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Depuis 1971 Hiver 2012 / 320 N°171 www.amisdelaterre.org Entreprises : vous avez dit responsables ? Entreprises : vous avez dit responsables ?

La Baleine 171 - Entreprises, vous avez dit responsables ?

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Journal des Amis de la Terre

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SOMMAIREEditoConférence environnementale,on y est allé ! L'été n'a pas été pour nous une période de tout repos. Il y a d'abord eu l'annoncede l'organisation de la conférence environnementale (CE) et cette question : faut-ilque nous, Amis de la Terre, y participions ? Membre du Comité national du dévelop-pement durable et du Grenelle de l'environnement (CNDDGE) nous faisions d'officepartie du comité de pilotage. Malgré des réunions toutes les semaines en juillet, c'estle flou qui dominait en termes d'organisation, essentiellement quant aux sujets traitéset aux participants. Il faut ajouter à cela les déclarations d'Arnaud Montebourg sur lenucléaire et les gaz de schiste qui ne laissaient rien augurer de bon.

Les débats ont donc été vifs pour savoir si nous avions intérêt à nous associer àcet événement.

Du côté des contre : l'impossibilité de faire bouger les lignes sur des sujets qui noussont chers comme le nucléaire et la croissance. Beaucoup considéraient que la CEne pouvait être qu'un Grenelle bis avec les suites que l'on sait. Ils craignaient quenotre présence soit vécue comme une trahison par certains de nos alliés.

Les partisans de la participation ont mis en avant qu'on pouvait peut-être avancersur quelques points et aller ainsi vers le « moins pire » en mettant des petitscailloux dans les rouages. De plus, s'agissant d'une conférence de méthodepour tout le quinquennat, ne pas participer revenait à s'écarter pour cinq ans detous les processus de concertation.

Dans tous les cas les objectifs, concrétisés par la position société soutenable restentfermes et inchangés. Ce qui nous différencie est l'approche stratégique : ne rienconcéder, rester sur les positions de principe ou agir par « grignotage » du systèmequ'on récuse. La seconde option a été très majoritairement choisie. Au final, commeprévu il n'y a pas eu de résultats spectaculaires mais des pistes à renforcer.

Après la conférence, le mois de septembre s'est poursuivi avec deux grands évé-nements : le procès de l'Erika et la publication de l''étude de Séralini sur les OGM.L'étude sur les OGM est déjà, et sera longuement contestée par le lobby des OGM,Monsanto en tête. A nous d'organiser la résistance ! Preuve a été faite de la dange-rosité des OGM auprès du grand public. Il ne faut pas relâcher notre vigilance.

Quant au procès de l'Erika, il fera jurisprudence sur deux points majeurs puisqu'ilreconnaît la responsabilité envers les zones touchées pour les pollutions généréesmême hors des eaux territoriales et celle de la responsabilité du commanditaire(Total) – à rapprocher de la responsabilité de la maison mère sur l'activité de sesfiliales. Ce procès est donc une excellente nouvelle au moment où nous lançonsnotre grande campagne sur la Responsabilité sociale et environnementale desentreprises (RSEE) à travers justement l'exemple de Total...

> Martine laplante

Présidente des Amis de la Terre France

Depuis 1971

La Fédération des Amis de la Terre France est une association de protection de l’Homme et de l’environnement, à but non lucratif, indépendantede tout pouvoir politique ou religieux. Créée en 1970, elle a contribué à la fondation du mouvement écologiste français et à la formation du premierréseau écologiste mondial - Les Amis de la Terre International - présent dans 77 pays et réunissant 2 millions de membres sur les cinq continents.En France, les Amis de la Terre forment un réseau d’une trentaine de groupes locaux autonomes, qui agissent selon leur priorités locales et relaientles campagnes nationales et internationales sur la base d’un engagement commun en faveur de la justice sociale et environnementale.

Le Courrier de La Baleine n°171« Se ranger du côté des baleines n’est pas une position aussi légère qu’il peut le sembler de prime abord. »

octobre 2012 • n° CPPAP : 0317 G86222 - ISSN 1969 - 9212Dans ce numéro de La Baleine est encartée la brochure Faisons tomber les masques du CRAD 40, une lettre aux adhérents et un bulletin d'abonnement à LaRevueDurable.

Directrice de la publication Martine Laplante Rédacteur en chef Lucile Pescadère. Secrétaire de rédaction Caroline Prak. Comité de rédaction SophieChapelle, Philippe Collet, Alain Dordé Ont collaboré à ce numéro Les Amis de la Terre Bouches du Rhône, Christian Berdot, Natacha Cingotti, Patrick de Kochko,Corinne Lafosse, Ronack Monabay, Romain Porcheron. Communication – Les Amis de la Terre Caroline Prak • 01 48 51 18 96 Maquette Nismo Carl Pezin •

www.nismo.fr Impression sur papier recyclé Offset cyclus 115g/m2 avec encres végétales • Stipa • 01 48 18 20 50

4 > international• La globalisation de la famine menace

5 - 6 > FranCe• Une conférence environnementaleen demi-teinte

• Notre-Dame-des-Landes : une aberrationmanifeste

7 - 8 > rÉGions• Des boues toxiques en Méditerrannée• L'Etat continue d'imposer son modèleénergétique aux régions

9 - 14 > Dossier - entreprises : vousavez Dit responsables ?• RSEE = greenwashing ?• Prix Pinocchio 2012 : à vous de jouer !• Vous avez dit responsables ?• Identifier les risques, c'est identifierles responsabilités

• L'ONU sous contrôle des multinationales• Mon entreprise idéale

15 > Coin Des livres• Paradis sous terre • Guide citoyen sur la Banque européenned'investissement

16 > pratiQue, HuMeurs• Servez-vous, c'est gratuit !• Ca y est, je l'ai !

Contactez-nous : Les Amis de la Terre France • 2B, rue Jules Ferry • 93100 Montreuil • Tél. : 01 48 51 32 22 • Mail : [email protected]

Ce document a été réalisé avec le soutien financier de l'Union européenne. Le contenu de ce document relève de la seule responsabilité des Amis de la Terre Europe, desAmis de la Terre Pays-Bas et de CEE Bankwatch, et ne peut en aucun cas être considéré comme reflétant les position de l'Union européenne.

>> Lancée en octobre dernier,la campagne des Amis de la Terre sur le CRAD40vise à l'adoption d'une loi reconnaissant laresponsabilité des maisons mères pour lesdommages causés par leurs filiales. Signez lapétition sur www.crad40.com.

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04 INTERNATIONAL

Dérèglements climatiquesLa globalisation de la famine menace

Dans de nombreuses régions, des mil-lions de personnes sont dépourvues denourriture. Ceci va s'amplifier avec lahausse des prix des matières premièresagricoles, en particulier les céréales, quin'en finissent plus de monter. Pour le seulmois de juillet 2012, l'organisation desNations unies pour l'alimentation et l'agri-culture (FAO) a signalé une hausse descours de l'ordre de 6 %. Les causes de ces augmentations sontconnues. Il y a d'abord les conséquencesdes dérèglements climatiques. Dans unrapport récemment publié, l'ONGOXFAM démontre que l'impact de cesdérèglements sur les prix alimentaires estgravement sous-estimé, en particulier ence qui concerne des phénomènesmétéorologiques de plus en plusextrêmes et récurrents dont la séche-resse aux Etats-Unis est un exemple.Juillet 2012 a été le mois le plus chaudjamais enregistré aux Etats-Unis.

Faire du fric avec notre bléDu fait de la sécheresse, les Etats-Unis,premier exportateur mondial de maïs, nedevraient produire cette année que 274millions de tonnes, la plus faible récoltedepuis six ans, soit 20 millions de tonnesde céréales détruites ou non récoltées,exactement la quantité exportée chaqueannée par le pays. Le prix du maïs s'estenvolé de 60 % en deux mois, avec pourconséquences les pires difficultés alimen-taires pour les pays pauvres dépendantdes importations. A cela s'ajoute la production criminelled'agrocarburants. Les agrocarburants,c'est de fait l'organisation de faminesdurables par le détournement de la nourri-ture de base de millions d'êtres humains(maïs, blé, soja). Les céréales actuellementcultivées pour produire du combustible auxÉtats-Unis seraient suffisantes pour nourrir330 millions de personnes par an. Il n'y a pas non plus de crise alimentairesans la spéculation qui l'accélère et l'ag-grave. De très gros investisseurs gagnentdes sommes colossales sur le marchémondial. L'une des causes de la volatilitédes prix est la spéculation qui sert devaleur refuge aux fonds financiers. En2007 et 2008, années du pic des prix ali-mentaires, les placements financiers dansles produits agricoles étaient plus renta-bles que dans le pétrole, les actions ou les

obligations d'Etat. Les spéculateurs achè-tent et revendent des produits agricolessans jamais les voir, ils spéculent mêmesur des récoltes qui ne sont pas encoresemées. Seulement 2 % des contrats àterme sur le marché agricole aboutissent àla livraison d'une marchandise. Les 98 %restants sont revendus par les spécula-teurs avant leur date d'expiration.

