces deux thèses est que s'établit entre le bien et la personne publique un lien différent du lien de propriété que l'on va appeler de domanialité. La domanialité est présentée comme une alternative à la propriété. La domanialité publique est un régime de droit public qui confère une maîtrise du bien et des attributs de conservation du bien mais qui est différent du régime de la propriété. Cette thèse est soutenue par un certain nombre d'auteurs à partir des XVIe et XVIIe siècles que l'on appellera les domanistes. Ces auteurs écrivent que ces biens publics sont tellement importants pour la collectivité ou la construction de l'État qu'il faut les soustraire à la vie du commerce, qu'il faut les conserver, qu'il faut les rendre inaliénables. Pour ces auteurs, il s'agit d'une réflexion de nature constitutionnelle, il s'agit d'affirmer l'indisponibilité du domaine de la Couronne et il convient, dès lors, de distinguer ces biens du domaine de la Couronne des biens du patrimoine propre du roi. Il faut protéger les biens du domaine de la Couronne contre la personne du roi pour éviter les dilapidations. Dans cette perspective, l'idée de propriété est considérée comme dangereuse. Reconnaître au roi la propriété de ces biens, c'est faire de lui un propriétaire et, en propriétaire, il peut faire ce qu'il veut de ces biens. Or, on ne veut pas qu'il les dilapide. Le parlement de Bordeaux, dans une remontrance de 1766, énonce qu' « il y a des biens appartenant en commun à la Nation […]. Ce n'est pas une véritable propriété dans les mains du souverain, mais plutôt un dépôt qui lui a été confié de la chose commune ou publique pour la conserver, la rendre plus utile à tous les citoyens ». Un édit antérieur, de 1717, énonce aussi que « le roi n'a jamais reconnu que deux lois fondamentales [qu'il était] dans l'heureuse impuissance d'écarter : les lois concernant la succession au

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trône et celles qui ont établi l'inaliénabilité du domaine royal ». On est donc bien en dehors de la notion de propriété et elle est même rejetée parce qu'on ne veut pas que le monarque soit un propriétaire mais un gardien vigilent. Au XIXe siècle, les auteurs se situent dans la même logique. Sur les biens du domaine privé, pas de problème, c'est un droit de propriété. Mais sur les biens du domaine public, c'est un droit de garde et de surintendance. Ces auteurs, proches de l'école de l'exégèse, trouvent un appui dans l'article 538 du Code civil (qui sera abrogé par l'ordonnance de 2006 qui crée le Code de la propriété des personnes publiques) qui prévoit une liste de biens (les rivages de la mer, les routes, les voies publiques, etc « et généralement toutes les portions du territoire français qui ne sont pas susceptibles d'une propriété privée ») comme faisant partie du domaine public. Les auteurs, dans leur commentaire du Code civil, ont en tiré une définition : le domaine public n'est pas susceptible de propriété. On en revient à la même terminologie qu'avant, ce lien est un droit de garde, de surintendance mais un droit qui ne comporte pas les attributs du droit de propriété. On retrouve cette rédaction à l'article L.2 du Code du domaine de l'État de 1957 : les biens et droits mobiliers et immobiliers qui appartiennent à l'État « qui ne sont pas susceptibles d'une propriété privée en raison de leur nature ou de la destination qui leur est donnée sont considérés comme des dépendances du domaine public national. Les autres biens constituent le domaine privé ». Quand ce texte intervient en 1957, la jurisprudence a déjà une autre définition du domaine public et a parfaitement admis qu'il puisse y avoir un droit de propriété. Nous sommes donc en présence d'une espèce de codification irraisonnée qui reprend ce qu'écrivaient les auteurs mais qui ne correspond absolument pas au droit positif. Cette définition, abrogée en 2006, n'a jamais été appliquée. §2 – La thèse de la propriété La justification de l'absence de propriété sous l'ancien droit n'existait plus et quant à la justification des auteurs de l'exégèse, celle-ci correspondait de moins en moins à la réalité (par exemple, en 1830, s'approprier l'espace était un non sens mais, aujourd'hui, on exploite les ondes hertziennes à travers des redevances). C'est Hauriou qui va, en premier, mettre en avant l'idée de propriété. Il va faire valoir un certain nombre d'arguments positifs et réfuter ceux des négateurs de la propriété. D'abord, la propriété n'est pas forcément une propriété absolue. Même en droit privé, on considère que la propriété a une fonction sociale. Donc, qu'un bien soit affecté à l'utilité publique ne veut pas dire qu'il ne peut pas être approprié par une personne qui devra exercer son droit de propriété en conformité avec cette fonction sociale. Ensuite, il écarte l'argument des auteurs de l'exégèse selon lequel il n'y a pas de propriété parce qu'on n'y retrouve pas les éléments du droit de propriété. Pas d'usus car la personne publique ne peut pas se servir du bien, ce sont les usagers. Pas de fructus car elle ne peut pas percevoir les fruits vu qu'elle doit le conserver et ne pas le mettre dans le circuit économique. Pas d'abusus vu qu'elle ne peut pas vendre en raison du principe d'inaliénabilité. Hauriou répond qu'il y a un usus à travers les usagers de la personne morale, un fructus car on peut rendre onéreuses les occupations et les utilisations du domaine public pour qu'il génère des revenus, il suffit d'en prendre conscience, et un abusus car si la loi le rend inaliénable c'est qu'en lui-même il est aliénable et possède la faculté d'abusus (c'est une pirouette de Hauriou). Autre argument de Hauriou. Un même bien qui reçoit une utilité déterminée, lorsque cette utilité cesse, va être dans le domaine privé approprié de la personne publique alors qu'il n'était pas objet de propriété antérieurement. Pourquoi est-ce que la fin de l'utilisation révélerait un droit de propriété qui n'existait pas antérieurement ?

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Enfin, l'idée de propriété est utile pour résoudre un certain nombre de problèmes. Qui a la charge de l'entretien d'un bien du domaine public si ce n'est le propriétaire ? Qui doit répondre des dommages qu'il a occasionnés si ce n'est le propriétaire ? À qui reviennent les revenus qu'il peut procurer si ce n'est le propriétaire ? La figure du propriétaire est comme la réponse logique et évidente selon Hauriou. Cependant, Hauriou affirme que c'est un droit de propriété mais pas la propriété du Code civil. Hauriou suit cette démarche qui existe en matière de fonction publique, de responsabilité administrative ou de contrat administratif qui consiste à déroger au droit privé. La propriété administrative est une propriété mais ce n'est pas la propriété du droit civil. La jurisprudence va également dans le sens d'un droit de propriété. La jurisprudence ne comporte aucune formule de principe mais, occasionnellement, pour régler un problème particulier, elle emploie la formule de propriété. Quelques exemples : – CE, 17 janvier 1923, Piccioli : le Conseil d'État dit que le port d'Oran appartient à l'État. – Cass., 11 décembre 1934 : la Cour de cassation, à propos d'une voie publique, applique la théorie de l'accession au visa de l'article 552 du Code civil et dit que « la propriété du sol de la voie publique emporte celle du dessus ». – CE, 17 mai 1946, Ministre des Travaux publics c/ commune du Vieux-Boucau : l'État est propriétaire du cours d'eau et de son lit. La Cour de cassation, sans formule de principe non plus, applique largement aussi à des biens du domaine public les articles du Code civil qui régissent la propriété (par exemple, les actions possessoires, l'acquisition forcée de la mitoyenneté, les règles relatives au trésor trouvé dans une propriété ou encore la théorie de l'accession). Nous avons donc une démarche schizophrénique entre le législateur qui reproduit dans le Code du domaine de l'État de 1957 une définition du domaine public fermement négatrice de la propriété et la jurisprudence qui applique les mécanismes du droit de propriété aux biens du domaine public sans l'expliciter car c'est une évidence. Cette position évoluera avec l'intervention du Conseil constitutionnel. CC, 25/26 juin 1986 : il est saisi à propos des lois de privatisation. Les députés socialistes soutiennent que cette propriété publique doit être garantie, protégée, préservée. Le Conseil constitutionnel invoque l'article 2 et l'article 17 (qui dispose que « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique […] l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ») de la DDHC de 1789 et affirme que les biens publics bénéficient de la protection dont bénéficie tout propriétaire. Cette protection constitutionnelle du droit de propriété « ne concerne pas seulement la propriété privée des particuliers mais aussi, à un titre égal, la propriété de l'État et des autres personnes publiques ». Le Conseil constitutionnel affirme donc deux choses : d'abord, que ce lien de droit est un droit de propriété, puis, que cette propriété est la même que celle des personnes privées. Le Conseil constitutionnel met un terme au débat. C'est sur cette base constitutionnelle que va se construire le Code générale de la propriété des personnes publiques (CGPPP) du 21 avril 2006 dont l'article L.1 dispose que « Le présent code s'applique aux biens et aux droits, à caractère mobilier ou immobilier, appartenant à l'État, aux collectivités territoriales et à leurs groupements, ainsi qu'aux établissements publics ». Donc, si les personnes publiques ont des biens, elles en sont propriétaires. Ce qui était acquis pour les biens du domaine privé est maintenant acquis pour les biens du domaine public. Donc, la domanialité publique n'est pas une alternative à la propriété et ne chasse pas la propriété. La domanialité publique, ce n'est plus qu'un régime fonctionnel qui correspond à l'utilité publique donnée au bien à un moment de son existence. Ce régime fonctionnel va temporairement, tant que dure l'affectation à l'utilité publique, paralyser certains attributs du droit de propriété mais ce droit de propriété ne disparaît pas et, quand le bien va revenir dans le domaine privé, le propriétaire retrouvera la plénitude de ses attributs.

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Il y a toutefois une objection qui vient de la jurisprudence et reprise dans le CGPPP. Cette objection est connue sous le nom de jurisprudence construction des mutations domaniales. De quoi s'agit-il ? Les mutations domaniales résultent d'une jurisprudence du début du XXe siècle. Dans ces décisions, l'État, pour la construction d'un chemin de fer, a imposé à la ville de Paris, propriétaire du fonds, un changement d'utilisation de cette propriété pour la réalisation du chemin de fer en question et d'une gare. On a donc une personne publique, l'État, qui impose à une autre personne publique, la commune propriétaire de l'immeuble, d'en changer l'utilisation. Il confisque donc l'usus et le fructus et s'attribue les prérogatives du propriétaire sur un bien dont il n'est pas propriétaire. C'est une jurisprudence qui consacre l'idée que les collectivités locales ne sont pas des vraies propriétaires puisque l'État se comporte à leur place comme le propriétaire. Sur le plan politique, cette solution consacre l'idée que l'État n'est pas une personne publique comme les autres et qu'il conserve une fonction éminente de régulateur des affectations. Au moment où le CGPPP affirme que toutes les personnes publiques sont propriétaires de leurs biens, il y a une difficulté de cohérence dans le maintien de la théorie des mutations domaniales. Mais, au même moment, le Conseil d'État, dans un arrêt CE, 23 juin 2004, Commune de Proville, réaffirme dans une formulation de principe la théorie des mutations domaniales : « le Premier ministre ou les ministres intéressés […] tiennent […] des principes généraux qui régissent le domaine public [le droit] de décider pour un motif d'intérêt général de procéder à un changement d'affectation d'une dépendance du domaine public d'un collectivité territoriale ». La théorie des mutations domaniales fait donc partie des principes généraux qui régissent le droit des domaines publics. L'État peut donc se substituer au propriétaire sans déposséder ou « exproprier » la collectivité locale. C'est une police des affectations que l'on reconnaît à l'État et qui écrase le droit de propriété des collectivités territoriales. Il était difficile de ne pas tenir compte de cette jurisprudence dans le Code et, donc, on a écrit un article L.2123-4 qui dispose que « Lorsqu'un motif d'intérêt général justifie de modifier l'affectation de dépendances du domaine public appartenant à une collectivité territoriale […] ou un établissement public, l'État peut, pour la durée correspondant à la nouvelle affectation, procéder à cette modification en l'absence d'accord de cette personne publique ». En l'état, nous sommes en présence d'une solution qui traduit d'une façon juridiquement incorrecte une idée politique qui est exacte. Personne ne peut nier que la vision de l'intérêt général national doit l'emporter sur les particularismes locaux. Mais le procédé pour faire prévaloir l'intérêt général national relativement à l'affectation des biens (normalement, l'expropriation pour cause d'utilité publique qui prévoit une indemnisation) lui permet de faire l'économie de l'expropriation et de procéder unilatéralement et sans indemnisation à la privation de la disposition du bien, sans toutefois priver de la propriété. Donc, chaque collectivité publique peut être propriétaire de biens et exercer sur ces biens les attributs du propriétaire (malgré la bizarrerie des mutations domaniales qui subsiste). Section 2 : Le régime de la propriété publique

§1 – La propriété des personnes publiques est de même nature que celles des personnes privées

Certains ont avancé cette nature de propriété privée assez tôt mais des objections ont été faites à l'assimilation à la propriété privée. Première objection majeure, les mutations domaniales qui constituent une incompatibilité de nature avec la propriété des personnes privées sur leurs biens. Parallèlement, chemine la pensée de Hauriou qui admet la propriété mais une propriété administrative par dérogation à la propriété privée. Cette idée traverse toute la première moitié du XXe siècle. À partir des années 1950, s'affirme clairement l'idée qu'il s'agit de la même nature de propriété que celle des personnes privées. Il y a une principale raison à cela, c'est l'idée que s'il y a une propriété publique à côté de la propriété privée des personnes publiques, le juge administratif sera compétent pour connaître de

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cette propriété publique. Or, le juge administratif ne s'est jamais reconnu compétent pour statuer sur des questions de propriété publique. Or, le juge judiciaire a affirmé que c'était bien de la propriété telle qu'il la connaissait et à laquelle il appliquait les dispositions du Code civil. Autre élément qui soutient cette idée, pendant longtemps, les propriétés publiques n'ont pas bougé, on les conservait. Puis, elles se sont mises à circuler pour une meilleure distribution des affectations et cette circulation est passée par des aliénations qui ne sont possibles que si l'on est en matière de propriété. Puis, il y a la décision du Conseil constitutionnel CC, 25/26 juin 1986, « Privatisation », qui protège, à un titre égal, la propriété des particuliers et la propriété des personnes publiques (cf. p. 6). Enfin, il y a un argument politique. Le regard porté par les personnes publiques sur leur patrimoine a changé. Le regard initial est celui de la conservation (on conserve les biens publics en bon état, on les entretient, on les rend propres à servir leur affectation, etc). Puis, à partir des années 1950/1960, en raison du phénomène d'expansion des services publics, on a besoin de biens et, symétriquement, il y a une raréfaction de l'argent public. Or, avec le passage à la propriété, on donne de la valeur au bien. Le propriétaire est un homme riche : il peut valoriser sa propriété, y accueillir des investissements en consentant des droits réels, y consentir des servitudes à titre onéreux au bénéfice du voisin, recourir au crédit-bail, bénéficier de mécanismes tels que la théorie de l'accession, les actions possessoire et pétitoire, vendre complètement et toucher le prix ou démembrer sa propriété et vendre un attribut du droit de propriété, etc. Or, si la personne publique n'a que des attributs de conservation, elle ne pourra pas valoriser. C'est en en faisant un propriétaire qu'elle pourra valoriser le bien. Aujourd'hui, la notion de propriété est un élément non seulement de clarification juridique, mais aussi adapté à ce que l'on veut faire des biens des personnes publiques. §2 – Les caractéristiques de la propriété des personnes publiques Ces caractéristiques sont au nombre de deux : le principe d'incessibilité à vil prix et le principe d'insaisissabilité du bien. En réalité, ces caractéristiques ne tiennent pas à la nature du bien mais de l'identité du propriétaire qui est une personne publique. Cela vaut pour tous les biens d'une personne publique, qu'ils soient du domaine public ou du domaine privé.

A – L'incessibilité à vil prix de la propriété publique Ce principe, lié à l'identité de la personne publique, est en réalité fondé dans l'interdiction des libéralités. Les personnes publiques ne peuvent pas consentir de libéralités car les biens qu'elles possèdent sont acquis par des deniers publics, sont le support de l'intérêt général et la libéralité serait une forme de spoliation de ceux qui ont contribué à l'acquisition ou à la création de ces biens. Cette interdiction des libéralités est très ancienne : CE, 17 mars 1893, Chemins de fer de l'est. On en a retrouvé la trace récemment dans CE, 6 décembre 2002, Syndicat intercommunal des établissements du second degré de l'Haÿ-les-Roses. Il s'agit d'une transaction entre une personne publique et une personne privée et si le juge constate que, dans la transaction, la personne publique a trop donné, il sanctionne. C'est un moyen d'ordre public que le juge soulève d'office. Cette prohibition vaut notamment si la libéralité prend la forme de l'attribution d'un bien. Les libéralités sont une variété de contrat à titre gratuit mais il y a aussi des contrats à titre gratuit unilatéraux dans lesquels l'obligation ne pèse que sur une partie. Ces contrats à titre gratuit, sans intention libérale, ne sont pas interdits aux personnes publiques. Par exemple, une subvention est un contrat unilatéral, dont l'intention libérale doit être absente, et la prestation à laquelle s'engage le subventionné ne va pas à la personne publique mais, en général, à des usagers. Le principe de l'incessibilité à vil prix est apparu dans la décision CC, 25/26 juin 1986 sans référence au droit des libéralités mais en liaison avec la protection constitutionnelle du droit de propriété des personnes

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publiques. Il est apparu sous la forme d'un principe constitutionnel : « la Constitution s'oppose à ce que des biens ou des entreprises faisant partie de patrimoines publics soient cédés à des personnes poursuivant des fins d'intérêt privé pour des prix inférieurs à leur valeur ». Ceci s'ajoute à la protection de la DDHC qui laisse subsister une pleine liberté contractuelle sauf ce nouveau motif. La protection constitutionnelle est une protection contre la cession forcée. Dans la cession conventionnelle, une personne publique ne peut pas céder un bien en deçà de sa valeur. La suite a montré qu'il ne fallait pas considérer ce principe comme absolu. Le Conseil constitutionnel lui-même, dans des décisions ultérieures, a répété ce principe à la lettre mais il a admis, cependant, des cessions en deçà de la valeur du bien. Par exemple, CC, 17 décembre 2010, Région Centre → il admet que cette région cède des biens à une association pour la formation des adultes en deçà de leur valeur marchande. Au lendemain de la décision du Conseil constitutionnel, le Conseil d'État a jugé dans un arrêt CE, 3 novembre 1997, Commune de Fougerolles que l'interdiction constitutionnelle ne s'appliquait en présence d'une opération de « pépinière d'entreprises » (réalisation d'un lotissement par la commune et cession de terrains viabilisés et équipés en deçà de leur valeur à des entreprises pour leur permettre de s'implanter dans la commune). Il a jugé que le principe d'interdiction de cession d'un terrain à un prix inférieur à sa valeur n'est pas méconnu lorsqu'une personne publique cède un élément de son patrimoine à un prix inférieur à sa valeur à une personne poursuivant des fins d'intérêt privé lorsque la cession est justifiée par des motifs d'intérêt général et comprend des contreparties suffisantes (dans cette affaire, l'entreprise en question avait pris l'engagement de créer un certain nombre d'emplois sur 3 ans dans la commune). Reste que dans sa mise en œuvre, ce principe présente des particularités parce qu'il s'agit d'un bien et non pas d'une somme d'argent (comme en matière de subvention). Que se passe-t-il lorsque le cocontractant ne remplit pas ses engagements ? CE, 7 juin 2006, Asselin → le Conseil d'État décide que la responsabilité contractuelle du cessionnaire est engagée et qu'il doit donc rembourser les sommes indûment perçues correspondant aux frais engagés par la commune pour aménager le terrain. Mais l'arrêt ne se prononce pas sur un retour de la propriété. Pourquoi ? Parce que c'est le juge judiciaire qui est compétent en matière de propriété. Pour le reste, cette jurisprudence s'est développée au rythme des aides locales et on la signale comme particulièrement peu exigeante sur les contreparties (CE, 25 novembre 2009, Commune de Mer c/ Pépin et Raoul dans lequel l'opération « comporte des contreparties suffisantes » et CAA Bordeaux, 24 février 2005, Commune de Saint-Lary-Soulan où la Cour reconnaît un « intérêt communal suffisant malgré la faiblesse des contreparties »). La limitation vient du droit de l'Union européenne qui interdit les aides sur un marché concurrentiel, notamment les aides sous forme d'apport d'immeubles, au-delà d'un certain seuil. Ces aides sont réputées incompatibles avec le marché commun, même si elles le sont mais dès lors qu'elles n'ont pas été déclarées. Lorsque l'intervention communale se situe sur un marché concurrentiel, c'est le droit communautaire des aides qui est la véritable limite à cette cession éventuelle d'une propriété à vil prix.

B – L'insaisissabilité Là encore, nous sommes en présence d'un principe qui se rattache à la personne propriétaire. Le bien est insaisissable non pas en raison de ce qu'il est mais parce qu'il est approprié par une personne publique. D'où vient ce principe ? Il vient d'un arrêt de la Cour de cassation, Cass. civ. 1ère, 21 décembre 1987 → la Cour de cassation affirme l'existence d'un principe général du droit selon lequel les biens des personnes publiques sont insaisissables. C'est au visa de ce principe général que la Cour de cassation casse deux arrêts d'appel, l'un qui concernait un établissement public, le BRFM (Bureau de recherches géologiques et minières), et l'autre qui concernait la SNCF qui est aussi un établissement public.

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Les cours d'appel avaient développé des motivations différentes mais analogues dans leur fondement juridique. Selon elles, les biens des personnes publiques sont susceptibles des voies d'exécution du droit commun et notamment de la saisie, en particulier les EPIC puisqu'ils sont régis par les règles du commerce et de l'industrie. Mais il y avait une réserve, les voies d'exécution sont disponibles mais à la condition que cette procédure ne soit pas de nature à compromettre le fonctionnement régulier et continu du service public dont l'établissement a la charge. Par exemple, la cour d'appel de Paris, à propos de la SNCF, disait qu'on ne pouvait pas saisir de matériel ferroviaire car cela mettait en cause le service public mais, en revanche, saisir des créances de la SNCF dans des agences de voyages, pas de souci. Le fondement de l'insaisissabilité n'était plus la personne publique mais le principe constitutionnel de continuité du service public. Arrive le Code dans lequel on recopie l'arrêt de principe de la Cour de cassation. C'est l'article L.2311-1 du CGPPP qui dispose que « Les biens des personnes publiques […] sont insaisissables ». Cette solution a été critiquée pour plusieurs raisons. D'abord, cette disposition paraît fixer une règle difficile à tenir. Le Conseil d'État, dans un avis CE, 30 janvier 1992, a estimé qu'un créancier, muni d'un titre exécutoire, pouvait, pour en obtenir le paiement, saisir, entre les mains d'un tiers, les créances de son débiteur, ce dernier fut-il une personne publique. Ensuite, TC, 19 mars 2007, Mme Madi → le Tribunal des conflits annule un arrêté de conflit pour contester la compétence du juge judiciaire à prononcer une astreinte pour exécution d'une condamnation pécuniaire de l'État. Symétriquement, la Cour de cassation jugeait qu'une personne privée pouvait faire l'objet d'une procédure de saisie alors même que cette saisie portait sur des biens directement nécessaires au service public géré par cette personne privée (Cass. civ. 2ème, 15 novembre 1995, Cusset). Ce principe est-il définitif ? Il faut compter avec le droit communautaire. Le droit communautaire considère que, d'une façon générale, ces principes d'indisponibilité et d'insaisissabilité, l'absence de voie d'exécution, l'interdiction des procédures collectives, etc peuvent être constitutives d'une aide d'État, une protection sur un marché concurrentiel. Pourquoi ne pourrait-on pas saisir les biens d'EDF (quand c'était un établissement public) alors qu'on peut saisir les biens de Poweo ? C'est un avantage concurrentiel sur un marché qui a été reproché par les institutions communautaires à différentes reprises. La Commission européenne, dans une décision du 16 décembre 2003, considère comme une aide structurelle à EDF, sur le marché des industries électriques et gazières, le principe d'insaisissabilité. Les entreprises publiques, elles-mêmes, fuient ce principe d'insaisissabilité parce que ce sont des commerçants publics qui vivent dans le cadre des lois du commerce et de l'industrie. Et par conséquent, elles vivent de crédits. Leurs initiatives et leurs investissements sont fondés sur du crédit. Or, obtiendront-elles du crédit si leurs biens sont insaisissables ? Pour les EPIC, le principe d'insaisissabilité est deux fois redoutable, d'une part, parce que ça leur complique l'accès au crédit et, d'autre part, parce que les autorités communautaires leur disent que c'est une aide structurelle incompatible avec le marché commun. Dans le CGPPP, lorsqu'on reprenait le motif de principe de la Cour de cassation, il a été suggéré d'ajouter un second alinéa pour les EPIC, et pour eux seuls, rendant possibles les saisies et les voies d'exécution dès lors qu'elles ne compromettent pas le fonctionnement continu et régulier du service public dont l'établissement a la charge. Mais ce second alinéa n'est jamais apparu. Cette réflexion a moins d'importance aujourd'hui parce que de plus en plus d'EPIC se transforment en sociétés de par la loi (EDF, GDF, Aéroport de Paris, etc). Ces caractéristiques de la propriété publique sont, pour l'incessibilité à vil prix, de fausses particularités puisque la position du Conseil constitutionnel a été ramenée à l'interdiction des libéralités. Quant à l'insaisissabilité, on peut penser que le principe n'est pas stabilisé mais il est révélateur de ce que notre droit des propriétés publiques comporte un certain nombre de règles qui doivent évoluer pour s'adapter à la nouvelle vision des collectivités publiques.

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PARTIE 1 : LES PROPRIÉTÉS PUBLIQUES Il s'agit de la propriété des personnes publiques. C'est le même droit de propriété qu'en droit privé mais il est détenu par une personne publique. Nous allons donc ici décrire le régime juridique de l'ensemble des patrimoines des personnes publiques. Le droit des propriétés publiques est un droit dont les sources sont très largement doctrinales. Cela a pour effet qu'il n'y aura pas toujours dans les textes et la jurisprudence de systématisation et c'est à la doctrine de systématiser ce régime à partir de la jurisprudence casuistique. Ce droit des propriétés publiques s'articule autour d'une grande distinction : celle du domaine public et du domaine privé. À mesure que cette distinction apparaissait, elle a été critiquée au motif que tant les biens du domaine privé que les biens du domaine public constituaient des catégories hétérogènes. S'est donc développée en doctrine une idée, que l'on rattache à Duguit, qu'il fallait substituer une échelle de la domanialité, c'est-à-dire des sous-catégories avec un degré de publicisation. Il y a tout-de-même une donnée jurisprudentielle qui ramène à cette distinction bipartite : la compétence du juge. Si un bien était dans le domaine public, son régime était de compétence du juge administratif, si un bien était dans le domaine privé, la compétence était celle du juge judiciaire. C'est le dualisme juridictionnel qui s'impose. Tous ces régimes sont des régimes fonctionnels qui sont commandés par l'utilité que le bien doit remplir. Parce qu'il est affecté à telle utilité publique, il va recevoir un régime fonctionnel très spécifique (le régime portuaire, le régime de protection des ondes hertziennes, le régime maritime, etc). Ce sont tous des régimes fonctionnels qui doivent être mesurés à ce qu'exige la fonction qu'ils satisfont. On a donc la propriété qui est une, qui est la même pour toutes les personnes publiques et à l'égard de tous les biens, mais le régime fonctionnel, en fonction des utilités qu'il remplit, n'est pas le même. Le Code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP) du 21 avril 2006 est une clarification décisive. La loi du 2 juillet 2003 a habilité le gouvernement à instituer par voie d'ordonnance ce que sont devenus les contrats de partenariat public/privé et à faire un code qui soit une mise en ordre des dispositions dispersées relatives au domaine public et au domaine privé. C'est donc dans le cadre d'une loi d'habilitation que naît le CGPPP et il est limité au périmètre de l'habilitation. Cette habilitation ne consiste pas à faire un Code à droit constant mais il s'agissait d'une œuvre de pure mise en ordre. La matière avait besoin d'une remise en ordre parce qu'on voulait valoriser les propriétés publiques, donc faire appel au financement privé. Il est apparu qu'on ne pourrait pas faire ce travail de fond dans le délai d'habilitation. Il y a eu donc deux lois successives du 9 décembre 2004 et du 26 juillet 2005 qui ont reconduit l'habilitation. Ce code est un Code général de la propriété des personnes publiques. Chaque mot doit être pesé. « Code général » : cela veut dire qu'il n'épuise pas la matière, il laisse subsister le Code des ports maritimes, le Code forestier, etc. Mais il est la porte d'entrée nécessaire du point de vue des principes sur les propriétés publiques. Il est général également en ce qu'il vaut pour toutes les propriétés de toutes les personnes publiques. « De la propriété des personnes publiques » : il a une optique « propriétariste », affirmation juridique considérable, toutes les personnes publiques sont propriétaires de leurs biens. Autre argument en faveur de la propriété, c'est le plan du code qui décrit la vie d'un propriétaire. La première partie concerne l'acquisition des biens (on avait même envisagé d'insérer le Code de l'expropriation dans cette partie), la deuxième partie concerne la gestion (selon que le bien relève du domaine public ou du domaine privé) et la troisième partie concerne la cession. On trouve enfin une partie spécifique pour l'outre-mer.

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La ratification du Code n'est intervenue que 3 ans plus tard par la loi du 12 mai 2009 qui présente l'intérêt de ne pas être une ratification sèche mais de comporter un certain nombre de compléments, de modifications et d'adaptations. Ces modifications concernent notamment le régime financier de gestion du domaine public. Le code devenu législatif devait être complété par la partie réglementaire. Elle n'est intervenue que par un décret du 22 novembre 2011 mais limité, ce qui a pour conséquence que le code n'est pas complet. Autre critique qui est que depuis le code, un certain nombre de textes sont intervenus qui comportent des dispositions qui modifient ou complètent le code lui-même et qui ne sont pas intégrés dans le code. Par exemple, la loi du 17 février 2009 qui ouvre à l'État et à ses établissements publics des procédures de baux emphytéotiques administratifs pour la réalisation de logements sociaux.

TITRE 1 – LA DISTINCTION DU DOMAINE PUBLIC ET DU DOMAINE PRIVÉ

Cette distinction n'apparaît avec son sens moderne qu'au XIXe siècle. Le domaine de la Couronne n'est pas à l'origine de la notion moderne de domaine public. Les biens du domaine de la Couronne rejoindront aussi bien le domaine privé que le domaine public lorsque cette distinction apparaîtra. Si on a parfois vu dans le domaine de la Couronne, l'ancêtre du domaine public, c'est parce que l'inaliénabilité du premier avait été progressivement affirmée et que le domaine public a repris ce principe. Ce qui caractérise le domaine de la Couronne, c'est l'identité de son propriétaire, la Couronne, et il est lié à l'indisponibilité de celle-ci, alors que le domaine public est caractérisé par son affectation à l'utilité publique. Donc, différence de nature. D'autre part, le domaine de la Couronne est une construction constitutionnelle, c'est une loi fondamentale du royaume. Or, le passage entre le domaine public et le domaine privé se fait à la discrétion de la loi. Section 1 : Apparition historique de la notion de domaine public Sous l'ancien régime, la théorie du domaine de la Couronne ne comporte pas de distinction dans laquelle on pourrait voir l'origine ou le précédent de la distinction domaine public / domaine privé (cf. supra). Tous ces biens du domaine de la Couronne sont placés sous la main du roi et, parce qu'ils sont susceptibles de procurer des revenus, ils sont soumis à une règle d'inaliénabilité (édit de Moulins de 1566). Cela s'explique par la construction de l'État à partir du XVIe siècle. L'idée que ces biens présentent une utilité particulière pour une catégorie d'usagers et pour l'usage commun et que, pour ce motif, ils devraient être rangés dans le domaine de la Couronne est absente. Le domaine de la Couronne est lié à la construction de l'État et non pas à une affectation du bien à l'utilité publique. Le droit intermédiaire. C'est le Code domanial du 22 novembre / 1er décembre 1790. Ce code est tout entier construit autour d'un phénomène politique de l'époque qui est l'aliénation des biens nationaux (les biens du clergé, de la noblesse, etc) pour financer la patrie en danger. L'idée est que cette aliénation doit faire disparaître toute sorte de revendication ultérieure. Le Code domanial reprend l'expression « domaine de la nation ». C'est la nation qui est maintenant le propriétaire de ces biens et c'est la nation qui définit l'inaliénabilité, c'est-à-dire que c'est la nation qui décide de rendre le bien aliénable par loi. Le Code domanial de 1790 n'inaugure pas la distinction du domaine public et du domaine privé. Sa préoccupation est le financement de l'État en situation difficile mais ne s'intéresse pas à l'utilité du bien pour les usagers ou pour un service public. Le droit civil. Le Code civil n'en dit pas davantage. Il emploie de façon indifférenciée les expressions de « domaine national », de « domaine public », de « domaine de la nation », de « bien appartenant à la

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nation ». Cette variation de vocabulaire est le fait du hasard. Il ne s'agit pas, dans l'esprit des rédacteurs du code, d'inaugurer une distinction domaine public / privé. La distinction va donc apparaître au XIXe siècle et elle va utiliser le Code civil malgré lui. Elle va d'abord apparaître sous la plume de Victor Proudhon. Il dégage l'idée qu'il y a des biens dont leur nature les rend insusceptibles de propriété et que ces biens constituent le domaine public de la nation (il reprend la formule de l'article 538 du Code civil). Puis, il y a les autres biens appartenant aux personnes publiques qui constitueraient le domaine privé. Des auteurs du XIXe siècle vont introduire une nouvelle notion. Ils soutiennent qu'il est de moins en moins vrai que des biens soient insusceptibles de propriété (on peut approprier les rivages de la mer, on peut approprier l'air qu'on respire car il y a une propriété des ondes hertziennes). Donc, ce qui doit déterminer le domaine public, c'est pas que ces biens sont insusceptibles de propriété, c'est qu'ils appellent une appropriation dans des conditions qui servent leur intérêt général. Ce qui caractériserait le domaine public, c'est l'utilité du bien. C'est sur cette base qu'apparaît la distinction qui va être récupérée par le législateur qui, pour la première fois, dans une loi du 16 juin 1851 sur la propriété en Algérie, va employer l'expression « domaine public » pour le distinguer du « domaine privé » et va finalement donner une définition fonctionnelle du domaine public qui s'attache à l'utilité du bien. Section 2 : Intérêt de la distinction L'intérêt de la distinction est éminemment de caractère pratique. L'intérêt de la distinction réside dans l'apparition de deux régimes juridiques, l'un de droit public, l'autre de droit privé. Le principe est en effet que tous les biens rangés dans le domaine public obéissent à un régime d'affectation qui est le régime de la domanialité publique tandis que les biens qui ne sont pas rangés dans ce domaine public ne sont pas régis par ce régime d'affectation de droit public mais, en principe, par des régimes de droit privé. La conséquence de cette distinction est que, pour connaître du régime d'affectation du domaine public, le juge compétent est le juge administratif et, pour connaître du régime d'affectation au domaine privé, le juge compétent est le juge judiciaire. L'intérêt pratique est considérable : compétence contentieuse et application d'un régime de domanialité publique dont le cœur est le principe d'inaliénabilité du bien. Cependant, cette distinction est artificielle et elle a été critiquée. Elle a été critiquée par Duguit qui faisait valoir qu'il y avait un dégradé des affectations, une échelle de la domanialité. Elle a été critiquée par René Capitant dans une perspective différente qui consiste à dire que ce régime d'affectation qui entraîne l'application du droit public peut être étendu à des biens privés qui remplissent la même utilité. Elle a été critiquée encore par Maurice Duverger qui suggérait une distinction tripartite (les biens patrimoniaux, les biens affectés à l'usage du public et les biens utilisés par les services publics). Section 3 : Critères de la distinction Comment distinguer, au sein des biens des personnes publiques, les biens qui relèvent du domaine privé et les biens qui relèvent du domaine public ? Le premier élément de réponse est négatif : il n'existe pas de bien qui, par lui-même, doit être rangé dans le domaine public ou dans le domaine privé. Cela est vrai du domaine public artificiel, celui réalisé par la main de l'homme. Par exemple, les immeubles de bureaux de l'administration ont été pendant longtemps rangés dans le domaine public puis, en 2004 pour l'État et en 2006 pour toutes les personnes publiques, ces bureaux sont rangés dans le domaine privé. Autre exemple, les biens appropriés par les personnes publiques faisaient partie du domaine public et, depuis une loi de 2001, ils font partie du domaine privé. Le domaine forestier, que l'on peut considérer du fait de son entretien comme du domaine public artificiel, a été rangé par la

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jurisprudence puis par la loi dans le domaine privé. Ce qui est plus remarquable, c'est que la proposition selon laquelle il n'y a pas de bien faisant partie par nature du domaine public ou du domaine privé vaut aussi pour le domaine dit naturel. Le domaine public naturel, c'est le domaine public qui est caractérisé par référence à des phénomènes naturels (rythme des marées qui va servir à délimiter le domaine public, débordement des fleuves qui va servir à délimiter le domaine public fluvial) mais cela ne veut pas dire que, par nature, la plage soit un bien du domaine public (il y a des plages appropriées par des personnes privées, il y a des concessions d'endigage, etc). Il y a donc deux façons de déterminer le domaine public : en désignant un bien ou en faisant référence à un phénomène naturel. De ce point de vue là, on peut dire qu'il y a un domaine public artificiel et un domaine public naturel, mais il n'y a pas de domaine public par nature, il n'y a pas de critère que l'on puisse puiser dans la nature du bien. S'il n'y a pas de domaine public par nature, c'est pas là qu'il faut chercher le critère de distinction. C'est dans la loi qu'il faut aller chercher le critère de distinction du domaine public et du domaine privé. Cette loi peut elle-même procéder de deux façons : la loi peut désigner une catégorie de biens comme relevant du domaine privé (les bureaux, les forêts) ou du domaine public (les ondes hertziennes). Mais à cette loi peut s'ajouter aussi un critère général qui jouera en l'absence de texte particulier. La loi peut donc s'exprimer de deux façons : par des textes spéciaux et par l'édiction d'un critère général qui jouera sous réserve des textes spéciaux. Il y a donc un domaine public énumératif par la loi et un domaine public par attribution de principe par la loi. Le législateur a tardé à exprimer ce critère. Il n'a exprimé le critère général que par le CGPPP. Donc, auparavant, c'est la jurisprudence qui a déterminé ce critère. La jurisprudence va progressivement adopter un critère de plus en plus large. À l'origine, le domaine public est celui qui est affecté à l'usage du public, à l'usage de tous (par exemple, la voirie routière, les rivages de la mer). Dans les années 1950, ce critère apparaît à la fois comme artificiel et trop réducteur. Pourquoi ? Parce que sont apparus les services publics. Par exemple, développement des voies de chemin de fer. Or, la voirie ferroviaire n'est pas affectée à l'usage de tous. On voit la nécessité d'étendre la protection du domaine public à des biens qui ne sont pas affectés à l'usage de tous mais affectés au service public. Le basculement a lieu dans l'arrêt CE, 19 octobre 1956, Société Le Béton dans lequel le Conseil d'État considère que font partie du domaine public les biens affectés à l'usage du public et les biens qui sont affectés à un service public. Cela va entraîner une hypertrophie du domaine public parce que les services publics se multiplient. Si bien que certains auteurs s'inquiètent de cette évolution. Il y a deux séries de réflexes. Alibert soutient que, ce qui caractérise le domaine public, c'est l'exercice du pouvoir de police. Jansse, quant à lui, propose de revenir à une démarche énumérative et à rechercher à chaque fois l'intention du législateur. Puis, apparaît l'idée que, dès lors qu'on a étendu la domanialité publique aux biens affectés à un service public, il faut un critère réducteur pour discipliner cette hypertrophie. Ce critère réducteur sera celui de l'aménagement spécial. Le bien doit avoir un aménagement correspondant à son affectation au service public. Ce mouvement débouche sur un texte qui est la première définition du domaine public qui n'entrera jamais en vigueur tel quel. On doit ce texte à la commission de réforme du Code civil qui, dans une délibération de 1947, propose un critère du domaine public. Selon cette définition, le domaine public est constitué de l'ensemble des biens propriétés de personnes publiques qui sont, soit mis à la disposition directe du public, soit affectés à un service public pourvu qu'en ce cas ils soient, par nature ou par des aménagements particuliers, adaptés exclusivement ou essentiellement au but particulier de ces services. Ce texte va largement inspirer la jurisprudence qui conduit aux critères actuels. Les critères actuels

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Les critères actuels sont deux : un critère général ou une disposition particulière. Le critère général. Il est aujourd'hui à l'article L.2111-1 du CGPPP. Il se rapproche de celui de la commission de réforme du Code civil mais il tient compte de l'hypertrophie du domaine public et de l'échec du critère réducteur de l'aménagement dans la jurisprudence. Cet article dispose que « Sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public d'une personne publique […] est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l'usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu'en ce cas ils fassent l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public ». Par la suite, l'article L.2211-1 dispose, quant à lui, que « Font partie du domaine privé les biens des personnes publiques […] qui ne relèvent pas du domaine public ». Quelques commentaires de ce critère. On veut que ce critère opère vraiment. Le critère réducteur de l'aménagement spécial était un échec car on le vérifiait plus. Maintenant ce critère devient indispensable. Pour que le bien affecté à un service public relève de la domanialité publique, il faut que, sans lui, le service public s'arrête et la continuité du service public est rompue. Il y a un autre élément qui est l'emploi du présent. Le bien doit faire l'objet d'aménagement indispensable au moment où on apprécie son appartenance au domaine public. Ceci est écrit pour condamner une construction de la jurisprudence que l'on a appelé la domanialité publique virtuelle qui consistait à dire qu'un bien qui n'a pas d'aménagement mais dont la personne publique envisage déjà de lui apporter un aménagement spécial fait déjà partie du domaine public par anticipation. L'aménagement, enfin, est indispensable, ce qui veut dire que si on s'en dispense, le service public s'arrête. Une question s'est posée avec le CGPPP sur l'application dans le temps de cette définition du domaine public. Cette définition du critère de la domanialité publique se voulait réductrice par rapport au critère qu'utilisait avant le juge pour lutter contre l'hypertrophie du domaine public. Le problème, c'est qu'il y avait des biens qui, par application de l'ancien critère, faisaient partie du domaine public mais qui, par application du nouveau critère, n'en font plus partie. Comment s'applique le texte dans le temps ? La jurisprudence a appliqué ici les principes généraux d'application de la loi dans le temps. S'il s'agit d'un bien qui faisait partie du domaine public par application de l'ancien critère mais qui n'en fait plus partie par application du nouveau critère, il faut considérer que ce bien n'a pas quitté le domaine public pour autant. La loi ou la jurisprudence qui s'applique est celle en vigueur au moment où la situation a été constituée. Mais il faut considérer qu'il peut être, selon une procédure, déclassé. Il est donc susceptible de quitter le domaine public mais, tant que cette décision de déclassement n'est pas intervenue, il est toujours dans le domaine public (TC, 22 octobre 2007, Préfet des Bouches du Rhône et Mme Doucedame). En revanche, si c'est un texte spécial qui énonce que tel bien faisait partie du domaine public et fait maintenant partie du domaine privé, ceci s'opère immédiatement. Le bien quitte le domaine public par l'effet de la loi (CE, 3 octobre 2012, Commune de Port-Vendres). Des qualifications légales spéciales. Il y a dans le Code une volonté de multiplier les qualifications spéciales d'appartenance au domaine public ou au domaine privé. Elles appartiennent à la loi exclusivement mais la loi a toute liberté pour le faire. Effectivement, le CGPPP et des dispositions restées extérieures au code ont apporté un certain nombre de solutions particulières. Ces solutions particulières concernent plusieurs catégories : les réserves foncières que l'on a rangé dans le domaine privé des collectivités locales, les forêts (les forêts dites domaniales font partie du domaine privé), les chemins ruraux qui sont une partie de la voirie municipale, La Poste dont les biens relèvent du domaine privé et, enfin, les bureaux. Tout ça va dans le domaine privé. Quant aux dépendances du domaine public, là encore, il y a un effort de clarification du code. Ces dépendances qui restent dans le domaine public sont énumérées dans le code (domaine maritime, domaine fluvial, domaine routier, domaine ferroviaire, domaine cultuel, etc). Il y a une espèce de catalogue qui correspond à des biens qui, par ailleurs, obéissent tous au critère général mais qu'on a tout-de-même

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énumérés. En faveur du domaine public, le seul basculement important antérieur au code, c'est le domaine public hertzien. Le cas des bureaux. L'incorporation des bureaux au domaine privé avait été décidée pour les bureaux de l'État et de ses établissements publics par une ordonnance du 19 août 2004. Le CGPPP étend la solution aux bureaux des collectivités locales mais il introduit une réserve qui concerne tous les bureaux (ceux de l'État et des collectivités territoriales) formant un ensemble indivisible avec des biens immobiliers appartenant au domaine public. Cela rejoint une construction que l'on appelle la domanialité publique globale. Par exemple, les bureaux qui sont dans le bâtiment de l'Hôtel de ville à Paris font partie du domaine public mais les bureaux de l'autre côté de la rue de Lobau, qui appartiennent aussi à la ville, font partie du domaine privé car il y a une dissociation avec l'Hôtel de ville proprement dit. Section 4 : Mise en œuvre de la distinction Ces critères de distinction sont déterminants et s'imposent d'eux-mêmes, sans décision de la collectivité propriétaire. La qualification de domaine public ou de domaine privé est objective, elle n'appelle pas une démarche subjective du propriétaire. C'est du fait de la loi, parce que le bien satisfait aux critères de la loi, qu'il fait partie du domaine public (ou du domaine privé s'il ne satisfait pas ce critère). Ainsi, lorsque les critères de la domanialité publique sont présents, une décision de la collectivité propriétaire classant dans le domaine privé est inopérante (CE, 21 décembre 1956, SNCF c/ Giraud confirmé par CE, 22 avril 1977, Michaud). Une décision de déclassement prise en méconnaissance du critère ne peut jamais être définitive. Même si le délai de recours est épuisé, elle est privée d'effet. Cette sanction est donc particulièrement forte, c'est l'ineffectivité, l'inopérance de la décision en cause. De la même façon, pour qu'un bien appartenant à une personne publique entre dans son domaine public, il n'y a pas besoin d'acte de volonté de sa part. Le Conseil d'État juge constamment qu'aucune décision de classement dans le domaine public n'est nécessaire dès lors que le bien remplit les conditions d'appartenance à la domanialité publique (CE, 19 mai 1976, Société coopérative La Léonarde). Donc, la distribution des biens d'une personne publique entre domaine privé et domaine public s'opère d'elle-même. Par le fait de la loi, tout acte de volonté ne peut être que recognitif d'une situation qui existe du fait de la loi et, s'il n'est pas recognitif, il est inopérant, il est dépourvu d'effet. Il faut introduire une réserve qui correspond aux hypothèses où, pour certaines dépendances du domaine public, la loi a prévu une formalité spécifique de classement. Par exemple, pour le domaine public fluvial, un bien appartenant à une personne publique n'entre dans le domaine public et n'en sort qu'au bénéfice d'une procédure de classement spécialement réglementée par le Code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure. S'il y a une difficulté ou un contentieux dans l'application de ces critères, la question sera arbitrée par le juge administratif. En effet, ce n'est pas le droit de propriété qui est en cause mais la question est de savoir si le bien, propriété de la personne publique, appelle le régime de domanialité publique en raison de l'affectation à l'utilité publique qu'il a reçue. Le Conseil d'État est exclusivement compétent (CE, 16 novembre 1960, Commune du Bugue) et ce n'est que si, à l'occasion de cette procédure, apparaît sous-jacente une question de propriété, celle-ci constituera une question préjudicielle pour le juge administratif lui imposant le renvoi au juge judiciaire.

