174
1 Michel Damiens La bataille de PLANCENOIT 18 juin 1815 La campagne de Belgique 1815

La bataille de Plancenoit

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Une autre bataille dans la bataille - Napoléon a-t-il pu apercevoir les Prussiens à Saint-Lambert ? - La route des Prussiens depuis Wavre - L'acharnement de Blücher - "Les Prussiens ou la nuit !" - La lettre de Soult à Grouchy minutée "Du champ de bataille de Waterloo, 18 juin à une heure" est-elle un faux ?

Citation preview

Page 1: La bataille de Plancenoit

1

Michel Damiens

La bataille de

PLANCENOIT

18 juin 1815

La campagne de Belgique 1815

Page 2: La bataille de Plancenoit

2

© Michel Damiens 2012

Page 3: La bataille de Plancenoit

3

lancenoit « Les peuples heureux n’ont pas d’histoire », dit le proverbe. S’il en est ainsi, avant un certain dimanche de juin 1815, les gens de Plancenoit étaient des gens heureux…

L’existence du village de Plancenoit ne remonte guère au-delà du XIIIe siècle. On ne trouve en effet pas son nom avant 1227 (Plancenois). Au cours des siècles, on a également écrit Planchenois, Planchenoit, Plansnoy ou Planchenoy. Sur la carte de Ferraris, on trouve Planchenoit. Il semble évident que l’étymologie doit en être trouvée dans le mot plançon1 qui désigne de jeunes plants d’arbres ou de jeunes tiges d’arbres destinées au bouturage. Une légende, un peu oubliée aujourd’hui, donnait une toute autre origine

1 Albert Carnoy – Origine des noms de lieux des environs de Bruxelles – Bruxelles, Bieleveld, s.d., p.

93

P

Page 4: La bataille de Plancenoit

4

au nom du village. Jadis, dit-on, il existait un lavoir sur la Lasne auquel on avait accès par un petit pont de bois. Un attelage de deux chevaux passa un jour sur le pont branlant qui s’effondra, le précipitant dans un trou sans fond de la petite rivière. Le pont aurait naturellement été surnommé « La planche qui noie ». Au cours des temps, la légende s’enfla au point de noyer dans la Lasne un attelage de six chevaux. Comme si l’idée venait à un charretier de faire passer un convoi de cette importance sur un petit pont branlant !… Au moment où nous écrivons, l’ancienne commune de Plancenoit est, avec Ohain, Lasne-Chapelle-Saint-Lambert, Couture-Saint-Germain, Aywiers et Maransart, partie de la commune de Lasne. La population de Plancenoit est restée jusqu’au siècle dernier relativement stable. En 1374, on recensait 22 ménages ; en 1437, 28 foyers ; en 1492, 10 foyers seulement – on ne sait à quelle catastrophe on doit cette chute brutale2 – ; en 1526, 28 maisons (dont 3 inhabitées) ; en 1686, 22 maisons plus une taverne et une brasserie. En 1784, les recenseurs comptaient 412 habitants – 1 prêtre, 125 hommes, 153 femmes, 68 jeunes garçons et 65 filles de moins de 12 ans. En 1803, il y avait à Plancenoit 487 habitants3. On estime donc la population de Plancenoit à environ 500 habitants en 1815. Tout le territoire de Plancenoit était autrefois boisé et les défrichements ne commencèrent qu’au XIIIe siècle. On considère en effet que c’est à cette époque que le châtelain de Bruxelles, Lionnet, seigneur de Braine-l’Alleud4, qui possédait des droits sur la région, décida d’en exploiter les bois. Soucieux du bien de l’âme de ses serfs et vu l’éloignement de l’église de Braine, il aurait fondé une nouvelle église paroissiale à cet endroit. Cette fondation, concertée avec le chapitre des chanoines de la cathédrale de Cambrai, qui avait la collation à Braine, aurait eu lieu en 1211. La charte qui établit les revenus du desservant date en tout cas de juillet 1227. L’histoire du village de Plancenoit ne comptait, avant 1815, qu’un seul événement digne d’être resté dans les annales. En 1409, les habitants de 2 L’hypothèse la plus vraisemblable est que cette chute est due à la crise économique. A la même

époque, on recensait à Bruxelles 4 107 feux contre 5 739 en 1437. 3 Tarlier et Wauters – La Belgique ancienne et moderne. Géographie et Histoire des Communes

belges. Vol. 2 : Province de Brabant, arrondissement de Nivelles, canton de Genappe – Bruxelles, Decq et Duhent, 1859, p. 70. 4 Dont le nom est perpétué par le Bois Lionnet à Ohain.

Page 5: La bataille de Plancenoit

5

Plancenoit se mirent en tête de réclamer à l’abbaye d’Afflighem, qui possédait de nombreuses terres dans les environs, la possession d’un pré qu’ils prétendaient être un « wérixhas », c’est-à-dire un terrain vague où ils auraient eu droit de pâture. Le maire du village5, un certain Le Roy de Holeir – à la famille duquel le hameau de Maison du Roy doit sans doute son nom – prit la tête du mouvement sans en aviser son seigneur. Voilà donc les têtes chaudes du village, sous la conduite du magistrat – en même temps le plus gros propriétaire terrien du village – qui envahissent l’église, sonnent la cloche pour convoquer la population6 et se portent en masse vers le pré contesté dont ils brisent les clôtures. Vive réaction de l’abbé d’Afflighem qui en appelle au duc de Brabant. Le bailli du Brabant roman convoque alors le maire devant les hommes de fief de la haute cour de Genappe qui lui montrent qu’il est en tort. Les habitants de Plancenoit en furent quittes pour rétablir la clôture. Mais le malheureux maire fut condamné à une amende de 40 couronnes de France – 6 livres 13 sous et 4 deniers – tandis que ses complices se voyaient imposer le pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle7. Un autre fait eut Plancenoit pour cadre. Mais, dans ces époques troublées, peut-on vraiment parler d’un événement ? En 1484, quelques troupes de Maximilien d’Autriche campèrent à Plancenoit. La seigneurie de Plancenoit, au XIIIe siècle, appartenait donc aux châtelains de Bruxelles qui, nous l’avons dit, en entreprirent le défrichement et y établirent le village. Avant 1312, les châtelains cédèrent la seigneurie et le tréfonds, en même temps que ceux d’Ohain, à Arnoul de Steyne qui revendit les deux villages à un certain Arnoul , fils d’Arnoul Rex. Ce dernier nom est sans doute la traduction de « Le Roy » ou « De Coninck ». C’est dans cette famille que le maire rebelle de 1409 fut choisi et c’est donc à cette famille que l’on doit sans doute le nom de Maison du Roi. De cette famille, la possession de Plancenoit passa aux Barbençon, seigneur de Braine, puis, par héritage à la famille de Wittem8. Les droits de basse et moyenne justice appartenaient à la seigneurie de Braine-l’Alleud. La haute justice resta aux mains du duc de Brabant

5 Rappelons qu’à cette époque, le maire ou « mayeur » est un agent du seigneur.

6 Ce qui, en dehors des offices, est un privilège seigneurial.

7 Tarlier et Wauter, p. 71.

8 Les fonts baptismaux de l’église paroissiale de Plancenoit portent les armes des Wittem, ainsi

qu’une dalle armoriée de 1576.

Page 6: La bataille de Plancenoit

6

jusqu’au 10 juin 1489, date à laquelle le duc la céda à Henri de Wittem, seigneur de Beersel et de Braine-l’Alleud. Dès lors, la terre de Plancenoit constitua un plein fief avec haute, moyenne et basse justice, comptant donc un bailli, un maire, des échevins, un sergent et un messier9. Etaient adjoints à la seigneurie les droits de congé, de percevoir les lois et amendes « et autres forfaitures », de garenne, de gruerie, de pêche, etc. On y suivait la coutume d’Uccle. En 1635, Ernestine de Wittem, marquise de Bergen-op-Zoom, baronne de Beauvois, etc., vendit à Arnoul Schuyl, seigneur de Walhorn, Houtain-le-Val et autres lieux, la terre et la seigneurie de Plancenoit avec toutes ses dépendances dont trois bois dits le Goumont, le Bois Lionnet, à Ohain, et le bois de Moitemont. Relief en fut fait le 7 décembre 1637. Mais la bonne marquise avait eu le tort, comme le ferait n’importe lequel de nos contemporains, de confondre propriété et seigneurie… L’une n’entraînait effectivement pas l’autre. Même si, depuis 1489, Plancenoit constituait un plein fief, ayant haute, basse et moyenne justice, Ernestine de Wittem n’avait pas le droit de vendre la seigneurie en même temps que les terres, sans le consentement du duc de Brabant, dont la seigneurie relevait directement. Dès lors, dès 1638, les filles d’Ernestine attaquèrent la vente et obtinrent le retrait de la seigneurie. Autrement dit, Arnoul Schuyl gardait la propriété des terres de Plancenoit mais les droits seigneuriaux furent à nouveau réunis à ceux de Braine, dont ils avaient été un moment démembrés et le restèrent jusqu’à la fin de l’ancien régime. Sans entrer dans les arcanes du droit féodal, relevons quand même que, durant toute une période, une seconde seigneurie a existé à Plancenoit, relevant également du duc de Brabant. En 1374, c’est un nommé Guillaume Coutriaux qui tenait le fief. Le fils de Guillaume, Jean, le laissa à sa sœur Jeanne, épouse de Jacquemart d’Ardenne, qui le vendit à Guillaume d’Oestkerke lequel en fit relief le 2 mars 1435-1436. Jean Germieau ou Germal le racheta et en fit relief le 21 août 1439. Durant un peu plus d’un siècle, la seigneurie et la terre restèrent dans cette famille jusqu’à ce que Jean Germiaulx et son fils Nicolas les cèdent au sire de Braine contre 200 carolus d’or. Relief en fut fait le 15 avril 1545. Dès

9 Un garde champêtre, si l’on veut.

Page 7: La bataille de Plancenoit

7

lors, cette seigneurie, appellée de la Hutte ou del Hutte, devint une annexe de celle de Braine. Pour être complet, signalons que l’église de Plancenoit est dédiée à Sainte-Catherine. L’église actuelle date de 1857 et fut construite par l’architecte Emile Coulon10 qui, pour ériger la façade, récupéra les pierres blanches de l’ancien édifice mis à mal par les combats de 1815. Le maître-autel portait, dit-on, les traces de trois balles qui l’atteignirent au cours de cette journée. Mais il a depuis été déménagé à Thorembais-les-Béguines dans l’entité de Perwez. Chose curieuse à mentionner, une grande procession avait lieu jadis chaque année, le troisième dimanche de juin, en l’honneur de saint Donat ; le troisième dimanche du mois de juin 1815 tombait précisément le 18. La procession n’eut pas lieu… Le 17 juin au soir, la population, mise au courant de l’approche des armées, préféra aller se réfugier dans les bois environnants afin d’y attendre des jours meilleurs. Le curé de Plancenoit ne quitta cependant pas son église et ne renonça pas à dire sa messe dominicale. La légende veut que Napoléon en entendant la cloche de Plancenoit pendant son petit déjeuner, s’en soit étonné…. La plupart des habitants se consacraient à l’agriculture et, dans une moindre mesure, à l’élevage. En 1834, lorsque le gouvernement belge établit un relevé de la répartition du territoire, ses inspecteurs calculèrent que 572 hectares du territoire de la commune étaient constitués de terres arables, 8 de jardins légumiers, 8 de prés et pâtures11, 14 de vergers, 2 de bruyères et de terrains vagues, 5 de bâtiments et cours et 15 de routes et chemins, ce qui revient à un total d’environ 627 hectares. Les bois à cette époque couvraient à peine 58 ares 90 centiares…Tous ces chiffres n’ont guère changé au fil des siècles : en 1686, la paroisse de Plancenoit, sur 380 bonniers 2 journaux, comptait en effet 378 bonniers de terres arables, 3 bonniers 2 journaux de « pâchis » et 9 bonniers de prés communs12. Les terres étaient consacrées en majorité au froment, puis par ordre d’importance, au seigle, à la luzerne, et à l’avoine.

10

C’est ce même Coulon qui, devenu architecte provincial, acheta la ferme du Caillou en 1869 et y procéda à des travaux assez radicaux en 1889. 11

Dans lesquels pâturaient une centaine de chevaux, 230 bovins, 200 moutons… et 9 chèvres. 12

Tarlier et Wauters, p. 69.

Page 8: La bataille de Plancenoit

8

Le terrain est peu accidenté, sauf dans le village proprement dit, où l’on rencontre quelques coteaux assez rapides et des chemins encaissés. Au sud du village prend naissance la Lasne qui, coulant vers le nord-est, vient recueillir le ruisseau des Brous, lequel naît un peu à l’est du Caillou. Plusieurs sources viennent encore alimenter le petit cours d’eau qui se dirige vers une suite de petits étangs, établis sans doute par l’abbaye d’Aywiers, pour continuer vers le village de Lasne, passer entre Genval et Rixensart et finalement aller se jeter dans la Dyle au nord de Wavre. Plancenoit appartient donc au bassin de l’Escaut. L’eau n’y est pas rare : le long de la Lasne, la Compagnie bruxelloise des Eaux possède des captations destinées à alimenter son réseau. La qualité de l’eau ne saurait faire de doute : jadis, une brasserie était, avec un petit four à chaux, la seule industrie de Plancenoit. A l’époque de la bataille, cette brasserie était exploitée par un certain Nicolas-Antoine Delpierre. Il semble bien

Page 9: La bataille de Plancenoit

9

que son principal débouché13 ait été le cabaret de la Belle-Alliance dont Delpierre était propriétaire. Le point culminant de Plancenoit se situe à Rossomme et cote 140 mètres. C’est un des endroits où Napoléon s’est sans doute tenu au début de la bataille. A l’heure actuelle, le village de Plancenoit a bien grossi : il n’est en effet pas couvert par la loi de protection du site de 1914. Mais l’extension de l’habitat n’a pas modifié fondamentalement la structure même du centre du village : trois groupes d’habitation : le Village, proprement dit, autour de l’église ; la Rue Là Haut, au sommet du contrefort qui sépare la Lasne et le Ri du Brou ; le Brou, quelques maisons sur la rive gauche de ce dernier cours d’eau.

13

D’après Tarlier et Wauter, (p. 70), cette brasserie ne produisait dans les années 1840 que 900 hectolitres par an. A titre de comparaison, l’abbaye Saint-Remy à Rochefort, avec 7 moines brasseurs et 7 laïcs, produisait au début des années 2000, 15 000 hectolitres par an et, à Louvain, Interbrew produisait, à la même époque, 7 millions d’hectolitres… A votre santé !

Page 10: La bataille de Plancenoit

10

Page 11: La bataille de Plancenoit

11

e 18 juin 1815 Lorsque l’aube du 18 juin 1815 se lève, la quarantaine de maisons de Plancenoit déborde littéralement de soldats français. C’est que la veille au soir, alors qu’ils ont combattu aux Quatre-

Bras ou qu’ils ont marché des kilomètres, les malheureux, affamés – ils avaient depuis longtemps épuisé la ration de pain qu’ils avaient reçu le 15 au matin – , trempés – il pleuvait à seau depuis le 17 à 14.30 hrs –, qui passaient par là ont vu dans ce petit village un abri d’autant plus providentiel que la population s’était enfuie dans les bois environnants. S’en suivent les scènes qui s’étaient reproduites tant de fois à travers toute l’Europe. Les soldats s’introduisent partout et tâchent de se réserver un petit coin à l’abri. Lorsque c’est fait, ils laissent un ou deux camarades pour garder la place ainsi conquise, parfois de haute lutte, que d’autres hommes n’hésiteraient pas à leur voler sans aucun scrupule, et s’en vont fouiller partout afin de trouver ce qui leur manque. Or, ils manquent de tout… On arrache les portes et les volets, on les brise : voilà de bon bois pour se réchauffer. Les meubles sont fracassés. On s’empare des vêtements que l’on trouve. Mais surtout, on recherche les vivres. Si l’on a la chance de trouver l’une ou l’autre poule ou une tranche de lard, c’est la promesse d’une bombance inouïe. Sinon, l’on s’en va arracher ce qui est comestible dans les potagers ou dans les champs : rave, betteraves, etc. Lorsqu’on a trouvé son bonheur, on s’en va retrouver ses camarades, on organise une belle flambée et l’on dévore ce que l’on a trouvé. Le pillage est collectif : un homme qui voudrait se débrouiller tout seul n’y arriverait pas… Une fois repu, on s’en va dormir. Les hommes qui ont trouvé un bout de plancher ou deux mètres carrés de terre battue pour y dormir au sec louent le Seigneur qui leur a accordé une telle fortune. Pensent-ils à leurs camarades qui, un peu plus loin, n’ont pas une telle chance et doivent essayer de dormir, le ventre vide, en pleins champs, dans des seigles dégoulinants ?…

« Maintenant représentez-vous des hommes couchés dans les blés, sous une pluie battante, comme de véritables Bohémiens, grelottant de froid, songeant à massacrer leurs semblables, et bien heureux d’avoir un navet, une rave ou n’importe quoi pour soutenir un peu leurs forces. Est-ce que c’est la vie d’honnêtes gens ? Est-ce que c’est pour cela que Dieu nous a créés et mis au monde ? Est-ce que ce n’est pas une véritable abomination de penser qu’un roi, un empereur, au lieu de surveiller les affaires de son pays, d’encourager

L

Page 12: La bataille de Plancenoit

12

le commerce, de répandre l’instruction, la liberté et les bons exemples, vienne nous réduire par centaines de mille à cet état ?… Je sais bien qu’on appelle cela de la gloire ; mais les peuples sont bien bêtes de glorifier des gens pareils… Oui, il faut avoir perdu toute espèce de bon sens, de cœur et de religion. Tout cela ne nous empêchait pas de claquer des dents…14 »

A l’aube, tout le monde est tiré de son sommeil par les officiers qui pressent les hommes, mal réveillés et courbaturés, vers les positions qu’ils auront à occuper durant la journée. Cela grogne, bien sûr ! La seule chose que l’on espère, c’est de recevoir un peu d’approvisionnement. Effectivement, vers 09.00 hrs, on recevra l’ordre de faire la soupe. Mais c’est tout ce qu’on recevra : il n’y aura rien à mettre dans la soupe… Le village est donc évacué. On devine l’état lamentable dans lequel se trouvent les maisons désertées… Jusque vers 18.00 hrs, Plancenoit ressemblera à un village abandonné au milieu de nulle part. Si l’on a parfois trouvé sous la plume de certains auteurs l’expression « bataille dans la bataille » à propos d’Hougoumont, que dire alors de Plancenoit ? Alors que les combats pour le village ont été d’une rare sauvagerie, les auteurs semblent étrangement les considérer comme secondaires et se contentent généralement d’expédier l’affaire en quelques paragraphes…

14

Erckmann-Chatrian – Waterloo, p. 414-415.

Page 13: La bataille de Plancenoit

13

remière apparition des Prussiens Voici ce que conte Adolphe Thiers : « Tout à coup cependant, Napoléon, toujours attentif à son extrême droite par où devait venir Grouchy, aperçut dans la direction de la chapelle Saint-Lambert comme une ombre à

l’horizon, dont il n’était pas facile de saisir le vrai caractère. (…) C’est sur ces hauteurs lointaines de la chapelle Saint-Lambert que se montrait l’espèce d’ombre que Napoléon avait remarquée à l’extrémité de l’horizon. L’ombre semblait s’avancer, ce qui pouvait faire supposer que c’étaient des troupes. Napoléon prêta sa lunette au maréchal Soult, celui-ci à divers généraux de l’état-major, et chacun exprima son avis. Les uns croyaient y voir la cime de quelque bois, d’autres un objet mobile qui paraissait se déplacer. Dans le doute, Napoléon suspendit ses ordres d’attaque pour s’assurer de ce que pouvait être cette apparition inquiétante. Bientôt avec son tact exercé il y reconnut des troupes en marche, et ne conserva plus à cet égard aucun doute. Était-ce le détachement demandé à Grouchy, ou bien Grouchy lui-même ? Étaient-ce les Prussiens ? A cette distance il était impossible de distinguer l’habit français de l’habit prussien, l’un et l’autre étant de couleur bleue. Napoléon appela auprès de lui le général Domon, commandant une division de cavalerie légère, le fit monter sur le tertre où il avait pris place, lui montra les troupes qu’on apercevait à l’horizon et le chargea d’aller les reconnaître, avec ordre de les rallier si elles étaient françaises, de les contenir si elles étaient ennemies, et de mander immédiatement ce qu’il aurait appris. Il lui donna pour le seconder dans l’accomplissement de sa mission, la division légère de Subervie, forte de 12 ou 1300 chevaux. Les deux en comprenaient 2,400, et étaient en mesure non-seulement d’observer mais de ralentir la marche du corps qui s’avançait, si par hasard il était ennemi. « Cet incident n’inquiéta pas encore Napoléon. Si Grouchy en effet avait laissé s’échapper quelques colonnes latérales de l’armée prussienne, il ne pouvait manquer d’être à leur poursuite, et paraissant bientôt après elles, l’accident loin d’être malheureux

P

Page 14: La bataille de Plancenoit

14

deviendrait heureux, car ces colonnes prises entre deux feux seraient inévitablement détruites. Le mystère pourtant ne tarda pas à s’éclairer. On amena un prisonnier, sous-officier de hussards, enlevé par notre cavalerie légère. Il portait une lettre du général Bulow au duc de Wellington, lui annonçant son approche, et lui demandant des instructions. Ce sous-officier était fort intelligent. Il déclara que les troupes qu’on apercevait étaient le corps de Bulow, fort de 30 mille hommes, et envoyé pour se joindre à la gauche de l’armée anglaise15. Cette révélation était sérieuse, sans être cependant alarmante. Si Bulow, qui venait de Liège par Gembloux, et qui avait dû défiler sous les yeux de Grouchy, était si près, Grouchy, qui aurait dû fermer les yeux pour ne point voir, ne pouvait être bien loin. Ou son corps tout entier, ou le détachement qu’on lui avait demandé, allait arriver en même temps que Bulow, et il était même possible de tirer un grand parti de cet accident. En plaçant en effet sur notre droite qu’on replierait en potence, un fort détachement pour arrêter Bulow, ce dernier serait mis entre deux feux par les sept mille hommes demandés à Grouchy, ou par les trente-quatre mille que Grouchy amènerait lui-même. Napoléon fit appeler le comte de Lobau, et lui ordonna d’aller choisir sur le penchant des hauteurs tournées vers la Dyle, un terrain où il pût se défendre longtemps avec ses deux divisions d’infanterie, et les deux divisions de cavalerie de Domon et Subervie. Le tout devait former une masse de dix mille hommes, qui dans les mains du comte de Lobau vaudrait beaucoup plus que son nombre, et qui pourrait bien attendre les sept mille hommes que dans la pire des hypothèses on devait espérer de Grouchy, s’il n’accourait pas avec la totalité de ses forces. On aurait ainsi 17 mille combattants à opposer aux 30 mille de Bulow, et distribués de manière à le prendre en queue, tandis qu’on l’arrêterait en tête. Il n’y avait donc pas de quoi s’alarmer. Toutefois, c’étaient dix mille hommes de

15

Ce sous-officier était sans doute encore beaucoup plus intelligent que ne le dit Thiers : il annonce l’arrivée du corps de Bülow mais il « oublie » de dire que c’est toute l’armée prussienne qui approche… Et il prétend que Bülow vient renforcer la gauche anglaise, alors qu’en réalité, celui-ci se prépare à venir couper la retraite aux Français.

Page 15: La bataille de Plancenoit

15

moins à jeter sur la gauche des Anglais pour la culbuter sur leur centre et pour les déposséder de la chaussée de Bruxelles…16 »

Thiers, qui écrit ces lignes, se demande alors si Napoléon, à l’arrivée de ces ennemis qu’il n’attendait pas, aurait dû rompre le combat, renoncer à la bataille et se retirer. Le moment où il aperçoit les Prussiens dans le lointain se situe en effet avant l’attaque du 1er corps et rien n’est encore joué. Et l’auteur de conclure, pour diverses raisons, politiques et militaires, qu’il ne pouvait en être question. Ce qu’il faut retenir de cette longue citation, ce sont trois choses : 1° Avant le début de l’attaque du 1er corps, Napoléon aperçoit les Prussiens au loin sur son extrême droite ; 2° Comme Grouchy suit, ou qu’il aura détaché les sept mille hommes demandés à Chapelle-Saint-Lambert, cette apparition ne présente pas de grand danger ; 3° Néanmoins, on envoie d’abord Domon et Subervie puis Lobau pour arrêter ce qui s’avère être le corps de Bulow. En gros, nous trouvons donc dans ce texte tous les lieux communs, généralement admis par la plupart des auteurs… Comme on le voit, Thiers, pour établir son raisonnement, se base sur une dépêche que Napoléon aurait expédiée à Grouchy la veille vers 22.00 hrs, lui prescrivant « de détacher avant le jour de son camp de Wavre17 une division de 7 000 hommes de toutes armes et 16 pièces de canon sur Saint-Lambert pour se joindre à la droite de la grande armée et opérer avec elle ». Nous avons démontré que cette dépêche est une invention pure de Napoléon18 et qu’elle n’a jamais existé. Dès lors, tout le raisonnement de Thiers s’écroule et, ipso facto, celui que tient Napoléon dans les Mémoires. Houssaye ne raconte pas autre chose que Thiers mais se garde bien de prêter à l’empereur des sentiments basés sur sa lettre supposée de la veille à 22.00 hrs puisqu’il a lui-même démontré de manière convaincante quelques pages plus tôt que cette lettre n’existait pas19. Il n’en écrit pas moins que « la présence d’un corps prussien à Chapelle Saint-Lambert…

16

Thiers – Histoire du Consulat et de l’Empire, t. XX - Paris, Lheureux et Cie, éditeurs, 1862, pp. 199-202. 17

Or, le 18, « avant le jour », Grouchy est encore à Gembloux… 18

Voir La Foudre enrayée, dans la même collection. 19

Voir Houssaye – 1815, II – Paris, Christion de Bartillat éditeur, 1987, p. 270, note 3.

Page 16: La bataille de Plancenoit

16

ne le surprit qu’à demi…20 » et plus loin : « L’empereur ne fut donc pas autrement déconcerté. Tout en jugeant que sa situation s’était gravement modifiée, il ne la regardait pas comme compromise.21 » Mais Houssaye indique aussi qu’au cours de ses rêveries de Sainte-Hélène, l’empereur, avoua qu’il hésita un instant à porter sa ligne d’opération sur la route de Nivelles pour déborder la droite anglaise :

« Par ce moyen, il eût éloigné des Prussiens sa ligne de retraite. Il y renonça dans la crainte de hâter la jonction de Blücher avec les Anglais et parce qu’il jugea, ce qui était vrai, la droite des Anglais plus forte que leur centre gauche.22 »

Logie donne le même récit : « Vers treize heures, alors que l’Empereur entouré de son état-major se trouvait à Rossomme, Soult fit remarquer à Napoléon qu’il apercevait à l’est, sur les hauteurs de Saint-Lambert, ce qui lui paraissait être des troupes.23 »

Mais pour son malheur, Logie vend aussi la mèche : où a-t-il trouvé ce récit ? Dans les Mémoires de Napoléon (pp. 143, 148, 146). Comble de malheur : pour une fois qu’il cite ses sources !… Devos situe l’épisode à 12.50 hrs et attribue à Soult le mérite d’avoir le premier aperçu la colonne prussienne24. Bernard Coppens25 affirme cependant qu’il est « plus que douteux » que Napoléon ait aperçu les Prussiens avant 16.30 hrs quand ils débouchèrent du bois de Paris. Tondeur et consorts, dans leur ouvrage sur Plancenoit, citent le guide De Coster :

« Lorsqu’il trouva que ses tentatives pour prendre le château de Hougoumont avaient été faites en vain, il prit un cheval, quitta la ferme de Rossum à cinq heures et, s’avançant à cheval, s’arrêta en face de la maison de De Coster, à deux cents mètres à peu près de la Belle-Alliance. Il resta là jusqu’à 7 heures. A ce moment, il aperçut au moyen d’une longue vue, l’avance des Prussiens, et la

20

Houssaye, p. 333-334. 21

Id., p. 336. 22

Id., p. 336, note 2, citant Gourgaud, p. 118-119. 23

Logie – Napoléon, la dernière bataille – Bruxelles, Racine, 1998, p. 137. 24

De Vos – Les 4 jours de Waterloo – Bruxelles, Didier Hatier, p. 105. 25

Sur son site www.1789-1815.com/question_1.htm#prusdroit

Page 17: La bataille de Plancenoit

17

signala à un aide de camp qui, ayant tourné sa longue vue dans cette direction, les vit aussi.26 »

Selon Tondeur, etc. eux-mêmes, tout cela est en contradiction avec les témoignages de Baudus, aide de camp de Soult –

« Je le vis (Soult), vers une heure de l’après-midi, se rapprocher de Napoléon, et le prévenir qu’il voyait très distinctement un corps nombreux dont les armes étaient en faisceaux.27 »

– et les relations de Damitz (13.00 hrs), van Löben Sels (12.00 hrs), Charras (peu après l’attaque d’Hougoumont). Tondeur cite alors l’analyse d’Aerts en la résumant ainsi :

« L’empereur lui, même, on vient de le voir, dit avoir aperçu, sur les hauteurs de Saint-Lambert, un corps de 5 à 6.000 hommes, et plus loin, qu’il s’agissait de l’avant-garde de Bülow. Comme le gros de ce corps n’arriva pas à Saint-Lambert avant midi, c’est donc au plus tard vers midi que l’état-major français se rendit compte de la présence des Prussiens.28 »

Au plus tard !.. Si c’est bien ce que dit Aerts, c’est une bêtise… Il faudrait se baser sur le récit de Napoléon et l’on sait ce que celui-ci vaut. Ne vaudrait-il pas mieux dire : Au plus tôt ?… Le Bulletin du 20 juin semble situer ce moment dans la matinée. Relisons-le : « A neuf heures du matin, la pluie ayant un peu diminué, le 1er corps se mit en mouvement et se plaça, la gauche à la route de Bruxelles et vis-à-vis le village de Mont-Saint-Jean , qui paraissait le centre de la position de l’ennemi, Le 2e corps appuya sa droite à la route de Bruxelles, et sa gauche à un petit bois, à portée de canon de l’armée anglaise. Les cuirassiers se portèrent en réserve derrière, et la Garde en réserve sur les hauteurs. Le 6e corps, avec la cavalerie du général d’Aumont, sous les ordres du comte Lobau , fut destiné à se porter en arrière de notre droite, pour s’opposer à un corps prussien qui paraissait avoir échappé au maréchal Grouchy et être dans l'intention de tomber sur notre flanc droit, intention qui nous avait été connue par nos rapports et par une

26

De Coster cité par Tondeur, Courcelle, Pattijn, Meganck – Waterloo 1815. Les Carnets de la Campagne n° 6 ; Plancenoit - Bruxelles, Editions de la Belle-Alliance, 2002, p. 58. 27

Cité par Tondeur, etc., op. cit ; p. 58. 28

Id., ibid.

Page 18: La bataille de Plancenoit

18

lettre d'un général prussien que portait une ordonnance prise par nos coureurs. Les troupes étaient pleines d'ardeur.

« On estimait les forces de l'armée anglaise à 80,000 hommes; on supposait que le corps prussien, qui pouvait être en mesure vers le soir, pouvait être de 15,000 hommes, Les forces ennemies étaient donc de plus de 90,000 hommes; les nôtres étaient moins nombreuses.29 »

Quel est le sentiment qu’on ne peut s’empêcher de ressentir en lisant ce texte ? C’est que, dans la matinée déjà, on n’ignorait plus la présence des Prussiens à droite. Est-il possible que l’on ait aperçu les Prussiens dès 10.00 hrs, quand ils arrivaient à Chapelle-Saint-Robert ? Voilà qui serait bien tentant et qui bouleverserait toute notre vision de la bataille... Mais il nous faut tempérer notre enthousiasme ! Même si l’on avait aperçu des Prussiens vers 10.00 hrs, on n’a tenu aucun compte de cette information. L’ordre de 11.00 hrs (n° 22060) adressée « aux commandants de corps », donc aussi à Lobau, n’y fait aucune allusion. La lettre à Grouchy, datée de 13.00 hrs, n’en parle que dans un post-scriptum, qui s’il n’est pas une forgerie, a manifestement été écrit un certain temps après le corps de la lettre. Et les ordres donnés à Lobau l’ont certainement été après 13.00 hrs ou bien il devient inexplicable que le 6ème corps se soit mis en marche aussi tardivement et ne soit arrivé sur sa position « en arrière de la droite » qu’aux environ de 16.00 hrs. Voilà qui prouve, s’il était nécessaire, que le Bulletin du 20 juin n’est rien d’autre qu’un instrument de propagande destiné à cacher le manque de prévoyance de Napoléon, lequel n’avait pas songé à faire observer sa droite lors de sa marche à Mont-Saint-Jean. Il s’agissait évidemment de taire cette faute militaire majeure. Les auteurs, qui adorent mettre en scène cette fameuse « chasse au renard » menée par Napoléon lui-même dans l’après-midi du 17 juin, ne font aucune allusion à cette faute30. Or il est évident que si l’empereur, au lieu de s’adonner à une espèce de sport auquel il n’était nullement apte31, avait pensé un seul instant à envoyer des patrouilles sur sa droite, ses reconnaissances eussent inévitablement rencontré les Prussiens qui, eux,

29

Napoléon – Correspondance, n° 22061. 30

Voir Genappe. 31

Napoléon était, rappelons-le, un assez piètre cavalier et était encore fort diminué par, semble-t-il, ce qu’il faut bien reconnaître comme étant une crise d’hémorroïdes.

Page 19: La bataille de Plancenoit

19

le 17, au contraire, prennent toutes leurs précautions sur leur droite. C’est donc le 17 juin, au plus tard dans la soirée, que Napoléon aurait dû savoir que les Prussiens étaient en masse à Wavre depuis midi et qu’il aurait pu prendre les dispositions découlant de cette constatation. Au contraire, il se fie aux mesures qu’il a prises en détachant Grouchy sur sa droite. Or, le soir du 17, à la tombée de la nuit, Grouchy – à qui Napoléon a donné très tardivement une fausse direction en l’envoyant à Gembloux32 – est toujours dans l’incertitude la plus totale quant à la destination des Prussiens et n’a pas franchi l’Orneau.

Une question bien simple…

La question est ici bien simple : est-il exact que Napoléon a remarqué quelque chose d’imprévu à son extrême droite, à Chapelle-Saint-Lambert ? Comme chaque fois qu’un point soulève une contestation, les premiers textes à envisager sont les dictées de Napoléon à Sainte-Hélène. La dictée à Gourgaud – parue en 1818, mais semble-t-il dictée vers la mi-1816 – est assez sobre :

« Dans ce moment, on apperçut [sic] fort au loin, du côté de St. Lambert, un corps de cinq à six mille hommes de toutes armes. On crut d’abord que c’était le Maréchal Grouchy…33 »

« Ce moment » n’est pas précisé mais le paragraphe dont est extrait cette phrase commence par « Vers onze heures… ». Bernard Coppens 34 croit pouvoir en déduire que « ce moment » se situe entre 11.00 hrs et midi. Rien n’est pourtant moins sûr. Entre le début du paragraphe et « Dans ce moment », se trouve en effet le récit de l’attaque d’Hougoumont :

« Vers onze heures le général Reille engagea la canonnade pour chasser l’ennemi du bois d’Hougoumont. L’engagement devint bientôt très vif sur ce point. Le Prince Jérôme, avec sa division, s’empara de ce bois : il en fut chassé ; une nouvelle attaque l’en rendit maître, mais l’ennemi s’était maintenu dans le château qui était au milieu (...) L’Empereur envoya l’ordre au général Reille de

32

Voir l’ordre de Napoléon à Grouchy donné du champ de bataille de Ligny, 17 juin vers 13.00 hrs : « Rendez-vous à Gembloux… ». Voir La Foudre enrayée, passim. 33

Gourgaud – La campagne de 1815 ou relations des opérations militaires qui ont eu lieu en France et en Belgique pendant les Cent Jours ; écrite à Ste Hélène par le général Gourgaud – A Londres, imprimé pour J. Ridgway, Piccadilly, 1818, p. 75. 34

Bernard Coppens – Les Mensonges de Waterloo – Jourdan, éditeur, 2009, p. 188, note 5

Page 20: La bataille de Plancenoit

20

former une batterie d’obusiers et de mettre le feu au château. On voyait avec plaisir que les meilleures troupes anglaises étaient sur ce point ; entr’autres la division des gardes (Général Cooke). Dans ce moment, etc. »

Il faudrait donc savoir quand Reille reçut l’ordre de mettre ses obusiers en batterie. Mauduit est, à ce propos, le seul à être un peu affirmatif :

« Cette lutte [à Hougoumont] de plusieurs heures et sans résultat, attira enfin l’attention de Napoléon qui, vers 3 heures, ordonna de former une batterie d’obusiers et d’incendier cette espèce de forteresse improvisée…35 »

Tout ce qu’on peut donc dire, c’est que le bombardement ordonné par Napoléon n’eût d’effet qu’à 15.00 hrs quand la grange d’Hougoumont prit feu. « Ce moment » se situe donc entre 12.30 hrs, quand le bois tombe définitivement aux mains des Français, et 15.00 hrs quand la grange prend feu. En 1820, l’allusion à l’apparition des Prussiens est considérablement développée. Il s’agit maintenant d’un véritable récit :

« Le maréchal Ney obtint l’honneur de commander la grande at-taque du centre ; elle ne pouvait pas être confiée à un homme plus brave et plus accoutumé à ce genre d’affaire. Il envoya un de ses aides de camp prévenir que tout était prêt et qu’il n’attendait plus que le signal. Avant de le donner, l’empereur voulut jeter un der-nier regard sur tout le champ de bataille, et aperçut dans la direc-tion de Saint-Lambert un nuage qui lui parut être des troupes. Il dit à son major général : « – Maréchal, que voyez-vous sur Saint-Lambert ? – J’y crois voir cinq à six mille hommes ; c’est proba-blement un détachement de Grouchy. » Toutes les lunettes de l’état-major furent fixées sur ce point. Le temps était assez bru-meux. Les uns soutenaient, comme il arrive en pareille occasion, qu’il n’y avait pas de troupes, que c’étaient des arbres ; d’autres que c’était des colonnes en position ; quelques-uns que c’étaient des troupes en marche.36 »

35

Mauduit - Les derniers jours de la Grande Armée, vol. II – Paris, Dumaine & Bossange, 1848., p. 283 36

Mémoires pour servir à l’Histoire de France en 1815 (O’Meara) – A Paris, chez les Marchands de Nouveautés, 1820, p. 72. La version de 1830 est identique (Mémoires pour servir à l’Histoire de France sous le règne de Napoléon, t. IX – Paris, Bossange père, libraire, 1830, pp. 120 et 121.)

Page 21: La bataille de Plancenoit

21

Du fait que Napoléon s’apprêtait à donner l’ordre d’attaque au moment où il aperçut les Prussiens, on peut déduire qu’il était à ce moment entre 13.00 hrs et 13.30 hrs. La plupart des auteurs considèrent qu’il était un peu plus tard que 13.00 hrs. Ainsi donc, au cours de ses rêveries de Sainte-Hélène, l’empereur déchu reconstitue-t-il progressivement ses souvenirs… Et il s’agit bien d’une reconstitution ! Le bulletin dicté par Napoléon à Laon le 20 juin 1815 et qui paraîtra dans un supplément du Moniteur Uni-versel daté du 21 ne souffle en effet pas mot de cette théâtrale surprise :

« A neuf heures du matin, la pluie ayant un peu diminué… (Suivent les principales dispositions prises par l’armée française le matin). Le 6e corps avec la cavalerie du général d’Aumont, sous les ordres du comte Lobau, fut destinée [sic] à se porter en arrière de notre droite, pour s’opposer à un corps prussien qui paraissait avoir échappé au maré-chal Grouchy, et être dans l’intention de tomber sur notre flanc droit, intention qui nous avait été connue par nos rapports, et par une lettre d’un général prussien que portait une ordonnance prise par nos coureurs.37»

Il ne s’agit pas d’un raccourci, puisque deux paragraphes plus loin, le bulletin continue :

« A midi, tous les préparatifs était terminés…38 » Voilà qui laisse perplexe… D’autant plus perplexe que, deux paragraphes plus loin encore, on trouve :

« Il était trois heures après midi… La division prussienne dont on avait prévu le mouvement commença alors à s’engager avec les tirailleurs du comte Lobau, en prolongeant son feu sur tout notre flanc droit.39»

Or, il est admis que les brigades Losthin et Hiller débouchèrent du bois de Paris à 16.30 hrs seulement. On peut admettre que des combats de tirailleurs précédèrent, mais il est hors de question de situer ce moment avant 16.00 hrs. Nous verrons pourquoi. Mais l’heure à laquelle les Prussiens s’en prirent au 6e corps est pour le moment de peu d’importance. Ce qui compte ici, c’est que le Bulletin dit

37

Nouvelles de l’Armée in Supplément spécial au Moniteur Universel, 21 juin 1815. 38

Id., ibid. 39

Id., ibid.

Page 22: La bataille de Plancenoit

22

de manière très claire que le mouvement des Prussiens vers Mont-Saint-Jean fut détecté avant 09.00 hrs !... Mais nous savons aussi que ce Bulletin n’est pas destiné à donner une version historique des événements ; il n’a pour but que de rassurer l’opinion publique. Au moment où Napoléon le dicte, il ne sait qu’une chose : les politiciens de Paris vont lui rendre la vie très dure. Il ne peut être question d’avouer la moindre faiblesse. L’arrivée des Prussiens sur le champ de bataille ne peut donc, à aucun moment, passer pour une surprise. Il faut que l’opinion pense qu’elle a été prévue par Napoléon et que la riposte à lui opposer a été mûrement réfléchie. Le souci de Napoléon dans ses dictées de Sainte-Hélène n’est pas le même. Il est même radicalement différent. Il s’agit ici de prouver que l’arrivée des Prussiens a véritablement constitué une mauvaise surprise dans la mesure où l’empereur avait pris les précautions utiles pour l’empêcher, à savoir détacher plus de 30 000 hommes, sous les ordres du maréchal Grouchy, afin d’empêcher la jonction des troupes de Wellington et de Blücher. Si les troupes prussiennes ont échappé à Grouchy, la faute en revient à celui-ci et à nul autre.

VOIR et SAVOIR

Mais il est une chose dont Napoléon ne tient aucun compte dans ses dictées : la vraisemblance. Toutes les versions de ses dictées sont unanimes sur un point : c’est vers Saint-Lambert ou à Saint-Lambert que l’on aperçut les Prussiens pour la première fois. Tous les auteurs sont bien d’accord. Citons pêle-mêle Thiers :

« Tout à coup cependant, Napoléon, toujours attentif à son extrême droite par où devait venir Grouchy, aperçut dans la direction de la chapelle Saint-Lambert comme une ombre à l’horizon, dont il n’était pas facile de saisir le vrai caractère. (…) C’est sur ces hauteurs lointaines de la chapelle Saint-Lambert que se montrait l’espèce d’ombre que Napoléon avait remarquée à l’extrémité de l’horizon.40 » ;

Jomini :

40

Thiers, p. 199.

Page 23: La bataille de Plancenoit

23

« Napoléon allait le donner [le signal d’attaque] après midi, lorsqu’on découvrit des colonnes assez fortes sur la droite, dans la direction de Lasne et de Saint-Lambert…41 » ;

Mauduit : « Ce fut dans ce moment même, nouvelle persistance de la fatalité qui nous poursuivait, que l’on aperçut dans la direction de Saint-Lambert, quelques masses noires qui parurent être des troupes.42 » ;

Charras : « Il l’observait avec distraction, promenant sa lunette sur l’horizon en avant des hauteurs de Rossomme, lorsqu’il aperçut, sur Chapelle-Saint-Lambert, un corps de troupe.43 » ;

Quinet : « Mais, pendant que cette formation s’achève, un grave événement détourne au loin l’attention de Napoléon. Avant de donner le signal demandé, il a promené ses yeux sur l’horizon, et, là, perpendiculairement à sa droite, à une grande lieue du champ de bataille, sur la hauteur où pointe le clocher blanc de Saint-Lambert, il perçoit comme un nuage qui lui paraît être des troupes.44 »

Houssaye : « A environ deux lieues au nord-est, il aperçut comme un nuage sombre qui semblait sortir des bois de Chapelle-Saint-Lambert.45 » ;

Margerit : « Ce fut surtout le nord-est qu’il [Napoléon] regarda. Et là, dans l’échancrure des bois autour de Chapelle-Saint-Lambert, il aperçut quelque chose…46

Logie :

41

Jomini - Précis de la campagne de 1815 – Librairies Anselin et Amyot, 1839, p. 170. 42

Hippolyte de Mauduit, p. 286 – Les derniers jours de la Grande Armée, vol. II – Paris, Dumaine & Bossange, 1848, p. 286 43

Charras - La Campagne de 1815 - Bruxelles, Lacroix, Verboeckhoven et Cie, 1863, p. 266. 44

Quinet – Histoire de la campagne de 1815 – Paris, Michel Lévy Frères, 1862, p. 205 45

Houssaye, p. 332. 46

Margerit – Waterloo – Paris, Gallimard, 1964, p. 350.

Page 24: La bataille de Plancenoit

24

« C’est à ce moment que Soult fit remarquer à Napoléon qu’il apercevait à l’est, sur les hauteurs de Saint-Lambert, ce qui paraissait être des troupes.47 » ;

Logie, quelques années plus tard : « Vers treize heures, alors que l’Empereur entouré de son état-major se trouvait à Rossomme, Soult fit remarquer à Napoléon qu’il apercevait à l’est, sur les hauteurs de Saint-Lambert, ce qui lui paraissait être des troupes.48 ».

Coupe du terrain entre Rossomme et Chapelle-Saint-Lambert.