Pour l'agriculture paysanneQue va-t-il se passer si le cours descéréales continue à flamber ? Les 920millions de mal-nourris, vont avoir encoreplus faim, et d'autres vont les rejoindre.On va franchir à nouveau le cap symbo-lique du milliard d'affamés, alors que lademande alimentaire mondiale ne cessed'augmenter, jusqu'à 70 % de plus d'icil'année 2050. Ces crises à répétition nedoivent-elles pas nous inciter à nousinterroger sur la soutenabilité de notresystème alimentaire ? La moitié du blémondial, les trois quarts du maïs et dusoja ne servent pas à faire du pain maisdu bœuf pour les bien-nourris. Il nousfaut revoir nos habitudes alimentaires :moins d'obèses ici et moins de mal-nourrispartout ailleurs. Dans un appel signé par les Amis de laTerre France, à l'instigation des Amis de laTerre International, plusieurs organisations

dont la Via Campesina dénoncent le doublelangage de la FAO. Alors que Grazianoda Silva, son directeur actuel, avait, avantsa désignation, assuré qu'il s'engageraità soutenir l'agriculture paysanne, ilaffirme le contraire dans un article qu'ila co-signé dans le Wall Street Journal du6 septembre 2012 avec SumaChakrabarti, président de la Banqueeuropéenne pour la reconstruction et ledéveloppement (BERD), appelant à « fer-tiliser la planète avec l’argent », désignantle secteur privé comme « moteur principal »de la production alimentaire, écartant lespaysans sous le prétexte qu'ils constitue-raient des fardeaux empêchant toutdéveloppement agricole. Alors qu'à l'in-verse, on constate que, partout où lesdonnées officielles sont disponibles,l'agriculture paysanne se révèle plus effi-cace que les industries agroalimentaires.L'expansion de l'agroalimentaire ne faitqu'exacerber la pauvreté, augmenter lesdestructions environnementales. L'humanitéa besoin que les zones rurales soientprotégées et promues, parce que l'agri-culture paysanne est plus efficace et pro-ductive, et que finalement elle contribueau refroidissement de la planète.

> alain DorDÉ

Les conséquences de la sécheresse qui s'est abattue sur les Etats-Unis ces derniers mois le confirment : sansun réel changement de cap, les pénuries alimentaires, les famines, les émeutes de la faim seront plus quejamais le quotidien d'une grande partie de la population mondiale.

Selon Oxfam, l'impact des dérèglements climatiques sur les prix de l'alimentaire est très sous-estimé.

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FRANCE 05

Une conférence environnementale en demi-teinteLes 14 et 15 septembre le gouvernement réunissait les représentants de la société civile pour fixer les grandeslignes de sa politique environnementale et penser la transition énergétique. Martine Laplante, présidente des Amisde la Terre France, revient sur cette conférence environnementale au bilan mitigé.

En tant que participants au Grenelle del'environnement et membre du comité desuivi de ce même Grenelle, les Amis de laTerre faisaient partie des ONG invitées àprendre part à la conférence environne-mentale, promesse électorale du candidatHollande.Avant de nous asseoir à la table des dis-cussions, nous avions avec les autresorganisations écologistes insisté sur lanécessité de donner à cette conférenceun éclairage fort et interministériel, d'oùl'implication d'une grande partie desmembres du gouvernement ainsi quecelle du président de la République et duPremier ministre. Autre préalable : l'assu-rance d'obtenir des signaux forts à tra-vers des annonces d'engagementsfermes (voir aussi édito en page 3). Notez que cette conférence n'avait paspour objectif d'aboutir à des décisionsdéfinitives, mais de définir une méthode.L'exercice sera reproduit chaque annéedu quinquennat, fera le bilan des avancées,redressera la barre si besoin et ajouteraau fil des ans les sujets qui n'ont pas ététraités.Les Amis de la Terre se sont donc retrouvésà présenter leurs positions sur chacundes sujets traités lors de tables rondes :énergie, biodiversité, santé, fiscalité etgouvernance. Les temps de discussions

ont été un peu compliqués à gérer : prèsde 40 représentants d'organisationsdiverses voulaient s'exprimer. Et au final,cela a plus donné lieu à un catalogue depoints de vue qu'à un vrai débat. La stra-tégie était alors de se mettre d'accord àplusieurs pour porter des idées prochesou complémentaires afin qu'elles soiententendues.Mais que penser du résultat traduit dans« la feuille de route pour la transition éco-logique » ?

Catalogue de points de vueEvidemment, on peut voir le verre à moitiévide ou le verre à moitié plein. Mais pourles Amis de la Terre, même en voulantêtre très optimiste, force est de reconnaîtrequ'il est difficile de voir le verre à moitiéplein... Au niveau macro, il est clair qu'iln'y a pas de changement dans les orien-tations globales qui restent guidées par lecredo de la croissance comme remèdemiracle à la crise, avec ses corollairesque sont le productivisme et la compéti-tivité.De ce point de vue, la transition écolo-gique revient à verdir les modes de pro-duction et de consommation sans remet-tre en cause leur bien-fondé. Dans lamême logique, la peur du chômage estun de nos pires ennemis. Pour les

employeurs comme pour les syndicats, leseul moyen de limiter son augmentationest d'avoir des entreprises fortes et donctoute mesure qui risquerait de les affaiblir(notamment dans les secteurs particuliè-rement nocifs au regard de critères éco-logiques) est à proscrire.

Fermeture de FessenheimAu niveau micro, les mesures annoncéessont très insuffisantes au regard desenjeux environnementaux et climatiques.Mais certaines marquent des signes d'in-flexion à ne pas négliger.Par exemple, l'annonce de la date de fer-meture de Fessenheim : certes ce nesont que deux réacteurs sur l'ensemblede ceux qui ont dépassé les 30 ans et quidevraient être fermés immédiatement.Mais il y a un symbole fort : c'est la pre-mière unité de production qui sera fer-mée pour raison environnementale alorsque nombreux sont ceux qui estimentqu'elle pourrait être prolongée. LeMEDEF et une partie des syndicats ne s'ysont pas trompés, ils ont très mal priscette annonce !La suppression progressive des subventionsaux fossiles en lien avec un soutien accruaux renouvelables est aussi un signeintéressant. Nous aurions évidemmentpréféré l'annonce d'un arrêt total etimmédiat de ces subventions mais, pourles raisons énoncées plus haut, celaaurait provoqué un tollé côté entrepriseset syndicats, sans compter les associationsde consommateurs.En fin de compte, comme le montrentces deux exemples, on a essentiellementdes demi-mesures mais il nous appartientmaintenant de faire en sorte de consoliderles inflexions qu'elles peuvent laisseraugurer, d'une part en ne relâchant pas lapression auprès des décideurs politiqueset économiques, d'autre part en mobilisantla population sur les enjeux qui nouspréoccupent.

> Martine laplante Présidente • Les Amis de la Terre France

Discours d’ouverture de la Conférence environnementale par le président François Hollande le 14 septembre 2012.