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TITRE 2 – LES BIENS DU DOMAINE PUBLIC Les biens du domaine public sont soumis à un régime dit de domanialité publique, régime de droit public. Le cœur de ce régime est l'inaliénabilité du bien. Cette inaliénabilité ne s'attache pas au bien en fonction de ce qu'il est mais elle est commandée, justifiée et mesurée par l'affectation du bien. Les exigences de l'inaliénabilité doivent être limitées à ce que veut l'affectation et, donc, en principe, quand l'affectation cesse, l'inaliénabilité doit disparaître. Pour identifier ces biens du domaine public, on a utilisé les critères vus précédemment (cf. supra) qui sont des critères généraux. L'application de ces critères généraux va servir à déterminer la consistance du domaine public, c'est-à-dire quels sont les biens qui entrent dans le domaine public (sous-titre 1), le régime juridique qui s'applique à ces biens (sous-titre 2) et les utilisations qui peuvent être faites des biens du domaine public (sous-titre 3).

SOUS-TITRE 1 – LA CONSISTANCE DU DOMAINE PUBLIC

La consistance du domaine public est déterminée par l'application de critères législatifs qui procèdent de deux façons de faire : soit la loi donne une liste des biens du domaine public, soit elle procède par un critère général. Dans ces critères de la loi, on s'aperçoit qu'il y a deux éléments. Le premier est l'exigence d'une propriété publique (Chapitre 1) qui est une condition absolue, pas de domaine public sans la propriété d'une personne publique. Le second élément est que le bien soit affecté à une utilité publique (Chapitre 2).

CHAPITRE 1 : LA PROPRIÉTÉ DES COLLECTIVITÉS PUBLIQUES SUR LES BIENS DE LEUR DOMAINE PUBLIC

Section 1 : La propriété d'une personne publique : condition de la domanialité publique Nous sommes ici en présence d'un principe absolu, un principe auquel le législateur n'a jamais dérogé alors qu'il peut librement ranger des biens dans le domaine public ou dans le domaine privé. Donc, sans qu'il y ait là d'obligation constitutionnelle, il se trouve qu'il n'a jamais admis qu'un bien n'appartenant pas à une personne publique puisse être qualifié de bien du domaine public. §1 – Une propriété publique CE, 13 janvier 1933, Chemin de fer de Paris-Orléans → un particulier et plus généralement une personne privée ne peuvent jamais être propriétaires de dépendances du domaine public. CE, 13 mai 1964, Mlle Eberstrarck → il s'agit d'un cimetière israélite en Alsace-Moselle propriété d'une association en raison des règles du droit local en matière cultuelle (la loi de 1905 ne s'applique pas en Alsace-Moselle). Ce cimetière affecté à l'utilité publique est propriété d'une association privée. Dans cette

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décision, le Conseil d'État juge qu'il ne peut pas faire partie du domaine public car approprié par une personne privée. CE, 26 avril 1967, Commune de Verzenay → un mur de soutènement d'une voie publique, affectée à la circulation, fait partie d'un fonds privé, donc appartient à une personne privée. Donc, même si son utilité publique est évidente, il ne fait pas partie du domaine public parce qu'il n'appartient pas à une personne publique. Avis CE, 10 juin 2004 qui concerne l'Agence France-Presse. On pensait que l'AFP était un établissement public, donc une personne publique, en vue de son organisation et de son statut. Le Conseil d'État énonce que « [l'AFP] présente le caractère d'un organisme de droit privé sui generis. Dès lors que seules les personnes publiques peuvent être propriétaires d'un domaine public, il résulte de ce qui précède que [l'AFP] ne peut détenir un domaine public qui lui soit propre ». Nous avons donc une constante dans l'affirmation du caractère absolu de cette première composante de la consistance du domaine public : il faut un bien approprié par une personne publique. Le législateur s'est employé dans la période récente à transformer beaucoup d'établissements publics en sociétés publiques puis en sociétés privées ensuite (l'AFP, EDF, GDF, Aéroports de Paris, la Poste, etc). Ces établissements restent les mêmes avec la même mission d'intérêt général mais ils deviennent des personnes privées. Or, pour remplir cette mission d'intérêt général, ils utilisent les mêmes biens. Que vont devenir ces biens ? Ils ne peuvent plus faire partie du domaine public. La loi, en transformant un établissement public en personne privée, n'a jamais maintenu ces biens dans le domaine public. Au contraire, la loi a expressément dit que ces biens étaient soustraits au domaine public et entraient dans le domaine privé de cette personne privée. C'est donc une sorte de confirmation par la loi du critère absolu dégagé par la jurisprudence. Or, rien n'interdisait à la loi de se libérer de ce critère. – La loi du 26 juillet 1996, transformant France Télécom en société nationale, énonce que les biens du domaine public lui appartenant sont déclassés et transférés en tant que biens privés dans le patrimoine de la nouvelle société. Quand cette loi est soumise au contrôle de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel ne trouve rien à y redire (CC, 23 juillet 1996). – Même chose pour EDF et GDF avec la loi du 9 août 2004. – Même chose pour Aéroports de Paris avec la loi du 21 avril 2005. Il y a quelque chose de surprenant. On fait disparaître le régime de la domanialité publique de ces biens mais ils continuent à remplir leur mission d'intérêt général. Cela veut dire qu'on avait pas besoin du régime de la domanialité publique pour que ces anciens établissements publics fassent bien leur travail. La vérité de la réponse est de dire qu'on ne le fait pas complètement disparaître. La loi prévoit que ces biens basculent dans le domaine privé de la nouvelle société. Ils deviennent donc aliénables mais aliénables sous condition en raison de l'affectation qu'ils continuent à remplir. Pour les vendre, il y a un régime d'interrogation préalable de l'autorité de tutelle, le ministre de tutelle, à qui il faut notifier ce projet et l'autorité de tutelle s'y opposera si la vente du bien contrarie l'affectation. On a désigné ceci sous l'appellation de quasi-domanialité. §2 – Une pleine propriété La domanialité publique n'existe que si et lorsque la collectivité exerce une pleine propriété sur le bien en question. CE, 19 mars 1965, Société lyonnaise des Eaux et de l'Éclairage → le Conseil d'État refuse l'appartenance d'une canalisation au domaine public en observant que celle-ci n'avait à aucun moment appartenu dans sa totalité soit à l'État, soit à une collectivité territoriale. Dans la période plus récente, les choses se sont précisées mais d'une façon qui n'est pas encore stabilisée ni satisfaisante.

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A – Le cas de la copropriété

La question s'est posée à propos d'un dépôt d'archives du ministère des Finances qu'il avait organisé dans un lot de copropriétés qu'il avait acquis dans un immeuble. Incendie dans ce dépôt d'archives et la société d'assurance engage un contentieux pour obtenir le renversement de l'indemnisation qu'elle avait assurée. CE, 11 février 1994, Compagnie d'assurances Préservatrice foncière → le Conseil d'État juge que le bien, incontestablement affecté à une utilité publique, ne fait pas partie du domaine public parce que la personne publique, l'État, n'est que copropriétaire et n'est pas pleinement propriétaire. Seule une propriété publique totale est compatible avec la domanialité publique. Cette propriété totale n'existe pas lorsque le copropriétaire doit transiger avec d'autres copropriétaires pour exercer certains attributs du droit de propriété (aménagement sur les parties communes, etc) faire des aménagements. Cette solution a été répétée par la suite mais elle est lourde de conséquences.

B – Le cas d'une collectivité publique titulaire d'un bail emphytéotique

Tout d'abord, ne doit-on pas juger de la même façon que l'on a jugé la copropriété une autre hypothèse où la propriété d'une personne publique se concilie avec une autre propriété, quand une collectivité publique acquiert à bail emphytéotique, à bail à construction, le droit de construire sur des terrains qui restent la propriété du donneur à bail ? Pendant la durée du bail, la collectivité est titulaire de droits réels mais le propriétaire du fonds reste titulaire d'un droit, certes paralysé pendant la durée, mais qui demeure. La suite normale serait de dire de la même façon qu'il ne peut pas y avoir de domaine public s'agissant de biens affectés, aménagés, construit pour accueillir une utilité publique dès lors qu'ils le sont sur la base d'un bail emphytéotique et non sur la base d'une pleine acquisition en propriété. Allons encore plus loin. Si l'on reste dans la même logique, ne doit-on pas juger la même chose pour les lots d'un lotissement ? Une personne publique ne pourrait pas être titulaire d'un lot avec une dépendance du domaine public coexistant avec les autres colotis. En l'état actuel, la pratique prend une position inverse à celle de l'arrêt Préservatrice foncière. Un lot de lotissement peut faire partie du domaine public alors qu'il n'y a pas une propriété pleine et entière sur le lot mais simplement une propriété en tant que coloti. Donc une petite incohérence. On voit que la jurisprudence elle-même hésite à aller jusqu'au bout de cette logique, ce qui fait que la solution Préservatrice foncière a été discutée.

C – Vers une remise en cause de ces analyses et solutions ? Cette solution aboutit à un résultat paradoxal. Si la personne publique achète un lot de copropriété, il ne sera jamais dans le domaine public. Si, dans un local qui appartient déjà à l'État, elle fait aménager pour elle, sans copropriété, un local qui a exactement la même destination, il fait partie du domaine public. Donc, s'il y a copropriété, le bien ne peut pas entrer dans le domaine public. Si le bien fait partie du domaine public, il ne peut pas faire l'objet d'une copropriété. On peine à trouver le fondement de cette solution. Qu'est-ce qui justifie la domanialité publique ? C'est l'affectation. À partir du moment où un bien est affecté à l'utilité publique, il n'y a pas de raison d'avoir des régimes juridiques différents. Cette solution est donc vulnérable et sera peut-être discutée mais elle passe par une appréhension exacte de ce qu'est l'affectation et qui justifie la domanialité publique. L'affectation, c'est ce qu'on fait du bien et c'est ce qui doit borner les limites de la propriété, mais si ce qu'on fait du bien peut être aussi bien assuré dans la copropriété que dans une pleine propriété, il n'y a pas de raison d'interdire au nom de la domanialité publique, c'est-à-dire au nom de l'inaliénabilité, la copropriété.

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Au lendemain de l'arrêt Préservatrice foncière, une circulaire du ministère de l'Intérieur, de la direction générale des collectivités locales, conseillait aux collectivités territoriales, si elles avaient des besoins immobiliers, d'acquérir des lots de copropriété qui n'entreront jamais dans le domaine public, mais d'y faire la même chose en affectant le bien à l'utilité publique. De cette manière, on ne s'encombre pas du régime pesant de la domanialité publique et de l'inaliénabilité. Cela fait apparaître comme défavorable économiquement le régime de la domanialité publique. Section 2 : Les personnes publiques propriétaires de dépendances du domaine public Pour l'État et pour les collectivités locales, il n'y a jamais eu d'hésitation. Ils peuvent être propriétaires de domaines publics. En revanche, la question a été longuement débattue pour les établissements publics. La question n'a été abordée que relativement récemment et a été tranchée dans un sens qui n'était pas forcément évident. Mais est apparue une seconde question. On avait cru que les établissements publics épuisaient la catégorie des personnes publiques. Or, dans les années 2000, il est apparu clairement qu'il y avait des personnes publiques qui n'étaient ni des établissements publics, ni des collectivités territoriales, ni l'État et que l'on a appelé, faute de mieux, les personnes publiques spéciales. §1 – Le domaine public des établissements publics Pendant longtemps, en l'absence de jurisprudence, la doctrine répondait par la négative. Elle considérait que les établissements publics pouvaient être affectataires de dépendances du domaine public appartenant à une autre personne publique. Au moment de la commission de réforme du Code civil, la question a été très débattue et on a proposé une distinction entre les établissements publics administratifs (EPAD) et les établissements publics industriels et commerciaux (EPIC). L'idée était de distinguer les administrations externalisées et les commerçants publicisés. Pour les EPAD, les besoins et les biens sont les mêmes que pour les autres personnes publiques puisqu'on choisit de créer un EPAD justement pour pas exploiter en régie. Donc, on allait assez volontiers vers la qualification de domaine public pour les biens appropriés par les EPAD. En revanche, pour les EPIC, apparaissait très fort l'idée que, certes, il y avait une appropriation par la collectivité publique, mais il s'agissait d'activités prestataires, d'activités économiques. Est-ce que l'inclusion de leurs biens dans le domaine public n'était pas un obstacle à leur activité économique ? Ces EPIC ont besoin constamment de vendre, de racheter, de faire évoluer leur capital. Or, avec la domanialité publique, il y a l'inaliénabilité. Est-ce qu'on ne jouait pas contre la volonté du législateur en qualifiant leurs biens de dépendances du domaine public ? Cette distinction se heurtait à une grande difficulté, à savoir que la qualification d'EPAD ou d'EPIC est distribuée assez arbitrairement par le législateur. Du côté de la jurisprudence, il y avait quelques décisions qui n'étaient pas de principe. Cass. civ. 1ère, 2 avril 1963, Montagne → la Cour de cassation admettait que la Réunion des musées de France, qui était un EPAD, puisse être propriétaire d'un domaine public propre. CE, 19 mars 1965, Compagnie lyonnaise des eaux puis avis CE, 19 novembre 1963 → l'un et l'autre semblaient admettre qu'un établissement public puise disposer d'un domaine public si le bien en question faisait déjà partie du domaine public et lui a été transféré au moment de sa création. Au contentieux, la question s'est posée pour la première fois à propos du statut de « la dalle de la Défense » qui appartenait à l'établissement public d'aménagement de la Défense et il s'agissait de savoir quelle était la situation juridique d'un commerçant qui vendait des frites et des hot dogs sur l'esplanade de la Défense. Était-il un occupant du domaine public ou non ? CE, 21 mars 1984, Mansuy → l'esplanade de la Défense,

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propriété de l'établissement public d'aménagement, fait partie du domaine public de l'établissement public en question. Quelle est la portée de cette décision ? L'établissement public d'aménagement de la Défense n'est pas un établissement public ordinaire. C'est un établissement public aménageur et le pouvoir au sein du conseil d'administration est détenu par les collectivités locales. Donc c'est une sorte de substitution des collectivités locales et derrière la propriété momentanée de l'établissement public, ne retrouve-t-on pas la propriété de communes ? La jurisprudence a continué à évoluer. CE, 23 juin 1986, Muséum d'histoire naturelle → par une formulation de principe, le Conseil d'État a généralisé la solution à tous les établissements publics, sans que le caractère industriel et commercial y fasse obstacle. Aujourd'hui, de par la jurisprudence, les établissements publics, comme les collectivités locales, comme l'État, peuvent être des propriétaires de dépendances du domaine public propre, indépendamment du domaine public qui leur est affecté. À cette jurisprudence, cependant, on a apporté un certain nombre de dérogations. Comme par hasard, ces dérogations concernent des EPIC. Au lendemain de la décision, EDF s'est trouvé dans un certain nombre de contentieux amené à soutenir que la jurisprudence Muséum d'histoire naturelle ne s'appliquait pas à elle. Cette jurisprudence remettait en cause la vente d'un certain nombre d'installations électriques devenues inutiles. Or, si ces installations faisaient partie du domaine public d'EDF, on avait pas le droit de les vendre. Donc, les ventes étaient nulles. Or, un EPIC doit réaliser des bénéfices et cette jurisprudence gênait EDF. EDF va perdre en première instance et en appel mais va gagner devant le Conseil d'État. CE, 23 octobre 1998, EDF → si la jurisprudence reconnaît la propriété des établissements publics sur leur domaine public, la loi de nationalisation du 8 avril 1946, en son article 24, autorise EDF « à acquérir […] des biens de toute nature, à les prendre à bail, à les gérer et à les aliéner, dans les conditions applicables aux personnes privées ». Donc, le législateur, dans ce cas particulier, par une disposition explicite, dit que les biens n'étaient pas soumis au régime de domanialité publique puisqu'on pouvait les aliéner dans les conditions du droit privé. Cette loi concernait EDF et GDF et la solution ne valait que pour ces établissements publics. C'est par cette disposition spéciale que ces établissements publics n'avaient pas de domaine public. La seconde dérogation concerne La Poste. La loi du 11 décembre 2001, à l'article 22, dispose : « Les biens immobiliers de La Poste relevant de son domaine public son déclassés. Ils peuvent être librement gérés et aliénés dans les conditions du droit commun ». Troisième dérogation, la loi du 26 juillet 1996 qui faisait de France Telecom un établissement public comprenait la même formule. Ces trois dérogations concernent toutes des EPIC. Ne faut-il pas conserver les jurisprudences Mansuy et Muséum d'histoire naturelle pour les EPAD et, en revanche, les écarter clairement par la loi pour l'ensemble des EPIC ? Ce débat a eu lieu au moment de l'élaboration du CGPPP et il a été tranché par la négative en raison de la difficulté d'établir clairement dans la loi la distinction entre l'EPIC et l'EPAD (l'exemple qui revenait toujours était celui des chambres de commerce et d'industrie qui ont une fonction administrative et une fonction industrielle et commerciale). Et donc, l'article L.1 du CGPPP dispose : « Le présent code s'applique aux biens et aux droits, à caractère mobilier ou immobilier, appartenant à l'État, aux collectivités territoriales et à leurs groupements, ainsi qu'aux établissements publics ». Les exceptions antérieures qui figuraient dans des textes législatifs demeurent mais la question est de savoir si les exceptions qui n'étaient pas reprises dans un texte législatif demeurent aussi. Ces exceptions concernent le logement social dont les acteurs sont, selon les cas, des sociétés d'HLM (sociétés privées) ou des offices d'HLM (établissements publics). Ils font exactement le même travail de réalisation du logement social et de gestion du logement social. Dans leur activité, ils sont amenés à constituer des réserves foncières, à les revendre et à acquérir. Les soumettre à un régime d'inaliénabilité serait contre-performant. Depuis les années 1970, la jurisprudence juge que les biens des offices publics d'HLM, affectés à leur

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mission de service public, ne font pas partie du domaine public. Cette jurisprudence saine est-elle remise en cause par la formule de l'article L.1 ? On s'accorde à considérer que cette dérogation est maintenue et la jurisprudence ultérieure le confirme. §2 – Le domaine public des autres personnes publiques spéciales Il s'agit tout d'abord des groupements d'intérêt public (GIP) qui sont une formule de coopération institutionnalisée entre des personnes publiques et des personnes privées, qui sont nés avec la loi de 1982 sur la recherche avec l'idée que les laboratoires et les grandes entreprises pharmaceutiques puissent se regrouper sur la base d'une convention, qui ont ensuite été généralisés à toute une série de domaines de la vie administrative et économique. Ces GIP avaient été conçus comme des contrats de droit privé. Lors d'un premier passage devant le Conseil d'État, celui-ci a dit que ces GIP ne pouvaient être que des personnes morales de droit public mais non des établissements publics. À peu près à la même époque, même démarche pour la Banque de France dont on avait des raisons de penser que c'était un organisme privé. Avis CE, 9 décembre 1999 → il est affirmé que la Banque de France n'est pas un établissement public mais un organisme de droit public sui generis, ce qui va être confirmé au contentieux (CE, 22 mars 2000, Syndicat national du personnel de la Banque de France). Dans la catégorie ainsi ouverte, on a tendance à faire rentrer aussi les autorités publiques indépendantes qui sont personnalisées. Elles ont reçu de la loi la personnalité juridique mais elles ne sont pas des établissements publics, elles ne sont pas gestionnaires, elles ont une activité de régulation d'un marché qui est une nouvelle forme de police économique. Ces autres personnes ne sont pas visées par l'article L.1. Est-ce que la réponse peut être la même pour toutes les personnes publiques spéciales ? Est-ce que ce qui se conçoit pour un ordre professionnel se conçoit de la même façon pour un GIP ? La domanialité publique et l'inaliénabilité doivent-elles suivre la personnalité publique de la même façon pour tous ? Avec prudence, le CGPPP renvoie aux textes spéciaux régissant les autres personnes publiques. Donc, à chaque législation de dire ce qu'il en est. C'est la jurisprudence qui tranchera mais il y a une vraisemblance pour que l'on tranche dans le sens de la domanialité publique. Section 3 : La répartition du domaine public entre les collectivités publiques L'État. Il existe un domaine public national qui comprend la totalité des domaines maritime, fluvial, aérien, hertzien, les routes nationales, toutes les autoroutes et un certain nombre d'édifices et d'objets mobiliers et immobiliers. C'est un domaine considérable et qui peut produire des fruits. Le domaine public départemental. Il comprend les chemins départementaux, les voiries départementales, quelques voies ferrées d'intérêt local et un certain nombre d'édifices, de biens meubles ou immeubles. Il faut observer que, périodiquement, une partie de la voirie nationale est reversée dans la voirie départementale. Le domaine public communal. Il est important, hétérogène et très variable selon les communes. Il est souvent mal maîtrisé par les petites communes qui ne savent pas toujours ce qu'elles possèdent. D'où des règles de protection des communes vis-à-vis d'elles-mêmes, pour qu'elles ne se trouvent pas dépossédées, notamment par des procédés de prescription acquisitive. D'une façon générale, les communes ont un domaine de voirie qui a été réorganisé par une ordonnance du 7 janvier 1959 qui range le domaine pour l'ensemble des communes en deux grandes catégories : – les voies urbaines et les anciens chemins ruraux dits reconnus, c'est-à-dire qui avaient déjà été classés dans le domaine public, qui font partie du domaine public ; – puis les chemins ruraux non reconnus qui font partie du domaine privé de la commune. Le domaine public régional. Il n'est pas très important. Il s'agit pour l'essentiel de biens transférés en gestion mais pas en propriété à l'occasion des transferts de compétences des lois de décentralisation.

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Section 4 : Propriétaire et affectataire La distinction du propriétaire et de l'affectataire tient au fait qu'un certain nombre de propriétés d'une personne publique sont affectées à une autre personne publique pour l'exercice de son activité de service public. Par exemple, le propriétaire du 12 place du Panthéon est la ville de Paris et l'affectataire est l'université Paris 2. Une précision de vocabulaire. L'affectataire est celui auquel est affecté le bien, la dépendance domaniale pour l'exercice de son activité. Il ne faut pas confondre l'affectation d'un bien par une personne publique à une autre, désignée comme affectataire, avec l'affectation à l'utilité publique et ce même si, souvent, c'est l'affectataire qui affecte le bien à l'utilité publique par son activité de service public. Dans cette configuration de dissociation entre l'identité du propriétaire et l'identité de l'affectataire, la condition de propriété publique est satisfaite. Pour qu'il y ait domaine public, il n'est pas nécessaire que le propriétaire soit en même temps responsable du service développé à partir de ce bien. Quand le propriétaire et l'affectataire sont distincts, toutes les prérogatives attachées à la gestion du bien vont être celles de l'affectataire. C'est lui qui va décider des modalités de l'affectation. Le propriétaire réapparaîtra au moment où l'on disposera du droit de propriété, où le bien peut être déclassé, rendu au domaine privé et où la question de la vente se pose. D'abord, toute la déconcentration des services publics nationaux, c'est-à-dire l'installation des grands services publics prestataires sur l'ensemble du territoire, sollicite l'initiative des villes. Ce sont les villes qui ont construit les bâtiments pour accueillir les services déconcentrés de l'État. Par exemple, la grande majorité des locaux des universités parisiennes appartiennent à la ville de Paris pour y accueillir le service public national de l'enseignement et de la recherche. Deuxième hypothèse, à partir de la loi du 2 mars 1982 s'est déclenché l'acte 1 de la décentralisation. Cette décentralisation est mise en œuvre par la loi du 7 janvier 1983 qui est la première loi de transfert de compétences. Cette loi comporte un Titre 1 qui pose les principes de tous les transferts de toutes les compétences. Dans ces principes, il y a notamment celui selon lequel chaque transfert de compétence doit s'accompagner du transfert des moyens d'appui de cette compétence (moyen financiers, le personnel et les biens). Mais ces transferts sont normalement des transferts en gestion. La collectivité locale va recevoir la gestion mais l'État reste propriétaire. Troisième catégorie, c'est le sort des biens qui sont réalisés et exploités dans le cadre d'une délégation de service public. Quel est le régime des biens pour l'exercice du service public délégué à une entreprise privée ? La personne publique remet des biens au délégataire pour lui permettre de développer l'activité. Il y a aussi des biens qui sont réalisés par le délégataire pour permettre l'existence et le développement du service délégué. Par exemple, pour faire une autoroute, la personne publique apporte les terrains puis le délégataire fait des travaux pour permettre la réalisation du bien public et son exploitation. Puis il y a des biens propres qu'apporte le délégataire. On a donc une série de biens d'origines diverses, quel est leur sort ? La jurisprudence a dégagé une classification tripartite. CE, 21 décembre 2012, Commune de Douai → trois catégories de biens. – Les biens dits de retour qui sont considérés comme la propriété de la personne publique délégante dès leur réalisation, dès leur affectation. Ils font partie du domaine public de la personne publique délégante puisqu'ils sont sa propriété et qu'ils sont affectés à un service public. – Les biens de reprise. Ce ne sont pas des propriétés de la personne publique, ce sont des biens que le délégataire apporte ou acquiert en cours de délégation car ils sont nécessaires à l'activité de service public, mais ils sont sa propriété. Ils ne rentrent donc pas dans le domaine public. On les appelle biens de reprise car la personne publique est libre d'acquérir ou non ces biens à la fin de la délégation car ils sont nécessaires à la continuité du service public.

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– Les biens propres que le délégataire a apporté pour le bon fonctionnement de la délégation, pour sa rentabilité. Ces biens ne sont pas indispensables à la continuité du service public. Ils restent sa propriété et ils les récupèrent à l'issue de la délégation. L'exigence de propriété, à défaut de laquelle il n'y a pas de domaine public, est donc satisfaite quand le propriétaire n'exerce pas lui-même l'activité correspondant à l'affectation du bien.

CHAPITRE 2 : L'AFFECTATION DES BIENS DU DOMAINE PUBLIC À UNE UTILITÉ PUBLIQUE

Cette seconde condition, celle de l'affectation, n'est pas comme la première condition, celle de la propriété. Elle n'est pas absolue. Le législateur dispose librement de la condition d'affectation. Il a maintenu dans le domaine public des biens, propriétés de personnes publiques, mais qui n'étaient plus affectés à une utilité publique et, inversement, il a considéré que des biens qui étaient la propriété d'une personne publique et qui étaient affectés à une utilité publique ne faisaient cependant pas partie du domaine public. Le cheminement du critère de l'utilité publique a fait que le domaine public s'est gonflé, s'est élargi. Il y a eu une hypertrophie du domaine public. Pourquoi ? D'abord, on y a mis les biens affectés au service public, or, le service public envahit presque tout le champ d'activité des personnes publiques. Ensuite, parce que le critère réducteur de l'aménagement spécial n'a pas bien fonctionné. Historiquement aussi, on a eu tendance à promouvoir des constructions comme celle de la domanialité publique globale. On a eu tendance encore, par la loi, à inclure des biens dans le domaine public alors même qu'ils étaient dans le domaine privé. Le constat, dans les années 1980, est donc celui d'une hypertrophie du domaine public. Il y a le sentiment que ce régime de domanialité publique, étendu là où il ne devrait pas l'être, a des effets d'inertie économique et paralyse l'objectif de valorisation. D'où une stratégie législative visant à réduire l'hypertrophie du domaine public. C'est l'esprit général du CGPPP qui va donc jouer sur l'affectation. Comment fait-il ? D'abord, il donne une définition plus stricte du critère de l'aménagement spécial, il faut que le bien fasse l'objet d'un aménagement indispensable. Ensuite, le code range des biens dans le domaine privé alors même qu'ils sont affectés à une utilité publique (exemple des bureaux). De la même façon, le code réécrit la théorie de l'accessoire de façon plus restrictive. Le code met fin à la construction de la domanialité publique virtuelle et à celle de la domanialité publique globale. On voit dès lors quelle est la ligne directrice de la législation actuelle. Se faisant, la question qui s'est posée a été de savoir s'il fallait continuer à distinguer entre les dépendances affectées à l'usage direct du public et les dépendances affectées à un service public. Le parti qui a été pris a été de retranscrire la formule jurisprudentielle et de distinguer dans l'article L.2111-1, dans le critère de l'affectation, l'affectation au public, d'une part, et l'affectation à un service public, d'autre part. Cette distinction n'est pas neutre car un certain nombre de mécanismes sont désignés comme applicables seulement à l'une des deux branches de l'alternative. Section 1 : La domanialité publique résultant de l'affectation des biens à l'usage du public §1 – Le critère de l'affectation des biens à l'usage du public C'est la première branche de l'alternative de l'article L.2111-1 du Code. Cette notion d'affectation à l'usage du public est faussement claire et la jurisprudence va le montrer. Si l'on admet facilement qu'une plage ou que les voies publiques sont affectées à l'usage d'un public indifférencié, doit-on considérer qu'il en va de même par exemple des voies ferrées, de certaines portions de voirie. La jurisprudence elle-même a montré

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que ces hésitations n'étaient pas artificielles. Exemple : CE, 11 mai 1959, Dauphin → il est jugé que la promenade des Alyscamps en Arles est affectée à un service public de caractère culturel et touristique. Même hésitation dans l'arrêt Michaud (cf. p. 18) à propos des halles de la ville de Lyon que l'on juge affectées à l'usage d'un public indifférencié mais dont l'arrêt nous dit qu'elles font partie du domaine public en raison de leur affectation à un service public de l'organisation et de l'alimentation. Ce sont ces hésitations qui ont conduit certains à dire que la distinction est artificielle puisque la jurisprudence elle-même le montre. S'ajoute à cela que le terme d'affectation au public est lui-même source d'ambiguïté. L'affectation au public peut être une affectation à un usage collectif mais aussi une affectation à un usage individuel. Il y a donc dans cette affectation à l'usage du public une affectation qui se réalise sans l'intervention d'une autorisation mais aussi une affectation qui se réalise au bénéfice d'autorisations individuelles (par exemple, pour avoir une place sur un marché). Enfin, dernière ambiguïté, dans la jurisprudence et dans l'article L.2111-1, le critère de l'aménagement indispensable ne concerne que les biens affectés au service public. Or, on trouve des décisions qui considèrent que le bien fait partie du domaine public parce qu'il est affecté à l'usage du public et qu'il a reçu un aménagement spécial. Ces décisions rapatrient donc le critère réducteur là où il n'a jamais existé et là où il n'avait pas de raison d'être car il était le gardien de l'expansion du service public. CE, 22 avril 1960, Berthier → le Bois de Boulogne fait partie du domaine public car il est ouvert à l'usage du public et qu'il a reçu un aménagement spécial. CE, 14 juin 1972, Eidel → le Bois de Vincennes est une dépendance du domaine public de la ville de Paris parce qu'il est ouvert à l'usage du public et qu'il a fait l'objet d'un aménagement spécial. CE, 30 mai 1975, Dame Gozzoli → Il s'agit d'une plage qui fait partie du domaine public parce qu'affectée à l'usage du public, elle a fait l'objet d'un entretien dans des conditions telles qu'elle doit être regardée comme bénéficiant d'un aménagement spécial. C'est le débat qui s'est présenté aux rédacteurs du Code de 2006. Il y avait des arguments pour faire disparaître la distinction des biens affectés à l'usage du public et des biens affectés au service public. Cette distinction est difficile à mettre en œuvre, rendue peu lisible par le rapatriement du critère de l'aménagement spécial, mêlant des occupations à l'usage du public individuelles et collectives. Mais comme la jurisprudence a déjà consacré cette distinction, l'article L.2111-1 maintient de façon autonome l'affectation à l'usage direct du public comme élément constitutif de la domanialité publique. §2 – La mise en œuvre du critère de l'affectation à l'usage du public

A – Le domaine public maritime Le domaine public maritime est réputé affecté à l'usage direct du public et est rangé à l'article L.2111-4 du CGPPP. Le domaine public maritime comprend « Le sol et le sous-sol de la mer entre la limite extérieure de la mer territoriale et, côté terre, le rivage de la mer [qui] est constitué par tout ce qu'elle couvre et découvre jusqu'où les plus hautes mers peuvent s'étendre en l'absence de perturbations météorologiques exceptionnelles ». Le rivage de la mer ainsi que le sol et le sous-sol de la mer territoriale sont la propriété de l'État. Le rivage de la mer, composante du domaine public maritime, a été défini pendant longtemps par deux textes. Pour l'Atlantique et la Manche, c'est l'ordonnance de Colbert sur la marine de 1681 qui indiquait que seront réputés rivages de la mer « tout ce qu'elle couvre et découvre pendant les nouvelles et pleines lunes et jusqu'où le grand flot de mars se peut étendre sur les grèves ». Donc référence au phénomène des marais. Pour la Méditerranée, on se référait à un autre texte, les Institutes de Justinien qui indiquaient que les rivages de la mer correspondent aux terres littorales recouvertes par « le plus haut flot d'hiver ». Ces références ont perduré pendant longtemps et ont été reprises par la jurisprudence à partir des années 1970 qui correspondent à des années de réalisation de projets immobiliers sur les rivages de la mer.

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CE, 12 octobre 1973, Kreitmann → le Conseil d'État a procédé à un certain nombre de précisions et de simplifications. – Cette délimitation ne doit pas tenir compte de ce que sont les perturbations météorologiques exceptionnelles. – L'ordonnance de Colbert s'applique pour l'ensemble du domaine public maritime. – La délimitation du domaine public est une délimitation de l'instant. Elle évolue dans l'espace et résulte de données de fait dont les effets varient dans le temps. Ces précisions sont reprises à l'article L.2111-4 du CGPPP, abrogeant du même coup l'ordonnance de Colbert : « le rivage de la mer […] est constitué par tout ce qu'elle couvre et découvre jusqu'où les plus hautes mers peuvent s'étendre en l'absence de perturbations météorologiques exceptionnelles ». La mer territoriale. Initialement, elle ne faisait pas partie du domaine public et ne faisait même pas partie du territoire de l'État. Ce sont les grandes conférences sur le droit de la mer qui ont réglé de manière conventionnelle pour l'ensemble des États la délimitation de l'étendue de la mer territoriale qui ont conduit la jurisprudence à considérer qu'elle faisait partie du domaine public de l'État. C'est ce qui est consacré par la loi du 28 novembre 1963, elle-même reprise à l'article L.2111-4 : « Le sol et le sous-sol de la mer entre la limite extérieure de la mer territoriale [en général, 12 milles marins] et, côté terre, le rivage de la mer ». Font partie également du domaine public maritime Les lais et relais de la mer. Ce sont des portions de terre que la mer laisse de façon définitive en se retirant. À qui appartiennent ces lais et relais de la mer ? Sur ce point, les choses ont varié. Les lais et relais de la mer ont été rangés dans le domaine public maritime par la loi du 28 novembre 1963. Auparavant, ils faisaient partie du domaine privé de l'État et ils ont été très souvent aliénés, aussi bien que la loi de 1963 ne concerne que les lais et relais futurs. La loi de 1963 permet leur incorporation dans le domaine public de l'État par voie d'arrêtés préfectoraux qui procèdent en même temps à leur délimitation. C'est donc une procédure qui permet d'intégrer dans le domaine public de l'État les lais et relais de la mer mais encore cette procédure doit être utilisée. Le Code de 2006 va plus loin et il inclut dans le domaine public maritime les lais et relais de la mer qui faisaient partie du domaine privé de l'État après 1963 et ceux constitués après 1963. Donc, d'une façon automatique, on assiste à une sorte de régularisation en incorporant ceux qui ne l'avaient pas encore été. Les concessions d'endigage. Ce sont des procédures qui visent à la réalisation de terrains qui sont artificiellement soustraits à l'action du flot. Il s'agit donc, par la main de l'homme, de réaliser des terrains artificiels sur le domaine public maritime. Ces concessions sont délivrées par l'État qui titre un investisseur privé pour réaliser la concession. Qui est le propriétaire de ces terrains ? Il y a deux catégories de concessions d'endigage. Les premières ont été faites sur la base d'une loi du 16 septembre 1807 et étaient translatives de propriété, le concessionnaire devenait propriétaire des terrains qu'il avait gagné sur la mer. Les deuxièmes sont délivrées sur la base d'un décret de 1979, abrogé puis remplacé par un décret du 29 mars 2004 qui, au contraire, prohibe le transfert de propriété et ne permet qu'un travail dont le concessionnaire a le bénéfice sur une durée déterminée mais, au terme de celle-ci, la propriété revient à l'État. En principe, les concessions d'endigage aujourd'hui sont exclusivement sur ce second modèle. La zone des cinquante pas géométriques. C'est une institution qui existe encore aujourd'hui dans les DOM-TOM. Il s'agit d'une institution qui n'a pas eu véritablement d'acte de naissance, elle a une origine coutumière qui apparaît aux Antilles dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Une lettre du roi dit qu'il y a une zone de cinquante pas géométriques (environ 80 mètres) à partir du rivage de la mer qui est réservée au roi, c'est-à-dire à l'État, à des fins de police, de contrôle de la navigation, de sécurité des côtes. À partir de la GM2, cette zone des cinquante pas va avoir un intérêt économique considérable pour y développer des installations balnéaires, des ports de plaisance, etc. Or, quelques fois, certains occupants s'y étaient installés. Quelle était leur situation ? Le premier texte un peu explicite est une ordonnance royale du 9 février 1827 qui ne mentionne pas l'appartenance au domaine public ou au domaine privé mais dit que le roi, l'État, a des droits sur cette zone

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et que les occupations privatives ne doivent pas gêner ces droits de l'État. Par la suite, un décret du 21 mars 1882, qui concerne la Guadeloupe et dont le dispositif a été étendu à la Martinique par un décret de 1887, dit clairement qu'il s'agit du domaine privé de l'État. Mais le Conseil d'État, dans un avis du 17 décembre 1885, dit que malgré la qualification de l'ordonnance, il retrouve dans cette ordonnance des éléments qui lui font penser à la domanialité publique et, notamment, l'inaliénabilité (l'ordonnance déclare le bien inaliénable). Le législateur reprend la main et, par un décret-loi du 30 juin 1955, classe à nouveau les cinquante pas géométriques dans le domaine privé de l'État et ouvre une procédure de validation des titres (donc possibilité de vendre, de valoriser et d'appropriation par la prescription acquisitive). La loi du 3 janvier 1986 reclasse le bien dans le domaine public, sous réserve évidemment des parcelles qui ont été régulièrement aliénées après 1955 ou des titres qui ont été validés. Les occupants sont donc des occupants du domaine public sans titre qui soit peuvent déguerpir, soit peuvent être régularisés sur la base d'une occupation du domaine public. Vigoureuse protestation et le législateur, dans une loi du 30 décembre 1996, rouvre une procédure de validation pour ceux qui n'avaient pas fait valider leur titre sur la base du décret-loi de 1955. L'un de ces propriétaires a élevé une QPC sur la conformité à la Constitution des lois de 1986 et 1996 qui avaient rangé ces biens dans le domaine public et donc transformé ces occupants en occupants du domaine public. Ces lois méconnaîtraient les articles 2 et 17 de la DDHC de 1789, c'est-à-dire la protection constitutionnelle du droit de propriété. CC, 4 février 2011 : le Conseil constitutionnel rejette cette QPC.

