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Elections nationales, crise financière, Rio+20 Avez-vous remarqué? Même les grands médias ont fini par s’en apercevoir: depuis quelques mois et au fil de la campagne électorale nationale, l’écologie a disparu… à tel point qu’en finir avec l’écologie semble avoir été une part du programme secret de la plupart des candidats de 2012. Mais le projet, malheureusement, ne se limite pas à la France. Sous couvert de crise de l’euro, les principales autorités européennes – Commission, Conseil européen, grands Etats – entendent accélérer l’agenda de Lisbonne et tirer vers le bas les législations sociales et environnementales européennes qui, il y a encore quelques mois, faisaient rêver les citoyens de nombreux pays du monde. Le salut, alors, par les Nations unies? Le premier Sommet de la Terre, en 1992, avait consacré l’expression “développement soutenable”, aussitôt devenu “durable” en français,facilitant les dérives auxquelles on a assisté. En comparaison, la préparation de Rio+20 fait figure de sombre parodie. Le projet de déclaration finale entend placer tous les biens naturels et collectifs dans la main de marchés fabriqués de toutes pièces avec l’active collaboration des banques, assurances et autres fonds spéculatifs. Ainsi, en 1992, le pavillon de la France était tenu – et loué – par l’Ademe. En juin 2012, il le sera – avec la bénédiction de François Fillon, ministre de l’Ecologie par intérim dans le dernier gouvernement Sarkozy – par un groupement de multinationales françaises, dont les inévitables Veolia, Vinci et consorts. Il est donc plus que temps de rassembler les forces décidées à remettre à leur place l’argent, les multinationales et le pouvoir d’une oligarchie planétaire qui, au nom des “forces naturelles” du marché, dicte sa loi et fait main basse sur les ressources naturelles et les écosystèmes déjà très fragilisés. Depuis 1971 Printemps 2012 / 3,20 N°169 France L’écologie portée disparue > page 2 En matière d’écologie, l’élection de François Hollande n’augure pas de rupture majeure. Les associations doivent rester très pugnaces. Euro(pe) Vous reprendrez bien un petit coup de crise… > page 3 Depuis 1973, les crises se succèdent : chocs pétroliers, krachs boursiers, bulle Internet… Née de la crise des subprimes, voici celle de la dette publique. Rio+20 Planète à vendre > page 4 Le “Sommet de Rio” a vingt ans. La Conférence sur le développement durable que l’Onu convoque en juin ne s’annonce pas sous les mêmes auspices. Energie et climat Ne pas confondre méthane et méthane > page 5 Arrêter d’émettre du méthane, l’un des gaz à effet de serre les plus redoutables, s’impose. Mais il provient de sources multiples – naturelles ou humaines. Décryptage. Sables bitumineux Une directive européenne bloquée par les lobbies > page 5 Classer les carburants en fonction de leur “densité carbonée” ? Pas question pour les industries extractivistes. Analyse Que reste-t-il de l’écologie ? > page 6 Comprendre pourquoi l’époque est ingrate pour l’écologie est indispensable pour décrypter les forces à affronter et se remettre en question. Entretiens. Réforme de l’Etat L’administration de l’environnement brisée > page 8 Après avoir supprimé de nombreux postes de fonctionnaires, l’Etat regroupe sous l’égide des préfets de Région les services dépendant de ministères différents. Relocalisation Contrer la tentation nationaliste > page 8 L’extrême droite refuse la mondialisation, mais pas le capitalisme entrepreneurial local. Pour nous, relocaliser, c’est tendre vers une société anticapitaliste. Proposer des alternatives Société L’écologie choisit la démocratie directe > page 9 Une réflexion sur le fonctionnement de nos sociétés, et sur leurs modes d’expression démocratique, est indispensable à plus de justice et de citoyenneté. Du contrat social Pour un espace écologique des revenus > page 10 Le concept d’espace écologique proposé par les Amis de la Terre se transpose aisément à un “espace des revenus”, défini par un plancher et un plafond. Initiatives Monnaie locale, activité politique locale > page 10 Créer une monnaie locale complémentaire se situe à la croisée de deux problèmes politiques globaux : celui de la monnaie et celui des alternatives. Luttes Le béton doit cesser de bouffer les terres > page 11 LGV, THT, aéroport… Les mégaprojets inutiles grignotent la terre agricole. Mais les citoyens s’organisent et multiplient les résistances créatives. Parfois gagnantes. Pouvoir local Contrer l’étalement urbain > page 11 L’extension démesurée des zones d’habitat et d’activité constitue une aberration écologique et sociale. Les élus locaux disposent pourtant d’outils. Un été militant Les mobilisations à venir > page 12 Appel au rassemblement des porteurs d’alternatives écologiques et sociales > L’agenda des rendez-vous de l’été Numéro spécial www.amisdelaterre.org En finir avec l’écologie

La Baleine 169

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En finir avec l'écologie

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Page 1: La Baleine 169

Elections nationales, crise financière, Rio+20

Avez-vous remarqué!? Même les grands médias ont fini par s’en apercevoir!: depuis quelques mois et au fil de la campagne électorale nationale, l’écologie a disparu… à tel point qu’en finir avec l’écologie semble avoir été une part du programme secret de la plupart des candidats de 2012. Mais le projet, malheureusement, ne se limite pas à la France. Sous couvert de crise de l’euro,les principales autorités européennes – Commission, Conseileuropéen, grands Etats – entendent accélérer l’agenda de Lisbonne et tirer vers le bas les législations sociales et environnementales européennes qui, il y a encore quelques mois, faisaient rêver les citoyens de nombreux pays du monde. Le salut, alors, par les Nations unies!? Le premierSommet de la Terre, en 1992, avait consacré l’expression“développement soutenable”, aussitôt devenu “durable” en français,!facilitant les dérives auxquelles on a assisté. En comparaison, la préparation de Rio+20 fait figure de sombre parodie. Le projet de déclaration finale entendplacer tous les biens naturels et collectifs dans la main de marchés fabriqués de toutes pièces avec l’activecollaboration des banques, assurances et autres fondsspéculatifs. Ainsi, en 1992, le pavillon de la France était tenu – et loué – par l’Ademe. En juin 2012, il le sera – avec la bénédiction de François Fillon, ministre de l’Ecologie par intérim dans le dernier gouvernementSarkozy – par un groupement de multinationales françaises,dont les inévitables Veolia, Vinci et consorts. Il est donc plusque temps de rassembler les forces décidées à remettre à leur place l’argent, les multinationales et le pouvoir d’une oligarchie planétaire qui, au nom des “forces naturelles”du marché, dicte sa loi et fait main basse sur les ressourcesnaturelles et les écosystèmes déjà très fragilisés.

Depuis 1971 Printemps 2012 / 3,20 ! N°169

France L’écologie portée disparue> page 2 En matière d’écologie, l’élection

de François Hollande n’augure pas de rupture majeure.Les associations doivent rester très pugnaces.

Euro(pe) Vous reprendrez bien un petit coup de crise…

> page 3 Depuis 1973, les crises se succèdent : chocspétroliers, krachs boursiers, bulle Internet… Née de la crise des subprimes, voici celle de la dette publique.

Rio+20 Planète à vendre > page 4 Le “Sommet de Rio” a vingt ans. La Conférence

sur le développement durable que l’Onu convoque en juinne s’annonce pas sous les mêmes auspices.

Energie et climat Ne pas confondreméthane et méthane

> page 5 Arrêter d’émettre du méthane, l’un des gaz à effetde serre les plus redoutables, s’impose. Mais il provient de sources multiples – naturelles ou humaines. Décryptage.

Sables bitumineux Une directiveeuropéenne bloquée par les lobbies

> page 5 Classer les carburants en fonction de leur “densitécarbonée” ? Pas question pour les industries extractivistes.

Analyse Que reste-t-il de l’écologie ?> page 6 Comprendre pourquoi l’époque est ingrate

pour l’écologie est indispensable pour décrypter les forces à affronter et se remettre en question. Entretiens.

Réforme de l’Etat L’administration de l’environnement brisée

> page 8 Après avoir supprimé de nombreux postes de fonctionnaires, l’Etat regroupe sous l’égide des préfets de Région les services dépendant de ministères différents.

RelocalisationContrer la tentation nationaliste

> page 8 L’extrême droite refuse la mondialisation, mais pas le capitalisme entrepreneurial local. Pour nous,relocaliser, c’est tendre vers une société anticapitaliste.

Proposer des alternativesSociété L’écologie choisit

la démocratie directe> page 9 Une réflexion sur le fonctionnement de nos

sociétés, et sur leurs modes d’expression démocratique,est indispensable à plus de justice et de citoyenneté.

Du contrat social Pour un espaceécologique des revenus

> page 10 Le concept d’espace écologique proposé parles Amis de la Terre se transpose aisément à un “espacedes revenus”, défini par un plancher et un plafond.

Initiatives Monnaie locale, activité politique locale

> page 10 Créer une monnaie locale complémentaire se situe à la croisée de deux problèmes politiquesglobaux : celui de la monnaie et celui des alternatives.

Luttes Le béton doit cesser de bouffer les terres

> page 11 LGV, THT, aéroport… Les mégaprojets inutilesgrignotent la terre agricole. Mais les citoyens s’organisentet multiplient les résistances créatives. Parfois gagnantes.

Pouvoir local Contrer l’étalement urbain> page 11 L’extension démesurée des zones d’habitat et

d’activité constitue une aberration écologique et sociale. Les élus locaux disposent pourtant d’outils.

Un été militant Les mobilisations à venir

> page 12 Appel au rassemblement des porteurs d’alternatives écologiques et sociales

> L’agenda des rendez-vous de l’été

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En finir avec l’écologie

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Depuis 1973 et le génial coup de poker de l’Opepsuite à la guerre du Kippour (voir ci-contre), le dis-cours dominant n’est plus celui de l’expansion et duprogrès, mais celui de la crise.

L’ordinaire de la crise Dès 1973, Ivan Illitch l’avait analysé1 : la civilisation oc-cidentale semble prise dans un gigantesque effet deciseau. D’une part, il faut toujours plus de matièrespremières et d’énergie pour rendre un service com-parable. Il en va ainsi du téléphone mobile par rapportau téléphone fixe, des appareillages invraisemblablesfaisant appel à des serveurs informatiques situés auxquatre coins de la planète pour commander une pizzaà 200 mètres de chez soi, d’objets dont l’obsoles-cence programmée est toujours plus rapide, etc.Cette consommation hyper-industrielle et invisible ren-force le pouvoir des oligopoles sur la majorité des po-pulations, au Nord comme au Sud.

D’autre part, les inégalités sociales et territorialesexplosent, reléguant les classes populaires, et au-jourd’hui aussi les classes moyennes, dans desconditions de vie de plus en plus indignes, écraséesentre les consommations contraintes – voiture, chauf-fage, etc. – et des revenus qui ne peuvent suivre lecours de matières premières toujours plus rares et lacroissance des remboursements de la dette pu-blique. On peut encore, par médias et crédits inter-posés, laisser à l’affiche le mirage des classesmoyennes jouissant des splendides “fruits de la crois-sance”. Mais le malaise pointe! : ces mythiquesclasses moyennes ont réalisé qu’elles fondent commeneige au soleil, prises au piège d’une culture construitepar les firmes industrielles surexcitées par les intérêtsdes acteurs financiers.

Une dette-accélérateurDepuis, la logique à l’œuvre s’est démultipliée àl’échelle de la planète grâce à la machinerie de ladette financière, véritable carburant de la prédationdes ressources naturelles. En 1973, déjà, les pro-grès de l’informatique permettaient de rendre lesmarchés financiers toujours plus “efficaces” et lesmultinationales occidentales organisaient le pillagedes ressources dans les anciennes colonies.

La principale nouveauté est là! : le capitalisme fi-nancier a pris sur l’industrie la revanche qu’il attendaitdepuis l’entre-deux-guerres. C’est en 1973 que Va-

léry Giscard d’Estaing obtenait le vote d’une loi obli-geant l’Etat à financer ses déficits auprès des banquesprivées. Il leur offrait ainsi sur un plateau le monopolede la création monétaire par le crédit. Jusque là, cemonopole était celui des banques centrales (cheznous, la Banque de France), qui, moyennant une lé-gère inflation, renflouaient les caisses des Etats à tauxzéro. Adieu la planche à billets : les économies occi-dentales entraient dans l’ère du crédit triomphant.

A la même époque en effet, les futurs pays de lazone euro ont adopté des lois comparables. Depuis,l’Europe de Maastricht et de Lisbonne a enfoncé leclou. Des textes (les fameux traités) ont été imposésaux populations, parfois clairement contre leur vo-lonté – comme le prouvaient les “Non” irlandais, hol-landais et français en 2005. Ces textes entérinentl’indépendance de la Banque centrale européenne(BCE) et interdisent aux Etats de se financer auprèsd’elle (en revanche, elle a le droit – et ne s’en privepas – de financer les banques privées qui financentles Etats) ou de s’entraider.

Le coup de grâce a été la crise des subprimes,qui a conduit les Etats à s’endetter pour sauver leursbanques de la faillite. Les résultats sont là!: le cumulde la dette publique française est passé de 1 000 mil-liards d’euros en 2003 à plus de 1 700 milliardsd’euros en 2012. La dette de l’Espagne, qui n’attei-gnait que 40 % de son PIB en 2007, en représenteprès de 80 % en 2012. Après la Grèce et le Portu-gal, c’est le tour de l’Espagne et de l’Italie.

Voici ouverte la crise de l’euro, sommet de l’ab-surde!: il faudrait maintenant rembourser les banques.Le Mécanisme européen de stabilité et le Traité surla stabilité, la coordination et la gouvernance, quidoivent être ratifiés en 2012, visent à inscrire dans laconstitution une “règle d’or” draconienne s’imposantà tous les Etats, au nom du remboursement de ladette – dont une grande part est tout aussi illégitimeau Nord qu’elle l’était au Sud. Le mécanisme est lemême que celui appliqué depuis les années 1980 àde nombreux pays d’Amérique latine, d’Afrique etd’Asie à travers les programmes imposés par le FMI.

Ce mécanisme infernal, à l’œuvre désormais enEurope aussi, permet d’appauvrir les Etats et de lesdémunir des moyens de conduire leurs politiques so-ciales et écologiques. Les gouvernements attaquentles conquêtes sociales (retraites, santé, services pu-blics) au nom du fantasme qui viserait à rendre les

pays d’Europe compétitifs avec les pays qui prati-quent le dumping social et écologique comme laChine et l’Inde ou ceux d’Europe de l’Est et du Ma-ghreb. Les dirigeants ultralibéraux décident, par lavoix de la BCE, du FMI et de la Commission euro-péenne (la Troïka) d’imposer des plans d’austérité etde bas salaires tels que le niveau de vie des Grecs,des Portugais et maintenant des Espagnols chutedans des conditions insupportables. Ce qui va pro-longer la profonde récession économique, d’aborddans les Etats dits de la périphérie, puis dans ceuxdu cœur de l’Europe. Tout cela au nom d’un rem-boursement que leur austérité rend impossible.