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Pour en savoir plus : Retrouvez l'ensemble des positions portées parles Amis de la Terre sur le site de l'organisation :www.amisdelaterre.org/vision

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Depuis, les expulsions, non exemptes deviolences, se poursuivent, les bâtiments sontmurés, les habitats dits précaires détruits,les personnes empêchées de s'approcherdes lieux. Cette démonstration de force sedéroule dans une quasi indifférence desmedias qui se traduit par un désastreux etviolent déni de démocratie. Car depuis 2008 plusieurs familles sesont installées, à la demande des « résis-tants » locaux, sur les terres concernéeset y ont peu à peu établi des modes devie alternatifs, solidaires et autonomes.Faut-il rappeler que ce projet d'aéroportest largement porté par l'ancien maire deNantes, aujourd'hui Premier ministre? Est-ceun hasard si on en arrive aujourd'hui à detelles extrémités ? N'y a-t'il pas de quois'interroger sur un possible mélange desgenres (pour ne pas dire conflit d'intérêts)de la part d'un chef de gouvernement quiest sensé défendre aujourd'hui l'intérêtgénéral et non des intérêts particuliers, fus-sent-ils territoriaux ? Et comment interpréterle message que porte cette attitude aumoment où le gouvernement, à travers laConférence environnementale et le débaténergie qui débute, nous dit avoir pleine-ment conscience des enjeux écologiquesauxquels la France doit répondre ?Pourquoi les Amis de la Terre soutiennentles opposants à l'aéroport ?Les raisons sont multiples !Nous ne reviendrons pas sur le déni dedémocratie, il est évident et a été large-ment souligné par d'autres. Concentrons-nous sur les aspects écologiques.1/ Ce projet est une aberration dans lecadre de la lutte contre le changementclimatique : les transports aériens sont detrès loin les plus grands émetteurs de gaz àeffet de serre par passager et par tonne de

marchandise transportée et à ce titre partici-pent largement au réchauffement de la pla-nète. Alors que les émissions de GES pro-duites en Europe par l'aviation internationaleont augmenté de 100 % depuis 1990, letrafic aérien devrait plus que doubler entre2005 et 2020. Il faut donc dès aujourd'huiles restreindre, alors qu'on sait qu'un nouvelaéroport constitue un appel d'air pour destransports aériens supplémentaires.Or on sait déjà que le prochain rapport duGIEC (Groupement International desExperts du Climat) sera catastrophique !Le gouvernement précédent le reconnais-sait implicitement dans le cadre du SNIT(Schéma national des infrastructures detransport) en actant comme principe fonda-mental le report modal, c'est à dire reporterla mobilité des personnes et des marchan-dises des modes de transports des plusémetteurs de GES vers les moins émet-teurs. La réalité des projets inscrits au SNITest moins évidente, mais c'est une autrehistoire...2/ Ce projet est une aberration dans lecadre de l'aménagement du territoire :l'aéroport de Notre-Dame-des-Landesest censé désengorger les aéroportsparisiens, ce qui implique de multiplier lesinfrastructures et voies d'accès (aéroportsecondaire, autoroute) les plus rapidespossibles entre la capitale et Nantes.Or le gouvernement a réaffirmé lors de laConférence environnementale la nécessité destopper ou au moins ralentir l'artificialisationdes sols ! Un leurre dans un tel contexte !3/ Ce projet est une aberration auregard de nos besoins en terres agri-coles : il sacrifie 2 000 ha de terres pourla plupart à destination agricole, alorsque la France est très loin d'assurer sonindépendance alimentaire.

Or la souveraineté alimentaire est parait-il uneforte préoccupation de nos gouvernants !4/ Ce projet est une aberration écolo-gique : sur les 2 000 ha il y a des zoneshumides protégées, la constructionde l'aéroport et des infrastructures quil'accompagneraient détruiraient des cen-taines d'hectares de zones naturelles,d'habitat animaliers, et mettrait en périlles continuités écologiques.Or le PNUE (Programme des Nationsunies pour l'environnement) vient d'an-noncer que les zones humides ont dimi-nué de moitié en un siècle alors qu'ellessont essentielles à la biodiversité et à larégulation des écosystèmes !5/ Ce projet est une aberration entermes économiques et de consom-mation d'énergie : à l'heure où les der-nières énergies fossiles auront un coût deproduction exorbitant et un impact écolo-gique dramatique (comme les seraient leshuiles et gaz de schiste), il est impératif delimiter leur usage à de réels besoins pourla société (matériel médical par exemple)et uniquement s'il n'y a pas d'énergie deremplacement possible. L'idée qui a pugermer dans certains esprits d'alimenterles avions avec des agrocarburants estpure folie !6/ Ce projet est une aberration budgé-taire : alors qu'on nous parle quotidien-nement de restrictions des dépensespubliques impactant très lourdement lesservices publics, comment justifier demettre plus de 540 millions d'euros dansun projet en partenariat avec la multina-tionale Vinci ? On sait depuis longtempscombien les partenariats public/privé(PPP) sont un gouffre qui hypothèquel'avenir des finances publiques avec bienpeu d'avantages en retour pour les usa-gers... Au même moment, nos gouver-nants nous disent qu'on ne peut pas allerplus vite dans la protection de l'environ-nement et dans la transition écologiqueparce que ça a un coût trop importantpour les finances publiques !Ces quelques points suffisent à démonterles enjeux d'un tel projet. C'est pourquoinous en avons fait un symbole et exigeonsl'abandon de ce projet. Et nous n'avonspas le droit de lâcher sur un symbole aussiimportant.Nous devons nous mobiliser, tous ensem-ble, car le silence des chaussons peut êtreau moins aussi destructeur que le bruit desbottes...

> le Conseil FÉDÉral Des aMis

De la terre, le 30 oCtobre 2012

Les récents événements ont remis le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) sur ledevant de la scène. Mardi 16 octobre les forces de l’ordre, casquées, bottées et lourdement armées, ontenvahi les terrains squattés destinés à la construction de cet aéroport.

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Mobilisation des opposants au projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes.

Notre-Dame-des-Landes : une aberration manifeste

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Bouches-du-RhôneDes boues toxiques en Méditerranée

Environ 30 millions de tonnes de bouesrouges ont été déversées au large deCassis, au cœur du Parc national desCalanques. Ces boues rouges produitesà Gardanne (Nord de Marseille) sont desrésidus industriels issus de la fabricationd'alumine chargés en métaux lourds1.Acheminées par une conduite longue de47 km reliant l’usine de Gardanne à lamer, elles se déversent à 320 mètres deprofondeur dans le canyon sous-marinde Cassidaigne. Suite à la convention deBarcelone de 1976, qui vise à réduire lapollution et protéger le milieu marin enmer Méditerranée, à la directive-cadresur l'eau et à divers arrêtés préfectoraux,les propriétaires du site se sont engagésà réduire progressivement les émissionsde boues, avec un arrêt total prévu pourla fin de l’année 2015.

Clause de confidentialitéDans les années 1990, le groupePechiney alors propriétaire du site deGardanne, finance une étude d’impactde ses rejets en mer. Le rapport de cetteétude réalisée par la Créocéan, agencede service et conseil en environnement,établit que les boues rouges sonttoxiques pour plusieurs espèces. Le rap-port est protégé à la demande dePechiney par une clause de confidentia-lité pour une durée de 15 ans, arrivée àterme en 2008. Entre 1994 et 1995Pechiney se dote d’un comité scienti-fique de suivi pour contrôler les rejets enmer. Depuis sa création, le comité affirmeque les boues rouges sont des résidusinertes ne présentant aucun risque pourl’environnement.Mais selon les données de l'associationRobin des bois, voici approximativementcomment se décomposent ces 30 millionsde tonnes de boues rouges : 9 300 000 tde fer, 2 200 000 t de résidus d'alumi-nium, 1 900 000 t de titane, 61 300 t dechrome, 2 600 t de zinc, 1 700 t deplomb, 900 t de cuivre, 700 t de nickel,20 600 kg d'arsenic, du vanadium, dumercure, etc.2

Les boues rouges rejetées au large deCassis sont brassées par des courantsmarins dont la dérive Ligure. Ce courantdisperse en Méditerranée les particulesles plus fines tels que les métaux lourds.Suite à l'arrêt des rejets en mer desboues rouges de Gardanne, quelle sera

l’évolution chimique de ces résidus aucontact de la matière organique ?

Et après ? Selon plusieurs chercheurs qui tiennent àrester anonymes car tenus à la confiden-tialité, la vie va se développer sur lesfonds marins couverts de boues rouges.Le plancton, les espèces pélagiques, lespoissons pourraient absorber et concen-trer les métaux lourds toxiques présentsdans ces rejets par bioaccumulation.Quels seraient alors les risques sanitairespour l’homme ? S’il est actuellement pré-cisé que fin 2015 la conduite ne serviraplus à rejeter des boues rouges en mer,une interrogation plane autour de sonéventuelle utilisation pour rejeter d’autresdéchets non spécifiés. 80 % des déchetsproduits par l’usine de Gardanne sontactuellement rejetés en mer et devrontêtre stockés à terre début 2016. C’est pourquoi Rio Tinto Alcan, précé-dent propriétaire du site et actuel parte-naire du nouveau propriétaire, le fondsd'investissement HIG dans un nouveaugroupe appelé ALTEO3, a initié une pres-sion sur la commune de Bouc-Bel-Air,visant à déclasser des zones boisées afinde stocker les boues rouges en attentede transformation sous forme deBauxaline ou de Bauxsol, produits com-merciaux vendus dans les secteurs des

travaux publics, du bâtiment, de l’horti-culture et plus globalement dans desapplications environnementales.Selon le comité scientifique de suivi citéen début de texte ces produits compo-sés de boues rouges sont totalementinoffensifs. Mais pour les Amis de la TerreBouches-du-Rhône, il semble nécessairede réaliser des études d'impacts scienti-fiques et radiologiques indépendantessur les boues rouges et les produits com-merciaux issus de la valorisation de cesdéchets. Dans l’attente des ces résultats,l'arrêt immédiat des rejets en mer devientobligatoire afin de limiter cette catas-trophe écologique, en marche depuistrop longtemps.