B – Les domaines publics aérien et hertzien Dans les années 1930, Bonnard développe l'idée qu'il s'agirait bien d'une dépendance du domaine public de l'État. L'article 552 du Code civil ne jouerait que jusqu'à la limite de l'effet utile. C'est le début de la navigation aérienne et il n'y a aucun intérêt à considérer que le propriétaire du sol est propriétaire de l'espace que traverse l'avion. Cette idée sera recueillie par la jurisprudence. CE, 7 mars 1930, Compagnie aérienne française et surtout CE, 6 février 1948, Radio-Atlantique → sur la base de ces décisions, le Conseil d'État va expliquer que les couloirs de circulation aérienne font partie du domaine public de l'État. La question n'est pas tranchée autrement par les textes. Le problème rebondit lorsqu'on utilise l'espace aérien pour la diffusion des ondes. Il faut comprendre que les bandes de fréquences sont un objet de rareté et qu'elles font donc l'objet d'une répartition par les organisations internationales qui les attribuent aux États et que, ensuite, les États les attribuent à l'intérieur d'eux-mêmes d'abord à des services publics et ensuite à des opérateurs privés (ce sont les fameuses licences hertziennes). À partir des années 1980, l'État va autoriser l'exploitation de ces bandes de fréquences qu'il affectera à des opérateurs privés moyennant rémunération. La loi du 30 décembre 1986 sur la liberté de communication dispose que « l'utilisation par les titulaires d'autorisations de fréquences radioélectriques disponibles sur le territoire de la République constitue un mode d'occupation privatif du domaine public de l'État ». CC, 28 décembre 2000, Loi de finances pour 2001 → le Conseil constitutionnel confirme qu'il s'agit d'un mode d'occupation du domaine public. L'article L.2111-17 du CGPPP, relatif au domaine public hertzien, dispose que « Les fréquences radioélectriques disponibles sur le territoire de la République relèvent du domaine public de l'État ». Nous sommes donc en présence d'un domaine public aérien qui est distingué du domaine aéroportuaire (c'est le domaine des aéroports et aérodromes) et du domaine public hertzien. Cela a soulevé quelques interrogations. On veut que les communications hertziennes soient soumises à un régime d'autorisation et qu'il soit générateur de profit, de ressources pour l'État. Cela veut dire que quand le titre de l'occupant prend fin, le domaine public disparaît avec lui. On a donc créé un véritable droit au renouvellement de l'autorisation. Est-ce du domaine public naturel ou du domaine public artificiel ? Renvoie-t-on à un phénomène naturel ou à une construction de la main de l'homme ? La propagation des

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ondes est un phénomène naturel mais ces ondes doivent être émises par un dispositif. Les discussions ont abouti à la solution du domaine public artificiel mais cela ne fait pas l'unanimité.

C – Le domaine public fluvial Historiquement, le domaine public fluvial s'est constitué sur la base du critère de l'affectation. Font partie du domaine public fluvial les cours d'eau navigables ou flottables. Il en va de même des lacs et des canaux. Est intervenu un système de classement qui reconnaissait le caractère navigable ou flottable du cours d'eau à défaut duquel classement il n'y avait pas domanialité publique. Aujourd'hui, l'appartenance au domaine public résulte d'un acte de classement, normalement un décret. C'est la loi du 16 décembre 1964, reprise à l'article L.2111-7 du CGPPP, qui a clairement indiqué que « Le domaine public fluvial naturel est constitué des cours d'eau et lacs appartenant à l'État, aux collectivités territoriales ou à leurs groupements, et classés dans leur domaine public fluvial ». À la différence des domaines publics hertzien et maritime qui sont exclusivement un domaine de l'État, les collectivités territoriales et leurs groupements (et même les établissements publics) peuvent être propriétaires d'un domaine public fluvial. Le critère de la navigation ou de la flottabilité n'est plus déterminant, ce qui est déterminant, c'est la formalité de classement. Cette domanialité publique régit l'eau elle-même des cours d'eau et lacs domaniaux que le lit et les berges de ceux-ci jusqu'aux plus hautes eaux avant débordement. Cette appartenance au domaine public laisse subsister des établissements fondés en titre. Les droits d'usage de l'eau sur les cours d'eau non navigables ni flottables appartenaient sous l'Ancien Régime aux seigneurs qui pouvaient les concéder. La Cour de cassation, au XIXe siècle, a en effet jugé que le droit postérieur à la Révolution n'a pas porté atteinte aux droits régulièrement émanés de la puissance féodale au profit des particuliers non seigneurs. La Cour de cassation considère que ces droits demeurent et elle emploie pour cela l'expression d'établissement fondé en titre. Ces établissements fondés en titre échappent donc à la personne publique et à la domanialité publique. Ce droit est perpétuel, comme le droit de propriété. La gestion du domaine public fluvial est aujourd'hui confiée à Voies navigables de France (VNF) par un article de la loi de finances du 29 décembre 1990. S'agissant du domaine public fluvial appartenant à l'État, la loi du 31 décembre 1991 est venue préciser que VNF reprenait la pleine propriété des biens meubles nécessaires à l'accomplissement de ses missions, cependant les biens immeubles restent la propriété de l'État (on a donc un propriétaire public et un affectataire, VNF, qui n'est pas propriétaire des cours d'eau mais en assure la gestion).

D – Le domaine public terrestre Le domaine public terrestre comprend les voies publiques ouvertes à la circulation du public ou voirie terrestre. Il s'agit de toutes les rues, routes et places des villes. Ce domaine public est souvent étendu à toute une série d'accessoires de la voirie que l'on appelle le mobilier urbain (les dispositifs de signalisation, les trottoirs, les aires de services, de stationnement, les réverbères, les poteaux, les arbres, les colonnes publicitaires, etc). Ce domaine public routier bénéficie de deux définitions. – La première émane du Code de la voirie routière dont l'article L.111-1 dispose que « Le domaine public routier comprend l'ensemble des biens du domaine public de l'État, des départements et des communes affectés aux besoins de la circulation, terrestre à l'exception des voies ferrées ». – La seconde émane de l'article L.2111-1 du CGPPP, la définition générale du domaine public : un bien appartenant à une personne publique et affecté à l'usage du public. Or, il y a des voiries qui appartiennent bien à une personne publique, mais qui n'est pas une des trois personnes susmentionnées, et ces voiries sont affectés à l'usage du public. Cette seconde définition fait apparaître un domaine public

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routier qui n'entre pas dans l'énumération du Code de la voirie routière et il est assez important, notamment dans les mains des établissements publics aménageurs. La question s'est posée de savoir si les égouts faisaient partie de la voirie routière. Le Conseil d'État a précisé une jurisprudence antérieure qui considérait que l'égout était affecté à un service public autonome, distinct de celui de la voirie qui est le service public de l'assainissement. Donc, ça n'est pas la même dépendance domaniale. Les égouts ne font pas partie de la voirie routière.

E – Le domaine public cultuel Ce sont les édifices du culte qui ont effectivement été reconnus comme faisant partie du domaine public jusqu'à la loi de 1905 puisque appartenant à des personnes publiques et affectés au service public du culte. Arrive la loi du 9 décembre 1905 de séparation des Églises et de l'État. Cette loi met fin au service public du culte. Ces biens, qui restent des propriétés publiques, restent-ils dans le domaine public ou passent-ils dans le domaine privé ? Très logiquement, les tribunaux judiciaires jugent, au lendemain de la loi de 1905, que les Églises font partie du domaine privé des communes. CE, 4 août 1916, Abbé Prud'hommeaux ou encore CE, 30 décembre 1930, Abbé Tessière → le Conseil d'État juge que le maire ne peut user de son pouvoir de police dans l'intérêt du domaine privé de la commune. Conséquences : s'agissant de biens du domaine privé, ils ne sont pas inaliénables mais la loi de 1905 interdit toute aliénation. CE, 18 novembre 1949, Carlier → le Conseil d'État, de façon incidente, à propos de quelqu'un qui avait demandé à pouvoir monter dans la flèche de la cathédrale de Chartres pour prendre des photos et qui s'était vu opposer une décision de refus, juge que « le directeur des beaux-arts pouvait, en vue de faire respecter l'affectation des dépendances du domaine public dont il a la charge, prendre à l'égard des usagers les mesures nécessaires ». Voilà une requalification par la jurisprudence d'un domaine public qui ne l'était plus mais qui redevient domaine public par interprétation de la loi de 1905. Comme la loi conserve l'inaliénabilité, le Conseil d'État considère que c'est du domaine public. Nous sommes donc en présence d'un domaine public par détermination de la loi telle qu'interprétée par le Conseil d'État qui n'est ni affecté à un service public, ni affecté à l'usage du public. À partir de là, toute une jurisprudence est venue préciser l'étendue de ce domaine public cultuel. On a voulu limiter la domanialité publique, donc l'inaliénabilité aux seuls biens affectés à l'exercice du culte. Il a été jugé à plusieurs reprises que les presbytères ne faisaient pas partie du domaine public mais du domaine privé communal. Symétriquement, un édifice du culte n'appartenant pas à une personne publique mais par exemple à une association, ne peut pas faire partie du domaine public car la condition de propriété publique manque. Respect de l'affectation cultuelle. Il appartient au ministre du culte affectataire de faire respecter la destination cultuelle de l'édifice, voulue par la loi, et de réglementer en conséquence l'utilisation de l'église et de son mobilier. CE, 25 août 2005, Commune de Massat → le Conseil d'État a jugé que « l'autorité publique commet une illégalité manifeste en autorisant une manifestation dans un édifice affecté à l'exercice d'un culte sans l'accord du ministre du culte chargé d'en régler l'usage ». CE, 20 juin 2012, Commune des Saintes-Maries-de-la-Mer → cette décision rompt avec la jurisprudence antérieure. Le maire autorise des visites d'une partie de l'édifice du culte sans demander l'autorisation du ministre desservant. Recours d'une association contre cette décision. Le Conseil d'État renverse le mécanisme. On pouvait accéder à cette partie de l'édifice et il appartenait au ministre desservant de s'y opposer. On ne connaît pas bien la portée de cette décision car elle est très casuelle et répond à ce cas d'espèce particulier.

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Section 2 : La domanialité publique résultant de l'affectation des biens à un service public §1 – L'affectation aux services publics comme source de la domanialité publique L'affectation au service public est une source de la domanialité publique comme l'est l'affectation à l'usage du public.

A – Les dépendances artificielles du domaine public naturel Le domaine public naturel se complète de biens affectés à un service public. Par exemple, pour le domaine public maritime, l'ensemble des dispositifs de signalisations (bouées, balises), un port ; pour le domaine public fluvial, un lac artificiel de retenu, etc.

B – Le domaine public militaire Il est très important et son statut est relativement obscur. Sous l'ancien régime, on ne considérait pas que les places fortes, les places de guerre, faisaient partie du domaine de la Couronne. Elles étaient régies notamment par des textes qui organisaient toute une série de servitudes autour et à l'intérieur de la place de guerre sans que pourtant il y ait inaliénabilité. Actuellement, il y a deux sources sur ce régime. – Le décret impérial du 10 août 1853 qui définit très clairement ce qu'est le domaine militaire, domaine qui fait l'objet d'une délimitation spécifique qu'on appelle le bornage militaire. Tout ceci est construit autour de ce qu'on appelle la « rue militaire » autour de laquelle il y a différentes zones frappées de servitudes. Première zone sur laquelle on ne peut faire aucun construction ou plantation. Seconde zone, sur laquelle on ne peut faire que des constructions en bois ou en terre. Troisième zone où on ne peut pas faire de fouille ou d'exhaussement sans autorisation. – Tout ceci est aujourd'hui régi par les articles L.5111-1 et suivants du Code de la défense qui lui ne raisonne pas en terme de servitude mais en terme de classement des biens en différentes catégories. Nous sommes donc dans un domaine énumératif avec un classement en trois catégories (les immeubles de casernement, les immeubles de service, les immeubles du domaine militaire). Le régime de domanialité publique et l'inaliénabilité ne s'appliquent qu'aux immeubles de la dernière catégorie, les immeubles du domaine militaire. Donc un domaine assez restrictif. Du côté du Conseil d'État, on trouve peu de choses. Il y a un avis du 23 juillet 1974 selon lequel les biens appartenant à l'État affectés au ministère de la Défense et spécialement aménagés en vue de l'exécution du service public de la défense font partie du domaine public. Autrement dit, il applique le critère général de l'affectation au service public aux biens de la défense. MAIS, cet avis est demandé à propos de biens directement affectés à la défense ; cet avis n'a pas été publié et ce n'est sans doute pas par hasard ; au même moment, le Conseil d'État juge, au contentieux cette fois-ci, que les immeubles de casernement font partie du domaine privé pour n'avoir pas reçu d'aménagement spécial ; le Code de la défense limite la domanialité publique aux biens qui ont véritablement un aménagement militaire direct. BILAN : aujourd'hui, on peut avancer que les biens supports directs et nécessaires de l'activité de défense font partie du domaine public, les autres font sans doute partie du domaine privé.

C – Le domaine ferroviaire C'est un domaine public affecté à un service public qui comprend les voies ferrées, les gares et leurs dépendances, les garages terminus et les buffets de gares. En revanche, il est jugé que les logements affectés aux agents du chemin de fer font partie du domaine privé.

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Au départ, le domaine du chemin de fer est un domaine de l'État. La SNCF, par voie de concession, exploite ce domaine public de l'État. Arrive la loi du 30 décembre 1982 qui transforme la SNCF en établissement public. Cet établissement public ne devient pas propriétaire, il reste affectataire et chargé de l'exploitation de ce domaine public qui reste la propriété de l'État. La loi du 13 février 1997 portant création de RFF, second établissement public avec l'idée que RFF va être l'exploitant du transport tandis que la SNCF va garder la maîtrise des gares. Comment se répartit le domaine ? RFF, de par la loi de 1997, devient propriétaire du domaine ferroviaire. Quant à la SNCF qui reste en possession des gares ne change pas de situation : l'État reste propriétaire tandis qu'elle reste affectataire. Où s'arrête la gare et où commence RFF ? La loi prévoyait une convention entre les deux établissements publics et, si ça tournait mal, elle prévoyait un décret. Rien de tel n'a pu fonctionner et ce n'est qu'en 2011 que la répartition des biens a pu être menée à terme.

D – Affectation à divers services publics L'élargissement accéléré du champ du service public, dans la jurisprudence de ces dernières années, a eu pour conséquence une expansion du régime de domanialité publique. L'existence d'une activité présentant le caractère d'un service public, local ou national, est de plus en plus volontiers relevée par le juge. Dès lors, les biens affectés à la satisfaction des besoins de cette activité de service public ont vocation à faire partie du domaine public, au moins ceux qui sont d'autre part la propriété de la collectivité publique qui agit. On ne peut en donner ici que quelques exemples. CE, 25 janvier 2006, Commune de La Souche → un gîte rural appartenant à une commune est considéré comme affecté au service public de développement économique et touristique et constitue de ce fait une dépendance du domaine public communal. CE Avis, 19 avril 2005 → les remontées mécaniques implantées sur les pistes de ski (mais non ces dernières) sont considérées comme des dépendances du domaine public des collectivités publiques propriétaires, communes ou départements selon les cas. CE Avis, 18 mai 2004 → la Cinémathèque française, institution privée, gère un service public culturel, de telle sorte que les locaux mis à sa disposition par l'État font partie du domaine public de ce dernier. CE, 11 juin 2004, Commune de Mantes-la-Jolie → s'agissant des ateliers relais, bâtiments réalisés par les communes et mis à la disposition temporaire d'entreprises ou de diverses activités économiques, la jurisprudence, y voyant d'autre part assez volontiers la manifestation d'une sorte de service public local de l'aide ou de l'assistance économique, a hésité à en tirer la conséquence logique de la domanialité publique de ces installations. Cette qualification présentait un certain nombre d'inconvénients au regard même des objectifs poursuivis par la réalisation et la mise à disposition de ces ateliers relais. Finalement, dans cet arrêt Commune de Mantes-la-Jolie, le Conseil d'État juge que, si la construction d'ateliers relais relève d'une mission de service public, ces bâtiments, une fois réalisés, ne font pas partie du domaine public mais du domaine privé communal. Comme le note Philippe Yolka, « en somme, le service public irrigue l'opération construction et s'évapore une fois l'ouvrage achevé ».

E – Le domaine public mobilier L'existence d'un domaine public mobilier a été consacrée par la loi et par la jurisprudence. La loi du 31 décembre 1966 relatives aux communautés urbaines traite en son article 21 des « immeubles et meubles faisant partie du domaine public des communes ». De même, on a pu considérer que les lois des 30

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mars 1887 et 31 décembre 1913 consacraient la domanialité publique des livres des bibliothèques et des documents d'archives en déclarant ceux-ci inaliénables. S'agissant des objets d'art et collections de musées, la Cour de cassation (Cass., 2 avril 1963) a jugé qu'un tableau acquis par la Réunion des musées de France, établissement public, était une dépendance de son domaine public puisque « les biens font partie du domaine public dès lors que, comme en l'espèce, leur conservation et présentation au public sont l'objet même du service public ». CA Paris, 13 mars 1880 → la cour d'appel de Paris range dans le domaine public les objets précieux et tableaux des églises et édifices du culte. Distinction des biens meubles et immeubles. Le droit public a adopté la distinction civiliste des biens meubles et immeubles et notamment la jurisprudence judiciaire des biens immeubles par destination. Cela a été précisé notamment dans un contentieux qui concernait des fragments de la colonne Vendôme à Paris. Des fragments de la colonne Vendôme, biens devenus meubles par détachement d'un immeuble, ont circulé, ont été vendus. CAA Paris, 4 avril 2006, Mme Françoise Mercier → la CAA de Paris a jugé qu'ils étaient restés dans le domaine public mais devenus meubles. À cette occasion, les précisions ont donc été données qui consistent en une réception des dispositions du droit privé sur la distinction des biens meubles et immeubles. La CAA juge que le fragment meuble a gardé, de son appartenance initiale à un immeuble du domaine public, le caractère de dépendance du domaine public. Cette qualité de meuble du domaine public est reconnue dans une autre décision : CAA Douai, 24 juillet 2008, Ville de Rouen → le musée de Rouen voulait restituer une tête Maori conservée dans le musée municipal à un État étranger mais la CAA juge que ces biens meubles font partie du domaine public de telle sorte que la restitution ne peut se faire qu'au bénéfice d'une loi autorisant l'aliénation faisant exception à l'inaliénabilité du domaine public. Cette jurisprudence appelle un commentaire. Il faut se poser la question de savoir si la solution est générale ou relevant du cas d'espèce. En effet, il n'est pas rare et même fréquent que des immeubles du domaine public soient réparés, modifiés, etc. Doit-on considérer que des éléments, parce qu'initialement faisaient partie du domaine public, restent dans le domaine public une fois devenus meubles et doivent donc être déclassés pour être revendus ? M. Gaudemet trouve cette conclusion excessive. La portée de ces décisions semble limitée aux hypothèses où ces meubles ont une spécificité, une singularité et qu'ils ne sont pas remplaçables comme des éléments de charpente ou de maçonnerie. La question qui s'est posée au moment du CGPPP était de savoir s'il fallait une consécration explicite du domaine public mobilier et, si oui, comment celui-ci devait-il être décrit. On avait le choix : soit on énumérait en reprenant ce qui existait déjà, soit on dégageait un critère général en précisant l'intérêt d'affectation qui justifiait l'appartenance au domaine public. Le CGPPP n'a pas tranché la question. C'est l'article L.2112-1 qui procède par une proposition générale : « font partie du domaine public mobilier […] les biens présentant un intérêt public du point de vue de l'histoire, de l'art, de l'archéologie, de la science ou de la technique ». Puis, après cette proposition générale on trouve une énumération en 11 rubriques de biens déjà classés dans le domaine public par des textes spéciaux ou par la jurisprudence.

§2 – Étendue et limites des dépendances du domaine public affectées aux services publics

Nous allons voir ici un certain nombre d'hypothèses qui montrent comment ce critère de l'affectation à un service public a été utilisé ou, au contraire, combattu.

A – La domanialité publique globale La domanialité publique globale concerne des biens affectés à des services publics mais des services publics qui s'exercent dans une enceinte déterminée (universités, hôpitaux, etc). Il y a un périmètre défini qui a vocation à accueillir le service public et un bien immobilier qui fera partie du domaine public. La question qui se pose est la suivante : est-ce que la domanialité publique concerne seulement les immeubles

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effectivement affectés au service public (les bâtiments) ou bien s'étend-elle à l'ensemble du fonds, du terrain, du périmètre ? CE, 5 février 1965, Société lyonnaise de transports → le Conseil d'État juge, à propos d'une gare, que l'ensemble de ses dépendances incluses dans le périmètre de la gare, y compris les terrains qui ne sont pas affectés au service public ferroviaire, font partie du domaine public, d'où l'expression de domaine public global. Cette domanialité publique globale va être étendue aux hôpitaux, aux aéroports (jusqu'à CE, 1er octobre 1958, Hild), ainsi qu'à la totalité des terrains compris dans l'emprise d'une concession portuaire ou aéroportuaire (CE Avis, 13 juin 1989). Cette construction du domaine public global contribue à l'hypertrophie du domaine public et elle présente des inconvénients majeurs. Un bien est réputé faire partie du domaine public alors que le propriétaire ne l'imagine pas. Pour lui c'est un bien du domaine privé. Il le vend et finalement, il découvre que ce n'est pas possible et il faut déclasser le bien pour pouvoir le vendre. C'est pourquoi on assiste à un repli de la théorie du domaine public global. La jurisprudence a bougé. TC, 15 janvier 1979, Payan c/ Société des autoroutes du Sud de la France solution répétée dans CE, 29 novembre 2004, Société des autoroutes du Sud de la France. Lorsque l'on réalise les autoroutes, on procède à des expropriations en profondeur (on exproprie pas seulement les terrains où passera l'autoroute mais aussi les terrains plus éloignés pour mutualiser le coût de l'expropriation et faire en même temps une opération de remembrement rural). Du coup, les sociétés d'autoroute sont à la tête d'un patrimoine foncier qui n'aura jamais d'utilité. Le Tribunal des conflits (1979) et le Conseil d'État (2004) disent que les biens acquis pour les besoins de l'autoroute ne font partie du domaine public qu'au jour de leur affectation à la circulation autoroutière. CE, 8 juin 2005, Syndicat mixte pour la protection et la gestion de la Camargue gardoise → création d'une réserve naturelle aménagée, les terrains qui ne sont pas aménagés restent dans le domaine privé. CE, 11 décembre 2008, Perreau Polier → des appartements, situés dans un immeuble du Crédit municipal de Paris, qui sont loués à des particuliers et qui ont une entrée autonome ne font pas partie du domaine public. Il est donc clair que la jurisprudence récente tend à faire reculer cette construction de la domanialité publique globale.

B – Le critère de l'aménagement spécial ou indispensable [NON TRAITÉ]

Section 3 : L'élargissement de la domanialité publique par l'application des notions de complément ou accessoire La jurisprudence et les textes ont toujours considéré que le régime de la domanialité publique devait s'étendre à des biens qui n'avaient pas, par eux-mêmes, une affectation à l'utilité publique mais qui amélioraient, complétaient et qui étaient utiles à l'affectation du bien. Par exemple, les dispositifs de signalisations ou d'éclairage pour les routes. La jurisprudence a toujours considéré que, dès lors que ces biens accessoires ou complémentaires avaient une utilité et qu'ils étaient propriétés publiques, il n'y avait que des avantages à leur appliquer le régime de la domanialité publique. Elle a utilisé deux démarches. Le premier critère était celui de l'indissociabilité physique (le bien ne peut pas être séparé du bien dépendance du domaine public), le second était l'indissociabilité matérielle (le bien du domaine public a une meilleure utilité grâce à cet accessoire).

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CE, 28 mars 1969, Dames Février et Gatelet → il s'agit du statut d'un mur qui sert à la fois de clôture et de soutènement à une voirie. La partie supérieure du mur de clôture n'appartient pas à la voirie communale mais aux deux dames, donc pas d'appartenance à une personne publique, donc pas de dépendance du domaine public. Ensuite, la partie mitoyenne du mur, qui appartient à la commune mais qui n'a pas d'utilité particulière pour la voirie, fait partie du domaine privé. Enfin, la partie inférieure du mur sert de soutènement pour la voirie et, là, il a une utilité pour la voirie et cette partie fait partie du domaine public. Le CGPPP veut réécrire cette théorie de l'accessoire dans une perspective de lutte contre l'hypertrophie du domaine public. Ceci donne l'article L.2111-2 d'après lequel constitue une dépendance du domaine public ce qui est « l'accessoire indissociable » du bien faisant lui-même partie du domaine public. Il faut que le bien soit un accessoire, au sens utilité, et indissociable, au sens physique. Accessoire et accession. L'accession est une construction du droit civil qui figure à l'article 552 du Code civil et qui s'attache au droit de propriété des personne publiques comme des personnes privées. L'accession signifie que le propriétaire du sol est propriétaire du dessus et du dessous. L'accessoire est une théorie qui ne concerne que le régime de la domanialité publique et il signifie qu'à l'intérieur des propriétés publiques, le régime de la domanialité publique peut s'étendre autour du bien qui constitue lui-même la dépendance du domaine public. Deux notions totalement différentes à ne pas confondre. Section 4 : Le domaine public par anticipation ou « virtuel » : une disparition annoncée §1 – Apparition de la notion de domaine public « virtuel » L'acte de naissance de ce débat est dans un arrêt CE, 6 mai 1985, Association Eurolat c/ Crédit foncier de France. Il s'agit de la construction envisagée par une collectivité locale d'un centre d'accueil pour des personnes âgées, donc un service public. Le terrain appartient à la collectivité publique et le mécanisme de construction est celui du bail emphytéotique administratif (bail qui permet de réaliser aux frais du preneur à bail une construction d'intérêt général sur le domaine public qui reste le domaine public, la collectivité retrouvant la disposition entière du bien en fin de bail). La difficulté est que ce bail confère un droit réel au preneur à bail. On attribut une partie du droit de propriété, ce qui n'est pas possible à l'époque en raison de l'inaliénabilité du domaine public. Si le bien fait déjà partie du domaine public, on ne peut pas consentir ce bail emphytéotique administratif. Les requérants vont devant le juge administratif et soutiennent que c'est un bien du domaine public car il est la propriété d'une personne publique et il est affecté à un service public en devenir. Un bien fait-il partie du domaine public lorsque, propriété d'une personne publique, celle-ci envisage de lui donner une affectation d'utilité publique ? Dans l'arrêt Eurolat, le Conseil d'État juge que le bail emphytéotique administratif est illégal parce que l'intention de la collectivité publique de donner au bien une affectation d'utilité publique suffit pour appliquer la domanialité publique. La doctrine parlera alors de domaine public virtuel. CE, 1er février 1995, Préfet de la Meuse → on transforme un collège, propriété du département, pour installer le Conseil général du département. Entre les deux affectations, on attribue des droits réels à l'opérateur privé en charge des travaux. La question est de savoir si le bien est resté dans le domaine public. Le Conseil d'État juge que le bien ne quitte pas le domaine public. Donc, continuité avec l'ancienne affectation. CE Avis, 31 janvier 1995 → l'État veut construire des gendarmeries sur des terrains nus qui lui appartiennent. Il demande au Conseil d'État s'il peut consentir des droits réels à un constructeur. Ce terrain nu est-il entré dans le domaine public de par la volonté de l'affecter à une utilité publique, auquel cas on ne peut pas consentir de droit réel ? Le Conseil d'État répond que « le fait de prévoir de façon certaine »

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l'affectation d'un terrain à l'usage du public ou à un service public « implique que le terrain est soumis dès ce moment aux principes de la domanialité publique ». §2 – Éléments d'appréciation La construction du domaine public virtuel a été mal reçue par la doctrine. Ce critère de la domanialité publique virtuelle est particulièrement imprécis. Que signifie le terme « prévoir de façon certaine » ? Cela signifie-t-il délibération de la collectivité publique propriétaire ? Faut-il qu'un marché ait été conclu ? Faut-il que les travaux aient commencé ? Rien n'est dit. On favorise l'hypertrophie du domaine public. Contradiction totale avec le critère réducteur de l'aménagement spécial puisque, par la construction du domaine public virtuel, on range dans le domaine public des biens qui ne sont même pas encore affectés à l'utilité publique. Enfin, les critiques se sont plutôt tournées vers l'avis du Conseil d'État car, dans l'arrêt Préfet de la Meuse, il s'agissait plus de la continuité du domaine public. Dans l'arrêt Eurolat, on voulait sanctionner une espèce de fraude à la loi car il était clair que le bien faisait partie du domaine public. §3 – Le Code général de la propriété des personnes publiques : une clarification Les auteurs du Code avaient conscience de ces inconvénients mais ils se sont heurtés à plusieurs difficultés. D'abord, cela ne reposait sur aucun texte, on ne peut pas abroger une jurisprudence. On voulait faire disparaître la construction de la domanialité publique virtuelle mais il n'y avait pas de texte que l'on puisse abroger. Ensuite, il n'était pas question de faire disparaître la continuité de la domanialité publique, qui est un principe établi, mais le problème est qu'on la confondait souvent avec le domaine public virtuel. De la même façon, on voulait toujours sanctionner la fraude à la loi, comme dans l'arrêt Eurolat. Enfin, il y avait un cas où la domanialité publique virtuelle était établie depuis des décennies et il n'était pas question d'y revenir, c'était toutes les hypothèses de délégation de travail public et de service public. Dans la délégation de travail public, le délégataire est titulaire d'un droit sur le domaine public qui n'est pas encore réalisé (par exemple, les concessions d'endigage). Il s'agissait de réserver l'expression de domanialité publique virtuelle à des hypothèses où véritablement une manifestation d'intention à elle-seule suffisait à engendrer la domanialité publique. On a réécrit l'article L.2111-1 du CGPPP qui redéfinit le critère de l'aménagement devenu indispensable, ce qui condamne implicitement la domanialité publique virtuelle là où elle doit être condamnée. Par ailleurs, le rapport au président de la République indique clairement qu'il faut mettre un terme à la domanialité publique virtuelle et que la jurisprudence doit aller dans ce sens. De son côté, la jurisprudence est allée dans la même direction. CE Avis, 18 mai 2004 → les travaux réalisés sur un immeuble le font entrer dans le domaine public dès lors que, en raison des travaux d'aménagement spéciaux en cours, la destination de celui-ci est prévue de manière certaine. C'est plus seulement dans la tête mais dans la réalisation physique des travaux en cours qu'on trouve la volonté d'affectation. CE, 25 janvier 2006, Commune de la Souche → deux délibérations du conseil municipal sont suivies d'un engagement de premiers travaux de mise en œuvre de ces délibérations et, même si l'affectation n'est pas encore réalisée en fait, il est jugé que l'existence de ces travaux relayant une volonté certaine d'affectation entraîne la domanialité publique. CAA Paris, 27 septembre 2001, Institut de France → un bien n'est pas entré dans le domaine public par le simple fait que son changement d'affectation a été décidé et qu'un projet de travaux a été arrêté dès lors que ceux-ci ne constituent pas une volonté suffisamment certaine d'incorporation du bien au domaine public de l'Institut.

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SOUS-TITRE 2 – LE RÉGIME JURIDIQUE DU DOMAINE PUBLIC

Le régime de domanialité publique est constitué par un ensemble de règles qui sont uniformément des règles de droit public et dont le gardien est donc le juge administratif. Ces règles de droit public s'ordonnent autour d'un grand principe qui est le principe d'inaliénabilité et d'imprescriptibilité. Le fondement de ce particularisme est dans l'affectation du bien à une utilité publique qui lui est assignée. Si l'affectation est le fondement de la domanialité publique, donc de l'inaliénabilité, cette affectation doit aussi être la mesure du régime de la domanialité publique. Le domaine public et l'inaliénabilité sont au service de l'affectation. Quand ce bien n'est plus affecté, il n'est donc plus dans le domaine public et n'est donc plus inaliénable. Le régime de domanialité public n'est donc pas un régime foncier mais un régime fonctionnel tourné vers une utilité publique et non pas vers la protection de la propriété. Si l'affectation est la mesure de la domanialité publique et de l'inaliénabilité, il ne faut pas faire dire à cette inaliénabilité plus qu'elle n'exige. Le régime de domanialité publique va être limité au besoin de chaque affectation (on protège pas de la même façon les rivages de la mer et un immeuble de bureaux). Y a-t-il des bases constitutionnelles à ce régime de domanialité publique ? La réponse est NON. La propriété publique a des bases constitutionnelles, elle est protégée comme la propriété des personnes privées. Mais la domanialité publique, ce régime fonctionnel, est un régime déterminé par la loi. Il n'y a pas de principe constitutionnel d'inaliénabilité, c'est un principe de la loi. Donc, dans ce régime, tous les aménagements sont possibles par la loi. La seule contrainte constitutionnelle est que, en légiférant sur le régime de la domanialité publique, on atteigne pas la continuité du service public accueilli. CHAPITRE 1 : INCORPORATION AU DOMAINE PUBLIC ET

SORTIE DU DOMAINE PUBLIC A priori, quand un bien est affecté, il est soumis au régime de la domanialité publique et, quand il n'est plus affecté, il sort du domaine public. C'est le raisonnement logique. Il en résulte que la domanialité publique ne s'étend pas dans l'espace aux volumes sus et sous-jacents lorsque ceux-ci ne sont pas utile à l'affectation du bien qu'ils surplombent ou supportent. CE, 8 août 1990, Ministre de l'Urbanisme c/ ville de Paris → une canalisation souterraine d'eau potable fait partie du domaine public en raison de son affectation mais « la superficie desdites parcelles [n'a pas] reçu à cette fin un aménagement spécial [et ne constitue pas] un accessoire nécessaire […], par suite, les parcelles en cause ne sauraient être regardées comme ayant eu […] le caractère de dépendances du domaine public ». C'est donc un régime fonctionnel et non pas un régime foncier, pas besoin de ranger dans le domaine public des superficie qui ne sont d'aucune utilité à l'affectation. En réalité, les choses sont plus compliquées, d'une part du point de vue de l'entrée et de la soumission au régime de la domanialité publique, mais surtout du point de vue de la sortie du domaine public où la cessation de l'affectation ne fait pas sortir le bien du domaine public. Section 1 : L'incorporation au domaine public Définitions : acquisition, incorporation, affectation. L'acquisition, c'est un acte juridique qui fait que le bien va entrer dans le patrimoine de l'acquéreur. L'incorporation concerne un bien qui est acquis par une collectivité publique et qui va réaliser son entrée dans le domaine public. L'affectation est l'acte par lequel le

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bien acquis s'incorpore au domaine public. L'article L.2111-3, alinéa 2, du CGPPP dispose que « L'incorporation dans le domaine public artificiel s'opère selon les procédures fixées par les autorités compétentes ». Ces opérations tantôt se confondent, tantôt sont réalisées séparément. Il en va différemment selon qu'il s'agit du domaine public naturel ou du domaine public artificiel. L'entrée dans le domaine public s'opère d'elle-même dès lors qu'il y a propriété publique (donc éventuellement acquisition) et qu'il y a affectation, sans donc qu'un acte d'incorporation soit nécessaire en principe. Un acte positif de classement serait purement recognitif. C'est la règle générale. Mais il y a toute une série de dépendances du domaine public pour lesquelles une loi spéciale a réglé différemment l'incorporation, le classement et l'affectation (le meilleur exemple est le domaine public fluvial dont l'entrée dans le domaine public résulte d'un acte de classement). §1 – Modalités de l'affectation Il faut distinguer le domaine public naturel du domaine public artificiel. Pour le domaine public naturel, la loi renvoie à des phénomènes naturels. C'est la loi qui vaut incorporation en faisant rentrer dans le domaine public. Cela ne s'applique pas au domaine fluvial puisque l'article L.2111-7 prévoit explicitement le classement des cours d'eau navigables ou flottables des lacs au domaine public fluvial. Pour le domaine public artificiel, l'acquisition est indépendante à l'incorporation au domaine public. Il faut acquérir pleinement le bien et l'incorporation sera un acte ultérieur qui résultera de l'affectation à une utilité publique. Quelle forme l'incorporation doit-elle prendre ? Pour le domaine public naturel, l'affectation résulte des faits, donc pas d'intervention d'un acte juridique (sauf domaine public fluvial). Pour le domaine public artificiel, la jurisprudence a été hésitante. En principe, on entre dans le domaine public sans texte, sans décision de la collectivité propriétaire. CE, 25 mai 2005, Société des cinémas Huez-Chamrousse → il est jugé que l'affectation de fait suffit à entraîner la domanialité publique et même l'entraîne nécessairement. Il en va différemment lorsque la loi a prévu expressément une procédure de classement dans le domaine public (par exemple, domaine public fluvial). Dès lors, une décision de classement qui interviendrait ultérieurement est jugée à caractère purement recognitif (CE, 30 octobre 1953, SNCF). Inversement, l'acte de classement dans le domaine public qui interviendrait alors que le bien n'est pas affecté est illégal. On ne fait pas rentrer de force dans le domaine public un bien par une décision alors qu'il n'est pas affecté. Par ailleurs, le refus de classer dans le domaine public un bien affecté à une utilité publique est illégal (CE, 20 avril 1956, Département des Hautes-Alpes). C'est ce que résume l'article L.2111-3 du CGPPP qui dispose que « S'il n'en est disposé autrement par la loi, tout acte de classement ou d'incorporation d'un bien dans le domaine public n'a d'autre effet que de constater l'appartenance de ce bien au domaine public ». Parmi les cas particuliers, il y a le domaine routier. Le domaine public routier est défini par le Code de la voirie routière et par le CGPPP. Ces deux définitions ne coïncident pas absolument. Le Code de la voirie routière prévoit une procédure spécifique qui s'appelle le classement. Ce classement a un objet différent. Son objet est de classer, répartir dans le domaine communal, départemental ou national l'ensemble de la voirie routière. Pour le domaine public routier, un bien propriété d'une personne publique et affecté à une utilité publique, rentre dans le domaine public au sens du CGPPP quelque soit son sort du point de vue du classement du Code de la voirie routière.

§2 – Compétence pour décider l'affectation entraînant l'incorporation du bien au domaine public

Le principe est que c'est le propriétaire qui décide de l'affectation (quand l'affectation n'est pas de fait). Le propriétaire décide de ce qu'il veut faire de ses biens. CE, 3 décembre 1993, Union locale des syndicats CGT de Nîmes → il n'appartient pas au juge administratif de contrôler l'opportunité du choix opéré par la commune pour la localisation de ses services.