Inutile de continuer à fouiller : on ne trouverait pas un auteur pour dire autre chose que Saint-Lambert ou Chapelle-Saint-Lambert. Or, disons-le nettement : la chose est impossible ! Le graphique que nous montrons ci-dessus est éloquent : même en admettant que Napoléon se soit installé sur le rebord du petit plateau qui est au nord de Rossomme et dont l’altitude est de 140 mètres, il lui aurait fallu « voir à travers les montagnes » pour apercevoir le clocher de Chapelle-Saint-Lambert 49.

47

Jacques Logie – Waterloo, l’évitable défaite – Paris-Gembloux, Duculot, 1984, p. 101. Même texte in Logie, de Callataÿ, Bruylants, e.a. – Waterloo, l’Europe face à Napoléon – Bruxelles, Crédit com-munal, 1990, p. 85 et dans 48

Jacques Logie – Napoléon, la dernière bataille – Bruxelles, Racine, 1998, p.136-137. 49

Confirmation chez Bernard Coppens – Les Mensonges de Waterloo – Paris, Jourdan éditeurs, 2009, p. 192. Or Coppens connaît admirablement le terrain. Pour en avoir le cœur net, nous avons personnellement fait une expérience en nous postant à Rossomme avec des jumelles modernes et en envoyant un de nos amis à Saint-Lambert avec un grand drapeau blanc. Le temps était remarquable-ment clair et quel que soit l’endroit où notre ami s’est placé sur le chemin des Prussiens, il ne nous a jamais été possible de l’apercevoir. Même chose pour Saint-Robert. Toutefois, il n’est pas possible de considérer cette expérience comme absolument probante : si le terrain n’a pas changé, de nouvelles constructions ont été érigées, des bois défrichés et d’autres replantés. Dès lors, si notre expérience constitue un indice, elle n’est pas une preuve.

Page 25: La bataille de Plancenoit

25

Ajoutons que le petit village est entièrement entouré de bois. Aperce-vrait-on le sommet du clocher de son église – ce qui serait théoriquement possible avec de fortes jumelles – que l’on ne verrait rien de ce qui se passe à son pied. Troublé par ce fait, Mark Adkin suggère qu’il faudrait lire Chapelle-Saint-Robert – qui est dans une vaste clairière – au lieu de Saint-Lambert. Mais, outre le fait qu’aucun auteur ne fait allusion à Saint-Robert, cette simple petite chapelle de campagne isolée est éloignée d’environ 11 500 mètres – 3 km plus loin que Saint-Lambert –, se trouve à une altitude de 115 mètres et n’est donc pas plus visible de Rossomme. Ajoutons que le terrain était humide, qu’il n’est donc pas question de nuage de poussière, et que le temps, selon Napoléon lui-même, était brumeux. Apercevoir quelque chose dans ces conditions tient du miracle. Et dans le domaine militaire, nous ne croyons ni aux miracles ni aux coïncidences… Certains ont cru pouvoir affirmer que, en réalité, c’est le reflet du soleil sur les baïonnettes prussiennes qu’aurait observé Napoléon. Et, de fait, l’on sait que les fantassins prussiens ne possédaient pas de fourreau pour leurs baïonnettes et se trouvaient donc dans l’obligation de marcher avec leur baïonnette fixée à leur fusil. Toutefois, l’on remarquera que per-sonne ne parle de reflets ou de lueurs observées mais bien de masses sombres et d’ombres. Le temps brumeux peut certainement expliquer l’absence de reflets mais cela n’est pas nécessaire : la configuration du terrain suffit à expliquer qu’il est impossible d’observer Saint-Lambert ou Saint-Robert de Rossomme.

Il existe un autre indice qui nous semble définitivement probant et auquel, apparemment, personne n'a songé. On admettra que si Napoléon a pu voir les Prussiens, il est évident que les Prussiens ont pu voir Napoléon – ou du moins son armée. Or, on a beau lire tous les comptes-rendus disponibles écrits par des Prussiens, on ne rencontre nulle part l’affirmation selon laquelle on aurait vu les Français avant de sortir du bois de Paris. On s’étonne même parfois, comme von Falkenhausen, que l’on n’ait rencontré aucun parti de cavaliers sur la droite de l’armée française et que Napoléon n’ait pas fait garder son flanc dans cette direction. D’autre part, on verra que Gneisenau manifestait une extrême

Page 26: La bataille de Plancenoit

26

méfiance à l’égard de Wellington et qu’il avait donné des instructions précises à Bülow pour n’intervenir dans la bataille que dans le cas où les Anglo-Alliés seraient fortement engagés. Or Bülow qui est à Saint-Lambert vers 11.00 hrs – et à Saint-Robert peu de temps auparavant – s’il y avait eu moyen de voir quelque chose, aurait aperçu l’armée française en plein déploiement. Il n’aurait donc certainement pas fait arrêter sa colonne à Saint-Lambert jusqu’aux environs de 13.00 hrs… Blücher, qui a remonté la colonne de Bülow et la dépasse, s’il y avait eu moyen de voir quelque chose, n’aurait certainement pas pris le risque de se rendre avec une petite escorte jusqu’à la lisière du bois de Fichermont pour se rendre compte de la situation sur le champ de bataille. On peut donc affirmer sans crainte de se tromper que, s’ils ont entendu le fracas de la grande batterie à 13.30 hrs et s’ils ont aperçu des fumées, les Prussiens n’ont rien vu de ce qui se passait sur le champ de bataille, en tout cas rien qui les convainque que la grande bataille était engagée. Si les Prussiens n’ont rien vu, Napoléon non plus ! Ce point ne prête donc plus à aucune contestation : Napoléon n’a pas vu les Prussiens à Saint-Lambert vers 13.00 hrs. Mais cela veut-il dire qu’il n’a pas su, vers 13.00 hrs, que les Prussiens étaient à Saint-Lambert ?

Le hussard noir

Napoléon continue sa dictée en racontant un épisode étrange : « Un quart d’heure après 50, un officier de chasseurs amena un hus-sard noir prussien qui venait d’être fait prisonnier par les coureurs d’une colonne volante de trois cents chasseurs, qui battait l’estrade entre Wavres et Planchenoit. Ce hussard était porteur d’une lettre ; il était fort intelligent, et donna de vive voix tous les renseigne-ments que l’on pût désirer. La colonne qu’on apercevait à Saint-Lambert était l’avant-garde du général prussien Bulow qui arrivait avec trente mille hommes ; c’était le 4e corps prussien qui n’avait pas donné à Ligny. La lettre était effectivement l’annonce de l’arrivée de ce corps ; ce général demandait au duc de Wellington des ordres ultérieurs. Le hussard dit qu’il avait été le matin à Wavres, que les trois autres corps de l’armée prussienne y étaient campés, qu’ils y avaient passé toute la nuit du 17 au 18, qu’ils

50

Après avoir ordonné à Domon l’ordre de se porter vers la droite.

Page 27: La bataille de Plancenoit

27

n’avaient aucun Français devant eux ; qu’il supposait que les Fran-çais avaient marché sur Planchenoit ; qu’une patrouille de son ré-giment avait été dans la nuit jusqu’à deux lieues de Wavres sans rencontrer aucun corps français.51 »

L’épisode est une amplification de ce que le Bulletin évoquait dès le 20 juin 1815 :

« Le 6e corps avec la cavalerie du général d’Aumont, sous les ordres du comte Lobau, fut destinée [sic] à se porter en arrière de notre droite, pour s’opposer à un corps prussien qui paraissait avoir échappé au maréchal Grouchy, et être dans l’intention de tomber sur notre flanc droit, intention qui nous avait été connue par nos rapports, et par une lettre d’un général prussien que portait une or-donnance prise par nos coureurs.52 »

Sous la dictée de l’empereur, Gourgaud, en 1818, écrivait : « On crut d’abord que c’était le Maréchal Grouchy mais un quart d’heure après, des hussards amenèrent un ordonnance prussien, porteur d’une dépêche, qui apprit que les troupes que l’on apperce-vait [sic] étaient l’avant-garde du corps de Bulow.53 »

A signaler que les Prussiens nient qu’un hussard prussien ait jamais été fait prisonnier. Plusieurs auteurs trouvent confirmation de la capture de cet officier dans une lettre écrite en 1830 au fils du maréchal Grouchy par le colonel Marbot, commandant du 7e régiment de hussards en 1815 :

« Un de mes pelotons, s’étant avancé à un quart de lieue au-delà de Saint-Lambert, rencontra un peloton de hussards prussiens, auquel il prit plusieurs hommes, dont un officier. Je prévins l’Empereur de cette étrange capture, et lui envoyai les prisonniers.54 »

51

Napoléon, Mémoires (1830), pp. 121-122. 52

Nouvelles de l’Armée in Supplément spécial au Moniteur Universel, 21 juin 1815. 53

Gourgaud, p. 75. 54

Marbot, Mémoires, III, p. 406

Page 28: La bataille de Plancenoit

28

Plancenoit- Wavre sur la carte marchande de Ferraris

Pourquoi Marbot qualifie-t-il cette capture d’ « étrange » ? Vraisemblablement, parce qu’il ne s’attendait nullement à rencontrer le moindre parti prussien. Ainsi donc, le préjugé de Napoléon qui pensait que les Prussiens étaient en déroute et qu’ils se retiraient vers la Meuse était-il partagé par l’ensemble de l’armée. Malheureusement, Marbot ne nous dit pas à quelle heure cette « étrange capture » a eu lieu. Tout au plus nous indique-t-il :

« Au commencement de l’action, vers onze heures du matin, je fus détaché de la division avec mon régiment et un bataillon d’infanterie placé sous mon commandement. Ces troupes furent mises en potence à l’extrême droite, derrière Frichemont, faisant face à la Dyle… [Mes instructions] prescrivaient de laisser le gros de ma troupe toujours en vue du champ de bataille, de porter 200 fantassins dans le bois de Frichemont, un escadron à Lasne, poussant des postes jusqu’à Saint-Lambert ; un autre escadron, moitié à Couture, moitié à Beaumont, envoyant des reconnaissances jusque sur la Dyle, aux ponts de Moustier et d’Ottignies …55 »

D’où nous pourrions déduire que l’ « étrange capture » a obligatoirement eu lieu après 11.00 hrs, heure à laquelle Marbot reçoit ses ordres.

55

Id., p. 404-405

Page 29: La bataille de Plancenoit

29

Précisons toutefois qu’il est impossible de faire la moindre confiance au témoignage de Marbot. Il est en effet totalement exclu qu’il ait poussé des vedettes jusqu’à Saint-Lambert ou au-delà après 11.00 hrs. Les sources prussiennes nous indiquent en effet que l’avant-garde de la 15e brigade, qui marche en tête de la colonne du 4e corps commence à arriver à Saint-Lambert à 10.00 hrs et que le corps de Bülow y sera réuni à 13.00 hrs56. A cette heure-là, les piquets de Marbot ne peuvent donc pas avoir patrouillé très loin au-delà de la Lasne. Le général Wilhelm von Bülow, dans son rapport daté du 19 juin 1815, écrit :

« Pour établir le contact direct avec l’armée anglaise, le défilé très difficile de Saint-Lambert et de Lasne devait être franchi. Cela ne pouvait être entamé avant que les mouvements possibles de l’ennemi sur notre flanc gauche puissent être détectés. A cet effet, j’envoyai immédiatement deux forts détachements de cavalerie en reconnaissance dans cette direction. L’un d’eux, sous le major von Witowski du 2e régiment de Hussards silésiens se rendit jusqu’à Maransart où il trouva l’ennemi. L’autre, sous le major von Falkenhausen alla jusqu’à Séroulx [Céroux] où il établit le contact avec le lieutenant-colonel von Ledebur.57 »

En outre, se basant sur le Journal du général Constant de Rebecque, Hofschröer ajoute que Bülow envoya plusieurs officiers du 2e Hussards silésiens pour établir le contact avec Wellington58. Tenant compte du déploiement que nous a indiqué Marbot, il est possible que l’un de ces détachements prussiens se soit laissé surprendre par les hussards français. Se basant sur ces éléments, les auteurs ont été trop heureux de conclure que le fameux hussard noir avait été capturé par Marbot et que c’est lui qui renseigne Napoléon sur l’avance de Bülow. Il y a, malgré tout, deux petites difficultés. Napoléon nous dit bien :

« Un quart d’heure après, un officier de chasseurs amena un hussard noir prussien qui venait d’être fait prisonnier par les coureurs d’une colonne volante de trois cents chasseurs, qui battait l’estrade entre Wavres et Planchenoit. »

56

Peter Hofschröer – 1815, The Waterloo Campaign, II – London, Greenhill Books, 2004, p. 56. 57

Bülow, cité par Hofschröer, op. cit., p. 57. 58

Id., ibid.

Page 30: La bataille de Plancenoit

30

Or, Marbot commande un régiment de hussards, le n° 7, et non une unité de chasseurs. Quant au hussard prussien, s’il s’agit bien d’un hussard, il doit appartenir au 2e régiment de hussards de Silésie ou au 3e régiment de cavalerie de la Landwehr de Silésie. Ce sont en effet ces unités qui se trouvent à l’avant-garde de Bülow et qui fournissent les patrouilles. Or les hussards de Silé-sie ne sont pas en noir, mais bien en dolman vert et la Landwehr de Silésie en tenue bleu foncé. Dans les faits, la seule unité portant un uniforme noir était le 6e Uhlans dont les quatre escadrons provenaient de corps francs levés en 1813, qui portaient encore l’uniforme noir et dont les Français avaient gardé un très mauvais souvenir. Or le 6e Uhlans appar-tenait au 1er corps du général von Zieten. A ce moment, Zieten est en-core bien loin : du côté de Froidmont… Cela étant dit, il n’est cependant pas totalement exclu que des piquets de cavalerie français se soient emparés de coureurs prussiens longtemps avant ou longtemps après 11.00 hrs. Napoléon parle d’ « un officier de chasseurs » et « des coureurs d’une colonne volante de trois cents chas-seurs, qui battait l’estrade entre Wavres et Planchenoit ». Définition de l’expression « battre l’estrade » : « Parcourir la campagne, aller à la découverte, pour connaître la position, les mouvements de l'ennemi. » A première vue, les auteurs ont cru voir une similitude entre le 7e hussards et ces 300 chasseurs. Mais Napoléon n’est pas assez novice pour confondre – même dans ses souvenirs – un hussard et un chasseur à cheval. Donc, si Marbot peut fort bien avoir fait quelques prisonniers prussiens, il peut très bien n’avoir pas été le seul. D’autant, nous le verrons, que la division Domon, vers 15.00 hrs, va se trouver à la droite du dispositif français poussant naturellement des piquets vers l’est, que cette division compte pas moins de 3 régiments de chasseurs (les 4e, 9e et 12e) et que chacun de ces régiments compte environ 300 sabres… Et il faut bien constater que Marbot ne fait nulle mention d’une quelconque lettre. Or Napoléon est affirmatif : « La lettre était effective-ment l’annonce de l’arrivée de ce corps ; ce général [Bülow] demandait au duc de Wellington des ordres ultérieurs. » Donc, il s’agirait d’une lettre de Bülow à Wellington lui demandant des ordres. Commençons par constater qu’il est très peu vraisemblable que Bülow se soit personnellement adressé directement au duc.

Page 31: La bataille de Plancenoit

31

La correspondance entre Blücher (ou Gneisenau) et Wellington passe obligatoirement durant toute cette journée par Müffling. Et la chose est logique. Par ailleurs, nous savons que le duc a demandé à Müffling de se tenir sur son aile gauche, par où il escompte voir venir les Prussiens. Nous savons que Müffling tient constamment l’état-major prussien au courant de l’évolution de la bataille et qu’il donnera à Bülow des indica-tions sur ce qu’il aura devant lui quand il débouchera sur le champ de ba-taille. Mais nous savons aussi que Müffling ne prend place dans les envi-rons de Papelotte que vers 14.00 hrs 59. Il n’est donc pas exclu que Bülow ait demandé à Müffling des indications sur la direction qu’il avait à prendre. Néanmoins, il ne peut l’avoir fait qu’après avoir atteint Saint-Lambert. C’est en suivant les Prussiens depuis Wavre que nous allons voir pourquoi. Laissons momentanément cette question du « hussard noir » en suspens et allons donc jeter un coup d’œil chez eux.

59

"Waterloo : Le Général Müffling principal artisan de la victoire des Alliés", par le colonel Vigo Rous-sillon in Revue Historique de l’armée (française), 26e année, numéro 2, 1970, pp.61.

Page 32: La bataille de Plancenoit

32

Page 33: La bataille de Plancenoit

33

u côté prussien On se souvient que le 17 juin à 23.00 hrs, de Wavre, Blücher avait envoyé un message à Müffling promettant à Wellington l’appui de toute l’armée prussienne pour la journée du

lendemain60. Ce message se croisa avec une lettre de Müffling qui arriva à Wavre peu après 23.00 hrs :

« L’armée anglaise est postée avec sa droite sur Braine-l’Alleud, son centre sur Mont-Saint-Jean, sa gauche près de La Haie. L’ennemi est devant elle. Le duc de Wellington acceptera la bataille, mais il compte sur l’appui des Prussiens.61 »

Durant toute la journée du 17 juin, les Prussiens avaient procédé à de nombreuses reconnaissances. C’est ainsi que des patrouilles avaient éclairé la route de Louvain, les chemins vers Ohain et vers les défilés de la Lasne, poussé jusqu’à Mont-Saint-Guibert où elles étaient entrées en liaison avec le détachement Ledebur et jusqu’à Céroux-Mousty où le major von Falkenhausen aperçut des Français. Le major Gröben était resté à Tilly pour surveiller l’ennemi. L’état-major prussien était donc parfaitement informé de tout ce qui se passait autour de lui. Ce qui importait vraiment c’est que le détachement de Grouchy n’avait pas dépassé Gembloux et que le gros de l’armée française, sous les ordres de Napoléon lui-même, poursuivait Wellington. Par ailleurs, entre Wavre et Mont-Saint-Jean, on n’avait aperçu aucun Français. Très étrangement, Napoléon faisait marcher son armée sur une route unique sans garantir ses flancs… En possession de tous ces renseignements, Gneisenau et son état-major s’étaient mis au travail et avaient distribué les ordres pour le lendemain matin. A Bülow :

« D’après un avis que je viens de recevoir du duc de Wellington, ce dernier a pris la position suivante : son aile droite est à Braine-l’Alleud, son centre près de Mont-Saint-Jean, son aile gauche près de La Haye. L’ennemi lui fait face. Le duc attend l’attaque et a sollicité notre coopération. Votre Excellence fera rompre au point

60

« Je ne viendrai pas seulement avec deux corps, mais avec toute mon armée, et si les Français ne nous attaquent pas le 18, nous les attaquerons le 19. » (Aerts – Waterloo – Opérations de l’armée du Bas-Rhin pendant la campagne de Belgique en 1815, depuis la bataille de Ligny jusqu’à l’entrée en France des troupes prussiennes – Bruxelles, Spineux, 1908, p. 192) 61

Id., ibid..

D

Page 34: La bataille de Plancenoit

34

du jour le 4e corps d’armée de Dion-le-Mont, en traversant Wavre et en prenant la direction de Chapelle-Saint-Lambert. V.E. prendra dans le voisinage de cette localité une position couverte si l’ennemi n’est pas encore fortement engagé avec le duc de Wellington. Sinon vous attaquerez vigoureusement le flanc droit de l’ennemi ; le 2e corps suivra immédiatement V.E. pour lui servir de soutien. Les 1er et 3e corps seront prêts à marcher aussi dans la même direction si c’est nécessaire. Vous laisserez un détachement à Mont-Saint-Guibert. S’il est attaqué, il se repliera sur Wavre. Tout le bagage et tout ce qui n’est pas d’utilité immédiate sera envoyé à Louvain.62 »

Pirch reçut à Aisemont l’ordre de suivre le 4e corps. Thielemann et Zieten eurent avis de faire manger la troupe très tôt de manière à être en mesure de mettre leur corps en marche au premier préavis. Bülow rédige donc ses ordres :

« Le corps partira immédiatement via Wavre vers Chapelle-Saint-Lambert, en marchant dans l’ordre suivant : « La brigade Losthin (15e) comme avant-garde, accompagnée par le régiment de hussards silésiens et une batterie de 12 livres. Les hussards prendront la tête, et les canons marcheront devant le dernier bataillon de la colonne. La brigade Hiller (16e) suivra, puis celle de Hake (13e), puis l’artillerie de réserve, puis la cavalerie de réserve, qui doit être rejointe par le 2e de cavalerie de Landwehr de Kurmark. La brigade de Ryssel (14e), moins le détachement du lieutenant-colonel von Ledebur formera l’arrière-garde. Ce détachement restera à Mont-Saint-Guibert s’il n’est pas repoussé par l’ennemi, auquel cas, il se retirera sur Wavre. « Je serai avec l’avant-garde. « Tous les trains de bagage marcheront vers Louvain, et le lieutenant-colonel von Schlegel organisera leur mouvement depuis Chapelle-Saint-Laurent. Aucun chariot n’est autorisé dans les colonnes. Les hommes doivent être approvisionnés d’autant de nourriture que possible. Les avant-postes qui ne pourraient être retirés à temps que pour rejoindre leurs unités doivent se joindre à la brigade Ryssel.

62

Gneisenau à Bülow, Wavre, le 17 juin, 12 h. de la nuit. Aerts, p. 194. Tondeur, etc., p. 48.

Page 35: La bataille de Plancenoit

35

« Les brigades lèveront le camp au même moment, et seront prêtes à partir pour Wavre l’une après l’autre. « Le capitaine Reyher restera avec le détachement du lieutenant-colonel Ledebur pour observer les mouvements de l’ennemi, qu’il devra me rapporter rapidement.63 »

A 04.00 hrs donc, le 4ème corps de Bülow quitterait son bivouac de Dion-le Mont, traverserait la Dyle à Wavre et, par Bierges, Neuf-Cabaret, Chapelle-Saint-Robert, gagnerait Chapelle-Saint-Lambert d’où l’on se dirigerait vers Mont Saint-Jean selon les circonstances. Pirch I et son 2ème corps lui emboîterait le pas. Les 1er (Zieten) et 3ème (Thielmann) corps resteraient provisoirement sur place, sur la rive gauche de la Dyle. Blücher et Gneisenau estimaient que le 4ème corps serait le mieux à même de marcher rapidement dans la mesure où il n’avait pas participé à la bataille de Ligny et où sa marche de la veille ne l’avait pas épuisé. Pour Bülow, de Dion à Plancenoit, cela représentait 22 kilomètres de marche. Si aucun incident ne se produisait, cela voulait dire qu’en partant à 04.00 hrs, Bülow était en mesure d’arriver sur le champ de bataille à 14.00 hrs. Malheureusement, quelques incidents vinrent vite troubler cette prévision optimiste. Dès le point du jour, de nombreuses patrouilles de reconnaissance avaient été envoyées dans toutes les directions. C’est ainsi, notamment, que le major Wittowski du 2e régiment n° 6 de hussards de Silésie et le major von Falkenhausen du 3e régiment de Landwehr de Silésie furent dépêchés vers Maransart et les défilés de la Lasne avec mission de pousser au plus loin. Dès 08.00 hrs, les reconnaissances prussiennes atteignaient Chapelle-Saint-Lambert ; Falkenhausen faisait savoir qu’il n’avait rencontré personne et que les chemins étaient libres. Il n’avait même pas pu remarquer de reconnaissances ennemies. Wittowski, en revanche, signalait qu’il avait rencontré une faible reconnaissance française à Maransart.

La marche du 4e corps

Le corps de Bülow, à Dion, est le plus éloigné de Mont-Saint-Jean : il est encore à 4 km de Wavre. En se mettant en route à 04.00 hrs, ce qu’il fit ponctuellement, le 4ème corps devait traverser les cantonnements du 2ème

63

Tondeur, etc., p. 48.

Page 36: La bataille de Plancenoit

36

corps à Aisemont, avant de pouvoir traverser la Dyle à Wavre par deux ponts. L’embouteillage devant les ponts n’aurait sans doute pas été trop important si, après le passage de l’avant-garde, constitué par la 15e brigade (Losthin), un escadron du 3e Landwehr de Silésie et la batterie n° 14 (Hensel), le feu ne s’était pas déclaré64 dans une maison de l’actuelle rue de Namur, bloquant complètement la route65. Il y eut même un moment de panique : on craignait fort que les chariots de munitions n’explosent. C’est un bataillon prussien du 1er régiment n° 14 en garnison dans le faubourg avec le 2ème corps qui vint à bout de l’incendie, avec l’aide de quelques pionniers. Le sinistre ne fut pas circonscrit avant 08.00 hrs et, enfin, le passage rouvert. Voilà donc le gros du corps qui se remet en marche. Mais l’avant-garde qui avait franchi le passage avant le début de l’incendie ne s’était pas arrêté et atteignit Chapelle-Saint-Lambert vers 11.00 hrs66. La batterie de 12 qui l’accompagnait et qui gênait la marche fut laissée sur place, attendant le passage de la réserve d’artillerie pour s’y joindre. Les chemins ne sont pas trop bons mais vers midi, le gros de Bülow atteint Chapelle-Saint-Robert, et vers 13.00 hrs, Chapelle-Saint-Lambert. Comme ses ordres le lui prescrivent, il s’arrête. C’est à ce moment que, à huit kilomètres de là, Napoléon prétend l’apercevoir ou, tout au moins, la partie de son corps qui passe à Chapelle-Saint-Lambert. C’est du moins ce que tous les auteurs, sans exception, acceptent sans sourciller, se basant sur le fait que le post-scriptum de la lettre à Grouchy, datée de 13.00 hrs, fait pour la première fois mention de l’apparition des Prussiens.

Prudence de Gneisenau

S’il est une chose que Gneisenau ne veut absolument pas, c’est foncer la tête la première sur les Français s’ils n’ont pas été sérieusement engagés par Wellington. A ce moment, ce ne sont pas les quelques coups de canons qu’il a pu entendre vers 11.30 hrs qui sont de nature à le rassurer.

64

On n’a jamais très bien su quelle était la cause exacte de cet incendie. La tradition locale voudrait que ce soit un boulanger qui ait mis le feu à son atelier en allumant son four. Tout le monde est d’accord pour dire qu’il était purement accidentel. 65

Ce détail réduit à néant l’affirmation de Logie : « Le gros de ses forces [de Bülow] fut retardé par un incendie qui se déclara sur la place du Sablon (actuellement place Bosch). » (Dernière bataille, p. 136.) Quiconque connaît un peu Wavre sait que la largeur de cette place aurait parfaitement permis à une colonne de passer, même si un incendie s’y était déclaré. A l’inverse, un incendie éclatant rue de Namur aurait complètement bloqué tout passage. C’est ce qui eut effectivement lieu. 66

Accessoirement, on peut dire que Napoléon aurait pu apercevoir les Prussiens dès cette heure…

Page 37: La bataille de Plancenoit

37

Quoique Wellington ait promis qu’il livrerait bataille, Gneisenau reste méfiant comme une chatte. Cette méfiance est palpable dans le texte de l’ordre qu’a reçu Bülow dans la nuit :

« Vous marcherez au point du jour avec le 4ème corps de Dion-le-Mont, en traversant Wavre et en prenant la direction de Chapelle-Saint-Lambert où vous dissimulerez vos forces autant que possible dans le cas où l’ennemi ne serait pas sérieusement engagé avec le duc de Wellington. ».67 »

Et le matin, quand Blücher avait dicté une lettre à l’intention de Müffling :

« Je vous prie de dire en mon nom au duc de Wellington que, tout malade que je suis, je me mettrai à la tête de mes troupes pour tomber sur l’aile droite ennemie dès que Napoléon aura engagé le combat. Si la journée se passe sans que les Français attaquent, je suis d’avis que nous les attaquions ensemble demain »,

Gneisenau n’avait pu s’empêcher de faire ajouter un post-scriptum par Nostitz qui tenait la plume:

« Le général de Gneisenau est tout à fait d’accord avec le feld-maréchal ; mais il prie Votre Excellence de pénétrer les secrètes pensées du duc de Wellington et de savoir s’il a réellement la ferme résolution de combattre dans sa position ou s’il ne compte faire que de simples démonstrations, qui pourraient entraîner notre armée aux plus grands périls.68 »

A ce moment, mis à part les quelques coups de canons qui ont précédé l’attaque d’Hougoumont, on n’a pas encore entendu grand-chose du côté de Mont-Saint-Jean. Rien ne presse donc et Bülow décide qu’il est urgent d’attendre, comme d’ailleurs le lui prescrivent ses ordres. Arrêt de la colonne que les retardataires peuvent ainsi rejoindre… Gneisenau était resté à Wavre pour régler la marche des trois autres corps. On savait Grouchy occupé à errer quelque part entre Gembloux et Wavre. Il n’était pas question de se laisser surprendre par ce fort détachement.

67

Aerts, p. 193. 68

Id., p. 196 et Houssaye, p. 284, citant : « Nostitz à Müffling, Wavre, 18 juin, 10 heures et demie du matin ‘Cité par von Ollech, 189) » (Note 1).

Page 38: La bataille de Plancenoit

38

Entre-temps, le 2ème corps de Pirch I a quitté Aisemont vers 12.00 hrs après avoir assisté au défilement du 4ème corps, qui dure environ trois heures et demie69. Comme ses ordres le lui prescrivent, le général Pirch marche à la suite du corps de Bülow. Il ne doit pas encore être très loin de Bierges quand résonne le feu de la grande batterie. La longueur de la colonne du 4ème corps (32 700 hommes) doit en effet être évaluée à environ 8 500 mètres. Ce qui signifie que, quand sa tête atteint Chapelle-Saint-Lambert, sa queue vient de quitter Bierges. Or, à 13.30 hrs, Gneisenau entend distinctement le canon de Mont-Saint-Jean et l’importance de ce feu ne laisse subsister aucun doute dans son esprit : Wellington est très réellement engagé… S’en suit la mise en marche du 1er corps de Zieten, de Bierges, à 14.00 hrs. Naturellement, il n’est absolument pas question de mettre Zieten à la suite des deux autres corps. Il faudrait attendre la fin du défilement du 2ème corps dont la queue ne quittera Bierges qu’aux environs de 17.00 hrs. Gneisenau fait donc prendre un autre chemin à Zieten : par Froidmont, Bourgeois, Renipont, Odrimont et Ohain. Traversée de la Lasne à Renipont. C’est donc tout à fait à tort que Logie s’aventure sur le terrain dangereux des spéculations quand il écrit :

« Le Ier corps, qui avait bivouaqué à Bierges, ne se remit en route que vers 14 heures. Il avait dû laisser défiler devant lui pendant deux heures, le IIe corps.70 »

Certes, le 1er corps a bivouaqué à Bierges, mais cela ne veut pas dire qu’il s’est tenu le long de la Dyle. L’espace entre la Dyle et le chemin vers Saint-Lambert n’est qu’un marécage. Les hommes ont donc, tout à fait raisonnablement, remonté les quelques mètres qui les séparaient des hauteurs où est situé le village de Bierges proprement dit, pour s’installer le plus confortablement possible, dégageant ipso facto le chemin par où passeront leurs camarades du 4ème corps. Ce n’est évidemment pas à la fin du défilement du 2ème corps– qui n’aura lieu que vers 17.00 hrs – que Zieten se met en route mais dès 14.00 hrs, lorsque le feu furieux de la grande batterie à Mont-Saint-Jean indique qu’une grande bataille y a lieu. Cette explication est tellement évidente que personne ne veut la

69

Le défilement d’une colonne se calcule en comptant une heure pour 10 000 hommes. 70

Logie in Waterloo 1815. L’Europe face à Napoléon, p. 104. A noter que la plupart des auteurs semblent penser la même chose, ce qui prouve paradoxalement de quel poids pèse l’avis de Clausewitz…

Page 39: La bataille de Plancenoit

39

donner71… Les auteurs se donnent un mal de chien pour donner des explications toutes plus embrouillées les unes que les autres à propos du départ qu’ils jugent tardif de Zieten. On parle du défilement du 2ème corps. Nous avons montré que les derniers éléments du 2ème corps quittèrent Bierges à 17.00 hrs. Si cette explication avait la moindre valeur, c’est donc à 17.00 hrs que Zieten se serait mis en route. Mais il le fait à 14.00 hrs ! D’autres – notamment Clausewitz72 – parlent aussi de routes où le 2ème corps aurait croisé le 1er, provoquant de la confusion. Cela ne tient évidemment pas debout : nous pouvons faire une confiance absolue à Gneisenau qui n’aurait pas commis une erreur qu’un mauvais élève de l’école de guerre ne commettrait pas. Les routes des 1er et 2ème corps sont tout à fait différentes et ne se croisent pas. Ces explications embrouillées proviennent manifestement de la confusion que font tous les auteurs entre le moulin de Bierges, le long de la Dyle sur le chemin du 2ème corps, et le village de Bierges, situé sur la hauteur à plus de 800 mètres et lieu de cantonnement du 1er corps73. En réalité, le 1er corps ne partit pas en retard mais exactement au moment où Gneisenau le lui ordonna. Et pourquoi ne le fit-il qu’à 14.00 hrs ? Mais parce que le tonnerre provoqué par la grande batterie à Mont-Saint-Jean le persuade enfin que Wellington est sérieusement engagé. Il est quand même fort étrange que les mêmes auteurs qui font naître une très vive discussion entre Grouchy et Gérard, sous prétexte que ce dernier, à Walhain-Saint-Paul, a entendu le canon de Mont-Saint-Jean, ne pensent même pas que Gneisenau a pu, lui aussi, l’entendre et même très bien, le vent portant aidant…. Donc, évidemment, c’est bien le fracas de la grande batterie qui fait mettre le corps de Zieten en route. La plupart des auteurs, quand ils se donnent la peine d’aborder le sujet, donnent un itinéraire différent que celui que nous avons décrit au cheminement du 1er corps : Bierges – Froidmont – Rixensart – Genval

71

Toutes choses qui, soit dit entre parenthèses, n’ont pu être observée par Clausewitz qui n’a jamais quitté Wavre sinon vers l’est et qui n’a, par conséquent, pas de notion de la physionomie du terrain à Bierges. 72

Cette erreur de Clausewitz est difficilement explicable et a troublé tous les auteurs. Après tout, Clausewitz n’était-il pas le chef d’état-major du 3

ème corps et n’était-il pas le nez au balcon pour

assister à ces mouvements ? Il faut croire que, se trouvant à ce moment au château de la Bawette, très occupé à rédiger ses ordres, Clausewitz n’a, en fait, rien vu de ces événements. 73

Nous ferions la même confusion si, par une connaissance superficielle, des lieux nous confondions le village de Bierges et la gare de Bierges.

Page 40: La bataille de Plancenoit

40

(où l’on franchit la Lasne) – Ohain. Ce trajet nous semble assez peu vraisemblable. Ce dont nous avons besoin, pour aborder ce problème, c’est de considérer les ponts. Que voyons-nous ?

Les ponts sur la Lasne

Pas de doute : il y a bien trois passages possibles de la Lasne : par Genval, par Renipont (quoique ce nom ne soit pas porté sur la carte de Ferraris) et par Lasne. Il faut exclure ce dernier pont : c’est par là que passeront les 4ème et 2ème corps74

. Genval nous paraît fort excentré par rapport à la marche de Zieten. Néanmoins, il ne faut pas perdre de vue que ce qui compte, c’est la rapidité. Zieten peut donc très bien diviser son corps en deux et en faire passer une partie par Genval et l’autre par Renipont ; les deux ponts sont en effet fort proches l’un de l’autre : guère plus de 1 300 mètres. Mais, dans tous les cas, il faut absolument exclure Rixensart de l’itinéraire : traverser ce village reviendrait à faire une

74

A noter que Siborne pense qu’une partie du 4e corps est passé par Renipont. C’est peu probable.

La tradition locale veut que des Prussiens aient passé la Lasne à Renipont mais il s’agit manifestement d’unités appartenant au 1

er corps.

Page 41: La bataille de Plancenoit

41

marche excentrique de quatre kilomètres totalement inutile puisqu’il n’existe pas de chemin entre Rixensart et Genval et qu’il faudrait redescendre vers Bourgeois d’ou divergent les chemins qui mènent aux deux ponts.

A quelle heure les Anglo-Alliés aperçurent-ils les Prussiens ?

Une autre question se pose, qui a fait couler des rivières d’encre : quand les Anglo-Alliés à Mont-Saint-Jean aperçoivent-ils les Prussiens ? Profitons de la halte de Bülow pour, à notre tour, marquer le pas un instant et tenter d’y voir clair. Houssaye, dans une petite note, écrit :

« Dans son Memorandum sur la bataille de Waterloo (Dispatches, XII, 528), prétend que l’avant-garde de la cavalerie de Bülow était sur le terrain, en avant d’Ohain, le 18 au point du jour. De même Damitz (II, 242-243) dit que le 18, de grand matin, un détachement du 2e hussards de Silésie vint reconnaître les défilés de la Lasne. Ce sont deux graves inexactitudes. L’aide de camp de Wellington, Hervey (lettre du 9 juillet 1815, dans le Nineteenth Century, mars 1893) dit que ce fut seulement entre 10 et 11 heures que l’on aperçut la cavalerie prussienne à deux lieues dans la direction d’Ohain. Nous savons, d’autre part, que le 2e hussards était encore le 18, à 4 heures du matin, à Dion-le-Mont et que l’avant-garde de Bülow dont il faisait partie n’arriva à Chapelle Saint-Lambert que vers 10 heures. Si, d’ailleurs, les défilés de la Lasne avaient été explorés par les hussards de grand matin, ces cavaliers n’auraient point rendu compte de leur mission à 2 heures seulement.75 »

Effectivement, quoique Houssaye se prenne les pieds dans ses réfé-rences76, Wellington écrit bien :

« The two allied armies communicated with each other troughout the night of the 17th june, and the cavalry of General Bülow’s Prussian corps of Marshal Prince Blücher’s army was on the ground, in front of Ohain, trough the defile between the positions of the two armies, at daylight on the morning of the 18th.77 ».

75

Houssaye, p. 366, note 1. 76

Le Mémorandum de Wellington se trouve dans les Supplementray Despatches, vol. X, p. 513 et sq. et non dans le volume XII des Despatches. 77

Wellington – Suppl. Despatches, X, p. 528.

Page 42: La bataille de Plancenoit

42

« Les deux armées alliées communiquèrent l’une avec l’autre durant toute la nuit du 17 juin et la cavalerie du corps prussien du général Bülow de l’armée du feld-maréchal prince Blücher, étaient sur le terrain, en face d’Ohain, de l’autre côté du défilé entre les positions des deux armées, au lever du jour le matin du 18. »

Remarquons que Wellington ne dit pas qu’on a vu les Prussiens devant Ohain mais qu’ils y étaient. Cependant, le duc enfonce le clou trois para-graphes plus loin :

« It has been stated and believed that the cavalry of Bülow’s corps was seen on the eights in front of Ohain, between the Allied army under the command of the Duke of Wellington and the defile leading to Wavre, at an early hour of the morning of the 18th.78 » « Il a été affirmé et admis que la cavalerie du corps de Bülow avait été vue sur les hauteurs en face d’Ohain, entre l’armée commandée par le duc de Wellington et le défilé conduisant à Wavre, tôt le matin du 18. »

Effectivement, si l’on s’en tient à la lettre de ce que dit Wellington, ce n’est pas très clair. Il n’en est pas moins vrai qu’au lever du jour ou peut-être même dès réception de ses ordres, soit vers minuit79, Bülow a envoyé des patrouilles sur le chemin qu’il aurait à suivre. Il était en effet capital de savoir si l’on risquait de rencontrer des troupes ennemies sur son trajet. Évidemment, on envoie ces reconnaissances par petits pelotons un peu dans toutes les directions. Rien d’étonnant donc, si l’on s’en tient à la simple vraisemblance, à ce que l’un de ces pelotons se soit montré du côté d’Ohain. A quelle heure ? Pour un petit groupe de cavaliers, même si les chemins ne sont pas très bons, parcourir une petite vingtaine de kilomètres en quatre heures n’a rien d’impossible. Logie écrit :

« Dès l’aube, Bülow avait fait reconnaître le terrain qu’il devait parcourir et ses vedettes étaient à Chapelle-Saint-Lambert dès huit heures, à Maransart à neuf heures, au bois Paris à dix heures80 »

Qu’en est-il exactement ?

78

Id., ibid. 79

Rappelons une fois de plus que le 18 juin, le soleil se lève à 03.48 hrs. Les premières lueurs éclaircissent le ciel dès 03.00 hrs. Des patrouilles d’observation peuvent donc commencer à faire leur travail dès cette heure. 80

Logie , Evitable défaite,, p. 164.

Page 43: La bataille de Plancenoit

43

Nous pouvons essayer de lire le compte rendu de Bülow entre les lignes : « Pour être relié d’une manière satisfaisante avec l’armée anglaise, il fallait franchir le défilé très peu commode de Saint-Lambert et de la Lasne ; mais ce mouvement ne pouvait s’exécuter avec sécurité que quand on se serait prémuni contre les tentatives présumées contre notre flanc gauche. J’envoyai donc immédiatement81 dans cette direction deux fortes reconnaissances de cavalerie du 2e hussards de Silésie, l’une sous les ordres du major von Witowsky vers Maransart, où elle trouva l’ennemi, l’autre sous les ordres du major von Falkenhausen, vers Céroux, d’où elle devait se mettre en liaison avec le détachement du lieutenant-colonel von Ledebur.82 »

Cet « immédiatement » peut laisser à penser que Bülow envoya ses reconnaissances dès qu’il a eu fini de rédiger les ordres destinés à son corps d’armée. La question est donc ici de savoir à quelle heure il les a rédigés… On sait que les ordres de Gneisenau ont été écrits à « 12 h. de la nuit ». Ils ont donc pu parvenir à Bülow entre 01.00 hrs et 02.00 hrs, si l’on est pessimiste. Or la première phrase de l’ordre de Bülow dit : « Le corps partira immédiatement… » Si l’on suit Hofschröer83, il apparaît que la 15e brigade reçut ses ordres à 02.00 hrs, la 16e à 03.00 hrs et la 14e à 04.00 hrs., c’est à dire exactement dans l’ordre où ces brigades auront à marcher. C’est donc bien vers 01.00 hrs que Bülow écrivit ses messages. Il est donc légitime de penser que les détachements furent programmés immédiatement après leur expédition, soit vers 02.00 hrs. Le temps d’arriver à leurs destinataires, les ordres de détachement durent donc commencer à recevoir exécution dès les premières lueurs, soit vers 03.00 hrs. Jacques Logie ne se trompe donc pas quand il écrit : « Dès l’aube, Bülow avait fait reconnaître le terrain qu’il devait parcourir… » mais il s’avance très dangereusement quand il continue : « … et ses vedettes étaient à Chapelle-Saint-Lambert dès huit heures, à Maransart à neuf heures, au bois Paris à dix heures.84 » Ce serait admettre qu’une reconnaissance prussienne a mis cinq heures pour parcourir les 15 km séparant Dion-le-Mont et Ohain, ce qui est fort long. Les patrouilles prussiennes, qui ne rencontrèrent rien sur leur chemin, n’ont pas dû mettre plus de trois heures trois quarts pour se

81

C’est nous qui soulignons. 82

Tondeur, etc., p. 51. 83

Cité par Tondeur, etc., p. 48. 84

Logie – Évitable défaite, p. 164.

Page 44: La bataille de Plancenoit

44

trouver sur les hauteurs de Ohain85. Il devait donc être 06.45 hrs au plus tard quand elles y parvinrent. Wellington exagère donc un peu quand il dit « au lever du jour », mais pas quand il dit « tôt le matin ». Oui, mais que faire alors du témoignage de Hervey quand il dit, selon Houssaye, que « ce fut seulement entre 10 et 11 heures que l’on aperçut la cavalerie prussienne à deux lieues dans la direction d’Ohain » ? En réalité, la citation est faussée, comme toujours quand « ça ne colle pas »... Hervey ne dit pas que l’on « aperçut la cavalerie prussienne » entre 10.00 et 11 hrs, mais que l’on entra en liaison avec une patrouille prussienne. Témoignage confirmé par le capitaine Taylor, du 10ème hussards britannique, en mission d’observation sur le flanc est de Wellington, qui dit qu’il parla avec des cavaliers prussiens sans d’ailleurs préciser l’heure de cette conversation86. Entre apercevoir quelqu’un à huit kilomètres de distance et lui faire un brin de causette, il y a plus qu’une nuance…

Müffling prend les choses en main

Revenons-en à Chapelle-Saint-Lambert, vers 13.00 hrs. Bülow, dont la colonne est à l’arrêt, est en conversation avec le commandant de sa cavalerie, le prince Guillaume, propre frère du roi de Prusse. Survient alors un aide de camp de Müffling… L’attaché prussien auprès de Wellington écrit de Mont-Saint-Jean. Dans ses Mémoires, il dit :

« J’écrivis sur une feuille de papier mon avis sur la marche de l’armée prussienne sous la forme d’une disposition envisageant le comportement des deux armées alliées, selon trois cas différents. Je présentai cette note au duc de Wellington. « Parfaitement d’accord ! » me dit-il, et mes dispositions ainsi approuvées, j’envoyai un aide de camp au feld-maréchal [Blücher] en ajoutant oralement que si deux corps de l’armée prussienne prenaient pied sur le plateau, selon moi, la bataille était gagnée. J’avais reçu avis, peu de temps avant d’envoyer mon aide de camp, que le général von Bülow, avec le 4ème corps, était en marche vers l’armée anglaise ; de ce fait, je chargeai mon aide de camp, quand il

85

Comme on verra, Marbot compte qu’une patrouille parcourt une lieue en une heure, soit 4 km/h. 86

Hamilton-Williams – Waterloo, New Perspectives. The great Battle reappraised – London, Armour & Arms, 1993,, p. 275 ; Adkin – The Waterloo Companion – London, Aurum Press, p. 380 ; H.T. Siborne – Waterloo Letters – London-Paris-Melbourne, Cassell & Cy, 1891, p. 169

Page 45: La bataille de Plancenoit

45

rencontrerait le général von Bülow de lui laisser lire la note destinée au feld-maréchal, de façon à ce que, quand, plus tard, je lui ferais savoir quel cas se présentait, il puisse comprendre immédiatement ce que cela signifiait.87 »

Adkin, très étrangement, semble penser que Müffling s’est rendu en personne auprès de Bülow88. En cela, il suit l’avis de Hofschröer89. Comme nous venons de le voir, il n’en est rien. C’est bien un de ses aides de camp qui vient porter son message à Chapelle-Saint-Lambert. A ce moment, nul ne sait exactement quelles sont les intentions de Napoléon. Müffling décrit donc le dispositif de Wellington et confirme que le duc a bien l’intention d’accepter la bataille. Trois hypothèses se présentent : ou les Français attaquent la droite de Wellington, et alors les Prussiens marcheront par Ohain pour venir le soutenir ; où ils attaquent son centre ou sa gauche et, dans ces deux cas, on avancera en direction de Plancenoit pour les enrouler. Dans le cas où les Français se retourneraient contre les Prussiens sur leur droite, le duc de Wellington s’en prendrait à leur flanc gauche ainsi exposé90. Mise à part cette dernière hypothèse – toujours envisageable à ce moment, puisque le combat n’est pas encore entamé – ces projets concordent avec les ordres de Blücher. Houssaye, qui, outre Hofschröer, Adkin et Aerts, est le seul à en parler, écrit à propos de cette concertation :

« Müffling assure qu’il soumit à Wellington dans la matinée et envoya vers midi et demi à Bülow une disposition d’attaque comprenant trois hypothèses : (…) L’original de cette disposition existe en effet aux Archives de la Guerre à Berlin…91 »

L’ennui, c’est que Müffling, dans son livre, ne donne aucune heure ni à sa conversation avec Wellington ni au départ de son aide de camp. Tout au plus situe-t-il l’envoi de son message après qu’il a fait le tour du champ de bataille avec le duc de Wellington et qu’il a constaté avec lui que Napoléon n’avait pris aucune précaution sur son flanc droit. Or la

87

Müffling – Aus meinem Leben, II – Berlin,E.S. Mittler u. Sohn, 1851, p. 241. 88

Adkin, p. 380. 89

Cité par Tondeur, etc., p. 55. 90

Si les Prussiens, par leurs reconnaissances, savent qu’aucun détachement français sérieux n’a été fait dans leur direction, il n’en est pas de même de Wellington et de Müffling qui ne peuvent évidemment pas se douter que Napoléon a commis la faute capitale de ne pas éclairer sa droite. 91

Houssaye, p. 366, note 2.