> les aMis De la terrebouCHes-Du-rHône

1/ « L'étape de nettoyage de l'alumine génèreles boues rouges composées d'eau, de soudemétaux lourds que de l'arsenic, du mercure, duplomb, du chrome et du titane ». source :Pascaline Minet, « Quel avenir après les bouesrouges ? », La Recherche, décembre 2011,n° 458, p. 56-57.

2/ http://www.robindesbois.org/dossiers/pechi-ney1003.pdf

3/ RioTinto/Alteo est nominé aux Prix Pinocchio2012 dans la catégorie « Une pour tous, toutpour moi ». www.prix-pinocchio.org

Depuis près de 50 ans, le site de production d'alumine de Gardanne (Bouches-du-Rhône) déverse desboues toxiques, les boues rouges, dans la mer Méditerranée. Les Amis de la Terre Bouches-du-Rhôneréclament l'arrêt immédiat de cette pratique aux conséquences désastreuses pour l'environnement.

RÉGIONS 07

Des millions de tonnes de boues rouges chargées en métaux lourds sont rejetées au large de la calanque de Port-Miou.

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Monts de Rilhac Lastours et Roc duDoun, deux projets en Limousin qui illustrentà quel point les énergies renouvelablespeuvent représenter des visions radicale-ment différentes de l’intérêt général.Le parc éolien des Monts de RilhacLastours en Haute-Vienne est exemplairede la démarche et des difficultés rencon-trées par les projets répondant à unbesoin local. Une quarantaine d’agricul-teurs élaborent depuis 2003 un parc qui, à

force de persévérance, a abouti en 2010 àla construction d’une première éolienne.Ici, les membres d'une coopérative souhai-taient initialement couvrir une partie de leurconsommation énergétique. Pour cela, ilsont rassemblé des partenaires locaux cher-chant à diversifier leur activité et acquis lesoutien de 90 % de la population, de la com-mune et des conseils général et régional.

Un test grandeur natureA 130 km de là, la centrale photovoltaïquedu Roc du Doun sur la commune deGros-Chastang en Corrèze illustre le pro-jet type décidé en haut lieu. Dès 2013, laCompagnie du vent compte installer 37000 panneaux photovoltaïques sur 17,5hectares, pour une puissance de 12 MWet un coût de près de 30 millions d’euros.L'origine du projet est simple : l’Etat a lancéun appel d'offres pour tester des panneauxinnovants qui suivent le soleil. La filiale deGDF Suez a remporté le marché et la cen-trale sera donc en Corrèze. Elle aurait puêtre ailleurs, ça aurait été la même chose.En fait de concertation locale, le dialoguea été minimal et le projet a été retenu auxmotifs que des haies cacheraient la cen-trale et qu’elle serait construite sur unelande et des forêts « peu productives ».Evidemment, la centrale sera peinturluréede vert ici et là pour masquer son impactsur l’écosystème. Déboisements et emprisesclôturées sont supposés être compenséspar des haies bocagères et leurs nichesécologiques.

Ces deux approches illustrent deuxusages extrêmes des renouvelables, nonpas par leurs technologies mais par lemodèle de société qu’ils servent. A laconcertation locale et la mesure répon-dent le centralisme et le gigantisme.Construit autour de sites de productiondémesurés reliés aux consommateurspar des autoroutes électriques, le modèleperpétué par l'Etat et les grandes entre-prises du secteur ne considère l’environ-nement que comme une donnée parmid’autres. En l’occurrence, il s’agit d’at-teindre tant bien que mal un objectif issude négociations européennes : 23 %d’énergie renouvelable en 2020.Au regard des premières conclusions de laconférence environnementale, ce modèle amalheureusement encore de belles heuresdevant lui. Pour l’éolien comme le solaire legouvernement a annoncé des appels d'of-fres (un pour l'éolien offshore et un pour lephotovoltaïque innovant) et maintenu lesentraves aux petits projets (classementICPE* pour l'éolien). Les grands projets s’ensortent bien quand les initiatives locales res-tent bridées par le carcan administratif.C’est une bien piètre transition écolo-gique que le gouvernement nous pro-pose là en soutenant prioritairement lesintérêts des industriels.

> pHilippe Collet

* Installations classées pour la protection del'environnement.

LimousinL'Etat continue d'imposer son modèle énergétiqueaux régions

08 RÉGIONS

Les énergies renouvelables peuvent servir le meilleur comme le pire. C’est aussi sur cet aspect de la transitionécologique que la France devra se positionner. Pour l’instant, au-delà des promesses, le gouvernement préservele centralisme historique.

Le Val-d'Oise est un département quipossède de nombreuses zones humidesd'un intérêt patrimonial majeur.Malheureusement, il subit une grossepression environnementale et certainesde ces zones sont menacées. Quelquesunes d'entre elles font quand même l'objetd'une gestion adaptée. C'est le cas dumarais de Stors qui combine une zonehumide de grand intérêt et une prairiecalcaire. Classé réserve naturelle régionale,il bénéficie d'un programme d'adminis-tration spécifique élaboré par l'Agencedes espaces verts et ses partenaires(communautés scientifiques, associations,municipalités, etc.). Pourtant, cela ne le

met pas à l'abri des pollutions environ-nantes qu'elles soient agricoles ou chi-miques. D'autres zones humides ne profitentmême pas de ce genre de plan et ris-quent de disparaître à très court terme.L'ancienne carrière située à Mours estl'une d'entre elles. Elle possède pourtantune faune et une flore remarquables : ony trouve entre autres le crapaud calamiteet le triton à crête, deux espèces proté-gées par la directive européenne Habitat-Faune-Flore de 1992.La zone n'a pas été identifiée à temps etn'a pas fait l'objet d'une protection parti-culière. Ainsi, des promoteurs ont obtenu

un permis d'aménagement et la mare estsoumise à des travaux de comblementavec des déchets dits inertes (selonl'Ademe, les déchets inertes sont desdéchets minéraux non souillés dont lecaractère polluant et la nature évolutiveest très faible). Le permis a été dénoncédepuis par la municipalité, mais confirméensuite par le tribunal administratif surdes motifs techniques et non environne-mentaux. Les Amis de la Terre Val d’Oiseétudient actuellement la possibilité d'uneaction en appel pour faire cesser le com-blement de ce site.

> Corinne laFosse

Les Amis de la Terre Val-d'Oise

Val-d'OiseZones humides en péril

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Même dans le renouvelable, l'Etat privilégiele centralisme et le gigantisme.

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Entreprises :vous avez dit responsables ?

DOSSIER

DOSSIER - Entreprises : vous avez dit responsables ? 09

Derrière le concept de Responsabilité sociale etenvironnementale des entreprises (RSEE) se cache unemultitude d’acceptions, d’approches et de réalités. Décideurspublics, représentants associatifs, patronaux ou syndicaux :chacun semble pouvoir inscrire dans cette idée sa conceptiondes droits et devoirs attachés à toute entreprise vis-à-vis dumilieu et des populations qui l’entourent. Mais depuis l’émergence de cette notion, une conceptionsemble se dégager : l’approche volontariste. De quoi s’agit-il ?Par souci de participer à l’effort général de protection del’environnement et des droits de l’Homme, les entreprisesaccepteraient d’elles-mêmes de s’imposer un certain nombrede règles afin de limiter les impacts potentiels liés à leursactivités. Bien sûr, pouvoirs publics et représentantsde la société civile seraient là pour les accompagner etles amener à devenir des acteurs respectueux. En clair,prendre le pari de la vertu des membres du CAC 40. Mais l’essor de la mondialisation et le processusde concentration économique ont permis aux plus grandsgroupes mondiaux d’acquérir un pouvoir considérable,conduisant certains parmi les plus puissants à dépasserfinancièrement et politiquement la puissance des Etats.Jouant d’influence et bafouant, souvent en toute impunitéles quelques barrières juridiques censées encadrer leurdomination, ces entreprises en sont venues à orienteren toute simplicité la plupart des politiques nationales etinternationales. Bien évidemment dans le sens de leurs seuls

intérêts privés et donc au détriment de l’intérêt général. Pourtant, jamais ces entreprises n’ont autant surfé surle concept de responsabilité. A grand renfort de publicité etavec l’appui des décideurs publics croyant dur comme feren leurs engagements volontaires et vertueux, ces grandesmultinationales se sont peu à peu construites une nouvelleimage de marque qui ne repose plus sur la qualité de leursproduits, mais sur leur supposée prise de consciencede l’urgence écologique. La grande machine de« l’éco-blanchiment » fonctionne ainsi à plein régime ! L’urgence est là. Il est temps de cesser de croire aveuglémenten la bonne foi d’acteurs économiques dont la mission mêmede maximisation du profit entre en contradiction profondeavec tout engagement de protection de l’environnementet des droits de l’Homme. Responsabiliser les entreprisesne se fera pas sans la construction d’un cadre juridiquecontraignant, bordant cette responsabilité à hauteur desdommages causés et garantissant un meilleur accès à lajustice pour leurs victimes. Ensuite, déconstruire laconcentration économique et changer les modèles degouvernance des entreprises afin que les desiderata du pluspetit nombre ne surpassent plus ceux du plus grand.

