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La bataille de Nantes, 29 juin 1793 : un Valmy dans …excerpts.numilog.com/books/9782908924268.pdf · deux siècles et met à jour un formidable affrontement entre Paris et Nantes

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La Bataille de NANTES

SILOË

LIBRAIRE - ÉDITEUR 22, rue du Jeu-de-Paume

F 53000 LAVAL

© Siloë 1993 ISBN : 2-908924-26-9

Yannick Guin

L a B a t a i l l e

d e N A N T E S

SILOË

Ville de

NANTES

P R É F A C E

NANTES est la ville des belles convictions.

Jean-Marc AYRAULT, Député-maire de Nantes

Avant-propos

CET OUVRAGE surprendra. La bataille du 29 juin 1793 avait jusqu'à ce jour été appréciée pour son importance stra- tégique, qui n'est pas mince en effet, mais beaucoup moins pour ses enjeux politiques qui sont énormes.

Cette étude renouvelle complètement la vision héritée de deux siècles et met à jour un formidable affrontement entre Paris et Nantes dont la tournure constituera pour beaucoup une véritable révélation. C'est donc avec une sorte de jubila- tion que l'historien offre au lecteur ce qu'il a extrait de l'ombre.

Sans aucun doute la bataille sauve la République. Au matin du 29 juin 1793, la ville est encerclée par des masses de Ven- déens révoltés. La jeune République française ne tient plus qu'à un fil. Comme le notera Napoléon : « L'occupation de Nantes était d'une grande importance pour la Vendée. Maî- tres de cette grande ville, qui leur assurait l'arrivée des

convois anglais, les armées royales pouvaient sans danger manœuvrer sur les deux rives de la Loire et menacer Paris. Si, profitant de leurs étonnants succès, Charette et Catheli- neau eussent réuni toutes leurs forces pour marcher sur la capi- tale, c'en était fait de la République. Rien n'eût arrêté la mar- che tr iomphante des armées royales : le drapeau blanc eût flotté sur les tours de Notre-Dame, avant qu'il eût été possi- ble aux armées du Rhin d'accourir au secours de leur gou- vernement.. . Le projet de s 'emparer de Nantes avait été le résultat naturel des succès des deux armées royales. »

La victoire des Vendéens, en ce début d'été 1793, ne fai- sait aucun doute, d 'autant que les républicains repliés dans la ville étaient au seuil de la guerre civile. Par quel étrange cheminement l 'Histoire prit-elle un autre cours ?

Singulière journée que cette bataille du 29 juin 1793, à Nan- tes. Aussi singulière que Valmy. Dix mois plus tôt, la Répu- blique naissante reposait dans les mains inexpertes mais fer- ventes des bleuets de France montés précipitamment au front. Qui pouvait prévoir qu'ils résisteraient aux canonniers prus- siens et qu'ils feraient masse, sans faillir, derrière les cava- liers de Kellerman et les culs blancs de la troupe de la ligne ?

Dix mois plus tard, à Nantes, qui aurait parié sur les gar- des nationaux de la ville, mobilisés derrière quelques troupes disparates, réunies à la hâte par des généraux débordés ?

Comme Valmy, Nantes fut donc une grande victoire répu- blicaine, moins par le nombre des victimes — elles furent sen- siblement égales dans les deux cas — que par l 'enjeu straté- gique et le renversement des perspectives.

D 'où vient alors que Valmy occupe une place sans égale dans notre imaginaire, et que Nantes soit discrètement notée dans nos livres d'histoire ? Est-ce parce que Valmy barrait la route des envahisseurs étrangers et que Nantes n'arrêtait que les ennemis de l'intérieur ? Pourtant le danger n 'en était

pas moins pressant, et la Révolution pas moins menacée. Ne serait-ce pas plutôt parce que la bataille de Nantes reste encore largement obscure, et que, livrée sur un fond de déchirements civils, l'esprit partisan a empêché jusqu 'à ce jour qu 'on en perçoive tous les contours ?

Nous brûlons : le 29 juin 1793 n'est pas seulement un coup d'arrêt au déferlement vendéen, mais il est aussi le théâtre d 'un débat, aussi intense que violent, sur la nature, les caractères et la destinée de la Révolution elle-même. Ce débat porte tel- lement sur l'essentiel qu'il prend la forme d 'une tentative de « putsch » de la ville de Nantes contre Paris ! Nous avons bien dit un « putsch », c'est-à-dire une tentative de soulève- ment de l 'armée pour marcher contre Paris !

Cette vérité a été cachée volontairement pendant deux siè- cles. La bataille de Nantes prend donc soudain une tout autre dimension !