Décroissance contre austéritéCes plans d’austérité sans fin, imposés à toute l’Eu-rope, ne sont pas la sobriété défendue par les Amisde la Terre et par ceux qui prônent la décroissance. Larécession crée du chômage et du stress mais ne pro-pose aucune solution d’autonomie ou d’organisationlocale. Les terres et le temps disponible sont de plusen plus contrôlés par des groupes industriels qui sebattent pour dénigrer la sobriété et impulser des stra-tégies, afin de garantir la surconsommation énergé-tique de l’Europe : exploitation des pétroles et gaz deschiste, prolongation de l’exploitation de centrales nu-cléaires obsolètes, retard dans la con version à l’agroé-cologie et dans la révision radicale de l’urbanisme.

Les Collectifs pour un audit citoyen de la dette pu-blique2 démontent la logique cette dette assimilée àune dette privée. Ils refusent que les populations payentles remboursements des emprunts illégitimes contrac-tés par les gouvernements. Ils analysent les comptesdes Etats européens et des collectivités locales, dé-construisent le discours accusant les peuples d’avoirvécu dans le luxe et le confort : si la dette avait servi àaméliorer les conditions de vie des Français, commentexpliquer que le nombre de pauvres ne cesse de croî-tre depuis 2004!? En réalité, les dépenses publiques,exprimées en parts du PIB, n’ont quasiment pas variédepuis 1992. Ce sont les cadeaux fiscaux faits auxplus riches qui ont délibérément créé les déficits pu-blics pour le seul profit des détenteurs de capitaux.C’est pour cela que les banques privées doivent êtrecantonnées à leur rôle de financement de l’économieet que l’investissement doit être contrôlé par les ci-toyens au travers des politiques publiques.

> LAURENT HUTINET ET NICOLAS SERSIRON

Euro(pe)Vous reprendrez bien un petit coup de crise…Sommes-nous de perpétuels enfants de la crise!? Il y a eu le premier choc pétrolier en 1973, le deuxième, en 1981, et le troisième en 1991, puis les crises financières. La crise de la dette des “pays en développement” à partir de 1982, le krach boursier de 1987, la bulle Internet de 2001.Née de la crise des subprimes, voici aujourd’hui la crise de la dette publique… en attendant la suite. Qui veut le programme!?

3Le Courrier de la Baleine Le journal des Amis de la Terre n° 169 EN FINIR AVEC L’ÉCOLOGIE

Petite chrono1971-1973 Fin desaccords de Bretton Woods,qui avaient instauré unsystème de taux de changefixes : chaque monnaie était définie en dollar – seulemonnaie rattachée à l’or. Depuis la coûteuse guerredu Vietnam, il y a cinq foisplus de dollars dans le monde que de réserves en or du Trésor étasunien.Les Etats-Unis connaissentleur premier déficitcommercial. Le 15 août1971, Nixon enterre cette convertibilité dollar/or.C’est le début de la fin du système monétaireinternational, qui s’effondredéfinitivement en 1973,quand les changesdeviennent flottants : on vapouvoir spéculer sur lesmonnaies. La croissance desflux financiers s’affranchit decelle des flux de production.1973 Premier “chocpétrolier”. Les cours du pétrole, établis en dollar,se ressentent de sa chute.L’Organisation des paysexportateurs de pétrole(Opep) argue de la guerreisraélienne du Kippour pour organiser un embargo.Le prix du baril ne cesseraplus d’augmenter.1981 Thatcher et Reaganmettent en œuvre la fameuse“dérégulation ultralibérale”,qui signe la fin de l’Etat-providence. Le déficit publicexplose, les salariéss’endettent pour maintenirleur niveau de vie. Dessommes colossales issuesdu revenu du travail viennentainsi nourrir les marchésfinanciers – le hold-up parfait.En 30 ans, dans les quinzepays les plus riches del’OCDE, la part du travail dansle PIB baissera de 10 %.Années 2000 Aprèsl’éclatement de la bulleInternet, la crise dessubprimes réoriente les“investisseurs” (dont lesbanques sauvées par lesEtats…) vers le “marché” de la dette, réputé plus sûr.Avec les résultats qu’on sait…

A l’heure où nous bouclons, François Hollande est lenouveau président de la République. A défaut de ré-volution, il est permis d’espérer un certain apaisementde l’ambiance morale du pays, le style de l’hommen’étant assurément pas celui de son prédécesseur.Ce n’est pas rien. Néanmoins, la crise de l’euro et lafaiblesse des marges de manœuvre laissent à penserque les différences entre l’ancien et le nouveau chefde l’Etat seront minces pour l’écologie.

Alors qu’en 2007, apparemment, “l’écologie n’ap-partenait à aucun camp”, cette campagne électoralea été marquée par sa quasi-disparition. Le premiergeste du président sortant devenu candidat a été desupprimer le ministère de l’Ecologie (dont il ne res-tait déjà pas grand-chose) pour nommer NathalieKosciusko-Morizet porte-parole de sa campagne,confiant transitoirement le portefeuille ministériel del’écologie au Premier ministre – qui a au moins lafranchise d’afficher ses goûts pour la Formule 1. Leton était donné. De son côté, François Hollande n’amême pas mentionné l’écologie dans son discoursd’ouverture de campagne, le 22 janvier dernier auBourget. Si son programme comportait quelquespoints nets!– opposabilité de la trame verte et bleue,interdiction des OGM, possibilité d’instaurer despéages urbains et obligation de réduire de 50 % laconsommation globale de pesticides, il l’est moinssur l’exploitabilité des gaz et huiles de schiste. Etpas question de renoncer à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique).

Le nouveau président de la République a promis“un vaste débat énergétique” dont le principal résul-tat est connu à l’avance : conserver une part de 50 %du nucléaire dans la production électrique française…en 2025. Alors que les Français sont de plus en plushostiles au nucléaire, ce chiffre ressemble davantageà une tentative de couper la poire en deux qu’au fruitd’un débat argumenté avec les citoyens. Pourquoi,dans ces conditions, convoquer un débat!? Même laconcertation du Grenelle de l’Environnement était for-mellement plus ouverte : si la sortie du nucléaire y futclairement taboue, d’innombrables autres points ontpu être débattus durant de longs mois, et un certainnombre de vérités rappelées devant les responsablesde l’Etat et de l’industrie.

Perdue en rase campagneGlobalement, le début de la campagne électorale na-tionale a suscité l’ennui. Les candidates des deux par-tis écologistes en lice ont été laminées, l’une parl’épreuve du recueil des signatures, l’autre par un pre-mier tour qui n’a pas permis de montrer à quel pointles questions sociales et environnementales sont im-briquées. Aussi, sans doute, parce que les discoursdes écologistes n’osent pas dire la rupture indispen-sable avec le néolibéralisme, c’est-à-dire avec un ca-pitalisme mondialisé et ravageur, thème sur lequel asurfé, non sans cynisme mais avec succès, la candi-date du Front National… – défendant un repli nationa-liste fantasmatique tout en ne prennant aucune posi-tion sur la question-clé du productivisme (voir p. 8). LeFront de Gauche, lui, a pris le soin de parler d’écolo-gie et défendu des positions écologiques souvent vi-goureuses, sans être capable pour autant de tranchersur le nucléaire. Au bout du compte, la seule questionenvironnementale vraiment évoquée pendant la cam-pagne a été l’atome, mais de façon fugace. L’état duparc français n’a pas été évoqué. Alors que, après Fu-kushima et malgré une propagande officielle, les Fran-çais sont de plus en plus rétifs au nucléaire, les jeuxpolitiques ont conduit à la conclusion qu’il n’existaitque deux possibilités : prolonger la durée d’exploita-tion des centrales à 40 ans (version PS) voire plus, oune rien changer (version UMP).

Dans ces conditions, on comprend qu’il ait étédifficile d’évoquer tout réel changement de modesde vie. Car, sur un point essentiel, les deux fina-listes!s’accordaient!: la croissance économique, et,en particulier, l’expansion urbaine et la relance dusecteur du bâtiment – ceci, alors qu’il faut d’abordsonger à densifier, à construire la ville sur la ville età utiliser les logements vacants (voir p. 11). Le can-didat Nicolas Sarkozy a promis une augmentationde 30!% de la densité de la surface des terrains àbâtir, tandis que François Hollande envisageait lacession de terrains de l’Etat afin de libérer des sur-faces pour la construction. Quant aux réformes ra-dicales à apporter aux politiques agricoles, quand laFrance est le premier consommateur de pesticidesen Europe (plus de 70 000 tonnes par an), qu’ellecontinue d’être condamnée pour infraction à la di-rective Nitrates et que la réforme de la PAC aura lieuen 2013 : motus. Alors que, tous les sept ans, l’équi-valent de la surface d’un département disparaît sousle béton et le bitume en France, que les rendementsagricoles baissent dans le pays depuis les années2000 en raison de la dégradation continue de la vieorganique des sols, de plus en plus de responsa-bles de communautés d’agglomérations, mus parune conscience croissante des enjeux écologiques,prennent des mesures pour sauvegarder le foncier

afin de permettre le redéveloppement de l’agricul-ture périurbaine, de densifier l’urbanisme et de res-taurer les continuités écologiques. Ceci montre àquel point s’est creusé le fossé entre les élites na-tionales – toujours plus technocratiques et prochesdes milieux financiers – et de petits élus de base, leplus souvent honnêtes. Comme les autres citoyens,de plus en plus d’élus locaux sont prêts à des chan-gements pourvu qu’ils leur soient présentés commedes alternatives concrètes. Celles-ci existent, mais,trop souvent encore, les multinationales françaisesde l’eau, de l’énergie ou de la chimie s’y opposentavec virulence.

Le bilan Sarkozy très négatif Le bilan de la campagne est donc peu réjouissant.Mais le temps et les promesses électorales passentvite. Si l’on examine les politiques menées en France,le bilan du quinquennat de Nicolas Sarkozy est sansaucun doute plus que négatif, par son empreinte à lafois sur les politiques et sur l’appareil d’Etat. Onconnaît le refrain entonné par nombre d’associationset de syndicats : les résultats de la concertation duGrenelle de l’Environnement étaient prometteurs, maisle Parlement et les groupes industriels ont agi encoulisse pour saper les travaux de la concertation pardes lois vagues, puis des décrets et des arrêtés ré-gressifs. Ce n’est en rien une surprise. Pour les Amisde la Terre, qui ont participé au processus – lancé àpartir d’une boutade du candidat Nicolas Sarkozy en2007 –, seule la phase de concertation présentait unréel intérêt. Sa seule vertu a consisté à légitimer lesquestions d’écologie auprès d’une part croissanted’élus et d’agents publics et de convaincre un certainnombre de parlementaires que les dangers des OGMn’étaient pas que des affabulations d’écologistes. Acet égard, la création du Haut conseil des biotechno-logies par la loi sur les OGM de 2008 aura été unebelle épine dans le pied des lobbies de la transge-nèse, puisque les opposants aux OGM ont pu y ex-primer leurs arguments – ce qui s’est soldé par la ré-cente démission de la FNSEA, de la CFDT et de l’ANIA(Association nationale des industries alimentaires) quin’ont pas supporté que l’impossibilité de la coexis-tence entre plantes OGM et non OGM soit démontréedans une enceinte officielle.

Dès le 25 octobre 2007 – après le discours finalde Nicolas Sarkozy –, Claude Bascompte, en tantque président des Amis de la Terre - France, décla-rait que, “en voulant ménager la chèvre et le chou, lenucléaire et les renouvelables, l’agriculture biolo-gique, les OGM et les agrocarburants, les incinéra-teurs et la réduction à la source des déchets, Nico-las Sarkozy s’efforce de paraître courageux, mais re-fuse de prendre des engagements clairs et remet àplus tard la question des choix réels, dont celle desfinancements. Les discussions sur la contribution éner-gie-climat devront, pour cette raison, être suiviesavec la plus grande attention. Au bout du compte,les déclarations de principes généreuses cachentmal la poursuite d’une politique de soutien aux grandsintérêts industriels.” Les 268 engagements du Gre-

nelle présentent au moins l’avantage de planter unpiquet qui nous montre l’étendue des dégâts!: la partmodale du transport routier consomme toujours l’es-sentiel des budgets publics, le démantèlement dufret ferroviaire se poursuit, les politiques de soutiendes énergies renouvelables demeurent faibles, inco-hérentes et trop fluctuantes. Les énergies fossilesrestent largement subventionnées, la surface de l’agri-culture biologique n’atteint pas les objectifs pourtantmodestes issus de la concertation du Grenelle et laconsommation réelle des pesticides n’a pas baissédepuis 2008. L’Institut français de l’Environnement aété supprimé, aucune politique de prévention de laproduction des déchets n’a été mise en œuvre, et lesobjectifs de réduction du recours à l’incinération ontété trahis. Globalement, les principes énoncés par laloi Grenelle 1, déjà en baisse par rapport aux résul-tats de la concertation, ont été vidés de leur subs-tance par la loi Grenelle 2.

Des associations sous contrôleMais le plus lourd bilan est moins visible car, au-delàdes politiques sectorielles désastreuses, la réorgani-sation permanente de l’Etat a quasiment détruit sacapacité à conduire et coordonner des politiquesécologiques et d’aménagement du territoire (voir p.8). Et, tandis que l’Etat n’a plus les moyens de menerune réelle politique environnementale, François Hol-lande entend établir “un dialogue environnemental àla hauteur du dialogue social”… avec qui!? Les ar-rêtés concoctés durant les dernières semaines d’exer-cice du pouvoir par le cabinet de François Fillon obli-geront, dès le lendemain des élections législatives,les associations de protection de l’environnement àfaire renouveler leur agrément par le préfet tous lescinq ans. Or, l’agrément ministériel ou départemen-tal pour la!protection de l’environnement est essen-tiel! aux associations écologistes, ne serait-ce quepour la légitimité qu’il leur confère et pour les actionsen justice qu’il autorise. Pour conserver leur agré-ment, les associations devront satisfaire plus d’exi-gences sur leurs activités et leur fonctionnement. Orle décret de juillet 2011 retient des critères si vagueset concède à l’administration un tel pouvoir discré-tionnaire qu’il lui offre la possibilité d’écarter cer-taines associations trop critiques. L’Etat pourrait êtretenté d’exercer un contrôle étroit des rares contre-pouvoirs existants!: toutes les associations agrééesavant 1990 devront avoir déposé leurs dossiers derenouvellement le 30 juin 2012. Enfin, François Hol-lande veut accorder le pouvoir d’initiative aux collec-tivités locales, Régions en tête, mais il n’est pasquestion de remettre en cause la nouvelle organisa-tion administrative. Tout porte à croire que les pré-fets resteront les représentants omnipotents de l’Etat.Seul le marionnettiste changerait. Dans ce contexte,et quelles que soient par ailleurs leurs différences etdivergences, les associations qui, sans rejeter toutdialogue avec les représentants de l’Etat, ne souhai-tent pas jouer le jeu de la cogestion auront tout in-térêt à se serrer les coudes.