Page 46: La bataille de Plancenoit

46

visite du champ de bataille que fait Wellington se présente beaucoup plus tôt : vers 08.00 hrs ou 09.00 hrs. Certes, les troupes françaises n’étaient pas encore en place, mais il était facile de voir, dès ce moment et d’après le mouvement général des troupes que Napoléon ne prenait aucune précaution sur sa droite. Pourquoi Houssaye veut-il que Müffling ait envoyé sa note vers 12.30 hrs ? Sans doute pour faire coïncider l’arrivée de ce message avec celle de Bülow qu’Houssaye situe vers 13.00 hrs. Mais il est plus que douteux que Bülow ne soit arrivé en personne qu’à 13.00 hrs à Chapelle-Saint-Lambert. Si la tête de colonne de son gros arrive effectivement à cette heure-là, rappelons-nous que l’avant-garde – toute une division, quand même – est déjà là depuis 10.00 hrs92. Il serait très surprenant que Bülow et son état-major n’aient pas, à la sortie de Wavre, piqué des deux pour rejoindre leur avant-garde. D’ailleurs – ce qui tranche définitivement la question – dans son ordre donné durant la nuit et que nous avons cité, Bülow a eu soin de préciser qu’il marcherait avec l’avant-garde. Il ne fait aucun doute qu’il était à Chapelle-Saint-Lambert longtemps avant midi. Vers 13.15 hrs, apparaît Blücher lui-même. Parti de Wavre vers 11.00 hrs, il a remonté toute la colonne de Bülow pour venir se rendre compte par lui-même de ce qui se passait. A peu près à la même heure, survient le comte Nostitz qui était parti en reconnaissance dès le petit matin et qui a traversé les défilés de la Lasne et poussé jusqu’à Maransart. Le rapport est vite fait : pas un ennemi en vue !… Dès qu’il reçoit cette information, Blücher donne à Bülow l’ordre de continuer sa marche et, suivi de son état-major, se met en route pour se rendre compte par lui-même et descend traverser la Lasne pour remonter jusqu’au bois de Paris et là, bifurquer vers Fichermont, d’où il aura un point de vue splendide sur le champ de bataille. A peu près au même moment, à 13.30 hrs, le tonnerre se déchaîne : la grande batterie a ouvert le feu93. Blücher hâte le pas et doit arriver en vue

92

Encore suivons-nous l’heure donnée par Bülow lui-même. Le journal de la 15e brigade qui formait

l’avant-garde donne 09.00 hrs, Damitz et Aerts disent 11.00 hrs et van Löben-Sels et Charras disent même midi. Mais ces auteurs semblent confondre l’avant-garde avec le gros. La tradition populaire, rapportée par Tarlier et Wauters, dit que les Prussiens arrivèrent à Chapelle au moment où finissait la messe. Malheureusement, cette tradition, si elle est exacte, néglige de nous dire à quelle heure se célébrait la messe à Chapelle-Saint-Lambert et combien de temps elle durait… 93

L’ordre de poursuivre sa progression a-t-il été donné à Bülow suite à l’entrée en action de la grande batterie, ou suite aux rapports des reconnaissances de cavalerie, ou suite aux deux, il est impossible de le dire. Mais il est certain que les trois événements coïncident à peu près dans le temps.

Page 47: La bataille de Plancenoit

47

du champ de bataille à peu près au moment où le 1er corps de Drouet d’Erlon monte à l’assaut de la ligne anglo-alliée. Le comte Nostitz décrit Blücher à ce moment :

« Le prince, avec son œil de faucon, inspecta l’ensemble du champ de bataille, vit clairement dans quel sens allait le combat, et porta une attention particulière aux dispositions des batteries anglaises.94 »

Après avoir ainsi pris connaissance de la situation, Blücher remonte à Chapelle-Saint-Lambert. Le corps de Bülow s’était donc remis en marche et ses brigades de tête avaient entamé la difficile traversée de la vallée de la Lasne. Le feld-maréchal se mit à jouer les mouches du coche le long de la colonne :

« Il mit aussitôt [dès la réception du rapport de Nostitz] ses troupes en mouvement dans la direction de Plancenoit. Son objectif était de déborder la droite de l’armée impériale. La marche fut lente et rude. Quand on suit le chemin raviné qui descend de Chapelle-Saint-Lambert, traverse à Lasne le ruisseau de ce nom et remonte la côte, non moins abrupte, de l’autre colline, on s’étonne même que l’artillerie prussienne ait pu franchir ce défilé. Il fallait la volonté de Blücher. Il était partout, ranimant ses soldats exténués de fatigue et de faim (en marche dès cinq heures du matin, ils n’avaient point mangé depuis la veille), leur prodiguant les encouragements, les appels au devoir, les mots familiers et plaisants. « — Allons, camarades, disait-il à des canonniers qui poussaient aux roues d’une pièce embourbée, vous ne voudriez pas me faire manquer à ma parole ! »95 »

Un fait n’est pas douteux : le chemin est difficile et escarpé et la pluie qui a sévi la veille et durant toute la nuit n’a pas arrangé leur état. Winand Aerts le décrit :

« Un mauvais chemin de terre traversait le village de Saint-Lambert d’où il tombait brusquement dans le vallon par une pente très rapide. Ce chemin remontait ensuite vers le hameau de Culot, redescendait une seconde fois sur Lasne où il traversait le ruisseau,

94

Nostitz – Tagebuch des General der Kavallerie Grafen von Nostitz - Berlin, 1884-5 , p. 40, cité par Hamilton-Williams, p. 318 95

Houssaye, pp. 366-367.

Page 48: La bataille de Plancenoit

48

sur un pont maçonné et remontait enfin vers le bois de Paris. Partout les pentes étaient si rapides que les habitants avaient placé de distance en distance, en travers des chemins, des troncs d’arbres, espèces d’escaliers qui servaient de point d’appui ou de repos aux voitures.96 »

Conduire des pièces de 6 livres à travers ces chemins n’a certainement pas dû être facile et a certainement nécessité l’aide de nombreux fantassins « poussant aux roues ». Que dire alors des vingt-quatre pièces de 12 que comptait la réserve d’artillerie du 4ème corps ? Cependant, il ne faut pas exagérer. Contrairement à ce que dit Houssaye, le 4ème corps n’était pas épuisé : le 15, il avait marché de Liège à Hannut, le 16 il était parti de Hannut pour s’arrêter à Baudecet (à 5 km au nord de Gembloux). Le 17, il avait marché de Baudecet vers Wavre. De Hannut à Baudecet, il n’y a guère plus de 30 km ; de Baudecet à Wavre, pas plus de 25… Il bivouaque à Dion-le-Mont où il est arrivé fort tôt, du fait de sa courte marche97 et où il est ravitaillé. Ajoutons que, suivant l’ordre donné par Bülow, on a même dû un peu surcharger les hommes en nourriture, puisque le charroi n’accompagne pas le corps mais a pris la direction de Louvain. D’ailleurs, si Gneisenau fait marcher le 4ème corps en tête, le 18 au matin, c’est bien parce que ces hommes sont frais et nullement fatigué. Qu’est-ce qu’une marche de 30 km par jour, pour des hommes de troupes en 1815 ! Malgré les conditions difficiles de sa progression, le 4ème corps s’en sortit très bien : « L’admirable discipline des troupes prussiennes, leur endurance, vinrent à bout de toutes les difficultés. » écrit Aerts qui prend soin d’ajouter : « A Lasne, pas une maison ne fut pillée ni même visitée, pas un soldat ne s’éloigna de plus de cinquante pas de la colonne.98 » Admirable précision qui en dit long sur les habitudes de la soldatesque de l’époque… Cependant, tout cela n’accéléra pas la marche et ce n’est que peu avant 16.00 hrs que les premiers échelons du 4ème corps prirent pied sur le plateau recouvert à l’époque par le bois de Paris. Durant cette progression, vers 15.30 hrs, le 2e régiment de hussards n° 6 de Silésie 96

Aerts, p. 210. 97

Sauf peut-être la 13e brigade qui ne fut cantonnée le 17 que vers minuit et ne dut être ravitaillée que

le lendemain matin. Mais elle marche vers Chapelle-Saint-Lambert en troisième position et ne dut donc quitter Dion-le-Mont que vers 06.00 hrs. 98

Aerts, p. 211. Aerts publia son ouvrage en 1908. Nous serions très curieux de savoir ce qu’il aurait écrit après 1914…

Page 49: La bataille de Plancenoit

49

s’était heurté, en remontant de Lasne, au 7ème hussards français (sous Marbot) appuyé par une batterie d’artillerie à cheval99. S’en suivit ce que les auteurs appellent une « forte escarmouche »… Le commandant de la 1ère brigade prussienne dont dépendaient les hussards de Silésie, le colonel comte von Schwerin, qui marchait à la tête de ses hommes fut tué par un éclat de mitraille. C’est au malheureux comte von Schwerin que revient ainsi le redoutable honneur d’être le premier Prussien à être tombé à l’ennemi lors de la bataille de Waterloo. C’est peut-être aussi le premier combattant à avoir été enterré puisque ses hommes lui creusèrent hâtivement une tombe peu profonde et y déposèrent son cadavre. Deux ans plus tard, sa famille fit rechercher ses restes que l’on retrouva grâce, dit-on, aux indications d’une vachère. On les réinhuma sous le monument que l’on peut voir de nos jours et qui porte comme inscription : « Wilhelm, Graf von Schwerin, Koenigh Preus Obrist und Ritter. Ge-fallen, dem Siege am Juni 1815, In des fremde fûr die Heimath. » La veuve du comte offrit en souvenir de lui deux cloches et des ornements à l’église de Lasne. La résistance des Français ne dura pas très longtemps : ils tournèrent bride et laissèrent le bois de Paris aux Prussiens. Marbot a beau essayer de nous faire croire qu’il rejeta « deux fois dans le défilé les hussards et les lanciers qui formaient l’avant-garde de troupes avançant très lentement » et qu’il « cherchait à gagner du temps, en maintenant le plus possible l’ennemi qui ne pouvait déboucher que très difficilement des chemins creux et bourbeux dans lesquels il s’était engagé100 », nous devons bien constater que cette résistance fut fort brève, puisque Schwerin tomba à 15.30 hrs et que les Prussiens pénétrèrent dans le bois de Paris à 16.00 hrs pour en déboucher à 16.30 hrs…

99

Trois pièces, en fait, d’après Marbot lui-même. 100

Marbot – Mémoires, p. 406. Aerts, p. 235.

Page 50: La bataille de Plancenoit

50

Le monument Schwerin

Les brigades Losthin et Hiller occupèrent immédiatement le bois de la lisière duquel on pouvait voir les masses de cavalerie françaises s’attaquer aux lignes anglo-alliées. Blücher put ainsi s’assurer, s’il avait encore le moindre doute, que Wellington était effectivement fortement engagé. Il n’y avait plus un instant à perdre pour lui venir en aide. A 16.30 hrs, sans attendre que l’ensemble du 4ème corps soit réuni – les brigades Hake et Ryssel en était toujours à franchir les défilés de la Lasne – les deux brigades qui occupaient le bois reçurent l’ordre d’en sortir pour se diriger vers Plancenoit. A cet instant, le 2ème corps qui suivait Bülow atteignait Chapelle-Saint-Lambert, la brigade Tippelskirch en tête, suivi par celles de Krafft, de Brause et enfin de Bose dont l’arrière-garde venait seulement de quitter Neuf-Cabaret. De son côté, la tête du 1er corps de Zieten atteignait Froidmont. Rappelons, pour être complet que le 3ème corps de Thielemann, avait reçu ordre de rester à Wavre afin de protéger le passage de la Dyle contre les divisions de Grouchy. Il fit si bien que le maréchal crut avoir toute l’armée prussienne devant lui et que les mouvements des 4ème, 2ème et 1er corps prussiens lui échappèrent complètement.

Page 51: La bataille de Plancenoit

51

Page 52: La bataille de Plancenoit

52

éactions françaises Revenons du côté français. Les auteurs nous disent que Napoléon aperçut les Prussiens entre 13.00 et 13.30 hrs et que c’est donc à ce moment que Napoléon expédia la cavalerie de

Domon et Subervie ainsi que le 6ème corps de Lobau vers son flanc droit. C’est, du moins, ce que racontent tous les auteurs. Mais, de la coupe aux lèvres… On se souvient qu’à 10.00 hrs, l’empereur avait fait écrire à Grouchy :

« L’Empereur me charge de vous prévenir qu’en ce moment Sa Majesté va faire attaquer l’armée anglaise qui a pris position à Waterloo, près de la forêt de Soignes. Ainsi Sa Majesté désire que vous dirigiez vos mouvements sur Wavre, afin de vous rapprocher de nous, vous mettre en rapport d’opération et lier les communications, poussant devant vous les corps de l’armée prussienne qui ont pris cette direction et qui auraient pu s’arrêter à Wavre où vous devez arriver le plus tôt possible. Vous ferez suivre les colonnes ennemies qui ont pris sur votre droite par quelques corps légers, afin d’observer leurs mouvements et ramasser leurs traînards Instruisez-moi immédiatement de vos dispositions et de votre marche ainsi que des nouvelles que vous avez sur les ennemis ; et ne négligez pas de lier vos communications avec nous ; l’Empereur désire avoir très souvent de vos nouvelles.101 »

Cette dépêche qui d’après le colonel Zenowicz, chargé de la porter, ne partit pas du Caillou avant 11.00 hrs, mit un temps considérable à arriver chez Grouchy. Cela est évidemment dû au fait que ni Napoléon, ni Soult, ni moins encore Zenowicz ne savaient où se trouvait Grouchy. Le colonel eut donc à remonter jusqu’aux Quatre-Bras pour prendre la chaussée de Namur jusqu’à Sombreffe, puis Gembloux, passer par Walhain, Corbais et rejoindre enfin le maréchal entre Limelette et Wavre. 45 kilomètres ! Ce n’est donc que vers 16.00 hrs, au plus tôt, que le maréchal put en prendre connaissance102. A vrai dire, en lisant cet ordre, on est un peu perplexe. L’empereur y ordonne positivement de suivre les Prussiens à Wavre. Pas question

101

Soult à Grouchy , « En avant de la ferme du Caillou, 18 juin, dix heures du matin ». Cité par Aerts, p. 228. 102

Nous disons « au plus tôt » parce que Grouchy dira successivement qu’il a reçu cette lettre à 16.00 hrs, puis entre 18.00 et 19.00 hrs et enfin, vers 19.00 hrs. La question n’a que peu d’importance pour notre propos actuel. Voir Grouchy, c’était Blücher, dans la même collection.

R

Page 53: La bataille de Plancenoit

53

donc de venir le rejoindre à Mont-Saint-Jean ! Et s’il insiste tellement sur le fait de lier les communications, c’est qu’il est bien conscient du fait qu’elles sont mauvaises et trop longues. Or que nous raconte Marbot dans une lettre qu’il adresse en 1830 au maréchal Grouchy ? « Le 7e de hussards, dont j’étais colonel, faisait partie de la division de cavalerie légère attachée au 1er corps, formant le 18 juin, la droite de la portion de l’armée que l’Empereur commandait en personne. Au commencement de l’action, vers onze heures du matin, je fus détaché de la division avec mon régiment et un bataillon d’infanterie placé sous mon commandement. Ces troupes furent mises en potence à l’extrême droite, derrière Frichemont, faisant face à la Dyle.

« Des instructions particulières me furent données, de la part de l’Empereur, par son aide de camp Labédoyère et un officier d’ordonnance dont je n’ai pas retenu le nom. Elles prescrivaient de laisser le gros de ma troupe toujours en vue du champ de bataille, de porter 200 fantassins dans le bois de Frichemont103, un escadron à Lasne, poussant des postes jusque Saint-Lambert ; un autre escadron moitié à Couture, moitié à Beaumont, envoyant des reconnaissances jusque sur la Dyle, aux ponts de Moustier104 et d’Ottignies. Les commandants de ces divers détachements devaient laisser de quart de lieue en quart de lieue des petits postes à cheval, formant une chaîne continue jusque sur le champ de bataille, afin que par le moyen de hussards allant au galop d’un poste à l’autre, les officiers en reconnaissance puisse me prévenir rapidement de leur jonction avec l’avant-garde des troupes du maréchal Grouchy, qui devaient arriver du côté de la Dyle. Il m’était en effet ordonné d’envoyer directement à l’Empereur les avis que me transmettraient ces reconnaissance. Je fis exécuter l’ordre qui m’était donné.105 »

Merveilleux ! Si seulement Napoléon avait pensé à organiser ses liaisons avec autant de soin que mit Marbot à les mettre en place, il se fût épargné bien des soucis… Retenons pour l’instant que la mission de Marbot lui a été confiée à 11.00 hrs et qu’elle n’a aucun autre but que de

103

Entendons : le bois de Paris. 104

Comprenons : Mousty. 105

Marbot – Mémoires, p. 405

Page 54: La bataille de Plancenoit

54

surveiller l’arrivée de Grouchy. Il n’est pas question des Prussiens. Poursuivons notre lecture : « Il me serait impossible, après un laps de temps de quinze années, de fixer au juste l’heure à laquelle le détachement dirigé vers Moustier parvint à ce point, d’autant plus que le capitaine Eloy, qui le commandait, avait reçu de moi l’injonction de s’éclairer au loin et de marcher avec la plus grande circonspection. Mais en remarquant qu’il partit à onze heures du champ de bataille, et n’avait pas plus de deux lieues à parcourir, on doit présumer qu’il les fit en deux heures106, ce qui fixerait son arrivée à Moustier à une heure de l’après-midi. Un billet du capitaine Eloy, que me transmirent promptement les postes intermédiaires, m’apprit qu’il n’avait trouvé aucune troupe à Moustier, non plus qu’à Ottignies, et que les habitants assuraient que les Français laissés sur la rive droite de la Dyle passaient la rivière à Limal, Limelette et Wavre. « J’envoyai ce billet à l’Empereur par le capitaine Kouhn, faisant fonction d’adjudant-major. Il revint accompagné d’un officier d’ordonnance, lequel me dit de la part de l’Empereur de laisser la ligne des postes établie sur Moustier, et de prescrire à l’officier qui éclairait le défile de Saint-Lambert de le passer, en poussant le plus loin possible dans les directions de Limal, Limelette et Wavre. Je transmis cet ordre, et envoyai même ma carte au chef du détachement de Lasne et Saint-Lambert.

« Un de mes pelotons, s’étant avancé à un quart de lieue au-delà de Saint-Lambert, rencontra un peloton de hussards prussiens, auquel il prit plusieurs hommes, dont un officier. Je prévins l’Empereur de cette étrange capture, et lui envoyai les prisonniers.

« Informé par ceux-ci qu’ils étaient suivis par une grande partie de l’armée prussienne, je me portai avec un escadron de renfort sur Saint-Lambert. J’envoyai un officier à toute bride en prévenir l’Empereur, qui me fit répondre d’avancer hardiment, que cette troupe ne pouvait être que le corps du maréchal Grouchy venant de Limal et poussant devant lui quelques Prussiens égarés, dont faisaient partie les prisonniers que j’avais faits.

« J’eus bientôt la certitude du contraire. La tête de la colonne prussienne approchait, quoique très lentement. Je rejetai deux fois

106

Cette indication est précieuse : ainsi donc, d’après Marbot, une patrouille de cavalerie française « battant l’estrade » parcourt une lieue en une heure, soit à une vitesse de 4 km/h.

Page 55: La bataille de Plancenoit

55

dans le défilé les hussards et lanciers qui la précédaient. Je cherchais à gagner du temps en maintenant le plus possible les ennemis, qui ne pouvaient déboucher que très difficilement des chemins creux et bourbeux dans lesquels ils étaient engagés ; et lorsque enfin, contraint par des forces supérieures, je battais en retraite, l’adjudant-major, auquel j’avais ordonné d’aller informer l’Empereur de l’arrivée positive des Prussiens devant Saint-Lambert, revint en me disant que l’Empereur prescrivait de prévenir de cet événement la tête de colonne du maréchal Grouchy, qui devait déboucher en ce moment par les ponts de Moustier et d’Ottignies, puisqu’elle ne venait pas par Limal et Limelette.107 »

Nous avons dit ce qu’il fallait penser du combat retardateur de Marbot à la sortie de Lasne ; ce qu’il nous faut retenir ici, c’est l’extraordinaire obsession de Napoléon. Alors qu’il sait que Grouchy ne peut pas arriver sur sa droite, puisqu’il vient encore de lui ordonner de marcher sur Wavre, il persiste à croire – ou à faire croire – que le maréchal est en marche vers lui. Et quand il reçoit l’avis positif de l’arrivée des Prussiens à Lasne, il continue à croire – ou à faire croire – que Grouchy les suit de près puisqu’il charge Marbot d’entrer en contact avec lui… Poursuivons : « J’écrivis à cet effet au capitaine Eloy ; mais celui-ci, ayant vainement attendu sans voir paraître aucune troupe, et entendant le canon vers Saint-Lambert, craignit d’être coupé. Il se replia donc successivement sur ses petits postes, et rejoignit le gros du régiment resté en vue du champ de bataille, à peu près au même instant que les escadrons qui revenaient de Saint-Lambert et Lasne, poussés par l’ennemi.

« Le combat terrible que soutinrent alors derrière les bois de Frichemont les troupes que je commandais et celles qui vinrent les appuyer, absorba trop mon esprit pour que je puisse spécifier exactement l’heure ; mais je pense qu’il pouvait être à peu près sept heures du soir ; et comme le capitaine Eloy se replia au trot et ne dut pas mettre plus d’une heure à revenir, j’estime que ce sera vers six heures qu’il aura quitté le pont de Moustier, sur lequel il sera, par conséquent, resté cinq heures. Il est donc bien surprenant qu’il

107

Id., pp. 405-407.

Page 56: La bataille de Plancenoit

56

n’ait pas vu votre aide de camp, à moins que celui-ci ne se soit trompé sur le nom du lieu où il aura abordé la Dyle.108 »

C’est le général Marbot lui-même qui tire la conclusion de tout ceci : « Des faits que je viens de raconter est résulté pour moi la conviction que l’Empereur attendait sur le champ de bataille de Waterloo le corps du maréchal Grouchy. Mais sur quoi cet espoir était-il fondé ? C’est ce que j’ignore, et je ne me permettrai pas de juger, me bornant à la narration de ce que j’ai vu.109 »

Il n’empêche, on sent bien que l’incompréhension de Marbot n’est pas suscitée par l’admiration. Dans une lettre adressée à sa femme, le 26 juin 1815, il est encore bien plus clair :

« Je ne reviens pas de notre défaite !… On nous a fait manœuvrer comme des citrouilles. J’ai été avec mon régiment, flanqueur de droite de l’armée pendant presque toute la bataille. On m’assurait que le maréchal Grouchy allait arriver sur ce point, qui n’était gardé que par mon régiment, trois pièces de canon et un bataillon d’infanterie légère, ce qui était trop faible. Au lieu du maréchal Grouchy, c’est le corps de Blücher qui a débouché !… Jugez de la manière dont nous avons été arrangés !…110 »

Mais en relisant attentivement l’ordre que donne Napoléon à Grouchy à 10.00 hrs, il nous est possible de comprendre ce qui se passe dans son esprit. En substance, il ordonne à Grouchy d’occuper Wavre le plus tôt possible. Il ajoute :

« Vous ferez suivre les colonnes ennemies qui ont pris sur votre droite par quelques corps légers, afin d’observer leurs mouvements et ramasser leurs traînards. »

Ainsi donc, l’intention de Napoléon est de placer Grouchy à Wavre, entre les Prussiens et lui. Les colonnes ennemies qui ont pris sur la droite de Grouchy ne sont, dans son esprit, rien d’autre qu’une partie de l’armée de Blücher en retraite vers Louvain. Il est donc toujours persuadé que l’armée prussienne est en pleine retraite sur ses bases – sinon en déroute – et qu’il n’est pas utile de distraire plus que quelques « corps légers » pour observer cette retraite.

108

Id., p. 407-408. 109

Id., p. 408. 110

Id., p. 403.

Page 57: La bataille de Plancenoit

57

A un certain moment, Napoléon apprend que des mouvements de troupes ont lieu sur sa droite. Comme on est dans le vague absolu et que l’on ne veut pas croire qu’il s’agisse de Prussiens, on charge un aide de camp de l’empereur, le général baron Bernard, de se porter vers Saint-Lambert avec quelques cavaliers afin d’aller y voir ce qui se passe exactement. En même temps, les généraux Domon et Subervie reçoivent mission de se diriger vers la droite, d’occuper tous les débouchés et de se lier avec les têtes de colonne de Grouchy dès qu’elles apparaîtraient.

« Les deux divisions firent un ’’à droite par quatre’’ (elles étaient en réserve au centre) et allèrent s’établir à quelque distance du bois de Paris, mais leurs éclaireurs, fournis par la division Domon, se bornèrent à observer les débouchés du bois.111 »

Le général Bernard

Se situe ici un autre épisode assez curieux. C’est van Löben-Sels qui attache le grelot :

« Il est encore douteux quand l’incertitude de Napoléon a cessé. Toutefois une communication écrite et très remarquable, que nous avons reçue sur cette campagne, contient plusieurs détails intéressants et entre autres celui-ci : que le général Bernard, aide-de-camp de l’Empereur, d’après ses propres rapports, a recueilli et rapporté les premières nouvelles sur l’arrivée des Prussiens. S’étant rendu sur les ordres de Napoléon à l’extrême droite pour s’informer qu’il n’y avait point d’indice de la marche de Grouchy, ce général vint auprès d’une ligne de tirailleurs, placée à cette aile et qui n’avait point d’ennemis devant elle. Les officiers, qui y étaient en observation, apprirent au général Bernard qu’à la vérité ils virent s’avancer une colonne, devancée par une ligne de tirailleurs, mais qu’ils se voyaient dans l’impossibilité de la reconnaître. Mais sentant toute l’importance d’en être assuré, le général Bernard sut si bien profiter des accidents du terrain qu’il put s’avancer pour sa personne et que, caché derrière quelques broussailles, il put distinctement observer les tirailleurs, et les reconnut à la coiffure prussienne.112 »

111

Aerts, p. 232. 112

Löben-Sels - Précis de la Campagne de 1815 dans les Pays-Bas – La Haye, chez les héritiers Doorman, 1849, p. 288.

Page 58: La bataille de Plancenoit

58

L’aventure du général Bernard, quoique généralement ignorée par les auteurs, n’est pas une fantaisie. Nous en trouvons confirmation chez le colonel prince de La Tour d’Auvergne :

« Après avoir galopé vers Chapelle-Saint-Lambert, le général Bernard avait mis pied à terre non loin du ruisseau de Lasne, pour s’approcher davantage, en se couvrant des bois et des haies. Il avait parfaitement vu une ligne de tirailleurs sortant du vallon, dans la direction de Planchenoit ; c’était de l’infanterie prussienne. Il revint en toute hâte auprès de l’Empereur lui faire part de cette découverte.113»

Selon La Tour, c’est seulement un quart d’heure après le retour de Bernard que se situe l’épisode du hussard « fort intelligent ». Et c’est ce qui est le plus vraisemblable… En effet, il n’y a avait pas besoin d’envoyer un officier technicien du génie auquel Napoléon était fort attaché – Bernard était son aide de camp depuis 1809 – si l’on connaissait déjà par ailleurs la réalité des choses. Löben-Sels affirme que c’est suite au rapport fait par le général Bernard que Napoléon prit la décision de faire faire mouvement au 6e corps. Or nous savons que le 6e corps est déjà, à ce moment, sur la droite du dispositif. Donc Löben-Sels veut parler de la conversion d’un quart de tour vers la droite que font les 7 500 hommes du général Lobau et les cavaliers des divisions Domon et Subervie. Cette conversion s’opère entre 16.00 hrs et 16.30 hrs et ce n’est pas Napoléon qui l’ordonne, quoi qu’il en dise, mais bien Lobau lui-même. Tout cela mis ensemble semble indiquer que Bernard n’est revenu de son équipée que vers 17.00 hrs. Löben-Sels nous raconte ce retour :

« Le général Bernard se hâta de revenir près de l’empereur, qu’il trouva ayant mis pied à terre et se promenant seul, les mains derrière le dos, devant sa suite. Le général ôtant son chapeau se promena près de l’empereur qui, l’ayant aperçu, lui demanda à voix basse : – « Quelles nouvelles, général ? ? – De mauvaises, Sire. – Ce sont les Prussiens, n’est-ce pas ? – Oui, Sire, je les ai reconnus. – Je m’en doutais. Hé bien, messieurs, continua Napoléon, en se tournant vers sa suite, ça va bien, voilà Grouchy qui nous arrive ! »

113

Lieutenant-colonel prince Edouard de La Tour d’Auvergne – Waterloo ; étude de la campagne de 1815 – Paris, Plon, 1870, p. 268.

Page 59: La bataille de Plancenoit

59

Il appela pourtant un autre aide de camp auquel il dit la vérité et qu’il dépêcha vers le comte de Lobau avec l’ordre d’opérer un changement de front sur la droite avec le 6e corps (qui était également en réserve au centre) et d’aller occuper derrière la cavalerie une bonne position intermédiaire où il pourrait contenir les Prussiens.114 »

C’est donc vers 17.00 hrs seulement que Napoléon a enfin la certitude qu’un corps prussien est sur le point de l’attaquer. Si ce que l’auteur néerlandais écrit est exact, nous avons assisté à la manifestation typique d’un trait de caractère de l’empereur : sa mauvaise foi. Devant sa suite, il refuse d’avouer que, le 16 au soir, il s’est complètement trompé et que, depuis, il a persisté avec obstination dans son erreur malgré tous les signes qu’il recevait. C’est cette mauvaise foi qui transparaît dans les Mémoires et c’est cette mauvaise foi qui, par leur biais, déborde jusque dans l’ouvrage de Thiers. D’ores et déjà, nous savons qui va porter le chapeau… Résumons-nous à ce stade : Avant 09.00 hrs, Napoléon reçoit un ou plusieurs rapports faisant état de la présence de Prussiens sur sa droite. C’est ce qui motive sa lettre à Grouchy datée de 10.00 hrs : « Cependant, des rapports disent qu’une troisième colonne qui était assez forte a passé par Gery et Gentines se dirigeant sur Wâvres. » Quels sont ces Prussiens ? Nulle part, nous n’avons trouvé de traces de reconnaissances faites sur sa droite par l’armée impériale en marche vers Mont-Saint-Jean. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y en a pas eu. Et même, cela tendrait à prouver qu’il y en a eu : c’est de la routine pure et il n’est pas nécessaire d’y insister. Ce ne serait pas la peine de disposer de huit régiments de chasseurs à cheval si l’on ne respecte même pas la routine qui consiste à explorer les flancs d’une armée en marche. Nous savons d’ailleurs que la patrouille de von Witowski aperçoit des Français du côté de Maransart et celle de Falkenhausen vers Céroux ou Mousty. Or, parmi les missions dévolues aux patrouilles de reconnaissance figure en bonne place celle de se renseigner auprès de la population. Le mouvement d’une colonne prussienne de deux corps d’armée n’est évidemment pas passée inaperçue. Il est totalement exclu qu’aucune patrouille de cavalerie opérant avec l’aile gauche de l’armée du Nord ait

114

Löben-Sels, p. 288, note 1.

Page 60: La bataille de Plancenoit

60

poussé des reconnaissances jusqu’à Gentinnes ou Saint-Géry, c'est-à-dire au-delà de la Dyle.. Dès lors, ces renseignements ne peuvent être que le fruit de la rumeur. Par ailleurs, nous savons aussi que le major Ledebur occupe toujours sa position isolée à Mont-Saint-Guibert. Selon lui, tout resta calme jusqu’à 09.00 hrs : « A ce moment, mes avant-postes commencèrent à signaler qu’ils observaient des cavaliers ennemis isolés. » Ces cavaliers viennent-ils de Gembloux, où se trouve toujours Grouchy, ou de l’aile gauche française ? Mystère. Mais rien ne s’oppose à ce que des cavaliers aient patrouillé en petits pelotons dans l’après-midi et la soirée du 17 ainsi qu’au petit matin du 18 sur la droite de l’aile gauche, peut-être même au-delà de la Dyle. Ce seraient les trois cents chasseurs dont parle Napoléon. Au même moment, Grouchy envoie bien des reconnaissances jusqu’à Thorembais !... Quoi qu’il en soit, les rapports reçus par Napoléon à propos de la troisième colonne prussienne ne peuvent provenir que d’une ou de plusieurs de ces patrouilles et des rumeurs qu’elles ont entendues. Ainsi donc, à ce moment, Napoléon n’ignore pas que des Prussiens ont été observés mais cela ne présente aucun caractère alarmant, bien au contraire : ces Prussiens, dont il ignore la force, en marchant par Gentinnes vers Wavre, s’éloignent de lui. Il voit donc confirmer la certitude qu’il a acquise dans la matinée du 17 juin : les Prussiens sont hors-jeu et regagnent leurs bases d’opération sur la Meuse. D’autres avis viennent certainement informer l’état-major impérial que l’on observe des mouvements de troupe sur la droite. Napoléon ne s’en inquiète guère. Ces troupes ne peuvent être que celles de Grouchy. Pourquoi ? Il ne faut pas perdre de vue les aventures vécues par le 1er corps de Drouet dans la journée du 16 juin. La similitude des deux situations n’a pourtant frappé personne parmi les auteurs. Le 16 juin, Napoléon s’apprêtait à donner à la garde l’ordre de s’emparer de Ligny quand, de sa gauche, lui vint l’avis qu’une forte colonne approchait sans qu’on puisse l’identifier. Il s’agissait des quatre divisions de Drouet d’Erlon qui répondaient à l’ordre – la fameuse « note au crayon » – de venir joindre la gauche de l’empereur. Mais la position et la direction de cette colonne ne correspondant pas à ce qu’attendait Napoléon, il fit arrêter la garde en attendant d’être mieux informé sur l’identité exacte de ces troupes. Il

Page 61: La bataille de Plancenoit

61

était en droit de craindre qu’il ne s’agît d’un détachement anglo-allié venu au secours de Blücher. La situation étant très similaire, le 18 juin, Napoléon, échaudé par la mésaventure de Drouet et persuadé que Blücher est hors-jeu, rendu un peu perplexe par l’apparition de cette colonne sur sa droite peut très bien s’être convaincu qu’il ne pouvait s’agir que de Grouchy. « La jonction des Prussiens avec les Anglais est impossible avant deux jours, après une bataille comme celle de Fleurus, et étant suivis, comme ils le sont, par un corps de troupes considérable.115 » C’est en ces termes que Napoléon rassurait son frère Jérôme quand celui-ci lui fit part des rumeurs qui avaient couru à la table de l’auberge du Roy d’Espagne à Genappe le soir du 17 et c’est très vraisemblablement ce qu’il pensait. Toujours est-il que, cette fois, il ne suspendra pas l’ordre d’attaquer… Pourquoi avons-nous dit que l’empereur était quand même un peu perplexe ? C’est qu’il est fort tôt pour voir arriver Grouchy… La dernière communication qu’il a envoyée au maréchal date de 10.00 hrs et, pour la résumer en deux mots, lui enjoignait de se porter sur Wavre le plus vite possible et de se lier avec lui. En admettant que Grouchy ait déjà atteint Wavre au moment où il reçoit cet ordre et que, quelle qu’en soit la raison, il ait décidé de marcher vers Mont-Saint-Jean, il n’a pas moins de 25 kilomètres à parcourir. Or, pour parcourir 25 kilomètres, il faudrait au corps de Grouchy un minimum de 10 heures à marcher !... Par ailleurs, les dernières nouvelles reçues de Grouchy indiquent qu’il a passé la nuit vers Gembloux. S’il s’est mis en route au point du jour, en hâtant sa marche, il n’a pu atteindre Wavre avant 15.00 hrs. Si –et cela commence à faire beaucoup de « si » ! – Grouchy interprète bien son ordre 116 et que, de Walhain, où il annonçait vouloir marcher, il se contente de détacher une partie de ses 30 000 hommes vers Wavre pour suivre les Prussiens en pleine retraite, tandis qu’avec le reste, il bifurque et rejoint Mont-Saint-Jean en passant par Ottignies et Mousty, il aura quand même toujours 20 kilomètres à parcourir soit 8 heures de marche à ajouter aux 115

Girod de l’Ain – Vie militaire du général Foy – Paris, Plon et Nourrit, 1900, p. 278 116

Ce qu’il a bien peu de chances de faire, vu la formulation donnée par Soult à cet ordre. Ce serait un sujet d’étude bien intéressant que d’examiner dans quelle mesure le duc de Dalmatie retranscrivait bien ce que l’empereur lui dictait. Malheureusement, cette étude est rendue impossible par le manque de documents authentiques se rapportant à cette campagne. Dommage : nous aurions peut-être la réponse à bien des questions qui resteront insolubles.

Page 62: La bataille de Plancenoit

62

2 heures nécessaires pour lier Gembloux à Walhain. Donc, en mettant les choses au mieux du mieux, il ne faut pas compter voir arriver les avant-gardes de Grouchy avant 19.00 hrs. Et encore ne se base-t-on que sur un calcul théorique ne tenant compte que des distances à vol d’oiseau et ignorant les difficultés du terrain ou du franchissement de la Dyle… Mais bon ! A 14.00 hrs, au moment où il donne au 1er corps l’ordre d’attaquer, Napoléon peut toujours s’illusionner et croire que ce qu’on a observé est le corps du maréchal Grouchy. Mais enfin, il ne s’agit quand même pas de commettre une imprudence fatale. Aussi charge-t-il Bernard d’aller voir si c’est bien Grouchy qui arrive et ordonne-t-il aux divisions de cavalerie de Domon et Subervie de venir se placer sur sa droite, d’occuper tous les débouchés et de se lier avec les têtes de colonne de Grouchy dès qu’elles apparaîtraient. « Les deux divisions firent un ’’à droite par quatre’’ (elles étaient en réserve au centre 117) et allèrent s’établir à quelque distance du bois de Paris, mais leurs éclaireurs, fournis par la division Domon, se bornèrent à observer les débouchés du bois.118 » Ce n’est qu’au retour de Bernard que la certitude se fait enfin que ce sont des Prussiens qui approchent et nullement Grouchy. Désagréable surprise confirmée par l’interrogatoire du hussard prussien « fort intelligent », lequel fait d’autant moins de difficulté à raconter ce qui se passe que depuis une demi-heure au moins, les tirailleurs prussiens commencent à sortir du bois de Fichermont. Il est 17.00 hrs. A ce moment, Napoléon a pris connaissance de la lettre de Grouchy, rédigée à Gembloux sans doute vers 06.00 hrs, et parvenue au Caillou vers 11.00 hrs :

« Sire, tous mes rapports et renseignements confirment que l’ennemi se retire sur Bruxelles pour s’y concentrer, ou livrer bataille après s’être réuni à Wellington. « Namur est évacué, à ce que me marque le général Pajol. « Les 1er et 2e corps de l’armée de Blücher paraissent se diriger, le premier sur Corbais, le deuxième sur Chaumont. Ils doivent être partis hier soir, à huit heures et demie de Tourines et avoir marché

117

Nous avons expliqué pourquoi cette notation est inexacte. 118

Aerts, p. 232.

Page 63: La bataille de Plancenoit

63

pendant toute la nuit ; heureusement qu’elle a été si mauvaise qu’ils n’auront pu faire beaucoup de chemin. « Je pars à l’instant pour Sart-à-Walhain d’où je me porterai à Corbais et Wavres. J’aurai l’honneur de vous écrire de l’une ou de l’autre de ces villes. « P.S. Conformément à vos ordres, j’écris au général commandant la 2e division militaire à Charlemont de faire occuper Namur par quelques bataillons de garde nationale et quelques batteries de canon qu’il formera à Charlemont. « Je laisse ici vingt-cinq chevaux pour assurer la correspondance avec Votre Majesté. « Les corps d’infanterie et de cavalerie que j’ai avec moi n’ont qu’un approvisionnement et demi, de sorte qu’en cas d’une affaire majeure, il me paraîtrait nécessaire que Votre Majesté voulût bien faire approcher les réserves de munitions ou m’indiquer les points ou l’artillerie pourrait aller prendre ses remplacements.119 »

Nous avons dit que cette lettre parvint au Caillou vers 11.00 hrs. Combien de temps mit-elle à arriver jusqu’à Napoléon et quand l’a-t-il lue ? Impossible à dire. Dicte-t-il immédiatement sa réponse ou attend-il un moment de calme ? Toujours est-il que Soult date sa lettre du : « 18 juin, une heure après midi ». Manifestement, elle a été dictée avant que l’on entende parler de ce qui allait s’avérer être une colonne prussienne. En voici le texte :

« Vous avez écrit à l’Empereur ce matin à 6 heures que vous marchiez à Sart-à-Walhain. Donc votre projet était de vous porter à Corbais et à Wavre. Le mouvement est conforme aux dispositions de Sa Majesté qui vous ont été communiquées. Cependant, l’Empereur m’ordonne de vous dire que vous devez toujours manœuvrer dans notre direction et chercher à vous rapprocher de l’armée, afin que vous puissiez nous joindre avant qu’aucun corps se mette entre nous. Je ne vous indique pas de direction, c’est à vous de voir le point où nous sommes pour vous régler en conséquence et pour lier nos communications, ainsi que pour être

119

Grouchy à Napoléon « Gembloux, le 18 juin 1815, trois heures du matin ». Grouchy, Mémoires, pp. 65-66. La copie de cette dépêche aux Archives de la Guerre ne fait mention d’aucune heure mais porte seulement « Gembloux, le 18 juin 1815 ».

Page 64: La bataille de Plancenoit

64

toujours en mesure de tomber sur quelques troupes ennemies qui chercheraient à inquiéter notre droite, et les écraser. « En ce moment, la bataille est engagée sur la ligne de Waterloo, en avant de la forêt de Soignes. Le centre de l’ennemi est à Mont-Saint-Jean ; ainsi manœuvrez pour joindre notre droite. « P.S. Une lettre qui vient d’être interceptée porte que le général Bülow doit attaquer notre flanc droit ; nous croyons apercevoir ce corps sur la hauteur de Saint-Lambert. Ainsi, ne perdez pas un instant pour vous rapprocher de nous et nous joindre, et pour écraser Bülow, que vous prendrez en flagrant délit.120 »

Pour la plupart des auteurs, cette ajoute a été faite après le retour de Bernard et après que le ou les prisonniers de Marbot aient été amenés à l’empereur. C’est manifestement les renseignements que vient d’obtenir Napoléon qui motivent ce post-scriptum. C’est aussi la première fois que Napoléon ordonne positivement à Grouchy de venir le rejoindre. Mais qu’espère l’empereur ? Au mieux, la lettre qu’il envoie parviendra à Grouchy à 17.00 hrs121. Si Grouchy, à cette heure, se met immédiatement en route vers Mont-Saint-Jean, qu’il marche beaucoup plus vite que les Prussiens, qu’il coupe au plus court et qu’il passe effectivement la Dyle à Mousty et à Ottignies, il a quand même 25 km à parcourir. Cela lui fait 10 heures de marche. Il ne pourrait donc rejoindre Napoléon qu’à 03.00 hrs, le 19 ! Inutile de dire qu’à cette heure-là, la messe était dite… Ajoutons qu’à 17.00 hrs, les corps de Grouchy avaient déjà fourni près de dix heures de marche et qu’on n’imagine pas imposer à la troupe une marche de plus de vingt heures ! Ces raisons font que le post-scriptum de la lettre de 13.00 hrs est sans doute apocryphe… Tout ceci montre à suffisance que Napoléon ne sait absolument pas où se trouve Grouchy quand il lui écrit et que les mouvements des Prussiens sont pour lui un mystère absolu. La seule chose qui lui apparaît mais qu’il refuse de reconnaître, c’est qu’il s’est complètement trompé en s’obstinant à croire que les Prussiens se retiraient sur Liège…

120

« Soult à Grouchy, 18 juin, une heure ». Registre du major général. (Arch. Guerre, Armée du Nord) 121

Il semble bien qu’en réalité, Grouchy ait reçu cette lettre entre 18.00 et 19.00 hrs. Si le corps du texte ne semble pas prêter le flanc à la critique, il en est tout autrement du post-scriptum qui pourrait bien être un faux.