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Évidemment, il y a des cas où le législateur s'en est mêlé. Il y a des hypothèses où cette compétence est retirée au propriétaire du bien pour être confiée à quelqu'un d'autre. Le domaine public cultuel qui est constitué par les édifices du culte antérieurs à 1905 et qui sont, pour les églises, la propriété des communes et, pour les cathédrales, la propriété de l'État. La loi de 1905 dit que ces édifices étaient affectés à l'exercice public du culte. Affectation légale, décidée par la loi elle-même, et dont le gardien est le desservant cultuel. Donc, affectation imposée au propriétaire, ce qui fait que la désaffectation ne peut se faire que dans les conditions prévues par la loi (en l'espèce, elle exige un décret après avis du desservant). Les objets d'art mobiliers (classés par la loi de 1913), qui peuvent appartenir à des personnes publiques, pour lesquels la désaffectation ne peut que prendre la forme d'arrêtés ministériels avec un visa spécial. Section 2 : Désaffectation, déclassement et sortie du domaine public §1 – La condition du déclassement La réponse logique est que quand un bien n'est plus affecté, il sort du domaine public. C'est la réponse logique mais ce n'est pas la réponse du droit positif. C'est illogique mais ça se comprend pour une idée politique. Cette idée politique, c'est que, tant que le bien est dans le domaine public, il est protégé par ce régime de domanialité publique qui s'impose au propriétaire lui-même. On ne peut pas le vendre, on ne peut pas le prescrire, les servitudes du droit privé ne s'appliquent pas. Le risque existe que, par exemple, on oublie la gare qui n'est plus affectée au chemin de fer depuis longtemps et on laisse s'installer des gens dessus, voire même on accorde un permis de construire et petit à petit le bien sort du patrimoine de la personne publique. En maintenant le régime de la domanialité publique, on protège la personne publique contre elle-même. Un bien ne quittera le domaine publique qui s'il est désaffecté et que si cette désaffectation est constatée par une décision expresse de la collectivité publique qu'on appelle la décision de déclassement. L'article L.2141-1 du CGPPP dispose que « Un bien d'une personne publique […] qui n'est plus affecté à un service public où à l'usage directe du public, ne fait plus partie du domaine public à compter de l'intervention de l'acte administratif constatant son déclassement ». Cette règle est antérieure au CGPPP et la jurisprudence y tient fermement. Par exemple, une portion de voie ferrée désaffectée mais non déclassée continue à faire partie du domaine public (CE, 9 novembre 1956, Société des Forges d'Hennebont). Même solution pour une gare désaffectée mais non déclassée (CE, 18 mars 1963, Cellier puis CE, 15 janvier 1988, Compagnie française d'entreprise de garage). CE Avis, 31 janvier 1995 → il est dit que le terrain nu, qui fait partie du domaine public parce qu'on l'envisage de façon suffisamment certaine, si antérieurement un autre terrain a été affecté à l'usage du public ou à un service public, il fait toujours partie du domaine public postérieurement à sa désaffectation tant que celle-ci n'a pas été suivie d'un acte juridique de déclassement. Cet acte de déclassement ne relève du pouvoir discrétionnaire. Il constate la désaffectation. Cela veut dire qu'une décision de déclassement qui interviendrait alors qu'il n'y a pas de désaffectation de fait serait illégale et inopposable (même après l'extinction du délai de recours, pas de caractère définitif). Cette solution conduit aujourd'hui à des mécanismes de vérification de la désaffectation qui passent en général par des constats d'huissier. Si le déclassement porte sur une dépendance domaniale privée d'affectation mais qui est directement et ultérieurement affectée à une autre utilité publique, le déclassement est illégal (continuité de la domanialité

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publique → arrêt Préfet de la Meuse). Il y a des cas où le déclassement est spécialement prévu par la loi (cf. domaine public cultuel, p. 45). §2 – Impossibilité de vendre un bien déclassé mais non désaffecté La sanction de tout ceci, c'est l'impossibilité de vendre un bien déclassé mais non désaffecté. Le problème se posait quand on voulait vendre le bien. Mais pour pouvoir vendre, il faut que le bien sorte du domaine public et pour se faire, il faut respecter cette chronologie de la désaffectation et du déclassement. Dans certaines opérations importantes, les deux sont simultanés. Est-il possible de conclure une promesse de vente sous condition suspensive d'un déclassement qui interviendra lui-même lorsque l'affectation aura cessé ? La réponse de principe est NON. Pourquoi ? Parce que la promesse de vente vaut vente, le transfert de propriété est juste différé à la signature de l'acte authentique de même que le paiement du prix. Mais la vente est parfaite car il y a accord sur la chose et sur le prix (art. 1589 du Code civil) et elle porte sur un bien du domaine public puisqu'elle ne sera déclassée que postérieurement. Donc, l'accord porte sur quelque chose qui est inaliénable. L'obstacle peut-il être surmonté par la souscription dans la promesse de vente d'une stipulation qui différerait la formation de la vente à l'exécution de la condition suspensive ? Une jurisprudence judiciaire a admis cette possibilité. Mais cette solution se heurterait à une seconde difficulté : la condition en question est purement potestative puisque sa réalisation ne dépend que d'une partie, la personne publique. Or, les conditions potestatives sont nulles et entraînent la nullité de l'accord. Cela a conduit à la mise en place d'un dispositif qui est inscrit à l'article L.2141-2 du CGPPP. Il faut comprendre la genèse de ce texte. Parfois, la désaffectation ne peut être que progressive. En même temps, les prometteurs ont besoin d'une sécurité juridique obtenir le financement des banques et la personne publique a besoin d'un financement pour son déménagement. L'article L.2141-2 dispose que « Par dérogation à l'article L.2141-1, le déclassement d'un immeuble appartenant au domaine public artificiel de l'État ou de ses établissements publics et affecté à un service public peut être prononcé dès que sa désaffectation a été décidée alors même que les nécessités du service public justifient que cette désaffectation ne prenne effet que dans un délai fixé par l'acte de déclassement. Ce délai ne peut être supérieur à une durée fixée par décret. Cette durée ne peut excéder trois ans. En cas de vente de cet immeuble, l'acte de vente stipule que celle-ci sera résolue de plein droit si la désaffectation n'est pas intervenue dans ce délai ». Ce texte appelle plusieurs commentaires. Tout d'abord, il est limitatif dans son champ d'application. Il ne vaut pour les l'État et ses établissements publics. Le projet existe de l'étendre aux collectivités locales mais on se heurte ici à une difficulté : la difficulté de l'hétérogénéité des collectivités locales. Cette procédure est dangereuse car si la collectivité n'arrive pas à désaffecter ou si elle change d'avis, il y a résolution de la vente et donc une responsabilité considérable de la puissance publique qui n'a pas tenu sa promesse. Si le texte était étendu aux collectivités locales, il faudrait qu'il le soit au bénéfice d'une autorisation donnée par le préfet qui vérifie que la collectivité en question peut s'engager en toute sécurité dans l'opération de déclassement anticipé. Ensuite, un délai dont le législateur invite l'autorité réglementaire à moduler la durée en fonction des opérations. Le législateur a été contredit de deux façons. Le décret du 20 février 2007 dit que le délai est uniformément 3 ans sans distinguer selon les opérations. Puis le délai maximum de 3 ans est apparu trop court dans un cas particulier. On a donc voté une loi du 29 juillet 2009 qui déroge à l'article L.2141-2 qui dit que pour les immeubles ou parties d'immeubles domaniaux relevant du ministère de la Défense, le délai a été porté à 6 ans.

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Enfin, en cas de vente, celle-ci doit comporter une clause de résolution automatique si l'immeuble n'est pas désaffecter dans le délai indiqué par le déclassement. C'est à la discrétion de la collectivité publique qui prend une promesse et si elle ne la tient pas, il y aura résolution de la vente donc remboursement du prix. Mais parfois, le préjudice peut être plus important que le remboursement du prix ne suffira pas à couvrir. Derrière le versement du prix, il y avait des perspectives commerciales, de valorisation. Section 3 : Les transferts en propriété de dépendances du domaine public entre personnes publiques C'est la question de la circulation en propriété des biens du domaine public entre personnes publiques. Il y a deux considérations contradictoires. Une considération politique : il est bon que les propriétés publiques circulent entre les personnes publiques surtout quand les compétences circulent entre les personnes publiques. C'est une considération de bonne administration. À cela s'oppose une considération juridique : les biens du domaine public sont inaliénables. Avant le CGPPP, les choses se sont faites sans qu'on se pose de question et il y a eu des transferts de biens en propriété entre personnes publiques. Par exemple, une loi de 1853 qui décide de la cession de l'esplanade des Invalides à la ville de Paris alors que c'était la propriété de l'État. Une loi de 1852 transfert le bois de Boulogne de l'État à la ville de Paris. La promenade des Champs-Élysées ainsi que la place Louis XVI, propriétés de l'État, sont cédés par une loi en 1828 à la ville de Paris. Donc finalement, c'était la compétence du législateur. Par la suite, la notion de propriété s'étant affirmée, on s'est demandés si le législateur ne devait pas procéder selon le Code de l'expropriation. D'autre part, on a vu un certain nombre d'opérations où, sans autorisation législative, une dépendance du domaine publique avait été acquise en propriété d'une personne publique par une autre. CC, 25/26 juin 1986, « Privatisation » → Le Conseil constitutionnel dit que si les biens des personnes publiques étaient protégés comme les biens des personnes privées, c'était vis-à-vis de personnes poursuivant des fins d'intérêt privé. En revanche, vis-à-vis des autres personnes publiques, le législateur pouvait apporter une double exception : une exception à l'inaliénabilité du domaine public et une exception à la protection constitutionnelle du droit de propriété puisque ces personnes publiques pouvaient être dépossédées en dehors des formes de l'expropriation (CC, 3 décembre 2009 et CC, 8 avril 2011). Le CGPPP va un peu plus loin. L'article L.3112-1 ouvre un mécanisme général, là où il fallait des lois spécifiques, qui apporte des dérogations au principe d'inaliénabilité des biens du domaine public. L'article L.3112-1 dispose que « Les biens des personnes publiques […] qui relèvent de leur domaine public, peuvent être cédés à l'amiable, sans déclassement préalable, entre ces personnes publiques, lorsqu'ils sont destinés à l'exercice des compétences de la personne publique qui les acquiert et relèveront de son domaine public ». Cette disposition a été très utile et, par conséquent, très utilisée car elle laisse beaucoup de liberté aux personnes publiques vu qu'elles peuvent s'arranger entre elles. L'article L.3112-2 ajoute la possibilité d'échange entre personnes publiques qui introduit une réciprocité dans la circulation des propriétés publiques. L'article L.3112-3 va encore plus loin car il permet la cession à une personne privée à condition que ce soit en vue de permettre l'amélioration des conditions d'exercice d'une mission de service public.

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CHAPITRE 2 : TRANSFERTS DE BIENS DU DOMAINE PUBLIC DES PERSONNES PUBLIQUES

Ces transferts de biens ne sont pas toujours des transferts en propriété. Le législateur a eu tendance à favoriser des transferts en gestion. Donc la maîtrise du bien est éclatée entre le propriétaire et le gestionnaire qui va exercer les attributs du propriétaire sans l'être. Le transfert en propriété et le transfert en gestion ont pour dénominateur commun l'idée que l'État a une fonction éminente de régulateur de la propriété de l'ensemble des personnes publiques. Cette fonction de régulation passe donc par des transferts en propriété et par des transferts en gestion. Les transferts en propriété peuvent être conventionnels, soit parce qu'il s'agit de dépendances qui ne font pas partie du domaine public, soit parce que les articles L.3112-1 et suivants ont ouvert par la loi un espace à la liberté conventionnelle des personnes publiques justifiée par l'amélioration des conditions d'exercice d'une mission de service public. Ce transfert est parfois décidé par une loi spéciale. La question peut se poser de savoir si l'État peut choisir de procéder par expropriation. On considère en général que l'inaliénabilité du domaine public s'oppose à l'expropriation du domaine public. Les transferts en gestion. Le propriétaire n'est pas dépossédé mais le bien est attribué en gestion à une autre personne publique. Ces transferts en gestion peuvent être imposés ou conventionnels. Les transferts imposés sont possibles du fait de l'article L.2123-4 qui consacre les mutations domaniales et qui permet à l'État d'intervenir dans la gestion d'une dépendance du domaine public d'une collectivité territoriale ou d'un établissement public. Le transfert peut être imposé aussi en raison de la décentralisation. L'article L.1321-1 du CGCT dit que les biens, supports d'une compétence, doivent suivre le transfert de ladite compétence mais la loi précise que c'est un transfert en gestion et non pas en propriété. Il y a aussi des transferts en gestion conventionnels. L'article L.2123-2 du CGPPP permet que des immeubles du domaine public de l'État soient gérés par des collectivités territoriales ou des établissements publics. L'article L.2123-3 ouvre la même liberté conventionnelle aux collectivités locales et leurs groupements.

Transfert imposé Transfert conventionnel Transfert en

propriété

Transfert décidé par une loi spéciale - Les biens transférés ne font pas partie du domaine public. - Art L.3112-1 CGPPP (cf. p. 48).

Transfert en

gestion

- Art. L.2123-4 CGPPP : mutation domaniale, l'État peut intervenir dans la gestion d'un bien du domaine public d'une CT ou d'un EP. - Art L.1321-1 CGCT : décentralisation → les biens suivent le transfert de compétences en gestion (on laisse le choix avec la propriété).

- Art L.2123-2 CGPPP : des immeubles du domaine public de l'État peuvent être gérés par des CT ou des EP. - Art. L.2123-3 CGPPP : même chose pour les immeubles des CT et leurs groupements.

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CHAPITRE 3 : L'INALIÉNABILITÉ ET L'IMPRESCRIPTIBILITÉ DU DOMAINE PUBLIC

Section 1 : L'inaliénabilité du domaine public §1 – Origine historique de l'inaliénabilité du domaine public Dans le droit romain, on ne trouve pas de notion comparable à celle de domaine public et d'inaliénabilité du domaine public. C'est dans l'ancien droit qu'on trouve l'affirmation d'un principe d'inaliénabilité. Il apparaît dès le XIIIe siècle et il est rattaché au domaine de la couronne. Pendant tout l'ancien régime, jusqu'au Code domanial de 1790, c'est à la couronne qu'on rattachera ce principe d'inaliénabilité. C'est un principe de caractère constitutionnel qui fait partie des lois fondamentales du royaume. Lorsque l'on regarde cet ensemble, on trouve des biens qui sont essentiellement des produits financiers (des apanages, des droits seigneuriaux, des péages, etc). Du même coup, comme il s'agit de valeurs économiques, il faut périodiquement rappeler au souverain lui-même le principe d'inaliénabilité. À cet égard, l'édit de Moulins de 1566 n'est que la confirmation de toute une série de textes. La Révolution française et le Code domanial du 28 novembre / 1er décembre 1790. Il s'agit de permettre l'aliénation des biens nationaux pour financer la patrie. Le Code domanial proclame que la faculté d'aliéner, attribut essentiel du droit de propriété, réside dans la nation. En conséquence, si le domaine national est et demeure inaliénable sous le concours de la nation, les biens nationaux peuvent être vendus et aliéner en vertu d'un décret formel du corps législatif sanctionné par le roi (une loi). Donc, le principe d'inaliénabilité est donc législatif puisqu'on peut y déroger par une loi. §2 – La règle actuelle d'inaliénabilité : expression et autorité Le principe moderne d'inaliénabilité se construit au XIXe siècle en même temps que la distinction du domaine public et du domaine privé. Apparaît donc l'idée que les biens déclarés inaliénables et imprescriptibles le sont à l'égard de l'intérêt général qu'ils remplissent. On trouve cette affirmation à l'article L.52 du Code du domaine de l'État qui dispose : « Les biens du domaine public sont inaliénables et imprescriptibles ». On la retrouve aujourd'hui à l'article L.3111-1 du CGPPP qui vaut pour toutes les personnes publiques : « Les biens des personnes publiques […] qui relèvent du domaine public, sont inaliénables et imprescriptibles ». CE, 4 mai 2011, Communauté de communes du Queyras → une clause d'un contrat contraire au principe d'inaliénabilité du domaine public doit être réputée non écrite. Cette règle d'inaliénabilité ne peut donc être écartée que par la loi. Le législateur est-il totalement libre ou est-il contraint par des dispositions constitutionnelles ? La question a été posée à différentes reprises au Conseil constitutionnel. Le Conseil constitutionnel a jugé qu'il n'y avait pas de principe constitutionnel d'inaliénabilité du domaine public, le principe n'est que législatif. C'est seulement dans le cas où l'appartenance du bien au domaine public est la condition de l'exercice d'une liberté publique que, au nom de cette liberté publique, la Constitution impose le maintien dans le domaine public, cela concerne essentiellement le domaine de la voirie condition de la liberté constitutionnelle d'aller et venir. §3 – Caractères généraux de l'inaliénabilité du domaine public Ce n'est pas une protection contre les dilapidations du propriétaires, ce qui était le cas du domaine de la couronne. Le fondement de l'inaliénabilité aujourd'hui, c'est l'affectation, l'utilité publique du bien. Cette

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utilité publique, cette contribution au service public ne peut être garantie que par l'inaliénabilité du bien. Parce que ce bien remplit une utilité déterminée, on va mettre son assiette foncière hors du commerce. Ce fondement est certain mais en même temps mal assuré de certains points de vue. Tout d'abord du point de vue de la théorie de la quasi-domanialité. Ensuite, du point de vue de certaines opérations modernes de transformation de personnes publiques en personnes privées montrent que l'utilité publique peut être aussi bien assurée sans le régime d'inaliénabilité. Autrement dit, le régime de domanialité publique n'apparaît pas toujours comme une nécessité pour la satisfaction de l'intérêt général. Du coup, certains auteurs ont mis en cause la notion même d'inaliénabilité. Marcel Waline ne conteste pas que l'administration doit déclasser avant d'aliéner mais, comme elle peut toujours déclasser, il n'y a pas d'inaliénabilité. Cette thèse est doublement discutable car, d'une part, il y a des cas où l'administration ne peut pas déclasser (quand l'affectation demeure) et, d'autre part, soutenir qu'il n'y a pas d'inaliénabilité du domaine public parce que, quand un bien ne figure plus dans le domaine public il peut être vendu, relève du sophisme. La position de René Capitant dans les années 1930 (note sous CE, 17 février 1933, Commune de Barran) est très différente. Pour lui, le principe d'inaliénabilité ne s'attache pas au bien mais à l'affectation. Pour lui, si on vend le bien grevé de cette affectation, il devra continuer à remplir l'utilité en question, on ne méconnaît pas l'inaliénabilité. René Capitant termine sa note en disant « ce n'est pas le domaine qui est inaliénable mais l'affectation ». Le propriété peut changer, l'affectation suit. §4 – Conséquences de l'inaliénabilité

A – Interdiction des aliénations Cette interdiction concerne les ventes, les échanges, toutes les formes d'aliénations forcées, mais aussi l'acquisition de la mitoyenneté au profit du voisin. De telles aliénations sont nulles et l'acquéreur, même de bonne foi, est soumis à restitution. L'interdiction des aliénations ne peut céder que devant une loi spéciale ou au bénéfice de la disposition générale qui permet des transferts de propriétés de dépendances du domaine public entre personnes publiques. Cette interdiction de la vente ne peut pas céder devant un mécanisme de vente sous condition suspensive de la sortie du domaine public (sauf le mécanisme spécifique organisé par la loi). Quelle est la nature de cette nullité qui affecte une vente du domaine public ? La doctrine l'a présentée comme une nullité relative parce qu'on protège le propriétaire public, donc à lui de faire valoir cette nullité (Cass. civ. 3ème, 12 février 1986, Société Notre-Dame des Fleurs). Cette doctrine a été critiquée. L'inaliénabilité du domaine public ne protège pas seulement le propriétaire public mais aussi les usagers du service public accueilli et ceux qui utilisent le domaine public ouvert au public. Autrement dit, l'inaliénabilité protège un intérêt général. La Cour de cassation (Cass. civ. 1ère, 3 mai 1988, Consorts Renault) a consacré une solution nuancée puisque désormais les tiers peuvent se prévaloir de la règle d'inaliénabilité pour rechercher la nullité d'un contrat avec cette conséquence que s'il apparaît que la cession est intervenue en méconnaissance du principe d'inaliénabilité, la vente leur est inopposable et le cessionnaire ne peut exercer à leur égard les droits du propriétaire. L'action en nullité de la vente ne se prescrit pas en raison de l'imprescriptibilité du domaine public.

B – Exclusion des actions possessoires des particuliers sur le domaine public

L'action possessoire est ouverte au propriétaire pour réprimer l'action d'un occupant qui manifeste sa volonté de se comporter comme possesseur. L'action possessoire est ouverte évidemment au propriétaire public. En revanche, si c'est la propriété publique qui s'est établie comme possesseur et que l'action possessoire est menée par celui qui prétend être le véritable propriétaire, le Tribunal des conflits juge que

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« du fait de l'imprescriptibilité et de l'inaliénabilité du domaine public, aucune possession utile [celle du requérant] ne peut être opposée à la libre disposition par l'autorité domaniale d'un élément de ce domaine » (TC, 24 février 1992, Couach). À cela est fait une exception en cas de voie de fait.

C – Interdiction de la copropriété La copropriété est présentée comme une forme d'aliénation d'une partie du droit sur le domaine public. L'inaliénabilité du domaine public recouvre tout le droit de propriété en son entier. Entrer en copropriété, c'est engager une partie de son droit de propriété. Dès lors, la jurisprudence considère que ceci est incompatible avec l'inaliénabilité (CE, 11 février 1994, Compagnie d'assurances La préservatrice foncière).

D – Interdiction du bail commercial C'est l'inaliénabilité qui fait juger que le bail commercial n'est pas possible sur le domaine public (CE, 28 janvier 1970, Consorts Philip-Bingisser). Pourquoi ? Parce que, dans le bail commercial, il y a un droit au renouvellement qui s'apparente à une forme de droit réel. Cependant, lorsque l'administration s'est méprise dans la durée sur la situation juridique et a laissé espérer à son interlocuteur qu'il occupait la propriété de l'administration dans les conditions d'un bail commercial, l'administration engage sa responsabilité à hauteur du préjudice pour l'occupant (CE, 6 décembre 1985, Mlle Boin-Favre et plus récemment CAA Bordeaux, 4 février 2010, SA Pyrénées Automobiles). C'est logique : quand l'occupant demande le renouvellement, l'administration lui oppose l'inaliénabilité et lui dit qu'il est un occupant du domaine public qui est un régime financièrement moins avantageux. Cette interdiction du bail commercial se heurte à toute une série de réalités. Il y a des aménagements du domaine public qui sont faits pour accueillir des activités commerciales (centres commerciaux, etc). Il faut donc titrer ces occupants comme on titre un fonds de commerce. On ne peut pas le faire par le bail commercial. En revanche, ne peut-on pas conclure un bail dérivé qui comporte tous les éléments du bail commercial sauf le droit du renouvellement considéré comme contraire à l'inaliénabilité ? On a considéré que ce type de bail pouvait être consenti soit par le propriétaire domanial, sous forme d'occupation du domaine public, soit par la société d'exploitation du centre commercial autorisée à occuper le tout qui va consentir elle-même un certain nombre de baux de cette nature.

E – La constitution de droits réels sur le domaine public Le droit de propriété est susceptible de démembrements en droits réels qui sont énumérés par le Code civil (l'usufruit, les servitudes réelles, le droit d'habitation et de jouissance, etc) qui correspondent à l'aliénation au bénéfice d'un tiers d'une partie du droit de propriété. Ces droits réels ont une valeur économique importante. Ils peuvent mobiliser des sûretés réelles et justifier du crédit. La Cour de cassation vient de juger que la liste des droits réels du Code civil n'est pas limitative et qu'il peut être construit conventionnellement des démembrements de propriété transférant un droit de jouissance spécial. Est-ce que les collectivités publiques propriétaires, comme les propriétaires privés, peuvent démembrer leur droit de propriété ou leur est-ce interdit ? La position traditionnelle de la jurisprudence est que le principe d'inaliénabilité interdit la constitution de droit réel sur le domaine public au bénéfice du voisin ou au bénéfice de l'occupant du domaine public (CE, 6 mai 1985, Association Eurolat c/ Crédit foncier de France). Le débat a été rouvert dans la période récente car c'est un enjeu économique. Dans un certain nombre d'hypothèses, l'occupation du domaine public est la condition de la valorisation du domaine public. On fait appel à une personne privée pour faire une construction mais elle a besoin de financement. Il faudrait alors

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lui consentir un droit réel sur le domaine public (par exemple, elle pourra occuper le domaine public et l'exploiter) pour que, de son côté, elle puisse obtenir du crédit. Donc, du point de vue de l'interdiction des droits réels, il faudrait limiter l'inaliénabilité aux hypothèses où ce démembrement compromettrait l'affectation. On observe dans le droit positif un renversement de perspective mais celui-ci, au lieu de revenir sur l'arrêt Eurolat, a procédé au coup par coup (on a rajouté des textes). Le CGPPP est allé à peu près jusqu'au bout de l'exercice pour les droits réels (les servitudes) consentis au voisin mais pas pour les droits réels de l'occupant (on reste à la technique énumérative). Il faut retracer l'évolution depuis l'arrêt Eurolat. a) D'abord, c'est la doctrine qui a montré que l'interdiction de la constitution de droits réels sur le domaine public était mal fondée dans l'inaliénabilité. b) Du côté de la jurisprudence, il y a eu une jurisprudence judiciaire ancienne qui a admis la constitution de servitudes réelles sur le domaine public, vérifiant à chaque fois que ces servitudes ne compromettaient pas l'affectation à l'utilité publique (Cass. req., 30 mai 1932 ; CA Paris, 10 juillet 1925 et plus récemment CAA Bordeaux, 5 janvier 2010, Bouyeure). À cela, on a opposé un arrêt Cass. civ. 1ère, 2 mars 1994, Société Escota qui juge contraire au principe d'inaliénabilité la servitude légale d'enclave qui établit de plein droit un droit de passage au bénéfice du fonds enclavé. C'est normal puisque, contrairement à une servitude conventionnelle, le propriétaire public ne peut pas vérifier au préalable qu'elle n'est pas contraire à l'affectation. C'est pour ça que les servitudes légales (celles du le Code civil) ne peuvent s'appliquer au domaine public. c) Du côté de la jurisprudence administrative, toute une série de décisions des sections administratives du Conseil d'État vérifient que l'on pouvait par voie réglementaire autoriser des servitudes sur le domaine public alors que le principe d'inaliénabilité est législatif. Donc, si l'inaliénabilité comportait l'interdiction des droits réels, on n'aurait pas pu les consentir par décret. Donc, le principe d'inaliénabilité, tel qu'interprété par le Conseil d'État, ne s'oppose pas à la constitution de servitude par voie réglementaire. d) Ensuite, indépendamment de tout texte, les notaires et la pratique notariale ont prévu des servitudes sur le domaine public. Par exemple, à propos des premiers aménagements du quartier de la Défense quand on a vendu les premières tours. e) Autre élément, le juge administratif et le juge judiciaire ont toujours admis que ce qu'on appelle des servitudes pré-constituées (des servitudes qui préexistent à l'entrée du bien dans le domaine public) demeurent si elles sont compatibles avec l'affectation (CE, 11 mai 1959, Dauphin puis CE, 29 novembre 1967, Gué). f) Ensuite, CC, 21 juillet 1994 saisi de la loi du 25 juillet 1994 relative à la constitution de droits réels sur le domaine public. Le Conseil constitutionnel explicite sa décision par ce motif : « aucune des disposition de la loi n'a pour objet de permettre ou d'organiser l'aliénation de biens appartenant au domaine public ». Le Conseil constitutionnel dit que la constitution de droits réels n'a rien à voir avec l'aliénation, donc on ne peut opposer l'inaliénabilité à la constitution de droits réels. g) Enfin, une jurisprudence traditionnelle fait une distinction fondamentale entre deux types d'occupation du domaine public. Cette distinction est faite selon que l'occupation est consentie dans l'intérêt exclusif de l'occupant ou bien pour la réalisation de quelque chose qui participera à l'affectation à l'utilité publique. Dans la première hypothèse, une jurisprudence ancienne admet que les occupants qui réalisent une occupation en vue d'édifier ou d'acquérir des constructions qui ne sont pas affectées aux besoins du service public sont considérés comme étant propriétaires des installations, en fin de titre, ils récupèrent la propriété des installations (CE, 21 avril 1997, Ministre du Budget c/ Société Sagifa répété dans CE, 7 juin 2010, Montravers). Il y a donc deux catégories de droits réels sur le domaine public. Ceux qui sont acquis de plein

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droit à l'occupant qui réalisait pour son propre compte et ceux qui peuvent être consentis à l'occupant sur des installations d'intérêt général ou de service public qu'il est autorisé à réaliser. Là, il faudra une vérification de la compatibilité avec l'affectation, le droit réel n'est pas acquis de plein droit. Donc, on est partis d'une interdiction des droits réels pour arriver, non pas à un renversement du principe, mais à un certain nombre d'exceptions qui montrent que la règle d'interdiction des droits réels n'est plus utile quand l'affectation n'est pas compromise par ces droits réels. Arrive le CGPPP de 2006. Une disposition du Code dit clairement que toutes les dépendances du domaine public peuvent supporter des servitudes réelles si ces servitudes sont compatibles avec l'affectation. On a donc un texte général qui remet l'inaliénabilité à sa place. En revanche, pour l'occupant du domaine public, nous sommes encore dans la situation où l'on considère que l'inaliénabilité interdit les droits réels et que ceux-ci ne peuvent être consentis que sur la base d'un texte spécifique qui autoriserait les droits réels. Le progrès serait d'autoriser les droits réels des occupants en vérifiant la compatibilité avec l'affectation. Section 2 : L'imprescriptibilité du domaine public Il ne faut pas confondre l'imprescriptibilité de l'insaisissabilité qui, elle concerne tous les biens des personnes publiques (cf. p. 10/11). L'imprescriptibilité est énoncée au même article que l'inaliénabilité et elle est évidemment liée à l'inaliénabilité. Il résulte du principe d'imprescriptibilité qu'aucune possession durable et utile sur le domaine public ne justifie l'exercice de l'action possessoire. La jurisprudence a encore jugé que l'imprescriptibilité s'applique à la propriété elle-même mais aussi aux actions judiciaires qui protègent la propriété publique. Elle a jugé également que cette imprescriptibilité s'étend à des hypothèses où il y a domaine public mais démembrement de la propriété (il s'agit notamment des chemins de halage). Une discussion doit s'ouvrir sur l'imprescriptibilité au regard de la Conv. EDH et notamment le protocole #1 qui protège les biens matériels mais aussi les espérances légitimes au maintien d'une situation établie dans la durée. CEDH, 30 novembre 2004, Öneryildiz c/ Turquie → la Cour EDH juge qu'un occupant sans titre du domaine public qui s'était installé sans que l'administration conteste est protégé en raison de l'espérance légitime qui a pu naître dans son esprit qu'il était titulaire d'un droit sur le domaine public et une action en expulsion ne peut pas être exercée.

CHAPITRE 4 : LA PROTECTION DU DOMAINE PUBLIC Le domaine public est protégé juridiquement (c'est l'inaliénabilité et l'imprescriptibilité). Ici, il s'agit d'une protection physique contre les dégradations et autres atteintes matérielles au domaine public. Il est légitime que cette protection soit spécialement organisée et qu'elle véhicule avec elle une répression particulièrement sévère parce que le bien dans le domaine public est affecté à l'intérêt général. Cette protection est tournée d'abord vers l'administration elle-même qui a des obligations spécifiques pour prévenir ou réparer toute dégradation matérielle du domaine public. Puis cette protection concerne les tiers (les usagers, les occupants, etc).

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Section 1 : L'obligation d'entretien du domaine public Le principe est clair : l'administration a l'obligation d'entretenir le domaine public en état de satisfaire à son affectation. Cette obligation est sanctionnée. En principe, le propriétaire privé, lui, n'est pas tenu d'entretenir sa propriété, il ne sera sanctionné que si le manquement à l'entretien de sa propriété cause un dommage à autrui et notamment au voisin (on applique la jurisprudence des troubles anormaux de voisinage). Dans, ce cas là, le juge civil peut prendre une injonction pour faire cesser le comportement. Lorsque le propriétaire public cause des troubles anormaux de voisinage, le juge administratif peut également prendre des injonctions pour faire cesser le comportement. En outre, cette obligation passe également par toute une série de mécanismes et notamment à l'égard des collectivités locales. Les dépenses d'entretien du domaine public des collectivités locales font partie des dépenses obligatoires que le préfet peut inscrire d'office au budget communal avec la création des ressources correspondantes. Il y a des procédures analogues pour les immeubles administratifs affectés à des établissements publics. Ces charges d'entretien sont réparties entre le propriétaire et l'affectataire quand ce n'est pas la même personne, soit sur la base de conventions, soit sur la base de critères dégagés par la jurisprudence (les grosses réparations sont à la charge du propriétaire et les dépenses d'entretien sont à la charge de l'affectataire). Cas des voies privées ouvertes à la circulation publique. Elles ne font pas partie du domaine public car propriétés de personnes privées mais elles sont ouvertes à la circulation. C'est l'affectation qui va avoir pour effet que les propriétaires privées de ces voies privées vont être obligés d'effectuer des travaux d'entretien. Ce système a été très poussé dans le cas de Paris et le mécanisme a été étendu ensuite aux autres communes. Le mécanisme permet à l'autorité administrative d'imposer la constitution d'une association syndicale, d'imposer un système de cotisation perçue sur les membres de l'association syndicale et d'obliger cette association à effectuer des travaux d'entretien. Ces charges ont pour contrepartie la possibilité toujours ouverte au propriétaire de rendre la voirie à la voirie publique. Section 2 : La protection pénale du domaine public La protection du domaine public est en effet organisée sous la forme d'une répression pénale de ceux qui dégradent le domaine public. Il existe donc une police de la conservation du domaine (qui doit être distinguée de la police de l'ordre public) qui est assortie d'un mécanisme de sanction (ici, uniformément des peines contraventionnelles). Comme tout système répressif, celui-ci est gouverné par le principe de légalité des délits et des peines. Ce régime pénal est confié au juge administratif. §1 – La police de la conservation La police de la conservation consiste à utiliser des moyens de police en vue d'édicter des mesures préventives assorties de sanctions pénales instituées pour la conservation matérielle des dépendances domaniales qu'elles visent. Sur le domaine public s'exerce la police de l'ordre public (qui s'étend sur les domaines public et privé comme sur les propriétés privées) mais parallèlement va s'exercer sur certaines dépendances du domaine public une police de la conservation dont le but n'est pas du tout de faire respecter l'ordre public mais de protéger l'intégrité matérielle du domaine. CC, 23 septembre 1987 → le Conseil constitutionnel rappelle que les contraventions de grande voirie ne constituent pas, compte tenu de leur objet et des règles de procédure et de compétences qui leur sont applicables, des contraventions de police.

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Les moyens de la police de la conservation sont les mêmes que ceux de la police de l'ordre public : on trouve des actes individuels et des actes réglementaires. Il s'agit d'un pouvoir unilatéral qui ne peut être délégué par contrat. Cette police a un but patrimonial qui, pour la protection de son patrimoine, arme l'administration et elle est un élément caractéristique de la propriété administrative. Elle est limitée par un principe de légalité mais il joue plus strictement pour la police de la conservation. Elle n'existe qu'en vertu de textes et ces textes ne couvrent pas tout le domaine public alors que la police de l'ordre public a une vocation générale. C'est un domaine où le détournement de procédure est fréquent. On peut avoir la même autorité compétente mais qui ne devra pas utiliser la même procédure et qui ne sera pas titrée de la même façon si elle veut protéger l'intégrité du domaine ou bien si elle veut maintenir l'ordre public. Il y a des cas où le partage est difficile. Exemple de la circulation routière, la signalisation qui interdit le passage à des camions trop lourds est-elle là pour prévenir une dégradation du domaine public ou pour des raisons d'ordre public ? §2 – Les contraventions de voirie

A – Distinction des contraventions de grande et de petite voirie La distinction réside dans le fait que le CGPPP range différemment les sanctions pénales qui protègent les ouvrages de petite voirie de celles qui protègent les ouvrages de grande voirie. Le CGPPP présente en deux articles (L.2132-1 et L.2132-2) d'abord les contraventions de voirie routière puis les contraventions de grande voirie. Les contraventions de voirie routière, ou de petite voirie, sont assimilées aux contraventions de police du point de vue de la compétence contentieuse (juge pénal ordinaire) et elles sont donc rapprochées de l'article R.610-5 du Code pénal qui les assimile aux contraventions à la police de la circulation routière. Les contraventions de grande voirie, aujourd'hui, sont édictées essentiellement pour la protection du domaine maritime, du domaine fluvial, du domaine ferroviaire et d'un certain nombre d'ouvrages spécialement énumérés. Si le juge naturel devrait être le juge pénal, la compétence pour les contraventions de grande voirie est celle du Conseil d'État. Le CGPPP donne donc une définition des contraventions de grande voirie. L'article L.2132-2 dispose que « Les contraventions de grande voirie sont instituées par la loi ou par décret, selon le montant de l'amende encourue, en vue de la répression des manquements aux textes qui ont pour objet, pour les dépendances du domaine public n'appartenant pas à la voirie routière, la protection soit de l'intégrité ou de l'utilisation de ce domaine public, soit d'une servitude administrative ». Sont ainsi confirmés, d'une part, l'exclusion des contraventions de grande voirie des contraventions de la voirie routière et, d'autre part, le caractère énumératif des contraventions de grande voirie qui, de ce fait, ne couvrent pas l'ensemble du domaine public.

B – Régime des contraventions de voirie Il s'agit d'infractions pénales, donc le régime sera celui des contraventions. Ces contraventions supposent donc l'existence d'un texte (principe de légalité et nécessité des délits). Les textes des contraventions de voirie sont souvent des textes anciens, des textes de l'ancien régime qui, d'une part, donnent une définition des dépendances domaniales protégées qui ne correspond pas toujours à leur configuration actuelle et qui, d'autre part, comportent un barème très élevé (commettre une contravention de grande voirie coûte cher).

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Le Conseil constitutionnel a rappelé ce régime répressif et qu'il s'appliquait aux contraventions de voirie. Il a rappelé que la loi devait définir les éléments constitutifs de l'infraction, que les seules peines possibles étaient des peines d'amende et que ces textes étaient d'interprétation stricte. L'élément légal de l'infraction est de porter atteinte à l'intégrité du domaine public protégé ou de ses dépendances. Le Conseil d'État a jugé que lorsqu'il y avait cumul de deux infractions, une contravention de voirie et une contravention à l'ordre public, le total ne devait pas excéder une certaine proportion (principe de non cumul). La contravention de voirie est une infraction matérielle, pas d'élément moral. Dès lors que l'élément matériel est présent, l'infraction est constituée. Ont juste un effet exonératoire, le fait de l'administration ou encore la force majeure, mais en aucun cas l'absence d'élément intentionnel. Première particularité, la contravention de grande voirie a une nature mixte, elle est une sanction mais aussi une obligation de réparer le dommage causé au domaine. On joint la réparation civile à la peine d'amende, ce qui peut aboutir à un montant élevé. C'est l'article L.2132-28 du CGPPP qui le dit. En second lieu, les contraventions de voirie sont soustraites à certaines règles du droit pénal, par exemple le principe non bis in idem. Autre particularité, le droit des contravention de voirie a toujours admis la responsabilité pénale des personnes morales, avant que le Code pénal ne la reconnaisse. Cette condamnation pénale, vis-à-vis des personnes morales, peut atteindre les personnes morales de droit public. La peine elle-même peut frapper la personne civilement responsable et non pas celui qui a commis l'infraction. D'une façon générale, l'administration a le choix de poursuivre la personne qui a commis l'infraction ou celle pour le compte de laquelle a été commise l'action qui est à l'origine de l'infraction ou celle sous la garde de laquelle se trouvait l'objet qui a détérioré le domaine public. Exemple d'un cas d'espèce : CE, 23 décembre 2010, Ministre de l'Écologie c/ commune de Fréjus → il s'agissait d'un dommage causé au domaine public maritime, la commune est condamnée à l'amende pénale de protection du domaine public maritime. Cas du dommage causé par un véhicule volé. La jurisprudence ancienne était très sévère car elle considérait que le propriétaire, à qui on avait volé son véhicule, encourait la condamnation pour contravention de voirie sauf, à sa charge, à établir qu'il avait pris toutes les précautions nécessaires. Solution très critiquable et critiquée qui s'expliquait par la volonté de chercher un patrimoine solvable pour réparer l'atteinte au domaine public. REVIREMENT : CE, 5 juillet 2000, Ministre de l'Équipement et des transports c/ Chevallier → le Conseil d'État juge que le propriétaire du véhicule volé avait perdu la garde de celui-ci et qu'il ne pouvait être poursuivi pour une contravention de voirie. Cette répression est une obligation pour l'administration, alors qu'en droit pénal général il existe le principe d'opportunité des poursuites. L'administration a ici une compétence liée. Règle posée par CE, 23 février 1979, Association des amis des chemins de ronde. Cette solution est un peu choquante. Dans l'arrêt Ministre de l'Écologie c/ commune de Fréjus (cf. supra), il est jugé que l'obligation de poursuivre cède devant les autres intérêts dont les autorités administratives ont la charge et notamment les nécessités de l'ordre public. La prescription. L'action pénale se prescrit par 1 an. En revanche, l'action indemnitaire qui protège le domaine est, elle, imprescriptible (CE, 22 avril 1988, SA Entreprise Dodin).