> LE BUREAU FÉDÉRAL DES AMIS DE LA TERRE FRANCE

2 NUMÉRO SPÉCIAL Le Courrier de la Baleine Le journal des Amis de la Terre n° 169

France L’écologie portée disparueLa campagne électorale nationale a été marquée par l’absence de réel poids de l’écologie, et l’élection de François Hollande à la présidence de la République n’augure pas de rupture majeure en la matière, même si des nuances existent entre les positions du PS et celles de l’UMP. Les associations devront être pugnaces et organisées. Le rouleau compresseur de la réorganisation de l’Etat, mise en place par Nicolas Sarkozy, a sapé la capacité des autorités – si tant est qu’elles en aient la volonté – à porter les politiques environnementales.

1 En 1973, Ivan Illichpubliait Equité eténergie, où il pointait : “Il est devenu de bon ton de parler de crise de l’énergie. C’est un euphémisme qui masque une contradiction,indique une frustration,consacre une illusion. Il masque la contradictioninhérente au fait de vouloiratteindre à la fois un Etat socialfondé sur la notion d’équité et un niveau toujours plus élevé de productionindustrielle. Il indique quel est le présent degré de frustration provoqué par le développementindustriel. Enfin, il consacrel’illusion que l’on peutindéfiniment substituer la puissance de la machine à celle de l’homme, illusionfatale aux pays pauvrescomme aux pays riches. En répandant l’usage d’une telle expression, les riches font encore plus de tort aux pauvres qu’en leur vendant les produitsde leur industrie. De leur côté, en acceptant l’explication que les riches donnent de la pénurie de ressourcesénergétiques, les pauvres se dotent du même coup d’un handicap dans la courseobligée à la croissanceillimitée.” 2 Ces collectifs réunissent des citoyens et desorganisations, syndicaleset associatives. Soutenus par plusieurs formationspolitiques, ils ont été créésafin de porter le débat de la dette publique au cœurde la société.

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CH4 de son symbole chimique, le méthane est un desgaz à effet de serre les plus redoutables. Son pouvoirréchauffant global est de 25 à horizon 100 ans, maisil grimpe à 80 à horizon 15 ans, ce qui correspond àsa durée de vie. Dans un contexte de réchauffementaccéléré, ne pas en émettre s’impose comme une évi-dence. Le méthane pose un problème d’autant plusurgent à régler que les sources d’émissions de ce gaz,naturelles ou humaines, sont multiples.

Il y a d’abord le méthane provenant de la dé-composition anaérobie de matières organiques!: leszones humides sont un lieu propice à sa formation,tout comme les décharges d’ordures. Viennent en-suite les émissions de méthane engendrées par l’ex-ploitation d’énergies fossiles, lors de l’extraction, dutransport ou de l’utilisation du gaz naturel! : ainsi,jusqu’à 6 % du volume d’un puits part dans l’atmo-sphère à partir des puits non conventionnels. Les ru-minants contribuent aussi – leur digestion incom-plète produit du méthane – à réchauffer l’atmo-sphère. Idem pour les sous-bois odorants et lesmares bucoliques, également émetteurs.

Hydrates de méthane, la menaceLast but not least : les fonds sous-marins et le per-gélisol des régions arctiques recèlent aussi des quan-tités démentielles de CH4, sous forme d’hydrates deméthane. Arrêtons-nous sur cette nouvelle formed’hydrocarbure qui affole les pétroliers. Tout le longdu talus continental, c’est-à-dire la pente qui relie leseaux côtières peu profondes aux abysses, la matièreorganique qui se décompose produit, comme ensurface, du méthane. Mais à plusieurs centaines demètres de profondeur, la pression se chiffre en di-zaines de bars et la température ne dépasse pasquelques degrés. L’eau se combine alors avec le gazpour former, au niveau moléculaire, une sorte decage très fine où est enfermé le méthane. À l’œil nu,les hydrates de méthane ont l’aspect de la neige.

Mais il s’agit d’une neige qui s’enflamme à la moin-dre étincelle!! Comme pour les sables bitumineux oules gaz de schiste, l’extraction des hydrates de mé-thane est en passe de devenir rentable. Le Japon, lesEtats-Unis, la Russie, la Corée, l’Inde, le Royaume-Uni ou l’Allemagne développent des projets de re-cherche en ce sens.

Les industriels se frottent les mains et les protec-teurs du climat s’arrachent les cheveux : l’estimationdes réserves oscille entre 13 x 1015 et 24 x 1015 m3,soit 70 à 130 fois les réserves prouvées de gaz natu-rel conventionnel. A titre d’exemple, “si les États-Unispouvaient exploiter ne serait-ce que 1 % des res-sources disponibles, le rendement pourrait répondreà la demande en gaz naturel pour le siècle prochain”,a précisé récemment le Programme des Nations uniespour l’Environnement, très enthousiaste devant cetteperspective! ! Le dit “trésor” pourrait d’ailleurs partirdans l’atmosphère plus rapidement que prévu, puisquedes dégazages géants sont redoutés en Arctique!: eneffet, le pergélisol et les fonds marins, menacés par leréchauffement climatique, sont susceptibles, souscertaines conditions, de relâcher dans l’atmosphère leméthane qu’ils contiennent.

Récupérer et brûler le CH4 déjà produitLe plancher des vaches offre des perspectives à pluscourt terme, et surtout des projets plus réjouissants.Car des installations de récupération de méthane sontdéjà en place. Dans le monde, environ 21 millions defoyers seraient actuellement équipés de digesteurs fa-miliaux (surtout en Asie) qui permettent de récupérerles déchets organiques et d’utiliser le méthane ainsiproduit pour un usage domestique. Ce chiffre ridicule-ment bas s’explique par l’ampleur des investissementsnécessaires à la récupération du méthane. En 1991, laFrance et l’Allemagne émettaient à peu près les mêmesquantités de méthane (55 kg/habitant). Seize ans plustard, les émissions individuelles de l’Allemagne sont

40 % plus faibles que celles de la France. Si l’Alle-magne héberge encore des mines de charbon et delignite – qui produisent le fameux grisou – elle a aussibeaucoup investi dans la récupération de méthane gé-néré par l’activité agricole et par les ordures ména-gères grâce à la couverture des décharges et à la mé-thanisation contrôlée. En France, rien de tout cela. Lesémissions du secteur agricole représentent aujourd’huipresque les deux tiers des émissions totales!! Malgréun potentiel très important, la France compte seule-ment 197 installations de méthanisation sur son terri-toire, quand l’Allemagne en exploite plus de 7 000, dé-plore l’association Global Chance.

“Les Amis de la Terre encouragent la méthanisa-tion des déchets dans de petites unités, ainsi que tousles procédés permettant de récupérer les fuites deméthane”, précise Marie-Christine Gamberini, réfé-rente Energie des Amis de la Terre France. Aujourd’hui,l’essentiel du méthane – d’origine fossile ou produitpar les ordures ménagères ou l’agriculture – est pour-tant relâché dans l’atmosphère. “Brûler le méthane –notamment celui qui s’échappe lors des processusd’exploitation pétrolière – est moins grave pour le cli-mat que de le laisser s’échapper dans l’atmosphère,explique Marie-Christine Gamberini. “Tous les scéna-rios de transition énergétique français ont recours augaz naturel, qui est la seule solution de substitutiondisponible dans les proportions nécessaires – tout enoffrant un excellent rendement, notamment dans lecas de la cogénération!chaleur-électricité. Mais exploi-ter les gaz de schiste ou les hydrates de méthane neferait qu’entraîner des pollutions généralisées des mi-lieux et entretenir le consumérisme. Les quantités degaz naturel classique sont largement suffisantes poureffectuer la transition.” Elle rappelle la position desAmis de la Terre. “En France, l’utilisation accrue descentrales électriques à gaz n’est admissible que dansune perspective de substitution à la fermeture desréacteurs nucléaires.” > JEANNE MAHÉ

5Le Courrier de la Baleine Le journal des Amis de la Terre n° 169 EN FINIR AVEC L’ÉCOLOGIE

Réduire les émissions de gaz à effet de serre géné-rées par les transports. C’est l’un des leviers quepropose une directive que l’Union européenne veutmettre en place pour lutter contre le changementclimatique. Cette directive prévoit de classer les car-burants en fonction de leur “intensité carbone” etprend notamment en compte le caractère plus pol-luant des sables bitumineux*. De quoi rendre fous legouvernement canadien et l’industrie pétrolière quimultiplient les pressions pour faire réécrire le textede façon la moins défavorable possible à leurs inté-rêts et pour retarder son application. Outre les im-portantes émissions de CO2 engendrées lors deleur extraction, l’exploitation des sables bitumineuxprovoque des dégâts irréversibles sur l’environne-ment et la faune sauvage et affecte fortement lesconditions de vie des communautés locales. Les

pétroliers ont déjà rasé des pans entiers de forêtboréale au Canada! ; ils s’attaquent aujourd’hui àdes zones aussi fragiles que les écosystèmes uniquesde Madagascar dans le cadre du projet Bemolangaconduit par Total.

Ce qui rend fous les industriels canadiens, c’estque la directive établit une distinction entre le pétroleconventionnel et les sables bitumineux – bien pluspolluants. Les efforts déployés pour gommer cet as-pect des choses ont d’ailleurs été révélés par unrapport des Amis de la Terre Europe! : rien qu’en2010, les lobbyistes canadiens ont organisé pasmoins de 110 réunions pour faire opposition à cettedirective!! Ces pressions ont retardé d’autant plus lamise en application de cette directive, pourtant votéefin 2008. La Commission européenne n’a ainsi pu-blié qu’en octobre 2011 ses propositions de moda-

lités de mise en œuvre, qui doivent maintenant êtreratifiées par les États membres. Le 23 février 2012,à Bruxelles, aucune majorité qualifiée n’a pu émer-ger lors du vote des experts représentants les Étatsmembres. Il faut dire que le lobbying canadien avaittrouvé des oreilles attentives jusque dans les couloirsdes ministères français! : le cabinet de l’ancien mi-nistre de l’Énergie, Éric Besson, ânonnait le discourspro-pétrolier!!

Grâce à la campagne active des Amis de la Terre,le gouvernement français, qui s’apprêtait à céder auxlobbies, s’est finalement abstenu à la dernière minute.La bataille n’est pas terminée puisque le dossier estmaintenant transmis aux ministres européens de l’En-vironnement, qui seront appelés à voter dans les moisqui viennent. > JULIETTE RENAUD

Chargée de campagne Industries extractives

1 www.uncsd2012.org/rio20/mgzerodraft.html#I2 Voir le blog de Fabrice Nicolinohttp://fabrice-nicolino.com/ index.php/?p=12853 D’après une étude du Federal Institute of Technology de Zurich.www.slate.fr/lien/45343/147-entreprises-economie-mondiale4 www.guardian.co.uk/sustainable-business/global-business-summit-kpmg5 www.redd-monitor.org/2011/11/10/asia-pulp-and-papers-big-redd-scam-on-the-kampar-peninsula/6 Appel contre l’économieverte consultable sur :http://nogreeneconomy.org/

Pour en savoir plusLes Amis de la Terre Franceet sept autres organisationsont produit un filmpédagogique sur lemécanisme Redd (réduction des émissionsliées à la déforestation et à la dégradation des forêts). On peut le visionner en ligne suramisdelaterre.org/filmredd

Appel pour une campagne contre le hold-up des entreprises sur l’ONUwww.fame2012.org/fr/2012/04/23/capture-onu

C’est en janvier qu’a été rendue publique la premièreversion du texte qui servira de base aux négocia-tions officielles de juin prochain1. Intitulé Notre visionpour le futur, ce document reflète surtout les rap-ports de force en présence – et notamment l’in-fluence grandissante des entreprises sur les institu-tions de l’Organisation des nations unies (ONU) – eten aucun cas une véritable vision partagée qui iden-tifierait les responsabilités et proposerait des rup-tures fortes avec un modèle économique qui creuseles inégalités et épuise la planète. Pour préparer cedocument, l’ONU a ainsi établi un partenariat avec laChambre internationale du commerce et de l’indus-trie et le Conseil mondial des entreprises pour le dé-veloppement durable, un faux-nez qui regroupe lespires entreprises de la planète comme General Mo-tors, DuPont, Coca-Cola ou Shell. Le fondateur etprésident honoraire de ce groupe n’est autre queStephan Schmidheiny, ex-propriétaire de la multina-tionale Eternit, condamné à 16 ans de prison en Ita-lie pour son implication dans le scandale de l’amiante2.

Concentration économique accéléréeComment en est-on arrivé là ? Depuis vingt ans, laconcentration économique des entreprises et le poidsdes acteurs financiers se sont fortement accentuésau niveau mondial. A tel point qu’aujourd’hui, 147 en-treprises contrôlent à elles seules 40 % de la valeurmonétaire de l’ensemble des multinationales3. Lapuissance financière placée dans les mains d’unnombre très restreint d’acteurs a permis à ces mul-ti nationales de prendre le contrôle des débats sur lacrise écologique, en particulier au sein des forumsinternationaux.

La première étape de ce tour de force a eu lieuen 2003, quand l’ONU a reconnu le secteur privécomme “groupe majeur” du développement durable.Ceci a permis aux entreprises d’être consultées aumême titre, par exemple, que les représentants desONG, des syndicats, des collectivités territoriales,des femmes ou des peuples autochtones. Ladeuxième étape a consisté à multiplier les partena-riats des entreprises avec des institutions de l’ONU

– en particulier le Programme des Nations uniespour l’environnement (PNUE) – ou avec des ONGcomme le WWF ou l’IUCN, afin de gagner en crédi-bilité. Parmi ces “partenaires”, on trouve Exxon Mobil(qui a financé pendant des années des groupes depression pour saboter les négociations sur le climat),Shell (qui empoisonne les populations et l’environ-nement en exploitant le pétrole dans le delta duNiger), ou encore Rio Tinto, une multinationale anglo-australienne, – dont une des usines, située en Hon-grie, a déversé plus d’un million de mètres cubes deboues d’aluminium toxique dans le Danube.