Page 65: La bataille de Plancenoit

65

La cavalerie française : Domon et Subervie

Après la bataille de Ligny, le 6e corps de Lobau, qui, organiquement, n’avait pas de cavalerie, se vit attacher la 3e division du lieutenant général baron Domon, composée de trois régiments de chasseurs à cheval (4e, 9e et 12e) et d’une batterie d’artillerie (4e compagnie du 2e régiment d’artillerie à cheval. Jusque-là, cette division faisait partie du 3e corps d’armée du général Vandamme. Lors de la bataille de Ligny, la division du général Domon avait été impliquée dans le courant de la soirée ; c’est elle, notamment, qui mit en déroute deux brigades de cavalerie prussiennes alors qu’elles se retiraient du village de Saint-Amand. Le 17 juin, c’est cette division qui se trouvait en tête de la poursuite menée par Napoléon contre les troupes de Wellington en pleine retraite. Les chasseurs grimpèrent même la pente de Mont-Saint-Jean, provoquant ainsi le tir de l’artillerie britannique, révélant ainsi la position sur laquelle Wellington comptait se déployer. Cette courte action éteinte, les chasseurs à cheval campèrent sur place. C’est donc tout naturellement que dès l’aube du 18, on retrouve la division Domon, à peu de distance derrière la Belle-Alliance, selon toute apparence à droite de la route de Charleroi, en réserve du centre du dispositif français122. La 5e division de cavalerie, conduite par le général de division baron Subervie, est donnée par plusieurs auteurs comme faisant partie du 1er corps de Drouet d’Erlon. L’ordre de bataille est pourtant formel : cette division appartenait à la réserve de cavalerie, initialement commandée par le maréchal Grouchy et fut, elle aussi attachée au 6e corps après la bataille de Ligny. Cette confusion est très certainement due au fait que le 1er régiment de lanciers, appartenant à la 5e division, était commandé par le colonel Jacquinot, frère du général Jacquinot qui commandait la 1e division de cavalerie, appartenant au 1er corps et qui, dès le début du déploiement avait été postée en flanc-garde à la droite du dispositif français. La 5e division comprenait 2 régiments de lanciers (1er et 2e) et 1 régiment de chasseurs à cheval (11e). Elle participa, le 17, aux combats de Genappe et c’est au court de cet épisode que le colonel baron Sourd fut très sévèrement blessé. Le baron Larrey lui amputa le bras et, à peine

122

Adkin, p. 244. Peut-être, au petit matin du 18, la 3e division de cavalerie était-elle à cheval sur la

route, mais elle dut serrer à droite lorsque le 6e corps vint prendre place à gauche de la route, soit

entre 11.00 hrs et 11.30 hrs.

Page 66: La bataille de Plancenoit

66

pansé, le colonel rejoignit son unité. La légende veut qu’il ait, à ce moment, refusé le grade de général pour pouvoir continuer à commander son régiment. Se non è vero… Comme la division Domon, la division Subervie participa à la poursuite de Wellington et c’est donc pour les mêmes raisons que nous la retrouvons le matin du 18, derrière elle, à droite de la chaussée. Napoléon, dans ses Mémoires, nous donne avec précision la position de ces deux divisions :

« La troisième colonne (du 6e corps), celle de sa cavalerie légère, commandée par le général de division Daumont, suivie par celle du général Subervie, se plaça en colonne serrée par escadron, la gauche appuyée à la chaussée de Charleroi, vis-à-vis son infanterie, dont elle n’était séparée que par cette chaussée ; son artillerie légère était sur son flanc droit.123 »

Il ne fait pas de doute que ces deux divisions de cavalerie furent portées à la droite du dispositif français. Mais ce qui n’apparaît pas comme certain du tout, c’est quand et à la suite à quoi… La tradition a fait dire à la plupart des auteurs que Napoléon donna ces ordres suite à l’apparition des Prussiens à Chapelle-Saint-Lambert. Il l’aurait donc fait vers 13.30 hrs. C’est ce qui transparaît dans le Bulletin du 20 juin, que nous avons déjà cité :

« Le 6e corps, avec la cavalerie du général d'Aumont, sous les ordres du comte Lobau, fut destinée à se porter en arrière de notre droite, pour s'opposer à un corps prussien qui paraissait avoir échappé au maréchal Grouchy, et être dans l'intention de tomber sur notre flanc droit, intention qui nous avait été connue par nos rapports, et par une lettre du général prussien, que portait une ordonnance prise par nos coureurs.124 »

Gourgaud ne diverge guère : « Cependant, comme ce corps [prussien] ne paraissait plus éloigné que de deux petites lieues du champ de bataille, il devint nécessaire de lui opposer des forces. Le maréchal Grouchy pouvait tarder plus ou moins à passer la Dyle, ou pouvait même en être empêché par des événements inattendus. Le lieutenant général Domont fut

123

Napoléon – Mémoires, p. 129. Cité par Tondeur, etc., p. 60. 124

Bulletin de l’Armée, datée du 20 juin, parue dans supplément du Moniteur Universel, le 21 juin.

Page 67: La bataille de Plancenoit

67

envoyé avec sa cavalerie légère et la division du corps de cavalerie de Pajol125, ce qui devait faire près de trois mille chevaux, à la rencontre de l’avant-garde de Bulow ; il avait l’ordre d’occuper tous les débouchés, d’empêcher les hussards ennemis de se jeter sur nos flancs, et d’envoyer des coureurs à la rencontre du maréchal Grouchy.126 »

Le lecteur notera que Gourgaud confond les divisions de cavalerie de Pajol et de Subervie et qu’il évalue la distance entre le champ de bataille et le corps de Bülow à deux lieues, soit huit kilomètres. Napoléon, après avoir expliqué que de là où il était, il était impossible de distinguer si le corps qui arrivait à Chapelle-Saint-Lambert était prussien ou français, dicte :

« Dans cette incertitude, sans plus délibérer, il [Napoléon] fit appeler le lieutenant général Daumont, et lui ordonna de se porter avec sa division de cavalerie légère et celle du général Subervie pour éclairer sa droite, communiquer promptement avec les troupes qui arrivaient sur Saint-Lambert, opérer la réunion si elles appartenaient au maréchal Grouchy, les contenir si elles étaient ennemies.127 »

Quelques lignes plus loin, Napoléon insiste : « Ces trois mille hommes de cavalerie n’eurent qu’à faire un à droite par quatre pour être hors des lignes de l’armée ; ils se portèrent rapidement et sans confusion à trois mille toises, et s’y rangèrent en bataille, en potence sur toute la droite de l’armée.128 »

Trois mille toises ! Soit environ 6 000 mètres ! Cela nous conduirait au-delà du village de Lasne… Si Napoléon a effectivement envoyé 3 000 cavaliers au-delà de Lasne, alors qu’il a déjà pu observer l’arrivée des Prussiens à Saint-Lambert, cela revenait à les envoyer à la mort. Houssaye y va donc de sa petite note :

« Napoléon dit que la cavalerie se porta à 3.000 toises (soit 5.580 mètres). Ella aurait donc poussé jusqu’à Lasne. C’est inexact, car le gros de ces divisions ne dépassa pas la lisière sud-est du bois de Paris (Cf. le rapport de Bülow cité par von Ollech, 192, et Damitz,

125

De fait, la division Subervie appartenait organiquement au 1er

corps de cavalerie de Pajol. 126

Gourgaud, p. 90. 127

Napoléon – Mémoires, p. 137 128

Id., ibid.

Page 68: La bataille de Plancenoit

68

II, 257-260.) Seule une patrouille de Marbot vint, comme on l’a vu, au-delà du bois de Paris, mais ce fut vers midi, et elle n’y resta pas longtemps.129 »

C’est bien honnête de mettre en cause les affirmations de Napoléon – et Houssaye aurait certainement dû le faire plus souvent – mais si c’est pour les remplacer par des assertions tout aussi hasardeuses, cela ne nous avance guère. Tout d’abord, les rapports prussiens ne disent pas qu’aucune de ces divisions de cavalerie ne se porta au-delà de la lisière sud-est du bois de Paris, mais bien au-delà de sa lisière sud-ouest. C’est une sacrée nuance… Quant à la patrouille de Marbot, elle fut détachée de la division Jacquinot vers 11 heures sur ordre exprès de l’empereur, transmis une première fois par Labédoyère. Nous avons vu plus haut dans le détail en quoi elle consistait. Elle n’a donc rien à voir avec la mission confiée à Domon et Subervie. Mélanger les deux revient à semer un peu plus la confusion dans une situation qui est déjà claire comme du jus de chique… Selon la tradition, c’est à la vue des masses sombres groupées à Saint-Lambert, que Napoléon envoie le général Bernard sur place pour se rendre compte de la situation. Ce serait donc vers 13.00 hrs ou peu après que le général Bernard s’en alla mener son enquête. Si l’on suit le récit de Aerts, Domon et Subervie reçurent ordre de prendre position à droite, en même temps ou immédiatement après que le général Bernard est parti :

« Toutes les lunettes de l’état-major furent dirigées sur ce point ; vingt avis différents furent donnés. L’aide de camp Bernard fut détaché vers Saint-Lambert avec quelques cavaliers, puis les généraux Domon et Subervie reçurent l’ordre de se diriger sur la droite, d’occuper tous les débouchés et de se lier avec les têtes de colonne de Grouchy dès qu’elles apparaîtraient.130 »

Voilà qui suit la dictée Gourgaud de très près quand elle dit : « Il (Domon) avait l’ordre d’occuper tous les débouchés, d’empêcher les hussards ennemis de se jeter sur nos flancs, et d’envoyer des coureurs à la rencontre du maréchal Grouchy. »

129

Houssaye, p. 337, note 2. 130

Aerts, p. 231-232.

Page 69: La bataille de Plancenoit

69

A la nuance près que Gourgaud semble reconnaître que la présence des têtes de colonne de Grouchy était une certitude, alors qu’Aerts, au contraire, semble vouloir dire qu’il fallait encore les trouver par le moyen de coureurs… Le lecteur trouvera peut-être que nous ergotons sur les termes, mais la chose en vaut certainement la peine : dans la petite différence qui existe entre les écrits de ces auteurs réside la pensée de l’empereur : soit, il a, à ce moment, la certitude de voir arriver Grouchy ; soit, il en doute et veut en avoir le cœur net. Les dictées de Sainte-Hélène sont, à ce propos, loin d’être un fatras d’incohérences. Qu’essaie de nous faire croire Napoléon ? Qu’il avait tout analysé, tout organisé et tout prévu… Dans ce but, il n’hésite pas à mentir. En l’occurrence, il va jusqu’à inventer de toutes pièces une correspondance envoyée à Grouchy dans la nuit du 17 au 18, lui demandant de venir le rejoindre à Mont-Saint-Jean et, sinon, au moins de lui envoyer 7 000 hommes. Comme si 7 000 hommes eussent pu changer la face des choses !… Nous avons dit que cette dépêche est une invention pure et nous avons expliqué pourquoi131. Dans tous les textes dictés à Sainte-Hélène, aussi bien à Gourgaud qu’à Bertrand ou à Las Cases, à propos de Waterloo, on entend le même lamento : mes ordres si pertinents ont été mal exécutés, mes subordonnés n’ont rien compris, etc. Mais surtout, l’empereur, lorsqu’il aborde les moments délicats de cette campagne, botte systématiquement en touche et accuse « la fatalité »132. Ainsi donc, si, dans le récit des événements du 18 juin aux environs de 13.00 hrs, Napoléon ne se disait pas absolument certain de pouvoir attendre Grouchy en toute confiance, il nierait, par le fait même, qu’il a tout prévu. Dans le cas qui nous occupe, il s’agit de cacher que, dès le soir du 16 juin, Napoléon a perdu la bataille de Waterloo – qu’il n’aurait jamais dû livrer – et la campagne de Belgique en se persuadant que les troupes de Blücher avaient subi une défaite décisive et définitive à Ligny et qu’elles refluaient en toute hâte vers leurs bases d’opérations à Liège et au-delà. Aucune analyse, aussi fouillée soit-elle, ne pourra sans doute jamais nous dire quand l’empereur, confronté aux faits, revint de cette illusion. Mais quand il le fit, il continua imperturbablement à faire

131

Voir Grouchy, c’était Blücher. 132

Voir à ce sujet l’ouvrage de Théo Fleischman – En écoutant parler Napoléon – Bruxelles, Brepols, 1959, pp. 213 à 236.

Page 70: La bataille de Plancenoit

70

croire qu’il ne cessait pas d’avoir raison. A cet égard, le récit donné par von Löben-Sels du retour du général Bernard est très significatif : « Je m’en doutais ! », s’exclame l’empereur. Depuis quand ? Résumons donc la situation à cet instant telle que la présente la tradition. Lorsque Napoléon aperçoit des masses à Saint-Lambert, il envoie le général Bernard aux nouvelles et fait avancer les cavaliers de Domon et Subervie pour protéger son flanc droit qui pourrait être menacé si, par hasard, les troupes aperçues au loin n’étaient pas celle de Grouchy.

Le 6ème corps

La tradition veut que Napoléon ait envoyé ses ordres à Lobau entre 13.30 hrs et 14.00 hrs. Jacques Logie écrit :

« Vers treize heures, alors que l’Empereur entouré de son état-major se trouvait à Rossomme, Soult fit remarquer à Napoléon qu’il apercevait à l’est, sur les hauteurs de Saint-Lambert, ce qui lui paraissait être des troupes… Pour s’en assurer, Napoléon fit appeler le général Domon et lui ordonna d’éclairer la droite de l’armée avec sa division de cavalerie légère et celle de Subervie… Napoléon fit expédier sur le champ au maréchal [Grouchy] la lettre interceptée133… L’Empereur ordonna à Lobau de se porter à l’est avec son IVe corps (sic) pour soutenir la cavalerie légère de Domon et de « …se choisir une bonne position intermédiaire, où il pût avec 10 000 hommes en arrêter 30 000 si cela devenait nécessaire.134 » Puis il envoya Ney l’ordre de lancer le corps de d’Erlon à l’attaque. Il était près de quatorze heures.135 »

Voilà résumés en peu de mots, tous les lieux communs concernant cet épisode de la bataille. Dès la réception de ses ordres, Lobau aurait envoyé son chef d’état-major, le général Durrieu, l’adjoint de celui-ci, le général Janin, et le

133

Ce qui est parfaitement faux. Napoléon envoya le message dont nous avons donné le texte plus haut mais certainement pas une lettre de Bülow à Wellington dont l’existence est d’ailleurs tout à fait hypothétique. En tout cas, ni Müffling, ni Wellington, ni Grouchy lui-même ne soufflent mot d’une telle dépêche. Or Bülow n’était pas assez simple pour écrire une lettre directement à Wellington, alors que Blücher est près de lui. L’eût-il fait qu’il l’aurait envoyée en double ou en triple, précisément pour éviter la perte du message s’il était pris par l’ennemi. Ce qui est certain, c’est que Grouchy ne reçut jamais cette lettre ni sa copie. 134

Logie cite Napoléon, Mémoires, p. 148. 135

Logie – Dernière bataille, p. 137.

Page 71: La bataille de Plancenoit

71

général Jacquinot qui commandait la cavalerie du 1er corps, afin de reconnaître le terrain. Lobau aurait attendu le rapport de ces officiers avant de mettre son corps en route. Winand Aerts dit qu’il lui semble que le 6ème corps ne se soit pas mis en marche « avant 3 ou 4 heures136 ». Cela nous semble très pessimiste. Adkin, de son côté, pense que « le 6ème corps de Lobau avait pris place dans une forte position sur la hauteur à cheval sur la route de Plancenoit. Il arriva vers 14.30 hrs.137 » Cela nous semble, au contraire, exagérément optimiste. Houssaye, dans une note, fait remarquer :

« Sur l’exécution de ce mouvement, les deux relations de Sainte-Hélène ne concordent pas. Dans l’une, il est dit que Lobau changea de position peu après la cavalerie de Domon. Dans l’autre, on lit que Lobau alla seulement reconnaître alors sa future position de bataille et qu’il ne s’y établit que vers quatre heures et demie. En cette circonstance, comme en tant d’autres durant cette campagne, les ordres de l’empereur ne furent-ils point ponctuellement exécutés ? 138»

Il semble bien – ce qui serait pardonnable – qu’Houssaye, comme tous les auteurs après lui – ce qui le serait moins – ait mal compris ce qui s’est réellement passé et que dans le souci de faire concorder les sources, ils aient fait un étrange amalgame entre les différents mouvements du 6e corps… La confusion vient dans doute du Bulletin de l’Armée du 20 juin 1815 qui explique :

« Le 6e corps, avec la cavalerie du général d’Aumont, sous les ordres du comte Lobau, fut destinée à se porter en arrière de notre droite, pour s'opposer à un corps prussien qui paraissait avoir échappé au maréchal Grouchy, et être dans l'intention de tomber sur notre flanc droit, intention qui nous avait été connue par nos rapports, et par une lettre du général prussien, que portait une ordonnance prise par nos coureurs.139 »

136

Aerts, p. 236. 137

Adkin, p. 384, carte n° 36, note D. 138

Houssaye, p. 337, note 3. 139

Bulletin de l’Armée, datée du 20 juin, parue dans supplément du Moniteur Universel, le 21 juin. Bernard Coppens sur son site www. 1789-1815. com/question_1.htm#6corps, commet une erreur d’interprétation du texte du Bulletin du 20 juin : celui-ci dit en effet : « Le 6

e corps… fut destiné à se

Page 72: La bataille de Plancenoit

72

Dans sa première version, publiée en 1818, Gourgaud écrit : « Le sixième corps (comte de Lobau) se forma en colonne serrée sur la droite de la chaussée de Charleroi : il se trouvait ainsi en réserve derrière la gauche du premier corps, et en potence derrière le centre de la première ligne.140 »

Il semble donc confirmer la version du Bulletin mais avec la nuance – de taille – qu’il ne dit pas que le 6e corps a pris cette position « pour s’opposer à un corps prussien ». Au contraire, il écrit bien que Lobau était en réserve « derrière la gauche » du 1er corps alors que c’est à droite que l’on observe les Prussiens. Dans la deuxième version de la dictée de Sainte-Hélène (1820), on trouve :

« La deuxième colonne, commandée par le général comte de Lobau, se porta à cinquante toises derrière la deuxième ligne du 2e corps ; elle resta en colonne serrée par division, occupant une centaine de toises de profondeur, le long et sur la gauche de la chaussée de Charleroi, avec une distance de dix toises entre les deux colonnes de division, son artillerie sur le flanc gauche.141 »

Apparemment, ces versions, dont Napoléon est chaque fois à l’origine, sont contradictoires. Tondeur écrit :

« Ce déplacement n’est pas dû au hasard, ni à des trous de mémoire de la part de Napoléon. Un premier récit rédigé par le général Gourgaud, à chaud, confirme la version du bulletin (à droite) ainsi que les récits de deux officiers d’état-major du 6e corps (Janin et Combes-Brassard), celui du général Durutte, et d’autres.142 »

Il semble pourtant que ces récits ne se contredisent pas autant que Tondeur, etc. le disent. En réalité, ils décrivent deux états différents à deux heures différentes du 6e corps. Étrangement, Tondeur ne semble pas s’en être aperçu. C’est pourtant lui qui nous donne la solution en citant le récit du sergent-major Marq, du 107e de ligne :

« Sur les dix heures du matin, le régiment sortit de son campement pour se diriger sur Waterloo, où la bataille était déjà animée, les régiments qui faisaient partie de notre corps (6e d’observation) se

porter en arrière de notre droite pour s’opposer à un corps prussien qui paraissait avoir échappé au maréchal Grouchy… » et non pas qu’il se trouvait, au départ, à l’arrière de la droite française. 140

Gourgaud, p. 90. 141

Napoléon – Mémoires, pp. 137-138. 142

Coppens., html cit.

Page 73: La bataille de Plancenoit

73

sont réunis et ils ont marché en Colonne jusqu’aux environs de la Bataille, on nous fit tenir dans cette position jusqu’à trois heures de relevée, et ayant été exposé un grand longtemps par les boulets de canon qui venaient tomber dans nos rangs, on nous fit marcher en colonne serrée jusqu’au milieu du champ de bataille ; marchant pour arriver à cet endroit, plusieurs hommes furent tués dans les rangs, et étant arrivés, on nous fit mettre en carré par Régiment en raison de ce que la cavalerie Anglaise était près de nous qui se battait avec des cuirassiers français, elle est venue plusieurs fois pour foncer nos carrés ; mais elle n’a remporté aucun succès, les boulets et la mitraille tombaient dans nos carrés, nous étions là avec ordre de ne pas tirer un coup de fusil et ayant la baïonnette croisée, beaucoup d’hommes furent tués dans cette position.143 »

Ce témoignage est précieux : il confirme plusieurs points ; tout d’abord, que l’on ne mit le 6e corps en marche que vers 10.00 hrs. Malgré la maladresse de la rédaction, il faut comprendre qu’il arriva à sa première position opérationnelle alors que la bataille était déjà bien engagée, soit, obligatoirement, après 11.30 hrs144. D’après le sergent-major, son régiment se trouvait dans un endroit que l’artillerie anglaise pouvait atteindre et y resta jusqu’à 15.00 hrs. Mais il ne semble pas que les boulets britanniques aient fait de grands dégâts. On peut en déduire que le 6e corps se trouvait donc dans l’espace situé entre la portée maximale efficace d’une pièce de 9 livres et sa portée maximale. Or nous savons que la portée maximale d’un canon de 9 est de 1 700 mètres et sa portée efficace de 850 mètres. Le 6e corps était donc, au plus loin, à 1 700 mètres de la ligne anglo-alliée, soit exactement à l’emplacement actuel du monument de l’Aigle blessé. A très peu de chose près, c’est l’emplacement indiqué sur le plan donné par Adkin145. Ceci dit, on nous opposera le plan de Craan, que chacun s’accorde à trouver très exact. On y voit le 6e corps en pleins champs à droite de la route à hauteur du virage situé à mi-chemin entre Rossomme et Maison-du-Roi. Et Craan

143

Cité par Tondeur, etc. - Plancenoit, p. 68. Malgré nos recherches, nous n’avons pu trouver l’original de ce témoignage et en vérifier les termes. Mais Tondeur, etc. est trop honnête pour ne pas donner un texte exact, nous lui ferons donc confiance. Il est pourtant malheureux que Tondeur, etc., dans leurs ouvrages si intéressants, ne soient pas plus précis dans leurs références. 144

Et, sans doute, bien plus tard… Nous savons en effet de manière certaine qu’à 11.30 hrs, au moment où tonna le premier coup de canon, le 1

er corps n’avait pas fini de se déployer.

145 Adkin, carte N° 8, pp. 118-119.

Page 74: La bataille de Plancenoit

74

qui représente les déplacements des divers corps au cours de la journée à l’aide de fines flèches – ce qui rend parfois la carte un peu confuse – montre le 6e corps se déplaçant de cette position de départ immédiatement vers Plancenoit. Manifestement, Craan qui nous montre donc l’emplacement d’où partit Lobau à 10.00 hrs, « saute » un épisode, celui conté par Marq : le 6e corps marchant à partir de 10.00 hrs vers le champ de bataille et stationnant à hauteur de l’Aigle blessé. Or, ce dernier fait paraît difficilement contestable. Maintenant, on peut toujours s’amuser à se demander si le corps de Lobau était à gauche ou à droite de la route. Gourgaud nous dit « Derrière la gauche du 1er corps » et donc, à droite de la route. Napoléon dicte : « Derrière le 2e corps », donc à gauche de la route en précisant que sa cavalerie se trouvait en vis-à-vis de l’autre côté de la chaussée. Houssaye dit : « A gauche » (p. 321). Bernard le montre à gauche (p. 216-217) ; Logie, sans doute manière de ménager la chèvre et le chou, dit « A cheval (sur la route) » (p. 91). Devos dit « Juste à gauche » (p. 103). Adkin le montre à gauche ; Desoil le montre à gauche (croquis n° 9). Lachouque le montre à gauche (p. 126-127). Ainsi, la plupart des auteurs, suivant la dernière version de Napoléon, le situent à gauche, quoique Gourgaud commence par le situer à droite. En réalité, cette discussion revient à couper les cheveux en quatre… Finalement, que le 6e corps ait, à l’origine, été à droite ou à gauche de la chaussée n’a aucune espèce d’importance. Nous allons immédiatement voir pourquoi. Revenons au récit du sergent-major Marq. Après être resté « un grand longtemps » en arrière le long – et sans doute à gauche – de la chaussée, le régiment du sergent-major, reçut en même temps que tout le corps de Lobau l’ordre de « marcher en colonne serrée jusqu’au milieu du champ de bataille ». Qu’entend exactement Marq par-là ? C’est ici le moment de faire appel aux souvenirs du général Durutte qui se trouvait à l’extrême droite du 1er corps (d’Erlon) :

« Le corps commandé par le général Lobau vint se placer derrière la division Durutte après la charge des dragons anglais.146 »

Or, il ne fait de mystère pour personne que la cavalerie lourde britannique chargea entre 14.30 hrs et 15.00 hrs. Le témoignage de Marq

146

Durutte, cité par Tondeur, etc., p. 68.

Page 75: La bataille de Plancenoit

75

se trouve donc tout à fait confirmé : on fit marcher le 6e corps vers la droite française et on le forma en carrés afin de parer aux possibles charges britanniques. Par ailleurs, nous savons que les charges de la cavalerie britannique emportèrent tout sur leur passage et atteignirent la grande batterie où, semble-t-il, elle mit, au moins provisoirement, une trentaine de canons hors d’usage147. De même, nous savons que, voyant les quatre divisions du 1er corps reculer précipitamment – la division Durutte un peu moins vite que les autres – et la grande batterie menacée, Napoléon ordonna aux lanciers de Jacquinot et aux cuirassiers de Farine de contre-attaquer, ce qu’ils firent avec succès. Il n’est donc pas du tout invraisemblable que, en même temps qu’il donnait ces ordres, il n’ait commandé à Lobau de se porter à cet endroit très menacé. Dès lors, le deuxième mouvement de Lobau, lorsqu’il se porte derrière Durutte, n’a strictement rien à voir avec l’arrivée des Prussiens, au contraire de ce qu’affirment tous les auteurs à la notable exception de Mauduit qui raconte que Lobau eut la douloureuse surprise de voir détruire sa batterie de 12 qui avait été détachée dans la grande batterie. Voilà qui nous donnerait avec précision l’emplacement que vint occuper le 6e corps vers 15.00 hrs. La batterie de réserve du 6e corps était la 4e compagnie du 8e d’artillerie à pied. Cette compagnie prit position, selon toute apparence, exactement au milieu de la grande batterie, soit à 400 mètres à droite de la route à hauteur de la borne kilométrique 21. Le 6e corps se trouvait donc vraisemblablement à la cote 130, au nord du chemin qui va de la Belle-Alliance à Papelotte. Il faut en effet tenir compte du déploiement en profondeur du train d’artillerie sur près de 500 mètres. Pourquoi nos auteurs n’envisagent-ils pas cette position ? Mais, tout simplement, parce qu’ils sont tous bloqués dans l’idée que cette position est exactement celle qu’occupaient les pièces de la grande batterie et que, donc, il aurait été impossible d’y déployer un corps d’armée. Nous savons, nous, qu’en réalité cette grande batterie se trouvait 500 mètres plus au nord, à hauteur de la borne kilométrique 21148. De telle sorte que Mauduit ne se trompe guère quand il dit que « placée trop en avant, cette batterie se trouva en l’air, pour nous servir d’une expression technique, et fut détruite sans qu’il fût possible de la secourir à temps, car l’infanterie,

147

De Vos, p. 116. 148

Voir Grande batterie.

Page 76: La bataille de Plancenoit

76

placée en arrière, ne pouvait faire feu sur ces dragons [britanniques] sans s’exposer à tuer nos propres canonniers.149 » Napoléon ne dit pas autre chose quand, à Sainte-Hélène, il confie à Gourgaud :

« Ney m’a fait bien du mal avec son attaque partielle de la Haie-Sainte et en faisant changer de position à l’artillerie que vous aviez placée ; elle protégeait bien ses troupes, au lieu qu’en marchant en avant, elle pouvait être chargée, ce qui lieu en effet.150 »

Et le sergent-major Marq ne ment pas : les artilleurs britanniques n’ont pas dû épargner les munitions sur cette cible idéalement placée à portée de ses shrapnels, sinon de ses boulets151… Accessoirement, le témoignage de Marq nous montre aussi que les escadrons britanniques ont mené leurs charges bien plus loin qu’on ne l’admet généralement. Ceci dit, à ce moment-là, il n’est toujours pas question des Prussiens… C’est donc bien pour venir au secours de la grande batterie que le 6e corps a reçu l’ordre de se porter en arrière de l’aile droite. Résumons-nous à ce stade. Vers 10.00 hrs, le corps de Lobau qui avait bivouaqué entre Maison-du-Roi et Rossomme, reçut l’ordre de marcher et vint se placer le long de la route, à hauteur de l’Aigle blessé. Vers 15.00 hrs, il se porta à droite afin de venir en soutien à l’aile droite du 1er corps et de protéger la grande batterie, menacée par les charges de la cavalerie lourde britannique. A 16.00 hrs, il se trouvait donc formé en carrés, au nord du chemin de la Belle-Alliance à Papelotte, à environ 500 mètres à droite de la chaussée. Reste à déterminer quand, comment et pourquoi le 6e corps fut finalement déployé « en potence » par rapport à la ligne française formée par le 1er corps pour s’opposer à l’irruption des Prussiens. Napoléon dit, en dictant ses Mémoires :

« Peu après, le général Daumont envoya dire que quelques coureurs bien montés qui le précédaient, avaient rencontré des patrouilles ennemies dans la direction de Saint-Lambert ; qu’on pouvait tenir pour sûr que les troupes que l’on y voyait, étaient ennemies ; qu’il avait envoyé dans plusieurs directions des patrouilles d’élite pour

149

Mauduit, cité par Tondeur, etc., p. 68. 150

Gourgaud-Journal de Sainte-Hélène, cité par Fleischman, op. cit., p. 218. 151

A ceux qui s’étonneraient que les canonniers britanniques n’aient pas pris la grande batterie pour cible, précisons que cette batterie se trouvait à la limite de la portée efficace des canons de 9 et qu’ils obéissaient aux ordres stricts de Wellington qui leur avait interdit de gâcher leurs munitions à essayer de la museler par des tirs trop aléatoires. Voir Grande Batterie.

Page 77: La bataille de Plancenoit

77

communiquer avec le maréchal Grouchy et lui porter des avis et des ordres.152 »

Napoléon montre ici le bout de l’oreille. Et, sans le vouloir, nous avons peut-être trouvé la solution du problème posé par le « hussard noir »… Napoléon nous disait que « quelques coureurs bien montés » de Domon lui avaient rapporté la présence de « patrouilles ennemies dans la direction de Saint-Lambert ». Premier point : de quoi est composée la division Domon ? De 3 régiments de chasseurs à cheval : 4e chasseurs (3337 h.), 9e chasseurs (362 h.) et 12e chasseurs (318 h.). Deuxième point : si Napoléon fait prendre position à Domon à droite du dispositif, c’est, selon lui, à la suite de l’observation qu’il a faite des Prussiens à Chapelle-Saint-Lambert. C’est ce que les auteurs admettent dans leur quasi-totalité. Or, si c’est le cas, Saint-Lambert et les parages ne sont plus occupés par des patrouilles ennemies mais bien par des masses d’infanterie arrivant de Wavre et se rendant à Lasne. Donc, les reconnaissances de Domon ont été obligatoirement opérées longtemps avant 13.00 hrs. Donc l’ordre à Domon de se porter sur la droite du dispositif a été donné longtemps avant 13.00 hrs et n’est donc pas consécutif à la prétendue observation des Prussiens à Saint-Lambert. Et que nous a dit Napoléon quelques paragraphes plus tôt ?

« Un quart d’heure après, un officier de chasseurs amena un hussard noir prussien qui venait d’être fait prisonnier par les coureurs d’une colonne volante de trois cents chasseurs, qui battait l’estrade entre Wavres et Planchenoit. »

Il y a donc tout lieu de penser que Domon a été envoyé très tôt – peut-être même avant le début effectif de la bataille – comme flanqueur de la droite française et qu’un de ses régiments (300 sabres) a effectivement battu l’estrade entre Wavre et Plancenoit, c’est-à-dire beaucoup plus au sud que là où se trouvaient les Prussiens. De là à dire que le fameux hus-sard noir a été capturé par ces chasseurs à cheval, il n’y a qu’un pas. Le problème de la couleur de l’uniforme n’est plus un problème : le cavalier capturé peut très bien appartenir à une unité étrangère au 4e corps prus-sien mais avoir été détaché dans son état-major.

152

Napoléon – Mémoires (Barrois, 1820), p. 84

Page 78: La bataille de Plancenoit

78

En outre, quels avis, quels ordres Napoléon a-t-il chargé Domon de transmettre à Grouchy ? Le registre du major général est muet à ce propos. L’empereur continue sa dictée et, imperturbablement, intoxique son lecteur :

« L’empereur fit ordonner immédiatement au comte de Lobau de traverser la chaussée de Charleroi, par un changement de direction à droite par division, et de se porter pour soutenir la cavalerie légère du côté de Saint-Lambert ; de choisir une bonne position intermédiaire, où il put, avec dix mille hommes, en arrêter trente mille, si cela devenait nécessaire : d’attaquer vivement les Prussiens, aussitôt qu’il entendrait les premiers coups de canon des troupes que le maréchal Grouchy avait détachées derrière eux. Ces dispositions furent exécutées sur-le-champ. Il était de la plus haute importance que le mouvement du comte de Lobau se fît sans retard.153 »

Quelques paragraphes plus loin, Napoléon poursuit : « Il était midi… Du côté de l’extrême droite les troupes du général Bülow étaient encore stationnaires ; elles paraissaient se former et attendre que leur artillerie eût passé le défilé… « Dès deux heures après-midi, le général Daumont avait fait prévenir que le général Bülow débouchait sur trois colonnes, et que les chasseurs français tiraillaient tout en se retirant devant l’ennemi qui lui paraissaient très nombreux ; il l’évaluait à plus de quarante mille hommes ; il disait de plus que ses coureurs, bien montés, avaient fait plusieurs lieues dans diverses directions, n’avaient rapporté aucune nouvelle du maréchal Grouchy ; qu’il ne fallait donc pas compter sur lui. »

Gourgaud, qui écrit pourtant sous la dictée de l’empereur, – mais deux ans plus tôt – affirme pourtant :

« Il était quatre heures et demie, le feu le plus vif régnait de tous côtés, en cet instant le général Domont fit prévenir sa Majesté que le corps de Bülow, qu’il observait, se mettait en mouvement, et qu’une division de huit à dix mille Prussiens débouchait des bois de Flechimont ; qu’on n’avait aucune nouvelle du maréchal Grouchy ;

153

Id., ibid.

Page 79: La bataille de Plancenoit

79

que les reconnaissances qu’il avait envoyées dans les directions par où il devait venir n’avaient pas rencontré un seul de ses coureurs. »

Est-ce à ce moment que Napoléon ordonne à Lobau de faire front à droite ? Il ne semble pas. Gourgaud continue en effet :

« Le corps du comte de Lobau se porta en trois colonnes dans les positions qu’il avait reconnues. Par ce mouvement, ce corps se trouvait avoir fait un changement de front, et était placé en potence sur l’extrémité de notre droite… A quatre heures et demie, le corps de Lobau, sept mille hommes, se porte contre les prussiens, ce qui réduit à soixante mille hommes les troupes opposées à l’armée Anglo-Hollandaise…154 »

Là-dedans, pas question d’une intervention de l’état-major impérial. Lobau semble donc avoir agi de sa propre initiative. Ainsi Napoléon, manifestement, trompe son monde. Il croit pouvoir faire croire 1°- que, dès midi, les Prussiens ont été observés et, même, qu’ils ont déjà occupé le bois de Paris mais qu’ils attendent leur artillerie toujours occupée à franchir les défilés ; 2° - que, dès qu’il a observé les Prussiens à Saint-Lambert, il ordonna « immédiatement » à Lobau de « traverser la chaussée », alors que nous savons de manière certaine que ce mouvement est destiné à soutenir le 1er corps et la grande batterie menacés par la charge de la cavalerie lourde britannique et que, donc, ce mouvement ne peut avoir eu lieu, au plus tôt, que vers 15.00 hrs ; 3° - que les Prussiens ont commencé à déboucher vers 14.00 hrs. Nous pourrions faire ici appel aux souvenirs du colonel Janin qui était sous-chef d’état-major du 6e corps :

« Le 6e corps se porte en avant pour aller soutenir l’attaque du centre : à peine est-il arrivé sur la crête du ravin qui sépare les deux armées155 que son chef d’état-major, le général Durieu, qui l’avait devancé, revint blessé et annonce que les tirailleurs ennemis s’étendent sur notre flanc droit : le comte de Lobau s’avance avec le général Jacquinot et moi pour les reconnaître, et bientôt, nous voyons déboucher deux colonnes d’environ dix mille hommes chacune : c’était le corps prussien de Bülow. La destination du 6e corps se trouva changée par cet incident : il ne s’agissait plus de

154

Gourgaud, p. 79. 155

Lisez l’armée française et celle de Wellington.

Page 80: La bataille de Plancenoit

80

continuer l’attaque contre les Anglais, mais bien de repousser celle des Prussiens : en un mot par la force des choses nous étions réduits à la défensive la plus défavorable et dont le résultat n’était plus douteux156 »

Voilà qui confirme ce que nous avons dit précédemment et qui prouve que le comte Lobau fut complètement surpris par l’arrivée des Prussiens sur sa droite. Il n’est donc pas question de prétendre que le 6e corps avait été placé à l’endroit où il était pour faire face à l’arrivée de Blücher. Lobau n’a, à ce moment, reçu aucun ordre de l’état-major impérial lui prescrivant de faire front à droite et il est toujours dans la position que nous avons dite en compagnie de la division de cavalerie du général Jacquinot. C’est la « force des choses » qui l’oblige à changer de front. En veut-on la preuve ? Voici ce que raconte le colonel Combes-Brassard :

« Le 6e corps, formant la réserve (j’étais chef d’état-major général de ce corps157), marcha pour soutenir l’attaque de la droite. Ce corps était composé entièrement d’infanterie. « Il était trois heures et demie, un feu infernal s’étendait sur toute la ligne des deux armées. Le 6e corps achevait de se déployer en réserve sur toute la droite de l’armée, lorsque, me rendant à l’extrêmité de notre droite, je reconnus des têtes de colonnes qui débouchaient du côté de Vavres, par Ohain et Saint-Lambert. « Ces colonnes étaient prussiennes. Leur arrivée se produisait sans que l’Empereur eût donné aucun ordre158. Nous étions tournés. « Incertain encore sur la nature et les intentions de ces troupes, je m’approchai d’elles pour reconnaître leurs mouvements. Bientôt je vis que cette colonne était prussienne et manœuvrait pour se porter sur nos flancs et sur nos derrières, de manière à couper à l’armée française la retraite sur Genappe et le pont de la Dyle.

156

Janin E.F. – Campagne de Waterloo, ou Remarques critiques et historiques que l’ouvrage du général Gourgaud - Paris, 1820. Cité par Tondeur, etc., p. 69. Il est à remarquer que Janin répond à Gourgaud, dont le livre paraît en 1818, et non pas à Napoléon dont la dictée n’a été publiée qu’après qu’il a lui-même écrit. Ainsi, son témoignage ne risque-t-il pas d’être « pollué ». 157

Jean-Philippe Tondeur, etc. pose une question pertinente à ce propos : qui était chef d’état-major général du 6

e corps : Durrieu ou Combes-Brassard ? On a beau scruter l’ordre de bataille français, on

ne trouve pas mention de ce Combes-Brassard pas plus que dans le Dictionnaire des Braves de Napoléon. Mais nous savons que le général Durrieu fut blessé alors que le 6

e corps se formait en

carré derrière la grande batterie. Est-il possible que Combes-Brassard ait été présent auprès de Lobau, à titre personnel, et qu’il ait repris au pied levé les fonctions de chef d’état-major à ce moment ? 158

C’est nous qui soulignons.

Page 81: La bataille de Plancenoit

81

« Les Prussiens manœuvraient déjà pour se porter sur nos derrières. « Je volai prévenir de ce mouvement. Il était temps encore, en prenant la position où l’armée avait bivouaqué avant de livrer la bataille, de prévenir les dangers de la position où nous nous trouvions. Mais il n’y avait pas un moment à perdre. Le perdre, c’était perdre l’armée. La fatalité en avait ainsi ordonné. « L’Empereur, obstiné à vouloir enfoncer le centre de l’ennemi, ne tint aucun compte des mouvements qui se faisaient sur ses flancs.159 »

Voilà qui confirme les témoignages de Janin, du sergent-major Marq, de Durutte et les conclusions de Mauduit et de Gourgaud lui-même… Et qui réduit à néant les récits de Napoléon, de Thiers160, d’Houssaye et de tous les auteurs, Logie entre autres, qui leur ont succédé. Nous ne tarderons pas à remarquer que les récits prussiens vont dans le même sens.

159

Combes-Brassard, cité par Tondeur, etc., p. 70 160

Thiers affirme que Napoléon, dès qu’il eût aperçu les Prussiens à Saint-Lambert, envoya immédiatement Lobau sur sa droite pour garantir son flanc. (pp. 201 et sq.) et, donc, fait remonter ces ordres avant l’attaque du 1

er corps. Par la même occasion, il justifie longuement le fait que l’empereur

n’ait pas, à ce moment, renoncé à la bataille autant pour des raisons stratégiques que politiques.

Page 82: La bataille de Plancenoit

82

Page 83: La bataille de Plancenoit

83

remière intervention prussienne Peu après 16.00 hrs, on aperçut les premiers cavaliers prussiens sortir du bois de Paris. Pendant ce temps, à couvert, la 15ème brigade de Losthin s’était formée au nord du chemin de

Plancenoit et la 16ème (Hiller) au sud. Le tout est couvert par 32 pièces d’artillerie. L’axe principal de l’attaque prussienne est donc parallèle au front principal français et est représenté par le chemin de Lasne à Plancenoit. C’est d’ailleurs le clocher de l’église de Plancenoit qui constitue le point de mire pour les soldats prussiens. Néanmoins, Blücher, toujours prudent, fait détacher trois bataillons sur sa droite afin de protéger son flanc droit (dans l’ordre les 2/18 R.I., 3/3 Landwehr Silésie et 1/18 R.I.). Ces unités prennent la direction du château de Fichermont et du hameau de Smohain. De même, à gauche, les 3/15 R.I. et 3/1 Landwehr de Silésie se dirigent vers la ferme Hannotelet. Rappelons que les deux escadrons de von Falkenhausen sont toujours disposés dans la vallée de la Lasne vers Maransart. L’attaque du 4ème corps est donc parfaitement protégée sur ses deux flancs. L’intention de Blücher est parfaitement claire : il s’agit de pousser jusqu’à la chaussée et de couper la retraite à l’ennemi. En même temps, en poussant quelques bataillons vers Smohain, on donnera la main à Wellington. On s’est parfois demandé pourquoi les Prussiens étaient si tardivement intervenus sur le champ de bataille. Et on a cru y répondre en disant que c’est à la méfiance de Gneisenau qu’il fallait attribuer ce prétendu retard. Mais nous savons que dès 13.30 hrs, lorsque la grande batterie se déchaîna, Gneisenau était fixé ; que, d’autre part, Gneisenau était encore à Wavre à ce moment, occupé à régler la marche des 2e et 3e corps ; que Blücher était avec Bülow et que c’est donc lui qui ordonna l’attaque du 4e corps, avant même qu’il soit entièrement réuni. Blücher s’en explique d’ailleurs lui-même :

« Il était 4 heures et demie. L’extrême difficulté du passage du défilé de Saint-Lambert avait considérablement retardé la marche des colonnes prussiennes, en sorte que deux brigades seulement du IVe corps étaient arrivées à la position couverte qui leur était

P

Page 84: La bataille de Plancenoit

84

assignée. Le moment décisif était venu, il n’y avait pas un instant à perdre. Les généraux prussiens ne le laissèrent pas échapper. Ils résolurent aussitôt de commencer l’attaque avec les troupes qu’ils avaient sous la main.161 »

C’est donc aux difficultés du passage de la Lasne que Blücher attribue son retard (relatif). La plupart des sources prussiennes confirment ce point de vue. Müffling suggère même que l’on attendit les batteries de 12 pour engager franchement le combat. Quoi qu’il soit, les auteurs prussiens sont unanimes : on n’attendit pas que le 4e corps fût au complet pour se lancer dans la bagarre et cela est dû au fait que Wellington semblait en grande difficulté. Damitz va même jusqu’à écrire :

« Les nombreux rapports que le feld-maréchal [Blücher] recevait du duc de Wellington montraient assez que celui-ci était à la dernière extrémité. Les forces de Napoléon se voyaient distinctement vers Belle-Alliance : à chaque instant elles pouvaient rompre la ligne ébranlée des Anglais.162 »

Trois batteries prussiennes ouvrirent le feu sur la cavalerie française à la limite de leur portée. Selon Müffling, ce tir avait plutôt pour but d’avertir Wellington que les Prussiens entraient dans la bagarre163. Thurn und Taxis confirme164. Si tel est bien le cas, l’effet fut complètement raté. Dans son Mémorandum de 1842, le duc précise que le premier avis qu’il reçut des mouvements de Blücher lui parvint à 18.00 hrs par un message arrivé de sa droite qui lui signalait qu’à ce moment, on apercevait dans le lointain, derrière la droite de l’ennemi, la fumée d’un tir d’artillerie qu’on supposait avoir lieu à Plancenoit165… Il est vrai qu’à 16.30 hrs, déferlaient sur la ligne alliée les grandes charges de cavalerie françaises et, que dans la fumée et le vacarme de la bataille, de là où il se tenait, Wellington aurait été bien en peine d’apercevoir quoi que ce soit du côté de Plancenoit. Du côté français, on croyait déjà la bataille gagnée. Napoléon, une fois de plus, se faisait des illusions : 161

Blücher, cité par Tondeur, etc., p. 76. 162

Damitz, p. 163

Houssaye, p. 368, Aerts, p. 239. 164

Thurn und Taxis – Aus drei Feldzugen, 1812 bis 1815 – Berlin, Insel-Verlag, 1912, cité par Tondeur, etc., p. 77 165

Wellington – Supplementary despatches, X, p. 529.