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SOUS-TITRE 3 – LES UTILISATIONS DU DOMAINE PUBLIC

INTRODUCTION Section 1 : Classifications Première distinction, le domaine public peut être utilisé par le public directement ou par un service public. Ce qui est intéressant, c'est que dans l'affectation au public, la relation propriétaire domanial / usager va se faire directement alors que, dans l'affectation au service public, cette relation va se faire indirectement. Deuxième distinction, l'usage commun (par exemple, une rue) ou l'usage privatif (par exemple, le domaine public hertzien). Troisième distinction, l'occupation normale ou l'occupation compatible. L'occupation normale, c'est celle qui réalise l'affectation du domaine (par exemple, des étudiants dans une université). L'occupation compatible, c'est celle qui ne correspond pas à l'utilisation normale mais qui est compatible avec elle (par exemple, la cafétéria de l'université). Dernière distinction, occupation à titre gratuit et occupation à titre onéreux. Ces classifications sont parfois artificielles. Par exemple, un contentieux concernait l'installation périodique au jardin des Tuileries à Paris de dispositifs forains et notamment la grande roue. Ceci a été attaqué et les requérants ont soutenu que cette occupation était incompatible avec l'affectation du jardin des Tuileries qui est une promenade publique. TA Paris, 30 juin 1994, Association Défense Tuileries → le TA a jugé que l'autorisation donnée par la ville de Paris d'occupation domaniale était illégale car incompatible avec l'affectation de promenade publique. Appel devant le Conseil d'État. CE, 23 juin 1995, Ministre de la Culture c/ Association Défense Tuileries → le Conseil d'État estime que cette occupation ne porte pas atteinte à la vocation principale de promenade publique du jardin des Tuileries. Dernière précision de vocabulaire. On trouve parfois les termes d'occupation normale et d'occupation anormale. C'est inexact. L'occupation anormale est interdite car contraire à l'affectation. Ce qu'on peut admettre, c'est l'occupation conforme et l'occupation compatible. Section 2 : Pouvoirs de l'administration Les droits des administrés et les pouvoirs de l'administration sont commandés par le respect de l'affectation du domaine. La conséquence, c'est que l'usager a droit à l'utilisation du domaine selon sa destination. CE, 18 novembre 1949, Carlier → l'administration doit concilier l'exercice de ses pouvoirs avec le respect de la faculté qu'a tout usager d'utiliser les dépendances du domaine public conformément à leur affectation. Quand l'usager fait un usage normal du domaine, l'administration a une compétence liée. En revanche, lorsque l'on fait une utilisation compatible du domaine, l'administration a un pouvoir discrétionnaire, qu'elle a l'obligation d'exercer, pour vérifier concrètement si cette occupation est bien compatible. Dans ce pouvoir d'appréciation, initialement, le seul paramètre qui organisait ce pouvoir discrétionnaire, c'était l'intérêt du domaine occupé. On a glissé de l'intérêt du domaine à l'idée de bonne gestion du domaine. S'il s'avère qu'une occupation peut rapporter beaucoup d'argent, pourquoi ne pas la permettre ? C'est ceci qu'a concrétisé de plus en plus la jurisprudence.

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Section 3 : Situation juridique des usagers du domaine public Situation légale et réglementaire ou situation contractuelle ? Le principe a toujours été posé que l'usager qui faisait un usage normal du domaine public était dans une situation légale et réglementaire. Toutefois, cette situation a paru remise en cause à propos d'un contentieux spécifique qui était à propos des autoroutes. L'usager de l'autoroute qui acquitte un péage ne se trouve-t-il pas cocontractant de la société d'autoroute ? Cela voudrait dire que des usagers qui ont un usage normal seraient soumis à un régime contractuelle. TC, 28 juin 1965, Dlle Ruban → le Tribunal des conflits a jugé que les payés par les usagers des autoroutes « ont le caractère d'une taxe dont le versement ne fait naître aucun lien contractuel entre eux et le concessionnaire ». Conséquence, les litiges liés à l'utilisation des autoroutes sont de la compétence du juge administratif et se rattachent au contentieux des travaux publics. Cette jurisprudence a gêné car, en jugeant qu'il s'agissait d'une taxe, le Tribunal des conflits soustrayait les péages autoroutiers à la réglementation des prix. D'autre part, en jugeant qu'il s'agissait d'une taxe, du point de vue de la TVA et du régime fiscal de cette taxe, les choses étaient obscures. C'est pourquoi le Conseil d'État a repris l'affaire et a un peu corrigé le tir. CE, 14 février 1975, Époux Merlin → le Conseil d'État écarte l'idée de taxe et dit que le péage est le prix d'une opération soumise à la réglementation des prix sans en déduire une relation contractuelle entre la société d'autoroute et les usagers de l'autoroute. En revanche, les occupants conformes sont-ils dans une relation contractuelle ? D'abord, il y a des occupants qui sont titrés par des autorisations unilatérales. D'autres sont titulaires d'une autorisation contractuelle. La jurisprudence antérieure avait jugé que si ce contrat ressemblait finalement à un bail, c'était un contrat de droit privé, mais s'il y avait des clauses exorbitantes, c'était un contrat de droit public. Le décret-loi du 17 juin 1938 dont la formule est reprise à l'article L.2331-1, 1°, du CGPPP, a unifié la matière. Il pose le principe que les contentieux relatifs aux contrats comportant occupation du domaine public, quelque soit leur forme ou leur dénomination, passés par l'État, les départements, les communes, les établissements publics ou leurs concessionnaires, sont portés devant la juridiction administrative. Donc, ce sont des contrats administratifs, même quand ce sont des contrats entre personnes privées (puisque c'est étendu aux concessionnaires).

CHAPITRE 1 : L'UTILISATION DU DOMAINE PUBLIC SELON SON AFFECTATION

Section 1 : L'usage commun des voies publiques Cet usage normal correspond à une affectation au public indifférencié. Nous ne parlerons ici que de la voirie routière. En effet, les voies publiques constituent les plus importantes des dépendances domaniales affectées à l'usage direct et collectif du public. Leur fonction est de servir la circulation des piétons et, de plus en plus, des automobiles ainsi que la desserte des propriétés riveraines. De cette affectation à l'usage direct du public découlent plusieurs conséquences (le droit au domaine et le droit d'accéder aux propriétés riveraines, égalité dans le droit d'accès à l'usage des voies publiques qui ne peut être limitée que par une mesure de police objective). §1 – L'application des principes généraux de la police administrative Ce sont les principes généraux de la police administrative. La police de la conservation du domaine n'est jamais exclue (contrairement à certaines polices spéciales). Elle se cumule selon les mécanismes de cumul de polices. La mesure de police doit réglementer l'activité de circulation et de stationnement mais ne doit pas consister en une prohibition. Les mesures d'interdiction générale et absolue ne sont pas possibles.

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Donc, illégalité des interdictions générales, proportionnalité de la mesure imposée à l'objectif recherché, conciliation avec le principe de liberté du commerce et de l'industrie et le principe de la liberté de circulation. De la même façon, ces mesures de police doivent avoir un but de police. Si elles sont utilisées pour réduire les dépenses d'entretien de la voirie, elles sont entachées d'un détournement de procédure. L'administration ne peut pas monnayer son pouvoir de police, les mesures de police ne peuvent pas comporter d'obligation pécuniaire. §2 – L'extension des pouvoirs de police administrative Dans le cas de la voirie routière, ces pouvoirs généraux que l'on vient de voir peuvent être étendus. Cette extension est liée au développement de la circulation automobile. Ceci a amené à des évolutions jurisprudentielles et à des interventions législatives (notamment une loi du 18 juin 1966 qui a apporté des aménagements très importants). S'agissant de la circulation automobile, la jurisprudence a dès le départ eu le sentiment que la circulation automobile ne pouvait pas se développer dans le cadre des principes généraux. Elle a admis assez tôt des régimes d'autorisations préalables. CE, 27 juillet 1928, Renault → un régime d'autorisation préalable est légitime mais le Conseil d'État affirme qu'il n'y a pas là une utilisation normale du domaine public. C'est une utilisation privative et il est légitime qu'elle soit soumise à autorisation. CE, 22 février 1961, Lagoutte et Robin → le Conseil d'État admet que l'on puisse interdire la circulation automobile sur certaines voies à certaines heures. Puis, la loi du 18 juin 1966, admet l'institution des couloirs de circulation réservés à certaines catégories de véhicules. CE, 8 décembre 1972, Ville de Dieppe → admet l'institution des rues piétonnes. S'agissant du stationnement, la solution initiale de la Cour de cassation partait de l'idée que le domaine public n'a pas pour vocation le stationnement d'un véhicule. La jurisprudence judiciaire adopte donc une attitude extrême de répression et applique la sanction pénale qui sanctionne ceux qui encombrent la voie publique sans nécessité (Cass., 13 juillet 1900). Cette attitude va évidemment être abandonnée. Cass., 22 décembre 1903 → la Cour de cassation admet le droit au stationnement pour le riverain qu'elle rattache au droit de propriété et le riverain peut en faire bénéficier des tiers qui lui rendent visite. CE, 6 mai 1932, Genthon → la Conseil d'État abandonne toute idée de répression pénale. À partir des années 1930, une série d'arrêts du Conseil d'État vont marquer l'écart des principes généraux de police. L'idée est que dès lors qu'il ne s'agit plus d'un arrêt lié à la desserte de la propriété, le stationnement devient un usage anormal de la voie publique, un usage abusif. Cela permet à l'autorité de police de la réglementer dans sa durée, en ne le permettant que dans certains emplacements et même moyennant redevance. CE, 10 janvier 1930, Despujol → le Conseil d'État va permettre la réglementation du stationnement en permettant l'institution de parcs de stationnement mais aussi que des redevances soit perçues sur les usagers comme la contrepartie d'un service rendu. Le stationnement payant va prendre une autre tournure lorsqu'il va être institué le long des trottoirs avec la loi du 18 juin 1966. Cette loi élargit les possibilités de restriction apportée au stationnement (la seule condition est que le droit d'accès des riverains soit toujours garanti, même s'il est limité dans le temps). Un arrêt va même pousser ce raisonnement à l'extrême : CE, 14 mars 1973, Almela → le Conseil d'État admet légitime une mesure de police qui interdit tout stationnement tous les jours et à toute heure si la situation des lieux le justifie. Quant au droit d'accès des riverains, la loi de 1966 dit que c'est un simple droit de desserte (c'est-à-dire le droit de s'arrêter devant son immeuble pour un temps limité) mais le stationnement de son véhicule sous son propre porche de façon durable excédant le droit de desserte continue à être sanctionné. Enfin, dans la loi de 1966, on trouve une réglementation à l'égard de certains usagers, donc atteinte au principe d'égalité (par exemple des réglementations spéciales pour le stationnement des auto-écoles et, surtout, le stationnement payant sans prestation le long des trottoirs peut être réglementé sur la base de la loi de 1966). Le Conseil d'État a donné une interprétation de la loi en disant que cette obligation de payer le stationnement contribuait à la bonne

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affectation du domaine public car elle contribuait à la fluidité de la circulation automobile. À partir de là, le stationnement payant peut être institué. Cette activité de police consistant à faire payer les usagers du domaine peut-elle être déléguée ? La jurisprudence a rappelé le principe, NON, mais la gestion du dispositif assurant la rémunération peut être déléguée et elle l'est très souvent. On délègue donc la gestion du dispositif de paiement mais pas l'activité d'édiction de la mesure de police (TC, 14 mai 1990, Compagnie Copagan c/ Préfet de Police). Section 2 : L'usage privatif normal du domaine public Ce sont des hypothèses où il s'agit bien d'une utilisation normale du domaine public mais cette activité accueille une utilisation individuelle du domaine public. Par exemple, c'est le cas des cimetières, c'est le cas des halles dans les marchés publics. Nous sommes donc en présence d'une activité normale du domaine, mais elle est privative. L'utilisation étant privative, elle comporte une autorisation administrative préalable et une contrepartie financière qu'on appelle une redevance. Mais, puisqu'il s'agit d'une utilisation normale, l'administration n'a pas de pouvoir discrétionnaire pour accorder ou refuser, elle est dans une situation de compétence liée. Elle ne peut pas refuser l'autorisation aux usagers qui se conforment à la réglementation. Comme c'est une utilisation privative, il peut y avoir une forme d'indisponibilité du domaine public. Évoquons deux hypothèses où il a été admis par la jurisprudence et par la loi qu'il n'y avait pas versement d'une redevance. D'abord, les distributeurs automatiques de billets implantés sur la voirie (TA Grenoble, 15 décembre 2009, Société lyonnaise de banque) étaient impropres à fonder l'institution d'un droit de voirie. Second exemple, les radars automatiques, certains départements ont considéré que cette occupation était par des dispositifs d'État et ils ont soumis à redevance l'implantation des radars, ce qui était légitime. CE, 31 octobre 2007, Ministre de l'Intérieur → Le Conseil d'État a annulé des délibérations de conseils généraux qui instituaient cette redevance, les radars ne peuvent pas être regardés comme occupant le domaine public. La loi de finances pour 2008 du 24 décembre 2007 a modifié l'article L.2125-1 du CGPPP pour exclure l'implantation de radars du versement de redevances départementales ou communales. §1 – Concessions d'emplacements dans les halles et marchés L'attribution de ces emplacements ne peut résulter que d'une autorisation que la pratique appelle concession de marché mais qui est en réalité une autorisation unilatérale. L'administration ne peut pas refuser cette autorisation s'il y a des places disponibles. Le seul motif de refus doit être le manque de place. Ceci a conduit la jurisprudence à des solutions qui accompagnent cet élément, l'utilisation accordée a une valeur économique. Donc, naturellement, va se mettre en place une sorte de droit de présentation de l'intéressé qui entend céder son fonds de commerce, qui entend se trouver un successeur et qui veut monnayer auprès de ce successeur la reprise de l'entreprise. La jurisprudence s'est orientée dans deux directions : elle a tenu ferme au principe du droit à autorisation qui ne peut être refusé que pour des considérations liées à des caractéristiques du domaine (considérations d'hygiène, de bon fonctionnement du marché). La jurisprudence considère aussi que l'affectation normale, qu'elle doit vérifier, inclut la stabilité du débit des marchandises à travers les emplacements qui sont concédés, donc une certaine vérification de l'activité qui se développe et qui se traduit par le chiffre d'affaires, la crédibilité du cessionnaire, etc. Des considérations prises de l'ancienneté de l'occupation ou d'une présentation d'un successeur n'est pas parmi les considérations qui doivent la déterminer. §2 – Concessions de sépultures dans les cimetières Il ne faut pas confondre le droit à l'inhumation qui est un droit absolu et le droit d'obtenir une sépulture. Les cimetières sont des dépendances du domaine public affectées à un usage familial. Cette dépendance du domaine public doit être réglementée comme les autres. Il y a une égalité d'accès sous réserve des places disponibles. La pratique des carrés confessionnels. Cette pratique veut que dans un même périmètre du cimetière soient regroupées les personnes de même confession. Cette pratique se heurte au principe de laïcité et au principe d'égalité à l'accès du domaine public. Depuis la loi de 1887, les carrés confessionnels

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sont en principe interdits dans les cimetières. Mais des circulaires du ministère de l'Intérieur disent aux maires de tenir compte des souhaits des intéressés dans l'attribution des places. Il existe une réglementation spécifique de la durée, au terme d'un certain délai (75 ou 90 ans selon les cas), si la sépulture n'est pas entretenue, la sépulture est reprise.

CHAPITRE 2 : L'OCCUPATION PRIVATIVE DU DOMAINE PUBLIC

Indépendamment de l'utilisation normale du domaine, une personne privée qui n'a pas la qualité d'usager du domaine est autorisée à s'installer pour l'exploitation d'une installation, le plus souvent économique, sur le domaine public. Cette occupation doit être compatible avec l'affectation. Ces occupations doivent être uniformément compatibles. L'usage qui en est fait doit être concilié avec l'affectation du domaine. Cette compatibilité doit pouvoir être vérifiée tant que dure l'occupation privative du domaine. Le régime des occupations privatives est dominé par deux considérations fondamentales : d'une part, l'occupant privatif doit être titré pour occuper le domaine public et, d'autre part, cette occupation doit en permanence rester compatible avec l'affectation du domaine. L'article L.2122-1 du CGPPP dispose que « Nul ne peut, sans disposer d'un titre l'y habilitant, occuper une dépendance du domaine public d'une personne publique ». Normalement, cette autorisation est accordée moyennant redevance (art. L.2125-1 CGPPP). Cette autorisation peut prendre deux formes, celle de l'acte unilatéral et celle de l'acte conventionnel. Pour le premier, on emploi l'expression de permission de voirie et, pour le second, celle de concession de voirie. Lorsque le titre d'occupation est unilatéral, il est normalement délivré par le propriétaire mais il y a une catégorie de titres qui ne sont pas délivrés par le propriétaire mais par l'autorité chargée de l'ordre public (ce sont les permis de stationnement). Ce titre autorise une occupation compatible avec l'affectation du domaine. Sans compatibilité, l'occupation doit être refusée. Cette compatibilité doit pouvoir être vérifiée tout au long du titre. Si cette compatibilité n'existe plus, il faut à tout moment que l'on puisse mettre fin à l'occupation sans faute de l'occupant. Qu'est-ce qu'une occupation compatible ? Il y a des cas où la jurisprudence semble hésitante entre l'idée de complément de l'affectation ou d'une utilisation différente mais compatible. Par exemple, imaginons dans un aéroport qu'il n'y ait pas de services de journaux ou de cafétéria. S'agit-il d'un complément de l'affectation de l'aéroport ou d'une occupation compatible dès lors que la première fonction de l'aéroport est d'assurer le trafic aéroportuaire ? Le débat a été tranché par le Conseil d'État : CE, 19 janvier 2011, CCI de Pointe-à-Pitre dans lequel le Conseil d'État indique que ces commerces hors douane parachèvent l'affectation principale du domaine et complètent l'affectation principale du domaine. Autre exemple, CE, 10 mars 1996, SARL La Roustane → il s'agit d'une librairie implantée sur le domaine public universitaire et elle est jugée être un complément du service public de l'enseignement supérieur. En revanche, une agence de voyage autorisée à s'installer sur le domaine public universitaire doit prouver sa compatibilité. Cette notion de compatibilité est donc assez difficile à saisir et elle se détermine en fonction d'un équilibre économique. Cette compatibilité est une notion de fait. Les occupations compatibles sont un outil exceptionnel de valorisation des propriétés publiques. Pourquoi ? Parce que ces propriétés publiques se situent dans des espaces privilégiés, dans des lieux de grands passages. Il y a donc un potentiel commercial très important. Par exemple, les boutiques de luxe font une grosse partie de leur chiffre d'affaires dans les aéroports et la redevance est établie en fonction de l'avantage tiré de l'occupation.

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Section unique : Le droit commun des occupations domaniales privatives compatibles §1 – L'autorisation d'occupation domaniale L'exigence d'une autorisation pour occuper le domaine public est traditionnelle. Elle figure aujourd'hui à l'article L.2122-1 du CGPPP (cf. p. 66). Il ne peut pas y avoir d'occupation de fait du domaine public. L'occupant de fait est un occupant sans titre contre lequel des procédures d'expulsion sont disponibles. L'article L.2122-1 précise aussi que l'occupant ne peut dépasser l'utilisation normale que font les usagers du domaine sans autorisation. CE, 29 octobre 2012, EURL Photo Josse c/ commune de Tours → il est jugé que la personne qui avait fait l'usage normal d'un musée, contempler les œuvres d'art, était allée au-delà de cet usage normal car elle photographiait lesdites œuvres. Donc, elle ne pouvait pas le faire sans autorisation.

A – Caractères généraux de l'autorisation CE, 17 décembre 1975, Société Letourneur frères → l'autorisation doit être explicite et expresse. Il n'y a pas d'autorisation tacite d'occupation du domaine public. CE, 21 mars 2003, Syndicat intercommunal de la périphérie de Paris pour l'électricité et les réseaux → est annulé un décret qui instituait un régime d'autorisation tacite pour une occupation domaniale par expiration d'un délai décompté dès la demande d'occupation. Il est encore précisé que ce titre doit consacrer une occupation domaniale nettement identifiée et que, en l'absence d'un accord des parties explicite sur le périmètre de l'occupation consentie, celle-ci n'existe pas. Ce principe de l'autorisation explicite est dans l'article L.2122-1, donc seule une loi peut écarter cette disposition. Second caractère, le caractère personnel de l'autorisation. CE, 10 mai 1989, Claude Munoz → le Conseil d'État affirme le caractère strictement personnel des autorisations d'occupation du domaine public. Cela se comprend, il y a un caractère intuitu personae dans une occupation qui n'est pas l'usage normal du domaine. Mais ce caractère personnel doit se concilier avec la bonne exploitation de l'utilisation. Il faut que l'occupant, si c'est une société, puisse faire circuler son titre, puisse évoluer, puisse être rachetée, que la structure de son capital puisse évoluer, etc. Comment concilier ce caractère personnel avec le fait que la société puisse être rachetée, etc ? Très rapidement, s'est donc posé le problème de la circulation du titre. Très tôt, la jurisprudence a admis que le titre pouvait circuler lorsque l'autorité administrative donnait un agrément exprès à la cession (CAA Nantes, 14 octobre 2008, Société CM-CIC Lease). Par ailleurs, la jurisprudence a admis que, lorsqu'il n'y avait pas de changement de l'identité de l'occupant mais simplement des changements dans la structure de son capital, il n'y a pas de circulation du titre car continuité de la personnalité morale. Ce pouvoir de l'administration d'agréer ou non le cessionnaire est-il un pouvoir discrétionnaire ou est-elle liée ? La jurisprudence avait admis que, d'abord, un contrat ne peut être cédé sans l'autorisation de l'administration mais que l'administration ne peut refuser son autorisation de céder que si elle ne retrouve pas dans la personne du cessionnaire les mêmes capacités techniques et les mêmes capacités financières qu'elle avait trouvées en la personne du cédant. Peut-on importer cette jurisprudence concernant les contrats administratifs à la circulation du titre ? C'est une interrogation actuelle et il est possible que la jurisprudence étende cette jurisprudence aux actes unilatéraux concernant les biens publics.

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Est-ce que le cédant qui veut céder son titre peut s'arroger d'une sorte de droit de présentation à titre onéreux ? Plusieurs textes sont intervenus pour le permettre. L'apport le plus important a été la loi du 20 janvier 1995 qui permet aux taxis de présenter à l'administration leur successeur et de faire payer ce droit de présentation. Plus généralement, Cass. civ. 3ème, 5 décembre 1995, Perret → la Cour de cassation a admis que l'occupant peut s'engager, moyennant rétribution, à présenter un successeur à l'administration. Enfin, s'agissant des occupations hertziennes, il est clair que les société vont se développer et vont bouger. Une loi de 2002 a permis une forme de cession de ces autorisations hertziennes sous le contrôle de l'ARCEP qui tient compte de la valeur particulière. Troisième caractère, l'autorisation est à durée limitée. Ceci est directement rattaché au principe d'inaliénabilité du domaine public. La loi elle-même a indiqué une durée maximum dans deux hypothèses : pour les baux emphytéotiques administratifs, 99 ans maximum et, pour les autorisations d'occupation unilatérales de l'État, 70 ans maximum. Ces indications ont été reprises à l'article L.2122-6 du CGPPP. D'une façon générale, en dessous de ces plafonds, les autorisations domaniales doivent être proportionnées dans leur durée à l'amortissement de l'exploitation économique qui s'y développe. Lorsque l'occupation est rentabilisée, il n'y a pas de raison qu'elle se prolonge et il faut rebattre les cartes. C'est une exigence du droit de la concurrence.

B – Autorisation unilatérale ou contractuelle Pour les autorisations, on parle de permission de voirie ou d'autorisation d'occupation temporaire et, pour les contrats, on parle de convention de voirie.

1 – La permission de voirie Nous sommes en présence d'un acte administratif unilatéral qui va autoriser un particulier à occuper une dépendance domaniale pour un usage compatible avec l'affectation. Au moment de l'accorder, l'administration doit vérifier cette compatibilité et, si l'acte est contesté, il sera annulé car c'est une condition de la légalité de l'acte. Cette autorisation est un acte créateur de droit, dans les limites de son objet et avec la réserve qu'il y a précarité de l'occupation. S'est posée la question de savoir si ces AAU pouvaient comporter des obligations, des charges ? La jurisprudence a d'abord répondu NON en voyant dans l'occupation un acte uniquement foncier. Par la suite, la jurisprudence a admis que ces autorisations soient assorties de charges et même de véritables obligations de service public. Ces cahiers des charges annexés rapprochent l'autorisation des conventions car ces cahiers sont négociés entre l'administration et l'occupant. CE, 12 mars 1999, Ville de Paris c/ Société Stella Maillot Orée du Bois → il est donné une autorisation d'occupation domaniale assortie d'un certain nombre d'obligations notamment sur l'entretien du périmètre, sur la présentation des lieux, etc. C'est une autorisation individuelle avec charges. CE, 4 avril 1997, Société Ledoyen → même raisonnement du Conseil d'État, autorisation unilatérale avec charges. C'est un débat pas tout-à-fait clos aujourd'hui pour savoir quel est le statut des occupations correspondant à l'installation de ce qu'on appelle le mobilier urbain (les panneaux de signalisation, les panneaux publicitaires, etc). Ce mobilier urbain est une occupation privative du domaine public mais qui est quelque fois assortie d'obligations (par exemple, le propriétaire domanial impose qu'une publicité sur les trois du dérouleur soit pour la ville). Il y a eu une jurisprudence très abondante pour savoir si ce sont des autorisations unilatérales avec charges ou des conventions.

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2 – La concession de voirie Ce sont les titres conventionnels d'occupation du domaine public. Elles concernent surtout les occupations importantes. C'est un accord conclu entre le propriétaire domanial et l'occupant qui va définir l'objet et qui comportera des obligations du côté de l'occupant. Cette occupation conventionnelle peut exister de façon autonome ou bien elle peut être noyée dans une concession de travail et de service publics. Ces conventions sont des contrats administratifs par détermination de la loi (art. L.2331-1 CGPPP). Cette qualification par la loi est largement entendue par la jurisprudence. Par exemple, un contrat conclu pour le compte de la SNCF par une de ses filiales mais qui comporte attribution d'un emplacement dans une gare est un contrat administratif comportant occupation du domaine public (TC, 16 octobre 2006, EURL Pharmacie de la gare Saint Charles et Depieds). De même, le Conseil d'État qualifie de contrat administratif comportant occupation du domaine public un contrat passé pour l'exploitation d'un café-restaurant dans le bois de Boulogne qui était lui-même implanté sur le domaine public (CE, 23 février 1979, Gourdain).

C – Transparence et concurrence dans l'attribution des titres domaniaux

L'administration, dans l'attribution de ces titres, est-elle soumise à une procédure déterminée ayant pour objet de comporter une exigence de transparence et de publicité afin de permettre à la concurrence de s'exprimer comme en matière de marché public ? Aucune disposition du CGPPP n'institue une procédure pour la passation de titre d'occupation du domaine public. Cette solution a été critiquée. M. Gaudemet considère que ces critiques ne sont pas fondées parce qu'il y a une extraordinaire diversité des occupations domaniales. Peut-on prévoir les mêmes règles pour l'extension d'une terrasse de café qui n'intéresse que le propriétaire du café et pour l'attribution des licences hertziennes ? La position du CGPPP, son silence, s'explique par le fait que toute règle, même la plus générale, n'a pas de sens et se heurterait à une donnée de fait, la dispersion et l'hétérogénéité des occupations domaniales. En revanche, quand l'occupation domaniale appelle une procédure de mise en concurrence, il faudra se plier à cette procédure adaptée à ce type d'occupation domaniale compte tenu de son objet. C'est ce que l'on a découvert progressivement. On a découvert que cette procédure d'obligation de transparence et de concurrence pouvait exister dans deux cas particulier, mais il faut bien retenir qu'elle ne résulte pas du CGPPP, elle existe du fait de l'opération qui appelle une qualification juridique autre que celle d'occupation domaniale. Il y a deux hypothèses qui ne doivent pas être confondues. D'abord, quand l'occupation domaniale s'accompagne d'un marché, le plus souvent un marché de travaux. Parce qu'il y a un marché public dans le lot il faut soumettre l'attribution de l'opération aux règles de transparence et de mise en concurrence prévues par le Code des marchés publics. La jurisprudence communautaire considère qu'un élément suffisamment important du marché (de l'ordre de 5 à 10 % du montant du marché) comportant occupation domaniale emporte soumission de l'ensemble de l'opération aux règles de transparence et de concurrence. Par exemple, pour les baux emphytéotiques administratifs, comme il y a en général la réalisation d'un ouvrage public, il faudra mettre en concurrence. Tout cela vient du droit communautaire : CJCE, 7 décembre 2000, Teleaustria → l'obligation de concurrence qui s'attache aux actes économiques est inscrite dans le droit primaire des traités, ce qui veut dire que, dès lors qu'on est en présence d'une opération économique sur un marché, elle est soumise à une concurrence adaptée à l'objet du marché.

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Ensuite, quand l'occupation domaniale peut être une distorsion de concurrence sur un marché sur lequel ce titre va constituer un avantage de concurrence considérable. Exemple des occupations du domaine public aéroportuaire, les loueurs de voitures ont des droits de place dans les aéroports. Au moment d'attribuer ces titres sur le domaine aéroportuaire, il faut ouvrir la concurrence et donc permettre aux différentes offres de se manifester (CE, 26 mars 1999, Société EDA). Le contentieux du Stade Jean Bouin. Il était soutenu qu'il y avait une opération de marché et que l'occupation du domaine public devait être soumise à la concurrence et qu'il fallait procéder à une mécanique de transparence et d'appel à la concurrence. C'est ce qu'avaient jugé le TA et la CAA de Paris. Le Conseil d'État retient une formule un peu différente. CE, 3 décembre 2010, Ville de Paris et association Stade Jean Bouin. Le Conseil d'État commence par rappeler qu'il n'y a rien dans le CGPPP. Cela dit, si le propriétaire public choisit de mettre en concurrence, il faut mener la procédure jusqu'au bout. Enfin, le Conseil d'État dit qu'il n'y a pas d'acte structurant la concurrence. Sur ce dernier point, il n'est pas certain que l'arrêt Jean Bouin soit le dernier mot de la question parce que c'est incompatible avec la jurisprudence communautaire. La jurisprudence communautaire a développé une construction dite des facilités essentielles qui consiste à dire que lorsqu'un équipement est un atout déterminant dans la concurrence, l'accès à cet équipement matérialisé par l'occupation doit se faire dans l'égalité (c'est-à-dire transparence et mise en concurrence). En raison de tout cela, alors même qu'elles n'y sont pas obligées, les personnes publiques ont naturellement tendance à recourir à ces procédures de mise en concurrence. Pourquoi ? Parce que ça leur permet de dégager l'offre la plus rentable et la plus performante et, surtout, parce que ça ôte tout soupçon de favoritisme et d'arrangement direct. Donc, la procédure de transparence qui peut sembler un piège du point de vue du contentieux est, au contraire, une forme de garantie contre ce type de suspicions. §2 – La redevance

A – Le principe de la redevance C'est l'article L.2125-1 du CGPPP qui dispose que « Toute occupation du domaine public d'une personne publique donne lieu au paiement d'une redevance ». C'est donc un principe absolu et législatif. Il ne peut y être dérogé que par la loi (CE, 10 juin 2010, Société des autoroutes Esterel Côte d'Azur). Cette exigence d'un texte législatif s'étend également au mode de fixation du montant de la redevance (CE, 21 mars 2003, Syndicat intercommunal de la périphérie de Paris pour l'électricité et les réseaux). Le Conseil d'État est même allé plus loin puisqu'il a considéré qu'un occupant sans titre du domaine public pouvait tout de même être soumis à redevance. Ce principe législatif d'une redevance comporte des exceptions qui sont des hypothèses de gratuité. L'article L.2125-1 indique certaines exceptions. – Une occupation qui est la condition naturelle et forcée de l'exécution de travaux et qui bénéficie gratuitement à tous. – Une loi du 20 décembre 2007 qui concerne les collectivités locales permet la gratuité lorsque l'occupation ne présente pas un objet commercial pour le bénéficiaire de l'occupation mais il faut que l'organe délibérant ait spécialement accordé la gratuité. – Enfin, les radars installés sur le domaine public (cf. p. 65). Par ailleurs, des rapports successifs de la Cour des comptes ont au contraire attiré l'attention sur la nécessité de faire respecter ce principe d'exigence d'une redevance qui est une contrepartie de l'occupation.

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B – Nature juridique de la redevance La première doctrine, celle de Berthélemy, l'assimile à un loyer. Cette conception ne pouvait pas survivre à la réglementation des loyers, notamment des loyers d'habitation. Cette réglementation n'était pas adaptée aux occupations domaniales. Très rapidement, on a proposé d'y voir une taxe assimilée aux contributions indirectes. CE, 2 mai 1969, Société Affichage Giraudy → on y a vu simplement un produit de la gestion du domaine public. CE, 20 octobre 1997, SA Papeteries Étienne c/ Voies navigables de France → la jurisprudence ultérieure a considéré que c'était une redevance de nature spécifique qui n'était ni une imposition directe, ni une imposition indirecte et qu'elle devait être également distinguée des redevances pour service rendu. Ce qui est rémunéré par la redevance n'est donc pas un service. C'est une sorte de participation à l'activité économique qui va être développée par l'occupant. Il ne peut avoir cette activité que grâce à cette occupation, il est donc légitime qu'une partie de l'avantage économique qu'il tire de cette occupation revienne au propriétaire domanial. Ceci va avoir une conséquence sur le montant des redevances. Il y a un principe de révision triennale, tous les trois ans, pour calculer combien gagne l'occupant de l'occupation. La redevance est donc un acte unilatéral. Elle peut être recouvrée par voie d'État exécutoire. Elle se prescrit par 5 ans. Il faut bien distinguer les redevances pour service rendu des redevances d'occupation. Dans le cas de la redevance pour service rendu, l'administration est prestataire et rend un service à l'administré. La redevance domaniale, c'est la contrepartie du droit d'être sur le domaine public et d'en tirer des avantages.

C – Montant de la redevance L'article L.2125-3 du CGPPP dispose que « La redevance due pour l'occupation ou l'utilisation du domaine public tient compte des avantages de toute nature procurés au titulaire de l'autorisation ». Il n'empêche qu'elle est gouvernée par le principe d'égalité. Cela veut dire qu'elle va résulter d'un tarif sur les bénéfices. La question s'est posée lorsqu'on a voulu accueillir quatre opérateurs sur les marchés des télécommunications hertziennes. Il s'agissait du même type d'occupation. Mais l'un des opérateurs s'était retiré estimant que c'était trop cher (Bouygues). Il est entré plus tard quand c'était moins cher. Les deux autres qui étaient là depuis le début ont demandé du coup que la redevance soit baissée comme pour le nouvel arrivant. Enfin, quand le quatrième arrive (Free), il dit que c'est trop cher, alors on le fait rentrer avec une grille de tarif divisée par 3. C'est pour ça que l'occupation domaniale de Free représente le tiers des occupations hertziennes des trois autres opérateurs. Ce mécanisme d'indexation sur les résultats de l'exploitation est un mécanisme économiquement performant parce qu'il aboutit, d'une part, à ne pas écraser les investissements de l'opérateur par des charges de redevance excessives et, d'autre part, à associer le propriétaire domanial aux avantages que l'occupant retire. Sur ces principes généraux se greffent des textes spéciaux qui fixent unilatéralement le montant des redevances. Les plus anciens concernent les redevances établies à la charge des réseaux d'électricité ou de téléphonie le long des routes. De la même façon, le montant des redevances pour l'installation de câbles souterrains est fixé par le législateur.

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§3 – La protection de l'occupant domanial

A – Protection en cours d'occupation Pendant que le titre s'exécute, l'occupant domanial est protégé vis-à-vis des tiers car il dispose de l'action possessoire du Code civil (dans les limites de l'occupation). Protection aussi vis-à-vis de l'administration. L'administration reste propriétaire au domaine mais il faut le protéger contre les initiatives de l'administration propriétaire qui viendraient perturber l'exécution de son titre d'occupation. À cet égard, la jurisprudence fait une grande distinction. Si les travaux décidés et exécutés par l'administration sur le domaine occupé sont faits dans l'intérêt du domaine occupé (par exemple, élargissement d'une voirie), il est jugé que l'occupant domanial n'a pas droit à indemnisation. En revanche, si les travaux sont faits dans un intérêt autre que celui du domaine occupé (par exemple, une voie de tramway qui va réduire la voirie), l'occupant a droit à indemnisation (CE, 23 juillet 2000, Société de distribution de chaleur de Saint-Denis). Cette distinction peut céder devant des stipulations conventionnelles.

B – Protection en fin de titre Le titre d'occupation domaniale, même délivré pour une durée déterminée, est précaire. On peut y mettre fin prématurément sans faute de l'occupant. Là encore, même distinction. Si les travaux entrepris dans l'intérêt du domaine mettent fin prématurément à l'occupation, pas d'indemnisation et, si ces travaux sont entrepris dans un intérêt autre que celui du domaine et mettent fin prématurément à l'occupation, indemnisation. En outre, le principe est ici que, en matière d'occupation conventionnelle, il y a toujours lieu à indemnisation. Enfin, certaines lois spéciales, et notamment la loi du 25 juillet 1994 en matière d'installation de télécommunication hertzienne, ont posé le principe que pour des droits réels sur le domaine de l'État, les autorisations correspondantes ne pouvaient être retirées que pour un motif d'intérêt général et moyennant indemnisation. Comment se détermine cette indemnisation ? Les principes sont ceux qui s'appliquent en matière de concession : l'indemnisation du préjudice subi par l'obligation de reconfigurer l'installation autorisée et, s'il y a retrait, l'indemnisation du manque à gagner soit déterminée conventionnellement, soit sur dires d'expert sur la base de projections d'avenir. §4 – Les droits de l'occupant sur les installations réalisées Si on veut accueillir sur le domaine des investisseurs qui occupent le domaine pour y développer une exploitation qui valorisera le domaine, il faut sécuriser leur titre. Il faut reconnaître à l'occupant domanial un droit qui va en faire une sorte de propriétaire pour une durée limitée. La grande distinction est entre deux hypothèses. Première hypothèse, celle d'une occupation consentie pour des installations que l'occupant réalise pour ses intérêts propres, pour ses besoins propres. Pour ces occupations, sur lesquelles l'occupant arrive avec son matériel, on a reconnu l'existence d'un droit réel non pas sur le domaine lui-même mais sur les installations réalisées sur le domaine. Hauriou parle de droit réel administratif qui est un droit qui comporte tous les éléments de la propriété sauf la perpétuité, l'abusus et son opposabilité au propriétaire domanial. Cette construction du droit réel administratif rend bien compte de cette situation. Dans cette

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hypothèse, le Conseil d'État a reconnu l'existence de ces droits réels administratifs. Par exemple, CE, 27 février 1995, Secrétaire d'État à la mer c/ Torre → des ouvrages réalisés par le titulaire d'une occupation du domaine public maritime sont la propriété de l'occupant qui en conserve la propriété en fin de titre. CE, 21 avril 1997, Ministre du Budget c/ société Sagifa → l'appropriation privative des installations superficielles édifiées sur le domaine rend l'intéressé redevable de la taxe foncière comme un propriétaire (l'appropriation privative est donc confirmée). L'ensemble des dispositifs de mobiliers urbains est la propriété des sociétés qui les installent. Enfin, CE, 7 juin 2010, Montravers → l'appropriation privative d'installations superficielles édifiées ou acquises par le titulaire d'une autorisation d'occupation temporaire du domaine public n'est pas incompatible avec l'inaliénabilité du domaine public lorsque l'autorisation de l'occuper n'a pas été accordée en vue de répondre aux besoins du service public auquel le domaine public est affecté (on dit la même chose que l'arrêt Sagifa mais en sens inverse). Seconde hypothèse, les droits de l'occupant sur des installations qu'il réalise ou qu'il acquiert mais qui sont affectées, au moins partiellement, au service public ou à l'intérêt général. Ce sont les occupations de valorisation du domaine. Là, on voit l'occupant comme un collaborateur et non plus comme un intrus qu'on accueille (comme dans la première hypothèse). Là, il faut véritablement sécuriser son titre, lui reconnaître un droit réel, la possibilité d'hypothéquer, de recourir au crédit-bail… bref, il doit avoir entre les mais les outils de valorisation de la propriété. Mais ces droits portent sur quelque chose qui n'est pas indifférent à l'intérêt général, donc réapparaît le principe d'inaliénabilité qui protège le bien en question. Comment s'établit le droit positif ? D'abord, il s'établit de façon peu claire et il est rythmé par des considérations immédiates selon des textes spécifiques. Ce droit se construit progressivement au coup par coup. Il se construit sur la base d'un principe négatif. Le principe de départ est en effet qu'on ne peut pas consentir de droit réel à un tiers, en l'espèce à l'occupant du domaine public, sur le bien du domaine public (CE Avis, 30 mars 1989). Puis, il est apparu que cette proposition négative était contre-performante et qu'elle bloquerait les investissements des occupants. Sont alors arrivées des exceptions au principe. Par exemple, la loi du 5 janvier 1988 qui a inventé le bail emphytéotique administratif. Idem dans la loi du 25 juillet 1994 qui concerne des droits réels sur le domaine de l'État. Nous sommes arrivés aujourd'hui à une situation paradoxale car ces exceptions se sont multipliées et cela conduit à douter du principe. La « reconquête » des droits réels de l'occupant domanial par la loi. a) Les baux emphytéotiques de la loi du 5 janvier 1988. Cette loi est une réponse à la décision Eurolat qui avait posé le principe qu'on ne pouvait pas consentir de droit réel à l'occupant domanial même dans la réalisation d'un ouvrage d'intérêt général. La loi de 1988, dont l'article 13 est repris aujourd'hui aux articles L.1311-2 et L.1311-3 du CGCT, permet aux collectivités locales, sur les biens non protégés par les contraventions de voirie, de consentir un bail emphytéotique de l'article L.451-1 du Code rural sur un bien immobilier d'une collectivité territoriale même si ce bien constitue une dépendance du domaine public. Ce bail emphytéotique a été utilisé par les collectivités locales et il a été élargi par des textes ultérieurs pour la réalisation d'édifices cultuelles et d'enceintes sportives. Par ailleurs, le Conseil d'État a considéré que ce contrat était un contrat administratif, même s'il vient du droit rural, donc du droit privé. Cette ouverture a été considérablement élargie par la jurisprudence. CE, 25 février 1994, SA Sofap-Marignan immobilier. La mairie de Lille veut construire sur un terrain des bureaux qui seront l'extension de la mairie. Elle n'a pas d'argent pour cela. Elle va donc décider d'accorder à une entreprise un titre d'occupation domaniale pour réaliser cette ouvrage d'intérêt général. Elle va conférer un droit réel à cet investisseur. Il va en être propriétaire et, en tant que tel, il va louer à la ville les locaux qu'il a réalisés sur le terrain qui est propriété de la ville. Première objection, c'est un détournement de procédure car au fond, c'est un marché de travaux publics puisque les travaux sont réalisés pour le compte de la ville de Lille et il faut passer par les procédures du Code des marchés publics. Le TA de Lille condamne donc l'opération. Le Conseil d'État, au contraire, dit qu'on peut consentir un droit d'occupation qui va transférer la maîtrise de