Aujourd’hui, cette stratégie met en avant leconcept d’“économie verte”. Lequel refuse l’examendes causes profondes de la crise écologique et pro-pose uniquement de se concentrer sur les solutionsque ces entreprises soutiennent et peuvent mettre enœuvre. Lors d’un colloque de préparation de Rio+20,en février 2012, Achim Steiner, directeur exécutif duPNUE, a ainsi déclaré4 : “Quand les leaders de cemonde se retrouveront à Rio cette année, la voix desentreprises sera importante. Leur capacité à assisterles États pour s’engager dans l’économie verte estessentielle. Mais, pour réussir, nous avons besoind’un nouveau dialogue de qualité pour que les poli-tiques publiques et les marchés interagissent defaçon plus effective pour transformer nos écono-mies”. Ce ne sont plus les Etats qui encadrent les en-treprises, mais celles-ci qui “assistent” les gouverne-ments afin de créer les conditions d’ouvertures denouveaux marchés et de dégager les investissementsnécessaires pour résoudre la crise écologique provo-quée par leurs activités.

Un exemple frappant de cette inversion des res-ponsabilités est la construction du mécanisme deRéduction des émissions liées à la déforestation et àla dégradation des forêts (REDD). Plutôt que de pé-naliser lourdement les entreprises impliquées dans ladéforestation, ce mécanisme propose au contrairede les récompenser. L’un des projets pilotes les pluscontroversés – et ils sont nombreux… – est porté parAsian Pulp and Paper afin de protéger les forêts dela péninsule de Kampar, à Sumatra5. A elle seule,

cette entreprise a coupé illégalement des millionsd’hectares de la forêt tropicale indonésienne pour lesconvertir en plantations, relâchant dans l’atmosphèredes quantités colossales de carbone et de méthane.Elle serait ainsi responsable chaque année de plus de3 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre.Mais, le plus sérieusement du monde, cette entre-prise demande à recevoir des financements pour ré-duire son rythme de déforestation et laisser quelquesarbres debout… Le principe de pollueur-payeur estmort!: voici le principe de pollueur-payé !

Discussions internationales sous influenceLes entreprises mettent désormais à profit lesmoyens considérables dont elles disposent pourcontrôler l’agenda et imposer leur rythme aux dis-cussions. Depuis le Sommet de la Terre de 1992,elles ont rodé leur influence sur les mécanismesmis en place, notamment à travers la création et lamultiplication des systèmes de certifications. Sousl’apparence du dialogue, elles ont progressivementréussi à verdir les pires pratiques. Ainsi, dans unpremier temps, le label de bonne gestion forestière(FSC, Forest Stewardship Council) excluait les mo-nocultures d’arbres. Aujourd’hui, non seulement illes autorise, mais elles représentent l’essentiel desproduits certifiés.

Car, contrairement à ce que l’on voudrait nouslaisser accroire, la logique de ces certifications neconsiste pas à limiter les productions aux niveaux etaux modalités écologiquement soutenables et so-cialement justes, mais à en limiter les impacts defaçon économiquement acceptable par les entre-prises, tout en rassurant les consommateurs. Ainsi,le soja OGM, qui représente plus de 90 % de la pro-duction du soja en Amérique du Sud, est reconnucomme certifiable. Et, pour mieux faire passer la pi-lule, il suffit de donner l’illusion de la participation : onlaisse entendre qu’en réunissant autour d’une tabledes représentants d’une communauté à côté deceux d’une multinationale, le dialogue aboutira à unconsensus fécond. Mais qui a les moyens d’envoyerplusieurs fois par an des représentants à des réu-nions aux quatre coins de la planète, où l’on discutede critères très techniques sur la base de docu-ments rédigés uniquement en anglais ?

Dans ce texte de négociation de Rio+20, l’initia-tive pour des Energies durables pour tous (SEFA,Sustainable Energies For All), qui ouvre le chapitresur l’énergie, mérite que l’on s’y attarde. Là encore,derrière un titre volontairement positif se trame lacollusion des intérêts privés et publics. Officielle-ment, cette initiative est placée sous l’égide des Na-tions unies. Mais, coprésidée par Charles Holliday,président de Bank of America et ex-directeur dugéant de l’industrie chimique DuPont, elle réunit uncercle fermé de personnes, pudiquement qualifié de“comité de haut niveau”. Ses membres comptentde nombreux acteurs financiers et des entreprisesimpliquées dans le développement des “énergiesdurables”. On y trouve Eskom, qui construit à Me-dupi (Afrique du Sud) la plus grande centrale à char-bon du monde, mais aussi des représentants de laBanque mondiale, qui finance non seulement lescandale Medupi, mais de nombreux autres projetsd’extraction d’énergies fossiles à travers le monde.Les réunions de ce cercle ont lieu en dehors de toutcadre multilatéral et seuls cinq représentants degouvernements y participent. Ils représentent les in-térêts des Etas-Unis, de l’Union européenne, de laChine, de l’Inde et, bien entendu, du Brésil – dontles politiques de promotion des agrocarburants etde construction de grands barrages sont présen-tées comme des “exemples positifs”. Une explica-tion qui permet de mieux comprendre pourquoi leBrésil, pays hôte de la conférence, a tant insistépour placer cette initiative en haut de l’agenda desnégociations.

La crise écologique, alibi de croissanceAprès le choc de la crise financière, dans un mondeoù les ressources et l’énergie sont de plus en plusrares, la crise écologique constitue pour les entre-prises un formidable relais de croissance. L’alterna-tive en jeu à Rio est simple : l’abandon des écosys-tèmes, des terres, des océans et de l’atmosphèreaux intérêts privés ou, à l’inverse, leur reconnais-sance comme biens communs devant rester à l’écartdes marchés et être gérés par les communautés quien dépendent. C’est évidemment cette secondeproposition que défendent les Amis de la Terre, qui,avec de nombreuses autres organisations, sont si-gnataires de l’Appel contre l’économie verte issu duForum social préparatoire à Rio+20 qui s’est tenu àPorto-Alegre en janvier dernier6. Ces organisationsseretrouveront au Sommet des peuples pour la justicesociale et écologique, contre la marchandisation dela vie et pour la défense des biens communs, qui sedéroulera du 15 au 23 juin 2012 à Rio de Janeiro,mais aussi partout dans le monde.

> SYLVAIN ANGERAND Coordinateur des campagnes

Rio+20Planète à vendre Vingt ans après le Sommet de la Terre de 1992, les Nations Unies convoquent une nouvelle Conférence internationale sur le développement durable, qui se tiendra à Rio de Janeiro, au Brésil, du 20 au 22 juin 2012.

4 NUMÉRO SPÉCIAL Le Courrier de la Baleine Le journal des Amis de la Terre n° 169

Energie et climatNe pas confondre méthane et méthaneLe méthane, l’un des gaz à effet de serre les plus redoutables, pose un problème d’autant plus pressant que ses sources d’émission, naturelles ou humaines, sont multiples. Dans un contexte de réchauffement accéléré, ne pas en émettre s’impose. Décryptage.

Sables bitumineux Une directive européenne bloquée par les lobbiesClasser les carburants en fonction de leur “intensité carbone” ? Les industriels des sables bitumineux font de l’obstruction.

* Valeur d’émissions de gaz à effet de serre parmégajoule d’énergieproduite. L’intensité carbonedes sables bitumineux est de 107g CO2/mégajoule,soit 23 % de plus que le pétrole conventionnel. La valeur retenue pour les huiles de schiste et lecharbon liquéfié est encoresupérieure : respectivement131,3 g CO2/mj et 172g CO2/mj.

Pour en savoir pluswww.amisdelaterre.org/sablesbitumineux

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inconsciemment – la pensée et l’action humaine.Evidemment, les partis verts sont pluspragmatiques, mais ils amènent un peu de ça...Patrick Viveret Avant d’être un animal pensant,l’être humain est un animal croyant. Il est très difficile de remettre en cause les systèmes de croyances car ils sont constitués d’élémentsvitaux. Quand on veut ébranler une croyance, il ne suffit pas d’en faire sa critique rationnelle, il faut repérer son socle affectif. Il est intéressant de constater que l’écologie, qui aurait pu être un thème plutôt de droite à partir de la notiond’ordre naturel, est en fait devenu plutôt de gaucheet transformateur parce qu’il y a eu, à un momentdonné, une modification interne du système de croyances.

Quelles opportunités peut-on envisagerpour que l’écologie transformatrice se fasse entendre et se développe ?Geneviève Azam Il me semble que les choses vont se décanter car on arrive vraiment au cœur des contradictions. Rio 1992 a entretenu beaucoupd’illusions!mais Rio 2012 ne pourra en entreteniraucune. Le système capitaliste et productiviste ne peut que détruire de plus en plus, et ses promesses s’évaporent rapidement.Economie verte ou pas, tant que l’on resteraprisonnier d’un modèle formé sur la productivité,nous serons perdants. Les marchés du carbonesont un fiasco total!: la Caisse des dépôts et consignations est en train de licencier des gensdans sa filiale Climat créée en 2010. Récemmentaussi, l’entreprise allemande Q-Cells, poids-lourd du secteur photovoltaïque, a déposé le bilan à cause de la concurrence chinoise. Nous devons pointer cet échec. Il faut utiliser le levier de la crise pour expliquer pas à pas que,sans penser la transition écologique, il n’y a pasd’issue. Un immense travail commence maintenant.Sur la dette, nous devons souligner le poids de certains projets complètement insensés. En jouant sur la question des investissementsinutiles, nous pouvons gagner des combats : Notre-Dame-des-Landes, l’EPR de Flamanville, les LGV… Tous ces projets perdent des soutiens– pour des raisons de rentabilité plus qu’au nomd’une analyse écologique, mais peu importe. Il faututiliser ces contradictions, trouver des brèches, des points d’appui, et ne pas nous en tenir à des sujets environnementaux : travailler par exemple la question du pouvoir d’achat en lienavec la facture énergétique, celle de la redistributionpar rapport aux questions environnementales, etc.Au Forum alternatif mondial de l’eau, qui a été un vrai succès, tout le modèle a ainsi étédéconstruit à partir de la question de l’eau.

Patrick Viveret Au lieu de refuser le débat, nousdevons nous emparer des questions économiquesposées par les courants conservateurs et exprimernotre différence de point de vue sur ces questions.Cela permet de construire du conflit. S’il y a conflit,c’est qu’il y a enjeu… y compris sur le terrain del’endettement, qui est désormais une questionobsédante dans le débat public. Nous devonsexpliquer qu’il y a en réalité trois dettes– écologique, sociale et financière –, montrer de quelle façon elles sont liées et, enfin, proposerdes solutions pour rétablir l’équilibre. Patrice Perret Comme nous l’avons faitrécemment dans le mouvement contre la réformedes retraites, nous devons expliquer que, depuis vingt-cinq ans, le curseur pour le partage du PIB a changé!: la masse salariale a étépressurée, baissant de 10 %, tandis que les revenusdu capital ont augmenté. Notre proposition est de récupérer cette masse salariale et de la dédier à des activités écologiques!et aux services publics.C’est un autre fonctionnement de la société, quipeut être financé en récupérant une partie de lavaleur ajoutée perdue au profit du capital.

Peut-on vraiment imaginer un changement de modèle dans un futurproche!?Geneviève Azam Le changement de modèle que nous souhaitons ne se fera pas en un jour, car il doit s’ancrer profondément dans la société. Il implique un changement de représentations, de valeurs, de culture, de civilisation… C’est un processus lent et qui ne peut pas se décréter.Les gens ne peuvent pas envisager un autre avenirà partir de rien ; la transition doit s’enraciner sur du concret. Il n’en faut parfois pas beaucouppour s’apercevoir que certaines choses qui semblent nécessaires ne le sont pas. Je faisénormément confiance aux mouvements collectifs,car je pense qu’ils portent un apprentissage. Par exemple, du fait de la dynamique de la lutte, le mouvement contre le gaz de schiste en France a dépassé les revendications locales. Aujourd’hui,les portes d’entrée peuvent être nombreuses vers la prise de conscience écologique!: le problème de l’eau, du foncier, de l’alimentation,etc., sont des leviers pour poser ces questions. Et ce n’est pas parce que les Verts ont fait 2,3 %que le reste de la population est insensible à cela.L’élection présidentielle n’est pas faite pour les écologistes, il faut se détacher de ce contexte,qui relève d’une conception de la transformation par le haut, alors que, dans l’écologie, il y a la culture de la transformation par le bas,même s’il faut à un certain moment une prise en charge publique des choses. Et on voit bien

qu’à la base les mouvements sociaux se sontemparés des problématiques écologiques. Certains mouvements, par exemple sur l’eau, les biens communs, sont devenus très importants.Dans le monde entier, des expériences concrètessur la transition énergétique voient le jour. On constate également une grande vitalité à la basedes mouvements d’agriculture paysanne… Même si ces mouvements ne se présentent pascomme écologistes, ce sont eux qui portentl’écologie.!Au-delà des chapelles de partispolitiques, les gens font vivre l’écologie dans leurs pratiques. Je ne sais pas quand émergera une traduction politique, mais le terreau existe.Geneviève Decrop De plus en plus de gensprennent la mesure des choses et amorcent un changement de mode de consommation et de rapport au monde, déjà à travers la nourriture etla santé. Ces mouvements commencent à diffuserdans la population. Mais on n’a pas encore trouvé le levier pour faire dévier le système de sa route, ni pour changer les représentations. Cela fait 30 ansque l’altermonde se développe, mais qu’on ne déviepas la course de l’ensemble. En réalité, c’est une progression par capillarité, ce n’est pas trèsspectaculaire. Finalement, ce n’est pas le levier,mais le levain qui va faire changer les choses…L’écologie politique est le levain dans la pâte.Patrick Viveret Lors d’une fin de cycle historique,ce sont les traits les plus caricaturaux et brutaux qui se manifestent, alors qu’ils s’étaient adoucisdans la phase de maturité. Et je crois que nousassistons à la pire forme du capitalisme. Il n’y a pas obligatoirement matière à optimisme car, comme le craignait André Gorz3, on peut trèsbien en sortir de façon barbare. Mais cela rendd’autant plus important le fait de se tourner vers la germination créative du nouveau monde qui est en train de naître, en mobilisant l’énergie du désir et de la joie face à la sidération. La peur seule génère de l’impuissance et du déni.On peut être parfaitement lucide face à la réalité des risques, mais, lorsqu’on est du côté de l’actionet que l’on veut construire des chemins detransition, on a besoin de faire appel à un imaginairepositif. C’est le sens de la sobriété heureuse.Attention, la sobriété est le contraire de l’austérité,car elle s’attaque au superflu, à l’excès, à la démesure, quand l’austérité s’attaque à des richesses vitales. Les gens comprennent très bien que le couple positif vers lequel on doit tendre, malgré toutes les difficultés et la conflictualité par rapport au modèle dominant,c’est l’alliance entre l’acceptation des limites et le bien-vivre.