Cet ouvrage, fondé sur le dépouillement des archives qui relatent jour après jour la montée des périls autour de la ville de Nantes, comporte nombre de révélations autour de ce sujet, considéré comme tabou. On sera surpris par l 'ampleur et la grandeur de l'événement, par la force des débats politiques, par l'intensité de la tragédie qui se déroule sur les bords de la Loire, en ce début d'été — qui fut un bel été — et qui pré- lude au terrible hiver de l 'an II. Osons le dire : l'essence de la Révolution et de la Contre-Révolution est concentrée à Nan-

tes, le 29 juin 1793. Nulle part ailleurs, et à aucun autre moment, ne convergèrent ainsi les complexités politiques de la France.

Quelle aubaine pour l'historien d 'au jourd 'hui que d'avoir à reprendre les faits eux-mêmes, leur chronologie et leur enchaînement, quand tout est brouillé et confus ! Quelle chance aussi que de pouvoir dès lors reconstituer les actions des hommes, les stratégies de pouvoir, les conflits des partis,

les enjeux locaux et nationaux, quand des pans entiers ont été jusqu'ici occultés ! Quel bonheur que de mettre en lumière les mécanismes et les processus qui expliquent fondamenta- lement la bataille de Nantes, quand ces trames étaient demeu- rées inconnues !

Bien des intérêts se sont ligués depuis deux siècles pour voiler cet événement. Les principaux récits qui nous sont parvenus datent de la Restauration ou de la Monarchie de Juillet et, à l'instar de Camille Mellinet qui en fait une narration éten- due dans son ouvrage de 1843 La Commune et la Milice de Nantes (tome VII), ils tendent à accréditer le rôle exclusif des Nantais, c'est-à-dire le maire Baco et les gardes nationaux, dans la responsabilité de la défense, et à mettre en exergue l'incurie parisienne, voire la lâcheté de la Convention.

Ces récits hagiographiques à la gloire des Girondins de Nan- tes reposent tour à tour sur des documents réellement essen- tiels et aussi sur des on-dit ou même des légendes qui affai- blissent leur crédibilité. En 1922, un érudit local, A. Velas- que, mit en doute les textes précédents, qui reprenaient tous la thèse de Mellinet. Le crible de sa critique n'eut pas de peine à démonter les graves approximations sur lesquelles ils étaient bâtis. Cependant Velasque manque singulièrement de vue d'ensemble, et il ne voile pas ses acrimonies aveugles à cause de son hostilité à la Révolution (A. Velasque, « Le siège de Nantes et ses prodromes : 29 juin 1793 », Nantes S.N., 1922).

Des travaux solides, plus anciens, éclairent certains pans de l'événement, et leur apport n'est pas négligeable :

— Emile Gabory, Les Guerres de Vendée, Paris, Bouquins Robert Laffont, 1989.

— Charles-Louis Chassin, La Vendée patriote, 1793-1800, Tome 2, Paris, Imprimerie Paul Dupont, 1891-1900, réimp. Mayenne, Joseph Floch, 1973.

— Abbé Deniau, Histoire de la guerre de Vendée, J. Sirau- deau, 1876-1878.

— Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, Paris, Bouquins Robert Laffont, 1979.

— Alfred Lallié, Le Fédéralisme dans le département de la Loire-Inférieure, Vannes, 1889.

— Gaston Martin, Carrier et sa mission à Nantes, Paris, P.U.F., 1924.

Cependant, des travaux récents apportent des lumières très intéressantes :

— Jean Clément Martin, Blancs et Bleus dans la Vendée déchirée, Paris, Gallimard, 1986.

— Corinne Le Chevanton, « Le Général Canclaux dans l'Ouest, 1792-1799 », Mémoire de maîtrise, Paris I, 1988.

— Françoise Niccoli, « Gloire et infortune d'un général républicain méconnu : Jean-Michel Beysser, 1753-1794 », Mémoire de maîtrise, Université de Nantes, 1991.

— Maurice Perrais, « Jean-Michel Beysser, 1795-1794 » dans Cahier des Amis de Guérande, n° 17, 1970.

— Sous la direction de Jean Bourgeon et Philippe Hamon, L'Insurrection de mars 1793 en Loire-Inférieure, Nantes His- toire, 1993.

Avant tout, il était nécessaire de fouiller à nouveau les archi- ves, archives départementales (série L, dossiers 523 à 545), archives municipales (série 1 13 et H 4), archives de la Biblio- thèque municipale (l'incontournable fonds Dugast-Matifeux).

En dépit de ce retour aux sources très minutieux, l'auteur a délibérément estompé les références et les notes afin de s'adresser, par une lecture aisée, à tous les citoyens désireux de se plonger dans leur Histoire, et non pas seulement aux spécialistes et aux universitaires.