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l'ouvrage à l'occupant pour réaliser un ouvrage pour le compte du propriétaire public. Ce qui fait que la collectivité locale va bénéficier d'un pré-financement de l'ouvrage qu'elle rémunère par le versement des loyers. L'équilibre de l'opération étant que le propriétaire reste jusqu'à ce que les loyers aient amorti l'investissement qu'il avait fait. Donc, le bail emphytéotique administratif permet de réaliser, à travers des occupations domaniales, des investissements d'intérêt général que le maître du domaine ne peut pas financer. Par ailleurs, le Conseil d'État a dit que le bail emphytéotique administratif n'est pas un marché public mais il est quand même un contrat de la commande publique et, donc, il faut respecter la jurisprudence Teleaustria, c'est-à-dire un minimum de transparence et de concurrence. b) Les droits réels de la loi du 25 juillet 1994. Même réflexion de départ mais, cette fois-ci, sur le domaine de l'État. Il est prévu une autorisation d'occupation du domaine public constitutive de droits réels et dont la durée ne peut pas excéder 70 ans. Ces droits réels confèrent donc à l'occupant un droit du type du droit de propriété. CE Avis, 31 janvier 1995 → le Conseil d'État dit que ce droit réel peut être consenti à un occupant pour la réalisation d'un investissement pour le compte du propriétaire domanial qu'il va exploiter comme propriétaire pendant la durée de son titre et qui lui permettra d'accueillir le propriétaire du domaine comme locataire de l'ouvrage qu'il a réalisé. C'est la transposition de la solution des baux emphytéotiques administratifs sur un autre outil juridique. c) Textes législatifs ultérieurs : contrats globaux et contrats de partenariat. Les exceptions vont se multiplier pour répondre à chaque fois à des besoins du moment. Exemple des lois de 2002 (la loi du 29 août 2002 et la loi du 9 septembre 2002) qui permettent des marchés dérogatoires pour la construction d'immeubles affectés à la police ou à la gendarmerie (première loi) et aux prison ou à l'administration pénitentiaire (seconde loi). L'ordonnance du 4 septembre 2004 qui concerne les baux emphytéotiques administratifs « santé » pour le secteur hospitalier. La formule est à peu près la même que celle du BEA mais améliorée avec notamment des mécanismes de cession de créance. Arrive l'idée de faire masse de toutes ces dérogations et c'est l'idée qui inspire les contrats de partenariat public/privé. Ils sont nés d'une habilitation législative, celle de la loi du 2 juillet 2003. L'habilitation était de définir un contrat qui permette de confier au cocontractant de l'administration la réalisation d'un ouvrage, la maintenance de cet ouvrage, la gestion de cet ouvrage et son entretien pendant une durée calée sur l'importance de l'investissement. Donc un contrat global mais dont l'objet ne peut pas être une délégation de service public. On va demander au cocontractant un effort financier important. Le cocontractant sera titulaire d'un droit réel sur les ouvrages qu'il réalise. Cette loi d'habitation est soumise au Conseil constitutionnel qui va faire des réserves d'interprétation. Ce qui pose problème, c'est « la généralisation de ce procédé [qui] est de nature à affecter les finances publiques, les propriétés publiques et l'égalité dans la concurrence ». La décision dit que c'est bien mais il ne faut pas en faire trop. Donc, il faut introduire dans l'ordonnance un élément de tempérament. Pourquoi le Conseil constitutionnel a-t-il rendu cette décision ? Première considération, purement économique, ces contrats de partenariat ne sont accessibles qu'aux gros opérateurs et ils sont mal vus par les PME. Seconde considération, l'aspect financier. C'est plus facile pour le propriétaire public d'accorder un droit réel qui va permettre le pré-financement que de payer mais, si ça se trouve, cela coûtera plus cher que si on avait suivi un financement habituel. Troisième considération, il y a l'idée qu'il faut garder la maîtrise de l'ouvrage car on est sur le domaine public alors que, là, on investit l'occupant comme propriétaire. Donc, le droit constitutionnel encadre les contrats de partenariat par ces réserves d'interprétation. Les contrats de partenariat vont voir le jour avec l'ordonnance du 17 juin 2004. Le contrat de partenariat est défini par son objet : concevoir un ouvrage, le réaliser, le financer, le gérer ainsi que les activités qu'il

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accueille. L'article 13 de l'ordonnance dit clairement que du fait même du contrat, de plein droit, le cocontractant a des droits réels sur les ouvrages et installations qu'il réalise et ces droits réels comportent la disposition des droits et obligations du propriétaire. La loi du 28 juillet 2008 a ajouté une possibilité. Dans un contrat de partenariat important, on va partir d'un ouvrage existant que l'on va reconstruire, compléter, moderniser. Se faisant, pourquoi ne pas en profiter pour redéfinir les emprises du domaine public et dégager des emprises qui deviennent des emprises du domaine privé ? L'opération va voir son coût réduit. La loi de 2008 permet aussi de mandater le partenaire pour valoriser ces terrains rendus au domaine privé parce qu'il sait mieux gérer le foncier que la personne publique. C'est l'entreprise partenaire qui va solliciter le marché et consentir des baux pour le compte de l'État. d) Les baux emphytéotiques de valorisation. Cela concernait un projet de valorisation de l'Hôtel de la Marine. On envisage un bail emphytéotique administratif, mais l'Hôtel de la Marine est la propriété de l'État, or, le BEA est réservé aux collectivités territoriales. Le législateur va donc intervenir, loi du 23 juillet 2010 reprise à l'article L.2341-1 du CGPPP, et permettre à l'État de consentir sur un bien lui appartenant un BEA, dit BEA de valorisation, différent du BEA de la loi de 1988. e) L'usufruit administratif. Pour les besoins d'un pré-financement pour un satellite militaire, la loi de finances pour 2010 du 30 décembre 2009 permet à l'État de céder un droit d'usufruit sur le système de communication militaire par satellite. Dans tous les cas que l'on vient de voir, l'idée est financière. On veut un financement par un partenaire privé et celui-ci veut une contrepartie qu'il trouve dans la disposition d'un droit démembré du droit de propriété qui lui permettra de percevoir un certain nombre de recettes engendrées par l'exploitation. Tous ces textes posent un certain nombre de problèmes. Tout d'abord, ne faut-il pas unifier ces procédés du point de vue de la gestion du droit réel ? Ensuite, quelle est la portée de ce droit réel ? Par ailleurs, on a été victimes d'une certaine étroitesse de réflexion de la doctrine privatiste initiale au moment de l'émergence du droit de superficie (droit de propriété qu'a une personne sur les constructions alors que le propriétaire du sol est différent). Selon cette doctrine, il y a un droit sur le sol et un droit sur les constructions réalisées. Le droit qui est conféré à l'occupant, c'est le droit sur les constructions réalisées qui est distinct du droit sur le sol. C'est une vision physique des choses qui n'a aucun sens car le sol est évidemment impliqué dans l'opération de construction. La construction, en s'implantant dans le sol, redéfinit le sol. Il n'y a pas dissociation de la propriété mais dissociation du droit ! Le droit réel conféré porte sur le tout, mais les attributs du propriétaire sont éclatés. Enfin, faudrait-il renverser le principe, ne distinguant plus entre les hypothèses où l'occupation permet de réaliser des installations dans l'intérêt de l'occupant, il en est propriétaire, et les hypothèses où il en est propriétaire que s'il y a un texte législatif ? Faudrait-il considérer qu'il est de plein droit, comme pour les contrats de partenariat, un propriétaire à durée limitée ? En l'état de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, cela n'est pas possible. §5 – La précarité des occupations domaniales C'est la conséquence nécessaire de la compatibilité de l'occupation. La compatibilité doit être vérifiée en permanence et, quand elle n'existe plus, même si le titre n'a pas expiré et que l'occupant n'a pas commis de faute, l'occupation cesse. C'est le caractère précaire de l'occupation. C'est au maître du domaine d'apprécier si l'occupation est toujours compatible ou si, au contraire, elle doit être révoquée.

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Ce principe est un principe législatif et ne peut donc être aménagé que par la loi. La loi l'a aménagé dans un certain nombre de cas, notamment dans la loi du 17 janvier 1989 qui concerne les licences de communication électronique dans laquelle il est prévu un droit au renouvellement, en raison de l'importance de l'investissement, qui est donc un aménagement à la précarité. Cette précarité est-elle compatible avec le protocole #1 annexé à la Conv. EDH ? Ce protocole a une conception large de la notion de bien et considère comme un bien une situation acquise comme celle d'un occupant compatible. La Cour EDH l'a jugé à propos d'une occupation du domaine public et que constitue une privation de propriété d'écarter, au nom de la précarité de l'occupation domaniale, un occupant du domaine public (CEDH, 30 novembre 2004, Öneryidiz c/ Turquie cf. p. 56). Dans un premier temps, on ne peut révoquer le titre que pour des raisons tenant à l'intérêt du domaine occupé, aux besoins du service public pour l'utilisation normale du domaine. Ensuite, la jurisprudence va admettre des considérations de plus en plus nombreuses (par exemple, un intérêt de moralité, un intérêt d'esthétique, le fait de laisser à des tiers la disposition de l'emplacement, la création d'un service public qui utiliserait cette emprise domaniale). Dès lors, la question se limite au point de savoir si un intérêt purement financier constitue un motif d'intérêt général permettant de résilier un titre d'occupation du domaine public. CAA Paris, 2 avril 2009, Société Veolia eau → un motif purement financier ne constitue pas un motif d'intérêt général permettant de résilier un titre d'occupation du domaine public. Enfin, cette révocation se fait-elle à titre onéreux ? Si le titre est conventionnel, il y a lieu à indemnisation selon les principes généraux de résiliation dans l'intérêt public des contrats administratifs. En revanche, si le titre est unilatéral, la jurisprudence a considéré que NON car l'autorisation avait été donnée dans les limites de son objet qui comprenait la précarité et qu'on était dans l'exercice normal du titre. Ce dualisme logique a un peu éclaté parce que la frontière du conventionnel et de l'unilatéral est parfois flou (les autorisations avec charges négociées et parfois conventions annexées sont-elles toujours des actes unilatéraux ?). En dehors même des occupations domaniales, la jurisprudence a eu tendance, à l'égard des actes de régulation qui font sauter la frontière entre l'acte unilatéral et le contrat, à considérer qu'il pouvait y avoir lieu à indemnisation. Donc, cette évolution va dans le sens d'un élargissement de l'indemnisation.

CHAPITRE 3 : LE VOISINAGE DU DOMAINE PUBLIC Cette situation est une situation extrêmement importante dans la réalité des choses. Le voisin est aussi dans une situation particulière car le domaine public accueille sur sa propriété une activité d'intérêt général qui peut « bousculer » le voisin proprement dit. En même temps, elle peut aussi être source de richesses pour lui. Section 1 : La délimitation du domaine public En droit privé, il existe une action en bornage qui fait que, à défaut d'entendre des propriétaires, c'est le juge qui va procéder au bornage et cette action en bornage est assez étroitement réglementée par le Code civil. La réponse de principe est que l'action en bornage ne s'applique pas aux propriétés publiques. Nous sommes en présence de deux régimes autonomes qui sont définis différemment et qui ne s'alignent sur le bornage du Code civil que lorsque le texte y renvoie. Il y a cependant une obligation commune à ces deux régimes qui pèsent sur l'administration, celle de délimiter le domaine public. Elle le fait de façon unilatérale mais elle a obligation de le faire si elle en est sollicitée par le riverain. CE, 6 février 1976, Secrétaire d'État aux transports c/ société Villa Miramar →

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aucune disposition législative ou réglementaire ne confère à l'administration le pouvoir de refuser de procéder à la délimitation du domaine public pour des motifs d'opportunité. Elle a donc une compétence liée. Elle doit délimiter le domaine public elle-même, elle n'a pas le droit de demander au juge de le faire à sa place. Cette obligation de délimiter le domaine public ne pèse sur l'administration que si elle fait suite à une demande du voisin. Il n'y a que le voisin qui peut mobiliser cette compétence liée de l'administration. CE, 13 février 2002, Ministre de l'Équipement et des transports c/ Association pour la défense de l'environnement du Golfe Juan-Vallauris → la délimitation du domaine public maritime ne peut pas être demandée par une association de protection de la nature car elle n'est pas le fonds voisin de celui de l'administration. – Pour la délimitation des voies ferrées, il y a un renvoie au Code civil avec un bornage contradictoire. – Il y a des procédures spécifiques pour la délimitation du domaine public maritime. – Pour le domaine public des établissements publics, en général, il est renvoyé au bornage du Code civil. – Pour le domaine public routier, il y a une procédure spécifique qui est définie par le Code de la voirie routière et qui correspond au classement de la voirie et qui est complétée par la procédure d'alignement. §1 – La délimitation du domaine public naturel La délimitation du domaine public naturel résulte d'un acte administratif unilatéral. Cette délimitation a un caractère purement déclaratif, c'est-à-dire que la compétence de l'administration consiste à rendre compte dans la délimitation du phénomène naturel qui crée le domaine public (rendre compte des marées qui créent le domaine public par exemple). L'administration ne peut que constater l'existence des phénomènes physiques. Comme ces phénomènes physiques évoluent dans le temps, il n'y a jamais de droit acquis à une délimitation du domaine public naturel. C'est une constatation du moment qui devra être relayée sur demande par une autre constatation. La décision de l'administration est susceptible de REP et le juge de l'excès de pouvoir vérifie le caractère purement déclaratif de cette délimitation du domaine public naturel. Peut-il y avoir également un contentieux de l'indemnisation qui tiendrait au fait que la délimitation est irrégulière et qu'elle a empiété sur la propriété privée au lieu de constater le phénomène naturel ? Cette action est possible mais est-elle de droit privé ou de droit public ? Pendant longtemps, la doctrine et la jurisprudence considéraient que l'une et l'autre voies étaient ouvertes. Depuis 2000, le fait que le juge administratif se soit doté d'une procédure de référé-liberté a pour objet de lui permettre de renier sur ce qui était la voie de fait devant le juge judiciaire. §2 – La délimitation du domaine public artificiel (voirie routière) : l'alignement Cette procédure présente un intérêt considérable car il n'est guère de propriété privée qui ne débouche sur la voirie terrestre. Donc, les rapports de délimitation entre les propriétés et la voirie terrestre sont des rapports qui se délimitent de façon spécifique. Le texte qui s'applique et une ordonnance d'Henri IV de 1607. Cette ordonnance définit la procédure d'alignement de façon très complète. Cette procédure comprend deux éléments : le plan d'alignement et l'alignement individuel.

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A – Le plan d'alignement Pour une voirie déterminée, c'est l'élaboration d'un plan qui tient compte de la configuration de la voirie et de ce qu'elle doit devenir. À l'occasion de l'élaboration de ce plan qui est fait unilatéralement par l'administration, l'administration a un certain nombre de prérogatives. Elle peut modifier les limites de la voirie et elle détient pour cela un pouvoir discrétionnaire. – Si la voirie est rétrécie, les délaissés de voirie tombent dans le domaine privé et les propriétaires riverains ont un droit de priorité pour acquérir ces délaissés de voirie. – Si, au contraire, le plan d'alignement élargit la voirie, les effets sont différents selon que ces élargissements portent sur des terrains nus ou des terrains bâtis. • Lorsque cela porte sur des terrains nus, le plan d'alignement incorpore ces terrains nus à la nouvelle voirie moyennant indemnisation. • En revanche, lorsqu'il s'agit de terrains bâtis, le plan d'alignement n'a pas cet effet d'expropriation immédiate, il a pour effet de créer une servitude d'alignement ou de reculement. Le propriétaire reste propriétaire mais pèse sur lui l'interdiction de faire des travaux confortatifs. Ce plan d'alignement est un acte administratif réglementaire qui peut faire l'objet d'un REP et qui doit être publié. Cet alignement est un procédé extrêmement énergique. La propriété privée subit un préjudice considérable du fait de l'institution unilatérale de la servitude de reculement. Donc la propriété va perdre de sa valeur vénale. Ou bien, cette dévaluation ayant joué, l'administration va exproprier mais elle paiera beaucoup moins cher, ou bien elle va attendre simplement la ruine de l'immeuble et à ce moment là on prendra le relais avec un arrêté de péril qui obligera le propriétaire à démolir et on expropriera comme un terrain nu. Ce procédé constitue donc une rude atteinte à la propriété privée. Cela explique que la servitude de reculement ait fait l'objet d'une QPC. CC, 2 décembre 2011 → le Conseil constitutionnel a apprécié la conformité à la Constitution de l'ordonnance de 1607 et, dans cette décision, il agit par voie de réserve d'interprétation. Il constate que la servitude de reculement correspond à une atteinte aux conditions d'exercice du droit de propriété (impossibilité de vendre) et que cette atteinte serait disproportionnée au regard des objectifs poursuivis si l'indemnité due à l'occasion du transfert de propriété ne réparait également le préjudice subi du fait de la servitude de reculement. Donc, l'indemnité d'expropriation devra être calculée sur la valeur du bien avant la servitude de reculement. Une autre voie eu été de prévoir que la servitude de reculement était établie immédiatement à titre onéreux, cela aurait simplifié les choses.

B – L'alignement individuel L'alignement individuel est la décision individuelle qui indique à la demande d'un propriétaire quel est l'alignement qui s'applique à son bien. C'est donc la mise en œuvre du plan d'alignement. C'est un acte administratif individuel et purement déclaratif.

C – Le droit de l'alignement : aspects constitutionnels et conventionnels

La jurisprudence a fixé certaines limites à l'administration dans cette redéfinition de l'emprise de la voirie. D'abord, lorsqu'il s'agit d'une voie existante, l'alignement est limité dans sa portée. L'alignement ne peut pas servir à modifier l'axe de la voirie. CE, 24 juillet 1987, Commune de Sannat → le Conseil d'État dit que la procédure d'alignement ne saurait s'appliquer à des modifications qui comportent une emprise trop

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importante sur le terrain privé bordant la voie publique. Lorsque l'alignement rend le bâtiment inutilisable, l'alignement n'est pas possible, il faut passer par la voie de l'expropriation. Lorsque l'alignement porte sur une voie nouvelle, il ne rentre en vigueur que lors de la réalisation de cette voie. On s'est posé la question de savoir si l'alignement était compatible avec la jurisprudence Baudon de Mony (Cass., 6 janvier 1994) qui dit qu'un transfert de propriété non demandé par le propriétaire ne peut intervenir qu'après une procédure régulière d'expropriation, donc pas a priori d'une procédure d'alignement. Le Conseil constitutionnel a dit que c'était une atteinte à l'exercice du droit de propriété et que, si cette atteinte se faisait moyennant indemnisation, il n'y avait pas de contradiction avec le principe de la jurisprudence Baudon de Mony. Du point de vue de la Conv. EDH, cette atteinte à la propriété qu'est l'alignement est-elle conforme au protocole #1. Le débat reste ouvert car il ne s'est jamais présenté sous cette forme là devant la Cour EDH. Section 2 : Le domaine public et les rapports de voisinage Les rapports de voisinage doivent être compris en tenant compte que l'un des fonds, le fonds public, a des prérogatives spécifiques au nom de l'activité qu'il accueille et, d'autre part, que ces rapports de voisinage s'établissent de plus en plus en volume, ce qui fait que les rapports horizontaux deviennent des rapports verticaux. Or, dès lors qu'il y a du domaine public, il ne peut pas y avoir application de la loi sur la copropriété. Donc, il va falloir tisser un réseaux de servitudes propres et on ne pourra pas le faire sur la base de la copropriété. §1 – Les charges de voisinage au profit du domaine public Le domaine public est le fonds dominant qui a donc un certain nombre de droits réels sur le fonds servant.

A – Les charges de droit commun Le propriétaire domanial bénéficie d'un certain nombre de droits énumérés par la loi sur le fonds privé voisin. Il bénéficie, en tant que propriétaire, des mêmes droits sur le fonds servant que ceux qui seraient exercés par un propriétaire privé. Donc, ce n'est pas lié à la domanialité publique mais à la propriété. Cette solution est ancienne et a même été considérée comme l'élément déterminant pour reconnaître une propriété sur la dépendance du domaine public. Autour des années 1900, il y a eu toute une série de contentieux sur la mitoyenneté. L'article 661 du Code civil impose au propriétaire la cession de mitoyenneté avec le fonds voisin. Cette obligation pèse sur le propriétaire. Que le bien soit une dépendance du domaine public, cela ne change rien vis-à-vis de la disposition des attributs du propriétaire de ce bien vis-à-vis des voisins de ce bien en terme de servitudes.

B – La question des servitudes administratives Cette dénomination regroupe deux variétés de servitudes administratives. D'une part, les vraies servitudes, celles du Code civil, qui mettent en rapport un fonds dominant et un fonds servant et qui établissent entre ces deux fonds des rapports réels. Et, d'autre part, des contraintes générales qui sont imposées aux propriétés privées pour des motifs d'intérêt général au sens large. Les fausses servitudes d'urbanisme. Il en existe un certain nombre qui sont la conséquence de considérations d'intérêt général ou de certaines utilisations du domaine public. Par exemple, il existe des servitudes de passage sur les propriétés privées au bénéfice des installations électriques et téléphoniques.

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Les servitudes administratives. Un plan local d'urbanisme définit des zones et, après, un document qui s'appelle une liste des servitudes établit une liste des obligations en fonction des zones dans lesquelles elles sont rangées de respecter des règles de gabarit, de hauteur, d'espacement, etc. Il existe des vraies servitudes au profit du domaine public qui sont en fonction des affectations données aux dépendances. Les servitudes de voirie. Les propriétés qui bordent la voirie sont tenues à des servitudes qui ont augmenté. Par exemple, le voisin a l'obligation de couper les arbres à proximité de la voirie pour des raisons de visibilité. Il y a aussi des servitudes très intéressantes. Par exemple, certains propriétaires ont l'obligation de déneiger la voirie pour dégager le passage. La servitude de halage et de marchepied. Cette servitude qui s'exerce sur les propriétés riveraines des cours d'eau avait pour objet de laisser passer les halages qui tiraient les navires. Cette servitude, le halage n'existant plus, s'est transformée en une servitude pour l'installation des pêcheurs. Il y a des servitudes aéronautiques à proximité des aéroports. Il y a la servitude de passage le long des rivages de la mer qui est une servitude qui pèsent sur le propriétés qui doivent laisser le passage. Quelle est la nature de ces servitudes ? Il y a des rapports de fonds à fonds et la tendance a considéré que ce sont des servitudes de la nature du Code civil mais instituées par des textes. D'abord, comme le domaine public, ces servitudes sont inaliénables et imprescriptibles. Ensuite, certaines d'entre elles sont protégées comme certaines dépendances du domaine public par les contraventions de voirie. §2 – Les charges de voisinage grevant le domaine public Les servitudes légales du Code civil ne sont pas applicables sur le domaine public. Ces servitudes légales, ce sont celles qui s'appliquent par le fait de la loi automatiquement parce que les fonds sont voisins. Cela a été confirmé par la Cour de cassation (Cass. civ. 1ère, 2 mars 1994, Société Escota) mais elle rattache cela à l'inaliénabilité ce qui est inexact. Pourquoi ? Parce qu'on peut établir des conventions de servitude sur le domaine public dès lors qu'elles respectent l'affectation. Les servitudes conventionnelles compatibles avec l'affectation. L'article L.2122-4 du CGPPP qui dispose que « Des servitudes établies par conventions passées entre les propriétaires, conformément à l'article 639 du Code civil, peuvent grever des biens des personnes publiques […] qui relèvent du domaine public, dans la mesure où leur existence est compatible avec l'affectation de ceux de ces biens sur lesquels ces servitudes s'exercent ». C'est admettre la liberté conventionnelle d'organiser les rapports réels entre les propriétés riveraines. Ces conventions vont être systématiques dans tous les montages en volume. On a donc la réponse juridique nécessaire dès lors qu'on avait écarté la copropriété. Une discussion s'est ouverte sur ce texte parce que les besoins de l'affectation peuvent changer et la compatibilité peut ne plus être assurée. La réponse est dans le droit de l'expropriation qui, depuis 1975, permet d'exproprier une servitude sans exproprier le fonds dominant. Enfin, il y a un cas particulier, c'est le cas des riverains de la voirie routière. Il existe au profit de ces riverains de la voirie publique ce qu'on appelle des aisances de voirie. Ces aisances de voirie sont énumérées par le Code de la voirie routière. Ce sont des droits d'accès, des droits de vue, et des droits d'égouts (d'écoulement des eaux). Pendant longtemps, on a présenté ces aisances de voirie comme des servitudes administratives. Aujourd'hui, on y voit les conséquences normales de l'affectation du domaine routier. C'est parce qu'il est le domaine routier qu'il doit accueillir un droit de passage et qu'il doit assurer l'éclairage des immeubles. On glisse vers quelque chose qui renvoie à l'affectation.

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Que deviennent ces aisances de voirie en cas de modification de la voirie ? D'abord, l'autorité de police ne peut jamais prendre de mesure qui aurait pour objet ou pour effet de priver l'intéressé de la disposition des aisances de voirie (CE, 26 juillet 1947, Durand → annulation de la mesure de police qui privait l'accès d'un riverain à sa propriété). Ensuite, le riverain qui se trouve gêner dans l'utilisation normale du domaine aura droit à une indemnisation. Enfin, que deviennent les aisances de voirie en cas de désaffectation de la voie ? Si l'administration désaffecte la voie, la voie tombe dans le domaine privé et s'appliqueront les servitudes légales ordinaires puisque nous ne sommes plus sur le domaine public, mais si on désaffecte la voirie pour la vendre, le riverain dispose d'un droit de préemption pour l'acquisition des emprises de la voirie en question.

TITRE 3 – LES BIENS DU DOMAINE PRIVÉ Le domaine privé, c'est tout ce qui n'est pas dans le domaine public. C'est une propriété publique qui n'appartient pas au domaine public par application des critères généraux ou qui a été rangé spécialement par la loi dans le domaine privé. Il y a un domaine important qui a été rangé par la loi expressément dans le domaine privé qui est le domaine forestier même s'il fait l'objet d'une réglementation qui le rapproche du domaine public. Autre point, les réserves foncières constituées par les communes ont vocation à être réintroduites dans le circuit économique, à être vendues et là encore le CGPPP dit clairement qu'elles font partie du domaine privé. Ce domaine privé a longtemps été présenté comme un bloc de droit privé. Les choses sont un peu plus compliquées. Bien sûr c'est une propriété et cette propriété est ici libérée du régime d'affectation qu'est la domanialité publique. Donc c'est une propriété qui réapparaît dans tous ses attributs et c'est alors logique qu'elle tende vers le droit civil des biens. Mais le propriétaire, c'est une personne publique et ses actes de gestion même du domaine privé doivent être tournés vers l'intérêt général sous le contrôle du juge administratif. On a fait valoir et on a soutenu que la gestion du domaine privé était un service public en soi. CE, 28 novembre 1975, ONF c/ Abamonte → le Conseil d'État a répondu par la négative. Aujourd'hui, le législateur a repris ceci à son compte. Il n'y a pas de service public de gestion du domaine privé. Les services publics peuvent-ils fonctionner sur le domaine privé ? La réponse est OUI : CE, 20 avril 1956, Ministre de l'Agriculture c/ consorts Grimouard → service public de déboisement dans les forêts (domaine privé) et il y a aussi un service public de lutte contre l'incendie dans les forêts. Quelle est la composition du domaine privé ? Elle est déterminée de deux façons. De façon négative, tout ce qui n'est pas partie du domaine public fait partie du domaine privé. Puis, comme pour le domaine public, il y a également des textes qui autoritairement retiennent l'appartenance au domaine privé. Les deux textes principaux concernent le domaine forestier qui est rangé dans le domaine privé de l'État, de la commune ou du département et les réserves foncières (les biens immobiliers acquis par les collectivités publiques pour être réintroduit dans le circuit commercial). Le domaine privé est avant tout constitué par les modes d'acquisition ordinaire du droit privé. Les personnes publiques peuvent acquérir pleinement des droits démembrés, en copropriété, etc. Ces actes d'acquisition sont purement de droit privé. À côté de ça, peuvent être aussi utilisés des modes d'acquisition propres au droit public qui véhiculent donc des prérogatives de puissance publique alors qu'il ne s'agit pas

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de constituer le domaine public. C'est l'expropriation et les droits de préemption (quand une personne privée veut vendre, ce droit de préemption permet à l'administration de se substituer à l'acquéreur avec lequel le vendeur est en rapport). Quel est le régime des aliénation ? Ici, pas besoin de désaffecter et de déclasser parce que le bien n'est pas dans le domaine public. Cette aliénation est-elle quand même réglementée ? OUI dans la mesure où la collectivité publique ne peut pas vendre à vil prix. Elle ne peut pas accorder de libéralités, c'est-à-dire céder un bien sans contrepartie. Du point de vue de la procédure, y a-t-il des contraintes que la personne publique doit respecter ? Il y a une contrainte assez générale qui est de requérir l'avis du service des domaines qui est un service de l'administration fiscale et qui donne une indication sur la valeur du bien. Cela permet d'éviter des cessions à vil prix. Dès lors que l'avis est affiché, aliéner en dessous du prix est une forme de suspicion et la personne publique devra motiver ce passé outre de l'avis du service des domaines dans le cadre d'une procédure transparente. En revanche, quand la vente se conjugue avec une fourniture de travaux ou de service, cela va baisser le prix du fait de cet « apport en industrie », nous sommes dans un marché public. Donc, il faut respecter le Code des marchés publics et les procédures de concurrence. Le contentieux du domaine privé. On a affirmé pendant un temps que le domaine privé était un bloc de droit privé, donc bloc de compétence du juge judiciaire. C'est vrai dans la mesure où le domaine privé est le droit de propriété à l'état pur, c'est le droit de propriété du Code civil qui n'est pas encadré par la domanialité publique, droit placé sous la protection du juge judiciaire (art. 64 de la Constitution). Mais celui qui met en œuvre ce droit de propriété est une personne publique et va réapparaître une série de titres de compétence du juge administratif. – Dans la gestion du domaine privé, il y a des actes individuels (décision de louer, d'aliéner), puis des actes réglementaires sur l'organisation de la gestion du domaine privé. Ces actes réglementaires concernant la gestion du domaine privé sont de la compétence du juge administratif. – La décision de passer un bail se détache de la passation du bail (théorie des actes détachables). Or, les actes détachables, même d'une opération de droit privé, sont des actes administratifs et sont de la compétence du juge administratif (CE, 1905, Martin). – Sur le domaine privé peuvent fonctionner des services publics. Le fonctionnement de ces services publics relèvent d'une sphère de compétence du juge administratif. – La loi du 28 pluviôse an VIII, compétence du juge administratif si l'on est en présence d'une opération de travail public. Or, le travail public peut être exécuté sur le domaine privé. – La loi du 27 pluviôse an VIII a rangé également la vente des immeubles de l'État dans la compétence du juge administratif et en a fait des contrats administratifs par qualification de la loi. – Enfin, il y a l'application ordinaire des règles de qualification des contrats administratifs (les critères jurisprudentiels) pour des contrats qui s'exécutent sur le domaine privé, et si ce sont des contrats administratifs par qualification de la jurisprudence, ils relèvent de la compétence du juge administratif.

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PARTIE 2 : LES MODES DE CESSION FORCÉE DES BIENS

Pour se procurer des biens, les personnes publiques ont la disposition des attributs ordinaires des sujets de droit. Elle peuvent acquérir par voie contractuelle. Elles peuvent aussi recourir à des procédés de contrainte, des modes de cession forcée, dans lesquels le propriétaire ne veut pas vendre, il est forcé à vendre. La contrepartie, c'est la nécessité d'encadrer ces prérogatives de puissance publique par une réglementation légale qui fixe les hypothèses dans lesquelles elles sont possibles, les conditions dans lesquelles elles s'exercent et qui assure une sanction par le juge de toute méconnaissance de ces conditions. À partir de là, ces procédés de cession forcée peuvent être assez différents et nous en distingueront deux grandes catégories : l'expropriation et la réquisition. L'expropriation ne peut porter que sur un immeuble ou des droits réels, tandis que la réquisition a un objet plus large, elle peut porter sur des immeubles, des meubles, des services ou sur un ensemble (on réquisitionne une entreprise, avec ses immeubles, son matériel voire même son personnel). Par ailleurs, l'expropriation est définitive alors que la réquisition est toujours temporaire et elle doit indiquer le durée pour laquelle elle intervient. Dernière différence, l'expropriation n'existe que sur la base d'un texte qui la permet alors que la réquisition est toujours ouverte, elle est disponible dans tous les domaines où elle s'avère nécessaire pour faire face à une difficulté ou à un danger et y remédier dans l'urgence. L'expropriation et la réquisition ont un objet en commun : l'indemnisation. Mais cette indemnisation ne se détermine pas de la même façon. En effet, l'indemnisation, en matière d'expropriation, fait l'objet d'une consécration constitutionnelle. L'article 17 de la DDHC dit que cette indemnité doit être préalable au transfert de propriété. En matière de réquisition, l'indemnité est une forme de rémunération du service rendu par le requis, donc elle interviendra après coup. On peut rapprocher de ces procédés de cession forcée des privilèges préférentiels qui ne permettent pas à l'administration de prendre l'initiative mais qui permettent en revanche à l'administration de se greffer sur une opération de disposition, qui est le fait d'un particulier, pour se voir préféré à l'acquéreur qui a été pressenti. Ces privilèges préférentiels sont une sorte de procédure plus douce que l'expropriation mais qui au fond permet à l'administration de contrôler les transactions en faisant irruption dans les transactions entre personnes privées pour se présenter comme acquéreur. La tendance a été d'élargir ces hypothèses. Le droit de préemption. Il est apparu dans le monde administratif, sur le modèle de celui qui existait en droit privé, dans le domaine agricole et, dans les années 1970, on a doté les SAFER (sociétés qui procèdent à un remembrement rural pour revendre ensuite des parcelles mieux recomposées) d'un droit de préemption. Quand le propriétaire rural veut vendre, la SAFER peut dire qu'elle achète et elle reconstitue des unités foncières dont la valeur est plus grande et les revend à un agriculteur. Sur ce modèle, on a ensuite multiplié les hypothèses en droit de l'urbanisme pour les collectivités publiques, pour les établissements publics aménageurs, pour leur permettre de préempter des biens immeubles pour constituer ces fameuses réserves foncières qui ont pour destinée d'être cédées ensuite à des propriétaires privées. Ces droits de préemption sont constitués sur le même modèle. Le propriétaire qui veut vendre doit faire une déclaration d'intention d'aliéner (DIA) qu'il adresse à la mairie. La commune, sur la base de cette DIA peut ne rien faire et au bout d'un délai de 2 mois, le propriétaire peut vendre librement, mais elle peut aussi décider de préempter, donc de se substituer à l'acquéreur pressenti. Si elle propose de se substituer au prix que veut le vendeur, la vente est parfaite. Si la commune propose un prix inférieur sur la base d'une estimation du service des domaines, à ce moment là, le propriétaire a le choix : soit il vend à ce moindre prix à la commune, soit il retire son bien de la vente.

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Cet acte de préemption est utilisé largement par les collectivités locales pour, finalement, arbitrer le marché foncier, empêcher le vendeur de vendre trop cher. Il y a une sorte de gouvernance du marché foncier qui transite par ce droit de préemption et certains maires l'utilisent ainsi considérant que le marché foncier dans leur commune est disproportionné. Il reste que la fonction première du droit de préemption, c'est l'utilité pour la collectivité publique d'acquérir le bien parce qu'elle en a besoin pour telle ou telle opération. Il y a eu sur le droit de préemption un très abondant contentieux de propriétaire qui se plaignaient de ne plus pouvoir vendre leur bien alors même que la collectivité locale n'en avait pas besoin. La jurisprudence et les textes ont accompagné le mouvement et n'ont pas été très stricts. Les hypothèses d'annulation du droit de préemption le sont pour des raisons de procédure et assez rarement pour des raisons de fond. Des QPC ont été formées mais elles n'ont pas remis le droit de préemption à sa place, le Conseil constitutionnel a dit que le législateur était légitime à réglementer le droit de propriété pour des raison d'intérêt général. Le droit de priorité. C'est un droit qui concerne des transactions immobilières entre personnes publiques. Il est apparu dans la loi du 13 juillet 2006 qui vise à accompagner des mouvements de biens de gros propriétaires fonciers (VNF, SNCF, RFF, etc). La loi de 2006 a prévu que ces propriétaires, lorsqu'ils voulaient réaliser le bien, devaient assurer un droit de priorité aux communes si elles souhaitent s'en servir pour le logement. Mais cette priorité aux communes n'a pas la forme d'un droit de préemption sur la base d'une DIA. Par exemple, la SNCF ou VNF veut réaliser un immeuble, elle doit faire établir par l'avis du service des domaines une estimation et, sur la base de cette estimation, il doit en proposer l'acquisition en priorité à la commune. Si la commune n'exerce pas cette priorité, il retrouvera la liberté de la vente. Le droit de rétention. Il s'exerce en matière d'exportation. L'objet présentant un intérêt national d'histoire ou d'art, l'administration a la faculté de d'opposer à l'exportation dudit objet en achetant le bien. Le prix de cette acquisition est fixé à l'amiable ou par le juge. CHAPITRE 1 : L'EXPROPRIATION POUR CAUSE D'UTILITÉ

PUBLIQUE Section 1 : Principes et bases du droit de l'expropriation §1 – Affirmation historique des principes traditionnels de l'expropriation Ces principes sont contenus dans la définition de l'expropriation. C'est une opération administrative par laquelle une personne publique oblige un particulier à lui céder la propriété d'un immeuble dans un but d'utilité publique et moyennant une indemnité juste et préalable. Le droit moderne de l'expropriation qui se met en place sous la Révolution comporte des garanties. Sous la Révolution, le souci dominant est de protéger la propriété privée individuelle et la propriété foncière. Ce souci veut une rupture par rapport à la situation de l'ancien régime où l'expropriation était considérée comme une prérogative permanente du seigneur, du souverain et qui comportait un droit sur le domaine éminent qui n'était pas conditionné et ne moyennant pas toujours indemnisation. Cela conduit à l'affirmation de grands principes. S'agissant de l'emploi de l'expropriation, celle-ci ne peut avoir lieu que lorsqu'il y a utilité publique. La DDHC parle même, en son article 17, de « nécessité publique » et cette formule est répétée à l'article 545 du Code civil. Cette condition de fond va conduire à la mise en place d'une procédure préalable permettant de vérifier qu'il y a bien utilité publique, c'est ce qu'on appelle la déclaration d'utilité publique, acte administratif qui permet l'expropriation.

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S'agissant de la compensation pécuniaire, là encore, l'expropriation n'est possible que moyennant une juste et préalable indemnité. Tant qu'elle n'a pas payé, l'administration ne peut pas prendre possession du bien. Troisième principe qui, lui, figure dans la loi du 8 mars 1810, a voulu que le transfert de propriété lui-même ne puisse être prononcé que par le juge judiciaire, gardien de la propriété. C'est la consécration de cette fonction spécifique du juge judiciaire comme gardien de la propriété privée. Aucun de ces principes n'a été abandonné aujourd'hui mais ils ont évolué dans leur mise en œuvre. Les lois du 7 juillet 1833 et du 3 mai 1841. Ces lois, en liaison avec de grands travaux, ont réaménagé la procédure de fixation de l'indemnité. Le transfert de propriété appartient au juge judiciaire mais, pour la fixation de l'indemnité, les solutions ont varié. Ces lois ont introduit un régime qu'on a appelé celui du jury de propriétaires. L'indemnité est fixée par un jury de propriétaires qui est une sorte de juridiction spécialisée dont la mission est d'évaluer la valeur de la propriété expropriée. Ce régime a été très critiqué pendant tout le temps où il a perduré, à savoir près d'un siècle. Le décret-loi du 8 août 1935. Ce décret-loi abandonne le système du jury pour la composition d'une autre formation dans laquelle vont siéger des notaires (connaisseurs du marché foncier) et l'administration. Il y a un risque de suspicion sur sa composition, si bien que, là encore, ce système ne donne pas satisfaction et il sera abandonné. L'ordonnance du 23 octobre 1958. C'est la base du Code de l'expropriation actuel. Cette ordonnance constitue un texte qui est motivé par le souci de rajeunir la législation de la procédure d'expropriation. Cela se fait de différentes façons : par une codification, par un regroupement des régimes spéciaux et par la création d'un juge de l'expropriation (juridiction permanente constituée dans le ressort de chaque cour d'appel et composée d'un magistrat unique nommé par le premier président de la cour d'appel et qui fixe l'indemnité et prononce le transfert de propriété). §2 – Sources : le Code de l'expropriation le Code de l'expropriation a pour origine l'ordonnance du 23 octobre 1958. À plusieurs reprises des lois de simplification avaient prévu une nouvelle codification du Code de l'expropriation et certaines de ces habilitations étaient des habilitations à codifier à droit non constant. Ces habilitations successives n'ont pas été suivies. Entre temps, on a envisagé un moment d'intégrer le Code de l'expropriation dans le CGPPP comme un mode d'acquisition de la propriété. §3 – Bases constitutionnelles et conventionnelles du droit de l'expropriation

A – Les bases constitutionnelles C'est la DDHC de 1789. L'article 17 dispose que « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ». L'utilité publique et la juste et préalable indemnité sont des conditions constitutionnelles. Ces bases constitutionnelles ont été complétées par une décision du Conseil constitutionnel. CC, 25 juillet 1989 → le Conseil constitutionnel explicite cette idée de juste indemnité. L'indemnité doit couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation. Cette même décision confirme le caractère constitutionnel de la loi de 1810 et dit que l'intervention des tribunaux judiciaires pour le transfert de propriété et la fixation de l'indemnité constitue un PFRLR. Le fait que le juge judiciaire prononce le transfert de propriété et fixe l'indemnité (s'il y a désaccord) est une donnée constitutionnelle du droit de l'expropriation.