> PROPOS RECUEILLIS PAR CAROLINE HOCQUARD

7Le Courrier de la Baleine Le journal des Amis de la Terre n° 169 EN FINIR AVEC L’ÉCOLOGIE

Geneviève Azam estéconomiste, enseignante-chercheuse à l’universitéToulouse II, membre du Conseil scientifiqued’Attac. Patrick Viveret est“passeur-cueilleur”,philosophe, conseillerhonoraire à la Cour desComptes et auteur de livreset de rapports commeReconsidérer la richesse.Patrice Perretest responsable de la commission Ecologieau sein de l’union syndicaleSOLIDAIRES.Geneviève Decropest sociologue et membre du Comité de rédaction d’Entropia, revue d’étudethéorique et politique de la décroissance.

Note Les intervenants ontété interviewés séparément!;il ne s’agit pas d’unediscussion.

1 Directeur de l’École des Mines de Nancy,organisateur de la mission“Nouvelles Qualifications”,inspirateur des MissionsLocales pour l’insertionprofessionnelle et sociale desjeunes en difficulté. 2 Sociologue et philosophedes sciences, directeurscientifique de Sciences Po.Promoteur de la théorie de l’acteur-réseau, auteur de Politiques de la nature(1999). 3 Philosophe et journaliste,auteur d’une pensée majeurequi oscille entre philosophie,théorie politique et critiquesociale. Un des principauxthéoriciens de l’écologiepolitique. Auteur denombreux ouvrages dontÉcologie et liberté (1977),Adieux au prolétariat (1980),Métamorphoses du travail(1988), Misères du présent,richesse du possible (Galilée, 1997).

Le Courrier de la Baleine Commentanalyser le recul de l’écologie – celle que nous défendons – dans le contextede la crise!?Geneviève Azam Avec la crise, l’Union européennea posé comme priorité de retrouver la compétitivitéet l’envisage uniquement en restant dans le même modèle. La crise écologique est ainsi vuecomme une occasion nouvelle de nouveauxinvestissements et de croissance. Cette stratégieque l’Union européenne déploie pour Rio+20 en soutenant l’économie verte de façon quasi militante, est catastrophique. Cette écologie-là fait disparaître l’autre. Patrick Viveret L’écologie n’a pas disparu, mais une certaine conception de l’écologie ne réussit plus à se faire entendre. Depuis 2008, la crise financière a été utilisée pour bloquer le débatqui était en train de s’esquisser au niveau mondial,avec la montée conjointe des questions écologiqueset sociales qui mettaient en lumière les motsplanification et régulation. Nous sommes entrésdans une phase de régression généralisée, liée au fait que le capitalisme financier est incapabled’avoir une stratégie d’avenir. La seule façon qu’ils ont trouvée pour essayer de s’en sortir est la marchandisation massive de la nature.

Y a-t-il une volonté d’en finir avec l’écologie!?Geneviève Decrop Les stratégies délibérées pour en finir avec l’écologie existent. Le fait que certains tentent de s’en débarrasser afin de poursuivre leurs intérêts est une explication, c’est d’ailleurs celle que j’utilise quand je me batssur le plan politique. Mais je pense autrement en tant que chercheur. Il est intéressant de noterque!l’écologie scientifique ou pratique – celle des associations de vigilance ou de défense de la nature – est très bien acceptée. C’estl’écologie politique qui fait mal et est rejetée, car elle est la radicalisation d’une prise de conscience écologique. Elle tend vers unecohérence globale difficile à admettre à notreépoque où l’on fait en permanence du zappingentre différentes postures ou intérêts. C’est pour cela que les écologistes sont traitésd’ayatollahs ou qu’on les accuse de donnermauvaise conscience. Cette écologie ne rentre pasdans les logiciels de la plupart des dirigeants qui, incapables d’en changer, tentent de faire de l’écologie un secteur de ces logiciels.!Geneviève Azam Sachant qu’il n’y a pas de solution écologique dans le modèle actuel, on peut comprendre que les tenants de ce modèle ont intérêt à ce que l’écologie disparaisse. Ou qu’elle devienne une écologie technicienne,

comme l’économie verte… Dans certains cercles de lobbyistes puissants, il y a la volonté explicite de cacher, de semer le doute, de fausser l’analyse– notamment sur le changement climatique et la biodiversité. Mais, pour la plupart des décideurs, il y a aussi l’illusion que le modèledans lequel nous sommes peut être compatibleavec un équilibre écologique. Les forces sont nombreuses pour entretenir cette illusion et verdir le capitalisme, le tout avec une réellecomplaisance de certaines grandes ONGenvironnementalistes qui prennent cela pour un moindre mal. En face, nous devons être très actifs pour démasquer les contradictions du modèle.

L’idée que les intérêts sociaux et écologiques vont de pair a-t-elle avancé ou régressé!?Patrice Perret L’écologie dérange dans les mouvements syndicaux et ouvriers, qui se sontconstruits historiquement sur l’idée d’une richessetoujours plus grande, avec pour objectif d’en obtenirle plus grand partage. Mais on s’est aperçu qu’il fallait prendre en compte les limites naturelles et que les intérêts environnementaux vont de pairavec ceux des salariés ; c’est par exemple devenuévident dans l’industrie chimique où une lutteimportante a été nécessaire pour obtenir des normes plus protectrices. Or la prise en comptede l’importance de la préoccupation écologique ne passe toujours pas bien. Le syndicalisme se concentre d’abord sur la défense des revendications et des conditions de travail dans l’entreprise, et la dimension environnementale,qui est interprofessionnelle, ne vient qu’après.Actuellement, il est vrai que certains acquis sont menacés et que la pression est forte. De nombreuses multinationales ont pris la crisecomme prétexte pour délocaliser vers des pays où la réglementation sur la sécurité des travailleursou la pollution est moins contraignante. Les syndicats SOLIDAIRES ont aussi vécu en interne la question de l’écologie présentéecomme ennemie de l’emploi, en particulier dans le secteur du nucléaire. Nous nous sommes prononcés au sein de la commission écologie de SOLIDAIRESpour “une décision politique immédiate pour la sortie du nucléaire”, mais des représentantsde Sud Energie qui avaient participé à cette réflexion, en lien direct avec les travailleursdes centrales nucléaires, ont dû faire face à des accusations de la Direction et d’autressalariés. Ils doivent faire un gros travail en interne pour expliquer que le nucléaire est nocif,que la réflexion sur la sortie de cette industrie

est nécessaire et que les emplois peuvent être préservés. Patrick Viveret Comme les effets des programmesd’austérité se traduisent d’abord par une régressionsociale, les gens sont touchés prioritairement à ce niveau-là. Il faut comprendre que le court termeécologique n’est pas le court terme social. 2030 est un court terme écologique, mais, commele disait Bertrand Schwartz1, en terme social lesgens voient leur projet de vie limité à 24 h. Je pense que les courants écologistes doivent beaucoup plusintégrer les enjeux sociaux, de la même façon que les acteurs de la lutte contre les inégalitésdoivent intégrer la question écologique.Geneviève Azam Au sein de la gauche, mêmeproductiviste, il y a quand même une conscience de l’importance de l’écologie ; mais cela ne veutpas dire qu’elle donne à ces questions une placecentrale. Elle reste dans une logique de type social-démocrate, qui lutte pour une meilleurerépartition des ressources et un modèle plus juste.C’est nécessaire, mais ce n’est qu’un aménagementdu système. A ce sujet, Je vois les difficultés que nous rencontrons à Attac. Dans tous les textesque nous faisons paraître, l'écologie est prise en compte. L’idée que la croissance n’est pas la solution est admise. Mais les vieux réflexesressurgissent encore fréquemment.

L’écologie dérange-t-elle notre société declasses moyennes dans ses conceptionsdu confort!?Geneviève Azam Il y a en effet une pression du confort. On sous-estime l’aliénation qu’engendrece modèle, qui a bloqué l’imaginaire social. Plus le système avance, plus on s’enracine dans des choix de société, plus il devient difficile de poser la transition. Et la difficulté à se projeter est d’autant plus forte qu’il y a crise.Geneviève Decrop La question du confort pose problème, mais selon moi le malaise est plus profond que cela. Il est difficile de changerde modèle de comportements, de rompre avec le consumérisme – d’autant plus si la sociéténe change pas. Cela demande en effet un grandtravail sur soi, une remise en question douloureuse,car plus on avance, plus on mesure l’écart. Mais,derrière ce premier niveau, il faut chercher le troubleencore plus loin : l’écologie politique dérange car elle remet en question l’homme dans ses fondements mêmes. Si l’on suit sa logique, les êtres humains devraient se percevoir commefaisant partie de la nature et non à l’extérieur de cette nature, comme le considère la grandeposture occidentale : c’est le “grand partage” dont parle Bruno Latour2. Cela ébranle les grandsschémas mentaux qui structurent – même

AnalyseQue reste-t-il de l’écologie ?

6 NUMÉRO SPÉCIAL Le Courrier de la Baleine Le journal des Amis de la Terre n° 169

Nous vivons une époque ingrate pour l’écologie. Comprendre les raisons du malaise n’est pas aisé, mais cela reste indispensable pour décrypter les forces à affronter et se remettre en question. Nous avons interrogéquatre personnalités engagées au quotidien pour la reconnaissance et la prise en compte des questionsécologiques dans les choix politiques et sociétaux.Il en ressort que le système capitaliste a pour l’instant réussi à récupérer l’écologie pour dominer le débat. Mais les mouvements écologistes peuvent trouver des brèches. L’écologie politique doit trouver le chemin pour déconstruire les illusions et stimuler le changement. Le moment est intéressant, car, malgré le recul et la crispation, c’est peut-être bien aujourd’hui que se dessinent les occasions les plus favorables.

Page 5: La Baleine 169

En tant que socle organisationnel de nos sociétés, lesystème politique porte une immense part de res-ponsabilité dans l’état actuel de la planète. Il est pour-tant rarement remis en question. La plupart des paysqui dirigent le monde, ceux du G8 et du G20, se re-vendiquent de démocraties dites représentatives. Leurfonctionnement repose sur la désignation par les ci-toyens d’élus censés les représenter et appliquer unprogramme politique que ces citoyens auraient choisi.Pourtant, les démocraties représentatives contribuentlourdement à favoriser un modèle écocide dans le-quel règnent le culte de la croissance et de la consom-mation illimitée. Dans ce système, la recherche dessolutions aux problèmes écologiques se situe dansle cadre du marché : marchés Carbone, compensa-tion biodiversité, etc. Les frontières artificielles tra-cées par les Etats ou par les accords commerciaux,de même que la vision court-termiste générée par lapériodicité des élections sont en décalage avec lesenjeux écologiques : eux sont transfrontaliers et re-quièrent une approche de long terme. Les logiquescorporatistes et partisanes l’emportent sur l’intérêtgénéral et la préservation des biens communs.

L’illusion de la démocratie participativePour pallier les lacunes de cette démocratie repré-sentative, des voix s’élèvent afin d’instaurer une dé-mocratie plus participative. Pour impliquer plus for-tement les citoyens dans la vie politique et les prisesde décision, des dispositifs et procédures sont ima-ginés – par exemple, la mise en place de processusdélibératifs, comme les conférences de citoyens, oul’accentuation du rôle des associations environne-mentales dans les institutions… Des auteurs* propo-sent aussi la création d’instances démocratiques– Nouveau sénat, Académie du futur, etc. – adap-tées au traitement des questions écologiques. Maisil ne s’agit bien souvent que d’aménagements à lamarge, qui ne résolvent en rien les ravages du sys-tème en place. Le Grenelle de l’Environnement estl’exemple d’un processus participatif dont les résul-tats désastreux sont bien connus.

En fin de compte, la “légitimité” des décisionsprises dans le cadre de la démocratie participativerend difficile toute contestation – associer des repré-sentants de la “société civile” à ces décisions laisseentendre que la démocratie en sortirait grandie. Il estparticulièrement intéressant de noter que les promo-

teurs de la démocratie participative sont rarementanticapitalistes. Sur ce point, citons André Gorz, quiaffirmait dans le journal Le Sauvage d’avril 1974 que,si l’on introduit l’écologie dans le capitalisme, “fon-damentalement, rien ne change”.

Si la démocratie représentative et son corollaire,la démocratie participative, ne répondent pas auxpérils écologiques et aux inégalités sociales, il esttoujours utile de se (re)tourner vers l’Histoire pourexaminer d’autres voies, notamment celle de la dé-mocratie directe. Certes, elle ne date pas d’au-jourd’hui. Athènes la pratiqua au VIe siècle avantnotre ère… avec des limites : n’y accédaient nifemme, ni esclave, ni étranger. Elle resurgit ensuitecomme mouvement de pensée grâce au mouve-ment anarchiste de la fin du XIXe siècle.

Reclus et Kropotkine, précurseursAu sujet de l’écologie, on rencontre d’abord deux pré-curseurs qui sont aussi des géographes : Elisée Re-clus et Pierre Kropotkine. Selon eux, il s’agit d’envisa-ger la démocratie directe, non pas comme un simpleprocessus décisionnel, mais comme un véritable sys-tème politique, un projet de société global initié par lespopulations et visant à leur autonomie. Ce projet nepeut être prédéfini de manière figée et catégorique,puisqu’il a pour principe que ce sont les concernés quile déterminent eux-mêmes. Néanmoins, quelques élé-ments fondamentaux peuvent être mis en avant. Toutd’abord, l’échelle géographique à laquelle s’instaure ladémocratie directe est essentielle. Elle ne peut objec-tivement s’appliquer sur un vaste territoire, mais plutôtsur un espace réduit comptant un nombre restreintd’habitants : quartiers, communes, bassins de vie,pays, etc. Ainsi, Kropotkine place les “communes au-tosuffisantes” au cœur de sa réflexion politique, toutcomme Lewis Mumford et ses “communautés lo-cales”, puis Murray Bookchin et son “municipalisme li-bertaire”. L’essentiel est que cet espace soit commu-nément admis comme une entité cohérente dans la-quelle chacun se retrouve. La notion de proximité entreles individus est un gage de décision concertée et derésolution des conflits. Les frontières administrativessont supprimées pour laisser place à une organisationfondées sur les réalités naturelles! (îles, forêts, vallées,lignes de crêtes) et culturelles.