> roMain porCHeronChargé de campagne

Responsabilité sociale et environnementale des entreprises •Les Amis de la Terre France

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10 DOSSIER - Entreprises : vous avez dit responsables ?

Concept qui a émergé au tournant desannées 1980/1990, la responsabilitésociale et environnementale des entre-prises (RSEE) est la nouvelle marotte denos multinationales. Mais qu'est-ce donc ?Selon la Commission européenne « laresponsabilité des entreprises vis-à-visdes effets qu'elles exercent sur la société ».En France, le ministère de l'Ecologie etdu Développement durable préfère par-ler de responsabilité sociétale des entre-prises, ce qui revient quasi au mêmepuisque qu'il s'agit pour les compagniesde « prendre en compte les impactssociaux et environnementaux de leuractivité pour adopter les meilleures pra-tiques possibles et contribuer ainsi àl'amélioration de la société et à la protectionde l'environnement ». En bref, la RSEEest par définition une démarche quis'appuie sur l'engagement volontairedes entreprises... Un engagement volon-taire que l'on pourrait comparer à lamain invisible permettant au marché des'auto-réguler et d'assurer bonheur etprospérité au plus grand nombre.

De biens jolies plaquettesAinsi, depuis le boom du développementdurable, une grande partie des grandesentreprises françaises et en particulierles multinationales ont fait le grand sautdans le bain de la RSEE publiant uneavalanche de chartes éthiques et de rap-ports annuels1 faisant état de leursbonnes dispositions à l'égard deshommes et de l'environnement.Malheureusement, l'édition de jolies pla-quettes sur papier glacé ne suffit pas àrendre les entreprises vertueuses. Même l’ONU qui avait fait sien le principede RSEE via le lancement du Pactemondial, ou Global Compact pour lesanglophones, tend à prendre des dis-tances avec un concept qui est loind'avoir fait ses preuves. Petit retour enarrière. En 1999, Kofi Annan alors secrétairegénéral de l'Organisation des nationsunies propose aux entreprises réunies àDavos de respecter un certain nombrede valeurs pour favoriser l'émergence desociétés responsables socialement etenvironnementalement. Un an après, elles sont incitées à signerun Pacte mondial qui les engage à « alignerleurs opérations et leurs stratégies surdix principes universellement acceptéstouchant les droits de l'homme, lesnormes du travail, l'environnement et lalutte contre la corruption »2. On trouvepêle-mêle « des invitations » à promouvoiret respecter la protection du droit inter-

national relatif aux droits de l'homme, àéliminer toutes formes de travail forcé ouobligatoire, à abolir effectivement le travaildes enfants ou à appliquer l'approchede précaution face aux problèmes tou-chant l'environnement. Très vaguesdans leur définition, ces principes nesont, en outre, assortis d'aucunemesure de contrôle et de sanction.

Le reniement de l'ONUDe fait, les signataires de ce pacte nefont que très rarement évoluer leurspratiques. En revanche, l'apposition dulabel Nations unies leur permet de redo-rer leur image. L'an dernier, la JointInspection Unit (JIU), l'organe decontrôle et d'inspection des pro-grammes de l'ONU, a d'ailleurs publiéun rapport d'évaluation sur le rôle et lefonctionnement de ce dispositif quilaisse perplexe. Il insiste sur les « limitesd’une sélection (des adhérents, ndlr) etd’un suivi arc-boutés sur l’adhésionvolontaire » et précise que « le caractèrevolontaire de l’adhésion aux principes del’IPM et la notion inhérente d’« apprentis-sage » ne sont guère un gage de« bonne conduite » ultérieure des partici-pants ». Les inspecteurs de la JIU indi-quent enfin que des « mesures correctives

devraient être prises pour renforcer l’im-pact du Pacte mondial ». Au delà du Pacte mondial, ce rapportremet totalement en cause le bien fondéet l'efficacité du concept d'engagementvolontaire. Il faut dire qu'entre les décla-rations d'intention des uns et des autreset la réalité sur le terrain, c'est le grand

Traditionnellement basé sur l'engagement volontaire, le principe de responsabilité sociale et environne-mentale des entreprises (RSEE) n'est jamais parvenu à faire évoluer les pratiques des multinationales.Certaines d’entre-elles ont même réussi à le détourner pour verdir leur image.

« Par la signatured'engagementsvolontaires les

multinationalesdonnent l'illusion deprendre en compte

les dimensionsenvironnementales

et sociales »romain porcheronLes Amis de la Terre

RSEE = greenwashing ?

Les Amis de la Terre veulent faire tomber les masques du CRAD 40 et dénoncent les pratiques des multinationales qui utilisent

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DOSSIER - Entreprises : vous avez dit responsables ? 11

écart. Prenons le cas de GDF Suez dontles ambitions en terme de RSEE ne sontpas des moindres puisqu'il s'agit toutsimplement de « devenir un référentdans le champ de la responsabilitésociale »3. Ce même groupe qui a fait dudialogue social une de ses priorités, està la tête du consortium responsable dela construction du barrage de Jirau auBrésil. Méprisant la constitution brési-lienne qui prévoit le consentement libre,préalable et informé des personnesconcernées, GDF Suez et ses parte-naires se sont lancés dans un projet quimenace la survie de plusieurs commu-nautés autochtones. Outre le déplacement de milliers de per-sonnes, l'édification du barrage aura desconséquences irréversibles pour l'envi-ronnement (inondation de larges pansde forêt, y compris des aires protégés, àla riche biodiversité, dévastation desstocks de poissons) et par ricochet surla survie des populations locales privéesde leurs moyens de subsistance. Enfin,depuis le lancement de projet, le chan-tier est émaillé de grèves et d'émeutesouvrières causées par des conditions detravail jugés déplorables par les syndi-cats locaux (Libération du 13/04/2011). Autre exemple avec le groupe Vinci qui

déclare sur son site Internet : « Notreambition est de créer de la valeur pournos clients, nos actionnaires et pour lasociété. Notre réussite s’apprécie sur lelong terme, et notre performance ne selimite pas à nos résultats économiqueset financiers. Elle s’apprécie aussi entermes d’adéquation des projets auxattentes des utilisateurs et de la collecti-vité, de valeur environnementale et decontribution au développement social ».Peut-on considérer le projet d'aéroportde Notre-Dame-des-Landes comme enadéquation avec les attentes des rive-rains et comme respectueux de l'environ-nement ? Rejeté par les habitants desenvirons, la construction de l'aéroport etde ses infrastructures entraînerait lebétonnage de près de 2 000 hectaresde terres agricoles fertiles et la destruc-tion d'un bocage d'une qualité écolo-gique exceptionnelle. Pour brouiller lespistes, Vinci propose de créer sur le sitece qu'il appelle un « observatoire agri-cole » et suggère la création d'uneAMAP pour « encourager l'agriculturedurable ». Il faut croire que tout le monden'est pas dupe : l'an dernier l'entreprise aremporté le prix Pinocchio catégorie« plus vert que vert » (voir aussi encadréci-contre).