Page 85: La bataille de Plancenoit

85

« Le désordre était dans l’armée anglaise ; les bagages, les charrois, les blessés voyant les Français s’approcher de la chaussée de Bruxelles et du principal débouché de la forêt, accouraient en foule pour opérer leur retraite. Tous les fuyards anglais, belges, allemands, qui avaient été sabrés par la cavalerie, se précipitaient vers Bruxelles. Il était quatre heures ; la victoire aurait dès lors été décidée ; mais le corps du général Bulow opéra dans ce moment sa puissante diversion.166 »

Au tir d’artillerie prussien, Domon fit avancer un de ses régiments de chasseurs dans l’intention manifeste de charger les batteries ennemies et, sans doute aussi, de laisser le temps au 6e corps de se déployer167. A la vue de cette manœuvre, « le 2e hussards silésiens, le 2e de Landwehr de Neumark et les escadrons de la 16e brigade traversèrent les intervalles de l’infanterie et vinrent se former en bataille, les hussards à gauche du chemin, la Landwehr de Neumark à droite, les 2 escadrons silésiens en arrière. Cette masse de 10 escadrons refoula sans peine les 4 premiers escadrons de Domon, mais elle dut plier à son tour devant les 8 autres168. » Les cavaliers prussiens repassèrent derrière leur artillerie et leur infanterie. Domon, emporté par son élan se trouva donc complètement à découvert et dut reculer face au feu d’enfer que dirigeaient contre eux les canons de Blücher et les fantassins de Losthin bien postés169. Il passa en réserve, démasquant l’infanterie du 6ème corps. Malgré la faiblesse de son artillerie, Lobau sut l’utiliser à bon escient et les artilleurs français eurent la satisfaction de mettre hors de combat la moitié de la 14ème batterie du 1er lieutenant Hensel. Malgré tout, encouragées par la maigreur du feu d’artillerie français, les brigades Losthin et Hiller sortirent résolument du bois et marchèrent à l’ennemi. A son tour, Lobau, qui ne désirait pas subir le choc passivement, porta son corps en avant et repoussa brièvement l’ennemi. Il était 17.30 hrs. Cet incontestable succès n’eut pourtant aucun effet : voilà que du bois, surgissaient maintenant les 13ème (von Hake) et 14ème (von Ryssel)

166

Napoléon – Mémoires (Barrois, 1820), p. 86 167

Aerts, p. 239 168

Id., ibid. 169

Les 3 bataillons de Losthin étaient remontés à couvert vers la Marache et se déployèrent parallèlement au 6

e corps. C’est dans cette position que les aperçut Vivian. Il s’ensuivit une méprise –

ce qu’en termes modernes, on appelle un « feu amical » - et les Prussiens ouvrirent le feu sur le 2e

bataillon du 2e régiment de Nassau. Voir infra.

Page 86: La bataille de Plancenoit

86

brigades. Toute la cavalerie du prince Guillaume suivait de près et deux batteries supplémentaires furent mises en œuvre. La résistance était presque impossible : Lobau alignait maintenant ses 6 500 hommes contre plus de 30 000 hommes du 4ème corps prussien. A l’impossible, nul n’est tenu, dit-on. Et pourtant, Lobau s’en tint à l’impossible et offrit un très solide front aux attaques prussiennes.

Tentative d’enroulement par le village : première prise de Plancenoit

Gneisenau, arrivé sur ces entrefaites, comprit – et en avisa Blücher – que s’obstiner à attaquer de front Lobau ne servait à rien et qu’il valait mieux essayer de le tourner à gauche (vers le sud)170. En conséquence de quoi, la 16ème brigade (Hiller) appuya à gauche, directement appuyée par la 14ème (von Ryssel). La 13ème brigade (von Hake) vint prendre la place de la 16ème à gauche de la 15ème (Losthin). Deux bataillons de Hake furent détachés sur la droite et reprirent les extérieurs du château de Fichermont. Pendant ce temps-là, les huit batteries prussiennes (59 pièces) pilonnaient le corps de Lobau. Celui-ci, dont la position devenait intenable, commença à redouter sérieusement d’être enroulé par sa droite. Il recula calmement et son corps exécuta une manœuvre excessivement difficile dans ces conditions. En effet, alors que jusqu’ici, chacune des deux divisions était en colonnes par division à distance de section, tout en reculant, elles se déployèrent de sorte à former la ligne sur trois rangs. Du nord au sud, le long de ce qui constitue aujourd’hui le chemin de Plancenoit et le chemin de Camuselle, était déployée la 20ème division dans l’ordre suivant : le 2/107 R.I., le 1/107 R.I., le 2/10 R.I., le 1/10 R.I., le 2/5 léger, le 1/5 léger et le 2/84 R.I.. Un bataillon (le 1/84 R.I.) prit position dans le village de Plancenoit, près de l’église, tandis qu’autour, les 2/27 R.I., 1/27 R.I., 1/11 R.I., 1/5 R.I., et 2/5 R.I., se postaient le long des haies ou des murs, y cherchant une forte position défensive. En deuxième ligne, dans le village, se trouvaient les 2/11 R.I. et 3/11 R.I. Ainsi le village était-il défendu par l’équivalent d’une brigade. Tout ceci se fit sous le feu des batteries prussiennes qui avançaient progressivement.

170

Hamilton-Williams, p.327.

Page 87: La bataille de Plancenoit

87

Comme le fait remarquer Winand Aerts, Plancenoit n’est absolument pas un village facile à défendre : il constitue, selon l’expression consacrée, un nid à obus171. C’est dire si les cinq ou six batteries d’artillerie prussiennes s’en donnèrent à cœur joie. Vers 18.00 hrs, les Prussiens passèrent à l’attaque générale. Au nord, le long des chemins, la division Losthin précédée d’une nuée de tirailleurs monta à l’assaut de la 20ème division qui tint assez bien sa position mais qui commença à céder lentement le terrain. C’est sur le village que s’exerça la pression principale des Prussiens : en première ligne, par la division Hiller soutenue par la division Ryssel. En peu de temps, malgré une résistance acharnée, le village tomba aux mains des Prussiens qui s’y retranchèrent. Pas de doute : si les Prussiens restaient là, ils étaient à même de menacer la ligne de retraite de l’armée française. Déjà, des boulets prussiens tombaient sur la chaussée de Bruxelles où était stationnée l’ultime réserve, la Garde. Napoléon fit donc appeler le général Duhesme et lui donna l’ordre de reprendre le village.

« Feux amicaux » au nord

Suspendons un instant l’action pour aller voir ce qu’étaient devenus les Prussiens que Blücher avait envoyés pour garder ses flancs.

171

Aerts, p. 243.

Page 88: La bataille de Plancenoit

88

On se rappelle que la 15ème brigade avait détaché trois bataillons sur sa droite : les 2/18 R.I., 3/3 Silésien, et 1/18 R.I. Ces unités marchèrent immédiatement à couvert vers Papelotte sans être autrement inquiétées. Apparemment, les seuls à les apercevoir furent les cavaliers de Vivian – en l’occurrence, l’escadron du 10ème hussards du capitaine Taylor – qui surveillaient l’extrême-gauche de la position anglo-alliée, depuis une hauteur au-dessus de Papelotte et de La Haie. Sir Hussey Vivian raconte :

« Je dirais que les premiers Prussiens que je vis entrer en action étaient l’avant-garde d’un corps qui ne dépassait pas deux régiments, supportés par un troisième. Ils passèrent les haies de Papelotte et traversèrent la vallée (du Smohain) pour se mettre à angle droit avec notre ligne. Ils étaient immédiatement en-dessous de l’endroit où j’étais et je vis cette opération aussi clairement que si cela avait été un jour de manœuvre. Les Français marchèrent immédiatement contre eux, ou plutôt contre leur flanc gauche, et les firent reculer. Ils occupèrent le village de Smohain ou de Papelotte, j’ai oublié lequel exactement, Il devait être entre cinq et six heures. Je dirais plutôt cinq…172 »

Ce que ne raconte pas Vivian – et pour cause – c’est qu’au cours de cette opération, il se produisit un très grave incident. C’est le colonel van Zuylen, chef d’état-major de la 2ème division néerlandaise (Perponcher) qui raconte à son tour :

« A 6 heures, on entendit un feu très vif à l’aile gauche. Jusqu’à ce moment, le général de Perponcher s’était tenu près de la première brigade, au centre de la position, mais pensant que sa présence pouvait être alors nécessaire à l’aile gauche, il se rendit à Smohain, accompagné du chef d’état-major. « L’ennemi173, voyant déboucher les Prussiens, attaque de ce côté avec vigueur ; il réussit à se rendre maître, pour un instant, de quelques maisons du village de Smohain et des bâtiments extérieurs du château de Fichermont, mais il en fut bientôt chassé par le major Norman, à la tête du 2e bataillon Nassau. Les tirailleurs prussiens du corps du général Bülow, qui débouchaient alors en grand nombre du bois entre Jean Loo (Genleau) et Aywiers, ne

172

Waterloo Letters, n° 71, pp. 151-152. 173

En l’occurrence : la 4ème

division d’infanterie du général Durutte.

Page 89: La bataille de Plancenoit

89

reconnaissant pas l’uniforme des troupes de Nassau, commirent une regrettable erreur. Les contre-épaulettes des officiers, la forme et les ornements des shakos, les bonnets à poil des grenadiers, la ressemblance des marches et signaux avec ceux des Français firent croire aux Prussiens qu’ils étaient en présence de l’ennemi et ils ouvrirent un violent feu de tirailleur contre nos tirailleurs de l’aile gauche. « On essaya en vain de s’expliquer et S.E. le général de division [Perponcher] décida que notre chaîne se retirerait, ce qui se fit dans le meilleur ordre et, quelques instants après, quand on se fut mutuellement reconnu, nous reprîmes notre ligne. La compagnie de grenadiers se relia aux troupes prussiennes et suivit leur mouvement en tirailleurs.174 »

Adkin raconte l’incident : « Un exemple de « friendly fire » nous est offert quand les Prussiens ouvrirent le feu sur les Nassauviens près de Papelotte. L’incident se produisit quand deux bataillons du 18ème régiment prussien du 4ème corps de Bülow firent mouvement vers le nord pour se joindre au flanc gauche de Wellington. Comme ils approchaient de Papelotte dans le bocage fermé, les chemins creux et les haies épaisses, ils ouvrirent le feu sur la compagnie légère du 3/2 Nassau du capitaine von Rettberg. Rettberg riposta et contre-attaqua vigoureusement avant de réaliser que ses assaillants étaient prussiens.175 »

Un autre incident du même style survint plus tard quand le corps de Zieten déboucha sur le champ de bataille. Le général Freemantle qui, à l’époque, était aide de camp de Wellington, raconte qu’en revenant de l’extrême gauche de la ligne alliée où il avait vu Bülow et Zieten, il tomba sur une batterie prussienne de huit pièces qui tirait sur « nos premières et deuxièmes lignes », il demanda à l’officier de cesser son tir et, comme celui-ci n’obtempérait pas, il dut retourner vers les généraux afin d’arrêter le massacre176.

174

Van Zuylen – Relation historique de la 2ème

division… - p. 343-345. 175

Adkin, p. 184. 176

Waterloo Letters, n° 11, p. 22.

Page 90: La bataille de Plancenoit

90

Ce genre d’incident, que les Anglais appellent donc un « friendly fire », n’était pas rare à cette époque. S’il est une idée reçue qu’il faut combattre avec vigueur, c’est celle de la « red tin line », tant célébrée par les auteurs anglais et passée dans la tradition. Dans l’armée de Wellington, sans entrer dans les détails, il faut se rappeler que l’infanterie britannique et hanovrienne était en rouge à l’exception de certaines unités légères en vert, l’artillerie en bleu foncé, la cavalerie légère en bleu foncé, les Nassauviens étaient en bleu ou en vert, pour les chasseurs, et les Brunswickois en noir. Les plus exposés aux confusions étaient sans doute les Hollando-Belges. Beaucoup de ces soldats portaient un uniforme très semblable à celui des Français. L’infanterie de ligne était en bleu, l’infanterie légère en vert et certaines unités de cavalerie en bleu ou en vert. Par exemple, le 5ème dragons légers belge portait exactement le même uniforme – vert à parements jaunes – que les chasseurs à cheval français. Aux Quatre-Bras, l’infanterie britannique ouvrit un feu meurtrier sur les dragons légers qui rejoignaient leurs lignes. On pourrait multiplier les exemples. Adkin donne une statistique intéressante : selon lui, 47 p.c. des troupes anglo-alliées étaient en rouge, 31 p.c. en bleu, 14 p.c. en vert et 8 p.c. en noir177. De telle sorte que plus de la moitié des troupes commandées par Wellington n’était pas en rouge… A titre d’exemple, le capitaine Mercer raconte que quand Chassé fit mouvement pour venir en seconde ligne soutenir le front anglo-allié, ses artilleurs prirent ses unités pour des Français. Dans le doute, le major Tidy, du 14ème Foot, s’en alla vérifier et revint en affirmant qu’il s’agissait bien de Français. Des ordres furent donc donnés pour ouvrir le feu mais heureusement le lieutenant-colonel Gold qui commandait l’artillerie divisionnaire reconnut les nouveaux venus pour être belges et suspendit les ordres de tir178. Mercer raconte d’ailleurs un peu plus loin que, alors qu’il tirait sur des Français, un officier brunswickois vint le supplier de suspendre son tir en affirmant qu’il était occupé à tirer sur des Prussiens179. De manière totalement incompréhensible, John Keegan interprète le récit de Mercer à contre-sens. Ne dit-il pas que « Mercer décrit abondamment combien il a souffert d’une batterie prussienne qui

177

Adkin, p. 184 178

Mercer, p. 168-169. 179

Id., p. 179.

Page 91: La bataille de Plancenoit

91

avait pris ses troupes pour les Français, et leur avait infligé plus de pertes qu’ils n’en avaient subi durant la journée de bataille.180 » ? Or, Mercer tirait bien sur des Français qui montaient à l’assaut de la ligne anglo-alliée après la prise de la Haye-Sainte et qui avaient placé une batterie sur la crête d’où ils arrosaient la ligne alliée en enfilade. Nulle part, Mercer ne se plaint du feu des Prussiens. D’autant que, de là où il était placé (aux Vertes Bornes, à peu près à mi-chemin entre l’actuel Lion et la chaussée de Nivelles), il n’a pas dû en voir un seul de la journée. Quoique la traduction de l’ouvrage de Keegan soit exécrable et que l’éditeur français ait cru utile de « caviarder » le texte original, l’erreur de l’excellent auteur britannique n’en reste pas moins impossible à comprendre. Il semble bien que ces tirs amicaux aient existé depuis la première fois que des hommes s’en sont allés en guerre. Cela faisait partie des accidents coutumiers. Ce n’est que récemment que ces incidents ont attiré l’attention. Au cours de la première guerre du Golfe, il y eut si peu de dégâts corporels dans l’armée des coalisés que les tirs amicaux acquirent un relief particulier et furent montés en épingle par la presse. A en croire ces commentateurs, le soldat américain serait le pire des assassins, même si l’on ne tient pas compte du millier de cas où, durant la guerre du Vietnam, il tua ou blessa volontairement un de ses officiers ou sous-officiers181… Revenons à Plancenoit.

La jeune garde reprend Plancenoit Le général Duhesme reçoit donc, peu après 18.00 hrs, de la bouche de l’empereur lui-même, l’ordre de reprendre le village de Plancenoit. Le matin de Waterloo, Duhesme était à la tête de la jeune garde laquelle se composait de la manière suivante :

Division de la jeune garde :

G l de Div Cte Guillaume-Philibert Duhesme (4,283 h., 16 canons)

1ère division d’infanterie : Général Comte Barrois

180

Keegan – Anatomie de la bataille – Paris, Robert Laffont, 1976, p. 170 181

Adkin, p. 184.

Page 92: La bataille de Plancenoit

92

Chef d’E-M : Adjudant-Commandant Mellinet

1ère Brigade: Maréchal de Camp Chevalier Chartrand 1er Rgt de Tirailleurs (2 bat.) (26 off./1,083 h.) (Colonel Trappier de Malcolm) 1er Rgt de Voltigeurs (2) (31/1,188) (Colonel Sécrétan) Artillerie de brigade 12/7ème Rgt Artillerie à Pied: 6 x 6 lbs, 2 x 5.5" (4/107) 10/6ème Escadron du train (3/171)

2ème Brigade: Marechal de Camp Guye, marquis de Rios-Milanos 3ème Rgt de Tirailleurs (2) (28/960) (Colonel Pailhès) 3ème Rgt de Voltigeurs (2) (32/935) (Colonel en second Hurel) Artillerie de brigade 13/7ème Rgt Artillerie à Pied: 6 x 6 lbs, 2 x 5.5" (3/102) En appui : 1 compagnie du train (1/107)

La 2ème division d’infanterie de la jeune garde était détachée en Vendée.

Voici donc que, entre 18.30 et 18.45 hrs, s’ébranle la jeune garde qui était jusque-là stationnée le long de la chaussée. Elle marche le long de ce nous nommons maintenant la rue du Champ de Bataille et la rue de la Bâchée. En tête marchent les 2ème et 1er bataillons du 1er tirailleurs puis les 1er et 2ème bataillons du 1er voltigeurs, les 1er et 2ème bataillons du 3ème tirailleurs, les 1er et 2ème bataillons du 3ème voltigeurs. On a fort peu de détails sur cet assaut. Il semble bien toutefois que le 1/1 tirailleurs se dirigea vers le nord du village et le 2/1 tirailleurs vers le sud. Le reste, soutenu ou précédé par les 27ème, 11ème et 5ème de ligne, s’engouffra dans le village dont ils chassèrent les Prussiens sans grosse difficulté. Après avoir reculé, la 16ème brigade prussienne fut reformée et renforcée par le général von Hiller. Trois colonnes de 2 bataillons chacune furent constituées ; à droite, les 1/15 R.I. et 2/15 R.I. (major Wittig) ; au centre, les 1/1 Silésiens et 2/1 Silésiens (major Fischer) ; à gauche les 1/2

Page 93: La bataille de Plancenoit

93

Silésiens et 2/2 Silésiens (Lt-col Blandowsky), soutenus en deuxième ligne par 2 bataillons de la 14ème brigade (1/2 R.I. et 1/1 Poméraniens). Cependant, au nord, la 13ème brigade (Hake) vint soutenir la 15ème (Losthin), toujours aux prises avec le gros de Lobau. Les tirailleurs et voltigeurs de la garde s’étaient retranchés à leur tour dans le village et dans le cimetière et accueillirent ce nouvel assaut avec vigueur. Quelques pièces d’artillerie les soutenaient.

Les Prussiens s’emparent de Plancenoit pour la deuxième fois

Les Prussiens, à la tête desquels Gneisenau, arrivé de Wavre, était venu se mettre personnellement, ne se laissent pas arrêter, reprennent pied dans le cimetière et continuent leur progression dans le village où ils prennent deux canons et un obusier à l’ennemi. Mais les Français se sont barricadés dans les maisons d’où ils tirent à bout portant sur les Prussiens mal protégés. La situation devient très vite impossible à gérer et les Prussiens se retirent lentement. Mais ils se reforment aussitôt, se voient renforcés par le 2/2 R.I. et le 2/1 Poméraniens, repartent à l’assaut et reprennent la plus grosse partie du village. D’après le général Pelet, qui, avec la vieille garde, se trouvait non loin de la chaussée, la jeune garde « était poussée, et les hommes filaient sur les derrières ». Autrement dit, ils prenaient la poudre d’escampette… Pelet, de sa propre initiative, envoya 50 hommes vers les premières maisons de Plancenoit qui, en venant de la chaussée, étaient assez éloignées du village et bien séparées, pour arrêter les fuyards. Ce qu’ils n’arrivèrent sans doute pas à faire complètement, puisque Pelet dut envoyer un second détachement qu’il dut placer lui-même.

Page 94: La bataille de Plancenoit

94

Intervention de la vieille garde Cependant, vers 19.15 hrs, lorsqu’il aperçoit que le village est sur le point de retomber aux mains de l’ennemi, Napoléon ordonne au général Pelet de prendre la tête du 1er bataillon du 2ème chasseurs de la garde et du 1er bataillon du 2ème grenadiers de la garde et d’aller donner un coup de main à la jeune garde et aux bataillons de ligne pour s’assurer solidement du village. Le fait que l’empereur n’hésite pas à engager deux bataillons de sa vieille garde en dit long sur l’importance qu’il accordait à la possession du village. Le général Morand, commandant des chasseurs de la garde – à moins que ce ne soit l’empereur lui-même182 – ordonna au général Pelet :

« Allez avec votre 1er bataillon à Plancenoit, où la jeune garde est toute renversée. Soutenez-la. Tenez vos troupes réunies et en main ; si vous abordez l’ennemi, que ce soit avec une seule division183 et à la baïonnette.184 »

Le récit du général Pelet, qui est sans doute le plus complet, le plus clair et certainement le plus éloquent, est donné par Aerts :

« Dès lors, je me dévouai et courus avec le 1er bataillon à Plancenoit. Il pouvait être 6 heures, peut-être 7 ; enfin, je ne sais combien de temps j’y restai, mais il put me paraître un peu long. Je rappelai à moi Gourahel, et, trouvant M. Lepage185 dans les premières maisons, je lui dis de se porter aux dernières maisons du village, et de les occuper fortement. En y entrant, je rencontrai le pauvre général Duhesme, qu’on portait mourant ou mort sur son cheval, puis les voltigeurs en pleine débine, Chartran186 qui me dit qu’il n’en pouvait rien tirer, le colonel Hurel187, enfin, pas mal de monde, mais tous se retiraient. Je leur promis d’arrêter l’ennemi, et les engageai à se rallier en arrière de moi. En effet, je me portai à la croisière du village, et là, voyant venir les hommes de M. Lepage et les Prussiens qui les poursuivaient, je donnai l’ordre à M. Peschot188

182

Les rares sources divergent… 183

Une division = deux compagnies. 184

Aerts, p. 246. 185

Gourahel et Lepage, les commandants des deux petits détachements qu’avait déjà faits Pelet. 186

Commandant de la 1ère

brigade de la jeune garde. 187

Commandant le 3ème

voltigeurs. 188

Capitaine au 2ème

chasseurs de la garde.

Page 95: La bataille de Plancenoit

95

de marcher avec la 1ère compagnie, et de tomber à la baïonnette sur l’ennemi, qui venait par la rue opposée à la nôtre. Son sergent Granges, plus vif, donna l’ordre au 1er peloton, et marche avec lui. Il exécute mon ordre ; mais à peine l’ennemi tourne le dos, que les hommes se mettent à tirailler, il n’en reste plus maître. L’ennemi envoie de nouvelles forces ; Peschot ne peut ramener son peloton et il est ramené. J’en fais marcher un autre, il veut tirailler ; je le pousse moi-même, et l’ennemi fuit. Mais ce peloton se dispersa, et, à chaque charge que je faisais, il m’en arrivait autant. Mes hommes des dernières compagnies criaient : « En avant ! » se mettaient à tirailler, et c’était autant de dispersé. Je fais occuper l’église par quelques hommes que j’y mène, et je me trouve encore nez à nez avec ces messieurs qui me tirent à bout portant, mais qui filent. Alors, voyant combien on leur résiste, ils lancent une multitude d’obus dans le village, et cherchent à le tourner par les ravins de la Lasne et les bois qui étaient par là. J’y envoie un officier, je crois que c’est M. Auguis189. Dans toutes ces attaques, on leur empoignait du monde ; nos soldats étaient furieux, et les égorgeaient. Je courais à eux pour les en empêcher, et, comme j’y volais, j’en vis périr un sous mes yeux. (Ils avaient égorgé de sang froid et pendu de nos gens.) Je fus plus que révolté, que soulevé de fureur ; j’en pris plusieurs sous ma protection, et surtout un officier qui se prosternait, qui me parlait de ses amis français, de ceux de sa famille. Je les faisais passer derrière mon cheval, et puis je les remettais à mes sapeurs, pour m’en répondre. « J’envoyai M. Heuillet190 par la gauche, pour tenir et défendre l’église ; il alla trop en avant, et auprès d’un bois en face où était l’ennemi ; par derrière lui, venaient quelques hommes de la Jeune Garde, qui chargeaient extérieurement au village. « Cependant, le combat en se prolongeant avait mis tout mon monde en tirailleurs. Je ne pouvais plus rallier un peloton, l’ennemi n’entrait pas dans le village, mais il me prolongeait de tous côtés, et, à chaque intervalle de jardins, je voyais des fusils qui m’ajustaient à 40 pas, et je ne conçoit pas comment ils ne m’ont pas descendu

189

Capitaine au 2ème

chasseurs. 190

Capitaine au 2ème

chasseurs.

Page 96: La bataille de Plancenoit

96

vingt fois. J’allais et venais avec Isabelle191 ; j’avais retiré ma redingote192, et ils me reconnaissaient de la tête aux pieds pour officier général. Certainement, le village ne tenait qu’à moi ; j’allais, je venais, je faisais battre la charge, puis le ralliement, puis le roulement ; rien ne me reformait un peloton. « Enfin, dans un moment où j’étais le plus embarrassé, le plus pressé et en même temps le plus dénué, il m’arrive un peloton de grenadiers envoyé par je ne sais pas qui, et dont je fus plus que content. Je l’arrêtai pour rallier quelques chasseurs, puis je le fis charger à la baïonnette, sans tirer un seul coup de fusil. ; ils allèrent comme des murs, ils me renversèrent tout. Je me maintenais au milieu de cette grêle d’obus, du feu qui commençait à s’allumer dans diverses maisons, d’une fusillade terrible et continuelle ; ils nous environnaient d’une multitude de tirailleurs. N’importe, je tenais comme un démon, je ne pouvais plus réunir mes hommes, mais ils étaient tous nichés, et faisaient sur l’ennemi un feu meurtrier qui le contenait ; ils l’auraient arrêté sans le nombre qui nous accablait.193 »

Nous pouvons ajouter à ce récit, quoiqu’il ne nécessite guère de commentaires dans son admirable clarté, que le peloton de grenadiers dont parle Pelet, appartenait au 2ème bataillon du 2ème grenadiers (Golzio) que le général Christiani venait d’envoyer à Plancenoit. Au pas de charge, les grenadiers nettoyèrent le village de tout ennemi et continuèrent à pourchasser les Prussiens à plus de 500 mètres au-delà, jusqu’aux batteries prussiennes, un moment abandonnées. Cependant, cette masse, désorganisée par sa charge même, se vit à son tour charger par des hussards silésiens qui refoulèrent les grenadiers. A leur tour, ces hussards furent chargés par les lanciers de Subervie, bientôt appuyés par plusieurs escadrons de Domon, eux-mêmes bientôt chargés par le régiment de hussards prussiens n° 8. Ainsi donc, Pelet avait repris le village de Plancenoit.

191

Isabelle était la jument du général Pelet. 192

Certains auteurs ont tiré de cette phrase la conclusion que le général Pelet combattait en bras de chemise… Bien au contraire, s’il a ôté sa redingote c’est-à-dire son surtout, il était en habit dont les broderies le signalaient comme général de manière éclatante. 193

Aerts, pp. 246 et sq.

Page 97: La bataille de Plancenoit

97

C’est à ce moment que Napoléon, rassuré sur sa droite, et qui venait d’apprendre la prise de la Haye-Sainte, crut qu’il était temps de donner le coup définitif aux Anglo-Hollandais et mit en branle la charge de la garde impériale sur le centre-droit de Wellington. Les artilleurs prussiens reprirent leurs postes et noyèrent le village de Plancenoit dans un océan de feu. Les 14ème et 16ème brigades prussiennes qui avaient pris le village puis qui l’avaient reperdu étaient épuisées et mirent du temps pour se reformer. Pendant ce temps, les 13ème et 15ème brigades se heurtaient toujours à la résistance acharnée du corps de Lobau. La cavalerie du prince Guillaume s’était chargée de remplir le vide laissé entre les deux ailes du 4ème corps, mais il était dans la plus inconfortable des positions, bombardé par l’artillerie française qui lui causa d’importants dégâts. A 19.00 hrs donc, aux dires de Gneisenau, la bataille était indécise. C’est un euphémisme… En effet, à ce moment, les Prussiens étaient bloqués devant Plancenoit et la ligne anglaise faisait entendre de sinistres craquements.

« Les Prussiens ou la nuit… »

C’est à ce moment que Wellington crut sérieusement que la journée était sur le point s’être perdue. Selon plusieurs témoins, il laissa échapper : « Seigneur ! Les Prussiens ou la nuit ! » Il est vrai que, si vers 18.00 hrs, il avait reçu avis qu’on apercevait des fumées d’artillerie du côté de Plancenoit, il ne pouvait rien voir de ce qui s’y passait. A 18.30 hrs, il n’en voyait pas beaucoup plus. Si même les Prussiens se battaient à Plancenoit, il n’en était pas soulagé le moins du monde. Du moins le pensait-il. Quoique tous les avis du matin, les assurances reçues de Blücher, les encouragements de Müffling, aient fini par fortifier sa certitude que Blücher lui viendrait en aide, il n’en voyait pas encore concrètement le moindre résultat. Il ne fait pas de doute qu’il se sentit, à cet instant, profondément ébranlé. C’est alors qu’un aide de camp de lord Uxbridge, sir Horace Seymour, vint annoncer au duc que l’on apercevait une nouvelle colonne de Prussiens vers Ohain. A ce moment, le cheval de Seymour s’abattit sous lui. Le colonel Freemantle raconte :

« Le duc m’appela et m’envoya vers la tête de leur colonne pour leur demander 3 000 hommes afin de compenser nos pertes. Blücher n’était pas arrivé mais les généraux Zieten et Bülow étaient

Page 98: La bataille de Plancenoit

98

à la tête de la colonne. Ils me répondirent que toute l’armée arrivait et qu’ils ne pouvaient faire aucun détachement. Je leur dis que je retournerais chez le duc avec ce message.194 »

Le 1er corps prussien hésite D’après ce témoignage, Zieten était donc parvenu à Ohain et se concertait avec Bülow sur la direction à prendre. C’est que ces officiers n’étaient nullement fixés sur la décision qu’il fallait prendre. Si l’on se fie au récit que donne von Reiche, qui était le chef d’état-major du 1er corps, il s’en est fallu de peu que Zieten n’arrive jamais sur le champ de bataille. Arrivé avec l’avant-garde du 1er corps à Ohain vers 18.00 hrs, le lieutenant-colonel von Reiche poussa en avant pour explorer la route en direction du champ de bataille. Il parla à Müffling qui se tenait derrière Papelotte où il attendait, selon ses propres mots, « mit der grössten Ungeduld » l’arrivée de l’avant-garde de Zieten. Müffling informa von Reiche qu’il était urgent que son corps vînt renforcer l’aile gauche du duc. Reiche promit alors d’accélérer la marche de la colonne prussienne. Il revint sur ses pas, donna les instructions nécessaires à son avant-garde et retourna sur le champ de bataille où il encouragea les Nassauviens de Saxe-Weimar, qui étaient sévèrement pressés par l’ennemi, à tenir bon jusqu’à l’arrivée prochaine des renforts. Puis il retourne chez Zieten pour à nouveau presser la marche de la colonne. Là, il tombe sur un officier d’état-major de Blücher, le capitaine von Scharnhorst, porteur d’un ordre du feld-maréchal prescrivant à Zieten de fléchir sa marche vers le sud pour venir appuyer le 4ème corps. S’en suivit une très vive discussion entre Scharnhorst et von Reiche qui raconte lui-même :

« Je lui expliquai que tout avait été mis au point avec Müffling, que Wellington comptait sur notre proche intervention mais Scharnhorst ne voulait rien entendre. Il déclara que c’étaient les ordres de Blücher et que si je n’obéissais pas, je serais tenu pour responsable – alors qu’en réalité, ce serait lui qui serait responsable. Jamais, à aucun moment de ma carrière, je ne m’étais trouvé dans une situation aussi difficile. D’une part, nos troupes étaient en péril

194

Waterloo-Letters, n° 11, pp. 21-22. C’est au retour de cette mission que Freemantle tomba sur une batterie prussienne occupée à battre la ligne anglo-alliée.

Page 99: La bataille de Plancenoit

99

du côté de Plancenoit ; de l’autre, Wellington comptait sur notre aide. J’étais désespéré par ce dilemme. Le général Zieten était introuvable. Et, par-dessus le marché, la tête de colonne du 1er corps était arrivée au point où il fallait décider du chemin à prendre. Elle avait même dépassé l’endroit où elle aurait dû tourner pour rejoindre Blücher. Quand le général Steinmetz, qui commandait l’avant-garde du 1er corps, me vit discuter avec la tête de colonne, il fonça sur moi, se mit à hurler sur moi, comme il en avait l’habitude, et sans même vouloir entendre mes explications, ordonna à l’avant-garde de revenir sur ses pas jusqu’à la croisée des chemins pour se diriger vers Plancenoit. Heureusement, à ce moment, le général Zieten fit son apparition et, après m’avoir écouté, il corrigea la marche de ses troupes vers le flanc gauche de Wellington.195 »

Cette décision finale de Zieten est certainement due à l’intervention de Müffling. Celui-ci raconte en effet :

« L’avant-garde du corps de Zieten, que j’attendais avec la plus grande impatience, fut soudain détournée et disparut des hauteurs, alors que l’ennemi occupait Papelotte avec de l’infanterie. Je galopai sur la hauteur d’où je vis l’avant-garde en pleine retraite. Le général von Zieten, que je rejoignis heureusement très rapidement, avait reçu l’ordre du feld-maréchal de venir le rejoindre et voulait le faire en se dirigeant directement sur Papelotte. Il avait changé d’avis quand un de ses officiers qu’il avait envoyé en avant pour voir où en était la bataille, était revenu avec l’information que l’aile droite de l’armée anglaise était en pleine retraite. Ce jeune homme peu expérimenté avait, au milieu du feu, vu un grand nombre de blessés se diriger ou être transportés vers les postes de secours et les avait pris pour des fuyards, d’où son faux rapport. Après que j’ai pu montrer au général von Zieten qu’il n’était pas question de retraite et l’avoir convaincu de porter son corps à son point de destination initial, compte tenu en plus que la descente vers Papelotte serait difficile et retarderait son intervention, il fit immédiatement détourner son corps, me suivit et continua à

195

Cité par Adkin, p. 389.

Page 100: La bataille de Plancenoit

100

pousser contre l’ennemi jusqu’à la tombée de la nuit et l’avance générale.196 »

En tout état de cause, les unités de Steinmetz entrèrent dans l’action vers 19.30 hrs. Elles avancèrent sur Smohain et attaquèrent vers le sud. Leur arrivée coïncida avec l’attaque de la moyenne garde sur la ligne de Wellington. Le moral des Français, à qui on avait fait croire que ces unités étaient celles de Grouchy, s’effondra quand ils s’aperçurent qu’il s’agissait en réalité de Prussiens : c’était le début de la déroute.

Intervention décisive de Zieten

Pendant que l’avant-garde de Steinmetz se porte sur Smohain, deux batteries (la 7ème à pied et la 7ème à cheval), sont mises en place, conduites par le colonel von Reiche lui-même, et dont l’une est très certainement la batterie dont le colonel Freemantle parle dans les Waterloo Letters. A ce propos, Winand Aerts nous dit que « [Freemantle] aperçut, entre la première et la seconde ligne anglaise, une batterie prussienne de huit pièces en activité et située de façon à massacrer autant d’amis que d’ennemis…197 » Ce n’est pas tout à fait exact. Freemantle dit que, revenant d’avoir conféré avec les généraux prussiens, il rencontra lors de son retour, « une batterie prussienne de huit pièces qui tirait sur nos premières et deuxièmes lignes » et qu’il demanda à l’officier qui les commandait de cesser son tir. Comme il n’était pas parvenu à se faire entendre, il retourna vers les généraux pour leur demander de mettre fin à ce « feu amical »198. Il est plus que vraisemblable que les artilleurs prussiens, découvrant les lignes nassauviennes, dont l’uniforme était très ressemblant à ceux des Français, nous le savons, les prirent pour des Français et mirent aussitôt leurs pièces en batterie sans autre vérification. Cet incident aplani, les deux batteries continuèrent leur progression et vinrent relayer l’artillerie hanovrienne de Rettberg qui avait épuisé ses munitions. C’est du moins ce qu’affirme Aerts. S’il est vrai que, lorsque la brigade Vivian fut « libérée » par l’arrivée des Prussiens et qu’elle reçut l’ordre de gagner le centre de la position anglo-alliée, elle emmena la

196

Müffling, p. 248. 197

Aerts, p. 257, note 2. 198

Waterloo Letters, n° 11, p. 22.

Page 101: La bataille de Plancenoit

101

batterie Gardiner qui lui était organiquement attachée199, la première batterie d’artillerie que durent rencontrer les Prussiens sur leur chemin fut les deux pièces restantes de l’artillerie hollando-belge de Stiévenart et la demi-batterie (4 pièces) de Bijleveld. Aerts nous dit en effet que « les deux batteries prussiennes ouvrirent le feu sur le flanc gauche de Lobau et sur le flanc droit du corps de d’Erlon200 ». Or la position qu’occupaient les quatre pièces de Bijleveld était idéale pour prendre en écharpe le malheureux 6ème corps français. Il n’était pas donc nécessaire que les artilleurs prussiens parcourussent les 550 mètres qui les séparaient de la batterie Rettberg. Ceci dit, rien ne prouve qu’ils ne l’aient pas fait, ou qu’ils n’aient pas égrené leurs pièces le long de ces 550 mètres. Pendant que l’artillerie ouvrait le feu, la cavalerie, conduite par Zieten lui-même, se déployait :

« les ulans et les dragons de Brandebourg au nord du chemin d’Ohain, à la gauche de la brigade hanovrienne Best (division Picton), le 2ème régiment de la landwehr de Kurmark dans un pli de terrain derrière cette brigade, le 1er hussards silésiens plus en avant, derrière le point de jonction du chemin d’Ohain et du sentier qui descend vers Papelotte.201 »

C’est ce dernier sentier qu’aurait emprunté tout le corps de Zieten si Müffling n’était pas venu le remettre sur le bon chemin. Entre-temps, la division Durutte était revenue et avait repoussé les tirailleurs nassauviens derrière les fermes de Papelotte et de La Haie, poussant même au-delà de Smohain. Leur intention manifeste était de couper des lignes anglo-alliées les unités que Bülow avait envoyées sur son flanc. L’arrivée en masse du corps de Zieten et une attaque de la 1ère brigade provoqua le reflux de cette dernière vague française vers Smohain. Cette 1ère brigade (von Treckow), arrivée dans le vallon, prit ses dispositions pour l’attaque. Les fusiliers du 24ème R.I. et les tirailleurs silésiens se dirigèrent vers La Haie tandis que les mousquetaires du 24ème R.I. pénétraient dans le hameau de Smohain. Ils se heurtèrent à une résistance assez prononcée des tirailleurs de Durutte, mais franchirent la

199

C’est même la seule batterie d’artillerie à cheval britannique qui resta attachée à son corps d’origine. 200

Aerts, p. 257. 201

Id., pp 257-258.

Page 102: La bataille de Plancenoit

102

difficulté sans trop de retard. Ils reçurent alors l’ordre de gravir le versant sud du vallon, ce qu’ils firent sans grande opposition, dispersant ainsi les derniers restes des bataillons de Durutte. Par la même occasion, ces hommes qui avaient progressé en tirailleurs, rejoignirent les unités de Bülow. Tous ensemble, avec l’appui des Nassauviens de Saxe-Weimar, ils montèrent sur le plateau, malgré la résistance des Français et une charge de la cavalerie de Jacquinot. Gneisenau raconte lui-même :

« A ce moment, les premières colonnes du corps du général Zieten arrivèrent sur les points d’attaque, près du village de Smohain, sur le flanc droit de l’ennemi, et chargèrent immédiatement. Ce moment décida de la défaite de l’ennemi. Son aile droite était brisée à trois endroits ; il abandonna ses positions. Nos troupes se précipitèrent en avant au pas de charge et l’attaquèrent de tous les côtés en même temps que toute la ligne anglaise avançait. Les circonstances étaient extrêmement favorables à l’attaque menée par les Prussiens : le terrain formait comme un amphithéâtre de telle sorte que notre artillerie pouvait librement ouvrir le feu du sommet d’un grand nombre de hauteurs qui se succédaient les unes aux autres et dans l’intervalle desquelles les troupes descendaient dans la plaine, formée en brigades et dans le plus grand ordre, pendant que des troupes fraîches venaient continuellement se mettre en ligne en sortant de la forêt qui était sur la hauteur derrière nous.202 »

Ce succès, conjugué au recul de la garde sur le centre droit de Wellington, provoqua le recul général du corps d’Erlon. Bientôt, on put entendre des cris « Sauve qui peut ! » et la retraite se transforma en débandade. Cette fuite éperdue ne passa pas inaperçue des hommes du corps de Lobau qui, jusqu’ici, avaient eu un maintien mieux qu’honorable. Attaqués depuis plus de quatre heures sur leur front, menacés maintenant sur leurs arrières, écrasés devant et sur leur gauche par une pluie d’obus et de boulets, les formations du 6ème corps commencèrent à

202

Compte-rendu du général von Gneisenau au roi de Prusse, 22 juin 1815. L’original de ce document a été détruit lors du siège de Berlin en 1945. Copie en avait été donnée par Wellington – Supplemen-tary despatches, (éd. 1836) X, pp. 502 et 506 et par Christopher Kelly. A Full And Circumstantial Ac-count Of The Memorable Battle of Waterloo, London, 1836, pp. 58-62.

Page 103: La bataille de Plancenoit

103

perdre leur cohérence. Passé 20.00 hrs, ils suivirent leurs camarades du 1er corps dans la déroute. Voyant la ligne qui leur était opposée perdre sa consistance, les batteries de Bülow s’avancèrent tandis que celles de Zieten descendaient lentement de la crête. La cavalerie du 1er corps prussien remonte alors du vallon et dévale de la crête en direction de Rossomme sabrant sans pitié les fuyards et le général Durutte lui-même qui était parvenu à rallier sept à huit cents hommes que les cavaliers prussiens dispersent à nouveau. C’est à ce moment, vers 20.30 hrs, que Wellington ordonne l’avance générale de ses troupes. Les batteries prussiennes situées sur la crête au-dessus de Papelotte cessent leur tir pour ne pas atteindre les troupes anglo-alliées qui refoulent tout devant elles. Mais la déroute de l’armée française opposée à Wellington ne met pas fin aux combats de Plancenoit.

Chute définitive de Plancenoit Vers 20.00 hrs, la colonne d’assaut prussienne monte vers le village. Le 2ème régiment poméranien est en tête de colonne et se dirige vers l’église. Il se heurte au mur du cimetière que les Français ont garni de tirailleurs ainsi d’ailleurs que les fenêtres des maisons environnantes. En face d’eux, les granges et les étables de la ferme Cuvelier dissimulent la réserve française derrière des volutes de fumée, mais, par le fait même, empêche leur intervention. Les Prussiens, vu les importantes pertes subies devant l’église, réalisent que cette attaque frontale n’est pas la bonne méthode. Il s’en suit que le major Witzleben bifurque à gauche, avec le 25ème R.I., rejoint les tirailleurs qui occupaient le bois de Virère et prend la rue La Haut. Le major Keller, avec deux bataillons – les 1/15 R.I. et 1/1 Silésiens – avait longé la Lasne et vint appuyer le major Witzleben. Après un combat acharné, ces deux groupements nettoient le sud du village et sont en mesure de remonter vers la place par deux petites ruelles, dont l’une porte aujourd’hui le pittoresque nom de rue al’ Gatte. Dès lors, la place et le cimetière sont pris entre deux feux. Aerts écrit qu’un bataillon de la jeune garde se fit massacrer dans le cimetière203. Il semble pourtant que

203

Aerts, p. 260. C’est d’ailleurs l’opinion générale.

Page 104: La bataille de Plancenoit

104

ce soit le 1er bataillon du 2ème chasseurs de la vieille garde qui ait été le dernier à quitter le cimetière, non sans y subir des pertes très sévères. Dès lors, les Français, toute cohérence oubliée, évacuent le village. Le général Pelet, dont le récit est, une fois de plus, criant de vérité, raconte :

« Hors du village, je me trouvai dans une confusion terrible de gens qui se sauvaient en déroute en criant « Arrêtez ! Arrêtez ! Halte ! Halte ! » Et ceux qui criaient le plus étaient ceux qui couraient le mieux. Ces bruits étaient accompagnés de coups de canon et de mitraille qui donnaient des jambes aux plus paresseux. L’ennemi nous accompagnait aussi avec des tirailleries, surtout par le bois de Maransart, par où ces gueux me débordaient. J’avais rallié le plus d’hommes que je pouvais autour de moi. Je rencontrai là Langlois204, puis l’aigle. Baric205 me rappelle que j’embrassai l’aigle avec la plus vive émotion en la retrouvant, et, levant mon chapeau : « Mes amis, faisons-nous tuer pour la défendre ! » Ce qui les transporta et les amena au dernier point : Quand nous fûmes dans un fond où l’artillerie ne touchait pas trop, je dis « Plante-là ton aigle, Martin (C’était le nom du lieutenant porte-aigle), et puis : « A moi, les Chasseurs de la Garde, ralliez-vous à votre aigle et à votre général !206 »

Ce cri de ralliement eut un certain succès puisque l’aigle fut sauvée. De ce récit, il est possible de conclure que le 2ème chasseurs prit la Maison du Roi comme direction générale de retraite. Arrivé sur la chaussée, on fit battre la « grenadière » et la « carabinière », dans l’espoir que le tambour rallierait le plus de monde possible, mais au bout de peu temps, un tir à mitraille bien ajusté fit taire la musique, et, selon Pelet lui-même, tout espoir de ralliement s’évanouit. Les maigres restes du 1er bataillon du 2ème chasseurs de la garde furent pris dans la déroute générale comme dans un engrenage. Il devait être un peu plus de 20.30 hrs.