Dans le cadre de la démocratie directe, les déci-sions collectives se débattent en assemblée, lorsque

la communauté se réunit. Il ne s’y exerce aucun rap-port hiérarchique entre les individus ou les groupes,les choix s’opèrent en toute transparence. Dans lemeilleur des cas, les décisions sont prises à l’unani-mité ou, s’il s’exprime des réticences, au consensus.Le vote peut constituer un ultime recours lorsque leconsensus devient impossible. Pour des questionsd’organisation et de répartition des tâches, il peuts’avérer nécessaire de désigner des mandatés parconsensus ou tirage au sort. Ceux-ci sont porteursde mandats impératifs, régulièrement contrôlés etrévocables par l’assemblée. Certaines alternatives etluttes récentes, comme le camp climat à Notre-Dame-des-Landes ou les collectifs contre les huile etgaz de schiste, tendent à fonctionner selon ces prin-cipes autogestionnaires.

Ecologie libertaire et démocratie directePour subvenir aux besoins de la communauté locale(alimentation, habitat, transport, etc.), les grandesstructures productivistes centralisées sont rempla-cées par de petites unités de production qui fondentleur activité sur la valeur de l’usage et non sur cellede l’échange. Un grand principe tel que “de chacunselon ses capacités, à chacun selon ses besoins”peut être adopté par l’assemblée populaire. Ces uni-tés de production sont autogérées et régies par lesvaleurs d’entraide et de coopération telles que Kro-potkine a pu les décrire dans La conquête du painet L’entraide, un facteur de l’évolution.

Cependant, vivre en communautés locales nesignifie pas autarcie et isolement. Au contraire,puisque la notion de frontière n’existe plus, leséchanges culturels ou les voyages sont facilités. Ladémocratie directe suppose, rappelons-le, la sup-pression de l’Etat-Nation. Mais, pour les questionsqui nécessitent un traitement à une échelle plus glo-bale comme le changement climatique ou la pertede biodiversité, les communautés locales autonomesont la possibilité de s’organiser en fédérations oucoopérations renforcées dès lors qu’elles respec-tent les grands principes de la démocratie directe.Bookchin parle alors de “confédération de munici-palités démocratisées”.

> OLIVIER LOUCHARD

Animateur de “la Grenouille Noire”, émission consacrée à l’écologie sur Radio Libertaire (89.4 FM),

un vendredi sur deux de 21 h 00 à 22 h 30

Société L’écologie choisit la démocratie directeFace aux périls écologiques et aux inégalités sociales, les limites de la démocratie représentative et de son corollaire, la démocratie participative,sont flagrantes. Seule la démocratie directe, coopérative et fédérale permet de répondre aux grands enjeux actuels. Reste à la construire…

9Le Courrier de la Baleine Le journal des Amis de la Terre n° 169 EN FINIR AVEC L’ÉCOLOGIE

A lire (entre autres…)Dominique BourgVers une démocratieécologique (Seuil, 2010)Elisée ReclusL’anarchie(Mille Et Une Nuits, 2009)Pierre KropotkineL’entraide : un facteur de l’évolution(Du Sextant, 2010) Lewis MumfordLa cité à travers l’Histoire(Agone, 2011) Murray BookchinUne société à refaire(Ecosociété, 2011)

1 Ministère de l’Ecologie, du développement durable et de l’aménagementdu territoire2 Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement3 Agence de l’environnementet de la maîtrise de l’énergie4 Agence nationale de l’habitat (du parc privé)5 Office national de l’eau et des mileux aquatiques

* Initiée en 2008 dans le Val-de-Marne, l’associationRelocalisons regroupe des membres sensibles aux thèmes de l’écologie, de l’humanisme, de l’altermondialisme et de la décroissance.Elle compte plusieursgroupes, actifs notammenten Ile-de-France et en Languedoc-Roussillon, et des sympathisants répartis dans toute la France.

La disparition du pilotage des politiques environne-mentales est organisée de longue date : Nicolas Sar-kozy a imposé sa marque, d’abord en tant que mi-nistre de l’Intérieur, puis de l’Economie, avant d’ac-céder à la présidence de la République. L’Etat estintervenu pour regrouper en région les services dé-pendant jusqu’alors de ministères différents (Envi-ronnement, Industrie, Energie, Transports, Loge-ment, Agriculture), ce qui a éliminé les débats entreles différentes administrations publiques. Et, dans lecadre de la Réforme générale des politiques pu-bliques (RGPP), il a supprimé un grand nombre depostes de fonctionnaires affectés, par exemple, aucontrôle des installations SEVESO, ce qui a renforcé lepouvoir discrétionnaire des préfets.

“On s’est assis sur l’écologie”Dès 2004, Nicolas Sarkozy portait le projet d’ungrand ministère promoteur d’“une industrie intelli-gente qui assure prioritairement le développementéconomique”, explique Jean-Pierre Frileux, du syn-dicat SOLIDAIRES Environnement. Une idée qui pren-dra forme avec le MEDDAT confié à Jean-Louis Bor-loo. “On s’est alors assis sur l’écologie”, insiste Jean-Pierre Frileux, peu amène envers le Grenelle del’Environnement. Car, parallèlement, deux réformesont parachevé la réduction des moyens. Dabord lesmoyens décisionnels : la réforme de l’administrationterritoriale crée les DREAL, lesquelles regroupent,sous la tutelle des préfets de Région, l’Industrie (ex-DRIRE), l’Equipement (ex-DRE) et l’environnement(ex-DIREN).! “Avant, les services exprimaient dessons de cloche différents. Aujourd’hui, on n’entendplus qu’une voix puisque les préfets dirigent la ma-nœuvre et décident! !” déplore Jean-Pierre Frileux.Ensuite les moyens techniques : la RGPP comprimeles dépenses de l’Etat et réduit à peau de chagrinles capacités de contrôle, d’ingénierie et d’appui auxcollectivités.

La concentration des pouvoirs entre les mainsdes préfets menace de s’accentuer encore. Un dé-cret récemment paru les nomme Délégués générauxdans les régions de trois établissements publics :l’Ademe, l’Anah et l’Onema – spécialisés sur l’éner-gie, l’habitat et l’eau. Cette tutelle porterait un coupfatal à la politique de partenariat et à la relative neu-tralité des trois organismes. Un second texte, nonencore publié à l’heure où nous bouclons, désigne-rait le préfet comme Autorité environnementale :celle-ci sera chargée d’évaluer la qualité des étudesd’impact pour près d’une quarantaine de plans ou

programmes ayant des effets sur l’environnement.Or ces projets sont bien souvent élaborés et portéspar les services de l’Etat et leur validation finale,puis leur mise en oeuvre, leur sont confiées. Conce-voir, évaluer, décider et appliquer : dans un régimede séparation des pouvoirs, cela fait beaucoup derôles pour une seule et même autorité… Au-delàdes promesses électorales, le train de l’Etat estdonc en marche, et tout porte à croire que la conti-nuité de l’action sera de mise en la matière, puisqueFrançois Hollande promet le retour à l’équilibre bud-gétaire en 2017. > ALEXANDRE RENARD

Réforme de l’Etat L’administration de l’environnement briséeL’Etat regroupe sous l’égide des préfets de Région les services dépendant jusqu’alors de ministères différents. Il a déjà supprimé de nombreux postes de fonctionnaires dans le cadre de la Réforme générale des politiques publiques. La concentration des pouvoirs entre les mains des préfets menace de s’accentuer encore.

Dans la charte de l’organisation Maison commune– dont le président est Laurent Ozon, anciennementchargé de l’écologie au Front national, démission-naire après ses prises de position sur la tuerie surve-nue en Norvège – se trouve la promotion de “solu-tions protectionnistes localistes et écologistes pourentraver les ravages d’une mondialisation techno-économique immature” et de “la relocalisation del’économie, afin d’assurer la bio-complexité des cul-tures et des identités”. On trouve les mêmes thèmessur le site du Bloc Identitaire, autre mouvement d’ex-trême droite. “Ce que nous voulons, c’est d’une part,la réintroduction de la notion de mesure et de lieudans l’économie, d’autre part la soumission de celle-ci à la volonté politique.” En clair, ces deux groupessouhaitent une économie localisée, basée sur l’arti-sanat, la paysannerie, l’entreprise familiale ou com-munautaire de petite taille. Une économie répondant

aux besoins de la collectivité et non à ceux de quelquesindividus à la voracité sans limites. Le Bloc Identitaireencourage vivement des initiatives concrètes tellesque les associations pour le maintien d’une agricul-ture paysanne (Amap), les systèmes d’échanges lo-caux (Sel), l’habitat communautaire.

Des thèses banalisées par l’extrême droiteLes thèses du Bloc Identitaire semblent être un vérita-ble creuset d’idées, stimulant toute la droite, Front Na-tional compris. On note les mêmes élans écologistesdans le discours d’investiture de Marine Le Pen. “Lebon sens nous interdit de croire à la viabilité d’une pla-nète dont le seul projet collectif serait de généraliser à7 milliards d’individus le niveau de consommation etde gaspillage des ressources sur le modèle des USA.Voilà pourquoi nous engagerons une grande politiquede relocalisation des productions, c'est-à-dire, concrè-

tement, le rapprochement des lieux de production etde consommation afin de renforcer notre autonomiealimentaire et énergétique. Cette politique de relocali-sation profitera aux producteurs locaux et régionaux”.

Pour l’extrême droite, le thème de la relocalisationest toujours l’occasion d’un repli communautaire, leplus souvent très clairement exprimé : la priorité na-tionale se décline en priorité locale – emplois, habitatsréservés aux locaux. La politique nationale contrel’immigration et l’islam se trouve renforcée par les po-litiques locales de même nature. Le refus de la mon-dialisation affirmé par Marine Le Pen ne signifie pasun refus du capitalisme entrepreneurial local, dont elleentend favoriser la liberté ! Il n’existe aucun question-nement sur la production, et, même si Marine Le Pens’élève contre le gaspillage, elle ne met pas en causela quantité de déchets produits. Il s’agit seulementd’un productivisme relocalisé : une dé-délocalisation.

Est-ce bien cette relocalisation dont nous, objec-teurs de croissance, parlons ? Celle du tout-identitaire,où l’Etat répressif est valorisé, celle du repli sur soi ré-gionaliste, de la haine de l’étranger ? Ou encore celledu capitalisme vert qui, récupérant le thème pour fairedes affaires, en tirera toujours profit pour assurer samaintenance ? Assurément, non. Pour nous, au con -traire, la relocalisation est un objectif pour mettre enplace une société anticapitaliste et antiproductiviste.Elle ne peut être réduite à une impossible autarcie :d’ailleurs, toutes les activités économiques doivent-elles être relocalisées ? Les alternatives concrètes, sielles sont nécessaires, demandent à être intégréesdans un projet écologique plus large. Laissons à ladroite extrême l’impasse de l’autarcie, et défendons l’es-poir d’une autonomie généralisée de nos vies.

Défendre la relocalisation démocratiqueLa relocalisation de l’économie suppose une redéfi-nition démocratique des besoins. Elle implique deschoix sur les produits et la gestion des déchets. Ellequestionne la technique et ne peut se concevoirsans donner le pouvoir aux citoyens de gérer leurcité par une autogestion généralisée. Nous sommesloin du repli sur soi, très inégalitaire, et, au bout ducompte, complètement libéral – si l’on peut parler delibéralisme pour le concours entre les puissancesd’Etat et les puissances privées.

Il existe donc une relocalisation de droite et unerelocalisation de gauche, qui, partant de constatspour certains identiques, n’en conduisent pas moinsà des propositions absolument inconciliables. Aumoment où le Front national se revendique commeétant la troisième force politique du pays, il faut êtred'autant plus intransigeant sur ce qui nous différen-cie de ce parti et de ses courants. Cela sera unedes tâches essentielles des écologistes dans la pé-riode à venir. > MARTINE TIRAVY

Association Relocalisons*

Relocalisation Contrer la tentation nationalisteL’extrême droite refuse la mondialisation, mais pas le capitalisme entrepreneurial local. Sans questions sur la production ni sur les déchets produits,voici juste un productivisme relocalisé. Pour nous, au con traire, relocaliser, c’est tendre vers une société antiproductiviste et anticapitaliste.

8 NUMÉRO SPÉCIAL Le Courrier de la Baleine Le journal des Amis de la Terre n° 169

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Proposer des alternativesSi l’écologie ne parvient pas à s’imposer dans le débat public, c’est dû – sans doute dans une largemesure – à son incapacité à proposer un programmeattirant, mais aussi à la hauteur des enjeux del’époque. La litanie des petits gestes, la dénonciationdes fauteurs de crises, quoique indispensables, ne peuvent constituer à eux seuls un programmedésirable. Il faut une vision, un projet de société,dont les avantages à long terme équilibrent les contraintes qu’il engendre. Un tel projet ne peut se fonder que sur une nouvelle manière de concevoirl’économie et la politique ; de concevoir la production

– et donc, la consommation –, le travail et les échanges. Une nouvelle manière de concevoirla démocratie. Concrètement, cela se nommenouvelles structures de production locales, servicespublics relocalisés, revenu d’existence et revenumaximum, monnaies locales, démocratie directe,fédéralisme… Là sont les principaux piliers de la relocalisation, de l’indispensable enchâssementde l’économique et des structures de pouvoir dans l’écologique, sans lequel aucune alternativedurable au système actuel n’est possible.

> ALAIN DORDÉ Les Amis de la Terre, référent mobilisation

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Page 6: La Baleine 169

Ils se sont installés symboliquement devant le mo-nument de la Résistance, au pont Morand, à Nantes(Loire-Atlantique), à deux pas de la préfecture et duConseil général. Depuis le 11!avril 2012, deux pay-sans, Marcel Thébault et Michel Tarin, ont engagéune grève de la faim. Tous deux ont reçu l’ordon-nance d’expropriation! : les pistes du futur aéroport

nantais, à Notre-Dame-des-Landes, recouvrirontd’asphalte leurs terres. Marcel Thébault, qui a refuséde négocier avec les autorités, doit quitter son ex-ploitation laitière avant le 1er janvier 2013.

“Leur acte de résistance et de solidarité estaussi un cri de colère envers l’obstination du mondepolitique à vouloir détruire et bétonner”, commente

l’Acipa, une association qui lutte contre ce projetd’aéroport.