Nécessité d'un contrôleIl ne s'agit là que de quelques illustrationsparmi d'autres. On pourrait aussi citerTotal dont les pratiques sont épingléesdans la dernière campagne des Amis dela Terre (voir document encarté dans cenuméro de La Baleine). « Par la signatured'engagements volontaires, expliqueRomain Porcheron, chargé de cam-pagne RSEE aux Amis de la Terre, les

multinationales donnent l'illusion de pren-dre en compte les dimensions environ-nementales et sociales. Leur discoursest le suivant « pourquoi nous imposerde faire ceci ou cela alors que nousacceptons de nous y soumettre volon-tairement ? ». Par ce processus, ellesbloquent toute initiative visant l'adoptiond'un cadre juridique et contraignant. »Pourtant, la mise en place de mesuresde contrôle et de sanction semble bienêtre la seule solution pour faire de laRSEE un outil fiable et efficace au ser-vice de la protection de l'homme et deson environnement et non plus un sim-ple outil de marketing.

> luCile pesCaDère

1/ La loi de 2001 sur les nouvelles réglementationséconomiques (NRE) demande aux sociétéscotées en bourse d'inclure dans leur rapportannuel un bilan environnemental et sociétal. Laloi « Grenelle 2 » (2010) élargit cette obligationà l'ensemble des entreprises de plus de 500salariés sans toutefois préciser les conditionsde responsabilité juridique des dirigeants.

2/ http://www.unglobalcompact.org

3/ http://www.gdfsuez.com/analystes-rse/en-gagements-2/engagements-sociaux/develop-per-la-responsabilite-sociale-du-groupe/

Cette année, les trois catégories « Mainssales, poches pleines », « Plus vert quevert » et « Une pour tous, tout pour moi »ne changent pas. En revanche, de nou-velles entreprises sont nominées, surdes cas toujours très controversés.Parmi elles, Auchan, BNP Paribas, Vinci,Perenco ou Bolloré/Eramet. Au momentdu bouclage de cette Baleine, le vote estencore possible... mais les résultatsseront annoncés le 13 novembre ! Pourvoter ou connaître les Pinocchio 2012,rendez-vous sur :

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Prix Pinocchio du développementdurable 2012, à vous de jouer !

Le vote est lancé, rendez vous sur www.prix-pinocchio.org

>> Comment agir ? Pour rendre lesentreprises réellement responsables,les Amis de la Terre ont lancé la cam-pagne « Faisons tomber les masquesdu CRAD40 ! » Soutenez vous aussinotre demande d'encadrement juri-dique contraignant des multinationalessur www.crad40.com

www.prix-pinocchio.org

la RSEE pour verdir leur image.

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Transparence« Identifier les risques,c'est identifier les responsabilités »

en quoi est-ce important pour vous delutter pour le reporting, c'est à dire pourl'obligation des entreprises à renseignerles informations relatives à leursimpacts sociaux et environnementaux ?

Le reporting n'est qu'un outil, il ne définitpas la politique de l'entreprise. La piècemaîtresse, ce sont les procédures de dili-gence raisonnable* qui établissent claire-ment la responsabilité des entreprisesdans le respect des droits humains, et lapossibilité pour les victimes d'avoir accèsà la justice. L'enjeu est de développerune méthodologie d'entreprise afind'identifier les risques éventuels dans lachaîne de ses activités, et de voir com-ment les corriger. Là est l'intérêt d'un bonreporting : identifier les risques, c'estidentifier les responsabilités.

en juillet 2010, la loi « Grenelle 2 » estpromulguée et inclut l'article 225 surl'obligation de transparence. un premierpas ?

Cet article concerne la transparence desentreprises en termes extra-financiers etvise à améliorer le dispositif existant (loisur les nouvelles régulations 2001, ndlr).L'information fournie était loin d'êtresatisfaisante. Il n'y avait aucune méthode

de vérification. Tout un pan d'entreprisesnon cotées telles qu'Auchan était exclude l'obligation de reporting. Toutes lesparties prenantes, y compris les organi-sations patronales, ont participé à l'éla-boration de cet article 225. Du point devue de la lettre, il était assez innovant.Mais lorsqu'il fallu travailler sur le décretd'application de la loi, le détricotage a étésans limite.

Comment s'est traduit le lobbyingexercé par les représentants patro-naux ?

Trois mois après la promulgation de la loi,le sénateur Marini introduit un amende-ment dans l’article 32 de la loi sur la régu-lation bancaire et financière. Il supprimela possibilité pour les syndicatset les ONG de donner leur avis dans lerapport de gestion. C'est une premièreatteinte à la loi « Grenelle 2 ». En hiver2010, c'est au tour de l'Association fran-çaise des entreprises privées (AFEP) defaire son lobbying. Les organisationspatronales demandent que le seuil desentreprises soumises à l’obligation detransparence passe de 500 à 5 000 salariés.Sur ce dernier point, elles ont eu en partiegain de cause.

les associations patronales deman-dent également l'intégration d'unedouble liste. en quoi consiste-t-elle ?

Elles veulent distinguer les entreprisescotées et les entreprises non cotées. Cesdernières auraient ainsi une liste moinsimportante d'indicateurs à fournir. Saufque ce critère n'a aucun sens ! Le faitd'être coté ou non ne caractérise pas lesimpacts qu'une entreprise peut avoir.Résultat, le nouveau projet de décretenvoyé au Conseil d'Etat en mai 2011intègre à la fois le changement de seuil etla double liste. Mais le Conseil d'Etat ren-voie le texte au gouvernement en indi-quant que la double liste est contraire à lalettre de la loi.

Malgré cet avis négatif, certainsdéputés persistent et signent...

C'est le cas du député UMP Warsmannqui dépose une proposition de loi visant àdispenser les filiales de communiquer surles impacts sociaux et environnemen-taux. Or, c'est justement dans les filialesà l'étranger qu'on trouve des aberrations.Et en dépit de l’avis négatif du Conseild’Etat, l'UMP demande la réintroductionde la double liste. C'est donc une versionidentique au précédent décret qui estrenvoyée au Conseil d'Etat en janvier2012. Sans surprise, il rend donc undeuxième avis négatif. Le gouvernementprofite alors de l'entre deux tours desprésidentielles pour faire paraître ledécret sans lui apporter de modification.L'occasion idéale pour que ça passetotalement inaperçu...

et c'est ce qui a conduit le Forumcitoyen pour la responsabilité socialede l’entreprise (FCrse) à déposer le19 juin un recours gracieux auprèsdu premier ministre.

On voulait pousser les politiques à s'affichersur cette question. Mais nous n'avonspas eu de véritable réponse au-delàd'une prise de parole de Delphine Batho(ministre de l'Environnement, ndlr)annonçant qu'elle allait retoucher ledécret. Un recours gracieux permet deprolonger de deux mois la possibilité defaire un recours contentieux. Sans retourdu gouvernement, le Forum citoyen adéposé le 24 août un recours conten-tieux en annulation auprès du Conseild'Etat. Ce que nous demandons, c'estun reporting qui soit intégré dans unedémarche de prévention des risques.

> propos reCueillis parsopHie CHapelle

*Concept que l'on peut définir comme le devoirqu’ont les entreprises de prévenir et réparer lesincidences négatives que leurs activités peuventavoir sur les droits de l’Homme.

12 DOSSIER - Entreprises : vous avez dit responsables ?

Encadrer la responsabilité des multinationales n'est pas une mince affaire. Antonio Manganella, chargé demission plaidoyer RSEE au CCFD-Terre Solidaire, revient sur le détricotage de la loi « Grenelle 2 » quiincluait un article sur l'obligation de transparence.

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13DOSSIER - Entreprises : vous avez dit responsables ?

Rio+20 : L'ONU sous le contrôle des multinationales

L'ambition autour de la conférence « Rio+20 » était grande tant du point de vuede l’énergie, de l’alimentation, de la pau-vreté que de la crise financière. Desespoirs rapidement déçus par la tentative(réussie) des pays développés de dimi-nuer leurs responsabilités communesmais différenciées qui en 1992, avaientreconnu le poids historique des paysindustrialisés ainsi que leur dette écolo-gique vis-à-vis des pays du Sud.A l'agenda figurait aussi, « l’économieverte »... Réponse crédible aux défisenvironnementaux et sociaux qui nousfont face, ou recyclage d’un modèleobsolète profitant surtout aux grandscapitaines d’industrie ? Encore un écrande fumée pour les Amis de la Terre. Etcomment pourrait-il en être autrementd'un concept développé au sein duProgramme des Nations unies pour l'en-vironnement (PNUE) par des écono-mistes de la Deutsche Bank par exemple ?Car de nombreux partenariats existententre les Nations unies, les entreprises, laChambre de commerce internationale(CCI) et le Conseil industriel mondial pourle développement durable, des organisa-tions réputées pour leur lobbying agressifcontre toute mesure environnementaleprogressive. L'ONU semble donc avoirété « noyautée » par des multinationalesqui défendent leurs intérêts au détrimentde l'intérêt général.