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CC, 17 septembre 2010 → le Conseil constitutionnel a admis que, dans des procédures accélérées d'expropriation, il puisse y avoir une prise de possession sur la base du versement d'indemnités prévisionnelles. CC, 21 janvier 2011 → le Conseil constitutionnel juge que l'absence de réparation du préjudice moral entraîné par l'expropriation ne méconnaît pas les droits et obligations que la Constitution garantie. L'indemnité ne comprend donc pas le préjudice moral et répare juste le préjudice matériel.

B – Les bases conventionnelles : la CEDH Le protocole #1 relatifs aux biens traite de l'expropriation. Il en traite dans une formule qui n'a pas la netteté de l'article 17 de la DDHC. « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ». Rien n'est dit de l'indemnisation. On retrouve l'indemnisation dans la jurisprudence de la Cour EDH comme une mise en œuvre de ce respect des biens. La jurisprudence va réintroduire un principe de proportionnalité entre les exigences d'intérêt général qui commandent l'expropriation et l'atteinte portée à la propriété. Elle exige un dédommagement de la personne privée bien que le texte du protocole #1 ne le prévoit pas explicitement. Il ne s'agit pas d'une condition stricte. Il s'agit, dans chaque cas, d'apprécier si ce fameux respect dû aux biens est suffisamment assuré par une contrepartie, un dédommagement à la charge de la collectivité expropriante qui obéit à un principe de proportionnalité tenant compte de circonstances de fait et de lieu. CEDH, 9 décembre 1994, Les Monastères grecs → une absence d'indemnisation peut se justifier par des circonstances exceptionnelles. Du point de vue de l'indemnisation, la protection constitutionnelle est plus développée. La protection conventionnelle peut déborder sur la protection constitutionnelle dans au moins deux directions. D'abord, la conception d'atteinte aux biens est beaucoup plus large dans la Conv. EDH qui inclut les biens meubles, les biens incorporels et même les espérances légitimes. Ensuite, s'agissant du juge de l'expropriation, il est assisté d'un commissaire du gouvernement qui est le directeur départemental des domaines, donc un fonctionnaire dont les services donne l'avis en matière de transaction. Il est là comme une sorte d'expert car la loi interdit au juge de l'expropriation de recourir à un expert. Il fait partie de la juridiction mais il peut faire appel de la décision du juge de l'expropriation. Cette configuration est-elle compatible avec l'article 6, §1, de la Conv. EDH ? CEDH, 24 avril 2003, Yvon c/ France → la part prise par le commissaire du gouvernement au fonctionnement de la juridiction de l'expropriation constitue un manquement à l'impartialité de la juridiction. La difficulté était que ce système fonctionnait bien. Un décret du 13 mai 2005 a un peu plus affirmé l'autonomie du juge de l'expropriation par rapport au commissaire du gouvernement. La Cour de cassation a jugé que ces changements assuraient la conventionnalité de l'intervention du commissaire du gouvernement (Cass. civ. 3ème, 12 juillet 2008, SCI Saint Martin-de-Seignaux). Sur un autre point, la juridiction de l'expropriation avait pu être contestée au regard de la Conv. EDH : le fait que le juge de l'expropriation ne soit pas tenu de se porter sur les lieux et d'y organiser un débat contradictoire.

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Section 2 : Les conditions d'emploi de l'expropriation §1 – Les titulaires du pouvoir d'exproprier Une distinction terminologique. On cherche à identifier les autorités administratives qui ont reçu de la loi la compétence de déclencher une procédure d'expropriation. La personne expropriante n'est pas forcément le bénéficiaire de l'expropriation. Nous parlons ici des titulaires du pouvoir d'exproprier.

A – Personnes habilitées à mettre en œuvre la procédure d'expropriation

Ce sont d'abord, les personnes publiques. Toutes les collectivités publiques peuvent mettre en œuvre la procédure d'expropriation dans le cadre de leur spécialité. Une commune peut-elle exproprier pour accueillir un service de l'État (un bureau de poste, une gare) ? CE, 4 juin 1954, Commune de Thérouanne → le Conseil d'État a jugé que cela n'était pas possible car cela méconnaissait le principe de spécialité. Cette position a été abandonnée. CE, 17 mars 1972, Ministre de la Santé publique et de la sécurité sociale c/ Levesque → les établissements publics, comme l'État et les collectivités locales, ont, de plein droit le pouvoir d'exproprier. Progressivement, des personnes privées vont se voir dotées de la capacité d'exproprier. Il faut un texte. Ces textes concernent d'abord les nombreuses catégories de concessionnaires qui sont habilités à exproprier eux-mêmes. Idem pour les concessionnaires d'aménagement, les sociétés d'économie mixte chargées d'un certain nombre de programmes d'aménagement ou d'équipement, les sociétés gestionnaires de sources thermales, certaines sociétés comme la Compagnie nationale du Rhône et, occasionnellement aussi, lors de grandes opérations comme l'accueil des JO d'hiver, autorisation d'exproprier donnée à la société porteuse du projet.

B – Conduite de la procédure d'expropriation : le rôle de l'État Quelque soit l'initiateur de l'expropriation, l'État a le monopole de la conduite de la procédure d'expropriation. Au sein des services de l'État, c'est le préfet qui a le rôle essentiel. Il n'est pas un simple porte-plume qui prend les actes, il peut refuser d'ouvrir l'enquête publique, il peut refuser de déclarer l'utilité publique même après avis favorable du commissaire enquêteur, il peut réduire le périmètre de l'expropriation. Ces actes du préfet sont évidemment placés sous le contrôle du juge et ils peuvent être attaqués par la collectivité expropriante qui va estimer avoir subi un préjudice de la façon dont a été conduite la procédure. CE, 14 juin 1963, Ville de Carpentras → le Conseil d'État reconnaît qu'une commune peut demander à l'État la réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de l'illégalité du décret déclarant l'utilité publique, elle est privée de son opération d'expropriation. CE, 6 octobre 2000, Commune de Meylan → la commune agit contre l'État pour le fait d'avoir tardé dans la conduite de la procédure d'expropriation. §2 – Les biens susceptibles d'être expropriés

A – Immeubles et droits réels immobiliers L'expropriation est limitée aux immeubles. Elle ne peut pas porter sur des meubles. Une seule exception : on peut exproprier des brevets intéressant la défense nationale, donc des droits incorporels. L'expropriation peut porter sur des ensembles immobiliers et aussi sur des parties d'immeubles (elle peut ne concerner que le sous-sol ou des volumes superposés à d'autres qui ne sont pas expropriés).

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L'expropriation peut également porter sur des droits réels immobiliers qui sont des démembrements de la propriété. L'administration va devenir usufruitière, nu-propriétaire, titulaire d'une servitude. Elle peut exproprier un droit réel sans exproprier la propriété. Cela figure à l'article L.11-1 du Code de l'expropriation. En revanche, il n'est pas possible d'exproprier pour constituer des servitudes. CE, 26 juillet 2006, Ministre de l'Équipement et des transports → le Conseil d'État admet que l'on exproprie pour utiliser des terrains à des fins d'occupation temporaire. Cette décision est surprenante pour deux raisons. La première raison est que l'expropriation est en principe une procédure définitive. Si l'on a besoin d'un terrain pour une durée limitée, ce n'est pas l'expropriation qui convient. La deuxième raison est qu'il existe une procédure spécifique prévue par une loi du 29 décembre 1892 qui organise cette prérogative d'occupation temporaire de l'administration, notamment pour les matériaux de chantier. Cette décision peut s'expliquer par le fait que l'expropriation offre plus de garanties à l'exproprié que la réquisition ou que l'occupation temporaire.

B – Le cas des immeubles des personnes publiques Il faut distinguer les biens du domaine public et les biens du domaine privé. Les biens du domaine public ne peuvent pas être expropriés. C'est une conséquence logique de l'inaliénabilité. CE Avis, 26 mai 1992 → « le principe d'inaliénabilité du domaine public fait obstacle à ce que [des] dépendances domaniales fassent l'objet d'une procédure d'expropriation ». Cette solution est discutable parce que l'inaliénabilité protège l'utilité publique que remplit le bien. Or, dans une procédure d'expropriation, il y a une utilité publique préalablement constatée. Cette utilité publique ne se substitue-t-elle pas à celle qui constituait la domanialité publique ? Le principe a été aménagé. D'abord, l'inaliénabilité étant un principe législatif, une loi peut apporter une exception. Ensuite, il y a un certain nombre de décisions du Conseil d'État qui tournent autour de cette règle d'impossibilité d'exproprier le domaine public. CE, 6 juillet 1973, Michelin et Veyret → une déclaration d'utilité publique peut inclure des dépendances du domaine public si celles-si ont été désaffectées alors même qu'elles n'ont pas été déclassées. CE, 13 janvier 1984, Commune de Thiais → une déclaration d'utilité publique peut inclure des dépendances du domaine public encore affectées, l'argument étant que la déclaration d'utilité publique permet l'expropriation mais ne l'entraîne pas automatiquement. CAA Paris, 22 novembre 1994, Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres → une déclaration d'utilité publique peut inclure des dépendances du domaine public en raison de « leur faible importance ». Les biens du domaine privé. Ils sont susceptibles d'expropriation et dans tous les sens. Une collectivité locale peut exproprier un bien du domaine privé de l'État (CE, 27 novembre 1970, Bizière). Cette expropriation du domaine privé s'effectue dans les conditions ordinaires du droit de l'expropriation. §3 – Les buts légitimes de l'expropriation : la notion d'utilité publique Le mouvement général est celui d'une conception de plus ne plus large de l'utilité publique. À l'origine, l'expropriation n'était conçue que pour la réalisation de travaux publics. Par la suite, on va élargir ces buts de deux façons : d'abord, pour faciliter l'exploitation des services publics et, ensuite, même sans objectif de service public, l'intérêt général peut suffire à justifier l'expropriation. Ces buts d'expropriation ont été élargis par la législation et la jurisprudence.

A – Législation Toute une série de textes retiennent des buts de plus ne plus larges.

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D'abord, dès la fin du XIXe siècle, on trouve des buts d'hygiène. Tout ce qui peut participer à l'amélioration de l'hygiène, à la destruction des immeubles insalubres constitue un but légitime d'expropriation. Par exemple, on exproprie pour la réalisation de bains municipaux. Début du XXe siècle, l'expropriation pour la protection des monuments historiques et de leurs abords. Donc, un but esthétique et patrimonial. Dans les années 1950, apparaît l'expropriation par zone, l'objectif étant de reconstituer l'ensemble d'une zone et donc de s'assurer la maîtrise foncière de l'ensemble de la zone. Dans la période contemporaine, les buts se multiplient : la réalisation de terrains sportifs, le logement des familles nombreuses, l'établissement d'aérodromes. Puis, tous les domaines de l'urbanisme (rénovation urbaine, lotissements administratifs, etc). L'extrême est atteint avec la loi du 2 février 1995 qui permet l'expropriation dans un but de police (ces biens sont exposés à des risques naturels majeurs menaçant gravement les vies humaines).

B – Jurisprudence CE, 10 août 1923, Giros → le Conseil d'État se borne à vérifier qu'il existe un intérêt public. C'est ainsi que le juge admet l'expropriation pour agrandir le terrain de sport d'une colonie de vacances, pour accueillir une auberge de jeunesse et même pour le logement de fonction du secrétaire général de la préfecture. Il faut bien sûr un intérêt général. S'il n'y a qu'un intérêt privé, la déclaration d'utilité publique sera annulée. Mais cet intérêt général peut ne pas être exclusif d'un intérêt privé. Ici se greffe une discussion. Cet intérêt public doit-il être un intérêt national ou bien peut-il être un intérêt public étranger ? D'une façon générale, la jurisprudence a reconnu que la satisfaction d'un intérêt étranger était un motif qui justifiait l'expropriation. On peut exproprier pour accueillir une légation étrangère, une ambassade, un consulat ou le siège d'une organisation internationale. C'est la mise en œuvre de la convention de Vienne de 1961 sur le droit des traités qui dispose dans son article 21 que « L'État accréditaire doit […] faciliter l'acquisition sur son territoire, dans le cadre de sa législation, par l'État accréditant des locaux nécessaires à sa mission ». Ceci a été étendu au siège d'une institution internationale (CE, 28 juin 1957, Société Oribus) et on a même admis que l'expropriation soit utilisée pour constituer un dépôt d'essence au bénéfice de l'OTAN (CE, 13 mai 1959, Defossez) et, plus récemment, expropriation pour l'établissement d'une ligne électrique à haute tension qui alimentait exclusivement une centrale située en Italie (CE, 3 février 1971, Association pour la sauvegarde des sites corses). CE Avis, 14 octobre 1997 → la construction d'un canal qui devait emmener une partie de l'eau jusqu'à Barcelone contribue à la réalisation des objectifs mentionnés dans le traité de Rome, c'est-à-dire la coopération internationale et la circulation. Ce projet est alors susceptible de revêtir un caractère d'utilité publique. §4 – Les bénéficiaires de l'expropriation Les bénéficiaires sont normalement les expropriants. Mais il peut se faire que l'expropriation soit utilisée au bénéfice de personnes qui ne sont pas la collectivité publique expropriante. Cela s'est d'abord fait sur la base d'un texte. La loi foncière du 6 août 1953 ouvre l'expropriation pour la construction d'immeubles destinés à être loués, affectés ou vendus à des personnes privées. En matière rurale, un décret du 20 octobre 1962 attribue aux SAFER la faculté d'exproprier pour réattribuer le foncier à des agriculteurs. Une loi du 30 décembre 1956 reconnaît cette même faculté en matière de protection des monuments historiques.

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Puis, même en dehors de tout texte, le juge n'a jamais vu d'objection à ce qu'il y ait une dissociation entre la personne de l'expropriant et la personne du bénéficiaire de l'expropriation (CE, 20 décembre 1935, Établissements Vézia). Section 3 : La procédure de l'expropriation Sous-section 1 : La réforme de 1958 Le droit de l'expropriation est profondément remodelé par l'ordonnance de 1958 qui deviendra le Code de l'expropriation. §1 – Les raisons de la réforme de 1958 La procédure précédente était trop rigide et trop lente. Pourquoi ? Parce qu'elle comportait trois phases successives qui ne pouvaient que se succéder, il fallait obligatoirement épuiser ladite phase pour passer à la suivante. Il y avait une phase comportant l'intervention d'autorités administratives pour prendre la décision d'exproprier, la déclaration d'utilité publique et les biens visés par l'expropriation. Ensuite, une phase judiciaire prononçant le transfert de propriété et, enfin, une autre phase judiciaire comportant la fixation de l'indemnité. Cette lenteur était apparue comme un handicap pour l'administration car c'était long pour obtenir la maîtrise du bien et pour le propriétaire qui se trouvait pendant une longue période à une disposition de son immeuble mais tourné vers la porte. Deuxième raison de la réforme, le paysage du droit de l'expropriation était devenu extrêmement compliqué. Sur la base des lois de 1833 et 1841, s'étaient greffés toute une série de textes chacun avec sa propre procédure, de sorte que la règle générale n'était plus que d'application exceptionnelle. Cette complexité était source de grandes difficultés et elle exposait l'État au grief de détournement de procédure. Troisième difficulté, la fixation de l'indemnité. Au lendemain de la révolution, c'était les conseils de préfecture qui fixaient l'indemnité sur la base de la loi du 28 pluviôse an VIII. La loi du 8 mars 1810 a donné compétence au juge judiciaire de droit commun qui a fixé des indemnités très tardives et considérées comme trop élevées, trop coûteuses. La loi de 1841 a adopté le système du jury d'expropriation. Ce jury est composé de riches propriétaires (système censitaire) et l'idée est que cela aboutisse à une solution équilibrée (en tant que propriétaire, il va protéger la propriété privée et, en tant que contribuable, il voudra que l'administration ne paie pas trop cher). En 1935, on abandonne la formule du jury de propriétaires au profit d'une commission arbitrale d'évaluation, présidée par un magistrat et qui comprend deux fonctionnaires, un notaire et un contribuable. Enfin, quatrième raison, il faut tenir compte d'opérations complexes. Dès le lendemain de la guerre se développent des opérations complexes d'expropriation avec plusieurs expropriants, portant sur des zones extrêmement importantes, faisant masse de terrains qui ne sont pas par eux-mêmes objet de l'expropriation mais que l'on veut mettre dans l'expropriation pour mutualiser le coût de l'expropriation avec les terrains directement visés. Pour l'aménagement des villes, pour les opérations complexes, le vieil outil de l'expropriation ne fonctionne plus. §2 – Les grandes lignes de la réforme de 1958 Cette réforme qui prend la forme d'une ordonnance à valeur législative comprend une part de tradition et une part d'innovation. La tradition, c'est la reprise des grands principes vus précédemment. D'abord, le fait que le transfert de propriété ne peut être opéré que par l'autorité judiciaire. Deuxième principe, on maintient les deux grandes étapes de l'expropriation à savoir la phase administrative (qui vise à faire constater l'utilité publique du

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projet) et la phase judiciaire (qui porte sur le transfert de propriété). Troisième principe, la phase administrative est ouverte par une enquête publique qui vise à recueillir toutes les opinions sur la véritable utilité publique du projet. Enfin, les méthodes d'évaluation de l'indemnisation restent les mêmes. Les innovations. Première innovation, suppression des très nombreuses procédures spéciales mises en place au fil du temps. Seule réserve, l'ordonnance de 1958 prévoit une procédure spéciale pour les travaux intéressant la défense nationale et réserve aussi une procédure dite d'extrême urgence. Depuis 1958, des lois spéciales ont été mises en place comportant des procédures d'expropriation qui ne figurent pas dans le Code de l'expropriation. La première, c'est la loi du 10 juillet 1970 qui est une loi sur l'habitat insalubre qui comporte sa propre procédure d'expropriation. La seconde est la loi du 2 février 1995 qui concerne l'expropriation pour risque. Puis, il y a des lois spéciales chaque fois qu'on accueille un événement international (JO d'hiver d'Albertville, etc). Deuxième innovation, on a voulu se libérer de la durée de la procédure. Pour cela, on a permis que les phases ne se succèdent pas dans le temps, qu'il puisse y avoir un chevauchement. Troisième innovation, le réaménagement de la formule de fixation de l'indemnité. L'ordonnance de 1958 crée un juge de l'expropriation, juridiction judiciaire placée sous le contrôle de la Cour de cassation. C'est lui qui transfert la propriété et c'est lui qui fixe l'indemnité dont le versement est un préalable de la prise de possession. Sous-section 2 : La phase administrative La phase administrative est une opération qui voit se succéder un certain nombre d'actes administratifs unilatéraux : l'ouverture et la conduite d'une enquête publique, la déclaration d'utilité publique et l'arrêté de cessibilité qui vise à identifier tous les droits existant sur les parcelles concernées. Tous ces actes de la phase administrative sont des actes accomplis au nom de l'État et engagent sa responsabilité, y compris vis-à-vis de la collectivité qui a pris l'initiative de l'expropriation. Ces autorités de l'État ont un certain pouvoir discrétionnaire dans l'édiction ou le refus d'édiction de ces actes. Il peut se faire que les autorités de l'État refusent d'ouvrir l'enquête publique ou refusent de prendre la déclaration d'utilité publique. CE, 7 mars 1979, Commune de Vestric et Candiac → refus d'ouvrir l'enquête publique qui était demandée par la commune. CE, 20 mars 1991, Commune du Port → l'enquête publique a eu lieu et refus de déclarer l'utilité publique. Le juge exerce sur ces décisions de l'État le contrôle restreint, c'est-à-dire le contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation, ce qui confirme l'existence d'un pouvoir discrétionnaire. §1 – L'enquête préalable L'enquête vise à informer l'administration pour savoir si véritablement il y a lieu de déclarer l'utilité publique, si le projet, tel qu'il a été configuré et présenté, mérite d'être déclaré d'utilité publique. Cette enquête publique est périodiquement réformée et la dernière modification en date est la loi du 12 juillet 2010.

A – La constitution du dossier La collectivité expropriante doit constituer un dossier sur l'intérêt qu'elle attache à la réalisation de ce projet, sur les précautions qu'elle entend prendre pour limiter les inconvénients du projet, sur le coût du projet, etc.

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La loi prévoit deux hypothèses : le dossier simple et le dossier complet. Le dossier simple correspond à l'hypothèse dans lequel l'expropriation porte sur un immeuble ou un volume bien déterminé. En revanche, dans toutes les autres hypothèses, le dossier doit être un dossier complet et on doit y trouver tous les éléments d'information pertinents sur le projet. Au fil d'une jurisprudence, le Conseil d'État a considérablement limité les hypothèses dans lesquelles le dossier simplifié est possible. Dans le cas de cette constitution du dossier, la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature a introduit la nécessité d'inclure, dans un certain nombre de cas, une étude d'impact. L'idée est que, lorsque le projet est susceptible d'affecter la nature, il faudra produire une étude faite par un cabinet extérieur qui rendra compte, d'une part, des risques que le projet comporte pour la nature et, d'autre part, des mesures que l'expropriant entend prendre pour limiter ces risques. Les cas où les études d'impact sont nécessaires ont été élargis. La jurisprudence est assez exigeante sur le degré d'information que doit assurer l'étude d'impact produite dans le dossier.

B – L'enquête publique C'est la procédure de consultation du public sur la base du dossier. Elle a été complétée par la loi du 12 juillet 1983 qui vise à instituer une forme d'enquête spécifique, plus perfectionnée, comportant plus de conséquences sur la suite de la procédure lorsqu'il y a une atteinte à l'environnement. Cette loi débouche donc sur deux types d'enquêtes publiques : « l'enquête Code de l'expropriation » parce qu'elle est dans le Code et « l'enquête Bouchardeau » qui est celle de la loi de 1983 (Huguette Bouchardeau était ministre de l'Environnement et à l'initiative de la loi de 1983). La loi de 2010 a laissé subsister ce dualisme des enquêtes publiques mais a rapproché l'enquête ordinaire de l'enquête Bouchardeau. Dans tous les cas, l'enquête publique est une obligation. La publicité donnée à l'enquête doit être suffisante mais, au delà des textes et pour toutes les enquêtes publiques, le Conseil d'État apprécie in concreto, dans chaque cas, si l'information a été suffisante. Comment savoir s'il faut procéder selon l'enquête ordinaire ou l'enquête Bouchardeau ? L'enquête Bouchardeau a été complétée par un décret du 23 avril 1985 qui liste les projets qui doivent être soumis à l'enquête Bouchardeau. CE, 8 mars 1991, Ville de Maison-Laffitte → lorsqu'on est pas dans le champ de l'enquête Bouchardeau, il est illégal d'organiser une enquête de ce type. Cette jurisprudence a surpris car tout le mouvement de l'expropriation est de donner la sûreté maximum à l'enquête publique et si l'administration, alors qu'elle n'y était pas obligée, choisissait d'organiser une enquête plus perfectionnée, pouvait-on le lui reprocher ? La loi du 12 juillet 2010 prend le contre-pied de cette jurisprudence et introduit un article L.123-2, IV, dans le Code de l'environnement qui dispose que « La décision prise au terme d'une enquête publique organisée dans les conditions du présent chapitre n'est pas illégale du seul fait qu'elle aurait dû l'être dans les conditions définies par le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ».

1 – L'enquête ordinaire ou de droit commun (art. R.11-4 et s.) L'enquête est menée par un commissaire enquêteur ou une commission d'enquête selon l'importance du projet qui était initialement nommé(e) par le préfet. Depuis la loi du 27 février 2002, désormais, le commissaire enquêteur ou la commission est nommé(e) par le président du tribunal administratif. Le commissaire enquêteur a des pouvoirs d'organisation de l'enquête. Il publie l'ouverture de l'enquête, il indique les modalités de l'enquête et il veille à la régularité de l'ensemble des opérations. Matériellement, l'enquête se concrétise par le dossier et un registre est ouvert par le commissaire enquêteur sur lequel le public peut consigner ses informations. Au terme de l'enquête, qui ne peut pas être inférieure à 15 jours, le juge vérifiera si le commissaire enquêteur a bien fait son travail. L'enquête est close, le commissaire ramasse le registre et il rédige son

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rapport. Le rapport doit conclure clairement par un avis favorable ou défavorable au projet sur la base d'une argumentation.

2 – L'enquête « démocratisée » de la loi de 1983 (art. R.11-14-1 et s.)

Cette enquête est plus perfectionnée. Dès l'origine, les membres de la commission d'enquête sont nommés par le président du tribunal administratif qui lui est toujours saisi par le préfet et ce quelque soit la collectivité expropriante. L'ouverture de l'enquête doit être précédée d'une large publicité. Sa durée ne peut pas être inférieure à 1 mois et les enquêteurs sont dotés d'un pouvoir d'initiative. Ils peuvent mener des opérations, provoquer des réunions publiques pour que l'expropriant expose son projet au public, pour que le public puisse s'exprimer, etc. Enfin, la loi de 1983 attachait un effet spécifique à l'avis négatif du commissaire enquêteur. S'il donnait un avis négatif, la déclaration d'utilité publique ne pouvait être prononcée que par décret et, s'il y avait un recours contentieux contre cette déclaration d'utilité publique, ce recours était suspensif.

3 – La procédure du débat public Pour certains projets, cette procédure du débat public va se greffer sur l'enquête public et va constituer un élément supplémentaire d'information dans le cadre de l'enquête. Le débat public a été institué par la loi du 2 février 1995 et il a été élargi par la loi du 27 février 2002. La loi de 1995 crée une commission du débat public qui est qualifiée d'autorité indépendante. Elle est composée d'élus, de magistrats, de représentants d'associations, de personnalités, etc. Le président et le vice-président sont nommés par décret. Sa mission est de veiller au respect de la participation du public au processus d'élaboration du projet pour des catégories d'opérations fixées par décret en Conseil d'État dès lors qu'il présente de forts enjeux socio-économiques ou a un impact significatif sur l'environnement ou l'aménagement du territoire. Tout cela figure à l'article L.121-1 du Code de l'environnement. La commission du débat public organise ses investigations dans des conditions qu'elle détermine librement (elle peut convoquer des personnes, organiser des débats contradictoires, se rendre sur les lieux). Le Conseil d'État a jugé que les actes accomplis par la commission du débat public ne sont pas susceptibles de recours, ce sont des actes informels (CE, 5 avril 2004, Association citoyenne intercommunale des populations concernées par l'aéroport Notre-Dame des Landes). Ces décisions ne sont en revanche pas dénuées de conséquence. Elles peuvent conduire à l'abandon de certains projets. En réalité, la commission du débat public ne prend pas de décision à l'issue du débat qu'elle a organisé. Elle fait un rapport mis à la disposition du commissaire enquêteur et de la commission d'enquête. Ce rapport ne se conclue pas par un avis favorable ou défavorable, c'est un descriptif général de cette consultation du public menée par la commission. Le juge veille simplement à ce que le commissaire enquêteur ne prenne pas de décision avant que la commission du débat public n'ait rendu son rapport. §2 – La déclaration d'utilité publique (DUP) C'est la condition constitutionnelle de l'expropriation. En même temps, c'est un acte qui est lié à l'expropriation et le Conseil d'État considère qu'il n'y a pas lieu à DUP lorsqu'on peut faire l'économie de toute expropriation. CE, 24 juillet 1987, Margain et a. → le Conseil d'État a annulé une DUP car, en l'espèce, la collectivité expropriante pouvait réaliser le projet sur ses propres terrains et en évitant l'expropriation.

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A – Autorité compétente pour déclarer l'utilité publique

Avant 1958, grande dispersion. Certains projets n'étaient déclarés d'utilité publique que par la loi. Cela protégeait l'utilité publique de toute contestation. Depuis 1958, c'est un acte administratif qui déclare l'utilité publique selon un système assez centralisé. Cela a été modifié par la loi du 27 février 2002 qui a déconcentré cette compétence et qui, du même coup, pose un certain nombre de problèmes. Avant la loi du 27 février 2002. Deux formes possibles : le décret en Conseil d'État ou l'arrêté ministériel ou préfectoral. Le décret en Conseil d'État était prévu, d'une part, à chaque fois que l'avis du commissaire enquêteur était défavorable et, d'autre part, pour des catégories d'opérations dont la nature ou l'importance le justifient (travaux d'aérodrome, d'autoroute, de chemin de fer, canalisations, etc). Dans les autres cas, l'arrêté ministériel ou l'arrêté préfectoral suffit. Sur cette distribution bipartite, la jurisprudence avait jugé que, lorsqu'on était dans le champ de l'arrêté, on pouvait toujours choisir le décret en Conseil d'État (CE, 12 avril 1967, Société nouvelle des entreprises d'hôtels). Depuis la loi du 27 février 2002. Le Sénat a présenté un amendement de déconcentration consistant à titrer les autorités de l'État locales pour la DUP et cela a été intégré dans la loi. Désormais, c'est l'arrêté préfectoral qui est la règle ordinaire sans considération du caractère favorable ou défavorable du commissaire enquêteur. Toutefois, pour certaines opérations d'intérêt national, il faut un décret en Conseil d'État. La liste de ces opérations figure dans le décret du 9 novembre 2004. La loi de 2002 a introduit une institution qui est la déclaration de projet. C'est une sorte de confirmation, au vue de l'enquête publique, que l'expropriant persévère dans son projet et l'ajuste pour tenir compte de l'enquête avant la DUP. Pour l'État et ses établissements publics, la déclaration de projet se confond avec la DUP. Elle n'existe donc que pour les collectivités locales et elle intervient au préalable de la DUP pour réaffirmer l'intérêt porté au projet.

B – Délai d'intervention de la déclaration d'utilité publique Le principe posé par l'article L.11-5 du Code de l'expropriation est que la DUP doit intervenir dans l'année de la clôture de l'enquête publique. Ce délai peut être majoré de 6 mois quand il faut un décret en Conseil d'État. Ce délai passé, l'expropriation est impossible. Il y a donc une véritable caducité de la DUP.

C – Nature juridique de l'acte déclaratif d'utilité publique C'est un acte hybride ! Il n'est ni un acte réglementaire, ni un acte individuel. Il fait partie de cette catégorie d'actes qu'on appelle les actes d'espèce. Ce sont des actes qui empruntent un peu au régime de l'acte réglementaire et un peu au régime de l'acte individuel. La jurisprudence a affirmé le caractère sui generis de la DUP. Elle est traitée comme un acte réglementaire du point de vue du délai du recours contentieux et comme un acte individuel à d'autres égards. La DUP est considérée comme un acte préparatoire.

D – Effets de la déclaration d'utilité publique La DUP ne réalise aucune expropriation ! Son effet est de rendre possible l'expropriation. Cet effet perdure-t-il dans le temps ? Il a toujours été admis que lorsque la DUP fixait un délai, ce délai était impératif pour l'administration. Depuis 1958, la DUP doit fixer son propre délai d'existence. Ce délai ne peut pas être supérieur à 5 ans. Au terme de ce délai, la DUP est caduque et ne produit plus d'effet. Une prorogation ne pourra intervenir que dans les conditions du Code de l'expropriation, c'est-à-dire uniquement lorsque le délai est inférieur à 5 ans

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et pour une seule prorogation. Pour cela, il faut que les circonstances n'aient pas changé, si elles ont changé, la prorogation sera jugée illégale. La DUP ouvre au propriétaire la faculté de délaissement. Le propriétaire peut obliger l'administration à acquérir immédiatement dans un délai de 2 ans.

E – Contentieux de la déclaration d'utilité publique La DUP est un acte administratif donc le REP est ouvert dans les conditions du droit commun. Donc, tout intéressé va pouvoir contester cette DUP. C'est la publication de la DUP qui fait courir le délai à l'égard de tous les intéressés possibles.

1 – Les pouvoirs du juge Le contrôle porte sur les moyens de légalité externe (les formes). Le juge peut-il porter son contrôle sur le fond et apprécier l'utilité publique ? C'est la jurisprudence dite du bilan dans laquelle le juge s'est reconnu compétent non seulement pour apprécier l'utilité publique en elle-même mais aussi pour apprécier cette utilité publique en mettant en regard, d'un côté, l'intérêt qui s'attache au projet et, de l'autre côté, les inconvénients que ceci peut comporter sur d'autres intérêts publics. Cette théorie du bilan trouve son origine dans l'arrêt CE, 28 mai 1971, « Ville nouvelle Est » complété par CE, 20 octobre 1972, Société civile Sainte-Marie de l'Assomption. Dans un premier temps, le juge indique les intérêts qui doivent être balancés avec l'intérêt du projet (arrêt « Ville nouvelle Est »). Il s'agit des atteintes à la propriété privée, du coût financier et, éventuellement, des inconvénients d'ordre social. Puis, nouvelle analyse entre l'intérêt du projet et d'autres intérêts publics (arrêt Sainte-Marie de l'Assomption). Ces autres intérêts publics sont extrêmement nombreux. Il s'agit de toutes les considérations écologiques, les inconvénients d'ordre social, le développement urbain, etc. Cette théorie du bilan est une magnifique construction qui s'appliquera dans tous les domaines du droit administratif. Cependant, sa force de percussion pratique est assez limitée. Les hypothèses dans lesquelles la DUP est annulée par application de la théorie du bilan ne sont pas légion. CE, 10 juillet 2006, Association interdépartementale et intercommunale pour la protection du lac de Sainte-Croix, de lacs et de sites du Verdon → le Conseil d'État, par application de la théorie du bilan, va annuler l'établissement d'une ligne électrique à haute tension qui surplombait les gorges du Verdon.

2 – Les effets de l'annulation Que se passe-t-il si la DUP est annulée ? D'abord, il n'est pas possible de régulariser. La collectivité publique devra prendre l'initiative d'une nouvelle demande. Ensuite, si la phase judiciaire n'est pas engagée, elle ne pourra pas avoir lieu. En revanche, si la phase judiciaire est déjà engagée et que l'ordonnance d'expropriation, qui entraîne transfert de propriété, est déjà intervenue, il y a deux possibilités. – Soit, l'ordonnance d'expropriation est contestée par la voie d'un pourvoi en cassation et que la Cour de cassation ne s'est pas encore prononcée, celle-ci annulera l'ordonnance d'expropriation. – En revanche, si l'ordonnance d'expropriation est intervenue et est définitive, l'administration est devenue propriétaire, le retour est impossible, il faudra simplement indemniser le propriétaire comme si on avait exproprier régulièrement. Le législateur est intervenu par la loi du 2 février 1995 qui ajoute un article L.12-5 au Code de l'expropriation qui dispose que « En cas d'annulation par une décision définitive du juge administratif de la déclaration d'utilité publique ou de l'arrêté de cessibilité, tout exproprié peut faire

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constater par le juge de l'expropriation que l'ordonnance portant transfert de propriété est dépourvue de base légale ». L'ordonnance se trouve rétroactivement privée de tout effet à l'égard de l'exproprié qui redevient propriétaire. Mais il faut que l'exproprié en fasse la demande auprès du juge de l'expropriation. S'il ne demande rien, on fera comme s'il y avait eu une expropriation sans utilité publique. Seulement, il peut y avoir eu prise de possession et réalisation de travaux. Dans ce cas là, les arrêt s'orientent vers une indemnisation et on rétablit l'expropriation indirecte. §3 – L'arrêté de cessibilité L'arrêté de cessibilité correspond à un acte qui a pour objet d'identifier les parcelles affectées par l'expropriation. Cet arrêté est précédé d'une nouvelle enquête qu'on appelle l'enquête parcellaire qui est chargée justement d'identifier les parcelles. Ce travail est très différent selon l'importance de l'expropriation. Quand l'expropriation porte sur un immeuble déterminé, l'arrêté de cessibilité est presque redondant de la DUP et cela explique que, dans cette hypothèse, il puisse y avoir des arrêtés de cessibilité sans enquête parcellaire. Dans les autres cas, l'arrêté de cessibilité a un objet propre. Il incombe uniformément au préfet. C'est lui qui organise l'enquête parcellaire et qui prend l'arrêté de cessibilité. Il s'agit d'un acte administratif unilatéral, d'un acte administratif faisant grief et donc d'un acte administratif susceptible d'un REP. Du point de vue du contentieux de l'arrêté de cessibilité, joue ici la théorie de l'opération complexe qui met dans le même panier la DUP et l'arrêté de cessibilité avec pour conséquence que le délai court à partir de l'arrêté de cessibilité et qu'il permet de contester également dans ce délai la légalité de la DUP. Toute cette phase administrative n'est qu'une étape préparatoire. Rien n'a encore bougé. Sous-section 3 : La phase judiciaire C'est sur cette phase judiciaire que s'est portée l'essentiel des innovations de l'ordonnance de 1958. Dans le régime antérieur, le juge judiciaire était bien compétent pour prononcer le transfert de propriété mais la fixation de l'indemnité, les formules avaient varié. Désormais, il y a un juge judiciaire spécialisé, le juge de l'expropriation qui est compétent pour le transfert de propriété et pour la fixation de l'indemnité. Il a entre les mains toute la phase judiciaire. §1 – La juridiction de l'expropriation L'idée de la réforme de 1958 est d'instituer un juge spécialisé dont la fonction sera exclusivement de se prononcer sur les transferts de propriété et de fixer les indemnités d'expropriation. Ce juge spécialisé prend la forme d'un magistrat unique dans le ressort de chaque cour d'appel, désigné par le premier président de la cour d'appel et, au sein de la cour d'appel, une formation spécialisée pour l'appel qui peut être porté contre les décisions indemnitaires, que l'on appelle la chambre des expropriations. Il y a donc là un nouvel ordre de juridiction à l'intérieur de l'ordre judiciaire dont les décisions sont portées en dernier ressort devant la Cour de cassation (en général devant la troisième Chambre civile). Cette institution est assortie d'un commissaire du gouvernement rattaché à chaque juge de l'expropriation. Ce juge du gouvernement, c'est le directeur départemental des domaines, c'est-à-dire un fonctionnaire qui est l'expert foncier de l'administration. Ce commissaire du gouvernement est dans une position ambiguë. Étant un agent de l'État, il y a une suspicion de partialité à l'intérieur de la juridiction qui doit trancher entre l'État et l'exproprié. Dès l'origine, une partie de la doctrine a attiré l'attention sur le caractère ambiguë du commissaire du gouvernement. Cependant, ces critiques ne vont véritablement avoir un effet sur la situation que lorsque s'ajoutera la critique au regard de l'article 6, §1, de la Conv. EDH. CE, 27 avril 1994, M. et

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Mme Richard Brotherson → le Conseil d'État va juger, à propos du juge de l'expropriation en Polynésie française, que la présence du représentant de l'administration ne suffit pas par elle-même à altérer l'indépendance de la commission ou l'impartialité des décisions prises collégialement par celle-ci au regard de l'article 6, §1, de la Conv. EDH (notons que, en Polynésie française, le juge de l'expropriation est organisé différemment). Cass. civ. 3ème, 8 avril 1998, Yvon c/ État français → la Cour de cassation juge la même chose à propos de l'institution métropolitaine en disant que rien n'interdit aux parties de répliquer aux conclusions du commissaire du gouvernement et que l'aspect contradictoire est préservé. Cette décision va être portée devant la Cour EDH et va conduire à la condamnation de la France. CEDH, 2 juillet 2002, Yvon c/ France → la présence et la position du commissaire du gouvernement dans la procédure de fixation de l'indemnité entraîne, au préjudice de l'exproprié, une situation de déséquilibre incompatible avec le principe d'égalité des armes découlant lui-même de l'article 6, §1, de la convention. La majorité des juridictions vont continuer à statuer de cette façon là et, on dénombre dans les années qui suivent 70 pourvois en cassation invoquant la jurisprudence de la Cour EDH. Cela rendait l'intervention du législateur nécessaire. Or, le législateur n'interviendra pas. C'est un décret du 13 mai 2005 qui ajoute aux possibilités de contradiction, organise les répliques possibles au commissaire du gouvernement pour la fixation de l'indemnité, oblige le commissaire du gouvernement à notifier aux intéressés ses observations et ses conclusions avant la décision. Enfin, s'il écarte certains chefs d'indemnisation, il est obligé de le motiver. Cela est-il satisfaisant ? Deux objections. D'abord, une objection interne, il aurait été mieux de procéder par la loi car l'article 34 prévoit que la création de nouveaux ordres de juridiction revient au législateur et que cela comprend la modification des règles essentielles de fonctionnement. Ensuite, une objection conventionnelle, l'équilibre est-il rétabli ? §2 – L'ordonnance d'expropriation

A – Procédure L'ordonnance d'expropriation est une décision de justice. C'est le préfet qui saisit le juge et cette saisine du juge ne peut intervenir qu'à défaut d'accord amiable. Le fait que l'ordonnance d'expropriation va se borner à mettre l'autorité de chose jugée au-bas de l'arrêté de cessibilité a conduit le gouvernement à émettre le souhait que ce travail soit fait par l'administration elle-même. C'est là que le Conseil constitutionnel a rappelé la compétence exclusive du juge judiciaire pour prononcer le transfert de propriété (CC, 25 juillet 1989). Le juge est donc désormais titré dans la Constitution pour ce transfert de propriété même si son rôle est des plus réduits (il vérifie que l'administration a bien fait son travail et il donne l'autorité de chose jugée à son l'arrêté de cessibilité en quelque sorte). Le juge ne peut ni apprécier l'opportunité de l'opération (ça, c'est le contrôle de l'utilité publique) ni la régularité des opérations de la phase administrative et il se borne à transcrire les éléments qui résultent des arrêtés de cessibilité. Le décret du 13 mai 2005 prévoit que lorsqu'il y a un contentieux de la DUP ou de l'arrêté de cessibilité, il faut en informer le juge de l'expropriation qui en informera les parties avant de se prononcer sur le transfert de propriété. La question a rebondi récemment : Cass. civ. 3ème, 26 mai 2011, Gamichon et a. c/ Établissement foncier des Hauts-de-Seine → la Cour de cassation, à qui était soumise une QPC sur l'absence de contradiction dans le transfert de propriété, a jugé que cette question n'était pas suffisamment sérieuse pour être transmise au Conseil constitutionnel. Les ordonnances rectificatives. Elles sont été consacrées dans le Code de l'expropriation. L'ordonnance d'expropriation peut être ultérieurement rectifiée, selon les mêmes règles que les jugements, pour redresser les erreurs ou les omissions tant matérielles que relatives à la désignation des personnes ou des immeubles expropriés. Ce mécanisme peut être mis en œuvre à la demande de l'administration mais aussi par le juge s'il constate cette erreur. On ne peut pas modifier les droits en cause. Une codification plus récente a fait

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disparaître par erreur la mention explicite des ordonnances rectificatives et elles continuent à exister dans la pratique.