En France, chaque année, ce sont plus de70! 000! hectares de terres qui sont bétonnés. ÀNotre-Dame-des-Landes, le projet du futur aéroportdu Grand Ouest prévoit de s’étaler sur environ1!600!hectares de terres agricoles fertiles ; 44 agri-culteurs sont menacés d’expropriation. En Rhône-Alpes, le projet de l’Olympique lyonnais (OL) Land,situé sur la commune de Décines-Charpieu, fait cou-ler également beaucoup d’encre. Là, ce sont 30 agri-culteurs qui risquent l’expropriation d’une partie deleurs terres au profit du nouveau stade de l’OL. Lacontrepartie ? Une indemnisation d’1 "/m# pour lespropriétaires, et de 0,66 "/m# pour les locataires !Au-delà des politiques d’affichage toujours plusvertes, les décideurs donnent raison au béton. Leszones artisanales, industrielles et commerciales, ainsique les grandes infrastructures – lignes à grande vi-tesse (LGV) ferroviaires, lignes de transport d’électri-cité à très haute tension (THT) et autre aéroport –,grignotent un peu plus chaque jour l’espace rural.

La lutte collective, ça marcheFace à l’installation d’un énième hypermarché oud’une nouvelle LGV, des luttes s’organisent. A Notre-Dame-des-Landes, la résistance n’a jamais manquéde créativité. Outre les habituelles manifestations etpétitions, les citoyens ont multiplié les pique-niquesdésobéissants, les occupations de fermes et de mai-sons abandonnées, le blocage des bulldozers, le ra-chat de terres, les “entartages”, les jeûnes, les blo-cages, les “actions clowns” et même un camp ac-tion climat.

Dans le Var, le collectif de défense des terres fer-tiles s’est mobilisé contre un projet de golf sur 48 hec-tares de terres irrigables. Il a organisé un cortège,une action de semis et un pique-nique sur les lieux,interpellé de nombreux élus, et finalement réussi àce que le projet soit abandonné.

Ici, on alerte et on communique sur les terresagricoles disponibles ou en danger. Là, on participeaux enquêtes publiques préalables à la révision desPlans locaux d’urbanisme (PLU) et des Schémas decohérence territoriale (SCoT) (voir ci-dessous). Ail-leurs, on sensibilise les collectivités à la mise enplace d’un groupe de travail foncier et on met enœuvre des actions juridiques. Toutes ces luttes sontau carrefour de stratégies communes pour l’accès àla terre. Toutes remettent en question le systèmeagricole et les modes de production actuels, l’ac-croissement perpétuel des activités et des flux éco-nomiques, la privatisation des ressources, le contrôlede l’espace et des individus. Reprendre le pouvoirsur sa vie commence par la prise sur le territoire.

> SOPHIE CHAPELLE

Luttes Le béton doit cesser de bouffer les terresLignes ferroviaires à grande vitesse, lignes THT, aéroport… Le grignotage des terres agricoles ne cesse de croître au profit de mégaprojets inutiles – sauf pour les entreprises concernées et celles du BTP. Mais, devant cette tendance lourde, les citoyens s’organisent et multiplient les résistances créatives. Parfois gagnantes.

11Le Courrier de la Baleine Le journal des Amis de la Terre n° 169 EN FINIR AVEC L’ÉCOLOGIE

De 1982 à 2004, les surfaces urbanisées en Franceont augmenté de 43 % quand la croissance démo-graphique s’élevait à 11 %. À 80 %, ce sont desterres agricoles qui ont été accaparées. Cette accé-lération de la consommation d’une ressource nonrenouvelable est extrêmement préoccupante etconstitue un gaspillage longtemps ignoré.

Impasse du lotissementLa consommation d'espace est d’abord due auxzones d’habitat (pour 50 %), puis aux espaces dé-diés aux activités, et enfin aux infrastructures rou-tières et de transport. La ville s’étale et s’allonge,mais les territoires ruraux ne sont pas non plus épar-gnés par le phénomène. Paradoxalement, ce sonteux qui ont été, proportionnellement au nombred’habitants, les plus gros dévoreurs d’espace deces dernières années. Des vues aériennes montrentces lotissements desservis par des voiries dispro-portionnées, présentant des paysages homogènes– chaque maison au milieu de sa parcelle – et deschoix d’aménagement peu qualitatifs.

Ces paysages se retrouvent partout, à l’iden-tique, croissant au même rythme que l’attrait pour lamaison individuelle et pour la propriété, l’éclatementdes ménages et l’augmentation de résidences se-condaires. Les politiques publiques de l’habitat, encontradiction avec celles de l’aménagement, encou-ragent depuis longtemps la propriété pour tous, his-sant la maison individuelle au rang de symbole de laréussite sociale.

Dans certaines régions attractives, comme laBretagne, le constat est catastrophique : les sur-faces artificialisées ont été multipliées par deux envingt ans. Les lotissements excentrés ou en zonesrurales ont souvent vu s’installer des ménages sou-haitant accéder à la propriété, attirés davantage parun foncier abordable que par la vie à la campagne.Mais ces ménages dont le mode de vie implique le

“tout-voiture” se retrouvent touchés par la haussedes prix des carburants et basculent peu à peu dansla précarité. L’étalement urbain n’est donc pas seu-lement un non-sens et une impasse écologique, ilaggrave aussi les inégalités sociales.

L’urbanisme est une compétence communale.Via les Plans locaux d’urbanisme (PLU) et d’autresoutils réglementaires, les élus locaux, accompa-gnés d’urbanistes, décident du développement deleur territoire. Pourtant, cette réglementation estcomplexe. Elle l’est même encore plus avec lesnouvelles obligations liées à la loi Grenelle 2 : diffé-rents documents se superposent sur des échellesde territoires différentes – les Plans locaux de l’ha-bitat (PLH) à l’échelle communautaire et les Sché-mas de cohérence territoriale (SCoT) à celle debassin de vie.

Les élus locaux n’ont pas toujours les connais-sances, le temps, ni même la possibilité de se for-mer à ces outils de planification. Ils sont égalementprisonniers d’un temps politique qui n’est pas letemps de l’aménagement. A court terme, on chercheà augmenter le nombre d’habitants, à remplir lescaisses municipales et – dans le meilleur des cas –ses écoles. A long terme, on cherche à construire undéveloppement harmonieux, à préserver ses terresagricoles, à prévoir les équipements publics, à ima-giner des espaces publics de qualité, à penser au“vivre ensemble”.

Ces collectivités locales qui résistentSe projeter dans le long terme suppose une volontépolitique réelle dont certains élus savent cependantfaire preuve... Pour exemple, la commune de Saint-Nolff (3 600 habitants), près de Vannes (Morbihan),aurait pu céder aux sirènes de l’étalement urbaindepuis longtemps. Pourtant, les élus ont inauguréleur action politique en réalisant un Agenda 21 enparallèle d’un nouveau PLU qui, chose plutôt rare,

redonnait de la terre à l’agriculture et fixait pour lesdécennies à venir les zones à urbaniser en lesconcentrant à l’intérieur et autour du bourg. Lespremières opérations d’habitat se sont ainsi concen-trées sur le centre-bourg. Pour la suite, elles se dé-ploieront sur un terrain qui en est proche et sur le-quel les élus, avec la population et des urbanistes,ont inventé un nouveau quartier peu commun. Bâti-ments collectifs et maisons individuelles accolées s’or-ganiseront autour de venelles étroites dans lesquellesla voiture ne passera pas. Cette commune a refuséde surcroît l’implantation de grandes surfaces en pé-riphérie afin de maintenir son commerce local.

Réhabiliter les centres-bourgsSi l’exemple de Saint-Nolff est encourageant, il nepeut prendre réellement sens que si tout un terri-toire, un bassin de vie, s’accorde sur ses objectifs.C’est l’objet des SCoT, dont la mise en place estdifficile et les ambitions souvent revues à la baisse!;surtout, ces documents d’orientation ne peuvent sesubstituer aux PLU communaux et intercommu-naux, sur la base desquels sont accordés les per-mis de construire.

La Région Bretagne semble enfin prendre la si-tuation au sérieux. Les aides aux communes sontmaintenant systématiquement adossées à des ob-jectifs de densité urbaine. Ainsi, l’Etablissement pu-blic foncier de Bretagne aide les communes à ac-quérir des terrains en centre-bourg – souvent dé-sertés dans les zones rurales – afin de les réhabiliter,ou éventuellement du terrain pour des quartiers enextension s’ils comptent au moins vingt logementspar hectare. Si les élus ont le pouvoir de décider dedessiner le territoire, les visions à court terme et leservice d’intérêts individuels prennent encore tropsouvent le pas. Aux militants, citoyens et électeursde le leur rappeler.

> LUCIE LEBRUN

Pouvoir local Contrer l’étalement urbainL’extension démesurée des zones d’habitat et d’activité constitue une aberration écologique et sociale. Les élus locaux ont pourtant les clés et outils réglementaires pour freiner ce phénomène et penser des territoires équilibrés.

En savoir plus :Sur l’étude RACwww.lafranceagricole.fr/Download/var/gfa/storage/Mediatheque/Docs/Etalement_urbain_et_changements_climatiques.pdf

Une monnaie locale complémentaire (MLC) est unmoyen pour les citoyens de se réapproprier l’usagepolitique de la monnaie. Plutôt que de faire “contre”– résister, désobéir, s’indigner… mais après ? – ils’agit plutôt de faire “avec” et “pour”. Conjugaisond’expérimentation et d’espérance, une MLC ne se li-mite pas aux réseaux de militants mais tisse de nou-veaux liens entre utilisateurs, prestataires – commer-çants, artisans, producteurs, associations, institutionsterritoriales. Comment ? En explorant tout le périmè-tre économique possible, ce que permet le double-ment de la richesse, puisque l’euro converti en MLC

reste et s’ajoute à l’unité monétaire locale créée!; enexpérimentant une autre consommation, puisqu’unemonnaie locale est “affectée”! ; en jetant les basesd’une autre production – une partie du fonds de ré-serve peut être utilisée à des fins d’investissementssolidaires – et d’une autre redistribution, en reliant desbesoins insatisfaits avec des ressources inutilisées, enparticulier par des partenariats originaux avec les ac-teurs de l’économie sociale et solidaire.

Une MLC ne s’échange pas n’importe comment,ni pour n’importe quoi, ni n’importe où. S’il existe déjàdes monnaies complémentaires non locales, comme

les “miles” ou les tickets-restaurant, quels sont alorsles intérêts politiques d’une forme locale de la mon-naie ? Tout d’abord, la relocalisation des échangeséconomiques. D’une part, un effet de protection per-met de rapprocher les activités de production, detransformation et de consommation! ; de l’autre, uneffet de label encadre les échanges par une conven-tion éthique – les utilisateurs autant que les presta-taires peuvent modifier leurs modes d’échanges!: len-teur, anticipation, choix. Atout écologiquement égale-ment : une MLC est une solution locale à une criseglobale, par le raccourcissement des trajets, les cri-tères écologiques inclus dans les conventions!. Enfin,la réappropriation citoyenne de la monnaie et de sesusages passe par une interrogation sur ce qu’est laCité pour ses citoyens. C’est pourquoi, sur le projetde la “mesure”*, pour tenir à la fois la dimension éco-logique et la dimension volontariste, nous préféronsparler de bassin de vie ou d’éco-territoire.

Vers une monnaie alternative Comment une telle monnaie vient-elle compléterl’euro ? Entre deux écueils – la carte de fidélité com-merciale et le Monopoly® éthique pour bobos éco-los – une MLC commence par être une monnaiesubsidiaire! : dans le périmètre labellisé, un coupond’échange prend la place de l’euro pour des échangesentre associés, tous membres de l’association por-teuse. Cette subsidiarité permet au projet non seu-lement d’exister immédiatement mais aussi de s’ar-ticuler à toute une série d’autres projets, eux aussisubsidiaires : en matière de consommation, les Sels,les Accorderies, les groupes de gratuités…, en ma-tière d’épargne, les Cigales, la Nef…

Faut-il s’empêcher de penser qu’un jour une mon-naie locale puisse devenir une monnaie alternativestricto sensu, qui n’aurait plus aucun rapport avecl’euro ? Cela suppose qu’une taille critique ait été at-teinte localement, autant en nombre de prestatairesque d’utilisateurs, et que tous les biens et services debase puissent être satisfaits, ce qui implique une ré-flexion sur la définition de ces biens et services.

Parce que locale, une MLC est une activité poli-tique doublement innovante, puisqu’elle se place d’en-trée en position d’instituant : non par rejet de l’institué,mais comme critique permanente de l’institution – ana-lyse des avantages et des dangers de l’institutionna-lisation –, ce qui permet une logique de réappropria-tion du rapport à la loi comme aux institutions. Enfin,en tant que projet de transition, c’est une démarchefondamentalement ascendante et citoyenne. > M. L.

* Monnaie localecomplémentaire du bassinde vie Romans/Bourg de Péage (Drôme).

Les termes ne manquent pas : dotation, rente, allo-cation, dividende, revenu, salaire ; suivis le plus sou-vent des qualificatifs les plus divers! : universel, ba-sique, garanti, social, territorial, suffisant, citoyen, in-conditionnel. Et, comme si ce n’était pas assez, s’yrajoute souvent un complément!: “d’existence”, “devie”, “de citoyenneté”, “d’autonomie”. Pourquoi choi-sir alors le terme de revenu inconditionnel ? Com-

mençons par éliminer le complément – afin que cha-cun reste libre d’utiliser ce revenu comme bon luisemblera. Pour le qualificatif, insistons sur l’incondi-tionnalité, qui est double!: de la naissance à la mort,sans aucune contrepartie. Reste la substance mêmede cette revendication : un revenu est ce qui revient.Cela signifie donc que, dans une communauté réel-lement politique, ce que chaque membre apporte,quelle que soit la forme de son utilité sociale, doit luirevenir inconditionnellement.

Pourquoi un tel revenu est-il souhaitable ? D’abordparce qu’il rompt avec la centralité du travail, pou-mon d’une société de croissance. Le revenu incon-ditionnel est un bon moyen d’atteindre un objectifclair : garantir le revenu pour abolir le culte du travail.Quand nous exposons cette revendication, c’esttoujours avec satisfaction que nous entendons l’ob-jection : “Mais alors, plus personne ne voudra tra-vailler !” – preuve s’il en est que le critère détermi-nant pour identifier le travail est la pénibilité. Or toutesles expérimentations de revenu inconditionnel mon-trent que, même avec la garantie d’un revenu dé-cent, les bénéficiaires continuent de travailler. D’au-tre part, un tel revenu remet en cause la course à l’il-limitation – toujours moins pour certains, toujoursplus pour d’autres. C’est pourquoi l’instauration d’unrevenu inconditionnel ne peut être envisagée sanscelle d’un revenu maximum acceptable.

Un revenu maximum acceptableVoilà déjà une mesure politique qui ne pose aucunproblème de financement : sa mise en place sup-pose juste une refonte radicale de la fiscalité. Sansoublier d’apprendre, à ceux qui nous expliqueraientdoctement que cela ferait fuir les plus riches, queceux-ci ne rapportent rien à la société, bien aucontraire. Quand 1 euro du salaire d’un agent denettoyage hospitalier produit plus de 10 euros de va-leur sociale, pour le même euro gagné par un publi-citaire, ce sont 11,50 euros qui sont détruits. Et,pour un conseiller fiscal, le rendement monétaire at-teint les moins 47 !