Le résultat est aussi simple qu’effrayant :l’initiative pour l’économie verte du PNUEfait de la croissance économique et desmécanismes de marché une priorité parrapport à la justice sociale et le dévelop-pement durable.

Nature à vendreA Rio, une nouvelle étape a été franchieavec le développement de mécanismesde marché comme le paiement pourservices environnementaux. Ainsi, on aouvert la porte à la transformation detous les éléments de la vie et de la biodi-versité en actifs financiers, échangeablessur les salles de marché, et permettantau passage aux grands pollueurs decompenser leur dégradation continuellede l’environnement par l’achat de créditsdits « verts ». En somme une nouvellemenace sur l’environnement, et d’autantplus de profits pour les entreprises pol-luantes dans une nature mise à prix. Les Gouvernements ont sciemment misles fondamentaux de la vie dans lesmains des entreprises, qui seules bénéfi-cieront des mesures de l’agenda del’économie verte. L’influence excessive etgrandissante des multinationales sur lesnégociations onusiennes et sur leurs pro-cessus de décisions met surtout à malles politiques publiques. L'intérêt com-mun ou environnemental, passe aprèsceux d’une portion limitée d’industries

dévastatrices et menace les principesfondamentaux de développement durable.La déclaration finale de « Rio+20 » necorrespond définitivement pas au « futurque nous voulons ». Pour réussir à vaincre les crises environ-nementale et économique, la justiceclimatique et sociale est absolumentindispensable. Cela signifie d'avoir lecourage de changer radicalement le sys-tème actuel, en reconnaissant la respon-sabilité historique des pays industrialisésdans les crises actuelles. Mais pour cefaire, l’ONU et ses Etats membres doiventrésister aux tentatives de prise decontrôle par les industriels. – L’influencedes entreprises doit être maintenue auminimum, sans position privilégiée dansles négociations onusiennes ou autrepartenariat ONU-entreprises. Les relationsexistantes entre l’ONU et les entreprisesdoivent être revues à la lumière de leursimpacts réels et en toute transparence.

> nataCHa CinGottiChargée de campagne

Transparence et lobbying des entreprises •Les Amis de la Terre Europe

En juin 2012, le monde attendait de la conférence des Nations unies pour le développement durable dite« Rio +20 », des mesures à la hauteur des crises en cours. C'est finalement l'économie verte défendue parles industriels qui sortira gagnante des négociations.

Une militante au Sommet des peuples à Rio porte une banderolle « Non à l’économie verte ! »

Pour en savoir plussur cette campagne : www.amisdelaterre.org/economieverte

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Une entreprise responsable, tant auniveau social qu’environnemental (si dis-tinguer ces deux éléments ou tout autrea un sens), ne peut se contenter d’unsimple reporting RSEE formel.Le greenwashing est trop fréquemment àl’œuvre quand une multinationale met enavant ses engagements pour un mondemeilleur. Être responsable ne consistepas à respecter un pseudo cahier descharges regroupant une comptabilité despollutions et des quotas de travailleursceci ou cela. Répondre à des critèrestechniques ne suffit pas.Être responsable c’est répondre de sesactes et de leurs motivations devantquelqu’un. Ici, devant une société. Ils’agit avant tout d’être cohérent avecdes choix éthiques et politiques.C’est s’inscrire dans cette société, enêtre solidaire et s’épanouir en réalisant leprojet commun. La responsabilité del’entreprise ne peut s’entendre qu’enréponse à la fonction sociale qui lui estassignée. Les sociétés ont les entre-prises responsables qu’elles se donnent.

Evidemment, un capitalisme exacerbéassigne à l’entreprise des objectifs radi-calement différents de ceux promus parles sociétés soutenables pour les-quelles militent les Amis de la Terre.Dans ces sociétés, l’entreprise n’auraitpas pour buts l’accumulation perpé-tuelle de bénéfices démesurés et lacourse à la puissance financière et politique.

Relocaliser la responsabilitéDans ces sociétés l’entreprise idéaleassurerait la production des biens etservices indispensables, constitueraitun lieu de socialisation et de redistribu-tion des revenus. Pour cela, la relocali-sation de ses activités est essentielle.L’entreprise ne peut plus croître indéfi-niment en reprenant le modèle de lamultinationale tentaculaire masquantses responsabilités derrière un rideaude filiales. Au contraire, travailleurs etmembres de la société doivent seconfondre pour assurer au plus près laconformité du fonctionnement de l’en-treprise avec les objectifs de la société.

Proposer un idéal d’entreprise est hors deportée tant une multitude est possible etsouhaitable. D’ailleurs, le terme « entre-prise » est-il encore approprié ? Oui, àcondition d’oublier son sens actuel tiré dumonde des affaires et de revenir à sonsens premier : ce qu’on se propose d’en-treprendre. Pour se représenter de tellesentreprises, il suffit d’observer les initia-tives qui se développent dans les fissuresde la société actuelle.

Proposer et entreprendreDe la même manière que les jardins parta-gés s’invitent dans les dents creusesurbaines, de nombreuses initiatives fleuris-sent aux côtés de l’industrie lourde et sacohorte d’usines.Leur point commun ? Elles reviennent àl’essentiel : fournir des biens et servicesutiles et assurer un lien social. Il s’agitd’alternatives ancestrales ou toutesjeunes, issues des domaines les plusdivers et prenant des formes variées : unautre rapport à l’argent avec les mon-naies locales, une autre agriculture avecles Amap, un autre rapport à l’énergieavec les projets renouvelables et locaux,un autre type d’outils avec l’artisanat,d’autres mobilités avec les transports encommun, la marche et le vélo, une autreconception du savoir avec le copyleft(création libre de droit), etc.Ces modes d’organisation sont avanttout coopératifs et collaboratifs. Ils parta-gent en commun une réappropriationdes objectifs de l’entreprise par les tra-vailleurs, les usagers et les épargnants.Financés localement par souscription, ilsfavorisent la collaboration, sur un modehumain et de proximité, entre ceux quidisposent d’un savoir-faire et ceux quien ont besoin. Ici, la convivialité et l’ac-complissement remplacent l’anonymatet la bureaucratisation.Il faut bien sûr que l’Etat leur laisse unespace et favorise leur développement,mais dans la société actuelle, il revientavant tout aux militants d’initier leur diffu-sion et de les aider à trouver leur placepour concrétiser la transition. Soutenirces initiatives et leur donner l’opportunitéde se réaliser pleinement est probable-ment la meilleure façon de faire reconnaî-tre l’exemplarité de leur responsabilité.

> pHilippe Collet

Philippe Collet est membre des Amis de la TerreParis et journaliste.

DOSSIER - Entreprises : vous avez dit responsables ?

Mon entreprise idéaleVers des entreprises localisées, solidaires etcoopérativesDécrire l’entreprise responsable idéale est une gageure, tant ses formes peuvent être variées. Il revientavant tout aux sociétés soutenables de repenser son rôle et la fonction sociale des activités qu’elle porte.

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Un marché paysan, une initiative porteuse de lien et de relocalisation.

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Reprendre le pouvoir ! Publication d’un guide pratique pour inciter les députés à sur-veiller plus étroitement les activités de la Banque européenne d’investissement.La banque de l'Union européenne est la plus grande banque publique au monde. En 2011,elle a dépensé 61 milliards. Il faut ajouter à cela 60 milliards qui seront utilisés dans lesprochaines années afin de lutter contre la crise économique. Plus cette banque grandit, plusla transparence, la responsabilité et le contrôle démocratique sont indispensables si ellesouhaite réellement agir efficacement dans l'intérêt de tous. Les députés européens et nationauxont un rôle crucial à jouer à cet égard.C'est ainsi que les Amis de la Terre et la coalition Counter Balance publient un guide pratiqueafin de souligner le rôle de la BEI, de mettre en lumière les domaines où il est urgent pour labanque d’améliorer fortement ses pratiques et d’identifier les opportunités permettantd’exercer contrôle démocratique sur cette institution.Cette publication dénonce le cruel manque de transparence de la BEI, ses investissementsnon soutenables dans le charbon et autres énergies fossiles, sa manière particulière de pro-mouvoir les énergies alternatives (grands barrages entre autres) et les raisons de l’échec deson action hors Union européenne.A destination des députés, cette publication est aussi un excellent moyen pour tous lescitoyens d’avoir un aperçu du fonctionnement de la BEI et des changements nécessairespour qu’elle finance enfin la transition vers des sociétés sobres en carbone, respectueusesde l’homme et de l’environnement.