Que soient profondément remerciés tous ceux qui lui ont permis d'écrire cet ouvrage : sa compagne, Marie-Claude, qui a découvert des archives étonnantes, le professeur Jean Clé- ment Martin qui lui a très fraternellement communiqué des renseignements, Madame Denizart, directrice des Archives municipales, et Madame Marcetteau, conservateur de la Bibliothèque municipale de Nantes, qui l'ont aiguillé, et ses proches collaborateurs de la Mairie, Claire Guihéneuf, Gil- berte Santacreu et Annie Goy.

Yannick GUIN, 15 février 1993.

moitié endormi.. . J 'ai eu tort de signer, je l'ai avoué dans un acte public, je renouvelle ici mes regrets. »

La Convention se laisse fléchir. Beysser est rétabli dans ses fonctions de général de brigade. Personne n'est dupe cepen- dant. Le 20 août, le Comité de salut public le charge de pour- chasser les Girondins fugitifs, notamment les conspirateurs d'Ille-et-Vilaine, et de les faire traduire à Paris ! Jean-Michel Beysser est pris au piège. Quand il quitte la capitale, il se sait surveillé par la police et il ne se fait aucune illusion : la moindre erreur lui sera fatale.

Quant à Coustard de Massy, il a beau clamer sa bonne foi et son action courageuse à la tête des volontaires nantais contre les Vendéens, il ne parvient pas à justifier son refus des ordres de la Convention. Il est emprisonné à l 'Abbaye.

Le sort des uns et des autres ne tarde pas à être fixé.

Le 23 octobre 1793, Baco sortira de l 'Abbaye sans avoir été traduit devant le tribunal révolutionnaire, grâce à une péti- tion des Nantais réclamant le retour de leur ancien maire, signée et appuyée par le général Canclaux et le représentant Gillet, ce qui prouve qu 'en dépit des divergences momenta- nées, ceux-ci n 'ont jamais cessé d'estimer la puissante per- sonnalité du maire de Nantes.

Ultérieurement, il sera emprisonné aux Carmes, mais la chute de Robespierre le sauvera. En 1796, Baco sera nommé commissaire du Directoire exécutif aux îles de France et de la Réunion, mais les colons refusant de reconnaître ses pou- voirs, il se retrouvera un temps déporté. De retour à Paris en l 'an VI, il fut nommé, entre le 18 avril 1798 et le 12 septembre 1799, directeur de l 'Opéra ! Chargé d 'une nou- velle mission coloniale, il mourut à la Guadeloupe le 29 novembre 1800.

Coustard de Massy fut moins chanceux. Arrêté à Nantes à la fin du mois d 'octobre, il fut transféré à Paris. Devant

le tribunal révolutionnaire, il affirma n'avoir eu, durant sa mission, aucun rapport avec les députés girondins, avec Bris- sot, avec Pétion et leurs collègues. Le même jour, on inter- roge Philippe Egalité. Tous deux sont condamnés à mort après la déclaration suivante du jury : « Il a existé une conspira- tion contre l'unité et l'indivisibilité de la République. Louis- Joseph Egalité, ci-devant d'Orléans, et Anne-Pierre Coustard sont convaincus d'en être auteurs ou complices. » Les deux hommes sont exécutés le 6 novembre 1793.

Beysser n'était qu'en sursis. Sa chasse aux Girondins avait été infructueuse et le Comité de salut public cherchait la pre- mière occasion de l'abattre. Au début du mois de septembre, alors que l'armée de Mayence commence son offensive en Ven- dée, Beysser ne peut éviter la déroute de ses troupes à Mon- taigu. Ordre à Beysser de se constituer prisonnier. Durant plu- sieurs mois, il se défendra en rejetant la responsabilité de la défaite sur ses troupes. Il ne se fait d'ailleurs aucune illusion : son ami Gabriel Boisguyon, le défenseur de Pirmil, a été arrêté, condamné à mort et exécuté le 21 novembre 1793.

Pour se débarrasser de lui, on l'enveloppe dans une cons- piration des prisons. Fouquier Tinville dresse l'acte d'accu- sation : une seule phrase fait allusion à la Vendée et à « l'infâme faction des fédéralistes » à laquelle se mêla « le traître Beysser ». Condamné à mort le 13 avril 1794, il meurt avec panache : dans la charrette qui le conduit à l'échafaud, il sourit aux dames assises en face de lui, la veuve d'Hébert et celle de Camille Desmoulins, la fameuse Lucile, et il leur fredonne des couplets composés du matin. Il avait quarante ans.

Sait-on que, durant son incarcération, il a reçu des lettres de Merlin de Douai, lui assurant de son amitié, si du moins il n'a pas failli à la défense de la République ? Sait-on aussi qu'en 1795 Merlin, alors président du Comité des lois, chargea