Pourquoi un revenu maximum acceptable est-ilsouhaitable ? Parce que son objectif est de (re-)faire

société, en créant les conditions psychologiques fa-vorables à l’instauration d’un revenu inconditionnel.Sinon, comment espérer rendre audible le moindreappel à la sobriété, au bien-vivre, tant que les iné-galités sociales engendrent des situations dans les-quelles sont favorisés l’envie, la rivalité, l’individua-lisme, l’affrontement, le mépris, plutôt que la bien-veillance, la coopération, la solidarité, la discussion,le partage ? Comment espérer que le revenu incon-ditionnel devienne une revendication mobilisatricetant que les inégalités sont telles que les conditionspsychologiques induisent une situation bloquée quantà la question sociale ? L’instauration d’un revenumaximum acceptable est donc le pendant incon-tournable de celle du revenu inconditionnel.

Une société définie comme bien communDans les versions libérales du revenu inconditionnel,une fois garanti un minimum de ressources, rien nesemble pouvoir justifier un plafonnement des reve-nus. Et, symétriquement, dans la revendication tra-vailliste d’un salaire maximum, la possibilité d’un re-venu déconnecté du travail n’est jamais avancée.Seuls les objecteurs de croissance semblent au-jourd’hui favorables à cette double revendication.Parce que la société, qu’il s’agit politiquement de(re-)faire, ne serait plus définie par la seule juxtapo-sition d’individus qui peuvent se comporter commes’ils ignoraient qu’ils vivent en société, mais commeun bien commun. Non un bien naturel, comme l’eauou la biodiversité, mais un bien éminemment cultu-rel et anthropologique. Un bien fragile qu’il s’agit deproduire sans cesse, de protéger, de conserver.

Voilà pourquoi il semble enthousiasmant de lierces belles revendications du revenu inconditionnel etdu revenu maximum acceptable : ce sont les préla-bles nécessaires à la décroissance des inégalités, aucœur d’une société redevenue commune : une so-ciété définie comme bien commun, comme espaceécologique des communs. > MICHEL LEPESANT

Militant-chercheur (du Mouvement des objecteurs de croissance), cofondateur de la “mesure”,

monnaie locale complémentaire du bassin de vieRomans/Bourg de Péage (Drôme).

Du contrat social Pour un espace écologique des revenusLe concept d’espace écologique proposé par les Amis de la Terre semble d’une grande fécondité, théorique et politique. L’hypothèse peut aisément se transposer à un “espace des revenus”, défini par un plancher et un plafond : un revenu minimal inconditionnel et un revenu maximum acceptable.

10 NUMÉRO SPÉCIAL Le Courrier de la Baleine Le journal des Amis de la Terre n° 169

Initiatives Monnaie locale, activité politique localeLa création d’une monnaie locale complémentaire se situe à la croisée de deux problèmes politiques globaux : celui de la monnaie et celui des alternatives. Localement, c’est une bonne façon de les poser et de les affronter.

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Périgord Olivier Georgiades05 53 09 27 90 - [email protected] (Vienne) Françoise Chanial05 49 58 25 55 - [email protected]énées-Atlantiques Mélia Makhloufi06 14 91 36 52 [email protected]ône [email protected] Patrick Bastien06 37 54 47 60 - savoie @amisdelaterre.orgSeine-et-Marne Jean-Claude Le Maréchal 01 64 05 84 [email protected] de Bièvre Richard Cottin01 60 13 99 [email protected]’Oise Nathalie Gayrard01 39 34 76 [email protected] Val d’Ysieux Etienne Bohler 01 34 68 73 16 - [email protected] Bénédicte [email protected]

Les Amis de la Terre EuropeMundo-B Building - Rue d’Edimbourg 26 / 1050 Bruxelles / Belgique Tél. : 32 2 542 0180 / Fax : 32 2 537 55 [email protected] / www.foeeurope.org

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LE PLUS GRAND RÉSEAU ÉCOLOGISTE MONDIAL

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La Fédération des Amis de la Terre France est une association de protection de l’Homme et de l’environnement, à but non lucratif, indépendante detout pouvoir politique ou religieux. Créée en 1970, elle a contribué à la fondation du mouvement écologiste français et à la formation du premier ré-seau écologiste mondial – Les Amis de la Terre International – présent dans 77 pays et réunissant 2 millions de membres sur les cinq continents. EnFrance, les Amis de la Terre forment un réseau d’une trentaine de groupes locaux autonomes, qui agissent selon leur priorités locales et relaient lescampagnes nationales et internationales, sur la base d’un engagement commun en faveur de la justice sociale et environnementale.

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Ce numéro spécial de la Baleine est un cri d’alertemais aussi un message d’espoir. Pour le rédiger,nous avons fait appel, au-delà de nos rédacteurs ha-bituels, à des partenaires – qu’ils et elles en soientici remercié(e)s – avec lesquels nous partageons unevision proche de la question écologique et de sesliens indissolubles avec les enjeux sociaux, écono-miques, démocratiques. Des partenaires avec les-quels nous tentons de construire une véritable alter-native à cette société mortifère.

Pour les Amis de la Terre, la convergence descrises écologique, sociale, économique, de la crisede la démocratie et de celle du sens de la vie en so-ciété montre l’urgence d’engager les transitions versdes sociétés soutenables. Dans cette perspective,en nous appuyant sur une réflexion construite autourdu concept et du projet d’Espace Ecologique, nousproposons nos alternatives au capitalisme, au pro-ductivisme, au techno-scientisme, et nous soute-nons les multiples initiatives qui préfigurent ces so-ciétés que nous voulons, que nous pensons réa-listes et réalisables.

Une perspective largeNous sommes persuadés que rien ne pourra se fairesans un large rassemblement des écologistes, detous ceux qui se revendiquent comme tels dans uneperspective large d’écologie sociale et politique :ceux qui militent dans des associations, dans desluttes et des alternatives locales et sociales, qui seréclament de l’altermondialisme, de la décroissance,de l’autogestion, ceux qui refusent en commun lessolutions niant la parole citoyenne et la co-gestionde la crise par certaines ONG – qui se profile à l’ho-rizon de la future politique gouvernementale. Ce ras-semblement ne pourra se faire sans l’investisse-

ment, la prise de conscience et le changement decomportement de chacun(e).

Mais nous savons aussi qu’aucune transition nesera possible sans la promulgation de lois et de ré-glementations nationales et internationales promou-vant la soutenabilité. Une simple accumulation dedémarches individuelles et d’alternatives, si radicalessoient elles, ne suffiront pas à changer les modes deproduction et les structures de pouvoir dominants.Des mesures d’envergure globale, affirmant la pré-pondérance de solutions politiques portées par lescitoyens, seront indispensables. De ce point de vue,la transition passera, surtout dans les pays riches,par un changement radical de nos modes de pro-duction et de consommation

La notion d’Espace Ecologique, qui est à la basede notre projet, articule la satisfaction des besoinsfondamentaux et la préservation des écosystèmes.Au sens strict, il se définit comme la quantité de res-sources naturelles, de territoires, pouvant être utili-sée de manière soutenable, à tous les niveaux : del’individuel au collectif, du local au global. Il se situeentre un plancher correspondant au minimum deressources dont chaque personne doit disposer pourcouvrir ses besoins – mais aussi ses droits à la santé,à l’éducation, à l’information, à la culture – et un pla-fond au-delà duquel toute personne ou groupe utili-sant une ressource empiète sur l’espace écologiqued’autrui et sur celui des générations futures. Lesconsommations situées sous le plancher et au-des-sus du plafond, et les modes de vie qui leur corres-pondent, sont insoutenables, et devront progressi-vement disparaître. Ce concept, qui peut s’étendreconcrètement à de nombreux domaines de la vie ensociété, est le support d’un projet global. Ainsi, enmatière de revenus – pour s’en tenir à ce seul exem-

ple –, les excès de richesse et de pauvreté sont in-soutenables, d’où la nécessité d’instaurer pour tousun revenu minimum d’existence (plancher) et un re-venu maximum (plafond) ne dépassant pas un tauxétabli démocratiquement entre tous les partenairesconcernés.

Une soutenabilité désirableLes sociétés soutenables ne seront pas synonymesde retour à la pauvreté ni de régression. Les innova-tions et les réalisations personnelles y seront encou-ragées dès lors qu’elles contribueront à l’intérêt gé-néral. Comme l’objectif n’est plus la croissance ma-térielle, le travail sera fondé sur la qualité et l’utililitéde l’ouvrage, le rapport au temps pourra être re-pensé : réparti harmonieusement, il revalorisera letemps libre et, partant, toutes ces activités porteusesde joies et de plaisirs qui donnent un sens à la vie.Ces sociétés permettront l’expression de valeurs im-matérielles – solidarité, générosité, honnêteté… – in-dispensables pour faire face aux épreuves qu’ellespourraient rencontrer.

La construction de ces sociétés s’appuie sur laraison – la conscience de la nécessité de ne pas dé-passer nos limites – et sur tout ce qui peut rendre lasoutenabilité désirable. Soutenables sur le plan quan-titatif, conviviales entre leurs membres, solidairesavec les autres sociétés, respectueuses de la bio-sphère et de tous les habitants de la planète : voiciles atouts des sociétés que nous vous proposons deconstruire ensemble.

C’est dans cet esprit que les Amis de la Terre, àpartir des moyens qui sont les leurs, œuvreront à fa-voriser et à participer à toute forme de rassemble-ment des forces de l’écologie associative.

> LES AMIS DE LA TERRE FRANCE

Sommet des peuples pour la justice sociale et écologiqueDu 15 au 23 juin ; journée mondiale d’action le 20 juin. A Rio de Janeiro (Brésil) ; en France, la mobilisation aura lieu à Paris et dans plusieursrégions.En parallèle à la Conférence officielle des NationsUnies sur le Développement Soutenable se tiendra àRio de Janeiro, du 15 au 23 juin, le Sommet despeuples pour la justice sociale et écologique, contrela marchandisation de la vie et pour la défense desbiens communs. Le 20 juin a été désigné par ses or-ganisateurs journée mondiale d’action.

Six heures pour la justicesociale et écologiqueSamedi 9 juin à partir de 13 h 30. A Paris, aux Diaconesses, 18 rue du Sergent-Bauchat, Paris XIIe (Métro Montgallet)Pour affirmer haut et fort que la nature n’est pas unemarchandise, décrypter l’économie verte, partagernos analyses et nos alternatives.

Grande vente aux enchèresitinérante de biens communsdevant les sièges desmultinationales les plus en vue. Mercredi 20 juin de 12 h à 14 h, à Paris

Actions en régions En régions, plusieurs actions sont programmées : Limoges Soirée-débat avec Paul Ariès le 19 juinBayonne Défilé festif et revendicatif de batucadasle 21 juin, fête de la musique.Plus d’informations sur notre site amisdelaterre.org

Université d’été de la solidarité internationaleDu 4 au 7 juillet, à Lyon.Un temps fort pour mettre en perspective, à un ni-veau global, les expériences locales portées par lesacteurs de la solidarité internationale regroupés dansle Crid (Centre de Recherche et d’Information pourle Développement) et affirmer les valeurs qui les gui-dent. Ce sera l’occasion d’estimer la capacité dumouvement de solidarité internationale à imaginer,créer et consolider un langage politique, une pen-sée, qui participent de la construction de nouveauxparadigmes, de nouveaux projets de société. Les Amis de la Terre co-animeront un atelier sur lethème de la financiarisation de la nature.

Forum Européen contre lesGrands Projets Inutiles ImposésDu 7 au 11 juillet à Notre-Dame-des-Landes,près de Nantes.Ce deuxième forum dénoncera la multiplication deprojets pharaoniques imposés : aéroports, auto-routes, lignes ferroviaires à grande vitesse, grands bar-rages, méga-projets industriels ou commerciaux...Ils dévastent les écosystèmes et les terres agricoles,détruisent les modes de vie et les solidarités exis-tantes, engloutissent les fonds publics au détrimentdes besoins essentiels.Les opposants à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, lieu emblématique de la lutte contre lesgrands projets, accueillent ce forum. Son objectif estd’avancer sur le chemin de la transition sociale, éco-logique et démocratique en permettant le regroupe-ment des luttes actuelles et en développant les soli-darités par l’organisation d’actions convergentes auniveau européen.

Depuis 1971Le Courrier de la Baleine Le journal des Amis de la Terre

12NUMÉRO SPÉCIALEN FINIR AVEC L’ÉCOLOGIE

“Se ranger du côté des baleines n’est pas une position aussi légère qu’il peut le sembler de prime abord.”

Direction de la publicationMartine Laplante

Rédaction en chef Laurent Hutinet, Alain Dordé

Comité de rédaction Sophie Chapelle,Caroline Hocquard, Lucie Lebrun, Caroline Prak, Alexandre Renard

Correction Sophie Hachet, Gwenn-Morgan Rambaud

Ont collaboré à ce numéro Sylvain Angerand, Geneviève Azam,Geneviève Decrop,!Michel Lepesant,Olivier Louchard, Jeanne Mahé, Patrice Perret, Alexandre Renard,

Juliette Renaud, Martine Tiravy, Nicolas Sersiron, Patrick Viveret

Photographies Tous droits réservés.Les photos de ce numéro spécial ont été gracieusement mises à disposition par L.E.M (et par M.-F. D. pour les pp. 6-7)uniquement pour cet usage.

Mise en pages et iconographie Edwige Benoit

Relations presse Caroline Prak (01 48 51 18 96)

Impression sur papier recyclé Offset Cyclus 90 g avec encres végétales.Imprimerie Stipa (01 48 18 20 50)

Le Courrier de la Baleine n° 169 Trimestriel Printemps 2012 CCPAP n° 0312 G 86222 • ISSN 1969 - 9212

Pour prendre date Appel au rassemblement des porteurs d’alternatives écologiques et socialesLes Amis de la Terre, à partir des moyens qui sont les leurs, favoriseront et participeront à toute forme de rassemblement des forces de l’écologie associative, afin de construire ensemble des sociétés soutenables sur le plan quantitatif, conviviales entre leurs membres,solidaires avec les autres sociétés et respectueuses de la biosphère et de tous les habitants de la planète.

Un été militant Les mobilisations à venir

Ce numéro comporte en encart jeté la plaquette A qui profitent vraiment les grands barrages ?publiée en mars 2012 par les Amis de la Terre dans le cadre du Forumalternatif mondial de l’eau.

Plus d’informations surwww.amisdelaterre.org/grandsbarrages