> RONACk MONABAyChargé de campagne Institutions financières internationales • Les Amis de la Terre

Prendre le contrôleUn guide citoyen pour remettre la Banque européenne d'investissement (BeI) dans le droit chemin

Le Canada est le refuge idéal de sociétés minières qui spéculent en Bourse et mènentà travers le monde des opérations controversées, voire criminelles. Elles y trouvent un sys-tème boursier-casino favorable à la spéculation, des exonérations dignes d’un paradis fiscal,des mesures législatives canalisant vers elles l’épargne des citoyens, une diplomatie de com-plaisance soutenant ses pires desseins, ainsi qu’un droit taillé sur mesure pour la couvrir àl’étranger, comme sur le front de la critique intérieure. En six chapitres d’une redoutable efficacité, Alain Deneault et William Sacher retracentl’histoire du Canada et exposent comment cette ancienne colonie est devenue le paradis régle-mentaire et judiciaire d’une industrie évoluant hors de tout contrôle. Pillage, expropriationsviolentes de populations, pollution durable de vastes territoires sont le lot des pays qui subis-sent les méthodes de cette industrie aveuglément tournée vers le profit. La Bourse deToronto se révèle le pilier de ce système où s’enregistrent 60 % des sociétés minières mon-diales, des entreprises protégées par des politiques serviles. Grâce à un travail minutieux de recensement de sources internationales, les auteurs nousmontrent comment le Canada, trop souvent présenté comme vertueux et pacifiste, estdevenu la Suisse des mines.

Paradis sous terre - Editions Rue de l'échiquier, septembre 2012.

Alain Deneault est titulaire d'un doctorat de philosophie de l'Université de Paris-VIII et enseignela « pensée critique » au département de science politique de l'Université de Montréal. William Sacher est titulaire d'un doctorat en sciences atmosphériques et océaniques de l'Université McGill. 

Cet exemplaire de La Baleine contient une offre spéciale d’abonnement à LaRevueDurable. Cette revue franco-suisse devulgarisation sur l’écologie et la durabilité s’applique depuis 2002, en toute indépendance, à montrer comment favoriser despratiques durables dans tous les secteurs : agriculture, biodiversité, énergie et climat, urbanisme, habitat, mobilité, consommation,finance, etc. LaRevueDurable cherche à donner l’envie de comprendre et le pouvoir d’agir pour construire une société plus éco-logique et plus solidaire. LaRevueDurable œuvre, dans le registre de l’information, dans un même esprit que les Amis de la Terre :elle cherche à construire une société plus écologique et solidaire.Afin de réduire son impact écologie d’un tiers, LaRevueDurable a pris la décision de ne plus être diffusée en kiosque en France.Il faut en effet imprimer 5 exemplaires pour en vendre 1 par ce canal. C’est donc le moment de s’abonner !

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Paradis sous terreComment le Canada est devenu la plaque tournante de l'industrie minière mondiale

LaRevueDurable dans La Baleine

Page 16: La Baleine 171 - Entreprises, vous avez dit responsables ?

Les « incroyables comestibles » ont vu lejour au Nord de l’Angleterre portés par deshabitants engagés pour un style de vie plusdurable. Le principe : cultiver localementdes fruits et légumes dans des lieuxpublics – le plus souvent dans des bacs –afin de rendre le territoire auto-suffisanttout en promouvant des pratiques plusrespectueuses de l’environnement.Entre partage, don et abondance de lanature, le projet prend le contrepied desmodèles de production et de consom-mation classiques. Il met l’accent sur lacoopération et la participation active duplus grand nombre et fait le pari que, dela création collective locale, peut naîtredu lien social. Et le pari est réussi ! Leshabitants sont reconnectés les uns auxautres dans des rapports de « coopéra-tions plurielles » qui leur permettent d’ap-porter des compétences pour améliorerla vie de la communauté. S’appuyant sur la relocalisation, la souve-raineté alimentaire et le respect del’Homme et de la nature, les « incroyablescomestibles » s’appuient sur un engage-ment fort de la communauté, l’éducationet la sensibilisation du plus grand nombreainsi que sur une approche économiqueautre. Un défi certes, mais aussi unegrande fierté pour Pam Warhurst, cofon-datrice du mouvement qui en vante la sim-plicité : « Nous voulions être dans l’actionet surtout être positifs. Il n’y a pas de rejetcontre un projet ni de manifestation oud’opposition : nous mettons directementen œuvre une alternative au système. »L’idée que la révolution est entre les mainsde chacun a germé du Royaume-Uni auPortugal en passant par les Etats-Unis,l’Australie et même la France !

Le Gard, un département pionnier Depuis le 4 mai 2012, le village de Saint-Jean-de-Valériscle (Gard, 700 habitants) aadopté le modèle alimentaire des« incroyables comestibles » et disposéquelques bacs de bois dans les espacespublics. Inka y a pris part et témoigne :« Lorsque mon voisin m’a parlé de cetteinitiative, il y a eu un déclic très fort, unegrande joie, une évidence ! Bien sûrqu’avec mon grand potager, il y a deséchanges, des amis qui viennent cueillir.Mais là, j’ai senti la force de ce change-ment de paradigme : c’est comme si lelégume sortait sans protection dans la rueet pourtant on s'occupe de lui... et je mesouviens de notre gaieté quand la premièretomate a « disparu » ! Il y a un bac devantma porte, je m’en occupe avec ma voisine.Actuellement, il y a un chou rouge, des

salades et le panneau : « Servez-vous,c’est gratuit! ». Avec le soutien de la mairieet des instits, notre petite équipe jardineradès la rentrée scolaire avec les enfants surce principe d’ouverture et de partage. Lebémol : il y a des résistances et des incom-préhensions au village, surtout le fait quen’importe qui peut se servir. « N’importequi ? Ok, mais pas les fainéants ! »Néanmoins cela progresse, en tout casavoir un espace public débordant debonnes choses à manger et à partagern'est pas un rêve, cela ne tient qu'à nous.

> CAROLINe PRAk

Remerciements : Inka et Zhou de St-Jean-de-Valeriscle dans le Gard.

Depuis 1971Le Courrier de la Baleine Le journal des Amis de la Terre

HumeursÇa y est, je l'ai ! Ça n'a pas été facile, et que d'inquiétudes ! D'abord, il a fallu faire la queue à la boutique, dès le petitmatin. Il y a eu quelques bousculades, mais rien de semblable à ce qui c'était passé à Hong-Kong pour le lancement du 4S,quand même ! De Sydney à New-York, de Berlin à Paris, dans l'ensemble, tout s'est bien passé. Mais on a eu chaud, c'est sûr !D'abord, on a appris qu'une émeute avait éclaté dans une usine de Foxcoon, le géant taïwanais de l'électronique, située àTaiyuan, dans le nord de la Chine. Une bagarre qui a impliqué 2 000 ouvriers et mobilisé 5 000 policiers. Plus de 40 personnesont été blessées. Foxconn, c'est le numéro un mondial des composants pour ordinateurs qui emploie un million de personnes enChine. L'origine de la bagarre, c'est un conflit entre des vigiles et des ouvriers. Les conditions de travail sont excessivement dureschez Foxconn, les employés y travaillent plus de 60 heures par semaine et encore plus en période de pointe. Mais le travail a repriset tout est rentré dans l'ordre. 24 heures d'interruption, ça ne pouvait pas entraîner de retard dans la livraison des commandes.Mais voilà, nos angoisses n'étaient pas encore terminées. Quand on a appris que des salariés des magasins français d'Apples'apprêtaient à faire grève pour demander une revalorisation de leur salaire, le 13e mois, des tickets restaurant et des fontaines àeau dans les arrière-boutiques, on a encore eu quelques appréhensions. Mais là aussi, ça s'est arrangé. La direction a lâché sur lestickets-restaurants, et les employés ont poursuivi leur mouvement de protestation de manière symbolique, par le port des brassardsverts, où était marqué Believe (ça veut dire croire, en anglais). Oui, on a eu chaud, mais maintenant, j'ai enfin le plaisir de vous fairepartager ces dernières nouvelles du monde comme il va, envoyées de mon iPhone 5.

> ALAIN DORDÉ

PratiquesServez-vous, c’est gratuit !Née en 2008 à Todmoren (15 000 habitants, Angleterre), l’initiative des « incroyables comestibles » (incredibleedible) réunit au sein d’un village, d’un quartier, d’une petite ville, des habitants qui cultivent des fruits etlégumes sur la place publique et en offrent la récolte à tous.

Pour en savoir plus : http://www.incredible-edible.info/

http://incredible-edible-valeriscle.fr/