B – Effets de l'ordonnance L'ordonnance d'expropriation transfère la propriété à l'expropriant et ce transfert est instantané (avant même la publication). Cela ne veut pas dire que l'expropriant peut prendre possession, il ne le pourra qu'après versement de l'indemnisation. L'expropriant ne peut pas renoncer à cette propriété. CE, 5 juillet 2010, Commune d'Angerville → le transfert de propriété est définitif, l'expropriant ne peut pas y renoncer et il doit verser l'indemnité d'expropriation. Simultanément, l'ordonnance d'expropriation a un autre effet, elle éteint tous les droits des tiers sur l'immeuble. Ces droits sont transformés en créances d'expropriation, donc en droits indemnitaires. Troisième effet, l'ordonnance d'expropriation envoie l'expropriant en possession sous la condition suspensive du paiement de l'indemnité. Le caractère préalable de l'indemnité est écarté dans certains cas pour des expropriations d'urgence. Quatrième effet, l'ordonnance d'expropriation marque le point de départ du délai de rétrocession. Ce délai est en principe de 5 ans. Au terme de ce délai, si l'administration n'a pas donné au bien l'utilité publique qui justifiait l'expropriation, l'exproprié a droit à la rétrocession de son bien. À sa demande, l'administration devra lui revendre son bien. Le seul recours contre l'ordonnance d'expropriation est un pourvoi en cassation. Celui-ci est spécialement réglementé par le Code de l'expropriation. On ne peut se pourvoir en cassation que pour incompétence, excès de pouvoir ou vice de forme. Ce pourvoi en cassation doit être formé dans les 15 jours. §3 – La fixation de l'indemnité

A – Procédure C'est ce même juge de l'expropriation qui va fixer l'indemnité. TC, 30 juin 2008, Commune de Villepinte c/ Banque populaire Rives de Paris → le juge judiciaire a une compétence générale et exclusive pour fixer l'indemnité en matière d'expropriation. Il faut donc distinguer la fixation de l'indemnité d'expropriation, compétence exclusive du juge de l'expropriation, de l'illégalité ou de la faute de l'administration dans la phase administrative qui, celles-là, peuvent engager la responsabilité de l'administration devant le juge administratif. Le juge de l'expropriation a interdiction de s'en remettre à expert. Il est son propre expert et il a, à ses côtés, le directeur départemental des domaines qui est l'expert foncier de l'administration. Déroulement de la procédure. L'expropriant va faire des offres aux futurs expropriés. Si la vente se réalise préalablement, elle est l'équivalent d'une ordonnance d'expropriation et aura les mêmes effets (purge des droits des tiers, déclenchement du délai de rétrocession, etc). Ces offres sont nécessaires car le préfet ne peut saisir le juge que si celles-ci sont restées infructueuses. Le juge va organiser une sorte de procédure contradictoire pour s'informer sur la valeur de l'indemnité de l'expropriation qu'il aura donc à arbitrer. L'expropriant notifie le montant de ses offres, le juge vérifie qu'il n'y a pas d'accord amiable, le juge organise la contradiction sur le montant de ces offres, le commissaire du gouvernement dépose éventuellement ses conclusions qui sont communiquées à l'exproprié, il y a un déplacement sur les lieux. Tout ceci conduit le juge à fixer l'indemnité. L'expropriant, l'exproprié ou le commissaire du gouvernement peuvent faire appel de la décision de jugement fixant l'indemnité devant la chambre de l'expropriation avant de former un pourvoi en cassation.

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Lorsque l'indemnité est fixée, l'expropriant a un délai strict pour la verser et, tant qu'il ne l'a pas versé, il ne peut pas entrer en possession.

B – Règles d'évaluation Il y a un principe général qui est posé à la fois dans la DDHC de 1789 et dans l'article L.13-13 du Code de l'expropriation et il n'y a pas une absolue convergence entre ces deux formules. L'article 17 de la DDHC dit que l'indemnité doit être juste et préalable. L'article L.13-13 du Code de l'expropriation va plus loin et dispose que « Les indemnités allouées doivent couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain, causé par l'expropriation ». L'indemnisation est liée au préjudice subi qui, évidemment, trouve sa base dans la valeur de l'immeuble. Ces formules interdisent toute indemnisation forfaitaire. Cass. civ. 3ème, 15 mai 1991, Talbot → la Cour de cassation condamne les expropriations au franc symbolique. Cette discordance entre la Constitution et le Code de l'expropriation pose deux problèmes. Premier problème, l'article L.13-13 parle de « préjudice direct, matériel et certain ». Est-il conforme à la justesse de l'indemnisation exigée par l'article 17 de la DDHC d'exclure le préjudice moral ? Cela a conduit la Cour de cassation à transmettre au titre de la QPC la question de savoir si la non-indemnisation du préjudice moral ne constituait pas une méconnaissance de la part du Code de l'expropriation du principe constitutionnel. CC, 21 janvier 2011, Seguier d'Agoult → le Conseil constitutionnel rejette la QPC au motif qu'aucune exigence constitutionnelle n'impose que la collectivité expropriante, poursuivant un objectif d'intérêt public, soit tenue de réparer la douleur morale éprouvée par le propriétaire à raison de la perte des biens expropriés. La Cour de cassation a repris cette décision et a précisé que, indépendamment de la douleur morale, le trouble dans les conditions d'existence n'est indemnisé que s'il constitue un dommage matériel tandis que le trouble dans le mode de vie, s'analysant en un préjudice moral, n'est pas indemnisé (Cass. civ. 3ème,16 mars 2011, Ferrera). Second problème, la loi, avec le préjudice directe, matériel et certain, est-elle en dessous des exigences constitutionnelles qui parle de juste indemnisation ? CC, 21 janvier 2011, Seguier d'Agoult → le Conseil constitutionnel répond que l'exigence de justesse de l'indemnité est satisfaite par le dispositif de l'article L.13-13. Il est acquis également que ce dispositif remplit les exigences conventionnelles, le protocole #1 étant moins exigeant. La formule de l'article L.13-13 utilise le pluriel, « les indemnités ». En effet, le juge de l'expropriation doit se prononcer sur toute une série d'indemnisation et il doit distinguer dans la somme allouée à chaque intéressé l'indemnité principale et, éventuellement, les indemnités accessoires qui sont prévues par le Code de l'expropriation. Ces indemnités accessoires peuvent consister, par exemple, en une dépréciation de la propriété restante. Toutes ces indemnités doivent être chiffrées distinctement de l'indemnité principale et chaque débiteur d'indemnité a son décompte d'indemnité avec une indemnité principale et des indemnités accessoires. Il va donc y avoir une vraie discussion poste budgétaire par poste budgétaire et non une indemnisation globale. À qui vont ces indemnités ? Elles vont à tous ceux dont les droits personnels ou réels sur l'immeuble se trouvent éteints du fait de l'expropriation. Ces droits sont transformés en créances et ce sont ces créances que le juge de l'expropriation va devoir chiffrer. À partir de là, il faut déterminer la consistance des biens expropriés et leur valeur. La consistance des biens expropriés. La consistance est celle des biens qui existaient à la date de l'ordonnance portant transfert de propriété. L'article L.13-14 du Code de l'expropriation ajoute que « les améliorations de toute nature […] qui auraient été faites […] même antérieurement à l'ordonnance

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d'expropriation, ne donnent lieu à aucune indemnité si […] il apparaît qu'elles ont été faites dans le but d'obtenir une indemnité plus élevée ». La valeur des biens. Initialement, dans le texte de 1958, la valeur des biens doit être évaluée à la date de la décision du juge fixant l'indemnité. Puis, en 1962, on a estimé que cette évaluation devait se faire un an avant l'ouverture de l'enquête préalable. Cette solution fut abandonnée en 1965 et on est revenu à la solution du jour du jugement. Cependant, le Code prévoit toute une série de dispositifs pour permettre de tenir compte de l'usage effectif de l'immeuble antérieurement au déclenchement de l'expropriation pour déjouer des changements de valeur artificiels. Le Code a donné au juge toute une série de paramètres dont il doit tenir compte et son jugement doit indiquer qu'il s'y est référé. Quel sont les principaux paramètres ? – Les accords réalisés à l'amiable entre l'expropriant et d'autres titulaires de droits sur les parcelles expropriées. Cass. civ. 3ème, 25 septembre 2002 → la Cour de cassation a jugé que cette façon de faire n'était pas contraire à la Conv. EDH. – Il est tenu compte de toutes les évaluations qui ont pu être faites et qui portaient indication de la valeur du bien, par exemple l'ISF dans lequel le contribuable déclare la valeur de son bien. – L'application de l'interdiction de l'ultra petita. Le juge doit statuer dans la double limite des propositions de l'expropriant et des demandes de l'exproprié. Il ne peut pas descendre en dessous des demandes de l'expropriant et il ne peut pas donner plus à l'exproprié que ce qu'il réclame. – La règle dite des « mutations récentes » qui signifie que, si l'immeuble a fait l'objet de mutations récemment, on tiendra compte de l'évaluation de l'immeuble lors de ces mutations et, si ces mutations ont donné lieu à un avis des domaines, on tiendra compte également de cet avis. – Si l'expropriation a pour conséquence une valorisation de la propriété conservée, il y aura une compensation des plus-values. La plus-value dégagée par l'expropriation sera chiffrée et s'imputera sur l'indemnité d'expropriation. – S'agissant de l'expropriation des terrains à bâtir, comment chiffrer la valeur de l'indemnité ? Qu'est-ce qu'un terrain à bâtir ? La loi de 1965 définissait les terrains à bâtir comme ceux situés dans une agglomération et qui sont, dans celle-ci, inscrits dans un plan d'urbanisme ou bien sont effectivement viabilisés, desservis par différents réseaux ou par la voirie. Mais cette définition a été supprimée par une loi de 1972 qui retient une définition au sens du Code de l'expropriation. Ce sont des terrains qui, un an avant l'ouverture de l'enquête, sont viabilisés, c'est-à-dire sont effectivement desservis par une voie d'accès, par un réseau électrique, par un réseau d'eau et par un réseau d'assainissement. – Il existe des règles particulières quant à l'indemnisation du tréfonds qui sont calées sur un barème. Peut-on exproprier en versant une indemnisation en nature ? L'article L.13-20, alinéa 1er, du Code de l'expropriation dispose que « Les indemnités sont fixées en espèces ». C'est le principe. Les textes ultérieurs ont apportés des exceptions dans lesquelles ce sont des prestations en nature qui vont, en tout ou partie, constituer l'indemnité d'expropriation. D'abord, dans de grandes expropriations par zone, il est prévu que l'expropriant peut se libérer de l'indemnisation en espèces s'il offre au professionnel commerçant, artisan ou industriel évincé un local équivalent situé dans la même agglomération (art. L.13-20). Ensuite, dans la grande loi de septembre 1948, il est dit que les locataires ou occupants d'un immeuble exproprié n'ont pas droit à un maintien dans les lieux mais l'administration doit assurer leur relogement. Sous-section 4 : Les incidents de la procédure normale Ces incidents sont des incidents heureux et ne sont pas des entraves à l'expropriation. Ce sont des incidents que le législateur a voulu favoriser parce que la procédure normale n'a pas vocation à aller jusqu'à son terme. Elle ira à son terme si ces incidents ne se produisent pas. §1 – Les cessions amiables L'ordonnance portant transfert de propriété et, a fortiori, le jugement fixant l'indemnité n'interviennent qu'à défaut d'accord amiable. La première chose que doit faire le juge de l'expropriation, c'est de s'assurer que

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l'expropriant, de bonne foi, a mené aussi loin que possible la procédure de négociation pour acquérir à l'amiable. C'est même une condition de légalité de l'ordonnance de transfert de propriété que d'établir clairement qu'il ne peut pas y avoir d'accord amiable. Cet accord amiable peut intervenir à n'importe quel moment de la procédure mais il faut que l'expropriant trouve les avantages qu'il trouve en passant par l'expropriation : récupérer un terrains libres de tout droit, récupérer une pleine propriété. Or, ce n'est pas le cas dans une vente ordinaire. Lorsque la cession intervient avant la DUP. Il peut y avoir cession amiable. Il s'agit d'une vente ordinaire qui, cependant, bénéficiera d'un avantage fiscal si l'immeuble est ensuite inclus dans la DUP (restitution des droits de timbre et d'enregistrement). Il est possible à l'expropriant de porter cet accord amiable devant le juge de l'expropriation qui va lui en donner acte et ce « donné acte » aura les mêmes effets juridiques que l'ordonnance d'expropriation, c'est-à-dire qu'il éteindra tous les droits réels et personnels sur l'immeuble. Lorsque la cession intervient après la DUP. L'accord porte le nom « d'adhésion à l'expropriation » et, automatiquement, il bénéficie d'un avantage fiscal (exemption des droits de timbre et d'enregistrement) et a un effet identique à l'ordonnance d'expropriation, c'est-à-dire qu'il purge le bien de tous les droits qui peuvent s'exercer sur celui-ci. Dans 80 % des cas d'expropriation, on débouche sur un accord à l'amiable. Ce qui fait que la phase administrative n'est que rarement suivie de la phase judiciaire. §2 – La réquisition d'emprise totale Il peut se faire qu'une expropriation partielle ne laisse entre les mains du propriétaire qu'un reliquat inutilisable. Dans ce cas de figure, l'article L.13-10 du Code va permettre à l'exproprié de requérir l'emprise totale, c'est-à-dire de demander l'expropriation du tout et donc l'indemnisation correspondante. Cette réquisition consiste à forcer la main à l'administration et signifie pour elle une charge financière supplémentaire et inutile. Cette réquisition d'emprise totale est encadrée dans la procédure et dans les délais. SI l'exproprié souhaite requérir l'emprise totale, il doit le faire dans les 15 jours de la notification faite par l'expropriant pour fixer les indemnités. Il faut aussi des conditions de fond qui diffèrent selon qu'il s'agit d'un terrain bâti ou d'un terrain nu. S'il s'agit d'un immeuble bâti, la réquisition d'emprise totale est justifiée si l'expropriation ne laisse qu'une partie restante inutilisable dans des conditions normales. Pour les terrains nus, on utilise un critère quantitatif, si l'expropriation réduit le terrain qui reste à l'exproprié au quart de la contenance totale du terrain, ce quart restant peut être inscrit dans une réquisition d'emprise totale mais à la condition que le propriétaire ne possède pas un autre terrain limitrophe. La loi d'orientation foncière de 1967 a également permis la réquisition d'emprise totale lorsqu'une emprise partielle compromet gravement l'unité économique d'une exploitation agricole. §3 – Le droit de rétrocession La rétrocession correspond à l'hypothèse dans laquelle le bien exproprié ne reçoit pas l'utilité publique qui justifiait son expropriation. Ce n'est pas rare dans la mesure où la personne publique, le plus souvent une collectivité locale, peut renoncer à un projet pour des raisons budgétaires, pour des raisons de tendances, etc. Il existe une procédure de rétrocession pour permettre au propriétaire exproprié la rétrocession de son bien, c'est-à-dire d'en reprendre la propriété. Ce droit de rétrocession est disponible aussi lorsqu'il y a eu une cession amiable dans le cadre de l'expropriation.

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Le principe, qui est aux articles L.12-6 et R.12-6 et suivants du Code de l'expropriation, est que « Si les immeubles expropriés […] n'ont pas reçu dans le délai de cinq ans la destination prévue ou ont cessé de recevoir cette destination, les anciens propriétaires ou leurs ayants droit à titre universel peuvent en demander la rétrocession pendant un délai de trente ans à compter de l'ordonnance d'expropriation, à moins que ne soit requise une nouvelle déclaration d'utilité publique ». Si rien ne s'est passé pendant 5 ans, les choses sont simples, la rétrocession pourra avoir lieu. En revanche, quid si l'immeuble a été cédé ou construit ? La Cour de cassation a d'abord dit que cette appréciation du point de savoir si l'immeuble avait reçu l'affectation qui justifiait l'expropriation se faisait pour l'ensemble de l'opération d'expropriation. Si un terrain n'était pas directement inclus dans cette opération mais que celle-ci se réalisait quand même, le droit de rétrocession n'était pas possible. TC, 23 février 2004, Commune d'Auribeau sur Siagne c/ Consorts Lagarrigue → le Tribunal des conflits a donné compétence au juge judiciaire pour fixer le prix de rétrocession mais aussi pour apprécier si l'affectation avait eu lieu. La rétrocession n'est pas le retour rétroactif sur la procédure d'expropriation. La rétrocession c'est une vente de l'expropriant, devenu propriétaire, à l'ancien propriétaire au prix de l'immeuble à ce moment là. La rétrocession est un droit d'acquisition dans le cadre d'une vente ordinaire sous le contrôle du juge judiciaire. Il y a des cas où la rétrocession s'avère impossible (l'immeuble a été détruit ou a été vendu). Dans ce cas, la jurisprudence et le Code de l'expropriation admettent que cette rétrocession se transforme en indemnité pour privation de jouissance ou indemnité compensatrice de la plus-value acquise par le bien entre temps. Cette indemnisation est fixée par le juge judiciaire qui, à cet égard, a une plénitude de compétence. On peut noter que la plupart des rétrocessions prend la forme d'indemnités parce qu'il ne peut pas récupérer son bien. Sous-section 5 : Les opérations complexes C'est un apport de l'ordonnance de 1958 qui a voulu organiser des expropriations avec plusieurs collectivités expropriantes et qui, souvent, sont destinées à plusieurs personnes morales de droit public ou plusieurs personnes morales de droit privé. Ce sont les articles L.21-1 et suivants du Code de l'expropriation. Lorsqu'il y a plusieurs expropriants, l'un d'entre eux est désigné comme chef de file par la DUP. Lorsqu'il y a plusieurs bénéficiaires, toute une série de dispositions sont intervenues qui concernent, d'une part, la réalisation de lotissements, de zones industrielles, de zones artisanales et, d'autre part, la lutte contre la pollution des eaux, pour la protection des forêts, pour l'installation de dispositifs de traitement des déchets et pour l'institution de réserves foncières. Dans toutes ces opérations, les propriétaires expropriés bénéficient d'un droit de priorité pour acquérir les immeubles réalisés au terme de l'expropriation. S'agissant des expropriations en profondeur, c'est-à-dire le jumelage d'opérations d'expropriation et de restructuration du foncier, on va exproprier des biens au-delà de ce qui est nécessaire pour mutualiser le coût de l'expropriation, des procédures spécifiques ont été mises en place qui ont été très utilisées. Sous-section 6 : Les procédures spéciales d'expropriation L'une des grandes idées de la réforme de 1958 était de faire disparaître ces régimes spéciaux. On y est largement parvenu mais pas complètement. §1 – Les procédures d'urgence Le Code a laissé subsister deux procédures d'urgence : la procédure d'urgence et la procédure d'extrême urgence.

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La procédure d'urgence consiste à respecter les différentes étapes de l'expropriation mais en raccourcissant les délais. Elle permet aussi, si le désaccord persiste sur le montant des indemnisations, de consigner l'indemnité proposée en attendant la décision du juge et de prendre possession. La procédure d'extrême urgence est, en principe, réservée aux travaux intéressant la défense nationale. Son objectif est d'abord une certaine discrétion (l'enquête publique sera éliminée) et ensuite de permettre une prise de possession rapide et notamment avant le versement de l'indemnité. Dès que les travaux auront été déclarés d'utilité publique, l'administration peut prendre possession alors qu'il n'y a pas de transfert de propriété. Cependant, si les intéressés le demandent, l'administration fixe des indemnités et elle en consigne le montant en attendant la décision du juge. Surtout, l'administration est tenue de poursuivre la procédure (obtention de l'ordonnance de transfert de propriété et la liquidation des indemnités) dans le mois, sinon elle engage sa responsabilité. Pour certains grands projets (pour la réalisation des cités administratives dans les départements créés dans l'ancien département de la Seine, pour les JO d'hiver à Grenoble puis pour ceux d'Albertville, pour la réalisation de certaines voies nationales expresses ou autoroutes), il y a eu des textes spéciaux qui ne sont pas reproduits dans le Code. Ces textes spéciaux ont des procédures accélérées qui conduisent à une prise de possession antérieure au versement de l'indemnité. Par exemple une loi du 2 août 1989 avait été déférée devant le Conseil constitutionnel qui avait dit que compte tenu de son champ d'application limité et des garanties assurées aux propriétaires intéressés, cette loi n'était pas contraire à l'article 17 de la DDHC (CC, 25 juillet 1889). §2 – L'expropriation pour la suppression de l'habitat insalubre Une loi de 1964 avait organisé un certain nombre de procédures accélérées pour l'expropriation des « bidonvilles » pour des raisons d'hygiène, de sécurité ou de salubrité. Là encore, le Conseil constitutionnel a jugé que ce régime spécial n'affecte pas les droits et libertés que la Constitution garantit (CC, 17 septembre 2010). C'est le préfet qui déclare l'utilité publique sans enquête publique préalable, qui ordonne l'envoi en possession sans décision du juge et qui fixe l'indemnité prévisionnelle. L'indemnisation prend la forme d'offre de relogement fait aux personnes expropriées. Dès 1982, la Cour de cassation a jugé que cette procédure ne saurait être étendue au-delà du domaine précis que la loi lui assigne (Ass. plén., 19 février 1982 → Commune de Bordeaux). §3 – L'expropriation pour cause de sécurité publique Loi du 2 février 1995 relative à l'expropriation de biens exposés à certains risques naturels majeurs menaçant gravement des vies humaines. L'objectif est donc d'éviter le péril que certains immeubles, dès lors qu'ils sont utilisés, représentent pour la vie humaine en fonction de risques naturels majeurs. Donc, de façon préventive, on va exproprier. Ici, il n'y a pas d'objectif d'utilité publique. C'est une forme de réquisition, de mesure de police. Le texte indique que l'expropriation doit être le dernier recours. D'autre part, seul l'État peut procéder à ces expropriations. L'enquête publique doit permettre de vérifier qu'il n'y a pas des moyens de police ordinaires qui permettraient d'éviter l'expropriation. L'indemnité d'expropriation est calculée sans tenir compte de la perte de valeur qui résulte pour l'immeuble du fait qu'il soit exposé à ces risques majeurs. Ces indemnités sont versées par un fonds alimenté par une contribution versée par les assureurs (donc par les assurés qui paient ça dans leur prime d'assurance) et on a créé un fonds de prévention des risques naturels majeurs qui distribue ces indemnités.

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Section 4 : Les procédures voisines de l'expropriation §1 – Le régime de l'expropriation dans le cadre des lois de nationalisation Nous sommes en présence d'une forme d'expropriation. Les textes qui régissent les nationalisations sont toujours restés extérieurs au Code de l'expropriation. Mais ils se situent dans le champ d'application de l'article 17 de la DDHC, donc même base constitutionnelle. Ces textes ont un effet d'expropriation notamment immobilière. Mais ils englobent aussi des éléments mobiliers et, quelque fois aussi, une expropriation du capital des entreprises. Les nationalisations du Front populaire étaient régies par une loi du 11 août 1936 qui prévoyait un décret en conseil des ministres déclarant l'utilité publique, déterminant les emprises à exproprier, le transfert de propriété et l'envoi en possession. Donc, une procédure purement administrative. À la libération et en 1981/1982, ce sont des lois spéciales par entreprise nationalisée (en 1945/1947) ou une loi générale qui comportait une listes d'entreprises (en 1982). Ces expropriations portent uniformément sur des ensembles industriels et commerciaux, des ensembles appartenant à des sociétés anonymes. L'expropriation prend la forme d'un transfert des actions à l'État. Deux solutions à cet égard. Soit on transforme les actions acquises par l'État en titres participatifs, en obligations, en parts bénéficiaires, qui sont attribués aux anciens actionnaires. Ce procédé a été très critiqué comme comprenant une forme de spoliation. Soit on indemnise. Le Conseil constitutionnel indique qu'il y a une forme de respect qui doit être dû à l'article 17 de la DDHC (CC, 16 janvier 1982 et CC, 11 février 1982). §2 – L'expropriation indirecte C'est une notion de la jurisprudence judiciaire qui est apparue dans le cas de figure suivant. L'administration réalise un ouvrage public sur un terrain lui appartenant. Elle empiète sur la propriété privée voisine, donc emprise irrégulière constitutive de voie de fait. Le juge judiciaire intervient pour faire cesser la voie de fait et démolir la partie de l'ouvrage public qui empiète sur la propriété privée. La notion d'expropriation indirecte vient empêcher la démolition de l'ouvrage public. Cela ne date pas d'hier. Sous l'ancien régime, les parlements avaient déjà jugé que, dans ce cas de figure, il fallait considérer que l'intérêt public qui s'attache au maintien de l'ouvrage public ne justifiait pas la démolition, que c'était disproportionné. Le juge judiciaire apprécie l'utilité publique de l'ouvrage, prononce le transfert de propriété et accorde l'indemnité d'expropriation. Cette jurisprudence a beaucoup fonctionné dans ce cas de figure pour des emprises mineures. On s'est posé la question de la conformité à l'article 17 de la DDHC. Cass. Ass. plén., 6 janvier 1994, Consorts Baudon de Mony c/ EDF → la Cour de cassation est venue condamner l'expropriation indirecte dans un motif de principe : « le transfert de propriété, non demandé par le propriétaire, ne peut intervenir qu'à la suite d'une procédure régulière d'expropriation ». Cet arrêt aboutit à condamner l'expropriation indirecte mais ne met pas fin pour autant au principe d'intangibilité de l'ouvrage public. Les effets de la jurisprudence Baudon de Mony sur le droit de l'ouvrage public. L'ouvrage public n'est défini nul part. Il se distingue du travail public dans la mesure où il est un ouvrage achevé. C'est une notion apparue dans la jurisprudence autour d'un principe qui vient de l'ancien droit qui est le principe d'intangibilité de l'ouvrage public. Même si l'ouvrage public était irrégulier, il était protégé. Protégé contre qui ? Contre le juge judiciaire, gardien de la propriété, qui lui a vocation à prononcer une injonction de destruction d'un ouvrage irrégulièrement édifié. Une catégorie d'ouvrages doit être protégée absolument compte tenu de l'utilité qu'ils remplissent. À partir du moment où le juge administratif peut adresser des

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injonctions, aura-t-il l'audace d'adresser à l'administration ce type d'injonctions que le juge judiciaire se refuse à adresser ? Différents éléments dans l'évolution. D'abord, certains considèrent que le principe d'intangibilité est trop absolu. Dès lors qu'on a un juge qui peut apprécier l'utilité publique de l'ouvrage, cette intangibilité doit laisser la place à une sorte de théorie du bilan. C'est ce que le Conseil d'État va juger (CE, 29 janvier 2003, Syndicat départemental de l'électricité et du gaz des Alpes-Maritimes et Commune de Clans) en introduisant une tangibilité mesurée, l'intangibilité s'applique au terme d'un bilan coût-avantages qui se fait au cas par cas. Certains ont pronostiqué une disparition de l'ouvrage public. Pourquoi ? Parce que c'est l'époque d'un certain recul de la domanialité publique et que c'est l'époque aussi où se multiplient les transferts de propriétés (notamment les établissements publics transformés en sociétés). CE, 29 avril 2010, Béligaud → la jurisprudence a une réaction inverse. Précisément parce que la domanialité publique et que la propriété publique reculent, il faut promouvoir l'ouvrage public et continuer à le protéger parce qu'il est l'expression physique de l'utilité publique et de l'affectation. Du même coup, l'arrêt Béligaud donne les éléments de définition de l'ouvrage public. « La qualification d'ouvrage public peut être déterminée par la loi. Présentent aussi le caractère d'ouvrage public notamment les biens immeubles résultant d'un aménagement qui sont directement affectés à un service public, y compris s'ils appartiennent à une personne privée chargée de l'exécution d'un service public ». L'ouvrage public est donc identifié et bénéficie d'une protection juridique appelée par l'utilité qu'il remplit directement affecté au service public.

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CHAPITRE PRÉLIMINAIRE : THÉORIE GÉNÉRALE DE LA PROPRIÉTÉ PUBLIQUE ..... 3  Section 1 : Le principe d'un droit de propriété des personnes publiques sur leurs biens ..................... 5  

§1 – Les thèses hostiles à l'idée de propriété .................................................................................... 5  §2 – La thèse de la propriété ............................................................................................................. 6  

Section 2 : Le régime de la propriété publique ..................................................................................... 8  §1 – La propriété des personnes publiques est de même nature que celles des personnes privées .. 8  §2 – Les caractéristiques de la propriété des personnes publiques ................................................... 9  

A – L'incessibilité à vil prix de la propriété publique ................................................................... 9  B – L'insaisissabilité ................................................................................................................... 10  

PARTIE 1 : LES PROPRIÉTÉS PUBLIQUES ......................................................................................... 12  TITRE 1 – LA DISTINCTION DU DOMAINE PUBLIC ET DU DOMAINE PRIVÉ .................... 13  

Section 1 : Apparition historique de la notion de domaine public ..................................................... 13  Section 2 : Intérêt de la distinction ..................................................................................................... 14  Section 3 : Critères de la distinction ................................................................................................... 14  Section 4 : Mise en œuvre de la distinction ........................................................................................ 17  

TITRE 2 – LES BIENS DU DOMAINE PUBLIC ................................................................................. 18  SOUS-TITRE 1 – LA CONSISTANCE DU DOMAINE PUBLIC ...................................................... 18  

CHAPITRE 1 : LA PROPRIÉTÉ DES COLLECTIVITÉS PUBLIQUES SUR LES BIENS DE LEUR DOMAINE PUBLIC ................................................................................................................ 18  

Section 1 : La propriété d'une personne publique : condition de la domanialité publique ................. 18  §1 – Une propriété publique ........................................................................................................... 18  §2 – Une pleine propriété ............................................................................................................... 19  

A – Le cas de la copropriété ....................................................................................................... 20  B – Le cas d'une collectivité publique titulaire d'un bail emphytéotique ................................... 20  C – Vers une remise en cause de ces analyses et solutions ? ..................................................... 20  

Section 2 : Les personnes publiques propriétaires de dépendances du domaine public ..................... 21  §1 – Le domaine public des établissements publics ....................................................................... 21  §2 – Le domaine public des autres personnes publiques spéciales ................................................ 23  

Section 3 : La répartition du domaine public entre les collectivités publiques .................................. 23  Section 4 : Propriétaire et affectataire ................................................................................................ 24  

CHAPITRE 2 : L'AFFECTATION DES BIENS DU DOMAINE PUBLIC À UNE UTILITÉ PUBLIQUE ........................................................................................................................................... 25  

Section 1 : La domanialité publique résultant de l'affectation des biens à l'usage du public ............. 25  §1 – Le critère de l'affectation des biens à l'usage du public .......................................................... 25  §2 – La mise en œuvre du critère de l'affectation à l'usage du public ............................................ 26  

A – Le domaine public maritime ................................................................................................ 26  B – Les domaines publics aérien et hertzien .............................................................................. 28  C – Le domaine public fluvial .................................................................................................... 29  D – Le domaine public terrestre ................................................................................................. 29  E – Le domaine public cultuel .................................................................................................... 30  

Section 2 : La domanialité publique résultant de l'affectation des biens à un service public ............. 31  §1 – L'affectation aux services publics comme source de la domanialité publique ....................... 31  

A – Les dépendances artificielles du domaine public naturel .................................................... 31  B – Le domaine public militaire ................................................................................................. 31  C – Le domaine ferroviaire ......................................................................................................... 31  D – Affectation à divers services publics ................................................................................... 32  E – Le domaine public mobilier ................................................................................................. 32  

§2 – Étendue et limites des dépendances du domaine public affectées aux services publics ........ 33  A – La domanialité publique globale ......................................................................................... 33  

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B – Le critère de l'aménagement spécial ou indispensable [NON TRAITÉ] ............................. 34  Section 3 : L'élargissement de la domanialité publique par l'application des notions de complément ou accessoire ....................................................................................................................................... 34  Section 4 : Le domaine public par anticipation ou « virtuel » : une disparition annoncée ................. 35  

§1 – Apparition de la notion de domaine public « virtuel » ........................................................... 35  §2 – Éléments d'appréciation .......................................................................................................... 36  §3 – Le Code général de la propriété des personnes publiques : une clarification ......................... 36  

SOUS-TITRE 2 – LE RÉGIME JURIDIQUE DU DOMAINE PUBLIC ........................................... 37  CHAPITRE 1 : INCORPORATION AU DOMAINE PUBLIC ET SORTIE DU DOMAINE PUBLIC ................................................................................................................................................. 37  

Section 1 : L'incorporation au domaine public ................................................................................... 37  §1 – Modalités de l'affectation ........................................................................................................ 38  §2 – Compétence pour décider l'affectation entraînant l'incorporation du bien au domaine public38  

Section 2 : Désaffectation, déclassement et sortie du domaine public ............................................... 39  §1 – La condition du déclassement ................................................................................................. 39  §2 – Impossibilité de vendre un bien déclassé mais non désaffecté ............................................... 40  

Section 3 : Les transferts en propriété de dépendances du domaine public entre personnes publiques ............................................................................................................................................................ 41  

CHAPITRE 2 : TRANSFERTS DE BIENS DU DOMAINE PUBLIC DES PERSONNES PUBLIQUES ......................................................................................................................................... 42  CHAPITRE 3 : L'INALIÉNABILITÉ ET L'IMPRESCRIPTIBILITÉ DU DOMAINE PUBLIC ................................................................................................................................................................ 43  

Section 1 : L'inaliénabilité du domaine public ................................................................................... 43  §1 – Origine historique de l'inaliénabilité du domaine public ........................................................ 43  §2 – La règle actuelle d'inaliénabilité : expression et autorité ........................................................ 43  §3 – Caractères généraux de l'inaliénabilité du domaine public .................................................... 43  §4 – Conséquences de l'inaliénabilité ............................................................................................. 44  

A – Interdiction des aliénations .................................................................................................. 44  B – Exclusion des actions possessoires des particuliers sur le domaine public ......................... 44  C – Interdiction de la copropriété ............................................................................................... 45  D – Interdiction du bail commercial ........................................................................................... 45  E – La constitution de droits réels sur le domaine public ........................................................... 45  

Section 2 : L'imprescriptibilité du domaine public ............................................................................. 47  CHAPITRE 4 : LA PROTECTION DU DOMAINE PUBLIC ........................................................ 47  

Section 1 : L'obligation d'entretien du domaine public ...................................................................... 48  Section 2 : La protection pénale du domaine public .......................................................................... 48  

§1 – La police de la conservation ................................................................................................... 48  §2 – Les contraventions de voirie ................................................................................................... 49  

A – Distinction des contraventions de grande et de petite voirie ............................................... 49  B – Régime des contraventions de voirie ................................................................................... 49  

SOUS-TITRE 3 – LES UTILISATIONS DU DOMAINE PUBLIC .................................................... 51  INTRODUCTION ................................................................................................................................ 51  

Section 1 : Classifications ................................................................................................................... 51  Section 2 : Pouvoirs de l'administration ............................................................................................. 51  Section 3 : Situation juridique des usagers du domaine public .......................................................... 52  

CHAPITRE 1 : L'UTILISATION DU DOMAINE PUBLIC SELON SON AFFECTATION ..... 52  Section 1 : L'usage commun des voies publiques ............................................................................... 52  

§1 – L'application des principes généraux de la police administrative .......................................... 52  §2 – L'extension des pouvoirs de police administrative ................................................................. 53  

Section 2 : L'usage privatif normal du domaine public ...................................................................... 54  

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§1 – Concessions d'emplacements dans les halles et marchés ....................................................... 54  §2 – Concessions de sépultures dans les cimetières ....................................................................... 54  

CHAPITRE 2 : L'OCCUPATION PRIVATIVE DU DOMAINE PUBLIC ................................... 55  Section unique : Le droit commun des occupations domaniales privatives compatibles ................... 56  

§1 – L'autorisation d'occupation domaniale ................................................................................... 56  A – Caractères généraux de l'autorisation .................................................................................. 56  B – Autorisation unilatérale ou contractuelle ............................................................................. 57  

1 – La permission de voirie .................................................................................................... 57  2 – La concession de voirie .................................................................................................... 58  

C – Transparence et concurrence dans l'attribution des titres domaniaux .................................. 58  §2 – La redevance ........................................................................................................................... 59  

A – Le principe de la redevance ................................................................................................. 59  B – Nature juridique de la redevance ......................................................................................... 60  C – Montant de la redevance ...................................................................................................... 60  

§3 – La protection de l'occupant domanial ..................................................................................... 61  A – Protection en cours d'occupation ......................................................................................... 61  B – Protection en fin de titre ....................................................................................................... 61  

§4 – Les droits de l'occupant sur les installations réalisées ............................................................ 61  §5 – La précarité des occupations domaniales ............................................................................... 64  

CHAPITRE 3 : LE VOISINAGE DU DOMAINE PUBLIC ............................................................ 65  Section 1 : La délimitation du domaine public ................................................................................... 65  

§1 – La délimitation du domaine public naturel ............................................................................. 66  §2 – La délimitation du domaine public artificiel (voirie routière) : l'alignement ......................... 66  

A – Le plan d'alignement ............................................................................................................ 67  B – L'alignement individuel ....................................................................................................... 67  C – Le droit de l'alignement : aspects constitutionnels et conventionnels ................................. 67  

Section 2 : Le domaine public et les rapports de voisinage ................................................................ 68  §1 – Les charges de voisinage au profit du domaine public ........................................................... 68  

A – Les charges de droit commun .............................................................................................. 68  B – La question des servitudes administratives .......................................................................... 68  

§2 – Les charges de voisinage grevant le domaine public ............................................................. 69  

TITRE 3 – LES BIENS DU DOMAINE PRIVÉ ................................................................................... 70  PARTIE 2 : LES MODES DE CESSION FORCÉE DES BIENS ........................................................... 72  

CHAPITRE 1 : L'EXPROPRIATION POUR CAUSE D'UTILITÉ PUBLIQUE ......................... 73  Section 1 : Principes et bases du droit de l'expropriation ................................................................... 73  

§1 – Affirmation historique des principes traditionnels de l'expropriation .................................... 73  §2 – Sources : le Code de l'expropriation ....................................................................................... 74  §3 – Bases constitutionnelles et conventionnelles du droit de l'expropriation ............................... 74  

A – Les bases constitutionnelles ................................................................................................. 74  B – Les bases conventionnelles : la CEDH ................................................................................ 75  

Section 2 : Les conditions d'emploi de l'expropriation ....................................................................... 76  §1 – Les titulaires du pouvoir d'exproprier ..................................................................................... 76  

A – Personnes habilitées à mettre en œuvre la procédure d'expropriation ................................. 76  B – Conduite de la procédure d'expropriation : le rôle de l'État ................................................. 76  

§2 – Les biens susceptibles d'être expropriés ................................................................................. 76  A – Immeubles et droits réels immobiliers ................................................................................. 76  B – Le cas des immeubles des personnes publiques .................................................................. 77  

§3 – Les buts légitimes de l'expropriation : la notion d'utilité publique ......................................... 77  A – Législation ........................................................................................................................... 77  B – Jurisprudence ....................................................................................................................... 78  

§4 – Les bénéficiaires de l'expropriation ........................................................................................ 78  

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Section 3 : La procédure de l'expropriation ........................................................................................ 79  Sous-section 1 : La réforme de 1958 .................................................................................................. 79  

§1 – Les raisons de la réforme de 1958 .......................................................................................... 79  §2 – Les grandes lignes de la réforme de 1958 .............................................................................. 79  

Sous-section 2 : La phase administrative ........................................................................................... 80  §1 – L'enquête préalable ................................................................................................................. 80  

A – La constitution du dossier .................................................................................................... 80  B – L'enquête publique ............................................................................................................... 81  

1 – L'enquête ordinaire ou de droit commun (art. R.11-4 et s.) .............................................. 81  2 – L'enquête « démocratisée » de la loi de 1983 (art. R.11-14-1 et s.) ................................. 82  3 – La procédure du débat public ........................................................................................... 82  

§2 – La déclaration d'utilité publique (DUP) .................................................................................. 82  A – Autorité compétente pour déclarer l'utilité publique ........................................................... 83  B – Délai d'intervention de la déclaration d'utilité publique ...................................................... 83  C – Nature juridique de l'acte déclaratif d'utilité publique ......................................................... 83  D – Effets de la déclaration d'utilité publique ............................................................................ 83  E – Contentieux de la déclaration d'utilité publique ................................................................... 84  

1 – Les pouvoirs du juge ......................................................................................................... 84  2 – Les effets de l'annulation .................................................................................................. 84  

§3 – L'arrêté de cessibilité .............................................................................................................. 85  Sous-section 3 : La phase judiciaire ................................................................................................... 85  

§1 – La juridiction de l'expropriation ............................................................................................. 85  §2 – L'ordonnance d'expropriation ................................................................................................. 86  

A – Procédure ............................................................................................................................. 86  B – Effets de l'ordonnance .......................................................................................................... 87  

§3 – La fixation de l'indemnité ....................................................................................................... 87  A – Procédure ............................................................................................................................. 87  B – Règles d'évaluation .............................................................................................................. 88  

Sous-section 4 : Les incidents de la procédure normale ..................................................................... 89  §1 – Les cessions amiables ............................................................................................................. 89  §2 – La réquisition d'emprise totale ................................................................................................ 90  §3 – Le droit de rétrocession .......................................................................................................... 90  

Sous-section 5 : Les opérations complexes ........................................................................................ 91  Sous-section 6 : Les procédures spéciales d'expropriation ................................................................. 91  

§1 – Les procédures d'urgence ........................................................................................................ 91  §2 – L'expropriation pour la suppression de l'habitat insalubre ..................................................... 92  §3 – L'expropriation pour cause de sécurité publique .................................................................... 92  

Section 4 : Les procédures voisines de l'expropriation ....................................................................... 93  §1 – Le régime de l'expropriation dans le cadre des lois de nationalisation .................................. 93  §2 – L'expropriation indirecte ......................................................................................................... 93