204

Lieutenant au 2ème

chasseurs. 205

Autre lieutenant au 2ème

chasseurs. 206

Aerts, pp 262-263.

Page 105: La bataille de Plancenoit

105

ilans Ainsi donc, pour prendre Plancenoit, ce furent quelque 35 000 Prussiens qui furent engagés tandis que l’aile droite française compta au plus 13 000 hommes. En d’autres termes, 43

bataillons prussiens furent opposés à 25 bataillons français. Adkin, parlant des combats de Plancenoit écrit que, du fait que ce combat rapproché s’est situé dans des espaces construits, « la bataille absorba des troupes comme une éponge absorbe l’eau207 ». Ce type de combat urbain ne permettait pas aux Prussiens d’utiliser leurs forces d’un coup, mais seulement par petits paquets, ce qui rendait la défense du village d’autant plus aisée qu’il était possible de se poster derrière les murs et les haies. C’est l’utilisation massive et successive de troupes fraîches opposée à des défenseurs toujours un peu plus fatigués qui permit finalement aux Prussiens de l’emporter. Les pertes humaines furent considérables. Il est impossible d’avoir un décompte exact des morts et des blessés du côté français. Les seuls chiffres que l’on puisse utiliser s’obtiennent en soustrayant de l’effectif au début de la campagne, celui donné par les revues de troupes faites entre les 23 et 26 juin. Le 6ème corps comptait à peu de choses près 7 500 hommes. Le décompte fait lors de la revue du 26 juin donne 4 000 présents. Les pertes du 6ème corps s’élèveraient donc à 3 500 tués, blessés ou disparus, ce qui donne un pourcentage de 46 p.c. Les huit bataillons de la jeune garde, qui étaient restés dans la réserve jusque vers 18.00 hrs, comptaient 4 287 hommes. A la revue du 26, 598 répondirent présents, soit 196 du 1er voltigeurs, 146 du 3ème voltigeurs, 92 du 1er tirailleurs et 164 du 3ème tirailleurs. 3 689 hommes manquaient donc, ce qui représente l’effroyable pourcentage de 86 p.c. Tenant compte des désertions survenues après le 18 juin, on peut donc évaluer les pertes françaises à Plancenoit à environ 6 000 tués, blessés ou disparus. Du côté prussien, les statistiques sont plus précises. La 5ème brigade (Tippelskirch), la dernière à être intervenue dans la bataille, ne perdit que

207

Adkin, p. 389.

B

Page 106: La bataille de Plancenoit

106

350 hommes ; la 13ème brigade (Hake) perdit 1 000 hommes ; la 14ème (Ryssel), 1 400 hommes ; la 15ème (Losthin), 1 800 hommes ; la 16ème (Hiller) 1 800 hommes. Soit un total de 6 350 hommes. Le nombre total de Prussiens impliqués dans le combat de Plancenoit étant d’environ 30 000 hommes, cela nous donne 21 p.c. de pertes.

Page 107: La bataille de Plancenoit

107

iscussions et controverses La première discussion qui s’est ouverte portait sur la nécessité pour Napoléon de distraire dès 13.00 hrs, les 10.000 hommes du 6ème corps et des corps de cavalerie Domon et

Subervie, de l’offensive principale prévue par l’ordre de 11.00 hrs. Certains critiques militaires n’hésitent pas à affirmer que l’envoi de ces unités sur la droite dès 13.00 hrs constitue une erreur capitale. Ils affirment qu’à 13.00 hrs, les Prussiens ne représentaient pas un danger pour les Français. Si l’empereur avait joint le 6ème corps à l’effectif de son offensive sur le centre anglais, il l’aurait bousculé sans difficulté, longtemps avant que les Prussiens n’interviennent sur le champ de bataille. Il aurait donc mis les Anglo-Alliés en fuite avant de pouvoir repousser les Prussiens qu’il aurait battus en détail. Dans l’abstrait, cette théorie peut sembler séduisante. Mais elle se heurte aux faits. Le premier fait, impossible à nier, c’est que Napoléon n’a jamais prévu de joindre le 6ème corps à sa première attaque contre le centre anglo-allié. Son ordre de 11.00 hrs est très clair : « …et le comte d’Erlon commencera l’attaque, en portant en avant sa division de gauche et la soutenant, suivant les circonstances par les divisions du 1er corps. Le 2° corps s’avancera à mesure pour garder la hauteur du comte d’Erlon.208 » Pas question donc du 6ème corps qui reste en réserve. Cependant, ainsi que nous l’avons clairement démontré, lorsque la grande batterie se trouva menacée suite au reflux du 1er corps et aux charges de la cavalerie lourde britannique, le 6e corps fut porté en avant à l’aile droite. Napoléon, estimant le temps que les Prussiens prendraient encore pour arriver sur le champ de bataille suffisant pour briser la ligne de Wellington, a pu renforcer son dispositif offensif en lançant le 6ème corps sur l’aile gauche anglo-alliée, la plus faible. Non seulement, il aurait ainsi pu enrouler la gauche de Wellington, mais il eût constitué un barrage contre les Prussiens. Cependant, une telle décision eût nécessité que Napoléon fût mieux informé au sujet des troupes qu’il savait approcher et dont il était impossible d’évaluer les forces. D’autre part, il était impossible à

208

Napoléon – Correspondance, n° 22060.

D

Page 108: La bataille de Plancenoit

108

l’empereur de deviner combien de temps allait mettre les Prussiens pour arriver : il ne connaît pas le terrain entre Chapelle-Saint-Lambert (ou Saint-Robert) et Mont-Saint-Jean. Il ne peut donc à aucun moment évaluer les difficultés de la progression prussienne et savoir à quel instant ceux-ci déboucheront. La carte lui montre qu’entre lui et ces troupes prussiennes, il y a environ 8 kilomètres. Pour couvrir ces 8 kilomètres, un corps de troupe mettrait normalement trois heures et déboucherait donc vers 16.00 hrs209. L’offensive du 1er corps débutant à 14.00 hrs, deux heures suffiraient-elles à écraser Wellington ? Vraisemblablement pas. L’évaluation que fait sans doute Napoléon n’est pourtant pas très éloignée de la réalité : on sait que Bülow sort du bois de Paris à 16.30 hrs. Cependant, tout laisse à penser que Napoléon ne se rendit pas aussi tôt de la gravité de la situation sur son flanc. Il semble croire que les corps de cavalerie de Domon et Subervie, auxquels vient s’ajouter celui de Jacquinot, suffiront à maintenir les Prussiens à distance. En tout cas, il n’ordonne rien de précis à Lobau et c’est « à la force des choses » que celui-ci doit d’être obligé de changer de front. Ceci dit, Napoléon pouvait-il espérer que les 6 500 hommes de Lobau contiennent les Prussiens ? Nous avons dit que Napoléon ne connaissait pas la force des troupes dont il entend parler dans la matinée. Il est encore persuadé – du moins tente-t-il de le faire croire à son entourage – que le gros des Prussiens est en retraite vers Liège et Aix et qu’il s’agit là d’un corps qui aurait échappé à Grouchy. Tout un corps ? – 30 000 hommes ? Il n’en sait rien. Mais intelligemment postés, 6 500 hommes peuvent, sinon battre l’ennemi, du moins le retarder. Or, ce dont Napoléon a maintenant le plus besoin, c’est de temps. Lobau en retardant les Prussiens lui donnera ce temps. Le changement de front qu’opère Lobau – et qu’il aperçoit certainement – va parfaitement dans ce sens. Nul besoin donc de donner des ordres spécifiques au 6e corps, si ce n’est, éventuellement, celui de tenir. Encore une fois, le calcul qu’a – ou qu’aurait – fait Napoléon n’est pas faux : Lobau tiendra sa ligne jusqu’au-delà de 20.00 hrs.

209

Entre parenthèse, si l’on fait ce calcul optimiste – on ne tient pas compte des difficultés de traversée de la Lasne – on réalise que, contrairement à ce que prétendent nombre d’auteurs, les Prussiens, en surgissant du bois de Paris à 16.30 hrs, n’avaient pas été aussi lents que cela.

Page 109: La bataille de Plancenoit

109

Une autre controverse s’est fait jour. Certains commentateurs estiment que Napoléon aurait dû, dès 13.00 hrs, envoyer le corps de Lobau sur la crête commandant la Lasne, bloquant ainsi l’avance de Bülow. En admettant que Napoléon ait su par où arrivait les Prussiens, cela est parfaitement exact. La question est ici de savoir si le corps de Lobau pouvait arriver au-dessus de Lasne à temps. Il y a de la chaussée de Bruxelles, où était stationné Lobau, à Lasne une distance de 7 kilomètres. Sans même tenir compte des difficultés que présente le chemin, il aurait donc fallu un peu moins de trois heures pour y arriver. En admettant que Lobau ait commencé son mouvement vers 13.00 hrs, il n’aurait pu arriver à Lasne qu’à 16.00 hrs. Or nous savons : 1° - que Lobau ne se mit en marche que vers 15.00 hrs pour renforcer l’aile droite ; 2° - que c’est à 15.30 hrs que Schwerin perd la vie en remontant de Lasne vers le bois de Paris ; 3° - que c’est à 16.00 hrs que les Prussiens entrent dans le bois de Paris. De quoi, nous pouvons conclure que Lobau ne pouvait espérer arriver à Lasne avant 17.30 hrs et que, en opérant ce mouvement, il se serait fait « coincer » dans le bois de Paris. La controverse la plus amère a sans doute eu lieu en Grande-Bretagne. En 1999, un excellent auteur britannique, Peter Hofschröer achevait la publication d’un ouvrage en deux parties intitulées « 1815 : The Waterloo Campaign – Wellington and his German Allies and the Battle of Ligny and Quatre-Bras.210 » et « 1815 : The Waterloo Campaign – The German Victory211 ». Ces livres provoquèrent un ouragan de protestation en Grande-Bretagne. Il est vrai que la thèse de Hofschröer avait pour les Britanniques quelque chose d’assez défrisant : selon lui, pour résumer à très gros traits, les Anglais n’ont eu qu’une part mineure dans la victoire de Waterloo et ce sont les Allemands qui ont pesé le plus lourd dans la défaite de Napoléon. La polémique qui est née de cette thèse est devenue extrêmement acide : l’honneur national était en cause… Les forums Internet finirent par déborder d’allusions injurieuses et d’âpres débats de détails. Hofschröer lui-même collabora à un site tout à fait remarquable pour les techniciens des guerres napoléoniennes (http://web.airmail.net/napoleon) et continua à soutenir sa thèse avec talent.

210

Peter Hofschröer – 1815 : The Waterloo Campaign – Wellington, his German Allies and the Battles of Ligny and Quatre-Bras – London Greenhill Books, 1997. 211

Peter Hofschröer – 1815 : The Waterloo Campaign – A German Victory – London, Greenhill Books, 1999.

Page 110: La bataille de Plancenoit

110

Malheureusement, Hofschröer fut vite débordé sur ses ailes : certains collaborateurs de ce site en sont arrivés à écrire des articles qui sont un dénigrement systématique, acharné et haineux de Wellington. L’écrivain lui-même en vint à voir dans Wellington un monstre d’égoïsme, caché derrière chaque élément du décor pour persécuter ses contradicteurs et, notamment, le capitaine Siborne dont, paradoxalement, toute l’entreprise consistait justement à « gonfler » le rôle des Britanniques aux dépens de celui de leurs alliés212. C’est ainsi que nous voyons avec un peu de stupeur un auteur – Hofschröer – qui, tout au long de ses ouvrages, n’arrête pas de nous dire que les Britanniques ont exagéré leur rôle dans la victoire de Waterloo prendre la défense de l’homme – Siborne – qui, justement, est à la base de cette erreur de perspective et qui aurait été victime de continuelles persécutions de la part d’un duc de Wellington tout puissant !... Sur le continent, cette polémique n’eut que peu d’écho. Outre le fait qu’elle était essentiellement le fait de spécialistes, elle n’avait quelque chose de choquant que pour les Britanniques. Pour nous, il s’agissait d’une tempête dans un verre d’eau : nous savions depuis longtemps que sans les Allemands – en général – Wellington n’aurait jamais pu remporter la victoire à Waterloo. La composition même de l’armée que commandait personnellement Wellington est assez éloquente :

Britanniques 36 p.c.

King’s German Legion

10 p.c.

Nassau 10 p.c.

Brunswick 8 p.c.

Hanovriens 17 p.c.

Hollando-Belges 19 p.c.

De telle sorte que l’on constate que 45 p.c. des troupes que commandait Wellington avaient l’allemand pour première langue. Ajoutons à cela les 49 000 Prussiens qui ont effectivement combattu à Waterloo, cela nous fait 82 000 hommes qui provenaient d’Allemagne sur un total de 122 000. Il n’est donc nullement besoin de se crêper le chignon pour savoir que ce ne sont pas les Britanniques qui ont fourni les gros

212

Voir à ce propos : Hofschröer – Wellington’s Smallest Victory ; The Duke, the Model Maker and the Secret of Waterloo – London, Faber & Faber, 2004.

Page 111: La bataille de Plancenoit

111

bataillons. Pourquoi, dès lors, Waterloo résonne-t-il donc, aux oreilles des Britanniques, comme une victoire britannique ? La raison en est bien simple : c’est la première fois que l’armée britannique est aussi massivement impliquée dans une bataille sur le continent et que cette bataille est déterminante puisqu’elle a pour conséquence la chute définitive de Napoléon, but ultime poursuivi avec acharnement par le Royaume-Uni depuis la rupture de la Paix d’Amiens213. A cela, il faut évidemment ajouter que le commandant des troupes anglo-alliées est lui-même britannique. Implication massive des soldats britanniques, but de guerre britannique, commandement britannique, il n’en fallait pas beaucoup plus pour que les Britanniques oublient un peu leurs alliés214 dans la représentation qu’ils se font de la bataille. Ceci dit, Peter Hofschröer, emporté dans son élan, méconnaît quand même un détail : même si les Allemands ont pesé d’un poids déterminant, sans Wellington et l’acharnement des Britanniques, la bataille de Waterloo n’aurait très certainement pas été gagnée… Pour revenir plus précisément au sujet de cet ouvrage, il convient de remarquer que les Prussiens réellement impliqués dans la bataille représentent moins de la moitié de l’effectif de l’ensemble de l’armée du Bas-Rhin. Combattirent effectivement à Waterloo 49 000 hommes (38 000 fantassins, 7 000 cavaliers, 2 500 artilleurs, 1 500 autres – états-majors et services). Etaient en route pour Mont-Saint-Jean mais arrivèrent trop tard pour combattre effectivement : 26 300 hommes. A Wavre : 25 000 hommes. Total 100 300 hommes. Ce sont au total huit brigades prussiennes qui intervinrent à des degrés divers sur le champ de bataille de Waterloo. Un petit regard sur les pertes subies par les brigades permet de voir à quel degré elles ont été impliquées. Les pertes prussiennes peuvent être évaluées à 7 000 tués, blessés ou disparus. Sur ce total, 6 600 sont des fantassins, et un petit peu plus de 6 000 appartiennent au 4ème corps de von Bülow. Le plus lourd tribut a été payé par la 16ème brigade qui perdit 1 825 hommes, le plus faible par la 7ème brigade qui n’en perdit que 5 et la 6ème brigade qui en perdit 35.

213

L’autre grande campagne continentale menée par les Britanniques – la campagne de la Péninsule – n’a jamais, au plus fort des combats, à la bataille de Salamanque en 1812, aligné plus de 27 000 Britanniques. 214

Et même beaucoup ! Il suffit de voir le peu d’importance que Siborne, par exemple, donne aux alliés des Britanniques dans sa relation pour s’en convaincre.

Page 112: La bataille de Plancenoit

112

Mais un fait étant plus important qu’un lord-maire, il est une autre chose que Hofschröer ne peut nier et auquel les auteurs ne font jamais aucune allusion, c’est que, au bout du compte, la bataille de Waterloo fut, pour Blücher, une défaite ! Ou, au moins, une non-victoire…

Blücher a-t-il gagné la bataille de Waterloo ?

Expliquons cet apparent paradoxe. Que veut Blücher lorsqu’il part de Wavre, le matin du 18 juin ? Tous les auteurs disent : venir en aide à Wellington qui s’apprête à affronter l’invasion française. Certes, mais dans quel but ? Anéantir l’armée française. Comme le démontrera Clausewitz, « la guerre est un acte de violence destiné à contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté » et « le désarmement de l’ennemi est le but de l’acte de guerre215 ». Or ce désarmement passe par la destruction des forces ennemies. Quoique en 1815 Clausewitz n’ait pas encore formulé sa théorie – son livre « De la guerre » ne parut qu’après sa mort en 1831 – c’est cet esprit qui imprégnait l’état-major général prussien et tout particulièrement le général Gneisenau. Ajoutons à cela l’impétuosité de Blücher qui a une fameuse revanche à prendre sur ses déboires de 1806, ses contrariétés de 1814 et son demi-échec de Ligny, et nous aurons un tableau assez complet de l’atmosphère « revancharde » qui régnait à Wavre, au soir du 17 juin… L’acharnement que mit Blücher lui-même à pousser ses hommes dans leur pénible marche vers Mont-Saint-Jean en est un signe certain. Donc, le but de Blücher est, certes, de venir au secours de Wellington, mais c’est accessoire. Ce qui compte réellement, c’est la destruction de l’armée impériale. Lorsque le 18, le feld-maréchal arrive en vue du champ de bataille et qu’il constate de Wellington est sérieusement engagé, quelle est sa première idée ? D’aller donner la main à l’aile gauche de Wellington ? Non ! Au risque de pousser le duc au bord du désespoir, Blücher décide de foncer vers Plancenoit, vers la chaussée de Bruxelles et de couper ainsi la retraite de l’ennemi qui sera ainsi totalement détruit sans espoir de ralliement.

215

Clausewitz - De la guerre, pp. 51 et 53

Page 113: La bataille de Plancenoit

113

Or, Blücher est-il arrivé à ce but ? A l’évidence, non ! Quoique très meurtrie, en déroute et complètement débandée, l’armée française a pu s’échapper vers Genappe. De telle manière qu’il n’y a aucun paradoxe à dire que Blücher n’a pas atteint, le soir du 18 juin 1815, le but ultime qu’il s’était fixé.

Page 114: La bataille de Plancenoit

114

Page 115: La bataille de Plancenoit

115

ouvenirs Nous l’avons dit : relativement à leur violence, la plupart des auteurs consacrent bien peu de pages aux combats de Plancenoit. De la même manière, sur le terrain, les souvenirs

consacrés à cette partie si importante de la bataille sont relativement peu nombreux. A deux exceptions près – si l’on compte le monument Schwerin, qui se situe à Lasne – ils sont tous français… Le curieux qui voudrait reconstituer le trajet de l’armée prussienne peu avant qu’il ne débouche sur le champ de bataille, descendrait à Lasne par la rue de la Gendarmerie, franchirait la rivière sur un petit pont, gagnerait la rue de l’Église, la traverserait, remonterait par la ruelle des Béguines ou le chemin du Ruisselet vers l’allée des Chênes du Tram qu’il prendrait à gauche jusqu’à une fourche. Là, s’il voulait suivre le chemin pris par le corps de von Bülow, il prendrait la rue du Vieux Monument qu’il suivrait jusqu’au moment où elle devient un chemin de terre qui le conduirait au Bois Paris. Le long de cette ruelle, il apercevrait, sur sa gauche au milieu des champs, le monument dédié au comte von Schwerin dont nous avons touché un mot. Il se compose d’un soubassement cubique, sur lequel est posée une colonne à base octogonale. L’inscription porte : « Wilhelm, Graf von Schwerin, Koenigh Preus Obrist und Ritter. Gefallen, dem Siege am Juni 1815, In des fremde fûr die Heimath. » ; ce que l’on peut traduire par « Guillaume, comte de Schwerin, colonel du roi de Prusse et chevalier. Tombé lors de la victoire de 1815, à l’étranger pour la Patrie. » La comtesse von Schwerin, qui est à l’origine de l’érection de ce monument, pour entretenir la mémoire de son mari, faisait annuellement don au curé de Lasne d’une somme de 100 florins pour ses œuvres. Elle fit également don de deux cloches à l’église paroissiale. Nous ignorons si ce sont ces mêmes cloches qui sonnent encore dans le clocher de l’église de Lasne reconstruite en 1881. En poursuivant son chemin à travers ce qui reste du Bois Paris, le visiteur ne tardera pas à apercevoir devant lui le clocher de l’église de Plancenoit et atteindra le monument prussien, un peu dissimulé par des arbres sur sa droite. Construit dès 1819, ce monument est l’œuvre de l’architecte Schinkel. Il s’agit d’une flèche gothique de fer posé sur un soubassement de pierre. Au sommet, une croix rappelant la décoration de la Croix de Fer

S

Page 116: La bataille de Plancenoit

116

instituée en 1813 par le roi Frédéric-Guillaume III. Une inscription en lettres gothiques dorée porte

« Die gefallenen / Helden ehrt dankbar König und / Vaterland. / Sie ruhn in Frieden. / Belle Alliance / den 18. Juni 1815. » ; « Aux héros tombés, le Roi et la Patrie reconnaissants. Ils reposent en paix. Belle-Alliance, 18 juin 1815. »

Rappelons que les Prussiens appelèrent la bataille de Waterloo « Bataille de la Belle-Alliance »216 La tradition veut que le monument ait été établi sur une petite hauteur d’où une batterie française fit subir de lourdes pertes aux troupes prussiennes. En novembre 1832, les soldats français en route pour Anvers s’en prirent au monument, arrachant la croix de fer qui le surmonte. Le maréchal Gérard, qui avait commandé le 4ème corps d’armée en 1815 et qui s’était confronté aux Prussiens à Wavre et avait été sérieusement blessé à Bierges, fit cesser ce vandalisme et fit rétablir la croix sur le monument. Un peu plus tard, on établit une belle grille en fer forgé autour du monument, dans l’espoir d’éviter de telles déprédations. On ne sait si c’est cet épisode qui donna naissance à la légende qui veut que les mêmes soldats du corps expéditionnaire français s’en soient pris au lion de la butte, lui tordant la queue – ce qui est rigoureusement impossible puisque le lion est en fonte… Le monument prussien fut restauré en 1944 – on devine par qui… – et en 1965, à l’occasion du 150ème anniversaire de la bataille. Non loin de là, sur la droite, au milieu d’un petit terre-plein au carrefour des chemins du Lanternier et de Camuselle, une stèle a été érigée en hommage à la jeune garde :

« EN CE LIEU / LE 18 JUIN 1815 / À 5 HEURES DU SOIR / LA JEUNE

GARDE / DE / L’EMPEREUR / SOUS LES ORDRES / DU GÉNÉRAL

COMTE / DUHESME / S’OPPOSA GLORIEUSEMENT / AUX

PRUSSIENS / DU / GÉNÉRAL BÜLOW. » Poursuivant notre chemin, nous arrivons en face de l’église. Nous avons déjà dit que celle-ci avait été réédifiée en 1857 par l’architecte Coulon, lequel utilisa les pierres blanches de l’ancienne église, témoin des événements de 1815. Sur la façade de l’église, à gauche, on voit une plaque dédiée au lieutenant Louis :

216

Voir Belle-Alliance.

Page 117: La bataille de Plancenoit

117

« AU LIEUTENANT M. LOUIS / 3E TIRAILLEURS DE LA GARDE /

NÉ À JODOIGNE LE 3. 4. 1787 / TOMBÉ À PLANCENOIT LE 18. 6. 1815 / FOND. NAPOLÉON / A.F.E.W. »

D’après le général Couvreur, Médard-Joseph Louis fit campagne avec Napoléon de 1808 à 1815 et, pour être précis, ne tomba pas à l’ennemi le 18 juin 1815, mais fut porté disparu217. La nuance est peut-être fort ténue mais elle mérite d’être mentionnée. A droite du portail, une autre plaque :

« Dans ce village / de Plancenoit / s’est illustrée le 18 juin 1815 / la jeune garde de l’empereur / Napoléon / commandée par / le général comte Duhesme / qui y fut mortellement blessé / Société belge d’Études napoléoniennes / 1965 »

Sur un autre mur de l’église, on trouve une plaque : « En ces lieux, le 18 juin 1815 / les 1e et 2e compagnies du 8e régiment d’artillerie à pied / du colonel Caron / ont appuyé de leurs feux efficaces le 6e corps d’armée français. »

La première compagnie appartenait à la 19ème division Simmer et était placée sous le commandement du capitaine Parisot, tandis que la 2ème compagnie, sous le capitaine Paquet, appartenait à la 20ème division Jeanin. Ces deux batteries étaient composées chacune de 6 canons de 6 livres et deux obusiers de 5, 5 pouces. Il est impossible de déterminer avec exactitude quelle était la position de ces deux batteries mais il est plus que vraisemblable que l’une d’elles, sans doute la 2ème, se situait sur le monticule où a été érigé le monument prussien. A l’intérieur de l’église, à gauche, à côté de l’autel de la Vierge, une autre plaque, bien plus ancienne, porte l’inscription :

« A LA MÉMOIRE DE / JQUES CLES ĀDRÉ TATTET / LIEUTENANT

D’ARTILLERIE DE LA / VIEILLE GARDE / MEMBRE DE LA LÉGION

D’HONNEUR / TUÉ AU DÉBUT DE LA BATAILLE / DU 18 JUIN 1815

/ À L’ÂGE DE 22 ANS » Nous n’avons pas trouvé trace de ce jeune officier, mais tout porte à croire – à commencer par le texte même de la plaque – qu’il n’est pas mort dans le village de Plancenoit. Si l’on quitte la place de Plancenoit, par le chemin du Lanternier, au sud, et la rue du Mouton, nous trouvons, non loin du croisement de cette rue

217

Couvreur, p. 175.

Page 118: La bataille de Plancenoit

118

avec la rue Là Haut, une nouvelle stèle frappée de l’aigle impériale, qui vient nous rappeler le souvenir du 5ème régiment de ligne :

« EN CE LIEU / LE 18 JUIN 1815 / LE 5E RÉGIMENT / DE LIGNE DU

/ COLONEL ROUSSILLE / DIVISION SIMMER / S’OPPOSA

HÉROÏQUEMENT / AU CORPS PRUSSIEN / DU GÉNÉRAL / VON

BÜLOW / A.F.E.W./ FONDATION NAPOLÉON. » Le 5ème régiment d’infanterie de ligne restera célèbre dans l’histoire pour avoir été celui dont un bataillon, au défilé de Laffrey, refusa de faire feu sur l’empereur. Le colonel Roussille commandait alors ce régiment, stationné à Grenoble. Respectueux des ordres qu’il avait reçus et opposé au ralliement de son régiment à l’empereur, Roussille refusa de lui ouvrir les portes de Grenoble et ne céda que devant les menaces de ses propres soldats. Lorsqu’il fut mis en présence de Napoléon, il le supplia de lui garder son commandement par loyauté envers son régiment, lui disant : « Mon régiment m’a abandonné mais je ne l’abandonnerai pas.218 » L’empereur, pour une fois magnanime, lui accorda cette faveur. Houssaye nous dit que Roussille fut tué devant Plancenoit à la tête de son régiment219. C’est parfaitement faux ; Roussille fut blessé mais survécut assez pour raconter ses souvenirs. Ainsi donc, dans le village de Plancenoit, il y a 6 stèles ou plaques gravées en souvenir des soldats de Napoléon pour un seul monument dédiés aux morts prussiens. Et l’on constate que, à une exception près, toutes ces plaques ont été érigées par des associations consacrées au souvenir napoléonien. Il faut se souvenir que, au début du XXe siècle, il n’existait aucun monument dédié aux morts français sur le champ de bataille de Waterloo. Quand Henry Houssaye, choqué par ce vide, procéda à une collecte de fonds pour ériger l’Aigle blessé, il fut sévèrement critiqué : on l’accusa de vouloir célébrer une défaite française et il dut se défendre : « Nous ne voulons pas commémorer la bataille de Waterloo qui fut une défaite ; nous voulons seulement honorer les soldats français qui, dans cette bataille de géants, sont morts pour la patrie220 » Est-ce en rattrapant ce retard et en plaçant des plaques commémoratives un peu partout que les associations napoléoniennes comptent « se réapproprier » le champ

218

Voir Houssaye, 1815, I, pp 254 et 256. 219

Houssaye, p. 369, note 4. 220

Lettre de H. Houssaye au journal « Le Petit Bleu », 21 juin 1909.

Page 119: La bataille de Plancenoit

119

de bataille, ainsi qu’elles en ont annoncé l’intention ? Dans ce cas, ce n’est pas nous qui nous plaindrons…

Page 120: La bataille de Plancenoit

120

Page 121: La bataille de Plancenoit

121

ANNEXE 1

La lettre de 13.00 hrs est-elle une forgerie ?

La correspondance avec Grouchy

D’où vient la belle unanimité des auteurs quand ils affirment que c’est entre 13.00 hrs et 13.30 hrs ou 14.00 hrs que Napoléon a su que les Prussiens allaient survenir. Sur une lettre écrite par le duc de Dalmatie et qui porte l’indication horaire « 18 juin, une heure après-midi ». Et uniquement sur celle-ci…

Grouchy

(Bruxelles, MRAHM)

Pour voir clair dans cette très épineuse question, il faut reconstituer la correspondance entre Grouchy et l’état-major impérial dans cette journée du 18 juin 1815.

Première pièce à verser dans ce dossier : une lettre écrite par Grouchy à Napoléon, de Gembloux le 17 juin dans la soirée ou dans la nuit :.

Page 122: La bataille de Plancenoit

122

« Sire, j’ai l’honneur de vous rendre compte que j'occupe Gembloux, où commence à arriver le 4e corps ; le 3e est en avant de cette ville, et une partie de ma cavalerie à Sauvenière. « Le corps prussien, fort d'environ trente mille hommes, qui était encore ici ce matin, a effectué son mouvement de retraite dans la direction de Sauvenière. « D'après divers rapports, il paraîtrait qu'arrivée à Sauvenière, une partie de l'armée prussienne se serait divisée : une colonne se serait portée sur Pervès-le-Marché, une autre aurait pris le chemin de Wavre, en passant par Sart-à-Valhain. Peut-être pourrait-on en inférer que quelques corps prussiens iraient joindre Wellington, et que d'autres se retireraient sur Liége. Une colonne prussienne, avec de l'artillerie, a pris, en quittant le champ de bataille de Fleurus, la route de Namur. L'ennemi nous a abandonné à Gembloux un parc de quatre cents bêtes à cornes, des magasins, des bagages. « Le général Exelmans a ordre de pousser, ce soir, six escadrons sur Sart-à-Valhain, et trois sur Pervès. Si j'apprends par des rapports qui, j'espère, me parviendront pendant la nuit, que de fortes masses prussiennes se portent sur Wavre, je les suivrai dans cette direction et les attaquerai dès que je les aurai jointes. « Les généraux Thielemann et Borstell faisaient partie de l'armée que Votre Majesté a battue hier : ils étaient encore ici ce matin et ont avoué que vingt mille hommes des leurs avaient été mis hors de combat. Ils ont demandé en partant, les distances de Wavre et de Pervès. « Blücher a été légèrement blessé au bras, le 16, ce qui ne l’a pas empêché de continuer à commander, après s'être fait panser. Il n'a point passé à Gembloux.221»

Napoléon prétendra dans ses Mémoires qu’il reçu cette lettre à 23.00 hrs 222. Ce qui semble fort tôt… Peu importe ici. Soult répondra à cette lettre le lendemain matin :

« Au maréchal Grouchy à Gembloux ou en avant (porté par l’adjudant commandant Lenowich)

221

Grouchy, Mémoires, pp. 58-59. 222

Napoléon, Mémoires, t. IX, p. 102. A remarquer que dans la version antérieure de Gourgaud, l’empereur reçoit la lettre à 02.00 hrs du matin, le 18.

Page 123: La bataille de Plancenoit

123

« En avant de la ferme du Caillou, le 18 juin à 10 heures du matin. « M. le maréchal, l’Empereur a reçu votre dernier rapport daté de Gembloux. « Vous ne parlez à Sa Majesté que de deux colonnes prussiennes qui ont passé à Sauvenière et Sart-à-Valain. Cependant des rapports disent qu’une troisième colonne qui était assez forte a passé par Gery et Gentinnes se dirigeant sur Wâvres. « L’Empereur me charge de vous prévenir qu’en ce moment Sa Majesté va faire attaquer l’armée anglaise qui a pris position à Waterloo, près de la forêt de Soignes. Ainsi Sa Majesté désire que vous dirigiez vos mouvements sur Wavre, afin de vous rapprocher de nous, vous mettre en rapport d’opération et lier les communications, poussant devant vous les corps de l’armée prussienne qui ont pris cette direction et qui auraient pu s’arrêter à Wavre où vous devez arriver le plus tôt possible. « Vous ferez suivre les colonnes ennemies qui ont pris sur votre droite par quelques corps légers, afin d’observer leurs mouvements et ramasser leurs traînards « Instruisez-moi immédiatement de vos dispositions et de votre marche ainsi que des nouvelles que vous avez sur les ennemis ; et ne négligez pas de lier vos communications avec nous ; l’Empereur désire avoir très souvent de vos nouvelles.223 »

Cette dépêche qui d’après le colonel Zenowicz, chargé de la porter, ne partit pas du Caillou avant 11.30 hrs, mit un temps considérable à arriver chez Grouchy. Cela est évidemment dû au fait que ni Napoléon, ni Soult, ni moins encore Zenowicz, ne savaient où se trouvait Grouchy. Le colonel eut donc à remonter jusqu’aux Quatre-Bras pour prendre la chaussée de Namur jusqu’à Sombreffe, puis Gembloux, passer par Walhain, Corbais et rejoindre enfin le maréchal entre Limelette et Wavre.

223

Soult à Grouchy , « En avant de la ferme du Caillou, 18 juin, dix heures du matin ». Cité par Aerts, p. 228.

Page 124: La bataille de Plancenoit

124

45 kilomètres ! Ce n’est donc que vers 16.00 hrs, au plus tôt, que le maréchal put en prendre connaissance.

Cette lettre de 10.00 hrs se croise avec une lettre écrite par Grouchy de Gembloux à 03.00 hrs selon lui, à 06.00 hrs selon nous 224

« Sire, tous mes rapports et renseignements confirment que l’ennemi se retire sur Bruxelles pour s’y concentrer, ou livrer bataille après s’être réuni à Wellington. « Namur est évacué, à ce que me marque le général Pajol. « Les 1er et 2e corps de l’armée de Blücher paraissent se diriger, le premier sur Corbais, le deuxième sur Chaumont. Ils doivent être partis hier soir, à huit heures et demie de Tourines et avoir marché pendant toute la nuit ; heureusement qu’elle a été si mauvaise qu’ils n’auront pu faire beaucoup de chemin. « Je pars à l’instant pour Sart-à-Walhain d’où je me porterai à Corbais et Wavres. J’aurai l’honneur de vous écrire de l’une ou de l’autre de ces villes. « P.S. Conformément à vos ordres, j’écris au général commandant la 2e division militaire à Charlemont de faire occuper Namur par quelques bataillons de garde nationale et quelques batteries de canon qu’il formera à Charlemont. « Je laisse ici vingt-cinq chevaux pour assurer la correspondance avec Votre Majesté. « Les corps d’infanterie et de cavalerie que j’ai avec moi n’ont qu’un approvisionnement et demi, de sorte qu’en cas d’une affaire majeure, il me paraîtrait nécessaire que Votre Majesté voulût bien faire approcher les réserves de munitions ou m’indiquer les points ou l’artillerie pourrait aller prendre ses remplacements. 225 »

224

Grouchy donne en effet trois heures du matin pour heure de rédaction de cette lettre. (Grouchy, Mémoires, p. 65). Cette heure est discutable (voir notre article sur Gembloux). 225

Grouchy à Napoléon « Gembloux, le 18 juin 1815, trois heures du matin ». Grouchy, Mémoires, pp. 65-66. La copie de cette dépêche aux Archives de la Guerre ne fait mention d’aucune heure mais porte seulement « Gembloux, le 18 juin 1815 ».

Page 125: La bataille de Plancenoit

125

Deux lettres imaginaires

L’empereur peut-il, à la lecture de ce rapport, croire que Grouchy se rapproche de lui ? Certainement pas. A moins d’admettre, comme le prétend Napoléon, qu’un ordre soit parti du Caillou dans la nuit prescrivant au maréchal de se porter vers Mont-Saint-Jean :

« A dix heures du soir, l’empereur expédia un officier au maréchal Grouchy que l’on supposait sur Wavres, pour lui faire connaître qu’il y aurait le lendemain une grande bataille ; que l’armée anglo-hollandaise était en position en avant de la forêt de Soignes, sa gauche appuyée au village de La Haye ; qu’il lui ordonnait de détacher avant le jour de son camp de Wavres une division de sept mille hommes de toutes armes et seize pièces de canon sur Saint-Lambert, pour se joindre à la droite de la grande armée et opérer avec elle ; qu’aussitôt qu’il serait assuré que le maréchal Blücher aurait évacué Wavres, soit pour continuer sa retraite sur Bruxelles, soit pour se porter dans toute autre direction, il devait marcher avec la majorité de ses troupes pour appuyer le détachement qu’il aurait fait sur Saint-Lambert.226 »

Napoléon affirme, en outre, qu’ « un second officier lui fut envoyé à quatre heures du matin pour lui réitérer l’ordre qui lui avait été expédié à dix heures du soir.227 »

Or la plupart des auteurs, pour ne pas dire la totalité, rejettent cet ordre dédoublé pour plusieurs raisons. Tout d’abord, Napoléon, le 17 à 22.00 hrs, n’a encore reçu aucun rapport de Grouchy ; il ignore donc tout de sa position et de la direction qu’il a prise. Il n’a encore jamais été question de Wavre nulle part. Ensuite, aucun de ces deux ordres n’est porté au registre du major général. Enfin, l’ordre du 18 à 10.00 hrs – et qui, lui, se trouve bel et bien dans le registre – n’y fait pas même allusion. Ajoutons que le détachement de 7 000 hommes et de 16 pièces de canon n’a strictement aucun sens ; ce n’est pas un tel renfort qui eût pu modifier la situation.

En tout état de cause, dans sa dictée à Gourgaud, l’empereur reconnaît que Grouchy n’a reçu aucun des deux courriers, ce qui pourrait bien être

226

Napoléon Mémoires, IX, p. 102. 227

Id., p. 103.

Page 126: La bataille de Plancenoit

126

une pirouette pour expliquer qu’on n’a jamais rien écrit du tout et pourquoi le maréchal – si attaché à suivre les ordres – n’a pas même donné un début d’exécution à ces instructions.

Une réponse tardive : la « lettre d’une heure »

On admet généralement que la lettre de Grouchy écrite de Gembloux le matin du 18 juin est arrivée au Caillou à 11.00 hrs. Il est impossible de dire avec précision à quelle heure elle est passée sous les yeux de Napoléon qui est alors à Rossomme.

Enfin, toujours selon les auteurs, Napoléon répond à cette dernière lettre de Grouchy par ce que nous appellerons conventionnellement la « lettre d’une heure» ». L'authenticité de cette lettre est discutable, nous verrons pourquoi. En voici le texte intégral :

« Vous avez écrit à l’Empereur ce matin à 6 heures que vous marchiez à Sart-à-Walhain. Donc votre projet était de vous porter à Corbais et à Wavre. Le mouvement est conforme aux dispositions de Sa Majesté qui vous ont été communiquées. Cependant, l’Empereur m’ordonne de vous dire que vous devez toujours manœuvrer dans notre direction et chercher à vous rapprocher de l’armée, afin que vous puissiez nous joindre avant qu’aucun corps se mette entre nous. Je ne vous indique pas de direction, c’est à vous de voir le point où nous sommes pour vous régler en conséquence et pour lier nos communications, ainsi que pour être toujours en mesure de tomber sur quelques troupes ennemies qui chercheraient à inquiéter notre droite, et les écraser. « En ce moment, la bataille est engagée sur la ligne de Waterloo, en avant de la forêt de Soignes. Le centre de l’ennemi est à Mont-Saint-Jean ; ainsi manœuvrez pour joindre notre droite. « P.S. Une lettre qui vient d’être interceptée porte que le général Bülow doit attaquer notre flanc droit ; nous croyons apercevoir ce corps sur la hauteur de Saint-Lambert. Ainsi, ne perdez pas un instant pour vous rapprocher de nous et nous

Page 127: La bataille de Plancenoit

127

joindre, et pour écraser Bülow, que vous prendrez en flagrant délit.228 »

Chose étrange, personne ne parle de la lettre qu’écrit Grouchy à « Sart-à-Walhain le 18 juin 1815, à onze heures du matin » et qui doit s’être croisé avec la «lettre d’une heure». En voici le texte :

« Sire, je ne perds pas un moment à vous transmettre les renseignements que je recueille ici ; je les regarde comme positifs, et afin que Votre Majesté les reçoive le plus promptement possible, je les lui expédie par le major La Fresnaye, son ancien page ; il est bien monté et bon écuyer. « Les 1er, 2ème, 3ème corps de Blücher marchent dans la direction de Bruxelles. Deux de ces corps ont passé à Sart-à-Walhain, ou à peu de distance, sur la droite ; ils ont défilé en trois colonnes marchant à peu près à la même hauteur. Leur passage a duré six heures sans interruption. Ce qui a défilé en vue de Sart-à-Walhain peut-être évalué à trente mille hommes au moins, et avait un matériel de 50 à 60 bouches à feu « Un corps venant de Liège a effectué sa jonction avec ceux qui ont combattu à Fleurus. (Ci joint une réquisition qui le prouve). Quelques-uns des Prussiens que j’ai devant moi se dirigent vers la plaine de la Chyse 229, située près de Louvain, et à deux lieues et demie de cette ville. « Il semblerait que ce serait à dessein de s’y masser ou de combattre les troupes qui les y poursuivent, ou enfin de se réunir à Wellington, projet annoncé par leurs officiers qui, avec leur jactance ordinaire, prétendent n’avoir quitté le champ de bataille le 16, qu’afin d’opérer leur réunion avec l’armée anglaise sur Bruxelles. « Ce soir, je vais être en masse à Wavres, et me trouver ainsi entre Wellington, que je présume en retraite devant Votre Majesté, et l’armée prussienne.

228

Cette lettre est l’objet de la discussion infra. 229

La plaine de la Chise ou Chyse est, de nos jours, impossible à repérer sur une carte moderne et ce n’est pas sans difficulté que nous l’avons trouvée sur les cartes de Ferraris. Mais elle y est, sur la chaussée d’Eghezée à Louvain, juste un peu au nord de Chapelle-Saint-Laurent…

Page 128: La bataille de Plancenoit

128

« J’ai besoin d’instructions ultérieures sur ce que Votre Majesté ordonne que je fasse. Le pays entre Wavre et la plaine de la Chyse est difficile, coupé et marécageux. « Par la route de Wivorde 230, j’arriverai facilement à Bruxelles avant tout ce qui sera arrêté à la Chyse, si tant est que les Prussiens y fassent halte. « Daignez, Sire, me transmettre vos ordres ; je puis les recevoir avant de commencer mon mouvement de demain. « La plupart des renseignements que renferme cette lettre me sont fournis par le propriétaire de la maison où je me suis arrêté pour écrire à Votre Majesté ; cet officier a servi dans l’armée française, est décoré et paraît entièrement dévoué à nos intérêts. Je les joins à ces lignes.231 »

En annexe, le maréchal joint les renseignements qu’il a recueillis dans la matinée :

Premier renseignement recueilli à Sart-à-Walhain.

« A Sart-à-Walhain sont passés environ trente ou quarante mille hommes. — Le passage était sur trois colonnes, et a duré depuis neuf heures du matin jusqu'à trois heures après midi. — Il a passé environ soixante bouches à feu. – Le 3* corps a passé à Sart-à-Walhain. — On a des réquisitions signées de ses commissaires. — Le prince Auguste était avec cette colonne. — Elle venait de Hannut et des environs de Liège. Le passage a fini hier 17, à trois heures après midi. La queue de la co-lonne est à Corroy. — Tout se dirige sur Wavres. — Les blessés ont été dirigés par la chaussée des Romains sur Liège et Maëstricht. — On pense qu'il a passé trois corps, le second et le troisième bien sûrement, et pro-bablement le premier. - Le premier et le second ont pris part à la bataille de Fleurus. — Ils ont annoncé vouloir livrer bataille près Bruxelles, où ils veulent se masser. — Leur artillerie est venue par Grand-Lez. — La

230

Grouchy ne devait disposer que de la feuille XIII de la carte marchande de Ferraris. Sur cette feuille, la mention « Mairie de Vilvorde » figure tout au nord. Le O du mot Vilvorde est traversé par la chaussée de Wavre à Bruxelles. C’est donc bien de celle-ci que Grouchy parle quand il dit « la route de Wivorde ». A remarquer qu’aucun auteur ne se pose de question sur cette si étonnante mention pour qui connaît un tout petit peu la région bruxelloise, pas plus d’ailleurs qu’à propos de la Chyse. Voir notre article sur « Les Fraises de Grouchy »… 231

Grouchy à Napoléon « Sart-à-Walhain, le 18 juin, 11 heures du matin ». Grouchy, Mémoires, p. 71.

Page 129: La bataille de Plancenoit

129

meilleure route pour aller à Wavres est par Nil-le-Pierreux à la chapelle de Corbais, à la Baraque, à Lausel. »

Second renseignement recueilli à Sart-à-Walhain.

« Les blessés filent sur Liége, se dirigeant sur Beauwale, Jodoigne et Tir-lemont. - Les disponibles et ceux qui n'ont pas pris part à la bataille de Fleurus marchent sur Wavres, et quelques-uns sur Tirlemont. — La masse est campée sur la plaine de la Chyse, près la route de Namur à Louvain, à deux lieues et demie de Louvain et une et demie de Jo-doigne — La plaine de la Chyse est à deux lieues et demie de Wavres, sur la droite, près de Goddechins. Ce dernier avis est positif. C'est là où ils paraissent vouloir se masser, Ils disent qu'ils ont conservé le champ de bataille, et qu'ils ne se retirent que pour livrer bataille de nouveau, après leur réunion qui a été combinée entre Blücher et Wellington. »

Troisième renseignement recueilli à Gembloux.

« L'ennemi, fort d'environ une trentaine de mille hommes, continue sa retraite assez en désordre. — Le général Exelmans leur a saisi un parc de plus de quatre cents bêtes à cornes. — L'ennemi se retire dans la direc-tion de Wavres, ce qui semble devoir indiquer qu'il veut reprendre la route de Bruxelles, pour se réunir, s'il le peut, à Wellington, par Sart-à-Walhain, Tourines, etc. — Ils ont fait aussi filer beaucoup de monde par Hautes-Baudes [Haute Baudecée], suivant la direction de Sart-à-Walhain. — A Sauvenière, ils se sont séparés en deux parties. - La plus forte colonne a pris sur Pervez, ce qui indique peut-être qu'une portion des Prussiens va joindre Wellington, et l'autre est à l’armée de Blücher — Tous demandent le chemin de Bruxelles. — Cette nuit, Exelmans a dû détacher six escadrons avec le général Bonnemains sur Sart-à-Walhain, trois autres sur Pervez. — Les Prussiens qui ont occupé Sauvenière, Hautes et Basses-Baudes, se sont dirigés sur Ouray passant par Grand-Lez. Ils ont suivi la chaussée des Romains, pour aller du côté de Maëstricht.232»

Le lieutenant-colonel La Fresnaye, qui était chargé de la transmission de ce rapport, nous explique comment il remplit sa mission :

232

Grouchy, Mémoires, pp. 73-75.

Page 130: La bataille de Plancenoit

130

« Vous écrivîtes alors à Napoléon, et ce fut moi que vous chargeâtes de porter vos dépêches et de rapporter ses ordres. Je partis sur-le-champ et au moment de mon départ, une canonnade qui n’avait pas l’air d’un engagement général se fit entendre. Je me dirigeai au bruit du canon, et après avoir marché deux grandes heures et demie au trot et au galop, je trouvai Napoléon sur le champ de bataille de Waterloo ; je lui remis la dépêche que vous m’aviez confiée ; il la lut, me demanda le point où vous vous trouviez et me dit de rester près de lui. J’y demeurai jusqu’au soir ; aucuns ordres ne m’ont été donnés à vous rapporter, et il n’est pas à ma connaissance que d’autres officiers vous aient été expédiés. 233»

Le bruit de la canonnade qu’entend La Fresnaye au moment de partir est, évidemment, le faible engagement d’artillerie qui a lieu autour d’Hougoumont à 11.30 hrs. Donc La Fresnaye arrive chez Napoléon à 14.00 hrs. Il faut avouer que le témoignage de La Fresnaye est un peu frustrant… Il aurait pu nous dire quel chemin il avait pris. Mais si, comme il nous le dit, le colonel a marché en se guidant au son du canon, on peut penser qu’il a passé la Dyle à Court-Saint-Etienne, à Mousty ou à Ottignies. Et qu’il a eu de la chance : vers 13.00 hrs, le détachement commandé par le lieutenant-colonel Ledebur avait quitté Mont-Saint-Guibert pour se replier sur Wavre et La Fresnaye aurait pu tomber dessus… Nous inclinons à penser que le colonel a passé à Court-Saint-Etienne dans la mesure où à l’heure où il traverse la Dyle, les postes de cavalerie qui joignent Mousty au champ de bataille ont déjà été placés par Marbot :

« Des instructions particulières me furent données, de la part de l’Empereur, par son aide de camp Labédoyère et un officier d’ordonnance dont je n’ai pas retenu le nom. Elles prescrivaient de laisser le gros de ma troupe toujours en vue du champ de bataille, de porter 200 fantassins dans le bois de Frichemont, un escadron à Lasne, poussant des postes jusque Saint-Lambert ; un autre escadron moitié à Couture, moitié à Beaumont, envoyant des

233

Grouchy – Relation succincte, Appendice, 4e série, p. 13 : Déclaration du lieutenant-colonel de La Fresnaye, Caen 17 décembre 1829.

Page 131: La bataille de Plancenoit

131

reconnaissances jusque sur la Dyle, aux ponts de Moustier 234 et d’Ottignies. Les commandants de ces divers détachements devaient laisser de quart de lieue en quart de lieue des petits postes à cheval, formant une chaîne continue jusque sur le champ de bataille, afin que par le moyen de hussards allant au galop d’un poste à l’autre, les officiers en reconnaissance puissent me prévenir rapidement de leur jonction avec l’avant-garde des troupes du maréchal Grouchy, qui devaient arriver du côté de la Dyle.235 »

Or, toujours selon Marbot, le capitaine Eloy qui tenait le petit poste à Mousty et ne le quitta que vers 18.00 hrs, ne vit rien arriver et donc pas La Fresnaye.

Quoi qu’il en soit, à 14.00 hrs, Napoléon est informé par La Fresnaye de l’endroit où se trouvait Grouchy à 11.00 hrs. Mais surtout, il apprend quelles sont les intentions apparentes des Prussiens que Grouchy a devant lui.

La plupart des historiens considèrent que la lettre de Grouchy n’a eu pour résultat que d’égarer un peu plus Napoléon. Par exemple, ils voient dans l’information à propos de la Chise une aberration de Grouchy due – selon Houssaye, notamment – à de fausses informations communiquées par l’« officier décoré » à Walhain, information délibérément mensongère à laquelle le maréchal aurait très naïvement cru. Or, cette information est par-faitement exacte !...

Dans les ordres rédigés par Gneisenau vers minuit dans la nuit du 17 au 18, nous trouvons :

« Tous les bagages, trains et tout ce qui n’est pas indispensable à la bataille seront envoyés à Louvain.236 »

Ordre que suit scrupuleusement Bülow quand il écrit ses instructions à 02.00 hrs :

234

Comprenons : Mousty. 235

Marbot – Mémoires, III, p. 405 236

Von Ollech – Geschichte des Feldzuges von 1815 nach archivalischen Quellen – Berlin, Mittler u. Sohn, 1876, p. 186.

Page 132: La bataille de Plancenoit

132

« Les bagages iront à Louvain et le lieutenant-colonel von Schlegel organisera leur mouvement par Chapelle-Saint-Laurent. Aucune voiture ne sera admise dans les colonnes.237 »

Les bagages et le train de toute une armée constituent un convoi consi-dérable et cela n’a pu manquer d’être aperçu par la population civile et colporté à travers la région. C’est donc une information exacte que rap-porte l’« officier décoré ». On remarquera même qu’ils sont d’une préci-sion étonnante puisque Chapelle-Saint-Laurent est à quelques centaines de mètres de la ferme de la Chise ! Mais, ce charroi, sans doute mis en route aux premières lueurs, entre 03.00 hrs et 04.00hrs sur la rive droite de la Dyle, n’empêche pas de voir Bülow se mettre en route au même moment pour franchir la Dyle à Wavre. D’où l’idée qu’une partie de l’armée prussienne se rend à Louvain, tandis qu’une autre gagne la chaus-sée pavée au nord de Wavre pour se rendre à Bruxelles et qu’une troi-sième marche vers Liège.

Et voilà la conclusion à laquelle arrive Napoléon. C’est de nature à le ras-surer : si les Prussiens se coupent en trois et montent soit vers Bruxelles, par la chaussée pavée de Wavre ou par Louvain, soit vers Liège, par Louvain et Tirlemont, ils ne sont pas en route pour rejoindre Wel-lington à Mont-Saint-Jean. Mieux même : si une partie de cette armée monte de Wavre vers Bruxelles, il est normal que l’on ait rencontré des reconnaissances ennemies sur la gauche de cette colonne ; il n’y a donc pas lieu de s’en inquiéter.

Rappelons qu’il est, à ce moment-là, passé 14.00 hrs. La bataille est fort bien engagée et il n’y a pas de doute que l’on va bousculer les Anglo-Néerlandais en quelques heures 238 et enfiler la chaussée de Bruxelles pour s’y rendre aussi tôt que possible. Si le maréchal Grouchy respecte le programme qu’il a annoncé, on se rejoindra à Bruxelles. Donc loin de s’inquiéter, Napoléon est tout à fait rassuré et peut aller de l’avant. « Les Prussiens pourraient aussi bien être dans la lune… »

Mais la lettre d’une heure n’est pas conforme à ce schéma : « « Ainsi manœuvrez pour joindre notre droite. » Napoléon fait-il envoyer un

237

Id., p. 191. Hofschröer, II, p. 52. 238 Il est très clair que sans l’intervention de Blücher vers Plancenoit et La Marache, c’est exactement ce qui se serait passé.

Page 133: La bataille de Plancenoit

133

nouveau message pour corriger la lettre d’une heure ? Nullement ! Envoie-t-il quelqu’un pour la confirmer ? Encore moins ! Rappelons qu’à ce moment, La Fresnaye est à portée de voix de l’empereur. Et y restera jusqu’au soir, se tournant les pouces… La réponse à cette incohérence gravissime est bien simple : la lettre d’une heure n’a pas besoin d’être corrigée ou confirmée parce qu’elle n’existe pas.

Voilà qui va très certainement soulever une polémique. Outre la vraisemblance, qu'est-ce qui nous permet d'être aussi affirmatif ? Première constatation : cette lettre ne figure pas dans le registre du major général.

La «lettre d’une heure» apparaît pour la première fois dans les Observations sur la relation de la campagne de 1815 publiée par le général Gourgaud, publiées par le maréchal Grouchy à Philadelphie, chez Hurtel, en 1818 :

« L’attaque du moulin de Bielge faite mollement ne réussit pas, et je me disposais à la renouveler, lorsqu’un officier envoyé par Napoléon me remit vers les quatre heures 239, une dépêche du Major Gal, (Mal Soult) dont voici la teneur : « Du champ de bataille de Waterloo, le 18, à une heure après midi. Monsieur le Maréchal, vous avez écrit ce matin à deux heures, à l’Empereur que vous marcheriez sur Sartavalin…240 »

Les Observations furent rééditées à Paris en 1819 par les soins du fils du maréchal Grouchy. Mais, en traversant l’Atlantique, le texte s’en est un peu altéré… :

« L’attaque du moulin de Bielge faite très-mollement, n’ayant pas réussi, je faisais de nouvelles dispositions pour la renouveler, lorsqu’un officier, envoyé par Napoléon, me remit vers les sept heures 241, une dépêche du major-général (maréchal Soult), dont voici la teneur : « Du champ de bataille de Waterloo, le 18 à une heure après-midi. Monsieur le maréchal, vous avez écrit ce matin à deux heures à l’empereur que vous marcheriez sur Sarravallain…242

239

C’est nous qui soulignons. 240

Grouchy – Observations sur la relation de la campagne de 1815 publiée par le général Gourgaud – Philadelphie, Hurtel, 1818, p.17. Les italiques sont de Grouchy. 241

Nous soulignons. 242

Grouchy – Observations… – Paris, Chaumerot jeune, 1819, p. 17-18.

Page 134: La bataille de Plancenoit

134

Nous reviendrons sur l’extraordinaire changement de l’heure de réception de la lettre. Contentons-nous de faire observer à ce stade que la mention « Du champ de bataille de Waterloo, le 18 à une heure après-midi » n’était très certainement pas écrite sur la dépêche. Nous savons que ce sont les Anglais qui ont donné son nom à la bataille, en faisant référence à la dépêche de Wellington à Lord Bathurst écrite dans la nuit du 18 au 19, datée de Waterloo, et continuée le 19 à Bruxelles. Si Grouchy, en 1818, était au courant de cette particularité, Soult, en 1815, évidemment pas. Au reste, si nous suivons le registre du major général, nous voyons que Soult utilise toujours la même manière de dater ses lettres. La lettre de 10.00 hrs porte : « En avant de la ferme du Caillou, le 18 juin, à 10 h. du matin. ». La pièce suivante dans le registre – et qu’on a étrangement négligée jusqu’ici – est une lettre du major général au ministre de la Guerre qui porte « Du bivouac en avant du Caillou, le 18 juin, à 1 h. un quart » Et, enfin, une troisième dépêche envoyée au général Remond pour lui ordonner de prendre le commandement de la division Girard et de se porter aux Quatre-Bras, est minutée « 18 juin, en avant de Caillou. » On peut admettre que, d’après l’officier qui tenait la plume, le groupe lieu-date-heure ait pu subir de très mineures variations, mais certainement pas au point d’être complètement différentes. Ainsi donc, il ne fait aucun doute que la lettre originale de Soult ne portait pas la mention « Du champ de bataille de Waterloo » et, ipso facto, que l’heure qu’on y a portée est au moins suspecte.

La polémique sur les responsabilités de Grouchy dans la défaite continuant à faire rage, le maréchal crut bon de publier en 1843 une nouvelle brochure intitulée Relation succincte de la Campagne de 1815 en Belgique, et notamment des mouvements, combats et opérations des troupes sous les ordres du maréchal Grouchy, suivie de l’exposition de quelques-unes des causes de la perte de la bataille de Waterloo. Le sous-titre en est Pièces et documents officiels inédits jusqu’à ce jour, et qui légitiment les dispositions qu’a dû prendre le Maréchal Grouchy par suite des ordres de l’Empereur.

Dans la Première Série de l’Appendice de cette brochure, nous trouvons les « Lettres que l’Empereur m’a adressées, ordres verbaux que j’ai reçus de lui ou qu’il m’a fait transmettre par le major-général maréchal Soult et par le général Bertrand, grand-maréchal du Palais… » Nous y retrouvons l’ordre de 13.00 hrs avec, en tête, la mention : « 18 juin, une heure de l’après-midi ».

Page 135: La bataille de Plancenoit

135

La copie de cette lettre est assortie de ce commentaire :

« L’original de cette lettre n’a pu encore être retrouvé ; mais la copie ci-dessus est conforme à celles qui me furent envoyées au Etats-Unis en 1816 et 1817, par ma première épouse, une de mes filles qui n’existe plus, et le général Carbonel…243 »

Dans la même Relation succincte, Appendice, Troisième série, p. 29, nous trouvons copie de la même lettre. Elle est datée : « Ce 18, à 1 heure après midi »

Enfin, dans les Mémoires compilées par le petit-fils de Grouchy, on trouve copie de la lettre avec cette date : « 18 juin, une heure après midi ». Tondeur, Courcelle et consorts 244 donnent aussi cette lettre et font intervenir la date à la fin du texte et avant la signature (donc, avant le P.S.) en ces termes : « Ce 18 à 1 h. après midy. » C’est Coppens qui nous explique qu’en 1907, Henry Houssaye 245 publia l’original – enfin retrouvé – de la lettre, communiqué par un neveu de la seconde femme de Grouchy. Il a soin de nous dire que rien ne prouve que cette lettre soit bien l’original mais il en donne le fac-similé. Et que voyons-nous ? A gauche de la signature, dans un endroit parfaitement inhabituel, la mention « ce 18, à 1h après-midy ». C’est donc de cette copie que se sont servis Tondeur, Courcelle,…

243

Grouchy – Relation succincte… - Paris, Delanchy, 1843 - app. 1, p. 21. 244

Carnets de la Belle-Alliance, n° 6 –Plancenoit, p. 63 245

Dans la 59e édition du Waterloo, 1815 (1907), (Captain Becke – Napoleon and Waterloo, II – Lon-don, Kegal Paul, Trench, Trübner & Co Ltd, 1914, p.294.) Coppens écrit erronément 1906.

Page 136: La bataille de Plancenoit

136

Nous avons comparé la signature avec celle du duc de Dalmatie à plusieurs époques de sa vie et nous ne saurions déterminer sans risque si

Page 137: La bataille de Plancenoit

137

celle portée sur le fac-similé est authentique ou si elle est fausse. Quelques indices penchent pourtant très fortement pour cette dernière hypothèse.

Nous voyons à la boucle finale que la signature évolue avec le temps. Néanmoins, entre les six premières signatures, il existe des ressemblances incontestables : la plus frappante est la longue barre sur le T, invariablement surmontée du point sur le I ; en outre, le maréchal souligne toujours le petit al de Mal d’un gros point. Or, sur la sixième signature, celle du 18 juin 1815, la barre du T est à peine esquissée ; il n’y a pas de point sur le I et le al n’est pas souligné d’un point. La signature est par ailleurs assez facile à imiter mais ces trois détails constituent une véritable marque de fabrique. On pourrait admettre l’absence de l’un d’eux, mais certainement pas de tous les trois.

Un autre argument vient ruiner la crédibilité de cette copie. Grouchy nous explique en effet que « la lettre du major-général était écrite en caractères très fins, et d’autant plus difficiles à lire, qu’ils étaient en partie

Page 138: La bataille de Plancenoit

138

effacés »246. Il affirme que tous les officiers auxquels il avait montré l’ordre avaient lu « En ce moment, la bataille est gagnée sur la ligne de Waterloo. » En témoigne la seconde déclaration du général Le Sénécal :

« Pendant l’attaque de Wavres et de quatre heures et demie à cinq heures, le maréchal reçut et me montra une dépêche du major-général. Cette dépêche écrite en caractères très fins et presque illisible, nous donna beaucoup de peine pour la déchiffrer : elle portait l’ordre précis au maréchal de se porter sur Saint-Lambert, et nous crûmes lire que la bataille était gagnée sur la ligne de Waterloo.247 »

Or la copie que nous donnent Houssaye et Coppens est écrite à l’encre de manière très claire et la phrase litigieuse est très lisible : « En ce moment la bataille est engagée sur la ligne de Waterloo. » Et nulle part dans cette lettre, nous ne trouvons « l’ordre précis… de se porter sur Saint-Lambert ». Il y a donc lieu de penser que cette copie de l’ordre n’est pas l’original que l’on doit considérer, hélas, comme définitivement perdu. S’il a jamais existé… Néanmoins, la « miraculeuse » trouvaille de 1907 est, à elle seule, un indice de quelque chose de plus grave. Il va de soi que l’on ne commet pas un faux sans intention. Or le fait d’essayer d’imiter la signature de Soult est la preuve qu’il s’agit bien d’une tentative de faux. Que couvre alors ce faux ? La première réponse qui vient à l’esprit – et qui est la bonne – est que l’on veut certifier le texte d’une lettre qui n’existe pas…

Par voie de conséquence, il faut constater que le texte de l’ordre de 13.00 hrs ne nous est connu que par une seule et unique source : le maréchal Grouchy. Le témoignage de Le Sénécal est lui-même entaché de quelque suspicion et nous allons voir pourquoi.

Dans la seconde déclaration que nous venons de considérer et qui date de 1830, Le Sénécal écrit :

« Dans la nuit du 17 juin et dans toute la journée du 18, le maréchal n’a reçu que deux dépêches du major-général, ou ordonnances quelconques portant des ordres ou instructions de l’Empereur. La

246

Grouchy – Relation succincte, app. 1, p. 22. 247

Grouchy – Relation succincte, app. 4, p. 9. Seconde déclaration du général Le Sénécal. Cette déclaration est datée de Bayeux, le 2 juin 1830.

Page 139: La bataille de Plancenoit

139

première de ces dépêches était celle qui arriva le 18 à midi et demi, au moment de l’attaque de l’arrière-garde prussienne ; elle ordonnait le mouvement sur Wâvres 248. La seconde était celle qui arriva pendant l’attaque inconsidérée de Wâvres, à quatre heures et demie, et ordonnait le mouvement sur Saint-Lambert. Ma position me permet à portée de pouvoir affirmer ce fait de la manière la plus précise.249 »

Mais dans la première déclaration qu’il avait faite et qui avait été envoyée au maréchal Grouchy aux Etats-Unis en 1818, Le Sénécal avait écrit :

« Je certifie que depuis son départ de Ligny, le 17 juin jusqu’au 19 au matin, temps durant lequel j’ai été constamment été avec M. le maréchal Grouchy, il ne lui est parvenu aucune autre dépêche ou ordre de la part de Napoléon que deux lettres, l’une datée de la ferme de Caillou, le 18 à dix heures du matin, l’autre du champ de bataille de Waterloo, le 18 à une heure après midi ; cette dernière lui fut remise assez tard dans la soirée du 18 : on se battait alors devant Wâvres et sur les bords de la Dyle.250 »

A noter que Le Sénécal oublie la lettre envoyée de Ligny par le grand maréchal Bertrand confirmant les ordres verbaux donnés à Grouchy le 17 juin 1815…

Nous avons dit pourquoi la dépêche de 13.00 hrs ne pouvait en aucun cas porter la mention « Du champ de bataille de Waterloo ». Le Sénécal ne ment pourtant pas : effectivement, dans les faits, la dépêche provenait du champ de bataille de Waterloo. Comme, en 1818, le général suppose qu’elle a effectivement été écrite par Soult sur le champ de bataille de Waterloo, il ne voit pas malice à le dire. Grouchy saute donc sur l’occasion pour, dans ses Observations de Philadelphie, intégrer cette donnée dans sa citation et faire comme si elle avait été réellement portée en tête de la dépêche. C’est donc que la première déclaration de Le Sénécal a été reçue à Philadelphie avant la parution des Observations.

248

Il s’agit donc de la lettre de 10.00 hrs. 249

Grouchy – Relation succincte, app. 9, p. 10. Deuxième déclaration .Le Sénécal fait référence à sa position de chef d’état-major de l’aile droite. 250

Id., p 2. Première déclaration du général Le Sénécal.

Page 140: La bataille de Plancenoit

140

Il n’en subsiste pas moins une chose étrange. Dans ses Observations, Grouchy écrit qu’il a reçu la dépêche « vers les quatre heures ». Le Sénécal, dans la première déclaration, dit « assez tard dans la soirée ». Qu’entend-il exactement par là ? Le soleil se couche à 19.56 hrs. Nous n’utiliserions certainement pas le terme « assez tard dans la soirée » si la dépêche était arrivée vers 16.00 hrs, quand il reste encore plus de quatre heures de jour, tenant compte du crépuscule. Nous dirions « tard dans l’après-midi ». C’est déjà un peu étrange… Toujours est-il que Le Sénécal nous donne une autre indication : « On se battait alors devant Wâvres et sur les bords de la Dyle. » Or, d’après l’horaire que nous avons établi, Vandamme attaque Wavre vers 16.00 hrs et la division Lefol s’en prend au moulin de Bierges vers 16.30 hrs. Mais les combats le long de la Dyle durent jusque tard dans la soirée… Dix-huit ans plus tard, Le Sénécal est nettement plus précis : il donne bien 16.30 hrs pour heure de l’arrivée de la dépêche de 13.00 hrs. Il est absolument affirmatif et « de la manière la plus précise » ! Voilà qui confirme la première affirmation de Grouchy : « lorsqu’un officier envoyé par Napoléon me remit vers les quatre heures, une dépêche du Major Gal, (Mal Soult) ». Donc, en 1818, tout le monde était bien d’accord : la dépêche de 13.00 hrs est arrivée entre 16.00 et 16.30 hrs.

Mais patatras !, voilà que le maréchal Grouchy veut nous donner copie du rapport qu’il envoya à l’empereur à propos des évènements qui se sont succédés du 17 au 20 juin 1815. Et c’est ce qu’il fait dans la Relation succincte sous le titre : « Neuvième lettre et rapports, commencés à Rosierne, le 19 juin 1815, vers les dix heures du matin, continués à Temploux le 20 juin, à six heures du matin, achevés et expédiés de Dinan, le 20 juin à dix heures du soir. »

En fait, il s’agit de deux expéditions différentes. Grouchy explique :

« J’expédie cette lettre par un homme du pays, dont mon aide-de-camp, le chef d’escadron Lafontaine, Belge d’origine, et qui a ses propriétés près de Dinan, répond sous les rapports de la fidélité, de l’intelligence et du dévoûment à la France.251 »

Dans la deuxième expédition, le maréchal justifie le retard avec lequel il expédie ses rapports :

251

Id, Annexe, 2e série, p.15.

Page 141: La bataille de Plancenoit

141

« Le Belge qui en était porteur ayant été arrêté par les partis prussiens qui lui ont enlevé mes dépêches, l’ont roué de coup et voulaient le pendre, je reprends la plume pour essayer de vous faire parvenir cette lettre, dont je prie Votre Majesté de me pardonner l’incomplète et incorrecte rédaction, car je suis excédé de fatigue et je n’ai près de moi ni aide-de-camp, ni officier d’ordonnance, tous étant en mission. »

D’où donc la « Dixième lettre, seconde partie » écrite à Dinant, le 20 juin 1815, à minuit et demi…

La neuvième lettre commence de la manière suivante :

« Sire, Ce n’est qu’hier, entre six et sept heures du soir, que j’ai reçu la lettre du major-général, en date du 18 juin, à une heure après midi, par laquelle vous me prescrivez de me diriger sur Saint-Lambert et d’attaquer le général Bulow… »

Et la dixième :

« Sire, ce n’est qu’à près de sept heures du soir, le 19 juin [sic], que j’ai reçu la lettre du duc de Dalmatie qui me prescrivait de me porter sur Saint-Lambert… »

Or, qu’on le veuille ou non, ces rapports sont censés avoir été écrits avant 1818 et il serait bien étonnant que, trois ans après les faits, Grouchy ne se soit pas souvenu de ces rapports qu’il a dû doubler. Et il s’en souviendrait d’autant mieux s’il avait triché sur les heures en les rédigeant. Il n’y a qu’une explication : ces deux rapports ont été truqués après coup pour les besoins de l’édition de 1843. C’était bien facile : nul autre que Grouchy n’en possédait de copie. En effet, le 26 juin, le maréchal se voit transmettre par Soult les dossiers du major général. Il retrouve ainsi les originaux de ses rapports. Comme toute la correspondance rédigée durant la campagne, ces rapports ne rejoindront pas les Archives de la Guerre mais resteront en possession de Grouchy ou de sa famille252. Les documents rassemblés de nos jours au Service historique de la Défense sous les cotes C14 et C15 et relatifs aux Cent-Jours sont, pour la plupart des copies rédigées longtemps après coup ou qui n’ont été réunies qu’à l’occasion de legs ou de dépôts. Très rares sont

252

C'est la situation politique en 1815 qui explique cette bizarrerie.

Page 142: La bataille de Plancenoit

142

les documents originaux. En tout cas, les rapports de Grouchy n’y figurent pas si ce n’est par des copies réalisées d’après la brochure de 1843…

La manière dont les neuvième et dixième lettres sont écrites est assez suspecte en elle-même. La neuvième lettre commence ainsi :

« Sire, ce n’est qu’hier entre six et sept heures du soir, que j’ai reçu la lettre du major-général, en date du 18 juin, à une heure après-midi, par laquelle vous me prescrivez de me diriger sur Saint-Lambert et d’attaquer le général Bulow. « J’étais parti de bonne heure de Gembloux, le 18 juin, afin de devancer les troupes du troisième corps à Sart-à-Valhain, et avant de monter à cheval, le 18, pour m’y rendre, j’écrivis à Votre Majesté pour l’en prévenir. « Le 17 juin, à dix heures du soir, j’avais donné l’ordre au général Vandamme de se mettre en mouvement le 18 de très-bonne heure… »

Et le maréchal continue en expliquant les événements du 18 et du 19 juin sans plus jamais faire la moindre allusion ni à la «lettre d’une heure», ni aux conséquences que celle-ci aurait eues sur le terrain.

La dixième lettre, écrite de Dinant, le 20 juin 1815 à minuit et demi, commence ainsi :

« Sire, ce n’est qu’à près de sept heures du soir, le 19 juin (sic), que j’ai reçu la lettre du duc de Dalmatie qui me prescrivait de me porter sur Saint-Lambert ; j’étais alors en marche de Sart-à-Valhain sur Wavres, ainsi que Votre Majesté m’avait itérativement ordonné de le faire, et je joignais les Prussiens à une maison isolée dite la Baraque, près de laquelle ils avaient pris position… »

Et, encore une fois, le maréchal poursuit sans plus jamais parler de ses ordres de 13.00 hrs.

Remarquons aussi – la chose n’a rien d’anodin – que Grouchy, dans le corps de son rapport, prétend avoir reçu cette lettre au moment où il s’apprêtait à faire dégager la route des Prussiens qui l’occupaient à La Baraque. Or nous savons, d’après les sources prussiennes, que Ledebur se vit contraint d’évacuer Mont-Saint-Guibert pour gagner Lauzelle peu après 12.30 hrs, qu’un combat y eut lieu et que Thielemann vit apparaître

Page 143: La bataille de Plancenoit

143

le corps de Vandamme vers 14.00 hrs sur les hauteurs de Wavre. Dès lors, la lettre écrite par Soult à 13.00 hrs serait parvenue à Grouchy avant 14.00 hrs ! Il n’est pas besoin de dire que la chose est rigoureusement impossible. Il est très clair que Grouchy fait - intentionnellement - la confusion entre la lettre de 10.00 hrs et celle de 13.00 hrs.

Bref, c’est exactement comme si, dans ses rapports, Grouchy avait plaqué un paragraphe au-dessus de tous les autres pour bien insister sur le fait qu’il reçu la lettre à 19.00 hrs, c’est-à-dire très tard, mais sans modifier le reste de son rapport. Quand cette manipulation a-elle eu lieu ? Très certainement après 1817, quand paraissent à Philadelphie les Observations sur l’ouvrage de Gourgaud et avant 1819 quand le colonel de Grouchy fait publier en France les Observations de son père. En effet, alors que ces dernières font allusion à de multiples reprises à l’heure tardive (19.00 hrs) à laquelle Grouchy a reçu la «lettre d’une heure» et le justifie :

« La lettre du maréchal Soult est datée d’une heure après midi, et ne m’a été remise qu’à sept heures du soir. L’officier porteur de cet ordre a eu dix lieues à faire pour me joindre : par suite de la fausse direction qui lui fut donnée, il dut retourner aux Quatre-Bras et à Gembloux…253» la version de Philadelphie donne : « L’attaque du moulin de Bielge faite mollement ne réussit pas, et je me disposais à la renouveler, lorsqu’un officier envoyé par Napoléon me remit vers les quatre heures, une dépêche du Major Gal, (Mal Soult) dont voici la teneur…254 »

et suit le texte de la «lettre d’une heure».

Nous ne sommes pas attiré par les théories de complot, mais le lecteur admettra que ces variations sont hautement suspectes. Deviennent donc automatiquement suspectes les versions du texte que nous donne Grouchy. D’autant que Grouchy, dans ses neuvième et dixième lettres à l’empereur affirme que le message lui prescrivait de se porter sur Saint-Lambert. Et en relisant la «lettre d’une heure», nous observons qu’il n’en

253

Grouchy – Observations sur la relation de la campagne de 1815… - A Paris, chez Chaumerot jeune, 1819, p. 92. 254

Grouchy – Observations sur la relation de la campagne de 1815… - Philadelphie, J.F. Hurtel, 1818

Page 144: La bataille de Plancenoit

144

est rien : il est prescrit au maréchal de se « rapprocher de nous et nous joindre, et pour écraser Bülow, que vous prendrez en flagrant délit. »…

On nous fera très justement remarquer que Le Sénécal nous parle de deux lettres reçues, l’une à 12.30 hrs et l’autre à 16.30 hrs 255. Mais, selon les auteurs, cette lettre reçue à 12.30 hrs n’existe pas… A moins bien sûr qu’il ne s’agisse de la lettre écrite « En avant du Caillou » à 10.00 hrs. Involontairement confirmé par le maréchal Grouchy quand il pose sa sixième question au capitaine Bella :

« N’est-ce pas le 18 juin, entre midi et demi et une heure, que le maréchal Grouchy a reçu du major général une dépêche datée de la ferme du Caillou, à dix heures du matin, par laquelle il le prévient que l’armée anglaise a pris position à la lisière de la forêt de Soignes et que l’Empereur va le faire attaquer…256 »

A quoi Bella répond :

« Ce n’est que le 18 juin, vers midi et demi, que vous avez reçu du major général une lettre, datée de la ferme du Caillou, à dix heures du matin, par laquelle il vous prévenait que l’armée anglaise ayant pris position, en avant de la forêt de Soignes, l’Empereur allait la faire attaquer… ».

Le colonel de Bloqueville parle de cette lettre mais ne nous donne pas l’heure de sa réception qu’il situe cependant avant la fameuse discussion avec Gérard chez le notaire Hollert à Sart-à-Walhain 257. Or on considère que cette discussion a été provoquée par la canonnade entendue vers 11.30 hrs.

Les auteurs réfutent qu’une lettre ait été reçue à cette heure-là par le maréchal Grouchy. Ils se basent pour cela sur le témoignage du colonel Zenowicz selon qui la lettre de 10.00 hrs n’est pas arrivée avant 16.00 hrs au moins :

Zenowicz raconte :

« Nous arrivâmes à dix heures à la ferme [du Caillou] ; le major gé-néral se rendit dans sa chambre, et fit demander son secrétaire. La

255

Relation succincte, Appendice, 4e série, p.8. 256

Relation succincte, Appendice, 4e série, sixième question, p.43. 257

Relation succincte, Appendice, 4e série, p. 5.

Page 145: La bataille de Plancenoit

145

première chose que l’on fait en commençant à écrire un ordre, c’est d’y mettre la date et l’heure ; il est facile de voir que cette heure ne peut être celle du départ de la dépêche : car, avant le départ, il faut du temps pour l’écrire ; il en faut aussi pour l’inscrire sur le registre d’ordre du major général. Tout cela demande assez de temps ; dans un service ordinaire, où les heures et les minutes n’ont aucun rôle à jouer, cette remarque n’est d’aucune importance ; mais dans un cas particulier, on compte les heures et les minutes, quand on jette un tort au porteur d’un ordre, il doit être permis de rétablir les faits tels qu’ils se sont produits. Je me répète, la date de l’ordre dont je fus porteur fut mise à dix heures ; je me retirai alors au salon de service. Après une demi-heure d’attente, je rejoignis le major géné-ral. Rien encore que la date n’était écrit : le major général regardait la carte, et son secrétaire s’amusait à tailler une plume. Je retournai au salon, où je trouvai M. Regnault ordonnateur en chef du premier corps, qui, apprenant que depuis vingt-quatre heures, ayant tou-jours été en course, je n’avais pu rien me procurer pour manger, voulut bien envoyer chercher dans son fourgon un morceau de pain et de l’eau-de-vie. Après mon repas, je rentrai de nouveau chez le major général : il était occupé à dicter l’ordre que j’attendais ; je me rendis encore une fois au salon de service. Au bout d’une demi-heure, je fus demandé : le maréchal Soult me ré-péta à peu près, en me donnant son ordre par écrit, ce que l’empereur m’avait dit. Je partis de suite. (…) Il y avait quelque mi-nute à peine que je galopais, lorsque la canonnade et la fusillade se firent entendre ; de ce fait, il résulte donc que j’avais quitté le major général vers midi, heure à laquelle la bataille commença. Préciser les minutes m’est difficile : pour s’occuper de l’heure dans une pa-reille situation, il faut de puissants motifs ; sur le champ de bataille, un soldat oublie les heures comme auprès d’une belle, et ne pense pas au temps. La première halte que je fis fut pour demander la route de Gembloux, et ensuite, à Gembloux, pour m’informer de la direction prise par le corps de Grouchy ; je ne pus obtenir de per-sonne une réponse satisfaisante à cette dernière question 258. Je me

258

Petite remarque au passage : où sont donc passés tous ces si complaisants paysans qui, la veille, passaient leur temps à observer les troupes en marche et à donner des renseignements si précis ?

Page 146: La bataille de Plancenoit

146

dirigeai alors conformément aux avis de l’Empereur et selon la di-rection qu’il m’avait lui-même indiquée ; je m’en trouvai bien : j’atteignis enfin, entre trois et quatre heures, une division d’arrière-garde qui faisait partie du corps d’armée à la recherche duquel j’étais envoyé ; un quart d’heure après, j’avais rejoint le comte de Grouchy ; il était avec le général Gérard dans une petite chambre d’une maison où une ambulance avait été établie. Je présentai mes dépêches au maréchal, et je lui dis encore de vive voix ce dont j’étais chargé.259 »

Or, d’après le registre du major général, c’est bien Zenowicz à qui fut confiée la lettre de 10.00 hrs, encore que le nom du colonel soit ortho-graphié « Lenowich ». Par quel mystère une lettre que son porteur dit avoir été remise « entre trois et quatre heures » a-t-elle pu atteindre Grouchy vers 12.30 hrs ? Trois possibilités :

Ou bien Zenowicz ment. Cela nous étonnerait bien : le but de Zeno-wicz quand il rédige son témoignage est précisément de répondre à ses détracteurs qui l’accusaient d’avoir mis trop de temps pour joindre le ma-réchal Grouchy. Il ne nie nullement le fait mais il le justifie.

Ou bien tous les officiers qui entouraient Grouchy le 18 juin mentent délibérément. Mais dans quel but ? Leurs témoignages datent tous des années 1830-40 et on peut admettre que Grouchy peut très bien les avoir sollicités en termes très… suggestifs. Mais c’est un peu gros quand même… Au reste, le fait de recevoir cette lettre à 12.30 hrs ou peu après plutôt que vers 16.30 hrs ne change pas grand-chose au cours des évé-nements. Forcer des officiers sur lesquels on n’a plus aucune autorité à mentir pour ne rien expliquer n’a guère de sens.

Où sont les garçons d’auberge multilingues et un peu sorciers, capables, la veille encore de prévoir les mouvements des uns et des autres avant même que ces mouvements aient été ordonnés ? Le fait que Zenowicz ne trouve personne pour le renseigner, joint au fait que Gérard, nous le verrons, ne trouve pas de guide pour lui indiquer la direction correcte pour se rendre à Limal nous laisse à penser que les populations belges, à quelques exceptions près, n’étaient pas beaucoup plus enthousiastes à l’idée de voir arriver les Français qu’ils ne l’étaient de l’occupation prussienne. 259

Grouchy, Mémoires, pp. 266-267. D’après Zenowicz, c’est Napoléon lui-même qui lui dit de passer par Gembloux. Comme le colonel faisait remarquer que cette route était bien longue, Napoléon l’interrompit : « C’est égal, vous seriez pris en suivant la route la plus courte. » C’est donc que Napoléon a reçu des informations, vagues ou non, sur ce qui se passe sur sa droite… A 10.00 hrs du matin !

Page 147: La bataille de Plancenoit

147

Ou bien, contrairement à sa (néfaste) habitude, Soult a doublé sa lettre et cette lettre, portée par un autre messager que Zenowicz, serait passé par le pont de Mousty ou celui d’Ottignies pour joindre son desti-nataire dans un délai « normal ». Il aurait alors suivi la ligne de petits postes qu’est justement occupé à mettre en place le colonel Marbot.

Se pourrait-il alors que la lettre que Le Sénécal affirme avoir été reçue vers 16.30 hrs soit en fait celle de 13.00 hrs ? En tout cas, Le Sénécal af-firme avec la dernière vigueur qu’après 16.30 hrs, on n’a plus rien reçu chez Grouchy dans la journée du 18 juin. Et dans ce cas, il confirme la première version du maréchal, donnée comme par inadvertance dans les Observations… Par ailleurs, nous savons que La Fresnaye arrive sur le champ de bataille vers 14.00 hrs. Est-il seulement vraisemblable que Napoléon, trop con-tent d’avoir enfin des nouvelles de Grouchy et anxieux de le voir arriver sur sa droite, et sachant que les communications sont possibles, n’ait pas songé à lui dire de retourner immédiatement chez son chef pour préciser cette «lettre d’une heure», insister sur le fait qu’il doit marcher sur Saint-Lambert toutes affaires cessantes, lui donner des indications sur le che-min à suivre, et le presser de s’exécuter avec la plus vive promptitude ? Or, La Fresnaye est positif :

« Je trouvai Napoléon sur le champ de bataille de Waterloo ; je lui remis la dépêche que vous m’aviez confiée ; il la lut, me demanda le point où vous vous trouviez et me dit de rester près de lui. J’y demeurai jusqu’au soir ; aucuns ordres ne m’ont été donnés à vous rapporter, et il n’est pas à ma connaissance que d’autres officiers vous aient été expédiés.260»

Autrement dit : à 14.00 hrs, dans l’esprit de Napoléon, il n’y a pas péril en la demeure, contrairement à ce que laisserait supposer le post-scriptum de la «lettre d’une heure». Les auteurs se sont livrés à une véritable guerre de tranchées afin de dé-terminer à quelle heure Grouchy avait reçu le message dicté sur le champ de bataille de Waterloo par Napoléon vers 13.00 hrs. Or, la plupart des historiens considèrent que l’heure à laquelle Grouchy reçut ce message est d’une importance fondamentale pour la suite des événements. Du

260

Grouchy – Relation succincte, Appendice, 4e série, p. 13 : Déclaration du lieutenant-colonel de La Fresnaye, Caen 17 décembre 1829.

Page 148: La bataille de Plancenoit

148

moins, l’affirment-ils !... Houssaye dit que c’est vers 17.00 hrs. Ses sui-veurs, Logie, Damamme, Hamilton-Williams, Bruylants, etc. sont du même avis. Desoil, Merget 261, Bernard disent : vers 19.00 hrs, mais sans vraiment étayer la chose. Aucun auteur n’a réellement osé mettre en doute l’existence de la «lettre d’une heure». Ils semblent tous, très curieu-sement, suivre l’avis de Thiers : « Il se borna donc à prendre de nouvelles précautions afin de faire arriver Grouchy en ligne. Il prescrivit au maréchal Soult d’expédier un officier avec une dépêche datée d’une heure, annonçant l’apparition des troupes prussiennes sur notre droite, et portant l’ordre formel de marcher à nous pour les écraser. Un officier au galop courant au-devant de Grouchy, de-vait le rencontrer dans moins de deux heures, et l’amener dans moins de trois à portée des deux armées. Ainsi Grouchy devait se faire sentir avant six heures, et certes la bataille serait loin d’être décidée à ce moment de la journée.262 » Or, cette dépêche, si importante selon les auteurs, n’a en fait d’importance qu’autant qu’elle ait eu une influence sur la suite des évé-nements…

261

Dans un passionnant article de la revue Pallas, Bruxelles, juin 1965, pp 3-19 : Grouchy, bouc émissaire de Waterloo. 262

Thiers, p. 203.

Page 149: La bataille de Plancenoit

149

Sur le terrain du côté de Wavre

La lettre de 10.00 hrs, qui, hormis l’heure de sa réception, n’est pas con-testée, a des conséquences visibles sur le terrain. Basons-nous nous sur la note au crayon qu’envoie Grouchy à Pajol, alors à Tourinnes :

« Ordre au général Pajol. « Sur la route de Sart-à-Valhain, à Wavres, le 18 juin 1815. « Général, portez-vous en toute hâte avec la division Teste et votre corps d’armée à Limale ; passez-y la Dyle et attaquez l’ennemi qui est en face. « Le maréchal Grouchy.263»

Nous savons que ce mouvement est inspiré par l’ordre écrit par Soult, « En avant du Caillou, dix heures » et qui, si l’on suit la version de Ze-nowicz, serait arrivé vers 16.00 hrs dans les mains de Grouchy. Le maré-chal, dès sa réception, fait écrire à Pajol dans l’urgence. Le fait que cette note est rédigée par le maréchal à cheval et au crayon en est un indice sûr. Admettons toujours que Pajol, qui n’a rien devant lui et qui l’a écrit au maréchal, n’ait pas attendu à Tourinnes mais ait continué sur le che-min de Corroy ou celui de Chaumont afin de retrouver la colonne enne-mie qu’il pense avoir devant lui. A quelle heure lui parvient le message de Grouchy lui enjoignant de gagner Limal ? Si l’estafette est bien montée, pas avant 17.30 hrs. Combien de temps va mettre Pajol avant de se trou-ver devant Limal 264 ? Son avant-garde, commandée par le général Vallin, ne peut être là avant 19.30 hrs ; la division d’infanterie Teste, pas avant 20.00 hrs. Et ces calculs sont très optimistes : nous avons en effet suppo-sé : 1° que Grouchy a reçu le premier message de Soult (10.00 hrs) à 16.00 hrs ; 2° qu’il a réagi immédiatement ; 3° que Pajol ait progressé vers Corroy, alors que ses derniers ordres étaient d’attendre des instruc-tions à Tourinnes ; 4° que l’estafette de Grouchy ait pu galoper sans obs-tacle ; 5° que le corps de Pajol ait pu marcher à pleine vitesse. Ajoutons à cela que nous avons donné les distances à vol d’oiseau, ce qui n’est évi-demment qu’un moyen de référence : les distances réelles, par de mau-vais chemin boueux, étant bien entendu beaucoup plus longues.

263

Relation succincte, Appendice, troisième série 264

De Corroy à Limal, à vol d’oiseau : 8 km soit 2 heures minimum pour la cavalerie.

Page 150: La bataille de Plancenoit

150

Continuons notre compte : si Vallin arrive à Limal à 19.30 hrs 265, le temps de se rendre compte de la situation, son rapport arrive à Grouchy au plus tôt vers 20.00 hrs. Ce n’est qu’à cet instant seulement que le ma-réchal peut sans trop de risques faire descendre les divisions Pêcheux et Vichery vers Limal. Le temps de bousculer les Prussiens sur le pont de Limal et de les repousser hors du village, quelle heure peut-il être ? Au plus tôt, 21.00 hrs. Si les Prussiens contre-attaquent et tentent de repous-ser les Français sur la rive droite de la Dyle, si cette contre-offensive est un échec, si les deux divisions françaises passent en masse le pont – large de 2,50 m, rappelons-le – et poussent les Prussiens jusque sur les coteaux qui dominent Limal, il sera donc bien 23.00 hrs. Heure confirmée par la lettre qu’adresse Grouchy à Vandamme :

« Des hauteurs de Limale, le 18 juin 1815, à 11 heures ½ du soir. « Mon cher général, nous avons débouché de Limale, mais la nuit n’a pas permis de suivre, de sorte que nous sommes bec à bec avec l’ennemi. Puisque vous n’avez pas été à même de passer la Dyle, veuillez vous rendre de suite à Limale avec votre corps, ne laissant devant Wavres que le nombre de troupes indispensable pour nous maintenir dans la partie de Wavres que nous occupons. A la pointe du jour, nous attaquerons les troupes que j’ai en face de moi et nous réussirons, j’espère, à joindre l’Empereur, ainsi qu’il ordonne de le faire. On dit qu’il a battu les Anglais, mais je n’ai plus de ses nouvelles, et suis fort dans l’embarras pour lui donner des nôtres. « C’est au nom de la patrie que je vous prie, mon cher camarade, d’exécuter de suite le présent ordre. Je ne vois que cette manière de sortir de la position difficile où nous sommes, et le salut de l’armée en dépend. « Je mets en outre sous votre commandement tout le corps de Gé-rard. Je vous attends. « Le maréchal Grouchy.266

Remarquons d’abord que si la «lettre d’une heure» était arrivée vers 19.00 hrs et que si c’est elle qui avait déclenché ces événements, l’ensemble de ces mouvements devrait être retardé de trois heures…

265

La preuve de notre optimisme nous est fournie par Logie qui dit que « Pajol, arrivé vers sept heures avec la cavalerie de Vallin, jugea la situation en un instant… » (Logie, Évitable défaite, p. 183). 266

Relation succincte, Appendice, troisième série, p. 31.

Page 151: La bataille de Plancenoit

151

Répétons-le : ces calculs sont excessivement optimistes. Excessivement au point d’être pratiquement invraisemblables ! Tout ce que nous savons sur la campagne de 1815 nous indique que les chemins étaient difficiles, que les troupes se sont mues avec difficulté et lenteur, que les transmis-sions ont été désespérément lentes et voilà que, soudain, les évolutions de Pajol et de Teste se seraient déroulées avec une surprenante rapidité et sans la moindre anicroche.

La simple vraisemblance nous incite donc à penser que l’ensemble des événements qui ont conduit à la prise du pont de Limal ne peut avoir été provoqué par des ordres reçus aussi tardivement qu’à 16.00 hrs. Ce sont donc bien les aides de camp de Grouchy qui ont raison quand ils affir-ment que la lettre de 10.00 hrs a été reçue vers 12.30 hrs.

Deuxième remarque : dans sa lettre à Vandamme, Grouchy fait état d’une rumeur évoquant la victoire de Napoléon. Aurait-il écrit cela si, comme il le prétend et comme il le fait confirmer par Le Sénécal, il était certain d’avoir lu : « En ce moment, la bataille est gagnée sur la ligne de Waterloo, en avant de la forêt de Soignes… » ?

Enfin l’objection qui consiste à dire que la phrase : « Nous réussirons, j’espère, à joindre l’Empereur, ainsi qu’il ordonne de le faire. » répond aux termes du corps de la « lettre d’une heure » – et non de son post-scriptum ! – : « Ainsi, manœuvrez pour joindre notre droite. » – ne tient pas. Elle peut aussi bien répondre à l’insistante sollicitation de Soult dans la lettre de 10.00 hrs : « vous rapprocher de nous, vous mettre en rapports d’opérations et lier les communications… Instruisez-moi immédiatement de vos dispo-sitions et de votre marche, ainsi que des nouvelles que vous avez sur les ennemis, et ne négligez point de lier vos communications avec nous. » Nouvelles que Grouchy avoue explicitement avoir bien des difficultés à donner.

Pour nous résumer, tout se passe à Wavre comme si le message daté de 13.00 hrs n’avait jamais existé.

Page 152: La bataille de Plancenoit

152

Conclusion à double détente…

La première conclusion à tirer de tout ceci, c’est que l’existence même de cette lettre dite de 13.00 hrs est on ne peut plus douteuse. Ceci veut-il dire qu’aucune communication n’a plus existé entre la plaine de Mont-Saint-Jean et les rives de la Dyle le 18 juin après 10.00 hrs ? Voilà qui est impossible à déterminer avec certitude. Certes, la suite des événements nous incite à penser que Grouchy et Napoléon ont continué leurs opéra-tions sans se concerter, sans même se tenir au courant l’un l’autre des événements. La première communication connue avec certitude est un message de Grouchy pour Soult. En tout cas, Grouchy est affirmatif : il a bien écrit à Soult dans la soirée du 18 :

« Huitième lettre

« Une lettre a été adressée au major général, dans la nuit du 18 au 19, pour qu’il informe l’Empereur de mon passage de la Dyle. (Cette lettre n’a pas encore été retrouvée).267 »

Et elle ne le sera jamais…

Vers 23.00 hrs, le bruit du canon ne se fait plus entendre à l’ouest. Qui a gagné la grande bataille dont on a entendu l’écho depuis 13.00 hrs ? Ici, il faut essayer de se mettre dans la psychologie des personnages… Grou-chy peut-il imaginer un instant que le dieu des batailles pour lequel il combat depuis si longtemps et qui, au moment où il l’a quitté, montrait tant de certitude, que le « plus grand capitaine de tous les temps » ait perdu « sa » bataille ? Le matin même, à 11.00 hrs, il écrivait déjà :

« Ce soir, je vais être massé à Wavres, et me trouver ainsi entre Wellington, que je présume en retraite devant Votre Majesté, et l’armée prussienne.268»

Sans doute le maréchal ignore-t-il même que trois des quatre corps de Blücher ont échappé à sa vigilance. Et dans son esprit, sans l’aide des Prussiens, Wellington – ce « général de Cipayes » – n’a pas pu résister bien longtemps devant l’Empereur qui, donc, est très certainement en route vers Bruxelles. Le devoir de Grouchy est donc tout tracé : après

267

Relation succincte, Appendice, deuxième série, 8e lettre, p. 6. 268

Id., ibid, 7e lettre, p. 6

Page 153: La bataille de Plancenoit

153

avoir repoussé les Prussiens vers l’est, il lui faudra lui aussi marcher « par la route de Wiworde », c’est à-dire par la route pavée qui relie Wavre à Bruxelles. Et c’est exactement ce qu’il fait le 19 au matin quand, après quelques sévères échauffourées, « je continuais avec mes principales forces à marcher vers cette ville (Bruxelles).269». A ce moment, arrive un officier chargé par le major général d’annoncer le désastre…

Dans tout cela, on voit que Grouchy, pas un instant, ne tient compte du fameux P.S. de la «lettre d’une heure». Il ignore absolument que les Prus-siens ont été vus approchant de Mont-Saint-Jean. Au contraire, au lieu de se porter vers Saint-Lambert, il se dirige vers le nord-est pour rejoindre la route pavée de Bruxelles et appliquer ainsi sa part du « plan Dyle », comme nous l’avons baptisé. S’il a passé la Dyle à Limal, ce n’est pas parce qu’on lui a ordonné de marcher vers Saint-Lambert – geste qu’il n’esquisse même pas – mais bien parce qu’il a l’opportunité de franchir la rivière à un endroit moins garni par l’ennemi – qu’il suppose tout entier à Wavre et à Bierges – tout en se rapprochant de l’empereur, comme le lui prescrivent les ordres de 10.00 hrs. Et pourquoi un général, très accou-tumé aux méthodes de Napoléon, et qui sait que celui-ci ne laisse aucune initiative aux sous-ordres, ignore-t-il ce P.S. ? Parce qu’il n’existe pas ! Et pourquoi le P.S. n’existe-t-il pas ? Parce que la «lettre d’une heure» n’existe pas !

269

Id, 9e lettre, p. 13.

Page 154: La bataille de Plancenoit

154

Une évidence

A partir de ce moment, les auteurs qui, en se basant sur le seul texte du post-scriptum de cette lettre, affirment avec une belle unanimité que Napoléon a vu les Prussiens à Saint-Lambert peu après 13.00 hrs, se re-trouvent « en l’air », pour utiliser un terme tactique. Ils n’ont plus aucun document sur lequel s’appuyer. Bref : c’est du vent…

On peut donc, dans ces conditions, se demander pourquoi les auteurs ont tous accepté ce document – ou du moins son contenu – et cette lé-gende. C’est que, apparemment contradictoires, les deux versions – celle de Napoléon dans ses dictées de Sainte-Hélène et celle de Grouchy dans la Relation succincte – se combinent parfaitement pour exonérer les deux acteurs de leurs fautes respectives. Expliquons-nous.

Que reproche-t-on essentiellement à Grouchy ? De ne pas être arrivé à temps pour renforcer de ses 30 000 hommes l’armée française à Water-loo. La lettre de 10.00 hrs vient en partie le justifier : elle lui ordonne d’arriver le plus tôt possible à Wavre et ne lui laisse, à cet égard, aucune facilité d’interprétation. Elle suffirait donc à justifier Grouchy…

Mais si une lettre écrite plus tard, de préférence après le début de la ba-taille à Mont-Saint-Jean, venait confirmer cet ordre, ce serait l’idéal pour le maréchal… Et c’est bien ce que fait la «lettre d’une heure» : « Le mouvement est conforme aux dispositions de Sa Majesté qui vous ont été communiquées. » Toutefois, quand Grouchy écrivait sa plaidoirie de Philadelphie, il n’ignorait pas qu’en 1815, les Prussiens lui avaient échappé et étaient intervenus à Waterloo après 16.00 hrs. Dès lors, il faut que cette lettre ait été expédiée avant 16.00 hrs.

Mais Grouchy, semant à dessein la confusion dans les esprits, explique aussi que la «lettre d’une heure» ne lui est parvenue que vers 19.00 hrs. Il explique ce retard par le fait que le messager porteur de cette lettre a pris par Gembloux et Sombreffe. Pour expliquer pareil retard, il faut donc que la «lettre d’une heure» ait été expédiée avant que La Fresnaye n’arrive à Waterloo vers 14.00 hrs.

Or les Prussiens sont déjà à Saint-Lambert vers 10.00 hrs ! Ils sont donc observables dès cet instant… Comment donc n’ont-ils pas été observés ? Et s’ils l’ont été, pourquoi Soult ne s’est-il pas précipité sur son bloc de papier pour en aviser Grouchy ? Le maréchal montre ainsi le

Page 155: La bataille de Plancenoit

155

bout de l’oreille. Car si Soult écrit à 10.00 hrs, il devient totalement inexplicable que cette lettre ne soit parvenue qu’à 19.00 hrs à Wavre. Grouchy fait donc un calcul basé sur le temps qu’a mis Zenowicz avec la lettre de dix heures : environ six heures. La « lettre d’une heure » doit donc être partie après 13.00 hrs.

Et voilà donc Grouchy qui nous explique que c’est lui, et nul autre que lui, qui a eu l’idée de rejoindre Napoléon à Waterloo :

« Toute-fois lorsqu’un peu plus tard, le Gal Pajol qui se trouvait fort en arrière par suite de la fausse direction dans laquelle il avait été envoyé la veille, m’eut rendu compte qu’il allait rentrer dans la route que j’avais suivi, je lui donnai l’ordre de se porter au village de Limale, et du côté du canon qu’on entendait.270 »

Et à quelle heure Grouchy donne-t-il cet ordre ?

« Pendant qu’on tiraillait dans le bois de Limelette, le canon se fit entendre sur la gauche : je me portai, de ma personne, dans cette direction, et me convainquis qu’un engagement y avait lieu. Mais la nature de la canonnade peu nourrie alors, (il était environ midi, et elle ne l’a été fortement à Waterloo, que vers une heure)…271 »

Donc les ordres à Pajol datent d’après 13.00 hrs. Or nous savons parfai-tement qu’ils sont la conséquence de la lettre de 10.00 hrs. Voilà qui con-firme au passage que cette lettre a bien été reçue à 12.30 hrs comme l’affirmaient nos témoins. Dans la version américaine (1818) des Observations, Grouchy dit avoir reçu la «lettre d’une heure » à quatre heures, ce qui est vraisemblable. Plus tard, dans la version française (1819), il dira « vers sept heures », ce qui l’est déjà beaucoup moins… Heure pourtant confirmée dans les deux versions du rapport daté de Ro-sières et de Dinant. C’est qu’il s’agit maintenant d’expliquer pourquoi on a mis tant de temps à s’attaquer au pont de Limal. Vient alors l’incroyable imbroglio créé – soi disant – par la mauvaise écriture (au crayon) du maréchal Soult et le fait qu’on aurait lu « la bataille est gagnée sur la ligne de Waterloo » au lieu de « la bataille est engagée du côté de Waterloo ». La confusion aurait été possible si le

270

Grouchy, Observations, 1818, p. 16. 271

Id. p. 15.

Page 156: La bataille de Plancenoit

156

maréchal Soult n’avait fait suivre cette phrase par une autre : « Le centre de l’ennemi est à Mont-Saint-Jean, ainsi manœuvrez pour joindre notre droite. » Mais aucune confusion n’est possible : si la bataille est gagnée, le centre de l’ennemi n’est plus à Mont-Saint-Jean. Soult aurait écrit : « L’ennemi est en retraite – ou en fuite – sur la chaussée de Bruxelles. »

En attendant, si la bataille est gagnée, plus besoin de se dépêcher pour traverser la Dyle et si on ne le fait qu’à la tombée de la nuit, cela ne porte pas à conséquence. Mais alors, pourquoi s’acharner à le faire ? Et c’est là que vient providentiellement nous aider le post-scriptum de la « lettre d’une heure »…

Bref, si Grouchy nous donne si obligeamment le texte de la dépêche qu’il aurait reçue, c’est que, appuyée sur celle de 10.00 hrs, elle lui donne l’absolution : il a bien rempli la mission que lui avait confiée l’empereur : poursuivre les Prussiens, gagner Wavre et les empêcher de rejoindre Wel-lington. Et si le dernier point n’a pas été fort bien réalisé, c’est parce que Grouchy a été abusé par l’empereur lui-même qui lui a fait croire que le gros de l’armée prussienne filait vers la Meuse, l’a confirmé dans cette impression le 18 à 10.00 hrs (« Vous ferez suivre les colonnes ennemies qui ont pris sur votre droite par quelques corps légers, afin d’observer leurs mouvements et ramasser leurs traînards ») et ne l’a détrompé qu’à 13.00 hrs (« Nous croyons apercevoir ce corps sur la hauteur de Saint-Lambert »). Et si Grouchy n’a pas modifié son plan de bataille, c’est parce qu’il n’a reçu cette information qu’à 19.00 hrs.

Page 157: La bataille de Plancenoit

157

Une lettre qui arrange tout le monde

Maintenant, à l’inverse, pourquoi les auteurs partisans de la légende ont-ils tenu cette « lettre d’une heure » pour authentique ? Parce qu’elle sert très bien leur théorie : l’arrivée de Bülow sur le champ de bataille a été une surprise complète parce que Grouchy devait l’empêcher en se plaçant entre Blücher et Mont-Saint-Jean. Donc Napoléon a très bien fait de lancer sa principale attaque contre Wellington parce qu’il était légitimement en droit de penser que le corps « aperçu » à Saint-Lambert était celui de Grouchy. La surprise vient de l’heure tardive à laquelle les Prussiens ont été « aperçus » : après 13.00 hrs. Si les Prussiens étaient à Saint-Lambert à 13.00 hrs, il restait au moins deux heures pour renverser la ligne anglo-alliée, compte non tenu des difficultés qu’éprouverait évidemment Blücher pour traverser la vallée de la Lasne. Finalement, le calcul n’était pas faux puisque Bülow ne débouchera pas avant 16.30 hrs… Les quelques très rares auteurs qui ont osé mettre en doute l’opportunité de lancer l’attaque du 1er corps, c’est-à-dire d’engager véritablement la bataille, parce qu’ils soutiennent que les Prussiens étaient à Saint-Lambert dès 10.00 hrs et donc en mesure d’intervenir dès midi, se voient ainsi réduits au silence par les faits et voilà l’empereur justifié à son tour…

En somme, l’équation se résume à cela : il faut avoir « aperçu » les Prussiens suffisamment tôt pour que l’attaque du 1er corps ait eu lieu à une heure convenable pour avoir une chance de succès et suffisamment tard pour qu’il ne soit plus question de l’annuler. La grande batterie ouvrant le feu à 13.00 hrs et le 1er corps s’ébranlant à 13.30 hrs, l’heure idéale pour « apercevoir » les Prussiens est donc bien entre ces deux heures !... Et on pousse le vice jusqu’à laisser une certaine latitude d’interprétation à propos de cette heure : la lettre est datée de 13.00 hrs mais l’information capitale est donnée en post-scriptum, c’est-à-dire que l’« observation » du corps de Bülow est très certainement postérieure au moment où la grande batterie entame les opérations.

Indice certain de cette manipulation : la dictée de Sainte-Hélène, parue en 1820, mentionne expressément que l’empereur « aperçut dans la direction de Saint-Lambert un nuage qui lui parut être des troupes » au moment où il se disposait à donner le signal d’attaque au maréchal Ney. Ce qui ne contredit pas vraiment la dictée précédente, celle à Gourgaud, parue en

Page 158: La bataille de Plancenoit

158

1818, qui situe ce moment (« Dans ce moment… ») peu après que Reille ait reçu l’ordre de former une batterie d’obusiers et de mettre le feu au château d’Hougoumont, moment que Mauduit (et lui seul) situe vers 15.00 hrs… Mais qui va nettement contre l’affirmation du Bulletin du Moniteur Universel qui place avant midi le 6e corps sur la droite de l’armée pour « s’opposer à un corps prussien qui paraissait avoir échappé au maréchal Grouchy ». Bien mieux : le Bulletin ne dit pas que l’on a vu les Prussiens à cette heure-là, mais qu’ils avaient « l’intention de tomber sur notre flanc droit, intention qui nous avait été connue par nos rapports, et par une lettre d’un général prussien que portait une or-donnance prise par nos coureurs. »

Quoique nous ne soyons pas plus naïf que les lecteurs du Bulletin – qui l’avaient surnommé « le Canard » – il faut tenir compte du fait qu’il donne une relation brute de la bataille, au moment où Napoléon n’a pas encore eu le temps de réfléchir sérieusement à toutes les implications de sa dic-tée. A n’en pas douter, s’il avait vu les Prussiens à Saint-Lambert au moment de donner l’ordre à Ney d’attaquer, il en aurait fait mention dans le Bulletin. L’événement est assez remarquable !... C’est Gourgaud, dans la dictée qu’il a dû prendre à la mi-1816 272, qui pour la première fois dit que l’on « apperçut fort au loin, du côté de St. Lambert, un corps de cinq à six mille hommes de toutes armes. »

Il serait intéressant de savoir si et quand, exactement, un exemplaire des Observations de Philadelphie est parvenu à Sainte-Hélène. Il est mal-heureusement impossible de le dire. Le Mémorial de Las Cases n’en fait pas mention, du fait que Las Cases a été expulsé de l’île dès décembre 1816 273. Postérieurement à cette date, Napoléon, à ce que nous savons, ne fait plus allusion à Grouchy que deux fois et presque sans le faire ex-près. En tout cas, il ne prend pas la peine de répondre ni à l’édition de Philadelphie, ni à celle de Paris, alors qu’il répond en détail aux Considérations sur l’Art de la guerre du général Rogniat, parues en 1816. Il ne dément donc pas la fameuse « lettre d’une heure ». Mais cela ne

272

D’après Las Cases. 273

Le catalogue de la vente du 23 juillet 1823 chez Sotheby à Londres de la bibliothèque de Napoléon à Sainte-Hélène ne mentionne aucun ouvrage de Grouchy. Mais on n’y trouve pas non plus les Con-sidérations sur l’Art de la Guerre de Rogniat auxquelles Napoléon a pourtant soigneusement répon-du… (voir Victor Advielle – La bibliothèque de Napoléon à Sainte-Hélène – Paris, Lechevalier, 1894, pp 17 sq.)

Page 159: La bataille de Plancenoit

159

prouve rien… Somme toute, elle a été rédigée par Soult… Et, dans sa rédaction même, elle arrange bien Napoléon en montrant que Soult est confus dans les ordres qu’il donne et que ses instructions sont contradic-toires parce qu’il ne les comprend pas…

Est-ce à dire, demandions-nous, qu’il n’y a pas eu de communication entre le champ de bataille de Waterloo et celui de Wavre ? Il serait très aventureux de l’affirmer. Grouchy met un tel acharnement à affirmer qu’il n’a reçu l’ordre de marcher sur Saint-Lambert que vers 19.00 hrs qu’il est presque certain qu’une telle communication a dû exister, mais bien plus tôt. Quand il rédige ses Observations, il sait que la « lettre d’une heure » ne figure pas dans le Registre du major-général. Rien ne serait donc plus facile que de dire simplement que cette lettre n’a pas existé ou qu’il ne l’a jamais reçue. Mais il prête alors le flanc à la critique qui con-siste à dire que, de Sart-à-Walhain, il aurait dû, dès midi, marcher au ca-non. Le texte de la dépêche de 13.00 hrs vient l’exonérer de ce reproche : elle lui confirme bien Wavre comme destination de son mouvement. Ce-pendant, il ne peut nier qu’un ordre lui a été donné de se diriger vers Saint-Lambert : on est toujours en mesure de lui prouver le contraire. Il opère alors un habile glissement, faisant passer le franchissement de la Dyle à Limal pour une manœuvre répondant à l’ordre de se porter à Saint-Lambert. Nous savons qu’il n’en est rien puisque, une fois franchi le pont de Limal, les Français remontent vers Bierges pour aboutir à Ro-sières… Chance : les contradicteurs de Grouchy n’ont pas remarqué ce détail…

Mais alors, Grouchy doit expliquer pourquoi il a mis si longtemps à ob-tempérer. La première explication qui lui vient à l’esprit, c’est que Soult a mis très longtemps à répondre à sa lettre de six heures du matin. Ce qui est exact, mais pas suffisant : la longue dépêche et les annexes qu’y joint le maréchal ne demandent pas vraiment de réponse. Soult n’aura pas jugé indispensable de distraire un officier de sa trop petite équipe de messa-gers uniquement pour dire à Grouchy que son mouvement est conforme aux instructions qu’il a déjà reçues et que l’empereur s’apprête à engager l’ennemi, chose que sait très bien Grouchy et qu’il entendra lui-même lorsque le premier coup de canon retentira. D’où le texte de la première partie du message de 13.00 hrs. Et pour bien marquer le coup, tant qu’on y est, il faut introduire dans ce texte une certaine confusion : la deuxième phrase dit que le mouvement vers Wavre est conforme, mais la troisième

Page 160: La bataille de Plancenoit

160

dit que non et qu’il faut manœuvrer pour se rapprocher et de « tomber sur quelques troupes ennemies qui chercheraient à inquiéter notre droite ». Or, c’est l’un ou c’est l’autre !... Et pour bien souligner la confu-sion, on invente cette histoire un peu ridicule de bataille « gagnée » ou lieu d’ « engagée ».

Et voilà tout le monde d’accord : Soult est confus dans les ordres qu’il donne et ses instructions sont contradictoires parce qu’il ne les com-prend pas…

Comme si la confusion qui règne dans le corps de la dépêche de 13.00 hrs ne suffisait pas, on va s’occuper à Philadelphie, de l’augmenter en-core en y ajoutant un post-scriptum. On sait ou, du moins, on croit savoir, à la lecture de Gourgaud, que Napoléon a vu les Prussiens à Saint-Lambert, sans qu’on soit très bien capable de dire à quelle heure. Gour-gaud n’est en effet pas très précis, nous l’avons dit. Mais en se basant sur ce qu’il dit, il faut que cette heure soit obligatoirement postérieure à 11.00 hrs.

D’autre part, on sait que les Prussiens font réellement leur apparition sur le terrain à 16.30 hrs. Donc, l’heure à laquelle Napoléon a vu les Prus-siens doit, en tout cas, se situer avant 16.30 hrs. Mais il est peu vraisem-blable que l’empereur n’ait pas été informé de leur approche bien avant cette heure. On doit, d’autre part, avoir appris que des cavaliers prussiens avaient été capturés, sans d’ailleurs savoir à quelle heure. Mais cela ne suffirait pas à établir la conviction de l’empereur. Il faut que l’un de ces cavaliers, au moins, ait été porteur d’une dépêche de Bülow (parce que c’est lui qui va déboucher) pour Wellington (parce que c’est lui qui com-mande les Anglo-Néerlandais) et que cette dépêche annonce clairement le péril imminent. Mais, cette lettre ayant « disparu », ce n’est pas encore suffisant : il faut que la présence physique d’un corps prussien soit apparue aux yeux de Napoléon. Or, à quel endroit idéal devrait se trouver ce corps pour qu’une telle observation soit possible ? Sur une hauteur. Quelle est la hauteur la plus significative ? Chapelle-Saint-Lambert ! Ce n’est pas vrai, mais cela, Grouchy ne peut le savoir… Il a une assez bonne intuition de la configuration du terrain : il l’a observée depuis les hauteurs en face de Limal et Limelette. Mais il ne peut savoir qu’on ne peut rien voir de l’endroit où il suppose que l’empereur se trouve parce qu’il n’a jamais observé le terrain dans ce sens-là. Comme Gourgaud dit,

Page 161: La bataille de Plancenoit

161

très opportunément, qu’on « apperçut » un corps de 5 à 6 mille hommes, Grouchy reprend cette affirmation à son compte. Donc, va pour Saint-Lambert ! Maintenant, à quelle heure ? Saint-Lambert est distant à vol d’oiseau du champ de bataille de 7,5 km. En y ajoutant un quart comme à l’habitude de faire Grouchy pour évaluer la distance réelle, cela ferait un peu plus de 9 km, soit un peu plus de trois heures et demi de marche. Si les Prussiens débouchent sur le champ de bataille à 16.30 hrs, cela veut dire qu’ils étaient à Saint-Lambert à 13.00 hrs. Donc on peut avancer sans beaucoup craindre d’être démenti que Napoléon a vu les Prus-siens à 13.00 hrs… Et voilà pourquoi la prétendue « lettre d’une heure » porte la mention horaire « Une heure après midi » ! Merveilleuse coïncidence, non ?

Une autre affaire est alors d’expliquer pourquoi une lettre partie du champ de bataille peu après 13.00 hrs n’a pas été suivie d’effet dès sa ré-ception. La première idée de Grouchy, c’est de dire qu’il reçu la lettre vers 16.00 hrs. C’est ce qu’il fait dans la version de Philadelphie, se ba-sant sur le rapport de La Fresnaye qui dit qu’il a mis deux heures et de-mie pour joindre Napoléon sur le champ de bataille. Mais cela n’explique rien… Il faut donc que cette lettre soit arrivée beaucoup plus tard. On fait alors semblant de confondre la lettre de 10.00 hrs et celle de 13.00 hrs, en se basant cette fois sur le témoignage de Zenowicz qui dit avoir mis plus de cinq heures pour transmettre son message. Comme cela semble quand même encore un peu court, on va ajouter un détail criant de vérité :

« L’officier porteur de cette lettre était ivre et hors d’état de rien ajouter à son contenu.274 »

Voilà qui est très commode pour expliquer à la fois pourquoi la lettre à mis autant de temps pour arriver et pourquoi on a cru lire « gagnée » et non « engagée ». Comme si un officier, quel que soit son état d’ébriété, pouvait confondre…

274

Relation succincte, p. 40. C’est cette affirmation qui, des années plus tard, mit Zenowicz en colère et qui suscita son témoignage. Preuve que la confusion volontaire entre les deux lettres a bien fonc-tionné…

Page 162: La bataille de Plancenoit

162

Dès lors l’affirmation soutenue dans les rapports de Rosières et de Di-nant – selon laquelle Grouchy n’a reçu les ordres de Napoléon qu’à 19.00 hrs – devient vraisemblable et explique tout.

Page 163: La bataille de Plancenoit

163

Conclusion

La trop longue démonstration que nous avons livrée au lecteur nous permet de tirer cinq enseignements capitaux sur cet épisode de la fatale journée de 1815.

1° - L’empereur, dans la matinée du 18 juin, reçoit plusieurs informations lui donnant de très sérieux indices à propos de la marche de Prussiens vers « son » champ de bataille. Il reste pourtant persuadé que l’armée de Blücher est hors-jeu et les éléments que lui donne Grouchy à propos de la Chise et de la « route de Wivorde » ne font rien pour lui donner un démenti.

2° - Ce n’est que vers 16.30 hrs, quand la présence du corps de Bülow se fait physiquement sentir sur sa droite, que Napoléon réalise qu’une partie des Prussiens a échappé à Grouchy. Encore ne croit-il avoir à faire qu’à un seul corps prussien. C’est beaucoup plus tard, vers 19.00 hrs, que l’arrivée du corps de Zieten du côté de La Marache viendra lui infliger un cinglant démenti.

3° - Napoléon n’a jamais cru que Grouchy ait été en mesure de le joindre. Lorsque des informations de plus en plus pressantes le persua-dent que, effectivement, un corps de troupe a été observé sur sa droite, il voudra croire et faire croire qu’il s’agit de Grouchy, parce qu’il est con-vaincu que cela ne peut être Blücher, celui-ci étant hors-jeu et en retraite vers la Meuse. Lorsque, plus tard, il aura finalement la certitude que ce sont bien des Prussiens qui se manifestent sur sa droite, il intensifiera la rumeur qu’il a déjà fait courir dans la troupe selon laquelle il s’agit des renforts de Grouchy, rumeur qui est de nature, croit-il, à remonter le moral de soldats en plein combat et qui, s’apercevant de l’exceptionnelle résistance offerte par les armées de Wellington, commencent à douter.

4° - Il est matériellement impossible que Napoléon ait pu voir le corps de Bülow à Saint-Lambert. De toutes les raisons (géographiques ou chronologiques) qui permettent d’être affirmatif à cet égard, la plus pro-bante étant que, de leur côté, les Prussiens n’ont jamais pu voir les Fran-çais avant de déboucher du bois de Paris et que Blücher a dû se rendre lui-même jusqu’à l’orée du bois de Fichermont pour avoir un aperçu de la situation sur le champ de bataille.

Page 164: La bataille de Plancenoit

164

5° - L’échange de correspondance avec Grouchy permet de voir que ce n’est pas entre 13.00 hrs et 13.30 hrs que la présence des Prussiens a constitué une certitude. Cela a été une crainte diffuse depuis le matin, crainte confirmée à 16.30 hrs seulement.

Double mensonge, disions-nous. Et double mensonge extraordinaire-ment efficace. Tout le monde croit dur comme fer à la réalité de cette « lettre d’une heure » et à son contenu. Et chacun a d’excellentes raisons pour le faire : les uns pour prouver que Grouchy a manqué son coup, les autres pour dire qu’il n’en est pas responsable. Et comme les deux op-tions n’en font en réalité qu’une, qu’elles épargnent la réputation du « plus grand capitaine de tous les temps » et qu’elles semblent expliquer logiquement ce qui a provoqué la catastrophe, personne ne s’est avisé de donner un grand coup de pied dans la fourmilière, de tenir cette « lettre d’une heure » pour une invention pure et simple et de constater que tout le monde ment dans cette affaire.

Et de fil en aiguille, on est amené a aborder ces témoignages avec la plus extrême méfiance et à tirer la conclusion qu’on ne peut se baser sur eux pour reconstituer l’histoire de cette bataille. Que si les témoins de pre-mière main ne sont pas fiables, les autres le sont encore moins. Que l’idée folle, germée dans on ne sait quel esprit, de reconstituer exacte-ment la bataille de Waterloo minute après minute, est une absurdité.

Et comme ce qui est vrai pour la bataille de Waterloo, l’est automati-quement pour toutes les autres batailles…

M.D.

Page 165: La bataille de Plancenoit

165

Page 166: La bataille de Plancenoit

166

nnexe 2

: le chemin des Prussiens

Si vous décidez d’utiliser la route suivie par le IVe corps de Bülow, voici ma suggestion : DION-LE-MONT : Le corps de Bülow a bivouaqué dans les grandes prairies qui se situent entre la chaussée de Huy et le chemin Bernard-Croix, à droite et à gauche du chemin de l’Herbe. Vers 04.00 hrs, les avant-gardes se mettent en marche vers Wavre par la chaussée de Huy. En même temps, des reconnaissances de cavalerie sont envoyées vers Maransart, pour explorer les défilés de la Lasne (déjà reconnus la veille), et vers Mont-Saint-Guibert, de telle sorte que toute la zone entre la Dyle et la chaussée de Charleroi est étroitement surveillée. Je donne donc l’itinéraire vraisemblablement suivi par le gros du IVe corps prussien WAVRE : - Chaussée de Huy

- Rue de Namur (dans laquelle un incendie va se déclarer qui retardera la marche)

- Place Bosch

- Pont du Christ et Pont du Moulin

- Place de l’Hôtel de Ville

- Rue de Nivelles

- Rue Provinciale

- Vieux Chemin du Poète

- Rue du Voyageur

- Avenue de Nivelles

- Carrefour du Pèlerin (jadis lieu-dit Neuf-Cabaret)

RIXENSART - Rue des Bleuets (passer sous le chemin de fer) - Traverser la chaussée de Villers-la-Ville

LASNE - Tout droit jusque

- Chemin de la Chapelle Robert

- Chemin du Meunier ; à droite

- Route d’Ottignies > Chapelle Saint-Lambert ; à gauche

- Rue du Culot

- Rue de la Gendarmerie

- Pont de la Lasne

A

Page 167: La bataille de Plancenoit

167

- Traverser la rue de l’Église ; en face

- Ruelle des Béguines ; à gauche

- Allée des Chênes du tram

- Rue du Vieux Monument (C’est le monument Schwerin)

- Traverser le bois Paris avec la rue du Vieux Monument

- Rue du Bois Paris

- Traverser la rue de Fichermont

Soit à droite vers Fichermont, soit tout droit : - Chemin de Camuselle jusqu’à Plancenoit…

Et là, un bon godet bien mérité au Gros Vélo… Le trajet du IIe corps (Pirch I) est sensiblement le même, si ce n’est, à la sortie de Wavre,

- Rue Provinciale

- Passé l’autoroute, rue des Combattants, puis à gauche :

- Rue du Safetiau

- Rue de la Haie

- Rue du Voyageur

- Avenue de Nivelles, etc.

Pour le Ier corps (Zieten), c’est plus compliqué… Il a bivouaqué à Bierges, sur la hauteur. Il se met en route vers 14.00 hrs seulement : il a en effet dû laisser défiler le IIe corps.

- Rue des Combattants

- Rue de la Roche

- Chemin des Tourtelles

- Rue de l’Etoile (jadis entièrement dans les bois de Bierges, de Limal et de

Rixensart)

- Avenue de Merode

RIXENSART - Avenue Royale

- Rue de Froidmont

- Traverser sous le chemin de fer

- Rue de l’Augette

- Rue de Messe

- À droite, chaussée de Wavre

- A gauche chaussée de Lasne

LASNE - Chaussée de Rixensart

- Rue de la Lasne

- Ruelle des Béguines

Page 168: La bataille de Plancenoit

168

- Rue de Genleau (C’est une possibilité : Zieten a peut-être pris par le Vieux

Monument, mais aurait alors bifurqué dans le bois Paris vers La Marache)

- Route de la Marache

Dernière chose : je n’ai pas besoin de vous dire que ces trajets sont ceux des têtes de colonnes. Il est évident que les différentes unités ont pu prendre des chemins de traverse. M.D.

Page 169: La bataille de Plancenoit

169

Index « Le Roy » ou « De Coninck », 5 Adkin, 25, 43, 44, 64, 70, 72, 73,

88, 89, 90, 98, 104 Aerts, 17, 32, 33, 36, 44, 45, 46,

47, 48, 51, 56, 67, 68, 70, 83, 84, 86, 93, 95, 99, 100, 102, 103

Arnoul de Steyne, 5 Arnoul Schuyl, seigneur de

Walhorn, 6 Auguis, 94 Barbençon, 5 Baric, 103 Bathurst, 133 Baudus, 17 Bella, 143 Bernard, 19, 24, 56, 63, 67, 69,

70, 73, 165 Bertrand, 68, 133, 138 Bijleveld, 100 Blandowsky, 92 Bloqueville, 143 Blücher, 16, 22, 25, 30, 32, 34,

36, 40, 41, 43, 44, 45, 46, 49, 51, 55, 60, 61, 68, 69, 79, 82, 83, 84, 85, 86, 96, 97, 111, 112, 121, 123, 124, 126, 128, 131, 151, 156, 162

Bonnemains, 128 Borstell, 121 Bose, 49 Brause, 49 Bruylants, 24, 147 Bülow, 14, 17, 25, 28, 29, 30, 32,

33, 34, 35, 36, 37, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 49, 63, 66, 69, 77, 78, 82, 87, 88, 96, 97, 100, 101, 102, 107, 108, 110, 114, 115, 117, 125, 130, 131, 143, 156, 159, 162, 165

Carbonel, 134 Caron, 116 Charras, 17, 23, 45 Chartran, 93 Chassé, 89 Christiani, 95 Clausewitz, 37, 38, 111 Combes-Brassard, 71, 79, 80 Constant de Rebecque, 29 Cooke, 20 Coppens, 19 Coulon, architecte, 7, 115 Couvreur, 116 d’Aumont Voir Domon d’Erlon Voir Drouet d'Erlon Damamme, 147

Page 170: La bataille de Plancenoit

170

Damitz, 17, 40, 45, 66, 83 Daumont Voir Domon De Coster, 16 de Wittem, seigneurs de Braine-

l'Alleud, 5, 6 Delpierre, brasseur, 8, 9 Desoil, 73, 147 Domon, 13, 14, 15, 26, 30, 51,

56, 64, 65, 67, 69, 70, 76, 77, 84, 95, 106, 107

Domont Voir Domon Drouet d’Erlon, 46, 64 Duhesme, 86, 90, 93, 115, 116 Durieu Voir Durrieu Durutte, 71, 73, 74, 80, 87, 100,

102 Eloy, 53, 54, 130 Exelmans, 121, 128 Falkenhausen, 25, 29, 32, 34, 42,

82 Farine, 74 Fischer, 91 Freemantle, 88, 96, 97, 99 Gardiner, 100 Gérard, 38, 115, 143, 145, 149 Girard, 133 Gneisenau, 25, 30, 32, 33, 34, 35,

36, 37, 38, 42, 47, 82, 85, 92, 96, 101, 111, 130

Gold, 89 Golzio, 95 Gourahel, 93 Gourgaud, 16, 19, 27, 65, 66, 67,

68, 71, 73, 75, 77, 78, 79, 80, 121, 124, 132, 142, 156, 157, 159

Granges, 94

Gröben, 32 Grouchy, 13, 15, 17, 18, 19, 20,

21, 22, 26, 27, 32, 35, 36, 38, 49, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 76, 77, 99, 107, 120, 121, 122, 123, 124, 125, 126, 127, 128, 129, 130, 131, 132, 133, 134, 136, 137, 138, 139, 140, 141, 142, 143, 144, 145, 146, 147, 148, 149, 150, 151, 152, 153, 154, 155, 156, 157, 158, 159, 160, 161, 162, 163

Guillaume Coutriaux, seigneur de la Hutte, 6

Guillaume d’Oestkerke, seigneur de la Hutte, 6

Guillaume, prince de Prusse, 6, 43, 85, 96, 114

Hake, 33, 49, 84, 85, 92, 105 Hamilton-Williams, 43, 46, 85,

147 Hensel, 35, 84 Hervey, 40, 43 Heuillet, 94 Hiller, 21, 33, 49, 82, 84, 85, 86,

91, 105 Hofschröer, 28, 29, 42, 44, 108,

109, 110, 111 Hollert, 143 Houssaye, 15, 16, 23, 36, 40, 43,

44, 45, 46, 47, 66, 67, 70, 73, 80, 83, 117, 130, 134, 137, 147

Hurel, 90, 93 Jacquinot, 64, 67, 70, 74, 78, 79,

101, 107

Page 171: La bataille de Plancenoit

171

Jean Germieau ou Germal, seigneur de la Hutte, 6

Jérôme, 19 Jomini, 22 Keegan, 89, 90 Keller, 102 Kouhn, 53 Krafft, 49 La Fresnaye, 126, 128, 129, 130,

132, 146, 153, 160 Labédoyère, 52, 67, 129 Lachouque, 73 Lafontaine, 139 Larrey, 64 Las Cases, 68 Le Roy de Holeir, 5 Le Sénécal, 137 Ledebur, 29, 32, 33, 34, 42, 59,

129, 141 Lefol, 139 Lenowich Voir Zenowicz Lepage, 93 Lionnet, seigneur de Braine-

l’Alleud, 4 Lobau, 14, 15, 17, 18, 21, 26, 51,

64, 65, 69, 70, 71, 73, 74, 75, 77, 78, 79, 80, 84, 85, 92, 96, 100, 101, 107, 108

Löben Sels, 17 Löben-Sels, 45, 69 Logie, 16, 23, 24, 35, 37, 41, 42,

69, 73, 80, 147, 149 Losthin, 21, 33, 35, 49, 82, 84,

85, 86, 92, 105 Louis, 115

Marbot, 27, 28, 29, 30, 43, 48, 52, 53, 54, 55, 63, 67, 129, 130, 146

Margerit, 23 Martin, 103 Mauduit, 20, 23, 74, 75, 80 Maximilien d’Autriche, 5 Mercer, 89 Merget, 147 Morand, 93 Müffling, 30, 32, 36, 43, 44, 69,

83, 96, 97, 98, 99, 100 Ney, 20, 69, 75 Norman, 87 Nostitz, 36, 45, 46 Ollech, 36, 66 Pajol, 61, 66, 123, 148, 149, 150,

154 Paquet, 116 Parisot, 116 Pêcheux, 149 Pelet, 92, 93, 95, 103 Perponcher, 87, 88 Peschot, 93 Pirch (I), 33, 34, 37, 166 Quinet, 23 Regnault, 144 Reiche, 97, 99 Reille, 19, 20 Remond, 133 Rettberg, 88, 99 Reyher, 34 ROUSSILLE, 117 Ryssel, 33, 49, 84, 85, 86, 105 Saxe-Weimar, 97, 101 Scharnhorst, 97 Schinkel, 114

Page 172: La bataille de Plancenoit

172

Schlegel, 33, 131 Schwerin, 48, 49, 108, 114, 166 Seymour, 96 Simmer, 116, 117 Soult, 13, 16, 17, 24, 51, 60, 62,

63, 69, 121, 122, 132, 133, 137, 138, 139, 140, 142, 144, 146, 147, 148, 150, 151, 153, 154, 158, 159

Sourd, 64 Steinmetz, 98, 99 Stiévenart, 100 Subervie, 13, 14, 15, 51, 56, 64,

65, 66, 67, 69, 95, 106, 107 TATTET, 116 Taylor, 43, 87 Teste, 148, 150 Thielemann, 33, 49, 121, 141 Thiers, 13, 14, 15, 22, 58, 80, 147 Tidy, 89 Tippelskirch, 49, 104 Tondeur, 16, 17, 33, 34, 42, 44,

65, 71, 72, 73, 75, 79, 80, 83 Treckow, 100

Uxbridge, 96 Vallin, 148, 149 van Zuylen, 87 Vandamme, 64, 139, 141, 142,

149, 150 Vichery, 149 Vivian, 84, 87, 99 Wellington, 14, 22, 25, 26, 29, 30,

32, 35, 36, 37, 38, 40, 41, 43, 44, 49, 61, 64, 65, 69, 75, 78, 82, 83, 88, 89, 96, 97, 99, 101, 102, 106, 107, 108, 109, 110, 111, 121, 123, 126, 128, 131, 133, 151, 155, 156, 159, 162

Witowski, 29 Wittig, 91 Wittowski, 34 Witzleben, 102 Zenowicz, 51, 122, 143, 145, 146,

148, 154, 160 Zieten, 29, 33, 34, 37, 39, 49, 88,

96, 97, 98, 99, 100, 101, 102, 166, 167

Page 173: La bataille de Plancenoit

173

Table des matières

Plancenoit ............................................................................................................ 3

Le 18 juin 1815 .................................................................................................. 11

Première apparition des Prussiens ................................................................. 13

Une question bien simple… ....................................................................... 19

VOIR et SAVOIR ....................................................................................... 22

Le hussard noir ............................................................................................. 26

Du côté prussien ............................................................................................... 33

La marche du 4e corps ................................................................................. 35

Prudence de Gneisenau .............................................................................. 36

A quelle heure les Anglo-Alliés aperçurent-ils les Prussiens ? .............. 41

Müffling prend les choses en main ........................................................... 44

Réactions françaises ......................................................................................... 52

Le général Bernard ....................................................................................... 57

La cavalerie française : Domon et Subervie ............................................ 65

Le 6ème corps ................................................................................................. 70

Première intervention prussienne .................................................................. 83

Tentative d’enroulement par le village : première prise de Plancenoit 86

« Feux amicaux » au nord ........................................................................... 87

La jeune garde reprend Plancenoit ................................................................ 91

Les Prussiens s’emparent de Plancenoit pour la deuxième fois ........... 93

Intervention de la vieille garde ....................................................................... 94

« Les Prussiens ou la nuit… » .................................................................... 97

Le 1er corps prussien hésite ............................................................................. 98

Intervention décisive de Zieten ............................................................... 100

Chute définitive de Plancenoit ..................................................................... 103

Bilans ................................................................................................................ 105

Discussions et controverses .......................................................................... 107

Blücher a-t-il gagné la bataille de Waterloo ? ........................................ 112

Souvenirs .......................................................................................................... 115 ANNEXE 1 .................................................................................................... 121

La lettre de 13.00 hrs est-elle une forgerie ? ............................................... 121

La correspondance avec Grouchy ...................................................... 121

Deux lettres imaginaires ............................................................................ 125

Page 174: La bataille de Plancenoit

174

Une réponse tardive : la « lettre d’une heure » ...................................... 126

Sur le terrain du côté de Wavre ............................................................... 149

Conclusion à double détente… ............................................................... 152

Une évidence .............................................................................................. 154

Une lettre qui arrange tout le monde ...................................................... 157

Conclusion .................................................................................................. 163

ANNEXE 2 : le chemin des Prussiens ....................................................... 166 Index ................................................................................................................. 169